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2010
Institut d’Etudes Politiques
de Toulouse
Mémoire de recherche
présenté par : Anna Raluy
Directeur de mémoire :
Mr. Labatut
Populations autochtones et revendications
identitaires : l’exemple de la Bolivie
1
2
Remerciements
Je tiens tout d’abord à remercier mon directeur de mémoire, Mr. Labatut pour les
conseils avisés qu’il m’a donné.
Je souhaite aussi remercier chaleureusement Mlle Clémentine Michel pour sa
précieuse aide fournie tout au long de la rédaction de ce mémoire.
3
Avertissement
L’IEP de Toulouse n’entend donner aucune approbation, ni improbation dans les
mémoires de recherche. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur
auteur(e).
4
Abréviations (par ordre alphabétique)
APG : Assemblée du Peuple Guarani
BAT : Bureau de l’Assistance Technique
BID : Banque Interaméricaine de Développement
CES : Conseil Economique et Social
CMPI : Conseil Mondial des Peuples Indigènes
CNE : Cour Nationale Electorale
COB : Centrale ouvrière bolivienne
CSCB : Confédération des communautés originaires de Bolivie
CSUTCB : Confédération syndicale unique des travailleurs paysans de Bolivie
FAO : Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’agriculture
FISE: Fond International de secours à l’enfance
IIB : Institut Indigéniste Bolivien
III : Institut Indigéniste Interaméricain
ILE : Institut Linguistique
IPSP : Instrument politique pour la souveraineté des peuples
LMAD: Ley Marco de Autonomías y Descentralización
MAS: Movimiento Al Socialismo
MIP: Mouvement Indigène Pachakuti
MNR: Movimiento Nacional Revolucionario
OEA: Organisation des Etats Américains
OIT : Organisation Internationale du Travail
OMS: Organisation Mondiale de la santé
ONG : Organisation Non Gouvernementale
ONU : Organisation des Nations Unies
PIB: Produit Intérieur Brut
PNUD : Programme des Nations Unies pour le Développement
TCO: Terres Communautaires d’Origine
UNESCO: Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture
UNPO : Organisation des nations et des peuples non représentés
WASP: White Anglo Saxon Protestant
YPFB: Yacimientos Petrolíferos de Bolivia
5
Sommaire
Introduction ................................................................................................................................ 6
Première partie : Populations autochtones et revendications identitaires : de l’exclusion à la
reconnaissance internationale ................................................................................................... 10
I) Etat, nationalisme ethnique et revendications identitaires .................................................... 11
II) Cadre juridique de la lutte des populations autochtones pour une reconnaissance
internationale ............................................................................................................................ 36
Deuxième partie : la Bolivie représente-t-elle un succès des revendications identitaires ? ..... 52
I) Etre indien en Bolivie ........................................................................................................... 53
II) L’élection d’Evo Morales, un nouveau tournant pour le pays ? ......................................... 74
Conclusion: Quel bilan pour la Bolivie d’Evo Morales ? ...................................................... 101
Annexes .................................................................................................................................. 103
Bibliographie .......................................................................................................................... 145
6
Introduction
Il y a encore quelques décennies, personne n’aurait imaginé voir arriver à la tête d’un
Etat latino-américain, un homme politique d’origine indienne. Pourtant, dans l’un des pays les
plus pauvres d’Amérique Latine et peuplé majoritairement d’autochtones, cela a été possible.
En 2005, avec l’arrivée au pouvoir d’Evo Morales, un revirement de situation a eu lieu en
Bolivie. Comme partout en Amérique Latine mais aussi dans le reste du monde, les
populations indigènes de ce pays ont toujours été méprisées, ignorées et leurs droits bafoués.
Cependant, en Bolivie, elles semblent bien avoir réussi à reprendre leur destin en mains et à se
faire enfin respecter. Longtemps écrasées par les élites blanches et créoles (descendantes des
colons espagnols) qui ont réussi à s’approprier les richesses dans un pays où elles sont
cependant majoritaires, les populations indigènes de Bolivie ont su s’organiser et devenir des
acteurs à part entière, incontournables dans la construction d’une société qui cesserait d’être
aussi inégalitaire.
Leur mode de vie a été bouleversé dès l’arrivée des Espagnols sur le continent. Elles
ont tout subi : aussi bien le vol que l’exploitation et l’imposition d’une culture occidentale
leur étant totalement étrangère, incompatible avec la leur. Durant des siècles ces populations
ont été méprisées, au nom de leur différence. Etre indien, c’est tantôt un stigmate imposé par
le regard de l’autre et vécu dans la honte, tantôt une revendication de dignité bafouée et une
stratégie de lutte. Le combat des peuples autochtones a su acquérir chaque fois plus
d’importance sur la scène internationale, surtout à partir des années 1990. Leurs
revendications pour exister et être acceptés en tant que peuple se sont heurtées à des Etats
toujours réticents à accepter leurs différences.
Le continent latino-américain n’est pas choisi au hasard, c’est là que les premières
formes d’organisations indiennes ont vu le jour et c’est sur ce même continent que les
populations autochtones ont commencé à s’organiser pour revendiquer leurs droits, d’abord à
un niveau national puis international. Une profusion d’organisations créées dans les années
1990 ont réussi à faire entendre leurs voix. Dans un contexte de mondialisation accrue, ces
diverses organisations indigènes recevront le soutien de nombreuses ONG défendant la cause
indienne. Leur sort mobilisera aussi plusieurs grandes institutions internationales telles que
l’Organisation Internationale du Travail (OIT) ou la Banque Interaméricaine de
7
Développement (BID), pour n’en citer que quelques unes, qui œuvreront pour améliorer les
conditions de vie de ces populations. Au sein même des instances internationales, la mise en
place d’un système juridique confirmant leurs droits et les reconnaissant ne s’est fait que très
tardivement. Il a fallu en effet attendre 2007 avant de voir l’Organisation des Nations Unies
(ONU) adopter la Déclaration des populations autochtones tant attendue depuis des années.
Des revendications identitaires sont exprimées partout dans le monde, de l’Alaska à
l’Australie. Pourtant, lorsque l’on s’intéresse à la lutte de ces peuples pour leurs droits et aux
succès rencontrés, c’est la Bolivie qui représente l’intérêt le plus emblématique avec l’élection
d’Evo Morales à la présidence 2005. Au Mexique, l’action médiatisée du Sous-commandant
Marcos et des populations indigènes du Chiapas ont focalisé l’attention via leurs
retentissantes revendications identitaires. Cependant, on n’y retrouve pas la dynamique
existante en Bolivie qui s’exprime par l’arrivée au pouvoir de populations indigènes. Car au
Mexique, les populations autochtones ne cherchent pas à entrer dans la sphère politique mais
plutôt à s’organiser et à devenir plus puissantes « par le bas » en espérant être écoutées et en
espérant que le gouvernement en place tienne compte de leurs demandes. En Bolivie, Evo
Morales avait compris depuis le début que de réels changements n’auraient lieu que lorsque
les populations autochtones pourraient participer activement à la construction d’une société
plus égalitaire et donc en intégrant le milieu politique. Ainsi, elles pourraient elles-mêmes
décider de leur sort.
La Bolivie avec Morales démontre à toutes les minorités que rien n’est perdu dans le
combat pour la justice. Elle illustre cette « revanche » sur les Occidentaux qui les ont soumis
à des siècles de misère et d’oppression. Une revanche pour démontrer que ceux qui étaient
considérés comme inférieurs parce que différents savent s’exprimer et faire valoir leurs droits,
sont capables de reconstruire une société dans laquelle ils seront inclus, cette fois ci, au même
titre que les autres et sans aucune forme de discrimination. La Bolivie a démontré qu’il était
possible pour les peuples autochtones de vivre dignement et de reprendre le contrôle de leur
existence. L’élection de Morales comme président de la République représente donc une
véritable consécration non seulement pour les peuples autochtones de Bolivie mais aussi pour
tous ceux de l’Amérique Latine et du monde qui reprennent espoir en l’avenir et en l’arrivée
de jours meilleurs. Etre indien en Bolivie semble désormais être beaucoup plus vivable que
des années auparavant. L’ethnicité, l’identité ne semblent plus (ou plutôt moins) représenter
une raison de subordination et d’existence misérable.
8
On ne peut toutefois pas s’intéresser au cas de la Bolivie et de ce que représente ses
revendications identitaires sans préalablement aborder d’un point de vue plus sociologique les
notions d’identité, d’ethnicité, d’Etat, d’Etat-nation ou encore de nationalisme car elles
renvoient à des idées nous permettant de mieux comprendre pourquoi certains peuples se
révoltent pour défendre leur identité et comment les Etats vont-ils réussir à gérer ces
revendications. Il existe plusieurs définitions et courants de pensée concernant ces notions qui
méritent d’être appréhendés dans un premier temps afin de comprendre ensuite leurs enjeux et
l’évolution de leur perception. Les différentes études réalisées sur ces notions et sur les
revendications identitaires permettent de mieux saisir pourquoi ces populations revendiquent
une certaine différence mais surtout quelle place leur est accordée au sein des Etats.
C’est à partir d’une étude sur le rôle de l’Etat face aux populations autochtones
présentes sur son territoire que l’on peut saisir le degré d’intégration et de prise en compte de
ces populations. En général, les populations autochtones n’ont jamais vraiment été intégrées
et beaucoup subissent encore cette discrimination aujourd’hui. C’est encore le cas pour les
aborigènes d’Australie, mais aussi pour les indiens du Canada ou des Etats-Unis qui sont plus
laissés de côté qu’intégrés et dont la culture n’a commencé à être reconnue que très
tardivement. D’ailleurs, ces trois pays où le nombre de populations indigènes est assez
important ont refusé de signer la Déclaration des Nations Unies de 2007. Les Etats latino-
américains ont eux aussi trop longtemps refusé de prendre en compte les droits de ces
populations. Ou lorsque ce fut le cas, les décisions étatiques relevant de leur devenir ne leur
étaient pas forcément favorables.
Dans la première moitié du XXème
siècle apparaîtra l’indigénisme, un mouvement
d’idée, d’expression politique et sociale qui semble favorable aux Indiens. A une époque où
ils se sentent submergés par un capitalisme devenu trop envahissant et alors qu’ils essayent de
reconquérir une place sur la scène internationale, les Etats latino-américains vont se rendre
compte qu’il est nécessaire d’éliminer les différences raciales, ethniques et culturelles entre
les populations habitant sur leur territoire afin de constituer une nation unie. Cependant, ce
mouvement ne représente en aucun cas la manifestation d’une pensée indienne ; il s’agit plus
d’une réflexion créole et métisse sur l’Indien. Les priorités et les modes d’action des acteurs
« indigénistes » au sein de cet Etat interventionniste ne reflétera pas les aspirations des
populations indigènes ni une meilleure intégration au sein d’une société qui prendrait
réellement en compte leurs besoins. Ces dernières vont donc s’organiser d’elles-mêmes.
9
En Bolivie, le long et difficile parcours des populations indigènes pour leur
reconnaissance semble sur le point d’aboutir. Depuis l’arrivée au pouvoir de Morales, de
nombreux changements favorables aux populations autochtones ont eu lieu. Cependant, loin
d’unir l’ensemble de la population bolivienne, ces réformes ont creusé les différences existant
entre la minorité blanche et créole et la majorité indienne-paysanne. Ainsi, le mécontentement
de l’élite jusqu’à présent dominante en Bolivie s’est souvent manifesté de manière assez
violente provoquant une grande instabilité politique. Les revendications identitaires
différentes à l’intérieur d’un même pays peuvent être source de nombreux conflits. Ainsi, les
désirs d’autonomie de part et d’autre ne semblent pas avoir disparu mais au contraire s’être
renforcés.
Cinq ans après l’arrivée au pouvoir d’Evo Morales, quelle place ont désormais les
populations indigènes au sein de l’Etat bolivien ? Quel a été le rôle joué par Morales comme
premier président indien de la Bolivie pour améliorer les conditions de vie de « ses frères » ?
Comment, n’étant qu’un simple paysan et cocalero, a-t-il réussi à grimper les échelons avec
autant de réussite pour ensuite modifier complètement cet Etat bolivien jusqu’alors
profondément injuste ? Quelles améliorations y a-t-il eu pour les droits des populations
indigènes et leur reconnaissance ? Les réformes entreprises par le gouvernement de Morales
ont cependant suscité un engouement mitigé au sein de la population bolivienne, toujours
profondément divisée par ses différences ethniques et culturelles. Ce qui amène à se
demander si la Bolivie représente bien un succès pour les revendications des populations
indigènes.
10
Première partie : Populations autochtones et revendications identitaires : de l’exclusion
à la reconnaissance internationale
Les Etats latino-américains ont une histoire longue et mouvementée avec les
populations autochtones vivant sur leurs territoires. Que ce soit en Amérique Latine ou
ailleurs, elles ont toutes subi le même genre de traitement. De tout temps rejetées et exploitées
par les colonisateurs venus s’installer sur leurs terres, elles n’ont pourtant jamais cessé de se
battre et de s’organiser afin d’être intégrées dignement au sein de la société. Les populations
autochtones ne vont cesser de réclamer justice afin que leurs droits soient reconnus aussi bien
au niveau national qu’international. Leur principal motif de revendication est basé sur leur
différence et c’est justement cette différence qui sera mise en avant lors de leurs combats. Car
c’est « à cause » de cette différence que ces populations ont été si souvent discriminées. On ne
retrouve pas (ou peu) le sentiment d’appartenance à un Etat chez les populations autochtones
car les Etats ont eu tendance à les ignorer complètement et c’est en partie pour cette raison
qu’elles se sont révoltées et que des revendications identitaires se sont manifestées en
différents endroits du globe. Les populations autochtones n’ont presque jamais été acceptées
telle qu’elles sont et il a fallu attendre un certain temps avant que les Etats ne se décident à
entreprendre des actions concrètes pour les intégrer dans la société.
Cependant, on ne peut commencer à mentionner les politiques entreprises par les Etats
latino-américains1 sans préalablement aborder différentes notions permettant de mieux saisir
les enjeux des revendications identitaires. Il convient donc de s’intéresser aux concepts de
nation, de nationalisme, d’ethnicité et de nationalisme ethnique, d’en donner les différentes
définitions mais surtout de tenter d’expliquer les différents courants de pensées gravitant
autour de ces notions ainsi que les évolutions qu’elles ont subies. Pourquoi les ethnies se
sentent-elles rejetées de la nation? Dans quelle mesure l’ethnicité peut-elle se transformer en
source de revendications et quelles sont les causes de ces revendications ?
L’approche de ce que constitue à l’époque « le problème indien » s’exprimera par
diverses actions de la part des Etats latino-américains qui tenteront tant bien que mal
d’intégrer les indiens au sein de la société. Cependant, ces diverses actions ne seront pas
1 Notre étude de cas se basant sur la Bolivie, notre intérêt concernant l’action des Etats par rapport à leur
population indigène s’est logiquement porté sur le continent latino-américain.
11
réellement favorables aux populations autochtones. Ces dernières commenceront donc à
s’organiser par elles-mêmes et trouveront par ailleurs appui grâce à diverses ONG et
organisations internationales qui soutiendront leur cause. L’intérêt que va susciter les droits de
populations autochtones se reflétera par la suite dans l’évolution de leur prise en compte par
les gouvernements mais aussi par les instances internationales.
I) Etat, nationalisme ethnique et revendications identitaires
1) Définition des critères sociologiques
a) La nation
De nos jours, on définit usuellement la nation comme un « groupe humain
généralement assez vaste, qui se caractérise par la conscience de son unité (historique, sociale,
culturelle) et la volonté de vivre en commun ».2 Pour que s’exprime la volonté de vivre en
commun, il a fallu pour chaque nation, non seulement développer la conscience de cette unité
mais aussi la construire. Il existerait deux conceptions antagonistes de la nation, selon Anne-
Marie Thiesse.3 La conception subjective, dite française découlerait de la Révolution de 1789.
Elle fait de l’appartenance nationale l’expression du choix rationnel et contractuel d’adhésion
à une communauté. La conception objective, qualifiée d’allemande est, quant à elle rattachée
au mouvement romantique et détermine l’appartenance nationale par des critères ethniques et
culturels. A la différence d’un groupement de population défini par la sujétion à un même
monarque, la nation est posée comme indépendante de l’histoire dynastique : elle préexiste et
survit à son prince. Elle peut, selon les aléas de l’histoire être opprimée ou divisée, mais elle a
le devoir de lutter pour sa liberté. Par ailleurs, une nation ne conquiert jamais de territoires sur
ses voisins. Au fil des siècles elle ne fait que résister à l’invasion et à l’oppression. La nation
est l’incarnation du peuple souverain et elle est conçue comme une communauté de naissance,
instituant une égalité et une fraternité de principe entre ses membres. Il faut qu’elle soit
partagée afin de devenir une force de transformation sociale et politique.
2 Thiesse (Anne-Marie), La nation comme cadre identitaire : La fabrication culturelle des nations européennes,
in Identité(s).L’individu, le groupe, la société, coordonné par Catherine Halpern, éd. Sciences Humaines, 2009. 3 Ibidem
12
Pour parvenir à ce but, l’identité collective des membres de la nation doit être mise en
œuvre. C’est sur elle qu’à partir de références et de pratiques communes pourra se développer
un sentiment d’appartenance. Les références identitaires des individus sont déterminées par
leur statut social, leur religion, leur appartenance à une communauté locale plus ou moins
restreinte et riche de particularismes. Toute nation reconnue possède une histoire
multiséculaire et continue, établissant le lien entre les ancêtres fondateurs et le présent, une
langue, des héros, des monuments culturels, monuments historiques, lieux de mémoire, etc.
De plus, toute nation s’identifie à une langue qui lui est généralement spécifique. On
peut citer à titre d’exemple le français qui est apparu avec la Révolution. Par la suite, il y a eu
une unification des langues régionales. L’usage de la « langue du Roi » avait été signe de
statut social et d’origine géographique ; celui de la langue nationale devient un devoir pour
tous les citoyens puisqu’il indique l’appartenance à la communauté dans laquelle réside
maintenant la souveraineté. Les « patois » sont donc dés lors perçus comme des vestiges de
l’Ancien Régime, devant de ce fait être éradiqués. Non seulement en France mais aussi
ailleurs dans le monde, un immense travail est effectué par les philologues à partir de la fin du
XVIIIème
siècle afin d’élaborer des langues nationales, les normaliser par des dictionnaires et
des grammaires. Pour assurer leur promotion, de nouvelles associations se créent et
subventionnent ainsi la publication de livres et journaux dans les nouvelles langues
nationales ; des écoles sont ouvertes pour les enseigner. Ce processus de création linguistique
lié à l’émergence de revendications nationales se poursuit encore aujourd’hui. Il est à l’œuvre
notamment dans les nouveaux Etats issus de l’ex Yougoslavie.
Ernest Renan dans sa conférence « Qu’est ce qu’une nation » (11 mars 1882) donnera
une autre définition de la nation, en fonction de sa relation avec l’histoire. « Une nation est
une âme, un principe spirituel. Deux choses qui à vrai dire ne font qu’une, constituent cette
âme, ce principe spirituel. (.. .) L’une est la possession en commun d’un riche legs de
souvenir ; l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de
continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis », disait-il4. Il est donc question de
l’histoire commune d’un peuple, et des moyens mis en œuvre afin de conserver cette histoire
mais aussi de l’enrichir et la transmettre aux générations futures. Il y a une réelle volonté de
partager cet héritage reçu en commun.
4 Ibid.
13
Cependant, il est fort peu probable que ces populations qui avaient déjà la possession
en commun d’un legs de souvenirs, d’une culture et forme d’organisation propres, se sentent
faire partie intégrante de cette nouvelle nation qui se formera avec l’arrivée des colons. Ceux
que l’on appelle aujourd’hui « peuples premiers » étaient les seuls habitants de pays (comme
l’Australie) ou de continents entiers comme ce fut le cas pour l’Amérique Latine.5 Certains
étaient établis sur un territoire partagé aujourd’hui en divers pays (Ainsi l’empire Maya
s’étendait sur les actuels Mexique, Belize, Honduras, Guatemala et Salvador). Mais ils avaient
chacun leur propre organisation sociale, leur propre culture, langue et religion.
C’est donc la création d’Etats avec des délimitations territoriales fixes, la mise en place de
nouvelles formes d’organisations qui ébranlèrent les modes de vie des populations
autochtones. Avec l’arrivée des occidentaux, les populations autochtones se retrouvèrent, en
général en statut d’infériorité. On peut alors s’interroger sur la place de ces peuples au sein
d’Etats récemment formés et sur leur degré d’intégration. Car il semble évident qu’il n’y aura
aucun sentiment d’appartenance à la nation reformée par les colonisateurs ni de sentiment
national chez ces peuples.
b) Le nationalisme :
Selon Christophe Jaffrelot6, le nationalisme se définit par « l’allégeance légitime
active qu’un groupe donné prête à une nation. » Cette allégeance du groupe est manifestée par
les symboles dans lesquels ses membres se reconnaissent, par les intérêts collectifs qu’ils
défendent et les traits culturels qu’ils partagent. Il n’est pas nécessaire que les personnes du
groupe parle la même langue ou pratiquent la même religion. Cependant, un nombre
minimum de facteurs en coïncidence est requis, le plus important étant le fait de s’identifier
collectivement à une réalité politique (Etat-nation) ou à un projet national de façon manifeste
et pas à d’autres, voire en réaction à d’autres nationalismes. En cela, C.Jaffrelot explique que
le nationalisme est une idéologie. D’après lui, il existerait deux types de nationalisme, si on
l’étudie en tant qu’idéologie. Il y en aurait un ouvert et un autre fermé. Le premier a aussi été
appelé « universaliste », « politique, « libéral » ou « territorial » par opposition au second qui
fait procéder la nation de traits culturels innés (comme la couleur de peau) ou acquis dès le
5Voir annexe 1et 2, Répartition géographique des populations autochtones en 1492 selon les familles
linguistiques et répartition des grands groupes ethniques en 2007. 6 Jaffrelot (Christophe), Les origines idéologiques du nationalisme, op.cit
14
plus jeune âge (comme la langue ou la religion). Le nationalisme ouvert repose quant à lui sur
le sentiment d’appartenance à un corps politique susceptible d’intégrer tous ceux qui vivent
dans les frontières d’un Etat donné. Il est donc indissociable de la notion de citoyenneté
reposant sur un corpus idéologique où l’on retrouve les valeurs de l’individualisme telle que
la liberté et l’égalité et qui constitue donc la philosophie des Lumières.
Or, les théoriciens du nationalisme ont souvent sous-estimé l’importance de
l’idéologie dans la formation de cette allégeance nationaliste. Ainsi, l’école du « nation-
building » qui s’est développée aux Etats-Unis dans les années 1950-60, a considéré le
nationalisme comme la conséquence logique d’un processus de modernisation. Ce processus
est caractérisé par une forte intégration sociale des individus au moyen de l’urbanisation,
l’industrialisation, l’éducation de masse, etc. Le nationalisme apparaît alors comme un
sentiment collectif nouveau, une conscience naturelle d’appartenance nationale qui n’a pas
besoin d’un système d’idées pour être véhiculée. Pour cette école, l’usage du terme
« nationalisme » est même un abus de langage. Un autre courant, celui des instrumentalistes,
fait l’impasse sur la dimension idéologique. Pour eux, le nationalisme consiste en un
ensemble de stratégies mises en œuvre par des entrepreneurs politiques. Ceux-ci sont désireux
de définir un groupe car ils pourront ensuite le mobiliser dans leur quête du pouvoir. Ernest
Gellner7 met l’accent sur les rivalités opposant les élites issues de différents groupes ethniques
dont l’accès aux ressources économiques est très inégal tandis que Paul Brass s’intéresse
davantage à la manipulation de symboles d’identité par des politiciens populistes. Mais tous
deux offrent une même lecture « power oriented » du nationalisme.
D’après les critères énoncés ci-dessus, les populations autochtones d’Amérique latine
soumises aux Espagnols ne pouvaient en aucun cas faire preuve de nationalisme à l’égard des
Etats nouvellement créés dans lesquels elles se sont retrouvées. En imposant leur mode de vie,
leur culture, leur religion, les Espagnols n’ont aucunement intégré les intérêts des autochtones
dans leur construction de la société, ou de leur « projet national ». Les populations
autochtones ne pouvaient donc faire preuve d’allégeance à ces Etats. Dans l’impossibilité de
se reconnaître dans les mêmes symboles que les Espagnols, elles ne s’identifieront pas à la
réalité politique collective qui est nécessaire à la formation de l’Etat-nation. Comment
auraient-elles pu le faire alors qu’elles étaient radicalement différentes, aussi bien
culturellement qu’ethniquement ?
7 Ibidem.
15
c) L’ethnicité
Bien qu’aujourd’hui ils soient dénoncés, les préjugés relatifs à la notion d’ethnicité ont
bien été portés par des chercheurs. Ainsi, certains, pour qualifier la « qualité primordiale » de
l’ethnicité, insistaient sur l’importance des liens du sang présumés, les proximités
phénotypiques8, la langue, la religion. Ces attachements étaient jugés premiers car ils
s’imposeraient à l’individu dès sa naissance. Aussi de telles idées allaient de pair avec
l’introversion identitaire, le groupe se concevant uniquement par la croyance en sa singularité
absolue. Mais de nombreuses critiques ont été adressées à cette théorie. On lui a, entre autre,
reproché de passer sous silence les formes d’exploitation et les rivalités en tout genre qui
limitent les solidarités collectives et qui peuvent provoquer des scissions. Aussi, bien qu’elle
soit le référent fondateur de l’ethnologie, la notion d’ethnie est contestée par beaucoup de
praticiens de la discipline. En effet, on lui reproche d’être trop annexée au concept de race. Le
mot « ethnie » dans ses premiers usages, désignait « les peuplades du lointain, que l’on
pensait proches de l’état de nature, soumises à l’anarchie et à la stagnation ».9 Aussi, à l’aune
des préjugés occidentaux, elle se définissait comme apolitique, a-économique, sans histoire,
autant de carences qui légitimaient « l’action civilisatrice » des puissances européennes.
Dans les années 1960, on assiste à une réaction à ces thèses qualifiées de
primordialistes. De nouvelles thèses apparaîtront et seront qualifiées d’instrumentalistes. A
propos de ces dernières, des études sont faites concernant les rapports interethniques au sein
de villes d’Afrique ou d’Amérique, milieux où la compétition entre communautés est forte et
les recompositions identitaires rapides. On peut notamment mentionner en Amérique du Nord,
l’exemple de la naissance d’une « ethnie black », opposée aux WASP (White Anglo-Saxon
Protestants), à laquelle s’identifient nombre de gens de la « middle class » et étant elle-même
issue d’un mélange de critères phénotypiques, culturels et confessionnels. L’examen de
situations comme celle là incite les instrumentalistes à penser l’ethnicité d’une autre manière.
Plutôt que de reposer sur un socle immuable, l’ethnicité est faite de constructions
opportunistes, basées sur un choix raisonné de signes caractéristiques. Ceux-ci seraient tendus
vers la quête d’avantages économiques ou politiques. Donc, l’individu s’identifie aussi au
groupe mais moins par la conviction d’une ascendance commune que par un faisceau
d’intérêts partagés. Cependant, ces thèses seront aussi jugées très réductrices. Effectivement,
8 De phénotype : ensemble des caractères somatiques apparents d’un individu, qui exprime l’interaction du
génotype et du milieu. 9 Thiesse (Anne-Marie), La fabrication culturelle des nations européennes, op.cit
16
elles rapportent l’élaboration des identités collectives à des visées politiques mais évitent de
s’interroger sur la nature des interactions dont dépend leur mise en œuvre et notamment sur le
jeu des forces adverses qui peuvent les neutraliser.
En 1969, l’ethnologue norvégien Frederik Barth, publie un article sur l’ethnicité. Barth
constate que l’identité est processuelle (et non systémique), que la culture n’est pas une
donnée mais plutôt une résultante au contenu variable. Ainsi, le groupe ethnique n’est pas une
entité en soi mais une forme d’organisation repérable par les contrastes entre les attributs
culturels et par l’expression des manières dont les gens se classent. En dépit de ses avancées,
l’approche de Barth n’est pas exempte de critiques. Il s’interdit de réfléchir sur le sens des
codes de conduite hors du contexte particulier où ils servent de traits différenciateurs face aux
étrangers. Un autre reproche lui est adressé : il ne considère que le point de vue des sujets de
l’étude. Or le problème c’est que l’opinion des gens sur ce qu’ils sont et ne sont pas ne suffit
pas à valider leur appartenance ethnique. Il faut que l’opinion soit croisée avec le jugement
d’un entourage composite pour que l’information devienne pertinente.
Jusqu’au milieu des années 1970, l’ethnie était le plus souvent caractérisée par un
nom, une langue, un territoire, des valeurs et des traditions propres, une origine commune,
etc…Cependant, une telle définition peut soulever plusieurs problèmes selon Bernard
Formoso.10
Tout d’abord, on peut y voir une absence ou une non congruence de tels critères
car il existe plusieurs sociétés, qui comme les Tsiganes par exemple, ne possèdent pas de
territoire propre ; ou alors des peuples voisins qui peuvent parler la même langue mais tout de
même se démarquer clairement (Serbes, Slovènes, Croates et Bosniaques parlent tous le
serbo-croate). De plus, Formoso estime qu’une telle vision fige la réalité sociale du groupe,
conçu sur le modèle de l’isolat, et ses élaborations culturelles. Cette même époque aux Etats-
Unis est celle de la montée des revendications culturelles des minorités, notamment des Noirs
qui ne réclament plus seulement l’égalité mais une reconnaissance de leur passé et de leur
culture. En Europe, les minorités sont bien souvent d’anciens « sujets des Empires ». C’est
aussi l’époque de ce qu’on appellera les « gender studies »11
portées par des militantes
10 Bernard Formoso, Débats sur l’ethnicité , op.cit 11 On appelle en anglais « gender studies », un vaste domaine d’études et de débat portant sur la question du
genre sexuel. Ce domaine d’études s’est surtout développé dans les années 1970 et principalement dans les
universités nord-américaines. Il vise à démontrer les inégalités dont sont victimes les femmes s'appuyant d'une
part sur une idéologie légitimant, de fait, l'oppression des femmes et d'autre part sur un ensemble de mécanismes
sociaux qui tendent à présenter comme naturelle une division inégalitaire des rôles sociaux entre les hommes et
les femmes, y compris dans les sociétés qui se prétendent démocratiques et égalitaires.
17
féministes. La notion qui s’impose alors est celle d’identité, empruntée aux anthropologues :
l’identité dans sa formulation moderne.
Bien que l’expression « identité nationale » ait été popularisée dans l’espace public en
France au cours des années 1980, elle trouve sa source au XIXème siècle où l’on parle de
« personnalité », « idée » ou encore « caractère » national, selon Régis Meyran12
. L’idée
émerge au moment de l’éveil des nationalités. L’année 1848, qu’on a appelé le « printemps
des peuples » parce qu’elle vit l’apparition de révolutions à travers toute l’Europe, fut
caractérisée par la poussée de sentiments nationaux. Pour Anne-Marie Thiesse c’est surtout la
guerre de 1870 qui constitue le tournant fondamental dans l’historie des identités nationales
car c’est à ce moment là que prend forme la notion d’Etat-nation, telle qu’on la connaît
aujourd’hui. Ernst Renan, dans son texte « Qu’est ce qu’une nation », reprend cette
conception de la nation en s’opposant à la vision d’une nation fondée sur des particularismes
ethniques. Pour lui, la nation suppose l’adhésion volontaire et consciente des peuples à un
destin commun.
Aussi, on reconnaît qu’il est nécessaire d’accorder une place aux expressions
culturelles des minorités au sein des universités car elles expriment la vision des colonisés
dans la langue du colonisateur. La French Theory avec des auteurs tels que Roland Barthes,
Pierre Bourdieu ou Jacques Lacan, conquiert aussi les départements de lettres et philosophie
nord-américains. Les théoriciens les plus pointus estiment que toute production culturelle est
un texte à déconstruire, sa signification ne peut être que contingente à la situation du sujet qui
l’énonce. Et le sujet qui par excellence incarne ce point de vue est celui des diasporas, des
réfugiés, des migrants, des minorités dont la culture et l’identité sont « hybrides » et les
trajectoires sinueuses. Quelles sont donc aujourd’hui les perspectives qui s’offrent à
l’ethnicité comme objet d’étude scientifique mais aussi comme phénomène politique ? Alors
que la mondialisation est en marche et que l’essor des médias est susceptible, avec son
impact, de transformer la planète en un « village global », on peut redouter une uniformisation
culturelle des sociétés.
La référence à l’ethnie, loin de décliner, tend au contraire à se renforcer. Ainsi selon
B.Formoso, le sentiment des périls écologiques imminents et les peurs de dilution identitaire
occasionnés par la globalisation sont si forts qu’ils engendrent des reflexes conservateurs. On
12 Meyran (Régis), L’identité nationale au crible de l’anthropologie, op.cit
18
assiste donc au paradoxe d’une notion d’ « ethnie » que les ethnologues contemporains
déconstruisent mais qui prend de plus en plus de consistance sur le plan politique et est
revendiquée par les populations autochtones. Cependant, on constate une extension mondiale
de circuits touristiques dans leur environnement et une montée en puissance des
altermondialistes. Pour les peuples autochtones, il s’agit d’un autre aspect de la globalisation
dont les effets uniformisant sont largement compensés par l’attrait international que suscite
leur être culturel. La diversification de leurs « paysage ethnique » (ethnoscape) a des effets
subversifs évidents puisqu’elle contrecarre l’image dépréciative dans laquelle les confinaient
jusqu’alors les autorités et médias de leur pays. Il est donc normal qu’une telle ouverture sur
le monde amène à des aspirations et des revendications ethno-nationalistes en nombre
croissant.
d) Nationalisme ethnique et revendications identitaires
Le nationalisme ethnique naît en réaction à l’expansionnisme des premières puissances
européennes. Parmi les élites de sociétés ainsi subjuguées, certains se complaisent dans le
refus de l’envahisseur tandis que d’autres cèdent à la fascination au point de renier leur propre
culture. Mais ceux qui inventent le nationalisme ethnique cherchent à réformer leur société en
imitant l’intrus pour mieux lui résister. Selon Lloyd Fallers, le nationalisme ethnique c’est « la
partie de la culture qui s’emploie activement à établir et à défendre un ensemble structuré de
croyances et de valeurs ».13
Le processus de construction idéologique qui conduit au
nationalisme ethnique naît d’abord du ressentiment que le dominé éprouve face à
l’envahisseur. Après la chute du mur de Berlin, une première thèse est vite apparue. La
mondialisation est synonyme d’homogénéisation culturelle sous l’hégémonie nord-
américaine. Une deuxième idée dit presque tout le contraire. La mondialisation serait
synonyme de fragmentation culturelle. D’où certaines logiques de retrait communautaire, de
fermeture identitaire, de repli des nations et des cultures sur elles-mêmes.
Concernant le continent latino-américain, au XXème siècle, les populations autochtones
tenteront tant bien que mal de faire valoir leurs droits. On ne peut pas dire qu’il y aura un repli
sur elles-mêmes ; au contraire c’est notamment grâce à cette mondialisation et à l’appui
d’ONG qui soutiennent leurs causes qu’elles pourront chaque fois mieux s’organiser,
13 Jaffrelot( Christophe), Les origines idéologiques du nationalisme, op.cit
19
revendiquer leurs droits mais surtout se faire entendre aussi bien à l’intérieur des pays où elles
sont présentes qu’à l’extérieur, et donc à l’international. Plusieurs évènements auront un
retentissement mondial, comme la vague de révoltes sur tout le continent latino-américain, qui
vont massivement rejeter la commémoration du 500ème anniversaire de la découvert du
continent latino-américain en 1992, ou l’attribution du Prix Nobel la même année à la
guatémaltèque Rigoberta Menchu ; ou encore le soulèvement dans le Chiapas (Mexique) en
1994. Le nationalisme ethnique en Amérique latine est bien vivant et les communautés
indigènes ne comptent pas baisser les bras. L’évolution de leur existence au sein des Etats
latino-américains aura radicalement changé entre le début et la fin du XXème siècle. Elles
passeront d’un statut de soumission à un statut d’acteurs actifs au sein de la société, en passe
de reprendre leur destin en main.
2) Le mouvement indigéniste en Amérique Latine
L’indigénisme en Amérique Latine est avant tout un courant d’opinion favorable aux
Indiens. Ce courant se traduit par des prises de position qui tendent à protéger la population
indigène, à la défendre contre les injustices dont elle est victime et à souligner les qualités ou
attributs positifs qui lui sont reconnus. Ses origines remontent aux contacts initiaux avec les
Européens, lors de la découverte de l’Amérique du Sud par Christophe Colomb. Alimenté par
des clercs pendant l’ère coloniale puis entretenu par des associations protectrices de l’Indien
qui voient le jour au lendemain des indépendances, l’indigénisme parcourt l’ensemble de la
société. On ne peut l’identifier à une classe, une catégorie ou à un groupe déterminé.
L’indigénisme est par ailleurs un mouvement d’idées à expression politique et sociale mais
aussi littéraire et artistique qui pense l’Indien dans le cadre d’une problématique nationale.
Ce mouvement prend son essor dans la seconde partie du XIXème siècle, alors que les
pays d’Amérique latine cherchent à se constituer en nation afin d’accroitre leur capacité sur la
scène internationale et faire face au capitalisme qui les submerge. Il y a une prise de
conscience selon laquelle l’indépendance a laissé subsister le clivage entre indiens et non-
indiens. Le constat est donc que la nation reste à fonder. Comment éliminer les différences
raciales ethniques et culturelles qui séparent ces deux peuples afin de constituer une nation
20
unie ? De quelle manière asseoir l’identité nationale sur la trame de l’indianité ?
L’indigénisme est donc étroitement lié au nationalisme.
Selon le philosophe mexicain Luis Villoro14
(1992- ), la démarche intellectuelle qui
caractérise l’indigénisme peut être décomposée en trois temps. Tout d’abord, les indigénistes
essayent de récupérer l’univers indien, non pour l’enfermer dans des musées et réserves
comme s’il s’agissait d’un legs du passé mais pour l’intégrer au monde moderne. Ensuite, ils
chercheraient à reconnaître dans cet univers quelque chose d’eux-mêmes et à découvrir en lui
un aspect auquel ils s’identifient totalement. Enfin, ils s’efforcent de lui restituer sa splendeur.
La force de l’indigénisme ne dépend pas que de la persistance plus ou moins grande des
valeurs culturelles indiennes dans les sociétés latino-américaines mais aussi et surtout de la
signification symbolique que ces valeurs peuvent acquérir. L’indigénisme cherche un point
d’appui sur le passé précolombien afin de construire un futur en rupture avec l’Europe qui
ferait éclore une civilisation nouvelle et différente de celle que l’envahisseur ibérique a
imposé. Ainsi, alors que certains aiment à croire que la Conquête a uni à jamais populations
indigènes et Espagnols dans une communauté d’une même civilisation, catholique et latine,
d’autres vont chercher à démontrer que ceci n’a jamais eu lieu et que ce n’est en aucun cas
réalisable. Cependant, le mouvement indigéniste n’est pas la manifestation d’une pensée
indienne mais d’une réflexion créole et métisse sur l’Indien. Il se définit d’ailleurs comme tel
sans jamais prétendre parler au nom des indiens. Il n’empêche qu’il décide de son sort en ses
lieux et place, selon les intérêts supérieurs de la nation tels que les indigénistes les conçoivent.
Son apogée se situe entre 1920 et 1970. Selon Henri Favre, c’est à cette époque que
l’indigénisme devient alors l’idéologie officielle de l’Etat interventionniste qui se dote de
moyens pour mener le projet national à son terme.15
Cet Etat libère la population du joug
traditionnel principalement en réalisant la réforme agraire. De plus, il ouvre des canaux de
mobilité sociale qui favorisent l’ascension massive des indiens à l’intérieur de la structure des
classes. Il promeut aussi une culture nationale populaire et donne une profondeur nouvelle au
passé national en lui annexant les civilisations précolombiennes. Cependant, si l’Indien se
situe immédiatement après l’Espagnol et le créole dans l’ordre des statuts légaux, il vient au
dernier rang dans la hiérarchie des statuts sociaux, après l’esclave noir qui, vivant dans
l’entourage de son maître, se voit souvent déléguer des fonctions d’autorité sur la main
14 Fave (Henri), L’indigénisme en Amérique latine, L’Harmattan, 2009. 15 Ibidem
21
d’œuvre indigène. Aux lendemains de l’indépendance, les Etats d’Amérique latine font table
rase de l’histoire et ont comme objectif de reconstruire la nation sur de nouvelles bases. Les
élites libérales qui prennent en charge leur destin conçoivent la nation comme une association
contractuelle d’individus libres et égaux qui vivent sous les lois qu’ils se sont volontairement
données. Posant la question nationale en termes politico-juridiques, ils ne reconnaissent
l’indien qu’en tant que sujet de droit. Un nouvel ordonnancement légal instaurant l’égalité
entre les citoyens est censé éliminer cette séquelle du colonialisme. Dans plusieurs pays
d’Amérique latine, des lois vont surgir redonnant des droits aux Indiens. Bolivar signe ainsi le
4 juillet 1825 à Cuzco un décret qui énonce que « les biens-fonds des indiens seront distribués
entre tous les communiers16
qui en étaient collectivement les usufruitiers. » Ce texte repose
sur la propriété collective et décourage l’effort individuel, visant à créer une classe de petits
producteurs indépendants qui assureraient la prospérité de l’économie. Il marque le début
d’un vaste mouvement de privatisation foncière que les législations agraires nationales
soutiendront dans tous les pays d’Amérique latine au cours du XIXème siècle.
Pourtant les Indiens ne profitent guère des lopins de terres qui leur sont attribués. Ils
sont mal renseignés sur leurs nouveaux droits, mal armés pour les faire valoir et les défendre.
Ils se voient le plus souvent réduits à l’état de serfs chassés. La privatisation de fonds
communautaires va contribuer à consolider le latifundium colonial et à étendre le servage
indigène. D’ailleurs, la conjoncture dépressive dans laquelle l’Indépendance fait plonger
l’Amérique latine et qui entraîne la réorganisation de la vie économique dans le cadre
domanial, pousse à la concentration de la terre. Elle favorise la constitution de pouvoirs
fonciers régionaux qui usurpent les prérogatives d’un Etat faible et dans l’incapacité d’exercer
son rôle. Les grands propriétaires terriens deviennent leur propre chef. Ils font circuler leur
propre monnaie, lèvent leur propre armée et rendent leur propre justice. Ils sont aussi les
maîtres d’une masse d’Indiens qu’ils placent dans leur dépendance directe en appliquant
notamment la pratique de l’endettement. On peut constater que le tribut, aboli aux lendemains
de l’Indépendance, va être assez vite rétabli en tant que « contribution indigène » sous la
pression de dures nécessités financières. Par ailleurs, les franchises fiscales dont bénéficiaient
les Indiens sont supprimées et le service militaire qui n’était pas imposé devient obligatoire.
Les indiens sont les seuls à devoir l’accomplir. On peut donc vraiment constater une réduction
drastique de leurs droits au sein des Etats Latino-Américains après l’indépendance. Cette
16 Propriétaires en commun.
22
dernière va surtout se traduire par une dégradation de la condition de l’Indien. Ainsi, « au
colonialisme externe se succède une forme de « colonialisme interne » qui va se maintenir en
place dans de nombreux pays d’Amérique latine sans subir de modifications jusqu’au milieu
du XXème
siècle.
a) La pensée indigéniste : populations indigènes et métissage
Francisco Pimentel (1832-1893)17
, décrit la nation comme « un groupement d’hommes
qui professent des croyances communes, qui sont dominés par une même idée, et qui tendent
à une même fin ». Ainsi, il constatera par exemple qu’au Mexique, tant que la situation des
indigènes ne changera pas, le Mexique ne pourra pas aspirer vraiment au statut de nation. La
guerre des castes subsistera toujours, le pays restera exposé à des contestations internes qui le
rendront vulnérable. Ces guerres de castes conduisent à la réflexion qui place le problème
indien au centre de la question nationale. La race indienne n’est pas inférieure par nature,
déclare Pimentel. C’est une race qui a été infériorisée par la domination avilissante qu’elle a
subi. Si elle n’a pas pu progresser, elle n’est pas pour autant inapte au progrès. Pour les
indigénistes non plus la situation dans laquelle stagne la race indienne n’a pas de véritable
fondement biologique. C’est plutôt la conséquence d’un processus historique qui a été
déterminé par la politique de l’Espagne en Amérique, du régime instauré par la loi des Indes.
Cependant, le sort qu’ils réservent à l’Indien n’est pas des plus glorieux. En effet, ils
pensent à le « fusionner » avec le créole, de manière à engendrer une race métisse qui sera une
race authentiquement nationale. Ils estiment que le métissage biologique livre la solution
définitive du problème indien en même temps que celle de la question nationale dans tous ses
aspects. Pour un autre écrivain mexicain, José Vasconcelos (1881-1959), le métissage et la
fusion raciale doivent porter l’humanité à son épanouissement. Le métissage est donc
« l’espérance du monde » comme le dit Henri Favre, et la race latino-américaine représente le
creuset dans lequel toutes les autres races sont vouées à se fondre. Cependant, à une époque
où la race blanche incarne le progrès et dans des pays qui prennent l’Europe pour modèle, une
telle perspective est inacceptable. Il y a donc un décalage entre la nécessité du métissage et la
volonté de créer à travers ce métissage une nation blanche.
17 Favre (Henri), op.cit
23
« Tous les efforts que les pays d’Amérique latine ont déployés pour devenir
semblables à l’Europe les ont convertis en caricatures de nation ».18
A partir des années 1910,
l’Amérique latine tend à se replier sur elle-même pour chercher en son sein l’identité qui est
vraiment la sienne. Ainsi, un retour s’opère sur le passé indigène qui est redécouvert et
réapproprié, notamment grâce à l’archéologie qui commence à se définir comme une
discipline scientifique. Des sites sont fouillés et parfois même reconstruits plutôt que
restaurés. L’Etat invite le peuple « à se contempler dans le miroir de [sa] grandeur ».19
C’est
donc tout un patrimoine national qui va être enrichi ; les découvertes scientifiques vont
dépasser les murs des simples enceintes académiques pour prendre une signification politique
avec un fort sens idéologique.
Avec l’indigénisme racialiste du XIXème siècle, l’Indien va être appréhendé selon un
nouveau paradigme : les divisions signifiantes ne sont pas de nature raciale mais de caractère
culturel. Déjà, en 1904, José Lopez Portillo y Rojas, au terme d’une étude, « La raza
indígena », avait conclu que « l’individu appartient à la race dont il partage la civilisation ».20
De plus, Manuel Gamio va démontrer que le critère de la race définit mal l’indianité. En effet,
il évoque le cas de ces personnes blanches de sang apparemment « pur » qui vivent comme
des Indiens et dont ils parlent même la langue. Par ailleurs, Moises Saenz va lui aussi relever
l’inconsistance de ce critère en faisant référence aux Indiens qui changent de condition sociale
et intellectuelle. Ces derniers en émigrant à la ville ne se considèrent plus comme Indiens et
ne sont plus considérés comme tels par les autres. Remarques qui vont amener Alfonso Caso à
identifier l’Indien dans et par le milieu socioculturel. Il formulera d’ailleurs sa définition de
l’indianité : « Est Indien quiconque se sent appartenir à une communauté indigène, c'est-à-
dire une communauté où prédominent les traits somatiques non européens qui parlent de
préférence une langue indigène, dont la culture matérielle et spirituelle comporte une forte
proportion d’éléments indigènes et enfin qui a le sentiment social de constituer une
collectivité isolée parmi les autres collectivités qui l’entourent et d’être distinct des
agglomérations de Blancs et de Métis ».21
Le métissage va toujours être considéré comme une question nationale mais sa
conception va être modifiée. Ainsi, on ne va plus le considérer comme l’amalgame des races
18 Ibidem. 19 Ibid. 20 Ibid. 21 Ibid.
24
mais plutôt comme un mélange des cultures, appelé « acculturation ». Gonzalo Aguirre
Beltran (1908-1996) le définira comme le processus par lequel « la culture indienne et la
culture occidentale, qui sont posées par principe comme complémentaires, doivent
s’interpénétrer, échanger entre elles prêts et emprunts, et réduire peu à peu leurs différences
jusqu’au point de ne former qu’une seule et même culture. Ces deux cultures sont tenues pour
égales, aucune supériorité n’étant attribuée à l’une ou à l’autre. »22
Cependant, l’acculturation n’est pas censée fonctionner à sens unique. Les transferts
de savoirs occidentaux réalisés au profit des Indiens doivent s’accompagner d’un transfert
inverse, de la culture indigène vers les cultures métisses et créoles. Les indigénistes vont
enregistrer les éléments culturels indiens qu’ils jugent positifs et dignes d’être diffusés comme
le sens de l’organisation collective, la façon de percevoir et de sentir, la production artistique
indigène, etc. Alors qu’à la même époque l’Europe va s’intéresser tout particulièrement à l’art
noir, « l’Amérique latine découvre la valeur esthétique de l’art indien que l’indigénisme
signale comme la seule source possible d’un art authentiquement national ».23
Dans ce
processus là, l’éducation est appelée à jouer un rôle primordial. Ainsi, les indigénistes
racialistes admettaient qu’en attribuant à l’Indien des aptitudes intellectuelles identiques à
celles du Blanc, il pourrait être éduqué. Mais certains pensaient que l’éducation ne détruirait
pas forcément le mur de haine existant entre ces deux races et craignaient qu’en amenant à
parité l’Indien avec le Blanc, l’Indien veuille se venger des atrocités que lui avait fait subir la
race blanche. D’autres ne voyaient en cette éducation qu’un moyen pour rapprocher
socialement les Indiens et les Blancs afin de favoriser les intermariages et de contribuer
indirectement à l’amalgame biologique.
b) Indigénisme et marxisme :
Manuel González Prada (1848-1918)24
va jeter les fondations de l’indigénisme
marxiste qui devrait s’édifier par la suite. Il s’intéressera à la défaite subie par les Péruviens
contre les Chiliens lors de la guerre du Pacifique (1879-1884)25
, et attribuera cette défaite à
l’absence de tout sentiment patriotique parmi les Indiens du Pérou. Il constate que la servitude
22 Ibid. 23 Ibid. 24 Ibid. 25 Cette guerre opposa le Chili au Pérou et à la Bolivie et fit perdre à cette dernière sa province du littoral qui
constituait son unique accès à la mer.
25
dans laquelle les maintiennent les grands propriétaires fonciers les réduisant à des moins que
rien, empêche les masses indigènes d’éprouver un sentiment d’appartenance à une patrie.
Prada va considérer le Pérou comme un simple « territoire habité ». Pour que le Pérou
devienne une nation, il faut que l’Indien s’émancipe et que le pouvoir foncier auquel il est
assujetti soit détruit. Il conclue alors que le problème indien n’est pas un problème racial ni un
problème culturel qui trouverait sa solution dans l’éducation mais plutôt et essentiellement un
problème économique et social.
José Carlos Mariategui (1894-1930)26
aura les mêmes conclusions que Prada.
L’exploitation à laquelle est soumis l’Indien l’appauvrit et le déprime, ayant les mêmes
répercussions sur la nation. Cette oppression le déprécie en tant qu’homme mais le dévalorise
aussi en tant que travailleur. « C’est seulement lorsque l’Indien pourra exercer librement son
activité qu’il acquerra la qualité de producteur et de consommateur que l’économie moderne
exige de tous les individus. Donc, tant qu’il ne sera pas dégagé des rapports sociaux de
production « féodaux », il ne servira pas au progrès et le Pérou restera une nation en
formation ». Mariategui va démontrer aussi comment les grands propriétaires fonciers
prennent appui sur le capital étranger pour renforcer et pérenniser leur pouvoir. Cette alliance
entre féodalisme et impérialisme va le pousser à qualifier l’Amérique latine de « semi-
féodale » ou de « semi-coloniale ». Il estime que le socialisme résultera nécessairement d’une
rupture révolutionnaire. «Et cette rupture c’est l’Indien, substitut fonctionnel du prolétariat,
qui l’opérera »27
.
La conférence communiste latino-américaine qui se tient à Buenos Aires en 1929 va
notamment examiner si la lutte anti-impérialiste doit inclure le combat des Indiens pour leurs
nationalités opprimées. Les représentants du Kominterm affirment que la Révolution
remaniera forcément les frontières des différents pays, afin de donner naissance à des
républiques indiennes. Cette thèse parait difficilement réalisable pour la plupart des chefs
nationalistes qui voient d’abord et avant tout le socialisme comme le moyen le plus sur pour
construire la nation. Certains d’entre eux s’appuient sur la définition qu’en donne Staline, à
savoir qu’ « une nationalité n’est pas seulement un groupe humain qui possède un territoire,
une histoire, une langue et une culture, mais que c’est aussi un marché. » Or, les Indiens ne
constituent pas des marchés internes, ils ne sauraient donc être reconnus en tant que
26Favre(Henri), op.cit 27 Ibidem
26
nationalités. Selon Mariategui, ils ne forment qu’une classe exploitée et que la reconnaissance
de nationalités indiennes aboutirait à la création d’Etats bourgeois et n’aurait d’autre
conséquence que de retarder la révolution. Bien que le Kominterm parvienne à inscrire au
programme officiel des partis communistes latino-américains l’émancipation des nationalités
indiennes, il ne parviendra toutefois pas à aligner les porte-paroles de l’indigénisme marxiste
sur sa position.
c) La politique indigéniste et ses caractéristiques : quelles avancées pour
les Indiens ?
La politique indigéniste représente le moyen par lequel l’Etat entend convertir la
société en nation. Pour ce faire, son champ d’intervention est considérablement élargi et on
peut même parler d’un Etat de type interventionniste dans la mise en place de la politique
indigéniste. Les revendications concernant les conditions de travail des indiens vont être
endossées par les classes moyennes dans les grandes villes et par les intellectuels qui en sont
issus. En 1909, des universitaires et des avocats fondent à Lima l’Association pro-indigène
qui ouvre des antennes dans les provinces andines pour recueillir des informations sur la
condition indienne. Cette association s’occupe de dénoncer auprès des tribunaux les abus que
commettent les propriétaires fonciers. Elle assure aussi gratuitement la défense légale de ceux
qui en sont victimes. Les ligues pro-indiennes qui voient le jour un peu plus tard en Bolivie
tissent également des liens entre le secteur urbain et moderne, et les masses indigènes que
l’oppression maintient dans le plus grand archaïsme au fond des campagnes. Les premiers
syndicats qui organisent un prolétariat naissant participent à l’établissement de ces réseaux de
solidarité interethnique au sein desquels la population indienne prend conscience de ses droits
et acquiert la capacité de les faire valoir. L’agitation agraire qui se répand dans le sud du
Pérou et sur le haut plateau bolivien dans les années 1910 et 1920 témoigne que certaines
situations jusqu’alors considérées comme normales, ne sont plus acceptées avec résignation et
fatalisme par ceux qui les subissent. Ces mouvement de rébellion contribuent à renforcer
l’opinion selon laquelle les propriétaires fonciers sont incapables de tirer rationnellement parti
de la main d’œuvre indigène qu’ils monopolisent et brutalisent.
C’est notamment la crise économique mondiale des années 1930 qui va conduire à
l’adoption d’une véritable politique indigéniste. Le malaise social qu’elle engendre s’exprime
dans de puissants mouvements qui articulent les revendications des classes moyennes avec
27
celles de la paysannerie et du prolétariat. Ces mouvements, constitués d’intellectuels
déclassés, petits entrepreneurs en faillite, paysans sans terre et ouvriers au chômage, portent
au pouvoir des gouvernements autoritaires, nationalistes et modernisateurs, tels ceux qui se
succèdent en Bolivie à la suite de la guerre du Chaco et qui préparent la révolution de 1952.
Des régimes reposant sur la mobilisation de masse dont ils manipulent le sentiment national,
et sur l’encadrement de la population par des partis et des organisations syndicales semi-
corporatistes liés à l’Etat vont tenter de s’instaurer. « Toujours socialisant dans leurs discours,
souvent fascisants dans leurs pratiques, ces régimes qu’on qualifie de « populistes » (…)
affichent l’intention de parachever l’unification nationale en incorporant l’Indien à la
nation ».28
La politique indigéniste va donc essentiellement se développer sur fond de réforme
agraire. Grace à cette dernière, l’Indien est définitivement libéré de toute forme de servitude.
Cependant, il entre souvent dans la dépendance du parti qui lui a permis un accès à la terre ou
bien « dans celle du régime qui l’entretient dans l’incertitude d’une possession aux termes
juridiques mal définis, ou encore dans celle de l’Etat auquel il est tenu de rembourser pendant
de longues années une part de la valeur du lopin qu’il a obtenu ». 29
On peut par ailleurs la définir comme l’action systématique que mène l’Etat au moyen
d’un appareil administratif spécialisé pour induire un changement contrôlé au sein de la
population indigène, de manière à résorber les disparités économiques, sociales et culturelles
entre Indiens et non Indiens30
. Cette politique établit son propre cadre légal. La législation
indigéniste ne vise pas à doter l’Indien d’un statut personnel, et elle ne contrevient en rien au
principe d’égalité sur lequel repose le régime républicain. Elle entend rendre effectifs les
droits de la citoyenneté que la population indienne a acquis avec l’indépendance mais que sa
condition ne lui a jamais permis d’exercer pleinement. Il ne s’agit pas de revenir au passé
colonial, mais d’en liquider définitivement l’héritage.
Face aux forces conservatrices qui veulent donner aux Indiens une éducation
spécifique, l’indigénisme défend le principe de l’enseignement unique, gratuit et obligatoire.
Avant les années 1920, le peu d’efforts qui avait été fait en termes d’éducation des
populations indigènes avaient plutôt pour but de les dépouiller de leur « barbarie » afin de les
28 Ibid. 29 Ibid. 30 Ibid.
28
convertir en citoyens soumis à l’autorité publique. Les indigénistes voient dans l’éducation un
moyen d’émancipation et de promotion individuelle mais aussi un instrument de
modernisation sociale. Ils militent donc pour que les Indiens reçoivent la même éducation que
les Blancs et les métis. Beaucoup d’efforts sont faits afin que les écoles puissent transmettre
non seulement une éducation mais aussi une culture qui soit à la portée de tous.
Cependant, même si le but est de rendre le contenu de l’enseignement plus aisément
assimilable pour les Indiens, l’utilisation des langues vernaculaires dans l’enseignement a
bien du mal à se développer. Cette méthode se heurte non seulement à des oppositions
politiques et idéologiques mais aussi techniques. En effet, il faudrait pour cela codifier toutes
les langues indigènes et aussi établir un système de transcription. Cette tâche sera néanmoins
entreprise par l’Institut d’alphabétisation en langues indigènes créé au Mexique en 1945 mais
surtout par l’Institut Linguistique d’Eté (ILE) que le gouvernement mexicain introduit en
Amérique latine dés 1937. Cependant l’ILE sera exposé à de nombreuses critiques dans ses
méthodes d’enseignement et les langues vernaculaires ne seront employées dans
l’enseignement que dans certains pays et ce, pas avant les années 1970. L’éducation va quand
même jouer un rôle fondamental au sein des communautés, et non uniquement dans le but de
transmettre un savoir académique aux enfants et leur inculquer la culture nationale. Il est
souhaité qu’elle rayonne sur l’ensemble de la collectivité dans laquelle elle est présente en
organisant des cours du soir pour adultes, des projets d’extension agricole et même encore des
activités culturelles et sportives.
Cette politique indigéniste va trouver une consécration internationale avec la
Convention 107 sur les populations indigènes, tribales et semi-tribales de l’OIT en 1957. Ce
texte va reprendre les principes énoncés par le Congrès indigéniste américain et leur confère
donc une portée universelle.
d) Politique indigéniste et démographie:
Parmi les faiblesses de la politique indigéniste, on peut tout d’abord mentionner son
incapacité à ne pas avoir pu s’assurer une emprise, un pouvoir sur la variable foncière qui,
dans chaque pays où s’était développée cette politique, est restée sous le contrôle exclusif de
l’organisme chargé de la réforme agraire. En agissant à l’intérieur des communautés, « la
politique indigéniste néglige les facteurs externes qui conditionnent le développement interne
29
de si étroite façon ». Enfin, les gouvernements qui ont fait une large publicité à leur politique
indigéniste ont rarement accordé les moyens nécessaires à la réalisation des objectifs qui
avaient été initialement prévus.
Clairement ruraliste, l’indigénisme entendait moderniser la population indienne dans
son habitat. Cependant, les territoires indigènes se modernisent moins qu’ils ne se vident. De
plus, « les indigénistes voulaient préserver la culture indienne dans ce qu’ils lui
reconnaissaient de positif, en remplaçant par des éléments occidentaux ceux qui leur
apparaissaient comme négatifs. Leur conception de la culture était peut être trop mécaniciste
pour que pareille tentative puisse aboutir au résultat escompté. »31
Entre 1920 et 1970, la population totale de l’Amérique latine est multipliée par un
coefficient de 2,5. Elle dépasse 250 millions d’habitants en 1970 ; la population recensée
comme indigène demeure stable autour de 30 millions. En conséquence, la proportion
d’Indiens dans la totalité des effectifs démographiques de la région tombe à 12%. Si la chute
est moins spectaculaire dans certains pays comme le Guatemala, l’Equateur ou la Bolivie, il
n’empêche que dans l’ensemble de l’Amérique Latine, toute la croissance de la démographie
indigène est absorbée par le taux démographique. « Au cours de ces cinquante années
considérées, ce sont donc plusieurs dizaines de millions d’Indiens qui échappent à la
condition économique, sociale et culturelle permettant de les identifier comme tels ». 32
Selon
Henri Favre, ce grand mouvement d’absorption de l’indianité dans la nationalité s’explique
pour l’essentiel par trois grands facteurs : la scolarisation des campagnes, l’ émigration des
ruraux vers les agglomérations urbaines et la prolétarisation des migrants à l’intérieur d’une
structure des classes très largement ouverte à laquelle ils s’intègrent et qui leur assure alors de
réelles possibilités individuelles d’ascension sociale. Ainsi, il semblerait que vers la fin des
années 1960, le projet national formulé un siècle auparavant paraisse sur le point d’aboutir.
3) De l’indigénisme à l’Indianisme :
L’indigénisme va être vigoureusement remis en cause car des voix vont s’élever pour
dénoncer, au non des droits de l’indianité, l’intégration sociale et l’assimilation culturelle
31 Ibid. 32 Ibid.
30
auxquelles tendent ses pratiques. Ces voix émanent d’organisations se faisant les porte-parole
de « peuples » indigènes ou « nationalités » indiennes qui veulent les persévérer dans leur être
culturel et qui refusent la fusion « ethnocide » au sein d’une nation métisse. Leurs
revendications vont être à chaque fois plus entendues et par des secteurs de plus en plus larges
de la société pour ensuite être endossées par des institutions nationales et étrangères qui leur
apportent caution morale ou appui matériel. « La résurgence actuelle de l’indianité est la
manifestation latino-américaine de cette reviviscence ethnique qui accompagne, à l’échelle
internationale, le processus de mondialisation. Elle est liée à l’épuisement du modèle national
de développement et à la faillite de l’Etat interventionniste et assistantialiste qu’il entraîne. »
Le passage de l’indigénisme à l’indianisme correspondrait à la fin de l’ère populiste et à
l’entrée de l’Amérique latine dans un nouvel âge libéral, selon H. Favre.
L’intégration des Indiens au sein de la société est de plus en plus difficile, voir
impossible, notamment à cause de l’explosion démographique et de l’incapacité de l’Etat à
répondre à la demande d’emplois. L’indigénisme perd donc sa fonctionnalité. Le clivage qui
traverse les sociétés latino-américaines oppose désormais un secteur urbain, organisé,
directement associé à la production, à un secteur périphérique que l’appareil économique
garde en marge du processus productif. Les individus qui constituent ce dernier secteur vivent
dans une très grande précarité et incertitude. Habitant dans des bidonvilles et ayant un horizon
qui ne dépasse pas le lendemain, ils ne sont plus des ruraux mais ne sont pas non plus des
urbains. Ils ne sont pas des paysans, ils ne sont plus Indiens mais ne réussissent pas à
s’approprier une autre culture. Il s’agit de gens qui ont été dé-paysannisés, déculturés, dés-
indianisés. Ils ne se définissent que par ce qu’ils ont cessé d’être, ils n’appartiennent à aucun
groupe de la société. C’est précisément dans ce secteur là, sans aucune perspective d’avenir,
que vont se développer les organisations indianistes. Concurremment aux sectes religieuses
qui vont apparaître et se développer dans le même milieu, les organisations indianiste
«s’attachent à combattre le déracinement et l’isolement en créant sur la base de l’indianité un
chaud sentiment d’appartenance ».33
Elles vont ranimer une culture susceptible d’offrir à ceux
qui n’en ont plus, un cadre de référence, un système de valeur, une identité.
33 Ibid.
31
a) Les organisations indianistes :
Les organisations indianistes apparaitront à partir des années 1970, et se rassemble
principalement sur leur commune hostilité à l’Etat-nation, qu’elles jugent coupable
d’ethnocide à l’égard des Indiens. Les Blancs et Métis sont accusés d’utiliser l’appareil
étatique pour détruire les nationalités que représentent les peuples indiens et les mélanger au
sein d’une population indifférenciée afin de les faire disparaître.
Pour les indianistes, la culture indienne sera d’autant plus forte si elle demeure pure,
ou le redeviendra. Et pour cela, il faut qu’elle renoue avec les sources authentiques de sa
tradition et qu’elle se protège des contacts acculturatifs. La langue, considérée comme un
instrument important de la transmission culturelle, doit être absolument récupérée et
développée. Toutes les organisations indianistes vont se mettre d’accord sur le fait qu’il est
essentiel avant toute chose de réclamer la reconnaissance des langues indigènes et qu’il faut
établir un système d’éducation bilingue et biculturel. Une autre revendication, presque tout
aussi importante que celle de la langue, est formulée : elle porte sur le territoire. Ainsi, les
organisations demandent l’attribution à chaque peuple indigène d’un territoire où la culture
indienne pourra s’épanouir en toute liberté. Ces territoires auraient un statut d’autonomie.
Bien que certaines organisations indianistes aient tenté de se constituer en tant que
partis sans obtenir de résultats électoraux notables, elles évitent en général d’inscrire leur lutte
en faveur des revendications de droits culturels, territoriaux et politico-économiques dans le
cadre des institutions politiques nationales. Elles cherchent plutôt à négocier directement avec
le gouvernement. D’ailleurs, certains des indianistes les plus radicaux déclinent le système
représentatif et le régime démocratique car, selon eux, ils relèvent trop de la culture
occidentale. A ce système, ils leur opposent une forme indigène de démocratie organique dans
laquelle le pouvoir prendrait toujours des sages décisions sous le contrôle des aînés. Par
rapport à la religion, le christianisme aussi bien dans ses versions catholiques que
protestantes, serait récusé car il représenterait la religion du Blanc. La véritable religion
indigène se réaliserait autour des cultes ancestraux qui font entrer l’Indien en communion
avec la Pachamama (la Terre-Mère) et les forces cosmiques. La culture indienne s’oppose à
bien des égards à la culture occidentaliste. Si cette dernière est surtout centrée sur
l’individualisme, la culture indienne quant à elle satisferait les besoin des individus en les
subordonnant aux besoins de la communauté. Elle est respectueuse de la nature, qu’elle ne
32
cherche pas à dominer mais plutôt à comprendre afin d’arriver à la symbiose de l’homme dans
un univers dont il ne constitue qu’un élément parmi d’autres.
Cependant, souvent mal implantées dans les campagnes, les organisations semblent ne
pas agir vraiment en fonction des souhaits de la population indienne. En effet, plutôt que de
traduire leurs aspirations, elles se proposent de diriger vers leurs propres objectifs ceux
qu’elles prétendent représenter. Leur capacité de mobilisation est généralement faible et
souvent ponctuelle. Souvent, les Indiens perçoivent les organisations indianistes comme un
instrument parmi d’autres qui peut leur être utile pour parvenir à leurs fins sans réellement
prêter allégeance à aucune d’entre elles ni entrer dans une alliance autre que tactique. Les
organisations indianistes semblent remplacer d’autres acteurs tels que la bureaucratie étatique
ou encore les syndicats agraires. L’indianisme arrive à s’implanter dans la paysannerie
indigène et ses idées sont de mieux en mieux acceptées dans les communautés qui tendent à
se replier sur leurs traditions dès lors que l’Etat les abandonne. Bien que les organisations
demeurent lourdement tributaires du soutien qui leur vient du monde extérieur, l’évolution de
ce dernier et les changements au cours des décennies leur seront toutefois favorables.
Néanmoins, cela ne signifie pas que les communautés indigènes ne s’organisent pas
d’elles mêmes. Ainsi, au niveau international, dès 1938, la VII Conférence panaméricaine
ayant lieu à Lima recommande de procéder à un échange d’information sur le problème
indien et à une confrontation des expériences qui ont été faites dans les différents pays afin de
trouver une solution. Suite à cette conférence, le gouvernement mexicain, à l’initiative du
président Lazaro Cardenas, va convoquer un Congrès indigéniste interaméricain en 1940 à
Patzcuaro (Mexique). La condition d’Indien y sera soigneusement analysée et des mesures
concrètes seront proposées aux gouvernements afin de changer cette condition et à terme de
l’abolir. Ces mesures portent aussi bien sur la redistribution des terres, l’alphabétisation et
l’éducation, la promotion de la femme, le développement de l’agriculture et de l’artisanat ou
encore l’amélioration des conditions de travail. Dans l’acte final du Congrès vont être énoncés
trois principes :
- 1er
principe : le problème indien présente un intérêt public et revêt un caractère
d’urgence. L’état doit le prendre directement en charge, et tous les gouvernements se
trouvent dans l’obligation de le traiter en priorité.
33
- 2ème
principe : il ne s’agit pas d’un problème d’ordre racial mais de nature culturel,
social et économique. Toute pratique qui justifie l’inégalité des races est condamnée.
- 3ème
principe : les droits des Indiens doivent être protégés et défendus dans le cadre du
système légal en vigueur, leur progrès économique assuré et leur accès aux ressources
de la technique moderne et de la civilisation universelle garantis dans le respect de
leur valeur et de leur personnalité historique et culturelle. La culture indigène est
reconnue comme un facteur d’enrichissement de la culture de chaque pays et de
consolidation de la nation. Également, conformément au vœu exprimé par le Congrès,
un Institut indigéniste interaméricain (III) est créé en tant qu’instance continentale de
concertation des politiques nationales appliquées à la population indienne. L’III
devient une agence spécialisée de l’Organisation des Etats Américains (OEA) en
1948.
En 1974, le 1er
congrès des Indiens du Mexique eu lieu à San Cristobal de Las Casas
(Mexique). Puis, en 1980 fut organisé le 1er
congrès des mouvements indiens d’Amérique du
sud, à Ollantaytambo près de Cuzco (Pérou). Ceux-là exigent la restitution de leurs terres
ancestrales, tout comme celle des ressources naturelles situées sur les terres des communautés
qui doivent cesser d’être exploitées par des étrangers et être réservées aux indiens vivant sur
ces terres. Ils demandèrent également à ce que la protection des langues indigènes et la culture
deviennent une priorité et que celles-ci soient entièrement respectées.
Les Eglises ont souvent joué un rôle favorable dans leur essor. En 1977, le Conseil
Œcuménique des Eglises organise à La Barbade la première rencontre latino-américaine des
dirigeants indianistes. Par ailleurs, pendant la III Conférence de l’épiscopat latino-américain
qui se tient à Puebla (Mexique) en 1979, il proclame que l’évangélisation doit respecter les
cultures indiennes et contribuer à l’épanouissement de leurs valeurs. « Le Pape Jean Paul II
ira plus loin en déclarant aux Mapuches qui l’accueillent à Temuco (Chili) en 1979 que la
défense de leur identité culturelle est un devoir plus encore qu’un droit ».34
Du 17 au 21 juillet 1990, la première rencontre continentale des peuples indiens eut
lieu, avec 120 nations indiennes présentes pour cet événement et qui se termina avec la
Déclaration de Quito. Dans ce document, ils réclament surtout l’autodétermination. En effet
la déclaration de Quito énonce : « Dans les états nationaux actuels de notre continent les
34 Ibid.
34
constitutions et les lois fondamentales sont des constructions juridico-politiques qui nient nos
droits sociaux, économiques, culturels et politiques. En conséquence, dans notre stratégie
globale de lutte, nous considérons que nous devons exiger en priorité les modifications de
fond qui permettront le plein exercice de l’autodétermination au moyen de gouvernements
propres et du contrôle de nos territoires. Les politiques intégrationnistes partielles de
développement ethnique et les autres pratiques des organisations gouvernementales sont
insuffisantes […]. Ce n’est pas ainsi que nos problèmes seront réglés. Il faut une
transformation intégrale de l’Etat et de la société nationale, autrement dit la création d’une
nation nouvelle ».35
Un même esprit va animer les Nations Unies et leurs agences spécialisées qui donnent
aux dirigeants indianistes une visibilité internationale et à leurs revendications une
répercussion mondiale. L’ONU va ainsi conférer le statut consultatif au Conseil Mondial des
peuples indigènes (CMPI) auquel les organisations indianistes sont directement ou
indirectement affiliées. Puis, en 1992, la campagne « 500 ans de résistance indigène »,
déclarée en réaction aux célébrations qui ont eu lieu en l’honneur de la découverte du
continent, représenta le début d’une union de tous les leaders indiens. C’est aussi lors du
premier Sommet Mondial Indigène tenu à Rio entre le 25 et 31 mai 1992 que, pour la
première fois, des délégations de toutes les communautés indigènes dans le monde se
réunissent pour faire entendre leurs voix, juste avant le Sommet de Rio où, pour la première
fois, des engagements contraignant sur le plan économique sont validés par l’ensemble des
pays du Nord comme du Sud en matière de droits de l’homme et de protection de
l’environnement, entre autres.1992 fut également l’année où le Prix Nobel de la Paix fut
décerné à Rigoberta Menchu « en reconnaissance de son travail pour la justice sociale et la
réconciliation ethno-culturelle basées sur le respect pour les droits des peuples autochtones ».
Partout dans le monde, mais plus particulièrement en Europe, vont se créer des réseaux
d’organisations non gouvernementales défendant la cause indianiste tels que Survival
International ou Cultural International. L’anthropologie va aussi jouer un rôle essentiel dans la
légitimation du discours indianiste auprès de l’opinion publique. Rompant avec l’indigénisme
asservissant, une nouvelle génération d’anthropologues place le pouvoir idéologique et
politique traditionnel de la discipline au service de l’indianité. Pour cette nouvelle génération
d’anthropologues, l’acculturation est synonyme d’ethnocide. « Contrairement à
35 Le Bot (Yvon), La grande révolte indienne, Robert Laffont, 2009.
35
l’anthropologie indigéniste qui posait la culture indienne et la culture occidentale comme
complémentaires, l’anthropologie indianiste les donne comme totalement irréductibles l’une à
l’autre. Leur coexistence suppose donc la reconnaissance du multiculturalisme et l’adoption
de mesures appropriées pour en permettre l’expression. » 36
b) L’Etat et la gestion de l’ethnicité :
Dans la profonde crise sociale qu’il se révèle incapable de gérer, l’Etat va prendre de
plus en plus de distance avec l’indigénisme pour adopter un discours plus indianiste et
commencer à reprendre progressivement en compte les revendications des militants de
l’indianité. Le Mexique sera le premier pays à passer d’une politique intégrationniste à une
politique de gestion ethnique. Ailleurs, ce passage s’effectuera plus lentement et tardivement,
par la voie de négociations avec les organisations indianistes. Cependant, bien qu’il existe un
rapport de force entre l’Etat et ces organisations, ces dernières sont encore bien trop faibles
pour contraindre le gouvernement à entrer dans leurs projets.
La politique de gestion ethnique tend à se généraliser au cours des années 1980 alors
que l’Etat, au bord de la banqueroute, va se soumettre aux lois du marché imposées par le
Fond Monétaire International (FMI). C’est donc dans un contexte néolibéral que cette
politique va se mettre en place. Les Etats latino-américains vont développer à cette époque-là
une politique de la reconnaissance envers les indiens aussi bien sous la pression des
mouvements indiens que de certaines organisations ayant pris le relais. De nombreux Etats
vont adopter des réformes constitutionnelles, voire de nouvelles constitutions, reconnaissant
les droits des populations indigènes. Les demandes formulées par les mouvements ou
organisations appuyant les indiens concernant les droits culturels ou autres n’ont connu une
réelle application au niveau légal que lorsqu’elles ont fait l’objet de luttes concrètes. Plusieurs
Etats vont reconnaître peu à peu le caractère pluriethnique et multiculturel de la nation et dans
certains cas des droits spécifiques aux indiens et parfois aussi aux populations noires. A la fin
des années 1990, treize pays d’Amérique latine (Colombie, Brésil, Bolivie, Pérou, Guatemala,
Equateur, Venezuela entre autres) auront inscrit dans leur constitution le droit des Indiens à la
différence et à peu près tous auront modifié leur législation afin de mettre ce droit en pratique.
36 Favre (Henri), op.cit
36
De nouvelles institutions multilatérales prendront le relais des anciennes pour soutenir
les Indiens dans leur nouveau statut de nationalités. En 1989, les huit pays signataires du
Traité de coopération amazonienne formeront une commission spéciale pour les affaires
indigènes. Un plan de cession territoriale aux ethnies de l’Amazonie portant sur 12 000 km²
sera élaboré. En 1992, suite à la décision prisé l’année précédente à Guadalajara par la
Conférence ibéro-américaine, un Fonds pour le développement des peuples indigènes, que
gèrent les Etats mais aussi les institutions donatrices et les organisations indianistes, est crée à
La Paz.
A la lumière de toutes ces initiatives, on pourrait presque évoquer un « mouvement de
mouvements » comme le fait Yvon le Bot dans « La grande révolte indienne ». Il est
évidemment légitime de parler d’un mouvement indien mais on pourrait aussi parler d’un
mouvement de mouvements car il s’agit non pas d’un seul groupe d’indiens qui s’organisent
pour la lutte de leurs droits mais d’une quantité incroyable de personnes, d’ONG, d’églises,
d’associations qui se regroupent à travers tout le continent afin de s’exprimer. Il ne s’agit pas
d’une seule lutte mais de plusieurs, éparpillées de-ci-delà essayant de se grouper comme elles
peuvent, de s’unir face à l’ennemi que représente l’Etat et les entreprises multinationales.
II) Cadre juridique de la lutte des populations autochtones pour une reconnaissance
internationale
Parallèlement aux succès acquis dans leurs pays respectifs et dans leur combat
interrégional, les peuples autochtones ont obtenu peu à peu une véritable reconnaissance
internationale. Au cours de ces dernières décennies, la communauté internationale a accordé
une importance spéciale à la situation des droits des peuples autochtones, importance reflétée
par l’adoption de normes et directives internationales, et dans l’établissement des institutions
et organes consacrés spécifiquement à ces peuples. En effet, les peuples autochtones ont des
cultures et des visions du monde qui leur sont propres et leurs besoins actuels ainsi que leurs
attentes peuvent être différentes de ceux du reste de la population des Etats dans lesquels ils
vivent. Ce n’est qu’en reconnaissant et en protégeant non seulement les droits individuels
mais également leurs droits collectifs en tant que groupes distincts que l’on pourra garantir le
respect, dans des conditions d’égalité, de leur valeur et dignité, estime la communauté
37
internationale. Selon elle, ils ne doivent subir aucune forme de discrimination, ils doivent être
traités sur un pied d’égalité, pouvoir participer à la vie publique mais aussi avoir le droit de
maintenir leur culture, leur identité, leur langage et leur mode de vie. C’est lorsque ces droits
seront affirmés à titre collectif qu’ils pourront vraiment se réaliser.
Ce constat a donné lieu à un ensemble d’instruments internationaux visant à
reconnaître et protéger les droits des peuples autochtones. Le système des Nations Unies a
mené toute une série d’actions afin de reconnaître les droits des populations indigènes. Avant
d’édicter quelques unes de ces normes et principes internationaux pour remédier à leurs
problèmes, les Nations Unies ont tenté de définir la notion de peuples autochtones.
1) Qui sont les peuples autochtones ?
Il n’existe pas de définition précise des peuples autochtones adopté par la communauté
internationale. Cependant, il est généralement admis aujourd’hui qu’il n’est pas nécessaire de
disposer d’une définition universelle officielle pour reconnaître et protéger leurs droits. Il y a
eu plusieurs tentatives de description des caractéristiques des peuples autochtones.
La première tentative de définition a été fournie par la Convention 169 de
l’Organisation Internationale du Travail relative aux peuples indigènes et tribaux (1989).
Ainsi, elle s’applique :
- Aux peuples tribaux qui se distinguent des autres secteurs de la communauté nationale
par leurs conditions sociales, culturelles, économiques et qui sont régis totalement ou
partiellement par des coutumes ou des traditions qui leur sont propres ou par une
législation spéciale ;
- Aux peuples qui sont considérés comme indigènes du fait qu’ils descendent des
populations qui habitaient le pays, ou une région géographique à laquelle appartient le
pays, à l’époque de la conquête ou de la colonisation ou de l’établissement des
frontières actuelles de l’Etat, et qui, quel que soit leur statut juridique, conservent leurs
institutions sociales, économiques, culturelles et politiques propres ou certaines
d’entre elles.
38
- Le sentiment d’appartenance indigène ou tribal doit être considéré comme un critère
fondamental pour déterminer les groupes auxquels s’appliquent les dispositions de la
Convention.
L’étude intitulée « Study on the discrimination against indigenous people » ou plus
communément appelée étude Martinez-Cobo du nom du Rapporteur spécial sur la situation
des droits de l’homme et des libertés fondamentales des peuples autochtones, effectuée entre
1991 et 1994 donne la définition suivante, d’ailleurs souvent utilisée : « Par communautés,
populations, et nations autochtones, il faut entendre celles qui, liées par une continuité
historique avec les sociétés antérieures à l’invasion et avec les sociétés précoloniales qui se
sont développées sur leurs territoires, se jugent distinctes des autres éléments des sociétés qui
dominent à présent sur leurs territoires ou parties de ces territoires. Ce sont à présent des
éléments non dominants de la société et elles sont déterminées à conserver, développer et
transmettre aux générations futures les territoires de leurs ancêtres et leur identité ethnique qui
constituent la base de la continuité de leur existence en tant que peuple, conformément à leurs
propres modèles culturels, à leurs institutions sociales et à leurs systèmes juridiques ».
Le groupe de travail sur les populations autochtones a aussi élaboré un document sur
la notion de « peuples autochtones » qui énumère divers facteurs considérés aujourd’hui
comme utiles par les organisations internationales et les experts juridiques afin de mieux
comprendre le concept d’ « autochtone »:37
- L’antériorité s’agissant de l’occupation et de l’utilisation d’un territoire donné ;
- Le maintien volontaire d’un particularisme culturel qui peut se manifester par certains
aspects de langue, une organisation sociale, des valeurs religieuses ou spirituelles, des
modes de production, des lois ou des institutions ;
- Le sentiment d’appartenance à un groupe, ainsi que la reconnaissance par d’autres
groupes ou par les autorités nationales en tant que collectivité distincte ; et
- Le fait d’avoir été soumis, marginalisé, dépossédé, exclu ou victime de discrimination,
que cela soit ou non encore le cas.
37 Groupe des Nations Unies pour le Développement, Lignes directrices sur les questions relatives aux peuples
autochtones, 2009.
39
Ainsi, grâce à ces diverses définitions, plusieurs mécanismes de défense au niveau
international ont été mis en place pour les populations autochtones. Ceux-ci vont au fil du
temps être de plus en plus nombreux et surtout de plus en plus spécifiques quant à la
reconnaissance de leurs droits et à leur protection.
2) Quels mécanismes de défense et de reconnaissance des droits des populations
autochtones ?
Outre les nombreuses initiatives lancées par diverses organisations internationales ou
organisations non gouvernementales, les Nations Unies ont su, au fil du temps, créer des
normes internationales affirmant chaque fois plus la reconnaissance des droits des populations
autochtones. Le lancement du Programme Andin, l’adoption de la Convention 169 de
l’Organisation International du Travail (OIT), la mise en place d’un groupe de travail sur les
populations indigènes, la proclamation des Décennies des peuples autochtones, la création de
l’Instance permanente sur les questions autochtones, la nomination du Rapporteur spécial sur
les libertés fondamentales des peuples autochtones et la Déclaration des Nations Unies sur les
droits des populations autochtones de 2007, constituent les principales étapes de cette avancée
historique.
a) Le Programme Andin (1953):
En 1953, en raison de la détresse physique, sociale et culturelle dans laquelle vivait la
population indigène des Andes (Pérou, Bolivie, Equateur), une action de coopération
technique connue comme le Programme des Indiens des Andes ou Programme Andin fut
lancée. Ce programme représente l’action régionale la plus importante de l’Organisation
Internationale du Travail (OIT) ; y participent aussi les Nations Unies, le Fonds international
de Secours à l’Enfance (FISE), l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science
et la culture (UNESCO), l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et l’Organisation des
Nations Unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO). Le Programme Andin vise à
l’intégration des populations indigènes de la région andine dans la vie sociale, économique et
culturelle de leurs pays respectifs et à l’amélioration de leurs conditions de vie.
40
L’origine de ce programme est très ancienne, elle remonte aux premières études
consacrées par le Bureau de l’Assistance Technique (BAT) aux conditions sociales de ces
populations. Celui-ci avait cumulé depuis 1921 une vaste expérience dans le domaine de la
promotion des conditions de vie et du travail des populations indigènes. Lors de la première
conférence régionale des Etats d’Amérique membres de l’OIT tenue à Santiago (Chili) en
1936, les conditions de vie et de travail des populations autochtones du continent américain
ont longuement été abordées. Cependant, la première véritable mission remonte à 1953, date à
laquelle l’OIT s’est vue confier par le BAT la responsabilité générale de la coordination des
activités. Un bureau a donc été créé à Lima et des accords d’assistance technique ont été
conclus par trois des gouvernements principalement intéressés, ceux de la Bolivie, de
l’Equateur et du Pérou. Par la suite, ont successivement adhéré à ce programme les
gouvernements de la Colombie, du Chili, de l’Argentine et du Venezuela.
Dans son ensemble, le Programme Andin tend à intégrer les populations indigènes
dans la vie nationale, en les adaptant aux conditions de la vie moderne sans porter atteinte aux
valeurs culturelles ni aux institutions particulière à ces populations. « Il s’agit essentiellement
d’abattre les barrières constituées par certaines institutions, coutumes et préjugés, qui
empêchent les indiens de jouir des avantages du droit commun et du développement
économique et social ».38
Ainsi, dans chacune des bases d’action du Programme, on retrouve
des experts agronomes, instituteurs, instructeurs techniques, anthropologues, médecins,
assistantes sociales et autres qui fournissent un appui aux communautés indigènes des Andes.
Les organisations internationales ont travaillé en coopération avec les gouvernements
participant au Programme.
Les progrès furent notables, notamment du point de vue du développement agricole
(aide à la production de meilleures récoltes grâce à d’autres techniques), de l’amélioration des
conditions de vie des populations indigènes grâce à un accès plus facile au système de santé,
et de l’éducation avec la construction de nombreuses écoles et la formation d’instituteurs. Le
problème indien et les actions du Programme Andin on été au centre des préoccupations des
gouvernements y participant. En 1958, la Conférence internationale du travail souligna
l’urgence d’obtenir la « pleine intégration des populations indigènes dans la vie économique,
38 Rens (Jef), Le programme des indiens des Andes, in Tiers Monde, tome 6 n°21, 1965.
41
sociale et culturelle » de l’Equateur, du Pérou et de la Bolivie39
. Ce programme est par la
suite devenu partie intégrante de la politique de développement des trois pays où il a débuté.
C’est notamment la formation de cadres qui a constitué l’un des principaux leviers de
l’intégration et qui a permis aux gouvernements intéressés de reprendre graduellement la
responsabilité de l’action andine. En Bolivie, la responsabilité de l'action andine fut transférée
au début de 1962 à la Direction nationale du développement rural, qui en assure depuis lors
l'administration et la coordination au niveau national. L’intérêt suscité par le Programme
Andin s’est notamment illustré par les prêts de la Banque interaméricaine de développement
aux gouvernements boliviens et équatoriens pour le développement des régions rurales.
La « continentalisation de l’action andine » par une mobilisation générale aussi bien
des gouvernements que des institutions internationales, auraient pu contribuer à travers la
réalisation du programme andin à l’intégration de l’ensemble des populations indigènes du
continent latino-américain. Cette « continentalisation » aurait permis à terme à ces
populations d’être incorporées pleinement à la vie nationale de leurs pays respectifs en leur
attribuant un rôle actif dans le domaine économique et social. Pourtant, malgré les avancées
de ces dernières décennies, les actions de gouvernements cherchant à intégrer réellement leurs
populations indigènes ont été peu nombreuses.
b) La Convention 169 relative aux populations aborigènes et tribales
adoptée par l’Organisation Internationale du Travail (OIT) le 7 juin
198940
La Convention 169 de l'Organisation internationale du travail ou Convention relative
aux peuples indigènes et tribaux était jusqu'à il y a peu, avec la convention 107 « relative aux
populations aborigènes et tribales », le seul instrument juridique adopté par la communauté
internationale qui concernait les droits des peuples indigènes et tribaux. Révisant la
Convention 107 (1957), qui concerne une large palette de sujets allant des conditions de
travail, au recrutement des populations aborigènes et tribales aux droits fonciers, à la santé et
à l'éducation, la Convention 169 a été adoptée par l'OIT en 1989. Cette dernière établit de plus
des lignes directrices pour favoriser une approche participative en matière de prise de
39 Document du Bureau International du Travail, Le programme andin, site de l’Organisation Internationale du
Travail, 1959 40 Voir annexe 3, texte intégral de la Convention 169 de l’OIT.
42
décisions, favorisant ainsi l'auto-détermination de tout peuple indigène, tout en fixant des
buts, des priorités et des normes minimales. Il s’agit d’un instrument international légalement
contraignant ouvert à ratification, qui traite spécifiquement des droits des peuples indigènes et
tribaux. A ce jour, la Convention a été ratifiée par 20 pays, la plupart sont des pays
d’Amérique du Sud, dont la Bolivie, qui l’a fait le 11 décembre 1991. Les pays ayant ratifié la
convention sont donc soumis à un contrôle quant à sa mise en œuvre. L'Organisation des
nations et des peuples non-représentés (UNPO), dont les membres sont des peuples
autochtones, des minorités et des territoires non souverains ou occupés, a initié une campagne
en faveur de sa ratification en 2008.41
En effet, parmi les pays ayant sur leurs territoires des
populations indigènes et tribales, beaucoup ne l’ont pas ratifié (Canada, Etats-Unis, Australie,
etc).
Ce document constitue un document historique car, en plus d’énoncer certains droits
pour les populations autochtones, c’est la première fois qu’une approche pratique fournissant
des critères pour décrire les peuples qu’elle vise à protéger est utilisée. Les principes les plus
importants de la Convention 169, constituant une avancée sérieuse pour les populations
autochtones, sont les suivants :
- Non-discrimination : Etant donné que les peuples indigènes et tribaux peuvent faire l’objet
de discrimination dans de nombreux domaines, le premier principe fondamental et général de
la Convention 169 est la non-discrimination. L’article 3 de la convention stipule que les
peuples indigènes ont le droit de jouir des droits de l’homme et des libertés fondamentales
sans entrave ni discrimination. A l’article 4, la convention garantit également la jouissance
des droits du citoyen sans discrimination. Un autre principe de la convention concerne
l’application de toutes ces dispositions aux femmes et aux hommes indigènes sans
discrimination (article 3). Enfin, l’article 20 traite de la prévention contre la discrimination
des travailleurs indigènes.
- Mesures spécifiques : En réponse à la situation vulnérable des peuples indigènes et tribaux,
l’article 4 de la convention appelle à l’adoption de mesures spécifiques pour protéger les
personnes, les institutions, la propriété, le travail, les cultures et l’environnement de ces
41 Fondée en 1991 à La Haye aux Pays-Bas par 15 Peuples et Nations dans le but de leur offrir un lieu d'échange
diplomatique et de promouvoir au niveau international leurs droits et cultures, tout en participant à la résolution
pacifique des conflits les affectant. L'UNPO leur permet aussi de participer aux débats dans les organisations
internationales, telle que l'ONU. En effet, l'UNPO siège dans diverses instances des Nations unies, comme à la
Commission des droits de l'Homme
43
personnes. En outre, la convention stipule que ces mesures spécifiques ne doivent pas entraver
la liberté des peuples indigènes.
- Reconnaissance des spécificités culturelles et autres des peuples indigènes et tribaux :
les cultures et les identités des peuples indigènes et tribaux font partie intégrante de leurs vies.
Leurs modes de vie, leurs coutumes et traditions, leurs institutions, leurs droits coutumiers,
leurs façons d’utiliser leurs terres et leurs formes d’organisation sociale sont généralement
différentes de celles de la population dominante. La convention reconnaît ces différences et
s’efforce de garantir qu’elles soient protégées et prises en compte lorsque des mesures en
cours d’adoption sont susceptibles d’avoir un impact sur ces peuples.
- Consultation et participation : l’esprit de consultation et de participation constitue la pierre
angulaire de la Convention 169 sur laquelle reposent toutes ses dispositions. La convention
exige que les peuples indigènes et tribaux soient consultés sur les questions qui les affectent.
Elle exige également que ces peuples soient en mesure de s’engager dans une participation
libre, préalable et informée dans les processus politiques et de développement qui les
affectent. A l’article 6, la convention fournit des directives sur la façon dont doit être menée la
consultation des peuples indigènes et tribaux. La consultation des peuples indigènes doit être
mise en place selon des procédures appropriées, de bonne foi, et à travers les institutions
représentatives de ces peuples. De plus, les peuples impliqués doivent avoir la possibilité de
participer librement à tous les niveaux lors de la formulation, la mise en œuvre et l’évaluation
des mesures et des programmes qui les touchent directement. Un autre élément important du
concept de consultation est la représentativité. Si un processus de consultation approprié n’est
pas mis en place en collaboration avec les institutions ou organisations indigènes et tribales
qui représentent véritablement les peuples en question, les consultations qui en résultent ne
seront pas conformes aux exigences de la Convention. Ainsi, une simple réunion
d’information ne constitue pas une réelle consultation, ni une réunion menée dans une langue
que les peuples indigènes présents ne comprennent pas. La consultation est censée mener à un
accord et, pour être efficace, les parties impliquées doivent avoir l’opportunité d’influencer la
décision finale.
- Droit de décider des priorités de développement : l’article 7 de la Convention stipule que
les peuples indigènes et tribaux ont le droit de « décider de leurs propres priorités en ce qui
concerne le processus de développement dans la mesure où celui-ci a une incidence sur leur
44
vie, leurs croyances, leurs institutions et leur bien-être spirituel et les terres qu’ils occupent ou
utilisent d’une autre manière, et d’exercer un contrôle sur leur développement économique,
social et culturel propre». Ceci a été interprété par les instances de contrôle de l’OIT comme
une considération essentielle lorsque des consultations avec les peuples indigènes ont lieu.
Depuis son adoption, la Convention 169 a gagné une certaine reconnaissance, bien au-
delà du nombre réel de pays qui l’ont ratifiée. Ses dispositions ont influencé nombre de
documents politiques, de débats et de décisions juridiques au niveau régional et international,
ainsi que des législations et des politiques nationales. Elles sont compatibles avec les
dispositions de la Déclaration sur les droits des peuples autochtones de l’ONU. La convention
169 est un outil visant à stimuler le dialogue entre les gouvernements, les peuples indigènes
et tribaux et elle a été utilisée pour les processus de développement, ainsi que pour la
prévention et la résolution des conflits. Bien que des progrès considérables aient été réalisés
en ce qui concerne sa mise en œuvre dans les pays qui l’ont ratifiée, les instances de contrôle
de l’OIT ont noté un certain nombre de difficultés d’application, en particulier en ce qui
concerne l’action coordonnée et systématique requise, ainsi que le besoin de garantir la
consultation et la participation des peuples indigènes dans les décisions qui les affectent. La
Convention stipule pourtant que les gouvernements doivent prendre la responsabilité de
développer une action coordonnée et systématique pour protéger les droits des peuples
indigènes et tribaux (article 2) et garantir que des mécanismes et moyens appropriés soient
disponibles (article 33).
c) La création du groupe de travail sur les populations indigènes et les
actions qui en découlent.
En 1982, le groupe de travail sur les populations autochtones a été créé sous résolution
du Conseil Economique et Social. Il s’agit d’un organe subsidiaire de la Sous-commission de
la promotion et de la protection des droits de l'homme ayant un double mandat : faire le bilan
des faits nouveaux intervenus en ce qui concerne la promotion et la protection des droits de
l'homme et les libertés fondamentales des populations autochtones et suivre l’évolution des
normes internationales relatives aux droits des populations autochtones. Il est composé
d’experts indépendants et de membres de la Sous-commission, un par région géopolitique du
45
monde et est ouvert aux représentants de toutes les populations autochtones, de leurs
groupements et associations. A ses sessions peuvent participer des représentants des
gouvernements, d’organisations non gouvernementales et d’organismes des Nations Unies. Le
Groupe de travail est aujourd’hui l’une des principales instances des Nations Unies en matière
de droits de l’homme. Aussi, le Fonds de contributions volontaires des Nations Unies pour les
populations autochtones a été créé en 1985, aux fins d’aider les représentants des populations
autochtones et leurs organisations à participer aux délibérations du Groupe de travail. Le
Groupe de travail est à l’origine du projet de déclaration des Nations Unies sur les droits des
populations autochtones.
En 1994, l’Assemblée Générale des Nations Unies proclame la première décennie
internationale des populations autochtones ayant lieu entre 1994 et 2004. Cette Décennie aura
pour but de renforcer la coopération internationale afin de résoudre les problèmes qui se
posent aux peuples autochtones dans des domaines tels que la culture, l’éducation, la santé,
les droits de l’homme, l’environnement et le développement économique et social. Le 9 août
fut notamment proclamée Journée internationale des populations autochtones et ce, pendant
chaque année de la première décennie. Un fonds de contributions volontaires pour la
Décennie fut aussi créé afin d’aider au financement des projets et programmes conçus pour
promouvoir les objectifs de la Décennie internationale des populations autochtones.
Enfin, en avril 2000, la Commission des droits de l'homme a adopté une résolution sur
l'établissement de l'Instance permanente sur les questions autochtones qui a été approuvée par
le Conseil Economique et Social le 28 juillet 2000. Composée de seize experts indépendants
(huit des membres sont nommés par les gouvernements et les huit autres le sont par les
organisations autochtones dans leurs régions), son mandat est de «discuter des questions
autochtones sur le développement économique et social, l’environnement, la culture,
l’éducation, la santé et les droits de l’homme».42
Cet événement marqua ainsi une nouvelle
ère dans laquelle les experts autochtones nommés siègent à un niveau de parité avec les
experts nommés par les gouvernements, et peuvent parler en leur nom propre en tant que
membres à part entière des Nations Unies.
42 Site internet de l’Instance Permanente de l’ONU sur les questions autochtones.
46
Puis, fin 2004, fut proclamée par l’Assemblée générale la deuxième décennie des
populations autochtones allant de l’année 2005 jusqu’à 2014. 43
L'adoption de la Deuxième
Décennie reflète une conscience accrue des conditions précaires des peuples autochtones mais
aussi une collaboration renforcée entre organisations autochtones, gouvernements, ONG et
agences des Nations Unies. C’est notamment grâce à cette mobilisation internationale que des
avancées significatives suivirent.
Enfin, le Rapporteur spécial sur la situation de droits de l’homme et des libertés
fondamentales des populations autochtones doit, dans l’accomplissement de son mandat,
présenter des rapports annuels sur des sujets ou situations particuliers ayant une importance
spéciale pour la promotion et la protection des droits des peuples autochtones. Il entreprend
des visites dans les pays afin de réaliser un suivi des recommandations inclues dans ses
rapports par pays.
d) L’Unesco :
L’Unesco (Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture)
est également directement impliquée dans la défense des peuples autochtones, plus
particulièrement avec des actions visant à protéger leur patrimoine culturel. « A travers leur
relation spirituelle à la terre et leur vision holistique du monde, les peuples autochtones
offrent une voie viable dans la quête de visions globales du développement durable. La
Stratégie à moyen terme de l’UNESCO (2008-2013) mentionne les peuples autochtones parmi
les segments les plus vulnérables de la société dont les besoins doivent être traités en priorité
et s’engage à renforcer la prise de conscience de l’importante contribution culturelle des
peuples autochtones au développement durable. »44
A travers ses activités et programmes en partenariat avec les peuples autochtones, elle
s’occupe, entre autres, du patrimoine matériel et immatériel, des langues en danger, de la
diversité culturelle et linguistique dans l’éducation mais aussi des savoirs autochtones et de s
transmissions intergénérationnelles de ces savoirs ainsi que du renforcement des capacités de
communication des peuples autochtones. Les activités menées par l’Unesco avec les peuples
autochtones s’inscrivent dans le cadre de ses missions de protection et promotion de la
43 Cf annexe 4, « Objectifs clés de la Deuxième décennie des populations autochtones ». 44 Site de l’Unesco : www.unesco.org
47
diversité culturelle, d'encouragement du dialogue interculturel, et de renforcement des liens
entre culture et développement. L'Organisation est donc activement impliquée dans la mise en
œuvre de la Deuxième décennie internationale des populations autochtones. On peut citer,
parmi ces normes, celles visant à protéger les populations autochtones :
- La Convention concernant la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel
(1972)
- La Déclaration sur la diversité culturelle et son programme d’action (2001)
- La Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel (2003)
- La Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions
culturelles (2005)
e) La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples
autochtones 45
Le 13 septembre 2007 constitue une date mémorable pour les peuples autochtones. Ce
jour là, l’Assemblée générale des Nations Unies adopte la Déclaration des Nations Unies sur
les droits des peuples autochtones.
Elle a été adoptée par une majorité de 143 états, avec 4 votes contre (Australie,
Canada, Etats Unis et Nouvelle Zélande) et 11 abstentions (Azerbaïdjan, Bangladesh,
Bhoutan, Burundi, Colombie, Géorgie, Kenya, Nigeria, Fédération Russe, Samoa et Ukraine).
Elle établit un cadre universel de normes minimales pour la survie, la dignité, le bien être et
les droits des peuples autochtones du monde entier. La Déclaration mentionne les droits
collectifs et individuels; les droits culturels et l'identité; les droits à l'éducation, la santé,
l'emploi, la langue entre autres. Elle proscrit la discrimination contre les peuples autochtones
et promeut leur participation pleine et effective dans toutes les questions qui les concerne. Elle
affirme leurs droits à rester distinctifs et à poursuivre leurs propres priorités dans le
développement économique, social et culturel et affirme notamment les droits à la réparation
et à l’autodétermination. Enfin, elle encourage explicitement des relations harmonieuses et
coopératives entre les Etats et les peuples autochtones.
45 Voir annexe 5, texte intégral de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones
48
Il y a plusieurs points importants à souligner dans cette Déclaration. Tout d’abord, son
vote n’a pas fait l’unanimité et il a été difficile de convaincre certains Etats de la ratifier car
quelques articles les faisaient hésiter. Ainsi, concernant le principe à l’autodétermination, au
risque de le rendre ambiguë et pour vaincre quelques hésitations, il a fallu mentionner
qu’ « aucune disposition de la présente Déclaration ne peut être interprétée (...) comme
autorisant ou encourageant aucun acte ayant pour effet de détruire ou d'amoindrir, totalement
ou partiellement, l'intégrité territoriale ou l'unité politique d'un Etat souverain et
indépendant ».
Bien qu’étant le premier instrument juridique universel en la matière mais non
contraignant, la Déclaration représente pour les populations indigènes du monde entier une
source d’espoir et enfin une reconnaissance par la plus haute instance juridique au monde de
leurs droits. Il s’agit d’une énorme avancée, après des décennies de lutte de ces populations
pour une reconnaissance internationale. Ses articles représentent un exploit et une véritable
avancée dans la lutte pour la reconnaissance des droits des populations autochtones. On peut à
ce titre mentionner l’article 28/1 qui énonce que « les peuples autochtones ont droit à
réparation, par le biais, notamment, de la restitution ou, lorsque cela n'est pas possible, d'une
indemnisation juste, correcte et équitable pour les terres, territoires et ressources qu'ils
possédaient traditionnellement ou occupaient ou utilisaient et qui ont été confisqués, pris,
occupés, exploités ou dégradés sans leur consentement préalable, donné librement et en
connaissance de cause». Toujours à propos des terres et territoires des populations indigènes,
l’article 26 déclare :"Les peuples autochtones ont le droit de posséder, d'utiliser, de mettre en
valeur et de contrôler les terres, territoires et ressources qu'ils possèdent parce qu'ils leurs
appartiennent ou qu'ils les occupent ou les utilisent traditionnellement, ainsi que ceux qu'ils
ont acquis. Les États accordent reconnaissance et protection juridiques à ces terres, territoires
et ressources. Cette reconnaissance se fait en respectant dûment les coutumes, traditions et
régimes fonciers des peuples autochtones concernés » et l’article 30 : « Il ne peut y avoir
d'activités militaires sur les terres ou territoires des peuples autochtones, à moins que ces
activités ne soient justifiées par des raisons d'intérêt public ou qu'elles n'aient été librement
décidées en accord avec les peuples autochtones concernés, ou demandées par ces derniers ».
Les Etats ont de plus un devoir de consultation avec les populations autochtones avant
d’entreprendre quelque projet sur leurs terres (article 32) : « Les États consultent les peuples
autochtones concernés et coopèrent avec eux de bonne foi par l'intermédiaire de leurs propres
49
institutions représentatives, en vue d'obtenir leur consentement, donné librement et en
connaissance de cause, avant l'approbation de tout projet ayant des incidences sur leurs terres
ou territoires et autres ressources, notamment en ce qui concerne la mise en valeur,
l'utilisation ou l'exploitation des ressources minérales, hydriques ou autres ».
Des réparations sont aussi de mise concernant le patrimoine culturel ( article 11) :
« Les États doivent accorder réparation par le biais de mécanismes efficaces Ŕqui peuvent
comprendre la restitutionŔ mis au point en concertation avec les peuples autochtones, en ce
qui concerne les biens culturels, intellectuels, religieux et spirituels qui leur ont été pris sans
leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, ou en violation de
leurs lois, traditions et coutumes ». En plus de ces derniers et dans les articles 12, 13, 14, 20,
25, 27, est reconnu le droit des populations indigènes à appliquer à leurs territoires leurs
propres systèmes politiques, juridiques, économiques, culturels, religieux et spirituels. Ainsi,
la justice communautaire, tant qu’elle est compatible avec le système juridique national, doit
être reconnue. Les religions originelles doivent être reconnues et protégées. Doivent aussi être
reconnues mais en plus enseignées et soutenues les nombreuses langues vernaculaires. Enfin,
il est énoncé que « Les peuples autochtones ont le droit à l'autodétermination. En vertu de ce
droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement
économique, social et culturel. » (Article 3)
Les représentants des peuples autochtones et les Etats ont longtemps débattu sur ce
droit à l’autodétermination. En effet, les Etats ont souvent exprimé leur inquiétude quant à
leur intégrité territoriale que leur inspirent les éventuelles revendications d’indépendance des
peuples autochtones. Cependant, l’article 36 pose que « les peuples indigènes, en particulier
ceux qui sont scindés par des frontières internationales, ont le droit de maintenir et de
développer, à travers ces frontières, les contacts, les relations et la coopération-y compris les
activités de caractère spirituel, culturel, politique, économique et social- avec leurs propres
membres et autres peuples ». Certains pourraient voir dans cet article le droit de créer des
territoires autonomes transfrontaliers.
50
En Amérique Latine, nombreux sont les peuples indigènes qui, du fait de la
colonisation ou de la création d’Etats indépendants, se sont vus retrouvés dispersés sur des
territoires appartenant à différents Etats. Ainsi, les frontières ont réparti les Aymaras entre le
sud du Pérou, l’ouest et le centre de la Bolivie mais aussi dans le nord du Chili et de
l’Argentine. Les Guaranis occupent des territoires dans le sud du Brésil, le nord de
l’Argentine, le Paraguay et l’est de la Bolivie. Et on ne mentionne là que quelques unes des
Le droit à l’autodétermination peut s’exprimer de diverses manières, par :
- l’autonomie ou l’auto-administration des peuples autochtones pour les questions relatives
aux affaires intérieures ou locales, ainsi que les moyens de financer leurs fonctions
autonomes. Dans d’autres situations, les peuples autonomes peuvent chercher à obtenir les
conditions nécessaires à l’autogestion.
- le respect du principe de consentement préalable donné librement et en connaissance de
cause. Ce principe suppose qu’il n’y ait aucune coercition, intimidation ou manipulation, que
l’on ait cherché à obtenir le consentement des peuples autochtones suffisamment longtemps
avec l’octroi d’une autorisation ou le début d’une activité, que l’on respecte les délais
nécessaires aux consultations autochtones et à l’obtention de consensus et que l’on fournisse
des informations compréhensibles et complètes sur les conséquences probables des mesures
envisagées.
- la participation entière et valable des peuples autochtones à tous les stades de toute activité
susceptible de les concerner directement ou indirectement. La participation des peuples
autochtones peut s’effectuer par l’intermédiaire de leurs autorités traditionnelles ou d’une
organisation qui les représente. Cette participation peut également prendre la forme de la
cogestion.
- la consultation des peuples autochtones avant la prise de toute action susceptible des les
concerner directement ou indirectement, afin que les objectifs de l’activité ou de la mesure
envisagée cadrent avec leur préoccupation et intérêts.
- la reconnaissance officielle des institutions, de la justice interne et des systèmes de
règlement de conflits traditionnels des peuples autochtones, ainsi que leur mode
d’organisation sociopolitique.
- la reconnaissance du droit des peuples autochtones à définir librement leur développement
économique, social et culturel et à s’y consacrer.
Groupe des Nations Unies pour le développement, Lignes directrices sur les questions relatives aux peuples
autochtones, Genève, Avril 2009.
51
nombreuses populations indigènes existant en Bolivie. Si les peuples divisés par une frontière
internationale ont droit, dans chacun des pays où ils sont, à un territoire autonome et à établir
des relations avec leurs frères, eux-mêmes séparés dotés d’un territoire autonome, rien
n’indique dans la Déclaration que les deux territoires autonomes ne peuvent être réunis en un
seul pour répondre aux souhaits de leurs occupants. Ce souhait ne tardera peut être pas
beaucoup à être exprimé par certains peuples indigènes entraînant sans doute un grand sujet
de débat et de luttes lors des prochaines décennies.
Une autre principale application de la Déclaration de l’ONU qui risque d’être difficile
à appliquer concerne le rôle des Etats. Il n’est pas évident qu’ils se livrent de bon gré à
l’évaluation et la réparation des dommages causés aux populations autochtones concernant
leurs terres et territoires. Concernant le respect de cette Déclaration, le mieux serait que tous
les Etats l’ayant ratifiée fassent comme la Bolivie et l’inscrivent dans leur Constitution ou
alors qu’elle soit convertie en convention internationale de caractère obligatoire, appuyée sur
une autorité dotée de moyens adéquats pour la faire respecter. Car les Nations Unies n’ont mis
sur pied aucune autorité internationale chargée de faire respecter ce texte et de sanctionner les
récalcitrants et opposants aux droits qui sont énoncés.
Il incombe donc aux populations indigènes de proposer aux autorités d’engager des
processus de négociations et discussions afin de clarifier les articles d’interprétation difficile
de la Déclaration. Au risque de susciter des nouvelles frictions entre la société blanche et
indigène, susceptibles de relancer le mépris et le racisme envers les populations indigènes.
52
Deuxième partie : la Bolivie représente-t-elle un succès des revendications identitaires ?
18 décembre 2005: Evo Morales, indien d'origine aymara, remporte l'élection
présidentielle en Bolivie.46
Il s'agit du premier amérindien à accéder à la fonction suprême
d'un Etat en Amérique latine. Son élection résonne comme un coup de tonnerre sur le
continent, suscitant joie et espoir chez les communautés autochtones, mais aussi
consternation et appréhension parmi les élites blanches au pouvoir. Plus que le sous-
commandant Marcos, ayant pris la tête de la révolte des indiens du Chiapas, Etat déshérité du
sud du Mexique, au début des années 1990, et dont l'action fortement médiatisée contribua à
populariser internationalement la "cause indigène", Evo Morales va dès lors incarner le rêve
et l'espoir d'une multitude de peuples marginalisés par la colonisation, dépossédés de leur
destin. Son accession au pouvoir, rendue notamment possible par des réformes
constitutionnelles ayant reconnu la nature "multiethnique et multiculturelle" de la Bolivie en
1994 et le droit des peuples indigènes à présenter directement des candidats aux élections, en
2004, va œuvrer pour la pleine réhabilitation des communautés indiennes de son pays.
De nouvelles règlementations nationales reconnaissent alors les droits des indigènes
sur leurs terres communes, leur droit à partager les profits des ressources naturelles, leur droit
comme acteurs politiques et sociaux à part entière. Considérant la Déclaration des droits des
populations autochtones de l'ONU comme un texte fondamental, aussi important que la
Déclaration universelle des Droits de l'Homme, Evo Morales décide de la rendre légalement
contraignante en tant que loi nationale.
Ce train de mesures en faveur d'une société plus juste, égalitaire et reconnaissante
envers ses peuples originaires, consacre le succès des revendications identitaires en Bolivie,
un pays devenu exemple en la matière non seulement pour les Etats multi-ethniques
d'Amérique latine mais pour d'autres régions du monde.
Cependant, les décisions « pro-autochtones » d’Evo Morales ont provoqué le
mécontentement des élites traditionnelles, blanche et créole du pays, qui étaient jusqu’à la
présidentielle de fin 2005, seules détentrices du pouvoir. A la lumière des tiraillements et des
dissensions suscités, de violentes manifestations d'opposition menacent aujourd'hui la
46 Voir annexe 6, photo 1, Evo Morales, président de la République de Bolivie.
53
stabilité, et l'intégrité du pays ; certains départements, où les indiens ne sont pas majoritaires,
se laissant aller à une dérive autonomiste, voire sécessionniste.
Evo Morales a-t-il réellement réussi à venir à bout du "colonialisme interne" qu'il
dénonçait avant d'arriver au pouvoir? Les populations indiennes, rejetées pendant des siècles,
sont-elles aujourd'hui totalement intégrées dans la société bolivienne ? Quelle place occupent-
elles à présent? Avant de répondre à ces questions, il est essentiel de revenir sur la définition
de l'identité indienne, de comprendre ce que représente l'indianité en Bolivie, de la
colonisation jusqu'à nos jours.
I) Etre indien en Bolivie
Comment définir qui est indien et qui ne l’est pas ? Quelle place les indiens ont-ils eu
dans la société bolivienne d’autrefois et quelle place ont-ils aujourd’hui ?
1) Le territoire bolivien et l’existence d’une double identité
La Bolivie est constituée de neuf départements : La Paz, Oruro, Potosi, Cochabamba,
Pando, Beni, Santa Cruz, Chuquisaca et Tarija. Ces quatre derniers départements, les plus
riches de Bolivie, forment le Media-Luna (la Demi-Lune).
Géographiquement, les départements de Beni, Pando et Santa Cruz forment les plaines
orientales (el Oriente) où il y a le plus grand nombre d’exploitations agricoles aussi bien de
coton, soja, riz ou cacao. C’est dans la zone la plus au sud de Santa Cruz que sont notamment
concentrés les grandes réserves de gaz, pétrole, minerais ou pierres précieuses de Bolivie. Les
vallées (los valles) se situent principalement dans les départements de Cochabamba,
Chuquisaca et Tarija et c’est au nord de Cochabamba que se trouve la région du Chapare,
connue pour la culture de la feuille de coca. Enfin, les hauts plateaux montagneux (Altiplano)
constituent la partie andine du pays et cette région regroupe les départements de La Paz,
Oruro et Potosi. C’est dans la partie rurale de l’altiplano qu’il reste le plus de survivances de
l’époque pré-colombienne et où d’ailleurs sont le plus présent les communautés indigènes.
Les activités économiques de base sont l’agriculture, l’artisanat mais aussi l’exploitation
minière dans les villes d’Oruro et Potosi.
54
Le territoire bolivien :47
La structure sociale de la Bolivie est marquée par son passé colonial et les oppositions
culturelles. Avant l’arrivée des Espagnols, l’empire Inca occupait la majeure partie de la
Bolivie mais aussi de l’Equateur et du nord du Chili. Les Incas se distinguaient par leur
organisation basée sur la collectivité ; ils étaient parvenus à organiser les communautés
villageoises (Ayllus) en fédération s’étalant sur les trois régions géographique : montagne,
vallée et basse terre tropicale. Cependant, l’arrivée de Francisco Pizarro en 1532, annonça la
fin de l’empire Inca, déjà affaibli par des luttes de pouvoir interne. Afin de s’imposer aux
autochtones, les Espagnols détruisirent toutes les structures d’autorité et les fédérations
existantes. L’agriculture collective fut abolie et remplacée par une agriculture de type féodal
où dominent la propriété privée aux mains des colons espagnols. C’est ainsi que se créa au fil
des années une aristocratie de grands propriétaires fonciers et une classe d’ouvriers agricoles
opprimés. Les Blancs, ainsi qu’une élite métisse s’identifiant à eux, ont imposé leurs lois et
47 Source : www.katari.org/bolivia/bolivia.htm
55
leurs modèles de société occidentale. Ils ont surtout accaparé les meilleures terres pendant des
années et ont soumis les populations vivant sur ces terres à diverses formes d’esclavages. Les
populations indigènes se sont donc retrouvées assimilés à une classe de paysans pauvres.
Entre l’élite dominante et les paysans est apparue une classe moyenne d’indiens ou métis
salariés ; cependant beaucoup n’appartiennent plus à ces groupes. Les anciens mineurs,
paysans, ou salariés ayant perdu leur emploi suite aux licenciements massifs dans le secteur
privé se retrouvent dans une situation plus que précaire.
Bien que les indiens commencèrent à s’organiser en syndicats dans les années 1950 et
qu’en 1953 ait eu lieu la première réforme agraire sous le gouvernement du Mouvement
Nationaliste Révolutionnaire (MNR) qui instaura aussi le suffrage universel, améliora
l’éducation de la population rurale et nationalisa les plus grandes compagnies minières du
pays, le sort des petits paysans ne connu pas vraiment de grand bouleversement. La réforme
agraire instaura l’abolition de la semi-servitude et la parcellisation des terres dans l’Altiplano
mais les titres ne furent jamais délivrés car, après plusieurs années mouvementées et les
dictatures militaires se succédèrent en Bolivie dès les années 1960. Pendant ces dictatures,
l’oligarchie au pouvoir ne fit que s’enrichir et les indiens s’appauvrirent. Ce ne sera que dans
les années 1980 que commenceront à s’organiser les populations indigènes à travers plusieurs
syndicats. Il faudra attendre l’élection de Morales pour voir l’élite blanche dépossédée de ses
privilèges et assister au rétablissement d’une certaine justice dans le pays.48
A ces différences sociales bien s’ajoutent les différences culturelles, source de
discrimination. La culture indienne a toujours été dévalorisée par les blancs et les métis. Pour
les amérindiens désireux de s’élever socialement, le rejet de leur origine et identité indienne a
souvent été la seule solution envisageable. Les peuples autochtones des Andes ont une culture
très différente de l’occidentale, appelée « cosmovision »49
. Au sein la communauté andine, les
fondements de la justice sont représentés par trois composantes :
- Ama lulla= ne mens pas
- Ama sua= ne vole pas
48 Voir annexe 7 « Dates clés des mouvements indiens en Bolivie » 49 Dans la cosmovision andine, les éléments de la nature sont prépondérants. L’Homme ne domine pas la nature,
il est partie intégrante de celle-ci. Achachilas (la montagne), Inti (le soleil) et Pachamama (Terre Mère) sont les
éléments essentiels de cette cosmovision. Les indiens ont une relation particulière avec cette dernière et ne se
considèrent jamais propriétaires de la terre. Il la travaille, bien sur mais ne se considèrent jamais comme
supérieur à elle. Bien au contraire, ils lui vouent un profond respect pour tout ce qu’elle leur apporte.
56
- Ama qhella = ne sois pas oisif
Appelée « sumak kawsay », cette philosophie désigne la façon de vivre en
communauté, en respectant les hommes, la société, son avenir et la nature. On pourrait
traduire ces mots quechua à peu près comme « vie bonne, vivre bien, convenablement et
honnêtement ». Cette expression a été résumée en espagnol par « vivir bien », « vivre bien »,
et elle a souvent été utilisée par Evo Morales afin d’opposer le style de vie andin au style de
vie occidental, ce dernier ne pouvant absolument pas représenter la Bolivie. Ainsi, « Vivre
bien, dit-il, c’est vivre dans une société égalitaire et juste où il n’y a ni exploités ni
exploiteurs, ni exclus ni « excluants », ni marginalisés ni « marginalisateurs ». Vivre bien
c’est vivre en communauté, en solidarité et réciprocité, et en complémentarité… Le « vivre
bien » s’oppose au « vivre mieux », au « vivre mieux que les autres », car pour vivre mieux il
faut que les autres, le plus grand nombre, vivent mal. […] Vivre mieux signifie égoïsme,
individualise, indifférence vis-à-vis de l’autre. Le « vivre mieux » conduit à la concentration
de la richesse, au gaspillage et à l’exploitation des peuples par des minorités privilégiées.
(…) ».50
Enfin, il y a une demande des populations indigènes de remise en vigueur des noms
traditionnels de leurs peuples, pays, villes, fleuves, régions. Ainsi, les noms imposés par les
conquistadores ont eu tendance à effacer les noms originaires. Selon la Maya guatémaltèque
Ernestina Lopez Bac « continuer à accepter que d’autres nous imposent un nom, c’est d’abord
manquer d’esprit critique, mais c’est surtout renoncer à notre droit d’exister par nous-mêmes.
Au contraire, reprendre les noms qui nous viennent de notre propre pérégrination millénaire,
c’est faire revivre notre projet de vie, c’est retrouver notre identité propre. C’est commencer à
exercer notre droit à l’autodétermination, fondement de notre autonomie. [Et de préciser que]
le fait d’accepter l’expression globalisante d’ « Indien » n’implique pas nécessairement qu’on
ait pris son pari de l’oppression. C’est aussi prendre conscience d’une réalité donnée qui,
précisément parce qu’elle nous fait mal, doit nous inciter à nous engager pour la changer »51
.
50 Le Bot (Yvon), La grande révolte indienne, op.cit 51 Rudel (Christian), Réveils amérindiens : du Mexique à la Patagonie, Khartala, 2009
57
2) Evolution de la prise en compte de l’indien dans la société bolivienne à travers les
recensements
Le fait de pouvoir déterminer qui est indien ou non résulte d’un long processus
historique découlant de critères à la fois sociaux, culturels, idéologiques, politiques et
juridiques. Bien que le terme « indien » ait été utilisé dés le début de la Conquête, il s’agit
plus d’un concept social dont la signification s’est modifiée avec le temps à partir de critères
qui ont servi à définir et déterminer la position de personnes et de groupes dans la structure de
hiérarchies raciales et ethniques qui ont caractérisé la société coloniale et républicaine
bolivienne. L’origine de cette structuration en différentes identités, étiquettes mais aussi
valeurs et attitudes liées à l’ethnicité est liée à l’existence de ce fameux « colonialisme
interne ». Ce système mis en place à travers les différences et les hiérarchies a été de plus
complété par un mélange d’étiquettes identitaires qui attribuaient des vertus au secteur
dominant et des défauts et attributs négatifs au secteur dominé. Les stéréotypes et préjugés
envers ces derniers sont devenus une partie substantive du contenu de la construction de
l’identité individuelle et de groupe.
D’un point de vue sociologique, dans le système colonial bolivien des identités ont été
créées et des frontières ont continué à s’établir au sein même de ce « colonialisme interne ».
Une ample gamme de stratégies a donc été mise en place par les populations autochtones afin
d’échapper à l’exploitation ; elles étaient inévitablement reliées à l’étiquette raciale. Les
personnes essayaient de cacher au maximum les traits ou les caractéristiques qui pouvaient
dénoncer leur appartenance à un certain groupe ethnique. Cette fonction du pouvoir colonial a
énormément influencé la construction sociale de l’identité bolivienne. Ainsi, afin d’éviter la
discrimination raciale, l’intériorisation des populations autochtones s’exprimait à travers la
négation de leur identité primordiale.
C’est lors de la conquête que le terme « indien » fut donné à toutes les populations
présentes en Amérique avant l’arrivée des colons. Ce terme, du point de vue de la tenue des
registres de l’époque, devint aussi une catégorie sociale et une condition fiscale. Outre le fait
que la dénomination « indio » représente aujourd’hui une connotation péjorative pour les
communautés autochtones d’Amérique latine, descendants des populations précolombiennes,
elle renvoie aussi à toutes les formes de discrimination que ceux-ci ont subie pendant des
siècles. Ainsi, plutôt que d’être appelés indiens, ceux qui se dénomment eux même comme
58
« pueblos originarios », peuples originaires, préfèrent qu’on les appelle aujourd’hui « peuples
indigènes » bien que le terme « indien » ou même « amérindien » soit toujours utilisé de nos
jours. Certains militants insistent pourtant sur l’utilisation du terme « indien », car pour eux il
revêt un symbolisme assez fort. « Indien est le nom avec lequel ils nous ont dominés, Indien
est le nom avec lequel nous nous libérerons » 52
Les « indiens » constituèrent donc à la base dans les recensements un groupe
homogénéisé mais les populations noires et métisses rejoignirent par la suite cette
catégorisation. Ceci est du principalement aux changements sociaux ayant eu lieu au sein des
colonies et qui s’explique non seulement par la diminution du nombre d’indiens mais aussi
par les flux migratoires et les stratégies recherchées par ces derniers pour occulter leur identité
sociale afin d’échapper au payement de l’impôt. Finalement, l’ensemble de la population
autochtone fut quand même nommée comme « République des Indiens », face à la
« République des Espagnols »53
. Les métisses qui pourtant se trouvaient entre ces deux
catégories et qui avaient une importance sociale et économique furent laissés de côté par le
système colonial à travers une série de dispositions et de mesures qui ont limité leur insertion
dans la société.
Pendant la République, à partir des décrets émis par Bolivar, le terme « indien »
commence de plus en plus à être substitué par le qualificatif « indigène ». La condition de
l’ « indigène » cesse d’être attribuée à une catégorie juridique associée à un statut spécial
hérité de la colonisation selon lequel ils étaient considérés comme ayant une moins bonne
capacité de raisonnement et une inaptitude à se gouverner eux-mêmes. Cependant, afin de
réussir à avoir des « rentrées » économiques stables pour le gouvernement républicain, le
système de l’impôt tributaire a été relancé et les mêmes registres utilisés durant la période
coloniale ont été repris. En 1881, le gouvernement décide d’introduire un nouveau système
d’impôt rural et donc un nouveau système de registres, « la contribution directe ». A la
différence des registres précédents, dans ceux-ci sont inscrits non seulement les peuples
indigènes selon leur rapport à la terre mais aussi les propriétaires des « haciendas ».
On peut donc affirmer qu’à partir de cette date, le gouvernement bolivien décide
d’établir des modalités différentes de recensement démographique de la population qui ne
s’appuie plus seulement sur le tribut indigène mais dorénavant sur un registre de propriétaires
52 ibidem 53 CEPAL (Commission économique pour l’Amérique latine), Los pueblos indígenas de Bolivia: diagnostico
socio demográfico a partir del censo de 2001, juillet 2005.
59
terriens. Cette nouvelle conception est consolidée avec le premier recensement de 1900 qui a
regroupé des données démographiques indépendamment des impôts. Cependant, pendant tout
le XIXème
siècle, bien qu’il existe tout un dispositif qui permette de réguler les recensements il
n’y a aucun critère permettant de différencier la population indigène de la population blanche
ou métisse. La persistance à vouloir catégoriser la population racialement subsiste même si
peu à peu apparaissent des critères d’appartenance sociale.
A partir de cette époque là, un lien va s’établir entre les deux composantes de la
construction de l’ethnicité : le critère racial et le critère basé sur la catégorisation par classe
sociale. Ainsi, il semblerait que ce changement soit notoire dans le recensement effectué en
1881 dans la ville de La Paz dans lequel la population fut divisée en quatre catégories : les
blancs (32%), les indigènes (21%), les métis (41%) et les noirs (1%).54
Parallèlement, ces
différenciations étaient directement liées avec la catégorie socioprofessionnelle ; chaque race
semble être associée à une activité économique déterminée ou plus précisément une classe. Ce
recensement établit que la quasi-totalité de la population indigène se dédiait à l’agriculture,
sous le dénominatif de «journalier » tandis que les blancs étaient classés sous l’adjectif de
« propriétaire terrien ». Du coup, être indien commença à être de plus en plus associé au fait
d’être paysan.
Le recensement effectué en 1900 commencera à rompre avec les méthodes de
caractérisation des indigènes. Pour la première fois, les informations sur la démographie sont
collectées sans tenir compte de la catégorisation des personnes devant payer l’impôt tributaire.
C’est aussi la première fois que l’indien est défini comme descendant des peuples originaires
présents sur le territoire avant la Conquête. Ce recensement inclut notamment la catégorie
« métis » en déterminant qu’il s’agit de mélange entre blancs et indiens. Cette distinction prit
toute son importante par rapport à l’impôt tributaire mais rendit encore plus complexe la
définition des marqueurs identitaires. En effet, les métis étaient exempts de payer l’impôt
tributaire seulement s’ils arrivaient à démontrer qu’ils n’étaient pas indiens.
Lors de la première moitié du XXème
siècle jusqu’au nouveau recensement de 1950, il
y eut des changements importants dans la dynamique sociale et politique. On a put constater
la visibilité de plus en plus notoire de la population indigène, de ses revendications et de
l’appui chaque fois plus important qu’elle reçoit de la part des secteurs progressistes de la
54 Ibidem
60
société bolivienne ; ceci a modifié la définition des critères de catégorisation de la population
bolivienne. Les populations indigènes s’auto-identifient de plus en plus comme indigènes. Par
rapport au recensement de 1900 où « seulement » 46% étaient considérés comme indigènes,
62% se considéraient comme telles en 1950. Ce dernier pourcentage se maintiendra par
ailleurs lors des recensements suivants de 1976, 1992 et 2001. On peut alors se demander
quelles sont les raisons de ce changement significatif qui a eu lieu entre ces deux
recensements.
L’explication serait basée sur l’apparition de critères qui permettent une meilleure
identification à travers l’utilisation des éléments culturels : la langue et l’habit. Seuls sont
considérés comme indiens ceux qui parlaient une des langues natives, les autres étant
considérés comme blanc ou métis. L’autre critère identificateur, l’habit, représente
l’appartenance à un peuple indigène. Le directeur de l’Institut Indigéniste Interaméricain,
G.Rubio, qui a analysé le recensement de 1950, à constaté que les fonctionnaires en charge de
ce travail ont défini les indiens comme « les personnes qui utilisent un habit indigène
autochtone provenant de la région où ils vivent »55
, ce qui selon lui signifie que les indiens ne
s’habillant pas de la sorte ont cessé d’être enregistrés comme tels. Dans tous les cas, c’est la
première fois que sont utilisés des critères culturels pour distinguer les populations indigènes
des populations non indigènes.
Entre les deux recensements de 1900 et 1950, des changements importants eurent lieu
dans le débat national concernant les droits des populations autochtones. En effet, ce fut une
époque marquée par des révoltes, et des mobilisations permanentes. C’est dans ce contexte
qu’en 1926, avec l’appui du gouvernement, l’Eglise catholique organise un événement majeur
en faveur des indiens : la récolte de fonds pour l’éducation. En 1937 le gouvernement institue
le jour de l’Indien puis, en 1941 est créé le Département des Affaires Indigènes qui deviendra
par la suite l’Institut Indigéniste Bolivien, filiale de l’Institut Indigéniste Interaméricain. Dans
la loi de création du département, apparaît l’usage du terme « indien » associé au terme
« paysan ». Le département aura comme fonction de s’occuper de la défense des populations
indigènes, de l’aide aux paysans concernant les litiges terriens, des conditions de travail des
paysans dans les haciendas et de la législation sociale. Dans l’imaginaire social, l’indien sera
désormais perçu aussi bien d’un point de vue racial -le distinguant des blancs et des métis-
55 Ibid.
61
que d’un point de vue social. Ainsi, presque partout en Bolivie, le terme paysan devient
synonyme du terme indien.
En 1953, un an après la Révolution, a lieu la première réforme agraire. Celle-ci
expropria tous les grands propriétaires terriens (latifundistas), permit de redistribuer la terre à
ceux qui n’étaient jusqu’alors que de simples travailleurs exploités, et reconnu notamment la
propriété communale des Ayllus appelées « Communautés indigènes ou d’origine ». Mais
dans l’idéologie nationaliste du parti qui a mené à terme la révolution, il s’agissait de
construire une nation métisse, qui serait le résultat de la fusion entre la tradition indigène et
son histoire avec la culture ibérique. Le qualificatif « indien » a de plus été banni, étant
considéré comme négatif et chargé de contenu racial et a donc été remplacé par celui de
« paysan ». Cependant, bien que considérés formellement comme des citoyens à part entière
avec les mêmes droits et obligations, en tant que peuple, ils continuèrent d’être totalement
ignorés. Ceci continua jusqu’à la réforme constitutionnelle de 1992 : auparavant, il n’y a
aucune trace des mots « indiens » ou « territoires » dans l’économie juridique bolivienne.
Toujours est-il que, bien que leur manière d’être qualifié évolua d’indiens à paysans, il n’était
jugé aucunement nécessaire pour les autorités de déterminer leur spécificité collective. Une
seule caractéristique fut retenue : la langue comme témoin de l’existence des cultures
indigènes.
Avec le développement du droit international en la matière, l’apparition de lois et
normes spécifiques sur les droits des peuples originaires de Bolivie et les enquêtes et
recensements effectués au niveau national, la visibilité juridique s’est accrue. L’identification
de population indigène à partir des informations contenues dans les recensements a tout de
même été confrontée à diverses complications dans chaque pays où il existait une population
indigène. En ce qui concerne la Bolivie, l’apparition du critère de l’appartenance à un peuple
spécifique indigène ou originaire a été fondamentale pour la prise en compte du nombre de
personnes se considérant comme indiens. Concernant le recensement de 2001, ce critère a été
très significatif en plus de la langue parlée afin que les populations indigènes s’identifient à un
certain groupe.
Pour les sociétés soumises à une domination coloniale, la protection de la langue
constitue l’un des principal objectifs de leur lutte pour préserver, développer et transmettre
leur culture afin de s’assurer de la survie de leur groupe social. La colonisation a sans aucun
62
doute provoqué de profonds changements et altérations dans la dynamique des langues
indigènes. L’imposition de l’espagnol comme langue obligatoire et dominante dans la vie de
tous les jours a peu à peu remplacé les langues natives. Dans les endroits les plus reculés,
surtout dans les basses terres de Bolivie, principalement à cause de l’évangélisation et
l’importance des missions, la substitution des langues natives par l’espagnol a encore été plus
importante arrivant à un tel point que plusieurs populations, bien que considérées comme
indigènes par les autres, aient l’espagnol comme première langue.
Parallèlement, il existe aussi ce qu’on appelle des processus de transformations
linguistiques, principalement lors de l’expansion d’une langue dominante (l’espagnol) et une
diminution, voire disparition, des langues indigènes. Toutefois, dans certains contextes, parler
une langue indigène n’implique pas forcément l’appartenance sociale à un peuple indigène
déterminé ni même la reconnaissance par des tiers. C’est le cas de la langue guarani qui est
parlé au Paraguay aussi bien par des indiens que des non-indiens. En Bolivie, une situation
similaire existe dans la région de Cochabamba, particulièrement dans les milieux urbains, où
parler Quechua ne signifie pas forcément que la personne se considère ou soit considérée
comme formant partie du peuple originaire Quechua. 56
Cependant, malgré tous ces différents contextes où il peut être difficile de déterminer
si telle langue indigène parlée par telle personne signifie l’appartenance à un groupe
déterminé, le facteur langue ne perd pas son potentiel en tant que critère relativement
objectif. Grace à la présence de ce facteur dans les recensements, on peut effectivement
établir une estimation approximative de la population indigène. Il permet également de définir
des caractéristiques démographiques, sociales et économiques quant à la situation des
personnes parlant ou non une langue indigène.
Dans les recensements qui ont incorporé le critère de l’appartenance à un peuple
indigène déterminé, on peut constater qu’un nombre important de personnes nient leur
appartenance à cause de discriminations mais aussi que d’autres, croyant recevoir des
compensations économiques destinées aux populations indigènes, se déclarent comme tel.
Malgré ces limites, le sentiment d’appartenance constitue un élément décisif lorsqu’il faut
définir un groupe car cela signifie une acceptation expresse de la part d’individus qui
reconnaissent et acceptent de faire partie de communautés indigènes. Il ne s’agit pas
56 Ibid.
63
d’étiquettes qui leur ont été imposées par des personnes extérieures. Le sentiment
d’appartenance est d’autant plus déterminant et significatif car il a été établi par les normes et
lois internationales comme point central de la définition de la condition indienne.
Le recensement de 2001 présente des questions remaniées, notamment sur
l’ethnicité. L’ancien recensement posait la question suivante : " À quel groupe ethnique
appartenez-vous ? » ; et les résultats étaient très ambigus. Pour diverses raisons, de
nombreuses personnes faisant partie d’un groupe ethnique quelconque disaient appartenir à un
autre groupe ou ne faire partie d’aucun groupe. Ils ont donc substitué à cette question une
question sur la langue maternelle. Ainsi, en sachant quelle langue a d’abord été apprise, il
sera plus facile de déterminer ensuite le groupe ethnique auquel ils appartiennent. Parmi le
choix des langues, les personnes ont eu les possibilités suivantes : l’espagnol, l’aymara, le
quechua, le guarani, une autre langue native, une langue étrangère, ou rien. Concernant le
critère d’auto-appartenance, en plus de ceux cités, apparaissent le groupe Chiquitano et
Mojeno. Ainsi, la prise en compte des populations indigènes en Bolivie a réellement évoluée.
3) L’ethnicité dans la vie politique bolivienne aujourd’hui
La Bolivie possède le plus fort pourcentage de peuples indigènes d’Amérique Latine,
62 % de la population selon le Programme des Nations Unies pour le Développement
(PNUD), en 2006. Parmi les peuples indigènes, on estime que la majorité est représentée par
les Quechua (50,3 %) et les Aymara (39,8 %). À une degré moindre, bien que répartis à
travers de vastes territoires, on compte les peuples des basses terres comme les Chiquitano
(3,6 %) et les Guaraní (2,5 %). Les départements de l’orient bolivien comme la Paz,
Cochabamba, Potosí, Oruro et Chuquisaca possèdent la plus forte concentration indigène.
64
Les principaux peuples indigènes de Bolivie :57
La majorité indienne du pays se situe dans la partie occidentale du pays et les
départements où ils sont le moins présents sont ceux de la Media-Luna, les départements les
plus riches de Bolivie. Ceci démontre bien une claire coupure entre les deux identités
existantes à l’intérieur d’un même pays.
Distribution départementale de la population indigène et non indigène en Bolivie :58
Concernant la répartition géographique des populations indigènes, 77,7% seraient
concentrées dans le monde rural tandis que leur taux s’établit à 53,4% dans les centres
57 CEPAL,BID: Los pueblos indígenas de Bolivia: diagnostico socio demográfico a partir del censo de 2001,
juillet 2005 58 Ibidem
50,3
39,8
3,62,51,4 2,5
quechua
aymara
chiquitano
guarani
mojeno
autre
73
82
82
79
90
22
40
32
14
27
18
18
21
10
78
60
68
86
Chuquisaca
Cochabamba
Potosi
Santa Cruz
Pando
nombre en pourcentages
dép
arte
men
ts
indigènes
non indigènes
65
urbains59
. Cependant, ces statistiques ne sont pas si sures, car tout dépend de la définition
donnée aux termes « métis» et « métissage ». En effet, du côté des blancs, beaucoup de
créoles se disent « métis ».Il s’agit ici de métissage biologique plus ou moins marqué selon les
traits. Mais du côté indien, le métissage est plutôt vu sous un angle socio-économique. On
passerait du statut d’indien à celui de métis lorsqu’on s’élève dans la hiérarchie socio-
économique. Il reste donc le critère de « l’indianité ». Toutefois, ce critère aurait été aboli
pendant la Révolution de 1952 et dès lors il n’y aurait plus d’indiens en Bolivie mais des
paysans.
D’après le recensement effectué en 2001, 62% des Boliviens se considèreraient
comme indigènes. Les Quechuas (30%) et les Aymaras (25%) sont les deux groupes
ethniques les plus importants. Viennent ensuite les Chiquitanos (2,2%) et les Guaranis (1,5%),
puis une constellation de 32 « groupes ethniques » pesant chacun moins de 1% de la
population totale. Ces données n’ont donc pas tant de différence avec celles du PNUD.
Cependant, dès sa publication, le recensement de 2001 suscite beaucoup de critiques.
La plus importante concerne la question posée aux enquêtés afin de déterminer leur
« appartenance ethnique ». Ainsi, le questionnaire proposait une auto-identification aux
différents groupes ethniques, la grande majorité d’entre eux étant regroupés sous l’étiquette
« autre peuple autochtone » en raison de leur faiblesse démographique. Il écartait en revanche
des catégories habituellement employées en Bolivie pour se référer à ses origines, et n’offre à
ceux qui ne se reconnaissent pas dans les groupes cités qu’un simple « aucun groupe
indigène », synonyme d’absence d’identité. Ainsi des catégories d’usage courant telles que
« créole » (filiation espagnole) ou « afro-bolivien » (populations noires venues d’Afrique lors
des premiers siècles de colonisation espagnole) disparaissent. Un autre sujet qui a suscité une
polémique est la mise à l’écart du mot « métis » (sang indigène et blanc mêlés), pourtant
systématiquement utilisé dans les recensements depuis celui de 1900 et qui reste couramment
employé au sein de la population60
. Cette méthode de recensement a été soupçonnée de
gonfler artificiellement le nombre d’indigènes. Pourtant, en 2006, un rapport sur l’état de la
démocratie en Bolivie a affirmé que, en proposant la catégorie « métis », la même enquête par
auto-identification aurait obtenu les résultats suivants : 65% de métis et 19,3% d’indigènes.
59 Do Alto (Hervé), Stefanoni (Pablo), Nous serons des millions. Evo Morales et la gauche au pouvoir en
Bolivie, Raisons d’agir, 2008. 60 Ibidem
66
Pour d’autres, la transformation des indicateurs ethniques et démographiques constitue
une preuve du caractère « instrumentalisant » de la reconnaissance des identités indigènes. Un
regard plus politique considère que ces chiffres expriment la concrétisation d’un projet des
premières années de la révolution nationale qui était de fonder une identité bolivienne au-
dessus de tout clivage ethnique ou de classes dans la mesure où les chiffres illustreraient « le
processus de mélange racial, culturel et social » enclenché en Bolivie depuis un demi-siècle.
L’anthropologue bolivien Xavier Albo a défendu la méthode de ce recensement en distinguant
deux types d’auto identification : l’une « raciale », fondée biologiquement qui inclurait les
catégories « blancs » et « métis » ; l’autre « ethnique » qui comporterait une dimension
historique et culturelle renvoyant aux peuples dits « originaires ». Selon lui, il n’y aurait donc
pas de contradiction à ce que plus de 60% des Boliviens s’auto-identifient comme métis
tandis qu’un pourcentage équivalent se considère, dans ce recensement, comme appartenant à
un peuple « originaire ».
Comme le soulignent H. Do Alto et P. Stefanoni61
, les polémiques soulevées par le
recensement de 2001 soulignent surtout la grande flexibilité des identités sociales dans ce
pays. Enfin, une autre information qui peut encore plus prêter à confusion est le fait que les
peuples autochtones boliviens sont généralement désignés comme « originaires » dans les
Andes et « indigènes » en Amazonie. Sans qu’elle leur soit totalement imputable, cette
distinction difficilement objectivable provient entre autre du vocabulaire employé par les
ONG agissant auprès des organisations représentant les intérêts de ces populations. « Au sein
d’une majorité du mouvement syndical paysan, il existe un rejet significatif de toute étiquette
« autochtone » : c’est particulièrement le cas des syndicats de colonisateurs ou de certaines
fédérations départementales paysannes comme Tarija. C’est pourquoi la Constitution érige en
sujet de droit les populations « indigènes-originaires-paysannes », dès lors qu’il s’agit de
doter les communautés rurales de droits collectifs. »62
61 Ibid. 62 Molina (Fernando), Evolutions de la géographie du conflit bolivien, in La Bolivie d’Evo : démocratique,
indianiste et socialiste ?, Points de vue du Sud, Centre Tricontinental, ed. Syllepse, 2009
67
4) Premières formes d’instrumentalisation politique de l’identité et revendications
Les populations indigènes de Bolivie vont s’organiser progressivement afin de
revendiquer leurs droits, notamment à partir des organisations syndicales qui vont les
représenter et qui vont se former en Bolivie vers la fin des années 1970, début des années
1980. Quelques unes seront fortement influencées par le mouvement Katariste avant de s’en
détacher. L’idéologie du katarisme continue tout de même de planer sur la Bolivie et reste
dans la mémoire commune des populations indigènes.
a) Du katarisme au syndicalisme bolivien
Le katarisme63
, ayant émergé au sein d’un syndicalisme paysan très structuré issu de la
révolution nationale-populaire a réussi à reconstruire une identité indigène, là où les militaires
comme les gouvernements du Mouvement National Révolutionnaire (MNR) ne voulaient voir
que des « paysans ». Il contribua à rénover ce syndicalisme paysan bolivien, jusque-là allié
aux régimes militaires. Ses leaders cherchèrent à lutter contre la cooptation des dirigeants
syndicaux et à élaborer une idéologie indianiste sur laquelle s’appuyer dans les luttes.
De là découle une idéologie théorisant la double oppression du paysan, par sa
condition économique, mais aussi par sa condition d’indigène victime de discriminations au
sein d’un État colonial. Il s’agirait d’une libération à la fois culturelle et politique pour
l’Indien. Le manifeste de Tiwanaku, diffusé en 1973, met en forme cette nouvelle vision. Les
principaux dirigeants du katarisme, comme Genaro Flores, jouèrent par la suite un rôle-clé
dans la lutte pour le rétablissement de la démocratie. Les liens avec les militaires furent
définitivement rompus avec la fondation de la CSUTCB (Confédération syndicale unique des
travailleurs paysans de Bolivie) en 1979, et son adhésion à la Centrale Ouvrière Bolivienne
(COB) l’année suivante, première étape de la construction d’un syndicalisme paysan de lutte
en Bolivie. Avec la création des partis politiques « kataristes » apparaît très clairement l’idée
63 Le katarisme fait référence au leader indigène Tupac Katari qui dirigea un soulèvement autour de La Paz à la
fin du XVIIIe siècle. Les rebellions indiennes de la seconde moitié du XVIIIè siècle culminent en 1779-1781
sous la conduite de Tupac Katari pour la zone aymara, au sud du lac Titicaca, et de Tupac Amaru pour la zone
quechua comprise entre Cuzco et le lac. Les deux chefs indigènes demeurent les symboles de la résistance
indienne et, en Bolivie, sont explicitement associés soit à des mouvements paysans syndicaux ou politiques tels
que le Movimiento Revolucionario Tupac Katari de Liberacion(MRTKL) et Movimiento Katarista Nacional
(MKN) soit à des organisations de lutte armée telles que l’Ejercito Guerrillero Tupac Katari (EGTK) dont le
leader Felipe Quispe a été l’un des principaux cadre en promouvant une insurrection indigène contre le
gouvernement bolivien dans les années 1990.
68
que les « nations indiennes » doivent s’autogouverner Ŕ du moins est-ce le discours du
Movimiento Indígena Tupak Katari (Mitka).64
« Durant cinq siècles, nous avons été entrainés à ne pas nous voir. Cela à cause de plusieurs
masques qui nous empêchent de voir notre véritable visage qui est un visage de visages, un
visage multiple. L’un deux est l’organisation élitiste de la société qui a réservé à quelques-uns
le droit à la création, comme s’il s’agissait d’un privilège et non d’un droit. Un autre de ces
masques est le racisme qui a réduit la culture latino-américaine à une œuvre de Blancs
pendant que l’élitisme la réduisait à une œuvre de riches. Un système où les riches sont
normalement Blancs parce que ce qu’on appelle démocratie sociale est un système où ceux
qui ont la peau foncée sont en bas et ceux qui ont la peau plus claire en haut ».
Entretien avec Eduardo Galeano, Literatura Diurna: La realidad es un desafio, 24 janvier 1993, in 500 ans et
l’identité indienne en Bolivie, op.cit
Le mouvement indigène de l’Orient bolivien apparaît dans les années 1980, en grande
partie grâce à l’appui d’institutions comme l’Eglise Catholique, d’ONG et d’organismes
internationaux comme l’OIT, le FMI ou la Banque Interaméricaine de Développement. Il a
aussi été impulsé par divers dirigeants indigènes et a connu un développement assez différent
de celui de la région andine car il est composé de « peuples indigènes » d’une grande
diversité. On a souvent qualifié de « génocide » ou « d’ethnocide » les massacres commis
contre les populations de l’orient bolivien car, leur nombre ayant été considérablement réduit,
elles n’ont pas eu les mêmes capacités de résistance que les populations indigènes de
l’Altiplano. Après un long processus d’organisation est née la CIDOB, la Confédération
indigène de l’Orient Bolivien. Les stratégies politiques de ce mouvement ne tournent pas
autour de la mobilisation de masse ni autour des actions directes mais plutôt autour d’une lutte
légale venant d’une structure organisée et assez institutionnalisée avec une forte présence
d’indiens travaillant au sein de diverses ONG. A une étape de son histoire, ce mouvement a
eu des relations directes avec le gouvernement en demandant à celui-ci d’agir en tant
64 Lavaud (Jean-Pierre), Bolivie : un avenir politique hypothéqué ?, Nueva Sociedad, n°209, mai-juin 2007
69
qu’arbitre afin de les protéger des grandes entreprises agroindustrielles et autres. Cette attitude
se différencie du mouvement indigène de l’altiplano qui interpellait et avait des affrontements
radicaux avec l’Etat.
Dans les années 1990, la représentation ethnique de l’altiplano Oruro, Potosí, La Paz a
été modifiée par l’apparition du Conseil des ayllus et des markas du Qollasuyu (Conamaq).
En opposition avec les syndicats paysans Ŕ considérés comme des organisations de type
occidental, et donc colonialistes Ŕ, ce conseil a été progressivement construit sur la base
d’organisations locales épousant la forme d’anciens terroirs indigènes (ayllus, markas, suyus)
qui se sont d’abord réunis en fédérations ethniques, jusqu’à aboutir au conseil national.
L’ensemble des organisations ethniques qui ont ainsi vu le jour revendiquent non seulement le
respect de leur culture (langue, usages, rituels…) mais encore la propriété d’un territoire
propre et de ses ressources, et finalement l’administration de ce territoire selon leurs usages
spécifiques (mode de désignation des autorités, justice communautaire).
En 1990, plusieurs centaines de représentants de diverses ethnies ont effectués pendant
plus d’un mois une « Marche pour le Territoire et la Dignité » depuis les plaines orientales
jusqu’à La Paz. Une délégation de paysans aymaras de la Confédération syndicale unique des
travailleurs paysans de Bolivie (CSUTCB) est venue à leur rencontre. L’événement
symbolisait la jonction de deux mouvements qui, jusque la, s’ignoraient ou ne se percevaient
qu’à travers préjugés et stigmatisations. En réalité, c’est à l’ensemble de la population
bolivienne que les indiens des basses terres, marginalisés de la vie politique et sociale, ont fait
connaître leurs revendications. Cette marche avait une portée historique car elle traduisait une
volonté de la part des indiens de sortir d’une invisibilité ancestrale. Elle fut aussi un acte
d’affirmation de soi et d’appartenance à la nation en ayant un impact politique. Ainsi, le
gouvernement de Jaime Paz Zamora fut l’un des premiers en Amérique latine à ratifier en
1991, la Convention 169 de l’OIT sur les droits des peuples indigènes et tribaux, même si
cette ratification fut suivie de peu d’effets.
Lors du « Congrès Organique » de la COB (Central Obrera Boliviana), la
Confédération paysanne (CSUTCB) réussi à faire accepter par la Centrale l’intégration « du
caractère multinational de la Bolivie en promouvant la création d’une Assemblée de l’unité
des nations originaires (…), laquelle est effectivement admise et officiellement instaurée par
70
les manifestations du 12 octobre ».65
Ainsi, sa proposition de résolution énonce clairement
« l’objectif doit être la lutte pour le territoire, la dignité, la souveraineté et l’auto-
détermination, en plus des revendications des travailleurs, c'est-à-dire avec un contenu de
classe, nation et culture. L’objectif n’est donc pas de défendre l’Etat actuel, mais de lutter
pour un Etat multinational et pluriculturel ».66
b) Les manifestations contre la commémoration des 500 ans de la
découverte du continent latino-américain en Bolivie
12 octobre 1992 : jour anniversaire de l’arrivée de Christophe Colomb sur les côtes
d’Amérique, en 1492. Si cette date est célébrée par certains, ce n’est pas le cas pour tous et
encore moins pour les populations indigènes qui exprimeront leur rejet de la colonisation en
Amérique du Sud. En Bolivie, dans la ville de La Paz, la plus indienne du continent, des
célébrations pacifiques marqueront l’événement.
« Entre le 5 et le 12 octobre, 30 000 paysans marchent vers La Paz et à leur arrivée,
sacrifient, selon la tradition, un lama blanc sur la place San Francisco, lieu de toutes les
manifestations et revendications ».67
Le thème de la manifestation à La Paz est de renouveler
symboliquement le siège de la ville réalisé en 1781 par Tupac Katari lors de la révolte
aymara. A El Alto, ville jumelle de La Paz, à 4000 mètres d’altitude, la whipala68
est hissée
sur la place Libertad. Des discours prononcés à la marche de La Paz dénoncent l’oppression
d’hier avec les Espagnols mais aussi celle d’aujourd’hui avec les Etats-Unis. Bien sur, les
orateurs n’oublieront pas de remercier la Pachamama, la Terre Mère, vénérée par les peuples
andins, qui n’a cessé, selon eux, de protéger les Aymaras depuis 500 ans. Une autre
manifestation se déroula ce jour là à Sucre : « 25 00 paysans entrés dans la ville par les quatre
65 Franqueville (André), Les 500 ans et l’identité indienne en Bolivie, Incertitudes identitaires, cahier des
Sciences Humaines, vol. 30, no 3, 1994 66 Ibidem 67 Ibid 68 Ce drapeau carré constitué de 49 cases- ce qui le fait presque ressembler à un échiquier- reflète les couleurs de
l’arc en ciel avec, au centre, une diagonale blanche. La couleur de la diagonale majeure est propre à chacune des
4 parties qui constituaient l’ancien empire Inca ; celle de la partie Kollasuyu (actuellement Bolivie andine et sud
du Pérou) est blanche. Ce drapeau représentait d’abord les indigènes boliviens mais devînt depuis le drapeau de
toutes les populations indigènes du contient. Il semble, selon certains, que ce drapeau existait bien avant
l’arrivée des Espagnols : des vases cérémoniels précolombiens en portaient la trace. En 1780-1781, lors du
soulèvement des Andes du Sud dirigé par Tupac Amaru, les frères Katari firent flotter ce drapeau, en particulier
au siège de La Paz. C’est sous le gouvernement « révolutionnaire » du Mouvement Nationaliste Révolutionnaire
(MNR) que la whipala devint le symbole des communautés indigènes en lutte pour la réforme agraire. Depuis,
on la retrouve dans toutes les manifestations de protestations et de revendications des paysans indigènes de
l’Altiplano.
71
coins cardinaux élèvent leur protestation contre 500 ans d’humiliation et réclament plus de
justice et de dignité ». 69
Les manifestations du 12 octobre 1992 reprennent les revendications déjà très
largement exprimées dans le Manifeste de Tiwanaku70
: reconnaissance des langues et
cultures autochtones, reconnaissance de la feuille de coca comme élément de culture
populaire mais aussi dénonciation du racisme et du colonialisme. Quatre leitmotivs se
détachèrent avec insistance selon André Franqueville : le rejet du passé colonial, la
condamnation des temps présents, une tendance à la résurrection d’un passé colombien, qui
parfois cadre avec la recherche d’un projet pour le futur. L’Espagne et les gouvernements
latino-américains ne savent plus comment nommer cet évènement sans que la formule choisie
fâche les communautés indigènes et ne fasse l’objet de critiques. Ce qui a cependant souvent
été le cas. Ainsi, on l’a d’abord appelé « Cinquième Centenaire de la Découverte » puis
« Cinquième Centenaire de la rencontre des Deux Mondes », tandis que les peuples indiens
voient plutôt cela comme « 500 ans de résistance ». Enfin, pour l’Eglise catholique, il s’agit
de « 500 ans d’évangélisation ».71
Le choix de l’expression « pueblos originarios » retenu pour cet événement n’est
d’ailleurs pas sans intérêt. En effet, il s’agissait de trouver un dénominateur commun à tous
ces peuples d’Amérique Latine qui ont souffert et il fallait qu’aucune identité ne soit laissée
de coté. Le terme « indio » a bien sur été abandonné car il a une connotation trop péjorative et
est encore et surtout marqué par la colonisation. Celui de « campesino » a été jugé trop
restrictif tandis que celui d’ « andino » n’incluait pas les peuples de l’Amazonie et du Chaco.
L’Eglise catholique a aussi joué un rôle important dans la lutte pour la reconnaissance
des populations indigènes. Déjà en 1990, l’Eglise locale se joint à la Marche pour le territoire
et la Dignité et l’archevêque de l’Eglise de La Paz déclarera que son église ne participera pas
aux festivités concernant les 500 ans de la découverte des deux mondes car son église
« partagent la douleur et l’injustice dont souffrent ces peuples ». Ceci constitue une avancée
mémorable pour l’époque quand l’on sait l’implication qu’a eue l’Eglise catholique dans
l’extermination et l’asservissement à l’esclavage des communautés autochtones. A la même
69 Franqueville (André), Les 500 ans et l’identité indienne en Bolivie, op.cit 70 Apparu en 1973 à La Paz, le Manifeste de Tiwanaku pose le principe selon lequel l’indispensable
développement ne peut se faire que par le biais d’un mouvement politique indien autonome tenant compte des
valeurs culturelles indiennes. Il deviendra l’un des documents de référence pour le katarisme. 71 Franqueville (André), Les 500 ans et l’identité indienne en Bolivie, op.cit
72
époque, l’Eglise catholique de Bolivie lança une « campagne de solidarité avec les droits des
peuples originaires » exprimant ainsi son soutien au projet de loi qui vise à reconnaître leur
identité culturelle et ethnique ainsi que le droit à avoir un territoire propre. Enfin, l’Eglise
bolivienne s’investira notoirement dans le plaidoyer pour la reconnaissance des populations
autochtones à l’intérieur de l’Eglise lors de la quatrième Conférence des évêques latino-
américains (Célam), en octobre 1990 à Saint Domingue.
Selon André Franqueville, il y aurait sans aucun doute, dans ce mouvement, une
tendance au retour vers un passé précolombien, souvent simplement évoqué par quelques
mots censés représenter ce que fut l’histoire grandiose du continent avant l’invasion
espagnole. Ainsi, donne t-il l’exemple du mot Abya Yala qu’utilisent les Kuna en Equateur
pour désigner le continent et qui tend à entrer aussi bien dans le vocabulaire syndical bolivien
que dans celui des anthropologues malgré la distance géographique et culturelle entre ces
deux peuples. « Revivifier le passé grandiose, fut-il partiellement imaginaire, permet
d’enraciner le futur »72
.
« Je reviendrai et nous serons des milliers », tels sont les derniers mots que prononcent
Tupac Katari en héritage, juste avant de mourir. Mais au-delà de ces mots « porteurs
d’utopies, la revendication du passé peut se faire plus précise et se traduire en véritable
programme politique ». Tel est le cas du parti katariste MNK qui, alors que les élections de
1993 approchent, base sa proposition économique sur le modèle de l’ayllu, bien plus tard
reprise par Evo Morales. L’ayllu représente l’antique communauté précolombienne fondée sur
la réciprocité, le troc. Cette proposition est sans aucun doute présentée comme alternative au
modèle néolibéral. La proposition énoncée le 12 octobre lors des manifestations
commémoratives énonce le besoin de créer un Etat plurinational et multiculturel, où l’on
mettrait en place la première assemblée des nations originaires et qui serait constituée d’élus
de chaque province. Celle-ci se convertirait alors en une sorte de Parlement qui installera ce
nouvel Etat.
Ce même jour, le manifeste proclamé à Cochabamba stipule que les nations originaires :
- « n’obéiront plus aux lois et décret de l’Etat capitaliste et des gouvernements de
l’oligarchie qui n’auront pas été élaborés avec leur participation ;
72 Ibidem
73
- Récupéreront leur territoire en expulsant les « patrons » qui continuent à en exploiter
les terres et les ressources naturelles non renouvelables (or, pétrole) et renouvelables
(bois) ;
- Exigent la mise en place d’un projet d’éducation interculturelle bilingue, projet
historique d’éducation des peuples originaires ;
- Insistent sur la lutte nécessaire pour détruire l’impérialisme nord-américain et ses
agents serviles que sont l’oligarchie nationale, laquelle s’est accaparée du pouvoir
depuis 500 ans ».
Cependant, il est essentiel de constater qu’à cette époque, dans ces fortes
revendications, il n’y a aucun désir de démembrement du pays ou autre volonté antinationales.
Elles exigent plutôt la transformation de cet Etat injuste et non reconnaissant de leurs droits en
un nouvel Etat qui soit capable d’accepter la pluralité nationale et culturelle qui existe sur son
territoire. Ainsi, les communautés autochtones dénoncent cette prétendue unité qui n’est que
fictive. « Les peuples indigènes demandent à être reconnus de l’intérieur de l’Etat et de jouir
des droits qui sont les leurs en tant que tels ».73
Ils posent au gouvernement un défi d’une
ampleur considérable mais néanmoins nécessaire : celui de reconstruire une unité basée sur
une diversité reconnue et acceptée comme telle. Ils exigent aussi une coparticipation en ce
qui concerne l’administration des ressources naturelles.
« Ce mouvement a mis à jour le démantèlement du paradigme national sur lequel,
croyait-on, était fondée la nation bolivienne depuis la Révolution de 1952 et dont les piliers
étaient l’unité, le métissage, le monolinguisme et la religion catholique. L’existence de
« l’autre » ne peut plus être esquivée et questionne l’Etat et la nation tout entière car il s’agit
de refonder, mais obligatoirement d’une autre manière, l’idée même de nation bolivienne ».74
Comme l’explique A. Franqueville, l’une des caractéristiques du mouvement indien actuel
aussi bien en Bolivie qu’ailleurs, est « celle d’avoir su réunir dans une même revendication
aussi bien les problèmes de la classe paysanne que ceux de l’ethnie, synthèse originale qui
s’est forgée ici dans les luttes communes des mineurs et des paysans contre les dictatures
successives ».
73 Ibid. 74 Ibid.
74
Les peuples autochtones en Bolivie non seulement n’ont pas disparu, mais cherchent à
revaloriser peu à peu leur identité fondée sur la langue et la culture, la participation au pouvoir
et dans certains cas le territoire. Les acteurs de ce renversement historique que constitue la
question indienne qui a évolué de la soumission à l’émancipation, de la résistance passive à
l’initiative, sont presque les seuls à combiner conflits sociaux, visées démocratiques ou enjeux
culturels au sein de leurs luttes. Et c’est sans doute pour cela qu’ils ont un retentissement
beaucoup plus grand que d’autres, que leurs revendications, leurs idées ne restent pas confinés
au sein seule d’une communauté, d’une région ou même d’un état.75
II) L’élection d’Evo Morales, un nouveau tournant pour le pays ?
Lorsqu’Evo Morales accède au pouvoir, il s’agit aussi d’une victoire pour un ample
mouvement populaire, représentatif de la diversité sociale et culturelle bolivienne. Dirigé par
une personnalité en laquelle se reconnaissent de larges secteurs de la population indienne et
non-indienne, y compris la classe moyenne, Evo a su séduire les masses avec son projet
politique. L’événement revêt une signification majeure pour la Bolivie et pour l’ensemble du
continent car c’est la première fois qu’un Indien se revendiquant comme tel accède à la
présidence d’une république latino-américaine. Les « décolonisations » du XIXème
siècle ont
été effectuées par des élites créoles et métisses et ont signifié pour les populations indiennes
l’instauration d’une sorte de « colonialisme interne » se traduisant par une perpétuation des
rapports de domination, de spoliation et d’exploitation et par du racisme. La victoire d’Evo
Morales représente donc l’opportunité d’une véritable décolonisation grâce à l’accès du
peuple indien au pouvoir.
Evo Morales a su rassembler aussi bien la classe paysanne qu’indigène autour de son
mouvement politique, le MAS (Movimiento Al Socialismo) et qui a su s’imposer comme
leader lors des événements ayant provoqué une grande instabilité dans le pays, notamment dès
2002. Son arrivée au pouvoir a bouleversé la Bolivie toute entière et les changements radicaux
ayant eu lieu ont enfin profité aux populations indigènes boliviennes. Bien qu’elle soit
75 Lavaud (Jean-Pierre), « Bolivie : un avenir politique hypothéqué ? », Nueva Sociedad, n°209, mai-juin 2007
75
majoritairement indienne, la Bolivie possède des régions où les blancs et les créoles ont plus
de poids au sein de la société bolivienne. Ainsi la population des départements formant la
Media- Luna (Santa Cruz, Tarija, Beni, Pando), départements les plus riches de Bolivie, n’ont
pas vu du même œil que la majorité indienne l’arrivée au pouvoir d’Evo Morales. Suite aux
nombreuses réformes élaborées par le nouveau gouvernement, divers conflits ont éclaté
provoquant une instabilité politique dans le pays.
Evo Morales reçoit « le bâton de commandement » de la part d’autorités religieuses aymaras lors de la
cérémonie sur les anciennes ruines inca de Tiwanaku, le 21 janvier 200676
76 Cet événement montre à quel point encore aujourd’hui les rites traditionnels des populations indigènes ont une
importance cruciale. Morales a ainsi été désigné chef suprême de toutes les communautés indiennes d’Amérique
du Sud avant même d’être déclaré Président de la République de Bolivie lors d’une cérémonie à Tiwanaku. Les
anciennes religions et anciens rites font donc toujours partie du quotidien de nombre de peuples indigènes.
lati
nre
po
rter
s.co
m
76
1) De cocalero à président de la Bolivie : retour sur le parcours de Morales
a) Force de mobilisation des cocaleros et des organisations syndicales
boliviennes
Issue d’une famille de paysans pauvres de l’Altiplano bolivien, Evo Morales a effectué
divers petits travaux avant de s’impliquer dans le combat politique et la lutte syndicale afin
de défendre les intérêts des cocaleros, habitants de la région du Chapare dont les revenus sont
principalement générés par la production de coca. Cette vallée tropicale de colonisation
agricole dans le département de Cochabamba a connu un boom de la production de la feuille
de coca dans les années 1970-1980 et a attiré un grand nombre de paysans sans terres, mais
aussi d’anciens mineurs « délocalisés » lors de la fermeture des principales mines d’étain.
Considérée comme sacrée, la coca joue un rôle très important dans la culture andine (cf
encadré ci desous) où elle est utilisée aussi bien pour ses vertus médicinales que dans les rites
traditionnels. Elle a aussi un caractère de substitut nutritionnel : les travailleurs des mines qui
la mâchent peuvent multiplier leur rendement par deux et jeûner plusieurs heures durant.
Culture de la coca et culture alternative :
Dans les régions cocaleras, les revenus générés par la production de coca sont supérieurs
non seulement à ceux des produits alternatifs, mais également à ceux des activités non
agricoles. La culture de la coca présente l’avantage d’exiger une grande quantité de main
d’œuvre (ce qui entraîne la création de nombreux emplois) tout en requérant peu de capital.
Par ailleurs, les étapes postérieures à la plantation (effectuée par des hommes adultes)
emploient autant de main d’œuvre masculine que féminine, et même les enfants âgés de plus
de dix ans : la récolte n’est pas mécanisable. La coca est un produit rentable même
lorsqu’elle est cultivée en petites parcelles, et sa commercialisation n’engendre pas de
grandes différences sociales. Au contraire, elle favorise la structuration de communautés de
petits producteurs qui se partagent le travail à travers la forme d’organisation de la vie
sociale héritée du concept d’ayni (système d’échange de travail ou de bien). Enfin, la
simplicité des techniques de plantation de coca dans le Chapare permet à quiconque d’entrer
immédiatement dans la chaine productive(…). Les produits alternatifs (banane, café,
ananas) ne bénéficient d’aucun de ces avantages : il s’agit de cultures généralement plus
techniques, incluant l’utilisation de fertilisants et de pesticides, plus coûteuses et moins
rentables dans le cadre de petites propriétés agraires.
Source : Do Alto (Hervé) et Stefanoni (Pablo), Nous serons des millions. Evo Morales et la gauche au pouvoir
en Bolivie, Raisons d’agir, 2008
77
Dans le Chapare, la coca est donc la principale culture commerciale. Cependant, à
partir du milieu des années 1980, cette région va être marquée par l’éradication
« compensée » des plantations de coca (compensation financière offerte par l’Etat pour
l’éradication des champs de coca) puis par les affrontements sociaux suscités par l’éradication
dite non compulsive conduite principalement sous les gouvernements de Banzer et Quiroga
(1997-2002). La coca du Chapare est dans la ligne de mire des Etats-Unis qui ont lancé une
active campagne anti-drogue dans plusieurs pays latino-américains, soutenant militairement
les gouvernements en place comme en Bolivie. Le plan établit que la cocaïne est un stupéfiant
dont la Bolivie est l’un des principaux producteurs et signale que les terres aptes à la culture
de la coca sont justement les terres de la région du Chapare. Le plan énonce donc
catégoriquement qu’il faut éradiquer les plantations de coca afin d’éliminer la production de
cocaïne. L’administration Clinton fait pression pour que soit approuvé ce plan d’éradication
de la coca en Bolivie.
C’est donc sous la présidence de Banzer (1997-2001) qu’est élaboré le plan Dignité
dont le slogan se résume à « Coca zéro » et vise la sortie définitive de la Bolivie du circuit des
narcotrafiquants par le biais de l’éradication forcée et sans aucune compensation financière.
« Le développement alternatif est promu par la coopération européenne, les Nations Unies et
l’aide provenant des Etats-Unis. Son application exclut non seulement les habitants des
régions concernées, mais également et surtout les organisations syndicales, et elle est
directement liée à des programmes d’éradication à caractère répressif. Il n’y a aucune
recherche de débouchés pour les produits de substitution proposés par les techniciens
étrangers. Il n’y a aucun développement significatif de l’infrastructure productive du
Chapare».77
C’est donc en résistant à cette politique d’éradication que les organisations de
petits producteurs de coca, où cocaleros, vont parvenir à s’organiser et à devenir l’un des plus
importants mouvements sociaux du pays. Les cocaleros trouveront un appui et une force au
sein des syndicats paysans de Bolivie et sauront s’organiser politiquement afin de faire
entendre leurs revendications.
Au début des années 1980, il existe dans l’orient bolivien et principalement dans le
Chapare, six fédérations locales indépendantes les unes des autres. Ce mouvement souffre de
77 Do Alto (Hervé), Stefanoni (Pablo), Nous serons des millions. Evo Morales et la gauche au pouvoir en
Bolivie, op.cit
78
désaccords stratégiques dans la mesure où ces six fédérations sont alliées à des confédérations
paysannes différentes. Quatre d’entre elles sont alliées à la Confédération des Communautés
Originaires de Bolivie (CSCB) et les deux autres à la Confédération syndicale unique des
travailleurs paysans de Bolivie (CSUTCB). Les cocaleros sauront être de plus en plus
influents au sein de cette dernière, notamment grâce au fait qu’ils aient su généraliser la
défense de la feuille de coca à l’ensemble du syndicalisme paysan. C’est lors du premier
congrès extraordinaire de la CSUTCB en 1988 qu’est proposé la thèse dite de « l'instrument
politique » qui défend la création d'un parti politique qui permettrait la participation des
syndicats paysans au jeu électoral. Bien qu’il y ait beaucoup de débats sur la question, cela
n’empêche pas les syndicats cocaleros de réfléchir aux meilleures alliances politiques pour les
élections générales de 1989. En effet, ils iront chercher un soutient du côté des forces
politiques susceptibles de s’opposer à la campagne d’éradication de la coca. Ces élections
constitueront la première expérience politique des cocaleros.
Cependant, ces deux confédérations ne seront pas les seules de Bolivie, car à la même
époque à l’est du pays, on voit surgir un mouvement qui se définit comme indigène. Sont
présentes dans cette région la Confédération des peuples indigènes de l’est bolivien (en
espagnol, CIDOB), l’Assemblée du Peuple Guarani (APG), la Centrale des peuples indigènes
du Béni et la Coordination des peuples ethniques de Santa Cruz. Structurées autour de la
défense du territoire, ce nouveau mouvement bénéficie du contexte international avec
notamment la préservation de l’environnement revendiquée par diverses institutions et ONG
qui commencent à intégrer dans leurs actions la défense des peuples indigènes. C’est lors de
la campagne célébrant les « cinq cent ans de résistance des peuples indigènes » à la
colonisation que vont s’unir les revendications des indigènes de l’Orient et de l’Occident
bolivien. On trouve parmi elles, la défense de la feuille de coca pourtant absente de la culture
des indiens d’Amazonie. Ce processus d’unité paysanne et indigène va se concrétiser au
niveau de plusieurs alliances les années suivantes. Des mobilisations telles que la Marche
pour la vie, la coca et la souveraineté nationale de 1994 illustrent le succès rencontrés par les
cocaleros dans leur entreprise visant à faire de la défense de la feuille de coca une cause
nationale. Avec l’ingérence des Etats-Unis sur le territoire bolivien imposant leur plan
d’éradication de la coca, on voit apparaître peu à peu l’émergence d’un discours nationaliste.
1996 est une date importante pour Evo Morales : cette année là, il sera élu à la tête des
six fédérations cocaleras de la région du Chapare et obtiendra en plus un siège au parlement
79
avec plus de 70% de voix dans sa circonscription. C’est sur les bancs de la chambre des
Députés qu’il dénoncera vivement la militarisation du conflit cocalero dans le Chapare. Il
invoquera même le droit des paysans à résister militairement aux troupes chargés de
l’éradication. Ceci provoquera un scandale au sein des élites politiques et, en 2002, la
Commission d’éthique du parlement prononcera la destitution du député Evo Morales lui
faisant même endosser la responsabilité morale de la mort de quatre militaires et d’un policier,
lors d’affrontements entre les cocaleros et les forces répressives.
Cependant, en 1998, bien que la CSUCTB soit passée par divers affrontements
internes connaissant des dissensions avec les autres fédérations, Evo Morales crée
l’Instrument Politique pour la Souveraineté des Peuples (IPSP). Puis, en 1999, tentant de
renforcer son projet politique, Morales récupère le sigle du Movimiento Al Socialismo
(MAS), petit parti ouvrier en déclin mais néanmoins pourvu d’une personnalité juridique. En
même temps, l’IPSP assume un profil plus « anti néolibéral » et « anti-impérialiste » qu’
« anticapitaliste ». En effet, il s’agit d’une époque d’ingérence états-unienne sur le territoire
bolivien ; les Etats-Unis ayant mis en place leur plan d’éradication de la coca. Cette dernière
va de plus en plus devenir un symbole de dignité et de souveraineté nationale. L’un des axes
du parti d’Evo sera d’ailleurs illustré par le slogan « coca=souveraineté » dans un contexte de
guerre larvée qui provoquera des victimes parmi les cultivateurs de coca. La signification
majeure de la coca dans la culture des peuples indigènes sera illustré par le slogan :
« coca=identité ». Ces deux idées se veulent donc en complète opposition avec celle prônée
par les Etats-Unis « coca=cocaïne ».
Dans son programme et sa manière de fonctionner, le MAS séduit. En effet, il a su
articuler le social et la politique faisant preuve d’une efficacité électorale basée sur sa capacité
et celle d’Evo à se lier aux populations urbaines et à savoir porter dans la sphère
institutionnelle les revendications de lutte contre le modèle néolibéral. Le MAS a su toucher
une large couche de la population. En son sein « s’articulent de manière plus ou moins
cohérente des éléments du discours nationaliste révolutionnaire des années 1950 joignant un
nationalisme et un anti-impérialisme dans la revendication de nationalisation de l’économie,
et du katarisme des années 1970 fondé sur une dénonciation du « colonialisme interne ».78
78 Ibidem
80
Malgré l’absence de structures organisationnelles et institutionnelles préétablies au
sein du MAS, celui-ci n’en arrive pas moins à s’adapter facilement au contexte politique
régnant dans le pays. Ainsi, Alberto A.Zalles le défini comme « mouvementiste ». « Ce
mouvement constitue un canal d’expression politique flexible, qui facilite l’existence du
« parti » politique en tant que tel. Econome en règles et en institutions, le mouvementisme
autorise les revirements soudains dans l’action et le discours. Dans un pays comme la Bolivie,
fragmenté aussi bien sur le plan ethnique que régional et caractérisé par un développement
inégal qui démultiplie les segments de classe, il n’est possible de s’organiser et de se
coordonner dans une action politique nationale qu’au travers de mouvements collectifs,
revendicatifs, syndicaux ou paysans. En somme, les partis au sens classique du terme
n’existent pas en Bolivie, sinon uniquement en tant que représentations de petits groupes,
socialement ou ethniquement compartimentés ».79
Le MAS a su notamment mettre à profit les manifestations sociales qui agitent le pays
depuis la fin des années 1990 mais a aussi repris à son compte les revendications des
populations autochtones, en redonnant un rôle central à la figure de « l’Indien » luttant pour la
réhabilitation d’une identité opprimée par cinq cents ans de domination coloniale. Cette
nouvelle gauche sait séduire. Bien que cet « archipel de mouvement sociaux et syndicaux » ait
une culture politique et souvent des objectifs différents, ses composantes s’accrochent à un
socle commun : « un nationalisme révolutionnaire réactualisé, intégrant une dimension
ethnique et culturelle traditionnellement absent du bagage de la gauche classique »80
b) Guerre de l’eau et guerre du gaz : ou comment l’indianité va devenir
une source de capital politique
En 2000, alors que le gouvernement décide de privatiser le système municipal de
gestion d’eau de la ville de Cochabamba, une série de mobilisation va se dérouler dans la
troisième plus grande ville de Bolivie. Les organisations syndicales rejointes par une
multitude d’habitants vont férocement s’opposer à ce projet. Ce cycle de violentes
manifestations se conclura par l'annulation du contrat de concession de service public accordé
pour quarante ans à l'entreprise nord-américaine Bechtel et par l'abolition de la loi 2029, qui
79 Zalles (Alberto A.), Ecueils et déboires de la nouvelle constitution bolivienne, Points de vue du Sud, Centre
Tricontinental, ed Syllepse, 2009. 80 Do Alto (Hervé) et Stefanoni (Pablo), Nous serons des millions. Evo Morales et la gauche au pouvoir en
Bolivie, op.cit
81
prévoyait la privatisation des eaux du pays. Ce sera la première mobilisation d’ampleur
capable de transcender les appartenances corporatives, la coordination parvenant à mobiliser
côte à côte syndicats d’ouvriers, de paysans, d’étudiants et associations d’usagers. Un succès
qui repose sur l’alliance entre secteur urbain et paysan et qui voit apparaître comme
protagoniste de premier plan un groupe social : les cocaleros avec à leur tête Evo Morales.
Au mois de septembre 2003, d’autres manifestations auront lieu suite à une autre
réforme prévoyant cette fois-ci l’exportation d’hydrocarbures de la deuxième plus grande
réserve de gaz d’Amérique latine, découverte quelque temps auparavant, vers le Chili d’abord
puis le Mexique et les Etats-Unis. Dans un pays où la majorité des foyers ne disposent pas
d’un raccordement au gaz, l’ambition gouvernementale est perçue comme le prolongement
d’une histoire nationale marquée par le saccage des ressources naturelles dont la société n’a
jamais pu bénéficier. Le nationalisme anti-chilien qui caractérise les premières semaines de
mobilisation va se transformer graduellement en une remise en cause plus générale de la
politique économique néolibérale du gouvernement.81
Au début, le débat sur l’exportation du
gaz revêt différentes formes : certains souhaitent l'exportation à travers le Pérou, la plupart
souhaite la transformation du gaz sur place, plutôt qu'à l'étranger, afin de favoriser
l'industrialisation du pays et de bénéficier de la valeur ajoutée du gaz transformé. La
nationalisation n'est demandée au départ que par une minorité radicale.
Ces mobilisations, menées par Evo Morales et Felipe Quispe,82
vont durer plusieurs
semaines avant que le calme ne revienne. Elles auront lieu dans les principales villes du pays
à l’appel du MAS mais aussi de la Centrale Ouvrière Bolivienne (COB) et vont générer un
début de paralysie aussi bien du secteur public que privé. Les manifestants iront jusqu'à
exercer un blocus envers La Paz : aliments, carburants, et médicaments n’y parviendront plus.
Ce sera à nouveau l’armée qui rompra ce blocus, de manière extrêmement violente. Il y aura
notamment 69 morts dans la ville d’El Alto. En réagissant si brutalement face à ces
manifestations, le gouvernement se mettra à dos toute la population bolivienne.
Parallèlement à une mobilisation accrue des différents acteurs, une demande de plus en
plus forte va unifier les citoyens : le président Gonzalo Sanchez de Lozada, alias « Goni
81 Le Chili s’est approprié le littoral maritime bolivien à l’issue de la guerre du pacifique 1879-1884 82 Souvent surnommé « El Mallku »(en aymara : « chef de tribu »), il est à la tête du Mouvement Indigène
Pachakuti (MIP), fondé en 2000. Il a notamment été secrétaire général de la CSUTCB de l’armée Tupac Katari
qui promouvait une insurrection indigène contre le gouvernement bolivien dans les années 1990.
82
l'Américain », est contraint de démissionner. Finalement, le 17 octobre, après plusieurs
défaites politiques, y compris la démission de plusieurs membres de son cabinet, l'abandon de
ses alliés au congrès, et surtout l'accusation de meurtre faite par son propre vice-président,
Carlos Mesa, suite au massacre d'El Alto, Gonzalo Sanchez de Lozada fuit, via Santa Cruz, la
Bolivie vers les États-Unis, en laissant sa lettre de démission. Carlos Mesa le remplacera
convoquant rapidement un référendum sur la nationalisation des hydrocarbures, remporté
massivement par les tenants du « oui ». Le décret de nationalisation sur les hydrocarbures sera
signé par Evo Morales en 2006, peu après son élection.
Ces intenses périodes de contestations et de manifestations qualifiées « guerre de
l’eau » et « guerre du gaz » vont ouvrir la voie à un nationalisme qui n’est plus uniquement
constitué autour d’intellectuels issus des classes moyennes urbaines comme lors de la
révolution de 1952, mais aussi autour des secteurs paysans et indigènes. Ainsi, à partir de
structures syndicales territorialisées, ces derniers ont graduellement étendu leur influence à
l’ensemble du pays dans le cadre d’une lutte contre les élites traditionnelles. Après avoir été a
la tête des manifestations de la guerre de l’eau en 2000, avoir remporté la deuxième place à
l’élection présidentielle de 2002 et avoir aussi été sur tous les fronts lors de cette guerre du
gaz en 2003, Evo Morales est devenu le leader incontesté des masses indigènes et paysannes.
Son discours est d’autant plus attractif pour la majorité de la population bolivienne qu’il
s’exprime en tant qu’indien et non seulement en tant que socialiste. Ainsi, lorsqu’il parle de la
nationalisation du service de distribution des eaux par exemple, il réussit à mettre de son coté
aussi bien les socialistes qui sont contre cette privatisation prévue sous la pression des
institutions internationales, que les indigènes ralliés à sa cause pour des raisons différentes
comme leur souhait de revenir à un système ancestral de distribution des ressources. Morales,
avec son parti le MAS, arrivera à regrouper les revendications de la majorité de la population
bolivienne.
C’est donc le rejet du néolibéralisme qui va structurer le discours des dirigeants du
MAS. Dans son programme, une telle position se traduit par le rétablissement du contrôle de
l’Etat sur les secteurs stratégiques de l’économie telles que les ressources naturelles ou encore
les services publics. Le MAS incarne donc une gauche réformiste qui se propose d’engager un
processus de « décolonialisation » du pouvoir avec une renationalisation de l’économie mais
aussi un retour de la souveraineté de l’Etat. Devenue l’axe central de mouvements sociaux qui
agiteront le pays en 2003, la nationalisation des ressources naturelles est bien plus qu’une
83
simple revendication économique. Elle identifie les indigènes comme les meilleurs défenseurs
d’une nation bien trop longtemps pillée par les forces étrangères soutenues par quelques élites
locales.
Le slogan du parti en vue des élections présidentielles, dès 2005, sera d’« en finir avec
500 de colonialisme et d’injustice ». Sachant donner une priorité à ce que revendiquent la
majorité de la population bolivienne, le programme du MAS va s’appuyer sur 4 objectifs
essentiels :
. la nationalisation des ressources naturelles, et avant tout des hydrocarbures
. la défense de la coca et par conséquent la défense de la culture et civilisation andine
. la fin de l’intervention étrangère
. la mise en place d’une assemblée constituante qui permettra l’élaboration d’une
nouvelle constitution accordant plus de droits aux populations indigènes et reconnaissant ainsi
le caractère pluriethnique et multiculturel de la Bolivie.
Le MAS avait également énoncé en 2002 : « Comme peuples indigènes et originaires
et comme peuple en général, nous nous représenterons nous-mêmes et nous commencerons à
forger notre destin de nos propres mains et avec nos idées propres ». 83
2) Les réformes de Morales : quel progrès pour les populations indigènes ?
Evo Morales est le premier leader indigène qui obtient plus de la majorité absolue des
voix lors d’élections présidentielles (53,7%), un score jamais obtenu depuis la transition à la
démocratie en 1982. Les attentes des Amérindiens vis-à-vis du nouveau gouvernement d’Evo
Morales sont évidemment énormes mais ne font cependant pas toujours l’unanimité. Certains,
une minorité, revendiquent une récupération totale et inconditionnelle du pouvoir, du territoire
et des richesses du pays. C’est notamment le cas du Mouvement Indigène Pachakuti de Felipe
83 Do Alto (Hervé), Stefanoni (Pablo), Nous serons des millions. Evo Morales et la gauche au pouvoir en
Bolivie, op.cit
84
Quispe. En accédant en janvier 2006, Evo Morales annonce quelles seront ses priorités lors de
son mandat. Ainsi ses premières annonces concernent:
- La gestion des ressources naturelles : les grandes entreprises exploitant les ressources
naturelles de la Bolivie seront nationalisées. Morales défend la vision que ce qui est
sur le territoire bolivien appartient au peuple bolivien et que c’est à ce dernier d’en
profiter.
- La redistribution équitable des terres
- La mise en place d’une Assemblée constituante afin de réformer les lois
fondamentales du pays et, entre autre, de rendre la Constitution plus juste et équitable
- La coca : il souhaite que la culture de la coca soit dépénalisée au niveau international
car il s’agit en Bolivie d’une tradition millénaire, faisant partie de la culture de nombre
d’indigènes et qui n’a que très peu à voir avec la production de cocaïne.
- La fin de la présence militaire étrangère sur le territoire bolivien : ceci fait référence à
l’intervention des Etats-Unis dans leur politique de lutte d’éradication de la coca.
Morales est d’accord pour lutter contre le trafic de drogue sera engagée mais en aucun
cas avec l’intervention policière ou militaire d’un pays étranger.
Une de ses réformes les plus importantes concerne la réappropriation des ressources
naturelles par l’Etat bolivien. Un changement majeur interviendra avec les multinationales
opérant dans le pays. Ainsi, des contrats seront toujours établis avec des multinationales sauf
que ces dernières ne seront plus propriétaires des réserves d’hydrocarbures mais sociétaires et
fournisseuses de services à l’entreprise nationale YPFB (Yacimientos Petroliferos de Bolivia).
Les multinationales toucheront des rétributions entre 18 et 50% de la valeur du produit. De
cette manière, l’Etat bolivien reprend le contrôle d’un secteur clé de l’économie bolivienne et
redéfinit ses relations avec les investisseurs étrangers sans pour autant porter atteinte aux
inverstissements réalisées. Le gouvernement de Morales a remis les réserves de gaz et de
minerais sous le contrôle de l’Etat et a nationalisé treize compagnies dans le secteur du gaz,
des mines, des télécommunications, des chemins de fer et de l’électricité. Cette intervention
étatique accrue signifie que le secteur public, qui représentait 12% du produit intérieur brut
85
(PIB) en 2005, est passé à 32%.84
Avec ces nationalisations des réserves de gaz en 2006 et la
signature de contrats avec des compagnies privées plus favorables à l’Etat, le secteur des
hydrocarbures a notamment contribué à augmenter le budget de l’Etat, faisant passer les
royalties de 678 millions de dollars en 2005 à 2 milliards de dollars en 2008.85
Ce revenu supplémentaire a permis au gouvernement d’augmenter les dépenses
sociales, surtout pour le versement d’aides aux retraités, aux familles avec des enfants en âge
scolaire et aux femmes enceintes. Ainsi, on estime que 2.8 millions de personnes, sur les 9
millions que compte la Bolivie, reçoivent une de ces nouvelles subventions.86
Concernant
l’eau, l’Etat a annulé son contrat avec l’entreprise Aguas del Illimani, filiale de l’entreprise
française Lyonnaise des Eaux à La Paz et à El Alto. Depuis, l’entreprise publique sociale
d’eau et d’assainissement (Empresa publica social de agua y saneamiento) qui se chargera de
l’approvisionnement en eau.
L’élection de nouveaux membres à l’Assemblée Constituante ainsi que la tenue d’un
référendum sur l’autonomie des régions étaient aussi au centre des reformes de l’année 2006.
Pour le récemment élu président Morales, la tenue d’élections à l’Assemblée Constituante
était essentielle et impérative. Elle représentait l’opportunité de refonder un pays où tous les
secteurs de la Bolivie seraient représentés afin de la reconstruire de manière plus égalitaire. Le
2 juillet 2006 eurent donc lieu les élections pour les 255 sièges. Elles furent marquées par
l’apparition de très nombreuses nouvelles organisations parmi lesquelles 25 à caractère
politique, social ou indigène. 14 de ces 25 dernières ont réussi à obtenir un siège à
l’Assemblée Constituante.87
Les résultats ont confirmé la place de leadership du MAS au
niveau national. Le principal parti de droite de l’opposition, PODEMOS, est quant à lui arrivé
deuxième en nombre de sièges.
84 Svampa (Maristella) et Stefanoni (Pablo), Entretien avec Alvaro Garcia Linera, vice-président de la Bolivie, in
La Bolivie d’Evo. Démocratique, indianiste, socialiste ?, op.cit 85 Ibidem 86 Ibid. 87 Ivahana Deheza (Grace), Bolivia 2006: reforma estatal y construcción del poder, Revista de ciencia politica,
santiago, volumen especial, vol 27, 2007
86
Composition de l’assemblée constituante88
88 Ibidem
87
Bolivie : les clivages électoraux 89
Quant au référendum sur l’autonomie départementale90
ayant eu lieu en même temps
que les nouvelles élections à l’Assemblée Constituante, il a démontré la claire coupure qui
existe entre l’orient et l’occident bolivien. Ainsi, les départements de Pando, Beni, Santa Cruz
et Tarija, les citoyens ont voté majoritairement en sa faveur tandis que dans le reste des
départements le non l’a emporté. Au niveau national, le non l’a emporté à 56%.
89 Blanchard (Sophie), Bolivie : de l’autonomie à l’éclatement ?, Revue échogéo en ligne, 2008 90 Est-ce que les Boliviens se prononçaient pour ou contre le statut d’autonomie des départements ?
88
Résultats du référendum pour les autonomies, juillet 200691
a) Un nouveau président, une nouvelle constitution :
L’une des principales promesses d’Evo Morales lors des élections présidentielles de
2005 avait été de proposer une réforme de la Constitution qui prenne plus en compte les droits
des populations autochtones, majoritaires en Bolivie et qui la rendrait donc plus équitable.92
Bien que la Bolivie détienne la deuxième plus grande réserve de gaz en Amérique Latine, il
s’agit d’un des pays les plus pauvres du continent. Pour la première fois dans l'histoire
91 Ivahana Deheza (Grace), Bolivia 2006: reforma estatal y construcción del poder, op.cit 92 Voir annexe 8, photo d’une marche pour la nouvelle Constitution, octobre 2008
89
bolivienne, le peuple est appelé à se prononcer sur une constitution réclamée par la volonté
populaire. Toutes les constitutions antérieures, de 1826 (écrite par Simon Bolivar et fondant la
république) à celle de 1994, ont été élaborées en dehors de la participation de la majorité de la
population. Le vote référendaire du 25 janvier 2009 revêt donc une signification bien spéciale.
61,43 % des votants ont approuvé cette nouvelle Constitution93
. Cependant, le non l’a
remporté dans 4 des 9 départements de la Bolivie, ceux formant la Media Luna.
Malgré certaines accusations de fraudes lancées par les opposants d’Evo Morales à
l’issue du scrutin, destinées à discréditer la validité de ces derniers, la Cour nationale
électorale (CNE), les forces de maintien de l’ordre mais aussi les observateurs de la mission
européenne ont pu très librement mettre en place l’observation des consultations à partir d’une
méthodologie rigoureuse et impartiale, suivant toutes les différentes étapes de la consultation
(avant, pendant, après).94
La Constitution reconnaît l’Etat bolivien comme « unitaire, plurinational,
communautaire et laïque ». Cette nouvelle Constitution vise à donner « une place
prépondérante aux communautés indigènes, à la justice sociale et au rôle de l’Etat »95
. En
plus de l’espagnol, elle reconnaît 36 autres langues (nombre égal à la quantité de peuples
autochtones dans le pays) comme langues officielles. La représentation de tous les peuples
originaires est dorénavant assurée à l'Assemblée législative plurinationale, mais aussi dans
d'autres organismes de l'Etat, tel que le Tribunal constitutionnel. La Constitution reconnaît le
caractère pluriethnique et multiculturel de la République de Bolivie. Dans la nouvelle Charte
fondamentale, l'Etat bolivien devient "l'acteur central" d'un modèle dans lequel toutes les
formes d'organisation économique ont l'obligation de générer un "travail digne" et de
contribuer à la réduction des inégalités et à l'éradication de la pauvreté, la plus élevée du sous-
continent sud-américain.96
93 Hardy (Sébastien), Enjeux et fractures de la Bolivie en 2009, Revue Echogéo en ligne, 2009. 94 Ibidem. 95 Larosse (Maxime), La nouvelle constitution divise la Bolivie, perspective monde, site internet de l’Université
de Sherbrooke, 2009. 96 Site internet latinreporters.com, L’essentiel de la Constitution plurinationale d’Evo Morales, 2009.
90
Distribution départementale des voix en faveur du oui au texte de la nouvelle Constitution97
Parmi les principaux changements, on peut mentionner ceux relatifs aux terres et
territoires. L’objectif est d’abolir les grandes propriétés rurales improductives, c’est-à-dire
celles qui ne remplissent pas de fonction économique ou sociale, conformément à la
Constitution bolivienne. Ces terres sont de deux types : celles de grande dimension, acquises
pendant les régimes dictatoriaux et qui sont aujourd’hui encore « oisives », et celles acquises
par des moyens frauduleux et utilisées à des fins spéculatives. La Bolivie, dépassant même le
97 Hardy (Sebastien), Enjeux et fractures de la Bolivie en 2009, EchoGéo [En ligne], 2009.
91
Brésil, est le pays où il y a la plus grande concentration de terres en Amérique latine, mais
avec la plus grande inégalité en matière de répartition. Ainsi, « environ 87% des terres
cultivables sont aux mains de 7% des propriétaires dans un pays où 40% de la population est
rurale ».98
Quatre millions de personnes sont considérées comme sans terre. Ces terres
« improductives » seront donc restituées à l’Etat qui entreprendra une nouvelle répartition en
faveur des communautés indigènes et paysannes. Les chiffres varieraient entre 2 millions et 4,
5 millions d’hectares redistribuées.99
Ainsi, la limitation de la superficie maximale des
propriétés foncières est réduite de 10 000 hectares à 5000 hectares. Toute propriété supérieure
à cette limite devient expropriable. La réduction du nombre d’hectares, la nouvelle
constitution permet le transfert de terres non cultivées à des paysans. Cependant, cette mesure
ne s'imposera qu'aux propriétés acquises après l'entrée en vigueur de la Constitution, ce qui
permer de désamorcer son caractère explosif initial. Ceci constitue sans aucun doute une
avancée majeure pour les populations autochtones sachant l’importance qu’ils accordent à
leurs terres et territoires.
En effet, pour comprendre leurs motivations, il est essentiel d’établir une distinction
entre ces deux termes. La terre est une nécessité économique de survie et une amélioration des
conditions de vie ; tandis que le territoire représente un facteur de cohésion et d’identité du
groupe mais aussi une forme d’exercice du pouvoir. Ceci est extrêmement important car les
indigènes ne revendiquent pas seulement une restitution de leurs terres à travers une réforme
agraire ou autre réforme dont ils pourraient bénéficier mais aussi la reconnaissance du
territoire, celui-ci symbolisant beaucoup plus qu’une simple surface. En obtenant la
reconnaissance de ces derniers, c’est aussi la reconnaissance du peuple qui y vit qui est
obtenue. Le territoire est un lieu sacré, il représente tout leur passé, histoire, culture et
traditions.
Cette réforme, qui avait été proposée par référendum en même temps que celui
concernant l’adoption d’une nouvelle Constitution en 2009, a été très largement soutenue par
toutes les populations indigènes du pays, que ce soient les aymaras, les guaranis, les quechuas
ou autres. 80,65 % se sont exprimés en faveur de la limitation de la superficie maximale de la
propriété foncière à 5 000 ha.100
Des millions d’indigènes se sont rassemblés le 28 novembre
sur la place des Héros à La Paz et parmi les organisations paysannes indigénistes, la puissante
98 Raizon (Dominique), Les terres seront redistribuées, article RFI, novembre 2006 99Ivahana Deheza (Grace), Bolivia 2006: reforma estatal y construcción del poder, op.cit 100 Hardy (Sebastien), Enjeux et fractures de la Bolivie en 2009, op.cit
92
CIDOB était évidemment présente. Elle insistera non seulement sur la remise des terres aux
indigènes mais aussi sur la garantie de l’accès à l’eau, à l’éducation et la santé.
Cependant, de nombreuses manifestations d’opposition ont eu lieu dans les provinces
riches de l’orient bolivien, où les latifundios règnent. Morales s’est donc trouvé confronté à la
mobilisation de l’élite économique du pays craignant une redistribution arbitraire des terres et
des expropriations. Cette partie du pays est majoritairement peuplée par de grands
propriétaires terriens qui sont les principaux chefs d’entreprise de l’agro-industrie et qui sont
ceux prêtant de l’argent aux petits agriculteurs ; Morales peut donc difficilement se les mettre
à dos.
À propos des ressources naturelles, dont les hydrocarbures (pétrole et gaz), elles sont
consacrées par la Constitution comme "propriété du peuple bolivien" et l'Etat les administre
"en fonction de l'intérêt collectif", assumant le contrôle et la direction de la prospection, de
l'exploitation, de l'industrialisation, du transport et de la commercialisation des ressources
stratégiques. Ainsi, la Constitution permet au pouvoir central de réaffirmer son contrôle sur
les grandes réserves d’hydrocarbures du pays. Grâce à cette réforme, le gouvernement
peut redistribuer les revenus du gaz qui ont traditionnellement profité aux provinces riches où
se trouvent les gisements.
L'une de ses vertus reconnue, même par ses plus ardents détracteurs, est l'ampleur
qu'elle accorde aux droits fondamentaux, civils, politiques, sociaux et économiques. Elle
représente une avancée majeure sur le plan des droits, constitutionnalisant le droit à
l’alimentation, à l’habitat, la santé, l'éducation, la salubrité de l'environnement et l'accès
universel aux services de base tels que, entre autres, l'eau, l'électricité, le gaz et les
télécommunications. Enfin, outre l’autonomie des peuples indigènes, l'autonomie
départementale est elle aussi reconnue. La religion catholique perd son caractère officiel et la
feuille de coca est protégée en qualité de "patrimoine culturel" et de "facteur de cohésion
sociale" dans un article constitutionnel qui rappelle qu'elle "n'est pas un stupéfiant dans son
état naturel". 101
La réforme autorise aussi Evo Morales à se présenter pour un nouveau
mandat.
101 Latinreporters.com, L’essentiel de la constitution plurinationale d’Evo Morales, op.cit
93
Cependant, cette nouvelle Constitution n’est pas vue d’un bon œil par tous les
Boliviens. Ainsi, dans les quatre régions autonomistes de droite, le poumon économique du
pays, le projet de réforme a été rejeté. Le non a d'ailleurs recueilli plus de 70% des voix dans
la région de Santa Cruz, la plus riche du pays. Les opposants à cette Constitution la critiquent
entre autre pour la « discrimination » qu'elle établit au bénéfice des populations
amérindiennes, l'insuffisance supposée de l'autonomie départementale, et le traitement de
questions touchant aux croyances religieuses. Concernant l'autonomie départementale, elle est
jugée insignifiante dans les départements conservateurs de l'est (Pando, Beni, Santa Cruz et
Tarija) qui avaient plébiscité par référendum en 2008 une autonomie plus large non reconnue
par Evo Morales. Ces départements qui contrôlent une grande partie des ressources agricoles
et industrielles du pays et la quasi totalité des réserves d'hydrocarbure, s'opposent
farouchement à la redistribution des revenus du gaz et souhaitent continuer à exercer un
contrôle qui leur a été profitable par le passé.
Lors de l’organisation du référendum sur l’adoption d’une nouvelle constitution, les
opposants des régions autonomistes avaient choisi des méthodes violentes afin de tenter de
faire avorter le projet. Des bâtiments gouvernementaux avaient été vandalisés, des pipelines
sabotés et des violences organisées ont mené le pays au bord de la guerre civile. En septembre
Principaux droits reconnus par la Constitution :
La nouvelle Constitution reconnaît notamment aux populations indigènes les droits:
- à l’identité culturelle
- au territoire : ceci implique le droit à l’autonomie, à la gestion territoriale, à être consulté
pour toute action qui risque d’avoir un impact sur les terres et territoires
- à ne pas subir de formes d’esclavage
- à vivre dans un environnement sain
- à la protection des lieux sacrés
- à la participation dans l’Etat
- à la création et administration de leurs propres moyens de communication
- à la reconnaissance et protection de leurs savoirs traditionnels
- à une éducation intraculturelle, interculturelle et plurilingue
- à un système de santé universel, gratuit qui respecte leurs pratiques et leur cosmovision
-à l’exercice de leurs systèmes politiques, juridiques et économiques
Source: Documento de las organizaciones de derechos humanos para el foro permanente para los pueblos
indígenas y de organizaciones de derechos humanos de la sociedad civil, Situación de los derechos humanos
de los pueblos indígenas en Bolivia, 2010
94
2008, des affrontements entre autonomistes régionaux et partisans du président Morales
avaient fait une trentaine de morts et une centaine de blessés dans le département de Pando.
Des tensions persistent encore et rien n'indique que les conflits régionaux s'apaiseront
maintenant que la Constitution a été approuvée par le peuple.
Ainsi, bien qu’il soit parvenu à faire approuver sa proposition de Constitution
Politique de l’Etat, le MAS n’a pas su en faire un véritable pacte de gouvernement qui puisse
résoudre les conflits régionaux, spécifiquement celui de Santa Cruz. « La nouvelle
Constitution semble « confondre Etat et société » et pêche par manque de transparence. Elle
est notamment présentée comme une sorte de bible et est donc loin de constituer une boite à
outils dans laquelle puiser pour bâtir des institutions appropriées. Par ailleurs, elle n’est pas
non plus très proactive dans ses revendications culturelles et linguistiques car bien qu’elle
affirme le caractère officiel de toutes les langues indigènes, elle n’a été rédigée et défendue
qu’en espagnol, alors que techniquement elle aurait pu facilement être traduite en aymara,
quechua ou guarani. »102
b) Crise politique, menaces sécessionnistes et désirs d’autonomie: l’introduction de
« l’autonomie » dans le débat politique
En Amérique latine, les antécédents de la discussion sur les autonomies indigènes
remontent aux débats ayant eu lieu dans certains organismes internationaux tels que l’OIT. En
Bolivie, cette polémique acquiert des traits particuliers puisque le thème et les mots
« autonomies indigènes » ont été incorporés dans les discussions politiques par les forces les
plus conservatrices du pays et qui ont vu dans l’autonomie une opportunité et une manière de
se regrouper face à la menace que représente pour eux l’irruption des populations indigènes
dans les espaces gouvernementaux. Les autonomies départementales représentent un sujet
extrêmement sensible en Bolivie ; aussi bien pour l’orient bolivien réclamant son statut
d’autonomie que pour les nombreuses populations indigènes du pays.
Ainsi, « le problème de la prééminence de la thématique identitaire au sein d’une
politique de transformations sociales est qu’elle laisse inévitablement de côté ceux qui ne
correspondent pas aux nouvelles normes de gouvernement, quelle que soit la légitimité de la
102 Zallas (Alberto A.), Ecueils et déboires de la nouvelle Constitution bolivienne, op.cit
95
cause soutenue ».103
Le gouvernement de Morales s’attire donc les foudres des élites blanche
et créole du pays car ses réformes sont bien plus bénéfiques aux populations indigènes. Les
réformes économiques et constitutionnelles mises en œuvre par la majorité présidentielle ont à
chaque fois rencontré de vives résistances au sein des élites économiques du pays. Devant la
montée en puissance des forces paysannes et indigènes et populaires, les départements de la
Media Luna commencèrent, depuis le début des années 2000, à traduire leur opposition au
pouvoir central par des revendications autonomistes, voire sécessionnistes, souvent de
manière extrêmement violentes104
, et portées par un ensemble d'organisations, dont le Comité
civique de Santa Cruz, composé par les dirigeants des principales branches d’activités
économique du département, est l'une des plus actives.
Tout au long de son histoire, le département de Santa Cruz a connu de nombreuses
revendications autonomistes. Déjà, durant l’ère néolibérale, les élites contrôlaient les lieux
clés de l’appareil d’Etat, parmi lesquels l’Institut National de la Réforme agraire. Ces élites
faisaient en sorte que les politiques publiques leur soient le plus favorable possible. Avec la
mise en place de l’assemblée constituante et les transformations qui ont suivi, elles ont craint
qu’une sorte de « revanche indigène » et une remise en cause de la propriété de la terre aient
lieu. De plus, la région est demeurée hermétique à la réforme agraire de 1953 car à cette
époque les propriétés étaient considérées comme des entreprises et non des latifundios. Cette
offensive autonomiste a un fondement clairement économique : depuis les années 1970,
l’économie de Santa Cruz a vu sa contribution au PIB bolivien augmenter de manière
significative. Les activités économiques de cette région apparaissent donc comme un exemple
de dynamisme, de réussite commerciale et d’innovation technique en comparaison avec les
autres régions du pays. Selon Alvaro Garcia Linera105
, lors des dernières décennies « le
pouvoir économique ascendant, en dépit des problèmes qu’il a rencontré, s’est déplacé de
103 Do Alto(Hervé) et Stefanoni (Pablo), Nous serons des millions. Evo Morales et la gauche au pouvoir en
Bolivie, op.cit 104 En septembre 2008, des manifestants décideront d’effectuer une « prise » de certaines institutions
gouvernementales tels que le centre des impôts internes qui représente la mainmise de l’Etat central sur les
ressources locales ; l’Institut national de la réforme agraire et de la Superintendance forestière, instances qui
gèrent dans le département la mise en application de la réforme agraire prévue par le gouvernement Morales et
très contestées par les autonomistes ; les locaux de la Migration. D’autres bâtiments seront détruits comme celui
de Canal 7, siège de la radio-télévision publique, qui représente l’information « officielle » et par la même la
« voix du MAS » ainsi que les bâtiments d’une ONG, le CEJIS (Centre d’Etudes Juridiques et d’Investigation
Sociale). Ces occupations cesseront et les bâtiments occupés seront rendus aux autorités 10 jours après le début
des manifestations. 105 Sociologue et ex-membre de l’Armée Tupac Katari, il est élu vice-président de la Bolivie lors des élections
de 2005. C’est notamment un théoricien du réveil identitaire indigène comme moteur des mouvements sociaux.
96
l’Occident à l’Orient, mais le pouvoir sociopolitique de mobilisation s’est renforcé en
occident, donnant ainsi lieu à une nouvelle incertitude géographique dans le pays ».106
Le Comité est le fer de lance de l’affirmation du mouvement autonomiste de Santa
Cruz, qui s’amplifie depuis le début des années 2000, avec la naissance de l’organisation
« Nación Camba » et qui a mené de grandes campagnes en faveur de l’autonomie régionale.
Comme nous l’avons vu, les revendications autonomistes ont pour but de permettre au
département de conserver les profits économiques mais aussi de mettre un terme à l’avancée
de la colonisation paysanne considérée comme une « invasion ». Elles traduisent également
un rejet des migrants andins installés dans les basses terres, et considérés comme des facteurs
de pauvreté et de désordre social. En mai 2008, le département de Santa Cruz ira jusqu'à
organiser son propre referendum sur son territoire sur l’autonomie politique et financière à
l’échelon départemental.107
Ce projet d’autonomie est véritablement séparatiste et exige de ne
plus dépendre du gouvernement central, même pour le commerce extérieur. Ce mouvement
crée d’énormes tensions avec le gouvernement central jusqu’à des confrontations
extrêmement dures dans les instances politiques. Le oui l’a emporté à 85 %.108
Le
département de Santa Cruz sera suivi, la même année, par les départements de Pando, Beni et
Tarija qui votèrent aussi pou l’autonomie. Cependant, il y eut une abstention massive dans le
département de Santa Cruz, ce qui confirme que l’hégémonie de la droite dans cette zone est
fortement contestée par le mouvement populaire. Evo Morales n’a pas manqué de qualifier ce
scrutin d’illégal et séparatiste. La Cour nationale électorale a abondé dans son sens en
évoquant le caractère anticonstitutionnel du scrutin autonomiste. Toutefois, l’antenne
régionale de la Cour a validé ce qui ressemble à un coup de force.
Afin d’essayer de résoudre cette crise, Morales convoqua un référendum révocatoire
remettant en jeu son mandat, celui du vice-président Alvaro Garcia Linera et des préfets des
départements, notamment celui du préfet de Santa Cruz. Ce référendum a confirmé dans leurs
mandats les préfets des départements orientaux qui disposent d’une solide base électorale
locale mais aussi le tandem exécutif, soutenu par l’opinion public andine, et a donc entériné
les désaccords sans pour autant les résoudre.
106 Do Alto (Hervé) et Stefanoni (Pablo), Nous serons des millions. Evo Morales et la gauche au pouvoir en
Bolivie , op.cit 107 Voir annexe 9, photo de partisans du « oui », lors du référendum autonomiste de Santa Cruz. 108 Blanchard (Sophie), Bolivie : de l’autonomie à l’éclatement ?, op.cit
97
Le droit à l’autonomie des populations indigènes est inscrit dans la nouvelle
Constitution bolivienne. En effet, l’article 2 de la Constitution précise : « Tenant compte de
l’existence précoloniale des nations et des peuples indigènes originaires paysans et leur
domination ancestrale sur leurs territoires, leur libre détermination est garantie dans le cadre
de l’État, ce qui consiste à leur droit à l’autonomie, à l’autogouvernement, à leur culture et à
la reconnaissance et au renforcement de leurs institutions et entités territoriales, conforme à
cette Constitution ».
Par ailleurs, la Constitution exprime le caractère d’un État plurinational : il se fonde
sur la pluralité politique, économique, juridique, culturelle et linguistique, à l’instar des
constitutions colombienne et espagnole. Elle prévoit ainsi la création d’entités territoriales
autonomes qui se formeront sous la volonté de leurs habitants en harmonisation avec les
principes de l’État bolivien. Ce type d’organisation territoriale tente de concilier les demandes
de différentes minorités nationales et permet de conserver l’unification de l’État sans renoncer
aux différentes formes d’organisation sociale, d’identités et de cultures qui caractérisent la
Bolivie. La population peut voter pour quatre types d’autonomie : départementale, régionale,
municipale et indigène originaire paysanne. Une fois établie, chacune des entités créées
disposera d’un organe exécutif et législatif, d’un statut particulier, et de différents champs de
compétences. L’autonomie indigène originaire paysanne apparaît comme la plus aboutie. Elle
prévoit des compétences dans la « définition et la gestion des formes de développement
économique, social, politique et culturel en conformité avec son identité », dans la gestion des
ressources naturelles renouvelables et des aires protégées sur son territoire et dans la
règlementation et l’exécution du « contrôle socio-environnemental des activités
d’hydrocarbure et minières qui se développent dans sa juridiction ». Choses que les
populations indigènes ont toujours revendiquées. Ces terres, appelées Terres Communautaires
d’Origine (TCO) et qui deviendraient la base d’articulation du mouvement indigène seraient
reconnues comme nouvelles divisions politiques de l’Etat.
Cependant, récemment, Morales a du faire face à des manifestations de la part des
communautés indigènes. En juin 2010, d’importantes marches ont eu lieu pour réclamer au
gouvernement de La Paz plus de terres et plus d’autonomies pour les peuples
originaires. C’est la première fois depuis que le président aymara est au pouvoir que de telles
98
manifestations d’indigènes ont lieu. Les populations indigènes, et plus spécifiquement les
Aymaras, Quechuas et Guarani, ont choisi le 21 juin, jour pendant lequel est célébré « le
nouvel an Aymara » déclaré fête nationale, pour commencer leur marche depuis Trinidad,
capital du département de Béni et qu’ils ont dénommé « VII Grande Marche Indigène pour le
Territoire, l’autonomie et les droits des peuples indigènes ».
Les motifs de cette marche sont nombreux (et apparaissent sur le site internet de la
CIDOB)109
mais les principaux points concernent un manque d’accord entre le gouvernement,
le Ministère de l’Autonomie et les différentes organisations indigènes de l’Orient bolivien sur
la loi d’Autonomie et de Décentralisation (Ley Marco de Autonomías y Descentralización).
Cette loi a pour objectif de réguler l’organisation territoriale de l’Etat et le régime des
autonomies et de décentralisation, droits apparaissant dans la nouvelle Constitution.
Des manifestants lors de la marche de Juin 2010 réclamant plus d’autonomie.110
Selon la CIDOB, l’autonomie « est la qualité gouvernementale des entités territoriales
qui accèdent au régime autonomique afin d’exercer leur compétences, dans le cadre de la
Constitution Politique de l’Etat. Cette loi implique l’élection de ses autorités par ses citoyens,
l’administration de ses ressources économiques et l’exercice de leur faculté législative,
réglementaire, fiscale et exécutive par ses organes du gouvernement dans le cadre de sa
juridiction et compétence ».111
Les organisations indigènes réclament la garantie que tous les
peuples indigènes aient accès à l’autonomie quel que soit le nombre d’habitant présents dans
109 http://www.cidob-bo.org/images/2010/demandas2010.pdf 110 Site internet du Centro de Politicas Publicas, dossier Bolivie. 111 Wasylyk Fedyszak (Maria Sol), Morales se esfuerza por evitar marcha indígena, 3 de julio del 2010, site
internet: Centro de políticas publicas
99
chaque communauté. Elles soutiennent aussi que les territoires indigènes doivent être
respectés en tant qu’unités territoriales ayant le droit à l’autonomie sans qu’une nouvelle loi
apparaisse entrainant une énième délimitation de ces mêmes territoires et entrainant par
ailleurs une nouvelle juridiction les concernant. Ils réclament enfin le droit à la consultation
dont ils sont pourvus mais aussi la modification de la loi du régime électoral (approuvée une
semaine après le début de la marche) car elle limite la participation des peuples indigènes
dans la composition de l’organe législatif plurinational les laissant sans presqu’aucune
représentation.
Morales a rejeté la demande des populations indigènes de délimiter eux-mêmes leurs
territoires car cela supposerait une altération des limites existant aujourd’hui. Le
gouvernement a par ailleurs jugé ces demandes comme anticonstitutionnelles. Il a affirmé
qu’il serait impossible de leur octroyer l’autonomie principalement car beaucoup de territoires
se trouve entre deux (ou plus) départements car ceci obligerait l’Etat à redéfinir les limites
départementales. Aussi, il a affirmé que la proclamation de statuts d’autonomies indigènes
doit être faite par des normes et des procédures qui leur sont propres. Pour ce faire, il s’appuie
sur l’article 275 de la Constitution qui énonce que ce sont des dispositions générales qui ne
sont pas applicables aux régimes spéciaux des autonomies indigènes.112
En effet, alors qu’il est inscrit notamment dans l’article 292 de la Constitution que
« chaque autonomie indigène-paysanne élaborera son statut en accord avec ses propres
normes et procédures selon la Constitution et la Loi », il semblerait pourtant qu’il n’existe
aucune autre forme de disposition constitutionnelle concernant cette forme d’autonomie qui
permettrait d’approuver ces statuts. C’est ce qu’a déclaré d’Alejandro Almaraz113
à Morales.
Par ailleurs, dans la proposition de loi d’autonomies (Ley Marco de Autonomías), il est
énoncé que les statuts d’autonomie indigène sont approuvés par référendum, cette pratique
étant pourtant étrangère aux propres normes et procédures des communautés indigènes et que
la CPE reconnaît pourtant comme unique moyen pour élaborer de tels statuts.
Les manifestants indigènes réclamaient aussi que soit mieux respecté leur droit à la
consultation et à la participation lorsque des mesures concernant l’exploitation de ressources
112 Ibidem 113 Alejandro Almaraza a été vice-ministre des Terres durant le premier mandat de Morales.
100
naturelles se trouvant sur leurs terres et territoires sont prises par le gouvernement ou des
entreprises multinationales. Ainsi, la consultation et participation est un processus qui consiste
à établir des dialogues avec les communautés indigènes selon leur perspective et leur vision,
afin déterminer les éventuels impacts socio-environnementaux sur leur territoire et leur mode
de vie dès lors qu’une entreprise pétrolière décide d’exploiter des hydrocarbures situés sur
leurs terres. Une compensation financière est censée être attribuée aux populations indigènes
qui subiraient ces impacts socio-environnementaux, cependant il n’existe encore aucune
norme précise permettant de déterminer comment ce montant serait calculé.
Force est de constater que, bien que les droits des populations autochtones soient
inscrits et reconnus dans la Constitution, la jurisprudence afin d’appliquer ces mesures sur
l’autonomie est loin d’être complète. On peut alors se demander comment ils arriveront à
faire appliquer leurs droits reconnus au niveau constitutionnel sans pour autant que altérer
l’organisation territoriale de la Bolivie et provoquer une crise avec le gouvernement.
101
Conclusion: Quel bilan pour la Bolivie d’Evo Morales ?
Evo Morales a été réélu en 2009 avec plus de 61% des voix, après un premier mandat
qui n’a pas été de tout repos. En effet, il a du traverser des crises majeures telles des violences
à caractère raciste contre les populations indigènes, des désirs d’indépendance de la part de
plusieurs départements de l’occident bolivien, un référendum révocatoire (qu’il a largement
remporté) et il a réussi à réformer entièrement la Bolivie, autant du point de vue politique
qu’économique et social.
La transformation la plus importante a été le renforcement du rôle de l’Etat bolivien.
Comme l’a souligné le vice-président Alvaro Garcia Linera114
, les dirigeants arrivés au
pouvoir en 2005 ont hérité d’un Etat qui ne possédait plus aucune entreprise publique, celles-
ci ayant été privatisées pendant l’ère néolibérale. Désormais, l’Etat intervient dans le contrôle
des richesses. Depuis la nationalisation entreprise par Evo Morales, le gaz, représente 19% du
PNB, contre 6 ou 7% auparavant. L’Etat bolivien est aussi devenu le principal acteur
économique dans d’autres secteurs tels celui des télécommunications ou celui des mines. Ceci
signifie donc une réappropriation par les Boliviens de ce qui leur appartient et qui leur a été
« confisqué » pendant plusieurs décennies.
Par ailleurs, Evo Morales symbolise, pour les indigènes autrefois marginalisés, un
nouvel horizon riche de possibilités. Bien que la reconnaissance des populations indigènes se
soit traduite sur un plan administratif par un processus assez lent de construction d’Etat
multiculturel, cela ne signifie pas pour autant que les changements ont été minimes. Depuis
2002, il y a eu une entrée massive d’indigènes au parlement, issus non seulement du MAS
mais aussi de l’opposition. Des leaders indigènes peuvent participer désormais à tous les
niveaux de l’administration publique, ce qui était loin d’être le cas avant 2005. La Déclaration
de l’ONU de 2007 et la Convention 169 de l’OIT que la Bolivie a rendue contraignantes en
les inscrivant dans sa loi nationale illustre une véritable augmentation des droits des
populations indigènes de Bolivie, qui s’est aussi concrétisée avec l’adoption d’une nouvelle
Constitution en 2009.
114 Svampa (Maristella) et Stefanoni (Pablo), Entretien avec Alvaro Garcia Linera, le vice-président de la
Bolivie, op.cit
102
Cependant, la législation concernant les autonomies indigènes n’a toujours pas été
vraiment clarifiée, ce qui risque de provoquer d’autres tensions entre certaines communautés
indigène et le gouvernement. Aussi, à maintes reprises le droit à la consultation n’a pas été
exercé pour les populations indigènes lorsque des entreprises pétrolières décidèrent
d’exploiter des hydrocarbures dont les gisements se trouvaient sur leurs territoires. Par
ailleurs, bien que la Bolivie ait maintenant un dirigeant indien et que des indiens-paysans
aient pu avoir accès à la sphère du pouvoir, il existe toujours une culture discriminante envers
ces derniers, arrivant à un extrême où ils sont même qualifiés de « race maudite », un adjectif
reproduit par des medias lors des conflits à Santa Cruz.
Les velléités d’autonomie de l’orient mais aussi de l’occident bolivien, loin d’avoir
disparu, ont, au contraire, eu tendance à se renforcer. Le droit à l’autonomie des populations
indigènes est inscrit dans la Constitution mais sans toutefois être véritablement appliqué.
Ceci est sans aucun doute susceptible de provoquer d’autres manifestations de
mécontentement de leur part, mais aussi de la classe blanche et créole qui s’estimera à
nouveau « menacée », pouvant conduire à d’importantes crises politiques au sein de l’Etat
bolivien.
On peut alors se demander si la pérennité des droits des populations indigènes est
réellement garantie et si la question autochtone est définitivement réglée en Bolivie.
103
Annexes
104
Annexe 1 : Répartition géographique des populations autochtones en 1492 selon les
familles linguistiques115
115 Hors série Courrier International,Fiers d’être indiens. Politique, Identité, culture, juin-juillet-août 2007
105
Annexe 2 : répartition des grands groupes ethniques en 2007116
116 Ibidem
106
Annexe 3 : Convention 169, relative aux peuples indigènes et tribaux adoptée par l’OIT
en 1989117
La Conférence générale de l'Organisation internationale du Travail,
Convoquée à Genève par le Conseil d'administration du Bureau international du Travail, et s'y
étant réunie le 7 juin 1989, en sa 76e session;
Notant les normes internationales énoncées dans la convention et la recommandation relatives
aux populations aborigènes et tribales, 1957;
Rappelant les termes de la Déclaration universelle des droits de l'homme, du Pacte
international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, du Pacte international relatif
aux droits civils et politiques, et des nombreux instruments internationaux concernant la
prévention de la discrimination;
Considérant que, étant donné l'évolution du droit international depuis 1957 et l'évolution qui
est intervenue dans la situation des peuples indigènes et tribaux dans toutes les régions du
monde, il y a lieu d'adopter de nouvelles normes internationales sur la question en vue de
supprimer l'orientation des normes antérieures, qui visaient à l'assimilation;
Prenant acte de l'aspiration des peuples en question à avoir le contrôle de leurs institutions, de
leurs modes de vie et de leur développement économique propres et à conserver et développer
leur identité, leur langue et leur religion dans le cadre des Etats où ils vivent;
Notant que, dans de nombreuses parties du monde, ces peuples ne peuvent jouir des droits
fondamentaux de l'homme au même degré que le reste de la population des Etats où ils vivent
et que leurs lois, valeurs, coutumes et perspectives ont souvent subi une érosion;
Appelant l'attention sur la contribution particulière des peuples indigènes et tribaux à la
diversité culturelle et à l'harmonie sociale et écologique de l'humanité ainsi qu'à la
coopération et à la compréhension internationales;
117 Adoptée à Genève le 27 juin 1989 et entrée en vigueur le 5 septembre 1991. Se référer au site internet de
l’Organisation Internationale du Travail pour plus de détails.
107
Notant que les dispositions ci-après ont été établies avec la collaboration des Nations Unies,
de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture, de l'Organisation des
Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture et de l'Organisation mondiale de la
santé ainsi que de l'Institut indigéniste interaméricain, aux niveaux appropriés et pour leurs
domaines respectifs, et que l'on se propose de poursuivre cette coopération en vue de
promouvoir et d'assurer leur application;
Après avoir décidé d'adopter diverses propositions concernant la révision partielle de la
convention (no. 107) relative aux populations aborigènes et tribales, 1957, question qui
constitue le quatrième point à l'ordre du jour de la session;
Après avoir décidé que ces propositions prendraient la forme d'une convention internationale
révisant la convention relative aux populations aborigènes et tribales, 1957, adopte, ce vingt-
septième jour de juin mil neuf cent quatre-vingt-neuf, la convention ci-après, qui sera
dénommée Convention relative aux peuples indigènes et tribaux, 1989.
PARTIE I. POLITIQUE GÉNÉRALE
Article 1
1. La présente convention s'applique:
a) aux peuples tribaux dans les pays indépendants qui se distinguent des autres secteurs de la
communauté nationale par leurs conditions sociales, culturelles et économiques et qui sont
régis totalement ou partiellement par des coutumes ou des traditions qui leur sont propres ou
par une législation spéciale;
b) aux peuples dans les pays indépendants qui sont considérés comme indigènes du fait qu'ils
descendent des populations qui habitaient le pays, ou une région géographique à laquelle
appartient le pays, à l'époque de la conquête ou de la colonisation ou de l'établissement des
frontières actuelles de l'Etat, et qui, quel que soit leur statut juridique, conservent leurs
institutions sociales, économiques, culturelles et politiques propres ou certaines d'entre elles.
108
2. Le sentiment d'appartenance indigène ou tribale doit être considéré comme un critère
fondamental pour déterminer les groupes auxquels s'appliquent les dispositions de la présente
convention.
3. L'emploi du terme peuples dans la présente convention ne peut en aucune manière être
interprété comme ayant des implications de quelque nature que ce soit quant aux droits qui
peuvent s'attacher à ce terme en vertu du droit international.
Article 2
1. Il incombe aux gouvernements, avec la participation des peuples intéressés, de développer
une action coordonnée et systématique en vue de protéger les droits de ces peuples et de
garantir le respect de leur intégrité.
2. Cette action doit comprendre des mesures visant à:
a) assurer que les membres desdits peuples bénéficient, sur un pied d'égalité, des droits et
possibilités que la législation nationale accorde aux autres membres de la population;
b) promouvoir la pleine réalisation des droits sociaux, économiques et culturels de ces
peuples, dans le respect de leur identité sociale et culturelle, de leurs coutumes et traditions et
de leurs institutions;
c) aider les membres desdits peuples à éliminer les écarts socio-économiques qui peuvent
exister entre des membres indigènes et d'autres membres de la communauté nationale, d'une
manière compatible avec leurs aspirations et leur mode de vie.
Article 3
1. Les peuples indigènes et tribaux doivent jouir pleinement des droits de l'homme et des
libertés fondamentales, sans entrave ni discrimination. Les dispositions de cette convention
doivent être appliquées sans discrimination aux femmes et aux hommes de ces peuples.
2. Aucune forme de force ou de coercition ne doit être utilisée en violation des droits de
l'homme et des libertés fondamentales des peuples intéressés, y compris des droits prévus par
la présente convention.
109
Article 4
1. Des mesures spéciales doivent être adoptées, en tant que de besoin, en vue de sauvegarder
les personnes, les institutions, les biens, le travail, la culture et l'environnement des peuples
intéressés.
2. Ces mesures spéciales ne doivent pas être contraires aux désirs librement exprimés des
peuples intéressés.
3. Lesdites mesures ne doivent porter aucune atteinte à la jouissance, sans discrimination, de
la généralité des droits qui s'attachent à la qualité de citoyen.
Article 5
En appliquant les dispositions de la présente convention, il faudra:
a) reconnaître et protéger les valeurs et les pratiques sociales, culturelles, religieuses et
spirituelles de ces peuples et prendre dûment en considération la nature des problèmes qui se
posent à eux, en tant que groupes comme en tant qu'individus;
b) respecter l'intégrité des valeurs, des pratiques et des institutions desdits peuples;
c) adopter, avec la participation et la coopération des peuples affectés, des mesures tendant à
aplanir les difficultés que ceux-ci éprouvent à faire face à de nouvelles conditions de vie et de
travail.
Article 6
1. En appliquant les dispositions de la présente convention, les gouvernements doivent:
a) consulter les peuples intéressés, par des procédures appropriées, et en particulier à travers
leurs institutions représentatives, chaque fois que l'on envisage des mesures législatives ou
administratives susceptibles de les toucher directement;
b) mettre en place les moyens par lesquels lesdits peuples peuvent, à égalité au moins avec les
autres secteurs de la population, participer librement et à tous les niveaux à la prise de
décisions dans les institutions électives et les organismes administratifs et autres qui sont
responsables des politiques et des programmes qui les concernent;
110
c) mettre en place les moyens permettant de développer pleinement les institutions et
initiatives propres à ces peuples et, s'il y a lieu, leur fournir les ressources nécessaires à cette
fin.
2. Les consultations effectuées en application de la présente convention doivent être menées
de bonne foi et sous une forme appropriée aux circonstances, en vue de parvenir à un accord
ou d'obtenir un consentement au sujet des mesures envisagées.
Article 7
1. Les peuples intéressés doivent avoir le droit de décider de leurs propres priorités en ce qui
concerne le processus du développement, dans la mesure où celui-ci a une incidence sur leur
vie, leurs croyances, leurs institutions et leur bien-être spirituel et les terres qu'ils occupent ou
utilisent d'une autre manière, et d'exercer autant que possible un contrôle sur leur
développement économique, social et culturel propre. En outre, lesdits peuples doivent
participer à l'élaboration, à la mise en œuvre et à l'évaluation des plans et programmes de
développement national et régional susceptibles de les toucher directement.
2. L'amélioration des conditions de vie et de travail des peuples intéressés et de leur niveau de
santé et d'éducation, avec leur participation et leur coopération, doit être prioritaire dans les
plans de développement économique d'ensemble des régions qu'ils habitent. Les projets
particuliers de développement de ces régions doivent également être conçus de manière à
promouvoir une telle amélioration.
3. Les gouvernements doivent faire en sorte que, s'il y a lieu, des études soient effectuées en
coopération avec les peuples intéressés, afin d'évaluer l'incidence sociale, spirituelle,
culturelle et sur l'environnement que les activités de développement prévues pourraient avoir
sur eux. Les résultats de ces études doivent être considérés comme un critère fondamental
pour la mise en œuvre de ces activités.
4. Les gouvernements doivent prendre des mesures, en coopération avec les peuples
intéressés, pour protéger et préserver l'environnement dans les territoires qu'ils habitent.
Article 8
1. En appliquant la législation nationale aux peuples intéressés, il doit être dûment tenu
compte de leurs coutumes ou de leur droit coutumier.
111
2. Les peuples intéressés doivent avoir le droit de conserver leurs coutumes et institutions dès
lors qu'elles ne sont pas incompatibles avec les droits fondamentaux définis par le système
juridique national et avec les droits de l'homme reconnus au niveau international. Des
procédures doivent être établies, en tant que de besoin, pour résoudre les conflits
éventuellement soulevés par l'application de ce principe.
3. L'application des paragraphes 1 et 2 du présent article ne doit pas empêcher les membres
desdits peuples d'exercer les droits reconnus à tous les citoyens et d'assumer les obligations
correspondantes.
Article 9
1. Dans la mesure où cela est compatible avec le système juridique national et avec les droits
de l'homme reconnus au niveau international, les méthodes auxquelles les peuples intéressés
ont recours à titre coutumier pour réprimer les délits commis par leurs membres doivent être
respectées.
2. Les autorités et les tribunaux appelés à statuer en matière pénale doivent tenir compte des
coutumes de ces peuples dans ce domaine.
Article 10
1. Lorsque des sanctions pénales prévues par la législation générale sont infligées à des
membres des peuples intéressés, il doit être tenu compte de leurs caractéristiques
économiques, sociales et culturelles.
2. La préférence doit être donnée à des formes de sanction autres que l'emprisonnement.
Article 11
La prestation obligatoire de services personnels, rétribués ou non, imposée sous quelque
forme que ce soit aux membres des peuples intéressés, doit être interdite sous peine de
sanctions légales, sauf dans les cas prévus par la loi pour tous les citoyens.
Article 12
Les peuples intéressés doivent bénéficier d'une protection contre la violation de leurs droits et
pouvoir engager une procédure légale, individuellement ou par l'intermédiaire de leurs
organes représentatifs, pour assurer le respect effectif de ces droits. Des mesures doivent être
112
prises pour faire en sorte que, dans toute procédure légale, les membres de ces peuples
puissent comprendre et se faire comprendre, au besoin grâce à un interprète ou par d'autres
moyens efficaces.
PARTIE II. TERRES
Article 13
1. En appliquant les dispositions de cette partie de la convention, les gouvernements doivent
respecter l'importance spéciale que revêt pour la culture et les valeurs spirituelles des peuples
intéressés la relation qu'ils entretiennent avec les terres ou territoires, ou avec les deux, selon
le cas, qu'ils occupent ou utilisent d'une autre manière, et en particulier des aspects collectifs
de cette relation.
2. L'utilisation du terme terres dans les articles 15 et 16 comprend le concept de territoires, qui
recouvre la totalité de l'environnement des régions que les peuples intéressés occupent ou
qu'ils utilisent d'une autre manière.
Article 14
1. Les droits de propriété et de possession sur les terres qu'ils occupent traditionnellement
doivent être reconnus aux peuples intéressés. En outre, des mesures doivent être prises dans
les cas appropriés pour sauvegarder le droit des peuples intéressés d'utiliser les terres non
exclusivement occupées par eux, mais auxquelles ils ont traditionnellement accès pour leurs
activités traditionnelles et de subsistance. Une attention particulière doit être portée à cet
égard à la situation des peuples nomades et des agriculteurs itinérants.
2. Les gouvernements doivent en tant que de besoin prendre des mesures pour identifier les
terres que les peuples intéressés occupent traditionnellement et pour garantir la protection
effective de leurs droits de propriété et de possession.
3. Des procédures adéquates doivent être instituées dans le cadre du système juridique
national en vue de trancher les revendications relatives à des terres émanant des peuples
intéressés.
113
Article 15
1. Les droits des peuples intéressés sur les ressources naturelles dont sont dotées leurs terres
doivent être spécialement sauvegardés. Ces droits comprennent celui, pour ces peuples, de
participer à l'utilisation, à la gestion et à la conservation de ces ressources.
2. Dans les cas où l'Etat conserve la propriété des minéraux ou des ressources du sous-sol ou
des droits à d'autres ressources dont sont dotées les terres, les gouvernements doivent établir
ou maintenir des procédures pour consulter les peuples intéressés dans le but de déterminer si
et dans quelle mesure les intérêts de ces peuples sont menacés avant d'entreprendre ou
d'autoriser tout programme de prospection ou d'exploitation des ressources dont sont dotées
leurs terres. Les peuples intéressés doivent, chaque fois que c'est possible, participer aux
avantages découlant de ces activités et doivent recevoir une indemnisation équitable pour tout
dommage qu'ils pourraient subir en raison de telles activités.
Article 16
1. Sous réserve des paragraphes suivants du présent article, les peuples intéressés ne doivent
pas être déplacés des terres qu'ils occupent.
2. Lorsque le déplacement et la réinstallation desdits peuples sont jugés nécessaires à titre
exceptionnel, ils ne doivent avoir lieu qu'avec leur consentement, donné librement et en toute
connaissance de cause. Lorsque ce consentement ne peut être obtenu, ils ne doivent avoir lieu
qu'à l'issue de procédures appropriées établies par la législation nationale et comprenant, s'il y
a lieu, des enquêtes publiques où les peuples intéressés aient la possibilité d'être représentés
de façon efficace.
3. Chaque fois que possible, ces peuples doivent avoir le droit de retourner sur leurs terres
traditionnelles, dès que les raisons qui ont motivé leur déplacement et leur réinstallation
cessent d'exister.
4. Dans le cas où un tel retour n'est pas possible, ainsi que déterminé par un accord ou, en
l'absence d'un tel accord, au moyen de procédures appropriées, ces peuples doivent recevoir,
dans toute la mesure possible, des terres de qualité et de statut juridique au moins égaux à
ceux des terres qu'ils occupaient antérieurement et leur permettant de subvenir à leurs besoins
du moment et d'assurer leur développement futur. Lorsque les peuples intéressés expriment
114
une préférence pour une indemnisation en espèces ou en nature, ils doivent être ainsi
indemnisés, sous réserve des garanties appropriées.
5. Les personnes ainsi déplacées et réinstallées doivent être entièrement indemnisées de toute
perte ou de tout dommage subi par elles de ce fait.
Article 17
1. Les modes de transmission des droits sur la terre entre leurs membres établis par les
peuples intéressés doivent être respectés.
2. Les peuples intéressés doivent être consultés lorsque l'on examine leur capacité d'aliéner
leurs terres ou de transmettre d'une autre manière leurs droits sur ces terres en dehors de leur
communauté.
3. Les personnes qui n'appartiennent pas à ces peuples doivent être empêchées de se prévaloir
des coutumes desdits peuples ou de l'ignorance de leurs membres à l'égard de la loi en vue
d'obtenir la propriété, la possession ou la jouissance de terres leur appartenant.
Article 18
La loi doit prévoir des sanctions adéquates pour toute entrée non autorisée sur les terres des
peuples intéressés, ou toute utilisation non autorisée de ces terres, et les gouvernements
doivent prendre des mesures pour empêcher ces infractions.
Article 19
Les programmes agraires nationaux doivent garantir aux peuples intéressés des conditions
équivalentes à celles dont bénéficient les autres secteurs de la population en ce qui concerne:
a) l'octroi de terres supplémentaires quand les terres dont lesdits peuples disposent sont
insuffisantes pour leur assurer les éléments d'une existence normale, ou pour faire face à leur
éventuel accroissement numérique;
b) l'octroi des moyens nécessaires à la mise en valeur des terres que ces peuples possèdent
déjà.
PARTIE III. RECRUTEMENT ET CONDITIONS D'EMPLOI
115
Article 20
1. Les gouvernements doivent, dans le cadre de la législation nationale et en coopération avec
les peuples intéressés, prendre des mesures spéciales pour assurer aux travailleurs appartenant
à ces peuples une protection efficace en ce qui concerne le recrutement et les conditions
d'emploi, dans la mesure où ils ne sont pas efficacement protégés par la législation applicable
aux travailleurs en général.
2. Les gouvernements doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour éviter toute
discrimination entre les travailleurs appartenant aux peuples intéressés et les autres
travailleurs, notamment en ce qui concerne:
a) l'accès à l'emploi, y compris aux emplois qualifiés, ainsi que les mesures de promotion et
d'avancement;
b) la rémunération égale pour un travail de valeur égale;
c) l'assistance médicale et sociale, la sécurité et la santé au travail, toutes les prestations de
sécurité sociale et tous autres avantages découlant de l'emploi, ainsi que le logement;
d) le droit d'association, le droit de se livrer librement à toutes activités syndicales non
contraires à la loi et le droit de conclure des conventions collectives avec des employeurs ou
avec des organisations d'employeurs.
3. Les mesures prises doivent notamment viser à ce que:
a) les travailleurs appartenant aux peuples intéressés, y compris les travailleurs saisonniers,
occasionnels et migrants employés dans l'agriculture ou dans d'autres activités, de même que
ceux employés par des pourvoyeurs de main-d’œuvre, jouissent de la protection accordée par
la législation et la pratique nationales aux autres travailleurs de ces catégories dans les mêmes
secteurs, et qu'ils soient pleinement informés de leurs droits en vertu de la législation du
travail et des moyens de recours auxquels ils peuvent avoir accès;
b) les travailleurs appartenant à ces peuples ne soient pas soumis à des conditions de travail
qui mettent en danger leur santé, en particulier en raison d'une exposition à des pesticides ou à
d'autres substances toxiques;
116
c) les travailleurs appartenant à ces peuples ne soient pas soumis à des systèmes de
recrutement coercitifs, y compris la servitude pour dette sous toutes ses formes;
d) les travailleurs appartenant à ces peuples jouissent de l'égalité de chances et de traitement
entre hommes et femmes dans l'emploi et d'une protection contre le harcèlement sexuel.
4. Une attention particulière doit être portée à la création de services adéquats d'inspection du
travail dans les régions où des travailleurs appartenant aux peuples intéressés exercent des
activités salariées, de façon à assurer le respect des dispositions de la présente partie de la
convention.
PARTIE IV. FORMATION PROFESSIONNELLE, ARTISANAT ET INDUSTRIES
RURALES
Article 21
Les membres des peuples intéressés doivent pouvoir bénéficier de moyens de formation
professionnelle au moins égaux à ceux accordés aux autres citoyens.
Article 22
1. Des mesures doivent être prises pour promouvoir la participation volontaire des membres
des peuples intéressés aux programmes de formation professionnelle d'application générale.
2. Lorsque les programmes de formation professionnelle d'application générale existants ne
répondent pas aux besoins propres des peuples intéressés, les gouvernements doivent, avec la
participation de ceux-ci, faire en sorte que des programmes et des moyens spéciaux de
formation soient mis à leur disposition.
3. Les programmes spéciaux de formation doivent se fonder sur le milieu économique, la
situation sociale et culturelle et les besoins concrets des peuples intéressés. Toute étude en ce
domaine doit être réalisée en coopération avec ces peuples, qui doivent être consultés au sujet
de l'organisation et du fonctionnement de ces programmes. Lorsque c'est possible, ces peuples
doivent assumer progressivement la responsabilité de l'organisation et du fonctionnement de
ces programmes spéciaux de formation, s'ils en décident ainsi.
117
Article 23
1. L'artisanat, les industries rurales et communautaires, les activités relevant de l'économie de
subsistance et les activités traditionnelles des peuples intéressés, telles que la chasse, la pêche,
la chasse à la trappe et la cueillette, doivent être reconnus en tant que facteurs importants du
maintien de leur culture ainsi que de leur autosuffisance et de leur développement
économiques. Les gouvernements doivent, avec la participation de ces peuples, et, s'il y a lieu,
faire en sorte que ces activités soient renforcées et promues.
2. A la demande des peuples intéressés, il doit leur être fourni, lorsque c'est possible, une aide
technique et financière appropriée qui tienne compte des techniques traditionnelles et des
caractéristiques culturelles de ces peuples ainsi que de l'importance d'un développement
durable et équitable.
PARTIE V. SÉCURITÉ SOCIALE ET SANTÉ
Article 24
Les régimes de sécurité sociale doivent être progressivement étendus aux peuples intéressés et
être appliqués sans discrimination à leur encontre.
Article 25
1. Les gouvernements doivent faire en sorte que des services de santé adéquats soient mis à la
disposition des peuples intéressés ou doivent leur donner les moyens leur permettant
d'organiser et de dispenser de tels services sous leur responsabilité et leur contrôle propres, de
manière à ce qu'ils puissent jouir du plus haut niveau possible de santé physique et mentale.
2. Les services de santé doivent être autant que possible organisés au niveau communautaire.
Ces services doivent être planifiés et administrés en coopération avec les peuples intéressés et
tenir compte de leurs conditions économiques, géographiques, sociales et culturelles, ainsi
que de leurs méthodes de soins préventifs, pratiques de guérison et remèdes traditionnels.
118
3. Le système de soins de santé doit accorder la préférence à la formation et à l'emploi de
personnel de santé des communautés locales et se concentrer sur les soins de santé primaires,
tout en restant en rapport étroit avec les autres niveaux de services de santé.
4. La prestation de tels services de santé doit être coordonnée avec les autres mesures sociales,
économiques et culturelles prises dans le pays.
PARTIE VI. EDUCATION ET MOYENS DE COMMUNICATION
Article 26
Des mesures doivent être prises pour assurer aux membres des peuples intéressés la possibilité
d'acquérir une éducation à tous les niveaux au moins sur un pied d'égalité avec le reste de la
communauté nationale.
Article 27
1. Les programmes et les services d'éducation pour les peuples intéressés doivent être
développés et mis en œuvre en coopération avec ceux-ci pour répondre à leurs besoins
particuliers et doivent couvrir leur histoire, leurs connaissances et leurs techniques, leurs
systèmes de valeurs et leurs autres aspirations sociales, économiques et culturelles.
2. L'autorité compétente doit faire en sorte que la formation des membres des peuples
intéressés et leur participation à la formulation et à l'exécution des programmes d'éducation
soient assurées afin que la responsabilité de la conduite desdits programmes puisse être
progressivement transférée à ces peuples s'il y a lieu.
3. De plus, les gouvernements doivent reconnaître le droit de ces peuples de créer leurs
propres institutions et moyens d'éducation, à condition que ces institutions répondent aux
normes minimales établies par l'autorité compétente en consultation avec ces peuples. Des
ressources appropriées doivent leur être fournies à cette fin.
119
Article 28
1. Lorsque cela est réalisable, un enseignement doit être donné aux enfants des peuples
intéressés pour leur apprendre à lire et à écrire dans leur propre langue indigène ou dans la
langue qui est le plus communément utilisée par le groupe auquel ils appartiennent. Lorsque
cela n'est pas réalisable, les autorités compétentes doivent entreprendre des consultations avec
ces peuples en vue de l'adoption de mesures permettant d'atteindre cet objectif.
2. Des mesures adéquates doivent être prises pour assurer que ces peuples aient la possibilité
d'atteindre la maîtrise de la langue nationale ou de l'une des langues officielles du pays.
3. Des dispositions doivent être prises pour sauvegarder les langues indigènes des peuples
intéressés et en promouvoir le développement et la pratique.
Article 29
L'éducation doit viser à donner aux enfants des peuples intéressés des connaissances générales
et des aptitudes qui les aident à participer pleinement et sur un pied d'égalité à la vie de leur
propre communauté ainsi qu'à celle de la communauté nationale.
Article 30
1. Les gouvernements doivent prendre des mesures adaptées aux traditions et aux cultures des
peuples intéressés, en vue de leur faire connaître leurs droits et obligations, notamment en ce
qui concerne le travail, les possibilités économiques, les questions d'éducation et de santé, les
services sociaux et les droits résultant de la présente convention.
2. A cette fin, on aura recours, si nécessaire, à des traductions écrites et à l'utilisation des
moyens de communication de masse dans les langues desdits peuples.
Article 31
Des mesures de caractère éducatif doivent être prises dans tous les secteurs de la communauté
nationale, et particulièrement dans ceux qui sont le plus directement en contact avec les
peuples intéressés, afin d'éliminer les préjugés qu'ils pourraient nourrir à l'égard de ces
peuples. A cette fin, des efforts doivent être faits pour assurer que les livres d'histoire et autres
matériels pédagogiques fournissent une description équitable, exacte et documentée des
sociétés et cultures des peuples intéressés.
120
PARTIE VII. CONTACTS ET COOPÉRATION À TRAVERS LES FRONTIÈRES
Article 32
Les gouvernements doivent prendre les mesures appropriées, y compris au moyen d'accords
internationaux, pour faciliter les contacts et la coopération entre les peuples indigènes et
tribaux à travers les frontières, y compris dans les domaines économique, social, culturel,
spirituel et de l'environnement.
PARTIE VIII. ADMINISTRATION
Article 33
1. L'autorité gouvernementale responsable des questions faisant l'objet de la présente
convention doit s'assurer que des institutions ou autres mécanismes appropriés existent pour
administrer les programmes affectant les peuples intéressés et qu'ils disposent des moyens
nécessaires à l'accomplissement de leurs fonctions.
2. Ces programmes doivent inclure:
a) la planification, la coordination, la mise en oeuvre et l'évaluation, en coopération avec les
peuples intéressés, des mesures prévues par la présente convention;
b) la soumission aux autorités compétentes de propositions de mesures législatives et autres et
le contrôle de l'application de ces mesures, en coopération avec les peuples intéressés.
PARTIE IX. DISPOSITIONS GÉNÉRALES
121
Article 34
La nature et la portée des mesures à prendre pour donner effet à la présente convention
doivent être déterminées avec souplesse, compte tenu des conditions particulières à chaque
pays.
Article 35
L'application des dispositions de la présente convention ne doit pas porter atteinte aux droits
et aux avantages garantis aux peuples intéressés en vertu d'autres conventions et
recommandations, d'instruments internationaux, de traités, ou de lois, sentences, coutumes ou
accords nationaux.
PARTIE X. DISPOSITIONS FINALES
Article 36
La présente convention révise la convention relative aux populations aborigènes et tribales,
1957.
Article 37
Les ratifications formelles de la présente convention seront communiquées au Directeur
général du Bureau international du Travail et par lui enregistrées.
Article 38
1. La présente convention ne liera que les Membres de l'Organisation internationale du
Travail dont la ratification aura été enregistrée par le Directeur général.
2. Elle entrera en vigueur douze mois après que les ratifications de deux Membres auront été
enregistrées par le Directeur général.
3. Par la suite, cette convention entrera en vigueur pour chaque Membre douze mois après la
date où sa ratification aura été enregistrée.
122
Article 39
1. Tout Membre ayant ratifié la présente convention peut la dénoncer à l'expiration d'une
période de dix années après la date de la mise en vigueur initiale de la convention, par un acte
communiqué au Directeur général du Bureau international du Travail et par lui enregistré. La
dénonciation ne prendra effet qu'une année après avoir été enregistrée.
2. Tout Membre ayant ratifié la présente convention qui, dans le délai d'une année après
l'expiration de la période de dix années mentionnée au paragraphe précédent, ne fera pas
usage de la faculté de dénonciation prévue par le présent article sera lié pour une nouvelle
période de dix années et, par la suite, pourra dénoncer la présente convention à l'expiration de
chaque période de dix années dans les conditions prévues au présent article.
Article 40
1. Le Directeur général du Bureau international du Travail notifiera à tous les Membres de
l'Organisation internationale du Travail l'enregistrement de toutes les ratifications et
dénonciations qui lui seront communiquées par les Membres de l'Organisation.
2. En notifiant aux Membres de l'Organisation l'enregistrement de la deuxième ratification qui
lui aura été communiquée, le Directeur général appellera l'attention des Membres de
l'Organisation sur la date à laquelle la présente convention entrera en vigueur.
Article 41
Le Directeur général du Bureau international du Travail communiquera au Secrétaire général
des Nations Unies, aux fins d'enregistrement, conformément à l'article 102 de la Charte des
Nations Unies, des renseignements complets au sujet de toutes ratifications et de tous actes de
dénonciation qu'il aura enregistrés conformément aux articles précédents.
Article 42
Chaque fois qu'il le jugera nécessaire, le Conseil d'administration du Bureau international du
Travail présentera à la Conférence générale un rapport sur l'application de la présente
convention et examinera s'il y a lieu d'inscrire à l'ordre du jour de la Conférence la question de
sa révision totale ou partielle.
123
Article 43
1. Au cas où la Conférence adopterait une nouvelle convention portant révision totale ou
partielle de la présente convention, et à moins que la nouvelle convention ne dispose
autrement:
a) la ratification par un Membre de la nouvelle convention portant révision entraînerait de
plein droit, nonobstant l'article 39 ci-dessus, dénonciation immédiate de la présente
convention, sous réserve que la nouvelle convention portant révision soit entrée en vigueur;
b) à partir de la date de l'entrée en vigueur de la nouvelle convention portant révision, la
présente convention cesserait d'être ouverte à la ratification des Membres.
2. La présente convention demeurerait en tout cas en vigueur dans sa forme et teneur pour les
Membres qui l'auraient ratifiée et qui ne ratifieraient pas la convention portant révision.
Article 44
Les versions française et anglaise du texte de la présente convention font également foi.
124
Annexe 4 : Objectifs clés de la Deuxième décennie des populations autochtones, 2005-
2014.118
1) Promouvoir la non-discrimination et l’intégration des peuples autochtones dans la
conception, la mise en œuvre et l’évaluation des initiatives internationales, régionales et
nationales en matière de législation, de politiques, de ressources, de programmes et de
projets;
2) Promouvoir la participation pleine et entière des peuples autochtones à la prise des
décisions qui concernent directement ou indirectement leur mode de vie, leurs terres et
territoires traditionnels, leur intégrité culturelle en tant que peuples autochtones disposant
de droits collectifs ou tout autre aspect de leur vie, sur la base du principe du
consentement préalable, libre et éclairé;
3) Redéfinir les politiques de développement afin qu’elles soient fondées sur le principe
d’équité et culturellement acceptables, en respectant notamment la diversité culturelle et
linguistique des peuples autochtones;
4) Adopter des politiques, des programmes, des projets et des budgets axés sur le
développement des peuples autochtones, et notamment des objectifs d’étape concrets et
mettant un accent particulier sur les femmes, les enfants et les jeunes autochtones;
5) Mettre en place de solides mécanismes de suivi et renforcer le système de
responsabilisation à l’échelon international, régional et surtout national pour ce qui a trait
à la mise en œuvre de cadres juridiques, politiques et opérationnels pour la protection des
peuples autochtones et l’amélioration de leurs conditions de vie.
118 Site de l’Instance permanente des Nations Unies sur les questions autochtones
125
Annexe 5 : Déclaration des Nations Unies sur les droits des populations autochtones
Déclaration des Nations Unies
sur les droits des peuples autochtones
Résolution adoptée par l’Assemblée générale, 13 septembre 2007
L’Assemblée générale,
Guidée par les buts et principes énoncés dans la Charte des Nations Unies et convaincue que
les États se conformeront aux obligations que leur impose la Charte,
Affirmant que les peuples autochtones sont égaux à tous les autres peuples, tout en
reconnaissant le droit de tous les peuples d’être différents, de s’estimer différents et d’être
respectés en tant que tels,
Affirmant également que tous les peuples contribuent à la diversité et à la richesse des
civilisations et des cultures, qui constituent le patrimoine commun de l’humanité,
Affirmant en outre que toutes les doctrines, politiques et pratiques qui invoquent ou prônent la
supériorité de peuples ou d’individus en se fondant sur des différences d’ordre national, racial,
religieux, ethnique ou culturel sont racistes, scientifiquement fausses, juridiquement sans
valeur, moralement condamnables et socialement injustes,
Réaffirmant que les peuples autochtones, dans l’exercice de leurs droits, ne doivent faire
l’objet d’aucune forme de discrimination,
126
Préoccupée par le fait que les peuples autochtones ont subi des injustices historiques à cause,
entre autres, de la colonisation et de la dépossession de leurs terres, territoires et ressources,
ce qui les a empêchés d’exercer, notamment, leur droit au développement conformément à
leurs propres besoins et intérêts,
Consciente de la nécessité urgente de respecter et de promouvoir les droits intrinsèques des
peuples autochtones, qui découlent de leurs structures politiques, économiques et sociales et
de leur culture, de leurs traditions spirituelles, de leur histoire et de leur philosophie, en
particulier leurs droits à leurs terres, territoires et ressources,
Consciente également de la nécessité urgente de respecter et de promouvoir les droits des
peuples autochtones affirmés dans les traités, accords et autres arrangements constructifs
conclus avec les États,
Se félicitant du fait que les peuples autochtones s’organisent pour améliorer leur situation sur
les plans politique, économique, social et culturel et mettre fin à toutes les formes de
discrimination et d’oppression partout où elles se produisent,
Convaincue que le contrôle, par les peuples autochtones, des événements qui les concernent,
eux et leurs terres, territoires et ressources, leur permettra de perpétuer et de renforcer leurs
institutions, leur culture et leurs traditions et de promouvoir leur développement selon leurs
aspirations et leurs besoins,
Considérant que le respect des savoirs, des cultures et des pratiques traditionnelles
autochtones contribue à une mise en valeur durable et équitable de l’environnement et à sa
bonne gestion,
Soulignant la contribution de la démilitarisation des terres et territoires des peuples
autochtones à la paix, au progrès économique et social et au développement, à la
compréhension et aux relations amicales entre les nations et les peuples du monde,
Considérant en particulier le droit des familles et des communautés autochtones de conserver
la responsabilité partagée de l’éducation, de la formation, de l’instruction et du bien-être de
leurs enfants, conformément aux droits de l’enfant,
127
Estimant que les droits affirmés dans les traités, accords et autres arrangements constructifs
entre les États et les peuples autochtones sont, dans certaines situations, des sujets de
préoccupation, d’intérêt et de responsabilité à l’échelle internationale et présentent un
caractère international,
Estimant également que les traités, accords et autres arrangements constructifs, ainsi que les
relations qu’ils représentent, sont la base d’un partenariat renforcé entre les peuples
autochtones et les États,
Constatant que la Charte des Nations Unies, le Pacte international relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels et le Pacte international relatif aux droits civils et
politiques, ainsi que la Déclaration et le Programme d’action de Vienne, affirment
l’importance fondamentale du droit de tous les peuples de disposer d’eux-mêmes, droit en
vertu duquel ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur
développement économique, social et culturel,
Consciente qu’aucune disposition de la présente Déclaration ne pourra être invoquée pour
dénier à un peuple quel qu’il soit son droit à l’autodétermination, exercé conformément au
droit international,
Convaincue que la reconnaissance des droits des peuples autochtones dans la présente
Déclaration encouragera des relations harmonieuses et de coopération entre les États et les
peuples autochtones, fondées sur les principes de justice, de démocratie, de respect des droits
de l’homme, de non-discrimination et de bonne foi,
Encourageant les États à respecter et à mettre en œuvre effectivement toutes leurs obligations
applicables aux peuples autochtones en vertu des instruments internationaux, en particulier
ceux relatifs aux droits de l’homme, en consultation et en coopération avec les peuples
concernés,
Soulignant que l’Organisation des Nations Unies a un rôle important et continu à jouer dans la
promotion et la protection des droits des peuples autochtones,
Convaincue que la présente Déclaration est une nouvelle étape importante sur la voie de la
reconnaissance, de la promotion et de la protection des droits et libertés des peuples
128
autochtones et dans le développement des activités pertinentes du système des Nations Unies
dans ce domaine,
Considérant et réaffirmant que les autochtones sont admis à bénéficier sans aucune
discrimination de tous les droits de l’homme reconnus en droit international, et que les
peuples autochtones ont des droits collectifs qui sont indispensables à leur existence, à leur
bien-être et à leur développement intégral en tant que peuples,
Considérant que la situation des peuples autochtones n’est pas la même selon les régions et
les pays, et qu’il faut tenir compte de l’importance des particularités nationales ou régionales,
ainsi que de la variété des contextes historiques et culturels,
Proclame solennellement la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples
autochtones, dont le texte figure ci-après, qui constitue un idéal à atteindre dans un esprit de
partenariat et de respect mutuel :
Article premier
Les peuples autochtones ont le droit, à titre collectif ou individuel, de jouir pleinement de
l’ensemble des droits de l’homme et des libertés fondamentales reconnus par la Charte des
Nations Unies, la Déclaration universelle des droits de l’homme(4) et le droit international
relatif aux droits de l’homme.
Article 2
Les autochtones, peuples et individus, sont libres et égaux à tous les autres et ont le droit de
ne faire l’objet, dans l’exercice de leurs droits, d’aucune forme de discrimination fondée, en
particulier, sur leur origine ou leur identité autochtones.
Article 3
Les peuples autochtones ont le droit à l’autodétermination. En vertu de ce droit, ils
déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement
économique, social et culturel.
129
Article 4
Les peuples autochtones, dans l’exercice de leur droit à l’autodétermination, ont le droit d’être
autonomes et de s’administrer eux-mêmes pour tout ce qui touche à leurs affaires intérieures
et locales, ainsi que de disposer des moyens de financer leurs activités autonomes.
Article 5
Les peuples autochtones ont le droit de maintenir et de renforcer leurs institutions politiques,
juridiques, économiques, sociales et culturelles distinctes, tout en conservant le droit, si tel est
leur choix, de participer pleinement à la vie politique, économique, sociale et culturelle de
l’État.
Article 6
Tout autochtone a droit à une nationalité.
Article 7
1. Les autochtones ont droit à la vie, à l’intégrité physique et mentale, à la liberté et à la
sécurité de la personne.
2. Les peuples autochtones ont le droit, à titre collectif, de vivre dans la liberté, la paix et la
sécurité en tant que peuples distincts et ne font l’objet d’aucun acte de génocide ou autre acte
de violence, y compris le transfert forcé d’enfants autochtones d’un groupe à un autre.
Article 8
1. Les autochtones, peuples et individus, ont le droit de ne pas subir d’assimilation forcée ou
de destruction de leur culture.
2. Les États mettent en place des mécanismes de prévention et de réparation efficaces visant :
a) Tout acte ayant pour but ou pour effet de priver les autochtones de leur intégrité en tant que
peuples distincts, ou de leurs valeurs culturelles ou leur identité ethnique ;
b) Tout acte ayant pour but ou pour effet de les déposséder de leurs terres, territoires ou
ressources ;
130
c) Toute forme de transfert forcé de population ayant pour but ou pour effet de violer ou
d’éroder l’un quelconque de leurs droits ;
d) Toute forme d’assimilation ou d’intégration forcée ;
e) Toute forme de propagande dirigée contre eux dans le but d’encourager la discrimination
raciale ou ethnique ou d’y inciter.
Article 9
Les autochtones, peuples et individus, ont le droit d’appartenir à une communauté ou à une
nation autochtone, conformément aux traditions et coutumes de la communauté ou de la
nation considérée. Aucune discrimination quelle qu’elle soit ne saurait résulter de l’exercice
de ce droit.
Article 10
Les peuples autochtones ne peuvent être enlevés de force à leurs terres ou territoires. Aucune
réinstallation ne peut avoir lieu sans le consentement préalable
Ŕ donné librement et en connaissance de cause Ŕ des peuples autochtones concernés et un
accord sur une indemnisation juste et équitable et, lorsque cela est possible, la faculté de
retour.
Article 11
1. Les peuples autochtones ont le droit d’observer et de revivifier leurs traditions culturelles et
leurs coutumes. Ils ont notamment le droit de conserver, de protéger et de développer les
manifestations passées, présentes et futures de leur culture, telles que les sites archéologiques
et historiques, l’artisanat, les dessins et modèles, les rites, les techniques, les arts visuels et du
spectacle et la littérature.
2. Les États doivent accorder réparation par le biais de mécanismes efficaces Ŕ qui peuvent
comprendre la restitution Ŕ mis au point en concertation avec les peuples autochtones, en ce
qui concerne les biens culturels, intellectuels, religieux et spirituels qui leur ont été pris sans
leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, ou en violation de
leurs lois, traditions et coutumes.
131
Article 12
1. Les peuples autochtones ont le droit de manifester, de pratiquer, de promouvoir et
d’enseigner leurs traditions, coutumes et rites religieux et spirituels ; le droit d’entretenir et de
protéger leurs sites religieux et culturels et d’y avoir accès en privé ; le droit d’utiliser leurs
objets rituels et d’en disposer ; et le droit au rapatriement de leurs restes humains.
2. Les États veillent à permettre l’accès aux objets de culte et aux restes humains en leur
possession et/ou leur rapatriement, par le biais de mécanismes justes, transparents et efficaces
mis au point en concertation avec les peuples autochtones concernés.
Article 13
1. Les peuples autochtones ont le droit de revivifier, d’utiliser, de développer et de transmettre
aux générations futures leur histoire, leur langue, leurs traditions orales, leur philosophie, leur
système d’écriture et leur littérature, ainsi que de choisir et de conserver leurs propres noms
pour les communautés, les lieux et les personnes.
2. Les États prennent des mesures efficaces pour protéger ce droit et faire en sorte que les
peuples autochtones puissent comprendre et être compris dans les procédures politiques,
juridiques et administratives, en fournissant, si nécessaire, des services d’interprétation ou
d’autres moyens appropriés.
Article 14
1. Les peuples autochtones ont le droit d’établir et de contrôler leurs propres systèmes et
établissements scolaires où l’enseignement est dispensé dans leur propre langue, d’une
manière adaptée à leurs méthodes culturelles d’enseignement et d’apprentissage.
2. Les autochtones, en particulier les enfants, ont le droit d’accéder à tous les niveaux et à
toutes les formes d’enseignement public, sans discrimination aucune.
3. Les États, en concertation avec les peuples autochtones, prennent des mesures efficaces
pour que les autochtones, en particulier les enfants, vivant à l’extérieur de leur communauté,
puissent accéder, lorsque cela est possible, à un enseignement dispensé selon leur propre
culture et dans leur propre langue.
132
Article 15
1. Les peuples autochtones ont droit à ce que l’enseignement et les moyens d’information
reflètent fidèlement la dignité et la diversité de leurs cultures, de leurs traditions, de leur
histoire et de leurs aspirations.
2. Les États prennent des mesures efficaces, en consultation et en coopération avec les
peuples autochtones concernés, pour combattre les préjugés et éliminer la discrimination et
pour promouvoir la tolérance, la compréhension et de bonnes relations entre les peuples
autochtones et toutes les autres composantes de la société.
Article 16
1. Les peuples autochtones ont le droit d’établir leurs propres médias dans leur propre langue
et d’accéder à toutes les formes de médias non autochtones sans discrimination aucune.
2. Les États prennent des mesures efficaces pour faire en sorte que les médias publics reflètent
dûment la diversité culturelle autochtone. Les États, sans préjudice de l’obligation d’assurer
pleinement la liberté d’expression, encouragent les médias privés à refléter de manière
adéquate la diversité culturelle autochtone.
Article 17
1. Les autochtones, individus et peuples, ont le droit de jouir pleinement de tous les droits
établis par le droit du travail international et national applicable.
2. Les États doivent, en consultation et en coopération avec les peuples autochtones, prendre
des mesures visant spécifiquement à protéger les enfants autochtones contre l’exploitation
économique et contre tout travail susceptible d’être dangereux ou d’entraver leur éducation ou
de nuire à leur santé ou à leur développement physique, mental, spirituel, moral ou social, en
tenant compte de leur vulnérabilité particulière et de l’importance de l’éducation pour leur
autonomisation.
3. Les autochtones ont le droit de n’être soumis à aucune condition de travail discriminatoire,
notamment en matière d’emploi ou de rémunération.
133
Article 18
Les peuples autochtones ont le droit de participer à la prise de décisions sur des questions qui
peuvent concerner leurs droits, par l’intermédiaire de représentants qu’ils ont eux-mêmes
choisis conformément à leurs propres procédures, ainsi que le droit de conserver et de
développer leurs propres institutions décisionnelles.
Article 19
Les États se concertent et coopèrent de bonne foi avec les peuples autochtones intéressés Ŕ par
l’intermédiaire de leurs propres institutions représentatives Ŕ avant d’adopter et d’appliquer
des mesures législatives ou administratives susceptibles de concerner les peuples autochtones,
afin d’obtenir leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause.
Article 20
1. Les peuples autochtones ont le droit de conserver et de développer leurs systèmes ou
institutions politiques, économiques et sociaux, de disposer en toute sécurité de leurs propres
moyens de subsistance et de développement et de se livrer librement à toutes leurs activités
économiques, traditionnelles et autres.
2. Les peuples autochtones privés de leurs moyens de subsistance et de développement ont
droit à une indemnisation juste et équitable.
Article 21
1. Les peuples autochtones ont droit, sans discrimination d’aucune sorte, à l’amélioration de
leur situation économique et sociale, notamment dans les domaines de l’éducation, de
l’emploi, de la formation et de la reconversion professionnelles, du logement, de
l’assainissement, de la santé et de la sécurité sociale.
2. Les États prennent des mesures efficaces et, selon qu’il conviendra, des mesures spéciales
pour assurer une amélioration continue de la situation économique et sociale des peuples
autochtones. Une attention particulière est accordée aux droits et aux besoins particuliers des
anciens, des femmes, des jeunes, des enfants et des personnes handicapées autochtones.
134
Article 22
1. Une attention particulière est accordée aux droits et aux besoins spéciaux des anciens, des
femmes, des jeunes, des enfants et des personnes handicapées autochtones dans l’application
de la présente Déclaration.
2. Les États prennent des mesures, en concertation avec les peuples autochtones, pour veiller à
ce que les femmes et les enfants autochtones soient pleinement protégés contre toutes les
formes de violence et de discrimination et bénéficient des garanties voulues.
Article 23
Les peuples autochtones ont le droit de définir et d’élaborer des priorités et des stratégies en
vue d’exercer leur droit au développement. En particulier, ils ont le droit d’être activement
associés à l’élaboration et à la définition des programmes de santé, de logement et d’autres
programmes économiques et sociaux les concernant, et, autant que possible, de les administrer
par l’intermédiaire de leurs propres institutions.
Article 24
1. Les peuples autochtones ont droit à leur pharmacopée traditionnelle et ils ont le droit de
conserver leurs pratiques médicales, notamment de préserver leurs plantes médicinales,
animaux et minéraux d’intérêt vital. Les autochtones ont aussi le droit d’avoir accès, sans
aucune discrimination, à tous les services sociaux et de santé.
2. Les autochtones ont le droit, en toute égalité, de jouir du meilleur état possible de santé
physique et mentale. Les États prennent les mesures nécessaires en vue d’assurer
progressivement la pleine réalisation de ce droit.
Article 25
Les peuples autochtones ont le droit de conserver et de renforcer leurs liens spirituels
particuliers avec les terres, territoires, eaux et zones maritimes côtières et autres ressources
qu’ils possèdent ou occupent et utilisent traditionnellement, et d’assumer leurs responsabilités
en la matière à l’égard des générations futures.
135
Article 26
1. Les peuples autochtones ont le droit aux terres, territoires et ressources qu’ils possèdent et
occupent traditionnellement ou qu’ils ont utilisés ou acquis.
2. Les peuples autochtones ont le droit de posséder, d’utiliser, de mettre en valeur et de
contrôler les terres, territoires et ressources qu’ils possèdent parce qu’ils leur appartiennent ou
qu’ils les occupent ou les utilisent traditionnellement, ainsi que ceux qu’ils ont acquis.
3. Les États accordent reconnaissance et protection juridiques à ces terres, territoires et
ressources. Cette reconnaissance se fait en respectant dûment les coutumes, traditions et
régimes fonciers des peuples autochtones concernés.
Article 27
Les États mettront en place et appliqueront, en concertation avec les peuples autochtones
concernés, un processus équitable, indépendant, impartial, ouvert et transparent prenant
dûment en compte les lois, traditions, coutumes et régimes fonciers des peuples autochtones,
afin de reconnaître les droits des peuples autochtones en ce qui concerne leurs terres,
territoires et ressources, y compris ceux qu’ils possèdent, occupent ou utilisent
traditionnellement, et de statuer sur ces droits. Les peuples autochtones auront le droit de
participer à ce processus.
Article 28
1. Les peuples autochtones ont droit à réparation, par le biais, notamment, de la restitution ou,
lorsque cela n’est pas possible, d’une indemnisation juste, correcte et équitable pour les terres,
territoires et ressources qu’ils possédaient traditionnellement ou occupaient ou utilisaient et
qui ont été confisqués, pris, occupés, exploités ou dégradés sans leur consentement préalable,
donné librement et en connaissance de cause.
2. Sauf si les peuples concernés en décident librement d’une autre façon, l’indemnisation se
fait sous forme de terres, de territoires et de ressources équivalents par leur qualité, leur
étendue et leur régime juridique, ou d’une indemnité pécuniaire ou de toute autre réparation
appropriée.
136
Article 29
1. Les peuples autochtones ont droit à la préservation et à la protection de leur environnement
et de la capacité de production de leurs terres ou territoires et ressources. À ces fins, les États
établissent et mettent en œuvre des programmes d’assistance à l’intention des peuples
autochtones, sans discrimination d’aucune sorte.
2. Les États prennent des mesures efficaces pour veiller à ce qu’aucune matière dangereuse ne
soit stockée ou déchargée sur les terres ou territoires des peuples autochtones sans leur
consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause.
3. Les États prennent aussi, selon que de besoin, des mesures efficaces pour veiller à ce que
des programmes de surveillance, de prévention et de soins de santé destinés aux peuples
autochtones affectés par ces matières, et conçus et exécutés par eux, soient dûment mis en
œuvre.
Article 30
1. Il ne peut y avoir d’activités militaires sur les terres ou territoires des peuples autochtones,
à moins que ces activités ne soient justifiées par des raisons d’intérêt public ou qu’elles
n’aient été librement décidées en accord avec les peuples autochtones concernés, ou
demandées par ces derniers.
2. Les États engagent des consultations effectives avec les peuples autochtones concernés, par
le biais de procédures appropriées et, en particulier, par l’intermédiaire de leurs institutions
représentatives, avant d’utiliser leurs terres et territoires pour des activités militaires.
Article 31
1. Les peuples autochtones ont le droit de préserver, de contrôler, de protéger et de développer
leur patrimoine culturel, leur savoir traditionnel et leurs expressions culturelles traditionnelles
ainsi que les manifestations de leurs sciences, techniques et culture, y compris leurs
ressources humaines et génétiques, leurs semences, leur pharmacopée, leur connaissance des
propriétés de la faune et de la flore, leurs traditions orales, leur littérature, leur esthétique,
leurs sports et leurs jeux traditionnels et leurs arts visuels et du spectacle. Ils ont également le
droit de préserver, de contrôler, de protéger et de développer leur propriété intellectuelle
collective de ce patrimoine culturel, de ce savoir traditionnel et de ces expressions culturelles
traditionnelles.
137
2. En concertation avec les peuples autochtones, les États prennent des mesures efficaces pour
reconnaître ces droits et en protéger l’exercice.
Article 32
1. Les peuples autochtones ont le droit de définir et d’établir des priorités et des stratégies
pour la mise en valeur et l’utilisation de leurs terres ou territoires et autres ressources.
2. Les États consultent les peuples autochtones concernés et coopèrent avec eux de bonne foi
par l’intermédiaire de leurs propres institutions représentatives, en vue d’obtenir leur
consentement, donné librement et en connaissance de cause, avant l’approbation de tout projet
ayant des incidences sur leurs terres ou territoires et autres ressources, notamment en ce qui
concerne la mise en valeur, l’utilisation ou l’exploitation des ressources minérales, hydriques
ou autres.
3. Les États mettent en place des mécanismes efficaces visant à assurer une réparation juste et
équitable pour toute activité de cette nature, et des mesures adéquates sont prises pour en
atténuer les effets néfastes sur les plans environnemental, économique, social, culturel ou
spirituel.
Article 33
1. Les peuples autochtones ont le droit de décider de leur propre identité ou appartenance
conformément à leurs coutumes et traditions, sans préjudice du droit des autochtones
d’obtenir, à titre individuel, la citoyenneté de l’État dans lequel ils vivent.
2. Les peuples autochtones ont le droit de déterminer les structures de leurs institutions et d’en
choisir les membres selon leurs propres procédures.
Article 34
Les peuples autochtones ont le droit de promouvoir, de développer et de conserver leurs
structures institutionnelles et leurs coutumes, spiritualité, traditions, procédures ou pratiques
particulières et, lorsqu’ils existent, leurs systèmes ou coutumes juridiques, en conformité avec
les normes internationales relatives aux droits de l’homme.
138
Article 35
Les peuples autochtones ont le droit de déterminer les responsabilités des individus envers
leur communauté.
Article 36
1. Les peuples autochtones, en particulier ceux qui vivent de part et d’autre de frontières
internationales, ont le droit d’entretenir et de développer, à travers ces frontières, des contacts,
des relations et des liens de coopération avec leurs propres membres ainsi qu’avec les autres
peuples, notamment des activités ayant des buts spirituels, culturels, politiques, économiques
et sociaux.
2. Les États prennent, en consultation et en coopération avec les peuples autochtones, des
mesures efficaces pour faciliter l’exercice de ce droit et en assurer l’application.
Article 37
1. Les peuples autochtones ont droit à ce que les traités, accords et autres arrangements
constructifs conclus avec des États ou leurs successeurs soient reconnus et effectivement
appliqués, et à ce que les États honorent et respectent lesdits traités, accords et autres
arrangements constructifs.
2. Aucune disposition de la présente Déclaration ne peut être interprétée de manière à
diminuer ou à nier les droits des peuples autochtones énoncés dans des traités, accords et
autres arrangements constructifs.
Article 38
Les États prennent, en consultation et en coopération avec les peuples autochtones, les
mesures appropriées, y compris législatives, pour atteindre les buts de la présente Déclaration.
Article 39
Les peuples autochtones ont le droit d’avoir accès à une assistance financière et technique, de
la part des États et dans le cadre de la coopération internationale, pour jouir des droits énoncés
dans la présente Déclaration.
139
Article 40
Les peuples autochtones ont le droit d’avoir accès à des procédures justes et équitables pour le
règlement des conflits et des différends avec les États ou d’autres parties et à une décision
rapide en la matière, ainsi qu’à des voies de recours efficaces pour toute violation de leurs
droits individuels et collectifs. Toute décision en la matière prendra dûment en considération
les coutumes, traditions, règles et systèmes juridiques des peuples autochtones concernés et
les normes internationales relatives aux droits de l’homme.
Article 41
Les organes et les institutions spécialisées du système des Nations Unies et d’autres
organisations intergouvernementales contribuent à la pleine mise en œuvre des dispositions de
la présente Déclaration par la mobilisation, notamment, de la coopération financière et de
l’assistance technique. Les moyens d’assurer la participation des peuples autochtones à
l’examen des questions les concernant doivent être mis en place.
Article 42
L’Organisation des Nations Unies, ses organes, en particulier l’Instance permanente sur les
questions autochtones, les institutions spécialisées, notamment au niveau des pays, et les États
favorisent le respect et la pleine application des dispositions de la présente Déclaration et
veillent à en assurer l’efficacité.
Article 43
Les droits reconnus dans la présente Déclaration constituent les normes minimales nécessaires
à la survie, à la dignité et au bien-être des peuples autochtones du monde.
Article 44
Tous les droits et libertés reconnus dans la présente Déclaration sont garantis de la même
façon à tous les autochtones, hommes et femmes.
140
Article 45
Aucune disposition de la présente Déclaration ne peut être interprétée comme entraînant la
diminution ou l’extinction de droits que les peuples autochtones ont déjà ou sont susceptibles
d’acquérir à l’avenir.
Article 46
1. Aucune disposition de la présente Déclaration ne peut être interprétée comme impliquant
pour un État, un peuple, un groupement ou un individu un droit quelconque de se livrer à une
activité ou d’accomplir un acte contraire à la Charte des Nations Unies, ni considérée comme
autorisant ou encourageant aucun acte ayant pour effet de détruire ou d’amoindrir, totalement
ou partiellement, l’intégrité territoriale ou l’unité politique d’un État souverain et indépendant.
2. Dans l’exercice des droits énoncés dans la présente Déclaration, les droits de l’homme et
les libertés fondamentales de tous sont respectés. L’exercice des droits énoncés dans la
présente Déclaration est soumis uniquement aux restrictions prévues par la loi et conformes
aux obligations internationales relatives aux droits de l’homme. Toute restriction de cette
nature sera non discriminatoire et strictement nécessaire à seule fin d’assurer la
reconnaissance et le respect des droits et libertés d’autrui et de satisfaire aux justes exigences
qui s’imposent dans une société démocratique.
3. Les dispositions énoncées dans la présente Déclaration seront interprétées conformément
aux principes de justice, de démocratie, de respect des droits de l’homme, d’égalité, de non-
discrimination, de bonne gouvernance et de bonne foi.
141
Annexe 6 : (photo 1) Evo Morales, président de la République plurinationale de Bolivie
Lat
inre
port
ers.
org
142
Annexe 7 : Les grandes dates récentes des mouvements indiens en Bolivie
1990 : Du 15 août au 16 septembre, marche des indiens du Béni sur La Paz.
1995 : Fondation, par Evo Morales, de l’Instrument pour la souveraineté du peuple (IPSP)
qui deviendra le Movimiento al Socialismo (MAS), Mouvement vers le socialisme.
1996 : Nombreux mouvements, marches, et affrontements entre les cocaleros et les forces
de l’ordre pour protester contre les plans d’éradication de la coca.
2000 : Avril, « Guerre de l’eau », à Cochabamba
2002 : 30 juin, Evo Morales arrive second à l’élection présidentielle avec 20,85% des voix
et son parti, le MAS, devient le second parti politique du pays.
2003 : 15 septembre-17 octobre, « guerre du gaz »
2005 : 18 décembre, élection d’Evo Morales en tant que président de la république avec
53,7% des suffrages exprimés.
2006 : 1er
mai, nationalisation des hydrocarbures
3 juin, lancement de la nouvelle réforme agraire.
2 juillet, élections à la Constituante. Ce sont lors de ces élections que se sont
réveillées et exprimées les tendances autonomistes des départements formant la Media
Luna (Demi Lune), c'est-à-dire ceux de Santa Cruz, Beni, Pando et Tarija.
2007 : Révolte ouverte de la Media Luna rejointe par les départements de Cochabamba et
Chuquisaca. Nombreux incidents. Rédaction de projets de « constitutions » autonomes
départementales.
10-12 octobre, rencontre indigène mondiale pour célébrer la Déclaration des droits des
peuples indigènes, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies.
Référendums (déclarés illégaux) dans les départements de la Media Luna : Santa Cruz (4
mai), Beni et Pando (1er
juin), et Tarija (22 juin), tous remportés par les autonomistes.
2008 : 10 août, référendum révocatoire national confirmant le président Morales dans ses
fonctions (67,4% des votants et participation de 80% de l’électorat) mais aussi 4 des
préfets autonomistes de la Media Lun.
15 septembre : après le massacre des paysans de Pando (11 septembre), réunion
d’urgence, à Santiago, de l’Union des nations sud-américaines (UNASUR), qui apporte un
soutien unanime au président Morales
2009 : 6 décembre, Evo Morales est réélu président avec 61% des voix.
9 décembre : adoption de la nouvelle Constitution.
2010 : juin, premières manifestations de paysans indigènes contre le gouvernement de
Morales.
143
Annexe 8 : (photo 2) Marche pour la nouvelle Constitution Politique de l’Etat, Octobre
2008
Lat
inre
ph
oto
.org
144
Annexe 9 : (photo3) « Que rien ni personne ne nous arrête », fin de la journée du
référendum autonomiste de Santa Cruz. Partisans du « oui ».
Lat
inre
ph
oto
.org
145
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propriété intellectuelle relative aux ressources génétiques, aux savoirs traditionnels et au
folklore, Onzième session, Genève, 3-12 juillet 2007,
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Autre :
- Revue hors-série de Courrier International, Fiers d’être indiens. Politique, identité, culture,
juin-juillet-août 2007
- Film “Cocalero”, d’Alejandro Landes, 2007.
151
Table des matières
Introduction ................................................................................................................................ 6
Première partie : Populations autochtones et revendications identitaires : de l’exclusion à la
reconnaissance internationale ................................................................................................... 10
I) Etat, nationalisme ethnique et revendications identitaires .................................................... 11
1) Définition des critères sociologiques ............................................................................... 11
a) La nation ....................................................................................................................... 11
b) Le nationalisme : .......................................................................................................... 13
c) L’ethnicité ..................................................................................................................... 15
d) Nationalisme ethnique et revendications identitaires ................................................... 18
2) Le mouvement indigéniste en Amérique Latine ................................................................ 19
a) La pensée indigéniste : populations indigènes et métissage ...................................... 22
b) Indigénisme et marxisme : ......................................................................................... 24
c) La politique indigéniste et ses caractéristiques : quelles avancées pour les Indiens ?
26
d) Politique indigéniste et démographie: ....................................................................... 28
3) De l’indigénisme à l’Indianisme : .................................................................................... 29
a) Les organisations indianistes : ................................................................................... 31
b) L’Etat et la gestion de l’ethnicité : ............................................................................. 35
II) Cadre juridique de la lutte des populations autochtones pour une reconnaissance
internationale ............................................................................................................................ 36
1) Qui sont les peuples autochtones ? ............................................................................... 37
2) Quels mécanismes de défense et de reconnaissance des droits des populations
autochtones ? ........................................................................................................................ 39
a) Le Programme Andin (1953): .................................................................................... 39
b) La Convention 169 relative aux populations aborigènes et tribales adoptée par
l’Organisation Internationale du Travail (OIT) le 7 juin 1989 ......................................... 41
152
c) La création du groupe de travail sur les populations indigènes et les actions qui en
découlent. .......................................................................................................................... 44
d) L’Unesco : ................................................................................................................. 46
e) La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones ............... 47
Deuxième partie : la Bolivie représente-t-elle un succès des revendications identitaires ? ..... 52
I) Etre indien en Bolivie ........................................................................................................... 53
1) Le territoire bolivien et l’existence d’une double identité ............................................ 53
2) Evolution de la prise en compte de l’indien dans la société bolivienne à travers les
recensements ......................................................................................................................... 57
3) L’ethnicité dans la vie politique bolivienne aujourd’hui .............................................. 63
4) Premières formes d’instrumentalisation politique de l’identité et revendications ....... 67
a) Du katarisme au syndicalisme bolivien ..................................................................... 67
b) Les manifestations contre la commémoration des 500 ans de la découverte du
continent latino-américain en Bolivie .............................................................................. 70
II) L’élection d’Evo Morales, un nouveau tournant pour le pays ? ......................................... 74
1) De cocalero à président de la Bolivie : retour sur le parcours de Morales ................. 76
a) Force de mobilisation des cocaleros et des organisations syndicales boliviennes .... 76
b) Guerre de l’eau et guerre du gaz : ou comment l’indianité va devenir une source de
capital politique ................................................................................................................. 80
2) Les réformes de Morales : quel progrès pour les populations indigènes ? .................. 83
a) Un nouveau président, une nouvelle constitution : .................................................... 88
b) Crise politique, menaces sécessionnistes et désirs d’autonomie: l’introduction de
« l’autonomie » dans le débat politique ............................................................................ 94
Conclusion: Quel bilan pour la Bolivie d’Evo Morales ? ...................................................... 101
Annexes .................................................................................................................................. 103
Annexe 1 : Répartition géographique des populations autochtones en 1492 selon les
familles linguistiques .......................................................................................................... 104
Annexe 2 : répartition des grands groupes ethniques en 2007 ........................................... 105
153
Annexe 3 : Convention 169, relative aux peuples indigènes et tribaux adoptée par l’OIT en
1989 .................................................................................................................................... 106
Annexe 4 : Objectifs clés de la Deuxième décennie des populations autochtones, 2005-
2014. ................................................................................................................................... 124
Annexe 5 : Déclaration des Nations Unies sur les droits des populations autochtones ..... 125
Annexe 6 : (photo 1) Evo Morales, président de la République plurinationale de Bolivie141
Annexe 7 : Les grandes dates récentes des mouvements indiens en Bolivie ..................... 142
Annexe 8 : (photo 2) Marche pour la nouvelle Constitution Politique de l’Etat, Octobre
2008 .................................................................................................................................... 143
Annexe 9 : (photo3) « Que rien ni personne ne nous arrête », fin de la journée du
référendum autonomiste de Santa Cruz. Partisans du « oui ». ........................................... 144
Bibliographie .......................................................................................................................... 145
2007 : une année clé pour les nombreuses populations autochtones à travers le monde.
Après plusieurs siècles de combat pour revendiquer leurs droits, elles obtiennent enfin gain de
cause. L’Organisation des Nations Unies (ONU) adopte le 13 septembre la Déclaration sur les
droits des populations autochtones.
Longtemps marginalisées, exploitées et soumises, les populations autochtones n’ont
pourtant jamais cessé de se battre pour que la justice soit rétablie. Du Canada à la Terre de
Feu, en passant par l’Australie, elles ont réussi à s’organiser et à faire entendre leurs voix. La
déclaration des Nations Unies représente une consécration pour ces peuples. Un autre
évènement aura pour elles tout autant de signification : l’élection d’un président indien, Evo
Morales en Bolivie en décembre 2005. Tournant fondamental dans l’histoire de la Bolivie,
cette accession au pouvoir d’un indien a valeur d’exemple pour les populations indigènes du
monde entier. Elle est synonyme d’espoir, de changement et de renaissance.
Dans un des pays les plus pauvres d’Amérique du Sud, comptant la plus importante
population indigène du continent, l’arrivée au pouvoir d’un indien aymara transforme
complètement le sort de millions d’indiens jusqu’alors ignorés par une minorité blanche et
créole, détentrice du pouvoir depuis des siècles. Celle-ci n’a pas accueilli avec bienveillance
les transformations politiques et sociales, n’hésitant pas à menacer l’unité du pays.
A la lumière des événements qui se sont déroulés dans le pays depuis 2005, alors que
la communauté internationale reconnaissait les droits des populations autochtones, est-il
possible d’affirmer aujourd’hui que la Bolivie représente un succès des revendications
identitaires ?
Mots-clés : populations autochtones, identité, revendications, Evo Morales, Bolivie.
2010
Institut d’Etudes Politiques (IEP) de Toulouse
Mémoire de recherche présenté par Anna Raluy
Directeur de mémoire : Mr Labatut
Populations autochtones et revendications identitaires : l’exemple de la
Bolivie
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