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La préoccupation fondamentale qui sous-tend ce travail a trait aux formes du pouvoir. Ce travail l’abordera au travers de différentes théories des Relations Internationales, ainsi que de sociologie politique dans l’optique de défendre une approche interdisciplinaire du pouvoir, afin d’être outiller pour le saisir dans toute l’hétérogénéité de ses formes. Une étude du cas du Lesotho Highlands Water Project servira à illustrer les formes autant discursives, symboliques, matérielles qu’infrastructurelles que le pouvoir peut prendre. Un premier développement servira à confronter les approches de RI avec la sociologie politique, afin de mettre en avant les limitations inhérentes à certains postulats anhistoriques et universalistes des RI. Une question analogue se pose autour de l’enjeu plus spécifique de l’eau en confrontant les approches de l’eau, inspirées des RI, avec des approches de géographie politique, d’écologie politique, ainsi que de théories critiques de la sécurité. La notion gramscienne d’hégémonie va servir à saisir les dynamiques transnationales et internationales de diffusion de normes, ainsi que de paradigmes dominants dans l’analyse des enjeux d’eau. L’étude du LHWP commencera par une contextualisation en termes d’historicité de la trajectoire de l’État du Lesotho. Puis ce sera la trajectoire historique de l’Afrique du Sud qui va être abordée, mais de manière plus ciblée autour des enjeux de transferts d’eau et de politiques hydrauliques. L’étude du processus de négociations permettra de monter que des enjeux essentiels en termes de coalitions transnationales de soutien au Projet se sont noués à ce moment. Puis une mise en perspective au travers d’une confrontation des discours hégémoniques et contre-hégémoniques à propos de ce Projet, qui le catégorisent respectivement comme une coopération offrant des « bénéfices partagés » pour les parties prenantes, et de l’autre comme étant le « démon des Highlands » va permettre de déployer l’espace de lutte sur l’enjeu de l’interprétation du Projet. Il sera mis en avant que cet espace est dominé par un certain nombre de postulats et de concepts hégémoniques qui instituent le LHWP comme une réussite. Après avoir brièvement conclu en revenant sur les différents points d’une analyse au travers des catégories du WD, une toute dernière partie servira à mettre en avant la contribution essentielle qu’offrirait une approche de sociologie politique des enjeux de transferts d’eau, particulièrement dans un cas transfrontalier comme le LHWP.
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UNIVERSIT DE PARIS 1- PANTHEON SORBONNE
INSTITUT DTUDES DU DVELOPPEMENT CONOMIQUE ET SOCIAL
Master 2 Recherche : Socits en dveloppement : recompositions politiques, mobilits et territoires
SPCIALIT SOCIO-ANTHROPOLOGIE DU POLITIQUE
Le pige territorial de ltat-nation, Pour une sociologie politique des espaces hydropolitiques Le cas du Lesotho Highlands Water Project
Par Yannick Rousselot
Sous la direction du professeur Jean-Yves Moisseron
SEPTEMBRE 2013
-2-
Mohale Dam, LHWP, District de Maseru, Lesotho, Avril 2011.
-3-
-4-
Je tiens adresser mes remerciements mon directeur de mmoire, M. Moisseron, pour ses encourage-ments. Je souhaite transmettre toute ma gratitude M. Lenka et M.Kapa pour le temps quils mont consacr lors de mon terrain au Lesotho. Je remercie galement Vincent, Julien, Dylan et Samuel pour leur relecture et leurs prcieux conseils. Enfin, je tiens remercier ma famille et mes amis pour leur soutien tout au long de ce laborieux processus dcriture. Et plus particulirement encore Cline pour sa confiance inconditionnelle et son aide indispensable.
-5-
1.1 Rsum
La proccupation fondamentale qui sous-tend ce travail a trait aux formes du pouvoir. Ce travail
labordera au travers de diffrentes thories des Relations Internationales, ainsi que de sociologie
politique dans loptique de dfendre une approche interdisciplinaire du pouvoir, afin dtre outiller
pour le saisir dans toute lhtrognit de ses formes. Une tude du cas du Lesotho Highlands Water
Project servira illustrer les formes autant discursives, symboliques, matrielles quinfrastructurelles
que le pouvoir peut prendre. Un premier dveloppement servira confronter les approches de RI avec
la sociologie politique, afin de mettre en avant les limitations inhrentes certains postulats
anhistoriques et universalistes des RI. Une question analogue se pose autour de lenjeu plus spcifique
de leau en confrontant les approches de leau, inspires des RI, avec des approches de gographie
politique, dcologie politique, ainsi que de thories critiques de la scurit. La notion gramscienne
dhgmonie va servir saisir les dynamiques transnationales et internationales de diffusion de
normes, ainsi que de paradigmes dominants dans lanalyse des enjeux deau. Ltude du LHWP
commencera par une contextualisation en termes dhistoricit de la trajectoire de ltat du Lesotho.
Puis ce sera la trajectoire historique de lAfrique du Sud qui va tre aborde, mais de manire plus
cible autour des enjeux de transferts deau et de politiques hydrauliques. Ltude du processus de
ngociations permettra de monter que des enjeux essentiels en termes de coalitions transnationales de
soutien au Projet se sont nous ce moment. Puis une mise en perspective au travers dune
confrontation des discours hgmoniques et contre-hgmoniques propos de ce Projet, qui le
catgorisent respectivement comme une coopration offrant des bnfices partags pour les
parties prenantes, et de lautre comme tant le dmon des Highlands va permettre de dployer
lespace de lutte sur lenjeu de linterprtation du Projet. Il sera mis en avant que cet espace est domin
par un certain nombre de postulats et de concepts hgmoniques qui instituent le LHWP comme une
russite. Aprs avoir brivement conclu en revenant sur les diffrents points dune analyse au travers
des catgories du WD, une toute dernire partie servira mettre en avant la contribution essentielle
quoffrirait une approche de sociologie politique des enjeux de transferts deau, particulirement dans
un cas transfrontalier comme le LHWP.
-6-
TABLE DES MATIRES
1.1 Rsum .............................................................................................................................................................. 5
Table des matires ..................................................................................................................................................... 6
2 Introduction ....................................................................................................................................................... 7
3 Elments thoriques .........................................................................................................................................14
3.1 Relations Internationales et historicit de ltat-Nation ................................................................................. 15 3.1.1 Le pige territorial ................................................................................................................................. 15 3.1.2 Sociologie politique de ltat en Afrique sub-saharienne ........................................................................... 20
3.1.2.1 Trajectoires historiques des formes dtat-nation ............................................................................. 20 3.1.2.2 Esquisse dune Gouvernementalit nocoloniale .............................................................................. 26 3.1.2.3 Historicit des hgmonies du Dveloppement .......................................................................... 31 3.1.2.4 De la Gouvernance ............................................................................................................................. 33
3.2 Vers une sociologie politique de leau ? .......................................................................................................... 42 3.2.1 Dconstruction du stress hydrique (Water Scarcity) .................................................................................. 46 3.2.2 Water Discourse et thories des RI ....................................................................................................... 48
3.2.2.1 Guerres de leau, Paix de leau ........................................................................................................... 50 3.2.3 Processus dhgmonie et hydropolitiques rgionales .............................................................................. 55
3.2.3.1 Formes tatiques et hydropolitique................................................................................................... 55 3.2.3.2 Hgmonies et Institutions internationales ....................................................................................... 59
4 Cas dtude: le Lesotho Highlands Water Project ..............................................................................................62
4.1 Introduction ..................................................................................................................................................... 63
4.2 De la gographie hydropolitique de lAfrique Australe ................................................................................... 66 4.2.1 Trajectoire historique du Lesotho ............................................................................................................... 66
4.2.1.1 Un tat no-colonial ........................................................................................................................... 71 4.2.1.2 La Nation Basotho contre l'tat : Un nationalisme vernaculaire vs un nationalisme oligarchique .... 72 4.2.1.3 La dpendance comme stratgie discursive et matrielle ................................................................. 75
4.2.2 Lespace hydraulique Sud-Africain .............................................................................................................. 78 4.2.2.1 La Mission hydraulique de l'tat sud-africain .............................................................................. 82 4.2.2.2 Le complexe hydropolitique de lAfrique austral ............................................................................... 88
4.2.3 Du LHWS au LHWP ...................................................................................................................................... 94
4.3 Processus de ngociations pour le Trait de 1986 .......................................................................................... 99
4.4 Hgmonie et contre-hgmonie dans linterprtation du LHWP ................................................................ 106 4.4.1 Le concept hgmonique des bnfices partags .............................................................................. 106 4.4.2 Le dmon des Highlands , stratgies contre-hgmoniques ............................................................... 109
4.4.2.1 La contre-hgmonie dans la contestation sur l'enjeu des Resettlements ..................................... 110
4.5 Discussion ...................................................................................................................................................... 116 4.5.1.1 Fracture des socits politiques vs tat-conteneur ................................................................... 116 4.5.1.2 Souverainet territoriale et stratgies territoriales ......................................................................... 118 4.5.1.3 Lintenable dichotomie politiques domestiques/politiques extrieures ......................................... 118
4.5.2 Vers une sociologie politique de leau ...................................................................................................... 120 4.5.2.1 Les extraversions hydrauliques ........................................................................................................ 121
5 Conclusion ....................................................................................................................................................... 124
6 Bibliographie ................................................................................................................................................... 126
7 Annexe: Draft de projet de thse FNS ............................................................................................................. 131
-7-
2 Introduction
On ne doute jamais trop,
quand il sagit de ltat.
Pierre Bourdieu, Sur ltat
En revanche se dessine une mthodologie plus ou moins cohrente selon laquelle le gouvernement, y compris celui de laide au dveloppement, a forcment quelque chose faire et voir avec le pass colonial dont il est issu ce rapport tant singulier dune situation lautre. Il nest donc pas question de dresser une thorie ou une interprtation globale du legs colonial , mais de dfinir une dmarche analytique et oprationnelle dans un contexte circonscrit, par exemple dans celui dun projet ou dun programme de dveloppement lchelle dun terroir rural, dune ville, dun pays ou dune sous-rgion. (Bayart, 2005:42).
La proccupation fondamentale qui sous-tend ce travail a trait aux formes du pouvoir.
Lhypothse centrale qui fonde cette rflexion postule que les formes du politiques peuvent tre de
deux types, dun ct les formes culturelles du pouvoir, sous les notions dhgmonie et de violence
symbolique, de lautre les formes matrielles du pouvoir, en lespce, sous la forme dinfrastructures
hydrauliques de transfert interbassin. Cette hypothse, si elle porte peu controverse pour les formes
culturelles, pour les formes matrielles du pouvoir, par contre, va ncessiter dtre abondamment
taye. Cette tension quant une dimension politique dont seraient investies des infrastructures
hydrauliques pointe vers lenjeu central qui va informer tout ce travail. Car un certain paradoxe
semble sesquisser ici entre lhypothse que les projets hydrauliques sont des formes politiques
comme cela sera montr au travers des exemples tirs de ltude de lhistoricit de lespace
hydropolitique de lAfrique australe et la comprhension managriale et technocratique qui en est
donne dans les approches dominantes des Relations Internationales (RI), autant que celles du champ
du dveloppement. Ce travail se propose ainsi de dployer ce paradoxe non pas tant afin dtablir le
caractre intrinsquement politique des projets hydrauliques que, plus fondamentalement pour
exposer le caractre implicitement dpolitisant dun certain nombre de formes culturelles du pouvoir.
Pour commencer, il est ncessaire de faire le parcours des approches des RI dominantes partir
du point de vue critique labor par Agnew. Sa critique en termes de pige territorial dfinit trois
postulats gographiques que la synthse no-no (nolibrale-noraliste) des RI vhiculent et qui la
rendent essentiellement incapable de considrer dautres acteurs que les tats dans lanalyse des RI.
Le point essentiel qui fait lintrt de cette critique tient ce quelle relve un double biais thorique
crucial en terme de dpolitisation, celui de lvacuation de tous enjeux politiques internes au travers
du postulat de l tat-conteneur , mais par ailleurs, de par la conception anhistorique et idaliste
positiviste de ltat-nation, ce courant dominant des RI ne peut que concevoir des relations entre des
entits tatiques formellement gales, sans sautoriser considrer des logiques de hirarchisation et
-8-
des asymtries dans les relations entre les tats.
Lapproche de Bayart en termes de trajectoire historique des Etats appuie la mise en question
par Agnew de la pertinence dapproches universalisantes de ltat-nation, en considrant au contraire
que lhistoricit spcifique chaque tat exclut la possibilit dune gnralisation des formes
tatiques. Par ailleurs, elle offre des outils danalyse des formes culturelles de pouvoir, notamment
travers des notions de vulgarisation du pouvoir et de transactions hgmoniques qui servent dcrire
les processus dhybridation des catgories politiques europennes importes durant la Rencontre
Coloniale. Lanalyse en termes de formes culturelles du pouvoir permet galement dviter une
lecture trop intentionnaliste en considrant une incorporation de celles-ci autant chez les acteurs qui
les produisent que ceux qui les relayent, ou les subissent.
Cette approche processuelle et historiciste des formes culturelles du pouvoir permet la fois
dvacuer toute notion duniversalit des pratiques de lexercice du pouvoir au travers de ltat, en
particulier, les logiques rentires et no-patrimoniales englobes sous la notion de stratgie
dextraversion expriment de manire limpide linadquation la ralit africaine de la notion
d tat-conteneur , en montrant le caractre clientlaire de cette forme de gouvernementalit. Cela
montre quune conception dpolitise de la relation de ltat avec la socit nest, au mieux,
quillusoire.
Il est essentiel de se pencher sur ce travers dpolitisant au vue de linfluence dterminante que
ces thories des RI ont sur le champ dtude des transferts hydrauliques. Une brve analyse de
lapproche en termes de gouvernance ncessaire dans la mesure o cette approche semble merger
comme approche dominante dans lapprhension des relations sur la scne internationale offre
dintressantes pistes pour sortir du pige territorial . Cependant, partir de postulats tout fait
diffrents confinant en faire un conomisme, la bonne gouvernance soulve le mme problme
dtre un cadre danalyse dpolitisant. Ce constat permet de dfendre, la suite de Furlong, que les
approches des enjeux hydrauliques devraient chercher renouveler leur cadre thorique non plus
seulement partir des RI, mais quelles auraient avantage ouvrir leur horizon thorique.
Dans cette optique, lutilisation des approches historicistes de la sociologie-anthropologie
politique, au travers de Bayart, de Bertrand et de Anderson pour lanthropologie, ou encore de Ranger
pour lhistoire, et les apports de lcologie politique au travers de la gographie politique, par Furlong,
sont autant de boites outils extrmement prcieuses non pas seulement pour critiquer les carences
et les dpolitisations en trompe-lil des approches dominantes en RI et dans ltude des enjeux
internationaux de leau, mais bien pour essayer de contribuer un cadre danalyse qui nvacue pas
les enjeux dasymtries entre acteurs sociaux, les violences symboliques et physiques qui permettent
des acteurs de lgitimer le redoublement de leur position dominante par des accs privilgis la
ressource fondamentalement politique quest leau, amplifiant ainsi les structures dingalit au sein
-9-
des socits politiques qui sont ainsi reproduites par ces projets. Lexemple du Lesotho Highlands
Water Project va permettre dillustrer le paradoxe voqu plus haut dune tension entre lhypothse
de ce travail, selon laquelle les infrastructures hydrauliques sont des formes politiques, et la
conception hgmonique des bnfices partags qui le reprsente comme un pur exemple de
coopration entre acteurs formellement gaux et donc base sur des motivations purement
pragmatiques dun intrt mutuel leur mise en situation dinterdpendance, l o nombres de
conceptions contre-hgmoniques ont cherch pointer les effets politiques et socio-conomiques du
Lesotho Water Highlands Projet, ainsi que son historicit marque dune laboration sous le rgime
de lApartheid.
Le Lesotho Highlands Water Project est un considrable complexe dinfrastructures hydrauliques
qui dbut en 1986 et dont la construction est prvu de se poursuivre jusquen 2030. Il achemine
depuis une dcennie dj de leau depuis les Hauts-Plateaux du Lesotho jusqu la rgion du Gauteng
en Afrique du Sud. Lanalyse de ce cas va servir mettre en perspective les limites des cadres
thoriques inspirs du mainstream des Relations Internationales (RI) pour saisir toute la complexit
des relations entre deux pays apparemment opposs en tout point : le Lesotho est un trs petit pays
dun million dhabitants enclav dans son immense voisin, lAfrique du Sud : plus grande conomie
du continent africain, comptant plus de 50 millions dhabitants. Et cependant, le cur nvralgique du
pays, cette rgion du Gauteng, dpend intgralement de transferts deau transfrontaliers
En premire partie, larticle Territorial Trap de Agnew va servir laborer une critique du
caractre idaliste et territorial de la conception de ltat-nation telle quelle est vhicule par le
mainstream des RI. Il dcline son argument en trois enjeux de ce territorialisme. En premier lieu, il
discute la postulation dune souverainet une et indivisible laquelle tout tat pourrait prtendre. Son
deuxime point critique a trait la dichotomie relations extrieures/politiques intrieures. Enfin, il
conteste la pertinence dune approche de la conception de ltat en tant qu tat-conteneur ,
considrant que cela rend toute comprhension de potentielles rivalits internes entre ltat et des
groupes sociaux qui contesteraient sa lgitimit, notamment les reprsenter et dfendre leurs
intrts sur la scne internationale. Largument principal de ce travail sarticule autour de ces trois
lments et il consiste en la critique de lhgmonie de notions dpolitisantes et irniques dans le
champ de la coopration internationale et au sein des Organisations Internationales, en particulier les
institutions internationales daide au dveloppement, la Banque Mondiale (BM) en premier lieu.
Avant dexposer la ncessit pour de telles institutions de faire usage de ce type de modles
acontextuels, anhistoriques et apolitiques, afin de pouvoir prtendre appliquer les mmes types de
-10-
packages de dveloppement1 indpendamment du terrain et du pays dvelopper , il est
ncessaire dtayer la critique de lusage positiviste de lidal-type de ltat-nation dAgnew par la
notion de trajectoire historique de Bayart. Celle-ci va permettre dalimenter la critique en particulier
de la notion d tat-conteneur , en montrant quune caractristique dominante, bien que
certainement pas uniforme, des tats en Afrique, fruit de la vulgarisation du pouvoir et de
lincorporation des catgories politiques importes, tient lutilisation par les lites de la souverainet
comme ressource pour leur stratgie2 dextraversion. Bayart permet ainsi de montrer que ces lites
instrumentalisent les relations privilgies vers lextrieur que leur donne leur position de gatekeeper
pour sassurer des rentes partir des flux provenant de laide au dveloppement ou de toute autre
source extrieure. Rentes quils mettent contribution dans des stratgies no-patrimoniales de
constitution de rseaux clientlaires. Les travaux de Bayart contribuent ainsi tayer les trois critiques
dAgnew, autant la souverainet que la sparation dite tanche des relations extrieures dun tat de
ses politiques intrieures, du fait quelles servent les stratgies dextraversion qui leur tour donnent
les moyens dune gouvernementalit clientlaire oriente en fonction des coalitions dominantes. Cela
permet de montrer linadquation de lapproche idaliste d tat-conteneur la ralit de lAfrique
sub-saharienne. La notion d invention de la tradition labore par Hobsbawm et Ranger, ainsi
que les notions de nationalisme vernaculaire et de nationalisme oligarchique utilises par
Anderson permettent galement de montrer comment un territoire fruit dune historicit marque par
le Moment Colonial, mais galement fruit de ce qui a persist hors de cette rencontre , peut tre
structur selon des socits politiques distinctes voire antagonistes, comme lhistorique sur le Lesotho
va servir lillustrer.
Par ailleurs, pour conclure cette premire partie thorique, les travaux de Bayart sont utiliss pour
montrer lhistoricit ininterrompue du colonialisme aux politiques daide au dveloppement
contemporaines et leur lien organique aux logiques dextraversion et quelles contribuent ainsi
perptuer. Mme si une institution de dveloppement telle que la BM ne peut pas ignorer
compltement les effets de ses politiques, du fait quelle est soumise la ncessit de faire fructifier
ses ressources financires en prtant, une forme de conditionnalit inverse qui la contraint
dvelopper , malgr ces effets. Et cest prcisment parce quelle est pousse par cette ncessit
dentreprendre quelle trouve usage des modles qui vitent de rendre compte des effets proprement
politiques des projets quelle finance.
Pour tenter desquisser les enjeux qui intresseraient une sociologie politique de leau, le
1 (Ferguson, 1990). 2 Parler de stratgies noblige pas rfrer chaque action humaine un projet mrement rflchi, ni surtout accepter
tel quel limaginaire conomiciste de la dlibration par calcul des cots et des bnfices escompts (Bertrand, 2008:
21-22).
-11-
deuxime champ dillustration pour le pige territorial sintresse au caractre construit de la
relation socit-environnement au travers de la dconstruction de la notion de raret (scarcity). Puis,
un retour sur Wittfogel et son tude du Despotisme [hydraulique] asiatique permet de soulever la
problmatique centrale de la relation entre les formes politiques et les modes de gestion et dallocation
de la ressource hydrique. Pour illustrer ce point, Swatuk, ainsi que Blanchon, dfendent que, dans le
cas du rgime de lApartheid, la politique de grandes hydrauliques a t explicitement, et avec succs,
un moyen au service de lidologie racialiste qui prvalait sous ce rgime, comme Swyngedouw
lavait montr dans le cas de lEspagne franquiste.
Toujours dans cette optique dillustrer le pige territorial , lenjeu des transferts deau occupe
lessentiel de la deuxime partie de ce travail pour deux raisons. En premier lieu, parce que le champ
sous-disciplinaire des RI que du Plessis et Furlong nomment Water Discourse (WD), est selon ces
auteurs, pris de part en part et de manire implicite, cest--dire non-discute ou justifie
thoriquement, dans le pige territorial . Lutilisation de la notion no-gramscienne dhgmonie
permet dans le cas du WD de montrer comment il sest constitu en approche incontournable lorsquil
sagit dentreprendre ou danalyser un quelconque projet de transfert hydraulique. Les notions de
scuritisation - dscuritisation , lies aux approches critiques de la scurit de lEcole de
Stockholm, permettent de saisir des dynamiques discursives rgionales lAfrique australe,
notamment la performation dune pacification des relations rgionales, voire lesquisse dun
processus dintgration, par la dscuritisation des discours. Plus spcifiquement au domaine de leau,
la notion de complexe hydropolitique est utile pour dcrire la trs importante interdpendance
hydraulique qui caractrise lAfrique australe. Cependant, de discuter la possibilit dune
dscuritisation plus que discursive de ce complexe permet de montrer que ds lors que lAfrique
du Sud se sent menace dans ses intrts vitaux , elle nhsite pas entreprendre des actions
muscles , afin de prserver les acquis de sa position dominante et ainsi perptuer lasymtrie
des relations rgionales.
En second lieu, lexemple du Complexe hydropolitique de lAfrique australe, et en particulier le
cas du Lesotho Highlands Water Project (LHWP), va permettre de montrer que les transferts
hydrauliques internationaux sont prcisment des contre-exemples au pige territorial . Par
exemple, le caractre sanctifi de la souverainet et dune sparation tanche des politiques
extrieures et domestiques semblent difficilement pertinents pour expliquer les interventions dun
tat voisin sous formes dun coup dtat, dune intervention militaire, de la sujtion dune
administration paratatique la volont de cet tat voisin, lAfrique du Sud. Le LHWP est galement
exemplaire de comment une apprhension en termes d tat-conteneur de lorganisation dun
territoire national, en rendant aveugle aux fractures qui caractrisent la socit politique du Lesotho
par la postulation dune homognit de celle-ci et dune relation dpolitise de type gestionnaire
-12-
entre ltat et la Nation. Ainsi, du fait de la rpartition trs ingale des bnfices provenant du
Projet, celui-ci a eu comme rsultat une exacerbation des ingalits et des tensions entre groupes
sociaux qui ont provoqu des soulvements rprims dans le sang. La notion de Communaut
dinterprtation labore par Mosse dans lanalyse des projets de dveloppement permet de dcrire
la coalition dacteurs tatiques, pistmiques, conomiques qui sest constitue autour du LHWP pour
soutenir linterprtation de sa russite en tant quil a permis aux deux pays partenaires den retirer
des bnfices partags du fait de cette coopration et de linterdpendance que ce Projet a permis
dinstaurer. Cette notion de lintrt mutuel des parties impliques participer ce Projet a ainsi t
constitue en concept hgmonique par les acteurs dont ctait lintrt de voiler les asymtries
intertatiques et infranationales que le Projet na fait que reproduire, voire amplifier, derrire limage
dune collaboration heureuse entre partenaires gaux.
Ainsi, la critique de laveuglement thorique quinduit le pige territorial , est loin de pouvoir
tre rduite une simple dispute thorique interne la discipline des RI, cest un enjeu politique
essentiel. Dans la mesure o les approches qui le vhiculent, encore plus lorsquelles le font de
manire implicite, voire leur insu, informent un champ trs important de laide au dveloppement,
celui des grands projets dinfrastructure, peut-tre lun de ceux qui a le plus de rpercussions directes
sur les populations des pays en dveloppement , plus encore lorsquil sagit de projets de grandes
hydrauliques internationales. Une hypothse de ce travail est de dfendre quil ne saurait y avoir un
hasard dans lhgmonie de notions dpolitisantes et appartenant un registre technocratiques dans
le champ du dveloppement, dans la mesure o cest la condition sine qua non de justification pour
une non-inclusion dans leurs processus dlaboration des populations, souvent dj marginalises,
qui seront le plus directement subir ce genre de projets.
-13-
Sources et terrain au Lesotho
Les sources de ce travail relvent essentiellement de la littrature acadmique. Cependant,
lauteur a effectu un terrain de six semaines au Lesotho au printemps 2011, afin de consolider sa
connaissance des enjeux lis au LHWP, et afin de pouvoir recueillir des entretiens sur place. Certaines
difficults daccs aux acteurs cls lis au Projet ont rendu ncessaire de chercher dautres sources.
Au final, cela a t loccasion doprer un dcentrement par rapport aux approches dominantes dans
le domaine de leau, au travers dune littrature intresse par le Lesotho et plus gnralement les
formes tatiques et les enjeux hydrauliques en Afrique sub-saharienne partir de disciplines
marginalises dans cette thmatique, telles que lanthropologie, lhistoire, ainsi que la sociologie
politique. Par ailleurs, le hasard des rencontres et des discussions informelles sur place en milieu
urbain a offert des lments de reprsentation du sens commun par rapport au Projet, faute de pouvoir
aller interroger les populations basotho, faute de langue commune.
Ce travail va tre divis en deux parties, une premire partie thorique, puis une seconde partie
qui sera consacre au cas dtude du LHWP. Au sein de la premire partie, un premier dveloppement
servira confronter les approches de RI avec la sociologie politique, afin de mettre en avant les
limitations inhrentes certains postulats anhistoriques et universalistes des RI. Un second chapitre
se consacrera une question analogue, mais autour de lenjeu plus spcifique de leau en confrontant
les approches de leau, inspires des RI. La seconde partie, centre sur le LHWP, commencera par
une contextualisation en termes dhistoricit de la trajectoire de ltat du Lesotho. Puis ce sera la
trajectoire historique de lAfrique du Sud qui va tre aborde, mais de manire plus cible autour des
enjeux de transferts deau et de politiques hydrauliques. Lanalyse des ngociations occupera le
chapitre suivant. Qui sera suivi par une mise en perspective au travers dune confrontation des
discours hgmoniques et contre-hgmoniques propos du Projet. Aprs avoir brivement conclut
en revenant sur les diffrents points quune analyse au travers des catgories du WD, une toute
dernire partie servira mettre en avant la contribution essentielle quoffrirait une approche de
sociologie politique des enjeux de transferts deau, particulirement dans des cas transfrontaliers
comme le LHWP. Puis, la conclusion gnrale de ce travail servira rappeler son cheminement et
ventuellement ouvrir des pistes pour des suites lui donner.
-14-
3 Elments thoriques
Pour une critique de la doxa dpolitisante
To "provincialize" European history to subject its universalizing claims to historical examination rather than use them as measures of other people's histories. (Cooper, 1994:1544).
Les dbats sur la prennit de l'tat dans le contexte de la globalisation est trs abondant.
Cependant, dans le champ des relations internationales (RI), cette controverse se pose dans des termes
abstraits de disparition pur et simple ou de persistance de l'tat-nation, au lieu de s'interroger sur la
diversit des formes tatiques et la signification socitale et politique de ces formes et de leur
volution.3 Pour ne pas se perdre dans des controverses striles du fait de leur abstraction
dcontextualises, l'approche des formes tatiques dans leur territorialit et leur historicit spcifique
servira rompre avec la conception positive de l'tat-nation en tant qu'idaltype4, pour appuyer le
trait sur le caractre ncessairement contingent et contextuel des tats dans leur forme concrte.
Il est essentiel de faire le parcourir critique du contenu dont les approches de RI investissent la
notion d'tat-nation, dans la mesure o les analyses de la forme tatique sont productrices de sa ralit
dans le mme mouvement quelles cherchent la dcrire. Considrer cette littrature hors de son
contexte de production, comme un discours, serait risque de faire une histoire de lide d'tat-nation
westphalien, et reviendrait ratifier l'hgmonie de l'tat-nation comme seule forme possible
d'organisation politique d'un territoire. Pour viter cet cueil, il est ncessaire de considrer les formes
dtat-Nation comme le produit, autant que comme productrice, de leur contexte historique et
gographique spcifique. De ce point de vue, chaque forme dtat-Nation est idiosyncratique et
contingente la trajectoire historique dont elle est le rsultat.
Il convient de sauver lhistoire de la nation [...] en rtablissant aussi bien lhtrognit des terroirs que les pratiques dextraversion et dhybridation culturelles sous-jacentes la formation de ltat. (Bayart, 2008:12-13).
Cette dmarche dabord thorique va servir dfinir un certain nombre de notions en rupture
avec les contenus dont les investissent les approches des RI, ainsi que le discours du dveloppement,
partir des points de vue de la sociologie historique de l'tat et de la gographie politique de l'tat.
Afin de saisir les tats africains dans leur historicit et leur territorialit situes, contingentes.
3 [D]ebate has been overwhelmingly in terms of the presence or absence of the territorial state rather than in terms
of its significance and meaning as an actor in different historical circumstances (Agnew, 1994:54). 4 From this perspective a 'state' is an ideal-type or logical object rather than any particular state and, thus, states can
be written about without reference to the concrete conditions in which they exist (Agnew, 1994:58).
-15-
3.1 Relations Internationales et historicit de ltat-Nation
3.1.1 Le pige territorial
Indeed, those who govern states often operate within the logic of the territorial trap (Swatuk, 2003: 134). Still, the IR/IO approach does nothing to redress or critique this phenomenon but rather reflects (and perhaps propagates) the ideology through which it occurs. Moreover, the obfuscated daily realities of what water cooperation or conflict between states means for those dependent on the waters in question are far too important to be ignored. (Furlong, 2006:454).
Agnew dveloppe une critique des postulats territoriaux implicites que les RI vhiculent dans
leur conception idaliste de l'tat-nation et montrer les dangers d'une telle abstraction thorique
anhistorique5 et dcontextualise.6
The territorial state is not a sacred unit beyond historical time. The state-centring of conventional renditions of international relations assumes precisely that. (Agnew, The Territorial Trap, 1994:65).
Cet auteur entreprend une telle dconstruction au travers de la notion de pige territorial
(territorial trap) qui selon lui caractrise cette conception idal-typique de l'tat-nation qui
imprgne le mainstream des RI7. Ce pige territorial se dclinerait en trois postulats gographiques
(geographical asssumptions) . Le premier de ces postulats soutient que chaque tat exerce une
souverainet spatiale exclusive sur son territoire national respectif, en considrant que la souverainet
territoriale caractrise la relation de tout tat son territoire, de manire indiscute et sur la totalit
de celui-ci. Le postulat gographique du caractre fondamentalement territorial de la souverainet de
l'tat proviendrait ainsi d'une rification de la souverainet spatiale, comme un universel propre
tout tat. Il trouve sa continuit dans le second postulat, celui d'une dichotomie a priori entre les
politiques publiques ciblant l'espace domestique et les politiques trangres, axes sur les relations
intertatiques, qui serait au fondement de lexistence mme dune discipline des RI distincte des
sciences politiques. Enfin, selon le dernier postulat, chaque tat est le contenant de sa socit, c'est-
-dire qu'il serait transparent et neutre en tant que reprsentant et dfenseur des intrts de la socit
5 A prsentation a-historique de la situation coloniale, legs a-historique de cette dernire. Rien ne nous est dit,[...]des
conditions de lventuelle transmission de cet hritage, de la sociologie de ses lgataires universels, des changements
qui affectent les situations dusage de telle pratique ou de tel discours qui se seraient formellement reproduits, de
la dimension morphologique de certaines permanences qui doivent parfois plus la gographie qu la domination
coloniale (Bayart, 2009 : 27). 6Depuis la publication de cet article, la conception abstraite de l'espace est de plus en plus discute dans nombre de
disciplines. C'est peut-tre l'un des grands mrites d'Agnew : d'avoir t l'un des prcurseurs de ce qui est
communment appel le spatial-turn en sciences politiques. 7 [A] neo-realist synthesis combining elements of liberalism, the state as equivalent to a rational individual exercising
free choice, with a state-centred politics, in which that choice is constrained by the presence of anarchy beyond state
borders, has become something of an orthodoxy in American international relations (Agnew, 1994:56).
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sur laquelle il exerce son pouvoir.8 En premire instance, ce pige territorial peut s'expliquer par le
fait que le terme mme des Relations Internationales implique de sintresser avant tout aux relations
entre les tats, plutt qu ce qui se passe dans leurs frontires. La rpartition disciplinaire s'est faite
ainsi : les relations politiques internes sont l'objet des sciences politiques, les relations entre les tats
sont l'objet des RI, auxquelles elles tendent se limiter, ne serait-ce que pour dfendre leur pr-carr
dans le champ de recherche des sciences politiques.
Selon Agnew, dans la reprsentation territoriale 9 de l'espace, utilise par la macro-conomie
et en premier lieu par les RI, l'espace est considr comme autant de blocs territoriaux dcoups
abstraitement, hors de tout contexte. Les RI seraient ainsi porteuse d'une gographie implicite qui
postule l'association indissoluble entre l'tat et son territoire en tant que son attribue ontologique.10
Ainsi, les RI semblent considrer la relation des Etats leur territoire comme acquise (granted). Or,
c'est faire abstraction des trajectoires historiques contingentes de formation des tats europens eux-
mmes.11 Et cela revient universaliser le principe abstrait selon lequel un tat correspond une
nation, sur laquelle il exerce une souverainet absolue, (tel qu'il a t institutionnalis par le Trait de
Westphalie de 1648, moment o une quivalence formelle entre les diverses formes d'tats europens
a t de jure sinon de facto sanctionne).12 Selon Bayart, cest au travers de la Rencontre Coloniale
et du processus dappropriation des catgories politiques europennes quil dsigne sous le terme de
vulgarisation du pouvoir que cest transmis le legs territorial ou tout au moins le principe de la
souverainet territoriale d'institutions bureaucratiques en thorie reprsentatives.13
Ainsi, le caractre transcendant de la souverainet par rapport l'tat-nation impliquant que la
seule identification politique lgitime s'articule au territoire national-tatique est un hritage de la
Rencontre Coloniale. Cette troite association ne peut alors qu'entrer en conflit avec d'autres formes
d'identifications politiques, par exemple ethniques, cologiques, genres, etc.14 Selon Agnew, le
8 (Agnew, 1994:57). This is the way in which the understanding of the sovereignty is shared by bureaucratic and
popular cultures[...]It is 'common sensical' to see the territorial state as the container of society when the state is
sovereign (Agnew, 1994:71). 9La traduction littrale de territorial ne semble pas tre trs explicite dans ce que ce mot est sens exprimer cela
semble presque paradoxal de l'utiliser en opposition spatial, afin, semble-t-il de dnoter un sens plus abstrait, alors
que spatial parait plus se rfrer une abstraction physique (le cadre spatio-temporel kantien), et territorial se
rfrer a priori plus une matrialit gographique concrte, mais peut-tre est-ce un contre-sens qui provient de la
traduction en franais. Ce point tant soulev, Territorial sera cependant traduit par territorial . 10 [Both neo-realism and Marxisms are subject to] a widespread tendency to use transhistorical theorisations based
upon sets of a priori categories which appear to take on an ontological autonomy (Germain et Kenny, 1998), citant
Gill, S. (1993). Epistemology, ontology and the Italian School. Gramsci, historical materialism and international
relations, 21-48. 11 The actual processes out of which different states have arisen are obscured in favour of an ideal-type territorial
state (Agnew, 1994:63). 12[T]he security-spatial sovereignty nexus involves viewing the territorial state not in its historical particularity, but
abstractly, as an idealised decision-making subject (Agnew, 1994:63). 13 (Bayart & al., 2005:17). 14(Agnew, 1994:62).
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mainstream des RI partage le plus souvent cette conception trs troite et stato-centre de l'identit
politique. La possibilit d'une certaine varit de communauts politiques au sein des tats sur des
critres gographiques, historiques, culturels n'est le plus souvent mme pas considre. Ces formes
d'identification adverses seraient ainsi vacues des analyses de RI, en tant qu'elles peuvent tre
considres comme menaces la souverainet tatique et donc au principe mme de son autorit
l'tat mme, au nom de l'identification de toute atteinte la souverainet de l'tat comme atteinte
sa scurit par le principe d'identification de la souverainet tatique son emprise sur son territoire.15
Actual territorial states, based on a circumscribed territory, involve the creation of unified and homogeneous spaces in which the various social practices - culture, knowledge, education, employment - are rationalized and homogenized. Making spatial exclusivity is vital to the incorporation of social practices under state regulation. (Agnew, 1994: 70-71).
Agnew semble dcrire cette homognisation comme un processus consubstantiel au processus
de formation de ltat-nation, cest--dire quil ne le prcderait pas tant quil en participerait
pleinement. Par ailleurs, il ne saurait sachever avec la construction formelle de ltat. Il participe on
ne peut plus fondamentalement sa reproduction et donc sa perptuation. Agnew prcise un point
dcisif, que lexclusivit dans le contrle des institutions de socialisation par ltat est vital
lexercice du pouvoir bureaucratique.
To the extent that a states rule over a piece of territory is institutionalized hegemonically, that territory is no longer imagined by citizens of that state, in their everyday uncalculated apprehensions, thought processes, and language, to be distinct from or separable from the state. (Lustick, 1996:486).
Cela rejoint la notion de monopole lgitime de la violence symbolique par ltat sur son
territoire labore par Bourdieu. Deux traits qui caractrisent cette notion dhgmonie culturelle de
linstitution de ltat semblent ainsi devoir tre relevs : sa participation intrinsque au processus de
formation de ltat, dont dcoule son caractre monopolistique sur le territoire national, et son
caractre processuel, et toujours en devenir, de formation d chelles de commensurabilits ,
duniversalits. Cependant, cet usage trop stato-centr de la notion dhgmonie la dtourne de son
sens premier, qui dsigne des processus transnationaux de violence symbolique.16 Cest pourquoi il
semble prfrable de dsigner ce principe dhomognisation culturelle sur un territoire national, avec
la violence que cela implique sur les identits particulires locales en tant que projet nationaliste. La
notion sera prcise plus tard dans le cas des nationalismes des tats africains.
15 In the dominant understanding, geographically variegated, as opposed to territorially homogeneous, forms of
political community have been eliminated from consideration by the close association of security with spatial
sovereignty (Agnew, 1994:62) 16 [...] Sintresser aux ides [...] Cest aussi voir se confirmer cette vidence que curieusement les thoriciens des
relations internationales ngligent : la plupart des grandes idologies de la formation de ltat et de la vulgarisation du
pouvoir ont t portes par des institutions sociales et des mouvements culturels transnationaux" (Bayart, 2008: 22).
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La confusion17 entre la Nation et l'tat est contingente et le fruit de circonstances historiques,
conomiques, politiques spcifiques l'Europe moderne. The territorial state has been 'prior' to
and a 'container' of society only under specific conditions . Prcisment, si les territoires des socits
civiles des tats europens concident avec les espaces sur lesquels les tats ont des prtentions
territoriales, c'est la consquence des trajectoires historiques de formation de ces Socit-tats
territoriales (territorial state-societ[ies]) .18 Comme le souligne Agnew, even when rule is
territorial and fixed, territory does not necessarily entail the practices of total mutual exclusion which
the dominant understanding of the territorial state attributes to it .19 De fait, le territoire des tats
n'a jamais cess d'tre malmen par des traits, des marchs communs, des accords d'assistance
mutuelle, d'union montaire, etc. Or, dans les approches d'Economie Politique Internationale (EPI),
les tats restent considrs comme les nuds de l'conomie:
The historically contingent nature of state-economy relations thus continues to be collapsed 'into a single abstract unity' in which the long-term complementarity of wealth- and power-seeking by territorial states is assumed a priori. (Agnew, 1994:65).
La notion d' conomie nationale appartient ce type de conception. Un tel dcoupage opre
une abstraction homognisant qui nivelle les diffrentiels infra tatiques. Mais nul besoin de rappeler
quel point il s'agit d'une dlimitation peu pertinente au regard des trs importants flux internationaux
de marchandises et financiers allant en samplifiant dans le processus de globalisation. Alors mme
que cette conception tend entretenir la vision de l'conomie mondiale comme une comptition entre
conomies nationales hrite du mercantilisme. Agnew relve ce propos que la plus grande part de
ces flux sont intra-firmes et donc ce titre peuvent difficilement tre considrs comme participant
de guerres conomiques que se livreraient les tats contemporains. C'est peut-tre l'exemple le
plus limpide de ce que le pige territorial de ces analyses stato-centres peut induire comme
trompe-lil en ne permettant de concevoir ces flux que comme des rivalits conomiques
internationales. Alors qu'il serait peut-tre beaucoup plus pertinent de considrer les tensions et mises
en concurrence trans-locales, auxquelles participent, par exemple, les dlocalisations industrielles.
17(Agnew, 1994:63). 18(Agnew, 1994:70). 19(Agnew, 1994:54).
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Ce bref parcourt de lapproche critique des RI, que Agnew labore partir de la gographie
politique, montre comment les catgories de souverainet territoriale, dune dichotomie politiques
extrieures/politiques intrieures et enfin dtat-conteneur participent de luniversalisation des
catgories politiques europennes. Lutilisation dune approche en termes historiciste de trajectoires
historiques des Etats, telle que Bayart la dveloppe, va permettre la fois de dconstruire en quoi
les catgories europennes sont le fruit dune idalisation des trajectoires historiques des tats
europens. Mais par ailleurs cette approche se propose de rpondre aux points daveuglement que le
pige territorial ne manque pas dinduire par lethnocentrisme et lidalisme positiviste quil
vhicule en dployant un regard qui part de la contingence et de la singularit de chaque trajectoire
historique, excluant ainsi de rduire les socits politiques africaines ntre que le reflet inachev
des tat-nations europens.
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3.1.2 Sociologie politique de ltat en Afrique sub-saharienne
3.1.2.1 Trajectoires historiques des formes dtat-nation
Disons demble que la rcusation systmatique de lapproche et de lidologie culturalistes est la condition sine qua non de lanalyse politique des pratiques dites culturelles. Le deuxime risque porte sur le bonus indu que les cultural studies accordent au registre du discursif, en ngligeant tant la matrialit que la corporit des pratiques sociales.[...] la prise en considration des pratiques et des reprsentations culturelles, de lactivit symbolique et [] saisies dans leur historicit, est en effet un impratif [...]cette dimension est bien constitutive des rapports de pouvoir, dexploitation ou de solidarit. Le concept dhgmonie, chez Gramsci, ne dit pas autre chose. (Bayart, 2008:13).
A partir des enjeux pistmologiques que Agnew a soulev en termes duniversalisation abstraite
et ethnocentrique des catgories politiques europennes, les travaux de Bayart vont permettre de
montrer quelles ont t hybrides dans les pratiques gouvernementales nes du processus de
vulgarisation du pouvoir concomitant du principe de gouvernement indirect qui prvalait sous
lre coloniale. Il va sagir ici de se pencher sur les formes culturelles du pouvoir en tant que rsultat
de cette Rencontre coloniale , en cherchant les dcrire dans leur performativit politique travers
la notion dhgmonie. La notion dextraversion permettra daborder les enjeux dconomie politique
de la dpendance des lites politiques africaines aux rentes provenant de lextrieure du territoire,
alors mme que les nationalismes africains ont servi articuler une htrognit dacteurs autour du
projet dindpendance. Cependant, lhistoricit des trajectoires tatiques ne permet pas dimaginer
une rupture radicale avec les stratgies dextraversion culturelles, conomiques et politiques des lites
cooptes sous le gouvernement colonial.
Ainsi, par exemple, si le postulat de l tat-conteneur comme reprsentant neutre de lintrt
collectif de la Nation en montrant nest pas une notion pertinente pistmologiquement pour dcrire
la complexit et la diversit des trajectoires des tats-nations africains, il reste cependant un
instrument politique essentiel, une forme culturelle du pouvoir, en revendiquant le rle de ltat-
nation de reprsentant de lIntrt suprieure de la Nation. Cette tension entre linadquation des
catgories politiques classiques et cependant leur instrumentalisation par les acteurs politiques est
caractristique des socits politiques africaines marques par la Rencontre coloniale. Au mme
titre, Bayart montre que la notion de souverainet est une ressource dextraversion, cest--dire que
laffirmation de la souverainet de lautorit dun tat sur son territoire sert bien souvent de moyens,
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pour des acteurs gatekeeper 20 placs linterface entre le territoire national et la scne
internationale, dextraire une certaine rente partir de relations qui prcisment circonviennent la
notion dexclusivit de lautorit dun tat sur son territoire, que ce soit par la mise en place dune
conomie dextraction, des conditionnalits lies laide au dveloppement, de type Plan
dAjustement Structurel, ou plus rcemment dune nime rforme dans le state-building sous
le couvert de la bonne gouvernance .
Notre paradigme [de lextraversion] permet notamment de dpasser la distinction strile entre la dimension interne des socits africaines et leur insertion dans le systme international, [] Le rapport de lAfrique au monde [est] consubstantiel sa trajectoire historique. Il ne fait dailleurs quamplifier lune des donnes fondamentales de la globalisation, qui se dploie linterface entre les relations internationales ou transnationales et les processus internes des socits politiques. (Bayart1999:105).
Ainsi, selon Bayart, lhtrognit des nations africaines en termes didentits dappartenances
est ainsi le produit de processus complexes lis au moment colonial .21 Pour se donner les moyens
dapprhender cette htrognit des socits politiques africaines, il faut rompre avec
limaginaire colonial qui vouait les coloniss tre les victimes ractives de la domination coloniale.22
Mme le concept de rsistance ne laisse que peu de place pour concevoir un agir politique des
coloniss qui ne soit pas univoquement orient contre les colonisateurs, sans prise en compte des
rapports de pouvoir internes propres aux socits africaines.23
In the political science literature the term 'nation-state' is often used as synonymous with territorial state. This seems innocent enough, except that it endows the territorial state with the legitimacy of representing and expressing the 'character' or 'will' of the nation. (Agnew, 1994 :59).
La relation de ltat la socit 24 sur laquelle il exerce son autorit est le point dentre de
lanalyse et non pas une vidence intrinsque au binme tat-Nation indivisible que la notion dun
tat-conteneur implique. Si lon suit Gramsci lorsquil dcrit ltat comme laddition de la socit
politique et de la socit civile , cette dernire ne semble gure pouvoir prtendre une autonomie
20 (Reno, 1999). 21 Une telle htrognit est certainement moins apparente dans les nations europennes. Il serait tout--fait
pertinent de se pencher sur la violence thnicide dont ces nations considres unifies sont le rsultat intimement
lie au processus de centralisation dont ltat moderne est le produit contingent. 22 En outre, elles rduisent lhistoricit de la socit colonise son interaction avec ltat colonial, sans voir ce qui sy
drobe, ni la relation dialogique du rapport au champ colonial avec des dures sociales indpendantes (Bayart,
2009 :38). 23 The dyad of resistor/oppressor is isolated from its context; struggle within the colonized population []is "sanitized";
[] multi-sided engagement with forces inside and outside the community, are narrowed into a single framework
(Cooper, 1994:1533). 24 'society' means in international political economy what it means in most everyday usage: the social order or
organization within the territory of a state. [...]This reinforces the totalizing power of the territorial state as a primal
force; everything is subordinate to it (Agnew 1994:68).
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par rapport ltat.25 Au contraire, la notion de socit civile , comme les acteurs se voulant ses
reprsentants, participerait la lgitimation de lordre tatique dans la mesure o elle participe de son
hgmonie.
Aussi, les trajectoires historiques contingentes de constitution dtats territoriaux , ou encore
de socits politiques doivent tre tudies dans leur spcificit quune conception trop positiviste,
idal-typique, de ltat-nation nest capable de dcrire. Elle pourrait mme tre taxe de contribuer
une certaine ccit par rapport ces formes dans leurs spcificits historiques. Lusage a-rflexif de
ce modle, sil ne voue pas forcment lanalyse en termes dtat-nation la contemplation de son
propre reflet, peut cependant nourrir des points de vue misrabiliste, par exemple la caractrisation
de ces trajectoires historiques en tant quchecs de limportation 26 de ltat, ou encore, lorsque
le discours dveloppementaliste se contente de caractriser ces tats de failing states . Dans les
deux cas, cest risquer de ne pouvoir que constater le dcalage par rapport un modle, plutt que de
se doter des outils pour caractriser ces formes tatiques. Ainsi, le postulat a priori dune homologie
constitutive entre linstance tatique et la Nation dans le canon de ltat-nation est lun des postulats
quil sagit de dconstruire au travers de lanalyse des Etats dans leur historicit :
Dune part, des groupes sociaux ont instrumentalis les nouvelles institutions politiques et ressources conomiques au service de leurs desseins propres en matire daccumulation de richesses ou de pouvoir, et ce au dtriment (ou en contradiction avec) dautres groupes sociaux (ou dautres socits politiques.) Dautre part, ils se sont appropri les ides, les savoirs, les reprsentations culturelles, les pratiques sociales des trangers en les mlangeant leur propre Weltanschauung et en donnant naissance des significations sociales imaginaires spcifiques, irrductibles aussi bien la fidlit on ne sait quelle authenticit primordiale de lautochtonie qu limitation mcanique de lAutre, et conceptualisables en termes d hybridation ou de mtissage. (Bayart, 2008:5).
Ainsi, si les trajectoires historiques des pays africains ont produit de nouvelles formes
dorganisation de leurs socits politiques au travers et par-del la Rencontre Coloniale , elles
ne sont ni le pur produit dune importation, d une greffe des institutions occidentales, ni les
palimpsestes de formes traditionnelles rsiduelles qui auraient rsist, du fait dune quelconque inertie
intrinsque, la colonisation. Il ny a pas eu de table rase des socits antrieures cette Rencontre.
Celle-ci a t le lieu de processus de luttes politiques, de rivalits entre des groupes sociaux africains,
stratgies politiques irrductibles la domination coloniale et son pendant ractif, la rsistance.
Lanalyse en termes dhistoricit des socits politiques implique ainsi de considrer les filiations
lies autant des hors-champs propres aux socits africaines qu loccupation coloniale.27
25(Gramsci, Prison notebooks,:263, cit dans (Germain et Kenny, 1998 :15). 26 Badie, Bertrand. Ltat import: loccidentalisation de lordre politique. Fayard, 1992. 27 la colonisation na jamais t en mesure daraser lhistoricit propre des socits africaines ou asiatiques :[] son
gouvernement indirect supposait lintermdiation de forces sociales et politiques indignes dont elle a souvent confort
la mise (Bayart, 2009 :32) .
-23-
De nouvelles formes de gouvernementalit ont merg, produits hybrides des rivalits internes
aux socits colonises, autant que processus de rsistance ou de cooptation des acteurs coloniss aux
politiques coloniales. Ce processus dhybridation des rationalits politiques doit tre analys en
termes de formes culturelles, cest--dire incorpores, du pouvoir, pour viter lcueil dune lecture
trop instrumentale et intentionnaliste des comportements stratgiques des lites politiques africaines.
Pour saisir cette complexit, il est ncessaire desquisser certains principes ayant caractriss le
moment colonial et dont les socits politiques africaines contemporaines sont le produit
historique.
Ainsi, la colonisation a t un moment de luttes politiques internes aux socits colonises sur
lenjeu de la captation de rentes lies la prise de position dans les institutions de ltat colonial,
mais galement dans le processus dhybridation des instances traditionnelles telles quelles se
sont constitues dans la rencontre coloniale . La notion de vulgarisation du pouvoir28 cherche
saisir ces processus dinstitution de ltat-colonial, non pas comme une domination impriale
univoque laquelle les coloniss auraient ragi, mais, au contraire, en considrant que les coloniss
ont t des acteurs politiques part entire de ces luttes, pleinement modernes , les registres
discursifs dont ils usent fussent-ils traditionnels .
[...La] tradition codifie se durcit invitablement en un sens qui avantageait les intrts particuliers en place l'poque de sa codification. La manipulation de la coutume codifie et rifie par ces groupes qui dfendaient leurs intrts particuliers avait pour but d'affirmer ou de renforcer leur pouvoir. (Ranger, 2006: 269).
Ranger affirme ainsi que les traditions africaines ntaient non pas intrinsquement des formes
culturelles immuables et immmoriales, mais quau contraire cette forme rigidifie est le rsultat de
la rencontre du no-traditionalisme europen import par les colonisateurs (son caractre invent
et formalis le rendant intrinsquement enclin une certaine rigidit) et de comportements
stratgiques dacteurs coloniss qui ont pu y trouver une ressource de lgitimation de leur position
sociale. Ainsi, les acteurs des territoires coloniss ntaient pas irrvocablement pris dans des
traditions figes ragissant au Progrs colonial par inertie et incapacit saisir lopportunit de
progresser, contrairement la reprsentation misrabiliste de traditions sclroses quen a construit
le discours colonial.29
28 La vulgarisation du pouvoir, [] est associe au rapport que les groupes sociaux entretiennent avec le pouvoir dtat
et dsigne plus particulirement les stratgies de captation des politiques publiques par des groupes particuliers [...]
Elle est galement susceptible de recouvrir les stratgies dinvestissement de la situation coloniale par les groupes
sociaux autochtones[..] (Bayart, 2008:20). 29 Les traditions inventes europennes se caractrisaient par leur inflexibilit. []Dans ces circonstances, quand les
Europens pensaient la coutume en Afrique, ils lui attribuaient naturellement les mmes caractristiques. [ils
pensaient que] la socit africaine tait profondment conservatrice : vivant selon des rgles immmoriales et
immuables, conformment une idologie base sur l'absence de changement. []Le problme de cette approche est
qu'elle faisait intervenir une conception totalement errone des ralits de l'Afrique prcoloniale (Ranger, 2006 : 263).
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La vulgarisation du pouvoir [] nous parle alors, implicitement, de l invention de la tradition par laquelle se noue la rencontre ou le dialogue colonial, se lgitime la domination des lites autochtones et allognes et s imagine la nation comme habitacle de la servitude bureaucratique. (Bayart, 2008:20).
Cette invention de la tradition nest ainsi pas le pur produit dune importation du no-
traditionalisme europen. Elle est le produit des rivalits entre les acteurs coloniss. Certains ayant
pu se lgitimer dans le processus de cette rinvention du matriel culturel propre aux socits
colonise. Il est ncessaire de considrer cette htrognit des historicits, des systmes de croyance
qui caractrisait la rencontre coloniale , cest--dire que les historicits dans lesquelles sinscrivent
les coloniss sont irrductibles aux historicits des colonisateurs. Cependant, cette Rencontre
coloniale a t le lieu de projets universalistes de dpassement de ces incommensurabilits qui
ont servi de terreau la formation de ltat colonial par lentremise de formes culturelles communes,
les catgories politiques hybrides dans le processus de vulgarisation du pouvoir .
Les lites cooptes des pays coloniss ont ainsi t des acteurs part entire, stratgiquement
impliqus dans lmergence dhgmonies30 lors du moment colonial , que ce soit par lentremise
de processus dinvention de la tradition, des projets nationalistes ou encore par lincorporation du
discours du Progrs. Ainsi, lapproche historiciste exclut dadhrer aux mythes dune innocence
des coloniss face la colonisation ou dune innocence de ltat comme reprsentant de la nation.
Autant la critique du postulat de ltat-conteneur des RI par Agnew que lanalyse en termes de
trajectoires historiques mettent mal toute conception consensuelle de la relation tat et nation. Ltat
en Afrique a t et y est, comme ailleurs, un lieu de pouvoir et donc un espace et un enjeu de lutte.
La notion de vulgarisation du pouvoir permet de dcrire ce processus dhybridation qui a amen
la formation de ltat colonial. Elle rejoint la notion gramscienne dhgmonie en tant quelle
recouvre les enjeux symboliques du pouvoir, cest--dire le bras culturellement arm de la domination
politique. Elle partage certains traits avec la notion de gouvernementalit de Foucault, quoi que celle-
ci ne semble pas la plus mme de rendre compte des luttes inhrentes des processus hgmoniques,
sintressant plutt aux instruments de rgulation, quaux luttes qui les ont fait naitre31.
In the gramscian sense, hegemony describes a process of struggle rather than an existing state of consensual domination that is continually produced and reproduced. (Mumby 1997 : 365).
Ainsi, un processus hgmonique ne saurait tre fig, quand bien mme dans sa forme, il se doit
de se revendiquer comme immuable vidence. Dans la mesure o les quilibres des diffrents groupes
sociaux voluent en permanence et o les coalitions peuvent donc tout moment se reconfigurer en
fonction des acteurs qui russissent imposer leurs concepts hgmoniques , cette guerre de
30 La vulgarisation du pouvoir.[...] recoupe la problmatique gramscienne de lhgmonie. (Bayart, 2008:20). 31 (Sibille, 2006 : 5-6).
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position permanente alimente the persistence of ideologically hegemonic concepts, the destruction
of formerly ideologically hegemonic concepts, or the emergence of new ones (Trottier, 2003:2) ] La
notion de contre-hgmonie est utile pour dcrire ces luttes dans le champ de lgitimation de
lexercice du pouvoir politique. Dans une approche en termes de narratives , la notion
d interfrence discursive rend galement compte de rsistance que tout projet de totalisation dun
espace social ne manque pas de rencontrer.
Ideologically hegemonic conceptions provide stabilizing distortions and rationalizations of complex realities and arbitrary distributions of valued resources. They are presumptions that exclude outcomes, options, or questions from public consideration; thus they advantage those elites well positioned to profit from prevailing cleavage patterns and issue definitions. (Lustick, 1993 :121)
Ainsi, lhgmonie est un processus de lgitimation de certaines conceptions et positions par
rapport des enjeux collectifs favorables certaines coalitions dacteurs politiques qui se lgitiment
en produisant ce discours institu, hgmonique. Prcisment, lhgmonie, cest le processus de
violence symbolique pouss son maximum, o son institutionnalisation est telle que les rponses
certains enjeux les plus importants pour ces lites ne sont prcisment plus considrs comme
problmatiques et discutables collectivement, mais comme des vidences acceptes tacitement. Ainsi,
sur un principe analogue la notion de paradigme, ce cadre dfinit ce qui est dicible politiquement,
comment quelque chose peut le devenir et ce qui na pas de raison de ltre.32
La difficult est alors dapprhender simultanment lirrductible incommensurabilit des dures constitutives des socits lors du moment colonial (ou postcolonial) et les processus de formation dchelles de commensurabilit qui sont inhrents aux entreprises impriales, quels que soient les concepts par lesquels on les dsigne : recherche hgmonique ou hgmonie, gouvernementalit, savoir colonial, march ou mission civilisatrice ! (Bayart, 2009 : 35).
Le caractre processuel de la notion dhgmonie implique de considrer ces chelles de
commensurabilit comme les produits de transactions hgmoniques entre colonisateurs et
coloniss et au sein des socits colonises, cest--dire quelles ne sont pas le produit univoque de
la domination coloniale, il y a place pour la transaction, ft-ce sous le glaive de la coercition, ce
que suppose au demeurant le concept dhgmonie .33
[This] group social group can become dominant and gather state power in its hands only if it succeeds in developing its hegemony within the civil society by persuading the subordinate groups to accept the values and ideas that it has adopted and by building a network of alliances based on these values. (Trottier, 1995: 2).
32 sanctioned discourse as a normative delimitation separating the types of discourse perceived to be politically
acceptable from those that are deemed politically unacceptable at a specific point in time (Warner, Zeitoun,
2008 :806). 33 (Bayart et Bertrand, 2005:63).
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La notion gramscienne d'hgmonie ne dcrit pas un processus circonscrit au territoire national,34
au contraire du monopole de la violence symbolique tel que dfini par Bourdieu. Elle a trait aux
processus culturels de pouvoir par lesquels diffrentes coalitions dacteurs politiques, ou blocs
historiques ont t mme dinstituer des conceptions qui les ont lgitim dans leur captation de
lappareil tatique. Une dimension importante cette notion, cest lide que chaque bloc historique,
en tant que produit contingent de chaque trajectoire historique, donne lieu une forme tatique
spcifique.35 Ainsi, dans ce processus transnational dmergence de la forme de ltat-Nation, malgr
le monopole de cette forme en tant que modle de socit politique 36, il ne faut pas perdre de vue
cette contingence qui contredit la violence symbolique de rduction quexerce le modle de ltat-
territorial face la diversit qui a merg des trajectoires de vulgarisation du pouvoir propres
notamment lAfrique sub-saharienne. Les notions de nationalisme et dextraversion, en tant quelles
seront tudies dans leur caractre hybride, fruit de pratiques vont servir illustrer comment certaines
formes tatiques ont merg suite lhistoricit des blocs historiques ayant monopolis ltat.
3.1.2.2 Esquisse dune Gouvernementalit nocoloniale
3.1.2.2.1 Nationalisme et Stratgies dextraversion
Even the counterhegemonic discourses of the colonial era and the subversions of European notions of modernity become enmeshed in concepts the nation-state most prominent among them that redeploy ideas of surveillance, control, and development within post-independence politics, fracturing and producing unities and reconfiguring resistances. (Cooper, 1994 :1533).
Ainsi, comme Bayart le souligne galement, il y a universalisation de ltat-nation comme
mode dorganisation et de souverainet politiques sur tout le continent africain. Cela illustre la
puissance hgmonique des catgories politiques europennes.37 Malgr leur rle en tant qulments
centraux de ralliement dans les luttes pour lIndpendance, les catgories europennes ainsi
34 Only in mainstream schools of the discipline of International Relations is hegemony understood in the state-centric
fashion. (Selby, 2007:5). 35 Gramsci (1971) describes this as the "constellation of social forces". Where this constellation of social forces
achieves consensus, a 'historic bloc' is said to emerge giving rise to a particular state form. [] distinctive forms of state.
The principal distinguishing feature of such forms are the characteristics of their historic blocs, i.e. the configuration of
social forces upon which state power ultimately rests. (Swatuk, 2010 :521-22,citant Cox, Millennium, 1981,10: 126-
155). 36 "what European imperialism and third-world nationalisms have achieved together" is "universalization of the nation-
state as the most desirable form of political community." (Cooper, 1994: 1538, citant Dipesh Chakrabarty,
"Postcoloniality and the Artifice of History"). 37 (Bayart, 2009: 32).
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dtournes, le nationalisme en tte, participent cependant de lhgmonie coloniale en vhiculant ses
catgories politiques.38 Lhypothse qui va tre poursuivie ici est cependant de les considrer comme
des catgories hybrides, fruits des transactions hgmoniques pour ne pas rifier une forme de
ltat-nation et risquer de tomber dans le pige territorial . Aussi, ltat-nation, en tant la forme
de socit politique hgmonique dans le continent africain, elle nen a pas moins t revisite dans
le processus de vulgarisation du pouvoir. En se risquant faire une gnralit, les formes tatiques
du continent Africain tendent sarticuler autour de deux modalits de nationalisme et dextraversion.
En analysant les stratgies nationalistes dployes par les lites africaines, il faut se prserver
dun travers intentionnaliste qui dcrirait ces comportements stratgiques en termes de simple
opportunisme et dintrts investir ces catgories politiques importes . Une telle approche se
mprend sur le processus de vulgarisation du pouvoir en voulant en faire un monument de pure
rationalit stratgique, les lites africaines y ayant trouv linstrument au service de leur soif de
pouvoir, sy seraient entreprises selon des manigances purement pragmatiques. Comme le prcise
Bayart, Il nest point de stratgie sans imaginaire, aussi, ne faut-il pas perdre de vue que les formes
culturelles du pouvoir, telle que cette hgmonie coloniale, se diffusent et simposent par lentremise
de processus dincorporation et darticulation des systmes de croyance dont ces lites ont t les
acteurs part entire dans cette vulgarisation des catgories politiques europennes, non sans
remaniements et hybridations inhrents au processus dimportation.39 Le nationalisme des lites
politiques africaines doit ainsi se comprendre comme le fruit de comportements stratgiques dacteurs
dont la subjectivation mme est le produit des transactions coloniales . Cependant, si lhgmonie
coloniale semble se perptuer chez les lites africaines, sous le couvert de ces catgories, le
nationalisme, en tant que forme dallgeance territoriale, semble avoir chou dans son processus
dincorporation populaire. Larticulation dune identit nationale unique par-del les rivalits entre
groupes sociaux dans ce processus de vulgarisation du pouvoir sest solde par un vernis
nationaliste bien fragile pour recouvrir des socits politiques encore trs htrognes.
Selon Cooper, la relative impopularit des nationalismes africains sexpliquerait par le fait que
les nationalistes, ayant repris le flambeau des colonisateurs, exerceraient une domination sans
hgmonie .40 Cooper semble utiliser la notion dhgmonie dans sa dfinition stato-centre, il parait
cependant pertinent de le suivre en caractrisant ces projets nationalistes, avec la rserve de les
considrer quand mme comme des processus hgmoniques, mais contests. Cela peut sexpliquer
38 In analyzing hegemonic struggle it is important to demonstrate the way in which discourses and actions can be
simultanously resistant and consensual, uniting and dividing, radical and conservative (Mumby, 1997:368). 39 (Bayart, 2008:7). 40 [C]olonial regimes seek legitimacy by hitching themselves to indigenous notions of authority and obedience.
Nationalists, seeking to displace colonial rulers without undermining their own authority, continued to practice
dominance without hegemony (Cooper, 1994:1531).
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par le fait quils ont perptu les formes politiques nes de la Rencontre coloniale , comme le
principe de cooptation des lites traditionnelles, sur le modle de lindirect rule, et de no-
patrimonialisme, afin de sassurer des soutiens de la part de rseaux clientlaires. Ces pratiques
gouvernementales particularistes sont loin dtre favorable pour tablir un sentiment populaire
didentification nationale.41 Les luttes pour lindpendance articules autour de valeurs porte
universalistes ont contribu exacerber ces tensions et nont pas manqu dalimenter des
revendications contre-hgmoniques de groupes lss par les quilibres que ltat colonial avait
institus et que les blocs historiques mergents de ces luttes nont pas manqu de perptuer en leur
faveur.
Ainsi, ces nationalismes officiels nont su ni former une identit nationale commune, ni lui
donner un ancrage territorial sur les frontires hrites de lre coloniale contrairement ce que
les postulats gographiques des RI auraient laiss esprer. Ainsi, le processus dhomognisation
du champ social voqu par Agnew na pas eu lieu et les temporalits incommensurables (qui sont
galement des espaces, des chelles pousses aux marges) ne se sont pas puises dans ces projets
nationalistes. Dans cette ide de provincialiser lEurope et dillustrer lidalisation des trajectoires
historiques des tats europens dont le pige historique procde, il est extrmement -propos de
relever quune logique analogue a prvalu en Europe au XIXme sicle, lorsquil sest agi, pour les
dynasties rgnantes, de sapproprier de manire opportunistes les nationalismes mergents en
cherchant se naturaliser . In almost every case, official nationalism conceale a discrepancy
between nation and dynastic realm . 42
Il serait difficile de trouver formulation qui met une lumire plus crue sur linadquation de la
catgorie d tat-conteneur saisir les trajectoires mmes des tats dont lidalisation a servi de
modle pour ltat-nation. Dans son analyse de lmergence des nationalismes, ou de communauts
imagines (Imagined Communities) comme il les nomme, Benedict Anderson utilise pour dcrire
cette priode de lhistoire europenne les notions de nationalisme oligarchique et de
nationalisme vernaculaire .43 La notion de nationalisme oligarchique dans lequel lintrt
national promu tend se confondre avec les intrts du bloc historique monopolisant lappareil de
ltat semble adquate pour rendre compte de ces nationalismes africains ayant merg dans la lutte
pour les Indpendances et stant tatiss suite aux indpendances. Il semblerait vain de chercher
tracer la frontire entre un nationalisme oligarchique et un nationalisme populaire sur le critre
de sa popularit. Cela naiderait que peu saisir les logiques sous-jacentes ces enjeux dallgeance.
41 The public's nationalist sentiment was actually quite thin. Attempts at building national institutions were inevitably
read as building up particularistic interests: for the leader's tribe, for his class, for his clientele, for himself (Cooper,
1994:1539). 42 (Anderson, 2006: 113). 43 (Anderson, 2006: 90-92 ; 105 ; 108).
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Il parat plus pertinent de se pencher sur les coalitions dacteurs que ces nationalismes sont mme
de fdrer en sarticulant leur mode de vie et leur systme de croyance. Les formes culturelles du
pouvoir qui sont rendues hgmoniques au travers des projets nationalistes oligarchiques tendent ainsi
tre autant produit et reproducteur de la prminence du bloc historique. Ce faisant, ces projets
tendent structurer le champ politique en amenant la marginalisation de certains acteurs. Un tel
processus peut potentiellement amener ces acteurs marginaliss construire une contre-hgmonie
lgitimant leur forme de socit politique quil semble lgitime de dsigner comme une forme de
nationalisme vernaculaire. Lautre dimension qui caractrise cette gouvernementalit coloniale
esquisse ici relve des relations vers lextrieur pour lesquelles les acteurs coopts par ltat-colonial
avait su se donner un rle de gatekeeper, afin de pallier aux faiblesses en termes de ressources
conomiques, financires et de lgitimit domestiques, stratgie dextraversion qui sest perptue
dans lre postcoloniale.
Les Africains ont t les sujets agissants de la mise en dpendance de leurs socits [..] le paradigme de la stratgie de lextraversion, qui insiste sur la fabrication et la captation dune vritable rente de la dpendance comme matrice historique de lingalit, de la centralisation politique et des luttes sociales, continue dtre heuristique[]. (Bayart, 1999 :100).
Comme le prcisait Cooper, durant le Moment colonial, le principe dexercice du pouvoir au
travers des catgories traditionnelles dautorit sest perptu par cooptation des lites, alors
mme que le projet de modernisation de lorganisation politique affaiblissait de plus en plus la
lgitimit traditionnelle mesure que le processus de bureaucratisation et de centralisation de
ltat a progress. Ainsi, un double principe de cooptation des lites et de remise en question de leur
lgitimit exercer leur autorit a rsult en une dpendance mutuelle de ltat-colonial et de ces
lites, dont le principe na pas t fondamentalement modifi aprs les Indpendances. Sous le
couvert de projets nationalistes, les tats africains aprs les Indpendances nont pas rompu avec cette
logique de cooptation des lites et dappropriation des ressources extrieures des fins clientlaires,
qui na pas t sans affaiblir par son principe mme la lgitimit de ces nationalismes dans les
populations africaines, consquence de la perptuation de ces logiques fruit des transactions
coloniales .
[L]es chefferies historiques ou pseudo-traditionnelles cooptes par le colonisateur, les lites allognes impriales et transnationales [] ont uvr au jour le jour et contribu la cristallisation du clientlisme de l tat-rhizome , ainsi qu la consolidation de son conomie politique rentire et la fortune de ses gatekeepers. (Bayart, 1999: 118).
Ainsi, ce principe dextraversion qui caractrise les trajectoires historique des tats africains a
servi de compensation la faiblesse de leurs ressources et la fragilit de leur autonomie par rapport
aux instances de lEmpire colonial, ou de l Empire no-libral , partant, de leur lgitimit
populaire. Ainsi, cette forme de gouvernementalit alimente par lextrieur est le fruit des trajectoires
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historiques des tats africains. La question ne se pose pas en termes de continuit ou de rupture,
lhistoricit des formes tatiques africaines et la continuit hgmonique (voir ci-dessous)
participent de cette reproduction des logiques propres nes dans la Rencontre coloniale .
Extraversion financire, sous la forme dune aide directe de la part des tats amis et des institutions multilatrales [...] Extraversion conomique, [par lextraction] des produits primaires du pays [C]es deux stratgies dextraversion [] correspondent bien notre modle initial de lexercice de la souverainet par construction de la dpendance. (Bayart, 1999 :104-105).
Cette citation permet de relever les deux types de stratgies dextraversion dominant, en premier
lieu, lutilisation rentire de ressources financires importes au nom de laide au dveloppement,
en second lieu, les ressources conomiques retires de lextraction de ressources autochtones
destination des marchs internationaux. Ce second type de stratgies a trait ce qui est communment
tax de maldiction des ressources , conformment ce paradigme de lextraversion, les mannes
qui en sont retires tendant effectivement entretenir des rseaux clientlistes, ce qui nuit
certainement au potentiel multiplicateur de ces ressources conomiques. Un deuxime point
essentiel relev ici par Bayart tient cette souverainet elle-mme reconduite et entretenue par et au
travers de ces stratgies dextraversion, antithse de son acception territoriale vhicule par les
RI, en tant que principe dautorit exclusif sur un territoire.
En suivant Agnew sur largument que le pige territorial est incorpor par les acteurs
politiques et cest bien l le problme de son caractre implicite dans les thories de RI, qui ratifie
ainsi un sens commun qui mrite tout au moins dtre discut ds lors, le postulat de la
souverainet territoriale est une catgorie politique dont la reproduction stratgique de
lhgmonie nest pas sans affinit avec le projet nationaliste. Ainsi, de ce point de vue, le
nationalisme peut tre considr, au mme titre que cette extraversion territoriale , comme
participant dune forme dextraversion discursive qui permet de comprendre les raisons dune
continuit hgmonique 44 des catgories politiques europennes et rend dautant plus
indispensable une provincialisation de ces catgories. Ainsi, au-del de la dimension
instrumentale du nationalisme sous la forme de la rhtorique de la ncessit de la poursuite des
stratgies dextraversion conomiques et financires pour lIntrt National, le nationalisme participe
de ces stratgies dextraversion sur un plan idel.
Autrement exprim, les stratgies dextraversion, dont le nationalisme serait une modalit,
participe dune mme souverainet que lon pourrait dfinir comme tant dinterface. Interface entre
lintrieur et lextrieur du territoire, interface entre ce qui est dans ltat et ce qui lui est extrieur,
44 Lide du dveloppement ou celle du nationalisme [] sont des produits drivs de lhgmonie coloniale et
concourent sa reproduction (Bayart, 2009:38).
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interface entre le lgal et lillgal, autant de ressources potentielles dextraversion par lentremise de
lappareil tatique. Des modes dextraction par dplacement et par jeux sur la porosit des frontires
politiques, lgales, conomiques, sociales et un mode de redistribution au travers de rseaux de pairs,
selon des logiques clientlistes, voil les deux faces de lexercice de la gouvernementalit des tats
africains, que le nationalisme cherche rhabiller sous les atours de lintrt national. Cette
gouvernementalit est hrit des structures dallgeances traditionnelles rigidifies et confortes par
les logiques de cooptation et dinvention de la tradition et le principe de gouvernement minimal. Elle
a trouv les moyens de sa perptuation au travers des relations de dpendance que laide au
dveloppement a contribu reconduire, consistant ainsi en lune des formes de contrepartie
internationale ces stratgies dextraversion, contribuant ainsi la continuit hgmonique .
Dans le parcours de lhistoricit du mode de gouvernement nocolonial, les notions de
nationalisme vernaculaire et oligarchique ont t abordes pour se donner des concepts capables de
saisir des ventuelles fractures, dbouchant sur une vritable dichotomie de la socit politique,
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