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Dessiner grâce au cerveau droit - Betty Edwards
http://www.drawright.com/
http://www.dessinoriginal.com/boutique/fiche_produit.cfm?type=25&ref=LIV_2870098
006&code_lg=lg_fr&pag=1&num=1&tri=0&marq=0
1. Le dessin et l’art de rouler à bicyclette
2. Le dessin comme moyen d’expression : le langage non verbal de l’art
3. Votre cerveau côté gauche et côté droit
4. Une première expérience de la conversion cognitive gauche droite
5. Evocation d’un dessin d’enfant
6. Votre symbolique : à la rencontre des bords et des contours.
7. La forme des espaces: l’aspect positif des espaces négatifs
8. Coup d’oeil à la ronde: la perspective sur un mode nouveau
9. Répétition générale: la place des proportions
10. De face et de profil: le portrait sans peine
11. Passage à la troisième dimension: voir la lumière pour dessiner les ombres
12. Le Zen du dessin: la révélation de l’artiste
Postface
- A l’attention des professeurs et des parents
- A l’attention des élèves des Beaux-Arts
Glossaire
Bibliographie
Index
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Préface
Dessiner grâce au cerveau droit est le fruit de dix ans de recherches orientées vers
l’élaboration d’une nouvelle méthode pour enseigner le dessin à des individus d’âges et
d’occupations divers. C’est au départ d’une véritable énigme que je me suis décidée à
entreprendre ces recherches ; pourquoi le dessin, alors qu’il me semble si facile et si agréable,
paraît-il si compliqué à mes élèves ?
Depuis très longtemps, depuis l’âge de huit ou neuf ans peut-être, je dessine correctement. Je
pense être l’un de ces enfants qui, fortuitement. découvre une manière particulière de voir qui
lui permet de bien dessiner. Petite encore, quand je voulais dessiner quelque chose, je me
disais : « Tu n’as qu’à faire ‘cela’ ». Je n’ai jamais pu définir ce que ‘cela’ signifiait mais je
sais qu’il fallait que je fixe du regard pendant un moment ce que je voulais dessiner avant que
cela se produise. Je pouvais alors dessiner mon sujet avec une adresse surprenante pour mon
âge.
On a beaucoup encouragé mes dispositions pour le dessin. Je m’entendais souvent dire:
« N’est-ce pas merveilleux ce don artistique chez Betty ? Sa grand-mère déjà faisait des
aquarelles, vous savez, et sa mère est elle-même très douée. Il doit s’agir d’une aptitude
naturelle, je suppose — un don particulier ». Comme tous les enfants de mon âge,j’adorais
être complimentée pour mon apparente singularité et j’étais bien près de croire ces éloges.
Mais au fond de moi-même, je sentais que ces compliments étaient déplacés. Je savais qu’il
était facile de dessiner et que n’importe qui pouvait y arriver à condition de regarder les
choses d’une certaine manière.
Des années plus tard, lorsque j’ai débuté dans l’enseignement, j’ai tenté de communiquer cette
conception du dessin à mes élèves. Ma démarche a remporté peu de succès et, à mon grand
désespoir, dans une classe d’une trentaine d’élèves, quelques- uns seulement apprenaient à
bien dessiner.
J’ai alors essayé de m’observer intérieurement, cherchant à savoir ce que je faisais pour voir
les choses différemment quand je dessinais. Je me suis également placée du point de vue des
élèves. J’ai alors remarqué que les rares étudiants qui avaient réussi à apprendre le dessin ne
s’étaient pas améliorés progressivement mais plutôt de manière subite et radicale, Une
semaine ils en étaient encore à tâtonner avec des images stéréotypées et infantiles et la
semaine suivante ils dessinaient correctement.
Je me moquais des élèves : « Que faites-vous donc de plus aujourd’hui pour ne plus
commettre les erreurs de la semaine passée ? ». Presque invariablement, les élèves
répondaient simplement qu’ils « se contentaient de regarder les choses ». Je pouvais leur
poser autant de questions que je voulais, ils n’arrivaient pas à trouver les mots pour décrire
précisément ce qui avait changé dans leur manière de faire.
J’ai alors découvert un nouvel indice. J’ai toujours eu recours aux démonstrations pendant
mes cours, pour expliquer à mes élèves ce que je faisais — ce que je regardais, pourquoi je
dessinais les choses de telle façon. II m’arrivait souvent de m’arrêter au milieu d’une phrase.
J’entendais ma voix s’interrompre et je voulais reprendre ma phrase, mais je devais faire un
effort terrible pour trouver les mots — et de toute façon, je ne le souhaitais plus. Enfin, me
ressaisissant,je reprenais mon exposé — et je m’apercevais alors que j’avais perdu le contact
avec mon dessin qui, subitement, me paraissait compliqué et difficile. Cette nouvelle
découverte allait me mettre un peu plus sur la voie: je pouvais soit parler soit dessiner, mais je
ne pouvais pas faire les deux à la fois.
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D’autres indices allaient se présenter, souvent par hasard, qui me feraient comprendre le
mystère. Un jour, alors que mes élèves peinaient sur un dessin de personnage, j’ai fait circuler
un dessin de maître et j’ai eu soudain l’idée de leur faire copier ce dessin à l’envers. Ils ont
placé la reproduction la tête en bas et l’ont copiée de cette façon. A ma grande surprise, et à
celle des élèves, les dessins étaient excellents. Je n’y comprenais rien. Les lignes, après tout,
restaient les mêmes, que l’image soit à l’envers ou à l’endroit. Pourquoi fallait-il que les
élèves dessinent plus facilement une image orientée de manière inhabituelle ?
En travaillant sur les espaces négatifs,j’ai relevé de nouvelles indications — et soulevé de
nouvelles questions aussi. Je me suis aperçue que les étudiants dessinaient mieux non pas en
observant la forme qu’ils souhaitaient représenter. mais en observant les surfaces qui
entouraient cette forme. Une fois de plus, je m’interrogeais. Pourquoi dessine-t-on mieux les
formes en observant les espaces qui les entourent ? J’ai continué d’observer ma propre
manière de dessiner mais la réponse au problème, le principe fondamental ultime, continuait
de m’échapper.
Il y a environ une dizaine d’années, je me suis mise à lire une série d’ouvrages concernant les
études que Roger W. Sperry et ses associés ont réalisées sur des commissurotomisés pendant
les années cinquante et soixante au California Institute of Technology. En résumé, le Groupe
Cal Tec a montré que les deux hémisphères du cerveau humain se caractérisent par des
fonctions cognitives supérieures et que ces deux hémisphères emploient des méthodes — ou
modes — différents pour traiter les informations.
Ces travaux ont soudain fait la lumière dans mon esprit. L’aptitude d’un individu au dessin
venait peut-être essentiellement de sa faculté à adopter une manière inhabituelle de traiter les
informations visuelles, c’est-à-dire l’aptitude à passer d’une méthode verbale et analytique
(appelée « mode gauche » ou « mode-G » dans cet ouvrage) à une méthode spatiale et globale
(que j’appelle « mode droit » ou « mode-D »). Grâce à cette découverte, les différentes pièces
du puzzle ont pris leur place et j’ai compris pourquoi certains élèves arrivaient à mieux
dessiner que d’autres.
Depuis lors, et plus particulièrement pendant mon travail de doctorat, j’ai formulé le principe
de base et établi les séries d’exercices qui constituent cet ouvrage. Le principe de base est le
suivant: il est possible d’apprendre à dessiner en adoptant une nouvelle manière de voir, c’est-
à-dire en faisant appel aux fonctions spécifiques de l’hémisphère droit du cerveau, et les
exercices qui suivent sont conçus dans ce but. Je suis certaine qu’un jour, ma méthode
d’enseignement par conversion cognitive, qui encourage une translation mentale à partir d’un
mode de pensée verbal et logique vers un mode plus global et intuitif, sera reprise et
améliorée par les professeurs et chercheurs dans le domaine des arts et appliquée à d’autres
secteurs. Quel que soit le degré de latéralisation cérébrale que la recherche à venir
déterminera, c’est-à-dire le degré de spécialisation des fonctions du cerveau en ce que j’ai
nommé mode gauche et mode droit, les deux modes cognitifs et les principes sous-jacents que
je décris ici se sont avérés utiles pour les étudiants à tous les niveaux et ont. dès lors, été
retenus. Sous sa forme actuelle, cette théorie m’a permis d’élaborer une méthode
d’enseignement qui réponde à mon problème de départ: comment permettre à tous les
étudiants et non à quelques-uns seulement, d’apprendre la technique du dessin ?
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1. Le dessin et l’art de rouler à bicyclette
Fig. l-l. Bison mugissant. Peinture rupestre paléolithique des grottes
d’Altamira en Espagne. Dessin de Brevil. Les artistes préhistoriques
étaient probablement censés détenir des pouvoirs magiques.
Le dessin est un processus curieux, tellement lié aux perceptions visuelles que les deux
peuvent difficilement être dissociés. Pour dessiner, il faut être capable de voir les choses à la
manière de l’artiste, et cette manière de voir peut merveilleusement enrichir notre existence.
A plusieurs égards, enseigner le dessin c’est comme apprendre à quelqu’un à rouler à
bicyclette. C’est difficile à expliquer avec des mots. Lorsque vous apprenez à quelqu’un à
rouler à vélo, vous dites : « Il suffit de monter sur le vélo, de pousser les pédales, et c’est
parti».
Bien sûr, cela n’explique pas tout, et il est probable que vous finissiez par intervenir : « Je
vais monter sur le vélo et te montrer. Regarde comment je fais ».
Il en va de même pour le dessin. La plupart des professeurs et auteurs de manuels de dessin
exhortent les débutants afin qu’ils « changent leur manière de voir les choses » et qu’ils
apprennent à « regarder ». Le problème est qu’il est aussi difficile d’expliquer cette manière
de voir que d’expliquer l’équilibre sur une bicyclette, et de fait, le professeur finit souvent par
dire: « Regarde ces exemples et persévère. Si tu t’exerces beaucoup tu y arriveras
certainement». Alors que presque tout le monde apprend à rouler à bicyclette, nombreux sont
ceux qui échouent dans l’apprentissage du dessin. En réalité, les gens n’apprennent jamais à
regarder de manière suffisamment correcte pour bien dessiner.
LE DESSIN: UN DON MAGIQUE ?
Les personnes possédant la faculté de voir et de dessiner sont tellement rares que les artistes
sont souvent considérés comme dotés par Dieu d’un talent exceptionnel. Pour beaucoup, le
dessin relève d’un pouvoir mystérieux qui dépasse l’entendement humain.
Les artistes eux-mêmes se complaisent souvent dans le mystère. Si vous abordez un artiste
(c’est-à-dire une personne qui dessine bien grâce à une longue pratique ou grâce à la
découverte fortuite de la « vision de l’artiste ») et que vous lui demandez : « Que faites-vous
pour dessiner quelque chose—disons un portrait ou un paysage—de manière si
ressemblante ? », il est probable que l’artiste réponde: « Oh, je dois avoir un don,je suppose »,
ou « Vraiment, je ne sais pas. Je me mets simplement au travail et les choses se font au fur et
à mesure que j’avance», ou «Eh bien, je me contente de regarder la personne (ou le paysage)
et je dessine ce que je vois ». La dernière réponse semble logique et spontanée. Après
réflexion, pourtant, elle n’explique pas clairement du tout la démarche, et l’impression que le
dessin relève d’un don vaguement magique persiste (figure 1-l).
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Bien que le mystère sur l’origine du talent
artistique pousse les gens à apprécier les artistes et
leurs oeuvres, il les dissuade souvent d’apprendre
eux-mêmes à dessiner; de plus, il complique la
tâche des professeurs qui tentent d’expliquer la
technique du dessin. En effet, les gens hésitent
souvent à suivre un cours de dessin parce qu’ils ne
savent pas déjà dessiner. C’est comme si vous
décidiez de ne pas suivre un cours d’anglais parce
que vous ne parlez pas encore cette langue, ou de
ne pas vous inscrire à un cours de menuiserie parce
que vous ne savez pas comment on construit une
maison.
LE DESSIN : UNE TECHNIQUE QUI
S’ACQUIERT
Vous vous apercevrez vite que le dessin est une
technique que toute personne normale, d’acuité
visuelle et de coordination oculo-motrice
moyennes — suffisamment adroite, par exemple,
pour enfiler une aiguille ou attraper un ballon —
peut apprendre. Contrairement à l’opinion
courante, l’aptitude manuelle n’est pas une
Roger N. Shepard, Professeur de Psychologie à
l’Université de Stanford, a récemment décrit son
mode personnel de réflexion créative au cours
duquel les idées de recherches se présentent à son
esprit sous forme de solutions non verbales,
essentiellement complètes et mûrement réfléchies.
« Qu’au cours de ces illuminations soudaines, mes
idées se présentent sous une forme originelle visuo-
spatiale. sans aucune influence verbalisatrice, pour
autant que je puisse en juger du moins. voilà qui a
toujours été mon mode préféré de réflexion...
Depuis mon enfance, j’ai passé mes instants les plus
heureux absorbé par le dessin, la réflexion ou les
exercices de visualisation purement mentale ».
Roger N. Shepard, Visual Learning, Thinking, and
Communication
«Apprendre à dessiner revient véritablement à
apprendre à voir — à voir correctement — et cela
signifie bien plus que simplement regarder avec les
yeux».
Kimon Nicolaides The Natural Way to Draw
Gertrude Stem a demandé à Henri Matisse si, en
mangeant une tomate, il la regardait comme un
artiste le ferait. « Non, a dit Matisse, quand je la
mange, je la vois comme tout le monde ».
Gertrude Stem, Picasso
condition primordiale pour le dessin. Si votre écriture est lisible ou si vous pouvez tracer des
caractères déchiffrables, vous êtes d’une dextérité amplement suffisante pour bien dessiner.
En ce qui concerne les mains, nous n’avons plus rien à ajouter; mais nous ne parlerons jamais
assez des yeux. Apprendre à dessiner ne se résume pas à l’apprentissage d’une technique; en
étudiant ce livre, vous apprendrez à voir. En d’autres mots, vous apprendrez à traiter les
informations visuelles à la manière particulière des artistes. Cette manière est différente de
celle dont vous traitez habituellement les informations visuelles et implique un
fonctionnement cérébral particulier.
Vous apprendrez ainsi comment votre cerveau utilise les informations visuelles. Les
recherches récentes ont permis d’éclairer sous un jour plus scientifique cette merveille
d’accomplissement et de complexité qu’est le cerveau humain. Et l’une des choses que nous
avons apprises est la manière dont les propriétés particulières de nos deux cerveaux nous
permettent de dessiner l’image de nos perceptions.
Dessiner et voir
L’aura de mystère qui entoure le dessinateur semble relever, en partie du moins, de la faculté
qu’il a de « brancher » son cerveau sur un mode de vision et de perception distinct. Si vous
arrivez à voir à la manière de l’artiste chevronné, alors vous êtes en mesure de dessiner.
Les dessins de grands artistes comme Léonard de Vinci ou Rembrandt n’en perdent pas pour
autant leur prestige, simplement du fait que nous connaissions certains aspects des processus
cérébraux qui sont intervenus dans leur élaboration. Au contraire, la recherche scientifique
rend plus remarquable encore l’oeuvre de maîtres parce qu’elle permet au spectateur de
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passer au mode de perception de l’artiste. La technique élémentaire du dessin est également
accessible à tous ceux qui sont capables d’effectuer la conversion vers le mode de perception
de l’artiste et de voir à sa manière.
LA VISION DE L’ARTISTE : UNE DOUBLE DEMARCHE
En réalité, il n’est guère difficile de dessiner.
Le problème est d’apprendre à voir, ou, plus
précisément, d’apprendre une manière
particulière devoir. Il est possible que vous
ne me croyiez pas encore.
Vous estimez peut-être que vous voyez
parfaitement les choses et que c’est le fait de
dessiner qui est difficile. Mais l’inverse est
vrai et les exercices de ce manuel sont
destinés à vous aider à effectuer la
conversion mentale nécessaire. Ces exercices
vous seront doublement bénéfiques: vous
accéderez d’abord délibérément à la moitié
droite de votre cerveau et vous adopterez un
mode de conscience légèrement modifié;
ensuite, vous verrez les choses différemment.
Ces deux conditions vous permettront de
bien dessiner.
« C’est pour voir vraiment, pour voir toujours plus
en profondeur, toujours plus intensément, et de là
pour être pleinement conscient et vivre totalement,
que je dessine ce que les Chinois appellent les ‘Dix
Mille Choses’ qui m’entourent. Le dessin est une
discipline qui permet de sans cesse redécouvrir le
monde.
« Je sais aujourd’hui que ce que je n’ai pas
dessiné, je ne l’ai pas vraiment vu et que, quand je
me mets à dessiner une chose banale, je prends
conscience qu’elle est extraordinaire, un pur
miracle. »
Frederick Franck, The Zen of Seeing
« On peint avec les yeux, non avec les mains. Un
peintre peut reproduire tout ce qu’il voit, pourvu
qu’il le voie clairement. Cela lui demande peut-être
plus de soin et de travail, mais pas plus d’agilité
musculaire, que de signer son nom, Ce qui importe,
c’est d’y voir clair ».
Maurice Grosser L’oeil du peintre
De nombreux artistes ont déclaré voir les choses différemment tandis qu’ils dessinaient et ils
ont fait état d’une légère modification de leur état de conscience. Dans cet état subjectif
modifié, les artistes prétendent se sentir transportés, « en parfaite communion avec l’œuvre »,
capables de saisir des rapports qu’ils ne sont pas capables de percevoir ordinairement. La
notion du temps s’émousse et les mots échappent à la conscience. Les artistes se disent alertes
et conscients tout en étant sereins et libres de toute anxiété, en proie à une activation mentale
passionnante, presque mystique.
LE DESSIN : UN ETAT DE CONSCIENCE
Cet état de conscience légèrement altéré, cette sensation de transport que la plupart des
artistes éprouvent lorsqu’ils dessinent, peignent, sculptent ou exécutent une oeuvre d’art, ne
vous est pas totalement étranger. Vous avez peut-être intérieurement observé de légères
modifications de votre état de conscience alors que vous vous livriez à des occupations bien
plus triviales que l’activité artistique.
Il arrive parfois qu’on se sente glisser d’un état de veille vers un état légèrement altéré de
rêverie éveillée. Certaines personnes prétendent aussi que la lecture leur permet de
« s’évader ». Bien d’autres activités semblent provoquer une modification de l’état de
conscience : la méditation, le jogging, les travaux de couture, la dactylographie, la musique et,
bien sûr, le dessin.
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Je dirais même que la conduite sur autoroute peut provoquer une légère modification de
notre état subjectif comparable à celle que suscite le dessin. Après tout, la conduite sur
autoroute est strictement liée à l’interprétation d’images visuelles, le conducteur ayant affaire
aux informations spatiales et relationnelles que sont les composantes multiples de la
configuration d’ensemble du trafic.
Lorsqu’on conduit une voiture, il arrive qu’on perde toute notion du temps et qu’on se sente
envahi par une sensation de sérénité propice à la réflexion créative. Les opérations mentales
pendant la conduite semblent activer les mêmes centres du cerveau que ceux qui sont utilisés
pour le dessin. Bien sûr, lorsque la circulation est difficile, si nous sommes en retard, ou si
notre passager engage la conversation, la conversion vers un état de conscience diffèrent ne se
produit pas. Les raisons de cet empêchement sont détaillées au chapitre 3.
La clé de l’apprentissage du dessin consiste donc à créer les conditions favorables à une
conversion mentale vers un mode différent de traitement des informations — cet état de
conscience légèrement altéré — qui vous permet de voir correctement. Ce mode du dessin
vous permettra de reproduire ce que vous percevez, même sans avoir jamais appris de
technique. Une fois que ce « mode du dessin » vous sera familier, vous serez capable de
contrôler consciemment la conversion mentale nécessaire pour y accéder.
LE DESSIN : L’EXPRESSION DE VOTRE PERSONNALITE CREATRICE
Je vous considère comme une personne dotée du potentiel
créatif nécessaire pour vous exprimer à travers le dessin. Mon
but est de vous fournir les moyens de libérer ce potentiel, afin
d’accéder consciemment à vos facultés inventives, intuitives et
imaginatives que notre culture technologique et verbale, et
notre système d’éducation, ont peut-être largement ignorées. Je
vais vous apprendre à dessiner, mais le dessin n’est qu’un
moyen, pas un fin. Le dessin vous permettra de découvrir les
aptitudes particulières du côté droit de votre cerveau, le côté
adroit pour le dessin. En apprenant à dessiner, vous apprendrez
à voir différemment et, pour reprendre l’expression lyrique de
l’artiste Auguste Rodin, vous apprendrez à devenir le confident
de la nature, à éveiller votre regard au langage merveilleux des
formes, et à vous exprimer dans ce langage.
En dessinant, vous explorerez une partie de votre esprit trop
souvent obscurcie par les détails infinis de votre vie
quotidienne. Cette expérience vous permettra de percevoir les
choses fraîchement et plus intensément et dans leur intégralité,
et à saisir les structures sous-jacentes et les possibilités de
combinaisons nouvelles. Les solutions créatives aux problèmes,
qu’ils soient d’ordre professionnel ou personnel, peuvent être
obtenues grâce à de nouvelles méthodes de réflexion et une
exploitation exhaustive de votre potentiel cérébral.
« L’Artiste est le confident
de la nature insensible...
Les fleurs s’entretiennent
avec lui par la courbe gracieuse
de leur tige, par les
nuances chantantes de leurs
pétales: chaque corolle dans
l’herbe est un mot affectueux
que lui adresse la Nature. »
Auguste Rodin
Le dessin, aussi agréable et satisfaisant soit-il, n’est jamais qu’une clé permettant d’ouvrir la
porte vers d’autres horizons. J’ose espérer que Dessiner grâce au cerveau droit vous aidera à
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mieux exploiter vos aptitudes personnelles grâce à une prise de conscience accrue du mode
de fonctionnement de votre propre cerveau. Les exercices de ce livre sont conçus de manière
à rehausser de multiples façons votre assurance dans la façon dont vous opérez vos choix et
résolvez vos problèmes. La force potentielle de l’hémisphère créatif et imaginatif de votre
cerveau est presque illimitée et, grâce au dessin, vous serez en mesure de connaître ces
ressources puissantes de votre personnalité et de les faire connaître aux autres. A travers le
dessin, c’est vous-même que vous montrerez. L’artiste allemand Albert Dürer a un jour dit :
« Ainsi, le trésor secrètement recueilli dans votre coeur se manifestera au travers de votre
oeuvre créative ».
En gardant un oeil vers les horizons promis, commençons dès maintenant à façonner la clé.
MON APPROCHE: UNE VOIE VERS LA CREATIVITE
Les exercices et instructions figurant dans
cet ouvrage sont spécialement conçus pour
les personnes qui ne savent pas du tout
dessiner, qui croient n’avoir aucun talent,
ou très peu. pour le dessin et qui doutent
d’arriver un jour à dessiner — mais qui
pensent qu’elles aimeraient apprendre. Cet
ouvrage se distingue d’autres manuels de
dessin par sa démarche particulière:
l’objectif est de vous faire accéder à des
facultés que vous possédez déjà et qui
attendent simplement d’être libérées.
Les personnes dont l’esprit créatif s’exerce
dans d’autres domaines que l’art et qui
souhaitent mieux dominer leurs techniques
de travail et surmonter leurs inhibitions
trouveront un avantage certain à appliquer
« Toute personne en qui l’artiste vit, devient, quel que
soit le genre de son travail, un individu curieux,
inventif et audacieux, d’expression originale. Il devient
intéressant pour les autres. Il perturbe, bouleverse,
éclaire, et ouvre des voies nouvelles vers une
compréhension plus juste. Là où ceux qui ne sont pas
des artistes essaient de fermer le livre, il l’ouvre et
montre qu’il est encore possible d’écrire de nouvelles
pages. »
Robert Henri, The Art Spirit
« Etre secoué hors des ornières de la perception
ordinaire, avoir l’occasion de voir pendant quelques
heures intemporelles le monde extérieur et intérieur.
non pas tels qu’ils apparaissent à un animal obsédé
par la survie ou à un être humain obsédé par les mots
et les idées, mais tels qu’ils sont appréhendés,
directement et inconditionnellement par l’Esprit en
général — c’est là une expérience d’une valeur
inestimable pour chacun... «
Abdou Huxley, Les Portes de la Perception
les méthodes décrites ici. Cette théorie et les exercices qui en découlent aideront les
professeurs et les parents à promouvoir le développement des facultés créatives des enfants. A
la fin de l’ouvrage, j’ai brièvement rédigé une postface dans laquelle je suggère différentes
manières d’adapter mes méthodes et mes matériaux de base à l’enseignement des enfants.
Une seconde postface s’adresse aux élèves des beaux-arts.
Ce livre est un cours de neuf leçons que j’ai données pendant près de cinq ans à des personnes
d’âges et d’occupations divers. Presque tous les élèves commencent le cours avec des
techniques de dessin très médiocres et avec une anxiété profonde quant à leurs aptitudes
potentielles pour le dessin. Tous les élèves, sans exception ou presque, atteignent un niveau
élevé de connaissances techniques et acquièrent la confiance nécessaire pour continuer de
développer leurs facultés d’expression par le dessin en suivant d’autres cours ou en s’exerçant
à titre personnel.
Lorsqu’on considère l’acquis de la plupart des élèves, le plus étonnant est de constater la
rapidité avec laquelle ils améliorent leurs techniques de dessin. Je crois fermement que les
personnes qui, tout en étant dépourvues de toute pratique artistique, arrivent néanmoins à
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effectuer la conversion vers un mode de vision artistique — c’est-à-dire le mode propre à
l’hémisphère droit — ces personnes n’ont pas besoin d’autres conseils pour pouvoir dessiner.
Autrement dit, vous savez déjà dessiner, mais les vieilles habitudes de perception visuelle
interfèrent avec cette aptitude et l’inhibent. Les exercices de ce manuel sont conçus pour lever
ces inhibitions et libérer vos aptitudes réelles.
Même s’il n’est pas dans vos intentions de vivre uniquement de votre travail artistique, ces
exercices vous permettront de comprendre la manière dont votre cerveau ou vos deux
cerveaux travaillent — individuellement, coopérativement, ou conflictuellement. Et, comme
me l’ont dit de nombreux élèves, leur vie leur semble plus riche à présent qu’ils voient plus et
mieux.
LE REALISME, UN MOYEN POUR UNE FIN
La plupart des exercices de ce manuel sont
conçus pour vous permettre de dessiner avec
réalisme, c’est-à-dire pour vous permettre de
voir et de dessiner un objet ou une personne
du monde réel avec un degré appréciable de
ressemblance. Cela ne signifie nullement que
le dessin réaliste soit préférable à tout autre
genre artistique. D’une certaine façon. le
dessin réaliste est une étape qui doit être
dépassée normalement vers l’âge de dix ou
douze ans.
Dessiner avec réalisme est une faculté
triplement importante. Tout d’abord, le
réalisme vous permet de voir « en
profondeur », au sens propre comme au sens
figuré. Ensuite, il vous donne une forme de
confiance en vos aptitudes créatives qui, pour
les non-artistes,ne peut être acquise d’aucune
autre manière. Des artistes professionnels —
des personnes qui, de leur métier, sont
professeurs d’art, décorateurs, artistes
« Pour moi, tendre à plus de naturalisme constituait
une liberté. Je me disais que si je le voulais, j’étais
capable de peindre un portrait; c’est cela que
j’entends par liberté. Demain, si je le voulais, je
pourrais me lever, je pourrais faire le dessin de
quelqu’un, je pourrais dessiner ma mère de
mémoire, je pourrais même faire une étrange petite
peinture abstraite. Tout cela s’accommoderait de
ma conception de peinture en tant qu’art. Beaucoup
de peintres n’en sont pas capables. Leur conception
est radicalement différente. C’est une conception
trop étroite; ils la restreignent beaucoup trop. Bon
nombre d’entre eux, comme Frank Stella qui me l’a
avoué, ne savent pas dessiner. Mais il existe
probablement des peintres plus anciens, des
peintres abstraits anglais, qui ont appris à dessiner.
Tout qui a fréquenté une école des Beaux-Arts
avant moi a certainement dû accomplir un nombre
considérable de dessins. A mon avis, beaucoup de
peintres se sont pris à leur propre piège; ils ont
choisi un aspect excessivement restreint de la
peinture et se sont spécialisés. Et c’est un piège.
Evidemment. un piège ce n'est pas grave quand
vous avez le courage de vous en sortir, mais cela
demande énormément de volonté ».
David Hockney
industriels, peintres, ou sculpteurs — se sont même inscrits à mes cours et m’ont avoué avec
une véritable détresse un coupable secret: ils ne savaient pas dessiner. Pour garder secrète leur
inaptitude, ils se livrent parfois à des stratégies et à des subterfuges compliqués et ridicules,
toujours pitoyables. Pour les sauver de leur détresse, il suffit de débloquer leurs aptitudes
potentielles pour le dessin réaliste. L’application des méthodes de ce manuel aide les élèves
— les non-artistes autant que les artistes — à se libérer, et les incite à explorer d’autres
domaines artistiques qui font appel aux puissantes fonctions du cerveau dans son intégralité.
Enfin, vous apprendrez à faire la conversion vers un nouveau mode de pensée dont vous
apprécierez le vaste potentiel de solutions instantanées et créatives.
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Pourquoi des visages ?
Un certain nombre d’exercices et d’instructions sont conçus pour vous permettre de réaliser
des portraits ressemblants. J’aimerais expliquer pourquoi le portrait est, à mes yeux, un sujet
intéressant pour les débutants. En gros, tous les dessins se résument à une même opération. Il
n’y a pas de sujet plus difficile que les autres. Les natures mortes, les paysages, les
personnages, les objets, même les sujets imaginaires et les portraits font tous appel aux
mêmes techniques et à la même manière de voir. Il s’agir d’une seule et même démarche :
vous regardez ce que vous avez en face de vous (les sujets imaginaires sont vus par l’oeil de
l’esprit) et vous dessinez ce que vous voyez.
Pourquoi, dans ces conditions, ai-je choisi le portrait comme sujet de plusieurs exercices ?
Tout d’abord parce que les élèves débutants s’imaginent que le visage humain est le sujet le
plus difficile. Quand ils se rendent compte qu’ils sont capables de dessiner un portrait, ils
prennent confiance et commencent à progresser. Ensuite parce que l’hémisphère droit est
spécialisé dans l’identification des visages, et cette raison est plus importante encore que la
première. Etant donné que c’est aux fonctions du cerveau droit que nous tentons d’accéder, il
est logique de choisir un sujet que cet hémisphère a coutume de traiter. Et puis, les visages
sont fascinants! Lorsque vous dessinez une personne. vous voyez son vrai visage. Comme le
disait l’un de mes élèves : « Je crois que je n’avais jamais vraiment regardé le visage de
quelqu’un avant de dessiner. C’est étrange, aujourd’hui tous me semblent plus merveilleux ».
Le matériel
Le matériel nécessaire pour les exercices de ce manuel est assez simple. Vous aurez besoin
d’un papier machine bon marché (pas du type effaçable parce que le crayon y fait tache) ou de
quelques feuilles à dessin ordinaires, Il vous faudra aussi un crayon et une gomme. Les
crayons noirs 4B sont agréables parce que la mine est tendre et trace des lignes nettes et
foncées, mais un crayon ordinaire numéro 2 fera presque aussi bien l’affaire. Plus tard vous
souhaiterez peut-être compléter votre matériel — par un bâtonnet de charbon de bois, par
exemple, ou un crayon-feutre, des crayons aux mines de teintes grises, brunes, etc. Pour la
plupart des exercices cependant, le papier, un crayon et une gomme suffisent.
Les exercices : un pas et puis l’autre
Pendant les dix années où j’ai enseigné le dessin,j’ai tenté diverses manières de graduer, de
sérier et de combiner les exercices. La progression suivie dans ce manuel est celle qui a
permis aux élèves de réaliser les plus grands progrès. Les trois premiers chapitres présentent
brièvement la théorie dont s’inspirent les exercices et donnent un aperçu des recherches
récentes sur les fonctions des deux hémisphères cérébraux chez l’homme, études dont j’ai
retiré certaines applications pour l’enseignement du dessin.
Avant de commencer les exercices du chapitre 4, vous trouverez quelques explications quant
à la manière dont ces exercices ont été conçus et quant à leur efficacité. Le cours complet est
conçu de façon à ce que l’élève franchisse chaque étape avec succès et qu’il accède à un
nouveau mode de traitement des informations qui présente un minimum de bouleversements
par rapport au mode habituel. C’est pourquoi j’insiste pour que vous lisiez les chapitres dans
l’ordre donné et pour que vous fassiez les exercices comme ils se présentent.
12
J’ai limité autant que possible le nombre d’exercices recommandés; mais si vous avez le
temps, faites plus de dessins qu’il est conseillé : recherchez vos propres sujets et inventez vos
propres exercices. Plus vous pratiquerez et plus vous progresserez. Pour cette raison, en plus
des exercices qui se présentent dans le texte proprement dit, vous trouverez souvent dans la
marge des exercices supplémentaires. En faisant ces exercices, vous améliorerez votre
technique et vous prendrez plus d’assurance.
Pour la plupart des exercices, je vous conseille de lire toutes les instructions avant de vous
mettre à dessiner et, lorsque le cas se présente, observez les dessins d’élèves avant de
commencer. Conservez tous vos dessins dans une chemise ou dans une grande enveloppe afin
de pouvoir constater vos progrès lorsque vous arriverez à la fin du cours.
Définitions terminologiques
Un glossaire se trouve à la fin du livre. Certains termes sont amplement définis dans le corps
du texte, et le glossaire reprend d’autres termes qui sont définis avec moins de précision.
Certains mots qui sont couramment utilisés dans le langage quotidien, tels que « valeur » ou
« composition » présentent un sens très spécifique et souvent différent dans la terminologie
artistique. Je vous conseille donc de jeter un coup d’oeil au glossaire avant de commencer à
lire les différents chapitres.
LES DESSINS PRELIMINAIRES : UN TEMOIN PRECIEUX DE VOS TALENTS
ARTISTIQUES
A présent, et avant que vous poursuiviez votre lecture, j’aimerais que vous réalisiez quatre
dessins préliminaires afin de conserver un témoin de vos aptitudes au dessin, avant que vous
soyiez « contaminés » par la théorie qui suit. Cette proposition est généralement accueillie
avec inquiétude par les élèves; l’anxiété les envahit et la tension monte. Mais si vous les faites
maintenant, lorsque vous arriverez au premier exercice dirigé du chapitre 4, vous serez certain
d’être capable d’apprendre à dessiner et vous serez disposé à essayer.
Ces dessins, qui permettent aux élèves de constater et de reconnaître leurs progrès, sont d’une
utilité inestimable. Une sorte d’amnésie semble s’installer au fur et à mesure que la technique
du dessin s’affine. Les élèves oublient la manière dont ils dessinaient avant de suivre le cours.
De plus, leur esprit critique s’aiguise à mesure qu’ils progressent. Même après une
amélioration sensible, certains élèves jugent sévèrement leurs derniers dessins parce qu’ils
« ne valent pas ceux de de Vinci ». Les dessins préliminaires sont les indicateurs réalistes du
progrès réalisé. Après avoir fait ces dessins, rangez-les et nous les examinerons plus tard à la
lueur de vos nouveaux acquis.
Dessins préliminaires
Avant de commencer : Utilisez un crayon et du papier bon marché. Chaque dessin peut
prendre dix, quinze, vingt minutes, ou plus si vous le voulez. N’oubliez pas de dater vos
dessins puisqu’ils sont destinés à témoigner de votre niveau actuel de savoir-faire en matière
de dessin.
13
Premier dessin : Dessinez une personne sans regarder de modèle. Il n’y a aucune
instruction spécifique pour ce dessin, la seule directive étant de « dessiner une personne ».
Deuxième dessin : Dessinez une personne — la tête seulement. Dessinez quelqu’un qui
regarde la télévision ou qui dort, ou dessinez-vous en vous regardant dans un miroir.
N’utilisez pas de photographie.
Troisième dessin : Dessinez votre propre main. Si vous êtes droitier, dessinez votre main
gauche dans la position que vous choisirez. Si vous êtes gaucher. dessinez votre main droite.
Quatrième dessin : Dessinez une chaise en regardant une vraie chaise, pas une photographie.
Quand vous aurez terminé: Au dos de chaque dessin, écrivez votre appréciation personnelle:
ce qui vous plaît ou vous déplaît dans chaque dessin. Ces commentaires vous sembleront
intéressants à la fin des leçons.
TRAVAUX D’ELEVES
Avant et après
J’aimerais à présent vous montrer certains dessins réalisés par mes élèves. Ces dessins
témoignent d’une évolution technique typique entre la première leçon (précédant
l’instruction) et la dernière, environ deux mois plus tard. La plupart des élèves dont les
dessins sont reproduits ici ont suivi un cours de trois heures par semaine pendant neuf
semaines et ont reçu approximativement les mêmes instructions que celles contenues dans ce
manuel.
Comme vous pouvez le constater, les dessins « avant » et « après » montrent que les élèves
ont totalement changé leur manière de voir et de dessiner. La transformation est tellement
radicale que les dessins semblent presque appartenir à des personnes différentes.
Apprendre à percevoir, telle est la technique fondamentale que les élèves ont acquise au cours
de ces neuf leçons. Le progrès dont témoignent ces dessins est probablement le reflet d’un
progrès tout aussi considérable dans la manière de voir. C’est ainsi qu’il faut considérer ces
dessins: comme les témoins sensibles de l’amélioration des facultés perceptives des élèves.
Tous mes élèves, ou presque tous, ont tiré profit de ces leçons qui vous seront certainement
bénéfiques aussi. De fait, les dessins reproduits ici, tout comme les travaux d’élèves suivants,
sont le reflet typique du progrès réalisé par la plupart des élèves.
14
John Boomer, le 3 janvier 1978
John Boomer, le 5 mars 1978
Gerardo Campos, le 2 septembre 1973
Gerardo Campos, le 10 novembre 1973
15
Alice Abel, le 28 septembre 1976
Alice Abel, le 168 novembre 1976
Lyman Evans, le 2 avril 1978
Lyman Evans, le 8 mai 1978
16
Tom Nelson, le 8 août 1978
Tom Nelson, le 3 septembre 1978
Ken Danell, le 5 février 1974
Une fois terminé le cours dans sa forme première, Ken a réalisé
ce dessin un an plus tard.
17
L’IDENTIFICATION DE LA FEUILLE A DESSIN
En guise d’antidote contre l’anxiété que suscitent ces dessins
préliminaires, essayez les exercices suivants, afin de vous
délier la main.
Il n’y a rien de plus intimidant pour un élève débutant — et
même pour un artiste chevronné — qu’une page blanche, nette
et immaculée. Pour surmonter cette gêne, il suffit de se mettre
à dessiner — librement, hardiment, avec assurance. Pour vous
familiariser avec le matériel de dessin et pour vaincre
l’intimidation que suscite une page vierge, prenez une feuille
d’une blancheur intacte et saisissez votre crayon.
Sans hésitation ni retenue, faites un trait le long des bords de la
feuille, d’un coin à l’autre de la page, en arrondissant les
angles et sans jamais lever la main (figure l-2). A présent,
traversez la feuille d’abord par des traits verticaux, ensuite par
des traits horizontaux bien parallèles aux bords de la feuille.
Revenez sur certains traits pour les épaissir, les accentuer, en
jouant avec les formes. Inventez les mouvements à mesure que
vous avancez, sachant que vous créez la ligne et que la ligne,
le papier et les formes vous conduiront naturellement à votre
prochain mouvement.
Essayez sur une autre feuille en ajoutant cette fois des
diagonales aux traits qui longent les bords (figure l-3). Puis sur
une autre, ajoutez des cercles. Sur une autre encore, des
losanges. Et sur une autre toutes les lignes que vous voulez. Le
dessin d’Eugène Delacroix reproduit à la figure 1-4 illustre la
puissance que peuvent produire des lignes fantaisistes.
Fig. 1-2
Fig. 1-3
EN RESUME
Je vous ai énoncé le principe fondamental à la base
de ce manuel — à savoir que le dessin est une
technique qui s’acquiert, et dont on peut retirer un
double avantage. En accédant à la partie de votre
esprit dont le fonctionnement favorise la pensée
intuitive et créative, vous vous initierez à une
technique essentielle dans les arts graphiques: vous
apprendrez à mettre sur papier ce que vous avez en
face des yeux. Ensuite, en apprenant le dessin par la
méthode prescrite dans ce livre, vous adopterez un
mode de pensée plus créatif, utile dans tous les
domaines de la vie.
« Il y a quelque chose de dérisoire dans le
fait de créer bien que l’entreprise soit
sérieuse. Et parallèlement, il existe un esprit
de dérision dans la littérature à ce sujet car
s’il existe une seule démarche silencieuse,
c’est bien la démarche créative, Dérisoire et
sérieuse et silencieuse. »
Jerome Bruner On Knowing: Essays for the
Left Hand
18
Les progrès que vous aurez réalisés une fois le cours terminé dépendront des autres traits de
votre personnalité, comme l’énergie ou la curiosité. Mais chaque chose en son temps! Le
potentiel existe. Il est parfois bon de se rappeler qu'un jour Shakespeare a dû apprendre à
écrire en prose, que Beethoven a pratiqué les gammes et que, comme vous pouvez le constater
aux figures 1-5 et l-6, Van Gogh a dû apprendre à dessiner.
« Vider son esprit de toute pensée et
combler le vide d’une âme plus
grande que soi permet à l’esprit de
pénétrer dans un royaume
inaccessible aux démarches
conventionnelles de la raison. »
Edward Hill The Language of
Drawing
Fig. l-4. Dans une lithographie qui
reflète l’ « esprit de dérision » de
l’acte créatif, Eugène Delacroix joue
avec les lignes pour construire son
dessin. Avec l’aimable autorisation du
Metropolitan Museum of Art, Fonds
Harris Brisbane Dick, 1928.
19
Fig. l-5. Vincent Van Gogh (1853-1890). Menuisier
(1980). Avec l’autorisation du Rijksmuseum
Kröller-Müller, Otterlo.
La carrière artistique de Van Gogh ne s’étend que
sur les dix dernières années de sa vie, depuis l’âge
de 28 ans jusqu’au moment de sa mort à 37 ans.
Durant les deux premières années de cette période,
Van Gogh n’a réalisé que des dessins, apprenant
lui-même à dessiner. Comme le montre le dessin du
Menuisier, il connaissait des problèmes de
proportions et d’emplacement des formes. En 1882
cependant — deux ans plus tard—, dans sa Femme
Pleurant, Van Gogh a surmonté ces difficultés de
dessin et a pu améliorer la qualité expressive de ses
oeuvres.
21
Le but de cet ouvrage est de vous enseigner la technique élémentaire qui permet de voir et
de dessiner. Mon intention n’est pas de vous apprendre à vous exprimer mais bien de vous
enseigner les techniques qui vous libéreront de l’expression stéréotypée. Vous serez alors en
mesure d’exprimer votre individualité — votre singularité essentielle — à votre façon, en
adoptant un style de dessin personnel.
Considérons un instant votre signature comme une forme de dessin expressif; en effet, vous
vous exprimez à travers votre signature au moyen d’un élément artistique élémentaire : la
ligne.
Au beau milieu d’une feuille de papier, apposez votre signature. Cette signature, vous pouvez
la considérer comme un dessin qui serait votre création personnelle, modelée il est vrai par les
influences culturelles de votre vie, mais n’en va-t-il pas de même pour les créations de chaque
artiste ?
Chaque fois que vous écrivez votre nom, vous vous exprimez en utilisant l’élément ligne. La
ligne que vous employez pour votre signature est le même élément de base que Picasso a
utilisé pour « écrire » le dessin reproduit à la figure 2-1. Votre signature « dessinée » quantité
de fois est l’expression de votre personnalité, au même titre que le trait utilisé par Picasso est
l’expression de sa personnalité. Il est possible de « lire » ce trait parce qu’en écrivant votre
nom, vous avez utilisé le langage non verbal de l’art. Essayons de lire une autre ligne. Dites-
moi à quoi peut ressembler cette personne ?
Vous serez probablement tenté de dire que Dale G. Smith est une personne plutôt extravertie
qu’introvertie, une personne qui s’habille de couleurs vives plutôt que de couleurs ternes et
qui, du moins superficiellement, adopte une attitude directe, voire théâtrale. Bien sûr, ces
suppositions peuvent ou non se confirmer, l’important est que la plupart des gens
interpréteraient l’expression non verbale de sa signature de cette façon, parce que c’est ce que
Dale G. Smith affirme (de manière non verbale).
Voyons à présent un autre Dale G. Smith.
Si l’on vous demandait à quoi ressemble cette personne, vous répondriez certainement qu’elle
est conservatrice, tranquille, digne de confiance, peut-être timorée. Et cet autre Dale G.
Smith ? Cette fois réagissez sans recourir aux mots.
22
Et celui-ci
et celui-là
Regardez à présent votre propre signature et répondez au message non verbal que
communique la ligne. Ecrivez votre nom de trois manières différentes et répondez chaque fois
au message. Repensez ensuite aux différentes impressions qu’ont suscitées ces trois
signatures; rappelez-vous que le nom formé par les « dessins » n’a pas changé. A quoi
devons-nous alors ces différentes réactions ?
Torii Kiyotada (actif 1723-1750),
Acteur dansant, et Torii Kiyonobu I
(1664-1729), Danseuse (c. 1708).
Avec l’aimable autorisation du
Metropolitan Museum of Art,
Fonds Harris Brisbane Dick, 1949.
Le trait exprime deux types de
danses différentes dans ces deux
estampes japonaises. Essayez de
visualiser chaque danse. Entendez-
vous la musique? Tâchez de
comprendre en quoi le caractère du
trait crée une qualité de musique et
détermine votre réaction au dessin.
En réalité, ce que vous avez vu, et ce qui vous a fait réagir, ce sont les qualités individuelles
pressenties de chaque trait ou de chaque ensemble de traits « dessinés ». Vous avez réagi à la
rapidité pressentie du trait, à la taille et à l’espacement des caractères, à la tension musculaire
de l’artiste, ou à l’absence de tension, qui se révèle précisément par le trait, à l’orientation
23
structurée ou non des caractères — en d’autres mots, vous avez répondu à la signature dans
son ensemble et à tous ses éléments à la fois. La signature d’une personne est l’expression
originale de sa personnalité, à tel point qu’elle est légalement considérée comme la propriété
exclusive de cette personne et permet de l’identifier aux yeux de la loi. Votre signature,
cependant, fait plus que vous identifier. Elle est aussi l’expression de vous-même et de votre
personnalité, de votre créativité. Votre signature est votre reflet fidèle. A cet égard, vous
parlez déjà le langage non verbal de l’art: vous utilisez l’élément de base du dessin, la ligne,
d’une manière expressive et personnelle.
Dès lors, nous ne nous attarderons pas dans les chapitres qui suivent sur ce que vous savez
déjà. Notre objectif est plutôt de vous apprendre à voir afin que vous puissiez utiliser votre
trait expressif et personnel pour dessiner ce que vous percevez.
Fig. 2-1. Pablo Picasso (1881-1973), Etudes. Avec l’aimable autorisation du Musée des Beaux-Arts, Boston,
Fonds Arthur Mason Knapp.
24
Fig. 2-2. Rembrandt Van Rijn (1606-1669), Paysage d’Hiver (c. 1649), Avec l’aimable autorisation du Fogg
Art Museum, Université de Harvard.
Rembrandt a dessiné ce petit paysage d’un trait calligraphique rapide. Ce trait nous fait partager la
réaction visuelle et émotive de l’artiste face au profond silence de cette scène hivernale. Dès lors, ce n’est
pas seulement le paysage que nous voyons, mais à travers lui Rembrandt lui-même.
LE DESSIN: UN MIROIR ET UNE METAPHORE POUR L’ARTISTE
La raison d’être d’un dessin n’est pas uniquement
de montrer ce que vous désirez représenter mais
aussi de vous montrer vous. Paradoxalement, plus
vous percevez clairement le monde extérieur et
plus vous le dessinez fidèlement, et plus le
spectateur vous voit clairement vous-même et
mieux vous apprenez à vous connaître. C’est ainsi
que le dessin repris à la figure 2-2 constitue une
véritable métaphore de l’artiste.
Etant donné que les exercices visent à rehausser
vos facultés perceptives, votre style personnel et
votre manière unique et précieuse de dessiner
émergeront intacts. A mesure que vous
apprendrez à voir, votre technique de dessin
s’améliorera et vous constaterez que votre style
personnel s’ébauche. Gardez-le, soignez-le,
chérissez-le, car votre style c’est votre expression
personnelle. Comme pour le grand maître du Zen,
l’objectif, c’est vous.
« L’art du tir à l’arc ne relève pas d’une
aptitude athlétique maîtrisée dans une
certaine mesure grâce à une pratique
essentiellement physique, mais plutôt d’une
technique qui trouve son origine dans
l’exercice mental et dont l’objectif consiste à
atteindre psychiquement la cible.
« C’est pourquoi l’archer se vise
fondamentalement lui-même. De cette manière
peut-être arrivera-t-il à atteindre la cible —
son moi essentiel ».
Herrigel
26
Une personne créative est une personne capable de
traiter de manière originale l’information directement
disponible — les données sensorielles ordinaires
accessibles à chacun de nous. Un écrivain a besoin de
mots, un musicien de notes, un peintre de perceptions
visuelles, et tous doivent connaître les techniques
propres à leur métier. Mais une personne créative
perçoit intuitivement la manière de transformer les
données ordinaires en une création nouvelle
transcendant le matériau brut.
De tout temps, les individus créatifs ont distingué la
démarche qui consiste à recueillir les données, de
celle qui consiste à les transformer de manière
originale. Des découvertes récentes sur le
fonctionnement du cerveau commencent à éclairer
quelque peu ce double processus. En apprenant à
connaître les deux côtés de votre cerveau, vous
franchirez un pas important vers la libération de votre
potentiel créatif.
« Tout acte créatif implique… une
innocence nouvelle de la perception,
libérée de la cataracte des idées reçues ».
Arthur Koestler The Sleepwalkers
Fig. 3-l
Ce chapitre vous donnera un bref aperçu de certaines recherches récentes sur le cerveau
humain, qui ont permis d’étendre considérablement les théories existantes sur la nature de la
conscience humaine. Ces nouvelles découvertes pourraient trouver une application directe
dans un système d’éducation nouveau s’efforçant de libérer la capacité créative de l’homme.
APPRENDRE A CONNAITRE LES DEUX COTES DE SON CERVEAU
Vu du dessus, le cerveau de l’homme ressemble aux deux moitiés d’une noix — deux moitiés
d’apparence semblable, circonvoluées, arrondies et communiquant par le centre (figure 3-l).
Ces deux moitiés s’appellent « hémisphère gauche » et « hémisphère droit ».
Le système nerveux chez l’homme est relié au cerveau de manière croisée. L’hémisphère
gauche contrôle le côté droit du corps et l’hémisphère droit contrôle le côté gauche. Si votre
cerveau gauche, par exemple, subit un traumatisme accidentel, la partie droite de votre corps
sera plus gravement affectée, et inversement. En raison de ce croisement des trajets nerveux,
la main gauche est reliée à l’hémisphère droit et la main droite à l’hémisphère gauche, comme
le montre la figure 3-2.
27
Fig. 3-2. Les connections croisées entre la main gauche et l’hémisphère droit. entre la main droite et
l’hémisphère gauche.
LE DOUBLE CERVEAU
Chez les animaux, les deux hémisphères cérébraux (les deux moitiés du cerveau) sont
essentiellement semblables, ou symétriques, dans leurs fonctions. Les hémisphères cérébraux
de l’homme, par contre, se développent asymétriquement au niveau de leurs fonctions. Le
signe extérieur le plus remarquable de l’asymétrie cérébrale chez l’homme est l’utilisation
préférentielle de la main droite, ou de la main gauche pour une minorité.
Depuis cent cinquante ans environ, les chercheurs savent que la fonction du langage et les
facultés qui y sont liées sont principalement localisées dans l’hémisphère gauche chez la
plupart des individus, environ 98 pour cent des droitiers et les deux tiers des gauchers. La
spécialisation de la partie gauche du cerveau pour les fonctions du langage est principalement
connue grâce aux observations sur les effets des traumatismes cérébraux. Il est apparu, par
exemple, qu’un traumatisme au côté gauche du cerveau avait plus de chances de provoquer
des troubles de la parole qu’un traumatisme de même gravité au côté droit.
Etant donné les liens étroits qui unissent la parole et le langage à la pensée, au raisonnement
et aux fonctions mentales supérieures qui distinguent l’homme des autres créatures du monde,
les savants du dix-neuvième siècle ont appelé l’hémisphère gauche hémisphère dominant et
l’hémisphère droit hémisphère dominé. On a longtemps cru que le côté droit du cerveau était
moins avancé, moins évolué que le côté gauche, — un jumeau muet, de moindres facultés,
contrôlé et entraîné par l’hémisphère gauche, siège du langage.
Les études de neurologie ont longtemps cherché à déterminer les fonctions, connues depuis
peu, d’un large câble nerveux composé de millions de fibres qui mettent en communication
les deux hémisphères cérébraux. Il s’agit du corps calleux, repris dans la représentation
28
schématique d’une moitié de cerveau humain à la figure 3-3. Etant donné l’importance de
son volume, le nombre considérable de fibres qui le composent et sa position stratégique en
tant qu’agent de connexion entre les deux hémisphères, le corps calleux devait, selon toute
apparence, constituer une structure importante. Et pourtant, inexplicablement, il s’est avéré
que le corps calleux pouvait être complètement sectionné sans conséquence significative
apparente. Grâce à une série d’expériences sur les animaux, principalement réalisées pendant
les années cinquante au California Institute of Technology par Roger W. Sperry et ses
étudiants, Ronald Myers, Colwyn Trevarthen et d’autres, il a été démontré que l’une des
fonctions principales du corps calleux était d’assurer la communication entre les deux
hémisphères et de permettre la transmission de la mémoire et de l’apprentissage. De plus, on a
montré qu’en cas de section du corps calleux les deux moitiés du cerveau continuaient de
fonctionner indépendamment, ce qui explique l’absence apparente de conséquences sur le
comportement et l’organisme.
Fig. 3-3. Schéma d’une moitié du cerveau humain, montrant le corps calleux et
les commissures.
Plus tard, pendant les années soixante, on a fait des observations semblables sur des sujets
humains, patients de neurochirurgie, et on a découvert de nouvelles données sur les fonctions
du corps calleux qui ont amené les chercheurs à réviser leurs conceptions quant aux fonctions
relatives des deux parties du cerveau humain: les deux hémisphères seraient impliqués dans
des fonctions cognitives supérieures, chaque moitié étant spécialisée de manière
complémentaire dans un mode de pensée particulier d’une grande complexité.
Etant donné les implications considérables de cette nouvelle conception du fonctionnement
cérébral pour l’éducation en général et l’enseignement du dessin en particulier, je décrirai
brièvement certaines de ces recherches menées sur des commissurotomisés. Ces recherches
ont été menées au Cal Tec par Sperry et ses étudiants Michael Gazzaniga, Jerre Levy, Colwyn
Trevarther, Robert Nebes et d’autres.
Leurs observations se sont centrées sur un petit groupe de sujets qui prirent le nom de
« commissurotomisés ». Ces personnes avaient été gravement handicapées par des crises
29
d’épilepsie affectant les deux hémisphères. En dernier ressort, comme tous les autres
traitements avaient échoué, il fallut maîtriser l’extension des crises aux deux hémisphères au
moyen d’une opération, réalisée par Phillip Vogel et Joseph Bogen, au cours de laquelle ils
sectionnèrent le corps calleux et les commissures correspondantes, ou connections croisées,
pour isoler les deux hémisphères. L’opération porta ses fruits: les crises étaient maîtrisées et
les patients recouvraient la santé. En dépit du caractère radical de cette opération, l’apparence
extérieure, l’attitude et la coordination motrice des patients étaient peu affectées ; et pour un
observateur non avisé, leur comportement quotidien semblait très peu modifié.
Par la suite, le Cal Tec a fait passer à ces patients une série de tests subtils et ingénieux qui ont
permis de mettre en évidence les fonctions distinctes des deux hémisphères. Le résultat
surprenant de ces tests fut de montrer que chaque hémisphère perçoit dans un sens sa propre
réalité, ou mieux dit, que chaque hémisphère
perçoit la réalité à sa façon. La partie gauche du
cerveau, siège de la parole, domine le plus
souvent chez les individus dont le cerveau est
intact de même que chez les
commissurotomisés. Grâce à des procédés
ingénieux, cependant, le groupe du Cal Tec a pu
tester isolément l’hémisphère droit de ces
patients et s’est aperçu que la partie droite du
cerveau, qui ne parle pas, est elle-même capable
de percevoir, de réagir, d’éprouver des
sentiments, et de traiter des informations de
manière indépendante. Dans notre propre
cerveau, dont le corps calleux est intact, la
communication entre les deux hémisphères
fusionne ou concilie les deux types de
perception, préservant ainsi la conscience que
nous avons de ne former qu’une seule personne,
un être unique.
Les chercheurs ne se sont pas contentés
d’étudier la séparation gauche/droite de
l’expérience mentale vécue à la suite de
l’intervention chirurgicale; ils ont observé les
différentes manières dont les deux hémisphères
traitent les informations. Il devenait de plus en
plus manifeste que le mode de fonctionnement
de l’hémisphère gauche est de type verbal et
analytique, tandis que le mode de
fonctionnement de l’hémisphère droit est non
verbal et global. Dans son travail de doctorat,
Jerre Levy a montré par ailleurs que le mode de
traitement des informations dans le cerveau
D’après le journaliste Maya Pines, les
théologiens et autres théoriciens s’intéressant au
problème de l’identité humaine ont suivi avec
beaucoup d’attention les recherches
scientifiques sur les deux moitiés du cerveau.
Comme Pines le fait observer, ils se sont vite
rendu compte que tous les chemins mènent au
Dr. Roger Sperry, professeur de psychobiologie
au California Institute of Technology, qui a le
talent de faire — ou de provoquer —
d’importantes découvertes.
Maya Pines, The Brain Changers
« Le thème principal qui émerge... est qu’il
semble exister deux modes de pensée, l’un
verbal et l’autre non verbal, représentés assez
distinctement dans les hémisphères gauche et
droit, respectivement, et que notre système
d’enseignement, comme la science en général,
tend à négliger la forme non verbale de
l’intellect. Ceci revient à dire que la société
exerce une discrimination à l’égard de
l’hémisphère droit »
Roger W. Sperry
« Lateral Specialization of Cerebral Functions
in the Surgically Separated Hemisphers », 1973
« Les données montrent que l’hémisphère
dominé, muet, est spécialisé pour la perception
Gestalt, opérant principalement de manière
synthétique sur les informations données.
L’hémisphère dominant, qui parle, semble au
contraire fonctionner de manière plus logique,
analytique, à la façon d’un ordinateur. Son
langage est inadéquat pour les synthèses rapides
et complexes que réalise l’hémisphère dominé ».
Jerre Levy
R.W. Sperry
droit est rapide, complexe, total, spatial et perceptif — mode d’opération qui, tout en étant très
différent du mode verbal et analytique du cerveau gauche, se caractérise néanmoins par une
complexité aussi grande. De plus, certaines observations faites par Levy semblent indiquer
que les deux modes de fonctionnement tendent à interférer mutuellement, empêchant ainsi la
totale exploitation de leur potentiel ; pour Levy, cette interférence expliquerait peut-être le
développement progressif d’une asymétrie dans le cerveau humain — comme moyen de
garder chaque mode de fonctionnement dans l’hémisphère qui lui correspond.
30
Les observations faites sur les commissurotomisés ont progressivement amené les
chercheurs à considérer que les deux hémisphères se caractérisent par des modes cognitifs
supérieurs qui, tout en étant différents, font néanmoins appel à la réflexion, au raisonnement
et à un fonctionnement mental complexe. Au cours des dix dernières années, depuis la
première hypothèse formulée par Levy et Sperry, les chercheurs ont accumulé les preuves en
ce sens grâce à leurs observations sur les commissurotomisés autant que sur des sujets dont le
cerveau était intact.
Quelques exemples de tests spécialement conçus pour l’observation des commissurotomisés
permettront peut-être de comprendre la réalité distincte perçue par chaque hémisphère et les
modes particuliers de fonctionnement qui sont utilisés. Dans l’un de ces tests, on a fait
apparaître pendant un instant deux images différentes sur un écran. Les yeux du
commissurotomisé étaient fixés sur un point à mi-distance de sorte qu’il était impossible
d’examiner les deux images à la fois. Chaque hémisphère percevait donc une image
différente. L’image d’une cuillère sur le côté gauche de l’écran allait au cerveau droit, et
l’image d’un couteau sur le côté droit de l’écran allait au cerveau gauche, siège de la parole,
comme le montre la figure 3-4. Lorsqu’on le questionnait, le patient donnait des réponses
différentes. Lorsqu’on lui demandait de nommer ce qu’il avait vu sur l’écran, son hémisphère
gauche, où se trouve le centre « dominant » de la parole lui faisait répondre: «un couteau ».
Quand on lui demandait de glisser la main gauche (hémisphère droit) derrière un rideau et de
prendre l’objet qu’il avait vu sur l’écran, le patient choisissait alors une cuillère parmi tout un
groupe d’objets comprenant notamment une cuillère et un couteau. Lorsque l’expérimentateur
lui demandait d’identifier ce qu’il avait en main derrière le rideau, il semblait un moment
désorienté puis finissait par dire: «un couteau». L’hémisphère droit, sachant que la réponse
était fausse mais ne possédant pas les mots nécessaires pour corriger le cerveau gauche
détenteur de la parole, poursuivait le dialogue en poussant le patient à hocher la tête en signe
de dénégation. A quoi l’hémisphère gauche répondait à voix haute: «Pourquoi donc suis-je en
train de remuer la tête ? ».
Fig. 3-4. Dispositif utilisé pour tester les associations visuo-tactiles chez les commissurotomisés. D'après
Michael S. Gazzaniga, « The Split-Brain in Man ».
Dans un autre test montrant que le cerveau droit est plus apte aux problèmes de spatialité, on
donnait au patient plusieurs formes de bois qu’il devait disposer pour former un dessin. Les
tentatives de la main droite (hémisphère gauche) échouaient sans cesse. Le cerveau droit
essayait d’intervenir mais la main droite écartait sans cesse la gauche: finalement l’homme
31
dut s’asseoir sur sa main gauche pour la tenir à l’écart du puzzle. Lorsque les
expérimentateurs lui conseillèrent finalement d’utiliser ses deux mains, la main gauche
spatialement « intelligente » dut repousser la main droite spatialement « faible » afin de
l’empêcher d’intervenir.
Grâce aux découvertes extraordinaires des quinze dernières années, nous savons à présent que
malgré notre sentiment normal de ne former qu’une seule personne — un être unique —,
notre cerveau est double, chaque partie se caractérisant par un mode particulier de
connaissance et de perception de la réalité extérieure. D’une certaine manière, nous avons
chacun deux esprits, deux consciences, unis et intégrés par le biais du câble de fibres
nerveuses qui relie les deux hémisphères.
Nous savons que les deux hémisphères peuvent travailler ensemble d’un bon nombre de
manières. Parfois ils coopèrent, chacun contribuant selon ses propres aptitudes et assumant les
tâches qui correspondent à son mode de traitement des informations. A d’autres moments, les
deux hémisphères peuvent fonctionner indépendamment, l’un étant « branché » et l’autre plus
ou moins « débranché ». Et il semble également que les hémisphères puissent entrer en
conflit, l’un d’eux essayant de faire ce que l’autre se sent mieux à même de réussir. De plus, il
semblerait que chaque hémisphère ait sa propre manière de garder certaines informations à
l’insu de l’autre. A la limite, il est peut-être vrai que, dans certains cas, la main droite ignore
ce que fait la gauche.
La double réalité des commissurotomisés
Vous vous demandez peut-être ce que tout cela a à voir avec l’apprentissage du dessin. Les
recherches récentes sur les fonctions des hémisphères cérébraux chez l’homme et sur le
traitement des informations visuelles montrent que l’aptitude au dessin dépend de l’accès que
l’on peut avoir au potentiel de l’hémisphère droit, l’hémisphère dominé — de la faculté que
l’on a de «débrancher» son cerveau gauche et de « brancher » le droit. En quoi cela aide-t-il
une personne à dessiner ? Il apparaît que le cerveau droit perçoit la réalité
—traite les informations visuelles— de la manière appropriée pour le dessin, et que le cerveau
gauche la perçoit d’une manière qui semble interférer avec cette activité.
LE TEMOIGNAGE DE LA LANGUE
Nous nous apercevons après coup que les hommes ont de tout temps pressenti l’existence de
deux parties distinctes dans le cerveau ; en effet, les langues regorgent de mots et
d’expressions suggérant que le côté gauche d’une personne se distingue de son côté droit par
des caractéristiques différentes. Ces mots n’indiquent pas seulement une différence de
position mais aussi des différences de qualité ou de caractères essentiels. En anglais, par
exemple, pour comparer des idées dissemblables, on dit On the one hand ... on the other hand.
L’expression A left-handed compliment, un compliment maladroit, signifie que nous
attribuons à la droite et à la gauche des qualités différentes.
Bien que ces expressions aient généralement trait aux mains, nous sommes en droit de déduire
qu’elles font également allusion aux hémisphères qui contrôlent les mains, en raison des
connections croisées qui existent entre les mains et les hémisphères cérébraux. Dès lors, les
expressions familières reprises au paragraphe suivant, bien qu’elles se réfèrent spécifiquement
32
aux mains gauche et droite, doivent être comprises comme désignant les hémisphères
opposés — le cerveau droit relié à la main gauche et le cerveau gauche relié à la main droite.
Les préjugés de la langue et des coutumes
Les mots et expressions relatifs aux concepts de
gauche et de droite imprègnent la langue et la pensée.
La main droite (autrement dit, l’hémisphère gauche)
est fortement liée à l’idée de ce qui est bon, juste,
moral, approprié. La main gauche (par conséquent
l’hémisphère droit) est étroitement assimilée aux
concepts d’anarchie et aux sentiments vils,
immoraux, dangereux ou qui échappent au contrôle
de la volonté.
Nasrudin était assis avec un ami alors que le
soir tombait. « Allume une chandelle », dit
l’homme, « car il fait noir à présent. Il y en a
une juste à ta gauche ». « Comment veux-tu
que je distingue ma gauche de ma droite dans
l’obscurité, idiot? » demanda le Mulla.
Indries Shah, The Exploits of the
Incomparable Mulla Nasrudin
Jusqu’il y a peu, se prévalant de l’ancien préjugé contre la main gauche et l’hémisphère droit,
les parents et les professeurs obligeaient parfois les enfants gauchers à utiliser la main droite
pour écrire, manger, etc. — cette pratique entraînant souvent des troubles persistant jusqu’à
l’âge adulte.
Depuis que l’homme existe, les connotations positives pour la main droite et l’hémisphère
gauche, et les connotations négatives pour la main gauche et l’hémisphère droit se retrouvent
dans presque toutes les langues du monde. En latin, le mot pour gauche est sinister qui
signifie aussi « maladroit », « de mauvais augure », « sinistre ». En latin toujours, le mot pour
droite est dexter d’où vient notre mot « dextérité » qui signifie « habileté » ou « adresse ».
Modes de connaissance parallèles
intellect intuition
convergent divergent
digital analogique
secondaire primaire
abstrait concret
orienté libre
propositionnel imaginatif
analytique relationnel
linéaire non linéaire
rationnel intuitif
séquentiel multiple
analytique global
objectif subjectif
successif simultané
J.R. Bogen
« Some Eucational Aspects
of Hemispher Specialization »
----------------------------------------- Yin Yang
féminin masculin
négatif positif
lune soleil
obscurité lumière
soumis agressif
gauche droite
Chaleur froid
Automne printemps
hiver été
Inconscient conscient
cerveau droit cerveau gauche
émotion raison
Yi-King ou Le Livre des Mutations
Ouvrage chinois taoïste
Sous le terme « gauche », le dictionnaire reprend comme synonymes les mots « dévié »,
« tordu » et « maladroit ». Les synonymes de « droit », par contre, sont « judicieux »,
« sensé », « loyal ». Or il ne faut pas oublier que tous ces mots ont été forgés, quand les
langues sont nées, par l’hémisphère gauche de certaines personnes — le cerveau gauche
33
adressant au droit les qualificatifs les plus blessants. Et le cerveau droit, étiqueté, montré du
doigt, et agressé, était dépourvu d’un langage qui lui eût permis de se défendre.
DEUX MODES DE CONNAISSANCE
Parallèlement aux différentes connotations qui opposent la droite et la gauche dans la langue,
les philosophes, les professeurs et les scientifiques d’époques et de cultures très variées ont
postulé l’existence d’une dualité ou « bilatéralité » dans la nature et la pensée humaines.
L’idée fondamentale est qu’il existe parallèlement deux « modes de pensée ».
Ces conceptions vous sont probablement familières. Tout comme les expressions relatives à la
gauche et à la droite, elles imprègnent notre culture. Les principales distinctions sont établies,
notamment entre réflexion et sensation, entre raisonnement et intuition, et entre analyse
objective et impression subjective.
D’après les observateurs politiques, les gens analysent généralement les aspects positifs et
négatifs d’une question puis votent ensuite selon leurs préférences épidermiques.
L’histoire de la science regorge d’anecdotes où le chercheur obsédé par un problème fait un
rêve dans lequel la réponse se présente d’elle-même, comme une métaphore intuitivement
appréhendée. La phrase d’Henri Poincarré en est un exemple marquant.
Dans un tout autre contexte, les gens disent parfois d’une autre personne : « Ce qu’il (ou elle)
dit semble juste, mais quelque chose me dit de nous en méfier ». Ou bien : « Je ne peux vous
l’expliquer précisément avec des mots, mais quelque chose chez cette personne me déplaît ».
Ces réflexions relèvent de l’observation intuitive que, dans le cerveau, deux parties sont en
jeu, traitant les mêmes informations de deux manières différentes.
DEUX MODES DE TRAITEMENT DES INFORMATIONS
Sous notre crâne, donc, se trouve un double cerveau, doté de deux modes de connaissance. La
bilatéralité de notre cerveau et de notre corps et les caractéristiques distinctes attribuées à
chaque côté, qui trouvent une expression intuitive dans la langue, possèdent donc une
justification physiologique. Etant donné que chez la plupart des individus les fibres nerveuses
de connexion sont intactes, nous ne percevons que rarement à un niveau conscient les conflits
qui furent mis en évidence lors des tests sur les commissurotomisés.
Néanmoins, comme chacun de nos hémisphères recueille les mêmes données sensorielles,
chaque moitié de notre cerveau peut gérer les informations à sa façon: la tâche peut être
répartie entre les deux hémisphères, chacun s’occupant de la partie qui correspond le mieux à
son mode d’opération, ou bien l’un des hémisphères, généralement le gauche, l’hémisphère
dominant, l’emporte, inhibant son concurrent. L’hémisphère gauche analyse, abstrait, compte,
marque le temps, programme ses opérations par étapes, verbalise et rationalise conformément
à la logique. Par exemple : « Etant donné les nombres a, b et c, nous pouvons dire que si a est
plus grand que b et que b est plus grand que c, a est nécessairement plus grand que c ». Cet
énoncé illustre le mode de connaissance de l’hémisphère gauche: un mode analytique, verbal,
déductif, séquentiel, symbolique, linéaire et objectif.
34
Par contre, nous avons un second mode de connaissance: le mode de l’hémisphère droit.
Grâce à lui, nous voyons les choses imaginaires — seulement perceptibles à l’oeil de
l’esprit—ou nous nous rappelons de choses qui peuvent être réelles (pouvez-vous vous
représenter la porte d’entrée de votre maison, par exemple ?). Nous voyons comment les
choses se présentent dans l’espace, et comment les parties s’assemblent pour former un tout.
Grâce à notre hémisphère droit, nous comprenons les métaphores, nous rêvons, nous créons
de nouvelles combinaisons d’idées. Quand quelque chose nous semble trop compliqué à
décrire, nous sommes capables de l’expliquer par gestes. Le psychologue David Galin nous
donne son exemple favori : essayez de décrire un escalier en spirales ans faire le geste d’une
spirale. Grâce à notre hémisphère droit toujours, nous sommes capables de dessiner l’image
de nos perceptions.
L’eurêka
Le mode de traitement des informations
propre à l’hémisphère droit relève de
l’intuition et nous lui devons nos sursauts
de clairvoyance — ces instants privilégiés
où chaque chose semble trouver sa place
sans que nous ayions à les considérer dans
leur ordre logique. A ce moment, la plupart
des gens s’exclament spontanément : « Ça
y est. Je Vois» ou «Ah, oui, maintenant je
vois comment ça se profile». L’exemple
classique est le cri d’exultation
« Eurêka ! » (J’ai trouvé !) qu’on attribue à
Archimède. Si on en croit l’histoire,
Archimède aurait été saisi, alors qu’il
prenait un bain, d’une inspiration soudaine
qui l’aurait mené à formuler son fameux
principe selon lequel le poids d’eau
déplacée permet de déterminer le poids
d’un solide immergé.
Tel est donc le mode de connaissance de
l’hémisphère droit : intuitif, subjectif,
relationnel, global et intemporel. Il s’agit
aussi d’un mode « gaucher » infirme,
ignoré, que de tout temps notre civilisation
a méprisé. Notre système d’éducation, par
exemple, est conçu en grande partie pour
valoriser l’hémisphère gauche verbal,
rationnel et chronologique, alors que la
moitié droite du cerveau de chaque
étudiant est totalement négligée.
Le mathématicien du dix-neuvième siècle Henri
Poincarré décrit ainsi l’intuition soudaine qui lui
permit de résoudre un problème difficile : « Un
soir, je pris du café noir, contrairement à mon
habitude, je ne pus m’endormir: les idées
surgissaient en foule; je les sentais comme se
heurter, jusqu’à ce que deux d’entre elles
s’accrochassent, pour ainsi dire, pour former une
combinaison stable. (...) il semble que, dans ces cas,
on assiste soi-même à son propre travail
inconscient, qui est devenu partiellement
perceptible à la conscience surexcitée et qui n’a pas
pour cela changé de nature. On se rend alors
vaguement compte de ce qui distingue les deux
mécanismes ou. si l’on veut, les méthodes de travail
des deux moi ».
Le Dr. J. William Bergquist, mathématicien et
spécialiste du langage d’informatique connu sous le
sigle APL, a suggéré dans un article publié à
Snowmass, Colorado. en 1977. que seraient
probablement bientôt mis au point des ordinateurs
qui combineraient en une seule machine les
fonctions digitales et analogiques. Le Dr. Bergquist
a baptisé sa machine « The Bifurcated
Computer »*. Selon lui, cet ordinateur
fonctionnerait de manière comparable aux deux
moitiés du cerveau humain.
N.d.T.: L’Ordinateur hybride.
« L’hémisphère gauche analyse dans le temps,
tandis que l’hémisphère droit synthétise dans
l’espace ».
Jerre,Levy, « Psychobiological Implications of
Bilateral Asymmetry »
35
MIEUX VAUT UN DEMI-CERVEAU QUE PAS DE CERVEAU DU TOUT :
MIEUX VAUDRAIT UN CERVEAU TOUT ENTIER
Avec leur enseignement verbal et numérique
séquentiel, les écoles que vous et moi avons
fréquentées n’étaient pas en mesure de développer le
mode de connaissance propre à l’hémisphère droit.
Après tout, l’hémisphère droit ne répond pas à un
contrôle verbal très précis. Il est impossible de le
raisonner. Il est impossible de lui faire énoncer des
propositions logiques telles que : « Ceci est juste ou
cela est faux pour les raisons a, b et c. ». Cet
hémisphère droit est métaphoriquement « gauche »
avec toutes les connotations traditionnelles que ce
terme implique. L’hémisphère droit ne permet pas
précisément de sérier, c’est-à-dire de franchir la
première étape en premier lieu, puis de franchir la
suivante, puis encore la suivante. Il peut commencer
n’importe où ou prendre tout à la fois. De plus,
l’hémisphère droit n’a pas une claire notion du temps
et ne semble pas comprendre ce que veut dire « perdre
son temps », à l’inverse de l’hémisphère gauche, sage
et méritant. Le cerveau droit ne convient pas pour les
classifications et les définitions. Il semble considérer
les choses telles qu’elles sont à l’instant présent; il
prend les choses comme elles se présentent, dans leur
étrange et fascinante complexité. Il ne convient pas
non plus pour l’analyse et l’abstraction de
caractéristiques dominantes.
Aujourd’hui encore, bien que les enseignants soient de
plus en plus conscients de l’importance de la pensée
intuitive et créative, les systèmes d’enseignement en
général sont toujours structurés en fonction du mode
d’opération de l’hémisphère gauche. L’enseignement
Les personnes de créativité semblent
souvent avoir intuitivement conscience
de l’existence de deux côtés distincts
dans le cerveau. Kipling, par exemple,
a écrit ce poème intitulé « The Two
sided Man », il y a plus de cinquante
ans.
Je dois beaucoup aux terres qui m’ont
fait grandir —
Plus encore aux Vies qui m’ont
nourri —
Mais je dois tout à Allah Qui a doté ma
tête de
Deux
Côtés distincts
Je médite beaucoup sur le Bien et sur
le Vrai
Dans toutes les religions sous le soleil
Mais surtout sur Allah Qui a doté ma
tête de deux
Côtés, au lieu d’un
J’irais sans chemise ni souliers,
Sans ami, sans tabac ou sans pain,
Plutôt que perdre une minute les deux
Côtés distincts de ma tête!
Rudyard Kipling
« Approchant la quarantaine, j’ai fait
un rêve singulier dans lequel j’ai
presque saisi le sens et compris la
nature de ce qui se perd dans le temps
perdu ».
Cyril Connolly, The Unquiet Grave: A
Word Cycle by Palinuris
est sérié ; les élèves passent de première en deuxième année, puis en troisième, etc., suivant
une progression linéaire. Les matières qu’ils étudient sont de nature verbale et numérique: la
lecture, l’écriture, l’arithmétique. Ils suivent des horaires. Tous doivent donner une même
réponse à une même question. Les bancs sont disposés en rangs. Les professeurs distribuent
des notes. Et chacun a l’impression que quelque chose ne va pas.
Le cerveau droit — le rêveur, l’artisan, l’artiste — est perdu dans notre système scolaire dont
il est largement écarté.
Aujourd’hui peut-être, grâce aux contributions théoriques des neurologues démontrant la
nécessité de développer les facultés du cerveau droit, sommes-nous en mesure d’édifier un
nouveau système d’enseignement qui s’applique au cerveau tout entier. Un tel système
s’attacherait certainement à cultiver les aptitudes au dessin — une manière efficace et active
d’accéder au potentiel du cerveau droit.
36
LE MODE DE L’IMAGINATION
L’un des merveilleux talents du cerveau droit
est de se représenter les choses imaginaires,
uniquement perceptibles à l’oeil de l’esprit.
Le cerveau droit est capable d’évoquer une
image puis de la « regarder », de la « voir »
comme si elle était « vraiment là ». Les
termes visualiser ou imaginer sont presque
utilisés indifféremment mais, à mon avis, le
terme « visualiser » donne l’idée d’une image
en mouvement, alors qu’imaginer semble
plutôt dénoter une image immobile.
« Afin de rendre possible la survie biologique, il
faut que l’Esprit en général soit creusé d’une
tuyauterie passant par la valve de réduction
constituée par le cerveau et le système nerveux.
Ce qui sort à l’autre extrémité, c’est un
égouttement parcimonieux de ce genre de
conscience qui nous aidera à rester vivants à la
surface de cette planète particulière. Afin de
formuler et exprimer le contenu de ce conscient
réduit, l’homme a inventé et perfectionné sans
fin ces systèmes de symboles et de philosophies
implicites que nous appelons les langues ».
Aldous Huxley, Les Portes de la Perception La visualisation et l’imagination sont des composantes importantes de la technique du dessin.
L’artiste regarde l’objet ou la personne qu’il veut dessiner et prend mentalement le cliché de
son sujet. Il garde cette image en mémoire et se penche ensuite sur le papier pour la dessiner.
Un autre coup d’oeil, une nouvelle image retenue, puis le dessin de cette image, et ainsi de
suite.
Afin d’illustrer les aptitudes particulières du cerveau droit, j’ai mis au point quelques
exercices préliminaires qui montrent l’efficacité de la visualisation en tant que procédé
permettant de comprendre et de garder en mémoire des informations complexes. Pour
simplifier la terminologie relative aux informations des hémisphères cérébraux, j’utiliserai les
notations « mode-G » ou « mode-D » tout au long de cet ouvrage. Une visualisation de ces
termes en facilitera la mémorisation.
Prenez d’abord un « cliché mental » (une photographie de l’esprit) de chacune de ces
représentations graphiques:
Le mode-G
est « droitier » et relève de l’hémisphère
gauche. Le G est vigoureux, droit, sage,
direct, fidèle, coupant, sans fantaisie,
puissant.
Le mode-D est
« gaucher » et relève de l’hémisphère droit.
Le D est arrondi, flexible, plus enjoué dans
ses courbes et ses tournures inattendues, plus
complexe, détourné, fantaisiste.
Ces deux représentations me serviront à désigner les deux modes de conscience distincts dans
lesquels prédomine l’un ou l’autre type de traitement des informations. Pour toutes ses
opérations, quelles qu’elles soient, le cerveau utilise ses deux hémisphères, l’un d’eux
prédominant peut-être à certains moments, les deux se partageant équitablement les tâches à
d’autres moments. Le mode-G est considéré comme linéaire, verbal, symbolique et
analytique, comme il est défini dans la première colonne de la liste reprise plus loin. Le mode-
D est défini comme spatial, global, non verbal et intuitif, comme dans la seconde colonne
(voir page ).
Une claire représentation de ces deux modes vous permettra de mieux comprendre les
instructions relatives aux exercices de dessin.
37
C’est pourquoi il serait bon de faire les
exercices de visualisation suivants :
1. Représentez-vous le G, vigoureux et
arrogant. Voyez-le avec l’oeil de l’esprit,
avec ses côtés rectilignes et ses angles
droits. Agrandissez maintenant cette image
et juxtaposez-la à une autre forme afin de
comparer les dimensions : figurez-vous le G
de la taille d’une pyramide ou de l’Empire
State Building. A présent, imaginez le G en
couleur, de n’importe quelle couleur.
Maintenant rattachez au G des symboles
convenant à son style : des mots, des
nombres, le temps, des équations
mathématiques, des graphiques, des cartes,
des livres, peut-être l’image d’un
mathématicien, d’un avocat, d’un savant,
d’un comptable. Vous pouvez choisir la
représentation que vous préférez. Vous vous
rappellerez plus longtemps et plus
clairement ces représentations si vous les
composez vous-même. Plus important
encore, localisez le mode-G dans votre
propre cerveau en plaçant votre main (la
gauche ou la droite, peu importe) sur le côté
gauche de votre tête : réduisez la taille de
l’image et imaginez que vous êtes en train
de placer l’image du mode-G dans la moitié
gauche de votre cerveau.
Le savant russe Leonid Ponomarev décrit avec
éloquence nos deux modes de connaissance:
« On sait depuis longtemps que la science n’est
qu’une méthode parmi d’autres pour étudier le
monde qui nous entoure. Une autre méthode —
complémentaire — se pratique dans l’art.
L’existence conjointe de l’art et de la science, en
elle-même, illustre bien le principe de la
complémentarité. Vous pouvez vous consacrer
entièrement à la science ou vivre exclusivement de
votre art. Les deux points de vue se justifient
également mais, pris séparément, ils sont
incomplets. L’épine dorsale de la science est la
logique et l’expérimentation. L’art trouve ses
fondements dans l’intuition et l’illumination. Mais
l’art du ballet exige une exactitude mathématique
et, comme l’a dit Pouchkine, ‘L’inspiration en
géométrie est tout aussi nécessaire qu’en poésie’.
L’art et la science sont complémentaires plutôt que
contradictoires. La science vraie est semblable à
l’art de la même manière que l’art véritable
comporte des éléments scientifiques. Ils reflètent
des aspects différents, complémentaires, de
l’expérience humaine et ne nous donnent une idée
complète du monde que lorsqu’ils sont pris
ensemble. Malheureusement, nous ne connaissons
pas la ‘relation d’incertitude’ pour la paire
combinée des concepts ‘science et art’. C’est
pourquoi nous ne pouvons évaluer les pertes que
nous inflige une perception unilatérale de la vie ».
Leonid Ponomarev, In Quest of the Quantum
2. Maintenant, représentez-vous le D arrondi. Voyez-le avec l’oeil de l’esprit, avec ses
courbes complexes. Agrandissez-le ou réduisez-le si vous voulez. Ajoutez d’autres formes
afin de voir leurs dimensions relatives. Attachez-lui ensuite les caractéristiques propres au
style de l’hémisphère droit: peut-être l’image de quelqu’un en train de peindre, de dessiner, de
jouer de la musique, de sculpter, de rêver en parfaite ignorance du temps qui passe. Etant
donné que ces fonctions sont moins nettement définies (ce qui ressemble bien à l’hémisphère
droit) que les fonctions de l’hémisphère gauche, ce sera l’occasion d’éprouver votre capacité
imaginative. Comment vous représentez-vous l’intemporalité ? Peut-être à la manière d’un
surréaliste comme Dali, comme une montre sans cadran. Comment vous figurez-vous des
analogues, des choses qui sont semblables ? Comment vous représentez-vous le cri
« Eurêka » ? Prenez votre temps, jusqu’à ce que vous puissiez évoquer mentalement une
image sur le mode-D. Placez alors votre main sur le côté droit de votre tête et imaginez de
nouveau le mode-D à l’intérieur de la moitié droite de votre cerveau.
A présent, faites passez les images au côté opposé : le mathématicien, le savant, etc. traversent
le corps calleux en direction du mode-D pour rêver et imaginer des inventions nouvelles ;
l’artiste et le musicien passent au mode-G pour analyser des problèmes d’esthétique.
3. Répétez cet exercice jusqu’à ce que vous puissiez vous sentir passer d’une image à l’autre,
d’abord vers le côté gauche de votre cerveau avec votre représentation du G et ensuite vers le
côté droit avec votre représentation du D. Cet exercice mental de transition de G vers D vous
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aidera pendant les travaux de dessin à effectuer la conversion mentale vers le mode propre
au dessin (mode-D).
Comparaison des caractéristiques du mode gauche et du mode droit
Verbal : Utilise les mots pour désigner,
décrire, définir.
Analytique : Considère les choses petit à petit
et une partie après l’autre.
Symbolique : Utilise les symboles pour
désigner les choses. Par exemple, le
graphisme signifie oeil, le signe +
représente l’opération de l’addition.
Abstrait : Relève une petite partie de
l’information et l’utilise pour représenter la
chose dans son ensemble.
Temporel : Conscient du temps, envisage les
choses dans leur ordre de succession: la
première chose en premier lieu, la deuxième
chose en deuxième lieu, etc.
Rationnel : Tire des conclusions fondées sur la
raison et sur les faits.
Digital : Utilise les nombres, par exemple
pour compter.
Logique : Tire des conclusions conformément
à la logique: une chose suivant l’autre dans un
ordre logique — par exemple, un théorème en
mathématiques ou un argument bien formulé.
Linéaire : Pense sous forme d’idées suivies,
une pensée succédant directement à l’autre,
menant souvent à des conclusions
convergentes.
Non verbal : Conscient des choses mais
correspondance minimale avec les mots.
Synthétique : Met les choses ensemble
pour former un tout.
Concret : Se réfère aux choses telles
qu’elles sont, au moment présent.
Analogique : Perçoit les ressemblances
entre les choses; comprend les relations
métaphoriques.
Intemporel : N’a pas la notion du temps.
Irrationnel : N’exige pas de justification
par la raison ou parles faits; désireux de
surseoir aux jugements.
Spatial : Perçoit les relations entre les
choses et les rapports qui unissent les
parties d’un tout.
Intuitif : Appréhension instantanée de la
réalité, souvent basée sur des données
incomplètes, des intuitions, des
sentiments, ou des images visuelles.
Global : Perçoit de suite les choses dans
leur ensemble; appréhende les structures et
les schémas généraux, menant souvent à
des conclusions divergentes.
VISUALISATION DES CONNECTIONS CROISEES : LE CERVEAU ET LE CORPS
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Les exercices de dessin qui suivent, conçus
pour vous permettre d’accéder au mode-D,
seront plus efficaces si vous vous représentez
clairement les connections croisées qui
unissent les deux moitiés du cerveau aux deux
moitiés du corps. Après ces exercices, vous
serez capables d’évoquer facilement l’image
de ces connections, ce qui vous dispensera de
les désigner par des mots.
1. Imaginez les connections entre votre
cerveau gauche et le côté droit de votre corps.
Voyez-les à votre manière — sous forme de
En réponse à une enquête de Jacques
Hadamard sur les méthodes de travail des
mathématiciens, Albert Einstein lui a écrit une
lettre dans laquelle il dit :
« Les mots, ou la langue, tels qu’ils sont écrits
ou parlés, ne semblent jouer aucun rôle dans
mon mécanisme de pensée. Les entités
psychiques qui semblent servir d’éléments dans
la pensée sont certains signes et des images plus
ou moins claires qui peuvent être
‘volontairement’ reproduits ou combinés ».
Jacques Hadamard, The Psychology of
Invention in the Mathematical Field
tubes, de courants électriques, de fils, peu importe. Imaginez à présent les trajets en couleur,
disons en bleu ou en rouge, allant du cerveau gauche à chaque partie du côté droit de votre
corps.
2. Maintenant, changez de côté. Représentez-vous les connections entre votre cerveau droit et
le côté gauche de votre corps dans une couleur différente, disons en vert ou en jaune.
3. Figurez-vous à présent le système au complet avec ses connections croisées.
LE TISSAGE ENCHANTE
Nous devons au chercheur anglais Sir
Charles Sharrington la métaphore la plus
célèbre sur le cerveau. Ce savant a décrit le
cerveau comme « un tissage enchanté que
des millions de navettes traversent comme
des éclairs, formant un motif qui disparaît
aussitôt, un motif toujours significatif mais
jamais permanent ... ».
1. Visualisez mentalement, avec l’oeil de
l’esprit, le tissage enchanté avec sa myriade
de navettes-éclairs se groupant un instant
dans un coin de votre cerveau —
disparaissant, s’assombrissant, puis striant
l’espace vers une autre région en un motif
changeant; un motif qui rayonne puis
s’éteint, qui rayonne puis s’éteint.
Bob Samples, professeur, auteur, et philosophe
humaniste présente un exercice de visualisation
dans son ouvrage sur l’enseignement, The
Wholeschool Book :
« Imaginons un instant que chacun de nous ait
dans la tête non pas une prairie mais deux. Deux
prairies distinctes. Etant donné qu’il s'agit de
deux prairies, elles ont certainement des qualités
communes. Mais il y a tout de même certaines
différences. Afin de vous imaginer qu’elles sont
bien distinctes, visualisez une large rivière
s’écoulant rapidement entre elles. C’est cela —
une rivière entre elles coulant d’un hémisphère
vers l’autre. Un aspect étrange de cette rivière est
qu’elle coule dans les deux sens à la fois. La
substance d’une prairie peut à tout instant
s’écouler dans l’autre. Cependant, dès qu’elle
arrive, elle est transformée selon l’écologie de
cette nouvelle prairie ».
2. Imaginez à présent que vous pouvez contrôler le motif et que vous pouvez rassembler
toutes les navettes au même endroit, ensuite les faire disparaître, puis les rassembler à
nouveau autre part. Imaginez-les s’assembler d’abord d’un côté puis de l’autre. Imaginez que
ces regroupements suscitent une véritable sensation physique dans votre cerveau, une légère
modification de tension, une variation infime de poids, un faible réchauffement ou un
refroidissement, un bourdonnement étouffé.
40
L’observateur caché
D’après les psychologues, beaucoup de
personnes seraient capables de se distancier
d’elles-mêmes et de prendre conscience des
variations de leur état mental comme si elles
observaient le fonctionnement de leur propre
cerveau. Les exercices de visualisation
suivants et certains exercices ultérieurs vous
aideront à cultiver l’ « observateur caché »
qui est en vous, pour reprendre l’expression
du psychologue Charles Tart, et à percevoir,
à un niveau conscient, les légères
modifications de votre état mental. Vous
serez ainsi capable de vous « brancher » sur
le mode-D, le mode qui permet aux artistes
de voir et de dessiner.
Le psychologue Charles T. Tart, à propos des
différents états de conscience a dit: « De
nombreuses disciplines méditatives partent du
principe que chacun possède (ou peut développer)
un observateur particulièrement objectif à l’égard
de la personnalité ordinaire. Etant donné que cet
observateur est essentiellement de l’attention —
de la conscience — pure, il ne possède pas de
particularités propres ». Le Professeur Tart
poursuit en expliquant que certaines personnes
ayant l’impression de posséder un observateur
particulièrement bien développé « pressentent
que cet observateur peut procéder à des
observations essentiellement continues non
seulement dans un état de conscience discret
déterminé (d-SoC) mais encore pendant la
transition entre deux états discrets différents ou
plus ».
Charles T. Tart, « Putting the Pieces Together »
CREATION DES CONDITIONS FAVORABLES A LA CONVERSION G – D
Les exercices du chapitre suivant sont spécialement conçus pour provoquer la conversion
mentale du mode-G vers le mode-D. On pense aujourd’hui que la nature de la tâche à
accomplir peut déterminer l’hémisphère qui prendra la direction des opérations en inhibant
l’autre, et c’est précisément à partir de cette hypothèse que furent établis les exercices
suivants. Comme je l’ai dit déjà, les chercheurs pensent que les hémisphères peuvent être soit
alternativement « branchés » — une condition de fonctionnement pour un hémisphère
constituant une condition de non-fonctionnement pour l’autre—, soit « branchés »
simultanément, l’un des deux assurant le contrôle des opérations (le comportement
manifeste). Reste à savoir quels sont les facteurs qui déterminent l’hémisphère fonctionnel
et/ou dominant.
D’après des études faites sur des animaux, des
commissurotomisés et des individus dont le
cerveau était intact, les chercheurs estiment que
la dominance de l’un des deux hémisphères
peut être déterminée de deux manières. L’un
des critères est la rapidité : quel hémisphère se
met au travail le plus rapidement ? Un second
critère est la motivation : quel hémisphère se
En prose, la pire des choses qu’on puisse faire
avec des mots est de se soumettre à eux.
Quand vous pensez à un objet concret. vous
pensez sans user des mots, et si. par la suite,
vous voulez décrire la chose que vous avez
visualisée, il vous faut probablement faire un
effort pour trouver les mots exacts qui vous
semblent convenir. Quand vous pensez à une
chose abstraite, vous êtes plus enclin, dès le
départ, à faire appel aux mots et, à moins que
41
sent le plus compétent ou apprécie le mieux le
travail donné? Et inversement, quel hémisphère
se sent le moins compétent ou apprécie le
moins le travail ?
Le dessin d’une forme perçue relevant
largement des fonctions du cerveau droit, il
nous faut garder le cerveau gauche à l’écart des
opérations. Malheureusement, l’hémisphère
gauche est dominant et rapide et il est toujours
vous vous efforciez délibérément de les éviter,
vos tours de langage s’imposeront et feront le
travail pour vous, dussent-ils pour cela
brouiller, ou même modifier, votre pensée. Il
est probablement préférable de se passer des
mots aussi longtemps que c’est possible et
préciser ses conceptions aussi clairement que
le permettent les images et les sensations.
George Orwell , « Politics and the English
Language »
prêt à intervenir avec des mots et des symboles, s’attribuant même les tâches pour lesquelles il
n’est pas compétent.
Les études sur les commissurotomisés ont montré que le cerveau gauche aime « jouer au
patron », pour ainsi s’exprimer, et hésite à reléguer la moindre tâche à son partenaire stupide,
à moins que cette tâche lui déplaise vraiment — soit parce qu’elle demande trop de temps,
parce qu’elle est trop détaillée ou trop lente, soit parce que lui-même est simplement
incapable d’y faire face. C’est exactement ce qu’il nous faut — des tâches que le cerveau
gauche refusera d’accomplir. Dans les exercices suivants, nous proposerons au cerveau des
opérations que l’hémisphère gauche ne pourra pas ou ne souhaitera pas exécuter.
Gaucher ou droitier ?
Avant d’entreprendre le cours proprement dit, il serait utile de revoir la question des relations
entre le fait d’être gaucher et, d’autre part, le dessin et les fonctions spécifiques des deux
hémisphères cérébraux. Les élèves m’interrogent souvent à ce sujet. Je tenterai donc de
répondre aux questions les plus importantes, bien que les nombreuses recherches en la matière
paraissent encore peu satisfaisantes, parfois contradictoires.
En dépit de ces incertitudes, il semble évident que, dans la civilisation occidentale, 5 à 12
pour cent de la population soient largement ou significativement gauchers. Cela semble
également vrai dans les autres civilisations mais certaines découvertes tendent à montrer que
les hommes de la préhistoire et des premiers temps de l’histoire étaient moins manifestement
droitiers.
Jadis on pensait que les gauchers avaient une organisation cérébrale inverse de celle des
droitiers; les fonctions du langage (la parole, l’écriture...) étant localisées dans le cerveau
gauche chez les droitiers, on pensait que chez les gauchers, ces fonctions se situaient dans
l’hémisphère droit. Mais les dernières recherches ont montré que chez la plupart des gauchers,
comme chez les droitiers, le centre du langage se situe dans l’hémisphère gauche. Cependant,
font parfois exception à la règle les gauchers dont la mère elle-même est gauchère ; chez ces
personnes en effet, les fonctions du langage peuvent se situer dans le cerveau droit.
Il n’est toujours pas certain que le fait d’être gaucher augmente les possibilités d’accès aux
fonctions de l’hémisphère droit telles que l’aptitude au dessin. Un point cependant semble
clair — et c’est une question qu’on me pose souvent pendant les cours: le fait de dessiner avec
la main gauche assure-t-elle au droitier un meilleur contrôle de son cerveau droit ? La réponse
est non. Les obstacles qui empêchent les gens de bien dessiner relèvent de leur vision des
choses et ne disparaissent pas du simple fait d’un changement de main; cela ne sert en réalité
qu’à rendre les dessins plus grossiers. Et une personne capable de dessiner peut dessiner de la
42
main droite, de la main gauche, ou apprendre à dessiner avec les dents ou les pieds s’il le
faut, simplement parce qu’elle a appris à voir.
Dans les chapitres qui suivent, les instructions s’adresseront aux droitiers mais elles
conviendront aussi bien aux gauchers, à l’exception des gauchers dont la mère elle-même est
gauchère. Pour ces quelques personnes, les instructions relatives au fonctionnement du
cerveau devront être inversées.
44
Une première expérience de la conversion cognitive gauche-droite
Le dessin d’une forme perçue dépend
largement des fonctions de l’hémisphère
droit. Ce fait a été éprouvé et démontré
expérimentalement. Comme je l’ai expliqué,
pour dessiner une forme perçue, il faut
« débrancher » autant que possible le cerveau
gauche et « brancher » le droit, opération qui
suscite une légère modification de l’état de
conscience qui passe alors sous le contrôle de
l’hémisphère droit. Les caractéristiques de
cet état de conscience sont celles auxquelles
de nombreux artistes ont fait allusion : une
sensation d’intemporalité et de
« communion » avec l’oeuvre, une difficulté
pour trouver les mots et comprendre ce qui se
dit, un sentiment de confiance et l’absence
d’anxiété, une impression d’attention
profonde pour les lignes et les surfaces, et
pour les formes qui restent sans
dénomination.
Il est important que vous éprouviez vous-
même la sensation que suscite le passage
d’un mode à l’autre — conversion de l’état
verbal et analytique à l’état spatial et non
verbal. En créant les conditions favorables à
cette conversion et en éprouvant la légère
différence de sensation qu’elle produit, vous
serez en mesure de reconnaître et de
provoquer cet état mental particulier qui vous
permettra de dessiner.
« Notre conscience normale, à l’état de veille,
notre conscience rationnelle comme nous
l’appelons, n’est qu’un type particulier de
conscience autour de laquelle, et séparée d’elle
par le plus fin des écrans, sommeillent d’autres
formes potentielles de consciences entièrement
différentes. Nous pouvons traverser la vie sans
soupçonner leur existence; mais que se produise le
stimulus nécessaire et elles sont là, à notre portée,
dans leur intégralité; des types définis de
mentalité qui, probablement, trouvent quelque
part leur champ d’application et d’adaptation. »
William James The Varieties of Religious
Experience
Fig. 4-l.
LE VASE ET LES VISAGES : UN EXERCICE EN DUO POUR LES DEUX
EMISPHERES
Les exercices suivants sont spécialement conçus pour vous permettre d’effectuer la
conversion ce votre hémisphère gauche dominant à votre hémisphère droit dominé. Je
pourrais continuer de décrire cette démarche avec d’autres mots mais vous seul pouvez
ressentir cette conversion de vos facultés cognitives, cette légère modification de votre état de
conscience. Comme l’a dit un jour Fats Waller : « Si vous vous demandez ce qu’est le jazz,
alors vous ne le saurez jamais ». Il en va de même pour le mode-D: il faut d’abord faire
l’expérience de la conversion du mode-G au mode-D, observer l’état de conscience que
suscite le mode-D, avant de pouvoir connaître ce mode de fonctionnement cérébral.
45
VASE ET VISAGES : DESSIN 1
Vous connaissez probablement l’illusion d’optique du vase et des visages. Vu d’une certaine
manière, le dessin représente deux visages de profil. Mais comme vous continuez à le
regarder, le dessin se modifie pour former un vase. La figure 4-l donne une version de ce
dessin.
Avant de commencer : Lisez d’abord toutes les instructions relatives à cet exercice.
1. Du côté gauche de la feuille, dessinez le profil d’un visage qui regarde vers le centre. (Si
vous êtes gaucher, dessinez le profil du côté droit, regardant vers le centre). Vous trouverez
des exemples de dessin pour droitiers et pour gauchers aux figures 4-3 et 4-4. Inventez votre
propre version du profil si vous le voulez. N’hésitez pas à utiliser les symboles que vous avez
mémorisés pour figurer un profil humain.
Fig. 4-2. Pour les gauchers.
Fig. 4-3. Pour les droitiers.
2. Tracez ensuite des lignes horizontales pour former le dessus et le dessous du vase (figures
4-2 et 4-3).
3. A présent, revenez sur le dessin du premier profil avec votre crayon. Tandis que le crayon
repasse les traits, nommez-les mentalement : front, nez, lèvre supérieure, lèvre inférieure,
menton, cou. Répétez au moins une fois cette partie de l’exercice. Il s’agit d’une tâche propre
au mode-G : nommer des formes symboliques.
4. Ensuite, en reprenant par le dessus, vous compléterez le vase. Le second profil devrait être
l’inverse du premier, de sorte que le vase soit symétrique. (Regardez une fois encore
l’exemple de la figure 4-1). Soyez attentif aux moindres signes de votre cerveau indiquant que
vous êtes en train de changer de mode de traitement des informations.
Il se peut qu’à un moment donné vous éprouviez la sensation d’un conflit intérieur en
dessinant le second profil. Prêtez-y attention et voyez comment vous résolvez le problème.
Vous vous apercevrez que vous dessinez le second profil différemment. C’est un dessin au
mode de l’hémisphère droit.
46
Avant de continuer votre lecture, faites le dessin.
Après avoir terminé : Maintenant que vous
avez terminé le dessin du vase et des
visages, repensez à la manière dont vous
avez procédé. Vous avez probablement
dessiné le premier profil plus rapidement et,
lorsque vous l’avez redessiné comme il vous
l’était demandé, vous vous vous êtes mis à
scruter de gauche à droite la surface entre
les profils, évaluant les angles, les courbes,
les contours concaves ou convexes, et la
longueur des traits, par rapport aux formes
en vis-à-vis, qu’à ce moment vous étiez
incapable de nommer. En d’autres mots,
vous avez fait appel aux fonctions du
langage, en énonçant les noms des
différentes parties que vous repassiez au
crayon. Il s’agit d’une démarche
caractéristique de l’hémisphère gauche :
dessiner des formes symboliques et leur
donner un nom.
En dessinant le second profil, (c'est-à-dire le
profil qui termine le vase)vous avez peut-
être éprouvé une certaine confusion, un
conflit intérieur, comme je l’ai dit. Pour
continuer le dessin, vous avez dû chercher
une nouvelle manière de procéder, une
nouvelle démarche. Vous n’aviez
probablement plus l’impression de dessiner
un profil et vous vous êtes mis à scruter de
gauche à droite la surface entre les profils,
évaluant les angles, les courbes, les contours
concaves ou convexes, et la longueur des
traits, par rapport aux formes en vis-à-vis,
qu’à ce moment vous étiez incapable de
nommer. En d’autres mots, vous procédiez
Thomas Gladwin, un anthropologue, a comparé la
manière dont un Européen et un marin des îles
Truk manoeuvraient de petits bateaux entre
quelques îles minuscules du vaste océan Pacifique.
Avant d’appareiller, l’Européen commence par
établir un plan, le plus souvent en termes de
directions, de degrés de longitude et de latitude, de
temps prévu à l’arrivée des différentes escales.
Une fois le plan conçu et terminé, il ne reste plus
au marin qu’à franchir successivement les
différentes étapes, l’une après l’autre, afin d’être
certain d’arriver à temps à la destination prévue.
Le navigateur utilise tous les instruments
disponibles, un compas, un sextant, une carte. etc.
et si on le lui demande, il peut expliquer avec
exactitude comment il est arrivé là où il souhaitait
se rendre.
Le navigateur européen utilise le mode de
l’hémisphère gauche.
Au contraire, le marin des Truk commence son
périple en imaginant la position de son point de
destination par rapport â la position des autres îles.
Il rectifie constamment son cap à mesure de sa
progression d’après l’intuition qu’il a de sa
position jusque-là. Il improvise continuellement,
vérifiant la position relative des amers, la position
du soleil, la direction du vent, etc. Il navigue en se
référant à son point de départ, son point d’arrivée,
et le point où il se trouve au moment même. Si on
lui demande comment il arrive à si bien naviguer
sans instrument ni plan écrit, il lui est impossible
de s’expliquer par des mots, Ce n’est pas que les
Trukois n’aient pas coutume de décrire les choses
avec des mots, mais la démarche est trop complexe
et trop fluide pour être exprimée verbalement.
Le navigateur trukois utilise le mode de
l’hémisphère droit.
J.A. Paredes et M.J. Hepburn, « The Split-Brain
and the Culture-Cognition Paradox »
constamment à des ajustements de la ligne que vous traciez, en vérifiant où vous étiez et où
vous alliez, scrutant l’espace entre le premier profil et votre copie inversée.
LE DESSIN SUR LE MODE DROIT ET LE NAVIGATEUR TRUKOIS
Pour réaliser votre dessin du vase et des visages, vous avez dessiné le premier profil au mode
de l’hémisphère gauche, comme le navigateur européen, en considérant une partie à la fois et
en nommant ces parties l’une après l’autre. Vous avez dessiné le second profil au mode de
l’hémisphère droit, comme le marin des îles Truk, dans les mers du Sud, vous avez
constamment scruté vos repères afin d’ajuster l’orientation du trait. Vous avez probablement
trouvé que le fait de nommer les parties du visage comme le front, le nez, ou la bouche vous
embarrassait d’avantage. Il était plus commode de vous guider d’après la forme de la surface
47
entre les deux profils. En d’autres mots, il était plus facile de ne pas penser du tout—du
moins avec des mots.
Si vous voulez dessiner au mode de l’hémisphère droit, c’est-à-dire le mode de l’artiste, et si
vous éprouvez le besoin de penser avec des mots, posez-vous uniquement des questions
comme :
« Où cette courbe commence-t-elle ? »
« Quelle est la profondeur de cette courbe ? »
« Quel angle forme cette ligne par rapport au bord de la feuille ? »
« Quelle est la longueur de cette ligne par rapport à celle que je viens de tracer ? »
« Où se situe le point que je fixe sur le premier profil par rapport au bord supérieur (ou
inférieur) de la feuille ? »
Ces questions sont compatibles avec le mode-D ; elles sont d’ordre spatial, relationnel et
comparatif. Remarquez qu’aucune partie n’est nommée. On n’énonce aucune proposition, on
ne tire aucune conclusion du genre « le menton doit ressortir autant que le nez », ou « les nez
sont arrondis ».
Pour l’exercice suivant, fixez votre esprit sur des critères non verbaux et relationnels. Si votre
cerveau gauche intervient avec des énoncés verbaux à propos de détails précis (visages et
vases), tâchez de lui imposer le silence. Votre « observateur caché » le raisonnera peut-être:
« Ne vous mêlez pas de cela, s’il vous plaît. L’autre hémisphère peut très bien s’occuper de
cette affaire. Un instant, et nous sommes à vous ».
Ces procédés peuvent paraître déplacés; ils sont pourtant nécessaires, l’hémisphère gauche
n’ayant pas coutume d’être mis à l’écart et devant être, en quelque sorte, « rassuré ».
VASE ET VISAGES : DESSIN 2
Fig. 4-4. Pour les gauchers.
Fig. 4-5. Pour les droitiers.
Faites le second dessin du vase et des visages en vous conformant aux instructions suivantes.
Une fois encore, lisez toutes les directives avant de commencer.
48
1. Sur le côté gauche de la feuille si vous êtes droitier, ou sur le côté droit si vous êtes
gaucher, dessinez un profil. Dessinez cette fois le visage le plus étrange que vous puissiez
imaginer— une sorcière, un vampire, un monstre. Une fois encore, nommez les parties du
visage à mesure que vous descendez le long du profil, en n’oubliant pas les embellissements
éventuels que vous apporterez, comme les rides, les verrues, les doubles mentons, etc.
Les figures 4-4 et 4-5 vous donnent des exemples mais vous pouvez inventer le profil que
vous voulez.
2. Après avoir terminé le premier profil, ajoutez les lignes horizontales pour le dessus et le
dessous du vase.
3. Dessinez à présent le profil inverse pour achever le vase qui, cette fois, sera un vase
baroque.
Comme dans l’exercice précédent, le premier profil de
monstre est un dessin sur le mode-G dans lequel des
formes symboliques représentent les traits d’un visage.
Dans cette version plus complexe du vase et des visages, il
est particulièrement plus commode — voire nécessaire —
de passer au mode caractéristique de l’hémisphère droit. La
complexité des formes exige le passage au mode de
l’hémisphère droit. Le but de cet exercice n’est pas de
réaliser un dessin parfait mais bien d’essayer de ressentir la
conversion du mode gauche au mode droit. Tâchez de
garder à l’esprit la différence entre les deux modes. A
mesure que vous apprendrez à reconnaître l’instant où
votre cerveau change de mode cognitif, vous pourrez
utiliser délibérément l’hémisphère qui vous semble le plus
approprié pour une tâche donnée.
Vouloir dessiner une forme perçue en utilisant le mode
gauche est comme vouloir enfiler une aiguille avec le pied.
Ça ne marche pas. Ce qu’il faut, c’est être capable de «
débrancher » l’hémisphère gauche et d’activer le droit.
Pour ce faire, il faut débloquer l’hémisphère droit, ou
comme l’a dit Aldous Huxley, il faut « ouvrir la porte dans
le mur ». L’exercice suivant vous permettra d’effectuer une
nouvelle conversion, plus radicale, vers le mode-D.
Charles Tart, Professeur de
Psychologie à l’Université de
Californie, à Davis, déclare:
« Nous partons du concept d’un
certain type de conscience
fondamentale, une certaine forme
d’aptitude élémentaire qui est
celle de ‘savoir’, ou de
‘pressentir’ ou de ‘connaître’ ou
‘reconnaître’ que quelque chose
est en train de se passer. C’est un
donné théorique et expérimental
fondamental. Nous ne
connaissons pas scientifiquement
la nature essentielle de la
conscience mais c’est notre point
de départ ».
Charles T. Tart, Alternative
Stores of Consciousness
LE DESSIN A L’ENVERS : CONVERSION VERS LE MODE-D
Les objets les plus familiers ont un aspect différent quand ils sont placés à l’envers. Nous
assignons automatiquement un haut, un bas, et des côtés gauche et droit aux choses que nous
voyons et nous nous attendons toujours à les voir dans leur orientation habituelle — c’est-à-
dire la tête en haut. En effet, quand elles sont placées à l’endroit, nous reconnaissons les
choses familières ; nous pouvons les nommer et les classer en faisant correspondre ce que
nous voyons avec les souvenirs et les concepts que nous avons mémorisés.
49
Lorsqu’une image est à l’envers, les données visuelles ne concordent pas. Le message nous
est étranger et notre cerveau est perturbé. Nous voyons les contours et les zones sombres et
claires. Nous n’avons pas d’objection particulière contre le fait de regarder une image à
l’envers pour autant, du moins, qu’on ne nous demande pas de l’identifier. La tâche devient
alors exaspérante.
Fig. 4-6.
Vus à l’envers, les visages les plus familiers sont difficiles à reconnaître. La photographie à la
figure 4-6, par exemple, est celle d’un Américain célèbre. Le reconnaissez-vous ?
Vous avez peut-être dû retourner la photographie pour voir qu’il s’agissait de John Kennedy.
Même en sachant de qui il s’agit, l’image à l’envers continue probablement de vous être
étrangère.
Pour d’autres images également, une orientation inversée pose des problèmes d’identification
(voir figure 4-7). Votre propre écriture, lorsqu’elle est retournée de haut en bas, vous semble
illisible alors que vous la connaissez depuis toujours. Pour vous en rendre compte, cherchez
une vieille liste de commissions ou une lettre écrite de votre main et tâchez de la lire à
l’envers.
Un dessin compliqué comme celui de Tiepolo à la figure 4-8 est presque indéchiffrable
lorsqu’il se trouve à l’envers. L’esprit (le gauche) s’avoue vaincu par la difficulté.
50
Fig. 4-7. Pour copier une signature, les faussaires retournent l’original afin de voir plus clairement la
forme exacte des caractères — pour voir, en fait, à la manière de l’artiste.
Fig. 4-8. Giambatista Tiepolo
(1696-1770), La Mort de Sénèque.
Avec l’aimable autorisation de
l’Art Institute of Chicago,
Collection de Joseph et Helen
Regenstein.
LE DESSIN A L’ENVERS
Nous allons mettre à profit cette lacune de l’hémisphère gauche pour donner au mode-D une
chance de prendre momentanément le dessus.
La figure 4-9 montre une reproduction d’un dessin au trait de Picasso représentant le portrait
du compositeur Igor Stravinsky.
L’image est à l’envers et c’est ainsi que vous la copierez. Votre dessin, par conséquent, sera à
l’envers lui aussi. Autrement dit, vous dessinerez simplement le dessin de Picasso comme
vous le voyez.
1. Cherchez un endroit tranquille où personne ne vous interrompra. Mettez de la musique si
vous le voulez. A mesure que vous effectuerez la conversion vers le mode-D, la musique vous
semblera s’éloigner. Faites le dessin en une seule fois, en prenant trente ou quarante minutes
— ou plus si c’est possible. Réglez un réveil ou une minuterie si vous le voulez afin de ne pas
devoir vous préoccuper du temps (fonction du mode-G). Et plus important encore: ne
redressez pas le dessin avant de l’avoir terminé. Ce faisant vous provoqueriez un retour au
mode-G, que nous voulons éviter pendant que vous apprenez à reconnaître le mode-D.
51
2. Regardez un instant le dessin
à l’envers (figure 4-9).
Observez les angles, les formes
et les lignes. Vous remarquerez
que les lignes se joignent
toutes. Là où une ligne finit,
une autre commence. Ces
lignes forment entre elles
certains angles, et d’autres par
rapport aux bords du dessin.
Les lignes courbes s’inscrivent
dans des surfaces précises. En
fait, les lignes sont les contours
des surfaces et vous pouvez
observer la forme des surfaces
à l’intérieur des lignes.
3. Pour commencer votre
dessin, partez du haut (comme
à la figure 4-10) et copiez
chaque ligne, en passant de
l’une à celle qui lui est
adjacente, sans autre
distinction, comme pour un
puzzle. N’essayez pas
d’identifier les différentes
parties, ce n’est pas nécessaire.
D’ailleurs, si vous
Fig. 4-9. Pablo Picasso (1881 – 1973)
Portrait d’Igor Stravinsky. Paris, le 21 mai 1920 (daté).
Collection privée. arrivez à des éléments que vous pourriez nommer, comme les m-a-i-n-s ou la t-ê-t-e
(rappelez-vous que nous ne pouvons pas nommer les choses !), continuez de vous dire:
« Bien, cette ligne se courbe de cette façon; cette ligne la traverse pour former cette petite
forme là-bas; cette ligne forme tel angle par rapport au bord de la feuille »,et ainsi de suite.
Une fois encore, tâchez de ne pas penser à ce que les formes représentent et gardez-vous
d’identifier ou de nommer les différentes parties du dessin.
4. A présent, commencez votre dessin à l’envers : dessinez les lignes au fur et à mesure
qu’elles se présentent en passant d’un élément à celui qui lui est directement adjacent.
5. Une fois que vous aurez commencé le dessin, vous vous sentirez très intéressé par la
manière dont les lignes s’agencent. Une fois que vous serez plongé au coeur du travail, votre
mode-G sera « débranché » (ceci n’est- pas le genre de tâche que l’hémisphère gauche
entreprend volontiers : c’est trop lent et il est trop difficile d’y reconnaître quelque chose) et
votre mode-D se sera « branché ».
Rappelez-vous que tout ce que vous devez savoir pour dessiner l’image se trouve sous vos
yeux. Toutes les informations sont là, vous simplifiant la tâche. Ne la compliquez pas. C’est
vraiment aussi simple que cela.
52
Fig. 4-10. Dessin à l’envers. Cette manière de faire
permet la conversion cognitive depuis le mode
dominant de l’hémisphère gauche vers le mode
dominé de l’hémisphère droit.
Après avoir terminé : Une fois que vous aurez terminé et redressé votre dessin, vous serez
probablement surpris du résultat. La figure 4-11 montre des exemples de dessins semblables
réalisés par des étudiants de l’université sélectionnés au hasard pour une expérience contrôlée.
Les dessins à gauche montrent le niveau d’aptitude des étudiants avant l’expérience. (On leur
a simplement demandé de dessiner une personne de mémoire.) Comme vous pouvez le
constater, ce niveau d’aptitude était celui d’enfants de dix à douze ans, ce qui est une
caractéristique des adultes de notre civilisation qui n’ont pas étudié le dessin.
53 Regardez les dessins de la
colonne de droite à la figure 4-
11. Les élèves 1 et 2 ont copié
le dessin de Picasso renversé
sur le côté gauche. Comme
vous le voyez, leurs dessins ne
se sont pas améliorés; ils ont
continué d’utiliser pour copier
le Stravinsky de Picasso les
mêmes formes stéréotypées et
symboliques qu’ils avaient
utilisées pour leur dessin de
personnage. Le dessin du
deuxième élève montre une
certaine confusion due au
raccourci de la chaise et à la
position jambes croisées de
Stravinsky.
Au contraire, les deux élèves
suivants qui, au départ ne
montraient pas des aptitudes
plus grandes, ont copié le
Picasso la tête en bas, comme
vous-même l’avez fait. Les
dessins de ces élèves
témoignent du résultat. On
constate avec surprise que les
dessins réalisés à l’envers
reflètent une plus grande acuité
de perception et une plus grande
adresse dans la réalisation.
Comment expliquer ce
paradoxe? Les résultats
semblent aller à l’encontre du
bon sens. Nous ne nous
attendrions pas à ce qu’une
image observée et dessinée à
l’envers soit reproduite avec
plus de facilité et avec de
meilleurs résultats qu’une
image vue et reproduite dans le
sens normal, c’est-à-dire à
l’endroit. Les traits, après tout,
restent les mêmes. Le fait de
retourner le dessin de Picasso
ne modifie pas l’agencement
des lignes et ne les rend pas
plus faciles à dessiner. Et les
étudiants ne sont pas devenus
subitement plus « doués ».
Fig. 4-11. Dessin de personnage.
Elève 1. Dessin renversé sur le
côté gauche.
Elève 2. Dessin renversé sur le
côté gauche.
1
2
3
4
Stravinsky
Elève 3. Dessin renversé la tête
en bas.
Elève 4. Dessin renversé la tête
en bas.
54
Un problème de logique pour le cerveau gauche
Ce puzzle place le cerveau face à un problème de logique: comment expliquer cette aisance
soudaine pour le dessin alors que lui, l’hémisphère gauche qui-sait-tout, a été tenu à l’écart ?
Le cerveau gauche qui apprécie le travail bien fait doit à présent envisager la possibilité que
son collègue de droite, tant méprisé, soit doué pour le dessin.
Mais soyons sérieux. Une explication plausible de ce résultat apparemment illogique viendrait
du fait que le cerveau gauche a refusé d’opérer à partir de l’image renversée. On peut penser
que le cerveau gauche, perturbé et inhibé par une image insolite, et incapable de procéder aux
identifications et symbolisations dont il a l’habitude, s’est « débranché », reléguant la tâche à
l’hémisphère droit. Parfait ! Le cerveau droit est l’hémisphère approprié pour le dessin. Etant
donné qu’il est spécialisé pour ce genre de travail, le cerveau droit trouve le dessin facile et
amusant.
L’EXPERIENCE DE LA CONVERSION G D
Deux progrès importants ont été réalisés grâce à l’exercice du dessin à l’envers. Le premier
est le souvenir conscient de la sensation que vous éprouviez après avoir effectué la conversion
cognitive G D. L’état de conscience qu’implique le mode-D diffère qualitativement de
l’état relatif au mode-G. Il est possible de déceler ces différences et de commencer à
s’apercevoir quand la conversion se produit. Il est étrange que le moment de transition entre
deux états de conscience nous échappe toujours. On peut en effet avoir conscience d’être
éveillé, puis avoir conscience de rêver éveillé, mais l’instant de transition entre ces deux états
est insaisissable. De même, le moment de la conversion G D échappe à notre conscience,
mais une fois le pas franchi, la différence entre les deux états mentaux est accessible à notre
connaissance. Cette connaissance permettra de placer la conversion cognitive sous contrôle
conscient — un objectif primordial de ces leçons.
Le second bénéfice que vous a procuré l’exercice est de vous rendre compte que la conversion
vers le mode-D vous permet de voir a la manière d’un artiste exercé, et dès lors, de dessiner
ce que vous percevez.
Evidemment, il ne nous est pas toujours possible de placer les choses à l’envers. Un modèle
ne va pas poser pour vous sur la tête, et le paysage ne va pas se retourner. Notre objectif est de
vous apprendre à effectuer cette conversion cognitive en percevant les choses à l’endroit, dans
leur position habituelle. Vous apprendrez la manière de voir de l’artiste: la recette consiste à
concentrer votre attention sur les informations visuelles que le cerveau gauche ne peut pas ou
ne veut pas traiter. Autrement dit, vous essayerez toujours de présenter à votre cerveau des
opérations que l’hémisphère gauche refusera, pour permettre ainsi à l’hémisphère droit
d’exploiter ses possibilités pour le dessin. Les exercices des chapitres suivants vous
montreront différentes manières d’y arriver.
55 « Je pense qu’un être humain est
capable de plusieurs états
physiques et de différents degrés de
conscience:
(a) l’état ordinaire, où il n’a pas
conscience de la présence des Fées;
(b) l’état d”enchantement’ dans
lequel, tout en étant conscient du
monde réel alentour, il est
également conscient de la présence
des Fées;
(c) une sorte de transe, dans
laquelle, bien qu’il n’ait pas
conscience de l’environnement réel
et qu’il soit apparemment endormi,
il (c’est-à-dire son essence
immatérielle) migre vers d’autres
lieux, que ce soit dans le monde réel
ou au Pays des Fées, et il a
conscience de la présence des Fées’.
Lewis Carroll, Preface to Sylvie and
Bruno
Lewis Carroll
UNE REVISION DU MODE-D
Il serait utile de repenser à la sensation que suscite le
mode-D. Rappelez-vous. Vous avez déjà effectué cette
conversion plusieurs fois — en faisant le dessin du vase et
des visages — et maintenant, en dessinant le
« Stravinsky ».
Dans l’état mental propre au mode-D, avez-vous remarqué
que vous aviez en quelque sorte perdu la notion du temps
qui passe — que le temps que vous aviez mis pour dessiner
ait été long ou court, vous n’aviez pu vous en rendre
compte qu’en regardant l’heure par la suite ? S’il y avait
des gens près de vous, avez-vous remarqué que vous ne
pouviez écouter ce qu’ils disaient — en fait. que vous ne
vouliez pas entendre ? Vous avez peut-être perçu des sons,
mais vous ne vous êtes probablement pas préoccupé de
comprendre le sens de ce qui se disait. Et aviez-vous
conscience de vous sentir alerte et détendu — confiant,
intéressé, absorbé par le dessin, et l’esprit bien clair ?
« Je sais parfaitement qu’à
quelques instants précieux
seulement, j’ai la chance de me
perdre dans mon oeuvre. Le
poète-peintre sait que son essence
vraie et immuable vient de ce
royaume invisible qui lui offre
une image de la réalité éternelle
... J’ai l’impression que je
n’existe pas dans le temps, mais
que le temps existe en moi. Je
m’aperçois également qu’il ne
m’est pas donné de résoudre le
mystère de l’art d’une manière
absolue. Néanmoins, je suis
presque porté à croire que je suis
près d’atteindre au divin.
Carlo Carra, « The Quadrant of
the Spirit »
56
« Vider son esprit de toute
pensée et combler le vide d’une
âme plus grande que soi permet
à l’esprit de pénétrer dans un
royaume inaccessible aux
démarches conventionnelles de
la raison ».
Edward Hill, The Language of
Drawing
Fig. 4-12. Un Nain de la Cour (c. 1535). Avec l’aimable
autorisation du Fogg Art Museum, Université de Harvard. Fonds
E. Schoeder et Coburn.
C’est en ces termes que la plupart de mes élèves ont décrit l’état de conscience propre au
mode-D et cette description coïncide avec mon expérience personnelle et celle que certains
artistes m’ont rapportée. Un artiste m’a déclaré ceci : « Quand je travaille vraiment bien, je
me sens comme je ne m’étais jamais senti auparavant. J’ai l’impression de ne faire qu’un avec
mon travail: le peintre, la peinture, cela ne fait qu’un. Je me sens excité mais calme —exalté
mais maître de moi. Ce n’est pas exactement le bonheur, c’est plutôt de l’extase. Je pense que
c’est ce qui me fait sans cesse revenir au dessin ».
Avant de continuer votre lecture, faites encore deux dessins à l’envers, au minimum. Utilisez
la reproduction de la figure 4-12 ou bien cherchez d’autres dessins au trait que vous pourrez
copier. Chaque fois que vous dessinez, essayez consciencieusement de ressentir la conversion
vers le mode-D afin de vous familiariser avec la sensation que procure cet état de conscience.
L’ART DE VOTRE ENFANCE
Dans le chapitre suivant, nous passerons en revue l’évolution artistique que vous avez suivie
pendant votre enfance. L’évolution artistique des enfants suit l’évolution du cerveau. Aux
premiers stades de l’enfance, les hémisphères cérébraux ne sont pas encore spécialisés pour
des fonctions distinctes. La latéralisation hémisphérique, c’est-à-dire la consolidation des
fonctions spécifiques de l’un et l’autre hémisphère, évolue progressivement pendant
57
l’enfance, entraînant simultanément l’acquisition du langage et l’apparition de la
symbolique de l’art infantile.
La latéralisation hémisphérique s’achève vers l’âge de dix ans, coïncidant avec une période de
conflit dans l’art infantile pendant laquelle la symbolique acquise semble excéder les
perceptions et interférer avec la reproduction fidèle de ces perceptions. Ce conflit trouve peut-
être son origine dans le fait que l’enfant utilise le « mauvais » hémisphère — le cerveau
gauche — pour effectuer une opération qui convient mieux au cerveau droit. Mais peut-être
n’arrive-t-il simplement pas à trouver de lui-même la manière d’accéder à l’hémisphère droit
qui est spécialisé pour le dessin depuis l’âge de dix ans environ. Depuis cette époque, en effet,
c’est l’hémisphère gauche qui domine, ajoutant de nouvelles complications à mesure que les
dénominations et les symboles l’emportent sur la perception spatiale et globale.
Ce rappel de votre évolution artistique est important à plusieurs égards : pour jeter un regard
adulte sur la manière dont votre réserve de symboles graphiques s’est constituée depuis votre
enfance; pour refaire l’expérience de la complexité croissante de vos dessins alors que vous
approchiez de l’adolescence; pour constater la divergence entre vos perceptions et votre façon
de les dessiner: pour regarder vos dessins d’enfant d’un oeil moins critique que celui que vous
exerciez à l’époque ; et enfin, pour vous débarrasser de votre symbolique infantile et
progresser vers un niveau adulte d’expression visuelle grâce à l’utilisation du mode cérébral
approprié au dessin — le mode droit.
59
Evocation d’un dessin d’enfant
« Quand j’étais enfant, je parlais
comme un enfant, je pensais
comme un enfant ; mais quand je
suis devenu un homme, j’ai
abandonné les choses puériles ».
1 Cor. XIII: 11
La majorité des adultes de la civilisation occidentale n’évoluent pas, dans le domaine
artistique, beaucoup au-delà du niveau atteint vers l’âge de neuf ou dix ans. Pour la plupart
des activités mentales et physiques, les acquis d’un individu varient et se développent à
mesure que celui-ci approche de l’âge adulte ; la parole en est un exemple et l’écriture un
autre. L’évolution des techniques du dessin, par contre, semble inexplicablement s’arrêter à
un âge très précoce chez la plupart des gens. Dans notre civilisation, les enfants dessinent
comme des enfants, c’est naturel, mais la plupart des adultes aussi, dessinent comme des
enfants, quel que soit le niveau qu’ils aient pu atteindre dans d’autres domaines de la vie. Les
figures 5-l et 5-2, par exemple, illustrent la persistance de caractères infantiles dans deux
dessins réalisés il y a peu par un brillant jeune homme qui terminait un doctorat dans une
grande université.
J’ai observé ce jeune homme pendant qu’il dessinait ; je l’ai vu regarder les modèles, tracer
quelques lignes, effacer, recommencer, et cela pendant vingt minutes. Entre-temps, il devenait
agité et semblait tendu, frustré. Plus tard, il m’a déclaré qu’il détestait ses dessins et qu’il
détestait dessiner, point final.
Si nous devions donner un nom à cette inaptitude, nous pourrions parler de dyspictorie ou
d’anesthétisme, comme les pédagogues parlent de dyslexie quand ils se réfèrent à des
problèmes de lecture. Mais personne ne s’est penché sur la question parce que le dessin, à
l’inverse de la parole et la lecture, ne constitue pas une condition de survie dans notre
contexte culturel. C’est pourquoi personne ne semble remarquer que beaucoup d’adultes
dessinent comme des enfants et que la plupart des enfants abandonnent le dessin à l’âge de
neuf ou dix ans. Ces enfants grandissent et deviennent des adultes qui prétendent n’avoir
jamais su dessiner et qui ne peuvent pas même tracer une ligne droite. Si on leur pose la
question, cependant, ces mêmes adultes répondent qu’ils auraient aimé apprendre à dessiner,
simplement pour la satisfaction personnelle de vaincre les problèmes de dessin qui les
tourmentaient quand ils étaient enfants. Mais ils sont persuadés d’avoir dû arrêter le dessin
parce qu’ils étaient simplement incapables d’apprendre à dessiner.
En conséquence de cette interruption précoce de leur développement artistique, des adultes
absolument compétents et confiants perdent brusquement toute assurance, se troublent et
deviennent nerveux quand on leur demande de dessiner un visage ou une personne. Dans
pareille situation, ces personnes répondent souvent : « Non, je ne peux pas ! Quoi que je
dessine, c’est toujours horrible ! On dirait des dessins d’enfant ». Ou bien : « Je n’aime pas
dessiner. Je me sens trop stupide ». Vous-même avez peut-être éprouvé les mêmes sentiments
en faisant les quatre dessins préliminaires.
60
LA PERIODE DE CRISE
Pour beaucoup d’adultes, le début de l’adolescence semble
marquer la fin brutale de leur développement artistique, du
moins dans le domaine du dessin. Etant enfants, ils ont vécu
une crise artistique, un conflit entre la complexité croissante
de leur perception du monde environnant et leur niveau
courant d’aptitude technique.
La plupart des enfants entre neuf et onze ans montrent une
véritable passion pour le dessin réaliste. Ils exercent sur
leurs premiers dessins un oeil critique très sévère et
dessinent sans désemparer les sujets qu’ils préfèrent,
essayant d’en améliorer l’image. Tout dessin dépourvu d’un
réalisme parfait peut être considéré comme un échec.
Peut-être vous rappelez-vous vos propres tentatives à cet
âge, pour que les choses « aient l’air vraies » dans vos
dessins, et votre déception devant le résultat. Les dessins
dont vous vous étiez montrés si fier à un plus jeune âge
vous paraissaient sans doute désespérément mauvais et
Une spécialiste de l’art infantile.
Miriam Lindstrom, du Musée
d’Art de San Francisco, décrit
ainsi l’adolescent, élève en
dessin : « Mécontent de ses
propres réalisations et
extrêmement anxieux que son art
plaise aux autres, il tend à
abandonner la création originale
et l’expression personnelle ...
Toute évolution ultérieure de son
pouvoir de visualisation et même
de ses facultés de pensée originale
et de son aptitude à établir des
relations avec son environnement
peut, à ce stade, se trouver
bloquée. Il s’ agit d’une étape
cruciale que peu d’adultes ont pu
franchir ».
Miriam Lindstrom, ChiIdren’s
Art
navrants. En regardant vos dessins, vous disiez peut-être comme beaucoup d’adolescents:
« C’est affreux ! Je n’ai aucun talent artistique. Je n’ai jamais aimé le dessin de toute façon ;
j’abandonne ».
Une seconde raison, malheureusement fréquente, amène souvent les enfants à abandonner le
dessin en tant que mode d’expression. Certaines personnes irréfléchies lancent des remarques
sarcastiques sur les facultés artistiques des enfants. Ces personnes sont parfois des
professeurs, des parents, d’autres enfants, ou peut-être une soeur ou un frère aîné que les
enfants admirent. Beaucoup d’adultes m’ont confié qu’ils gardaient le souvenir blessant d’une
personne ayant ridiculisé leurs efforts. Malheureusement, les enfants imputent souvent leur
déception au dessin lui-même plutôt qu’au critique étourdi.
Pour préserver leur amour-propre, ils réagissent alors par la défensive et c’est
compréhensible: ils n’essaient plus que rarement de dessiner.
L’ART A L’ECOLE
Les professeurs de dessin les plus compréhensifs, consternés peut-être par les critiques
injustes qui s’adressent à la production artistique infantile et soucieux d’aider les enfants, sont
découragés par le style de dessin qu’adoptent les jeunes adolescents — des scènes complexes
et détaillées, des tentatives minutieuses de réalisme, la répétition infinie de thèmes privilégiés
comme les courses d’automobiles. Les professeurs se rappellent la liberté séduisante et
l’enchantement des travaux que réalisaient les enfants quand ils étaient plus jeunes et se
demandent ce qui s’est passé depuis lors. Ils déplorent ce qu’ils considèrent comme de la
« rigidité » ou un « manque de créativité » dans les travaux d’élèves. Les enfants eux-mêmes
deviennent leurs critiques les plus acharnés. En conséquence de quoi les professeurs se
tournent fréquemment vers des travaux manuels qui semblent plus sûrs et infligent moins de
supplices aux exécutants — des travaux comme les collages, les dessins au pochoir, les motifs
faits de fils de couleurs, et autres manipulations de matériaux.
61
Les enfants n’apprennent donc pas à dessiner pendant les cycles inférieurs et moyens : leur
autocritique s’exerce dès lors en permanence et il est très rare qu’ils apprennent à dessiner
plus tard dans leur vie. Comme l’étudiant en doctorat dont je vous ai parlé, ils atteindront
peut-être en grandissant un niveau très élevé dans d’autres domaines, mais quand on leur
demandera de dessiner un être humain, ils produiront la même image puérile qu’ils
dessinaient à l’âge de dix ans.
DE LA PRIME ENFANCE A L’ADOLESCENCE
La plupart de mes élèves ont trouvé utile de remonter le temps pour tâcher de comprendre
l’évolution de l’imagerie visuelle qui a imprégné leurs dessins depuis la prime enfance
jusqu’à l’adolescence.
Ayant une vision précise de l’évolution de la symbolique de leurs dessins d’enfant, les élèves
semblent « désenliser » plus facilement leur développement artistique pour progresser vers un
niveau adulte.
Le stade du griffonnage
A l’âge d’un an et demi déjà, un
enfant commence à griffonner sur le
papier quand on lui donne un
crayon ou un pastel, et quand, de
lui-même, il en marque une feuille.
Il est difficile de nous imaginer
l’étonnement de l’enfant lorsqu’il
voit une ligne noire sortir de son
crayon, une ligne que l’enfant
dirige. Vous et moi, chacun de
nous, a connu cet enchantement.
« Les griffonnages de
chaque enfant montrent
combien celui-ci s’absorbe
dans la sensation de
déplacer sans but la main
et le crayon sur une
surface, y laissant une ligne
à son passage. Ce simple
geste doit contenir une
certaine somme de
magie ».
Edward Hill, The
Language of Drawing
Fig. 5-3. Griffonnage d’un enfant
de deux ans et demi.
Evocation d’un dessin d’enfant
Après un départ hésitant, vous avez probablement griffonné avec délectation toute surface qui
se présentait, peut-être même les plus beaux livres de vos parents, et les murs d’une chambre
ou deux. Apparemment, vos gribouillis étaient d’abord l’oeuvre du hasard comme dans
l’exemple de la figure 5-3, mais ils ont très vite commencé à prendre des formes particulières.
L’un des mouvements de base du griffonnage est le mouvement circulaire, sans doute dû à la
manière dont l’épaule, le bras, le poignet, la main et les doigts s’articulent. Le mouvement
circulaire est un mouvement naturel — d’avantage, par exemple, que le mouvement de bras
nécessaire pour dessiner un carré. (Essayez les deux sur un morceau de papier et vous verrez
ce que je veux dire).
62
Le stade des symboles
Fig. 5-4. Dessin d’un
personnage par un enfant de
trois ans et demi.
Fig. 5-5. Remarquez que les traits sont tous
les mêmes pour chaque personnage. y
compris le chat, et que le petit symbole
représentant la main est également utilise
pour figurer les pattes du chat.
Fig. 5-6
Après quelques jours ou quelques semaines de griffonnage, les jeunes enfants, et
apparemment tous les enfants de l’espèce humaine, découvrent le principe essentiel de
l’expression artistique : un symbole peut représenter un élément du monde environnant.
L’enfant trace une marque circulaire, la regarde. ajoute deux traits pour les yeux et montre le
dessin en disant: « Maman », ou « Papa », ou « C’est moi », ou « Mon chien ».
Nous avons donc tous connu cette intuition spécifiquement humaine qui est le fondement de
l’art, depuis les peintures rupestres jusqu’à l’oeuvre de Leonardo, de Rembrandt ou de
Picasso, des siècles plus tard.
C’est avec une véritable délectation que les enfants tracent des cercles, y ajoutant des yeux, ou
une bouche, ou encore des lignes hérissées figurant les bras et les jambes comme à la figure 5-
4. Cette forme symétrique et circulaire est une forme de base universellement présente dans
les dessins des jeunes enfants. Elle peut être utilisée pour quasi n’importe quoi: avec de
légères variations, le même motif de base peut représenter un être humain, un chat, un soleil,
une méduse, un éléphant, un crocodile, une fleur ou un microbe. Quand vous étiez enfant, un
dessin représentait tout ce que vous disiez qu’il représentait, grâce aux ajustements subtils et
charmants auxquels vous procédiez afin de faire passer l’idée.
Vers trois ans et demi, les enfants développent une imagerie artistique plus complexe qui
reflète leur connaissance et leur perception croissantes du monde extérieur. Le corps est joint
à la tête, mais il est parfois plus petit que la tête. Il arrive encore que les bras surgissent du
crâne, mais ils partent le plus souvent du tronc— parfois en dessous de la taille. Les jambes
sont attachées au corps.
A quatre ans, les enfants sont conscients du moindre détail vestimentaire — les boutons et les
fermetures-éclair, par exemple, apparaissent dans les détails du dessin. Des doigts s’ajoutent à
l’extrémité des bras ou des mains, et des orteils à l’extrémité des jambes ou des pieds. Le
nombre des doigts et des orteils varie au gré de l’imagination. J’ai dénombré dans un dessin
pas moins de trente et un doigts sur une seule main et pas plus d’un orteil par pied (figure 5-
4).
Bien que les dessins de personnages faits par les enfants soient comparables à divers égards,
chaque enfant se crée, au fil de ses essais et de ses erreurs, une image favorite, qui s’affine par
63
la répétition. Les enfants dessinent sans
désemparer leur image personnelle, la
mémorisant et l’agrémentant de nouveaux
détails au fil du temps. Cette manière
privilégiée de dessiner certaines parties de
l’image finit par s’enraciner dans le mémoire et
reste remarquablement stable la vie durant
(figure 5-5).
Le dessin peut être un remède puissant tant
pour les adultes que pour les enfants. Un
dessin peut vous permettre de voir ce que
vous éprouvez. Autrement dit, le cerveau
droit, par le biais du dessin, peut indiquer au
cerveau gauche où se situe le problème. Le
cerveau gauche peut à son tour recourir à son
potentiel spécifique et efficace, à savoir le
langage et la pensée logique, pour résoudre le
problème.
Des images qui racontent des histoires
Vers quatre ou cinq ans, les enfants commencent à se servir du dessin pour raconter des
histoires ou pour résoudre leurs problèmes, procédant à des ajustements minimes ou grossiers
de la forme de base pour lui donner une signification voulue. A la figure 5-6, par exemple, le
jeune artiste a dessiné le bras qui tient le parapluie de telle sorte qu’il paraît énorme comparé à
l’autre bras; c’est logique, le bras qui tient le parapluie constituant l’élément essentiel du
dessin.
Une autre illustration de l’utilisation du dessin pour dépeindre des sentiments nous vient du
portrait de famille réalisé par un timide enfant de cinq ans qui était apparemment dominé par
sa soeur aînée à chaque moment de son existence.
1.
2.
3.
4.
1. Utilisant sa symbolique de base pour les personnages il s’est d’abord dessiné lui-même.
2. Il a alors ajouté sa mère, en utilisant la même configuration de base avec certaines
rectifications — des cheveux longs, une robe.
3. Il a ensuite ajouté son père, qui était chauve et portait des lunettes.
4. Enfin, il a ajouté sa soeur, avec des dents.
Picasso lui-même n’aurait pu exprimer plus vigoureusement ses sentiments. Ayant ainsi
dépeint des émotions immatérielles, en leur donnant une forme, l’enfant à qui nous devons ce
portrait de famille aura sans doute affronté avec plus d’assurance la présence écrasante de sa
soeur.
64
Le paysage
A l’âge de cinq ou six ans, les enfants disposent d’une
réserve de symboles pour figurer les paysages. Procédant
de nouveau par la méthode des essais et des erreurs, les
enfants élaborent généralement une version unique d’un
paysage symbolique qu’ils répètent indéfiniment. Peut-
être vous souvenez-vous du paysage que vous dessiniez
quand vous aviez cinq ou six ans.
Quelles étaient les composantes de ce paysage? Tout
d’abord le sol et le ciel. Pensant par symboles, l’enfant sait
que le sol se trouve en dessous et le ciel au-dessus. Dès
lors, le bord inférieur de la feuille est le sol et le bord
supérieur est le ciel, comme à la figure 5-7. S’ils
travaillent avec des couleurs, les enfants accentuent cet
aspect en peignant une bande de couleur verte en dessous
et une bande bleue au-dessus de la feuille.
Fig. 5-7.
La plupart des paysages d’enfants comportent une version de la maison. Essayez d’évoquer
avec l’oeil de l’esprit l’image de la maison que vous dessiniez. Avait-elle des fenêtres ? Avec
des rideaux ? Et quoi encore ? Une porte ? Qu’y avait-il sur cette porte? Un bouton de porte.
C’est évident ! Parce que c’est grâce à cela que vous entriez. Je n’ai jamais vu de dessin
d’enfant authentique représentant une maison sans bouton de porte.
Vous commencez peut-être à vous rappelez le reste de votre paysage: le soleil (le faisiez-vous
en coin ou en cercle, rayonnant de tous ses rayons ?), les nuages, la cheminée, les fleurs, les
arbres (les vôtres avaient-ils eux aussi cette branche qui dépasse et qui est si commode pour
suspendre une balançoire ?), les montagnes (les vôtres ressemblaient-elles à des cornets de
crème glacée renversée ?). Et quoi encore ? Une route qui s’éloignait ? Une barrière ? Des
oiseaux ?
Fig. 5-8.
Fig. 5-9.
Avant de poursuivre votre lecture, prenez donc maintenant une feuille de papier et dessinez le
paysage que vous dessiniez étant enfant. Intitulez votre dessin « Evocation d’un paysage
d’enfant ». Peut-être vous souvenez-vous de cette image dans son intégralité avec une
précision surprenante ; ou peut-être vous revient-elle en mémoire plus progressivement, à
mesure que vous dessinez.
65
Pendant que vous dessinez, tâchez également de vous
rappeler le plaisir que le dessin vous procurait quand
vous étiez enfant, la satisfaction que vous preniez à
tracer chaque symbole et votre souci d’exactitude pour
placer chaque élément dans le dessin. Rappelez- vous le
sentiment que vous aviez que rien ne devait être omis et,
quand tous les symboles se trouvaient à leur place, votre
sentiment que le dessin était achevé.
Si vous n’arrivez pas à vous souvenir de votre dessin
pour le moment, ne vous en préoccupez pas. Vous vous
en souviendrez peut-être plus tard. Sinon, cela
indiquerait simplement que vous l’avez écarté de votre
mémoire pour une raison particulière. Habituellement,
une personne sur dix, environ, parmi mes élèves adultes,
est incapable de se rappeler son paysage d’enfant.
Au départ, les enfants semblent
posséder un sens parfait de la
composition, qu’ils perdent souvent
au cours de l’adolescence et qu’ils ne
recouvrent que grâce à une étude
laborieuse. Il me semble que cette
évolution s’explique par le fait que
les enfants plus âgés concentrent
leurs perceptions sur des objets
distincts existant dans un espace
indifférencié, tandis que les jeunes
enfants construisent un monde
conceptuel autonome limité par les
bords de la page. Pour les enfants
plus âgés, les limites de la feuille
semblent quasi inexistantes, tout
comme les limites sont absentes de
l’espace réel environnant.
Avant de poursuivre, prenons le temps de regarder un instant certains paysages d’enfants
évoqués par des adultes. Vous remarquerez tout d’abord que ces paysages sont des images
personnalisées, se distinguant toutes l’une de l’autre. Remarquez également que dans chaque
cas, la composition — c’est-à-dire la manière dont les éléments de chaque dessin sont
composés ou distribués dans les limites de la feuille — semble rigoureusement exacte dans la
mesure où pas un élément ne pourrait être ajouté ou soustrait sans que soit altérée la
correction de l’ensemble (figure 5-8). Pour vous en persuader, voyez ce qui se passe à la
figure 5-9 lorsqu’une forme (l’arbre) est retirée. Vérifiez ce principe sur votre propre dessin
d’enfant en escamotant une forme à la fois. Vous vous apercevrez que le retrait d’une seule
forme détruit l’équilibre général du tableau. Les figures 5-10 à 5-12 illustrent d’autres
caractéristiques des paysages d’enfants.
Après avoir observé les exemples, regardez votre propre dessin. Observez-en la composition
(la manière dont les formes sont disposées et s’équilibrent dans les limites de la feuille).
Observez les distances et leur rôle dans la composition. Essayez de caractériser l’expression
de la maison, d’abord sans user de la parole, ensuite avec des mots. Recouvrez un élément et
voyez l’effet de ce retrait sur la composition. Repensez à la manière dont vous avez fait le
dessin. Eprouviez-vous un sentiment de certitude, sachant où chaque élément devait se
placer ? Aviez-vous l’impression de détenir, pour chaque partie du dessin, un symbole exact,
parfait en lui-même et qui s ajustait exactement aux autres. Vous avez peut-être éprouvé la
même sensation de satisfaction que vous éprouviez étant enfant quand chaque forme avait
trouvé sa place et que l’image était achevée.
Fig. 5-10.
Dessin d’un paysage par un enfant de six ans. Cette
maison est très proche de l’observateur, le bord
inférieur de la feuille tient le rôle du sol. Pour
l’enfant, il semble que chaque partie de la surface du
dessin possède une signification symbolique, les
espaces vides représentant l’air dans lequel la fumée
s’élève, les rayons du soleil se dispersent, et les
oiseaux volent.
66
Fig. 5-11.
Dessin de paysage par un enfant de six ans. Cette
maison est plus éloignée du spectateur et, abritée par
l’arc-en-ciel, elle a une merveilleuse expression
d’autosatisfaction.
Fig. 5-12.
Dessin de paysage par un enfant de sept ans. Ce
dessin est plus difficile à lire. Il me semble que la
maison est renfermée, presque assoupie. Le garçon
semble chasser les intrus. Peut-être votre réaction
est-elle différente.
Cette manière de lire les dessins, en percevant la
signification visuelle et en y répondant par une
réaction de caractère émotionnel, est une technique
que les amateurs d’art sensibles tâchent
constamment d’utiliser lorsqu’ils regardent des
oeuvres d’art — par exemple, dans les musées ou
les expositions. La question est la suivante : que
nous communique l’oeuvre dans le langage non
verbal de l’art ? En fait, l’une des qualités d’un
chef-d’oeuvre est de susciter une myriade de
réactions à des niveaux multiples tout en empêchant
peut-être que se fasse l’unanimité sur sa
signification profonde.
La manière de lire les oeuvres d’art peut s’acquérir avec la pratique. Le mieux est de les ressentir en faisant
abstraction de la parole et de trouver ensuite les mots qui décrivent notre réaction. C’est cette démarche
caractéristique du mode-D que j’ai utilisée pour finalement formuler ma réaction face à ce paysage d’enfant.
Cette démarche peut être comparée à notre manière de réagir aux changements d’expression sur le visage d’un
ami et illustre bien le mode d’opération global et relationnel qui caractérise l’hémisphère droit.
Le stade de la complexité
A présent, comme les fantômes de Dickens dans Un Conte de Noël, nous allons vous faire
avancer dans le temps afin de vous observer à un âge légèrement plus tardif, neuf ou dix ans
environ. Vous vous souvenez peut-être de certains dessins que vous faisiez à cet âge, en
cinquième ou sixième année primaire.
Au cours de cette période, les enfants s’astreignent généralement à une plus grande minutie
dans les détails de leurs travaux artistiques, espérant atteindre de cette façon un réalisme plus
précis, ce qui constitue leur objectif le plus ambitionné. La composition suscite moins
d’intérêt, les formes étant presque disposées au hasard sur la page. Apparemment, l’intérêt de
l’enfant pour la place des éléments dans le dessin laisse place à une préoccupation pour
l’aspect des éléments, particulièrement le détail des formes. Dans l’ensemble, les dessins des
67
enfants plus âgés montrent une plus grande complexité et, en même temps, moins
d’assurance que les paysages de la prime enfance.
Pendant toute cette période, les
dessins d’enfants commencent
à se différencier d’après le
sexe, probablement à cause des
facteurs culturels. Les garçons
se mettent à dessiner des
automobiles — des bolides et
des voitures de course; des
scènes de guerre avec des
bombardiers en piqué, des
chars et des fusées ; des
personnages légendaires et des
héros — des pirates barbus.
Des équipages Vikings et leurs
navires, des vedettes de la
télévision, des alpinistes et des
plongeurs sous-marins, des
lettres en capitales bâtons ou
Fig. 5-13.
Fig. 5-13
des lettres moulées et certaines images bizarres comme ce globe oculaire complet transpercé
d’un poignard et baignant dans le sang (mon préféré).
Pendant ce temps, les filles dessinent des choses plus tendres — des fleurs dans un vase, des
chutes d’eau, des montagnes qui se réfléchissent dans des lacs paisibles, de jolies fillettes
assises ou courant sur l’herbe, des mannequins avec des cils d’une longueur incroyable, des
coiffures élaborées, des tailles de guêpe ou de petits pieds, les mains derrière le dos parce que
les mains sont « difficiles à dessiner » …
Les figures 5-13 à 5-16 montrent quelques exemples de ces dessins de jeunes adolescents. J’y
ai ajouté un cartoon: ce genre de dessin, qui a autant la faveur des filles que celle des garçons,
est un sujet de grande admiration parmi les adolescents. Je pense que le cartoon attire les
enfants de cet âge parce que, tout en faisant appel à des formes symboliques courantes, on y
recourt de manière plus sophistiquée et les adolescents n’ont pas l’impression de dessiner
« comme des bébés ».
Le stade du réalisme
Vers l’âge de dix ou douze ans, la passion dont témoignent les enfants pour le réalisme atteint
sa pleine apogée (figures 5-17 et 5-18). Lorsque leurs dessins ne leur semblent pas « justes »,
c’est-à-dire qu’ils ne leur paraissent pas réalistes, les enfants se découragent souvent et
appellent leur professeur à l’aide. Le professeur leur dit alors : « Tu dois regarder plus
attentivement » mais cela ne sert à rien parce que l’enfant ne sait pas ce qu’il doit regarder
plus attentivement. Je vais vous donner un exemple.
Imaginons qu’un enfant de dix ans souhaite dessiner un cube, par exemple un morceau de
bois, en trois dimensions. Soucieux que son dessin soit ressemblant, l’enfant essaie de
dessiner le cube sous un angle qui en laisse voir deux ou trois faces — et non d’un point de
68
vue direct qui ne découvrirait qu’une seule face et qui, dès lors, ne révélerait pas la forme
véritable du cube.
Fig. 5-14. Dessin complexe d’un
enfant de dix ans. Cet exemple
illustre le genre de dessin
d’adolescent que les professeurs
déplorent souvent comme étant
« rigide » ou « non créatif ». Les
jeunes artistes travaillent
laborieusement pour parfaire des
images comme celle-ci, essayant
différents symboles et
configurations. Remarquez le
symbole pour le visage dans la foule
qui a été patiemment répété.
Toutefois, l’enfant rejettera très
vite cette image comme
désespérément mauvaise.
Fig. 5-15. Dessin complexe d’un
enfant de neuf ans. La transparence
est un thème qui se retrouve
souvent dans les dessins des enfants
de cet âge. Les choses telles qu’elles
sont vues sous l’eau, à travers une
vitre ou dans des vases
transparents constituent un thème
privilégié. Bien qu’on puisse
risquer une interprétation
psychologique, il est probable que
les jeunes artistes essaient
simplement par là de savoir s’ils
sont capables de faire un dessin
« ressemblant ».
Fig. 5-16.
Dessin complexe d’un enfant de dix
ans. Le cartoon est une forme
artistique privilégiée des jeunes en
pleine adolescence. Comme l’a fait
remarquer la pédagogue Miriam
Lindstrom dans son ouvrage
Children’s Art, le goût des enfants à
cet âge se situe à un niveau
généralement médiocre.
Pour ce faire, l’enfant doit dessiner les faces aux angles bizarres telles qu’elles lui
apparaissent, c’est-à-dire l’image exacte qui frappe la rétine de l’observateur. Ces faces ne
sont pas carrées. En fait l’enfant doit faire abstraction de la connaissance qu’il a du cube pour
dessiner des formes « bizarres ». Le dessin du cube ne ressemblera à un cube que s’il est
formé de faces aux angles inhabituels. Autrement dit, l’enfant doit dessiner des formes non
carrées pour obtenir un cube carré. L’enfant doit accepter ce paradoxe, cette démarche
illogique qui contrarie la pensée verbale et conceptuelle. (Peut-être y trouve-t-on l’une des
significations de la formule de Picasso : « La peinture est un mensonge qui dit la vérité».)
69
Fig. 5-17.
Dessin réaliste d’un enfant de douze ans. Les
enfants de dix à douze ans recherchent une
manière de rendre leurs dessins « ressemblants ».
Le dessin de personnage fascine particulièrement
les adolescents. Dans ce dessin les symboles d’un
stade antérieur sont ajustés en fonction de
nouvelles perceptions: voyez l’oeil de face dans ce
dessin de profil. Remarquez cependant que la
connaissance qu’a l’enfant du dossier de la chaise
a laissé place à l’aspect purement visuel du dossier
vu de côté.
Fig. 5-18.
Dessin réaliste d’un enfant de douze ans. A ce
stade, l’enfant consacre tous ces efforts à atteindre
le réalisme; et les limites de la surface dessinée
s’effacent de sa conscience, il concentre son
attention sur des formes individuelles, isolées,
disposées au hasard sur la page. Chaque partie
fonctionne comme un élément individuel au
mépris de l’unité de la composition.
« Je dois commencer non à partir d’hypothèses,
mais à partir de cas concrets, même infimes ».
Paul Klee
Fig. 5-19. Dessins «incorrects»» d’un cube (d’après des travaux d’élèves).
Fig. 5-20. Dessins « corrects » d’un cube.
70
Si sa connaissance verbale de la forme réelle du cube domine sa perception purement
visuelle, l’élève réalisera un dessin « incorrect »— un dessin où se manifestera le genre
d’erreur qui désespère les adolescents (voir figure 5-19). Sachant que les coins des cubes sont
à angle droit, les élèves commencent habituellement à dessiner un cube avec un angle droit.
Sachant que le cube repose sur une surface plane, ils dessinent ensuite les arêtes de la base en
ligne droite. Leurs erreurs s’additionnent à mesure que le dessin progresse et ils se troublent
de plus en plus.
Bien que l’observateur captieux familiarisé à
l’art du cubisme et de l’abstraction puisse juger
plus intéressants les dessins « incorrects » de la
figure 5-19 que les dessins « corrects » de la
figure 5-20, les jeunes élèves ne peuvent
comprendre les éloges que suscitent leurs
mauvais dessins. En effet, l’intention de
l’enfant était précisément de dessiner un cube
qui ait l’air « vrai » et, de son point de vue, le
dessin est manqué. Prétendre le contraire
semble absurde aux élèves. Ils ne peuvent
comprendre que « deux plus deux font cinq »
soit une réponse « créative » digne de louanges.
« Le peintre soucieux de représenter la réalité
doit transcender sa propre perception. Il doit
ignorer ou dominer les mécanismes qui, dans
son esprit, créent précisément des objets à
partir d’images ... L’artiste. comme l’oeil, doit
fournir des images fidèles et des indications de
distances précises, pour dire ses mensonges
magiques ».
Colin Blakemore, Mechanics of the Mind
Après l’expérience de dessins « incorrects » comme les dessins du cube, les élèves peuvent
décréter qu’ils sont « incapables de dessiner ». Mais ils en sont capables ; en fait, les dessins
qu’ils ont réalisés indiquent que, manuellement, ils sont parfaitement à même de dessiner. Le
problème vient du fait que les connaissances préalablement acquises — qui peuvent être utiles
dans d’autres contextes — les empêchent de voir les choses telles qu’elles sont, juste sous
leurs yeux.
Parfois le professeur résout le problème en montrant aux élèves la manière de faire, c’est-à-
dire en expliquant la démarche propre au dessin. L’enseignement par la démonstration est une
méthode consacrée par l’usage et parfois bénéfique lorsque le professeur dessine très bien et
qu’il est suffisamment sûr de lui pour faire une démonstration devant une classe entière.
Malheureusement, la plupart des professeurs eux-mêmes, au niveau élémentaire crucial, n’ont
pas suffisamment acquis les aptitudes perceptives nécessaires au dessin. Les professeurs, par
conséquent, éprouvent la même sensation d’incompétence pour le dessin réaliste que les
enfants qu’ils doivent éduquer.
Beaucoup de professeurs souhaiteraient que les enfants de cet âge soient plus libres, moins
préoccupés par le réalisme dans leurs travaux. Mais quelle que soit l’insistance avec laquelle
certains déplorent l’obstination de leurs élèves dans la voie du réalisme, les enfants restent
inflexibles. Ils parviendront au réalisme ou ils abandonneront l’expression artistique à tout
jamais. Ils veulent que leurs dessins ressemblent à ce qu’ils voient, et ils veulent savoir
comment y arriver.
Je pense que les enfants de cet âge adorent le réalisme parce qu’ils essaient d’apprendre à voir
les choses. Ils sont prêts à investir beaucoup d’efforts et d’énergie dans cette entreprise
pourvu que les résultats soient encourageants. Peu d’enfants ont la chance de découvrir
fortuitement le secret: comment voir les choses différemment (le mode-D). Comme je l’ai
expliqué dans ma préface, je pense être l’un de ces enfants qui, par hasard, comprennent le
« truc ». Toutefois, la majorité des enfants doivent apprendre à effectuer cette conversion
cognitive. Heureusement, nous sommes aujourd’hui en train d’élaborer de nouvelles
71
méthodes d’enseignement s’inspirant de recherches récentes sur le cerveau. Ces méthodes
permettront aux professeurs de répondre aux désirs profonds de leurs élèves et de leur
apprendre à voir et à dessiner.
INFLUENCE DE LA SYMBOLIQUE ACQUISE PENDANT L’ENFANCE SUR LA
PERCEPTION VISUELLE
Nous nous rapprochons à présent du problème et de sa solution. Tout d’abord, qu’est-ce qui
empêche une personne de voir les choses assez clairement pour les dessiner ?
La réponse vient en partie de ce que depuis notre enfance nous avons toujours appris à
concevoir les choses avec des mots. Nous leur donnons un nom et nous connaissons les faits
qui s’y rapportent. L’hémisphère gauche, verbal et dominant, ne veut pas recevoir trop
d’informations à propos des choses qu’il perçoit—juste les informations nécessaires pour
identifier et classifier. Le cerveau gauche procède par coups d’oeil rapides: « Bien, c’est une
chaise (ou un parapluie, un oiseau, un arbre, un chien, etc.) ». Le cerveau étant le plus souvent
surchargé par l’afflux d’informations, l’une de ces fonctions principales consiste, semble-t-il,
à écarter une large proportion des données perçues. Ce procédé est indispensable pour nous
permettre de concentrer notre réflexion et s’avère d’ailleurs très utile la plupart du temps. Le
dessin, par contre, exige que nous regardions les choses longtemps pour saisir des monceaux
de détails et enregistrer autant d’informations que possible—l’idéal serait de tout enregistrer,
comme Albert Dürer a tenté de le faire dans la gravure reproduite à la figure 5-21.
L’hémisphère gauche n’a pas la patience requise pour la perception détaillée des choses et se
refuse à ce travail : « C’est une chaise, je te dis. C’est tout ce qu’il faut savoir. Ce n’est même
pas la peine de la regarder puisque j’ai un symbole tout fait pour toi. Le voici : ajoute quelque
détails si tu veux mais ne m’ennuie plus avec ces histoires d’observation ».
Et d’où viennent ces symboles ? Ils nous viennent de ces années de dessins d’enfance pendant
lesquelles chacun de nous élabore une symbolique. Cette symbolique reste ancrée dans notre
mémoire et les symboles attendent d’être invoqués, comme ce fut le cas lorsque vous avez
dessiné votre paysage d’enfance.
Ces symboles sont également prêts à intervenir lorsque vous dessinez un portrait, par
exemple. Le cerveau gauche, l’efficace, intervient : « Ah oui, des yeux. Voici le symbole pour
les yeux, celui que tu as toujours utilisé. Et un nez ? Oui, voilà comment il faut le faire. » Une
bouche ? Des cheveux ? Des cils ? Chaque élément possède son symbole. Tout comme il y a
un symbole pour les chaises, pour les tables, pour les mains …
En somme, la plupart des élèves adultes qui débutent dans l’apprentissage artistique ne voient
pas réellement ce qu’ils ont en face des yeux — c’est-à-dire qu’ils n’ont pas des choses la
perception requise pour les dessiner. Ils prennent note de ce qui se trouve en face d’eux et
traduisent rapidement leur perception avec des mots et des symboles en fonction, notamment,
de la symbolique qu’ils se sont créée au cours de leur enfance, et de la connaissance qu’ils ont
acquise au sujet de l’objet perçu.
72 « Quand l’enfant est capable de
dessiner autre chose que des
griffonnages, vers l’âge de trois ou
quatre ans, un ensemble déjà bien
structuré de connaissances
conceptuelles formulées dans le
langage domine sa mémoire et
contrôle son travail graphique ...
Les dessins sont les comptes rendus
graphiques de démarches
essentiellement verbales. A mesure
qu’une éducation essentiellement
verbale domine, l’enfant
abandonne ses efforts graphiques et
s’appuie presque exclusivement sur
la parole. Le langage a d’abord
empiété sur le dessin puis l’a
complètement submergé. »
Ecrit en 1930 par le psychologue
Karl Buhler
Fig. 5-21. Albert Dürer. Etude pour le Saint Jérôme (1521).
Comment remédier à cette manière de faire ? D’après le psychologue Robert Ornstein,
l’artiste doit percevoir les choses comme dans un miroir pour pouvoir les dessiner. Il faut
donc « débrancher » le mode-G, le mode des classifications verbales, et « brancher » la partie
de notre cerveau qui opère selon le mode-D pour voir les choses comme l’artiste les voit.
Une fois encore, la question première est de savoir comment accomplir cette conversion
cognitive G D. Comme je l’ai dit au chapitre 4, il semble que la manière la plus efficace
soit de présenter au cerveau un travail que l’hémisphère gauche ne voudra pas ou ne pourra
pas effectuer. Vous connaissez déjà certains de ces travaux : les dessins du vase et des
visages, le dessin à l’envers. Et, dans une certaine mesure, vous avez déjà éprouvé et appris à
reconnaître l’état mental propre au mode de l’hémisphère droit. Vous commencez à vous
rendre compte que lorsque vous vous trouvez dans cet état subjectif légèrement altéré, vous
êtes capable de voir plus clairement et de mieux dessiner.
En repensant à l’expérience que vous a fait connaître le dessin depuis le début de ce cours, et
aux modifications de votre état de conscience survenues lors d’activités différentes (conduite
sur autoroute, lecture, etc., dont nous avons parlé au chapitre 1), rappelez- vous les
caractéristiques de cet état mental particulier. Il importe que vous poursuiviez la recherche de
votre « observateur caché » et que vous appreniez à identifier cet état subjectif particulier.
Revoyons encore une fois les caractéristiques du mode-D. Le temps, tout d’abord, semble
suspendu. Vous perdez la notion du temps dans ce qu’il a de chiffrable. Ensuite vous
n’accordez aucune attention aux paroles prononcées. Vous entendez peut-être le son de ces
paroles mais vous ne pouvez en décoder la signification. Si quelqu’un vous parle, il vous
semble qu’il vous faudrait fournir un effort terrible pour revenir en arrière, penser de nouveau
73
avec des mots, et répondre. De plus, tout ce
que vous êtes occupé à faire vous semble
d’un intérêt immense. Vous êtes attentif et
concentré et vous avez le sentiment de ne
plus faire qu’un avec la tâche qui vous
absorbe. Vous vous sentez plein d’énergie
mais calme, actif sans anxiété. Vous vous
sentez confiant et à la hauteur de la tâche
qui se présente. Vous pensez, non pas avec
des mots, mais avec des images et, quand
vous dessinez, votre pensée se « fixe » sur
l’objet que vous percevez. Il s’agit d’un
état très agréable. En le quittant, vous ne
vous sentez pas fatigué mais vivifié.
« L’art est une forme de conscience d’une
délicatesse suprême ... qui tend à l’unicité, unicité
de l’auteur et de l’objet ... L’image doit entièrement
émaner de l’artiste ... C’est l’image qui vit dans la
conscience, vivante comme une vision, mais
inconnue ».
D.H. Lawrence, l’écrivain anglais, parlant de sa
peinture.
« En se créant un observateur intérieur, une
personne peut accéder dans une mesure appréciable
à l’observation de ses différents états d’identité et,
bien qu’un observateur extérieur puisse souvent
deviner clairement ses différents états d’identité, la
personne elle-même, si elle n’a pas développé cette
fonction d’observateur, peut très bien ne jamais
remarquer les nombreuses transitions qui la mènent
d’un état d’identité à un autre. »
Charles T. Tart, Alternative States of Consciousness
Notre tâche à présent consiste à éclairer sous un jour plus précis cet état de conscience
particulier et l’amener sous un contrôle conscient plus rigoureux afin d’exploiter les
possibilités de l’hémisphère droit, nettement supérieures pour le traitement des informations
visuelles, et d’effectuer à volonté la conversion cognitive vers le mode-D.
L’exercice du chapitre suivant est destiné à vous faire connaître plus intensément que jamais
cet état mental particulier. Le but est de découvrir davantage votre « observateur caché » et
d’accroître le contrôle que vous pouvez exercer sur la conversion cognitive, afin de vous
placer délibérément dans les conditions nécessaires pour que se produise cette conversion.
Une fois la transition accomplie et le mode-G « débranché », vous verrez les choses plus
clairement, à la manière de l’artiste.
Lewis Carroll décrit une
conversion semblable dans les
aventures d’Alice dans De l’autre
Côté du Miroir :
«Oh, Kitty, comme ce serait
merveilleux si l’on pouvait entrer
dans la Maison du Miroir ! Je suis
sûre de ce que je dis, oh, elle
contient tant de belles choses !
Faisons semblant d’avoir découvert
un moyen d’y entrer, Kitty. Faisons
semblant d’avoir rendu le verre
inconsistant comme la gaze et de
pouvoir passer à travers celui-ci.
Mais, ma parole, voici qu’il se
change en une sorte de brouillard !
Cela va être un jeu d’enfant de le
traverser … »
75
Nous avons retracé l’évolution artistique de votre enfance et le développement de la
symbolique qui allait constituer le langage de vos dessins d’enfant. Parallèlement à cette
évolution se sont développés d’autres systèmes symboliques: la parole, la lecture, l’écriture et
l’arithmétique. Alors que ces derniers constituent des fondements utiles au développement
ultérieur des facultés linguistiques et arithmétiques, les symboles utilisés dans les dessins
d’enfants semblent contrarier l’évolution des aptitudes artistiques.
Le problème le plus sérieux qui se pose dans l’enseignement du dessin réaliste aux sujets âgés
de dix ans et plus est le fait du cerveau gauche qui semble insister pour que soient utilisés les
symboles graphiques qu’il a mémorisés ou stockés alors que ceux-ci ne sont plus adéquats.
Malheureusement, dans un sens, le cerveau gauche «persiste à croire » qu’il est capable de
dessiner, alors que la latéralisation des perceptions globales et relationnelles, c’est-à-dire la
délégation de ces compétences à l’hémisphère droit s’est produite depuis longtemps. Aux
prises avec un dessin, le cerveau gauche se hâte de faire appel à des symboles de caractère
linguistique, après quoi, dérisoirement. il n’est que trop prêt à souffler les mots de dédain qui
composeront le jugement si le dessin parait naïf ou puéril.
Dans le chapitre précédent, j’ai expliqué qu’une
manière efficace de « débrancher » l’hémisphère
gauche dominant et son mode de fonctionnement
verbal et symbolique, et de «brancher» l’hémisphère
droit dominé, de fonctionnement spatial et relationnel,
est de présenter au cerveau un travail que
l’hémisphère gauche ne pourra ou ne voudra pas
entreprendre. Les dessins du vase et des visages et les
dessins à l’envers
Simplement voir, dès lors, n’est pas
suffisant. Il est indispensable d’établir
un contact physique, original et vivant
avec l’objet que vous dessinez par tous
les moyens sensoriels possibles — et
spécialement par le sens du toucher».
Kimon Nicolaides, The Natural Way to
Draw
nous ont permis d’accéder au mode-D. Nous allons à présent tenter une nouvelle stratégie,
plus radicale qui provoquera une conversion cognitive plus profonde et neutralisera plus
largement votre mode-G.
Cette technique, le « dessin de contour pur », plaira probablement très peu à votre cerveau
gauche. Introduite aux Etats-Unis en 1941 par Kimon Nicolaides, professeur d’art de grande
réputation, dans son ouvrage The Natural Way to Draw, cette méthode a remporté un vif
succès auprès des enseignants. Je pense que les connaissances récentes sur la manière dont le
cerveau répartit les tâches entre les deux hémisphères fournissent une base théorique
susceptible d’expliquer l’efficacité du dessin de contour pur en tant que méthode
d’enseignement. A l’époque où il a écrit ce livre, Nicolaides pensait apparemment que la
méthode du contour pur permettrait aux élèves d’améliorer leur technique de dessin parce
qu’elle les obligeait à utiliser à la fois leur sens de la vue et du toucher. Nicolaides conseillait
aux élèves qu’ils s’imaginent touchant l’objet qu’ils dessinaient. Il semble plus probable, à
présent, que l’efficacité de cette méthode est due à l’aversion du cerveau gauche pour la
perception lente et méticuleuse des informations spatiales et relationnelles, ce qui permet à
l’individu d’accéder au mode-D de fonctionnement cérébral, En résumé, le dessin de contour
pur contrarie le style du cerveau gauche; il convient au style du cerveau droit et, une fois
encore, c’est ce que nous recherchons.
Avant de décrire cette méthode, je voudrais définir quelques termes. En dessin, le contour se
définit comme le côté d’une forme tel que vous le percevez. En tant que méthode, le dessin de
contour pur (qu’on appelle parfois « dessin de contour plein ») exige une observation continue
et intense pendant qu’on trace les côtés de la forme sans regarder le dessin qui est en train de
se réaliser.
76
Le terme « côté » dans le sens qu’on lui donne en dessin est l’endroit où deux éléments se
rencontrent. Si vous dessinez votre main, par exemple, les endroits où l’air (qui en dessin
constitue le fond ou l’espace négatif) rencontre la surface de votre main, l’endroit où un ongle
rencontre la peau qui l’entoure, l’endroit où deux plis de la peau se rencontrent pour former
une ride, et ainsi de suite, sont des côtés communs. Le côté commun (appelé contour) peut
être décrit, c’est-à-dire dessiné, comme une simple ligne, qu’on appelle ligne de contour.
(Nous travaillerons de nouveau les côtés dans le chapitre suivant sur les espaces négatifs.)
Le côté est un concept fondamental dans le domaine artistique, en raison de ses rapports avec
le principe de l’unité, qui est peut-être le plus important. L’unité est acquise lorsque tous les
éléments d’une composition s’assemblent en un tout cohérent, chaque partie contribuant à
l’intégralité de l’image résultante.
UN EXERCICE SUR LES COTES
Afin de bien vous imprégner des concepts d’unité et de côté commun, faites l’exercice
suivant, qui consiste à imaginer et à voir des côtés :
1. Voyez avec l’oeil de l’esprit un puzzle d’enfant de six à huit pièces de couleurs en
désordre, les pièces s’assembleront pour former l’image d’un voilier sur un lac. Imaginez que
chaque pièce du puzzle correspond à un élément donné : une seule pièce blanche représente la
voile, une pièce rouge la coque, etc. Imaginez les autres pièces à votre manière — la terre, la
jetée, les nuages, ce que vous voulez.
2. Assemblez à présent les pièces dans votre imagination. Représentez-vous les deux côtés qui
s’assemblent pour former une ligne unique (s’il s’agit d’un puzzle découpé avec précision).
Ces côtés communs forment les lignes de contour. Toutes les pièces, les espaces (ciel et eau)
et les formes (la coque, la voile, la terre, etc.) s’assemblent pour former le puzzle complet.
3. Observez ensuite votre propre main, un oeil fermé pour obtenir une image plane (en
fermant un oeil on supprime la vision binoculaire en relief). Imaginez votre main et l’air qui
l’entoure comme les pièces d’un puzzle, l’espace (espace négatif) entre les doigts formant des
côtés communs avec les doigts ; la forme de la peau autour de chaque ongle formant avec
celui-ci un côté commun ; deux plis de la peau formant le côté commun d’une ride. L’image
totale, composée de formes et d’espaces, s’assemble à la manière d’un puzzle.
4. Dirigez à présent votre regard vers un côté quelconque de votre main. Imaginez, avec l’oeil
de l’esprit, que vous êtes en train de dessiner lentement ce côté de votre main ; imaginez que,
simultanément, vous pouvez voir la ligne se former sur le dessin, comme par un procédé
magique.
LE DESSIN DE CONTOUR PUR POUR DEPASSER VOTRE SYMBOLIQUE
77
Pendant mes cours, je fais des démonstrations de dessin de contour pur, et j'explique la
méthode en même temps que je dessine —quand j’arrive à continuer de parler (fonction du
mode-G) alors que j’essaie d’utiliser mon cerveau droit pour dessiner. Habituellement je
débute bien, mais après cinq minutes je commence à m’égarer au milieu d’une phrase. Ce laps
de temps, toutefois, est suffisant pour que mes élèves saisissent le principe de la méthode.
Je poursuis ma démonstration en montrant des exemples de dessins de contour pur réalisés
précédemment par d’autres élèves.
Avant de commencer : Afin de reproduire fidèlement le déroulement du cours dans une classe,
assurez-vous d’avoir lu toutes les instructions et d’avoir examiné tous les travaux d’élèves
correspondants avant d'entreprendre votre dessin.
1. Cherchez un endroit où vous pourrez rester seul sans être interrompu pendant vingt minutes
au moins.
2. Réglez une montre ou une minuterie sur vingt minutes si vous le voulez avant de
commencer à dessiner. (Ceci afin de vous libérer de la notion du temps — fonction du mode-
G.) Si vous avez largement le temps et qu’il vous importe peu de savoir quand vous aurez
terminé, passez-vous de la minuterie.
3. Placez une feuille de papier sur la table et fixez-la avec du papier collant dans la position
qui vous semble la plus commode. Il est nécessaire de la fixer pour ne pas qu’elle tourne
pendant que vous dessinez.
4. Vous allez dessiner votre propre main — votre main gauche si vous êtes droitier, votre
main droite si vous êtes gaucher. Arrangez-vous pour que la main qui tient le crayon soit prête
à dessiner sur le papier fixé sur la table.
5. Tournez carrément la tête dans la direction opposée, fixant des yeux la main que vous allez
dessiner. Prenez garde que votre main repose sur un support car vous allez garder assez
longtemps cette position. Vous travaillerez sans pouvoir regarder ce que vous dessinez (voir
la position à la figure 6-l). Il est indispensable de tourner la tête pour respecter l’objectif de
cette méthode : premièrement. pour concentrer entièrement votre attention sur les
informations visuelles qui se trouvent là en face de vous ; et, en second lieu, pour refuser
toute attention au dessin, ce qui pourrait faire resurgir vos anciens schémas symboliques
mémorisés depuis l’enfance, par exemple, « la manière de dessiner une main ». Il faut
dessiner uniquement ce que vous voyez (mode-D, perception globale) et non ce que vous
savez (mode-G, fonctionnement symbolique). Il est également nécessaire de détourner
complètement la tête parce que la tentation de regarder le dessin est presque irrésistible au
début. Si vous dessinez dans la position normale en vous disant « Je n’ai qu’à ne pas
regarder », vous vous apercevrez certainement que vous êtes en train de regarder votre dessin
du coin de l’oeil. Ce faisant, vous réactiveriez le mode-G et vous manqueriez le but de
l’exercice.
6. Une fois la tête tournée, fixez votre regard sur un point du contour de votre main. Au même
moment, placez la pointe du crayon sur le papier (à n’importe quel endroit qui se situe
largement au centre de la feuille).
7. Très lentement, millimètre
78
par millimètre, déplacez votre
regard le long du contour de
votre main, observant chaque
variation infime, chaque
ondulation de la ligne. A
mesure que vos yeux
progressent, déplacez la pointe
de votre crayon au même
rythme, en reproduisant chaque
modification, chaque variation
infime du contour que vous
observez. Prenez conscience
que l’information projetée par
l’objet observé (votre main) est
perçue exactement et dans les
moindres détails par vos yeux
et reproduite simultanément par
votre crayon qui enregistre tout
ce que vous voyez au moment
où sous le voyez.
Fig. 6-1. Position tête détournée pour le dessin de contour pur.
8. Ne vous retournez pas pour regarder votre feuille. Observant votre main, dessinez
progressivement ce que vous voyez. Vos yeux percevront successivement les changements de
configuration du contour et votre crayon les reproduira au même rythme. Au même moment,
vous prendrez conscience des rapports entre le contour que vous dessinez et la configuration
entière des contours complexes de votre main. Vous pouvez dessiner les contours intérieurs
ou les contours extérieurs en premier ou passer de l’un à l’autre. Ne vous préoccupez pas de
savoir si le dessin ressemblera à votre main, Il est probable que non étant donné que vous ne
pouvez pas vérifier les proportions, etc. En limitant votre perception à de petits fragments
successifs, vous apprendrez à voir les choses exactement telles qu’elles sont, à la manière de
l’artiste.
9. Le mouvement du crayon doit reproduire exactement le mouvement de l’oeil. L’un ou
l’autre tentera peut-être d’accélérer, mais ne le laissez pas faire. Vous devez reproduire
chaque détail à l’instant où vous voyez chaque point du contour. N’interrompez pas votre
dessin et poursuivez à un rythme lent et régulier. Il se peut qu’au début vous vous sentiez
maladroit ou mal à l’aise : certains élèves éprouvent brusquement un mal de tête ou un
sentiment de panique. Je pense que cette perturbation se produit au moment où le cerveau
gauche s’aperçoit que le dessin de contour pur défie dangereusement sa supériorité. Il se rend
compte, je crois, que si vous devez reproduire l’enchevêtrement complexe des contours de
votre main, à la lenteur avec laquelle vous dessinez, le cerveau droit va dominer encore
pendant un long moment. Effectivement, le cerveau gauche réagit : « Cesse ce jeu stupide
immédiatement. Il n’est pas nécessaire de regarder les choses d’aussi près. J’ai déjà nommé
chaque détail pour toi, même les plus petits, comme les rides. Montre-toi donc raisonnable et
occupons-nous de quelque chose de moins ennuyeux — sinon je te donne la migraine ».
Ignorez ces protestations et poursuivez. A mesure que vous dessinerez, les récriminations du
cerveau gauche fléchiront et votre esprit s’apaisera. Vous serez bientôt fasciné par la
complexité merveilleuse de l’objet que vous voyez et vous sentirez que vous pouvez aller
toujours plus loin dans cette complexité. Krishnamurti : « Où commence alors le silence ?
79
Laissez-vous mener. Il n’y a rien à craindre,
rien qui puisse vous embarrasser. Votre
dessin sera la reproduction merveilleuse de
vos perceptions profondes. Il nous importe
peu que votre dessin ressemble ou non à une
main. Nous voulons une matérialisation de
vos perceptions.
Après avoir terminé : Essayez de vous
rappeler ce que vous ressentiez en
commençant le dessin de contour pur, en
comparant cette sensation avec ce que vous
avez ressenti plus tard, une fois plongé
profondément dans le dessin. Comment vous
sentiez-vous à ce stade plus avancé ? Avez-
vous perdu la notion du temps qui passe ?
Comme Max Ernst, vous êtes-vous pris de
passion pour ce que vous voyiez ? Quand
vous retournerez à cet état mental particulier,
le reconnaîtrez-vous ?
Pour la plupart des élèves, le dessin de
contour pur est l’exercice qui permet la
conversion la plus radicale vers le mode-D et
le voyage le plus parfait au coeur de cet état
de conscience particulier. Coupé du dessin—
et par là des données visuelles qui permettent
Commence-t-il là où finit la pensée ? Avez-vous
jamais essayé de vous arrêter de penser ? »
L’interrogateur: Comment faites-vous ? »
Krishnamurti: »Je ne sais pas, mais avez-vous
jamais essayé ? Tout d’abord, quelle est l’entité qui
essaie d’arrêter la pensée ? »
L’Interrogateur: « Le penseur ».
Krishnamurti : « C’est une autre pensée, n’est-ce
pas ? La pensée essaie de s’arrêter elle-même et une
bataille se livre alors entre le penseur et la pensée ...
La pensée dit ‘Je dois arrêter de penser et alors je
connaîtrai un état merveilleux’ ... Une pensée essaie
d’en supprimer une autre, et il y a conflit. Quand je
considère cela comme un fait, que je le considère
totalement, que je le comprends complètement, et
que je m’en pénètre ... alors mon esprit s’apaise.
Cela vous vient naturellement et facilement quand
l’esprit est serein, d’observer, de regarder, de voir ».
« En chacun de nous repose le monde entier et si
vous savez comment regarder et apprendre, alors la
porte est devant vous et vous en possédez la clé.
Personne sur la terre ne peut vous donner ni la clé ni
la porte à ouvrir, excepté vous-même. »
J. Krishnamurti You Are the World d’identifier, de symboliser et de classifier — forcé de se concentrer sur ce qu’il considère
comme une pléthore d’informations, le cerveau gauche passe le relais au cerveau droit. La
lenteur du dessin semble maintenir d’avantage le cerveau gauche au point mort. Le dessin de
contour pur est un moyen tellement efficace pour produire cette conversion que bon nombre
d’artistes ont coutume de se mettre au travail en commençant par une brève séance, au moins,
de ce genre d’exercices, afin de déclencher le processus qui les mènera à débrancher le mode-
G.
Au cas où ce premier dessin ne vous aurait pas permis d’effectuer une conversion très parfaite
vers le mode-D, prenez patience. Chez certaines personnes, l’hémisphère gauche est très
volontaire ou très anxieux de voir le droit prendre le contrôle. Vous devez le rassurer. Lui
parler. Dites-lui que vous n’allez pas l’abandonner, que vous voulez simplement essayer de
découvrir quelque chose.
Vous vous apercevez que le cerveau gauche permettra progressivement que s’accomplisse la
conversion. Gardez-vous cependant de laisser votre cerveau gauche ridiculiser votre dessin de
contour pur, en émettant des remarques sévères et en annulant ainsi le profit que vous en
auriez tiré. Notre but n’était pas de réaliser un dessin ressemblant. Bientôt tous vos acquis
s’additionneront et vous dessinerez mieux que jamais auparavant.
TRAVAUX D’ELEVES
80
Souvenir d’un état mental particulier.
Poursuivons le cours avec certains travaux
d’élèves illustrant le dessin de contour pur.
Quelle trace étrange et merveilleuse
recèlent ces dessins! Ne vous préoccupez
pas du manque de ressemblance entre
certains de ces dessins et la configuration
normale d’une main — c’était à prévoir.
Dans le prochain exercice, le «dessin de
contour modifié», nous nous soucierons de
la configuration d’ensemble.
« Nageur aveugle, je me suis forcé à voir. J’ai vu.
Et j’ai été étonné et passionné par ce que je voyais,
souhaitant m’identifier à l’objet de ma vision ».
Max Ernst
Dans Les Portes de la Perception, Aldous Huxley
décrit les effets de la mescaline sur sa perception
des choses ordinaires — dans ce cas précis, les plis
de son pantalon de flanelle grise. Il voit ces plis
comme des hiéroglyphes vivants qui représentent,
de quelque manière particulièrement infaillible, le
mystère insondable de l’être pur ... Les plis de mon
pantalon étaient chargés d’’istigheit’ ».
Huxley continue: « Ce que le reste d’entre nous ne
voit que sous l’influence de la mescaline, l’artiste
est équipé congénitalement pour le voir tout le
temps ».
Dans le dessin de contour pur, c’est la qualité des signes et leur caractère qui nous intéressent.
Ces signes, « ces hiéroglyphes vivants », sont la trace de nos perceptions. Ces dessins ne
contiennent aucune de ces maigres traces stéréotypées et vainement bavardes que produit le
fonctionnement hâtif de l’hémisphère gauche. A leur place, on trouve les marques riches,
profondes et intuitives que laissent les choses telles-qu’elles-sont, telles qu’elles existent
autour de nous,des marques qui profilent l’ « istigheit » des choses. Les «nageurs aveugles»
ont vu! Et voyant, ils ont plongé au coeur du dessin !
Travaux d’élèves : dessin de contour pur
Georgette Zuleski
Cami Berg
Pour moi, ces dessins sont la matérialisation visuelle d’un état de conscience propre au mode-
D. Comme s’est exclamée l’une de mes amies, l’écrivain Judi Marks, en voyant pour la
première fois un dessin de contour pur : « Personne, dans l’état d’esprit du cerveau gauche, ne
pourrait faire un tel dessin ! »
Commencez maintenant à dessiner, en respectant la méthode du dessin de contour pur.
Continuez de dessiner jusqu’à ce que la minuterie s’arrête. Vous pouvez évidemment vous
arrêter quand vous le voulez mais tâchez de dessiner pendant trente minutes sans vous
81
interrompre et sans regarder votre dessin. Si vous réussissez une conversion radicale vers le
mode-D, il se peut même que vous dessiniez sans interruption pendant une heure.
LE DESSIN DE CONTOUR MODIFIE
Maintenant que vous avez appris la manière d’accéder au côté droit de votre cerveau — le
moyen d’ouvrir les portes de la perception et d’entrer dans un état mental légèrement modifié,
caractéristique du fonctionnement de l’hémisphère droit — vous commencez à voir à la
manière de l’artiste et vous êtes presque prêt pour accomplir un dessin réaliste suivant la
méthode du « dessin de contour modifié ».
Travaux d’élèves : dessin de contour pur
Beth Glick
Judy Leventhal
Exercices supplémentaires
6a. Suivant fidèlement les instructions du dessin de contour pur, observez et dessinez une
fleur compliquée comme un iris, un chrysanthème, une rose, un géranium. Dessinez pendant
trente minutes.
6b. En respectant de nouveau les instructions du dessin de contour pur, dessinez un objet
naturel inanimé comme un coquillage, une pierre, ou un morceau de bois flotté. Cette fois
encore, choisissez un objet complexe. Dessinez pendant trente minutes.
6c. Chiffonnez un morceau de papier et dessinez-le par la méthode du dessin de contour pur.
Prenez si possible une heure pour faire ce dessin.
Mais avant d’entreprendre ce travail, faites les exercices 6a, b et c. Ne « sautez » pas ces
dessins. Sans eux, vous ne pourriez vivre totalement l’expérience de la conversion cognitive
vers le mode-D et vous ne pourriez vous familiariser avec l’état mental que suscite cette
conversion. Il vous aideront également à passer plus facilement au dessin de contour modifié.
Le dessin de contour modifié est exactement pareil au dessin de contour pur si ce n’est que
82
vous pouvez vous permettre de jeter un coup d’oeil de temps en temps sur votre dessin dans
le seul but de noter les rapports de surfaces, de longueurs ou d’orientation. Vous pourrez jeter
un bref regard sur votre dessin pour vérifier la direction d’un trait, des proportions. etc. tout en
restant capable d’exercer l’observation lente et minutieuse qui favorise la conversion
cognitive vers le mode-D.
Avant de commencer : Lisez toutes les directives.
1. Assurez-vous de disposer d’une demi-heure au moins sans interruption.
2. Installez-vous confortablement devant une table, cette fois dans la position de dessin
normale, comme à la figure 6-2. Fixez de nouveau votre feuille sur la table avec du papier
collant afin qu’elle ne tourne pas. Vous allez. cette fois encore, dessiner votre main que vous
placerez dans une position compliquée — les doigts entrelacés, serrés ou croisés, comme vous
voulez. Ce genre de position répond mieux aux fins de l’exercice que la main simplement
ouverte et à plat, parce que l’hémisphère droit semble préférer la complexité.
3. Gardez-vous de bouger la main ou la tête dès que vous aurez commencé le dessin — ne
tendez donc pas le cou pour voir une partie de votre main qui vous est dissimulée. Adoptez
une position et gardez-la. Nous ne voulons qu’une seule vue de votre main, pas une vue
multiple qui déformerait votre dessin.
Fig. 6-2. La position pour le dessin de contour modifié est la position habituelle du dessin.
4. Pour vous préparer au dessin, fixez votre
main du regard. Cela vous permettra de
déclencher la conversion cognitive vers le
Lors d’une conversation, le Professeur Elliot
Elgart de l’Université de Californie au
Département artistique de Los Angeles m’a
83
mode-D. Imaginez une ligne verticale et une
ligne horizontale près de votre main. Evaluez
l’angle que forme une ligne que vous
choisirez avec la verticale ou avec
l’horizontale. Regardez à présent votre
feuille
confié avoir souvent observé que les élèves
débutants confrontés pour la première fois à un
modèle couché, penchaient fortement la tête sur
le côté alors qu’ils dessinaient le modèle.
Pourquoi ? Pour voir le modèle dans la position à
laquelle ils sont accoutumés, c’est-à-dire la
position debout !
et imaginez l’angle tel qu’il serait s’il était dessiné sur le papier. Choisissez un espace, par
exemple l’espace entre deux doigts. Fixez-le du regard jusqu’à ce que vous en voyiez le côté,
là où il rencontre le côté de votre doigt. Essayez de reconnaître l’instant où votre esprit
exécute la conversion vers le mode-D.
5. Fixez des yeux un point quelconque du Contour. Vérifiez-en l’angle par rapport à la
verticale ou à l’horizontale. Regardez à présent votre feuille. A mesure que votre regard se
déplace lentement le long du contour, votre crayon dessine ce contour au même rythme.
Passez d’un contour à celui qui lui est adjacent. N’essayez pas de dessiner complètement le
contour extérieur puis les formes intérieures. Il est beaucoup plus facile de passer d’une forme
à celle qui lui est adjacente. Comme dans le dessin de contour pur, votre crayon reproduira
tous les côtés, prenant note des changements de direction les plus infimes et de chaque
ondulation du contour. C’est une démarche silencieuse. Ne parlez pas. Ne nommez pas les
parties de la main que vous dessinez. Vous travaillez avec des informations visuelles
uniquement; les mots sont inutiles. Il n’est pas nécessaire d’essayer d’établir des relations
logiques, car toutes les informations visuelles se trouvent là, sous vos yeux. Concentrez-vous
sur ce que vous voyez; évaluez silencieusement la longueur d’une ligne par rapport à une
autre ; la largeur d’une forme par rapport à une autre ; l’écartement d’un angle en le
comparant à un autre; et l’endroit d’où semble partir un contour par rapport à celui que vous
venez de dessiner.
6. Ne jetez un coup d’oeil à votre feuille que pour localiser un point ou pour vérifier des
proportions. Vous devez passer les quatre-vingt-dix pour cent de votre temps à scruter la main
que vous dessinez, tout comme pour la méthode du contour pur.
7. Quand vous arriverez aux o-n-g-l-e-s (nous ne nommons pas les choses, je vous le
rappelle), ne dessinez pas les ongles eux-mêmes mais bien les formes qui les entourent. De
cette manière vous éviterez que certains symboles infantiles refassent surface. Le cerveau
gauche ne dispose d’aucun nom pour les formes autour des ongles. D’ailleurs, si vous
éprouvez des difficultés avec un élément quelconque, passez à l’élément qui lui est adjacent
ou avec lequel il possède un côté en commun.
8. Rappelez-vous enfin que tout ce que vous devez savoir sur votre main pour faire votre
dessin — toutes les informations perceptuelles requises — se trouvent sous vos yeux. Votre
travail consiste simplement à reproduire tel quel le résultat de vos perceptions sous forme de
signes qui sont la trace de ces perceptions. Pour ce faire, il n’est pas besoin de penser.
Comme il vous suffit de percevoir, d’observer et de reproduire ce que vous voyez, le dessin
vous semblera facile. Vous vous sentirez confiant, détendu et absorbé, fasciné par l’aisance
avec laquelle tous les éléments s’assemblent comme dans un puzzle parfaitement conçu.
Commencez maintenant à dessiner. Dans quelques minutes vous serez passé à l’état mental
particulier du mode-D mais vous n’avez pas à y penser. Vous avez sciemment créé les
conditions pour que s’accomplisse la conversion, et elle se produira bientôt sans effort de
votre part. Le dessin de contour modifié, comme les autres exercices. est un travail que le
cerveau gauche refusera, libérant ainsi l’accès au mode de fonctionnement de l’hémisphère
droit.
84
Après avoir terminé : Repassez mentalement les stratégies de dessin que vous avez
utilisées, la sensation que suscite l’état de conscience propre au mode-D. la manière dont vous
avez conquis cet état d’esprit en établissant sciemment les conditions qui favorisent la
conversion cognitive.
Le premier dessin révélera peut-être certaines erreurs de proportions ou d’orientation. Les
exercices du chapitre suivant vous aideront à corriger ces défauts.
A ce stade, dessiner est comme apprendre à conduire une voiture. On apprend d’abord
séparément chaque opération — l’accélération, le freinage, l’utilisation des clignotants, la
vigilance à l’égard des autres véhicules, en face, derrière et sur les côtés. Lorsque vous avez
conduit pour la première fois, vous avez dû tout faire à la fois et coordonner des opérations
distinctes en une manoeuvre d’ensemble. La deuxième fois la tâche s’est avérée plus facile, la
troisième plus encore. Bientôt les techniques et les stratégies se sont intégrées en une
manoeuvre coordonnée.
Il en va de même pour le dessin. Il s’agit d’une technique d’ensemble qui requiert la
coordination d’un certain nombre de stratégies. A bref délai, ces stratégies deviendront aussi
automatiques que l’usage des freins ou de l’accélérateur ou des clignotants quand vous
conduisez.
Afin d’acquérir de la pratique et de l’assurance, faites soigneusement les exercices 6d à 6g
page 95. Avant de commencer chaque dessin, créez les conditions qui favoriseront la
conversion cognitive vers l’état de conscience particulier du mode-D. Point particulièrement
important: assurez-vous de disposer d’un laps de temps ininterrompu. Plus tard, vous serez
capable d’accomplir la conversion malgré les interruptions, bien que la plupart des artistes
recherchent la solitude pour dessiner.
TRAVAUX D’ELEVES
Dessin de contour modifié
Pour la plupart des dessins d’élèves suivants, les mains semblent avoir été dessinées par des
personnes expertes. Ces mains ont du relief, elles sont crédibles, authentiques. Elles semblent
faites de chair, de muscles et d’os. Les détails les plus subtiles comme la pression d’un doigt
sur un autre, la tension de certains muscles, le grain de la peau y sont reproduits.
L’ETAPE SUIVANTE : TROMPER LE MODE-G AVEC DES ESPACES VIDES
Jusqu’à présent. nous avons pu déceler certaines lacunes de l’hémisphère gauche: les images
en miroir (dessin du vase et des visages) le mettent en difficulté ; il ne peut opérer à partir
d’informations perceptuelles renversées (comme dans le dessin à l’envers du Stravinsky), il
refuse de traiter les perceptions lentes et complexes (comme dans le dessin de contour pur et
le dessin de contour modifié). Tirant parti de ces incompétences, nous avons donné une
chance à l’hémisphère droit de traiter les données visuelles à l’abri des interventions
tyranniques du cerveau gauche.
85
Le prochain chapitre visera à rétablir votre perception de l’unité des formes et des surfaces
dans la composition, faculté que vous possédiez déjà étant enfant. L’accent sera mis, dans ce
chapitre, sur les espaces négatifs.
Travaux d’élèves : dessin de contour modifié
Lori Stolze
Annette Ramirez
86
Pat Marovich
Fig. 6-3. Martha Kalivas
Fig. 6-6. Charlotte Doctor
Fig. 6-4. Georgette Zuleski
Fig. 6-5. Nora Thomas
87
Exercices supplémentaires :
Avant de commencer : Pendant cinq à dix minutes, faites un dessin de contour pur de
n’importe quel objet complexe afin de préparer la conversion cognitive vers le mode-D.
6d. Faites un second dessin de contour modifié en reproduisant une pomme de pin. Voyez à la
figure 6-3 l’exemple d’un dessin d’élève.
6e. Faites le dessin de contour modifié d’un sac de papier ordinaire, dans l’état ou dans la
position que vous voudrez. Voir figure 6-4.
6f. Faites le dessin de contour modifié d’un objet ménager quelconque — un fouet, un tire-
bouchon, un fer à repasser, un ouvre-boîte. Rappelez-vous que l’hémisphère droit semble
préférer la complexité. Voir figure 6-5.
6g. Faites le dessin de contour modifié de votre propre pied, déchaussé ou non. (Si vous voyez
également votre genou quand vous regardez votre pied, notez j comme il semble large par
rapport à la largeur de votre pied). Voir figure 6-6.
Après avoir terminé : Regardez vos dessins faits sur le mode-D. Prenez note des éléments qui
indiquent que vous étiez parfaitement « fixé » sur l’image sous vos yeux. Cela doit se refléter
dans la précision de vos perceptions. Tâchez de vous souvenir de votre état mental à ce stade
de votre dessin
89
La forme des espaces L’aspect positif des espaces négatifs
Fig. 7.1. Différents formats.
En dessin, le terme composition désigne la manière dont les
éléments d’un tableau sont disposés par l’artiste. Les
éléments de base d’une composition sont les formes
positives (les objets ou les personnages), les espaces négatifs
(les espaces vides), et le format (la longueur et la largeur
relatives des côtés qui limitent la surface dessinée). Pour
composer un dessin, l’artiste place et assemble les formes
positives et les espaces négatifs dans les limites d’un format
donné.
Le format détermine la composition. Autrement dit, la forme
de la surface dessinée (généralement une feuille de papier
rectangulaire) influence largement la manière dont l’artiste
dispose les formes et les espaces à l’intérieur des limites de
cette surface. Afin de vous en persuader, utilisez votre
mode-D et imaginez un arbre, un orme ou un pin, pourquoi
pas. A présent, disposez cet arbre dans chacun des formats
repris à la figure 7-1. Vous vous apercevrez qu'il faut
modifier la forme de l’arbre et de l’espace qui l’entoure pour
chaque format. Pour vous en assurer, il suffit d’imaginer
exactement le même arbre dans tous les formats. Vous vous
rendrez compte qu’une forme convenant à un format ne
convient pas à un autre.
Les artistes expérimentés ont compris l’importance de la
forme et du format. Les élèves débutants, par contre,
semblent curieusement négliger les limites du support. Etant
donné qu’ils consacrent presque exclusivement leur
attention aux objets et aux personnages qu’ils dessinent, ils
semblent considérer les bords du support comme inexistants,
et assimilent la feuille à l’espace qui entoure les objets réels
et qui n’a pas de limites.
Oublieux des limites de leur feuille de papier, qui arrêtent à
la fois les espaces négatifs et les formes positives, la plupart
des débutants commettent des erreurs de composition.
L’erreur la plus grave est l’absence d’unité entre les
composantes fondamentales : les formes et les espaces.
90
Fig. 7-2. Joan Miró. Personnages avec Etoile (1933). Avec l’aimable autorisation de
l’Art Institute of Chicago.
Fig. 7-3.
LES JEUNES ENFANTS COMPOSENT
AVEC LE FORMAT
Au chapitre 5, nous avons vu que les jeunes
enfants saisissent bien l’importance du format.
Ils ont conscience des limites du format et cette
donnée détermine la manière dont ils disposent
les formes et les espaces, leur permettant de
réaliser des compositions presque impeccables.
La composition d’un enfant de six ans reprise à
la figure 7-3 n’a rien à envier à la composition
de l’artiste Juan Miró à la figure 7-2.
Malheureusement, nous l’avons vu, cette
faculté se perd lorsque l’enfant approche de
l’adolescence, peut-être en raison d’une
dominance croissante de l’hémisphère gauche
et de sa prédilection pour l’identification, la
James Lord nous décrit la réaction de l’artiste
Alberto Giacometti face à un espace vide :
« II se remit à peindre une fois encore, mais
après quelques minutes il se tourna vers
l’endroit où s’était trouvé le buste, comme
pour l’examiner de nouveau, et s’exclama:
‘Oh, il n’est plus là!’ Comme je lui rappelais
que Diego l’avait emporté, il déclara: ‘Oui,
mais je croyais qu’il était là. J’ai regardé et.
soudain, j’ai vu le vide. J’ai vu le vide, C’est la
première fois que cela m’arrive ».
James Lord, A Giacometti Portrait
« Rien n’est plus réel que rien ».
Samuel Beckett
« L’intérieur d’une tasse ne vous serait jamais
d’aucune utilité sans l’extérieur. L’intérieur et
l’extérieur vont de pair. Ils sont un ».
Alan Watts
dénomination et la classification. Une concentration de l’attention sur les objets en particulier
semble se substituer à la vision globale de l’environnement chez le jeune enfant pour qui
chaque chose a son importance, y compris les espaces négatifs que sont le ciel, le sol et l’air.
91
Il faut souvent des années de pratique pour
convaincre les élèves comme les artistes
expérimentés le sont eux-mêmes. que les espaces
négatifs, limités par le format. exigent le même
effort d’attention et de soin que les formes
positives. Les élèves débutants prodiguent
généralement toute leur attention aux objets, aux
personnes, ou aux formes qu’ils dessinent puis se
contentent. si l’on peut dire, de « remplir le
fond ». Ceci peut vous paraître difficilement
« L’expression, pour moi, ne réside pas dans
la passion qui éclatera sur un visage ou qui
s’affirmera par un mouvement violent, Elle
est dans toute la disposition de mon tableau :
la place qu’occupent les corps, les vides qui
sont autour d’eux, les proportions, tout cela y
a sa part ».
Henri Matisse, « Notes d’un peintre »
croyable, mais lorsqu’on consacre toute son attention aux espaces négatifs, les formes se
dessinent d’elles-mêmes. Je vous le montrerai par des exemples bien précis.
Les citations du dramaturge Samuel Beckett et du philosophe Zen Alan Watts énoncent
clairement ce principe. En Art, comme le dit Beckett, rien n’est plus réel que rien (dans le
sens d’espace vide). Et comme le dit Alan Watts, l’intérieur et l’extérieur sont un. Vous avez
vu dans le dernier chapitre qu’en dessin, les objets et les espaces qui les entourent
s’assemblent comme les pièces d’un puzzle. Toutes les pièces sont importantes, et une fois
assemblées, elles remplissent la surface entière comprise entre les quatre côtés du jeu — c’est-
à-dire le format.
Fig. 7-4. Henri de Toulouse-Lautrec (1864-1901). Le Jockey. Avec l’aimable autorisation du Musée d’Art
de Cleveland. Collection de M. et Mme Charles Prasse.
92
Le dessin du jockey de Toulouse-Lautrec est un exemple
d’assemblage exact des formes et des espaces (figure 7-4),
ainsi que la nature morte de Paul Cézanne (figure 7-5) et la
Femme Nue de Dürer (figure 7-6).
DESSIN DES ESPACES NEGATIFS : QUAND LES
ESPACES PRENNENT FORME
Nous allons à présent exploiter une autre lacune du mode-G.
L’hémisphère gauche est mal équipé pour opérer à partir des
espaces négatifs. Il ne peut les nommer, les identifier, les
classer selon les catégories qu’il s’est établies, ou leur
assigner des symboles tout faits. Il semble effectivement que
les espaces négatifs perturbent le cerveau gauche qui refuse
de s’en occuper. Ce travail est donc relégué au cerveau droit
et c’est précisément ce que nous souhaitons !
Fig. 7-6. Albert Dürer (1471-1528). Femme Nue avec un Bâton
(1508). Avec l’aimable autorisation de la National Gallery of
Canada à Ottawa. Les formes négatives qui entourent le personnage
présentent des dimensions et des configurations d’une merveilleuse
variété.
Le cerveau droit, plus éclectique, plus complaisant, plus démocratique (au sens figuré) semble
à l’aise avec les espaces négatifs. Dans le cerveau droit, les espaces et les objets, le connu et
l’inconnu, l’identifié et l’anonyme, tout est égal. Tout l’intéresse et plus l’information visuelle
qui frappe la rétine est étrange et complexe et plus elle lui plaît.
Essayons de nous en rendre compte. Nous commencerons avec des objets, pour ne pas heurter
le mode-G dès le départ.
Fig. 7-7.
Fig. 7-8.
1. Sur une feuille de papier, dessinez de grandes formes : deux étoiles de mer, trois pipes, des
instruments de musique, quelques formes abstraites, ou n’importe quel objet. Ce sont les
formes positives. Regardez l’exemple des étoiles de mer à la figure 7-7. Faites en sorte que les
formes positives touchent les bords du format en deux endroits au moins, comme le montre
l’exemple. Les espaces autour de l’étoile sont les espaces négatifs.
93
2. Pour bien vous imprégner de l’idée qu’en dessin les espaces sont considérés comme des
formes en soi, repassez le dessin avec votre crayon consciemment et délibérément, pour
souligner fortement la forme des espaces, y compris les bords du papier, qui composent
également la forme de l’espace négatif.
3. Fixez à présent votre regard sur l’une de ces surfaces renforcées jusqu’à ce qu’elle vous
apparaisse comme une forme. Cela prend un certain temps. Le cerveau gauche face à une
forme qui n’a pas de nom l’examine attentivement pendant un long moment, essayant de
l’identifier. Incapable d’assimiler cet espace à une chose connue, il finit par se désister : « Je
ne sais pas ce que c’est. Ce genre de chose est sans intérêt pour moi et si tu veux continuer de
la regarder, tu (le cerveau droit) devras t’en occuper, Ca ne m’intéresse pas ». Très bien !
C’est justement ce que nous voulons. Continuez de fixer l’un de ces espaces, et il vous
apparaîtra comme une forme.
4. Noircissez les espaces à l’aide d’un crayon ou d’une plume, comme à la figure 7-9, afin de
renforcer d’avantage votre vision des espaces négatifs en tant que formes. Encore une fois,
fixez votre regard sur ces formes, l’une après l’autre,jusqu’à ce que vous puissiez les voir en
tant que telles.
5. Ensuite, à l’aide de ciseaux, découpez les espaces négatifs. Prenez-les. Voyez-les comme
des formes. Tournez-les de différentes manières. Ensuite, avec de la colle ou du papier
collant, assemblez-les de nouveau avec les formes positives sur une nouvelle feuille de papier,
si possible de couleur différente. Etant donné que les espaces négatifs partagent les côtés des
formes positives, les pièces découpées qui forment les espaces négatifs, lorsqu’elles sont
recollées à leur place, construisent également la forme positive.
Il s’agit d’un point important de l’exercice. Comme vous l’avez appris par le dessin de
contour, les formes positives et les espaces négatifs se partagent les mêmes côtés. Si vous
dessinez l’un, vous dessinez inévitablement l’autre. Vérifiez encore une fois mentalement ce
principe. Regardez un objet — les ciseaux que vous venez d’utiliser, par exemple. Si vous
dessinez la forme des espaces à l’intérieur des branches, les bords de ces espaces négatifs
forment également les bords intérieurs des branches elles-mêmes.
Fig. 7-9.
Fig. 7-10.
94 Fig. 7-5.
Paul Cézanne (l839-1936),Le Vase de Tulipes. Avec
l’aimable autorisation de l’Art Institute of Chicago.
En plaçant la forme positive de sorte qu’elle touche
le bord du format en plusieurs endroits, Cézanne a
fermé et séparé les formes négatives, ce qui
contribue autant que les formes positives elles-
mêmes à la valeur et à l’équilibre de la composition.
Le poète John Keats a écrit que pour comprendre la
poésie, il fallait vouloir se transposer dans un état
d’esprit particulier, qu’il appelait « negative
capability »*. Selon lui, cet état d’esprit permet de
tolérer l’incertitude, le mystère et le doute sans
ressentir le besoin agacé des faits et de la raison.
*N.d.T. Capacité négative.
Une analogie
Fig. 7-11
Fig. 7-12.
95
Laissez-moi vous expliquer cela autrement. Vous avez probablement déjà vu des dessins
animés au cinéma ou à la télévision où l’un des personnages — Bugs Bunny, par exemple —
court le long d’un couloir et passe au travers d’une porte fermée, y laissant un trou en forme
de Bugs Bunny. Représentez-vous ce paradoxe apparent : ce qui reste de la porte, c’est
l’espace négatif et le bord intérieur de cette forme est à la fois le bord de l’espace négatif et le
contour de la forme positive (Bugs Bunny). Autrement dit, le trou vide et la porte matérielle
se partagent le même contour et en dessinant l’un, vous dessinez l’autre.
Regardez maintenant un meuble dont les espaces sont ouverts—un tabouret, un fauteuil à
bascule, un pupitre, une chaise à bâtons dont le dossier est formé de barreaux. Imaginez-vous
que — pouf! — la chaise est partie, laissant des espaces négatifs intacts et concrets.
En gardant cette image à l’esprit, regardez maintenant l’un des espaces intérieurs indiqués par
des flèches aux figures 7-11 et 7-12. Fixez-le jusqu’à ce que cet espace vous apparaisse
comme une forme. Rappelez-vous que cette vision ne se produit qu’après un certain temps. Il
est probable que l’hémisphère gauche examinera cet espace, considérera l’information comme
inappropriée à son style de fonctionnement et reléguera le travail à l’hémisphère droit.
Entraînez-vous à percevoir les espaces négatifs des objets plusieurs fois au moins, passant
d’un espace à l’autre, et attendez que la forme de l’espace apparaisse à vos yeux — attendez
de percevoir l’espace comme une forme.
UTILISATION D’UN VISEUR : LE CADRAGE
Nous allons à présent délimiter la perception de l’ensemble —
forme positive et espace négatif à l’intérieur du format— en
utilisant un aide visuel appelé viseur.
Construisez un viseur de la manière suivante :
1. Prenez une feuille ou un carton mince de mêmes
dimensions que la feuille que vous utilisez pour dessiner. Le
viseur doit avoir le même format, c’est-à-dire la même forme
et les mêmes proportions que votre feuille à dessin.
2. Tracez les diagonales, partant des coins opposés et se
joignant au centre. Au centre de la feuille, dessinez un petit
rectangle en reliant deux verticales et deux horizontales en
quatre points situés à égales distances sur les diagonales. Ce
Fig. 7-13.
rectangle intérieur devrait avoir des côtés de 2,5 cm et 3 cm (voir figure 7-13) pour respecter
les proportions de la feuille.
3. Découpez ensuite le petit rectangle central à l’aide de ciseaux. Tendez la feuille devant
vous et comparez la forme de la petite ouverture avec le format général. Vous constatez que
les deux formes sont les mêmes, et que, seules, leurs dimensions diffèrent. Cet aide visuel
s’appelle un viseur. Il vous aidera à voir les espaces négatifs en délimitant l’espace qui
entoure la forme.
96
Fig. 7-14. François Boucher (1703-1770), Nu assis. Avec l’aimable autorisation du Rijksmuseum, Amsterdam.
4. Tenez votre viseur devant vous, fermez un oeil (ou cachez-le d’une main) et regardez une
chaise à travers l’ouverture. Il se peut que vous deviez déplacer le viseur vers vous ou vers
l’objet, afin d’encadrer ce dernier de manière à le voir au maximum. Déplacez le viseur
jusqu’à ce que la chaise touche les bords en deux points au moins (figure 7-15).
5. Dirigez à présent votre regard vers l’un des espaces négatifs qui entourent la chaise et
attendez qu’il vous apparaisse comme une forme ainsi que vous l’avez fait pour dessiner les
étoiles de mer.
6. Maintenant, imaginez que la chaise disparaît et que, comme dans le dessin animé où Bugs
Bunny passe à travers une porte, seuls subsistent les espaces négatifs en tant que formes. C’est
ce que vous allez dessiner : les espaces négatifs. Je montrerai tout d’abord quelques exemples
et puis j’expliquerai pourquoi cette technique est tellement efficace et pourquoi elle est tant
appréciée des artistes.
Fig. 7-15.
Fig. 7-16.
97
Exercice supplémentaire :
7a. Entraînez-vous à voir les espaces négatifs en découpant une photographie dans une revue,
ou la photocopie d’un dessin de maître, comme le nu de Boucher à la Figure 7-14.
Réassemblez uniquement les pièces figurant les espaces négatifs, en les collant sur une feuille
de papier noir. Comme vous le constatez, les espaces négatifs forment le personnage parce
qu’ils partagent les mêmes côtés que le personnage.
Un paradoxe : dessiner quelque chose en dessinant le vide
Vous remarquerez qu’aucune ligne descriptive intérieure n’est reprise dans les figures 7-16 et
7-19. La représentation semble pourtant complète car la chaise elle-même et les espaces
négatifs qui l’entourent se partagent le même contour. Quand on dessine la forme des espaces
négatifs, on dessine inévitablement l’objet, et, qui plus est, on le dessine facilement. Et
lorsqu’on accorde autant d’importance aux espaces négatifs qu’aux formes elles-mêmes, le
dessin devient également plus agréable à regarder. En effet, on résout de cette manière le
problème de la composition : on réalise l’unité des espaces et des formes en accordant une
importance égale à chaque « pièce du puzzle » à l’intérieur des limites du format.
Pourquoi le dessin est-il plus facile lorsqu’on dessine la forme des espaces négatifs ? Je pense
que le cerveau gauche, incapable de nommer ou de classer un espace négatif, cesse d’imposer
ce qu’il connaît de la chaise et laisse le cerveau droit prendre le relais. Le problème, quand
nous dessinons une table ou une chaise, ou tout autre objet que nous serions susceptibles de
dessiner, est que nous les connaissons trop bien. Nous savons que le dessus d’une table est
plat et rectangulaire (ou rond, ou ovale) ; les pieds sont tous de la même longueur; l’assise des
chaises est plate et perpendiculaire au dossier ; elle est suffisamment large et longue pour
qu’on y soit confortablement assis, les pieds sont tous de la même longueur, etc.
Quand un élève débutant se met à dessiner une chaise ou une table, les connaissances verbales
et analytiques de mode-G préalablement accumulées contredisent les informations visuelles
qui parviennent au cerveau. Les tables et les chaises vues sous un angle oblique peuvent ne
présenter, visuellement, aucune des caractéristiques que nous leur attribuons : les angles droits
apparaissent comme des angles aigus ou obtus, les cercles ressemblent à des ovales ou se
présentent comme des lignes droites, les pieds semblent être de trois ou quatre longueurs
différentes, comme le montre la figure 7-16.
C’est pourquoi l’élève essaie de résoudre le problème des tables et des chaises de deux
manières différentes ; il utilise deux sources d’informations contradictoires et un conflit
s’engage. Reprenez à présent le dessin préliminaire que vous avez fait d’une chaise. Peut- être
trouvez-vous dans ce dessin la trace de vos efforts pour tenter de réconcilier ce que vous
connaissiez des chaises et ce que vous en voyiez.
LE CONFLIT COGNITION – PERCEPTION
Aux figures 7-17 et 7-18 les deux dessins d’élèves représentant un projecteur de diapositives
sur un chariot illustrent graphiquement ce conflit et la manière de le résoudre. Dans le premier
dessin, à la figure 7-17, l’élève a éprouvé de grandes difficultés pour réconcilier les
98
Fig. 7-17.
Fig. 7-18. Robert Dominguez
connaissances qu’il avait acquises sur ce que les objets « étaient censés paraître » et ce qu’il
en voyait réellement. Remarquez que dans ce dessin les pieds du chariot sont tous de la même
longueur et que les roues sont figurées par un symbole. Lorsque l’élève s’est mis à dessiner
sur le mode-D, en s’aidant d’un viseur et en ne dessinant que la forme des espaces négatifs.
les résultats ont été nettement plus brillants (figure 7-18). Le passage de l’information visuelle
s’est apparemment fait plus librement : le dessin est plus assuré et semble fait avec plus
d’aisance. Et de fait, l’élève a réalisé ce dessin avec une grande facilité parce qu’il avait réussi
à se jouer de son hémisphère gauche et à lui imposer le silence.
Le fait n’est pas que les informations visuelles obtenues en regardant les espaces négatifs
plutôt que les objets eux-mêmes soient moins complexes et plus faciles à dessiner. Après tout.
le contour des espaces négatifs est le même que celui de la forme elle-même. Mais en
observant les espaces, nous libérons le mode—D de la domination du mode-G. Autrement dit,
en nous concentrant sur les informations qui ne conviennent pas au mode de fonctionnement
du cerveau gauche, nous arrivons à « débrancher » le mode-G et le travail est relégué à
l’hémisphère compétent pour le dessin, à savoir l’hémisphère droit. A ce moment, le conflit
cesse et, grâce au mode-D, le cerveau traite avec aisance les informations spatiales et
relationnelles.
PRENEZ UNE CHAISE - VOUS POUVEZ COMMENCER
Vous êtes prêt, à présent, pour dessiner vous-même une chaise en utilisant la méthode des
espaces négatifs.
Avant de commencer : Lisez toutes les instructions spécifiques suivantes.
99
1. Choisissez la chaise que vous allez dessiner. Utilisez une chaise réelle, pas une
photographie.
Lors d’une conversation avec son ami André Marchand, Henri
Matisse a décrit le processus qui permet de changer de mode de
perception en passant d’une manière de voir à une autre :
« Savez-vous que l’homme n’a qu’un oeil, qui regarde et
enregistre tout, cet oeil, comme un superbe appareil
photographique, fabrique de minuscules clichés très précis, tout
petits : en possession de ce cliché, l’homme se dit : cette fois je
connais la réalité des choses et le voilà tranquille pour un
instant, puis lentement se superposant à ce cliché un autre oeil
surgit, invisible, qui, lui, fabrique de toutes pièces un autre
cliché. Alors, notre homme n’y voit plus clair, un combat
s’engage entre le premier oeil et le deuxième oeil, la lutte est
acharnée, finalement le deuxième oeil a le dessus, fait
prisonnier le premier oeil, sans discussion au poteau : dominant
la situation, le deuxième oeil peut continuer désormais son
travail, élaborer son propre tableau selon les lois de la vision
intérieure, cet oeil unique se trouve ici » (et Matisse montre le
sommet de son crâne).
Marchand n’a pas précisé quel côté de son cerveau Matisse
avait montré.
J. Flam, Matisse on Art
Fig. 7-19.
2. Elevez votre viseur (en vous référant à la figure 7-15) et regardez la chaise à travers
l’ouverture en fermant un oeil ou en le couvrant. (En fermant un oeil, on aplanit l’image car
on limite la vue à une image monoculaire, c’est-à-dire une image unique. La vision
binoculaire — avec les deux yeux ouverts — produit une image double nous permettant de
percevoir les formes en trois dimensions.) Si cela vous gêne de regarder avec un oeil fermé,
ne vous préoccupez pas de ce détail. Vous y arriverez très bien avec les deux yeux ouverts. II
est simplement un peu plus facile de dessiner une image plane, vue d’un seul oeil, sur la
surface plane de la feuille. La plupart des artistes utilisent ce procédé, du moins à certaines
occasions.
3. Cadrez la chaise en vous aidant du viseur de sorte qu’elle touche les bords de l’ouverture en
deux points au moins.
4. Regardez longuement l’image toute entière comme si vous vouliez la mémoriser, pour la
fixer dans votre esprit.
5. Regardez ensuite la feuille sur laquelle vous allez dessiner. Visualisez la forme positive de
la chaise sur le papier exactement telle que vous l’avez perçue dans le viseur.
6, Regardez maintenant à travers le viseur. Fixez des yeux l’espace négatif qui se trouve d’un
côté de la chaise. Attendez qu’il vous apparaisse comme une forme. Regardez à présent votre
feuille et imaginez la forme sur le papier, en vous rappelant que les bords du viseur
correspondent aux bords de votre feuille.
7. Votre tâche consiste maintenant à dessiner uniquement les espaces, l’un après l’autre. Vous
pouvez dessiner tous les espaces extérieurs puis tous les espaces intérieurs, ou vice versa.
Vous pouvez commencer par où vous voulez parce que toutes les formes vont s’assembler à la
manière des pièces d’un puzzle. Vous n’avez aucune question à vous poser au sujet de la
chaise. En fait, vous n’avez pas à penser du tout à la chaise. Et ne vous demandez pas
100
pourquoi tel côté d’un espace se dispose de telle manière. Dessinez simplement ce que
vous voyez.
Fig. 7-20.
Fig. 7-21.
8. Si le côté d’un espace est oblique,
demandez-vous quel angle forme ce côté par
rapport au bord du viseur qui représente la
verticale. Ensuite, en vous référant au bord de
votre feuille comme représentant la même
verticale, tracez le côté en formant l’angle tel
que vous le voyez.
Laissez-moi vous expliquer ce point qui est
très important. Supposons qu’à travers le
viseur vous voyiez que le côté d’un espace
négatif forme un certain angle par rapport au
bord du viseur, comme à la figure 7-20. Sur
votre feuille à dessin, vous dessinerez ce côté
de l’espace négatif de sorte qu’il forme le
même angle par rapport au bord de votre
feuille (figures 7-21 et 7-22). En d’autres
mots, les bords de votre viseur et les bords de
votre feuille représentent la verticale et
l’horizontale telles que vous les percevez
dans le monde réel.
Fig. 7-22.
9. Plus loin dans le dessin, vérifiez les horizontales de la même manière : quel angle forme ce
côté par rapport à l’horizontale (c’est-à-dire le bord supérieur ou inférieur du viseur et de
votre feuille à dessin) ?
101
10. Encore une fois, pendant que vous dessinez, tâchez de prendre mentalement note de la
sensation que suscite ce nouvel état de conscience — la perte de toute notion du temps, le
sentiment de « se fixer» sur l’image, et la merveilleuse sensation de fascination devant la
beauté des perceptions. Au cours de ce processus, les espaces négatifs vous sembleront
toujours plus intéressants par leur étrangeté et leur complexité. Si vous éprouvez des
difficultés pour une quelconque partie du dessin, demandez-vous « Quelle est la forme (ou
l’orientation, ou la longueur) de cet espace ? » et attendez de la percevoir à la manière du
mode-D. De nouveau, rappelez-vous que tout ce que vous devez savoir pour faire ce dessin se
trouve devant vous, à votre portée.
Après avoir terminé : pour acquérir plus de dextérité dans l’utilisation des espaces négatifs,
poursuivez avec les exercices 7b-f, page 112.
TRAVAUX D’ELEVES - Chaises en tous genres
Les dessins réalisés par la méthode des espaces négatifs sont d’un attrait surprenant, même
lorsque les formes positives sont des objets aussi terre à terre que des chaises d’école. On peut
supposer que cette méthode est aussi efficace dans la mesure où elle permet d’élever à un
niveau conscient l’unité entre formes positives et espaces négatifs. Une autre raison viendrait
du fait que cette technique établit une répartition particulièrement intéressante de la surface
entière comprise dans le format. Les dessins d’élèves ci-dessous présentent cette intéressante
distribution formes/espaces.
Le dessin vous apprendra à voir clairement les choses et de là, il vous apprendra à envisager
lucidement les problèmes quels qu’ils soient et voir les choses dans leur juste perspective. Au
cours du chapitre suivant, nous tenterons de saisir les rapports de perspective à la manière de
l’artiste et cette technique vous sera utile pour résoudre autant de questions qui puissent vous
venir à l’esprit.
Georgete Zuleski
Ricardo da Graça
103
Exercices supplémentaires
7b. En vous aidant d’un viseur pour cadrer l’image, dessinez les espaces négatifs dune plante,
de forme complexe si possible (Voir figure 7-23).
7c. En délimitant la forme à l’aide d’un viseur, dessinez les espaces négatifs d’un objet
ménager ordinaire :un fouet, une planche à repasser. un ouvre-boîte (Voir figure 7-24).
7d. Dessinez les espaces négatifs d’un personnage à partir d’une photographie. Essayez de
trouver un sujet dans une position dynamique compliquée : un joueur de football, une
danseuse classique, un ouvrier de la construction, une personne en train de bêcher, etc. Dans
ce dessin, vous combinerez deux méthodes: Placez la photo la tête en bas et dessinez les
espaces négatifs, Les bords extérieurs de la photo limitent les formes et les espaces. Assurez-
vous d’utiliser le même format pour votre dessin — la même forme toutes proportions
gardées — que la photographie (Voir figure 7-25).
e. Observez la manière dont Winslow Homer a utilisé les espaces négatifs dans son dessin
d’un enfant dans un fauteuil. Essayez de copier ce dessin (Voir figure 7-26).
7f. Copiez le dessin de Pierre-Paul Rubens. Etudes de Bras et de Jambes (Figure 7-27).
Retournez l’original et dessinez les espaces négatifs. Replacez alors le dessin à l’endroit et
complétez par les détails intérieurs des formes. Ces formes en raccourci « difficiles » se
dessinent plus facilement lorsqu’on concentre son attention sur les espaces qui les entourent.
Fig. 7-23. Ed. Gonzales
Fig. 7-24, Fay Conn
104
Fig. 7-25, Urban Dean Bury
Fig. 7-26. Winslow Homer (1836-1910), Child
Seated in a Wicker Chair (1874). Avec l’aimable
autorisation du Sterling and Francine Clark Art
Institute.
Fig. 7-27. Pierre-Paul Rubens (1577-1640). Etudes
de Bras et de Jambes. Avec l’aimable autorisation
du Musée Boymans-Van Beuningen, Rotterdam.
106
Coup d’oeil a la ronde : la perspective sur un mode nouveau
L’une des premières étapes dans la résolution d’un problème consiste à identifier les éléments
en jeu et à considérer les choses dans une certaine « perspective ». Pour ce faire, il faut être
capable de percevoir les différents aspects d’un problème dans leurs rapports véritables et
dans leur importance relative réelle.
Pour dessiner les choses en perspective, il suffit d’employer le procédé que vous venez
d’apprendre : il faut voir les choses telles qu’elles sont dans la réalité qui nous entoure. Dans
les deux cas, nous devons abandonner nos préjugés, les stéréotypes accumulés et mémorisés,
ainsi que notre tournure d’esprit. Nous devons surpasser nos interprétations fausses, qui se
fondent souvent sur ce que nous croyons devoir trouver devant nous alors que nous n’avons
peut-être jamais vraiment bien regardé ce que nous avions juste sous les yeux.
Des siècles durant, les artistes ont recherché la manière de représenter le monde en trois
dimensions sur la surface plane de leurs dessins ou de leurs tableaux. Les différentes
civilisations ont établi diverses conventions ou systèmes de perspectives. Le terme
« perspective » vient du latin prospectus qui signifie « envisager ». Le système qui nous est le
plus familier, la perspective linéaire, fut perfectionné par les artistes de la Renaissance. La
perspective linéaire leur permettait de reproduire les variations visuelles des lignes et des
formes telles qu’elles apparaissaient dans l’espace.
Fig. 8-1. Albert Dürer, Le Dessinateur de la femme couchée (1525). Avec l’autorisation du Metropolitan
Museum of Art, New York. Don de Felix M. Warburg, 1918.
Dans d’autres civilisations — les civilisations égyptienne et orientale, par exemple — les
artistes avaient créé un système de perspective en escalier ou en gradin dans lequel la place
occupée par l’objet depuis le bord inférieur jusqu’au bord supérieur du tableau figurait la
position de cet objet dans l’espace. Dans ce système, que les enfants utilisent souvent, les
formes qui figurent tout au-dessus de la page — quelle que soit leur taille — sont considérées
comme les plus éloignées. Plus récemment, les artistes se sont insurgés contre les conventions
rigides de la perspective et ont imaginé de nouveaux systèmes qui exploitent les qualités
spatiales abstraites des couleurs, des textures, des lignes et des formes.
La perspective traditionnelle de la Renaissance, quant à elle, se conforme très étroitement à la
façon dont la civilisation occidentale perçoit les objets dans l’espace. D’après notre perception
visuelle, les lignes parallèles convergent en certains points situés à l’infini sur une ligne
d’horizon (au niveau des yeux de l’observateur) et les formes semblent décroître à mesure
qu’elles s’éloignent de l’observateur. C’est pourquoi le dessin réaliste dépend largement de
ces principes. L’eau-forte de Dürer (figure 8-l) illustre ce système de perception visuelle.
107
LE PROCEDE DE DÜRER
Dans l’illustration de Dürer, l’artiste,
maintenant la tête dans une position constante
(à noter, le repère vertical qui concrétise le
point de vue), regarde à travers une grille
dressée devant lui. L’artiste observe son
modèle d’un point de vue qui raccourcit sa
perception visuelle, c’est-à-dire un point de
vue à partir duquel l’axe principal du
personnage qui le traverse de la tête aux
pieds, coïncide avec le rayon visuel de
l’artiste. De ce point de vue, les parties du
personnage les plus éloignées (la tête et les
épaules) paraissent plus petites qu’elles sont
en réalité, et les parties les plus proches (les
genoux et le bas des jambes) semblent plus
grands.
Fig. 8.2. Ce que voyait Dürer, approximation.
Sous les yeux du dessinateur de Dürer, posée sur une table à dessin, se trouve une feuille de
mêmes dimensions que la grille, quadrillée de manière identique. L’artiste dessine sur le
papier ce qu’il perçoit à travers la grille, en ajustant minutieusement sur son dessin les angles,
les courbes et la longueur des lignes par rapport aux verticales et aux horizontales de la grille.
S’il dessine exactement ce qu’il voit, il reproduira sur le papier une vision en raccourci du
modèle. Les proportions, les formes et les dimensions seront en contradiction avec ce que
l’artiste connaît des proportions, formes et dimensions réelles du corps humain ; mais seule la
reproduction des proportions fausses qu’il perçoit lui permettra de réaliser un dessin fidèle à
la réalité.
Que voyait Dürer à travers sa grille ? J’ai schématisé une vue approximative (figure 8-2). Si
vous observez l’image dans le détail, vous remarquerez que la plupart des formes ne
correspondent pas à ce que nous connaissons de la configuration anatomique de l’être humain.
Mais en considérant l’ensemble, nous interprétons les traits dans leur signification
tridimensionnelle, comme un personnage vu dans l’espace à partir d’un point de vue donné.
Nous ne remarquons pas de déformation parce que nous ajustons mentalement l’image pour
qu’elle corresponde à ce que nous connaissons.
Le problème que pose l’utilisation du raccourci en dessin vient du fait que la rectification
mentale de nos perceptions visuelles interfère avec le dessin et que nous avons tendance à
dessiner les choses telles que nous les connaissons et non telles que nous les voyons. Le
procédé de Dürer était précisément conçu pour remédier à cette difficulté: en utilisant une
grille et un point de vue fixe, il s’obligeait à dessiner la forme exactement telle qu’il la voyait,
avec ses « fausses » proportions.
Le mérite de la perspective de la Renaissance fut donc de codifier et de systématiser une
méthode pour surpasser la connaissance qu’a l’artiste des surfaces et des formes, et de lui
donner le moyen de dessiner les formes telles qu’elles apparaissent à l’oeil — y compris les
déformations optiques dues à la position de la forme dans l’espace par rapport à l’oeil de
l’observateur.
Cette méthode a donné d’excellents résultats et a permis de résoudre le problème que se
posaient les artistes soucieux de créer une illusion de profondeur sur une surface plane —
108
autrement dit, de recréer le monde visible. Le simple procédé de Dürer évolua vers un
système mathématique compliqué qui permettait aux artistes de la Renaissance de vaincre la
résistance que leur esprit opposait à la déformation optique des choses et qui les empêchait de
dessiner avec réalisme.
Mais ce système ne va pas sans poser de problèmes. Pour être suivie à la lettre, la perspective
linéaire exige un point de vue fixe, or les artistes ne dessinent pas avec la tête maintenue dans
une position rigide. De plus, une application rigoureuse des règles de la perspective peut
donner lieu à des dessins rigides et austères.
Toutefois, le problème le plus sérieux de la perspective linéaire vient de son étroite relation
avec le cerveau gauche. Ce système relève du mode de fonctionnement de l’hémisphère
gauche : analyse, comptage, intelligence discursive, logique propositionnelle, calcul mental. Il
se fonde sur des concepts tels que la ligne de fuite, la ligne d’horizon (voir figure 9-3), la
perspective de cercles et d’ellipses, et d’autres encore. Ce système détaillé et compliqué
s’oppose radicalement au style du mode-D et à son caractère extatique « mi-dérisoire, mi-
sérieux ».
Heureusement, une fois la perspective comprise dans ses termes généraux, on peut
l’abandonner. En effet, si vous arrivez à voir de la manière prescrite dans ce cours, alors vous
n’aurez plus besoin du tout de la perspective.
LA VISEE : EVALUATION DES ANGLES PAR RAPPORT AUX BORDS DE LA
FEUILLE
De nos jours, les artistes n’utilisent
plus guère le système de la
perspective, même pour le dessin
réaliste. La déformation due à la
position des objets dans l’espace est
perçue visuellement et la plupart des
artistes dessinent « à vue » —
employant une méthode plutôt qu’un
système. La méthode qui consiste à
dessiner « à vue » s’appelle visée.
La visée est un procédé par lequel on
compare les rapports d’angles, de
points, de formes et d’espaces. La
visée est une perspective visuelle,
l’information optique étant
directement perçue par l’oeil et
dessinée par l’artiste sans
rectification. La visée n’exige ni
équerre, ni T, ni règle, ni rapporteur.
Tout ce dont vous avez besoin est un
crayon et du papier. La seule
condition supplémentaire est d’impo-
ser le silence au mode-G qui restera
hors du jeu et qui ne protestera pas
lorsque vous dessinerez les choses
telles qu’elles vous apparaissent et
non d’après ce que vous en savez.
Fig. 8-3. Illustration de la perspective classique. Notez
que les lignes verticales restent verticales ; les côtés
horizontaux convergent vers un point de fuite (ou
plusieurs) situé sur la ligne d’horizon (qui se trouve
toujours au niveau des yeux de l’artiste). Il s’agit d’une
perspective unique dans un espace réduit. Les
perspectives à deux ou trois points de fuite sont des
systèmes complexes dont les points de fuite multiples
débordent souvent largement du cadre de la feuille et qui
exigent l’utilisation d’une grande table à dessin,
d’équerres en T, de lattes. etc. La visée sur le mode-D est
beaucoup plus commode et suffisamment précise pour la
plupart des dessins.
D’après le Professeur d’Art Graham Collier, dans les
premiers temps de sa conception et de son évolution, la
perspective de la Renaissance était utilisée de manière
créative et imaginative pour rendre au tableau ce qui
devait être une terrifiante impression de profondeur.
« Cependant, aussi efficace soit-elle », ajoute Collier, « la
perspective peut porter un coup fatal à la vision naturelle
de l’artiste une fois qu’elle est acceptée comme un
système — comme une formule mécanique ».
Graham Collier, Form Space and Vision
109
Au chapitre 5, j’ai expliqué que la plupart des élèves débutants avaient tendance à négliger
les bords de leur feuille comme s’ils étaient inexistants ou presque. Pourtant, les bords de la
feuille sont un élément-clé de la perspective et ils vous permettront de reproduire sur la
surface plane du dessin les formes tridimensionnelles que vous avez sous les yeux.
Les bords de la feuille représentent la verticale et l’horizontale. Comme vous l’avez vu au
chapitre 5, les jeunes enfants comprennent intuitivement ce principe. Dans les dessins
d’enfants, le sol c’est le bord inférieur de la feuille et le ciel c’est le bord supérieur. Si quelque
chose s’élève dans l’air, comme une échelle ou un building, par exemple, l’enfant le dessine
parallèlement aux bords latéraux de sa feuille.
L’artiste adulte utilise les bords de la feuille d’une manière
différente ; il ne les considère pas en tant que bords
supérieur, inférieur ou latéraux, mais plutôt comme les
délimitations de l’image et comme les repères de verticalité
et d’horizontalité, repères par rapport auxquels il est
possible d’évaluer les angles de perspective et l’orientation
des lignes. La technique consiste à employer le mode-D
pour évaluer les angles ou l’orientation des lignes par
rapport à la verticale et à l’horizontale et à dessiner ensuite
les mêmes angles et des lignes pareillement orientées par
rapport aux bords de la feuille, qui représentent la verticale
et l’horizontale.
Il vous faut à présent pratiquer l’exercice suivant pendant un
moment. Tenez votre crayon parfaitement à la verticale.
Fermez un oeil et évaluez l’orientation de l’un des côtés
d’un objet, une chaise, par exemple,par rapport à la
Fig. 8-4.
verticale de votre crayon (voir figure 8-4). Dessinez ensuite ce côté sur une feuille en vous
référant au bord vertical de cette feuille (figure 8-5).
Maintenant, tenez votre crayon bien hori-
zontalement sur un plan parallèle à vos yeux.
(Tendez votre crayon horizontalement des deux
mains afin de le maintenir parallèle à vos yeux).
Fermez un oeil et observez une autre partie de la
chaise par rapport à l’horizontale de votre crayon
(voir figure 8-6). Cette autre partie peut être
horizontale, comme dans notre illustration, ou, selon
votre point de vue, elle peut former un angle par
rapport à l’horizontale (voir figure 8-7). Quoi
« Pour paraphraser la remarque
d’Eugène Delacroix sur l’étude de
l’anatomie, il faudrait apprendre la
perspective — et l’oublier ensuite. Ce
qu’il en reste — une sensibilité à la
perspective — facilite la perception et
varie selon les individus et leurs besoins
réactifs ».
Nathan Goldstein, The Art of Responsive
Drawing
qu’il en soit, vous êtes capable maintenant de dessiner le même angle par rapport au bord
supérieur ou inférieur de votre feuille. Afin de bien vous pénétrer de ce principe, faites les
exercices 8a et b.
110
Fig. 8-5.
Fig. 8-6.
Fig. 8-7.
La visée dans le dessin de personnage
Cette technique qui consiste à utiliser les bords de la feuille comme repères de verticalité et
d’horizontalité pour mesurer les angles est tout aussi fondamentale pour dessiner les
personnages que pour dessiner les objets. Les esquisses faites par des artistes portent souvent
la trace des lignes de visée utilisées, comme dans le dessin d’Edgar Degas, Danseuse ajustant
son chausson (figure 8-8). Les détails que Degas visait étaient probablement la position de
l’orteil gauche par rapport à l’oreille et l’angle du bras par rapport à la verticale.
Exercices supplémentaires
8a. Pendant une conversation, notez l’angle d’inclinaison de la tête de votre interlocuteur par
rapport à la verticale.
8b. Copiez la photographie d’un intérieur ou d’un paysage avec une rue et des maisons.
Vérifiez les angles par rapport aux bords de la photo. Reproduisez les mêmes angles sur
votre feuille.
111
UNE VERSION MODERNE DU PROCEDE DE DÜRER
Vous expérimenterez ensuite la technique de la visée en
utilisant une version moderne de l’expérience de Dürer.
1. Prenez une feuille de plastique transparent comme celles
qu’on utilise pour emballer les aliments. Etalez-la sur une
fenêtre qui donne sur la rue. A l’aide d’un feutre, dessinez
une grille sur le plastique, en traçant des lignes tous les cinq
centimètres.
2. En vous tenant à un bras de distance de la fenêtre et en
fermant un oeil, regardez la scène d’un point de vue
constant—ne bougez pas la tête. Maintenant, avec le feutre,
tracez le contour de la rue, des maisons, des voitures, des
arbres — la vue complète — sur la feuille de plastique.
4. Replacez le dessin sur la même fenêtre. Vous allez à présent viser les angles en vous aidant
de votre crayon comme instrument de visée et votre dessin vous servira à vérifier l’exactitude
de votre visée.
5. Tenez-vous de nouveau à un bras de distance de la fenêtre, à l’endroit où vous vous
trouviez pour faire le dessin sur la grille. A présent, tenez votre crayon parfaitement à la
verticale et parallèlement à la fenêtre, et alignez-le sur l’arête verticale d’une maison. Vous
constaterez que cette arête est bien verticale. Vérifiez-le sur votre dessin : l’arête verticale doit
être parallèle au bord de la feuille. En fait, toutes les lignes qui sont perpendiculaires à la
surface de la terre restent parfaitement verticales.
6. Visez à présent l’une des formes obliques que vous avez dessinées — par exemple, le côté
de la rue ou le dessus d’une maison. Tenant votre crayon à l’horizontale, faites-le toucher la
forme en un point quelconque.
7. Observez l’angle entre le crayon et le côté de la forme ; notez l’inclinaison de ce côté par
rapport à l’horizontale. Regardez à présent le même angle sur votre dessin et voyez comment
vous l’avez reproduit en utilisant la méthode de Dürer. Comparez ce que vous observez avec
ce que vous avez dessiné. Le dessin devrait coïncider avec ce que vous observez.
8. Vérifiez à présent les autres angles et orientations de lignes en regardant chaque fois votre
dessin pour vérifier la manière dont vous avez reproduit ce que vous observiez.
Pour résumer, cette technique est celle qu’utilisent la plupart des artistes pour le dessin de
perspective. Sachant que les lignes verticales restent toujours verticales (à l’exception de
certains cas rares et extrêmes comme la vision de l’oiseau ou de la fourmi) et que les bords
horizontaux des formes convergent en un point de fuite situé sur une ligne d’horizon (au
niveau de l’oeil de l’observateur), il suffit à l’artiste de vérifier (par la visée) la valeur des
angles par rapport aux constantes, soit la verticale ou l’horizontale, et de dessiner ces angles
avec les mêmes rapports sur la feuille de papier. Il est possible de reproduire les mêmes
angles puisque les bords de la feuille représentent la verticale et l’horizontale. Il suffit
simplement d’utiliser son crayon en prenant garde toutefois de le tenir à bout de bras,
parfaitement vertical ou horizontal, afin de déterminer les angles avec précision. Tout angle
peut être vérifié et dessiné correctement sur le papier sans qu’il soit nécessaire de faire appel à
112
des systèmes de perspective compliqués. II suffit d’avoir une vision relationnelle (mode-
D) des choses qui sont sous vos yeux.
UN AUTRE GENRE DE VISEE :
L’EVALUATION RELATIVE DES
LONGUEURS ET DES LARGEURS
La visée peut servir à déterminer les rapports
de longueur et de largeur des formes. Pour
dessiner une table vue sous un angle oblique,
par exemple, l’artiste détermine d’abord les
angles que forment les bords avec
l’horizontale et la verticale, comme la figure
8-9. Il faut ensuite déterminer la largeur de la
table (de ce point de vue précis) par rapport à
sa longueur figure 8-9. Il faut ensuite
déterminer la largeur de la table (de ce point
de vue précis) par rapport à sa longueur.
Cette largeur relative varie selon le point de
vue, en fonction du niveau auquel se trouvent
les yeux de l’observateur (voir à la figure 8-
10 l’exemple d’une table observée d’un point
de vue multiple).
La technique pour viser les rapports de
dimensions est la suivante.
1. En tenant votre crayon à bout de bras sur
un plan parallèle à vos yeux, et le coude fixe
pour garder une échelle constante, mesurez la
largeur de la table : placez la gomme du
crayon de sorte qu’elle coïncide avec un coin
de la table et placez votre pouce à l’autre
coin (figure 8-11).
Fig. 8-8. Edgar Degas (1834-1917), Danseuse
ajustant son chausson (1873). Avec l’aimable
autorisation du Metropolitan Museum of Art,
legs de Mme H.O. Havemeyer, 1929.
Collection H.O. Havemeyer.
Fig. 8-9. Visée d’un angle par rapport à un élément horizontal.
Fig. 8-10.
2. En gardant toujours le coude fixe et le crayon parallèle à vos yeux, reportez cette mesure
sur le long côté de la table (figure 8-12). Quelle est la longueur de la table par rapport à sa
largeur ? Disons une largeur un quart.
113
3. Sur les côtés de l’angle que vous avez dessiné, faites une marque pour la largeur (il
s’agit d’une dimension arbitraire — c’est vous qui décidez de la largeur de la table que vous
dessinez). La longueur, par contre, est proportionnelle à la largeur. Faites une marque sur le
côté de l’angle et dessinez le dessus de la table.
4. Visez ensuite les pieds de la table en tenant votre crayon à la verticale (figure 8-13), en
vérifiant l’orientation de l’un des pieds par rapport à la verticale. Les pieds sont-ils
parfaitement verticaux, ou bien sont-ils obliques ? Dessinez les pieds les plus proches de
vous. Vous pouvez de nouveau viser la longueur des pieds par rapport à la largeur de la table.
En tenant votre crayon à l’horizontale de sorte qu’il coïncide avec l’extrémité du pied le plus
proche de vous, vous pouvez placer l’extrémité des autres pieds en visant de nouveau les
angles (figure 8-14).
Fig. 8-11.
Fig. 8-12.
Fig. 8-13.
Fig. 8-14.
114
Fig. 8-15.
Entraînez-vous à viser les rapports de dimensions aux moments les plus incongrus de la
journée. Le principe de cette technique est de faire taire la connaissance verbale, de mode-G,
que vous avez des rapports réels entre les dimensions. En vous plaçant à certains points de
vue par exemple, vous pouvez obtenir, pour une table, des rapports longueur/largeur qui vous
semblent absolument anormaux : votre visée peut donner un résultat de dix pour un (figure 8-
15). Vos connaissances verbales vous informent que la table ne peut pas être aussi longue et
aussi étroite. Mais le rapport de dix pour un est un rapport visuel, et c’est ainsi que vous devez
le dessiner. Vous devez croire ce que vous voyez et dessiner le résultat de vos perceptions
sans les modifier ou les ajuster en fonction de vos connaissances verbales. Alors.
paradoxalement. la table que vous avez dessinée paraîtra avoir la même largeur que celle que
vous lui connaissez.
LES TECHNIQUES DE LA PERSPECTIVE SUR LE MODE-D : LES COINS
Dans cet exercice vous utiliserez le savoir-faire fraîchement acquis dans l’évaluation relative
des angles pour dessiner le coin d’une pièce d’habitation, d’un bureau, ou d’une classe
d’école.
Fig. 8-16.
Fig. 8-17
Avant de commencer : Lisez toutes les instructions et regardez les travaux d’élèves avant de
commencer votre dessin de perspective. Assurez-vous d’avoir amplement le temps, environ
une demi-heure, pour terminer le dessin. Etant donné que ce travail de perception relationnelle
115
convient bien à l’hémisphère droit, vous vous sentirez de nouveau glisser vers un état de
conscience particulier. La complexité de vos perceptions commenceront à vous intéresser et
vous prendrez plaisir à voir s’assembler les divers éléments.
1. Placez-vous de manière à faire face au coin d’une pièce.
2. Utilisez votre viseur pour cadrer le coin, en le déplaçant vers l’avant ou vers l’arrière pour
inclure les détails que vous souhaitez voir figurer sur votre dessin.
3. Visualisez sur votre feuille l’image que vous percevez comme si elle y était déjà dessinée.
Rappelez-vous que les bords de votre feuille représentent les constantes — la verticale et
l’horizontale.
4. Visez tout d’abord le coin supérieur de la pièce : en tenant votre crayon du bout des doigts
et des deux mains, étendez les bras au maximum. Servez-vous de vos deux mains comme à la
figure 8-16 pour vous assurer que le crayon reste sur un plan parallèle au plan de vos yeux.
L’erreur de visée la plus fréquente que commettent les élèves est de tendre leur crayon
parallèlement à la ligne qu’ils visent, sortant ainsi du plan parallèle à leurs yeux. Si cela peut
vous aider, imaginez un panneau vitré au bout de vos bras, pareil à celui sur lequel vous avez
dessiné la rue et les maisons, et gardez votre crayon parallèle à ce plan. Le crayon étant
maintenu parfaitement à l’horizontale, déplacez-le vers le haut ou vers le bas jusqu’à ce qu’il
semble toucher le coin supérieur de la pièce, là où le plafond rencontre les murs, comme à la
figure 8-16. Vous pouvez à présent déterminer l’angle que forment les arêtes supérieures des
deux murs avec l’horizontale.
5. Dessinez ces deux angles et l’arête verticale du coin comme à la figure 8-17. (L’arête que
forment les deux murs est évidemment verticale puisqu’il s’agit d’une ligne perpendiculaire à
la surface de la terre et que ces lignes restent toujours parfaitement verticales.) Seules les
lignes horizontales — c’est-à-dire les lignes parallèles à la surface de la terre — changent
d’orientation dans une vue en perspective.
6. Procédant du haut vers le bas, vérifiez, par rapport à la verticale et à l’horizontale, chaque
angle de chaque moulure, de chaque tableau fixé au mur, de chaque porte, etc.
7. En utilisant la visée pour évaluer les proportions et pour évaluer les angles, dessinez la
forme des étagères, des commodes, des sièges, ou de tout autre meuble se trouvant dans ce
coin de pièce. Utilisez les espaces négatifs aussi souvent que possible, passant toujours d’une
forme ou d’un espace à celle ou à celui qui lui est adjacent. Tâchez de ne pas penser avec des
mots ou avec des noms d’objets. En fait essayez de ne pas penser du tout, afin de réussir une
conversion cognitive radicale vers le mode-D. A présent, commencez votre dessin.
Après avoir terminé : Vous êtes peut-être surpris de l’aisance avec laquelle vous avez réalisé
votre dessin ; avant de commencer leur dessin d’un coin de pièce, mes élèves disent souvent
avoir le sentiment que leurs perceptions sont « trop compliquées » ou « trop difficiles ». Mais
le dessin sur le mode-D semble toujours facile et agréable. et les travaux d’élèves sont le reflet
de l’état de conscience particulier qu’éveille le mode-D. Si votre dessin présente la trace d’un
conflit avec le mode-G, essayez d’en faire un second en imposant un silence plus strict aux
bavardages du mode-G.
Cette technique de la visée — le dessin à vue, ou l’eyeballing comme l’appellent certains
artistes anglo-saxons — est merveilleusement utile. Une fois familiarisé avec cette méthode.
vous progresserez rapidement en dessin. Ce procédé est essentiel pour la réalisation des
116
natures mortes (pour déterminer les angles, la position et les dimensions relatives des
objets) autant que pour le dessin de paysages et de personnages.
TRAVAUX D’ELEVES
Toutes sortes de coins
Les coins que les élèves ont choisi de dessiner sont d’une complexité variable : certains ne
comprennent que quelques objets, d’autres regorgent de formes et de détails. N’hésitez pas à
choisir un coin de pièce compliqué — les cuisines sont d’un intérêt particulier comme le
montrent plusieurs dessins. Vous remarquerez que plusieurs élèves ont utilisé les espaces
négatifs autant que la visée pour la perspective. Ils ont commencé par dessiner le coin puis
sont passés d’une surface à la surface adjacente, d’une ligne à la ligne adjacente, assemblant
les formes comme les pièces d’un puzzle.
JoAnne Hawkins
Ethel Branham
118
REVISION DES TECHNIQUES DE LA VISEE
1. Les lignes verticales et horizontales imaginaires sont les constantes auxquelles vous vous
référez pour toutes vos évaluations en dessin. Et souvenez-vous que les bords de votre feuille
représentent la verticale et l’horizontale telles qu’elles se présentent autour de vous dans le
monde visible.
2. La manière la plus simple d’évaluer l’inclinaison exacte d’une ligne est d’élever son crayon
soit à la verticale soit à l’horizontale (en choisissant la direction la plus proche de celle de la
ligne). Tâchez de garder votre crayon parallèle au plan de vos yeux. La manière la plus sûre
est de tendre le crayon avec les deux mains, à bout de bras. Dessinez ensuite sur votre feuille
le même angle que celui que vous avez observé.
3. Lorsque vous visez des rapports de longueurs et de largeurs, rappelez-vous que vous
mesurez des dimensions proportionnelles qui ne s’expriment jamais en centimètres ou en
mètres — ce genre d’opération relève de l’hémisphère gauche. Pour mesurer sur le mode-D,
choisissez un élément quelconque de l’objet comme unité de base. Dans le dessin d’un
personnage, cette unité peut être la tête. Tous les autres éléments de la forme sont mesurés
proportionnellement, ou par rapport, à cette unité. La longueur d’un arrière-bras peut par
exemple valoir une longueur de tête et demie. Sur votre feuille, vous dessinez alors la tête de
la grandeur que vous voulez — vous avez le choix. Mais tous les autres éléments doivent
ensuite être reproduits proportionnellement à la taille de la tète. De cette manière, votre dessin
sera « bien proportionné », ce qui veut dire que vous aurez respecté les dimensions relatives
de tous les éléments, l’un par rapport à l’autre, en vous référant toujours à une unité de base.
Revenons un instant à l’expérience de Dürer. Le dessin de perspective pose généralement le
problème que Dürer a précisément réussi à résoudre : le problème du raccourci. Un exemple
classique de raccourci est le poster de la première guerre mondiale Uncle Sam Wants You
avec le bras levé et le doigt qui vous désigne impérieusement.
Afin de bien comprendre ce qu’est la perspective, faites les exercices 8c, d et e avant de
poursuivre.
Le monde visible regorge d’exemples de raccourcis ; des gens, des rues, des arbres, des fleurs.
Mais les élèves débutants évitent parfois ces sujets « difficiles » et en recherchent d’autres
plus « faciles ». La maîtrise que vous possédez maintenant rend inutile cette restriction.
Comme je l’ai dit déjà dans d’autres chapitres, le dessin se résume à une seule opération : voir
clairement ce que vous avez sous les yeux. La technique de la visée porte bien son nom : vous
visez l’objet pour le voir tel qu’il est, en faisant appel à tous les procédés dont est capable le
mode-D et en usant de toutes vos facultés visuelles.
Exercices supplémentaires
Avant de commencer : Entraînez-vous à percevoir les formes en raccourci en étendant les
doigts d’une main devant vous. Centrez votre regard sur l’un des ongles et attendez qu’il vous
apparaisse comme une forme (fermez un oeil pour obtenir une image plane).
8e. Dessinez l’ongle, ensuite le doigt. Dessinez alors les doigts adjacents, le pouce, la main.
Utilisez les espaces négatifs et visez les angles des diverses parties de votre main par rapport
à la verticale et à l’horizontale. (Voir à la figure 8-18 l’exemple d’un dessin d’élève).
119
8d. Placez trois objets de même taille sur une table, par exemple trois pommes. Placez-en
une près du bord de la table le plus proche, une autre au milieu, et la troisième au bord le plus
éloigné. Visez les rapports de dimensions et dessinez ensuite les trois objets (Voir l’exemple à
la figure 8-19).
8e. A la figure 8-20 se trouve un dessin de Charles White qui illustre le principe du raccourci.
Etudiez ce dessin. Copiez-le en le retournant si c’est nécessaire. Chaque fois que vous
éprouvez le sentiment qu’en dessinant ce que vous voyez vous accomplissez le prodige de
créer une illusion d’espace et de volume sur la surface plane de votre feuille, vous assimilerez
plus sûrement cette méthode qui deviendra votre manière naturelle de voir — la manière de
voir de l’artiste.
Fig. 8-18.
Fig. 8-19.
Fig. 8-20. Charles White,Preacher (1952). Avec l’aimable
Autorisation du Whitney Museum.
121
Pour voir, pour penser, pour apprendre ou pour résoudre un problème, il est primordial
d’acquérir une perception relativiste de la réalité — perception des relations entre parties et
perception des relations des parties au tout. En dessin, ces relations s’appellent proportions.
La perception des rapports de proportions, et en particulier des relations spatiales est, chez
l’homme, une fonction spécifique de l’hémisphère droit. Les personnes qui, dans le cadre de
leur profession, doivent procéder à des évaluations de grandeur précises — les menuisiers, les
dentistes, les tailleurs, les tapissiers, les chirurgiens — acquièrent une grande précision dans
la perception des proportions. Les penseurs et les créateurs dans tous les domaines jouissent
d’une acuité particulière dans la perception des relations de « partie au tout » ; ces personnes
sont capables de voir les arbres et la forêt.
Tout dessin pose des problèmes de proportions, que le sujet soit une nature morte, un paysage,
un personnage ou un portrait, et que le style soit réaliste, abstrait ou parfaitement non objectif
(c’est-à-dire un dessin qui ne présente aucune forme identifiable du monde extérieur). Le
dessin réaliste, en particulier, repose largement sur le respect des proportions ; c’est pourquoi
le dessin réaliste est une manière efficace d’entraîner l’oeil (en donnant accès au cerveau
droit) et permet de voir les choses telles qu’elles sont, dans leurs proportions relatives.
ILS NE VOIENT QUE CE QU’ILS CROIENT…
Les proportions posent souvent des problèmes aux
débutants : certains éléments sont dessinés trop grands ou
trop petits par rapport aux autres. Ces erreurs semblent venir
d’une vision hiérarchique des différents éléments d’une
forme. Les éléments qui sont importants (c’est-à-dire les
éléments riches en informations), ou les éléments dont nous
décidons qu’ils sont plus grands, ou les éléments dont nous
pensons qu’ils devraient être plus grands, ces éléments, nous
les voyons plus grands qu’ils sont en réalité. Inversement,
les éléments qui ne sont pas importants ou dont nous
décidons qu’ils sont plus petits, ou dont nous pensons qu’ils
devraient être plus petits, nous les voyons plus petits qu’ils
sont en réalité.
Fig. 9-1.
J’aimerais vous donner quelques exemples de ces erreurs de proportions. La figure 9-1 montre
un paysage schématique avec quatre arbres. L’arbre à l’extrême droite du dessin semble être
le plus grand des quatre. Pourtant cet arbre est exactement de la même dimension que celui
qui se trouve à l’extrême gauche du schéma. Pour vous en convaincre, mesurez donc la
hauteur de ces deux arbres avec votre crayon. Même après que vous ayiez pris les mesures et
que vous vous soyiez assuré que les deux arbres sont de même taille, celui de droite
continuera probablement de vous paraître plus grand.
Cette erreur dans la perception des dimensions relatives des objets vient probablement de
notre ancienne connaissance et expérience des effets de la distance sur la taille apparente des
formes : dans le cas de deux objets de mêmes dimensions, l’un étant plus éloigné que l’autre,
l’objet le plus distant paraîtra le plus petit. Ce principe nous semble logique et nous ne le
contestons pas. Mais revenons à notre dessin : même après avoir mesuré les deux arbres, et
après avoir acquis la preuve irréfutable qu’ils sont de mêmes dimensions, nous continuons, à
tort, de voir l’arbre de droite plus grand que celui de gauche. C’est de l’excès de zèle ! Et
122
c’est précisément ce genre d’excès — le « placage » de concepts verbaux mémorisés sur
les perceptions visuelles— qui pose des problèmes de proportions aux élèves débutants.
D’un autre côté, si vous retournez le livre et si vous regardez le paysage à l’envers, dans une
position que rejette le cerveau gauche, vous réactiverez votre mode-D et vous pourrez plus
facilement constater que les deux arbres sont de mêmes dimensions. Les mêmes informations
visuelles suscitent des réactions différentes. Le cerveau droit, apparemment moins influencé
par le principe de la diminution des dimensions en fonction de l’éloignement, perçoit
correctement les proportions.
… et ne croient pas ce qu’ils voient
Un second exemple : tenez-vous face à un miroir, à un bras
de distance environ. A votre avis, quelle est la hauteur de
l’image de votre tête dans le miroir ? La même que celle de
votre tète ? Prenez un feutre ou un crayon, tendez le bras, et
faites deux marques sur le miroir—l’une au sommet de
l’image réfléchie (le contour extérieur de votre tête) et
l’autre à l’extrémité de votre menton (figure 9-2). Combien
de centimètres mesure l’image ? Douze centimètres environ,
soit la moitié de la hauteur réelle de votre tête. Pourtant,
lorsque vous effacez les marques et que vous regardez de
nouveau votre image, il vous semble qu’elle doit être
grandeur nature. Une fois encore. vous voyez ce que vous
croyez et vous ne croyez pas ce que vous voyez.
Fig. 9-2.
UN DESSIN PLUS FIDELE A LA REALITE
Nous allons essayer de convaincre le cerveau gauche de ses erreurs de perceptions dans le cas
précis des proportions de la tête. Pour y arriver, nous laisserons le cerveau gauche rentrer en
jeu un instant et nous utiliserons ses facultés analytiques pour lui permettre de corriger ses
propres perceptions. Nous essayerons de prouver de manière logique que des proportions
données sont ce qu’elles sont.
Avant de commencer, cherchons dans des journaux, des revues, etc. des photographies de
têtes — des photographies ordinaires de gens ordinaires. Cinq ou six photos suffiront. Si vous
possédez quelques livres comprenant des dessins d’artistes connus, ils pourront vous êtres
utiles. Cherchez des dessins de tètes — vues de face, de profil, de trois quarts. Ou bien servez-
vous de la photo de George Orwell à la figure 9-3. Nous utiliserons ces différentes images
lorsque nous aurons terminé le dessin suivant.
Les exercices de perception des proportions — et certains exercices de dessin dans les
chapitres suivants — auront un sujet commun, la tête, mais les méthodes de perception des
rapports de proportions peuvent s’appliquer à tous les sujets de dessin. Les exercices de
proportions seront principalement consacrés à deux types de rapports critiques qui n’ont
jamais cessé de poser des difficultés aux élèves débutants : l’emplacement dit niveau de l’oeil
par rapport à la hauteur totale de la tête, et l’emplacement de l’oreille dans une tête vue de
profil ou de trois quarts. Nous examinerons également d’autres proportions de la tête.
123
Le dessin face à face
Comme je l’ai dit au chapitre 1, les visages humains ont toujours fasciné les artistes. Saisir
une ressemblance, dépeindre une apparence extérieure de sorte que la personne derrière le
masque soit livrée au regard, tel est l’un des objectifs les plus recherchés par de nombreux
artistes. Comme tout dessin d’un sujet minutieusement observé, le portrait ne révèle pas tant
l’apparence et la personnalité du modèle que l’âme de l’artiste lui-même. Paradoxalement,
plus l'artiste voit clairement son modèle, et plus nous le voyons clairement lui-même à travers
les apparences. Dès lors, puisque c’est vous que nous recherchons à travers les images que
vous dessinez, les exercices suivants auront pour sujet le visage humain. Plus vous verrez
clairement, et mieux vous dessinerez et vous exprimerez pour vous- même et pour les autres.
Fig. 9-3. Feu George Orwell, le célèbre écrivain, mort en janvier 1950. Avec l’aimable autorisation de la
B.B.C.
L’acuité de la perception étant une condition essentielle pour le réalisme du portrait, le visage
est un sujet utile qui permet aux débutants de s’exercer à voir et à dessiner. L’effet en retour
sur la correction des perceptions est immédiat et garanti parce que nous sommes tous capables
de voir si le dessin d’une tête est fait dans des proportions correctes ou non. Et si le modèle
est une personne connue, nous pouvons juger avec plus d’exactitude encore de la précision
des perceptions.
En outre, le dessin d’un visage répond spécifiquement au but que nous nous sommes assigné,
à savoir l’accès aux fonctions de l’hémisphère droit. Les personnes dont l’hémisphère droit a
été endommagé à la suite d’un accident ou d’un traumatisme éprouvent souvent des difficultés
à reconnaître leurs amis et même à reconnaître leur propre visage dans un miroir. Les
personnes dont l’hémisphère gauche a été atteint ne connaissent pas ces problèmes.
La plupart des débutants considèrent que le portrait est le type de dessin le plus difficile. Il
n’en est rien, vraiment. Les informations visuelles se trouvent là, toutes prêtes et disponibles.
Le problème est de les voir. Pour reprendre le principe de base de cet ouvrage, le dessin se
résume à une seule et même opération qui consiste à voir clairement les choses et à dessiner
ce qu’on perçoit. Un sujet n’est ni plus facile ni plus difficile qu’un autre. Toutefois, certaines
choses semblent plus compliquées que d’autres, probablement parce que la symbolique qui
124
imprègne notre esprit et qui interfère avec nos perceptions spontanées, s’impose avec plus
de vigueur pour certains sujets.
La tête est évidemment un sujet pour lequel la plupart des gens conservent une symbolique
vigoureuse et persistante. Comme nous l’avons expliqué au chapitre 5, notre symbolique
personnelle particulière, développée et mémorisée pendant notre enfance, fait preuve d’une
stabilité et d’une résistance au changement remarquables. En réalité, il semble que ces
symboles empêchent l’individu de voir et pour cette raison, rares sont ceux qui peuvent
dessiner un visage réaliste et plus rares encore ceux qui peuvent dessiner un portrait
ressemblant.
En résumé donc, le dessin de portrait répond particulièrement bien à nos objectifs pour les
raisons suivantes : il fera tout d’abord appel à l’hémisphère droit qui est spécialisé dans
l’identification des visages, et par conséquent dans l’établissement précis des distinctions
nécessaires pour obtenir un portrait ressemblant. Ensuite, le portrait vous apprendra à
percevoir plus nettement les rapports de proportions, étant donné que les proportions sont
l’élément essentiel de ce type de dessin. De plus, il s’agit d’un excellent exercice pour
surpasser la symbolique qui s’est ancrée en vous. Enfin, l’habileté avec laquelle vous
exécuterez des portraits d’une ressemblance crédible démontrera de manière convaincante à
votre hémisphère gauche, si prompt à la critique, que vous avez — oserons-nous le dire ? —
un don pour le dessin. Et, comme pour n’importe quel dessin, vous vous apercevrez que le
portrait n’est pas chose difficile maintenant que vous êtes capable de voir à la manière de
l’artiste.
Au chapitre 10, vous apprendrez d’abord à dessiner le profil d’un modèle, ensuite son portrait
de trois quarts, et enfin son visage vu de face. Pour l’instant cependant, puisque vous avez
appris à effectuer la conversion vers le mode-D, et que vous exploitez avec aisance, je
l’espère, cette technique fraîchement acquise qui permet d’accéder au mode de
fonctionnement de l’hémisphère droit, nous allons faire appel à votre hémisphère gauche afin
qu’il nous aide un instant dans l’analyse des proportions.
LE CERVEAU GAUCHE RENTRE EN JEU –
UN INSTANT
Comme vous l’avez appris grâce aux dessins inversés et aux
dessins des espaces négatifs, il est possible d’évaluer
n’importe quelles proportions en établissant simplement des
rapports de dimensions. Mais il m’a semblé que les
étudiants progressent plus rapidement et que leurs
perceptions s’effectuent plus aisément lorsqu’on oblige le
cerveau gauche à constater et à admettre certains faits
(comme la taille des deux arbres dans le paysage
schématique et la hauteur du visage dans le miroir) dont il a
une perception incorrecte. Pour convaincre ce logicien, il
faut donc le placer dans une impasse logique : il faut lui
fournir des preuves indiscutables avant qu’il admette avoir
éventuellement tort.
Fig. 9-4. Axe central.
125
LA MANIERE DE TRACER UN BLANC ET DE DESSINER MIEUX QUE JAMAIS
Fig. 9-5.
Fig. 9-6.
1 Dessinez un « blanc », c’est-à-dire une forme ovale qu’utilisent les artistes pour représenter
schématiquement le crâne humain. Cette forme est celle que montre la figure 9-4. Tracez une
ligne médiane divisant le blanc verticalement. Cette ligne s’appelle axe central.
2. En utilisant votre crayon, mesurez sur votre propre tête la distance entre le coin intérieur de
votre oeil et l’extrémité de votre menton. Pour ce faire, placez le bout de la gomme de votre
crayon (pour protéger votre oeil) au coin intérieur de l’oeil et marquez avec votre pouce
l’endroit où votre menton touche le crayon, comme à la figure 9-5. A présent, en conservant
cette mesure, levez votre crayon comme à la figure 9-6 et comparez cette première distance
(du niveau de l’oeil au menton) à la distance qui sépare le niveau de votre oeil et le sommet de
votre tête (tendez la main de l’extrémité du crayon au point le plus élevé de votre tête). Vous
constaterez que ces deux distances sont approximativement les mêmes.
3. Répétez cette prise de mesures devant un miroir. Observez le reflet de votre tête. Sans
mesurer, comparez visuellement la moitié supérieure et la moitié inférieure de votre tête.
Utilisez ensuite votre crayon pour situer une nouvelle fois le niveau des yeux.
4. Reprenez les photos et les dessins que vous avez
rassemblés (ou bien employez la photo de George
Orwell, figure 9-3) et situez le niveau des yeux. Pour
chaque tête, le niveau des yeux se situe-t-il à mi-hauteur,
divisant approximativement la hauteur globale de la tête
en deux parties égales ? Percevez-vous clairement cette
proportion ? Si ce n’est pas le cas, mesurez à même la
photographie en posant votre crayon à plat sur le papier,
comme à la figure 9-7, et mesurez d’abord la distance
entre l’oeil et le menton puis entre l’oeil et le sommet du
crâne. A présent, déposez votre crayon et regardez
encore. Voyez-vous clairement la proportion, cette fois ?
Quand finalement vous croirez ce que vous voyez, vous
remarquerez que pour presque chaque tête que vous
observez, le niveau des yeux se situe approximativement
à mi-hauteur. Le niveau des yeux est rarement au-delà
Fig. 9-7.
du milieu de la tête, c’est-à-dire que les yeux ne sont pratiquement jamais plus proches du
sommet de la tête que de l’extrémité du menton. Et lorsque les cheveux sont abondants, la
126
moitié supérieure de la tête — la partie que forment le front, le crâne et les cheveux — est
plus grande que la moitié inférieure (voir figure 9-8).
LE MYSTERE DU CRANE TRONQUE
La plupart des gens éprouvent des difficultés à percevoir les
proportions relatives des traits du visage et du crâne. Pour
beaucoup, le niveau des yeux semble se situer au tiers
supérieur environ de la distance qui sépare le sommet de la
tête et le bas du menton. Je pense que cette erreur est due au
fait que le front et le sommet de la tête attirent peu
l’attention. Il s’agit en effet de régions ennuyeuses pour le
cerveau gauche et difficilement définissables par des
symboles. On accorde apparemment moins d’importance à
la moitié supérieure de la tête qu’aux traits du visage, et
pour cette raison, on la perçoit comme étant plus petite.
Cette perception incorrecte donne lieu à l’erreur du crâne
Fig. 9-8.
tronqué, expression toute personnelle par laquelle je désigne ce problème particulièrement
fréquent chez les élèves débutants. Le crâne tronqué crée un effet de « masque » qui se
retrouve fréquemment dans les dessins d’enfants ou dans l’art primitif. Cet effet de masque,
produit par l’agrandissement des traits du visage par rapport aux dimensions du crâne, peut
être d’une puissance expressive étonnante, comme dans l’oeuvre de Picasso, de Matisse et de
Modigliani. A la différence que les artistes de renom utilisent ce procédé délibérément et non
par erreur. Je vais vous montrer des exemples qui illustrent cette erreur de perception.
Une impasse logique pour le cerveau gauche : la preuve irréfutable que le dessus de la
tête est important malgré tout
Fig. 9-9.
Fig. 9-9.
J’ai dit un jour à un groupe d’élèves qui éprouvaient des difficultés à percevoir correctement
les proportions du crâne : « Si l’un de vous voit une manière d’expliquer plus clairement les
proportions déterminant le niveau des yeux, qu’il se fasse donc connaître ». Un élève m’a
répondu : « Nous verrons quand nous y croirons ». Plus tard j’ai eu la chance de découvrir la
manière de faire « croire » les élèves, et cette méthode s’est avérée plus efficace que les
autres. Elle a permis aux élèves de résoudre ce problème épineux et tenace qui les empêchait
de dessiner correctement une tête. En voici la démonstration.
J’ai d’abord dessiné la partie inférieure du visage de deux modèles, l’un de profil et l’autre de
trois quarts (voir figure 9-9). Je vous montrerai en détail la manière de dessiner cette partie de
127
la tête dans le chapitre suivant. Les élèves ne rencontrent généralement aucune difficulté
sérieuse à apprendre à voir et à dessiner les traits du visage. Ce ne sont pas les traits du visage
qui posent un problème : c’est dans la perception de l’image du crâne que quelque chose ne
tourne pas rond. Ce que j’aimerais vous montrer, ainsi qu’à votre hémisphère gauche, c’est
l’importance qu’il y a pour les traits du visage à les doter d’un crâne complet —et à ne pas
tronquer le sommet de la tête pour la simple raison que cette partie semble moins intéressante
que le visage proprement dit.
A la figure 9-10 se trouvent trois séries de dessins : les premiers dessins présentent
uniquement les traits du visage, le reste du crâne faisant défaut ; les seconds reprennent les
mêmes traits avec l’erreur du crâne tronqué : et les troisièmes reprennent les mêmes traits,
cette fois avec le crâne intact, qui complète et soutient les traits du visage.
En suivant la logique de votre cerveau gauche, vous constatez que ce ne sont pas les traits qui
posent le problème des fausses proportions, c’est le crâne. (Retournez à la figure 1-5, au
chapitre 1 et vous constaterez que Van Gogh, dans son dessin du menuisier en 1880 a
apparemment commis l’erreur du crâne tronqué en dessinant la tête de son personnage. De
même, la gravure de Dürer à la figure 9-11 illustre les tentatives risquées par l’artiste pour
diminuer les proportions du crâne par rapport aux traits du visage).
Revenons à présent aux photographies et aux dessins que vous avez rassemblés
précédemment. Mesurez (en posant votre crayon sur la photo, le bout du crayon au niveau des
yeux, et en marquant du pouce l’emplacement du menton) et comparez la hauteur relative des
parties supérieure et inférieure de la tête. Etes-vous convaincu ? Votre hémisphère gauche, le
logicien, est-il convaincu ? Bien. Cela vous épargnera des heures d’efforts inutiles.
Fig. 9-10. Les traits du visage
uniquement. L’erreur du crâne tronqué, avec
les mêmes traits. Les mêmes traits encore. Cette
fois avec le crâne entier.
LE REMPLISSAGE DES BLANCS
128
Vous voyez les figures 9-12 et 9-13, où les ovales représentent la forme du crâne.
Asseyez-vous devant un miroir en vous munissant des blancs et d’un crayon. Vous allez
observer et schématiser les relations entre les différentes parties de votre propre tête à mesure
que vous progresserez pas à pas dans l’exercice. Les chiffres qui figurent dans les schémas
correspondent aux instructions numérotées qui composent l’exercice et illustrent ces relations.
Fig. 9- 11. Albert Dürer, Quatre Têtes (1513 ou 1515). Avec l’autorisation de la Nelson Gallery-Atkins
Museums. Kansas City, Missouri (Fonds Nelson).
1. Schématisez d’abord le niveau des yeux. Observez une fois encore la ligne du niveau des
yeux et tracez-la sur le blanc.
2. Nous avons déjà dessiné l’axe central. En regardant votre visage, visualisez un axe central
qui le partage en deux, et une ligne pour le niveau des yeux perpendiculaire à cet axe (voir
figure 9-12). Inclinez la tête d’un côté comme à la figure 9-13. Notez que l’axe central et la
ligne du niveau des yeux restent perpendiculaires quelle que soit la direction dans laquelle
vous inclinez la tête. (Ceci n’est que logique, je le sais, mais les débutants l’ignorent souvent
et déforment les traits comme à la figure 9-14). (Voir également les figures 9-16, 9-17 et 9-
18).
3. Observez votre visage : où se situe le bout de votre nez par rapport au niveau des yeux et au
menton ? A un peu moins de la moitié de la distance et à un peu plus du tiers. Faites une
marque sur le blanc.
4. A quel niveau se situe la ligne médiane de la bouche ? A un tiers environ de la distance
entre le nez et le menton. Faites une marque sur le blanc.
5. Quelle est la distance qui sépare vos yeux par rapport à la longueur d’un œil ? Oui, ces
distances sont égales. Divisez la ligne du niveau des yeux en cinq parties égales. Marquez le
centre des yeux.
6. Si vous abaissez les verticales depuis le coin interne de vos yeux, où arrivez-vous ? Au
bord de vos narines. Le nez est plus large que vous croyez. Faites deux marques sur le blanc.
7. Si vous abaissez les verticales depuis le centre de vos pupilles, où arrivez-vous ? Aux coins
externes de votre bouche. La bouche est plus large que vous pensez. Faites deux marques sur
le blanc.
129
8. Si vous déplacez votre crayon horizontalement le long du niveau des yeux, où arrivez-
vous ? A l’extrémité supérieure de vos oreilles. Faites deux marques sur le blanc.
9. En partant de l’extrémité inférieure de vos oreilles et en suivant l’horizontale, où arrivez-
vous ? Pour la plupart des visages, entre le nez et la bouche. Les oreilles sont plus grandes
que vous croyez. Faites deux marques sur le blanc.
10. Palpez votre visage et votre cou : quelle est la largeur de votre cou par rapport à la largeur
de votre mâchoire juste à hauteur de vos oreilles ? Vous verrez que votre cou est presque aussi
large — chez certains hommes, il est même aussi large, parfois plus large. Faites des marques
sur le blanc. Souvenez-vous que le cou est plus large que vous croyez.
11. A présent, vérifiez chacune de ces proportions en observant des personnes réelles, des
photographies ou l’image de personnes sur l’écran de télévision. Exercez-vous souvent —
d’abord sans mesurer. puis en mesurant si c’est nécessaire — à percevoir les rapports entre tel
trait du visage et tel autre, à percevoir les différences infimes et originales qui distinguent les
visages ; voir, voir, voir. N’analysez pas à la manière de l’hémisphère gauche comme nous
l’avons fait, mais percevez le visage des gens tel qu’il est réellement, dans sa totalité et non
par bribes ou de manière hiérarchique, car chaque partie est importante et contribue à former
l’ensemble. Voir l’exemple de la figure 9-15.
Fig. 9-12. Proportions générales
de la tète chez l’homme.
Fig. 9-13.
Fig. 9-14. A mon avis, les élèves
déforment les traits du visage
parce que, tout en voyant que la
tète est inclinée, ils dessinent les
traits dans leur orientation
habituelle, c’est-à-dire à la
verticale, parallèlement aux bords
de leur feuille.
130
Fig. 9-15.
Fig. 9-16. Vincent Van Gogh, Dr Gachet (gravure,
1890), B-10, 283. Avec l’aimable autorisation de la
National Gallery of Art, Washington, DC.,
Collection Rosenwald. Un exemple intéressant qui
illustre la force expressive de l’obliquité des traits.
Fig. 9-17.
Fig. 9-18.
Fig. 9-17. Esquisse d’après Lavis Corinth (1858-1925). Autoportrait. dessiné avant son accident en 1911.
Fig. 9-18. Lovis Corinth, Autoportrait (1921). Avec l’aimable autorisation du Fogg Art Museum, Université
de Harvard, don de Meta et Paul J. Sachs.
L’artiste allemand Lovis Corinth a subi un grave traumatisme cérébral à l’hémisphère droit à la suite
d’un choc en décembre 1911. Le premier autoportrait (fig. 9-17) a été réalisé avant l’accident. Le second,
réalisé quelques années plus tard, présente une obliquité des traits qui se retrouve dans la plupart des
portraits que Corinth a dessiné après son accident.
Notez que l’obliquité des traits produit un effet d’expressivité, que vous pourriez choisir d’utiliser pour
certains dessins. Une fois encore la question est d’utiliser ce procédé délibérément et non par erreur.
131
AUTRE BLANC : LES FICELLES DU PROFIL
Dessinez maintenant un autre
blanc, cette fois pour un profil. Le
blanc de profil est d’une forme
assez différente — à la manière
d’un œuf à l’ovale excentrique.
En effet, le crâne humain (figure
9-19) vu de côté présente une
forme différente de celle du crâne
vu de face. Il est plus facile de
dessiner ce blanc en regardant la
forme des espaces négatifs qui
l’entourent (figure 9-20).
Remarquez que les espaces
négatifs sont différents à chaque
coin.
Fig. 9-19.
Fig. 9-20. Le blanc de profil.
Notez que la distance a (niveau
des yeux - menton) est égale à
la distance b (niveau des yeux -
sommet du crâne).
Si cela peut vous aider à mieux voir, dessinez symboliquement le nez, l’oeil, la bouche et le
menton après avoir dessiné en premier la ligne du niveau de l’oeil qui traverse le blanc à mi-
hauteur.
La mesure suivante est d’une importance capitale ; elle vous permettra de situer correctement
l’oreille et de là, à percevoir correctement la largeur de la tête vue de profil.
Fig. 9-21.
Fig. 9-22.
132
A l’aide de votre crayon, mesurez sur votre propre visage la
distance qui sépare le coin intérieur de votre oeil et
l’extrémité de votre menton (figure 9-21). A présent, en
conservant cette mesure, tenez votre crayon horizontalement
le long de la ligne du niveau des yeux (figure 9-22) en
plaçant le bout de la gomme au coin extérieur de votre oeil.
Cette mesure coïncide avec l’arrière de votre oreille.
Autrement dit, la distance entre l’oeil et le menton est égale
à la distance entre l’arrière de l’oeil et l’arrière de l’oreille.
Faites une marque sur le blanc pour la place de l’oreille sur
la ligne du niveau des yeux, comme à la figure 9-23. Cette
proportion peut paraître un peu compliquée, mais si vous
faites l’effort de l’apprendre vous éviterez une autre erreur
Fig. 9-23.
trop fréquente dans le dessin de la tête : la plupart des élèves débutants placent l’oreille trop
près des autres traits du visage. En plaçant l’oreille trop près du visage, ils estropient de
nouveau le crâne, cette fois à l’arrière. Une fois encore cette erreur vient peut-être du fait que
l’extension de la joue et de la mâchoire constitue une partie ennuyeuse et sans intérêt dont les
élèves débutants ne perçoivent pas correctement l’étendue.
La figure 9-24 montre l’exemple d’un dessin d’élève qui présente cette erreur de perception
et, à la figure 9-25, l’artiste autrichien Kokoschka fait usage de cette distorsion, probablement
à dessein. Comme vous pouvez le constater, l’agrandissement du visage et la diminution du
volume crânien produisent un effet expressif et symbolique puissant, et c’est un procédé que
vous pourrez toujours utiliser par la suite si vous le voulez. Pour l’instant toutefois, nous
souhaitons simplement que vous soyiez capable de voir les choses telles qu’elles sont
réellement dans leurs proportions correctes.
Fig. 9.25. Oskar Kokoschka (1886-1980), Portrait
de Norbert Win (1920). Avec l’aimable
autorisation du Worcester Art Museum,
133 Fig. 9.24. Dessin d’élève. Worcester, Massachusetts.
Fig. 9-26.
J’ai récemment fait la découverte d’une nouvelle technique très utile pour apprendre à placer
l’oreille correctement. Comme vous savez à présent que deux distances sont égales — entre
l’oeil et le menton et entre l’arrière de l’oeil et l’arrière de l’oreille — vous pouvez visualiser
un triangle rectangle et isocèle reliant ces trois points, comme le montre la figure 9-26. C’est
un moyen commode de placer l’oreille correctement.
Exercez-vous à voir les rapports de
proportions en regardant les photographies
ou les dessins de personnes vues de profil
et en visualisant le triangle-repère, comme
à la figure 9-26. Grâce à cette technique,
vous éviterez bon nombre de problèmes et
d’erreurs en dessinant les profils.
Il nous reste encore deux mesures à
effectuer sur le blanc de profil. Tenez
d’abord votre crayon à l’horizontale juste
en dessous de votre oreille et faites-le
glisser vers l’avant comme à la figure 9-27.
Vous arriverez à la région entre votre nez et
votre bouche. C’est à ce niveau que se
trouve le bas de votre oreille. Faites une
marque sur le blanc.
Replacez de nouveau votre crayon à
l’horizontale juste en dessous de votre
oreille et faites-le glisser cette fois vers
l’arrière. Vous arriverez à l’endroit où le
crâne et le cou se rejoignent — l’endroit où
ils s’articulent. Marquez ce point sur le
Fig. 9-27.
134
blanc. Ce point se situe plus haut que vous le pensez. Dans les dessins symboliques, le
cou est généralement placé en dessous du cercle de la tête, avec le point d’articulation au
niveau du menton. Cette erreur risque de gâcher vos dessins : le cou sera trop étroit, comme à
la figure 9-28 ; tâchez de percevoir sur votre modèle l’endroit réel d’où part le cou, à l’arrière
du crâne.
A présent, il vous faudra exercer vos perceptions. Regardez les gens. Entraînez-vous à
percevoir les visages, à observer les proportions, à voir la forme originale du visage de chaque
individu.
Vous êtes prêt maintenant pour dessiner un portrait de profil. Vous ferez appel à toutes les
techniques que vous avez apprises jusqu’à présent :
Ne dessinez que ce que vous voyez sans essayer d’identifier ou d’étiqueter les formes (vous
avez pu constater le mérite de cette méthode avec le dessin à l’envers).
Ne dessinez que ce que vous voyez sans faire appel aux anciens symboles de vos dessins
d’enfants que vous avez mémorisés et accumulés.
Concentrez-vous sur les espaces négatifs et les zones complexes jusqu’à ce que vous
ressentiez la conversion vers un état de conscience distinct, dans lequel votre hémisphère droit
domine et votre hémisphère gauche se tait. Rappelez-vous que cette démarche exige un laps
de temps ininterrompu.
Evaluez les angles par rapport aux bords verticaux et horizontaux de votre feuille de papier.
Evaluez les rapports de dimensions — quelle est la longueur de cette forme par rapport à
celle-ci ?
Et enfin : percevez les proportions telles qu’elles sont, sans les réviser ou les modifier pour
qu’elles correspondent à vos idées préconçues sur l’importance des divers éléments. Tous sont
importants et chacun doit conserver intactes ses proportions par rapport aux autres.
Si vous éprouvez le besoin de réviser l’une de ces techniques, retournez aux chapitres
précédents pour vous rafraîchir la mémoire. En révisant certains exercices, vous renforcerez
effectivement vos acquis. Le dessin de contour pur, en particulier, peut vous aider à maîtriser
plus fermement la méthode que vous venez d’apprendre pour accéder à l’hémisphère droit et
faire taire le gauche.
137
De face et de profil : le portrait sans peine
L’apprentissage d’une technique nouvelle
commence généralement par l’apprentissage
des différentes composantes de cette
technique, avant que s’assemblent les divers
éléments en un tout intégré. Après avoir
appris les sous-techniques nécessaires pour
rouler à bicyclette ou en voiture, par
exemple, vous êtes finalement monté sur le
vélo ou dans la voiture et vous avez
démarré. Ce faisant, vous signifiez aux
autres et à vous-même que vous aviez
acquis la technique. De même, les exercices
de ce
« La démarche du dessin est avant toute autre
chose celle qui consiste à mettre son intelligence en
action: la mécanique même du déclenchement de
la pensée visuelle. A l’inverse de la peinture et de
la sculpture, c’est la démarche par laquelle
l’artiste signifie clairement à lui-même, et non au
spectateur, ce qu’il est en train de faire. C’est un
soliloque avant que d’être communication ».
Michael Ayerton, Golden Sections
« La chose matérielle qui se trouve devant toi,
c’est Cela ».
Huang Po, Maître Zen du XVIe siècle
chapitre vous permettront d’assembler les différentes composantes techniques que vous avez
acquises et qui vous permettent de voir. Après cette dernière leçon, quand vous dessinerez,
vous signifierez clairement aux autres et à vous- même que vous avez vraiment « vu ».
Nous allons maintenant dessiner des visages en créant préalablement les conditions qui
inviteront votre hémisphère gauche à faire une petite sieste. Et ce sera le grand jour pour votre
cerveau droit: il pourra s’extasier devant la complexité merveilleuse des contours et suivre
l’évolution de votre dessin à mesure que s’étire ce trait qui est votre invention originale et
créative: il pourra regarder s’intégrer vos techniques nouvelles en un graphisme harmonieux;
il pourra voir à la manière de l’artiste, les choses dans leur étonnante réalité et non leur pâle
reflet symbolisé, catégorisé, analysé et mémorisé; il pourra ouvrir la porte et voir clairement
ce qui se trouve là devant vous: il pourra accomplir l’image à travers laquelle vous vous ferez
connaître.
LES TROIS FACES D’UN VISAGE
Ce chapitre comprend trois parties: tout d’abord les instructions pour dessiner le portrait de
profil d’un modèle: ensuite le portrait de trois quarts, le modèle se tournant légèrement d’un
côté; et enfin, le portrait de face. Le portrait de face vient en dernier lieu, mais cela ne signifie
pas pour autant que ce genre de dessin soit plus difficile. Comme je l’ai dit, le dessin se
résume toujours à une même opération —voir clairement —et il n’est pas de position ou de
sujet qui soit plus facile ou plus difficile à traiter. Toutefois, la symbolique dont vous êtes
imprégné et que vous pratiquez et mémorisez depuis votre enfance interfère avec une ténacité
particulière dans le dessin des visages vus de face. Après avoir dessiné une tête plusieurs fois,
de profil et de trois quarts, et après vous êtes rendu compte que l’essentiel est de voir sur le
mode-D, vous serez mieux à même, j’en suis sûre, de supprimer les symboles et de les
empêcher de s’infiltrer à nouveau dans le dessin de cette forme tellement familière — un
visage vu de face.
138
D’ABORD LE PROFIL
Avant de commencer : Cherchez un modèle
— un ami ou un voisin ou une personne de
votre famille qui posera bénévolement pour
un portrait. Vous pouvez dessiner votre
modèle pendant qu’il lit, qu’il dort, ou qu’il
regarde la télévision. Il vous faudra trente à
quarante minutes environ pour dessiner, avec
deux ou trois pauses pour le modèle.
Si je faisais personnellement la démonstration
du dessin de profil,je ne nommerais pas les
parties que je dessine. Je désignerais les
différentes régions et les différentes lignes en
parlant par exemple de « cette forme, ce
contour, cet angle, la courbe de cette forme))
et ainsi de suite. Par souci de clarté
malheureusement, puisqu’il s’agit d’un texte
écrit, il me faudra citer les choses par leur
nom. La marche à suivre vous paraîtra peut-
être malaisée et compliquée quand vous lirez
les instructions, mais elle deviendra, à mesure
que vous dessinerez, une danse étrange et
silencieuse, une recherche exaltante, dans
laquelle chaque perception nouvelle se trouve
miraculeusement liée à la précédente.
Lisez d’un trait toutes les directives et
regardez les travaux d’élèves avant de vous
mettre à dessiner.
1. Fixez votre feuille avec du papier collant
ou des punaises sur une surface plane et
rigide. Une planche à pain fera l’affaire, mais
vous devrez éventuellement placer un paquet
de feuilles sous votre feuille à dessin pour
obtenir une surface plane.
Fig. 10-1.
2. Asseyez-vous devant votre modèle de manière à le voir de profil. Placez-vous si possible à
un bon mètre de votre modèle. La distance maximale pour dessiner le portrait d’une tête est de
deux mètres. De plus loin, il ne vous est plus possible de voir les détails avec une netteté
suffisante et vous êtes tenté de leur substituer des symboles.
3. Commencez votre dessin en délimitant la forme soit avec votre viseur soit avec votre main
et votre crayon comme à la figure 10-1. Fixez d’abord votre regard sur les espaces négatifs
autour de la tête et attendez qu’ils vous apparaissent comme des formes. Voyez la forme
générale de la tête comme un espace vide entouré d’espaces négatifs matériels — comme le
trou en forme de Bugs Bunny dans la porte.
139
4. Tournez les yeux vers votre
feuille blanche et visualisez la
forme de a tête de votre modèle
sur le papier — le contour
extérieur général de la tête (qui
est également le contour
intérieur des espaces négatifs).
Vous arriverez plus facilement
à projeter cette image si vous
commencez par en faire une
esquisse mentale, en déplaçant
votre crayon le long de l’image
fictive de la tête comme si vous
la dessiniez, sans toucher le
papier. Vous savez à présent la
grandeur qu’aura la tête et la
place qu’elle occupera sur
Fig. 10-2
votre feuille. Vous pouvez même visualiser les traits et tous les détails directement sur le
papier.
5. Commencez vraiment à dessiner par où vous voulez. Je commence généralement par le
front puis je descends le long du profil mais d’autres suivent une progression différente.
Toutes les formes et tous les espaces s’assembleront comme les pièces d’un puzzle, chaque
élément se situant par rapport aux autres; votre point de départ est dès lors indifférent.
6. Une fois encore, délimitez la forme, fixez votre regard sur l’espace négatif le long du front
et du nez et attendez qu’il vous apparaisse comme une forme (autrement dit, attendez que la
tâche soit reléguée au cerveau droit). Ensuite, par la méthode du dessin de contour modifié,
dessinez le côté de l’espace négatif. Evaluez les angles (du nez, par exemple) comme vous
l’avez fait au chapitre 9, en tenant votre crayon à la verticale, en fermant un oeil, et en
alignant verticalement le crayon sur la pointe du nez comme à la figure 10-2. Quel angle
forme l’arête du nez par rapport à la verticale? En descendant le long du profil, situez les
points repères et évaluez les distances situez un point par rapport à un autre, déterminez la
longueur d’un contour par rapport à un autre en vous référant toujours à un
élément que vous avez déjà dessiné.
7. Voici maintenant quelques instructions spécifiques pour voir correctement certaines parties
de la tête. Vous pouvez bien sûr percevoir ces différents rapports en regardant simplement
votre modèle, mais, en attirant votre attention sur certains détails particuliers, je vous aiderai
peut-être à mieux les voir.
LES YEUX
Notez que les paupières ont une épaisseur. Le globe oculaire se trouve derrière les paupières
(figure 10-3). L’iris (la partie colorée de l’oeil) « se dessine tout seul ». Dessinez la forme du
blanc de l’oeil (figure 10-4). Le blanc peut être considéré comme un espace négatif ayant un
côté commun avec l’iris. En dessinant la forme (négative) du blanc de l’oeil, vous obtiendrez
une image correcte de l’iris car cela vous permettra de dépasser le symbole que vous avez
mémorisé pour figurer l’iris. Notez que cette technique de « dépassement» peut s’appliquera
140
tous les détails que vous trouvez « difficiles à dessiner ».
Elle consiste à passer à la forme où à l’espace adjacent à la
difficulté et à dessiner plutôt cet espace adjacent. Vous
remarquerez que les cils supérieurs sont d’abord dirigés vers
le bas et qu’as se recourbent ensuite vers le haut (chez
certaines personnes). Notez que l’orientation générale de
l’oeil est inclinée par rapport à l’axe du visage (figure 10-5).
Fig. 10-3.
Fig. 10-4.
Cette inclinaison est due à la position du globe oculaire dans la structure osseuse qui
l’entoure. Observez cet angle particulier sur votre modèle — il s’agit d’un détail important.
Fig. 10-5.
LE NEZ
Fig. 10-6. Observez la forme de l’espace sous les narines. Cette forme varie d’une personne à l’autre et
doit être soigneusement examinée pour chaque modèle.
La narine, comme l’iris est souvent dessinée de manière symbolique. Une fois encore, utilisez
la technique de « dépassement » que vous avons décrite plus haut et passez de l’élément
mémorisé sous forme de symbole à l’élément adjacent. Pour dessiner la narine, observez
l’espace en dessous du bord de celle-ci et dessinez-en la forme exacte (figure 10-6).
141
LA BOUCHE
Dans le profil de nombreux
visages, le contour extérieur
de la pointe du nez, la lèvre
supérieure, la lèvre
inférieure et le menton se
situent souvent sur une ligne
oblique comme le montre la
figure 10-7. Observez
attentivement ces différents
points sur votre modèle et
notez-en l’axe exact. Voyez
d’abord les proportions
générales, ensuite les
proportions de chaque
élément et enfin les rapports
spécifiques entre les
différents éléments. La
méthode des espaces
Fig. 10-7.
Fig. 10-8. Pour dessiner la forme de
la lèvre supérieure, observez et
dessinez la forme de cet espace.
négatifs est très utile car elle permet d’observer et de dessiner des formes originales et non
stéréotypées. Notez ensuite que les bords des lèvres ne sont pas de véritables contours (c’est-
à-dire les lignes de rencontre de deux formes) mais que ce sont de simples changements de
couleurs. Vous constaterez que pour la plupart des modèles, ce léger changement de
coloration se représente mieux par un trait délicat que par une ligne épaisse et noire. La ligne
médiane des lèvres, par contre, est un véritable contour (c’est-à-dire la ligne de rencontre de
deux formes) et, en observant votre modèle, vous remarquerez que ce contour est plus sombre
que le bord extérieur des lèvres. La forme de la lèvre supérieure contribue très largement à
l’expression du visage. La lèvre supérieure « se dessine toute seule » — une fois encore, il
suffit de passer à l’espace adjacent, l’espace entre le nez et la lèvre supérieure comme à la
figure 10-8. Vérifiez la longueur de la ligne médiane de la bouche. Où se situe le coin de la
bouche par rapport à l’avant de l’oeil par exemple ? (Vérifiez chaque fois les positions par
rapport à un élément que vous avez déjà dessiné).
LE MENTON
Situez le contour avant du menton par rapport au front ou à la lèvre supérieure — ou tout
autre élément déjà dessiné. Observez la longueur du menton par rapport à la longueur du nez,
par exemple.
LES LUNETTES
142
Si votre modèle porte des
lunettes, ne les dessinez
pas — les lunettes sont
souvent symbolisées
(figure 10-9). Dessinez les
espaces négatifs autour
des lunettes, comme à la
figure 10-10. L’important
dans le cas présent est de
ne pas mettre en doute
votre perception des
espaces négatifs. Dessinez
ce que vous voyez.
Fig. 10-9. La symbolisation des
lunettes est particulièrement
tenace.
Fig. 10- 10. Pour éviter les symboles.
utilisez les formes du visage autour
des lunettes en guise d'espaces
négatifs.
LE COU
Utilisez l’espace négatif en avant du cou pour
percevoir clairement le contour du menton et
le contour du cou (figure 10-11). Vérifiez
l’angle que forme l’avant du cou par rapport à
la verticale. N’oubliez pas non plus de vérifier
le point où l’arrière du cou rejoint le crâne. Ce
point se situe généralement au niveau du nez
ou de la bouche (figure 10-11).
Fig. 10-11. Déterminez soigneusement ce point par
rapport au niveau du nez et de la bouche. L’avant
du cou est souvent légèrement incliné par rapport à
la verticale.
LE COL
143
Ne dessinez pas le col. Il s’agit de nouveau d’un détail
lourdement grevé de symbolisme (figure 10-12). Utilisez
plutôt le cou comme espace négatif pour dessiner le dessus
du col de même que vous utiliserez les espaces négatifs pour
dessiner les pointes du col, l’ouverture de la chemise,
éventuellement, et le contour de l’arrière du col, comme à la
figure 10-12. (L’efficacité de la technique de «
dépassement » vient certainement du fait que des formes
telles que l’espace négatif autour d’un col peuvent
difficilement être nommées et qu’on ne dispose d’aucun
symbole préconçu qui en déforme la perception.)
Fig. 10-12. Utilisez la technique du dépassement., pour les éléments
fortement imprégnés des formes conceptuelles symboliques et
stéréotypées mémorisées depuis les dessins d’enfance.
L’OREILLE
Maintenant que vous avez dessiné tous les
traits du visage, ou presque, mesurez sur
votre modèle la hauteur de la moitié inférieure
de la tête (niveau des yeux - menton) et la
hauteur de la moitié supérieure (niveau des
yeux - sommet du crâne) et comparez ces
mesures. Pour ce faire, mesurez vraiment la
tête de votre modèle avec votre crayon (figure
10-13). La distance entre le niveau des yeux
et le dessus des cheveux doit être au moins
aussi longue (éventuellement plus longue si
les cheveux sont épais) que la distance entre
le niveau des yeux et le menton.
Reportez ensuite ces mesures sur votre dessin.
Posez votre crayon à la verticale sur votre
dessin et mesurez la distance entre le niveau
de l’oeil et le menton en plaçant l’extrémité
de la gomme au niveau de l’oeil et en
marquant du pouce et de l’index l’endroit où
arrive le menton. En conservant cette
Fig. 10-13.
mesure, levez votre crayon, faites-le glisser le long de la ligne du niveau de l’oeil jusqu’au
milieu du crâne et marquez sur votre dessin l’endroit où se placera le sommet du crâne. Ne «
sautez » pas cette étape en vous disant que vous n’oublierez pas de dessiner le crâne
suffisamment grand. Situez ensuite l’emplacement de l’arrière de l’oreille : posez de nouveau
votre crayon sur votre feuille et mesurez la distance entre le niveau de l’oeil et le menton.
Reportez cette mesure entre l’arrière de l’oeil et l’arrière de l’oreille. Ou bien encore,
visualisez le triangle rectangle isocèle. Les figures 10-14 et 10-15 illustrent ces deux
méthodes. Marquez sur votre dessin l’endroit où se placera l’arrière de l’oreille (figure 10-15).
144
Commencez par dessiner la forme de l’espace négatif derrière l’oreille. Dessinez ensuite
les formes à l’intérieur de l’oreille en dirigeant toujours votre regard vers la forme voisine de
celle que vous voulez dessiner pour vous servir de cette forme comme d’un espace négatif.
N’oubliez pas de vérifier la taille de l’oreille par rapport aux autres traits du visage : Où se
trouve le dessus de l’oreille par rapport à l’oeil et au sourcil ? Où se situe le bas de l’oreille
par rapport au nez et à la bouche ? Rappelez-vous que les oreilles sont de dimensions
surprenantes.
Fig. 10-14.
Fig. 10-15.
LES CHEVEUX
Les élèves me demandent souvent de leur montrer « comment on dessine les cheveux ». Je
pense que pour la plupart des débutants, cette question signifie en réalité : « Montrez-moi
comment dessiner les cheveux rapidement, facilement, et que l’effet soit fantastique ».
Autrement dit : « Donnez-moi un symbole pour les cheveux meilleur que celui que j’utilise
pour le moment ». De tels miracles n’existent évidemment pas. Les cheveux se dessinent
exactement de la même manière que les autres détails : il faut les percevoir tels qu’ils sont,
dans toute leur complexité, et dessiner ce qu’on voit. Cela ne signifie pas qu’il faille dessiner
chaque cheveu mais cela veut dire que vous devez prendre le temps de dessiner au moins une
145
Fig. 10-16.Anthony Frederick, Augustus Sandys (1832-1904). Proud Maisie. Avec l’aimable autorisation
du Musée Victoria et Albert, Londres.
partie des cheveux — reproduire le mouvement précis des mèches, la texture exacte de
certaines régions de la chevelure. Recherchez les zones sombres où les cheveux se séparent et
servez-vous de ces zones comme d’espaces négatifs. Déterminez les grands mouvements, la
courbe précise d’une mèche ou d’une ondulation. L’hémisphère droit, qui adore la
complexité, peut tomber en extase devant les détails d’une chevelure, et la reproduction
correcte de vos perceptions dans cette partie précise du dessin peut avoir un impact
formidable, comme le montre le portrait de Proud Maisie (figure 10-16). Sont à éviter les
petits traits hâtifs et symboliques qui représentent les cheveux avec la même désinvolture que
si vous aviez écrit le mot en toutes lettres en travers du portrait.
Lorsque vous serez prêt à commencer, rappelez-vous qu’il vous faudra trente à quarante
minutes. Vous pourriez régler une minuterie pour ne pas oublier d’accorder une pause à votre
modèle. Prévenez d’ailleurs cette personne que vous ne pourrez pas bavarder pendant qu’elle
posera.
Placez votre modèle et prenez la distance voulue. Délimitez la forme générale de la tête.
Visualisez cette forme sur votre feuille à dessin. Dirigez votre regard vers les espaces négatifs
qui l’entourent. Vous vous sentirez dériver vers le mode-D... atteignant l’état de conscience
qui vous permet d’accéder à une vision claire des choses.
Après avoir terminé : Vous pouvez être fier de vous — vous avez réussi. J’espère que vous
êtes aussi satisfait de votre dessin que le sont mes élèves après leur premier portrait.
S’il vous semble que certaines parties de votre dessin ne sont pas parfaitement correctes.
tâchez de corriger les erreurs en utilisant les procédés suivants. En renversant le dessin. vous
aurez une vision plus fraîche et plus objective des rapports entre les divers éléments et vous
verrez où d’éventuelles corrections sont « L’objet, qui est le support de toute oeuvre
146
nécessaires. Une autre technique très utile pour
déceler les erreurs consiste à recouvrir la partie
du dessin qui semble incorrecte et à visualiser
cette partie comme elle devrait apparaître.
Gardez cette image à l’esprit pendant que vous
regardez le dessin. Retirez ensuite rapidement
la main pour laisser paraître la partie
d’art véritable, est l’accomplissement d’une
manière d’être, un état de fonctionnement
intense, un instant plus qu’ordinaire de notre
existence ... C’est dans cet état que nous
faisons nos découvertes car c’est alors que
nous voyons clair. »
Robert Henri, The Art Spirit
escamotée. Si cette partie du dessin est incorrecte — mal placée ou trop petite — vous verrez
immédiatement l’erreur. Une troisième technique consiste à dresser le dessin à côté du modèle
et à vérifier successivement chaque espace négatif, en contrôlant les angles, les dimensions,
etc. — d’abord sur le modèle, ensuite sur le dessin. Là où les espaces négatifs ne concordent
pas, vous trouverez une erreur.
Afin d’éviter toutefois que vous ne jugiez trop sévèrement votre travail, le moment est venu
de reprendre les dessins préliminaires que vous aviez réalisés à la fin du chapitre 1. La
comparaison sera peut- être aussi frappante que pour les dessins avant et après reproduits à la
fin de ce chapitre. En effet, si vous examinez votre dessin préliminaire d’une tête et votre
dessin préliminaire d’un personnage de mémoire (votre dessin de personnage), vous
constaterez vraisemblablement une répétition de votre symbolique dans les traits du visage.
Mais le dessin de profil que vous venez de réaliser ne comporte probablement aucune trace de
cette symbolique et avec ce dernier dessin, vous êtes en bonne voie pour atteindre un niveau
adulte d’expression visuelle.
TRAVAUX D’ELEVES
Profils en dessin
Maintenant que vous avez lu toutes les instructions pour éviter les problèmes spécifiques du
portrait de profil, voyez les travaux d’élèves consacrés à ce type de dessin. En examinant ces
travaux, passez en revue les différentes étapes franchies par les élèves pour réaliser leurs
portraits. Relevez les mesures principales en posant votre crayon sur chaque dessin mesurez
les distances entre le niveau de l’oeil et le menton, le niveau de l’oeil et le sommet du crâne,
l’emplacement de l’oreille, et ainsi de suite. Tâchez de deviner quelles sont les formes
difficiles comme les lunettes, l’iris, l’oreille, etc., pour lesquelles l’élève-artiste a dû utiliser
les espaces négatifs.
148
Janice Gallagher
Sheila Kalivas
Exercices supplémentaires
Avant de commencer : Pour ces exercices, je vous demande de copier des dessins de maître,
c’est-à-dire des portraits réalisés par des artistes connus de jadis. Le but est d’observer la
manière dont un grand artiste a vu le visage d’un individu particulier, dans toute la complexité
des proportions. En copiant ce portrait, imaginez-vous donc que vous êtes ce grand artiste et
retracez la progression de son travail. Copiez un portrait de profil d’un grand maître. Utilisez
les espaces négatifs à l’extérieur de la forme et à l’intérieur de celle-ci (technique du
« dépassement ») en dessinant, à la place des éléments « difficiles », les formes qui leur sont
directement adjacentes. Si vous le voulez, vous pouvez copier le portrait la tête en bas (Voir
figure 10-17).
10b. Si le premier portrait de maître que vous avez copié était celui d’une femme, copiez à
présent celui d’un homme, ou inversement.
.4 pris avoir terminé : En vous aidant des techniques conseillées pour les dessins de profil.
recherchez les éventuelles erreurs de perception dans les dessins que vous venez d’exécuter.
Ensuite, pendant toute la journée, vous regarderez les personnes que vous rencontrez comme
si vous étiez un grand maître et comme s’ils étaient d’éventuels modèles. Imaginez ce que
donnerait leur portrait dans le style du maître dont vous avez copié les tableaux.
MAITRISE DE LA TECHNIQUE
149
Avant de vous attaquer à l’étape suivante, c’est-à-dire le portrait de trois quarts, faites les
exercices 10a et b.
La première étape, comme pour chaque dessin, est de créer une situation propice à la
conversion cognitive vers le mode-D. Tâchez de disposer d’un laps de temps d’une demi-
heure au moins. Commencez par fixer du regard les espaces négatifs. Avec le temps, votre
cerveau s’accoutumera à cette démarche et la conversion s’effectuera toujours plus aisément.
Une fois plongé dans le mode-D, votre unique problème sera de vous rappeler d’accorder une
pause à votre modèle.
Si, comme cela arrive parfois, votre cerveau gauche reste actif, le meilleur remède est de
procéder à une brève séance de dessin de contour pur, en dessinant votre modèle ou n’importe
quel objet complexe. Le dessin de contour pur semble imposer plus radicalement la
conversion vers le mode-D et il s’agit donc d’un excellent exercice d’ « échauffement » avant
de dessiner n’importe quel objet.
UN QUART DE TOUR : LA VUE DE TROIS QUARTS
Fig. 10-17. Dessin d’élève de l’une des Quatre
Têtes de Dürer.
Fig. l0-18. Esquisse d’après un portrait de trois
quarts réalisé pur l’artiste allemand Lucas
Cranach (1472-1553). Tête d’un Jeune Homme avec
une Toque rouge.
Les jeunes enfants dessinent rarement les personnes la tête légèrement tournée d’un côté dans
la position dite de trois quarts. Généralement, les enfants dessinent les visages soit de face soit
de profil. Vers l’âge de dix ans, ils s’essayent au portrait de trois quarts peut-être parce que cet
angle de vue permet d’exprimer plus fidèlement la personnalité du modèle. Les problèmes
que rencontrent les jeunes artistes dans ce genre de dessin sont toujours les mêmes : la vue de
trois quarts produit des perceptions visuelles en contradiction avec les formes symboliques
150
qu’ils ont développées depuis la prime enfance pour figurer les visages de face et de profil
et qui, lorsqu’ils ont dix ans, sont solidement ancrées dans leur mémoire.
Quelles sont ces contradictions ? Primo, comme vous pouvez le voir à la figure 10-18, le nez
n’est pas le même que le nez vu de profil. Secundo. les deux côtés du visage sont de largeur
différente, l’un étant plus large et l’autre plus étroit. Tertio, l’oeil du côté le plus éloigné est
plus étroit que l’autre et présente une forme différente. Quarto, la moitié de la bouche du côté
le plus éloigné est plus courte que l’autre moitié et se dessine différemment. La perception
d’une asymétrie dans les traits du visage entre donc en conflit avec les symboles mémorisés
qui reproduisent presque toujours les traits de manière symétrique de chaque côté du visage.
Pour résoudre ce conflit. il faut donc dessiner uniquement ce qu’on voit sans remettre en
question sa perception des formes et sans modifier ces dernières pour les faire correspondre à
une symbolique gardée en mémoire. Voir les choses-telles-qu’elles-sont, dans la merveilleuse
complexité qui les singularise, voilà la clé qui ouvrira la porte.
Avant de commencer : J’aimerais vous guider le long de cette évolution, étape par étape, et
vous enseigner quelques procédés qui vous permettront de garder une claire perception de la
réalité. Notez une fois de plus que si je faisais une démonstration de portrait de trois quarts, je
ne nommerais aucune des parties du visage, me contentant simplement de les désigner du
doigt. Aussi, lorsque vous dessinez, ne nommez pas les différentes parties du visage. Essayez
même de ne pas vous parlez intérieurement pendant que vous travaillez.
Fig. 10-19. Evaluez l’inclinaison
de axe central par rapport à la
verticale. La ligne du niveau des
yeux est perpendiculaire à l’axe
central.
Fig. 10-20. Les bords de la feuille représentent la verticale et
l’horizontale. L’angle de l’axe central est dessiné sur la feuille par
rapport à la verticale (le bord de la feuille).
1. Pour ce premier dessin, placez votre modèle de sorte que, de votre place, le bout du nez
coïncide avec le contour extérieur de la joue la plus éloignée, comme la figure 10-19. La joue
constitue ainsi un espace fermé.
151
2. Tout comme pour le dessin de profil, cadrez la forme à l’aide d’un viseur ou avec la
main et le crayon. Fixez du regard les espaces négatifs jusqu’à ce qu’ils vous apparaissent
comme des formes. Regardez ensuite la forme générale de la tête — le contour extérieur
général — et attendez qu’il vous apparaisse comme une forme.
3. Baissez ensuite les yeux sur votre feuille blanche et visualisez la forme générale de la tête
sur le papier. Faites une esquisse mentale de cette forme — vous pouvez la tracer légèrement
si cela vous aide à en fixer l’image.
4. Observez votre modèle. Situez d’abord l’axe central, c’est-à-dire la ligne fictive qui passe
exactement par le centre du visage. Dans la vue de trois quarts, l’axe central passe parles deux
points suivants : le milieu de l’arête du nez et le milieu de la lèvre supérieure. Imaginez un
mince fil traversant le nez (figure 10-19). En tenant votre crayon verticalement à un bras de
distance en direction de la tête de votre modèle, vérifiez l’angle d’inclinaison de l’axe central.
L’inclinaison de la tête est différente pour tous les modèles. Evaluez cet angle par rapport à la
verticale (c’est-à-dire votre crayon). Visualisez une nouvelle fois la forme générale de la tête
sur votre feuille et tracez l’axe central avec l’inclinaison correcte (figure 10-20). Cet angle
d’inclinaison est essentiel pour la ressemblance du portrait. Ensuite, tracez très finement la
ligne du niveau des yeux perpendiculairement à l’axe central afin d’éviter la distorsion des
traits dont j’ai parlé au chapitre 9. Mesurez sur votre modèle et ensuite sur votre feuille pour
vous assurer que la ligne du niveau des yeux se situe bien à mi-hauteur de la forme générale.
5. Vous allez utiliser la méthode du dessin de contour modifié : dessinez lentement en
concentrant votre attention sur les côtés et en percevant les rapports de dimensions,
d’inclinaisons, etc. Cette fois encore, vous pouvez commencer par où vous semble bon. (J’ai
tendance à commencer par la forme qui se trouve entre le nez et le contour de la joue la plus
éloignée parce que cette forme est facile à voir, comme à la figure 10-21). Les instructions
suivantes suivent un ordre particulier mais vous pouvez en préférer un autre.
Fig. 10-21. Toute cette région doit d’abord Fig. 10-22.
vous apparaître comme une forme.
6. Regardez cette forme et fixez-la jusqu’à ce qu’elle vous apparaisse clairement. Dessinez-en
le contour extérieur. Comme vous le voyez, ce dessin vous donne le contour du nez. A
l’intérieur de cette forme vous avez dessiné l’oeil avec la configuration particulière qui est
celle des yeux vus de trois quarts. L’oeil, lui aussi, se « dessine tout seul ». Il suffit de
dessiner les formes qui l’entourent. Vous pouvez suivre l’ordre conseillé à la figure 10-22
mais ce n’est pas nécessaire. D’abord la forme au-dessus de l’oeil (1), puis la forme voisine
(2), ensuite la forme du blanc de l’oeil (3), et enfin la forme en dessous de l’oeil (4). Tâchez
de ne pas penser à ce que vous dessinez. Dessinez simplement chaque forme en observant
celle qui lui est adjacente.
152
7. Situez ensuite l’emplacement de l’oeil du côté de la tête le plus proche de vous. Vous
remarquerez que sur votre modèle, le coin intérieur de l’oeil se situe sur la ligne du niveau des
yeux. Vous remarquerez également que l’oeil est particulièrement éloigné du contour du nez :
celte distance est presque toujours égale à la longueur de l’oeil lui-même (figure 10-22).
L’erreur la plus fréquente que commettent les élèves débutants dans le portrait de trois quarts,
est de dessiner l’oeil trop très du nez. Cette erreur déroute toutes les autres perceptions et peut
nuire au dessin. Tâchez de voir (par la visée) la longueur de cette distance et de la dessiner
comme vous la voyez.
8. Ensuite, le nez. Situez sur votre modèle le bord de la narine par rapport au coin intérieur de
l’œil : abaissez une droite suivant la même inclinaison que l’axe central (parallèlement à cet
axe) (figure 10-23). Ne remettez pas vos perceptions en question. Rappelez-vous que les nez
sont plus grands que vous pensez. Dessinez ensuite la forme de la narine en suivant la forme
des espaces qui entourent le nez.
9. La bouche. Evaluez la distance à laquelle
se trouve la bouche (à l’endroit où les lèvres
se joignent) sur l’axe central par rapport à la
longueur du nez, par exemple. Faites une
marque. Situez le coin de la bouche par
rapport à l'oeil (figure 10-23). Observez
ensuite la ligne médiane de la bouche et
dessinez-en la courbe exacte, telle que vous la
percevez. Cette courbe est importante dans la
mesure où elle détermine l’expression du
modèle. N’essayez pas de qualifier cette
expression en vous disant intérieurement :
« Elle a une expression très agréable » ou « Il
a l’air tellement aimable ». Les perceptions
visuelles sont là pour être vues. Si vous voyez
clairement et si vous dessinez exactement ce
que vous voyez, l’expression du visage sera
précisément l’élément auquel vous réagissez.
Le mode-D vous permet de réagir, bien sûr —
mais pas avec des mots.
Fig. 10.23.
Poursuivez en dessinant d’abord la ligne médiane de la bouche du côté le plus proche du
visage. Complétez par les bords supérieurs et inférieurs des lèvres du même côté en vous
rappelant que ces traits doivent être légers parce qu’ils ne représentent pas des contours
extérieurs.
Pour dessiner la bouche du côté le plus éloigné du visage, utilisez la technique des espaces
négatifs que vous avez utilisée pour dessiner l’oeil de ce même côté du visage. Dessinez la
forme des espaces autour de la bouche. Une fois encore, notez avec précision la courbe de la
ligne médiane.
10. L’oreille. Situez exactement l’oreille soit par la visée, soit en mesurant sur le modèle.
Prenez garde à placer l’oreille suffisamment en arrière. La distance entre le niveau des yeux et
le menton sera à peu près égale à la distance entre le coin intérieur de l’oeil et l’arrière de
l’oreille. Vous pouvez vérifier ce rapport en mesurant sur votre modèle si c’est nécessaire.
153
Observez ensuite où se situe le dessus de l’oreille, ensuite le dessous, et dessinez l’oreille
d’après les espaces négatifs qui l’entourent.
11. Les cheveux et l’encadrement du visage. Dessinez les cheveux qui encadrent le visage
comme vous l’avez fait pour votre dessin de profil : utilisez le front comme espace négatif
dont le contour extérieur serait la limite de la chevelure. Ensuite, observez et dessinez
certaines parties, au moins, des cheveux, en reproduisant l’allure générale, certains
mouvements particuliers, la texture, les zones sombres où les mèches se séparent, etc.
12. Le cou et le col. Observez sur votre modèle l’endroit où le contour du cou semble émerger
du contour du menton, que vous avez déjà dessiné. Evaluez ensuite l’angle que forme le cou
par rapport à la verticale. Dessinez ces contours. Pour dessiner le col ou l’encolure du
vêtement, dessinez les formes adjacentes à celles que vous voulez reproduire : le cou, la
surface autour du col ou en dessous de lui. Comme pour toutes les formes dont le dessin est
empreint de symbolisme, vous devez regarder l’espace autour de la forme pour dessiner
correctement cette dernière.
13. Vous avez peut-être envie d’ombrer légèrement ce dernier dessin. Observez la forme des
zones sombres sous la lèvre inférieure ou sous le menton. par exemple, ou encore sous le nez.
Vous verrez peut-être une zone sombre sur le côté du nez ou sous la paupière inférieure. Vous
pouvez ombrer légèrement les zones sombres avec votre crayon et étendre la couleur avec le
bout du doigt si vous le voulez. Tachez de situer et de noircir les zones sombres exactement
comme vous les voyez. Leur forme est déterminée par la structure osseuse du visage et la
lumière moins vive qui les éclaire. Dans le chapitre suivant, j’expliquerai plus complètement
l’utilisation des clairs et des sombres pour accentuer l’aspect tridimensionnel de vos dessins.
Maintenant que vous avez lu toutes les directives, vous êtes prêt à dessiner. Placez votre
modèle et votre feuille de papier. Délimitez la forme du visage. Visualisez-la sur votre feuille.
Dirigez votre regard vers les espaces négatifs. Vous vous sentirez passer au mode-D.
Après avoir terminé : Une fois le dessin terminé,
vous vous assoirez probablement en regardant
votre dessin et vous exercerez un regard différent
de celui que vous exerciez pendant que vous y
travailliez. Une fois le dessin achevé, vous le
considérerez d’un oeil plus critique, plus
analytique. et vous remarquerez peut-être de
« Lorsqu’une certaine activité, comme la
peinture, devient un mode d’expression
habituel, il se peut que le fait de prendre son
matériel de peinture et de se mettre à
travailler avec ces instruments agisse de
manière suggestive et provoque aussitôt un
essor vers l’état supérieur ».
Robert Henri, The Art Spirit
légères erreurs, de petites différences entre le modèle et le dessin. C’est la façon de faire de
l’artiste. Quittant le mode-D, son mode de travail, pour réintégrer le mode-G, l’artiste prévoit
l’étape suivante, évalue le dessin en fonction des critères particuliers du cerveau gauche,
prévoit les corrections nécessaires. Reprenant alors sa brosse ou son pinceau, l’artiste se remet
à l’ouvrage et se replonge dans le mode-D, son mode de travail. Ces décrochages et reprises
154
successifs se poursuivent jusqu’à ce que
l’ouvrage soit terminé, c’est-à-dire jusqu’à
ce que l’artiste décide que le tableau n’a plus
besoin d’être travaillé.
Vous souhaitez peut-être vous replonger
dans le dessin pour une seconde séance de
pose. Gardez-vous cependant de dessiner
sans que le modèle pose pour vous. Dès que
vous essayez d’ « achever » un dessin sans
vous référer au modèle, la porte des
perceptions se referme brutalement et vous
risquez de gâcher votre travail. Pour ces
premiers dessins, il est particulièrement
nécessaire d’avoir l’objet matériel sous les
yeux.
Avant de passer à la leçon suivante, relisez
les instructions relatives à la vue de trois
quarts et faites les exercices 10c, d et e.
Fig. 10-24. Copie d'élève d’un dessin de maître.
Sara Clippinger
FAITES FRONT : LE PORTRAIT DE FACE
Avant de commencer :Cette fois encore, lisez d’abord toutes les directives. Revoyez les
proportions du blanc au chapitre 9. Eliminez tous les travaux d’élèves.
1. Fixez une feuille sur votre planche avec du papier collant ou des punaises, choisissez la
position de votre modèle, réglez une minuterie, etc. Ces préparatifs vous sont probablement
déjà familiers.
Exercices supplémentaires
10e. Copiez un dessin de maître d’une personne vue de trois quarts (voir figure 10-24).
10d. Si le premier portrait de trois quarts était celui d’une femme, copiez à présent le portrait d’un
homme.
10e. Disposez deux miroirs et une lampe de manière à voir votre propre visage de trois quarts, la lampe y
produisant un fort contraste de clairs et de sombres. Faites votre autoportrait de trois quarts en ombrant
certaines formes plus foncées (voir page 176).
2. Cadrez la forme et attendez que vous apparaissent les espaces négatifs et la forme générale
de la tête. Visualisez cette forme sur votre feuille blanche pour amorcer une conversion
cognitive vers le mode-D. Faites une esquisse mentale afin de savoir où se placeront les traits
du visage, le sommet de la tête, etc. et quelles seront leurs dimensions relatives.
155
3. En tenant votre crayon verticalement à bout de bras, vérifiez l’inclinaison de l’axe
central. Tracez (très finement) la ligne du niveau des yeux. A présent vous pouvez
commencer le dessin ; vous devez être passé au mode-D.
4. Vous pouvez commencer par n’importe quelle partie de la tête. Je donnerai de nouveau mes
instructions dans un ordre particulier afin de les simplifier, mais il se peut que plus tard, vous
adoptiez un ordre différent.
5. Placez les yeux (remarquez que l’espace entre les yeux est de la longueur d’un oeil). Voyez
et dessinez le contour exact de chaque oeil. Les deux yeux sont souvent différents. Pour
percevoir plus clairement les contours, fixez votre regard sur la forme au-dessus de l’oeil
(entre la paupière supérieure et le sourcil) et utilisez cette forme comme un espace négatif.
Observez la forme exacte des paupières, le mouvement précis des cils. Ne modifiez rien, ne
repensez rien — dessinez simplement ce que vous voyez.
6. Le nez. En observant le modèle, visualisez un triangle joignant les coins extérieurs des
yeux et la pointe du nez. Ce triangle présente une forme particulière pour chaque modèle.
Visualisez ensuite le triangle sur votre dessin et faites une marque pour l’emplacement de la
pointe du nez. Cette technique. conforme au mode-D, permet de percevoir correctement la
longueur du nez — ce détail posant de fréquents problèmes aux élèves débutants. Observez
ensuite sur votre modèle la largeur du nez au niveau des narines par rapport aux coins
intérieurs des yeux.
Observez les clairs et les sombres le long du nez. Dans la plupart des cas, vous verrez un clair
d’un côté du nez et un sombre de l’autre côté. Si vous regardez attentivement, vous
remarquerez que ces clairs et sombres ont une forme spécifique, déterminée par la lumière qui
tombe sur la structure osseuse particulière de ce nez particulier. En dessinant le clair ou le
sombre (il faut choisir l’un ou l’autre), vous reproduirez la structure osseuse du nez. Pour ce
faire, dessinez l’un des côtés du nez, pas les deux.
Chez la plupart des gens, les symboles figurant les narines sont particulièrement résistants.
Dessinez les formes en dessous des narines afin de dépasser votre symbolisme.
« Lorsqu’on dessine un visage, n’importe quel visage. c’est comme si des rideaux se levaient, comme si des
masques tombaient l’un après l’autre ... jusqu’à ce que seul subsiste un dernier masque qu’on ne peut ni
retirer ni réduire. Une fois le dessin terminé, j’en sais long sur ce visage, car aucun visage ne peut se
dissimuler longtemps. Rien n’échappe à l’oeil mais tout est pardonné d’avance. Le regard ne juge pas, ne
moralise pas, ne critique pas. Il accepte les masques avec gratitude comme il accepte que les longs
bambous sont longs et que la gerbe d’or est jaune. »
Frederick Franck The Zen of Seeing
7. La bouche. Evaluez la longueur de la lèvre supérieure par rapport à la longueur du nez, par
exemple. Tracez la ligne médiane de la bouche en prenant garde qu’elle soit perpendiculaire à
l’axe central. Il arrive souvent qu’on dessine la bouche en oblique, ce qui modifie
étrangement l’expression. Notez avec un soin particulier la forme et la position des coins
extérieurs de la bouche, ces derniers contribuant pour beaucoup aux nuances expressives du
visage. Dessinez ensuite le contour extérieur des lèvres. La lèvre inférieure n’est parfois
qu’une région plus sombre qui souligne la lèvre supérieure. Regardez attentivement votre
modèle. Des traits épais figurant le bord des lèvres résultent souvent d’une perception
incorrecte ou de l’interférence d’un symbole. En général, les bords des lèvres ne sont pas des
contours abrupts mais de simples changements de coloration.
156
8. Le crâne. Mesurez sur votre modèle la distance entre le niveau des yeux et le sommet
des cheveux et comparez-la à la distance entre le niveau des yeux et le menton. Marquez sur
votre papier l’endroit où arrivera le point le plus excentrique du contour de la forme générale.
Cela vous aidera à dessiner correctement la forme du visage.
9. Le visage. Notez la distance entre les traits et la limite extérieure du visage telle que vous la
percevez. Quelle est cette distance par rapport à un élément que vous avez déjà dessiné,
comme l’œil, le nez ou la bouche ? Quelle est la longueur du menton par rapport au nez que
vous avez dessiné ? Toujours par la méthode du dessin de contour modifié, dessinez la forme
du visage.
10. Les cheveux. Observez cette fois encore la forme extérieure de la chevelure et sa forme
intérieure, là où elle rencontre le visage. Notez le mouvement général des cheveux, les
endroits où ils se séparent et laissent des traces plus sombres. Observez et dessinez certains
détails du mouvement de la coiffure et de la manière dont elle encadre le visage. Donnez au
spectateur des informations suffisantes pour décrire l’aspect général de la coiffure.
« Dépassez » votre symbolique en dessinant certaines régions complexes de la chevelure.
Tâchez d’utiliser le même style de trait pour dessiner les cheveux que pour dessiner le visage
— autrement dit, assurez-vous que le trait que vous utilisez reste le même du visage aux
cheveux. La qualité du trait, l’intensité du ton et la précision des détails doivent rester
constants pour le dessin des cheveux et le dessin du visage. Si vous avez employé un trait net
et foncé pour dessiner le visage, par exemple, utilisez le même trait net et foncé pour dessiner
les cheveux. Cette constance créera l’unité du portrait. Par contre, l’usage d’un trait net et
foncé pour les traits du visage et d’un trait léger et imprécis pour les cheveux aboutirait à un
dessin désuni.
11. Le cou, le col et les épaules. Vérifiez que la largeur des épaules soit suffisante par rapport
à la largeur du visage. Utilisez les espaces négatifs pour dessiner le col (les espaces sous le col
et autour de lui). Prenez soin que les épaules soient suffisamment larges. Une erreur fréquente
parmi les élèves débutants consiste à dessiner des épaules trop étroites. Vérifiez à deux fois
l’espace négatif au-dessus de l’épaule en vous demandant : « Où se situe la limite de l’épaule
par rapport au contour du visage ? »
12. Achevez le dessin en reproduisant la merveilleuse complexité de tous ses contours et en
ombrant, si vous le souhaitez, les zones que vous percevez comme des formes plus sombres.
Après avoir terminé : Maintenant que vous avez observé avec grande attention le visage des
autres, vous comprenez certainement ce que veulent dire les artistes lorsqu’ils prétendent
qu’un visage humain est toujours beau.
TRAVAUX D’ELEVES
Portraits de face
En examinant les portraits d’élèves aux pages suivantes, tâchez de réviser mentalement les
divers procédés utilisés par les artistes. Procédez vous-même aux différentes prises de
mesures. Cela vous permettra d’améliorer votre technique et de vous exercer l’oeil.
AU-DELÀ DU PORTRAIT
157
Terminez par les exercices 10f, g et h avant de poursuivre la lecture des instructions
suivantes pour ombrer vos dessins. Cette technique vous permettra d’affiner les perceptions
de votre regard fraîchement éveillé.
Exercices supplémentaires
Voyez dans les travaux d’élèves des exemples de portraits et de copies de dessins de maîtres.
10f. Cherchez un dessin de maître d’un visage vu de face. En copiant ce dessin vous
approfondirez vos connaissances en matière de proportions et vous vous exercerez à utiliser
les espaces négatifs, etc. Tout en dessinant, vous constaterez que la moindre modification de
la longueur ou de l’orientation d’une ligne ou d’une forme altère l’expression du visage.
Vérifiez toutes les proportions en mesurant avec votre crayon les divers éléments du dessin.
Tournez le dessin la tête en bas si c’est nécessaire pour mieux percevoir les proportions.
10g. Si ce premier portrait de face était celui d’une femme, demandez à un homme qu’il pose
pour vous. Faites-en le portrait de face, votre modèle portant cette fois un chapeau — de
n’importe quel genre. Si vous avez copié le portrait d’un homme, demandez à une femme
qu’elle pose pour vous.
10h. Asseyez-vous face à un miroir. une lampe vous éclairant d’un côté et faites votre
autoportrait en observant la forme des ombres sur votre visage.
Georgette Zuleski. Exemple 10f.
John Boomer
161
Passage à la troisième dimension : voir la lumière pour dessiner les ombres
L’ambition la plus grande des élèves est de donner aux formes un effet
de tridimensionnalité en apprenant à « ombrer » le dessin. Cette
technique se fonde sur la perception des variations de tons entre le clair
et l’obscur. Les différents degrés de tonalité s’appellent valeurs.
L’échelle complète des valeurs va du blanc pur au noir pur en passant
littéralement par des milliers de nuances infimes.
Dans un dessin au crayon, jeton le plus clair est le blanc de la feuille elle-
même. Le ton le plus foncé s’obtient en groupant les traits en une zone
aussi sombre que le permet la mine du crayon. Les tons intermédiaires
s’obtiennent en manipulant le crayon suivant des procédés divers : le
dessin en noir et blanc, la hachure, etc. Dans ce chapitre, je vous
montrerai d’abord comment voir les ombres et je décrirai ensuite
brièvement les différentes manières d’ombrer un dessin.
LE ROLE DU CERVEAU DROIT DANS LA PERCEPTION DES
SOMBRES
La réflexion de la lumière sur un objet nous révèle la forme de cet objet :
les valeurs tonales des sombres et des clairs nous permettent de voiries
formes dans leurs trois dimensions. Il est curieux de constater que, tout
en utilisant l’opposition clair—sombre pour interpréter et identifier les
objets, nous ne prêtons aucune attention, ou presque, aux formes
spécifiques de ces clairs et sombres. Il semble qu’on ignore, ou qu’on
dépasse, ces formes de la même manière qu’on ignore les images
renversées ou les espaces négatifs. Après tout, les ombres ne sont
d’aucune utilité pour le cerveau gauche si ce n’est pour les informations
qu’elles lui fournissent et qui lui permettent d’identifier les objets
tridimensionnels.
Pourtant, les ombres (et les zones claires) peuvent être considérées
comme des formes en soi, au même titre que les espaces négatifs et par le
même procédé. Centrez d’abord votre regard sur une ombre (par
exemple, l’ombre sur le visage d’Henry Fuseli, figure 11-2) et attendez
un instant que le cerveau gauche, après avoir scruté cette forme sans la
reconnaître, relègue le travail au cerveau droit — l’ombre vous
apparaissant à ce moment comme une forme. Il est alors possible de
dessiner ou de peindre cette forme sur votre feuille et elle fonctionnera
pour le spectateur exactement de la même manière dont les ombres
fonctionnent dans le monde réel : elle révélera la forme exacte de l’objet
tridimensionnel, en l’occurrence le visage d’Henry Fuseli. (Si vous
retournez le livre pour regarder, à l’envers, l’ombre du visage de Fuseli,
celle-ci vous apparaîtra plus directement comme une forme).
Fig. 11. Echelle
des valeurs
162
Je voudrais insister sur l’importance de la
forme des ombres en m’exprimant d’une
autre façon : la forme de l’ombre sur le
visage du Fuseli est elle-même déterminée
par la forme du nez, de la joue et du visage
de l’artiste. Dès lors, si vous dessinez
correctement cette ombre, vous dessinerez
correctement la forme exacte du nez, de la
joue et du visage d’Henry Fuseli. Dans le
dessin ombré ce sont les formes des ombres
qu’il faut être capable de voir et de dessiner.
Et à l’intérieur des formes sombres, il faut
pouvoir déceler les rapports de valeurs :
quelles sont les formes sombres les plus
foncées, quelles sont les plus neutres et
quelles sont les plus claires.
Ces perceptions particulières, comme toutes
les techniques du dessin, s’exercent plus
facilement une fois que s’est produite la
conversion cognitive vers le mode de
l’artiste. Les recherches récentes ont montré
que l’hémisphère droit était spécialisé non
seulement dans la perception de la forme des
ombres simples. mais encore dans
l’interprétation des figures que certaines
ombres forment entre elles. Les patients qui
souffrent de troubles de l’hémisphère droit
éprouvent souvent de grandes difficultés à
identifier les « figures ambiguës » complexes
et fragmentaires comme celles que vous
voyez à la figure 11-3.
Comment le cerveau droit arrive-t-il à cette
illumination qui lui permet de saisir la
signification de ces agencements de zones
claires et sombres ? Apparemment par
l’appréhension des rapports entre les
différentes formes qui s’agencent pour
Fig. 1-2. Henry Fuseli (1741-1825), Portrait de
l’Artiste. Avec l’aimable autorisation
du Musée Victoria et Albert, Londres.
« L’un des moments les plus heureux de la vie se
produit à cette fraction de seconde où le familier
devient soudain l’aura éblouissante de
l’intensément neuf ... Ces illuminations sont trop
rares, plus singulières que régulières : et nous
sommes embourbés la plupart du temps dans le
terre à terre et le trivial. Plus horrible encore :
ce qui semble terre à terre est la matière même
dont est faite la découverte. La seule différence
vient de notre perspective, de notre volonté
d’assembler les pièces d’une façon entièrement
nouvelle et de voir un dessin là où seules
apparaissaient des ombres un instant plus tôt ».
Edward B. Lindaman, Thinking in Future Tense
constituer l’ensemble. Le cerveau droit n’est nullement inhibé par l’absence de certains
éléments et semble prendre plaisir à « saisir » l’image en dépit de son caractère fragmentaire.
LUMIERE FAITE SUR LES FORMES SOMBRES
Essayons. Si vous trouvez une personne bénévole qui accepte de poser pour vous, placez une
lampe de sorte qu’un faisceau de forte lumière éclaire un des deux côtés de son visage,
laissant des ombres noires et contrastées sur la moitié non éclairée. Si vous ne trouvez pas de
modèle, vous pouvez vous dessiner vous-même en utilisant un miroir, ou vous pouvez vous
servir de la photographie d’un visage fortement éclairé.
Pour ces exercices, il vous faudra un pinceau (un pinceau à aquarelle n° 7 convient très bien ;
vous pouvez également utiliser un pinceau japonais comme on en trouve dans la plupart des
magasins de matériel d’artisanat). Il vous faudra aussi un flacon d’encre de Chine noire que
vous pourrez vous procurer dans la plupart des papeteries.
163
Fig. 11-3.
Avant de commencer : Lisez toutes les instructions pour ombrer votre dessin à l’encre de
Chine, Assurez-vous de disposer d’un laps de temps relativement long et ininterrompu. Mes
instructions étant consignées par écrit,je devrai désigner les formes par leur nom. Mais
lorsque vous peindrez la première forme sombre et toutes celles qui suivront, essayer de ne
pas nommer les traits du visage (le nez, les lèvres, etc.).
Fig. 11-4.
Fig. 11-5.
1. Le côté éclairé du visage sera rendu par le blanc de la feuille. Vous peindrez la forme des
ombres à l’encre noire. Vous n’utiliserez que deux valeurs, le blanc et le noir— pas de ton
intermédiaire. Le but de l’exercice est de vous apprendre a voir la forme des ombres.
2. Fixez votre regard sur une ombre, par exemple l’ombre qui longe le nez. Attendez qu’elle
vous apparaisse comme une forme. Une fois que vous en distinguez nettement la forme,
164
dessinez-la à l’encre avec votre pinceau. (Voir figure 11-4, un exemple de l’aspect que
peut prendre cette forme.)
3. Observez la forme suivante, par exemple l’ombre en dessous de la lèvre supérieure.
Dessinez cette ombre.
4. Tournez les yeux vers la forme suivante, par exemple celle qui se trouve sous la lèvre
inférieure. Observez cette forme en la comparant à celles que vous avez déjà dessinées.
Dessinez cette ombre (figure 11-5).
Fig. 11-6.
Fig. 11-7.
5. Etant donné que toute une moitié du visage se trouve dans l’ombre, dessinez cette vaste
forme telle que vous la percevez (figure 11-6).
6. Regardez maintenant les petites ombres du côté éclairé du visage et attendez qu’elles vous
apparaissent comme des formes. Noircissez ces formes en les peignant à l’encre et en
observant leurs proportions par rapport à celles d’autres formes déjà dessinées.
7. Essayez de discerner la forme des ombres du côté éclairé du chapeau. Peignez-les telles que
vous les voyez, dans leurs moindres détails. Evitez les formes symboliques — recherchez la
forme exacte des ombres (figure 11-7).
8. Achevez votre dessin à l’encre. L’espace négatif derrière la tête peut être peint comme une
forme sombre mais vous pouvez aussi conserver le blanc de la feuille (figure 11-8).
165
Après avoir terminé : Vous avez peut-
être été surpris au moment où votre
dessin vous est apparu comme un visage.
A cet instant, la force tridimensionnelle
du dessin s’est imposée à votre
conscience. Il semble que ce soit un
phénomène courant : vous dessinez
quelques formes qui ne semblent rien
composer de particulier ; puis,
subitement, vous « saisissez » l’image et
vous vous extasiez intérieurement : « Ça
marche ! » Si cette expérience vous a
échappé lors de ce premier dessin,
essayez-en un autre. Une manière
efficace pour vous accoutumer à ce type
de dessin est de copier une image comme
l’autoportrait de Rembrandt à la figure
11-9. Si votre cerveau gauche s’obstine à
intervenir, retournez le Rembrandt la tête
en bas et copiez-le de cette façon, à
l’encre et au pinceau. Vous remarquerez
que l’encre et le pinceau
Fig. 11-8.
permettent particulièrement bien d’apprendre à percevoir les ombres. Etant donné qu’il n’est
pas possible de gommer, vous êtes forcé de regarder très soigneusement la forme des ombres
avant de poser le pinceau sur le papier.
Fig. 11-9. Rembrandt Van Rijn. Autoportrait (1634).
Avec l’aimable autorisation du Kaiser-Friedrich
Museum, Berlin.
LA HACHURE DES OMBRES PLUS CLAIRES
166
Fig. 11-10.
Fig. 11-11
Quand vous aurez l’impression d’avoir vraiment perçu la forme des ombres grâce à la
technique de l’encre et du pinceau, vous serez prêt à ajouter d’autres valeurs que le blanc et le
noir à votre dessin —les tons intermédiaires de gris. Toutes sortes de techniques et de
procédés s’offrent à vous. La hachure est la technique la plus utile. Je vous en instruirai
brièvement. La hachure peut revêtir diverses formes, vous adopterez bientôt votre style
personnel de hachure, de même que vous possédez déjà votre propre style de trait.
1. La hachure consiste en plusieurs séries de traits courts, rapides et parallèles, une série se
superposant à une autre jusqu’à ce qu’on obtienne la valeur souhaitée. Commencez par une
« série » unique (figure 10-11).
2. Repassez la première série de traits avec une seconde série de traits parallèles qui recoupent
les premiers (voir figure 11-11)). Notez que la direction des seconds traits s’écarte très peu de
la direction des premiers.
3. Changez votre main de position et repassez une troisième fois les traits.
4. Ajoutez de nouvelles séries de traits en évaluant la valeur du ton et en adoucissant les
transitions entre les tons si c’est nécessaire. (La figure 11-12 illustre l’emploi de la hachure
pour « ombrer » une sphère.) Comme vous le voyez, la hachure rend la surface plus réelle et
donne un reflet d’air et de lumière entourant la forme.
167
Exercices supplémentaires
11a. Au fusain ou au crayon.
faites l’autoportrait de Kathe
Kollwitz à la figure 11-15. Notez
la complexité des ombres autour
des yeux. N’oubliez pas de
visualiser un triangle pour placer
l’oreille.
11b. Au pinceau et à l’encre de
Chine, copiez l’autoportrait de
Rembrandt à la figure 11-9.
11c. Examinez l’utilisation de la
hachure dans la nature morte de
Morandi à la figure 11-13.
Disposez quelques objets pour
une nature morte. Placez une
lampe de côté et utilisez votre
propre style de hachure.
11d. Dessinez un sac de papier au
crayon comme l’a dessiné un
élève à la figure 11-14.
Fig. 11-12.
11e. Utilisez le fusain pour dessiner un portrait comme ceux des figures 11-15 et
11-17.
11f. Recouvrez complètement une feuille de papier à dessin d’un ton uni avec le fusain.
Dessinez votre autoportrait en utilisant une gomme pour effacer les formes claires.
11g. Peignez un portrait à l’encre de Chine allongée d’eau en reproduisant le dessin des clairs
et des sombres comme à la figure 11-18.
EN RESUME
Ce chapitre n’a été qu’une brève initiation aux plaisirs qu’on éprouve à dessiner avec l’ombre
et la lumière. Les exercices 11a à 11g vous permettront d’améliorer vos aptitudes et vos
techniques dans la perception et la reproduction des effets d’éclairage sur les formes
tridimensionnelles. Pour vos progrès futurs, il convient de noter que les exercices à l’encre de
Chine et au pinceau vous mènent directement à la peinture et au monde fantastique de la
couleur. Votre voyage ne fait que commencer.
168
Fig. 11-13. Giorgio Morandi, Grande Nature morte avec cafetière (1934). Avec l’autorisation du Fogg Art
Museum, Université de Harvard.
Fig. 11-14.
Fig. 11-15. Kathe Kollwitz (1867-1945). Autoportrait
de profil. Avec l’aimable autorisation du Fogg Art
Museum.
171
Le Zen du dessin : la révélation de l’artiste
Au début de ce livre, j’ai dit que le dessin était un procédé magique. Quand votre cerveau est
las de jacasser sans cesse, le dessin vous permet de taire ses bavardages et de saisir la vision
fugitive d’une réalité transcendante. Par les moyens les plus directs, vos perceptions visuelles
traversent votre organisme en passant par les rétines, les nerfs optiques, les hémisphères
cérébraux, les nerfs moteurs, pour transformer en un tour de magie votre banale feuille de
papier en une image directe de vos réactions originales, de votre vision de la perception. Et
votre vision personnelle vous révélera aux yeux du spectateur, quel que soit le sujet de votre
dessin.
De plus, le dessin peut également vous
révéler à vos propres yeux, dévoilant
certains aspects de vous-même que votre
conscience verbale vous dissimulait. Vos
dessins peuvent vous apprendre la manière
dont vous voyez les choses et dont vous les
ressentez. Vous dessinez d’abord avec le
mode-D, en communiquant silencieusement
avec votre dessin. Ensuite, repassant au
mode de la parole, vous pouvez interpréter
vos sentiments et vos perceptions en
exploitant les puissantes facultés de votre
« Pour transformer le monde nous devons
commencer par nous-même :et ce qui importe en
commençant par nous-même, c’est l’intention.
Notre intention doit être de nous comprendre
nous-même et de ne pas laisser aux autres le soin
de se transformer eux-mêmes ... Telle est notre
responsabilité, la vôtre et la mienne : car, aussi
petit que soit le monde dans lequel nous vivons, si
nous apportons un point de vue nouveau à notre
existence quotidienne,peut-être serons-nous alors
capables de toucher le monde tout entier. »
J. Krishnamurti, « Self Knowledge », in The First
and Last Freedom
cerveau gauche — la parole et la pensée rationnelle. Lorsque le dessin est incomplet ou
inaccessible à la parole et à la logique rationnelle, un retour au mode-D peut produire
l’intuition et l’appréhension analogique nécessaires pour répondre à la question. Il se peut
également que les hémisphères travaillent en coopération en un nombre indéfini de
combinaisons possibles.
Les exercices de ce manuel ne constituent bien sûr qu’un premier pas vers la connaissance de
vos deux esprits et de la manière d’en exploiter le double potentiel. Le bref aperçu de vous-
même conquis grâce au dessin vous laisse libre désormais de voyager seul.
Une fois sur cette voie, vous aurez toujours
l’impression que le dessin suivant vous permettra
de voir plus fidèlement, de saisir plus exactement
la nature de la réalité, d’exprimer l’inexprimable,
de percer le secret derrière le secret. Comme l’a
dit le grand artiste japonais Hokusai, on n’a
jamais fini d’apprendre le dessin.
« La vie du Zen commence par l’ouverture
du satori. Le satori peut se définir comme
une appréhension intuitive par opposition à
la compréhension intellectuelle et logique.
Quelle qu’en soit la définition, satori signifie
le déploiement d’un monde nouveau
jusqu’alors imperçu. »
D.T. Suzuki, « Satori », in An Introduction
to Zen Buddhism
Une fois converti à une nouvelle manière de voir, vous en viendrez peut-être rechercher
l’essence des choses, ce mode de connaissance se rapprochant singulièrement du concept de
satori en philosophie Zen, tel qu’il est décrit dans la citation de D.T. Suzuki. A mesure que se
déploient vos perceptions, votre approche des problèmes se modifie ; vous corrigez vos
anciennes erreurs de perception et vous retirez l’un après l’autre les masques de stéréotypes
qui dissimulent la réalité et vous empêchent de voir clair.
172
Ayant accès au potentiel complet des deux
parties de votre cerveau et aux différentes
combinaisons possibles entre les potentiels
distincts de ses deux hémisphères, vous avez
le champ libre pour prendre plus intensément
conscience de la réalité et pour mieux
dominer les processus verbaux qui déforment
la pensée — parfois au point de provoquer
des troubles physiques. La pensée rationnelle
et systématique est certainement vitale dans
notre civilisation, mais il est également vital
pour notre civilisation de comprendre
comment le cerveau de l’homme façonne son
comportement.
« Depuis l’âge de six ans, j’ai la manie de
dessiner la forme des choses. A cinquante ans,
j’avais publié une infinité de dessins mais aucun
de ceux que j’ai publié avant l’âge de soixante-
dix ans ne vaut la peine d’être retenu. A
soixante-treize ans, je connaissais un peu la
structure véritable de la nature. des animaux,
des plantes. des oiseaux. des poissons et des
insectes. Par conséquent, lorsque j’aurai quatre-
vingts ans, j’aurai progressé davantage : à
quatre-vingt-dix ans, je pénétrerai le mystère des
choses ; à cent ans je franchirai une étape
merveilleuse : et quand j’aurai cent et dix ans,
tout ce que je ferai, que ce soit simplement un
point ou une ligne, sera vivant ».
Ecrit à l’âge de soixante-quinze ans par moi,
jadis Hokusai, aujourd’hui Owakio Rojin, vieil
homme fou du dessin.
Grâce à l’introspection, vous pouvez vous lancer dans cette recherche, en mettant en place
votre « observateur caché » et en apprenant, du moins dans une certaine mesure, comment
fonctionne votre propre cerveau. En observant votre cerveau au travail, vous approfondirez
vos facultés de perception et vous pourrez exploiter le potentiel de chacune de ses moitiés.
Face à un problème, vous aurez le choix entre deux perspectives : l’une abstraite, verbale et
rationnelle ; l’autre globale, informulée et intuitive.
Tirez parti de ce double potentiel. Dessinez tout et
n’importe quoi. Aucun sujet qui soit trop ardu ou
trop aisé, rien qui ne soit beau. Tout n’est que
matière à dessiner— un petit carré d’herbes folles,
un verre brisé, un paysage tout entier, un être
humain.
« L’une des caractéristiques des grands
dessins, est l’acceptation sincère par
l’artiste de son propre style et personnage.
C’est comme si, au nom de l’artiste, le
dessin disait me voici ».
Nathan Goldstein, The Art of Responsive
Drawing
Continuez d’étudier. L’accès aux grand maîtres de jadis et d’aujourd’hui vous est facilité par
de nombreux livres d’art de prix raisonnable. Etudiez les maîtres, non pour copier leur style
mais pour lire leur pensée. Qu’ils vous apprennent à voir d’une façon nouvelle, à voir la
beauté dans la réalité, à inventer des formes originales et à ouvrir de nouvelles perspectives.
Observez votre style qui se crée. Protégez-le, nourrissez-le. Donnez-lui le temps nécessaire
pour qu’il se développe et qu’il s’affirme. Lorsqu’un dessin ne marche pas bien, gardez
l’esprit calme et serein. Cessez un moment cet interminable monologue intérieur. Sachez que
tout ce que vous devez voir ce trouve là, devant vous.
Armez-vous chaque jour de votre crayon. N’attendez pas un moment précis, une inspiration.
Comme vous l’avez appris grâce à ce livre, c’est à vous qu’il appartient de vous préparer et de
créer les conditions qui favoriseront votre envol vers cet état de conscience différent-de-
l’ordinaire, propice à une vision claire des choses. Avec la pratique, votre esprit effectuera
cette démarche toujours plus facilement. Mais si vous la négligez, cette faculté peut de
nouveau vous échapper.
Apprenez à dessiner à une autre personne. Une révision du cours serait d’une utilité
inestimable. Les leçons que vous donneriez vous permettraient de mieux comprendre encore
la démarche qu’implique le dessin et elles ouvriraient de nouveaux horizons à d’autres
personnes.
173
Aiguisez vos facultés de visualisation ; exercez-vous à voir avec « l’oeil de l’esprit ».
Quel que soit l’objet que vous dessinez, il se gravera dans votre mémoire. Evoquez ces
images ; revoyez les dessins de maîtres que vous avez étudiés, les visages d’amis que vous
avez dessinés. Imaginez aussi des décors que vous n’avez jamais vus et dessinez ce que vous
voyez avec l’oeil de l’esprit. Le dessin permettra de donner à cette image une vie et un
réalisme tout particuliers.
Tirez parti de vos facultés de visualisation pour résoudre vos problèmes courants. Envisagez
les difficultés de divers point de vue et suivant des perspectives différentes. Voyez-en les
différentes composantes dans leurs véritables proportions. Eduquez votre cerveau à travailler
sur un problème pendant que vous dormez, que vous vous promenez ou que vous dessinez.
Retournez le problème sous toutes ses faces. Imaginez des dizaines de solutions sans les
censurer ou les réviser. Prenez le problème comme un jeu et appliquez-lui le mode « mi-
dérisoire mi-sérieux » de l’intuition. Il est probable que la solution se présente sous une forme
parfaite au moment où vous vous y attendez le moins.
En exerçant les facultés de votre cerveau droit, vous apprendrez à percevoir toujours plus
profondément la nature des choses. Lorsque vous regarderez les gens et les objets qui vous
entourent, imaginez que vous les dessinez et vous les verrez alors différemment. Vous les
verrez d’un oeil éveillé, l’oeil de l’artiste qui vous habite.
« Un moine demandait à son maître : ‘Qu’est-ce que mon moi ?’ Le maître répondit : ‘Il y a quelque chose
de caché dans les profondeurs de ton moi, et il faut apprendre à connaître son activité secrète’. Le moine
demanda alors qu’on lui dise quelle était cette activité secrète. Le maître se contenta d’ouvrir et de fermer
les yeux ».
Frederick Franck, The Zen of Seeing
174
Postface
A L’ATTENTION DES PROFESSEURS ET DES PARENTS
En tant que professeur et en tant que parent, je me suis particulièrement intéressée à la
recherche de nouvelles méthodes d’enseignement. Comme la plupart des autres professeurs et
des autres parents,j’ai pris réellement conscience — parfois douloureusement — que
l’enseignement et son pendant, l’apprentissage, étaient des démarches d’une imprécision
extrême, des opérations menées la plupart du temps à l’aveuglette. Il arrive que les élèves
n’apprennent pas ce que nous pensions leur enseigner et ce qu’ils apprennent en réalité n’est
pas toujours ce que nous prétendions leur inculquer.
J’ai le souvenir d’un cas qui illustre de manière frappante les difficultés qu’on éprouve à
communiquer ce qui doit être appris. Vous avez peut-être vous-même connu ou entendu
parler d’une expérience semblable avec un élève ou votre propre enfant. Il y a de cela de
nombreuses années, le fils d’une amie à qui je rendais visite revint de l’école tout excité par
ce qu’il avait appris. Il était en première année et l’instituteur avait commencé la classe par
une leçon de lecture. L’enfant, Gary, annonça qu’il avait appris un nouveau mot. « C’est très
bien, Gary», dit sa mère. « Quel est ce mot ? » Il réfléchit un instant puis répondit: «Je vais te
l’écrire ». Sur une petite ardoise, l’enfant écrivit soigneusement : MAISON. « C’est très bien,
Gary », dit sa mère. « Qu’est-ce que ça veut dire ? » Il regarda le mot, puis sa mère et dit sur
un ton de constatation : « Je ne sais pas ». L’enfant avait apparemment appris l’aspect
extérieur du mot — il avait parfaitement appris la formule visuelle du mot. L’instituteur,
toutefois, enseignait un autre aspect de la lecture — ce que les mots signifient, ce que les mots
représentent ou symbolisent. Comme il arrive souvent, ce que l’instituteur avait enseigné et ce
que Gary avait appris étaient singulièrement différents.
Comme il s’est avéré par la suite, le fils de mon amie assimilait toujours mieux et plus
rapidement la matière visuelle, mode d’apprentissage que semblent obstinément préférer un
certain nombre d’élèves. Malheureusement, le monde de l’école est un monde essentiellement
verbal et symboliste et les élèves comme Gary doivent s’adapter ; ils doivent abandonner leur
mode d’apprentissage préféré et apprendre à la manière que leur impose l’école. Le fils de
mon amie a heureusement réussi la conversion, mais combien d’autres sont abandonnés en
chemin ?
Ce changement forcé de style d’apprentissage est relativement comparable à l’obligation
d’écrire de la main droite. C’était jadis une coutume très répandue que de contraindre les
personnes qui étaient naturellement gauchères à devenir droitières. Il se peut qu’à l’avenir
nous en venions à considérer le système éducatif qui force les enfants à changer leur mode
naturel d’apprentissage avec autant de mépris que nous considérons aujourd’hui l’idée de les
obliger à écrire de la main droite. Nous serons bientôt capables de tester les enfants pour
déterminer leur style d’apprentissage optimal et pour choisir dans un éventail de méthodes
d’enseignement, celle qui garantira à l’enfant un apprentissage à la fois visuel et verbal.
Les professeurs ont toujours su que les enfants n’apprenaient pas tous de la même manière et
depuis longtemps maintenant, les personnes responsables de l’éducation des jeunes espèrent
que les progrès des recherches sur le cerveau apporteront quelque lumière sur la manière de
dispenser un enseignement de qualité égale à tous les élèves. Jusqu’il y a quinze ans environ,
les nouvelles découvertes sur le cerveau semblaient surtout utiles à la science. Mais ces
175
découvertes trouvent aujourd’hui des applications dans d’autres domaines et les
recherches récentes dont j’ai souligné l’importance dans ce livre promettent d’apporter une
base solide pour un changement fondamental des techniques d’enseignement.
David Galin, entre autres chercheurs, a défini trois tâches essentielles pour les enseignants :
primo, de viser au développement des deux hémisphères cérébraux — pas seulement
l’hémisphère gauche verbal, symboliste et logique, qui a toujours fait l’objet des soins de
l’enseignement traditionnel, mais encore l’hémisphère droit, spatial, relationnel et global qui
est largement négligé dans le système scolaire actuel : secundo, d’apprendre aux élèves à
adopter le mode cognitif convenant à une tâche donnée ; et, tertio, d’apprendre aux élèves à
faire appel aux deux modes cognitifs — aux deux hémisphères — de manière intégrée pour la
résolution d’un problème donné.
Quand les enseignants seront capables de coupler les modes complémentaires ou de
sélectionner celui qui convient à une tâche donnée, alors l’enseignement et l’apprentissage
deviendront des processus plus précis, l’objectif ultime étant de développer les deux moitiés
du cerveau. Les deux modes de connaissance sont également nécessaires à la totale
exploitation des facultés humaines ainsi qu’à toute oeuvre de création quelle qu’en soit la
nature — littérature, peinture, découverte de nouvelles théories en physique ou étude de
problèmes écologiques.
Il s’agit d’un objectif difficile à assigner aux enseignants à cette époque où le système scolaire
est attaqué de toutes parts. Mais notre société évolue rapidement et il est de plus en plus
malaisé de prévoir quelles seront les facultés les plus indispensables pour les générations à
venir. Bien que nous nous soyions fiés jusqu’ici à la moitié gauche, la moitié rationnelle, du
cerveau humain pour planifier l’avenir de nos enfants et pour résoudre les problèmes qu’ils
pourraient rencontrer en chemin vers cet avenir, l’évolution radicale qui nous bouleverse
ébranle la confiance que nous avions placée dans la réflexion technologique et dans les
vieilles méthodes d’enseignement. Sans abandonner pour autant le développement des
aptitudes du langage et de la logique arithmétique, des professeurs consciencieux recherchent
des techniques d’enseignement qui rehaussent les facultés intuitives et créatives des enfants,
les préparant ainsi à affronter les difficultés nouvelles avec un esprit souple. inventif et
imaginatif, à saisir les ensembles complexes d’idées et de faits intimement liés, à percevoir les
principes généraux à la base des phénomènes, et à considérer les anciens problèmes sous un
angle nouveau.
Et vous-même, en tant que parent ou en tant que professeur, que pouvez-vous espérer faire
aujourd’hui pour favoriser le développement égal des deux hémisphères cérébraux d’un
enfant ? Il importe d’abord de connaître les fonctions spécifiques et les modes d’opération
caractéristiques de chaque hémisphère. Des ouvrages tels que celui-ci peuvent vous permettre
de comprendre l’essentiel de la théorie et d’effectuer vous-même la conversion d’un mode
cognitif à l’autre.
Je suis convaincue que l’expérience personnelle est un point extrèmement important, voire
essentiel, pour le professeur qui souhaite transmettre son savoir aux autres.
En second lieu, vous devriez connaître l’effet de certains exercices sur l’activation de l’un ou
l’autre hémisphère et vous devriez essayer de déterminer la moitié du cerveau que les élèves
utiliseront, en créant les conditions ou en dictant les opérations qui favoriseront la conversion
d’un mode cognitif à l’autre. Vous pourriez par exemple demander aux élèves de lire un texte
en s’intéressant aux faits, et leur proposer d’exprimer oralement ou par écrit leurs
impressions. Vous pourriez ensuite leur demander de lire le même passage en s’attachant à la
176
signification ou au contenu caché du texte, accessible par l’imagerie ou la pensée
métaphorique. Pour ce mode d’apprentissage, vous pourriez solliciter un commentaire sous
forme de poème, de peinture, de danse, de devinette, de calembour, de fable ou de chanson.
D’autre part, certains types de problèmes d’arithmétique ou de mathématique exigent une
réflexion logique linéaire. Pour d’autres, il faut procéder à des rotations imaginaires de formes
dans l’espace ou à des manipulations de nombres qui s’exécutent plus commodément par la
visualisation mentale des schémas appropriés. Tâchez de découvrir, en étudiant vos propres
démarches mentales. ou en observant vos élèves, quelle sont les opérations qui conviennent au
style de l’hémisphère droit, celles qui conviennent au style de l’hémisphère gauche et celles
qui exigent le fonctionnement complémentaire ou simultané des deux hémisphères.
Vous pourriez également procéder à certaines expériences en variant les conditions ambiantes
de votre classe — du moins certaines conditions dont vous avez le contrôle. Le monologue
ininterrompu du professeur, ou les discussions entre élèves, par exemple, tendent à enfermer
ces derniers dans le carcan du mode cognitif de l’hémisphère gauche. Si vous pouvez mener
vos élèves à effectuer une conversion profonde vers le mode-D, vous obtiendrez une
condition ambiante très rare dans les classes modernes : le silence. Non seulement les élèves
garderont le silence mais encore seront-ils absorbés par le problème à résoudre. attentifs et
confiants, alertes et satisfaits. Apprendre devient un agrément. Cet aspect du mode-D vaut à
lui seul qu’on s’y attache. Efforcez-vous d’encourager et de préserver ce silence.
J’ajouterai ce dernier conseil : tentez l’expérience de modifier la disposition des bancs ou
l’éclairage. Les mouvements physiques, surtout quand ils sont structurés comme dans le cas
de la danse, peuvent produire une conversion cognitive. La musique favorise les conversions
vers le mode-D. Le dessin et la peinture, comme vous l’avez appris ici, provoquent des
conversion radicales vers le mode-D. Vous pouvez créer un langage original, par exemple un
langage illustré par lequel les élèves pourraient communiquer en classe. Je vous conseille
d’utiliser le tableau aussi souvent que possible — non seulement pour y écrire des mots, mais
aussi pour y tracer des dessins, des graphiques, des illustrations, des schémas. L’idéal serait
de représenter chaque information suivant deux modes distincts : le mode verbal et le mode
pictographique. Vous pourriez tenter de réduire le contenu verbal de vos cours en adoptant un
mode de communication non verbal quand cela vous semble approprié.
Enfin, j’espère que vous mettrez en oeuvre toutes vos facultés intuitives pour créer de
nouvelles méthodes d’enseignement, et que vous ferez part de ces méthodes à vos collègues
en participant à des séminaires ou à des publications pédagogiques. Vous utilisez
probablement déjà—intuitivement ou rationnellement — de nombreuses techniques qui
favorisent les conversions cognitives. En tant que professeurs, nous devons partager nos
découvertes tout comme nous partageons l’objectif commun de préparer, pour nos enfants, un
avenir harmonieux, cohérent et favorable à l’exploitation intégrale de leurs facultés
cérébrales.
En tant que parents, nous pouvons contribuer largement à la réalisation de cet objectif en
aidant nos enfants à développer des modes nouveaux qui leur permettront d’accéder à la
connaissance du monde — le mode verbal/analytique et le mode visuel/spatial. Pendant les
premières années, déterminantes, de l’enfance, les parents ont le pouvoir de façonner l’avenir
de leurs enfants en empêchant la réflexion verbale de masquer les autres aspects de la réalité.
Les recommandations les plus essentielles que je voudrais adresser aux parents concernent
l’usage des mots ou plutôt, le « non-usage » des mots.
177
Dessins réalisés par un élève en quatrième année primaire : trois leçons entre le 15 avril et le 19 avril 1977.
Période d’instruction : quatre jours.
Je pense que nous sommes trop volontiers enclins à nommer les choses quand nous nous
adressons à de jeunes enfants. En nous contentant de nommer les choses, sans plus
d’information, lorsqu’un enfant nous demande « Qu’est-ce que c’est ? », nous lui laissons
croire que seuls, le nom ou l’étiquette d’une chose sont importants, que la dénomination est
suffisante. Nous défendons à nos enfants la voie de l’interrogation et de la découverte en
classifiant les éléments du monde réel. Au lieu de nous contenter de nommer un arbre,
tâchons également de guider notre enfant dans une exploration à la fois physique et mentale
de l’arbre. Cette rencontre peut s’effectuer de diverses manières, en touchant, en sentant, en
regardant l’arbre sous des perspectives différentes, en le comparant avec un autre, en en
imaginant l’intérieur ou la partie souterraine, en écoutant le bruit des feuilles, en observant
l’arbre à différentes heures du jour ou selon les saisons, en plantant ses graines, en étudiant
son utilité pour d’autres créatures vivantes — les oiseaux. les mites, les insectes, et ainsi de
suite. Ayant découvert que chaque chose est fascinante et complexe, l’enfant comprendra que
l’étiquette n’est qu’une partie infime de l’ensemble. Ainsi éduqué, il conservera son sens de
l’interrogation malgré l’avalanche de mots qui nous accable à cette époque.
Pour encourager les aptitudes artistiques de votre enfant, je vous conseille de le confronter
très tôt à une profusion de matériaux artistiques et au type d’expérience perceptuelle que je
viens de décrire. Votre enfant progressera de manière relativement prévisible suivant les
différents stades du développement artistique infantile. S’il vous appelle à l’aide pour un
dessin, répondez-lui donc : « Allons voir de plus près ce que tu essaies de dessiner ». Les
perceptions nouvelles deviendront ainsi partie intégrante des représentations symboliques.
Les professeurs comme les parents peuvent utilement aborder les problèmes des jeunes
artistes, problèmes dont j’ai parlé dans cet ouvrage. Comme je l’ai expliqué, le dessin réaliste
est un stade que les enfants doivent dépasser vers l’âge de dix ans. Les enfants veulent
apprendre à voir et ils méritent qu’on leur accorde l’aide qu’ils réclament. Les séries
d’exercices de ce manuel — y compris l’exposé relativement simplifié sur les fonctions des
hémisphères cérébraux — peuvent s’appliquer à des élèves de dix ans. On peut choisir pour
les dessins à l’envers des sujets qui intéressent les adolescents (par exemple, le dessin réaliste
et « bien fait » de héros et d’héroïnes de bandes dessinées en pleine action). Les dessins
d’espaces négatifs et de contour attirent également les enfants de cet âge car ils leur
permettent d’appliquer directement les techniques nouvelles dans leurs dessins courants. (Voir
l’illustration du progrès réalisé par un élève de dix ans en quatrième année primaire, en quatre
jours d’instruction). Le portrait présente un attrait particulier pour ce groupe d’âge et les
adolescents arrivent à dessiner parfaitement leurs amis ou leurs parents. Une fois leur crainte
de l’échec surmontée, les jeunes travaillent le dessin avec zèle afin de perfectionner leurs
techniques et le succès rehausse leur confiance et leur estime de soi.
178
Mais l’importance du dessin pour l’avenir, comme vous l’ont appris les exercices de ce
manuel, est d’ouvrir véritablement l’accès aux fonctions de l’hémisphère droit et d’en assurer
le contrôle. Grâce au dessin, les enfants apprennent à voir et ils deviendront peut-être ainsi des
adultes qui exploitent totalement leurs facultés cérébrales.
Dessins réalisés par un élève en quatrième année primaire : Trois leçons entre le 15 avril et le
19 avril 1977. Période d’instruction : quatre jours.
A L’ATTENTION DES ELEVES DES BEAUX-ARTS
Pour de nombreux artistes contemporains reconnus, la technique du dessin réaliste n’est pas
importante. Il est vrai que, d’une manière générale, l’art contemporain n’exige pas
nécessairement de dispositions pour le dessin, et l’art véritable — même le grand art — fleurit
dans les réalisations d’artistes modernes qui ne savent pas dessiner. La valeur de leur
production artistique vient, je suppose, d’une sensibilité esthétique cultivée par d’autres
moyens que les méthodes fondamentales de l’enseignement traditionnel dans les écoles des
beaux-arts : le dessin et la peinture d’après nature, la nature morte et le paysage.
Les artistes contemporains dédaignant souvent l’aptitude au dessin comme une donnée
superflue, les élèves néophytes des beaux-arts se trouvent dans une double impasse. Rares
sont les élèves qui se sentent suffisamment sûrs de leurs aptitudes créatives et de leurs
chances de réussite dans le monde artistique pour se passer totalement de suivre des cours.
Pourtant, les oeuvres d’art modernes qu’ils voient dans les musées ne semblent exiger la
connaissance d’aucune technique classique et ils ont l’impression que les méthodes
traditionnelles ne répondent pas à leurs aspirations. Pour se sortir de cette double impasse, les
élèves évitent souvent d’apprendre le dessin réaliste et s’installent aussitôt que possible dans
un style conceptuel étroit, à l’imitation des artistes contemporains qui recherchent souvent un
style original et répétitif qui les identifie comme une signature.
Pour l’Anglais David Hockney, cette étroitesse de vue est un piège pour l’artiste (voir la
citation au chapitre 1). II s’agit en tout cas d’un piège pour les élèves des beaux-arts qui, trop
souvent, se forcent à s’installer dans des structures répétitives. Ils essayent peut-être de
s’exprimer à travers l’art avant même de savoir ce qu’ils ont à dire.
D’après l’expérience que j’ai tirée de l’enseignement du dessin à différents niveaux,
j’aimerais adresser quelques recommandations à tous les élèves des beaux-arts, et
particulièrement aux débutants. Primo, n’ayez crainte d’apprendre le dessin réaliste. Les
techniques du dessin, élémentaires pour toute forme d’expression artistique, n’ont jamais
interdit l’accès aux sources de la créativité. Picasso, qui dessinait divinement, fut l’exemple
vivant de ce principe et l’histoire regorge de cas semblables. Les artistes qui apprennent à
bien dessiner ne produisent pas pour autant des oeuvres ennuyeuses ou d’un réalisme pédant.
Les artistes dont les créations sont réellement pédantes et ennuyeuses aboutiraient sans doute
à un résultat identique s’ils s’adonnaient à l’art abstrait ou non figuratif. Les techniques du
dessin n’inhiberont jamais votre créativité, au contraire, elles la stimuleront.
Secundo, tâchez de comprendre l’importance qu’il y a d’apprendre à bien dessiner. Le dessin
vous permet de voir les choses à la manière originale de l’artiste, comme des révélations, quel
que soit le style que vous adoptiez pour exprimer votre vision. A travers le dessin, vous
devriez vous attacher à connaître la réalité de l’expérience — voir toujours plus clairement,
toujours plus profondément. Naturellement, vous pourriez développer votre sensibilité
179
esthétique par d’autres moyens que le dessin comme la méditation, la lecture ou les
voyages. Mais, c’est ma conviction, ces autres voies sont, pour un artiste, plus aléatoires et
moins fructueuses. En votre qualité d’artiste vous serez plus certainement amené à utiliser des
moyens visuels d’expression : or le dessin affine les perceptions visuelles.
Enfin, dessinez chaque jour. Dessinez ce que vous voulez : un cendrier, une pomme à demi
grignotée, une personne, une brindille. J’ai déjà donné ce conseil dans le dernier chapitre de
ce livre et je le répète ici parce qu’il est spécialement important pour les élèves des beaux-arts.
Dans un sens, l’art c’est comme l’athlétisme : si vous ne vous entraînez pas, les facultés
visuelles s’émoussent et s’amollissent. Le but du dessin n’est pas de tracer des lignes sur une
feuille de papier, tout comme le but du jogging n’est pas de se rendre à un endroit précis.
Vous devez exercer votre regard sans trop prendre garde au produit de vos exercices. Vous
pouvez choisir vos meilleurs dessins et jeter les autres ou même les jeter tous. L’objectif de
vos séances de dessin quotidiennes devrait être de vous apprendre à voir toujours plus en
profondeur.
Glossaire
Apprentissage : Toute modification relativement stable du comportement, résultant de
l’expérience ou de la pratique.
Art abstrait : Une transposition dans le dessin, la peinture, la sculpture ou le design, d’un
objet ou d’une expérience de la vie réelle. Implique généralement la mise en
évidence, l’emphase ou l’exagération d’un aspect particulier de la manière dont l’artiste
perçoit la réalité. A ne pas confondre avec art non figuratif.
Art non figuratif : Forme d’art qui ne s’attache pas à reproduire l’apparence d’objets ou
d’expériences du monde réel, ou à produire l’illusion de la réalité. Egalement appelé art non
objectif ou non représentatif.
Art réaliste: Représentation objective des objets, des formes et des figures délibérément
perçus. Appelé aussi « naturalisme ».
Axe central : Les traits du visage sont plus ou moins symétriques et se situent de part et
d’autre d’une ligne verticale imaginaire traversant le visage en son centre. Cette ligne
s’appelle axe central. On l’utilise en dessin pour déterminer l’inclinaison de la tête et pour
placer les traits du visage.
Blanc : Surface de forme ovoïde qu’on dessine pour figurer la forme générale de la tête chez
l’homme. Le crâne humain n’ayant pas la même forme lorsqu’on le regarde de face ou de
profil, le blanc de face et le blanc de profil présentent un ovale sensiblement différent.
Cerveau : Partie principale de l’encéphale des vertébrés formée de deux hémisphères. C’est la
dernière partie de l’encéphale à évoluer et sa participation est essentielle dans tous les types
d’activité mentale.
Commissutotomisés : Individus ayant souffert de crises épileptiques incurables, dont les
problèmes de santé n’ont pu être atténués que par une opération chirurgicale. Cette
opération, qui consiste a séparer les deux hémisphères cérébraux en sectionnant le corps
calleux, se réalise rarement. On ne compte qu’une dizaine de commissurotomisés.
180
Composition : Rapports déterminés entre les parties ou les éléments d’une oeuvre d’art. En
dessin, l’arrangement des formes et des espaces dans le format.
Conversion cognitive : Passage d’un état mental à un autre, par exemple du mode-G au mode-
D ou inversement.
Corps calleux : Faisceau compact et massif d’axones réunissant les cortex cérébraux droit et
gauche. Le corps calleux permet une communication directe entre les deux moitiés, ou les
deux hémisphères, du cortex cérébral.
Côté : En dessin, l’endroit où deux éléments se rencontrent (par exemple. l’endroit où le sol et
le ciel se rencontrent) : la ligne de séparation entre deux formes ou entre une forme et un
espace.
Créativité : Aptitude à trouver de nouvelles solutions à un problème ou des modes originaux
d’expression : le fait de donner naissance à un élément nouveau pour l’individu.
Espace négatif : Surface entourant les formes positives avec lesquelles elle possède un ou
plusieurs côtés communs. L’espace négatif est limité par le format.
Etats de conscience : Le concept encore mal précisé de conscience est employé dans cet
ouvrage pour désigner la perception constamment variable qu’a l’individu de ce qui se passe
dans son propre esprit. Un état de conscience modifié est un état de conscience largement
perçu comme différent de l’état de veille ordinaire. Certains états subjectifs différents nous
sont familiers : le rêve, la méditation...
Format : Forme particulière de la surface peinte ou dessinée — rectangulaire, circulaire,
triangulaire etc. —, proportions de cette surface, par exemple le rapport entre la longueur et la
largeur dans le cas d’un rectangle.
Grille : Lignes perpendiculaires horizontales et verticales régulièrement espacées, qui divisent
la surface d’un dessin ou d’une peinture en petits carrés ou rectangles. S’utilise généralement
pour agrandir un dessin ou pour favoriser la perception des relations spatiales.
Hachure : Superposition croisée de différentes séries de traits parallèles qui marque les
ombres ou le volume dans un dessin.
Hémisphères cérébraux : La partie extrême du cerveau antérieur, nettement divisée en deux
parties à la gauche et à la droite du cerveau. Se compose essentiellement du cortex cérébral,
du corps calleux, des ganglions basilaires et du système limbique.
Hémisphère droit : Moitié droite du cerveau (située à la droite de l’individu observé). Pour la
plupart des droitiers et une large proportion des gauchers, les fonctions relationnelles et
spatiales siègent dans l’hémisphère droit.
Hémisphère gauche : Moitié gauche du cerveau (à la gauche de l’individu observé). Pour la
plupart des droitiers et une large proportion des gauchers, les fonctions du langage siègent
dans le cerveau gauche.
Image : Image rétinienne : image optique d’objets réels perçus par les organes de la vue,
interprétée par le cerveau.
181
Images conceptuelles : Images d’origine mentale, intérieure (l’ « oeil de l’esprit ») plutôt
que d’origine perceptuelle, extérieure : images généralement simplifiées, plus souvent
abstraites que réalistes.
Imagination : Recombinaison d’images mentales issues d’expériences passées, en une
structure originale.
Intuition : Connaissance directe et apparemment non médiate ; jugement, signification ou idée
qui se présente à une personne sans intervention connue d’un phénomène quelconque de
pensée rationnelle. Ce jugement est souvent le résultat de critères minimes et semble « issu de
nulle part ».
Latéralisation hémisphérique : Différenciation au niveau de leurs fonctions, des deux
hémisphères cérébraux.
Ligne de contour : En dessin, ligne qui représente le côté d’une forme.
Mode-D : Mode de traitement des informations défini comme simultané, global, spatial et
relationnel.
Mode-G : Mode de traitement des informations défini comme linéaire, verbal, analytique et
logique.
Niveaux des yeux : En dessin de perspective, ligne horizontale vers laquelle semblent
converger les lignes situées en dessous d’elle dans un plan horizontal. En portrait, ligne de
proportion qui divise la tête en deux horizontalement ; la position des yeux sur ce repère, au
centre de la tête.
Perception : Conscience, ou prise de conscience, des objets, des relations, ou qualités —
intérieures ou extérieures à l’individu — au moyen des organes des sens et sous l’influence
des expériences précédentes.
Perception globale: Dans les fonctions cognitives, traitement simultané d’une quantité
d’informations en une configuration d’ensemble, par opposition au traitement successif
d’éléments séparés.
Qualité expressive : Différences légères qui distinguent les individus dans la manière dont ils
perçoivent la réalité et représentent le résultat de leurs perceptions dans une oeuvre d’art. Ces
différences expriment les réactions intimes de l’individu aux stimuli perçus ainsi que son coup
de crayon original, déterminé par ses particularités physiologiques motrices.
Raccourci : Manière de représenter les formes sur une surface plane de sorte qu’elles
semblent émerger de cette surface ou s’en éloigner : procédé permettant de créer une
sensation de profondeur et de volume dans le dessin des formes et des personnages.
Symbolique : En dessin, ensemble de symboles utilisé systématiquement pour former une
image, par exemple celle d’un personnage. Les symboles sont généralement employés
successivement, l’un en évoquant un autre, de la même manière qu’on écrit un mot familier,
le tracé d’une lettre appelant le tracé de la suivante. La symbolique des dessins s’établit
généralement pendant l’enfance et persiste durant l’âge adulte, à moins que l’individu
n’apprenne de nouvelles manières de dessiner.
182
Traitement des informations visuelles : Usage des organes de la vue pour obtenir des
informations de sources extérieures, et interprétation de ces données sensorielles par la
pensée.
Valeur : Dans le domaine des arts, qualité d’un ton plus ou moins foncé ou plus ou moins
clair. Le blanc est la valeur la plus claire, ou la plus élevée, Le noir est la valeur la plus foncée
ou la plus basse.
Visée : En dessin, évaluation des dimensions par rapport à une mesure constante (le crayon
tenu à bout de bras est le procédé le plus courant) ; localisation relative de différents points
dans un dessin — position d’un élément par rapport à un autre.
Visualiser : Evoquer mentalement la reproduction de quelque chose qui ne peut être perçu par
les sens ; voir avec l’ « œil de l’esprit ».
Zen : Système de réflexion qui se fonde sur une forme de méditation appelée zazen. Le zazen
commence par la concentration, le plus souvent sur des problèmes dont la solution est
inaccessible à la raison. La concentration mène au samadhi, « état d’unité » grâce auquel le
méditateur perçoit l’harmonie des choses du monde. Après différents stades, l’étape finale du
zen est le satori, ou « non mental », état subjectif particulièrement clair dans lequel il est
possible de percevoir les détails de chaque phénomène sans évaluation ni réflexion.
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Bogen Joseph, 29
187
Bouche, 158, 170, 173-174
Boucher François, 105
Brevil, 2
Cerveau, 26-43. Voir également :
Commissurotomie, Corps calleux, Traitement des informations, Conversion du mode-G
au mode-D, Latéralisation hémisphérique.
Cerveau gauche, 37, 39, 55. 76-78
Cerveau droit, 48-49, 55-58, 78-79
visualisation, 37-41
traitement des informations, 35-37
Cézanne Paul, 101
Cheveux, 162-163, 170-171, 174
Coins, 125-127
Col, 160, 171, 174
Commissurotomisé, 29, 30-32
Composition, 98-99
Connaissance
deux modes de, 34-35
Conscience, modifications de l’état de, 4-5
Conversion du mode-G au mode-D, 42-43, 50-51, 55, 90
Corinth Lovis, 146
Corps calleux, 28-30.
Côtés, 83-84, 105
Cou, 159, 171, 174
Cranach Lucas, 167
Créativité, 6-7
Degas Edgar, 121
Delacroix Eugène, 15, 120
Dessin
à l’envers, 50-55
au mode de l’hémisphère droit, 48-49
aptitude au, 2-3, 198-199
de contour, 84-87, 89-93
des espaces négatifs, 100-106, 107-111
de perspective. 122. 123
matériel de. 8, 9
préliminaire. 9-10
réaliste. 7
techniques, 3. 139
visages, 154-164, 166-171, 172-175
Développement artistique enfance, 58-59, 62-82
Dimensions, 123-125. Voir également Perspective. Proportions
Dürer Albert, 5,77, 101, 116, 1117-118, 142, 167
Enfance
développement artistique, 58-562-63
stades, 64-76
enseignement, 195-199
Espaces négatifs, Voir Dessin et Exercices
Exercices
188
coins de pièce, 125-127 dessin de contour, 84-87, 89-93
dessin de perspective, 122-123
dessin des espaces négatifs, 101-103
ombres, 182-185, 185-186
profils, 155-156, 167-172. 173-175
têtes, 140-141, 143-14
vase et visages, 46-48, 49-50
viseur, 105-106
Format, 98-100
Fuseli Henry, 180-181
Galin David, 35, 196
Gazzaniga Michael, 29. 31
Hémisphères cérébraux, voir Cerveau gauche et Cerveau droit
Hockney David, 199
Hokusai, 193,
Homer Winslow, 113
Klee Paul, 74
Kokoschka Oskar, 149
Latéralisation hémisphérique, 59
Levy Jerre, 29, 30
Ligne
utilisation de la, 20-23
Lunettes, 159
Matériel, voir Dessin, matériel
Matisse Henri, 3, 100, 141
Menton, 159
Miró Joan, 99
Modigliani, 141
Morandi Giorgio, 187
Myers Ronald, 28
Nebes Robert, 29
Nez, 157, 169, 170. 173
Nicolaides Kimon, 83
Ombres, 180-186
Oreille, 160-161. l70
Ornstein Robert, 78
Parole
et le cerveau 32,34
Paysage
dessins d’enfants, 68-70
Perspective, 116-123. Voir également Dessin
189
Picasso Pablo, 20, 21, 52, 74, 141, 199
Portraits, 7-8. 137-139. 155-175
Profils, 147-137
Proportions. 134-137
Réalisme. 7-8. 72-76
Rembrandt. 23. 184
Rodin Auguste, 5
Rubens Pierre-Paul, 113
Sandys Anthony Frederick Augustus, 162
Sharrington Charles. 41
Signature, 20-21
Sperry Roger W., 28-3 I
Symboles, 65-66. 76-82
Tart Charles, 42
Tête, 137-139
dessin, 140-141. 143-145, 147-151
proportions, 141-142
Tiepolo Giambattista, 51
Toulouse-Lautrec Henri de, 100
Traitement des informations, 34-36
hémisphère droit, 35-37
Trevarthen Colwyn, 28, 23
190
Utilisation préférentielle de la main droite ou de la main gauche, 43
Van Gogh Vincent, 16-17, 142. 146
Vase et visages, 46-48, 49, 50
visages, 154. Voir également
bouche,
cheveux,
cou,
lunettes,
menton,
nez,
oreilles,
yeux
vue de face, 172-175
vue de profil, 155-163
vue de trois quarts, 166-l 75
Vision et dessin, 3-4, 23
influence de la symbolique, 76-82
Visualisation, 37-42
Vogel Philip, 29
Visée, 119-121, 123-125. 128
Viseur, 104-106
Vision
et dessin, 3-4,23
influence de la symbolique, 76-82
Visualisation, 37-42
Vogel Philip, 29
Yeux, 156, 169-170, 173
Printed in Belgium by Solédi — Liège
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