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1 Dessiner grâce au cerveau droit - Betty Edwards http://www.drawright.com/ http://www.dessinoriginal.com/boutique/fiche_produit.cfm?type=25&ref=LIV_2870098 006&code_lg=lg_fr&pag=1&num=1&tri=0&marq=0 1. Le dessin et l’art de rouler à bicyclette 2. Le dessin comme moyen d’expression : le langage non verbal de l’art 3. Votre cerveau côté gauche et côté droit 4. Une première expérience de la conversion cognitive gauche droite 5. Evocation d’un dessin d’enfant 6. Votre symbolique : à la rencontre des bords et des contours. 7. La forme des espaces: l’aspect positif des espaces négatifs 8. Coup d’oeil à la ronde: la perspective sur un mode nouveau 9. Répétition générale: la place des proportions 10. De face et de profil: le portrait sans peine 11. Passage à la troisième dimension: voir la lumière pour dessiner les ombres 12. Le Zen du dessin: la révélation de l’artiste Postface - A l’attention des professeurs et des parents - A l’attention des élèves des Beaux-Arts Glossaire Bibliographie Index

Dessiner grâce au Cerveau Droit - Betty Edwards - Introduction à la Pratique du Dessin - pour Nul, Bon Débutant, Artiste Professionnel

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Dessiner grâce au cerveau droit - Betty Edwards

http://www.drawright.com/

http://www.dessinoriginal.com/boutique/fiche_produit.cfm?type=25&ref=LIV_2870098

006&code_lg=lg_fr&pag=1&num=1&tri=0&marq=0

1. Le dessin et l’art de rouler à bicyclette

2. Le dessin comme moyen d’expression : le langage non verbal de l’art

3. Votre cerveau côté gauche et côté droit

4. Une première expérience de la conversion cognitive gauche droite

5. Evocation d’un dessin d’enfant

6. Votre symbolique : à la rencontre des bords et des contours.

7. La forme des espaces: l’aspect positif des espaces négatifs

8. Coup d’oeil à la ronde: la perspective sur un mode nouveau

9. Répétition générale: la place des proportions

10. De face et de profil: le portrait sans peine

11. Passage à la troisième dimension: voir la lumière pour dessiner les ombres

12. Le Zen du dessin: la révélation de l’artiste

Postface

- A l’attention des professeurs et des parents

- A l’attention des élèves des Beaux-Arts

Glossaire

Bibliographie

Index

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Préface

Dessiner grâce au cerveau droit est le fruit de dix ans de recherches orientées vers

l’élaboration d’une nouvelle méthode pour enseigner le dessin à des individus d’âges et

d’occupations divers. C’est au départ d’une véritable énigme que je me suis décidée à

entreprendre ces recherches ; pourquoi le dessin, alors qu’il me semble si facile et si agréable,

paraît-il si compliqué à mes élèves ?

Depuis très longtemps, depuis l’âge de huit ou neuf ans peut-être, je dessine correctement. Je

pense être l’un de ces enfants qui, fortuitement. découvre une manière particulière de voir qui

lui permet de bien dessiner. Petite encore, quand je voulais dessiner quelque chose, je me

disais : « Tu n’as qu’à faire ‘cela’ ». Je n’ai jamais pu définir ce que ‘cela’ signifiait mais je

sais qu’il fallait que je fixe du regard pendant un moment ce que je voulais dessiner avant que

cela se produise. Je pouvais alors dessiner mon sujet avec une adresse surprenante pour mon

âge.

On a beaucoup encouragé mes dispositions pour le dessin. Je m’entendais souvent dire:

« N’est-ce pas merveilleux ce don artistique chez Betty ? Sa grand-mère déjà faisait des

aquarelles, vous savez, et sa mère est elle-même très douée. Il doit s’agir d’une aptitude

naturelle, je suppose — un don particulier ». Comme tous les enfants de mon âge,j’adorais

être complimentée pour mon apparente singularité et j’étais bien près de croire ces éloges.

Mais au fond de moi-même, je sentais que ces compliments étaient déplacés. Je savais qu’il

était facile de dessiner et que n’importe qui pouvait y arriver à condition de regarder les

choses d’une certaine manière.

Des années plus tard, lorsque j’ai débuté dans l’enseignement, j’ai tenté de communiquer cette

conception du dessin à mes élèves. Ma démarche a remporté peu de succès et, à mon grand

désespoir, dans une classe d’une trentaine d’élèves, quelques- uns seulement apprenaient à

bien dessiner.

J’ai alors essayé de m’observer intérieurement, cherchant à savoir ce que je faisais pour voir

les choses différemment quand je dessinais. Je me suis également placée du point de vue des

élèves. J’ai alors remarqué que les rares étudiants qui avaient réussi à apprendre le dessin ne

s’étaient pas améliorés progressivement mais plutôt de manière subite et radicale, Une

semaine ils en étaient encore à tâtonner avec des images stéréotypées et infantiles et la

semaine suivante ils dessinaient correctement.

Je me moquais des élèves : « Que faites-vous donc de plus aujourd’hui pour ne plus

commettre les erreurs de la semaine passée ? ». Presque invariablement, les élèves

répondaient simplement qu’ils « se contentaient de regarder les choses ». Je pouvais leur

poser autant de questions que je voulais, ils n’arrivaient pas à trouver les mots pour décrire

précisément ce qui avait changé dans leur manière de faire.

J’ai alors découvert un nouvel indice. J’ai toujours eu recours aux démonstrations pendant

mes cours, pour expliquer à mes élèves ce que je faisais — ce que je regardais, pourquoi je

dessinais les choses de telle façon. II m’arrivait souvent de m’arrêter au milieu d’une phrase.

J’entendais ma voix s’interrompre et je voulais reprendre ma phrase, mais je devais faire un

effort terrible pour trouver les mots — et de toute façon, je ne le souhaitais plus. Enfin, me

ressaisissant,je reprenais mon exposé — et je m’apercevais alors que j’avais perdu le contact

avec mon dessin qui, subitement, me paraissait compliqué et difficile. Cette nouvelle

découverte allait me mettre un peu plus sur la voie: je pouvais soit parler soit dessiner, mais je

ne pouvais pas faire les deux à la fois.

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D’autres indices allaient se présenter, souvent par hasard, qui me feraient comprendre le

mystère. Un jour, alors que mes élèves peinaient sur un dessin de personnage, j’ai fait circuler

un dessin de maître et j’ai eu soudain l’idée de leur faire copier ce dessin à l’envers. Ils ont

placé la reproduction la tête en bas et l’ont copiée de cette façon. A ma grande surprise, et à

celle des élèves, les dessins étaient excellents. Je n’y comprenais rien. Les lignes, après tout,

restaient les mêmes, que l’image soit à l’envers ou à l’endroit. Pourquoi fallait-il que les

élèves dessinent plus facilement une image orientée de manière inhabituelle ?

En travaillant sur les espaces négatifs,j’ai relevé de nouvelles indications — et soulevé de

nouvelles questions aussi. Je me suis aperçue que les étudiants dessinaient mieux non pas en

observant la forme qu’ils souhaitaient représenter. mais en observant les surfaces qui

entouraient cette forme. Une fois de plus, je m’interrogeais. Pourquoi dessine-t-on mieux les

formes en observant les espaces qui les entourent ? J’ai continué d’observer ma propre

manière de dessiner mais la réponse au problème, le principe fondamental ultime, continuait

de m’échapper.

Il y a environ une dizaine d’années, je me suis mise à lire une série d’ouvrages concernant les

études que Roger W. Sperry et ses associés ont réalisées sur des commissurotomisés pendant

les années cinquante et soixante au California Institute of Technology. En résumé, le Groupe

Cal Tec a montré que les deux hémisphères du cerveau humain se caractérisent par des

fonctions cognitives supérieures et que ces deux hémisphères emploient des méthodes — ou

modes — différents pour traiter les informations.

Ces travaux ont soudain fait la lumière dans mon esprit. L’aptitude d’un individu au dessin

venait peut-être essentiellement de sa faculté à adopter une manière inhabituelle de traiter les

informations visuelles, c’est-à-dire l’aptitude à passer d’une méthode verbale et analytique

(appelée « mode gauche » ou « mode-G » dans cet ouvrage) à une méthode spatiale et globale

(que j’appelle « mode droit » ou « mode-D »). Grâce à cette découverte, les différentes pièces

du puzzle ont pris leur place et j’ai compris pourquoi certains élèves arrivaient à mieux

dessiner que d’autres.

Depuis lors, et plus particulièrement pendant mon travail de doctorat, j’ai formulé le principe

de base et établi les séries d’exercices qui constituent cet ouvrage. Le principe de base est le

suivant: il est possible d’apprendre à dessiner en adoptant une nouvelle manière de voir, c’est-

à-dire en faisant appel aux fonctions spécifiques de l’hémisphère droit du cerveau, et les

exercices qui suivent sont conçus dans ce but. Je suis certaine qu’un jour, ma méthode

d’enseignement par conversion cognitive, qui encourage une translation mentale à partir d’un

mode de pensée verbal et logique vers un mode plus global et intuitif, sera reprise et

améliorée par les professeurs et chercheurs dans le domaine des arts et appliquée à d’autres

secteurs. Quel que soit le degré de latéralisation cérébrale que la recherche à venir

déterminera, c’est-à-dire le degré de spécialisation des fonctions du cerveau en ce que j’ai

nommé mode gauche et mode droit, les deux modes cognitifs et les principes sous-jacents que

je décris ici se sont avérés utiles pour les étudiants à tous les niveaux et ont. dès lors, été

retenus. Sous sa forme actuelle, cette théorie m’a permis d’élaborer une méthode

d’enseignement qui réponde à mon problème de départ: comment permettre à tous les

étudiants et non à quelques-uns seulement, d’apprendre la technique du dessin ?

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1. Le dessin et l’art de rouler à bicyclette

Fig. l-l. Bison mugissant. Peinture rupestre paléolithique des grottes

d’Altamira en Espagne. Dessin de Brevil. Les artistes préhistoriques

étaient probablement censés détenir des pouvoirs magiques.

Le dessin est un processus curieux, tellement lié aux perceptions visuelles que les deux

peuvent difficilement être dissociés. Pour dessiner, il faut être capable de voir les choses à la

manière de l’artiste, et cette manière de voir peut merveilleusement enrichir notre existence.

A plusieurs égards, enseigner le dessin c’est comme apprendre à quelqu’un à rouler à

bicyclette. C’est difficile à expliquer avec des mots. Lorsque vous apprenez à quelqu’un à

rouler à vélo, vous dites : « Il suffit de monter sur le vélo, de pousser les pédales, et c’est

parti».

Bien sûr, cela n’explique pas tout, et il est probable que vous finissiez par intervenir : « Je

vais monter sur le vélo et te montrer. Regarde comment je fais ».

Il en va de même pour le dessin. La plupart des professeurs et auteurs de manuels de dessin

exhortent les débutants afin qu’ils « changent leur manière de voir les choses » et qu’ils

apprennent à « regarder ». Le problème est qu’il est aussi difficile d’expliquer cette manière

de voir que d’expliquer l’équilibre sur une bicyclette, et de fait, le professeur finit souvent par

dire: « Regarde ces exemples et persévère. Si tu t’exerces beaucoup tu y arriveras

certainement». Alors que presque tout le monde apprend à rouler à bicyclette, nombreux sont

ceux qui échouent dans l’apprentissage du dessin. En réalité, les gens n’apprennent jamais à

regarder de manière suffisamment correcte pour bien dessiner.

LE DESSIN: UN DON MAGIQUE ?

Les personnes possédant la faculté de voir et de dessiner sont tellement rares que les artistes

sont souvent considérés comme dotés par Dieu d’un talent exceptionnel. Pour beaucoup, le

dessin relève d’un pouvoir mystérieux qui dépasse l’entendement humain.

Les artistes eux-mêmes se complaisent souvent dans le mystère. Si vous abordez un artiste

(c’est-à-dire une personne qui dessine bien grâce à une longue pratique ou grâce à la

découverte fortuite de la « vision de l’artiste ») et que vous lui demandez : « Que faites-vous

pour dessiner quelque chose—disons un portrait ou un paysage—de manière si

ressemblante ? », il est probable que l’artiste réponde: « Oh, je dois avoir un don,je suppose »,

ou « Vraiment, je ne sais pas. Je me mets simplement au travail et les choses se font au fur et

à mesure que j’avance», ou «Eh bien, je me contente de regarder la personne (ou le paysage)

et je dessine ce que je vois ». La dernière réponse semble logique et spontanée. Après

réflexion, pourtant, elle n’explique pas clairement du tout la démarche, et l’impression que le

dessin relève d’un don vaguement magique persiste (figure 1-l).

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Bien que le mystère sur l’origine du talent

artistique pousse les gens à apprécier les artistes et

leurs oeuvres, il les dissuade souvent d’apprendre

eux-mêmes à dessiner; de plus, il complique la

tâche des professeurs qui tentent d’expliquer la

technique du dessin. En effet, les gens hésitent

souvent à suivre un cours de dessin parce qu’ils ne

savent pas déjà dessiner. C’est comme si vous

décidiez de ne pas suivre un cours d’anglais parce

que vous ne parlez pas encore cette langue, ou de

ne pas vous inscrire à un cours de menuiserie parce

que vous ne savez pas comment on construit une

maison.

LE DESSIN : UNE TECHNIQUE QUI

S’ACQUIERT

Vous vous apercevrez vite que le dessin est une

technique que toute personne normale, d’acuité

visuelle et de coordination oculo-motrice

moyennes — suffisamment adroite, par exemple,

pour enfiler une aiguille ou attraper un ballon —

peut apprendre. Contrairement à l’opinion

courante, l’aptitude manuelle n’est pas une

Roger N. Shepard, Professeur de Psychologie à

l’Université de Stanford, a récemment décrit son

mode personnel de réflexion créative au cours

duquel les idées de recherches se présentent à son

esprit sous forme de solutions non verbales,

essentiellement complètes et mûrement réfléchies.

« Qu’au cours de ces illuminations soudaines, mes

idées se présentent sous une forme originelle visuo-

spatiale. sans aucune influence verbalisatrice, pour

autant que je puisse en juger du moins. voilà qui a

toujours été mon mode préféré de réflexion...

Depuis mon enfance, j’ai passé mes instants les plus

heureux absorbé par le dessin, la réflexion ou les

exercices de visualisation purement mentale ».

Roger N. Shepard, Visual Learning, Thinking, and

Communication

«Apprendre à dessiner revient véritablement à

apprendre à voir — à voir correctement — et cela

signifie bien plus que simplement regarder avec les

yeux».

Kimon Nicolaides The Natural Way to Draw

Gertrude Stem a demandé à Henri Matisse si, en

mangeant une tomate, il la regardait comme un

artiste le ferait. « Non, a dit Matisse, quand je la

mange, je la vois comme tout le monde ».

Gertrude Stem, Picasso

condition primordiale pour le dessin. Si votre écriture est lisible ou si vous pouvez tracer des

caractères déchiffrables, vous êtes d’une dextérité amplement suffisante pour bien dessiner.

En ce qui concerne les mains, nous n’avons plus rien à ajouter; mais nous ne parlerons jamais

assez des yeux. Apprendre à dessiner ne se résume pas à l’apprentissage d’une technique; en

étudiant ce livre, vous apprendrez à voir. En d’autres mots, vous apprendrez à traiter les

informations visuelles à la manière particulière des artistes. Cette manière est différente de

celle dont vous traitez habituellement les informations visuelles et implique un

fonctionnement cérébral particulier.

Vous apprendrez ainsi comment votre cerveau utilise les informations visuelles. Les

recherches récentes ont permis d’éclairer sous un jour plus scientifique cette merveille

d’accomplissement et de complexité qu’est le cerveau humain. Et l’une des choses que nous

avons apprises est la manière dont les propriétés particulières de nos deux cerveaux nous

permettent de dessiner l’image de nos perceptions.

Dessiner et voir

L’aura de mystère qui entoure le dessinateur semble relever, en partie du moins, de la faculté

qu’il a de « brancher » son cerveau sur un mode de vision et de perception distinct. Si vous

arrivez à voir à la manière de l’artiste chevronné, alors vous êtes en mesure de dessiner.

Les dessins de grands artistes comme Léonard de Vinci ou Rembrandt n’en perdent pas pour

autant leur prestige, simplement du fait que nous connaissions certains aspects des processus

cérébraux qui sont intervenus dans leur élaboration. Au contraire, la recherche scientifique

rend plus remarquable encore l’oeuvre de maîtres parce qu’elle permet au spectateur de

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passer au mode de perception de l’artiste. La technique élémentaire du dessin est également

accessible à tous ceux qui sont capables d’effectuer la conversion vers le mode de perception

de l’artiste et de voir à sa manière.

LA VISION DE L’ARTISTE : UNE DOUBLE DEMARCHE

En réalité, il n’est guère difficile de dessiner.

Le problème est d’apprendre à voir, ou, plus

précisément, d’apprendre une manière

particulière devoir. Il est possible que vous

ne me croyiez pas encore.

Vous estimez peut-être que vous voyez

parfaitement les choses et que c’est le fait de

dessiner qui est difficile. Mais l’inverse est

vrai et les exercices de ce manuel sont

destinés à vous aider à effectuer la

conversion mentale nécessaire. Ces exercices

vous seront doublement bénéfiques: vous

accéderez d’abord délibérément à la moitié

droite de votre cerveau et vous adopterez un

mode de conscience légèrement modifié;

ensuite, vous verrez les choses différemment.

Ces deux conditions vous permettront de

bien dessiner.

« C’est pour voir vraiment, pour voir toujours plus

en profondeur, toujours plus intensément, et de là

pour être pleinement conscient et vivre totalement,

que je dessine ce que les Chinois appellent les ‘Dix

Mille Choses’ qui m’entourent. Le dessin est une

discipline qui permet de sans cesse redécouvrir le

monde.

« Je sais aujourd’hui que ce que je n’ai pas

dessiné, je ne l’ai pas vraiment vu et que, quand je

me mets à dessiner une chose banale, je prends

conscience qu’elle est extraordinaire, un pur

miracle. »

Frederick Franck, The Zen of Seeing

« On peint avec les yeux, non avec les mains. Un

peintre peut reproduire tout ce qu’il voit, pourvu

qu’il le voie clairement. Cela lui demande peut-être

plus de soin et de travail, mais pas plus d’agilité

musculaire, que de signer son nom, Ce qui importe,

c’est d’y voir clair ».

Maurice Grosser L’oeil du peintre

De nombreux artistes ont déclaré voir les choses différemment tandis qu’ils dessinaient et ils

ont fait état d’une légère modification de leur état de conscience. Dans cet état subjectif

modifié, les artistes prétendent se sentir transportés, « en parfaite communion avec l’œuvre »,

capables de saisir des rapports qu’ils ne sont pas capables de percevoir ordinairement. La

notion du temps s’émousse et les mots échappent à la conscience. Les artistes se disent alertes

et conscients tout en étant sereins et libres de toute anxiété, en proie à une activation mentale

passionnante, presque mystique.

LE DESSIN : UN ETAT DE CONSCIENCE

Cet état de conscience légèrement altéré, cette sensation de transport que la plupart des

artistes éprouvent lorsqu’ils dessinent, peignent, sculptent ou exécutent une oeuvre d’art, ne

vous est pas totalement étranger. Vous avez peut-être intérieurement observé de légères

modifications de votre état de conscience alors que vous vous livriez à des occupations bien

plus triviales que l’activité artistique.

Il arrive parfois qu’on se sente glisser d’un état de veille vers un état légèrement altéré de

rêverie éveillée. Certaines personnes prétendent aussi que la lecture leur permet de

« s’évader ». Bien d’autres activités semblent provoquer une modification de l’état de

conscience : la méditation, le jogging, les travaux de couture, la dactylographie, la musique et,

bien sûr, le dessin.

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Je dirais même que la conduite sur autoroute peut provoquer une légère modification de

notre état subjectif comparable à celle que suscite le dessin. Après tout, la conduite sur

autoroute est strictement liée à l’interprétation d’images visuelles, le conducteur ayant affaire

aux informations spatiales et relationnelles que sont les composantes multiples de la

configuration d’ensemble du trafic.

Lorsqu’on conduit une voiture, il arrive qu’on perde toute notion du temps et qu’on se sente

envahi par une sensation de sérénité propice à la réflexion créative. Les opérations mentales

pendant la conduite semblent activer les mêmes centres du cerveau que ceux qui sont utilisés

pour le dessin. Bien sûr, lorsque la circulation est difficile, si nous sommes en retard, ou si

notre passager engage la conversation, la conversion vers un état de conscience diffèrent ne se

produit pas. Les raisons de cet empêchement sont détaillées au chapitre 3.

La clé de l’apprentissage du dessin consiste donc à créer les conditions favorables à une

conversion mentale vers un mode différent de traitement des informations — cet état de

conscience légèrement altéré — qui vous permet de voir correctement. Ce mode du dessin

vous permettra de reproduire ce que vous percevez, même sans avoir jamais appris de

technique. Une fois que ce « mode du dessin » vous sera familier, vous serez capable de

contrôler consciemment la conversion mentale nécessaire pour y accéder.

LE DESSIN : L’EXPRESSION DE VOTRE PERSONNALITE CREATRICE

Je vous considère comme une personne dotée du potentiel

créatif nécessaire pour vous exprimer à travers le dessin. Mon

but est de vous fournir les moyens de libérer ce potentiel, afin

d’accéder consciemment à vos facultés inventives, intuitives et

imaginatives que notre culture technologique et verbale, et

notre système d’éducation, ont peut-être largement ignorées. Je

vais vous apprendre à dessiner, mais le dessin n’est qu’un

moyen, pas un fin. Le dessin vous permettra de découvrir les

aptitudes particulières du côté droit de votre cerveau, le côté

adroit pour le dessin. En apprenant à dessiner, vous apprendrez

à voir différemment et, pour reprendre l’expression lyrique de

l’artiste Auguste Rodin, vous apprendrez à devenir le confident

de la nature, à éveiller votre regard au langage merveilleux des

formes, et à vous exprimer dans ce langage.

En dessinant, vous explorerez une partie de votre esprit trop

souvent obscurcie par les détails infinis de votre vie

quotidienne. Cette expérience vous permettra de percevoir les

choses fraîchement et plus intensément et dans leur intégralité,

et à saisir les structures sous-jacentes et les possibilités de

combinaisons nouvelles. Les solutions créatives aux problèmes,

qu’ils soient d’ordre professionnel ou personnel, peuvent être

obtenues grâce à de nouvelles méthodes de réflexion et une

exploitation exhaustive de votre potentiel cérébral.

« L’Artiste est le confident

de la nature insensible...

Les fleurs s’entretiennent

avec lui par la courbe gracieuse

de leur tige, par les

nuances chantantes de leurs

pétales: chaque corolle dans

l’herbe est un mot affectueux

que lui adresse la Nature. »

Auguste Rodin

Le dessin, aussi agréable et satisfaisant soit-il, n’est jamais qu’une clé permettant d’ouvrir la

porte vers d’autres horizons. J’ose espérer que Dessiner grâce au cerveau droit vous aidera à

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mieux exploiter vos aptitudes personnelles grâce à une prise de conscience accrue du mode

de fonctionnement de votre propre cerveau. Les exercices de ce livre sont conçus de manière

à rehausser de multiples façons votre assurance dans la façon dont vous opérez vos choix et

résolvez vos problèmes. La force potentielle de l’hémisphère créatif et imaginatif de votre

cerveau est presque illimitée et, grâce au dessin, vous serez en mesure de connaître ces

ressources puissantes de votre personnalité et de les faire connaître aux autres. A travers le

dessin, c’est vous-même que vous montrerez. L’artiste allemand Albert Dürer a un jour dit :

« Ainsi, le trésor secrètement recueilli dans votre coeur se manifestera au travers de votre

oeuvre créative ».

En gardant un oeil vers les horizons promis, commençons dès maintenant à façonner la clé.

MON APPROCHE: UNE VOIE VERS LA CREATIVITE

Les exercices et instructions figurant dans

cet ouvrage sont spécialement conçus pour

les personnes qui ne savent pas du tout

dessiner, qui croient n’avoir aucun talent,

ou très peu. pour le dessin et qui doutent

d’arriver un jour à dessiner — mais qui

pensent qu’elles aimeraient apprendre. Cet

ouvrage se distingue d’autres manuels de

dessin par sa démarche particulière:

l’objectif est de vous faire accéder à des

facultés que vous possédez déjà et qui

attendent simplement d’être libérées.

Les personnes dont l’esprit créatif s’exerce

dans d’autres domaines que l’art et qui

souhaitent mieux dominer leurs techniques

de travail et surmonter leurs inhibitions

trouveront un avantage certain à appliquer

« Toute personne en qui l’artiste vit, devient, quel que

soit le genre de son travail, un individu curieux,

inventif et audacieux, d’expression originale. Il devient

intéressant pour les autres. Il perturbe, bouleverse,

éclaire, et ouvre des voies nouvelles vers une

compréhension plus juste. Là où ceux qui ne sont pas

des artistes essaient de fermer le livre, il l’ouvre et

montre qu’il est encore possible d’écrire de nouvelles

pages. »

Robert Henri, The Art Spirit

« Etre secoué hors des ornières de la perception

ordinaire, avoir l’occasion de voir pendant quelques

heures intemporelles le monde extérieur et intérieur.

non pas tels qu’ils apparaissent à un animal obsédé

par la survie ou à un être humain obsédé par les mots

et les idées, mais tels qu’ils sont appréhendés,

directement et inconditionnellement par l’Esprit en

général — c’est là une expérience d’une valeur

inestimable pour chacun... «

Abdou Huxley, Les Portes de la Perception

les méthodes décrites ici. Cette théorie et les exercices qui en découlent aideront les

professeurs et les parents à promouvoir le développement des facultés créatives des enfants. A

la fin de l’ouvrage, j’ai brièvement rédigé une postface dans laquelle je suggère différentes

manières d’adapter mes méthodes et mes matériaux de base à l’enseignement des enfants.

Une seconde postface s’adresse aux élèves des beaux-arts.

Ce livre est un cours de neuf leçons que j’ai données pendant près de cinq ans à des personnes

d’âges et d’occupations divers. Presque tous les élèves commencent le cours avec des

techniques de dessin très médiocres et avec une anxiété profonde quant à leurs aptitudes

potentielles pour le dessin. Tous les élèves, sans exception ou presque, atteignent un niveau

élevé de connaissances techniques et acquièrent la confiance nécessaire pour continuer de

développer leurs facultés d’expression par le dessin en suivant d’autres cours ou en s’exerçant

à titre personnel.

Lorsqu’on considère l’acquis de la plupart des élèves, le plus étonnant est de constater la

rapidité avec laquelle ils améliorent leurs techniques de dessin. Je crois fermement que les

personnes qui, tout en étant dépourvues de toute pratique artistique, arrivent néanmoins à

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effectuer la conversion vers un mode de vision artistique — c’est-à-dire le mode propre à

l’hémisphère droit — ces personnes n’ont pas besoin d’autres conseils pour pouvoir dessiner.

Autrement dit, vous savez déjà dessiner, mais les vieilles habitudes de perception visuelle

interfèrent avec cette aptitude et l’inhibent. Les exercices de ce manuel sont conçus pour lever

ces inhibitions et libérer vos aptitudes réelles.

Même s’il n’est pas dans vos intentions de vivre uniquement de votre travail artistique, ces

exercices vous permettront de comprendre la manière dont votre cerveau ou vos deux

cerveaux travaillent — individuellement, coopérativement, ou conflictuellement. Et, comme

me l’ont dit de nombreux élèves, leur vie leur semble plus riche à présent qu’ils voient plus et

mieux.

LE REALISME, UN MOYEN POUR UNE FIN

La plupart des exercices de ce manuel sont

conçus pour vous permettre de dessiner avec

réalisme, c’est-à-dire pour vous permettre de

voir et de dessiner un objet ou une personne

du monde réel avec un degré appréciable de

ressemblance. Cela ne signifie nullement que

le dessin réaliste soit préférable à tout autre

genre artistique. D’une certaine façon. le

dessin réaliste est une étape qui doit être

dépassée normalement vers l’âge de dix ou

douze ans.

Dessiner avec réalisme est une faculté

triplement importante. Tout d’abord, le

réalisme vous permet de voir « en

profondeur », au sens propre comme au sens

figuré. Ensuite, il vous donne une forme de

confiance en vos aptitudes créatives qui, pour

les non-artistes,ne peut être acquise d’aucune

autre manière. Des artistes professionnels —

des personnes qui, de leur métier, sont

professeurs d’art, décorateurs, artistes

« Pour moi, tendre à plus de naturalisme constituait

une liberté. Je me disais que si je le voulais, j’étais

capable de peindre un portrait; c’est cela que

j’entends par liberté. Demain, si je le voulais, je

pourrais me lever, je pourrais faire le dessin de

quelqu’un, je pourrais dessiner ma mère de

mémoire, je pourrais même faire une étrange petite

peinture abstraite. Tout cela s’accommoderait de

ma conception de peinture en tant qu’art. Beaucoup

de peintres n’en sont pas capables. Leur conception

est radicalement différente. C’est une conception

trop étroite; ils la restreignent beaucoup trop. Bon

nombre d’entre eux, comme Frank Stella qui me l’a

avoué, ne savent pas dessiner. Mais il existe

probablement des peintres plus anciens, des

peintres abstraits anglais, qui ont appris à dessiner.

Tout qui a fréquenté une école des Beaux-Arts

avant moi a certainement dû accomplir un nombre

considérable de dessins. A mon avis, beaucoup de

peintres se sont pris à leur propre piège; ils ont

choisi un aspect excessivement restreint de la

peinture et se sont spécialisés. Et c’est un piège.

Evidemment. un piège ce n'est pas grave quand

vous avez le courage de vous en sortir, mais cela

demande énormément de volonté ».

David Hockney

industriels, peintres, ou sculpteurs — se sont même inscrits à mes cours et m’ont avoué avec

une véritable détresse un coupable secret: ils ne savaient pas dessiner. Pour garder secrète leur

inaptitude, ils se livrent parfois à des stratégies et à des subterfuges compliqués et ridicules,

toujours pitoyables. Pour les sauver de leur détresse, il suffit de débloquer leurs aptitudes

potentielles pour le dessin réaliste. L’application des méthodes de ce manuel aide les élèves

— les non-artistes autant que les artistes — à se libérer, et les incite à explorer d’autres

domaines artistiques qui font appel aux puissantes fonctions du cerveau dans son intégralité.

Enfin, vous apprendrez à faire la conversion vers un nouveau mode de pensée dont vous

apprécierez le vaste potentiel de solutions instantanées et créatives.

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Pourquoi des visages ?

Un certain nombre d’exercices et d’instructions sont conçus pour vous permettre de réaliser

des portraits ressemblants. J’aimerais expliquer pourquoi le portrait est, à mes yeux, un sujet

intéressant pour les débutants. En gros, tous les dessins se résument à une même opération. Il

n’y a pas de sujet plus difficile que les autres. Les natures mortes, les paysages, les

personnages, les objets, même les sujets imaginaires et les portraits font tous appel aux

mêmes techniques et à la même manière de voir. Il s’agir d’une seule et même démarche :

vous regardez ce que vous avez en face de vous (les sujets imaginaires sont vus par l’oeil de

l’esprit) et vous dessinez ce que vous voyez.

Pourquoi, dans ces conditions, ai-je choisi le portrait comme sujet de plusieurs exercices ?

Tout d’abord parce que les élèves débutants s’imaginent que le visage humain est le sujet le

plus difficile. Quand ils se rendent compte qu’ils sont capables de dessiner un portrait, ils

prennent confiance et commencent à progresser. Ensuite parce que l’hémisphère droit est

spécialisé dans l’identification des visages, et cette raison est plus importante encore que la

première. Etant donné que c’est aux fonctions du cerveau droit que nous tentons d’accéder, il

est logique de choisir un sujet que cet hémisphère a coutume de traiter. Et puis, les visages

sont fascinants! Lorsque vous dessinez une personne. vous voyez son vrai visage. Comme le

disait l’un de mes élèves : « Je crois que je n’avais jamais vraiment regardé le visage de

quelqu’un avant de dessiner. C’est étrange, aujourd’hui tous me semblent plus merveilleux ».

Le matériel

Le matériel nécessaire pour les exercices de ce manuel est assez simple. Vous aurez besoin

d’un papier machine bon marché (pas du type effaçable parce que le crayon y fait tache) ou de

quelques feuilles à dessin ordinaires, Il vous faudra aussi un crayon et une gomme. Les

crayons noirs 4B sont agréables parce que la mine est tendre et trace des lignes nettes et

foncées, mais un crayon ordinaire numéro 2 fera presque aussi bien l’affaire. Plus tard vous

souhaiterez peut-être compléter votre matériel — par un bâtonnet de charbon de bois, par

exemple, ou un crayon-feutre, des crayons aux mines de teintes grises, brunes, etc. Pour la

plupart des exercices cependant, le papier, un crayon et une gomme suffisent.

Les exercices : un pas et puis l’autre

Pendant les dix années où j’ai enseigné le dessin,j’ai tenté diverses manières de graduer, de

sérier et de combiner les exercices. La progression suivie dans ce manuel est celle qui a

permis aux élèves de réaliser les plus grands progrès. Les trois premiers chapitres présentent

brièvement la théorie dont s’inspirent les exercices et donnent un aperçu des recherches

récentes sur les fonctions des deux hémisphères cérébraux chez l’homme, études dont j’ai

retiré certaines applications pour l’enseignement du dessin.

Avant de commencer les exercices du chapitre 4, vous trouverez quelques explications quant

à la manière dont ces exercices ont été conçus et quant à leur efficacité. Le cours complet est

conçu de façon à ce que l’élève franchisse chaque étape avec succès et qu’il accède à un

nouveau mode de traitement des informations qui présente un minimum de bouleversements

par rapport au mode habituel. C’est pourquoi j’insiste pour que vous lisiez les chapitres dans

l’ordre donné et pour que vous fassiez les exercices comme ils se présentent.

12

J’ai limité autant que possible le nombre d’exercices recommandés; mais si vous avez le

temps, faites plus de dessins qu’il est conseillé : recherchez vos propres sujets et inventez vos

propres exercices. Plus vous pratiquerez et plus vous progresserez. Pour cette raison, en plus

des exercices qui se présentent dans le texte proprement dit, vous trouverez souvent dans la

marge des exercices supplémentaires. En faisant ces exercices, vous améliorerez votre

technique et vous prendrez plus d’assurance.

Pour la plupart des exercices, je vous conseille de lire toutes les instructions avant de vous

mettre à dessiner et, lorsque le cas se présente, observez les dessins d’élèves avant de

commencer. Conservez tous vos dessins dans une chemise ou dans une grande enveloppe afin

de pouvoir constater vos progrès lorsque vous arriverez à la fin du cours.

Définitions terminologiques

Un glossaire se trouve à la fin du livre. Certains termes sont amplement définis dans le corps

du texte, et le glossaire reprend d’autres termes qui sont définis avec moins de précision.

Certains mots qui sont couramment utilisés dans le langage quotidien, tels que « valeur » ou

« composition » présentent un sens très spécifique et souvent différent dans la terminologie

artistique. Je vous conseille donc de jeter un coup d’oeil au glossaire avant de commencer à

lire les différents chapitres.

LES DESSINS PRELIMINAIRES : UN TEMOIN PRECIEUX DE VOS TALENTS

ARTISTIQUES

A présent, et avant que vous poursuiviez votre lecture, j’aimerais que vous réalisiez quatre

dessins préliminaires afin de conserver un témoin de vos aptitudes au dessin, avant que vous

soyiez « contaminés » par la théorie qui suit. Cette proposition est généralement accueillie

avec inquiétude par les élèves; l’anxiété les envahit et la tension monte. Mais si vous les faites

maintenant, lorsque vous arriverez au premier exercice dirigé du chapitre 4, vous serez certain

d’être capable d’apprendre à dessiner et vous serez disposé à essayer.

Ces dessins, qui permettent aux élèves de constater et de reconnaître leurs progrès, sont d’une

utilité inestimable. Une sorte d’amnésie semble s’installer au fur et à mesure que la technique

du dessin s’affine. Les élèves oublient la manière dont ils dessinaient avant de suivre le cours.

De plus, leur esprit critique s’aiguise à mesure qu’ils progressent. Même après une

amélioration sensible, certains élèves jugent sévèrement leurs derniers dessins parce qu’ils

« ne valent pas ceux de de Vinci ». Les dessins préliminaires sont les indicateurs réalistes du

progrès réalisé. Après avoir fait ces dessins, rangez-les et nous les examinerons plus tard à la

lueur de vos nouveaux acquis.

Dessins préliminaires

Avant de commencer : Utilisez un crayon et du papier bon marché. Chaque dessin peut

prendre dix, quinze, vingt minutes, ou plus si vous le voulez. N’oubliez pas de dater vos

dessins puisqu’ils sont destinés à témoigner de votre niveau actuel de savoir-faire en matière

de dessin.

13

Premier dessin : Dessinez une personne sans regarder de modèle. Il n’y a aucune

instruction spécifique pour ce dessin, la seule directive étant de « dessiner une personne ».

Deuxième dessin : Dessinez une personne — la tête seulement. Dessinez quelqu’un qui

regarde la télévision ou qui dort, ou dessinez-vous en vous regardant dans un miroir.

N’utilisez pas de photographie.

Troisième dessin : Dessinez votre propre main. Si vous êtes droitier, dessinez votre main

gauche dans la position que vous choisirez. Si vous êtes gaucher. dessinez votre main droite.

Quatrième dessin : Dessinez une chaise en regardant une vraie chaise, pas une photographie.

Quand vous aurez terminé: Au dos de chaque dessin, écrivez votre appréciation personnelle:

ce qui vous plaît ou vous déplaît dans chaque dessin. Ces commentaires vous sembleront

intéressants à la fin des leçons.

TRAVAUX D’ELEVES

Avant et après

J’aimerais à présent vous montrer certains dessins réalisés par mes élèves. Ces dessins

témoignent d’une évolution technique typique entre la première leçon (précédant

l’instruction) et la dernière, environ deux mois plus tard. La plupart des élèves dont les

dessins sont reproduits ici ont suivi un cours de trois heures par semaine pendant neuf

semaines et ont reçu approximativement les mêmes instructions que celles contenues dans ce

manuel.

Comme vous pouvez le constater, les dessins « avant » et « après » montrent que les élèves

ont totalement changé leur manière de voir et de dessiner. La transformation est tellement

radicale que les dessins semblent presque appartenir à des personnes différentes.

Apprendre à percevoir, telle est la technique fondamentale que les élèves ont acquise au cours

de ces neuf leçons. Le progrès dont témoignent ces dessins est probablement le reflet d’un

progrès tout aussi considérable dans la manière de voir. C’est ainsi qu’il faut considérer ces

dessins: comme les témoins sensibles de l’amélioration des facultés perceptives des élèves.

Tous mes élèves, ou presque tous, ont tiré profit de ces leçons qui vous seront certainement

bénéfiques aussi. De fait, les dessins reproduits ici, tout comme les travaux d’élèves suivants,

sont le reflet typique du progrès réalisé par la plupart des élèves.

14

John Boomer, le 3 janvier 1978

John Boomer, le 5 mars 1978

Gerardo Campos, le 2 septembre 1973

Gerardo Campos, le 10 novembre 1973

15

Alice Abel, le 28 septembre 1976

Alice Abel, le 168 novembre 1976

Lyman Evans, le 2 avril 1978

Lyman Evans, le 8 mai 1978

16

Tom Nelson, le 8 août 1978

Tom Nelson, le 3 septembre 1978

Ken Danell, le 5 février 1974

Une fois terminé le cours dans sa forme première, Ken a réalisé

ce dessin un an plus tard.

17

L’IDENTIFICATION DE LA FEUILLE A DESSIN

En guise d’antidote contre l’anxiété que suscitent ces dessins

préliminaires, essayez les exercices suivants, afin de vous

délier la main.

Il n’y a rien de plus intimidant pour un élève débutant — et

même pour un artiste chevronné — qu’une page blanche, nette

et immaculée. Pour surmonter cette gêne, il suffit de se mettre

à dessiner — librement, hardiment, avec assurance. Pour vous

familiariser avec le matériel de dessin et pour vaincre

l’intimidation que suscite une page vierge, prenez une feuille

d’une blancheur intacte et saisissez votre crayon.

Sans hésitation ni retenue, faites un trait le long des bords de la

feuille, d’un coin à l’autre de la page, en arrondissant les

angles et sans jamais lever la main (figure l-2). A présent,

traversez la feuille d’abord par des traits verticaux, ensuite par

des traits horizontaux bien parallèles aux bords de la feuille.

Revenez sur certains traits pour les épaissir, les accentuer, en

jouant avec les formes. Inventez les mouvements à mesure que

vous avancez, sachant que vous créez la ligne et que la ligne,

le papier et les formes vous conduiront naturellement à votre

prochain mouvement.

Essayez sur une autre feuille en ajoutant cette fois des

diagonales aux traits qui longent les bords (figure l-3). Puis sur

une autre, ajoutez des cercles. Sur une autre encore, des

losanges. Et sur une autre toutes les lignes que vous voulez. Le

dessin d’Eugène Delacroix reproduit à la figure 1-4 illustre la

puissance que peuvent produire des lignes fantaisistes.

Fig. 1-2

Fig. 1-3

EN RESUME

Je vous ai énoncé le principe fondamental à la base

de ce manuel — à savoir que le dessin est une

technique qui s’acquiert, et dont on peut retirer un

double avantage. En accédant à la partie de votre

esprit dont le fonctionnement favorise la pensée

intuitive et créative, vous vous initierez à une

technique essentielle dans les arts graphiques: vous

apprendrez à mettre sur papier ce que vous avez en

face des yeux. Ensuite, en apprenant le dessin par la

méthode prescrite dans ce livre, vous adopterez un

mode de pensée plus créatif, utile dans tous les

domaines de la vie.

« Il y a quelque chose de dérisoire dans le

fait de créer bien que l’entreprise soit

sérieuse. Et parallèlement, il existe un esprit

de dérision dans la littérature à ce sujet car

s’il existe une seule démarche silencieuse,

c’est bien la démarche créative, Dérisoire et

sérieuse et silencieuse. »

Jerome Bruner On Knowing: Essays for the

Left Hand

18

Les progrès que vous aurez réalisés une fois le cours terminé dépendront des autres traits de

votre personnalité, comme l’énergie ou la curiosité. Mais chaque chose en son temps! Le

potentiel existe. Il est parfois bon de se rappeler qu'un jour Shakespeare a dû apprendre à

écrire en prose, que Beethoven a pratiqué les gammes et que, comme vous pouvez le constater

aux figures 1-5 et l-6, Van Gogh a dû apprendre à dessiner.

« Vider son esprit de toute pensée et

combler le vide d’une âme plus

grande que soi permet à l’esprit de

pénétrer dans un royaume

inaccessible aux démarches

conventionnelles de la raison. »

Edward Hill The Language of

Drawing

Fig. l-4. Dans une lithographie qui

reflète l’ « esprit de dérision » de

l’acte créatif, Eugène Delacroix joue

avec les lignes pour construire son

dessin. Avec l’aimable autorisation du

Metropolitan Museum of Art, Fonds

Harris Brisbane Dick, 1928.

19

Fig. l-5. Vincent Van Gogh (1853-1890). Menuisier

(1980). Avec l’autorisation du Rijksmuseum

Kröller-Müller, Otterlo.

La carrière artistique de Van Gogh ne s’étend que

sur les dix dernières années de sa vie, depuis l’âge

de 28 ans jusqu’au moment de sa mort à 37 ans.

Durant les deux premières années de cette période,

Van Gogh n’a réalisé que des dessins, apprenant

lui-même à dessiner. Comme le montre le dessin du

Menuisier, il connaissait des problèmes de

proportions et d’emplacement des formes. En 1882

cependant — deux ans plus tard—, dans sa Femme

Pleurant, Van Gogh a surmonté ces difficultés de

dessin et a pu améliorer la qualité expressive de ses

oeuvres.

20

21

Le but de cet ouvrage est de vous enseigner la technique élémentaire qui permet de voir et

de dessiner. Mon intention n’est pas de vous apprendre à vous exprimer mais bien de vous

enseigner les techniques qui vous libéreront de l’expression stéréotypée. Vous serez alors en

mesure d’exprimer votre individualité — votre singularité essentielle — à votre façon, en

adoptant un style de dessin personnel.

Considérons un instant votre signature comme une forme de dessin expressif; en effet, vous

vous exprimez à travers votre signature au moyen d’un élément artistique élémentaire : la

ligne.

Au beau milieu d’une feuille de papier, apposez votre signature. Cette signature, vous pouvez

la considérer comme un dessin qui serait votre création personnelle, modelée il est vrai par les

influences culturelles de votre vie, mais n’en va-t-il pas de même pour les créations de chaque

artiste ?

Chaque fois que vous écrivez votre nom, vous vous exprimez en utilisant l’élément ligne. La

ligne que vous employez pour votre signature est le même élément de base que Picasso a

utilisé pour « écrire » le dessin reproduit à la figure 2-1. Votre signature « dessinée » quantité

de fois est l’expression de votre personnalité, au même titre que le trait utilisé par Picasso est

l’expression de sa personnalité. Il est possible de « lire » ce trait parce qu’en écrivant votre

nom, vous avez utilisé le langage non verbal de l’art. Essayons de lire une autre ligne. Dites-

moi à quoi peut ressembler cette personne ?

Vous serez probablement tenté de dire que Dale G. Smith est une personne plutôt extravertie

qu’introvertie, une personne qui s’habille de couleurs vives plutôt que de couleurs ternes et

qui, du moins superficiellement, adopte une attitude directe, voire théâtrale. Bien sûr, ces

suppositions peuvent ou non se confirmer, l’important est que la plupart des gens

interpréteraient l’expression non verbale de sa signature de cette façon, parce que c’est ce que

Dale G. Smith affirme (de manière non verbale).

Voyons à présent un autre Dale G. Smith.

Si l’on vous demandait à quoi ressemble cette personne, vous répondriez certainement qu’elle

est conservatrice, tranquille, digne de confiance, peut-être timorée. Et cet autre Dale G.

Smith ? Cette fois réagissez sans recourir aux mots.

22

Et celui-ci

et celui-là

Regardez à présent votre propre signature et répondez au message non verbal que

communique la ligne. Ecrivez votre nom de trois manières différentes et répondez chaque fois

au message. Repensez ensuite aux différentes impressions qu’ont suscitées ces trois

signatures; rappelez-vous que le nom formé par les « dessins » n’a pas changé. A quoi

devons-nous alors ces différentes réactions ?

Torii Kiyotada (actif 1723-1750),

Acteur dansant, et Torii Kiyonobu I

(1664-1729), Danseuse (c. 1708).

Avec l’aimable autorisation du

Metropolitan Museum of Art,

Fonds Harris Brisbane Dick, 1949.

Le trait exprime deux types de

danses différentes dans ces deux

estampes japonaises. Essayez de

visualiser chaque danse. Entendez-

vous la musique? Tâchez de

comprendre en quoi le caractère du

trait crée une qualité de musique et

détermine votre réaction au dessin.

En réalité, ce que vous avez vu, et ce qui vous a fait réagir, ce sont les qualités individuelles

pressenties de chaque trait ou de chaque ensemble de traits « dessinés ». Vous avez réagi à la

rapidité pressentie du trait, à la taille et à l’espacement des caractères, à la tension musculaire

de l’artiste, ou à l’absence de tension, qui se révèle précisément par le trait, à l’orientation

23

structurée ou non des caractères — en d’autres mots, vous avez répondu à la signature dans

son ensemble et à tous ses éléments à la fois. La signature d’une personne est l’expression

originale de sa personnalité, à tel point qu’elle est légalement considérée comme la propriété

exclusive de cette personne et permet de l’identifier aux yeux de la loi. Votre signature,

cependant, fait plus que vous identifier. Elle est aussi l’expression de vous-même et de votre

personnalité, de votre créativité. Votre signature est votre reflet fidèle. A cet égard, vous

parlez déjà le langage non verbal de l’art: vous utilisez l’élément de base du dessin, la ligne,

d’une manière expressive et personnelle.

Dès lors, nous ne nous attarderons pas dans les chapitres qui suivent sur ce que vous savez

déjà. Notre objectif est plutôt de vous apprendre à voir afin que vous puissiez utiliser votre

trait expressif et personnel pour dessiner ce que vous percevez.

Fig. 2-1. Pablo Picasso (1881-1973), Etudes. Avec l’aimable autorisation du Musée des Beaux-Arts, Boston,

Fonds Arthur Mason Knapp.

24

Fig. 2-2. Rembrandt Van Rijn (1606-1669), Paysage d’Hiver (c. 1649), Avec l’aimable autorisation du Fogg

Art Museum, Université de Harvard.

Rembrandt a dessiné ce petit paysage d’un trait calligraphique rapide. Ce trait nous fait partager la

réaction visuelle et émotive de l’artiste face au profond silence de cette scène hivernale. Dès lors, ce n’est

pas seulement le paysage que nous voyons, mais à travers lui Rembrandt lui-même.

LE DESSIN: UN MIROIR ET UNE METAPHORE POUR L’ARTISTE

La raison d’être d’un dessin n’est pas uniquement

de montrer ce que vous désirez représenter mais

aussi de vous montrer vous. Paradoxalement, plus

vous percevez clairement le monde extérieur et

plus vous le dessinez fidèlement, et plus le

spectateur vous voit clairement vous-même et

mieux vous apprenez à vous connaître. C’est ainsi

que le dessin repris à la figure 2-2 constitue une

véritable métaphore de l’artiste.

Etant donné que les exercices visent à rehausser

vos facultés perceptives, votre style personnel et

votre manière unique et précieuse de dessiner

émergeront intacts. A mesure que vous

apprendrez à voir, votre technique de dessin

s’améliorera et vous constaterez que votre style

personnel s’ébauche. Gardez-le, soignez-le,

chérissez-le, car votre style c’est votre expression

personnelle. Comme pour le grand maître du Zen,

l’objectif, c’est vous.

« L’art du tir à l’arc ne relève pas d’une

aptitude athlétique maîtrisée dans une

certaine mesure grâce à une pratique

essentiellement physique, mais plutôt d’une

technique qui trouve son origine dans

l’exercice mental et dont l’objectif consiste à

atteindre psychiquement la cible.

« C’est pourquoi l’archer se vise

fondamentalement lui-même. De cette manière

peut-être arrivera-t-il à atteindre la cible —

son moi essentiel ».

Herrigel

25

26

Une personne créative est une personne capable de

traiter de manière originale l’information directement

disponible — les données sensorielles ordinaires

accessibles à chacun de nous. Un écrivain a besoin de

mots, un musicien de notes, un peintre de perceptions

visuelles, et tous doivent connaître les techniques

propres à leur métier. Mais une personne créative

perçoit intuitivement la manière de transformer les

données ordinaires en une création nouvelle

transcendant le matériau brut.

De tout temps, les individus créatifs ont distingué la

démarche qui consiste à recueillir les données, de

celle qui consiste à les transformer de manière

originale. Des découvertes récentes sur le

fonctionnement du cerveau commencent à éclairer

quelque peu ce double processus. En apprenant à

connaître les deux côtés de votre cerveau, vous

franchirez un pas important vers la libération de votre

potentiel créatif.

« Tout acte créatif implique… une

innocence nouvelle de la perception,

libérée de la cataracte des idées reçues ».

Arthur Koestler The Sleepwalkers

Fig. 3-l

Ce chapitre vous donnera un bref aperçu de certaines recherches récentes sur le cerveau

humain, qui ont permis d’étendre considérablement les théories existantes sur la nature de la

conscience humaine. Ces nouvelles découvertes pourraient trouver une application directe

dans un système d’éducation nouveau s’efforçant de libérer la capacité créative de l’homme.

APPRENDRE A CONNAITRE LES DEUX COTES DE SON CERVEAU

Vu du dessus, le cerveau de l’homme ressemble aux deux moitiés d’une noix — deux moitiés

d’apparence semblable, circonvoluées, arrondies et communiquant par le centre (figure 3-l).

Ces deux moitiés s’appellent « hémisphère gauche » et « hémisphère droit ».

Le système nerveux chez l’homme est relié au cerveau de manière croisée. L’hémisphère

gauche contrôle le côté droit du corps et l’hémisphère droit contrôle le côté gauche. Si votre

cerveau gauche, par exemple, subit un traumatisme accidentel, la partie droite de votre corps

sera plus gravement affectée, et inversement. En raison de ce croisement des trajets nerveux,

la main gauche est reliée à l’hémisphère droit et la main droite à l’hémisphère gauche, comme

le montre la figure 3-2.

27

Fig. 3-2. Les connections croisées entre la main gauche et l’hémisphère droit. entre la main droite et

l’hémisphère gauche.

LE DOUBLE CERVEAU

Chez les animaux, les deux hémisphères cérébraux (les deux moitiés du cerveau) sont

essentiellement semblables, ou symétriques, dans leurs fonctions. Les hémisphères cérébraux

de l’homme, par contre, se développent asymétriquement au niveau de leurs fonctions. Le

signe extérieur le plus remarquable de l’asymétrie cérébrale chez l’homme est l’utilisation

préférentielle de la main droite, ou de la main gauche pour une minorité.

Depuis cent cinquante ans environ, les chercheurs savent que la fonction du langage et les

facultés qui y sont liées sont principalement localisées dans l’hémisphère gauche chez la

plupart des individus, environ 98 pour cent des droitiers et les deux tiers des gauchers. La

spécialisation de la partie gauche du cerveau pour les fonctions du langage est principalement

connue grâce aux observations sur les effets des traumatismes cérébraux. Il est apparu, par

exemple, qu’un traumatisme au côté gauche du cerveau avait plus de chances de provoquer

des troubles de la parole qu’un traumatisme de même gravité au côté droit.

Etant donné les liens étroits qui unissent la parole et le langage à la pensée, au raisonnement

et aux fonctions mentales supérieures qui distinguent l’homme des autres créatures du monde,

les savants du dix-neuvième siècle ont appelé l’hémisphère gauche hémisphère dominant et

l’hémisphère droit hémisphère dominé. On a longtemps cru que le côté droit du cerveau était

moins avancé, moins évolué que le côté gauche, — un jumeau muet, de moindres facultés,

contrôlé et entraîné par l’hémisphère gauche, siège du langage.

Les études de neurologie ont longtemps cherché à déterminer les fonctions, connues depuis

peu, d’un large câble nerveux composé de millions de fibres qui mettent en communication

les deux hémisphères cérébraux. Il s’agit du corps calleux, repris dans la représentation

28

schématique d’une moitié de cerveau humain à la figure 3-3. Etant donné l’importance de

son volume, le nombre considérable de fibres qui le composent et sa position stratégique en

tant qu’agent de connexion entre les deux hémisphères, le corps calleux devait, selon toute

apparence, constituer une structure importante. Et pourtant, inexplicablement, il s’est avéré

que le corps calleux pouvait être complètement sectionné sans conséquence significative

apparente. Grâce à une série d’expériences sur les animaux, principalement réalisées pendant

les années cinquante au California Institute of Technology par Roger W. Sperry et ses

étudiants, Ronald Myers, Colwyn Trevarthen et d’autres, il a été démontré que l’une des

fonctions principales du corps calleux était d’assurer la communication entre les deux

hémisphères et de permettre la transmission de la mémoire et de l’apprentissage. De plus, on a

montré qu’en cas de section du corps calleux les deux moitiés du cerveau continuaient de

fonctionner indépendamment, ce qui explique l’absence apparente de conséquences sur le

comportement et l’organisme.

Fig. 3-3. Schéma d’une moitié du cerveau humain, montrant le corps calleux et

les commissures.

Plus tard, pendant les années soixante, on a fait des observations semblables sur des sujets

humains, patients de neurochirurgie, et on a découvert de nouvelles données sur les fonctions

du corps calleux qui ont amené les chercheurs à réviser leurs conceptions quant aux fonctions

relatives des deux parties du cerveau humain: les deux hémisphères seraient impliqués dans

des fonctions cognitives supérieures, chaque moitié étant spécialisée de manière

complémentaire dans un mode de pensée particulier d’une grande complexité.

Etant donné les implications considérables de cette nouvelle conception du fonctionnement

cérébral pour l’éducation en général et l’enseignement du dessin en particulier, je décrirai

brièvement certaines de ces recherches menées sur des commissurotomisés. Ces recherches

ont été menées au Cal Tec par Sperry et ses étudiants Michael Gazzaniga, Jerre Levy, Colwyn

Trevarther, Robert Nebes et d’autres.

Leurs observations se sont centrées sur un petit groupe de sujets qui prirent le nom de

« commissurotomisés ». Ces personnes avaient été gravement handicapées par des crises

29

d’épilepsie affectant les deux hémisphères. En dernier ressort, comme tous les autres

traitements avaient échoué, il fallut maîtriser l’extension des crises aux deux hémisphères au

moyen d’une opération, réalisée par Phillip Vogel et Joseph Bogen, au cours de laquelle ils

sectionnèrent le corps calleux et les commissures correspondantes, ou connections croisées,

pour isoler les deux hémisphères. L’opération porta ses fruits: les crises étaient maîtrisées et

les patients recouvraient la santé. En dépit du caractère radical de cette opération, l’apparence

extérieure, l’attitude et la coordination motrice des patients étaient peu affectées ; et pour un

observateur non avisé, leur comportement quotidien semblait très peu modifié.

Par la suite, le Cal Tec a fait passer à ces patients une série de tests subtils et ingénieux qui ont

permis de mettre en évidence les fonctions distinctes des deux hémisphères. Le résultat

surprenant de ces tests fut de montrer que chaque hémisphère perçoit dans un sens sa propre

réalité, ou mieux dit, que chaque hémisphère

perçoit la réalité à sa façon. La partie gauche du

cerveau, siège de la parole, domine le plus

souvent chez les individus dont le cerveau est

intact de même que chez les

commissurotomisés. Grâce à des procédés

ingénieux, cependant, le groupe du Cal Tec a pu

tester isolément l’hémisphère droit de ces

patients et s’est aperçu que la partie droite du

cerveau, qui ne parle pas, est elle-même capable

de percevoir, de réagir, d’éprouver des

sentiments, et de traiter des informations de

manière indépendante. Dans notre propre

cerveau, dont le corps calleux est intact, la

communication entre les deux hémisphères

fusionne ou concilie les deux types de

perception, préservant ainsi la conscience que

nous avons de ne former qu’une seule personne,

un être unique.

Les chercheurs ne se sont pas contentés

d’étudier la séparation gauche/droite de

l’expérience mentale vécue à la suite de

l’intervention chirurgicale; ils ont observé les

différentes manières dont les deux hémisphères

traitent les informations. Il devenait de plus en

plus manifeste que le mode de fonctionnement

de l’hémisphère gauche est de type verbal et

analytique, tandis que le mode de

fonctionnement de l’hémisphère droit est non

verbal et global. Dans son travail de doctorat,

Jerre Levy a montré par ailleurs que le mode de

traitement des informations dans le cerveau

D’après le journaliste Maya Pines, les

théologiens et autres théoriciens s’intéressant au

problème de l’identité humaine ont suivi avec

beaucoup d’attention les recherches

scientifiques sur les deux moitiés du cerveau.

Comme Pines le fait observer, ils se sont vite

rendu compte que tous les chemins mènent au

Dr. Roger Sperry, professeur de psychobiologie

au California Institute of Technology, qui a le

talent de faire — ou de provoquer —

d’importantes découvertes.

Maya Pines, The Brain Changers

« Le thème principal qui émerge... est qu’il

semble exister deux modes de pensée, l’un

verbal et l’autre non verbal, représentés assez

distinctement dans les hémisphères gauche et

droit, respectivement, et que notre système

d’enseignement, comme la science en général,

tend à négliger la forme non verbale de

l’intellect. Ceci revient à dire que la société

exerce une discrimination à l’égard de

l’hémisphère droit »

Roger W. Sperry

« Lateral Specialization of Cerebral Functions

in the Surgically Separated Hemisphers », 1973

« Les données montrent que l’hémisphère

dominé, muet, est spécialisé pour la perception

Gestalt, opérant principalement de manière

synthétique sur les informations données.

L’hémisphère dominant, qui parle, semble au

contraire fonctionner de manière plus logique,

analytique, à la façon d’un ordinateur. Son

langage est inadéquat pour les synthèses rapides

et complexes que réalise l’hémisphère dominé ».

Jerre Levy

R.W. Sperry

droit est rapide, complexe, total, spatial et perceptif — mode d’opération qui, tout en étant très

différent du mode verbal et analytique du cerveau gauche, se caractérise néanmoins par une

complexité aussi grande. De plus, certaines observations faites par Levy semblent indiquer

que les deux modes de fonctionnement tendent à interférer mutuellement, empêchant ainsi la

totale exploitation de leur potentiel ; pour Levy, cette interférence expliquerait peut-être le

développement progressif d’une asymétrie dans le cerveau humain — comme moyen de

garder chaque mode de fonctionnement dans l’hémisphère qui lui correspond.

30

Les observations faites sur les commissurotomisés ont progressivement amené les

chercheurs à considérer que les deux hémisphères se caractérisent par des modes cognitifs

supérieurs qui, tout en étant différents, font néanmoins appel à la réflexion, au raisonnement

et à un fonctionnement mental complexe. Au cours des dix dernières années, depuis la

première hypothèse formulée par Levy et Sperry, les chercheurs ont accumulé les preuves en

ce sens grâce à leurs observations sur les commissurotomisés autant que sur des sujets dont le

cerveau était intact.

Quelques exemples de tests spécialement conçus pour l’observation des commissurotomisés

permettront peut-être de comprendre la réalité distincte perçue par chaque hémisphère et les

modes particuliers de fonctionnement qui sont utilisés. Dans l’un de ces tests, on a fait

apparaître pendant un instant deux images différentes sur un écran. Les yeux du

commissurotomisé étaient fixés sur un point à mi-distance de sorte qu’il était impossible

d’examiner les deux images à la fois. Chaque hémisphère percevait donc une image

différente. L’image d’une cuillère sur le côté gauche de l’écran allait au cerveau droit, et

l’image d’un couteau sur le côté droit de l’écran allait au cerveau gauche, siège de la parole,

comme le montre la figure 3-4. Lorsqu’on le questionnait, le patient donnait des réponses

différentes. Lorsqu’on lui demandait de nommer ce qu’il avait vu sur l’écran, son hémisphère

gauche, où se trouve le centre « dominant » de la parole lui faisait répondre: «un couteau ».

Quand on lui demandait de glisser la main gauche (hémisphère droit) derrière un rideau et de

prendre l’objet qu’il avait vu sur l’écran, le patient choisissait alors une cuillère parmi tout un

groupe d’objets comprenant notamment une cuillère et un couteau. Lorsque l’expérimentateur

lui demandait d’identifier ce qu’il avait en main derrière le rideau, il semblait un moment

désorienté puis finissait par dire: «un couteau». L’hémisphère droit, sachant que la réponse

était fausse mais ne possédant pas les mots nécessaires pour corriger le cerveau gauche

détenteur de la parole, poursuivait le dialogue en poussant le patient à hocher la tête en signe

de dénégation. A quoi l’hémisphère gauche répondait à voix haute: «Pourquoi donc suis-je en

train de remuer la tête ? ».

Fig. 3-4. Dispositif utilisé pour tester les associations visuo-tactiles chez les commissurotomisés. D'après

Michael S. Gazzaniga, « The Split-Brain in Man ».

Dans un autre test montrant que le cerveau droit est plus apte aux problèmes de spatialité, on

donnait au patient plusieurs formes de bois qu’il devait disposer pour former un dessin. Les

tentatives de la main droite (hémisphère gauche) échouaient sans cesse. Le cerveau droit

essayait d’intervenir mais la main droite écartait sans cesse la gauche: finalement l’homme

31

dut s’asseoir sur sa main gauche pour la tenir à l’écart du puzzle. Lorsque les

expérimentateurs lui conseillèrent finalement d’utiliser ses deux mains, la main gauche

spatialement « intelligente » dut repousser la main droite spatialement « faible » afin de

l’empêcher d’intervenir.

Grâce aux découvertes extraordinaires des quinze dernières années, nous savons à présent que

malgré notre sentiment normal de ne former qu’une seule personne — un être unique —,

notre cerveau est double, chaque partie se caractérisant par un mode particulier de

connaissance et de perception de la réalité extérieure. D’une certaine manière, nous avons

chacun deux esprits, deux consciences, unis et intégrés par le biais du câble de fibres

nerveuses qui relie les deux hémisphères.

Nous savons que les deux hémisphères peuvent travailler ensemble d’un bon nombre de

manières. Parfois ils coopèrent, chacun contribuant selon ses propres aptitudes et assumant les

tâches qui correspondent à son mode de traitement des informations. A d’autres moments, les

deux hémisphères peuvent fonctionner indépendamment, l’un étant « branché » et l’autre plus

ou moins « débranché ». Et il semble également que les hémisphères puissent entrer en

conflit, l’un d’eux essayant de faire ce que l’autre se sent mieux à même de réussir. De plus, il

semblerait que chaque hémisphère ait sa propre manière de garder certaines informations à

l’insu de l’autre. A la limite, il est peut-être vrai que, dans certains cas, la main droite ignore

ce que fait la gauche.

La double réalité des commissurotomisés

Vous vous demandez peut-être ce que tout cela a à voir avec l’apprentissage du dessin. Les

recherches récentes sur les fonctions des hémisphères cérébraux chez l’homme et sur le

traitement des informations visuelles montrent que l’aptitude au dessin dépend de l’accès que

l’on peut avoir au potentiel de l’hémisphère droit, l’hémisphère dominé — de la faculté que

l’on a de «débrancher» son cerveau gauche et de « brancher » le droit. En quoi cela aide-t-il

une personne à dessiner ? Il apparaît que le cerveau droit perçoit la réalité

—traite les informations visuelles— de la manière appropriée pour le dessin, et que le cerveau

gauche la perçoit d’une manière qui semble interférer avec cette activité.

LE TEMOIGNAGE DE LA LANGUE

Nous nous apercevons après coup que les hommes ont de tout temps pressenti l’existence de

deux parties distinctes dans le cerveau ; en effet, les langues regorgent de mots et

d’expressions suggérant que le côté gauche d’une personne se distingue de son côté droit par

des caractéristiques différentes. Ces mots n’indiquent pas seulement une différence de

position mais aussi des différences de qualité ou de caractères essentiels. En anglais, par

exemple, pour comparer des idées dissemblables, on dit On the one hand ... on the other hand.

L’expression A left-handed compliment, un compliment maladroit, signifie que nous

attribuons à la droite et à la gauche des qualités différentes.

Bien que ces expressions aient généralement trait aux mains, nous sommes en droit de déduire

qu’elles font également allusion aux hémisphères qui contrôlent les mains, en raison des

connections croisées qui existent entre les mains et les hémisphères cérébraux. Dès lors, les

expressions familières reprises au paragraphe suivant, bien qu’elles se réfèrent spécifiquement

32

aux mains gauche et droite, doivent être comprises comme désignant les hémisphères

opposés — le cerveau droit relié à la main gauche et le cerveau gauche relié à la main droite.

Les préjugés de la langue et des coutumes

Les mots et expressions relatifs aux concepts de

gauche et de droite imprègnent la langue et la pensée.

La main droite (autrement dit, l’hémisphère gauche)

est fortement liée à l’idée de ce qui est bon, juste,

moral, approprié. La main gauche (par conséquent

l’hémisphère droit) est étroitement assimilée aux

concepts d’anarchie et aux sentiments vils,

immoraux, dangereux ou qui échappent au contrôle

de la volonté.

Nasrudin était assis avec un ami alors que le

soir tombait. « Allume une chandelle », dit

l’homme, « car il fait noir à présent. Il y en a

une juste à ta gauche ». « Comment veux-tu

que je distingue ma gauche de ma droite dans

l’obscurité, idiot? » demanda le Mulla.

Indries Shah, The Exploits of the

Incomparable Mulla Nasrudin

Jusqu’il y a peu, se prévalant de l’ancien préjugé contre la main gauche et l’hémisphère droit,

les parents et les professeurs obligeaient parfois les enfants gauchers à utiliser la main droite

pour écrire, manger, etc. — cette pratique entraînant souvent des troubles persistant jusqu’à

l’âge adulte.

Depuis que l’homme existe, les connotations positives pour la main droite et l’hémisphère

gauche, et les connotations négatives pour la main gauche et l’hémisphère droit se retrouvent

dans presque toutes les langues du monde. En latin, le mot pour gauche est sinister qui

signifie aussi « maladroit », « de mauvais augure », « sinistre ». En latin toujours, le mot pour

droite est dexter d’où vient notre mot « dextérité » qui signifie « habileté » ou « adresse ».

Modes de connaissance parallèles

intellect intuition

convergent divergent

digital analogique

secondaire primaire

abstrait concret

orienté libre

propositionnel imaginatif

analytique relationnel

linéaire non linéaire

rationnel intuitif

séquentiel multiple

analytique global

objectif subjectif

successif simultané

J.R. Bogen

« Some Eucational Aspects

of Hemispher Specialization »

----------------------------------------- Yin Yang

féminin masculin

négatif positif

lune soleil

obscurité lumière

soumis agressif

gauche droite

Chaleur froid

Automne printemps

hiver été

Inconscient conscient

cerveau droit cerveau gauche

émotion raison

Yi-King ou Le Livre des Mutations

Ouvrage chinois taoïste

Sous le terme « gauche », le dictionnaire reprend comme synonymes les mots « dévié »,

« tordu » et « maladroit ». Les synonymes de « droit », par contre, sont « judicieux »,

« sensé », « loyal ». Or il ne faut pas oublier que tous ces mots ont été forgés, quand les

langues sont nées, par l’hémisphère gauche de certaines personnes — le cerveau gauche

33

adressant au droit les qualificatifs les plus blessants. Et le cerveau droit, étiqueté, montré du

doigt, et agressé, était dépourvu d’un langage qui lui eût permis de se défendre.

DEUX MODES DE CONNAISSANCE

Parallèlement aux différentes connotations qui opposent la droite et la gauche dans la langue,

les philosophes, les professeurs et les scientifiques d’époques et de cultures très variées ont

postulé l’existence d’une dualité ou « bilatéralité » dans la nature et la pensée humaines.

L’idée fondamentale est qu’il existe parallèlement deux « modes de pensée ».

Ces conceptions vous sont probablement familières. Tout comme les expressions relatives à la

gauche et à la droite, elles imprègnent notre culture. Les principales distinctions sont établies,

notamment entre réflexion et sensation, entre raisonnement et intuition, et entre analyse

objective et impression subjective.

D’après les observateurs politiques, les gens analysent généralement les aspects positifs et

négatifs d’une question puis votent ensuite selon leurs préférences épidermiques.

L’histoire de la science regorge d’anecdotes où le chercheur obsédé par un problème fait un

rêve dans lequel la réponse se présente d’elle-même, comme une métaphore intuitivement

appréhendée. La phrase d’Henri Poincarré en est un exemple marquant.

Dans un tout autre contexte, les gens disent parfois d’une autre personne : « Ce qu’il (ou elle)

dit semble juste, mais quelque chose me dit de nous en méfier ». Ou bien : « Je ne peux vous

l’expliquer précisément avec des mots, mais quelque chose chez cette personne me déplaît ».

Ces réflexions relèvent de l’observation intuitive que, dans le cerveau, deux parties sont en

jeu, traitant les mêmes informations de deux manières différentes.

DEUX MODES DE TRAITEMENT DES INFORMATIONS

Sous notre crâne, donc, se trouve un double cerveau, doté de deux modes de connaissance. La

bilatéralité de notre cerveau et de notre corps et les caractéristiques distinctes attribuées à

chaque côté, qui trouvent une expression intuitive dans la langue, possèdent donc une

justification physiologique. Etant donné que chez la plupart des individus les fibres nerveuses

de connexion sont intactes, nous ne percevons que rarement à un niveau conscient les conflits

qui furent mis en évidence lors des tests sur les commissurotomisés.

Néanmoins, comme chacun de nos hémisphères recueille les mêmes données sensorielles,

chaque moitié de notre cerveau peut gérer les informations à sa façon: la tâche peut être

répartie entre les deux hémisphères, chacun s’occupant de la partie qui correspond le mieux à

son mode d’opération, ou bien l’un des hémisphères, généralement le gauche, l’hémisphère

dominant, l’emporte, inhibant son concurrent. L’hémisphère gauche analyse, abstrait, compte,

marque le temps, programme ses opérations par étapes, verbalise et rationalise conformément

à la logique. Par exemple : « Etant donné les nombres a, b et c, nous pouvons dire que si a est

plus grand que b et que b est plus grand que c, a est nécessairement plus grand que c ». Cet

énoncé illustre le mode de connaissance de l’hémisphère gauche: un mode analytique, verbal,

déductif, séquentiel, symbolique, linéaire et objectif.

34

Par contre, nous avons un second mode de connaissance: le mode de l’hémisphère droit.

Grâce à lui, nous voyons les choses imaginaires — seulement perceptibles à l’oeil de

l’esprit—ou nous nous rappelons de choses qui peuvent être réelles (pouvez-vous vous

représenter la porte d’entrée de votre maison, par exemple ?). Nous voyons comment les

choses se présentent dans l’espace, et comment les parties s’assemblent pour former un tout.

Grâce à notre hémisphère droit, nous comprenons les métaphores, nous rêvons, nous créons

de nouvelles combinaisons d’idées. Quand quelque chose nous semble trop compliqué à

décrire, nous sommes capables de l’expliquer par gestes. Le psychologue David Galin nous

donne son exemple favori : essayez de décrire un escalier en spirales ans faire le geste d’une

spirale. Grâce à notre hémisphère droit toujours, nous sommes capables de dessiner l’image

de nos perceptions.

L’eurêka

Le mode de traitement des informations

propre à l’hémisphère droit relève de

l’intuition et nous lui devons nos sursauts

de clairvoyance — ces instants privilégiés

où chaque chose semble trouver sa place

sans que nous ayions à les considérer dans

leur ordre logique. A ce moment, la plupart

des gens s’exclament spontanément : « Ça

y est. Je Vois» ou «Ah, oui, maintenant je

vois comment ça se profile». L’exemple

classique est le cri d’exultation

« Eurêka ! » (J’ai trouvé !) qu’on attribue à

Archimède. Si on en croit l’histoire,

Archimède aurait été saisi, alors qu’il

prenait un bain, d’une inspiration soudaine

qui l’aurait mené à formuler son fameux

principe selon lequel le poids d’eau

déplacée permet de déterminer le poids

d’un solide immergé.

Tel est donc le mode de connaissance de

l’hémisphère droit : intuitif, subjectif,

relationnel, global et intemporel. Il s’agit

aussi d’un mode « gaucher » infirme,

ignoré, que de tout temps notre civilisation

a méprisé. Notre système d’éducation, par

exemple, est conçu en grande partie pour

valoriser l’hémisphère gauche verbal,

rationnel et chronologique, alors que la

moitié droite du cerveau de chaque

étudiant est totalement négligée.

Le mathématicien du dix-neuvième siècle Henri

Poincarré décrit ainsi l’intuition soudaine qui lui

permit de résoudre un problème difficile : « Un

soir, je pris du café noir, contrairement à mon

habitude, je ne pus m’endormir: les idées

surgissaient en foule; je les sentais comme se

heurter, jusqu’à ce que deux d’entre elles

s’accrochassent, pour ainsi dire, pour former une

combinaison stable. (...) il semble que, dans ces cas,

on assiste soi-même à son propre travail

inconscient, qui est devenu partiellement

perceptible à la conscience surexcitée et qui n’a pas

pour cela changé de nature. On se rend alors

vaguement compte de ce qui distingue les deux

mécanismes ou. si l’on veut, les méthodes de travail

des deux moi ».

Le Dr. J. William Bergquist, mathématicien et

spécialiste du langage d’informatique connu sous le

sigle APL, a suggéré dans un article publié à

Snowmass, Colorado. en 1977. que seraient

probablement bientôt mis au point des ordinateurs

qui combineraient en une seule machine les

fonctions digitales et analogiques. Le Dr. Bergquist

a baptisé sa machine « The Bifurcated

Computer »*. Selon lui, cet ordinateur

fonctionnerait de manière comparable aux deux

moitiés du cerveau humain.

N.d.T.: L’Ordinateur hybride.

« L’hémisphère gauche analyse dans le temps,

tandis que l’hémisphère droit synthétise dans

l’espace ».

Jerre,Levy, « Psychobiological Implications of

Bilateral Asymmetry »

35

MIEUX VAUT UN DEMI-CERVEAU QUE PAS DE CERVEAU DU TOUT :

MIEUX VAUDRAIT UN CERVEAU TOUT ENTIER

Avec leur enseignement verbal et numérique

séquentiel, les écoles que vous et moi avons

fréquentées n’étaient pas en mesure de développer le

mode de connaissance propre à l’hémisphère droit.

Après tout, l’hémisphère droit ne répond pas à un

contrôle verbal très précis. Il est impossible de le

raisonner. Il est impossible de lui faire énoncer des

propositions logiques telles que : « Ceci est juste ou

cela est faux pour les raisons a, b et c. ». Cet

hémisphère droit est métaphoriquement « gauche »

avec toutes les connotations traditionnelles que ce

terme implique. L’hémisphère droit ne permet pas

précisément de sérier, c’est-à-dire de franchir la

première étape en premier lieu, puis de franchir la

suivante, puis encore la suivante. Il peut commencer

n’importe où ou prendre tout à la fois. De plus,

l’hémisphère droit n’a pas une claire notion du temps

et ne semble pas comprendre ce que veut dire « perdre

son temps », à l’inverse de l’hémisphère gauche, sage

et méritant. Le cerveau droit ne convient pas pour les

classifications et les définitions. Il semble considérer

les choses telles qu’elles sont à l’instant présent; il

prend les choses comme elles se présentent, dans leur

étrange et fascinante complexité. Il ne convient pas

non plus pour l’analyse et l’abstraction de

caractéristiques dominantes.

Aujourd’hui encore, bien que les enseignants soient de

plus en plus conscients de l’importance de la pensée

intuitive et créative, les systèmes d’enseignement en

général sont toujours structurés en fonction du mode

d’opération de l’hémisphère gauche. L’enseignement

Les personnes de créativité semblent

souvent avoir intuitivement conscience

de l’existence de deux côtés distincts

dans le cerveau. Kipling, par exemple,

a écrit ce poème intitulé « The Two

sided Man », il y a plus de cinquante

ans.

Je dois beaucoup aux terres qui m’ont

fait grandir —

Plus encore aux Vies qui m’ont

nourri —

Mais je dois tout à Allah Qui a doté ma

tête de

Deux

Côtés distincts

Je médite beaucoup sur le Bien et sur

le Vrai

Dans toutes les religions sous le soleil

Mais surtout sur Allah Qui a doté ma

tête de deux

Côtés, au lieu d’un

J’irais sans chemise ni souliers,

Sans ami, sans tabac ou sans pain,

Plutôt que perdre une minute les deux

Côtés distincts de ma tête!

Rudyard Kipling

« Approchant la quarantaine, j’ai fait

un rêve singulier dans lequel j’ai

presque saisi le sens et compris la

nature de ce qui se perd dans le temps

perdu ».

Cyril Connolly, The Unquiet Grave: A

Word Cycle by Palinuris

est sérié ; les élèves passent de première en deuxième année, puis en troisième, etc., suivant

une progression linéaire. Les matières qu’ils étudient sont de nature verbale et numérique: la

lecture, l’écriture, l’arithmétique. Ils suivent des horaires. Tous doivent donner une même

réponse à une même question. Les bancs sont disposés en rangs. Les professeurs distribuent

des notes. Et chacun a l’impression que quelque chose ne va pas.

Le cerveau droit — le rêveur, l’artisan, l’artiste — est perdu dans notre système scolaire dont

il est largement écarté.

Aujourd’hui peut-être, grâce aux contributions théoriques des neurologues démontrant la

nécessité de développer les facultés du cerveau droit, sommes-nous en mesure d’édifier un

nouveau système d’enseignement qui s’applique au cerveau tout entier. Un tel système

s’attacherait certainement à cultiver les aptitudes au dessin — une manière efficace et active

d’accéder au potentiel du cerveau droit.

36

LE MODE DE L’IMAGINATION

L’un des merveilleux talents du cerveau droit

est de se représenter les choses imaginaires,

uniquement perceptibles à l’oeil de l’esprit.

Le cerveau droit est capable d’évoquer une

image puis de la « regarder », de la « voir »

comme si elle était « vraiment là ». Les

termes visualiser ou imaginer sont presque

utilisés indifféremment mais, à mon avis, le

terme « visualiser » donne l’idée d’une image

en mouvement, alors qu’imaginer semble

plutôt dénoter une image immobile.

« Afin de rendre possible la survie biologique, il

faut que l’Esprit en général soit creusé d’une

tuyauterie passant par la valve de réduction

constituée par le cerveau et le système nerveux.

Ce qui sort à l’autre extrémité, c’est un

égouttement parcimonieux de ce genre de

conscience qui nous aidera à rester vivants à la

surface de cette planète particulière. Afin de

formuler et exprimer le contenu de ce conscient

réduit, l’homme a inventé et perfectionné sans

fin ces systèmes de symboles et de philosophies

implicites que nous appelons les langues ».

Aldous Huxley, Les Portes de la Perception La visualisation et l’imagination sont des composantes importantes de la technique du dessin.

L’artiste regarde l’objet ou la personne qu’il veut dessiner et prend mentalement le cliché de

son sujet. Il garde cette image en mémoire et se penche ensuite sur le papier pour la dessiner.

Un autre coup d’oeil, une nouvelle image retenue, puis le dessin de cette image, et ainsi de

suite.

Afin d’illustrer les aptitudes particulières du cerveau droit, j’ai mis au point quelques

exercices préliminaires qui montrent l’efficacité de la visualisation en tant que procédé

permettant de comprendre et de garder en mémoire des informations complexes. Pour

simplifier la terminologie relative aux informations des hémisphères cérébraux, j’utiliserai les

notations « mode-G » ou « mode-D » tout au long de cet ouvrage. Une visualisation de ces

termes en facilitera la mémorisation.

Prenez d’abord un « cliché mental » (une photographie de l’esprit) de chacune de ces

représentations graphiques:

Le mode-G

est « droitier » et relève de l’hémisphère

gauche. Le G est vigoureux, droit, sage,

direct, fidèle, coupant, sans fantaisie,

puissant.

Le mode-D est

« gaucher » et relève de l’hémisphère droit.

Le D est arrondi, flexible, plus enjoué dans

ses courbes et ses tournures inattendues, plus

complexe, détourné, fantaisiste.

Ces deux représentations me serviront à désigner les deux modes de conscience distincts dans

lesquels prédomine l’un ou l’autre type de traitement des informations. Pour toutes ses

opérations, quelles qu’elles soient, le cerveau utilise ses deux hémisphères, l’un d’eux

prédominant peut-être à certains moments, les deux se partageant équitablement les tâches à

d’autres moments. Le mode-G est considéré comme linéaire, verbal, symbolique et

analytique, comme il est défini dans la première colonne de la liste reprise plus loin. Le mode-

D est défini comme spatial, global, non verbal et intuitif, comme dans la seconde colonne

(voir page ).

Une claire représentation de ces deux modes vous permettra de mieux comprendre les

instructions relatives aux exercices de dessin.

37

C’est pourquoi il serait bon de faire les

exercices de visualisation suivants :

1. Représentez-vous le G, vigoureux et

arrogant. Voyez-le avec l’oeil de l’esprit,

avec ses côtés rectilignes et ses angles

droits. Agrandissez maintenant cette image

et juxtaposez-la à une autre forme afin de

comparer les dimensions : figurez-vous le G

de la taille d’une pyramide ou de l’Empire

State Building. A présent, imaginez le G en

couleur, de n’importe quelle couleur.

Maintenant rattachez au G des symboles

convenant à son style : des mots, des

nombres, le temps, des équations

mathématiques, des graphiques, des cartes,

des livres, peut-être l’image d’un

mathématicien, d’un avocat, d’un savant,

d’un comptable. Vous pouvez choisir la

représentation que vous préférez. Vous vous

rappellerez plus longtemps et plus

clairement ces représentations si vous les

composez vous-même. Plus important

encore, localisez le mode-G dans votre

propre cerveau en plaçant votre main (la

gauche ou la droite, peu importe) sur le côté

gauche de votre tête : réduisez la taille de

l’image et imaginez que vous êtes en train

de placer l’image du mode-G dans la moitié

gauche de votre cerveau.

Le savant russe Leonid Ponomarev décrit avec

éloquence nos deux modes de connaissance:

« On sait depuis longtemps que la science n’est

qu’une méthode parmi d’autres pour étudier le

monde qui nous entoure. Une autre méthode —

complémentaire — se pratique dans l’art.

L’existence conjointe de l’art et de la science, en

elle-même, illustre bien le principe de la

complémentarité. Vous pouvez vous consacrer

entièrement à la science ou vivre exclusivement de

votre art. Les deux points de vue se justifient

également mais, pris séparément, ils sont

incomplets. L’épine dorsale de la science est la

logique et l’expérimentation. L’art trouve ses

fondements dans l’intuition et l’illumination. Mais

l’art du ballet exige une exactitude mathématique

et, comme l’a dit Pouchkine, ‘L’inspiration en

géométrie est tout aussi nécessaire qu’en poésie’.

L’art et la science sont complémentaires plutôt que

contradictoires. La science vraie est semblable à

l’art de la même manière que l’art véritable

comporte des éléments scientifiques. Ils reflètent

des aspects différents, complémentaires, de

l’expérience humaine et ne nous donnent une idée

complète du monde que lorsqu’ils sont pris

ensemble. Malheureusement, nous ne connaissons

pas la ‘relation d’incertitude’ pour la paire

combinée des concepts ‘science et art’. C’est

pourquoi nous ne pouvons évaluer les pertes que

nous inflige une perception unilatérale de la vie ».

Leonid Ponomarev, In Quest of the Quantum

2. Maintenant, représentez-vous le D arrondi. Voyez-le avec l’oeil de l’esprit, avec ses

courbes complexes. Agrandissez-le ou réduisez-le si vous voulez. Ajoutez d’autres formes

afin de voir leurs dimensions relatives. Attachez-lui ensuite les caractéristiques propres au

style de l’hémisphère droit: peut-être l’image de quelqu’un en train de peindre, de dessiner, de

jouer de la musique, de sculpter, de rêver en parfaite ignorance du temps qui passe. Etant

donné que ces fonctions sont moins nettement définies (ce qui ressemble bien à l’hémisphère

droit) que les fonctions de l’hémisphère gauche, ce sera l’occasion d’éprouver votre capacité

imaginative. Comment vous représentez-vous l’intemporalité ? Peut-être à la manière d’un

surréaliste comme Dali, comme une montre sans cadran. Comment vous figurez-vous des

analogues, des choses qui sont semblables ? Comment vous représentez-vous le cri

« Eurêka » ? Prenez votre temps, jusqu’à ce que vous puissiez évoquer mentalement une

image sur le mode-D. Placez alors votre main sur le côté droit de votre tête et imaginez de

nouveau le mode-D à l’intérieur de la moitié droite de votre cerveau.

A présent, faites passez les images au côté opposé : le mathématicien, le savant, etc. traversent

le corps calleux en direction du mode-D pour rêver et imaginer des inventions nouvelles ;

l’artiste et le musicien passent au mode-G pour analyser des problèmes d’esthétique.

3. Répétez cet exercice jusqu’à ce que vous puissiez vous sentir passer d’une image à l’autre,

d’abord vers le côté gauche de votre cerveau avec votre représentation du G et ensuite vers le

côté droit avec votre représentation du D. Cet exercice mental de transition de G vers D vous

38

aidera pendant les travaux de dessin à effectuer la conversion mentale vers le mode propre

au dessin (mode-D).

Comparaison des caractéristiques du mode gauche et du mode droit

Verbal : Utilise les mots pour désigner,

décrire, définir.

Analytique : Considère les choses petit à petit

et une partie après l’autre.

Symbolique : Utilise les symboles pour

désigner les choses. Par exemple, le

graphisme signifie oeil, le signe +

représente l’opération de l’addition.

Abstrait : Relève une petite partie de

l’information et l’utilise pour représenter la

chose dans son ensemble.

Temporel : Conscient du temps, envisage les

choses dans leur ordre de succession: la

première chose en premier lieu, la deuxième

chose en deuxième lieu, etc.

Rationnel : Tire des conclusions fondées sur la

raison et sur les faits.

Digital : Utilise les nombres, par exemple

pour compter.

Logique : Tire des conclusions conformément

à la logique: une chose suivant l’autre dans un

ordre logique — par exemple, un théorème en

mathématiques ou un argument bien formulé.

Linéaire : Pense sous forme d’idées suivies,

une pensée succédant directement à l’autre,

menant souvent à des conclusions

convergentes.

Non verbal : Conscient des choses mais

correspondance minimale avec les mots.

Synthétique : Met les choses ensemble

pour former un tout.

Concret : Se réfère aux choses telles

qu’elles sont, au moment présent.

Analogique : Perçoit les ressemblances

entre les choses; comprend les relations

métaphoriques.

Intemporel : N’a pas la notion du temps.

Irrationnel : N’exige pas de justification

par la raison ou parles faits; désireux de

surseoir aux jugements.

Spatial : Perçoit les relations entre les

choses et les rapports qui unissent les

parties d’un tout.

Intuitif : Appréhension instantanée de la

réalité, souvent basée sur des données

incomplètes, des intuitions, des

sentiments, ou des images visuelles.

Global : Perçoit de suite les choses dans

leur ensemble; appréhende les structures et

les schémas généraux, menant souvent à

des conclusions divergentes.

VISUALISATION DES CONNECTIONS CROISEES : LE CERVEAU ET LE CORPS

39

Les exercices de dessin qui suivent, conçus

pour vous permettre d’accéder au mode-D,

seront plus efficaces si vous vous représentez

clairement les connections croisées qui

unissent les deux moitiés du cerveau aux deux

moitiés du corps. Après ces exercices, vous

serez capables d’évoquer facilement l’image

de ces connections, ce qui vous dispensera de

les désigner par des mots.

1. Imaginez les connections entre votre

cerveau gauche et le côté droit de votre corps.

Voyez-les à votre manière — sous forme de

En réponse à une enquête de Jacques

Hadamard sur les méthodes de travail des

mathématiciens, Albert Einstein lui a écrit une

lettre dans laquelle il dit :

« Les mots, ou la langue, tels qu’ils sont écrits

ou parlés, ne semblent jouer aucun rôle dans

mon mécanisme de pensée. Les entités

psychiques qui semblent servir d’éléments dans

la pensée sont certains signes et des images plus

ou moins claires qui peuvent être

‘volontairement’ reproduits ou combinés ».

Jacques Hadamard, The Psychology of

Invention in the Mathematical Field

tubes, de courants électriques, de fils, peu importe. Imaginez à présent les trajets en couleur,

disons en bleu ou en rouge, allant du cerveau gauche à chaque partie du côté droit de votre

corps.

2. Maintenant, changez de côté. Représentez-vous les connections entre votre cerveau droit et

le côté gauche de votre corps dans une couleur différente, disons en vert ou en jaune.

3. Figurez-vous à présent le système au complet avec ses connections croisées.

LE TISSAGE ENCHANTE

Nous devons au chercheur anglais Sir

Charles Sharrington la métaphore la plus

célèbre sur le cerveau. Ce savant a décrit le

cerveau comme « un tissage enchanté que

des millions de navettes traversent comme

des éclairs, formant un motif qui disparaît

aussitôt, un motif toujours significatif mais

jamais permanent ... ».

1. Visualisez mentalement, avec l’oeil de

l’esprit, le tissage enchanté avec sa myriade

de navettes-éclairs se groupant un instant

dans un coin de votre cerveau —

disparaissant, s’assombrissant, puis striant

l’espace vers une autre région en un motif

changeant; un motif qui rayonne puis

s’éteint, qui rayonne puis s’éteint.

Bob Samples, professeur, auteur, et philosophe

humaniste présente un exercice de visualisation

dans son ouvrage sur l’enseignement, The

Wholeschool Book :

« Imaginons un instant que chacun de nous ait

dans la tête non pas une prairie mais deux. Deux

prairies distinctes. Etant donné qu’il s'agit de

deux prairies, elles ont certainement des qualités

communes. Mais il y a tout de même certaines

différences. Afin de vous imaginer qu’elles sont

bien distinctes, visualisez une large rivière

s’écoulant rapidement entre elles. C’est cela —

une rivière entre elles coulant d’un hémisphère

vers l’autre. Un aspect étrange de cette rivière est

qu’elle coule dans les deux sens à la fois. La

substance d’une prairie peut à tout instant

s’écouler dans l’autre. Cependant, dès qu’elle

arrive, elle est transformée selon l’écologie de

cette nouvelle prairie ».

2. Imaginez à présent que vous pouvez contrôler le motif et que vous pouvez rassembler

toutes les navettes au même endroit, ensuite les faire disparaître, puis les rassembler à

nouveau autre part. Imaginez-les s’assembler d’abord d’un côté puis de l’autre. Imaginez que

ces regroupements suscitent une véritable sensation physique dans votre cerveau, une légère

modification de tension, une variation infime de poids, un faible réchauffement ou un

refroidissement, un bourdonnement étouffé.

40

L’observateur caché

D’après les psychologues, beaucoup de

personnes seraient capables de se distancier

d’elles-mêmes et de prendre conscience des

variations de leur état mental comme si elles

observaient le fonctionnement de leur propre

cerveau. Les exercices de visualisation

suivants et certains exercices ultérieurs vous

aideront à cultiver l’ « observateur caché »

qui est en vous, pour reprendre l’expression

du psychologue Charles Tart, et à percevoir,

à un niveau conscient, les légères

modifications de votre état mental. Vous

serez ainsi capable de vous « brancher » sur

le mode-D, le mode qui permet aux artistes

de voir et de dessiner.

Le psychologue Charles T. Tart, à propos des

différents états de conscience a dit: « De

nombreuses disciplines méditatives partent du

principe que chacun possède (ou peut développer)

un observateur particulièrement objectif à l’égard

de la personnalité ordinaire. Etant donné que cet

observateur est essentiellement de l’attention —

de la conscience — pure, il ne possède pas de

particularités propres ». Le Professeur Tart

poursuit en expliquant que certaines personnes

ayant l’impression de posséder un observateur

particulièrement bien développé « pressentent

que cet observateur peut procéder à des

observations essentiellement continues non

seulement dans un état de conscience discret

déterminé (d-SoC) mais encore pendant la

transition entre deux états discrets différents ou

plus ».

Charles T. Tart, « Putting the Pieces Together »

CREATION DES CONDITIONS FAVORABLES A LA CONVERSION G – D

Les exercices du chapitre suivant sont spécialement conçus pour provoquer la conversion

mentale du mode-G vers le mode-D. On pense aujourd’hui que la nature de la tâche à

accomplir peut déterminer l’hémisphère qui prendra la direction des opérations en inhibant

l’autre, et c’est précisément à partir de cette hypothèse que furent établis les exercices

suivants. Comme je l’ai dit déjà, les chercheurs pensent que les hémisphères peuvent être soit

alternativement « branchés » — une condition de fonctionnement pour un hémisphère

constituant une condition de non-fonctionnement pour l’autre—, soit « branchés »

simultanément, l’un des deux assurant le contrôle des opérations (le comportement

manifeste). Reste à savoir quels sont les facteurs qui déterminent l’hémisphère fonctionnel

et/ou dominant.

D’après des études faites sur des animaux, des

commissurotomisés et des individus dont le

cerveau était intact, les chercheurs estiment que

la dominance de l’un des deux hémisphères

peut être déterminée de deux manières. L’un

des critères est la rapidité : quel hémisphère se

met au travail le plus rapidement ? Un second

critère est la motivation : quel hémisphère se

En prose, la pire des choses qu’on puisse faire

avec des mots est de se soumettre à eux.

Quand vous pensez à un objet concret. vous

pensez sans user des mots, et si. par la suite,

vous voulez décrire la chose que vous avez

visualisée, il vous faut probablement faire un

effort pour trouver les mots exacts qui vous

semblent convenir. Quand vous pensez à une

chose abstraite, vous êtes plus enclin, dès le

départ, à faire appel aux mots et, à moins que

41

sent le plus compétent ou apprécie le mieux le

travail donné? Et inversement, quel hémisphère

se sent le moins compétent ou apprécie le

moins le travail ?

Le dessin d’une forme perçue relevant

largement des fonctions du cerveau droit, il

nous faut garder le cerveau gauche à l’écart des

opérations. Malheureusement, l’hémisphère

gauche est dominant et rapide et il est toujours

vous vous efforciez délibérément de les éviter,

vos tours de langage s’imposeront et feront le

travail pour vous, dussent-ils pour cela

brouiller, ou même modifier, votre pensée. Il

est probablement préférable de se passer des

mots aussi longtemps que c’est possible et

préciser ses conceptions aussi clairement que

le permettent les images et les sensations.

George Orwell , « Politics and the English

Language »

prêt à intervenir avec des mots et des symboles, s’attribuant même les tâches pour lesquelles il

n’est pas compétent.

Les études sur les commissurotomisés ont montré que le cerveau gauche aime « jouer au

patron », pour ainsi s’exprimer, et hésite à reléguer la moindre tâche à son partenaire stupide,

à moins que cette tâche lui déplaise vraiment — soit parce qu’elle demande trop de temps,

parce qu’elle est trop détaillée ou trop lente, soit parce que lui-même est simplement

incapable d’y faire face. C’est exactement ce qu’il nous faut — des tâches que le cerveau

gauche refusera d’accomplir. Dans les exercices suivants, nous proposerons au cerveau des

opérations que l’hémisphère gauche ne pourra pas ou ne souhaitera pas exécuter.

Gaucher ou droitier ?

Avant d’entreprendre le cours proprement dit, il serait utile de revoir la question des relations

entre le fait d’être gaucher et, d’autre part, le dessin et les fonctions spécifiques des deux

hémisphères cérébraux. Les élèves m’interrogent souvent à ce sujet. Je tenterai donc de

répondre aux questions les plus importantes, bien que les nombreuses recherches en la matière

paraissent encore peu satisfaisantes, parfois contradictoires.

En dépit de ces incertitudes, il semble évident que, dans la civilisation occidentale, 5 à 12

pour cent de la population soient largement ou significativement gauchers. Cela semble

également vrai dans les autres civilisations mais certaines découvertes tendent à montrer que

les hommes de la préhistoire et des premiers temps de l’histoire étaient moins manifestement

droitiers.

Jadis on pensait que les gauchers avaient une organisation cérébrale inverse de celle des

droitiers; les fonctions du langage (la parole, l’écriture...) étant localisées dans le cerveau

gauche chez les droitiers, on pensait que chez les gauchers, ces fonctions se situaient dans

l’hémisphère droit. Mais les dernières recherches ont montré que chez la plupart des gauchers,

comme chez les droitiers, le centre du langage se situe dans l’hémisphère gauche. Cependant,

font parfois exception à la règle les gauchers dont la mère elle-même est gauchère ; chez ces

personnes en effet, les fonctions du langage peuvent se situer dans le cerveau droit.

Il n’est toujours pas certain que le fait d’être gaucher augmente les possibilités d’accès aux

fonctions de l’hémisphère droit telles que l’aptitude au dessin. Un point cependant semble

clair — et c’est une question qu’on me pose souvent pendant les cours: le fait de dessiner avec

la main gauche assure-t-elle au droitier un meilleur contrôle de son cerveau droit ? La réponse

est non. Les obstacles qui empêchent les gens de bien dessiner relèvent de leur vision des

choses et ne disparaissent pas du simple fait d’un changement de main; cela ne sert en réalité

qu’à rendre les dessins plus grossiers. Et une personne capable de dessiner peut dessiner de la

42

main droite, de la main gauche, ou apprendre à dessiner avec les dents ou les pieds s’il le

faut, simplement parce qu’elle a appris à voir.

Dans les chapitres qui suivent, les instructions s’adresseront aux droitiers mais elles

conviendront aussi bien aux gauchers, à l’exception des gauchers dont la mère elle-même est

gauchère. Pour ces quelques personnes, les instructions relatives au fonctionnement du

cerveau devront être inversées.

43

44

Une première expérience de la conversion cognitive gauche-droite

Le dessin d’une forme perçue dépend

largement des fonctions de l’hémisphère

droit. Ce fait a été éprouvé et démontré

expérimentalement. Comme je l’ai expliqué,

pour dessiner une forme perçue, il faut

« débrancher » autant que possible le cerveau

gauche et « brancher » le droit, opération qui

suscite une légère modification de l’état de

conscience qui passe alors sous le contrôle de

l’hémisphère droit. Les caractéristiques de

cet état de conscience sont celles auxquelles

de nombreux artistes ont fait allusion : une

sensation d’intemporalité et de

« communion » avec l’oeuvre, une difficulté

pour trouver les mots et comprendre ce qui se

dit, un sentiment de confiance et l’absence

d’anxiété, une impression d’attention

profonde pour les lignes et les surfaces, et

pour les formes qui restent sans

dénomination.

Il est important que vous éprouviez vous-

même la sensation que suscite le passage

d’un mode à l’autre — conversion de l’état

verbal et analytique à l’état spatial et non

verbal. En créant les conditions favorables à

cette conversion et en éprouvant la légère

différence de sensation qu’elle produit, vous

serez en mesure de reconnaître et de

provoquer cet état mental particulier qui vous

permettra de dessiner.

« Notre conscience normale, à l’état de veille,

notre conscience rationnelle comme nous

l’appelons, n’est qu’un type particulier de

conscience autour de laquelle, et séparée d’elle

par le plus fin des écrans, sommeillent d’autres

formes potentielles de consciences entièrement

différentes. Nous pouvons traverser la vie sans

soupçonner leur existence; mais que se produise le

stimulus nécessaire et elles sont là, à notre portée,

dans leur intégralité; des types définis de

mentalité qui, probablement, trouvent quelque

part leur champ d’application et d’adaptation. »

William James The Varieties of Religious

Experience

Fig. 4-l.

LE VASE ET LES VISAGES : UN EXERCICE EN DUO POUR LES DEUX

EMISPHERES

Les exercices suivants sont spécialement conçus pour vous permettre d’effectuer la

conversion ce votre hémisphère gauche dominant à votre hémisphère droit dominé. Je

pourrais continuer de décrire cette démarche avec d’autres mots mais vous seul pouvez

ressentir cette conversion de vos facultés cognitives, cette légère modification de votre état de

conscience. Comme l’a dit un jour Fats Waller : « Si vous vous demandez ce qu’est le jazz,

alors vous ne le saurez jamais ». Il en va de même pour le mode-D: il faut d’abord faire

l’expérience de la conversion du mode-G au mode-D, observer l’état de conscience que

suscite le mode-D, avant de pouvoir connaître ce mode de fonctionnement cérébral.

45

VASE ET VISAGES : DESSIN 1

Vous connaissez probablement l’illusion d’optique du vase et des visages. Vu d’une certaine

manière, le dessin représente deux visages de profil. Mais comme vous continuez à le

regarder, le dessin se modifie pour former un vase. La figure 4-l donne une version de ce

dessin.

Avant de commencer : Lisez d’abord toutes les instructions relatives à cet exercice.

1. Du côté gauche de la feuille, dessinez le profil d’un visage qui regarde vers le centre. (Si

vous êtes gaucher, dessinez le profil du côté droit, regardant vers le centre). Vous trouverez

des exemples de dessin pour droitiers et pour gauchers aux figures 4-3 et 4-4. Inventez votre

propre version du profil si vous le voulez. N’hésitez pas à utiliser les symboles que vous avez

mémorisés pour figurer un profil humain.

Fig. 4-2. Pour les gauchers.

Fig. 4-3. Pour les droitiers.

2. Tracez ensuite des lignes horizontales pour former le dessus et le dessous du vase (figures

4-2 et 4-3).

3. A présent, revenez sur le dessin du premier profil avec votre crayon. Tandis que le crayon

repasse les traits, nommez-les mentalement : front, nez, lèvre supérieure, lèvre inférieure,

menton, cou. Répétez au moins une fois cette partie de l’exercice. Il s’agit d’une tâche propre

au mode-G : nommer des formes symboliques.

4. Ensuite, en reprenant par le dessus, vous compléterez le vase. Le second profil devrait être

l’inverse du premier, de sorte que le vase soit symétrique. (Regardez une fois encore

l’exemple de la figure 4-1). Soyez attentif aux moindres signes de votre cerveau indiquant que

vous êtes en train de changer de mode de traitement des informations.

Il se peut qu’à un moment donné vous éprouviez la sensation d’un conflit intérieur en

dessinant le second profil. Prêtez-y attention et voyez comment vous résolvez le problème.

Vous vous apercevrez que vous dessinez le second profil différemment. C’est un dessin au

mode de l’hémisphère droit.

46

Avant de continuer votre lecture, faites le dessin.

Après avoir terminé : Maintenant que vous

avez terminé le dessin du vase et des

visages, repensez à la manière dont vous

avez procédé. Vous avez probablement

dessiné le premier profil plus rapidement et,

lorsque vous l’avez redessiné comme il vous

l’était demandé, vous vous vous êtes mis à

scruter de gauche à droite la surface entre

les profils, évaluant les angles, les courbes,

les contours concaves ou convexes, et la

longueur des traits, par rapport aux formes

en vis-à-vis, qu’à ce moment vous étiez

incapable de nommer. En d’autres mots,

vous avez fait appel aux fonctions du

langage, en énonçant les noms des

différentes parties que vous repassiez au

crayon. Il s’agit d’une démarche

caractéristique de l’hémisphère gauche :

dessiner des formes symboliques et leur

donner un nom.

En dessinant le second profil, (c'est-à-dire le

profil qui termine le vase)vous avez peut-

être éprouvé une certaine confusion, un

conflit intérieur, comme je l’ai dit. Pour

continuer le dessin, vous avez dû chercher

une nouvelle manière de procéder, une

nouvelle démarche. Vous n’aviez

probablement plus l’impression de dessiner

un profil et vous vous êtes mis à scruter de

gauche à droite la surface entre les profils,

évaluant les angles, les courbes, les contours

concaves ou convexes, et la longueur des

traits, par rapport aux formes en vis-à-vis,

qu’à ce moment vous étiez incapable de

nommer. En d’autres mots, vous procédiez

Thomas Gladwin, un anthropologue, a comparé la

manière dont un Européen et un marin des îles

Truk manoeuvraient de petits bateaux entre

quelques îles minuscules du vaste océan Pacifique.

Avant d’appareiller, l’Européen commence par

établir un plan, le plus souvent en termes de

directions, de degrés de longitude et de latitude, de

temps prévu à l’arrivée des différentes escales.

Une fois le plan conçu et terminé, il ne reste plus

au marin qu’à franchir successivement les

différentes étapes, l’une après l’autre, afin d’être

certain d’arriver à temps à la destination prévue.

Le navigateur utilise tous les instruments

disponibles, un compas, un sextant, une carte. etc.

et si on le lui demande, il peut expliquer avec

exactitude comment il est arrivé là où il souhaitait

se rendre.

Le navigateur européen utilise le mode de

l’hémisphère gauche.

Au contraire, le marin des Truk commence son

périple en imaginant la position de son point de

destination par rapport â la position des autres îles.

Il rectifie constamment son cap à mesure de sa

progression d’après l’intuition qu’il a de sa

position jusque-là. Il improvise continuellement,

vérifiant la position relative des amers, la position

du soleil, la direction du vent, etc. Il navigue en se

référant à son point de départ, son point d’arrivée,

et le point où il se trouve au moment même. Si on

lui demande comment il arrive à si bien naviguer

sans instrument ni plan écrit, il lui est impossible

de s’expliquer par des mots, Ce n’est pas que les

Trukois n’aient pas coutume de décrire les choses

avec des mots, mais la démarche est trop complexe

et trop fluide pour être exprimée verbalement.

Le navigateur trukois utilise le mode de

l’hémisphère droit.

J.A. Paredes et M.J. Hepburn, « The Split-Brain

and the Culture-Cognition Paradox »

constamment à des ajustements de la ligne que vous traciez, en vérifiant où vous étiez et où

vous alliez, scrutant l’espace entre le premier profil et votre copie inversée.

LE DESSIN SUR LE MODE DROIT ET LE NAVIGATEUR TRUKOIS

Pour réaliser votre dessin du vase et des visages, vous avez dessiné le premier profil au mode

de l’hémisphère gauche, comme le navigateur européen, en considérant une partie à la fois et

en nommant ces parties l’une après l’autre. Vous avez dessiné le second profil au mode de

l’hémisphère droit, comme le marin des îles Truk, dans les mers du Sud, vous avez

constamment scruté vos repères afin d’ajuster l’orientation du trait. Vous avez probablement

trouvé que le fait de nommer les parties du visage comme le front, le nez, ou la bouche vous

embarrassait d’avantage. Il était plus commode de vous guider d’après la forme de la surface

47

entre les deux profils. En d’autres mots, il était plus facile de ne pas penser du tout—du

moins avec des mots.

Si vous voulez dessiner au mode de l’hémisphère droit, c’est-à-dire le mode de l’artiste, et si

vous éprouvez le besoin de penser avec des mots, posez-vous uniquement des questions

comme :

« Où cette courbe commence-t-elle ? »

« Quelle est la profondeur de cette courbe ? »

« Quel angle forme cette ligne par rapport au bord de la feuille ? »

« Quelle est la longueur de cette ligne par rapport à celle que je viens de tracer ? »

« Où se situe le point que je fixe sur le premier profil par rapport au bord supérieur (ou

inférieur) de la feuille ? »

Ces questions sont compatibles avec le mode-D ; elles sont d’ordre spatial, relationnel et

comparatif. Remarquez qu’aucune partie n’est nommée. On n’énonce aucune proposition, on

ne tire aucune conclusion du genre « le menton doit ressortir autant que le nez », ou « les nez

sont arrondis ».

Pour l’exercice suivant, fixez votre esprit sur des critères non verbaux et relationnels. Si votre

cerveau gauche intervient avec des énoncés verbaux à propos de détails précis (visages et

vases), tâchez de lui imposer le silence. Votre « observateur caché » le raisonnera peut-être:

« Ne vous mêlez pas de cela, s’il vous plaît. L’autre hémisphère peut très bien s’occuper de

cette affaire. Un instant, et nous sommes à vous ».

Ces procédés peuvent paraître déplacés; ils sont pourtant nécessaires, l’hémisphère gauche

n’ayant pas coutume d’être mis à l’écart et devant être, en quelque sorte, « rassuré ».

VASE ET VISAGES : DESSIN 2

Fig. 4-4. Pour les gauchers.

Fig. 4-5. Pour les droitiers.

Faites le second dessin du vase et des visages en vous conformant aux instructions suivantes.

Une fois encore, lisez toutes les directives avant de commencer.

48

1. Sur le côté gauche de la feuille si vous êtes droitier, ou sur le côté droit si vous êtes

gaucher, dessinez un profil. Dessinez cette fois le visage le plus étrange que vous puissiez

imaginer— une sorcière, un vampire, un monstre. Une fois encore, nommez les parties du

visage à mesure que vous descendez le long du profil, en n’oubliant pas les embellissements

éventuels que vous apporterez, comme les rides, les verrues, les doubles mentons, etc.

Les figures 4-4 et 4-5 vous donnent des exemples mais vous pouvez inventer le profil que

vous voulez.

2. Après avoir terminé le premier profil, ajoutez les lignes horizontales pour le dessus et le

dessous du vase.

3. Dessinez à présent le profil inverse pour achever le vase qui, cette fois, sera un vase

baroque.

Comme dans l’exercice précédent, le premier profil de

monstre est un dessin sur le mode-G dans lequel des

formes symboliques représentent les traits d’un visage.

Dans cette version plus complexe du vase et des visages, il

est particulièrement plus commode — voire nécessaire —

de passer au mode caractéristique de l’hémisphère droit. La

complexité des formes exige le passage au mode de

l’hémisphère droit. Le but de cet exercice n’est pas de

réaliser un dessin parfait mais bien d’essayer de ressentir la

conversion du mode gauche au mode droit. Tâchez de

garder à l’esprit la différence entre les deux modes. A

mesure que vous apprendrez à reconnaître l’instant où

votre cerveau change de mode cognitif, vous pourrez

utiliser délibérément l’hémisphère qui vous semble le plus

approprié pour une tâche donnée.

Vouloir dessiner une forme perçue en utilisant le mode

gauche est comme vouloir enfiler une aiguille avec le pied.

Ça ne marche pas. Ce qu’il faut, c’est être capable de «

débrancher » l’hémisphère gauche et d’activer le droit.

Pour ce faire, il faut débloquer l’hémisphère droit, ou

comme l’a dit Aldous Huxley, il faut « ouvrir la porte dans

le mur ». L’exercice suivant vous permettra d’effectuer une

nouvelle conversion, plus radicale, vers le mode-D.

Charles Tart, Professeur de

Psychologie à l’Université de

Californie, à Davis, déclare:

« Nous partons du concept d’un

certain type de conscience

fondamentale, une certaine forme

d’aptitude élémentaire qui est

celle de ‘savoir’, ou de

‘pressentir’ ou de ‘connaître’ ou

‘reconnaître’ que quelque chose

est en train de se passer. C’est un

donné théorique et expérimental

fondamental. Nous ne

connaissons pas scientifiquement

la nature essentielle de la

conscience mais c’est notre point

de départ ».

Charles T. Tart, Alternative

Stores of Consciousness

LE DESSIN A L’ENVERS : CONVERSION VERS LE MODE-D

Les objets les plus familiers ont un aspect différent quand ils sont placés à l’envers. Nous

assignons automatiquement un haut, un bas, et des côtés gauche et droit aux choses que nous

voyons et nous nous attendons toujours à les voir dans leur orientation habituelle — c’est-à-

dire la tête en haut. En effet, quand elles sont placées à l’endroit, nous reconnaissons les

choses familières ; nous pouvons les nommer et les classer en faisant correspondre ce que

nous voyons avec les souvenirs et les concepts que nous avons mémorisés.

49

Lorsqu’une image est à l’envers, les données visuelles ne concordent pas. Le message nous

est étranger et notre cerveau est perturbé. Nous voyons les contours et les zones sombres et

claires. Nous n’avons pas d’objection particulière contre le fait de regarder une image à

l’envers pour autant, du moins, qu’on ne nous demande pas de l’identifier. La tâche devient

alors exaspérante.

Fig. 4-6.

Vus à l’envers, les visages les plus familiers sont difficiles à reconnaître. La photographie à la

figure 4-6, par exemple, est celle d’un Américain célèbre. Le reconnaissez-vous ?

Vous avez peut-être dû retourner la photographie pour voir qu’il s’agissait de John Kennedy.

Même en sachant de qui il s’agit, l’image à l’envers continue probablement de vous être

étrangère.

Pour d’autres images également, une orientation inversée pose des problèmes d’identification

(voir figure 4-7). Votre propre écriture, lorsqu’elle est retournée de haut en bas, vous semble

illisible alors que vous la connaissez depuis toujours. Pour vous en rendre compte, cherchez

une vieille liste de commissions ou une lettre écrite de votre main et tâchez de la lire à

l’envers.

Un dessin compliqué comme celui de Tiepolo à la figure 4-8 est presque indéchiffrable

lorsqu’il se trouve à l’envers. L’esprit (le gauche) s’avoue vaincu par la difficulté.

50

Fig. 4-7. Pour copier une signature, les faussaires retournent l’original afin de voir plus clairement la

forme exacte des caractères — pour voir, en fait, à la manière de l’artiste.

Fig. 4-8. Giambatista Tiepolo

(1696-1770), La Mort de Sénèque.

Avec l’aimable autorisation de

l’Art Institute of Chicago,

Collection de Joseph et Helen

Regenstein.

LE DESSIN A L’ENVERS

Nous allons mettre à profit cette lacune de l’hémisphère gauche pour donner au mode-D une

chance de prendre momentanément le dessus.

La figure 4-9 montre une reproduction d’un dessin au trait de Picasso représentant le portrait

du compositeur Igor Stravinsky.

L’image est à l’envers et c’est ainsi que vous la copierez. Votre dessin, par conséquent, sera à

l’envers lui aussi. Autrement dit, vous dessinerez simplement le dessin de Picasso comme

vous le voyez.

1. Cherchez un endroit tranquille où personne ne vous interrompra. Mettez de la musique si

vous le voulez. A mesure que vous effectuerez la conversion vers le mode-D, la musique vous

semblera s’éloigner. Faites le dessin en une seule fois, en prenant trente ou quarante minutes

— ou plus si c’est possible. Réglez un réveil ou une minuterie si vous le voulez afin de ne pas

devoir vous préoccuper du temps (fonction du mode-G). Et plus important encore: ne

redressez pas le dessin avant de l’avoir terminé. Ce faisant vous provoqueriez un retour au

mode-G, que nous voulons éviter pendant que vous apprenez à reconnaître le mode-D.

51

2. Regardez un instant le dessin

à l’envers (figure 4-9).

Observez les angles, les formes

et les lignes. Vous remarquerez

que les lignes se joignent

toutes. Là où une ligne finit,

une autre commence. Ces

lignes forment entre elles

certains angles, et d’autres par

rapport aux bords du dessin.

Les lignes courbes s’inscrivent

dans des surfaces précises. En

fait, les lignes sont les contours

des surfaces et vous pouvez

observer la forme des surfaces

à l’intérieur des lignes.

3. Pour commencer votre

dessin, partez du haut (comme

à la figure 4-10) et copiez

chaque ligne, en passant de

l’une à celle qui lui est

adjacente, sans autre

distinction, comme pour un

puzzle. N’essayez pas

d’identifier les différentes

parties, ce n’est pas nécessaire.

D’ailleurs, si vous

Fig. 4-9. Pablo Picasso (1881 – 1973)

Portrait d’Igor Stravinsky. Paris, le 21 mai 1920 (daté).

Collection privée. arrivez à des éléments que vous pourriez nommer, comme les m-a-i-n-s ou la t-ê-t-e

(rappelez-vous que nous ne pouvons pas nommer les choses !), continuez de vous dire:

« Bien, cette ligne se courbe de cette façon; cette ligne la traverse pour former cette petite

forme là-bas; cette ligne forme tel angle par rapport au bord de la feuille »,et ainsi de suite.

Une fois encore, tâchez de ne pas penser à ce que les formes représentent et gardez-vous

d’identifier ou de nommer les différentes parties du dessin.

4. A présent, commencez votre dessin à l’envers : dessinez les lignes au fur et à mesure

qu’elles se présentent en passant d’un élément à celui qui lui est directement adjacent.

5. Une fois que vous aurez commencé le dessin, vous vous sentirez très intéressé par la

manière dont les lignes s’agencent. Une fois que vous serez plongé au coeur du travail, votre

mode-G sera « débranché » (ceci n’est- pas le genre de tâche que l’hémisphère gauche

entreprend volontiers : c’est trop lent et il est trop difficile d’y reconnaître quelque chose) et

votre mode-D se sera « branché ».

Rappelez-vous que tout ce que vous devez savoir pour dessiner l’image se trouve sous vos

yeux. Toutes les informations sont là, vous simplifiant la tâche. Ne la compliquez pas. C’est

vraiment aussi simple que cela.

52

Fig. 4-10. Dessin à l’envers. Cette manière de faire

permet la conversion cognitive depuis le mode

dominant de l’hémisphère gauche vers le mode

dominé de l’hémisphère droit.

Après avoir terminé : Une fois que vous aurez terminé et redressé votre dessin, vous serez

probablement surpris du résultat. La figure 4-11 montre des exemples de dessins semblables

réalisés par des étudiants de l’université sélectionnés au hasard pour une expérience contrôlée.

Les dessins à gauche montrent le niveau d’aptitude des étudiants avant l’expérience. (On leur

a simplement demandé de dessiner une personne de mémoire.) Comme vous pouvez le

constater, ce niveau d’aptitude était celui d’enfants de dix à douze ans, ce qui est une

caractéristique des adultes de notre civilisation qui n’ont pas étudié le dessin.

53 Regardez les dessins de la

colonne de droite à la figure 4-

11. Les élèves 1 et 2 ont copié

le dessin de Picasso renversé

sur le côté gauche. Comme

vous le voyez, leurs dessins ne

se sont pas améliorés; ils ont

continué d’utiliser pour copier

le Stravinsky de Picasso les

mêmes formes stéréotypées et

symboliques qu’ils avaient

utilisées pour leur dessin de

personnage. Le dessin du

deuxième élève montre une

certaine confusion due au

raccourci de la chaise et à la

position jambes croisées de

Stravinsky.

Au contraire, les deux élèves

suivants qui, au départ ne

montraient pas des aptitudes

plus grandes, ont copié le

Picasso la tête en bas, comme

vous-même l’avez fait. Les

dessins de ces élèves

témoignent du résultat. On

constate avec surprise que les

dessins réalisés à l’envers

reflètent une plus grande acuité

de perception et une plus grande

adresse dans la réalisation.

Comment expliquer ce

paradoxe? Les résultats

semblent aller à l’encontre du

bon sens. Nous ne nous

attendrions pas à ce qu’une

image observée et dessinée à

l’envers soit reproduite avec

plus de facilité et avec de

meilleurs résultats qu’une

image vue et reproduite dans le

sens normal, c’est-à-dire à

l’endroit. Les traits, après tout,

restent les mêmes. Le fait de

retourner le dessin de Picasso

ne modifie pas l’agencement

des lignes et ne les rend pas

plus faciles à dessiner. Et les

étudiants ne sont pas devenus

subitement plus « doués ».

Fig. 4-11. Dessin de personnage.

Elève 1. Dessin renversé sur le

côté gauche.

Elève 2. Dessin renversé sur le

côté gauche.

1

2

3

4

Stravinsky

Elève 3. Dessin renversé la tête

en bas.

Elève 4. Dessin renversé la tête

en bas.

54

Un problème de logique pour le cerveau gauche

Ce puzzle place le cerveau face à un problème de logique: comment expliquer cette aisance

soudaine pour le dessin alors que lui, l’hémisphère gauche qui-sait-tout, a été tenu à l’écart ?

Le cerveau gauche qui apprécie le travail bien fait doit à présent envisager la possibilité que

son collègue de droite, tant méprisé, soit doué pour le dessin.

Mais soyons sérieux. Une explication plausible de ce résultat apparemment illogique viendrait

du fait que le cerveau gauche a refusé d’opérer à partir de l’image renversée. On peut penser

que le cerveau gauche, perturbé et inhibé par une image insolite, et incapable de procéder aux

identifications et symbolisations dont il a l’habitude, s’est « débranché », reléguant la tâche à

l’hémisphère droit. Parfait ! Le cerveau droit est l’hémisphère approprié pour le dessin. Etant

donné qu’il est spécialisé pour ce genre de travail, le cerveau droit trouve le dessin facile et

amusant.

L’EXPERIENCE DE LA CONVERSION G D

Deux progrès importants ont été réalisés grâce à l’exercice du dessin à l’envers. Le premier

est le souvenir conscient de la sensation que vous éprouviez après avoir effectué la conversion

cognitive G D. L’état de conscience qu’implique le mode-D diffère qualitativement de

l’état relatif au mode-G. Il est possible de déceler ces différences et de commencer à

s’apercevoir quand la conversion se produit. Il est étrange que le moment de transition entre

deux états de conscience nous échappe toujours. On peut en effet avoir conscience d’être

éveillé, puis avoir conscience de rêver éveillé, mais l’instant de transition entre ces deux états

est insaisissable. De même, le moment de la conversion G D échappe à notre conscience,

mais une fois le pas franchi, la différence entre les deux états mentaux est accessible à notre

connaissance. Cette connaissance permettra de placer la conversion cognitive sous contrôle

conscient — un objectif primordial de ces leçons.

Le second bénéfice que vous a procuré l’exercice est de vous rendre compte que la conversion

vers le mode-D vous permet de voir a la manière d’un artiste exercé, et dès lors, de dessiner

ce que vous percevez.

Evidemment, il ne nous est pas toujours possible de placer les choses à l’envers. Un modèle

ne va pas poser pour vous sur la tête, et le paysage ne va pas se retourner. Notre objectif est de

vous apprendre à effectuer cette conversion cognitive en percevant les choses à l’endroit, dans

leur position habituelle. Vous apprendrez la manière de voir de l’artiste: la recette consiste à

concentrer votre attention sur les informations visuelles que le cerveau gauche ne peut pas ou

ne veut pas traiter. Autrement dit, vous essayerez toujours de présenter à votre cerveau des

opérations que l’hémisphère gauche refusera, pour permettre ainsi à l’hémisphère droit

d’exploiter ses possibilités pour le dessin. Les exercices des chapitres suivants vous

montreront différentes manières d’y arriver.

55 « Je pense qu’un être humain est

capable de plusieurs états

physiques et de différents degrés de

conscience:

(a) l’état ordinaire, où il n’a pas

conscience de la présence des Fées;

(b) l’état d”enchantement’ dans

lequel, tout en étant conscient du

monde réel alentour, il est

également conscient de la présence

des Fées;

(c) une sorte de transe, dans

laquelle, bien qu’il n’ait pas

conscience de l’environnement réel

et qu’il soit apparemment endormi,

il (c’est-à-dire son essence

immatérielle) migre vers d’autres

lieux, que ce soit dans le monde réel

ou au Pays des Fées, et il a

conscience de la présence des Fées’.

Lewis Carroll, Preface to Sylvie and

Bruno

Lewis Carroll

UNE REVISION DU MODE-D

Il serait utile de repenser à la sensation que suscite le

mode-D. Rappelez-vous. Vous avez déjà effectué cette

conversion plusieurs fois — en faisant le dessin du vase et

des visages — et maintenant, en dessinant le

« Stravinsky ».

Dans l’état mental propre au mode-D, avez-vous remarqué

que vous aviez en quelque sorte perdu la notion du temps

qui passe — que le temps que vous aviez mis pour dessiner

ait été long ou court, vous n’aviez pu vous en rendre

compte qu’en regardant l’heure par la suite ? S’il y avait

des gens près de vous, avez-vous remarqué que vous ne

pouviez écouter ce qu’ils disaient — en fait. que vous ne

vouliez pas entendre ? Vous avez peut-être perçu des sons,

mais vous ne vous êtes probablement pas préoccupé de

comprendre le sens de ce qui se disait. Et aviez-vous

conscience de vous sentir alerte et détendu — confiant,

intéressé, absorbé par le dessin, et l’esprit bien clair ?

« Je sais parfaitement qu’à

quelques instants précieux

seulement, j’ai la chance de me

perdre dans mon oeuvre. Le

poète-peintre sait que son essence

vraie et immuable vient de ce

royaume invisible qui lui offre

une image de la réalité éternelle

... J’ai l’impression que je

n’existe pas dans le temps, mais

que le temps existe en moi. Je

m’aperçois également qu’il ne

m’est pas donné de résoudre le

mystère de l’art d’une manière

absolue. Néanmoins, je suis

presque porté à croire que je suis

près d’atteindre au divin.

Carlo Carra, « The Quadrant of

the Spirit »

56

« Vider son esprit de toute

pensée et combler le vide d’une

âme plus grande que soi permet

à l’esprit de pénétrer dans un

royaume inaccessible aux

démarches conventionnelles de

la raison ».

Edward Hill, The Language of

Drawing

Fig. 4-12. Un Nain de la Cour (c. 1535). Avec l’aimable

autorisation du Fogg Art Museum, Université de Harvard. Fonds

E. Schoeder et Coburn.

C’est en ces termes que la plupart de mes élèves ont décrit l’état de conscience propre au

mode-D et cette description coïncide avec mon expérience personnelle et celle que certains

artistes m’ont rapportée. Un artiste m’a déclaré ceci : « Quand je travaille vraiment bien, je

me sens comme je ne m’étais jamais senti auparavant. J’ai l’impression de ne faire qu’un avec

mon travail: le peintre, la peinture, cela ne fait qu’un. Je me sens excité mais calme —exalté

mais maître de moi. Ce n’est pas exactement le bonheur, c’est plutôt de l’extase. Je pense que

c’est ce qui me fait sans cesse revenir au dessin ».

Avant de continuer votre lecture, faites encore deux dessins à l’envers, au minimum. Utilisez

la reproduction de la figure 4-12 ou bien cherchez d’autres dessins au trait que vous pourrez

copier. Chaque fois que vous dessinez, essayez consciencieusement de ressentir la conversion

vers le mode-D afin de vous familiariser avec la sensation que procure cet état de conscience.

L’ART DE VOTRE ENFANCE

Dans le chapitre suivant, nous passerons en revue l’évolution artistique que vous avez suivie

pendant votre enfance. L’évolution artistique des enfants suit l’évolution du cerveau. Aux

premiers stades de l’enfance, les hémisphères cérébraux ne sont pas encore spécialisés pour

des fonctions distinctes. La latéralisation hémisphérique, c’est-à-dire la consolidation des

fonctions spécifiques de l’un et l’autre hémisphère, évolue progressivement pendant

57

l’enfance, entraînant simultanément l’acquisition du langage et l’apparition de la

symbolique de l’art infantile.

La latéralisation hémisphérique s’achève vers l’âge de dix ans, coïncidant avec une période de

conflit dans l’art infantile pendant laquelle la symbolique acquise semble excéder les

perceptions et interférer avec la reproduction fidèle de ces perceptions. Ce conflit trouve peut-

être son origine dans le fait que l’enfant utilise le « mauvais » hémisphère — le cerveau

gauche — pour effectuer une opération qui convient mieux au cerveau droit. Mais peut-être

n’arrive-t-il simplement pas à trouver de lui-même la manière d’accéder à l’hémisphère droit

qui est spécialisé pour le dessin depuis l’âge de dix ans environ. Depuis cette époque, en effet,

c’est l’hémisphère gauche qui domine, ajoutant de nouvelles complications à mesure que les

dénominations et les symboles l’emportent sur la perception spatiale et globale.

Ce rappel de votre évolution artistique est important à plusieurs égards : pour jeter un regard

adulte sur la manière dont votre réserve de symboles graphiques s’est constituée depuis votre

enfance; pour refaire l’expérience de la complexité croissante de vos dessins alors que vous

approchiez de l’adolescence; pour constater la divergence entre vos perceptions et votre façon

de les dessiner: pour regarder vos dessins d’enfant d’un oeil moins critique que celui que vous

exerciez à l’époque ; et enfin, pour vous débarrasser de votre symbolique infantile et

progresser vers un niveau adulte d’expression visuelle grâce à l’utilisation du mode cérébral

approprié au dessin — le mode droit.

58

59

Evocation d’un dessin d’enfant

« Quand j’étais enfant, je parlais

comme un enfant, je pensais

comme un enfant ; mais quand je

suis devenu un homme, j’ai

abandonné les choses puériles ».

1 Cor. XIII: 11

La majorité des adultes de la civilisation occidentale n’évoluent pas, dans le domaine

artistique, beaucoup au-delà du niveau atteint vers l’âge de neuf ou dix ans. Pour la plupart

des activités mentales et physiques, les acquis d’un individu varient et se développent à

mesure que celui-ci approche de l’âge adulte ; la parole en est un exemple et l’écriture un

autre. L’évolution des techniques du dessin, par contre, semble inexplicablement s’arrêter à

un âge très précoce chez la plupart des gens. Dans notre civilisation, les enfants dessinent

comme des enfants, c’est naturel, mais la plupart des adultes aussi, dessinent comme des

enfants, quel que soit le niveau qu’ils aient pu atteindre dans d’autres domaines de la vie. Les

figures 5-l et 5-2, par exemple, illustrent la persistance de caractères infantiles dans deux

dessins réalisés il y a peu par un brillant jeune homme qui terminait un doctorat dans une

grande université.

J’ai observé ce jeune homme pendant qu’il dessinait ; je l’ai vu regarder les modèles, tracer

quelques lignes, effacer, recommencer, et cela pendant vingt minutes. Entre-temps, il devenait

agité et semblait tendu, frustré. Plus tard, il m’a déclaré qu’il détestait ses dessins et qu’il

détestait dessiner, point final.

Si nous devions donner un nom à cette inaptitude, nous pourrions parler de dyspictorie ou

d’anesthétisme, comme les pédagogues parlent de dyslexie quand ils se réfèrent à des

problèmes de lecture. Mais personne ne s’est penché sur la question parce que le dessin, à

l’inverse de la parole et la lecture, ne constitue pas une condition de survie dans notre

contexte culturel. C’est pourquoi personne ne semble remarquer que beaucoup d’adultes

dessinent comme des enfants et que la plupart des enfants abandonnent le dessin à l’âge de

neuf ou dix ans. Ces enfants grandissent et deviennent des adultes qui prétendent n’avoir

jamais su dessiner et qui ne peuvent pas même tracer une ligne droite. Si on leur pose la

question, cependant, ces mêmes adultes répondent qu’ils auraient aimé apprendre à dessiner,

simplement pour la satisfaction personnelle de vaincre les problèmes de dessin qui les

tourmentaient quand ils étaient enfants. Mais ils sont persuadés d’avoir dû arrêter le dessin

parce qu’ils étaient simplement incapables d’apprendre à dessiner.

En conséquence de cette interruption précoce de leur développement artistique, des adultes

absolument compétents et confiants perdent brusquement toute assurance, se troublent et

deviennent nerveux quand on leur demande de dessiner un visage ou une personne. Dans

pareille situation, ces personnes répondent souvent : « Non, je ne peux pas ! Quoi que je

dessine, c’est toujours horrible ! On dirait des dessins d’enfant ». Ou bien : « Je n’aime pas

dessiner. Je me sens trop stupide ». Vous-même avez peut-être éprouvé les mêmes sentiments

en faisant les quatre dessins préliminaires.

60

LA PERIODE DE CRISE

Pour beaucoup d’adultes, le début de l’adolescence semble

marquer la fin brutale de leur développement artistique, du

moins dans le domaine du dessin. Etant enfants, ils ont vécu

une crise artistique, un conflit entre la complexité croissante

de leur perception du monde environnant et leur niveau

courant d’aptitude technique.

La plupart des enfants entre neuf et onze ans montrent une

véritable passion pour le dessin réaliste. Ils exercent sur

leurs premiers dessins un oeil critique très sévère et

dessinent sans désemparer les sujets qu’ils préfèrent,

essayant d’en améliorer l’image. Tout dessin dépourvu d’un

réalisme parfait peut être considéré comme un échec.

Peut-être vous rappelez-vous vos propres tentatives à cet

âge, pour que les choses « aient l’air vraies » dans vos

dessins, et votre déception devant le résultat. Les dessins

dont vous vous étiez montrés si fier à un plus jeune âge

vous paraissaient sans doute désespérément mauvais et

Une spécialiste de l’art infantile.

Miriam Lindstrom, du Musée

d’Art de San Francisco, décrit

ainsi l’adolescent, élève en

dessin : « Mécontent de ses

propres réalisations et

extrêmement anxieux que son art

plaise aux autres, il tend à

abandonner la création originale

et l’expression personnelle ...

Toute évolution ultérieure de son

pouvoir de visualisation et même

de ses facultés de pensée originale

et de son aptitude à établir des

relations avec son environnement

peut, à ce stade, se trouver

bloquée. Il s’ agit d’une étape

cruciale que peu d’adultes ont pu

franchir ».

Miriam Lindstrom, ChiIdren’s

Art

navrants. En regardant vos dessins, vous disiez peut-être comme beaucoup d’adolescents:

« C’est affreux ! Je n’ai aucun talent artistique. Je n’ai jamais aimé le dessin de toute façon ;

j’abandonne ».

Une seconde raison, malheureusement fréquente, amène souvent les enfants à abandonner le

dessin en tant que mode d’expression. Certaines personnes irréfléchies lancent des remarques

sarcastiques sur les facultés artistiques des enfants. Ces personnes sont parfois des

professeurs, des parents, d’autres enfants, ou peut-être une soeur ou un frère aîné que les

enfants admirent. Beaucoup d’adultes m’ont confié qu’ils gardaient le souvenir blessant d’une

personne ayant ridiculisé leurs efforts. Malheureusement, les enfants imputent souvent leur

déception au dessin lui-même plutôt qu’au critique étourdi.

Pour préserver leur amour-propre, ils réagissent alors par la défensive et c’est

compréhensible: ils n’essaient plus que rarement de dessiner.

L’ART A L’ECOLE

Les professeurs de dessin les plus compréhensifs, consternés peut-être par les critiques

injustes qui s’adressent à la production artistique infantile et soucieux d’aider les enfants, sont

découragés par le style de dessin qu’adoptent les jeunes adolescents — des scènes complexes

et détaillées, des tentatives minutieuses de réalisme, la répétition infinie de thèmes privilégiés

comme les courses d’automobiles. Les professeurs se rappellent la liberté séduisante et

l’enchantement des travaux que réalisaient les enfants quand ils étaient plus jeunes et se

demandent ce qui s’est passé depuis lors. Ils déplorent ce qu’ils considèrent comme de la

« rigidité » ou un « manque de créativité » dans les travaux d’élèves. Les enfants eux-mêmes

deviennent leurs critiques les plus acharnés. En conséquence de quoi les professeurs se

tournent fréquemment vers des travaux manuels qui semblent plus sûrs et infligent moins de

supplices aux exécutants — des travaux comme les collages, les dessins au pochoir, les motifs

faits de fils de couleurs, et autres manipulations de matériaux.

61

Les enfants n’apprennent donc pas à dessiner pendant les cycles inférieurs et moyens : leur

autocritique s’exerce dès lors en permanence et il est très rare qu’ils apprennent à dessiner

plus tard dans leur vie. Comme l’étudiant en doctorat dont je vous ai parlé, ils atteindront

peut-être en grandissant un niveau très élevé dans d’autres domaines, mais quand on leur

demandera de dessiner un être humain, ils produiront la même image puérile qu’ils

dessinaient à l’âge de dix ans.

DE LA PRIME ENFANCE A L’ADOLESCENCE

La plupart de mes élèves ont trouvé utile de remonter le temps pour tâcher de comprendre

l’évolution de l’imagerie visuelle qui a imprégné leurs dessins depuis la prime enfance

jusqu’à l’adolescence.

Ayant une vision précise de l’évolution de la symbolique de leurs dessins d’enfant, les élèves

semblent « désenliser » plus facilement leur développement artistique pour progresser vers un

niveau adulte.

Le stade du griffonnage

A l’âge d’un an et demi déjà, un

enfant commence à griffonner sur le

papier quand on lui donne un

crayon ou un pastel, et quand, de

lui-même, il en marque une feuille.

Il est difficile de nous imaginer

l’étonnement de l’enfant lorsqu’il

voit une ligne noire sortir de son

crayon, une ligne que l’enfant

dirige. Vous et moi, chacun de

nous, a connu cet enchantement.

« Les griffonnages de

chaque enfant montrent

combien celui-ci s’absorbe

dans la sensation de

déplacer sans but la main

et le crayon sur une

surface, y laissant une ligne

à son passage. Ce simple

geste doit contenir une

certaine somme de

magie ».

Edward Hill, The

Language of Drawing

Fig. 5-3. Griffonnage d’un enfant

de deux ans et demi.

Evocation d’un dessin d’enfant

Après un départ hésitant, vous avez probablement griffonné avec délectation toute surface qui

se présentait, peut-être même les plus beaux livres de vos parents, et les murs d’une chambre

ou deux. Apparemment, vos gribouillis étaient d’abord l’oeuvre du hasard comme dans

l’exemple de la figure 5-3, mais ils ont très vite commencé à prendre des formes particulières.

L’un des mouvements de base du griffonnage est le mouvement circulaire, sans doute dû à la

manière dont l’épaule, le bras, le poignet, la main et les doigts s’articulent. Le mouvement

circulaire est un mouvement naturel — d’avantage, par exemple, que le mouvement de bras

nécessaire pour dessiner un carré. (Essayez les deux sur un morceau de papier et vous verrez

ce que je veux dire).

62

Le stade des symboles

Fig. 5-4. Dessin d’un

personnage par un enfant de

trois ans et demi.

Fig. 5-5. Remarquez que les traits sont tous

les mêmes pour chaque personnage. y

compris le chat, et que le petit symbole

représentant la main est également utilise

pour figurer les pattes du chat.

Fig. 5-6

Après quelques jours ou quelques semaines de griffonnage, les jeunes enfants, et

apparemment tous les enfants de l’espèce humaine, découvrent le principe essentiel de

l’expression artistique : un symbole peut représenter un élément du monde environnant.

L’enfant trace une marque circulaire, la regarde. ajoute deux traits pour les yeux et montre le

dessin en disant: « Maman », ou « Papa », ou « C’est moi », ou « Mon chien ».

Nous avons donc tous connu cette intuition spécifiquement humaine qui est le fondement de

l’art, depuis les peintures rupestres jusqu’à l’oeuvre de Leonardo, de Rembrandt ou de

Picasso, des siècles plus tard.

C’est avec une véritable délectation que les enfants tracent des cercles, y ajoutant des yeux, ou

une bouche, ou encore des lignes hérissées figurant les bras et les jambes comme à la figure 5-

4. Cette forme symétrique et circulaire est une forme de base universellement présente dans

les dessins des jeunes enfants. Elle peut être utilisée pour quasi n’importe quoi: avec de

légères variations, le même motif de base peut représenter un être humain, un chat, un soleil,

une méduse, un éléphant, un crocodile, une fleur ou un microbe. Quand vous étiez enfant, un

dessin représentait tout ce que vous disiez qu’il représentait, grâce aux ajustements subtils et

charmants auxquels vous procédiez afin de faire passer l’idée.

Vers trois ans et demi, les enfants développent une imagerie artistique plus complexe qui

reflète leur connaissance et leur perception croissantes du monde extérieur. Le corps est joint

à la tête, mais il est parfois plus petit que la tête. Il arrive encore que les bras surgissent du

crâne, mais ils partent le plus souvent du tronc— parfois en dessous de la taille. Les jambes

sont attachées au corps.

A quatre ans, les enfants sont conscients du moindre détail vestimentaire — les boutons et les

fermetures-éclair, par exemple, apparaissent dans les détails du dessin. Des doigts s’ajoutent à

l’extrémité des bras ou des mains, et des orteils à l’extrémité des jambes ou des pieds. Le

nombre des doigts et des orteils varie au gré de l’imagination. J’ai dénombré dans un dessin

pas moins de trente et un doigts sur une seule main et pas plus d’un orteil par pied (figure 5-

4).

Bien que les dessins de personnages faits par les enfants soient comparables à divers égards,

chaque enfant se crée, au fil de ses essais et de ses erreurs, une image favorite, qui s’affine par

63

la répétition. Les enfants dessinent sans

désemparer leur image personnelle, la

mémorisant et l’agrémentant de nouveaux

détails au fil du temps. Cette manière

privilégiée de dessiner certaines parties de

l’image finit par s’enraciner dans le mémoire et

reste remarquablement stable la vie durant

(figure 5-5).

Le dessin peut être un remède puissant tant

pour les adultes que pour les enfants. Un

dessin peut vous permettre de voir ce que

vous éprouvez. Autrement dit, le cerveau

droit, par le biais du dessin, peut indiquer au

cerveau gauche où se situe le problème. Le

cerveau gauche peut à son tour recourir à son

potentiel spécifique et efficace, à savoir le

langage et la pensée logique, pour résoudre le

problème.

Des images qui racontent des histoires

Vers quatre ou cinq ans, les enfants commencent à se servir du dessin pour raconter des

histoires ou pour résoudre leurs problèmes, procédant à des ajustements minimes ou grossiers

de la forme de base pour lui donner une signification voulue. A la figure 5-6, par exemple, le

jeune artiste a dessiné le bras qui tient le parapluie de telle sorte qu’il paraît énorme comparé à

l’autre bras; c’est logique, le bras qui tient le parapluie constituant l’élément essentiel du

dessin.

Une autre illustration de l’utilisation du dessin pour dépeindre des sentiments nous vient du

portrait de famille réalisé par un timide enfant de cinq ans qui était apparemment dominé par

sa soeur aînée à chaque moment de son existence.

1.

2.

3.

4.

1. Utilisant sa symbolique de base pour les personnages il s’est d’abord dessiné lui-même.

2. Il a alors ajouté sa mère, en utilisant la même configuration de base avec certaines

rectifications — des cheveux longs, une robe.

3. Il a ensuite ajouté son père, qui était chauve et portait des lunettes.

4. Enfin, il a ajouté sa soeur, avec des dents.

Picasso lui-même n’aurait pu exprimer plus vigoureusement ses sentiments. Ayant ainsi

dépeint des émotions immatérielles, en leur donnant une forme, l’enfant à qui nous devons ce

portrait de famille aura sans doute affronté avec plus d’assurance la présence écrasante de sa

soeur.

64

Le paysage

A l’âge de cinq ou six ans, les enfants disposent d’une

réserve de symboles pour figurer les paysages. Procédant

de nouveau par la méthode des essais et des erreurs, les

enfants élaborent généralement une version unique d’un

paysage symbolique qu’ils répètent indéfiniment. Peut-

être vous souvenez-vous du paysage que vous dessiniez

quand vous aviez cinq ou six ans.

Quelles étaient les composantes de ce paysage? Tout

d’abord le sol et le ciel. Pensant par symboles, l’enfant sait

que le sol se trouve en dessous et le ciel au-dessus. Dès

lors, le bord inférieur de la feuille est le sol et le bord

supérieur est le ciel, comme à la figure 5-7. S’ils

travaillent avec des couleurs, les enfants accentuent cet

aspect en peignant une bande de couleur verte en dessous

et une bande bleue au-dessus de la feuille.

Fig. 5-7.

La plupart des paysages d’enfants comportent une version de la maison. Essayez d’évoquer

avec l’oeil de l’esprit l’image de la maison que vous dessiniez. Avait-elle des fenêtres ? Avec

des rideaux ? Et quoi encore ? Une porte ? Qu’y avait-il sur cette porte? Un bouton de porte.

C’est évident ! Parce que c’est grâce à cela que vous entriez. Je n’ai jamais vu de dessin

d’enfant authentique représentant une maison sans bouton de porte.

Vous commencez peut-être à vous rappelez le reste de votre paysage: le soleil (le faisiez-vous

en coin ou en cercle, rayonnant de tous ses rayons ?), les nuages, la cheminée, les fleurs, les

arbres (les vôtres avaient-ils eux aussi cette branche qui dépasse et qui est si commode pour

suspendre une balançoire ?), les montagnes (les vôtres ressemblaient-elles à des cornets de

crème glacée renversée ?). Et quoi encore ? Une route qui s’éloignait ? Une barrière ? Des

oiseaux ?

Fig. 5-8.

Fig. 5-9.

Avant de poursuivre votre lecture, prenez donc maintenant une feuille de papier et dessinez le

paysage que vous dessiniez étant enfant. Intitulez votre dessin « Evocation d’un paysage

d’enfant ». Peut-être vous souvenez-vous de cette image dans son intégralité avec une

précision surprenante ; ou peut-être vous revient-elle en mémoire plus progressivement, à

mesure que vous dessinez.

65

Pendant que vous dessinez, tâchez également de vous

rappeler le plaisir que le dessin vous procurait quand

vous étiez enfant, la satisfaction que vous preniez à

tracer chaque symbole et votre souci d’exactitude pour

placer chaque élément dans le dessin. Rappelez- vous le

sentiment que vous aviez que rien ne devait être omis et,

quand tous les symboles se trouvaient à leur place, votre

sentiment que le dessin était achevé.

Si vous n’arrivez pas à vous souvenir de votre dessin

pour le moment, ne vous en préoccupez pas. Vous vous

en souviendrez peut-être plus tard. Sinon, cela

indiquerait simplement que vous l’avez écarté de votre

mémoire pour une raison particulière. Habituellement,

une personne sur dix, environ, parmi mes élèves adultes,

est incapable de se rappeler son paysage d’enfant.

Au départ, les enfants semblent

posséder un sens parfait de la

composition, qu’ils perdent souvent

au cours de l’adolescence et qu’ils ne

recouvrent que grâce à une étude

laborieuse. Il me semble que cette

évolution s’explique par le fait que

les enfants plus âgés concentrent

leurs perceptions sur des objets

distincts existant dans un espace

indifférencié, tandis que les jeunes

enfants construisent un monde

conceptuel autonome limité par les

bords de la page. Pour les enfants

plus âgés, les limites de la feuille

semblent quasi inexistantes, tout

comme les limites sont absentes de

l’espace réel environnant.

Avant de poursuivre, prenons le temps de regarder un instant certains paysages d’enfants

évoqués par des adultes. Vous remarquerez tout d’abord que ces paysages sont des images

personnalisées, se distinguant toutes l’une de l’autre. Remarquez également que dans chaque

cas, la composition — c’est-à-dire la manière dont les éléments de chaque dessin sont

composés ou distribués dans les limites de la feuille — semble rigoureusement exacte dans la

mesure où pas un élément ne pourrait être ajouté ou soustrait sans que soit altérée la

correction de l’ensemble (figure 5-8). Pour vous en persuader, voyez ce qui se passe à la

figure 5-9 lorsqu’une forme (l’arbre) est retirée. Vérifiez ce principe sur votre propre dessin

d’enfant en escamotant une forme à la fois. Vous vous apercevrez que le retrait d’une seule

forme détruit l’équilibre général du tableau. Les figures 5-10 à 5-12 illustrent d’autres

caractéristiques des paysages d’enfants.

Après avoir observé les exemples, regardez votre propre dessin. Observez-en la composition

(la manière dont les formes sont disposées et s’équilibrent dans les limites de la feuille).

Observez les distances et leur rôle dans la composition. Essayez de caractériser l’expression

de la maison, d’abord sans user de la parole, ensuite avec des mots. Recouvrez un élément et

voyez l’effet de ce retrait sur la composition. Repensez à la manière dont vous avez fait le

dessin. Eprouviez-vous un sentiment de certitude, sachant où chaque élément devait se

placer ? Aviez-vous l’impression de détenir, pour chaque partie du dessin, un symbole exact,

parfait en lui-même et qui s ajustait exactement aux autres. Vous avez peut-être éprouvé la

même sensation de satisfaction que vous éprouviez étant enfant quand chaque forme avait

trouvé sa place et que l’image était achevée.

Fig. 5-10.

Dessin d’un paysage par un enfant de six ans. Cette

maison est très proche de l’observateur, le bord

inférieur de la feuille tient le rôle du sol. Pour

l’enfant, il semble que chaque partie de la surface du

dessin possède une signification symbolique, les

espaces vides représentant l’air dans lequel la fumée

s’élève, les rayons du soleil se dispersent, et les

oiseaux volent.

66

Fig. 5-11.

Dessin de paysage par un enfant de six ans. Cette

maison est plus éloignée du spectateur et, abritée par

l’arc-en-ciel, elle a une merveilleuse expression

d’autosatisfaction.

Fig. 5-12.

Dessin de paysage par un enfant de sept ans. Ce

dessin est plus difficile à lire. Il me semble que la

maison est renfermée, presque assoupie. Le garçon

semble chasser les intrus. Peut-être votre réaction

est-elle différente.

Cette manière de lire les dessins, en percevant la

signification visuelle et en y répondant par une

réaction de caractère émotionnel, est une technique

que les amateurs d’art sensibles tâchent

constamment d’utiliser lorsqu’ils regardent des

oeuvres d’art — par exemple, dans les musées ou

les expositions. La question est la suivante : que

nous communique l’oeuvre dans le langage non

verbal de l’art ? En fait, l’une des qualités d’un

chef-d’oeuvre est de susciter une myriade de

réactions à des niveaux multiples tout en empêchant

peut-être que se fasse l’unanimité sur sa

signification profonde.

La manière de lire les oeuvres d’art peut s’acquérir avec la pratique. Le mieux est de les ressentir en faisant

abstraction de la parole et de trouver ensuite les mots qui décrivent notre réaction. C’est cette démarche

caractéristique du mode-D que j’ai utilisée pour finalement formuler ma réaction face à ce paysage d’enfant.

Cette démarche peut être comparée à notre manière de réagir aux changements d’expression sur le visage d’un

ami et illustre bien le mode d’opération global et relationnel qui caractérise l’hémisphère droit.

Le stade de la complexité

A présent, comme les fantômes de Dickens dans Un Conte de Noël, nous allons vous faire

avancer dans le temps afin de vous observer à un âge légèrement plus tardif, neuf ou dix ans

environ. Vous vous souvenez peut-être de certains dessins que vous faisiez à cet âge, en

cinquième ou sixième année primaire.

Au cours de cette période, les enfants s’astreignent généralement à une plus grande minutie

dans les détails de leurs travaux artistiques, espérant atteindre de cette façon un réalisme plus

précis, ce qui constitue leur objectif le plus ambitionné. La composition suscite moins

d’intérêt, les formes étant presque disposées au hasard sur la page. Apparemment, l’intérêt de

l’enfant pour la place des éléments dans le dessin laisse place à une préoccupation pour

l’aspect des éléments, particulièrement le détail des formes. Dans l’ensemble, les dessins des

67

enfants plus âgés montrent une plus grande complexité et, en même temps, moins

d’assurance que les paysages de la prime enfance.

Pendant toute cette période, les

dessins d’enfants commencent

à se différencier d’après le

sexe, probablement à cause des

facteurs culturels. Les garçons

se mettent à dessiner des

automobiles — des bolides et

des voitures de course; des

scènes de guerre avec des

bombardiers en piqué, des

chars et des fusées ; des

personnages légendaires et des

héros — des pirates barbus.

Des équipages Vikings et leurs

navires, des vedettes de la

télévision, des alpinistes et des

plongeurs sous-marins, des

lettres en capitales bâtons ou

Fig. 5-13.

Fig. 5-13

des lettres moulées et certaines images bizarres comme ce globe oculaire complet transpercé

d’un poignard et baignant dans le sang (mon préféré).

Pendant ce temps, les filles dessinent des choses plus tendres — des fleurs dans un vase, des

chutes d’eau, des montagnes qui se réfléchissent dans des lacs paisibles, de jolies fillettes

assises ou courant sur l’herbe, des mannequins avec des cils d’une longueur incroyable, des

coiffures élaborées, des tailles de guêpe ou de petits pieds, les mains derrière le dos parce que

les mains sont « difficiles à dessiner » …

Les figures 5-13 à 5-16 montrent quelques exemples de ces dessins de jeunes adolescents. J’y

ai ajouté un cartoon: ce genre de dessin, qui a autant la faveur des filles que celle des garçons,

est un sujet de grande admiration parmi les adolescents. Je pense que le cartoon attire les

enfants de cet âge parce que, tout en faisant appel à des formes symboliques courantes, on y

recourt de manière plus sophistiquée et les adolescents n’ont pas l’impression de dessiner

« comme des bébés ».

Le stade du réalisme

Vers l’âge de dix ou douze ans, la passion dont témoignent les enfants pour le réalisme atteint

sa pleine apogée (figures 5-17 et 5-18). Lorsque leurs dessins ne leur semblent pas « justes »,

c’est-à-dire qu’ils ne leur paraissent pas réalistes, les enfants se découragent souvent et

appellent leur professeur à l’aide. Le professeur leur dit alors : « Tu dois regarder plus

attentivement » mais cela ne sert à rien parce que l’enfant ne sait pas ce qu’il doit regarder

plus attentivement. Je vais vous donner un exemple.

Imaginons qu’un enfant de dix ans souhaite dessiner un cube, par exemple un morceau de

bois, en trois dimensions. Soucieux que son dessin soit ressemblant, l’enfant essaie de

dessiner le cube sous un angle qui en laisse voir deux ou trois faces — et non d’un point de

68

vue direct qui ne découvrirait qu’une seule face et qui, dès lors, ne révélerait pas la forme

véritable du cube.

Fig. 5-14. Dessin complexe d’un

enfant de dix ans. Cet exemple

illustre le genre de dessin

d’adolescent que les professeurs

déplorent souvent comme étant

« rigide » ou « non créatif ». Les

jeunes artistes travaillent

laborieusement pour parfaire des

images comme celle-ci, essayant

différents symboles et

configurations. Remarquez le

symbole pour le visage dans la foule

qui a été patiemment répété.

Toutefois, l’enfant rejettera très

vite cette image comme

désespérément mauvaise.

Fig. 5-15. Dessin complexe d’un

enfant de neuf ans. La transparence

est un thème qui se retrouve

souvent dans les dessins des enfants

de cet âge. Les choses telles qu’elles

sont vues sous l’eau, à travers une

vitre ou dans des vases

transparents constituent un thème

privilégié. Bien qu’on puisse

risquer une interprétation

psychologique, il est probable que

les jeunes artistes essaient

simplement par là de savoir s’ils

sont capables de faire un dessin

« ressemblant ».

Fig. 5-16.

Dessin complexe d’un enfant de dix

ans. Le cartoon est une forme

artistique privilégiée des jeunes en

pleine adolescence. Comme l’a fait

remarquer la pédagogue Miriam

Lindstrom dans son ouvrage

Children’s Art, le goût des enfants à

cet âge se situe à un niveau

généralement médiocre.

Pour ce faire, l’enfant doit dessiner les faces aux angles bizarres telles qu’elles lui

apparaissent, c’est-à-dire l’image exacte qui frappe la rétine de l’observateur. Ces faces ne

sont pas carrées. En fait l’enfant doit faire abstraction de la connaissance qu’il a du cube pour

dessiner des formes « bizarres ». Le dessin du cube ne ressemblera à un cube que s’il est

formé de faces aux angles inhabituels. Autrement dit, l’enfant doit dessiner des formes non

carrées pour obtenir un cube carré. L’enfant doit accepter ce paradoxe, cette démarche

illogique qui contrarie la pensée verbale et conceptuelle. (Peut-être y trouve-t-on l’une des

significations de la formule de Picasso : « La peinture est un mensonge qui dit la vérité».)

69

Fig. 5-17.

Dessin réaliste d’un enfant de douze ans. Les

enfants de dix à douze ans recherchent une

manière de rendre leurs dessins « ressemblants ».

Le dessin de personnage fascine particulièrement

les adolescents. Dans ce dessin les symboles d’un

stade antérieur sont ajustés en fonction de

nouvelles perceptions: voyez l’oeil de face dans ce

dessin de profil. Remarquez cependant que la

connaissance qu’a l’enfant du dossier de la chaise

a laissé place à l’aspect purement visuel du dossier

vu de côté.

Fig. 5-18.

Dessin réaliste d’un enfant de douze ans. A ce

stade, l’enfant consacre tous ces efforts à atteindre

le réalisme; et les limites de la surface dessinée

s’effacent de sa conscience, il concentre son

attention sur des formes individuelles, isolées,

disposées au hasard sur la page. Chaque partie

fonctionne comme un élément individuel au

mépris de l’unité de la composition.

« Je dois commencer non à partir d’hypothèses,

mais à partir de cas concrets, même infimes ».

Paul Klee

Fig. 5-19. Dessins «incorrects»» d’un cube (d’après des travaux d’élèves).

Fig. 5-20. Dessins « corrects » d’un cube.

70

Si sa connaissance verbale de la forme réelle du cube domine sa perception purement

visuelle, l’élève réalisera un dessin « incorrect »— un dessin où se manifestera le genre

d’erreur qui désespère les adolescents (voir figure 5-19). Sachant que les coins des cubes sont

à angle droit, les élèves commencent habituellement à dessiner un cube avec un angle droit.

Sachant que le cube repose sur une surface plane, ils dessinent ensuite les arêtes de la base en

ligne droite. Leurs erreurs s’additionnent à mesure que le dessin progresse et ils se troublent

de plus en plus.

Bien que l’observateur captieux familiarisé à

l’art du cubisme et de l’abstraction puisse juger

plus intéressants les dessins « incorrects » de la

figure 5-19 que les dessins « corrects » de la

figure 5-20, les jeunes élèves ne peuvent

comprendre les éloges que suscitent leurs

mauvais dessins. En effet, l’intention de

l’enfant était précisément de dessiner un cube

qui ait l’air « vrai » et, de son point de vue, le

dessin est manqué. Prétendre le contraire

semble absurde aux élèves. Ils ne peuvent

comprendre que « deux plus deux font cinq »

soit une réponse « créative » digne de louanges.

« Le peintre soucieux de représenter la réalité

doit transcender sa propre perception. Il doit

ignorer ou dominer les mécanismes qui, dans

son esprit, créent précisément des objets à

partir d’images ... L’artiste. comme l’oeil, doit

fournir des images fidèles et des indications de

distances précises, pour dire ses mensonges

magiques ».

Colin Blakemore, Mechanics of the Mind

Après l’expérience de dessins « incorrects » comme les dessins du cube, les élèves peuvent

décréter qu’ils sont « incapables de dessiner ». Mais ils en sont capables ; en fait, les dessins

qu’ils ont réalisés indiquent que, manuellement, ils sont parfaitement à même de dessiner. Le

problème vient du fait que les connaissances préalablement acquises — qui peuvent être utiles

dans d’autres contextes — les empêchent de voir les choses telles qu’elles sont, juste sous

leurs yeux.

Parfois le professeur résout le problème en montrant aux élèves la manière de faire, c’est-à-

dire en expliquant la démarche propre au dessin. L’enseignement par la démonstration est une

méthode consacrée par l’usage et parfois bénéfique lorsque le professeur dessine très bien et

qu’il est suffisamment sûr de lui pour faire une démonstration devant une classe entière.

Malheureusement, la plupart des professeurs eux-mêmes, au niveau élémentaire crucial, n’ont

pas suffisamment acquis les aptitudes perceptives nécessaires au dessin. Les professeurs, par

conséquent, éprouvent la même sensation d’incompétence pour le dessin réaliste que les

enfants qu’ils doivent éduquer.

Beaucoup de professeurs souhaiteraient que les enfants de cet âge soient plus libres, moins

préoccupés par le réalisme dans leurs travaux. Mais quelle que soit l’insistance avec laquelle

certains déplorent l’obstination de leurs élèves dans la voie du réalisme, les enfants restent

inflexibles. Ils parviendront au réalisme ou ils abandonneront l’expression artistique à tout

jamais. Ils veulent que leurs dessins ressemblent à ce qu’ils voient, et ils veulent savoir

comment y arriver.

Je pense que les enfants de cet âge adorent le réalisme parce qu’ils essaient d’apprendre à voir

les choses. Ils sont prêts à investir beaucoup d’efforts et d’énergie dans cette entreprise

pourvu que les résultats soient encourageants. Peu d’enfants ont la chance de découvrir

fortuitement le secret: comment voir les choses différemment (le mode-D). Comme je l’ai

expliqué dans ma préface, je pense être l’un de ces enfants qui, par hasard, comprennent le

« truc ». Toutefois, la majorité des enfants doivent apprendre à effectuer cette conversion

cognitive. Heureusement, nous sommes aujourd’hui en train d’élaborer de nouvelles

71

méthodes d’enseignement s’inspirant de recherches récentes sur le cerveau. Ces méthodes

permettront aux professeurs de répondre aux désirs profonds de leurs élèves et de leur

apprendre à voir et à dessiner.

INFLUENCE DE LA SYMBOLIQUE ACQUISE PENDANT L’ENFANCE SUR LA

PERCEPTION VISUELLE

Nous nous rapprochons à présent du problème et de sa solution. Tout d’abord, qu’est-ce qui

empêche une personne de voir les choses assez clairement pour les dessiner ?

La réponse vient en partie de ce que depuis notre enfance nous avons toujours appris à

concevoir les choses avec des mots. Nous leur donnons un nom et nous connaissons les faits

qui s’y rapportent. L’hémisphère gauche, verbal et dominant, ne veut pas recevoir trop

d’informations à propos des choses qu’il perçoit—juste les informations nécessaires pour

identifier et classifier. Le cerveau gauche procède par coups d’oeil rapides: « Bien, c’est une

chaise (ou un parapluie, un oiseau, un arbre, un chien, etc.) ». Le cerveau étant le plus souvent

surchargé par l’afflux d’informations, l’une de ces fonctions principales consiste, semble-t-il,

à écarter une large proportion des données perçues. Ce procédé est indispensable pour nous

permettre de concentrer notre réflexion et s’avère d’ailleurs très utile la plupart du temps. Le

dessin, par contre, exige que nous regardions les choses longtemps pour saisir des monceaux

de détails et enregistrer autant d’informations que possible—l’idéal serait de tout enregistrer,

comme Albert Dürer a tenté de le faire dans la gravure reproduite à la figure 5-21.

L’hémisphère gauche n’a pas la patience requise pour la perception détaillée des choses et se

refuse à ce travail : « C’est une chaise, je te dis. C’est tout ce qu’il faut savoir. Ce n’est même

pas la peine de la regarder puisque j’ai un symbole tout fait pour toi. Le voici : ajoute quelque

détails si tu veux mais ne m’ennuie plus avec ces histoires d’observation ».

Et d’où viennent ces symboles ? Ils nous viennent de ces années de dessins d’enfance pendant

lesquelles chacun de nous élabore une symbolique. Cette symbolique reste ancrée dans notre

mémoire et les symboles attendent d’être invoqués, comme ce fut le cas lorsque vous avez

dessiné votre paysage d’enfance.

Ces symboles sont également prêts à intervenir lorsque vous dessinez un portrait, par

exemple. Le cerveau gauche, l’efficace, intervient : « Ah oui, des yeux. Voici le symbole pour

les yeux, celui que tu as toujours utilisé. Et un nez ? Oui, voilà comment il faut le faire. » Une

bouche ? Des cheveux ? Des cils ? Chaque élément possède son symbole. Tout comme il y a

un symbole pour les chaises, pour les tables, pour les mains …

En somme, la plupart des élèves adultes qui débutent dans l’apprentissage artistique ne voient

pas réellement ce qu’ils ont en face des yeux — c’est-à-dire qu’ils n’ont pas des choses la

perception requise pour les dessiner. Ils prennent note de ce qui se trouve en face d’eux et

traduisent rapidement leur perception avec des mots et des symboles en fonction, notamment,

de la symbolique qu’ils se sont créée au cours de leur enfance, et de la connaissance qu’ils ont

acquise au sujet de l’objet perçu.

72 « Quand l’enfant est capable de

dessiner autre chose que des

griffonnages, vers l’âge de trois ou

quatre ans, un ensemble déjà bien

structuré de connaissances

conceptuelles formulées dans le

langage domine sa mémoire et

contrôle son travail graphique ...

Les dessins sont les comptes rendus

graphiques de démarches

essentiellement verbales. A mesure

qu’une éducation essentiellement

verbale domine, l’enfant

abandonne ses efforts graphiques et

s’appuie presque exclusivement sur

la parole. Le langage a d’abord

empiété sur le dessin puis l’a

complètement submergé. »

Ecrit en 1930 par le psychologue

Karl Buhler

Fig. 5-21. Albert Dürer. Etude pour le Saint Jérôme (1521).

Comment remédier à cette manière de faire ? D’après le psychologue Robert Ornstein,

l’artiste doit percevoir les choses comme dans un miroir pour pouvoir les dessiner. Il faut

donc « débrancher » le mode-G, le mode des classifications verbales, et « brancher » la partie

de notre cerveau qui opère selon le mode-D pour voir les choses comme l’artiste les voit.

Une fois encore, la question première est de savoir comment accomplir cette conversion

cognitive G D. Comme je l’ai dit au chapitre 4, il semble que la manière la plus efficace

soit de présenter au cerveau un travail que l’hémisphère gauche ne voudra pas ou ne pourra

pas effectuer. Vous connaissez déjà certains de ces travaux : les dessins du vase et des

visages, le dessin à l’envers. Et, dans une certaine mesure, vous avez déjà éprouvé et appris à

reconnaître l’état mental propre au mode de l’hémisphère droit. Vous commencez à vous

rendre compte que lorsque vous vous trouvez dans cet état subjectif légèrement altéré, vous

êtes capable de voir plus clairement et de mieux dessiner.

En repensant à l’expérience que vous a fait connaître le dessin depuis le début de ce cours, et

aux modifications de votre état de conscience survenues lors d’activités différentes (conduite

sur autoroute, lecture, etc., dont nous avons parlé au chapitre 1), rappelez- vous les

caractéristiques de cet état mental particulier. Il importe que vous poursuiviez la recherche de

votre « observateur caché » et que vous appreniez à identifier cet état subjectif particulier.

Revoyons encore une fois les caractéristiques du mode-D. Le temps, tout d’abord, semble

suspendu. Vous perdez la notion du temps dans ce qu’il a de chiffrable. Ensuite vous

n’accordez aucune attention aux paroles prononcées. Vous entendez peut-être le son de ces

paroles mais vous ne pouvez en décoder la signification. Si quelqu’un vous parle, il vous

semble qu’il vous faudrait fournir un effort terrible pour revenir en arrière, penser de nouveau

73

avec des mots, et répondre. De plus, tout ce

que vous êtes occupé à faire vous semble

d’un intérêt immense. Vous êtes attentif et

concentré et vous avez le sentiment de ne

plus faire qu’un avec la tâche qui vous

absorbe. Vous vous sentez plein d’énergie

mais calme, actif sans anxiété. Vous vous

sentez confiant et à la hauteur de la tâche

qui se présente. Vous pensez, non pas avec

des mots, mais avec des images et, quand

vous dessinez, votre pensée se « fixe » sur

l’objet que vous percevez. Il s’agit d’un

état très agréable. En le quittant, vous ne

vous sentez pas fatigué mais vivifié.

« L’art est une forme de conscience d’une

délicatesse suprême ... qui tend à l’unicité, unicité

de l’auteur et de l’objet ... L’image doit entièrement

émaner de l’artiste ... C’est l’image qui vit dans la

conscience, vivante comme une vision, mais

inconnue ».

D.H. Lawrence, l’écrivain anglais, parlant de sa

peinture.

« En se créant un observateur intérieur, une

personne peut accéder dans une mesure appréciable

à l’observation de ses différents états d’identité et,

bien qu’un observateur extérieur puisse souvent

deviner clairement ses différents états d’identité, la

personne elle-même, si elle n’a pas développé cette

fonction d’observateur, peut très bien ne jamais

remarquer les nombreuses transitions qui la mènent

d’un état d’identité à un autre. »

Charles T. Tart, Alternative States of Consciousness

Notre tâche à présent consiste à éclairer sous un jour plus précis cet état de conscience

particulier et l’amener sous un contrôle conscient plus rigoureux afin d’exploiter les

possibilités de l’hémisphère droit, nettement supérieures pour le traitement des informations

visuelles, et d’effectuer à volonté la conversion cognitive vers le mode-D.

L’exercice du chapitre suivant est destiné à vous faire connaître plus intensément que jamais

cet état mental particulier. Le but est de découvrir davantage votre « observateur caché » et

d’accroître le contrôle que vous pouvez exercer sur la conversion cognitive, afin de vous

placer délibérément dans les conditions nécessaires pour que se produise cette conversion.

Une fois la transition accomplie et le mode-G « débranché », vous verrez les choses plus

clairement, à la manière de l’artiste.

Lewis Carroll décrit une

conversion semblable dans les

aventures d’Alice dans De l’autre

Côté du Miroir :

«Oh, Kitty, comme ce serait

merveilleux si l’on pouvait entrer

dans la Maison du Miroir ! Je suis

sûre de ce que je dis, oh, elle

contient tant de belles choses !

Faisons semblant d’avoir découvert

un moyen d’y entrer, Kitty. Faisons

semblant d’avoir rendu le verre

inconsistant comme la gaze et de

pouvoir passer à travers celui-ci.

Mais, ma parole, voici qu’il se

change en une sorte de brouillard !

Cela va être un jeu d’enfant de le

traverser … »

74

Votre symbolique : à la rencontre des bords et des contours

75

Nous avons retracé l’évolution artistique de votre enfance et le développement de la

symbolique qui allait constituer le langage de vos dessins d’enfant. Parallèlement à cette

évolution se sont développés d’autres systèmes symboliques: la parole, la lecture, l’écriture et

l’arithmétique. Alors que ces derniers constituent des fondements utiles au développement

ultérieur des facultés linguistiques et arithmétiques, les symboles utilisés dans les dessins

d’enfants semblent contrarier l’évolution des aptitudes artistiques.

Le problème le plus sérieux qui se pose dans l’enseignement du dessin réaliste aux sujets âgés

de dix ans et plus est le fait du cerveau gauche qui semble insister pour que soient utilisés les

symboles graphiques qu’il a mémorisés ou stockés alors que ceux-ci ne sont plus adéquats.

Malheureusement, dans un sens, le cerveau gauche «persiste à croire » qu’il est capable de

dessiner, alors que la latéralisation des perceptions globales et relationnelles, c’est-à-dire la

délégation de ces compétences à l’hémisphère droit s’est produite depuis longtemps. Aux

prises avec un dessin, le cerveau gauche se hâte de faire appel à des symboles de caractère

linguistique, après quoi, dérisoirement. il n’est que trop prêt à souffler les mots de dédain qui

composeront le jugement si le dessin parait naïf ou puéril.

Dans le chapitre précédent, j’ai expliqué qu’une

manière efficace de « débrancher » l’hémisphère

gauche dominant et son mode de fonctionnement

verbal et symbolique, et de «brancher» l’hémisphère

droit dominé, de fonctionnement spatial et relationnel,

est de présenter au cerveau un travail que

l’hémisphère gauche ne pourra ou ne voudra pas

entreprendre. Les dessins du vase et des visages et les

dessins à l’envers

Simplement voir, dès lors, n’est pas

suffisant. Il est indispensable d’établir

un contact physique, original et vivant

avec l’objet que vous dessinez par tous

les moyens sensoriels possibles — et

spécialement par le sens du toucher».

Kimon Nicolaides, The Natural Way to

Draw

nous ont permis d’accéder au mode-D. Nous allons à présent tenter une nouvelle stratégie,

plus radicale qui provoquera une conversion cognitive plus profonde et neutralisera plus

largement votre mode-G.

Cette technique, le « dessin de contour pur », plaira probablement très peu à votre cerveau

gauche. Introduite aux Etats-Unis en 1941 par Kimon Nicolaides, professeur d’art de grande

réputation, dans son ouvrage The Natural Way to Draw, cette méthode a remporté un vif

succès auprès des enseignants. Je pense que les connaissances récentes sur la manière dont le

cerveau répartit les tâches entre les deux hémisphères fournissent une base théorique

susceptible d’expliquer l’efficacité du dessin de contour pur en tant que méthode

d’enseignement. A l’époque où il a écrit ce livre, Nicolaides pensait apparemment que la

méthode du contour pur permettrait aux élèves d’améliorer leur technique de dessin parce

qu’elle les obligeait à utiliser à la fois leur sens de la vue et du toucher. Nicolaides conseillait

aux élèves qu’ils s’imaginent touchant l’objet qu’ils dessinaient. Il semble plus probable, à

présent, que l’efficacité de cette méthode est due à l’aversion du cerveau gauche pour la

perception lente et méticuleuse des informations spatiales et relationnelles, ce qui permet à

l’individu d’accéder au mode-D de fonctionnement cérébral, En résumé, le dessin de contour

pur contrarie le style du cerveau gauche; il convient au style du cerveau droit et, une fois

encore, c’est ce que nous recherchons.

Avant de décrire cette méthode, je voudrais définir quelques termes. En dessin, le contour se

définit comme le côté d’une forme tel que vous le percevez. En tant que méthode, le dessin de

contour pur (qu’on appelle parfois « dessin de contour plein ») exige une observation continue

et intense pendant qu’on trace les côtés de la forme sans regarder le dessin qui est en train de

se réaliser.

76

Le terme « côté » dans le sens qu’on lui donne en dessin est l’endroit où deux éléments se

rencontrent. Si vous dessinez votre main, par exemple, les endroits où l’air (qui en dessin

constitue le fond ou l’espace négatif) rencontre la surface de votre main, l’endroit où un ongle

rencontre la peau qui l’entoure, l’endroit où deux plis de la peau se rencontrent pour former

une ride, et ainsi de suite, sont des côtés communs. Le côté commun (appelé contour) peut

être décrit, c’est-à-dire dessiné, comme une simple ligne, qu’on appelle ligne de contour.

(Nous travaillerons de nouveau les côtés dans le chapitre suivant sur les espaces négatifs.)

Le côté est un concept fondamental dans le domaine artistique, en raison de ses rapports avec

le principe de l’unité, qui est peut-être le plus important. L’unité est acquise lorsque tous les

éléments d’une composition s’assemblent en un tout cohérent, chaque partie contribuant à

l’intégralité de l’image résultante.

UN EXERCICE SUR LES COTES

Afin de bien vous imprégner des concepts d’unité et de côté commun, faites l’exercice

suivant, qui consiste à imaginer et à voir des côtés :

1. Voyez avec l’oeil de l’esprit un puzzle d’enfant de six à huit pièces de couleurs en

désordre, les pièces s’assembleront pour former l’image d’un voilier sur un lac. Imaginez que

chaque pièce du puzzle correspond à un élément donné : une seule pièce blanche représente la

voile, une pièce rouge la coque, etc. Imaginez les autres pièces à votre manière — la terre, la

jetée, les nuages, ce que vous voulez.

2. Assemblez à présent les pièces dans votre imagination. Représentez-vous les deux côtés qui

s’assemblent pour former une ligne unique (s’il s’agit d’un puzzle découpé avec précision).

Ces côtés communs forment les lignes de contour. Toutes les pièces, les espaces (ciel et eau)

et les formes (la coque, la voile, la terre, etc.) s’assemblent pour former le puzzle complet.

3. Observez ensuite votre propre main, un oeil fermé pour obtenir une image plane (en

fermant un oeil on supprime la vision binoculaire en relief). Imaginez votre main et l’air qui

l’entoure comme les pièces d’un puzzle, l’espace (espace négatif) entre les doigts formant des

côtés communs avec les doigts ; la forme de la peau autour de chaque ongle formant avec

celui-ci un côté commun ; deux plis de la peau formant le côté commun d’une ride. L’image

totale, composée de formes et d’espaces, s’assemble à la manière d’un puzzle.

4. Dirigez à présent votre regard vers un côté quelconque de votre main. Imaginez, avec l’oeil

de l’esprit, que vous êtes en train de dessiner lentement ce côté de votre main ; imaginez que,

simultanément, vous pouvez voir la ligne se former sur le dessin, comme par un procédé

magique.

LE DESSIN DE CONTOUR PUR POUR DEPASSER VOTRE SYMBOLIQUE

77

Pendant mes cours, je fais des démonstrations de dessin de contour pur, et j'explique la

méthode en même temps que je dessine —quand j’arrive à continuer de parler (fonction du

mode-G) alors que j’essaie d’utiliser mon cerveau droit pour dessiner. Habituellement je

débute bien, mais après cinq minutes je commence à m’égarer au milieu d’une phrase. Ce laps

de temps, toutefois, est suffisant pour que mes élèves saisissent le principe de la méthode.

Je poursuis ma démonstration en montrant des exemples de dessins de contour pur réalisés

précédemment par d’autres élèves.

Avant de commencer : Afin de reproduire fidèlement le déroulement du cours dans une classe,

assurez-vous d’avoir lu toutes les instructions et d’avoir examiné tous les travaux d’élèves

correspondants avant d'entreprendre votre dessin.

1. Cherchez un endroit où vous pourrez rester seul sans être interrompu pendant vingt minutes

au moins.

2. Réglez une montre ou une minuterie sur vingt minutes si vous le voulez avant de

commencer à dessiner. (Ceci afin de vous libérer de la notion du temps — fonction du mode-

G.) Si vous avez largement le temps et qu’il vous importe peu de savoir quand vous aurez

terminé, passez-vous de la minuterie.

3. Placez une feuille de papier sur la table et fixez-la avec du papier collant dans la position

qui vous semble la plus commode. Il est nécessaire de la fixer pour ne pas qu’elle tourne

pendant que vous dessinez.

4. Vous allez dessiner votre propre main — votre main gauche si vous êtes droitier, votre

main droite si vous êtes gaucher. Arrangez-vous pour que la main qui tient le crayon soit prête

à dessiner sur le papier fixé sur la table.

5. Tournez carrément la tête dans la direction opposée, fixant des yeux la main que vous allez

dessiner. Prenez garde que votre main repose sur un support car vous allez garder assez

longtemps cette position. Vous travaillerez sans pouvoir regarder ce que vous dessinez (voir

la position à la figure 6-l). Il est indispensable de tourner la tête pour respecter l’objectif de

cette méthode : premièrement. pour concentrer entièrement votre attention sur les

informations visuelles qui se trouvent là en face de vous ; et, en second lieu, pour refuser

toute attention au dessin, ce qui pourrait faire resurgir vos anciens schémas symboliques

mémorisés depuis l’enfance, par exemple, « la manière de dessiner une main ». Il faut

dessiner uniquement ce que vous voyez (mode-D, perception globale) et non ce que vous

savez (mode-G, fonctionnement symbolique). Il est également nécessaire de détourner

complètement la tête parce que la tentation de regarder le dessin est presque irrésistible au

début. Si vous dessinez dans la position normale en vous disant « Je n’ai qu’à ne pas

regarder », vous vous apercevrez certainement que vous êtes en train de regarder votre dessin

du coin de l’oeil. Ce faisant, vous réactiveriez le mode-G et vous manqueriez le but de

l’exercice.

6. Une fois la tête tournée, fixez votre regard sur un point du contour de votre main. Au même

moment, placez la pointe du crayon sur le papier (à n’importe quel endroit qui se situe

largement au centre de la feuille).

7. Très lentement, millimètre

78

par millimètre, déplacez votre

regard le long du contour de

votre main, observant chaque

variation infime, chaque

ondulation de la ligne. A

mesure que vos yeux

progressent, déplacez la pointe

de votre crayon au même

rythme, en reproduisant chaque

modification, chaque variation

infime du contour que vous

observez. Prenez conscience

que l’information projetée par

l’objet observé (votre main) est

perçue exactement et dans les

moindres détails par vos yeux

et reproduite simultanément par

votre crayon qui enregistre tout

ce que vous voyez au moment

où sous le voyez.

Fig. 6-1. Position tête détournée pour le dessin de contour pur.

8. Ne vous retournez pas pour regarder votre feuille. Observant votre main, dessinez

progressivement ce que vous voyez. Vos yeux percevront successivement les changements de

configuration du contour et votre crayon les reproduira au même rythme. Au même moment,

vous prendrez conscience des rapports entre le contour que vous dessinez et la configuration

entière des contours complexes de votre main. Vous pouvez dessiner les contours intérieurs

ou les contours extérieurs en premier ou passer de l’un à l’autre. Ne vous préoccupez pas de

savoir si le dessin ressemblera à votre main, Il est probable que non étant donné que vous ne

pouvez pas vérifier les proportions, etc. En limitant votre perception à de petits fragments

successifs, vous apprendrez à voir les choses exactement telles qu’elles sont, à la manière de

l’artiste.

9. Le mouvement du crayon doit reproduire exactement le mouvement de l’oeil. L’un ou

l’autre tentera peut-être d’accélérer, mais ne le laissez pas faire. Vous devez reproduire

chaque détail à l’instant où vous voyez chaque point du contour. N’interrompez pas votre

dessin et poursuivez à un rythme lent et régulier. Il se peut qu’au début vous vous sentiez

maladroit ou mal à l’aise : certains élèves éprouvent brusquement un mal de tête ou un

sentiment de panique. Je pense que cette perturbation se produit au moment où le cerveau

gauche s’aperçoit que le dessin de contour pur défie dangereusement sa supériorité. Il se rend

compte, je crois, que si vous devez reproduire l’enchevêtrement complexe des contours de

votre main, à la lenteur avec laquelle vous dessinez, le cerveau droit va dominer encore

pendant un long moment. Effectivement, le cerveau gauche réagit : « Cesse ce jeu stupide

immédiatement. Il n’est pas nécessaire de regarder les choses d’aussi près. J’ai déjà nommé

chaque détail pour toi, même les plus petits, comme les rides. Montre-toi donc raisonnable et

occupons-nous de quelque chose de moins ennuyeux — sinon je te donne la migraine ».

Ignorez ces protestations et poursuivez. A mesure que vous dessinerez, les récriminations du

cerveau gauche fléchiront et votre esprit s’apaisera. Vous serez bientôt fasciné par la

complexité merveilleuse de l’objet que vous voyez et vous sentirez que vous pouvez aller

toujours plus loin dans cette complexité. Krishnamurti : « Où commence alors le silence ?

79

Laissez-vous mener. Il n’y a rien à craindre,

rien qui puisse vous embarrasser. Votre

dessin sera la reproduction merveilleuse de

vos perceptions profondes. Il nous importe

peu que votre dessin ressemble ou non à une

main. Nous voulons une matérialisation de

vos perceptions.

Après avoir terminé : Essayez de vous

rappeler ce que vous ressentiez en

commençant le dessin de contour pur, en

comparant cette sensation avec ce que vous

avez ressenti plus tard, une fois plongé

profondément dans le dessin. Comment vous

sentiez-vous à ce stade plus avancé ? Avez-

vous perdu la notion du temps qui passe ?

Comme Max Ernst, vous êtes-vous pris de

passion pour ce que vous voyiez ? Quand

vous retournerez à cet état mental particulier,

le reconnaîtrez-vous ?

Pour la plupart des élèves, le dessin de

contour pur est l’exercice qui permet la

conversion la plus radicale vers le mode-D et

le voyage le plus parfait au coeur de cet état

de conscience particulier. Coupé du dessin—

et par là des données visuelles qui permettent

Commence-t-il là où finit la pensée ? Avez-vous

jamais essayé de vous arrêter de penser ? »

L’interrogateur: Comment faites-vous ? »

Krishnamurti: »Je ne sais pas, mais avez-vous

jamais essayé ? Tout d’abord, quelle est l’entité qui

essaie d’arrêter la pensée ? »

L’Interrogateur: « Le penseur ».

Krishnamurti : « C’est une autre pensée, n’est-ce

pas ? La pensée essaie de s’arrêter elle-même et une

bataille se livre alors entre le penseur et la pensée ...

La pensée dit ‘Je dois arrêter de penser et alors je

connaîtrai un état merveilleux’ ... Une pensée essaie

d’en supprimer une autre, et il y a conflit. Quand je

considère cela comme un fait, que je le considère

totalement, que je le comprends complètement, et

que je m’en pénètre ... alors mon esprit s’apaise.

Cela vous vient naturellement et facilement quand

l’esprit est serein, d’observer, de regarder, de voir ».

« En chacun de nous repose le monde entier et si

vous savez comment regarder et apprendre, alors la

porte est devant vous et vous en possédez la clé.

Personne sur la terre ne peut vous donner ni la clé ni

la porte à ouvrir, excepté vous-même. »

J. Krishnamurti You Are the World d’identifier, de symboliser et de classifier — forcé de se concentrer sur ce qu’il considère

comme une pléthore d’informations, le cerveau gauche passe le relais au cerveau droit. La

lenteur du dessin semble maintenir d’avantage le cerveau gauche au point mort. Le dessin de

contour pur est un moyen tellement efficace pour produire cette conversion que bon nombre

d’artistes ont coutume de se mettre au travail en commençant par une brève séance, au moins,

de ce genre d’exercices, afin de déclencher le processus qui les mènera à débrancher le mode-

G.

Au cas où ce premier dessin ne vous aurait pas permis d’effectuer une conversion très parfaite

vers le mode-D, prenez patience. Chez certaines personnes, l’hémisphère gauche est très

volontaire ou très anxieux de voir le droit prendre le contrôle. Vous devez le rassurer. Lui

parler. Dites-lui que vous n’allez pas l’abandonner, que vous voulez simplement essayer de

découvrir quelque chose.

Vous vous apercevez que le cerveau gauche permettra progressivement que s’accomplisse la

conversion. Gardez-vous cependant de laisser votre cerveau gauche ridiculiser votre dessin de

contour pur, en émettant des remarques sévères et en annulant ainsi le profit que vous en

auriez tiré. Notre but n’était pas de réaliser un dessin ressemblant. Bientôt tous vos acquis

s’additionneront et vous dessinerez mieux que jamais auparavant.

TRAVAUX D’ELEVES

80

Souvenir d’un état mental particulier.

Poursuivons le cours avec certains travaux

d’élèves illustrant le dessin de contour pur.

Quelle trace étrange et merveilleuse

recèlent ces dessins! Ne vous préoccupez

pas du manque de ressemblance entre

certains de ces dessins et la configuration

normale d’une main — c’était à prévoir.

Dans le prochain exercice, le «dessin de

contour modifié», nous nous soucierons de

la configuration d’ensemble.

« Nageur aveugle, je me suis forcé à voir. J’ai vu.

Et j’ai été étonné et passionné par ce que je voyais,

souhaitant m’identifier à l’objet de ma vision ».

Max Ernst

Dans Les Portes de la Perception, Aldous Huxley

décrit les effets de la mescaline sur sa perception

des choses ordinaires — dans ce cas précis, les plis

de son pantalon de flanelle grise. Il voit ces plis

comme des hiéroglyphes vivants qui représentent,

de quelque manière particulièrement infaillible, le

mystère insondable de l’être pur ... Les plis de mon

pantalon étaient chargés d’’istigheit’ ».

Huxley continue: « Ce que le reste d’entre nous ne

voit que sous l’influence de la mescaline, l’artiste

est équipé congénitalement pour le voir tout le

temps ».

Dans le dessin de contour pur, c’est la qualité des signes et leur caractère qui nous intéressent.

Ces signes, « ces hiéroglyphes vivants », sont la trace de nos perceptions. Ces dessins ne

contiennent aucune de ces maigres traces stéréotypées et vainement bavardes que produit le

fonctionnement hâtif de l’hémisphère gauche. A leur place, on trouve les marques riches,

profondes et intuitives que laissent les choses telles-qu’elles-sont, telles qu’elles existent

autour de nous,des marques qui profilent l’ « istigheit » des choses. Les «nageurs aveugles»

ont vu! Et voyant, ils ont plongé au coeur du dessin !

Travaux d’élèves : dessin de contour pur

Georgette Zuleski

Cami Berg

Pour moi, ces dessins sont la matérialisation visuelle d’un état de conscience propre au mode-

D. Comme s’est exclamée l’une de mes amies, l’écrivain Judi Marks, en voyant pour la

première fois un dessin de contour pur : « Personne, dans l’état d’esprit du cerveau gauche, ne

pourrait faire un tel dessin ! »

Commencez maintenant à dessiner, en respectant la méthode du dessin de contour pur.

Continuez de dessiner jusqu’à ce que la minuterie s’arrête. Vous pouvez évidemment vous

arrêter quand vous le voulez mais tâchez de dessiner pendant trente minutes sans vous

81

interrompre et sans regarder votre dessin. Si vous réussissez une conversion radicale vers le

mode-D, il se peut même que vous dessiniez sans interruption pendant une heure.

LE DESSIN DE CONTOUR MODIFIE

Maintenant que vous avez appris la manière d’accéder au côté droit de votre cerveau — le

moyen d’ouvrir les portes de la perception et d’entrer dans un état mental légèrement modifié,

caractéristique du fonctionnement de l’hémisphère droit — vous commencez à voir à la

manière de l’artiste et vous êtes presque prêt pour accomplir un dessin réaliste suivant la

méthode du « dessin de contour modifié ».

Travaux d’élèves : dessin de contour pur

Beth Glick

Judy Leventhal

Exercices supplémentaires

6a. Suivant fidèlement les instructions du dessin de contour pur, observez et dessinez une

fleur compliquée comme un iris, un chrysanthème, une rose, un géranium. Dessinez pendant

trente minutes.

6b. En respectant de nouveau les instructions du dessin de contour pur, dessinez un objet

naturel inanimé comme un coquillage, une pierre, ou un morceau de bois flotté. Cette fois

encore, choisissez un objet complexe. Dessinez pendant trente minutes.

6c. Chiffonnez un morceau de papier et dessinez-le par la méthode du dessin de contour pur.

Prenez si possible une heure pour faire ce dessin.

Mais avant d’entreprendre ce travail, faites les exercices 6a, b et c. Ne « sautez » pas ces

dessins. Sans eux, vous ne pourriez vivre totalement l’expérience de la conversion cognitive

vers le mode-D et vous ne pourriez vous familiariser avec l’état mental que suscite cette

conversion. Il vous aideront également à passer plus facilement au dessin de contour modifié.

Le dessin de contour modifié est exactement pareil au dessin de contour pur si ce n’est que

82

vous pouvez vous permettre de jeter un coup d’oeil de temps en temps sur votre dessin dans

le seul but de noter les rapports de surfaces, de longueurs ou d’orientation. Vous pourrez jeter

un bref regard sur votre dessin pour vérifier la direction d’un trait, des proportions. etc. tout en

restant capable d’exercer l’observation lente et minutieuse qui favorise la conversion

cognitive vers le mode-D.

Avant de commencer : Lisez toutes les directives.

1. Assurez-vous de disposer d’une demi-heure au moins sans interruption.

2. Installez-vous confortablement devant une table, cette fois dans la position de dessin

normale, comme à la figure 6-2. Fixez de nouveau votre feuille sur la table avec du papier

collant afin qu’elle ne tourne pas. Vous allez. cette fois encore, dessiner votre main que vous

placerez dans une position compliquée — les doigts entrelacés, serrés ou croisés, comme vous

voulez. Ce genre de position répond mieux aux fins de l’exercice que la main simplement

ouverte et à plat, parce que l’hémisphère droit semble préférer la complexité.

3. Gardez-vous de bouger la main ou la tête dès que vous aurez commencé le dessin — ne

tendez donc pas le cou pour voir une partie de votre main qui vous est dissimulée. Adoptez

une position et gardez-la. Nous ne voulons qu’une seule vue de votre main, pas une vue

multiple qui déformerait votre dessin.

Fig. 6-2. La position pour le dessin de contour modifié est la position habituelle du dessin.

4. Pour vous préparer au dessin, fixez votre

main du regard. Cela vous permettra de

déclencher la conversion cognitive vers le

Lors d’une conversation, le Professeur Elliot

Elgart de l’Université de Californie au

Département artistique de Los Angeles m’a

83

mode-D. Imaginez une ligne verticale et une

ligne horizontale près de votre main. Evaluez

l’angle que forme une ligne que vous

choisirez avec la verticale ou avec

l’horizontale. Regardez à présent votre

feuille

confié avoir souvent observé que les élèves

débutants confrontés pour la première fois à un

modèle couché, penchaient fortement la tête sur

le côté alors qu’ils dessinaient le modèle.

Pourquoi ? Pour voir le modèle dans la position à

laquelle ils sont accoutumés, c’est-à-dire la

position debout !

et imaginez l’angle tel qu’il serait s’il était dessiné sur le papier. Choisissez un espace, par

exemple l’espace entre deux doigts. Fixez-le du regard jusqu’à ce que vous en voyiez le côté,

là où il rencontre le côté de votre doigt. Essayez de reconnaître l’instant où votre esprit

exécute la conversion vers le mode-D.

5. Fixez des yeux un point quelconque du Contour. Vérifiez-en l’angle par rapport à la

verticale ou à l’horizontale. Regardez à présent votre feuille. A mesure que votre regard se

déplace lentement le long du contour, votre crayon dessine ce contour au même rythme.

Passez d’un contour à celui qui lui est adjacent. N’essayez pas de dessiner complètement le

contour extérieur puis les formes intérieures. Il est beaucoup plus facile de passer d’une forme

à celle qui lui est adjacente. Comme dans le dessin de contour pur, votre crayon reproduira

tous les côtés, prenant note des changements de direction les plus infimes et de chaque

ondulation du contour. C’est une démarche silencieuse. Ne parlez pas. Ne nommez pas les

parties de la main que vous dessinez. Vous travaillez avec des informations visuelles

uniquement; les mots sont inutiles. Il n’est pas nécessaire d’essayer d’établir des relations

logiques, car toutes les informations visuelles se trouvent là, sous vos yeux. Concentrez-vous

sur ce que vous voyez; évaluez silencieusement la longueur d’une ligne par rapport à une

autre ; la largeur d’une forme par rapport à une autre ; l’écartement d’un angle en le

comparant à un autre; et l’endroit d’où semble partir un contour par rapport à celui que vous

venez de dessiner.

6. Ne jetez un coup d’oeil à votre feuille que pour localiser un point ou pour vérifier des

proportions. Vous devez passer les quatre-vingt-dix pour cent de votre temps à scruter la main

que vous dessinez, tout comme pour la méthode du contour pur.

7. Quand vous arriverez aux o-n-g-l-e-s (nous ne nommons pas les choses, je vous le

rappelle), ne dessinez pas les ongles eux-mêmes mais bien les formes qui les entourent. De

cette manière vous éviterez que certains symboles infantiles refassent surface. Le cerveau

gauche ne dispose d’aucun nom pour les formes autour des ongles. D’ailleurs, si vous

éprouvez des difficultés avec un élément quelconque, passez à l’élément qui lui est adjacent

ou avec lequel il possède un côté en commun.

8. Rappelez-vous enfin que tout ce que vous devez savoir sur votre main pour faire votre

dessin — toutes les informations perceptuelles requises — se trouvent sous vos yeux. Votre

travail consiste simplement à reproduire tel quel le résultat de vos perceptions sous forme de

signes qui sont la trace de ces perceptions. Pour ce faire, il n’est pas besoin de penser.

Comme il vous suffit de percevoir, d’observer et de reproduire ce que vous voyez, le dessin

vous semblera facile. Vous vous sentirez confiant, détendu et absorbé, fasciné par l’aisance

avec laquelle tous les éléments s’assemblent comme dans un puzzle parfaitement conçu.

Commencez maintenant à dessiner. Dans quelques minutes vous serez passé à l’état mental

particulier du mode-D mais vous n’avez pas à y penser. Vous avez sciemment créé les

conditions pour que s’accomplisse la conversion, et elle se produira bientôt sans effort de

votre part. Le dessin de contour modifié, comme les autres exercices. est un travail que le

cerveau gauche refusera, libérant ainsi l’accès au mode de fonctionnement de l’hémisphère

droit.

84

Après avoir terminé : Repassez mentalement les stratégies de dessin que vous avez

utilisées, la sensation que suscite l’état de conscience propre au mode-D. la manière dont vous

avez conquis cet état d’esprit en établissant sciemment les conditions qui favorisent la

conversion cognitive.

Le premier dessin révélera peut-être certaines erreurs de proportions ou d’orientation. Les

exercices du chapitre suivant vous aideront à corriger ces défauts.

A ce stade, dessiner est comme apprendre à conduire une voiture. On apprend d’abord

séparément chaque opération — l’accélération, le freinage, l’utilisation des clignotants, la

vigilance à l’égard des autres véhicules, en face, derrière et sur les côtés. Lorsque vous avez

conduit pour la première fois, vous avez dû tout faire à la fois et coordonner des opérations

distinctes en une manoeuvre d’ensemble. La deuxième fois la tâche s’est avérée plus facile, la

troisième plus encore. Bientôt les techniques et les stratégies se sont intégrées en une

manoeuvre coordonnée.

Il en va de même pour le dessin. Il s’agit d’une technique d’ensemble qui requiert la

coordination d’un certain nombre de stratégies. A bref délai, ces stratégies deviendront aussi

automatiques que l’usage des freins ou de l’accélérateur ou des clignotants quand vous

conduisez.

Afin d’acquérir de la pratique et de l’assurance, faites soigneusement les exercices 6d à 6g

page 95. Avant de commencer chaque dessin, créez les conditions qui favoriseront la

conversion cognitive vers l’état de conscience particulier du mode-D. Point particulièrement

important: assurez-vous de disposer d’un laps de temps ininterrompu. Plus tard, vous serez

capable d’accomplir la conversion malgré les interruptions, bien que la plupart des artistes

recherchent la solitude pour dessiner.

TRAVAUX D’ELEVES

Dessin de contour modifié

Pour la plupart des dessins d’élèves suivants, les mains semblent avoir été dessinées par des

personnes expertes. Ces mains ont du relief, elles sont crédibles, authentiques. Elles semblent

faites de chair, de muscles et d’os. Les détails les plus subtiles comme la pression d’un doigt

sur un autre, la tension de certains muscles, le grain de la peau y sont reproduits.

L’ETAPE SUIVANTE : TROMPER LE MODE-G AVEC DES ESPACES VIDES

Jusqu’à présent. nous avons pu déceler certaines lacunes de l’hémisphère gauche: les images

en miroir (dessin du vase et des visages) le mettent en difficulté ; il ne peut opérer à partir

d’informations perceptuelles renversées (comme dans le dessin à l’envers du Stravinsky), il

refuse de traiter les perceptions lentes et complexes (comme dans le dessin de contour pur et

le dessin de contour modifié). Tirant parti de ces incompétences, nous avons donné une

chance à l’hémisphère droit de traiter les données visuelles à l’abri des interventions

tyranniques du cerveau gauche.

85

Le prochain chapitre visera à rétablir votre perception de l’unité des formes et des surfaces

dans la composition, faculté que vous possédiez déjà étant enfant. L’accent sera mis, dans ce

chapitre, sur les espaces négatifs.

Travaux d’élèves : dessin de contour modifié

Lori Stolze

Annette Ramirez

86

Pat Marovich

Fig. 6-3. Martha Kalivas

Fig. 6-6. Charlotte Doctor

Fig. 6-4. Georgette Zuleski

Fig. 6-5. Nora Thomas

87

Exercices supplémentaires :

Avant de commencer : Pendant cinq à dix minutes, faites un dessin de contour pur de

n’importe quel objet complexe afin de préparer la conversion cognitive vers le mode-D.

6d. Faites un second dessin de contour modifié en reproduisant une pomme de pin. Voyez à la

figure 6-3 l’exemple d’un dessin d’élève.

6e. Faites le dessin de contour modifié d’un sac de papier ordinaire, dans l’état ou dans la

position que vous voudrez. Voir figure 6-4.

6f. Faites le dessin de contour modifié d’un objet ménager quelconque — un fouet, un tire-

bouchon, un fer à repasser, un ouvre-boîte. Rappelez-vous que l’hémisphère droit semble

préférer la complexité. Voir figure 6-5.

6g. Faites le dessin de contour modifié de votre propre pied, déchaussé ou non. (Si vous voyez

également votre genou quand vous regardez votre pied, notez j comme il semble large par

rapport à la largeur de votre pied). Voir figure 6-6.

Après avoir terminé : Regardez vos dessins faits sur le mode-D. Prenez note des éléments qui

indiquent que vous étiez parfaitement « fixé » sur l’image sous vos yeux. Cela doit se refléter

dans la précision de vos perceptions. Tâchez de vous souvenir de votre état mental à ce stade

de votre dessin

88

89

La forme des espaces L’aspect positif des espaces négatifs

Fig. 7.1. Différents formats.

En dessin, le terme composition désigne la manière dont les

éléments d’un tableau sont disposés par l’artiste. Les

éléments de base d’une composition sont les formes

positives (les objets ou les personnages), les espaces négatifs

(les espaces vides), et le format (la longueur et la largeur

relatives des côtés qui limitent la surface dessinée). Pour

composer un dessin, l’artiste place et assemble les formes

positives et les espaces négatifs dans les limites d’un format

donné.

Le format détermine la composition. Autrement dit, la forme

de la surface dessinée (généralement une feuille de papier

rectangulaire) influence largement la manière dont l’artiste

dispose les formes et les espaces à l’intérieur des limites de

cette surface. Afin de vous en persuader, utilisez votre

mode-D et imaginez un arbre, un orme ou un pin, pourquoi

pas. A présent, disposez cet arbre dans chacun des formats

repris à la figure 7-1. Vous vous apercevrez qu'il faut

modifier la forme de l’arbre et de l’espace qui l’entoure pour

chaque format. Pour vous en assurer, il suffit d’imaginer

exactement le même arbre dans tous les formats. Vous vous

rendrez compte qu’une forme convenant à un format ne

convient pas à un autre.

Les artistes expérimentés ont compris l’importance de la

forme et du format. Les élèves débutants, par contre,

semblent curieusement négliger les limites du support. Etant

donné qu’ils consacrent presque exclusivement leur

attention aux objets et aux personnages qu’ils dessinent, ils

semblent considérer les bords du support comme inexistants,

et assimilent la feuille à l’espace qui entoure les objets réels

et qui n’a pas de limites.

Oublieux des limites de leur feuille de papier, qui arrêtent à

la fois les espaces négatifs et les formes positives, la plupart

des débutants commettent des erreurs de composition.

L’erreur la plus grave est l’absence d’unité entre les

composantes fondamentales : les formes et les espaces.

90

Fig. 7-2. Joan Miró. Personnages avec Etoile (1933). Avec l’aimable autorisation de

l’Art Institute of Chicago.

Fig. 7-3.

LES JEUNES ENFANTS COMPOSENT

AVEC LE FORMAT

Au chapitre 5, nous avons vu que les jeunes

enfants saisissent bien l’importance du format.

Ils ont conscience des limites du format et cette

donnée détermine la manière dont ils disposent

les formes et les espaces, leur permettant de

réaliser des compositions presque impeccables.

La composition d’un enfant de six ans reprise à

la figure 7-3 n’a rien à envier à la composition

de l’artiste Juan Miró à la figure 7-2.

Malheureusement, nous l’avons vu, cette

faculté se perd lorsque l’enfant approche de

l’adolescence, peut-être en raison d’une

dominance croissante de l’hémisphère gauche

et de sa prédilection pour l’identification, la

James Lord nous décrit la réaction de l’artiste

Alberto Giacometti face à un espace vide :

« II se remit à peindre une fois encore, mais

après quelques minutes il se tourna vers

l’endroit où s’était trouvé le buste, comme

pour l’examiner de nouveau, et s’exclama:

‘Oh, il n’est plus là!’ Comme je lui rappelais

que Diego l’avait emporté, il déclara: ‘Oui,

mais je croyais qu’il était là. J’ai regardé et.

soudain, j’ai vu le vide. J’ai vu le vide, C’est la

première fois que cela m’arrive ».

James Lord, A Giacometti Portrait

« Rien n’est plus réel que rien ».

Samuel Beckett

« L’intérieur d’une tasse ne vous serait jamais

d’aucune utilité sans l’extérieur. L’intérieur et

l’extérieur vont de pair. Ils sont un ».

Alan Watts

dénomination et la classification. Une concentration de l’attention sur les objets en particulier

semble se substituer à la vision globale de l’environnement chez le jeune enfant pour qui

chaque chose a son importance, y compris les espaces négatifs que sont le ciel, le sol et l’air.

91

Il faut souvent des années de pratique pour

convaincre les élèves comme les artistes

expérimentés le sont eux-mêmes. que les espaces

négatifs, limités par le format. exigent le même

effort d’attention et de soin que les formes

positives. Les élèves débutants prodiguent

généralement toute leur attention aux objets, aux

personnes, ou aux formes qu’ils dessinent puis se

contentent. si l’on peut dire, de « remplir le

fond ». Ceci peut vous paraître difficilement

« L’expression, pour moi, ne réside pas dans

la passion qui éclatera sur un visage ou qui

s’affirmera par un mouvement violent, Elle

est dans toute la disposition de mon tableau :

la place qu’occupent les corps, les vides qui

sont autour d’eux, les proportions, tout cela y

a sa part ».

Henri Matisse, « Notes d’un peintre »

croyable, mais lorsqu’on consacre toute son attention aux espaces négatifs, les formes se

dessinent d’elles-mêmes. Je vous le montrerai par des exemples bien précis.

Les citations du dramaturge Samuel Beckett et du philosophe Zen Alan Watts énoncent

clairement ce principe. En Art, comme le dit Beckett, rien n’est plus réel que rien (dans le

sens d’espace vide). Et comme le dit Alan Watts, l’intérieur et l’extérieur sont un. Vous avez

vu dans le dernier chapitre qu’en dessin, les objets et les espaces qui les entourent

s’assemblent comme les pièces d’un puzzle. Toutes les pièces sont importantes, et une fois

assemblées, elles remplissent la surface entière comprise entre les quatre côtés du jeu — c’est-

à-dire le format.

Fig. 7-4. Henri de Toulouse-Lautrec (1864-1901). Le Jockey. Avec l’aimable autorisation du Musée d’Art

de Cleveland. Collection de M. et Mme Charles Prasse.

92

Le dessin du jockey de Toulouse-Lautrec est un exemple

d’assemblage exact des formes et des espaces (figure 7-4),

ainsi que la nature morte de Paul Cézanne (figure 7-5) et la

Femme Nue de Dürer (figure 7-6).

DESSIN DES ESPACES NEGATIFS : QUAND LES

ESPACES PRENNENT FORME

Nous allons à présent exploiter une autre lacune du mode-G.

L’hémisphère gauche est mal équipé pour opérer à partir des

espaces négatifs. Il ne peut les nommer, les identifier, les

classer selon les catégories qu’il s’est établies, ou leur

assigner des symboles tout faits. Il semble effectivement que

les espaces négatifs perturbent le cerveau gauche qui refuse

de s’en occuper. Ce travail est donc relégué au cerveau droit

et c’est précisément ce que nous souhaitons !

Fig. 7-6. Albert Dürer (1471-1528). Femme Nue avec un Bâton

(1508). Avec l’aimable autorisation de la National Gallery of

Canada à Ottawa. Les formes négatives qui entourent le personnage

présentent des dimensions et des configurations d’une merveilleuse

variété.

Le cerveau droit, plus éclectique, plus complaisant, plus démocratique (au sens figuré) semble

à l’aise avec les espaces négatifs. Dans le cerveau droit, les espaces et les objets, le connu et

l’inconnu, l’identifié et l’anonyme, tout est égal. Tout l’intéresse et plus l’information visuelle

qui frappe la rétine est étrange et complexe et plus elle lui plaît.

Essayons de nous en rendre compte. Nous commencerons avec des objets, pour ne pas heurter

le mode-G dès le départ.

Fig. 7-7.

Fig. 7-8.

1. Sur une feuille de papier, dessinez de grandes formes : deux étoiles de mer, trois pipes, des

instruments de musique, quelques formes abstraites, ou n’importe quel objet. Ce sont les

formes positives. Regardez l’exemple des étoiles de mer à la figure 7-7. Faites en sorte que les

formes positives touchent les bords du format en deux endroits au moins, comme le montre

l’exemple. Les espaces autour de l’étoile sont les espaces négatifs.

93

2. Pour bien vous imprégner de l’idée qu’en dessin les espaces sont considérés comme des

formes en soi, repassez le dessin avec votre crayon consciemment et délibérément, pour

souligner fortement la forme des espaces, y compris les bords du papier, qui composent

également la forme de l’espace négatif.

3. Fixez à présent votre regard sur l’une de ces surfaces renforcées jusqu’à ce qu’elle vous

apparaisse comme une forme. Cela prend un certain temps. Le cerveau gauche face à une

forme qui n’a pas de nom l’examine attentivement pendant un long moment, essayant de

l’identifier. Incapable d’assimiler cet espace à une chose connue, il finit par se désister : « Je

ne sais pas ce que c’est. Ce genre de chose est sans intérêt pour moi et si tu veux continuer de

la regarder, tu (le cerveau droit) devras t’en occuper, Ca ne m’intéresse pas ». Très bien !

C’est justement ce que nous voulons. Continuez de fixer l’un de ces espaces, et il vous

apparaîtra comme une forme.

4. Noircissez les espaces à l’aide d’un crayon ou d’une plume, comme à la figure 7-9, afin de

renforcer d’avantage votre vision des espaces négatifs en tant que formes. Encore une fois,

fixez votre regard sur ces formes, l’une après l’autre,jusqu’à ce que vous puissiez les voir en

tant que telles.

5. Ensuite, à l’aide de ciseaux, découpez les espaces négatifs. Prenez-les. Voyez-les comme

des formes. Tournez-les de différentes manières. Ensuite, avec de la colle ou du papier

collant, assemblez-les de nouveau avec les formes positives sur une nouvelle feuille de papier,

si possible de couleur différente. Etant donné que les espaces négatifs partagent les côtés des

formes positives, les pièces découpées qui forment les espaces négatifs, lorsqu’elles sont

recollées à leur place, construisent également la forme positive.

Il s’agit d’un point important de l’exercice. Comme vous l’avez appris par le dessin de

contour, les formes positives et les espaces négatifs se partagent les mêmes côtés. Si vous

dessinez l’un, vous dessinez inévitablement l’autre. Vérifiez encore une fois mentalement ce

principe. Regardez un objet — les ciseaux que vous venez d’utiliser, par exemple. Si vous

dessinez la forme des espaces à l’intérieur des branches, les bords de ces espaces négatifs

forment également les bords intérieurs des branches elles-mêmes.

Fig. 7-9.

Fig. 7-10.

94 Fig. 7-5.

Paul Cézanne (l839-1936),Le Vase de Tulipes. Avec

l’aimable autorisation de l’Art Institute of Chicago.

En plaçant la forme positive de sorte qu’elle touche

le bord du format en plusieurs endroits, Cézanne a

fermé et séparé les formes négatives, ce qui

contribue autant que les formes positives elles-

mêmes à la valeur et à l’équilibre de la composition.

Le poète John Keats a écrit que pour comprendre la

poésie, il fallait vouloir se transposer dans un état

d’esprit particulier, qu’il appelait « negative

capability »*. Selon lui, cet état d’esprit permet de

tolérer l’incertitude, le mystère et le doute sans

ressentir le besoin agacé des faits et de la raison.

*N.d.T. Capacité négative.

Une analogie

Fig. 7-11

Fig. 7-12.

95

Laissez-moi vous expliquer cela autrement. Vous avez probablement déjà vu des dessins

animés au cinéma ou à la télévision où l’un des personnages — Bugs Bunny, par exemple —

court le long d’un couloir et passe au travers d’une porte fermée, y laissant un trou en forme

de Bugs Bunny. Représentez-vous ce paradoxe apparent : ce qui reste de la porte, c’est

l’espace négatif et le bord intérieur de cette forme est à la fois le bord de l’espace négatif et le

contour de la forme positive (Bugs Bunny). Autrement dit, le trou vide et la porte matérielle

se partagent le même contour et en dessinant l’un, vous dessinez l’autre.

Regardez maintenant un meuble dont les espaces sont ouverts—un tabouret, un fauteuil à

bascule, un pupitre, une chaise à bâtons dont le dossier est formé de barreaux. Imaginez-vous

que — pouf! — la chaise est partie, laissant des espaces négatifs intacts et concrets.

En gardant cette image à l’esprit, regardez maintenant l’un des espaces intérieurs indiqués par

des flèches aux figures 7-11 et 7-12. Fixez-le jusqu’à ce que cet espace vous apparaisse

comme une forme. Rappelez-vous que cette vision ne se produit qu’après un certain temps. Il

est probable que l’hémisphère gauche examinera cet espace, considérera l’information comme

inappropriée à son style de fonctionnement et reléguera le travail à l’hémisphère droit.

Entraînez-vous à percevoir les espaces négatifs des objets plusieurs fois au moins, passant

d’un espace à l’autre, et attendez que la forme de l’espace apparaisse à vos yeux — attendez

de percevoir l’espace comme une forme.

UTILISATION D’UN VISEUR : LE CADRAGE

Nous allons à présent délimiter la perception de l’ensemble —

forme positive et espace négatif à l’intérieur du format— en

utilisant un aide visuel appelé viseur.

Construisez un viseur de la manière suivante :

1. Prenez une feuille ou un carton mince de mêmes

dimensions que la feuille que vous utilisez pour dessiner. Le

viseur doit avoir le même format, c’est-à-dire la même forme

et les mêmes proportions que votre feuille à dessin.

2. Tracez les diagonales, partant des coins opposés et se

joignant au centre. Au centre de la feuille, dessinez un petit

rectangle en reliant deux verticales et deux horizontales en

quatre points situés à égales distances sur les diagonales. Ce

Fig. 7-13.

rectangle intérieur devrait avoir des côtés de 2,5 cm et 3 cm (voir figure 7-13) pour respecter

les proportions de la feuille.

3. Découpez ensuite le petit rectangle central à l’aide de ciseaux. Tendez la feuille devant

vous et comparez la forme de la petite ouverture avec le format général. Vous constatez que

les deux formes sont les mêmes, et que, seules, leurs dimensions diffèrent. Cet aide visuel

s’appelle un viseur. Il vous aidera à voir les espaces négatifs en délimitant l’espace qui

entoure la forme.

96

Fig. 7-14. François Boucher (1703-1770), Nu assis. Avec l’aimable autorisation du Rijksmuseum, Amsterdam.

4. Tenez votre viseur devant vous, fermez un oeil (ou cachez-le d’une main) et regardez une

chaise à travers l’ouverture. Il se peut que vous deviez déplacer le viseur vers vous ou vers

l’objet, afin d’encadrer ce dernier de manière à le voir au maximum. Déplacez le viseur

jusqu’à ce que la chaise touche les bords en deux points au moins (figure 7-15).

5. Dirigez à présent votre regard vers l’un des espaces négatifs qui entourent la chaise et

attendez qu’il vous apparaisse comme une forme ainsi que vous l’avez fait pour dessiner les

étoiles de mer.

6. Maintenant, imaginez que la chaise disparaît et que, comme dans le dessin animé où Bugs

Bunny passe à travers une porte, seuls subsistent les espaces négatifs en tant que formes. C’est

ce que vous allez dessiner : les espaces négatifs. Je montrerai tout d’abord quelques exemples

et puis j’expliquerai pourquoi cette technique est tellement efficace et pourquoi elle est tant

appréciée des artistes.

Fig. 7-15.

Fig. 7-16.

97

Exercice supplémentaire :

7a. Entraînez-vous à voir les espaces négatifs en découpant une photographie dans une revue,

ou la photocopie d’un dessin de maître, comme le nu de Boucher à la Figure 7-14.

Réassemblez uniquement les pièces figurant les espaces négatifs, en les collant sur une feuille

de papier noir. Comme vous le constatez, les espaces négatifs forment le personnage parce

qu’ils partagent les mêmes côtés que le personnage.

Un paradoxe : dessiner quelque chose en dessinant le vide

Vous remarquerez qu’aucune ligne descriptive intérieure n’est reprise dans les figures 7-16 et

7-19. La représentation semble pourtant complète car la chaise elle-même et les espaces

négatifs qui l’entourent se partagent le même contour. Quand on dessine la forme des espaces

négatifs, on dessine inévitablement l’objet, et, qui plus est, on le dessine facilement. Et

lorsqu’on accorde autant d’importance aux espaces négatifs qu’aux formes elles-mêmes, le

dessin devient également plus agréable à regarder. En effet, on résout de cette manière le

problème de la composition : on réalise l’unité des espaces et des formes en accordant une

importance égale à chaque « pièce du puzzle » à l’intérieur des limites du format.

Pourquoi le dessin est-il plus facile lorsqu’on dessine la forme des espaces négatifs ? Je pense

que le cerveau gauche, incapable de nommer ou de classer un espace négatif, cesse d’imposer

ce qu’il connaît de la chaise et laisse le cerveau droit prendre le relais. Le problème, quand

nous dessinons une table ou une chaise, ou tout autre objet que nous serions susceptibles de

dessiner, est que nous les connaissons trop bien. Nous savons que le dessus d’une table est

plat et rectangulaire (ou rond, ou ovale) ; les pieds sont tous de la même longueur; l’assise des

chaises est plate et perpendiculaire au dossier ; elle est suffisamment large et longue pour

qu’on y soit confortablement assis, les pieds sont tous de la même longueur, etc.

Quand un élève débutant se met à dessiner une chaise ou une table, les connaissances verbales

et analytiques de mode-G préalablement accumulées contredisent les informations visuelles

qui parviennent au cerveau. Les tables et les chaises vues sous un angle oblique peuvent ne

présenter, visuellement, aucune des caractéristiques que nous leur attribuons : les angles droits

apparaissent comme des angles aigus ou obtus, les cercles ressemblent à des ovales ou se

présentent comme des lignes droites, les pieds semblent être de trois ou quatre longueurs

différentes, comme le montre la figure 7-16.

C’est pourquoi l’élève essaie de résoudre le problème des tables et des chaises de deux

manières différentes ; il utilise deux sources d’informations contradictoires et un conflit

s’engage. Reprenez à présent le dessin préliminaire que vous avez fait d’une chaise. Peut- être

trouvez-vous dans ce dessin la trace de vos efforts pour tenter de réconcilier ce que vous

connaissiez des chaises et ce que vous en voyiez.

LE CONFLIT COGNITION – PERCEPTION

Aux figures 7-17 et 7-18 les deux dessins d’élèves représentant un projecteur de diapositives

sur un chariot illustrent graphiquement ce conflit et la manière de le résoudre. Dans le premier

dessin, à la figure 7-17, l’élève a éprouvé de grandes difficultés pour réconcilier les

98

Fig. 7-17.

Fig. 7-18. Robert Dominguez

connaissances qu’il avait acquises sur ce que les objets « étaient censés paraître » et ce qu’il

en voyait réellement. Remarquez que dans ce dessin les pieds du chariot sont tous de la même

longueur et que les roues sont figurées par un symbole. Lorsque l’élève s’est mis à dessiner

sur le mode-D, en s’aidant d’un viseur et en ne dessinant que la forme des espaces négatifs.

les résultats ont été nettement plus brillants (figure 7-18). Le passage de l’information visuelle

s’est apparemment fait plus librement : le dessin est plus assuré et semble fait avec plus

d’aisance. Et de fait, l’élève a réalisé ce dessin avec une grande facilité parce qu’il avait réussi

à se jouer de son hémisphère gauche et à lui imposer le silence.

Le fait n’est pas que les informations visuelles obtenues en regardant les espaces négatifs

plutôt que les objets eux-mêmes soient moins complexes et plus faciles à dessiner. Après tout.

le contour des espaces négatifs est le même que celui de la forme elle-même. Mais en

observant les espaces, nous libérons le mode—D de la domination du mode-G. Autrement dit,

en nous concentrant sur les informations qui ne conviennent pas au mode de fonctionnement

du cerveau gauche, nous arrivons à « débrancher » le mode-G et le travail est relégué à

l’hémisphère compétent pour le dessin, à savoir l’hémisphère droit. A ce moment, le conflit

cesse et, grâce au mode-D, le cerveau traite avec aisance les informations spatiales et

relationnelles.

PRENEZ UNE CHAISE - VOUS POUVEZ COMMENCER

Vous êtes prêt, à présent, pour dessiner vous-même une chaise en utilisant la méthode des

espaces négatifs.

Avant de commencer : Lisez toutes les instructions spécifiques suivantes.

99

1. Choisissez la chaise que vous allez dessiner. Utilisez une chaise réelle, pas une

photographie.

Lors d’une conversation avec son ami André Marchand, Henri

Matisse a décrit le processus qui permet de changer de mode de

perception en passant d’une manière de voir à une autre :

« Savez-vous que l’homme n’a qu’un oeil, qui regarde et

enregistre tout, cet oeil, comme un superbe appareil

photographique, fabrique de minuscules clichés très précis, tout

petits : en possession de ce cliché, l’homme se dit : cette fois je

connais la réalité des choses et le voilà tranquille pour un

instant, puis lentement se superposant à ce cliché un autre oeil

surgit, invisible, qui, lui, fabrique de toutes pièces un autre

cliché. Alors, notre homme n’y voit plus clair, un combat

s’engage entre le premier oeil et le deuxième oeil, la lutte est

acharnée, finalement le deuxième oeil a le dessus, fait

prisonnier le premier oeil, sans discussion au poteau : dominant

la situation, le deuxième oeil peut continuer désormais son

travail, élaborer son propre tableau selon les lois de la vision

intérieure, cet oeil unique se trouve ici » (et Matisse montre le

sommet de son crâne).

Marchand n’a pas précisé quel côté de son cerveau Matisse

avait montré.

J. Flam, Matisse on Art

Fig. 7-19.

2. Elevez votre viseur (en vous référant à la figure 7-15) et regardez la chaise à travers

l’ouverture en fermant un oeil ou en le couvrant. (En fermant un oeil, on aplanit l’image car

on limite la vue à une image monoculaire, c’est-à-dire une image unique. La vision

binoculaire — avec les deux yeux ouverts — produit une image double nous permettant de

percevoir les formes en trois dimensions.) Si cela vous gêne de regarder avec un oeil fermé,

ne vous préoccupez pas de ce détail. Vous y arriverez très bien avec les deux yeux ouverts. II

est simplement un peu plus facile de dessiner une image plane, vue d’un seul oeil, sur la

surface plane de la feuille. La plupart des artistes utilisent ce procédé, du moins à certaines

occasions.

3. Cadrez la chaise en vous aidant du viseur de sorte qu’elle touche les bords de l’ouverture en

deux points au moins.

4. Regardez longuement l’image toute entière comme si vous vouliez la mémoriser, pour la

fixer dans votre esprit.

5. Regardez ensuite la feuille sur laquelle vous allez dessiner. Visualisez la forme positive de

la chaise sur le papier exactement telle que vous l’avez perçue dans le viseur.

6, Regardez maintenant à travers le viseur. Fixez des yeux l’espace négatif qui se trouve d’un

côté de la chaise. Attendez qu’il vous apparaisse comme une forme. Regardez à présent votre

feuille et imaginez la forme sur le papier, en vous rappelant que les bords du viseur

correspondent aux bords de votre feuille.

7. Votre tâche consiste maintenant à dessiner uniquement les espaces, l’un après l’autre. Vous

pouvez dessiner tous les espaces extérieurs puis tous les espaces intérieurs, ou vice versa.

Vous pouvez commencer par où vous voulez parce que toutes les formes vont s’assembler à la

manière des pièces d’un puzzle. Vous n’avez aucune question à vous poser au sujet de la

chaise. En fait, vous n’avez pas à penser du tout à la chaise. Et ne vous demandez pas

100

pourquoi tel côté d’un espace se dispose de telle manière. Dessinez simplement ce que

vous voyez.

Fig. 7-20.

Fig. 7-21.

8. Si le côté d’un espace est oblique,

demandez-vous quel angle forme ce côté par

rapport au bord du viseur qui représente la

verticale. Ensuite, en vous référant au bord de

votre feuille comme représentant la même

verticale, tracez le côté en formant l’angle tel

que vous le voyez.

Laissez-moi vous expliquer ce point qui est

très important. Supposons qu’à travers le

viseur vous voyiez que le côté d’un espace

négatif forme un certain angle par rapport au

bord du viseur, comme à la figure 7-20. Sur

votre feuille à dessin, vous dessinerez ce côté

de l’espace négatif de sorte qu’il forme le

même angle par rapport au bord de votre

feuille (figures 7-21 et 7-22). En d’autres

mots, les bords de votre viseur et les bords de

votre feuille représentent la verticale et

l’horizontale telles que vous les percevez

dans le monde réel.

Fig. 7-22.

9. Plus loin dans le dessin, vérifiez les horizontales de la même manière : quel angle forme ce

côté par rapport à l’horizontale (c’est-à-dire le bord supérieur ou inférieur du viseur et de

votre feuille à dessin) ?

101

10. Encore une fois, pendant que vous dessinez, tâchez de prendre mentalement note de la

sensation que suscite ce nouvel état de conscience — la perte de toute notion du temps, le

sentiment de « se fixer» sur l’image, et la merveilleuse sensation de fascination devant la

beauté des perceptions. Au cours de ce processus, les espaces négatifs vous sembleront

toujours plus intéressants par leur étrangeté et leur complexité. Si vous éprouvez des

difficultés pour une quelconque partie du dessin, demandez-vous « Quelle est la forme (ou

l’orientation, ou la longueur) de cet espace ? » et attendez de la percevoir à la manière du

mode-D. De nouveau, rappelez-vous que tout ce que vous devez savoir pour faire ce dessin se

trouve devant vous, à votre portée.

Après avoir terminé : pour acquérir plus de dextérité dans l’utilisation des espaces négatifs,

poursuivez avec les exercices 7b-f, page 112.

TRAVAUX D’ELEVES - Chaises en tous genres

Les dessins réalisés par la méthode des espaces négatifs sont d’un attrait surprenant, même

lorsque les formes positives sont des objets aussi terre à terre que des chaises d’école. On peut

supposer que cette méthode est aussi efficace dans la mesure où elle permet d’élever à un

niveau conscient l’unité entre formes positives et espaces négatifs. Une autre raison viendrait

du fait que cette technique établit une répartition particulièrement intéressante de la surface

entière comprise dans le format. Les dessins d’élèves ci-dessous présentent cette intéressante

distribution formes/espaces.

Le dessin vous apprendra à voir clairement les choses et de là, il vous apprendra à envisager

lucidement les problèmes quels qu’ils soient et voir les choses dans leur juste perspective. Au

cours du chapitre suivant, nous tenterons de saisir les rapports de perspective à la manière de

l’artiste et cette technique vous sera utile pour résoudre autant de questions qui puissent vous

venir à l’esprit.

Georgete Zuleski

Ricardo da Graça

102

Ricardo da Graça

Wendy Pickerell

Wendy Pickerell

103

Exercices supplémentaires

7b. En vous aidant d’un viseur pour cadrer l’image, dessinez les espaces négatifs dune plante,

de forme complexe si possible (Voir figure 7-23).

7c. En délimitant la forme à l’aide d’un viseur, dessinez les espaces négatifs d’un objet

ménager ordinaire :un fouet, une planche à repasser. un ouvre-boîte (Voir figure 7-24).

7d. Dessinez les espaces négatifs d’un personnage à partir d’une photographie. Essayez de

trouver un sujet dans une position dynamique compliquée : un joueur de football, une

danseuse classique, un ouvrier de la construction, une personne en train de bêcher, etc. Dans

ce dessin, vous combinerez deux méthodes: Placez la photo la tête en bas et dessinez les

espaces négatifs, Les bords extérieurs de la photo limitent les formes et les espaces. Assurez-

vous d’utiliser le même format pour votre dessin — la même forme toutes proportions

gardées — que la photographie (Voir figure 7-25).

e. Observez la manière dont Winslow Homer a utilisé les espaces négatifs dans son dessin

d’un enfant dans un fauteuil. Essayez de copier ce dessin (Voir figure 7-26).

7f. Copiez le dessin de Pierre-Paul Rubens. Etudes de Bras et de Jambes (Figure 7-27).

Retournez l’original et dessinez les espaces négatifs. Replacez alors le dessin à l’endroit et

complétez par les détails intérieurs des formes. Ces formes en raccourci « difficiles » se

dessinent plus facilement lorsqu’on concentre son attention sur les espaces qui les entourent.

Fig. 7-23. Ed. Gonzales

Fig. 7-24, Fay Conn

104

Fig. 7-25, Urban Dean Bury

Fig. 7-26. Winslow Homer (1836-1910), Child

Seated in a Wicker Chair (1874). Avec l’aimable

autorisation du Sterling and Francine Clark Art

Institute.

Fig. 7-27. Pierre-Paul Rubens (1577-1640). Etudes

de Bras et de Jambes. Avec l’aimable autorisation

du Musée Boymans-Van Beuningen, Rotterdam.

105

106

Coup d’oeil a la ronde : la perspective sur un mode nouveau

L’une des premières étapes dans la résolution d’un problème consiste à identifier les éléments

en jeu et à considérer les choses dans une certaine « perspective ». Pour ce faire, il faut être

capable de percevoir les différents aspects d’un problème dans leurs rapports véritables et

dans leur importance relative réelle.

Pour dessiner les choses en perspective, il suffit d’employer le procédé que vous venez

d’apprendre : il faut voir les choses telles qu’elles sont dans la réalité qui nous entoure. Dans

les deux cas, nous devons abandonner nos préjugés, les stéréotypes accumulés et mémorisés,

ainsi que notre tournure d’esprit. Nous devons surpasser nos interprétations fausses, qui se

fondent souvent sur ce que nous croyons devoir trouver devant nous alors que nous n’avons

peut-être jamais vraiment bien regardé ce que nous avions juste sous les yeux.

Des siècles durant, les artistes ont recherché la manière de représenter le monde en trois

dimensions sur la surface plane de leurs dessins ou de leurs tableaux. Les différentes

civilisations ont établi diverses conventions ou systèmes de perspectives. Le terme

« perspective » vient du latin prospectus qui signifie « envisager ». Le système qui nous est le

plus familier, la perspective linéaire, fut perfectionné par les artistes de la Renaissance. La

perspective linéaire leur permettait de reproduire les variations visuelles des lignes et des

formes telles qu’elles apparaissaient dans l’espace.

Fig. 8-1. Albert Dürer, Le Dessinateur de la femme couchée (1525). Avec l’autorisation du Metropolitan

Museum of Art, New York. Don de Felix M. Warburg, 1918.

Dans d’autres civilisations — les civilisations égyptienne et orientale, par exemple — les

artistes avaient créé un système de perspective en escalier ou en gradin dans lequel la place

occupée par l’objet depuis le bord inférieur jusqu’au bord supérieur du tableau figurait la

position de cet objet dans l’espace. Dans ce système, que les enfants utilisent souvent, les

formes qui figurent tout au-dessus de la page — quelle que soit leur taille — sont considérées

comme les plus éloignées. Plus récemment, les artistes se sont insurgés contre les conventions

rigides de la perspective et ont imaginé de nouveaux systèmes qui exploitent les qualités

spatiales abstraites des couleurs, des textures, des lignes et des formes.

La perspective traditionnelle de la Renaissance, quant à elle, se conforme très étroitement à la

façon dont la civilisation occidentale perçoit les objets dans l’espace. D’après notre perception

visuelle, les lignes parallèles convergent en certains points situés à l’infini sur une ligne

d’horizon (au niveau des yeux de l’observateur) et les formes semblent décroître à mesure

qu’elles s’éloignent de l’observateur. C’est pourquoi le dessin réaliste dépend largement de

ces principes. L’eau-forte de Dürer (figure 8-l) illustre ce système de perception visuelle.

107

LE PROCEDE DE DÜRER

Dans l’illustration de Dürer, l’artiste,

maintenant la tête dans une position constante

(à noter, le repère vertical qui concrétise le

point de vue), regarde à travers une grille

dressée devant lui. L’artiste observe son

modèle d’un point de vue qui raccourcit sa

perception visuelle, c’est-à-dire un point de

vue à partir duquel l’axe principal du

personnage qui le traverse de la tête aux

pieds, coïncide avec le rayon visuel de

l’artiste. De ce point de vue, les parties du

personnage les plus éloignées (la tête et les

épaules) paraissent plus petites qu’elles sont

en réalité, et les parties les plus proches (les

genoux et le bas des jambes) semblent plus

grands.

Fig. 8.2. Ce que voyait Dürer, approximation.

Sous les yeux du dessinateur de Dürer, posée sur une table à dessin, se trouve une feuille de

mêmes dimensions que la grille, quadrillée de manière identique. L’artiste dessine sur le

papier ce qu’il perçoit à travers la grille, en ajustant minutieusement sur son dessin les angles,

les courbes et la longueur des lignes par rapport aux verticales et aux horizontales de la grille.

S’il dessine exactement ce qu’il voit, il reproduira sur le papier une vision en raccourci du

modèle. Les proportions, les formes et les dimensions seront en contradiction avec ce que

l’artiste connaît des proportions, formes et dimensions réelles du corps humain ; mais seule la

reproduction des proportions fausses qu’il perçoit lui permettra de réaliser un dessin fidèle à

la réalité.

Que voyait Dürer à travers sa grille ? J’ai schématisé une vue approximative (figure 8-2). Si

vous observez l’image dans le détail, vous remarquerez que la plupart des formes ne

correspondent pas à ce que nous connaissons de la configuration anatomique de l’être humain.

Mais en considérant l’ensemble, nous interprétons les traits dans leur signification

tridimensionnelle, comme un personnage vu dans l’espace à partir d’un point de vue donné.

Nous ne remarquons pas de déformation parce que nous ajustons mentalement l’image pour

qu’elle corresponde à ce que nous connaissons.

Le problème que pose l’utilisation du raccourci en dessin vient du fait que la rectification

mentale de nos perceptions visuelles interfère avec le dessin et que nous avons tendance à

dessiner les choses telles que nous les connaissons et non telles que nous les voyons. Le

procédé de Dürer était précisément conçu pour remédier à cette difficulté: en utilisant une

grille et un point de vue fixe, il s’obligeait à dessiner la forme exactement telle qu’il la voyait,

avec ses « fausses » proportions.

Le mérite de la perspective de la Renaissance fut donc de codifier et de systématiser une

méthode pour surpasser la connaissance qu’a l’artiste des surfaces et des formes, et de lui

donner le moyen de dessiner les formes telles qu’elles apparaissent à l’oeil — y compris les

déformations optiques dues à la position de la forme dans l’espace par rapport à l’oeil de

l’observateur.

Cette méthode a donné d’excellents résultats et a permis de résoudre le problème que se

posaient les artistes soucieux de créer une illusion de profondeur sur une surface plane —

108

autrement dit, de recréer le monde visible. Le simple procédé de Dürer évolua vers un

système mathématique compliqué qui permettait aux artistes de la Renaissance de vaincre la

résistance que leur esprit opposait à la déformation optique des choses et qui les empêchait de

dessiner avec réalisme.

Mais ce système ne va pas sans poser de problèmes. Pour être suivie à la lettre, la perspective

linéaire exige un point de vue fixe, or les artistes ne dessinent pas avec la tête maintenue dans

une position rigide. De plus, une application rigoureuse des règles de la perspective peut

donner lieu à des dessins rigides et austères.

Toutefois, le problème le plus sérieux de la perspective linéaire vient de son étroite relation

avec le cerveau gauche. Ce système relève du mode de fonctionnement de l’hémisphère

gauche : analyse, comptage, intelligence discursive, logique propositionnelle, calcul mental. Il

se fonde sur des concepts tels que la ligne de fuite, la ligne d’horizon (voir figure 9-3), la

perspective de cercles et d’ellipses, et d’autres encore. Ce système détaillé et compliqué

s’oppose radicalement au style du mode-D et à son caractère extatique « mi-dérisoire, mi-

sérieux ».

Heureusement, une fois la perspective comprise dans ses termes généraux, on peut

l’abandonner. En effet, si vous arrivez à voir de la manière prescrite dans ce cours, alors vous

n’aurez plus besoin du tout de la perspective.

LA VISEE : EVALUATION DES ANGLES PAR RAPPORT AUX BORDS DE LA

FEUILLE

De nos jours, les artistes n’utilisent

plus guère le système de la

perspective, même pour le dessin

réaliste. La déformation due à la

position des objets dans l’espace est

perçue visuellement et la plupart des

artistes dessinent « à vue » —

employant une méthode plutôt qu’un

système. La méthode qui consiste à

dessiner « à vue » s’appelle visée.

La visée est un procédé par lequel on

compare les rapports d’angles, de

points, de formes et d’espaces. La

visée est une perspective visuelle,

l’information optique étant

directement perçue par l’oeil et

dessinée par l’artiste sans

rectification. La visée n’exige ni

équerre, ni T, ni règle, ni rapporteur.

Tout ce dont vous avez besoin est un

crayon et du papier. La seule

condition supplémentaire est d’impo-

ser le silence au mode-G qui restera

hors du jeu et qui ne protestera pas

lorsque vous dessinerez les choses

telles qu’elles vous apparaissent et

non d’après ce que vous en savez.

Fig. 8-3. Illustration de la perspective classique. Notez

que les lignes verticales restent verticales ; les côtés

horizontaux convergent vers un point de fuite (ou

plusieurs) situé sur la ligne d’horizon (qui se trouve

toujours au niveau des yeux de l’artiste). Il s’agit d’une

perspective unique dans un espace réduit. Les

perspectives à deux ou trois points de fuite sont des

systèmes complexes dont les points de fuite multiples

débordent souvent largement du cadre de la feuille et qui

exigent l’utilisation d’une grande table à dessin,

d’équerres en T, de lattes. etc. La visée sur le mode-D est

beaucoup plus commode et suffisamment précise pour la

plupart des dessins.

D’après le Professeur d’Art Graham Collier, dans les

premiers temps de sa conception et de son évolution, la

perspective de la Renaissance était utilisée de manière

créative et imaginative pour rendre au tableau ce qui

devait être une terrifiante impression de profondeur.

« Cependant, aussi efficace soit-elle », ajoute Collier, « la

perspective peut porter un coup fatal à la vision naturelle

de l’artiste une fois qu’elle est acceptée comme un

système — comme une formule mécanique ».

Graham Collier, Form Space and Vision

109

Au chapitre 5, j’ai expliqué que la plupart des élèves débutants avaient tendance à négliger

les bords de leur feuille comme s’ils étaient inexistants ou presque. Pourtant, les bords de la

feuille sont un élément-clé de la perspective et ils vous permettront de reproduire sur la

surface plane du dessin les formes tridimensionnelles que vous avez sous les yeux.

Les bords de la feuille représentent la verticale et l’horizontale. Comme vous l’avez vu au

chapitre 5, les jeunes enfants comprennent intuitivement ce principe. Dans les dessins

d’enfants, le sol c’est le bord inférieur de la feuille et le ciel c’est le bord supérieur. Si quelque

chose s’élève dans l’air, comme une échelle ou un building, par exemple, l’enfant le dessine

parallèlement aux bords latéraux de sa feuille.

L’artiste adulte utilise les bords de la feuille d’une manière

différente ; il ne les considère pas en tant que bords

supérieur, inférieur ou latéraux, mais plutôt comme les

délimitations de l’image et comme les repères de verticalité

et d’horizontalité, repères par rapport auxquels il est

possible d’évaluer les angles de perspective et l’orientation

des lignes. La technique consiste à employer le mode-D

pour évaluer les angles ou l’orientation des lignes par

rapport à la verticale et à l’horizontale et à dessiner ensuite

les mêmes angles et des lignes pareillement orientées par

rapport aux bords de la feuille, qui représentent la verticale

et l’horizontale.

Il vous faut à présent pratiquer l’exercice suivant pendant un

moment. Tenez votre crayon parfaitement à la verticale.

Fermez un oeil et évaluez l’orientation de l’un des côtés

d’un objet, une chaise, par exemple,par rapport à la

Fig. 8-4.

verticale de votre crayon (voir figure 8-4). Dessinez ensuite ce côté sur une feuille en vous

référant au bord vertical de cette feuille (figure 8-5).

Maintenant, tenez votre crayon bien hori-

zontalement sur un plan parallèle à vos yeux.

(Tendez votre crayon horizontalement des deux

mains afin de le maintenir parallèle à vos yeux).

Fermez un oeil et observez une autre partie de la

chaise par rapport à l’horizontale de votre crayon

(voir figure 8-6). Cette autre partie peut être

horizontale, comme dans notre illustration, ou, selon

votre point de vue, elle peut former un angle par

rapport à l’horizontale (voir figure 8-7). Quoi

« Pour paraphraser la remarque

d’Eugène Delacroix sur l’étude de

l’anatomie, il faudrait apprendre la

perspective — et l’oublier ensuite. Ce

qu’il en reste — une sensibilité à la

perspective — facilite la perception et

varie selon les individus et leurs besoins

réactifs ».

Nathan Goldstein, The Art of Responsive

Drawing

qu’il en soit, vous êtes capable maintenant de dessiner le même angle par rapport au bord

supérieur ou inférieur de votre feuille. Afin de bien vous pénétrer de ce principe, faites les

exercices 8a et b.

110

Fig. 8-5.

Fig. 8-6.

Fig. 8-7.

La visée dans le dessin de personnage

Cette technique qui consiste à utiliser les bords de la feuille comme repères de verticalité et

d’horizontalité pour mesurer les angles est tout aussi fondamentale pour dessiner les

personnages que pour dessiner les objets. Les esquisses faites par des artistes portent souvent

la trace des lignes de visée utilisées, comme dans le dessin d’Edgar Degas, Danseuse ajustant

son chausson (figure 8-8). Les détails que Degas visait étaient probablement la position de

l’orteil gauche par rapport à l’oreille et l’angle du bras par rapport à la verticale.

Exercices supplémentaires

8a. Pendant une conversation, notez l’angle d’inclinaison de la tête de votre interlocuteur par

rapport à la verticale.

8b. Copiez la photographie d’un intérieur ou d’un paysage avec une rue et des maisons.

Vérifiez les angles par rapport aux bords de la photo. Reproduisez les mêmes angles sur

votre feuille.

111

UNE VERSION MODERNE DU PROCEDE DE DÜRER

Vous expérimenterez ensuite la technique de la visée en

utilisant une version moderne de l’expérience de Dürer.

1. Prenez une feuille de plastique transparent comme celles

qu’on utilise pour emballer les aliments. Etalez-la sur une

fenêtre qui donne sur la rue. A l’aide d’un feutre, dessinez

une grille sur le plastique, en traçant des lignes tous les cinq

centimètres.

2. En vous tenant à un bras de distance de la fenêtre et en

fermant un oeil, regardez la scène d’un point de vue

constant—ne bougez pas la tête. Maintenant, avec le feutre,

tracez le contour de la rue, des maisons, des voitures, des

arbres — la vue complète — sur la feuille de plastique.

4. Replacez le dessin sur la même fenêtre. Vous allez à présent viser les angles en vous aidant

de votre crayon comme instrument de visée et votre dessin vous servira à vérifier l’exactitude

de votre visée.

5. Tenez-vous de nouveau à un bras de distance de la fenêtre, à l’endroit où vous vous

trouviez pour faire le dessin sur la grille. A présent, tenez votre crayon parfaitement à la

verticale et parallèlement à la fenêtre, et alignez-le sur l’arête verticale d’une maison. Vous

constaterez que cette arête est bien verticale. Vérifiez-le sur votre dessin : l’arête verticale doit

être parallèle au bord de la feuille. En fait, toutes les lignes qui sont perpendiculaires à la

surface de la terre restent parfaitement verticales.

6. Visez à présent l’une des formes obliques que vous avez dessinées — par exemple, le côté

de la rue ou le dessus d’une maison. Tenant votre crayon à l’horizontale, faites-le toucher la

forme en un point quelconque.

7. Observez l’angle entre le crayon et le côté de la forme ; notez l’inclinaison de ce côté par

rapport à l’horizontale. Regardez à présent le même angle sur votre dessin et voyez comment

vous l’avez reproduit en utilisant la méthode de Dürer. Comparez ce que vous observez avec

ce que vous avez dessiné. Le dessin devrait coïncider avec ce que vous observez.

8. Vérifiez à présent les autres angles et orientations de lignes en regardant chaque fois votre

dessin pour vérifier la manière dont vous avez reproduit ce que vous observiez.

Pour résumer, cette technique est celle qu’utilisent la plupart des artistes pour le dessin de

perspective. Sachant que les lignes verticales restent toujours verticales (à l’exception de

certains cas rares et extrêmes comme la vision de l’oiseau ou de la fourmi) et que les bords

horizontaux des formes convergent en un point de fuite situé sur une ligne d’horizon (au

niveau de l’oeil de l’observateur), il suffit à l’artiste de vérifier (par la visée) la valeur des

angles par rapport aux constantes, soit la verticale ou l’horizontale, et de dessiner ces angles

avec les mêmes rapports sur la feuille de papier. Il est possible de reproduire les mêmes

angles puisque les bords de la feuille représentent la verticale et l’horizontale. Il suffit

simplement d’utiliser son crayon en prenant garde toutefois de le tenir à bout de bras,

parfaitement vertical ou horizontal, afin de déterminer les angles avec précision. Tout angle

peut être vérifié et dessiné correctement sur le papier sans qu’il soit nécessaire de faire appel à

112

des systèmes de perspective compliqués. II suffit d’avoir une vision relationnelle (mode-

D) des choses qui sont sous vos yeux.

UN AUTRE GENRE DE VISEE :

L’EVALUATION RELATIVE DES

LONGUEURS ET DES LARGEURS

La visée peut servir à déterminer les rapports

de longueur et de largeur des formes. Pour

dessiner une table vue sous un angle oblique,

par exemple, l’artiste détermine d’abord les

angles que forment les bords avec

l’horizontale et la verticale, comme la figure

8-9. Il faut ensuite déterminer la largeur de la

table (de ce point de vue précis) par rapport à

sa longueur figure 8-9. Il faut ensuite

déterminer la largeur de la table (de ce point

de vue précis) par rapport à sa longueur.

Cette largeur relative varie selon le point de

vue, en fonction du niveau auquel se trouvent

les yeux de l’observateur (voir à la figure 8-

10 l’exemple d’une table observée d’un point

de vue multiple).

La technique pour viser les rapports de

dimensions est la suivante.

1. En tenant votre crayon à bout de bras sur

un plan parallèle à vos yeux, et le coude fixe

pour garder une échelle constante, mesurez la

largeur de la table : placez la gomme du

crayon de sorte qu’elle coïncide avec un coin

de la table et placez votre pouce à l’autre

coin (figure 8-11).

Fig. 8-8. Edgar Degas (1834-1917), Danseuse

ajustant son chausson (1873). Avec l’aimable

autorisation du Metropolitan Museum of Art,

legs de Mme H.O. Havemeyer, 1929.

Collection H.O. Havemeyer.

Fig. 8-9. Visée d’un angle par rapport à un élément horizontal.

Fig. 8-10.

2. En gardant toujours le coude fixe et le crayon parallèle à vos yeux, reportez cette mesure

sur le long côté de la table (figure 8-12). Quelle est la longueur de la table par rapport à sa

largeur ? Disons une largeur un quart.

113

3. Sur les côtés de l’angle que vous avez dessiné, faites une marque pour la largeur (il

s’agit d’une dimension arbitraire — c’est vous qui décidez de la largeur de la table que vous

dessinez). La longueur, par contre, est proportionnelle à la largeur. Faites une marque sur le

côté de l’angle et dessinez le dessus de la table.

4. Visez ensuite les pieds de la table en tenant votre crayon à la verticale (figure 8-13), en

vérifiant l’orientation de l’un des pieds par rapport à la verticale. Les pieds sont-ils

parfaitement verticaux, ou bien sont-ils obliques ? Dessinez les pieds les plus proches de

vous. Vous pouvez de nouveau viser la longueur des pieds par rapport à la largeur de la table.

En tenant votre crayon à l’horizontale de sorte qu’il coïncide avec l’extrémité du pied le plus

proche de vous, vous pouvez placer l’extrémité des autres pieds en visant de nouveau les

angles (figure 8-14).

Fig. 8-11.

Fig. 8-12.

Fig. 8-13.

Fig. 8-14.

114

Fig. 8-15.

Entraînez-vous à viser les rapports de dimensions aux moments les plus incongrus de la

journée. Le principe de cette technique est de faire taire la connaissance verbale, de mode-G,

que vous avez des rapports réels entre les dimensions. En vous plaçant à certains points de

vue par exemple, vous pouvez obtenir, pour une table, des rapports longueur/largeur qui vous

semblent absolument anormaux : votre visée peut donner un résultat de dix pour un (figure 8-

15). Vos connaissances verbales vous informent que la table ne peut pas être aussi longue et

aussi étroite. Mais le rapport de dix pour un est un rapport visuel, et c’est ainsi que vous devez

le dessiner. Vous devez croire ce que vous voyez et dessiner le résultat de vos perceptions

sans les modifier ou les ajuster en fonction de vos connaissances verbales. Alors.

paradoxalement. la table que vous avez dessinée paraîtra avoir la même largeur que celle que

vous lui connaissez.

LES TECHNIQUES DE LA PERSPECTIVE SUR LE MODE-D : LES COINS

Dans cet exercice vous utiliserez le savoir-faire fraîchement acquis dans l’évaluation relative

des angles pour dessiner le coin d’une pièce d’habitation, d’un bureau, ou d’une classe

d’école.

Fig. 8-16.

Fig. 8-17

Avant de commencer : Lisez toutes les instructions et regardez les travaux d’élèves avant de

commencer votre dessin de perspective. Assurez-vous d’avoir amplement le temps, environ

une demi-heure, pour terminer le dessin. Etant donné que ce travail de perception relationnelle

115

convient bien à l’hémisphère droit, vous vous sentirez de nouveau glisser vers un état de

conscience particulier. La complexité de vos perceptions commenceront à vous intéresser et

vous prendrez plaisir à voir s’assembler les divers éléments.

1. Placez-vous de manière à faire face au coin d’une pièce.

2. Utilisez votre viseur pour cadrer le coin, en le déplaçant vers l’avant ou vers l’arrière pour

inclure les détails que vous souhaitez voir figurer sur votre dessin.

3. Visualisez sur votre feuille l’image que vous percevez comme si elle y était déjà dessinée.

Rappelez-vous que les bords de votre feuille représentent les constantes — la verticale et

l’horizontale.

4. Visez tout d’abord le coin supérieur de la pièce : en tenant votre crayon du bout des doigts

et des deux mains, étendez les bras au maximum. Servez-vous de vos deux mains comme à la

figure 8-16 pour vous assurer que le crayon reste sur un plan parallèle au plan de vos yeux.

L’erreur de visée la plus fréquente que commettent les élèves est de tendre leur crayon

parallèlement à la ligne qu’ils visent, sortant ainsi du plan parallèle à leurs yeux. Si cela peut

vous aider, imaginez un panneau vitré au bout de vos bras, pareil à celui sur lequel vous avez

dessiné la rue et les maisons, et gardez votre crayon parallèle à ce plan. Le crayon étant

maintenu parfaitement à l’horizontale, déplacez-le vers le haut ou vers le bas jusqu’à ce qu’il

semble toucher le coin supérieur de la pièce, là où le plafond rencontre les murs, comme à la

figure 8-16. Vous pouvez à présent déterminer l’angle que forment les arêtes supérieures des

deux murs avec l’horizontale.

5. Dessinez ces deux angles et l’arête verticale du coin comme à la figure 8-17. (L’arête que

forment les deux murs est évidemment verticale puisqu’il s’agit d’une ligne perpendiculaire à

la surface de la terre et que ces lignes restent toujours parfaitement verticales.) Seules les

lignes horizontales — c’est-à-dire les lignes parallèles à la surface de la terre — changent

d’orientation dans une vue en perspective.

6. Procédant du haut vers le bas, vérifiez, par rapport à la verticale et à l’horizontale, chaque

angle de chaque moulure, de chaque tableau fixé au mur, de chaque porte, etc.

7. En utilisant la visée pour évaluer les proportions et pour évaluer les angles, dessinez la

forme des étagères, des commodes, des sièges, ou de tout autre meuble se trouvant dans ce

coin de pièce. Utilisez les espaces négatifs aussi souvent que possible, passant toujours d’une

forme ou d’un espace à celle ou à celui qui lui est adjacent. Tâchez de ne pas penser avec des

mots ou avec des noms d’objets. En fait essayez de ne pas penser du tout, afin de réussir une

conversion cognitive radicale vers le mode-D. A présent, commencez votre dessin.

Après avoir terminé : Vous êtes peut-être surpris de l’aisance avec laquelle vous avez réalisé

votre dessin ; avant de commencer leur dessin d’un coin de pièce, mes élèves disent souvent

avoir le sentiment que leurs perceptions sont « trop compliquées » ou « trop difficiles ». Mais

le dessin sur le mode-D semble toujours facile et agréable. et les travaux d’élèves sont le reflet

de l’état de conscience particulier qu’éveille le mode-D. Si votre dessin présente la trace d’un

conflit avec le mode-G, essayez d’en faire un second en imposant un silence plus strict aux

bavardages du mode-G.

Cette technique de la visée — le dessin à vue, ou l’eyeballing comme l’appellent certains

artistes anglo-saxons — est merveilleusement utile. Une fois familiarisé avec cette méthode.

vous progresserez rapidement en dessin. Ce procédé est essentiel pour la réalisation des

116

natures mortes (pour déterminer les angles, la position et les dimensions relatives des

objets) autant que pour le dessin de paysages et de personnages.

TRAVAUX D’ELEVES

Toutes sortes de coins

Les coins que les élèves ont choisi de dessiner sont d’une complexité variable : certains ne

comprennent que quelques objets, d’autres regorgent de formes et de détails. N’hésitez pas à

choisir un coin de pièce compliqué — les cuisines sont d’un intérêt particulier comme le

montrent plusieurs dessins. Vous remarquerez que plusieurs élèves ont utilisé les espaces

négatifs autant que la visée pour la perspective. Ils ont commencé par dessiner le coin puis

sont passés d’une surface à la surface adjacente, d’une ligne à la ligne adjacente, assemblant

les formes comme les pièces d’un puzzle.

JoAnne Hawkins

Ethel Branham

117

Sheila Kalivas

Charlotte Doctor

Charlotte Doctor

118

REVISION DES TECHNIQUES DE LA VISEE

1. Les lignes verticales et horizontales imaginaires sont les constantes auxquelles vous vous

référez pour toutes vos évaluations en dessin. Et souvenez-vous que les bords de votre feuille

représentent la verticale et l’horizontale telles qu’elles se présentent autour de vous dans le

monde visible.

2. La manière la plus simple d’évaluer l’inclinaison exacte d’une ligne est d’élever son crayon

soit à la verticale soit à l’horizontale (en choisissant la direction la plus proche de celle de la

ligne). Tâchez de garder votre crayon parallèle au plan de vos yeux. La manière la plus sûre

est de tendre le crayon avec les deux mains, à bout de bras. Dessinez ensuite sur votre feuille

le même angle que celui que vous avez observé.

3. Lorsque vous visez des rapports de longueurs et de largeurs, rappelez-vous que vous

mesurez des dimensions proportionnelles qui ne s’expriment jamais en centimètres ou en

mètres — ce genre d’opération relève de l’hémisphère gauche. Pour mesurer sur le mode-D,

choisissez un élément quelconque de l’objet comme unité de base. Dans le dessin d’un

personnage, cette unité peut être la tête. Tous les autres éléments de la forme sont mesurés

proportionnellement, ou par rapport, à cette unité. La longueur d’un arrière-bras peut par

exemple valoir une longueur de tête et demie. Sur votre feuille, vous dessinez alors la tête de

la grandeur que vous voulez — vous avez le choix. Mais tous les autres éléments doivent

ensuite être reproduits proportionnellement à la taille de la tète. De cette manière, votre dessin

sera « bien proportionné », ce qui veut dire que vous aurez respecté les dimensions relatives

de tous les éléments, l’un par rapport à l’autre, en vous référant toujours à une unité de base.

Revenons un instant à l’expérience de Dürer. Le dessin de perspective pose généralement le

problème que Dürer a précisément réussi à résoudre : le problème du raccourci. Un exemple

classique de raccourci est le poster de la première guerre mondiale Uncle Sam Wants You

avec le bras levé et le doigt qui vous désigne impérieusement.

Afin de bien comprendre ce qu’est la perspective, faites les exercices 8c, d et e avant de

poursuivre.

Le monde visible regorge d’exemples de raccourcis ; des gens, des rues, des arbres, des fleurs.

Mais les élèves débutants évitent parfois ces sujets « difficiles » et en recherchent d’autres

plus « faciles ». La maîtrise que vous possédez maintenant rend inutile cette restriction.

Comme je l’ai dit déjà dans d’autres chapitres, le dessin se résume à une seule opération : voir

clairement ce que vous avez sous les yeux. La technique de la visée porte bien son nom : vous

visez l’objet pour le voir tel qu’il est, en faisant appel à tous les procédés dont est capable le

mode-D et en usant de toutes vos facultés visuelles.

Exercices supplémentaires

Avant de commencer : Entraînez-vous à percevoir les formes en raccourci en étendant les

doigts d’une main devant vous. Centrez votre regard sur l’un des ongles et attendez qu’il vous

apparaisse comme une forme (fermez un oeil pour obtenir une image plane).

8e. Dessinez l’ongle, ensuite le doigt. Dessinez alors les doigts adjacents, le pouce, la main.

Utilisez les espaces négatifs et visez les angles des diverses parties de votre main par rapport

à la verticale et à l’horizontale. (Voir à la figure 8-18 l’exemple d’un dessin d’élève).

119

8d. Placez trois objets de même taille sur une table, par exemple trois pommes. Placez-en

une près du bord de la table le plus proche, une autre au milieu, et la troisième au bord le plus

éloigné. Visez les rapports de dimensions et dessinez ensuite les trois objets (Voir l’exemple à

la figure 8-19).

8e. A la figure 8-20 se trouve un dessin de Charles White qui illustre le principe du raccourci.

Etudiez ce dessin. Copiez-le en le retournant si c’est nécessaire. Chaque fois que vous

éprouvez le sentiment qu’en dessinant ce que vous voyez vous accomplissez le prodige de

créer une illusion d’espace et de volume sur la surface plane de votre feuille, vous assimilerez

plus sûrement cette méthode qui deviendra votre manière naturelle de voir — la manière de

voir de l’artiste.

Fig. 8-18.

Fig. 8-19.

Fig. 8-20. Charles White,Preacher (1952). Avec l’aimable

Autorisation du Whitney Museum.

120

Répétition générale : la place des proportions

121

Pour voir, pour penser, pour apprendre ou pour résoudre un problème, il est primordial

d’acquérir une perception relativiste de la réalité — perception des relations entre parties et

perception des relations des parties au tout. En dessin, ces relations s’appellent proportions.

La perception des rapports de proportions, et en particulier des relations spatiales est, chez

l’homme, une fonction spécifique de l’hémisphère droit. Les personnes qui, dans le cadre de

leur profession, doivent procéder à des évaluations de grandeur précises — les menuisiers, les

dentistes, les tailleurs, les tapissiers, les chirurgiens — acquièrent une grande précision dans

la perception des proportions. Les penseurs et les créateurs dans tous les domaines jouissent

d’une acuité particulière dans la perception des relations de « partie au tout » ; ces personnes

sont capables de voir les arbres et la forêt.

Tout dessin pose des problèmes de proportions, que le sujet soit une nature morte, un paysage,

un personnage ou un portrait, et que le style soit réaliste, abstrait ou parfaitement non objectif

(c’est-à-dire un dessin qui ne présente aucune forme identifiable du monde extérieur). Le

dessin réaliste, en particulier, repose largement sur le respect des proportions ; c’est pourquoi

le dessin réaliste est une manière efficace d’entraîner l’oeil (en donnant accès au cerveau

droit) et permet de voir les choses telles qu’elles sont, dans leurs proportions relatives.

ILS NE VOIENT QUE CE QU’ILS CROIENT…

Les proportions posent souvent des problèmes aux

débutants : certains éléments sont dessinés trop grands ou

trop petits par rapport aux autres. Ces erreurs semblent venir

d’une vision hiérarchique des différents éléments d’une

forme. Les éléments qui sont importants (c’est-à-dire les

éléments riches en informations), ou les éléments dont nous

décidons qu’ils sont plus grands, ou les éléments dont nous

pensons qu’ils devraient être plus grands, ces éléments, nous

les voyons plus grands qu’ils sont en réalité. Inversement,

les éléments qui ne sont pas importants ou dont nous

décidons qu’ils sont plus petits, ou dont nous pensons qu’ils

devraient être plus petits, nous les voyons plus petits qu’ils

sont en réalité.

Fig. 9-1.

J’aimerais vous donner quelques exemples de ces erreurs de proportions. La figure 9-1 montre

un paysage schématique avec quatre arbres. L’arbre à l’extrême droite du dessin semble être

le plus grand des quatre. Pourtant cet arbre est exactement de la même dimension que celui

qui se trouve à l’extrême gauche du schéma. Pour vous en convaincre, mesurez donc la

hauteur de ces deux arbres avec votre crayon. Même après que vous ayiez pris les mesures et

que vous vous soyiez assuré que les deux arbres sont de même taille, celui de droite

continuera probablement de vous paraître plus grand.

Cette erreur dans la perception des dimensions relatives des objets vient probablement de

notre ancienne connaissance et expérience des effets de la distance sur la taille apparente des

formes : dans le cas de deux objets de mêmes dimensions, l’un étant plus éloigné que l’autre,

l’objet le plus distant paraîtra le plus petit. Ce principe nous semble logique et nous ne le

contestons pas. Mais revenons à notre dessin : même après avoir mesuré les deux arbres, et

après avoir acquis la preuve irréfutable qu’ils sont de mêmes dimensions, nous continuons, à

tort, de voir l’arbre de droite plus grand que celui de gauche. C’est de l’excès de zèle ! Et

122

c’est précisément ce genre d’excès — le « placage » de concepts verbaux mémorisés sur

les perceptions visuelles— qui pose des problèmes de proportions aux élèves débutants.

D’un autre côté, si vous retournez le livre et si vous regardez le paysage à l’envers, dans une

position que rejette le cerveau gauche, vous réactiverez votre mode-D et vous pourrez plus

facilement constater que les deux arbres sont de mêmes dimensions. Les mêmes informations

visuelles suscitent des réactions différentes. Le cerveau droit, apparemment moins influencé

par le principe de la diminution des dimensions en fonction de l’éloignement, perçoit

correctement les proportions.

… et ne croient pas ce qu’ils voient

Un second exemple : tenez-vous face à un miroir, à un bras

de distance environ. A votre avis, quelle est la hauteur de

l’image de votre tête dans le miroir ? La même que celle de

votre tète ? Prenez un feutre ou un crayon, tendez le bras, et

faites deux marques sur le miroir—l’une au sommet de

l’image réfléchie (le contour extérieur de votre tête) et

l’autre à l’extrémité de votre menton (figure 9-2). Combien

de centimètres mesure l’image ? Douze centimètres environ,

soit la moitié de la hauteur réelle de votre tête. Pourtant,

lorsque vous effacez les marques et que vous regardez de

nouveau votre image, il vous semble qu’elle doit être

grandeur nature. Une fois encore. vous voyez ce que vous

croyez et vous ne croyez pas ce que vous voyez.

Fig. 9-2.

UN DESSIN PLUS FIDELE A LA REALITE

Nous allons essayer de convaincre le cerveau gauche de ses erreurs de perceptions dans le cas

précis des proportions de la tête. Pour y arriver, nous laisserons le cerveau gauche rentrer en

jeu un instant et nous utiliserons ses facultés analytiques pour lui permettre de corriger ses

propres perceptions. Nous essayerons de prouver de manière logique que des proportions

données sont ce qu’elles sont.

Avant de commencer, cherchons dans des journaux, des revues, etc. des photographies de

têtes — des photographies ordinaires de gens ordinaires. Cinq ou six photos suffiront. Si vous

possédez quelques livres comprenant des dessins d’artistes connus, ils pourront vous êtres

utiles. Cherchez des dessins de tètes — vues de face, de profil, de trois quarts. Ou bien servez-

vous de la photo de George Orwell à la figure 9-3. Nous utiliserons ces différentes images

lorsque nous aurons terminé le dessin suivant.

Les exercices de perception des proportions — et certains exercices de dessin dans les

chapitres suivants — auront un sujet commun, la tête, mais les méthodes de perception des

rapports de proportions peuvent s’appliquer à tous les sujets de dessin. Les exercices de

proportions seront principalement consacrés à deux types de rapports critiques qui n’ont

jamais cessé de poser des difficultés aux élèves débutants : l’emplacement dit niveau de l’oeil

par rapport à la hauteur totale de la tête, et l’emplacement de l’oreille dans une tête vue de

profil ou de trois quarts. Nous examinerons également d’autres proportions de la tête.

123

Le dessin face à face

Comme je l’ai dit au chapitre 1, les visages humains ont toujours fasciné les artistes. Saisir

une ressemblance, dépeindre une apparence extérieure de sorte que la personne derrière le

masque soit livrée au regard, tel est l’un des objectifs les plus recherchés par de nombreux

artistes. Comme tout dessin d’un sujet minutieusement observé, le portrait ne révèle pas tant

l’apparence et la personnalité du modèle que l’âme de l’artiste lui-même. Paradoxalement,

plus l'artiste voit clairement son modèle, et plus nous le voyons clairement lui-même à travers

les apparences. Dès lors, puisque c’est vous que nous recherchons à travers les images que

vous dessinez, les exercices suivants auront pour sujet le visage humain. Plus vous verrez

clairement, et mieux vous dessinerez et vous exprimerez pour vous- même et pour les autres.

Fig. 9-3. Feu George Orwell, le célèbre écrivain, mort en janvier 1950. Avec l’aimable autorisation de la

B.B.C.

L’acuité de la perception étant une condition essentielle pour le réalisme du portrait, le visage

est un sujet utile qui permet aux débutants de s’exercer à voir et à dessiner. L’effet en retour

sur la correction des perceptions est immédiat et garanti parce que nous sommes tous capables

de voir si le dessin d’une tête est fait dans des proportions correctes ou non. Et si le modèle

est une personne connue, nous pouvons juger avec plus d’exactitude encore de la précision

des perceptions.

En outre, le dessin d’un visage répond spécifiquement au but que nous nous sommes assigné,

à savoir l’accès aux fonctions de l’hémisphère droit. Les personnes dont l’hémisphère droit a

été endommagé à la suite d’un accident ou d’un traumatisme éprouvent souvent des difficultés

à reconnaître leurs amis et même à reconnaître leur propre visage dans un miroir. Les

personnes dont l’hémisphère gauche a été atteint ne connaissent pas ces problèmes.

La plupart des débutants considèrent que le portrait est le type de dessin le plus difficile. Il

n’en est rien, vraiment. Les informations visuelles se trouvent là, toutes prêtes et disponibles.

Le problème est de les voir. Pour reprendre le principe de base de cet ouvrage, le dessin se

résume à une seule et même opération qui consiste à voir clairement les choses et à dessiner

ce qu’on perçoit. Un sujet n’est ni plus facile ni plus difficile qu’un autre. Toutefois, certaines

choses semblent plus compliquées que d’autres, probablement parce que la symbolique qui

124

imprègne notre esprit et qui interfère avec nos perceptions spontanées, s’impose avec plus

de vigueur pour certains sujets.

La tête est évidemment un sujet pour lequel la plupart des gens conservent une symbolique

vigoureuse et persistante. Comme nous l’avons expliqué au chapitre 5, notre symbolique

personnelle particulière, développée et mémorisée pendant notre enfance, fait preuve d’une

stabilité et d’une résistance au changement remarquables. En réalité, il semble que ces

symboles empêchent l’individu de voir et pour cette raison, rares sont ceux qui peuvent

dessiner un visage réaliste et plus rares encore ceux qui peuvent dessiner un portrait

ressemblant.

En résumé donc, le dessin de portrait répond particulièrement bien à nos objectifs pour les

raisons suivantes : il fera tout d’abord appel à l’hémisphère droit qui est spécialisé dans

l’identification des visages, et par conséquent dans l’établissement précis des distinctions

nécessaires pour obtenir un portrait ressemblant. Ensuite, le portrait vous apprendra à

percevoir plus nettement les rapports de proportions, étant donné que les proportions sont

l’élément essentiel de ce type de dessin. De plus, il s’agit d’un excellent exercice pour

surpasser la symbolique qui s’est ancrée en vous. Enfin, l’habileté avec laquelle vous

exécuterez des portraits d’une ressemblance crédible démontrera de manière convaincante à

votre hémisphère gauche, si prompt à la critique, que vous avez — oserons-nous le dire ? —

un don pour le dessin. Et, comme pour n’importe quel dessin, vous vous apercevrez que le

portrait n’est pas chose difficile maintenant que vous êtes capable de voir à la manière de

l’artiste.

Au chapitre 10, vous apprendrez d’abord à dessiner le profil d’un modèle, ensuite son portrait

de trois quarts, et enfin son visage vu de face. Pour l’instant cependant, puisque vous avez

appris à effectuer la conversion vers le mode-D, et que vous exploitez avec aisance, je

l’espère, cette technique fraîchement acquise qui permet d’accéder au mode de

fonctionnement de l’hémisphère droit, nous allons faire appel à votre hémisphère gauche afin

qu’il nous aide un instant dans l’analyse des proportions.

LE CERVEAU GAUCHE RENTRE EN JEU –

UN INSTANT

Comme vous l’avez appris grâce aux dessins inversés et aux

dessins des espaces négatifs, il est possible d’évaluer

n’importe quelles proportions en établissant simplement des

rapports de dimensions. Mais il m’a semblé que les

étudiants progressent plus rapidement et que leurs

perceptions s’effectuent plus aisément lorsqu’on oblige le

cerveau gauche à constater et à admettre certains faits

(comme la taille des deux arbres dans le paysage

schématique et la hauteur du visage dans le miroir) dont il a

une perception incorrecte. Pour convaincre ce logicien, il

faut donc le placer dans une impasse logique : il faut lui

fournir des preuves indiscutables avant qu’il admette avoir

éventuellement tort.

Fig. 9-4. Axe central.

125

LA MANIERE DE TRACER UN BLANC ET DE DESSINER MIEUX QUE JAMAIS

Fig. 9-5.

Fig. 9-6.

1 Dessinez un « blanc », c’est-à-dire une forme ovale qu’utilisent les artistes pour représenter

schématiquement le crâne humain. Cette forme est celle que montre la figure 9-4. Tracez une

ligne médiane divisant le blanc verticalement. Cette ligne s’appelle axe central.

2. En utilisant votre crayon, mesurez sur votre propre tête la distance entre le coin intérieur de

votre oeil et l’extrémité de votre menton. Pour ce faire, placez le bout de la gomme de votre

crayon (pour protéger votre oeil) au coin intérieur de l’oeil et marquez avec votre pouce

l’endroit où votre menton touche le crayon, comme à la figure 9-5. A présent, en conservant

cette mesure, levez votre crayon comme à la figure 9-6 et comparez cette première distance

(du niveau de l’oeil au menton) à la distance qui sépare le niveau de votre oeil et le sommet de

votre tête (tendez la main de l’extrémité du crayon au point le plus élevé de votre tête). Vous

constaterez que ces deux distances sont approximativement les mêmes.

3. Répétez cette prise de mesures devant un miroir. Observez le reflet de votre tête. Sans

mesurer, comparez visuellement la moitié supérieure et la moitié inférieure de votre tête.

Utilisez ensuite votre crayon pour situer une nouvelle fois le niveau des yeux.

4. Reprenez les photos et les dessins que vous avez

rassemblés (ou bien employez la photo de George

Orwell, figure 9-3) et situez le niveau des yeux. Pour

chaque tête, le niveau des yeux se situe-t-il à mi-hauteur,

divisant approximativement la hauteur globale de la tête

en deux parties égales ? Percevez-vous clairement cette

proportion ? Si ce n’est pas le cas, mesurez à même la

photographie en posant votre crayon à plat sur le papier,

comme à la figure 9-7, et mesurez d’abord la distance

entre l’oeil et le menton puis entre l’oeil et le sommet du

crâne. A présent, déposez votre crayon et regardez

encore. Voyez-vous clairement la proportion, cette fois ?

Quand finalement vous croirez ce que vous voyez, vous

remarquerez que pour presque chaque tête que vous

observez, le niveau des yeux se situe approximativement

à mi-hauteur. Le niveau des yeux est rarement au-delà

Fig. 9-7.

du milieu de la tête, c’est-à-dire que les yeux ne sont pratiquement jamais plus proches du

sommet de la tête que de l’extrémité du menton. Et lorsque les cheveux sont abondants, la

126

moitié supérieure de la tête — la partie que forment le front, le crâne et les cheveux — est

plus grande que la moitié inférieure (voir figure 9-8).

LE MYSTERE DU CRANE TRONQUE

La plupart des gens éprouvent des difficultés à percevoir les

proportions relatives des traits du visage et du crâne. Pour

beaucoup, le niveau des yeux semble se situer au tiers

supérieur environ de la distance qui sépare le sommet de la

tête et le bas du menton. Je pense que cette erreur est due au

fait que le front et le sommet de la tête attirent peu

l’attention. Il s’agit en effet de régions ennuyeuses pour le

cerveau gauche et difficilement définissables par des

symboles. On accorde apparemment moins d’importance à

la moitié supérieure de la tête qu’aux traits du visage, et

pour cette raison, on la perçoit comme étant plus petite.

Cette perception incorrecte donne lieu à l’erreur du crâne

Fig. 9-8.

tronqué, expression toute personnelle par laquelle je désigne ce problème particulièrement

fréquent chez les élèves débutants. Le crâne tronqué crée un effet de « masque » qui se

retrouve fréquemment dans les dessins d’enfants ou dans l’art primitif. Cet effet de masque,

produit par l’agrandissement des traits du visage par rapport aux dimensions du crâne, peut

être d’une puissance expressive étonnante, comme dans l’oeuvre de Picasso, de Matisse et de

Modigliani. A la différence que les artistes de renom utilisent ce procédé délibérément et non

par erreur. Je vais vous montrer des exemples qui illustrent cette erreur de perception.

Une impasse logique pour le cerveau gauche : la preuve irréfutable que le dessus de la

tête est important malgré tout

Fig. 9-9.

Fig. 9-9.

J’ai dit un jour à un groupe d’élèves qui éprouvaient des difficultés à percevoir correctement

les proportions du crâne : « Si l’un de vous voit une manière d’expliquer plus clairement les

proportions déterminant le niveau des yeux, qu’il se fasse donc connaître ». Un élève m’a

répondu : « Nous verrons quand nous y croirons ». Plus tard j’ai eu la chance de découvrir la

manière de faire « croire » les élèves, et cette méthode s’est avérée plus efficace que les

autres. Elle a permis aux élèves de résoudre ce problème épineux et tenace qui les empêchait

de dessiner correctement une tête. En voici la démonstration.

J’ai d’abord dessiné la partie inférieure du visage de deux modèles, l’un de profil et l’autre de

trois quarts (voir figure 9-9). Je vous montrerai en détail la manière de dessiner cette partie de

127

la tête dans le chapitre suivant. Les élèves ne rencontrent généralement aucune difficulté

sérieuse à apprendre à voir et à dessiner les traits du visage. Ce ne sont pas les traits du visage

qui posent un problème : c’est dans la perception de l’image du crâne que quelque chose ne

tourne pas rond. Ce que j’aimerais vous montrer, ainsi qu’à votre hémisphère gauche, c’est

l’importance qu’il y a pour les traits du visage à les doter d’un crâne complet —et à ne pas

tronquer le sommet de la tête pour la simple raison que cette partie semble moins intéressante

que le visage proprement dit.

A la figure 9-10 se trouvent trois séries de dessins : les premiers dessins présentent

uniquement les traits du visage, le reste du crâne faisant défaut ; les seconds reprennent les

mêmes traits avec l’erreur du crâne tronqué : et les troisièmes reprennent les mêmes traits,

cette fois avec le crâne intact, qui complète et soutient les traits du visage.

En suivant la logique de votre cerveau gauche, vous constatez que ce ne sont pas les traits qui

posent le problème des fausses proportions, c’est le crâne. (Retournez à la figure 1-5, au

chapitre 1 et vous constaterez que Van Gogh, dans son dessin du menuisier en 1880 a

apparemment commis l’erreur du crâne tronqué en dessinant la tête de son personnage. De

même, la gravure de Dürer à la figure 9-11 illustre les tentatives risquées par l’artiste pour

diminuer les proportions du crâne par rapport aux traits du visage).

Revenons à présent aux photographies et aux dessins que vous avez rassemblés

précédemment. Mesurez (en posant votre crayon sur la photo, le bout du crayon au niveau des

yeux, et en marquant du pouce l’emplacement du menton) et comparez la hauteur relative des

parties supérieure et inférieure de la tête. Etes-vous convaincu ? Votre hémisphère gauche, le

logicien, est-il convaincu ? Bien. Cela vous épargnera des heures d’efforts inutiles.

Fig. 9-10. Les traits du visage

uniquement. L’erreur du crâne tronqué, avec

les mêmes traits. Les mêmes traits encore. Cette

fois avec le crâne entier.

LE REMPLISSAGE DES BLANCS

128

Vous voyez les figures 9-12 et 9-13, où les ovales représentent la forme du crâne.

Asseyez-vous devant un miroir en vous munissant des blancs et d’un crayon. Vous allez

observer et schématiser les relations entre les différentes parties de votre propre tête à mesure

que vous progresserez pas à pas dans l’exercice. Les chiffres qui figurent dans les schémas

correspondent aux instructions numérotées qui composent l’exercice et illustrent ces relations.

Fig. 9- 11. Albert Dürer, Quatre Têtes (1513 ou 1515). Avec l’autorisation de la Nelson Gallery-Atkins

Museums. Kansas City, Missouri (Fonds Nelson).

1. Schématisez d’abord le niveau des yeux. Observez une fois encore la ligne du niveau des

yeux et tracez-la sur le blanc.

2. Nous avons déjà dessiné l’axe central. En regardant votre visage, visualisez un axe central

qui le partage en deux, et une ligne pour le niveau des yeux perpendiculaire à cet axe (voir

figure 9-12). Inclinez la tête d’un côté comme à la figure 9-13. Notez que l’axe central et la

ligne du niveau des yeux restent perpendiculaires quelle que soit la direction dans laquelle

vous inclinez la tête. (Ceci n’est que logique, je le sais, mais les débutants l’ignorent souvent

et déforment les traits comme à la figure 9-14). (Voir également les figures 9-16, 9-17 et 9-

18).

3. Observez votre visage : où se situe le bout de votre nez par rapport au niveau des yeux et au

menton ? A un peu moins de la moitié de la distance et à un peu plus du tiers. Faites une

marque sur le blanc.

4. A quel niveau se situe la ligne médiane de la bouche ? A un tiers environ de la distance

entre le nez et le menton. Faites une marque sur le blanc.

5. Quelle est la distance qui sépare vos yeux par rapport à la longueur d’un œil ? Oui, ces

distances sont égales. Divisez la ligne du niveau des yeux en cinq parties égales. Marquez le

centre des yeux.

6. Si vous abaissez les verticales depuis le coin interne de vos yeux, où arrivez-vous ? Au

bord de vos narines. Le nez est plus large que vous croyez. Faites deux marques sur le blanc.

7. Si vous abaissez les verticales depuis le centre de vos pupilles, où arrivez-vous ? Aux coins

externes de votre bouche. La bouche est plus large que vous pensez. Faites deux marques sur

le blanc.

129

8. Si vous déplacez votre crayon horizontalement le long du niveau des yeux, où arrivez-

vous ? A l’extrémité supérieure de vos oreilles. Faites deux marques sur le blanc.

9. En partant de l’extrémité inférieure de vos oreilles et en suivant l’horizontale, où arrivez-

vous ? Pour la plupart des visages, entre le nez et la bouche. Les oreilles sont plus grandes

que vous croyez. Faites deux marques sur le blanc.

10. Palpez votre visage et votre cou : quelle est la largeur de votre cou par rapport à la largeur

de votre mâchoire juste à hauteur de vos oreilles ? Vous verrez que votre cou est presque aussi

large — chez certains hommes, il est même aussi large, parfois plus large. Faites des marques

sur le blanc. Souvenez-vous que le cou est plus large que vous croyez.

11. A présent, vérifiez chacune de ces proportions en observant des personnes réelles, des

photographies ou l’image de personnes sur l’écran de télévision. Exercez-vous souvent —

d’abord sans mesurer. puis en mesurant si c’est nécessaire — à percevoir les rapports entre tel

trait du visage et tel autre, à percevoir les différences infimes et originales qui distinguent les

visages ; voir, voir, voir. N’analysez pas à la manière de l’hémisphère gauche comme nous

l’avons fait, mais percevez le visage des gens tel qu’il est réellement, dans sa totalité et non

par bribes ou de manière hiérarchique, car chaque partie est importante et contribue à former

l’ensemble. Voir l’exemple de la figure 9-15.

Fig. 9-12. Proportions générales

de la tète chez l’homme.

Fig. 9-13.

Fig. 9-14. A mon avis, les élèves

déforment les traits du visage

parce que, tout en voyant que la

tète est inclinée, ils dessinent les

traits dans leur orientation

habituelle, c’est-à-dire à la

verticale, parallèlement aux bords

de leur feuille.

130

Fig. 9-15.

Fig. 9-16. Vincent Van Gogh, Dr Gachet (gravure,

1890), B-10, 283. Avec l’aimable autorisation de la

National Gallery of Art, Washington, DC.,

Collection Rosenwald. Un exemple intéressant qui

illustre la force expressive de l’obliquité des traits.

Fig. 9-17.

Fig. 9-18.

Fig. 9-17. Esquisse d’après Lavis Corinth (1858-1925). Autoportrait. dessiné avant son accident en 1911.

Fig. 9-18. Lovis Corinth, Autoportrait (1921). Avec l’aimable autorisation du Fogg Art Museum, Université

de Harvard, don de Meta et Paul J. Sachs.

L’artiste allemand Lovis Corinth a subi un grave traumatisme cérébral à l’hémisphère droit à la suite

d’un choc en décembre 1911. Le premier autoportrait (fig. 9-17) a été réalisé avant l’accident. Le second,

réalisé quelques années plus tard, présente une obliquité des traits qui se retrouve dans la plupart des

portraits que Corinth a dessiné après son accident.

Notez que l’obliquité des traits produit un effet d’expressivité, que vous pourriez choisir d’utiliser pour

certains dessins. Une fois encore la question est d’utiliser ce procédé délibérément et non par erreur.

131

AUTRE BLANC : LES FICELLES DU PROFIL

Dessinez maintenant un autre

blanc, cette fois pour un profil. Le

blanc de profil est d’une forme

assez différente — à la manière

d’un œuf à l’ovale excentrique.

En effet, le crâne humain (figure

9-19) vu de côté présente une

forme différente de celle du crâne

vu de face. Il est plus facile de

dessiner ce blanc en regardant la

forme des espaces négatifs qui

l’entourent (figure 9-20).

Remarquez que les espaces

négatifs sont différents à chaque

coin.

Fig. 9-19.

Fig. 9-20. Le blanc de profil.

Notez que la distance a (niveau

des yeux - menton) est égale à

la distance b (niveau des yeux -

sommet du crâne).

Si cela peut vous aider à mieux voir, dessinez symboliquement le nez, l’oeil, la bouche et le

menton après avoir dessiné en premier la ligne du niveau de l’oeil qui traverse le blanc à mi-

hauteur.

La mesure suivante est d’une importance capitale ; elle vous permettra de situer correctement

l’oreille et de là, à percevoir correctement la largeur de la tête vue de profil.

Fig. 9-21.

Fig. 9-22.

132

A l’aide de votre crayon, mesurez sur votre propre visage la

distance qui sépare le coin intérieur de votre oeil et

l’extrémité de votre menton (figure 9-21). A présent, en

conservant cette mesure, tenez votre crayon horizontalement

le long de la ligne du niveau des yeux (figure 9-22) en

plaçant le bout de la gomme au coin extérieur de votre oeil.

Cette mesure coïncide avec l’arrière de votre oreille.

Autrement dit, la distance entre l’oeil et le menton est égale

à la distance entre l’arrière de l’oeil et l’arrière de l’oreille.

Faites une marque sur le blanc pour la place de l’oreille sur

la ligne du niveau des yeux, comme à la figure 9-23. Cette

proportion peut paraître un peu compliquée, mais si vous

faites l’effort de l’apprendre vous éviterez une autre erreur

Fig. 9-23.

trop fréquente dans le dessin de la tête : la plupart des élèves débutants placent l’oreille trop

près des autres traits du visage. En plaçant l’oreille trop près du visage, ils estropient de

nouveau le crâne, cette fois à l’arrière. Une fois encore cette erreur vient peut-être du fait que

l’extension de la joue et de la mâchoire constitue une partie ennuyeuse et sans intérêt dont les

élèves débutants ne perçoivent pas correctement l’étendue.

La figure 9-24 montre l’exemple d’un dessin d’élève qui présente cette erreur de perception

et, à la figure 9-25, l’artiste autrichien Kokoschka fait usage de cette distorsion, probablement

à dessein. Comme vous pouvez le constater, l’agrandissement du visage et la diminution du

volume crânien produisent un effet expressif et symbolique puissant, et c’est un procédé que

vous pourrez toujours utiliser par la suite si vous le voulez. Pour l’instant toutefois, nous

souhaitons simplement que vous soyiez capable de voir les choses telles qu’elles sont

réellement dans leurs proportions correctes.

Fig. 9.25. Oskar Kokoschka (1886-1980), Portrait

de Norbert Win (1920). Avec l’aimable

autorisation du Worcester Art Museum,

133 Fig. 9.24. Dessin d’élève. Worcester, Massachusetts.

Fig. 9-26.

J’ai récemment fait la découverte d’une nouvelle technique très utile pour apprendre à placer

l’oreille correctement. Comme vous savez à présent que deux distances sont égales — entre

l’oeil et le menton et entre l’arrière de l’oeil et l’arrière de l’oreille — vous pouvez visualiser

un triangle rectangle et isocèle reliant ces trois points, comme le montre la figure 9-26. C’est

un moyen commode de placer l’oreille correctement.

Exercez-vous à voir les rapports de

proportions en regardant les photographies

ou les dessins de personnes vues de profil

et en visualisant le triangle-repère, comme

à la figure 9-26. Grâce à cette technique,

vous éviterez bon nombre de problèmes et

d’erreurs en dessinant les profils.

Il nous reste encore deux mesures à

effectuer sur le blanc de profil. Tenez

d’abord votre crayon à l’horizontale juste

en dessous de votre oreille et faites-le

glisser vers l’avant comme à la figure 9-27.

Vous arriverez à la région entre votre nez et

votre bouche. C’est à ce niveau que se

trouve le bas de votre oreille. Faites une

marque sur le blanc.

Replacez de nouveau votre crayon à

l’horizontale juste en dessous de votre

oreille et faites-le glisser cette fois vers

l’arrière. Vous arriverez à l’endroit où le

crâne et le cou se rejoignent — l’endroit où

ils s’articulent. Marquez ce point sur le

Fig. 9-27.

134

blanc. Ce point se situe plus haut que vous le pensez. Dans les dessins symboliques, le

cou est généralement placé en dessous du cercle de la tête, avec le point d’articulation au

niveau du menton. Cette erreur risque de gâcher vos dessins : le cou sera trop étroit, comme à

la figure 9-28 ; tâchez de percevoir sur votre modèle l’endroit réel d’où part le cou, à l’arrière

du crâne.

A présent, il vous faudra exercer vos perceptions. Regardez les gens. Entraînez-vous à

percevoir les visages, à observer les proportions, à voir la forme originale du visage de chaque

individu.

Vous êtes prêt maintenant pour dessiner un portrait de profil. Vous ferez appel à toutes les

techniques que vous avez apprises jusqu’à présent :

Ne dessinez que ce que vous voyez sans essayer d’identifier ou d’étiqueter les formes (vous

avez pu constater le mérite de cette méthode avec le dessin à l’envers).

Ne dessinez que ce que vous voyez sans faire appel aux anciens symboles de vos dessins

d’enfants que vous avez mémorisés et accumulés.

Concentrez-vous sur les espaces négatifs et les zones complexes jusqu’à ce que vous

ressentiez la conversion vers un état de conscience distinct, dans lequel votre hémisphère droit

domine et votre hémisphère gauche se tait. Rappelez-vous que cette démarche exige un laps

de temps ininterrompu.

Evaluez les angles par rapport aux bords verticaux et horizontaux de votre feuille de papier.

Evaluez les rapports de dimensions — quelle est la longueur de cette forme par rapport à

celle-ci ?

Et enfin : percevez les proportions telles qu’elles sont, sans les réviser ou les modifier pour

qu’elles correspondent à vos idées préconçues sur l’importance des divers éléments. Tous sont

importants et chacun doit conserver intactes ses proportions par rapport aux autres.

Si vous éprouvez le besoin de réviser l’une de ces techniques, retournez aux chapitres

précédents pour vous rafraîchir la mémoire. En révisant certains exercices, vous renforcerez

effectivement vos acquis. Le dessin de contour pur, en particulier, peut vous aider à maîtriser

plus fermement la méthode que vous venez d’apprendre pour accéder à l’hémisphère droit et

faire taire le gauche.

135

Fig. 9-28.

136

137

De face et de profil : le portrait sans peine

L’apprentissage d’une technique nouvelle

commence généralement par l’apprentissage

des différentes composantes de cette

technique, avant que s’assemblent les divers

éléments en un tout intégré. Après avoir

appris les sous-techniques nécessaires pour

rouler à bicyclette ou en voiture, par

exemple, vous êtes finalement monté sur le

vélo ou dans la voiture et vous avez

démarré. Ce faisant, vous signifiez aux

autres et à vous-même que vous aviez

acquis la technique. De même, les exercices

de ce

« La démarche du dessin est avant toute autre

chose celle qui consiste à mettre son intelligence en

action: la mécanique même du déclenchement de

la pensée visuelle. A l’inverse de la peinture et de

la sculpture, c’est la démarche par laquelle

l’artiste signifie clairement à lui-même, et non au

spectateur, ce qu’il est en train de faire. C’est un

soliloque avant que d’être communication ».

Michael Ayerton, Golden Sections

« La chose matérielle qui se trouve devant toi,

c’est Cela ».

Huang Po, Maître Zen du XVIe siècle

chapitre vous permettront d’assembler les différentes composantes techniques que vous avez

acquises et qui vous permettent de voir. Après cette dernière leçon, quand vous dessinerez,

vous signifierez clairement aux autres et à vous- même que vous avez vraiment « vu ».

Nous allons maintenant dessiner des visages en créant préalablement les conditions qui

inviteront votre hémisphère gauche à faire une petite sieste. Et ce sera le grand jour pour votre

cerveau droit: il pourra s’extasier devant la complexité merveilleuse des contours et suivre

l’évolution de votre dessin à mesure que s’étire ce trait qui est votre invention originale et

créative: il pourra regarder s’intégrer vos techniques nouvelles en un graphisme harmonieux;

il pourra voir à la manière de l’artiste, les choses dans leur étonnante réalité et non leur pâle

reflet symbolisé, catégorisé, analysé et mémorisé; il pourra ouvrir la porte et voir clairement

ce qui se trouve là devant vous: il pourra accomplir l’image à travers laquelle vous vous ferez

connaître.

LES TROIS FACES D’UN VISAGE

Ce chapitre comprend trois parties: tout d’abord les instructions pour dessiner le portrait de

profil d’un modèle: ensuite le portrait de trois quarts, le modèle se tournant légèrement d’un

côté; et enfin, le portrait de face. Le portrait de face vient en dernier lieu, mais cela ne signifie

pas pour autant que ce genre de dessin soit plus difficile. Comme je l’ai dit, le dessin se

résume toujours à une même opération —voir clairement —et il n’est pas de position ou de

sujet qui soit plus facile ou plus difficile à traiter. Toutefois, la symbolique dont vous êtes

imprégné et que vous pratiquez et mémorisez depuis votre enfance interfère avec une ténacité

particulière dans le dessin des visages vus de face. Après avoir dessiné une tête plusieurs fois,

de profil et de trois quarts, et après vous êtes rendu compte que l’essentiel est de voir sur le

mode-D, vous serez mieux à même, j’en suis sûre, de supprimer les symboles et de les

empêcher de s’infiltrer à nouveau dans le dessin de cette forme tellement familière — un

visage vu de face.

138

D’ABORD LE PROFIL

Avant de commencer : Cherchez un modèle

— un ami ou un voisin ou une personne de

votre famille qui posera bénévolement pour

un portrait. Vous pouvez dessiner votre

modèle pendant qu’il lit, qu’il dort, ou qu’il

regarde la télévision. Il vous faudra trente à

quarante minutes environ pour dessiner, avec

deux ou trois pauses pour le modèle.

Si je faisais personnellement la démonstration

du dessin de profil,je ne nommerais pas les

parties que je dessine. Je désignerais les

différentes régions et les différentes lignes en

parlant par exemple de « cette forme, ce

contour, cet angle, la courbe de cette forme))

et ainsi de suite. Par souci de clarté

malheureusement, puisqu’il s’agit d’un texte

écrit, il me faudra citer les choses par leur

nom. La marche à suivre vous paraîtra peut-

être malaisée et compliquée quand vous lirez

les instructions, mais elle deviendra, à mesure

que vous dessinerez, une danse étrange et

silencieuse, une recherche exaltante, dans

laquelle chaque perception nouvelle se trouve

miraculeusement liée à la précédente.

Lisez d’un trait toutes les directives et

regardez les travaux d’élèves avant de vous

mettre à dessiner.

1. Fixez votre feuille avec du papier collant

ou des punaises sur une surface plane et

rigide. Une planche à pain fera l’affaire, mais

vous devrez éventuellement placer un paquet

de feuilles sous votre feuille à dessin pour

obtenir une surface plane.

Fig. 10-1.

2. Asseyez-vous devant votre modèle de manière à le voir de profil. Placez-vous si possible à

un bon mètre de votre modèle. La distance maximale pour dessiner le portrait d’une tête est de

deux mètres. De plus loin, il ne vous est plus possible de voir les détails avec une netteté

suffisante et vous êtes tenté de leur substituer des symboles.

3. Commencez votre dessin en délimitant la forme soit avec votre viseur soit avec votre main

et votre crayon comme à la figure 10-1. Fixez d’abord votre regard sur les espaces négatifs

autour de la tête et attendez qu’ils vous apparaissent comme des formes. Voyez la forme

générale de la tête comme un espace vide entouré d’espaces négatifs matériels — comme le

trou en forme de Bugs Bunny dans la porte.

139

4. Tournez les yeux vers votre

feuille blanche et visualisez la

forme de a tête de votre modèle

sur le papier — le contour

extérieur général de la tête (qui

est également le contour

intérieur des espaces négatifs).

Vous arriverez plus facilement

à projeter cette image si vous

commencez par en faire une

esquisse mentale, en déplaçant

votre crayon le long de l’image

fictive de la tête comme si vous

la dessiniez, sans toucher le

papier. Vous savez à présent la

grandeur qu’aura la tête et la

place qu’elle occupera sur

Fig. 10-2

votre feuille. Vous pouvez même visualiser les traits et tous les détails directement sur le

papier.

5. Commencez vraiment à dessiner par où vous voulez. Je commence généralement par le

front puis je descends le long du profil mais d’autres suivent une progression différente.

Toutes les formes et tous les espaces s’assembleront comme les pièces d’un puzzle, chaque

élément se situant par rapport aux autres; votre point de départ est dès lors indifférent.

6. Une fois encore, délimitez la forme, fixez votre regard sur l’espace négatif le long du front

et du nez et attendez qu’il vous apparaisse comme une forme (autrement dit, attendez que la

tâche soit reléguée au cerveau droit). Ensuite, par la méthode du dessin de contour modifié,

dessinez le côté de l’espace négatif. Evaluez les angles (du nez, par exemple) comme vous

l’avez fait au chapitre 9, en tenant votre crayon à la verticale, en fermant un oeil, et en

alignant verticalement le crayon sur la pointe du nez comme à la figure 10-2. Quel angle

forme l’arête du nez par rapport à la verticale? En descendant le long du profil, situez les

points repères et évaluez les distances situez un point par rapport à un autre, déterminez la

longueur d’un contour par rapport à un autre en vous référant toujours à un

élément que vous avez déjà dessiné.

7. Voici maintenant quelques instructions spécifiques pour voir correctement certaines parties

de la tête. Vous pouvez bien sûr percevoir ces différents rapports en regardant simplement

votre modèle, mais, en attirant votre attention sur certains détails particuliers, je vous aiderai

peut-être à mieux les voir.

LES YEUX

Notez que les paupières ont une épaisseur. Le globe oculaire se trouve derrière les paupières

(figure 10-3). L’iris (la partie colorée de l’oeil) « se dessine tout seul ». Dessinez la forme du

blanc de l’oeil (figure 10-4). Le blanc peut être considéré comme un espace négatif ayant un

côté commun avec l’iris. En dessinant la forme (négative) du blanc de l’oeil, vous obtiendrez

une image correcte de l’iris car cela vous permettra de dépasser le symbole que vous avez

mémorisé pour figurer l’iris. Notez que cette technique de « dépassement» peut s’appliquera

140

tous les détails que vous trouvez « difficiles à dessiner ».

Elle consiste à passer à la forme où à l’espace adjacent à la

difficulté et à dessiner plutôt cet espace adjacent. Vous

remarquerez que les cils supérieurs sont d’abord dirigés vers

le bas et qu’as se recourbent ensuite vers le haut (chez

certaines personnes). Notez que l’orientation générale de

l’oeil est inclinée par rapport à l’axe du visage (figure 10-5).

Fig. 10-3.

Fig. 10-4.

Cette inclinaison est due à la position du globe oculaire dans la structure osseuse qui

l’entoure. Observez cet angle particulier sur votre modèle — il s’agit d’un détail important.

Fig. 10-5.

LE NEZ

Fig. 10-6. Observez la forme de l’espace sous les narines. Cette forme varie d’une personne à l’autre et

doit être soigneusement examinée pour chaque modèle.

La narine, comme l’iris est souvent dessinée de manière symbolique. Une fois encore, utilisez

la technique de « dépassement » que vous avons décrite plus haut et passez de l’élément

mémorisé sous forme de symbole à l’élément adjacent. Pour dessiner la narine, observez

l’espace en dessous du bord de celle-ci et dessinez-en la forme exacte (figure 10-6).

141

LA BOUCHE

Dans le profil de nombreux

visages, le contour extérieur

de la pointe du nez, la lèvre

supérieure, la lèvre

inférieure et le menton se

situent souvent sur une ligne

oblique comme le montre la

figure 10-7. Observez

attentivement ces différents

points sur votre modèle et

notez-en l’axe exact. Voyez

d’abord les proportions

générales, ensuite les

proportions de chaque

élément et enfin les rapports

spécifiques entre les

différents éléments. La

méthode des espaces

Fig. 10-7.

Fig. 10-8. Pour dessiner la forme de

la lèvre supérieure, observez et

dessinez la forme de cet espace.

négatifs est très utile car elle permet d’observer et de dessiner des formes originales et non

stéréotypées. Notez ensuite que les bords des lèvres ne sont pas de véritables contours (c’est-

à-dire les lignes de rencontre de deux formes) mais que ce sont de simples changements de

couleurs. Vous constaterez que pour la plupart des modèles, ce léger changement de

coloration se représente mieux par un trait délicat que par une ligne épaisse et noire. La ligne

médiane des lèvres, par contre, est un véritable contour (c’est-à-dire la ligne de rencontre de

deux formes) et, en observant votre modèle, vous remarquerez que ce contour est plus sombre

que le bord extérieur des lèvres. La forme de la lèvre supérieure contribue très largement à

l’expression du visage. La lèvre supérieure « se dessine toute seule » — une fois encore, il

suffit de passer à l’espace adjacent, l’espace entre le nez et la lèvre supérieure comme à la

figure 10-8. Vérifiez la longueur de la ligne médiane de la bouche. Où se situe le coin de la

bouche par rapport à l’avant de l’oeil par exemple ? (Vérifiez chaque fois les positions par

rapport à un élément que vous avez déjà dessiné).

LE MENTON

Situez le contour avant du menton par rapport au front ou à la lèvre supérieure — ou tout

autre élément déjà dessiné. Observez la longueur du menton par rapport à la longueur du nez,

par exemple.

LES LUNETTES

142

Si votre modèle porte des

lunettes, ne les dessinez

pas — les lunettes sont

souvent symbolisées

(figure 10-9). Dessinez les

espaces négatifs autour

des lunettes, comme à la

figure 10-10. L’important

dans le cas présent est de

ne pas mettre en doute

votre perception des

espaces négatifs. Dessinez

ce que vous voyez.

Fig. 10-9. La symbolisation des

lunettes est particulièrement

tenace.

Fig. 10- 10. Pour éviter les symboles.

utilisez les formes du visage autour

des lunettes en guise d'espaces

négatifs.

LE COU

Utilisez l’espace négatif en avant du cou pour

percevoir clairement le contour du menton et

le contour du cou (figure 10-11). Vérifiez

l’angle que forme l’avant du cou par rapport à

la verticale. N’oubliez pas non plus de vérifier

le point où l’arrière du cou rejoint le crâne. Ce

point se situe généralement au niveau du nez

ou de la bouche (figure 10-11).

Fig. 10-11. Déterminez soigneusement ce point par

rapport au niveau du nez et de la bouche. L’avant

du cou est souvent légèrement incliné par rapport à

la verticale.

LE COL

143

Ne dessinez pas le col. Il s’agit de nouveau d’un détail

lourdement grevé de symbolisme (figure 10-12). Utilisez

plutôt le cou comme espace négatif pour dessiner le dessus

du col de même que vous utiliserez les espaces négatifs pour

dessiner les pointes du col, l’ouverture de la chemise,

éventuellement, et le contour de l’arrière du col, comme à la

figure 10-12. (L’efficacité de la technique de «

dépassement » vient certainement du fait que des formes

telles que l’espace négatif autour d’un col peuvent

difficilement être nommées et qu’on ne dispose d’aucun

symbole préconçu qui en déforme la perception.)

Fig. 10-12. Utilisez la technique du dépassement., pour les éléments

fortement imprégnés des formes conceptuelles symboliques et

stéréotypées mémorisées depuis les dessins d’enfance.

L’OREILLE

Maintenant que vous avez dessiné tous les

traits du visage, ou presque, mesurez sur

votre modèle la hauteur de la moitié inférieure

de la tête (niveau des yeux - menton) et la

hauteur de la moitié supérieure (niveau des

yeux - sommet du crâne) et comparez ces

mesures. Pour ce faire, mesurez vraiment la

tête de votre modèle avec votre crayon (figure

10-13). La distance entre le niveau des yeux

et le dessus des cheveux doit être au moins

aussi longue (éventuellement plus longue si

les cheveux sont épais) que la distance entre

le niveau des yeux et le menton.

Reportez ensuite ces mesures sur votre dessin.

Posez votre crayon à la verticale sur votre

dessin et mesurez la distance entre le niveau

de l’oeil et le menton en plaçant l’extrémité

de la gomme au niveau de l’oeil et en

marquant du pouce et de l’index l’endroit où

arrive le menton. En conservant cette

Fig. 10-13.

mesure, levez votre crayon, faites-le glisser le long de la ligne du niveau de l’oeil jusqu’au

milieu du crâne et marquez sur votre dessin l’endroit où se placera le sommet du crâne. Ne «

sautez » pas cette étape en vous disant que vous n’oublierez pas de dessiner le crâne

suffisamment grand. Situez ensuite l’emplacement de l’arrière de l’oreille : posez de nouveau

votre crayon sur votre feuille et mesurez la distance entre le niveau de l’oeil et le menton.

Reportez cette mesure entre l’arrière de l’oeil et l’arrière de l’oreille. Ou bien encore,

visualisez le triangle rectangle isocèle. Les figures 10-14 et 10-15 illustrent ces deux

méthodes. Marquez sur votre dessin l’endroit où se placera l’arrière de l’oreille (figure 10-15).

144

Commencez par dessiner la forme de l’espace négatif derrière l’oreille. Dessinez ensuite

les formes à l’intérieur de l’oreille en dirigeant toujours votre regard vers la forme voisine de

celle que vous voulez dessiner pour vous servir de cette forme comme d’un espace négatif.

N’oubliez pas de vérifier la taille de l’oreille par rapport aux autres traits du visage : Où se

trouve le dessus de l’oreille par rapport à l’oeil et au sourcil ? Où se situe le bas de l’oreille

par rapport au nez et à la bouche ? Rappelez-vous que les oreilles sont de dimensions

surprenantes.

Fig. 10-14.

Fig. 10-15.

LES CHEVEUX

Les élèves me demandent souvent de leur montrer « comment on dessine les cheveux ». Je

pense que pour la plupart des débutants, cette question signifie en réalité : « Montrez-moi

comment dessiner les cheveux rapidement, facilement, et que l’effet soit fantastique ».

Autrement dit : « Donnez-moi un symbole pour les cheveux meilleur que celui que j’utilise

pour le moment ». De tels miracles n’existent évidemment pas. Les cheveux se dessinent

exactement de la même manière que les autres détails : il faut les percevoir tels qu’ils sont,

dans toute leur complexité, et dessiner ce qu’on voit. Cela ne signifie pas qu’il faille dessiner

chaque cheveu mais cela veut dire que vous devez prendre le temps de dessiner au moins une

145

Fig. 10-16.Anthony Frederick, Augustus Sandys (1832-1904). Proud Maisie. Avec l’aimable autorisation

du Musée Victoria et Albert, Londres.

partie des cheveux — reproduire le mouvement précis des mèches, la texture exacte de

certaines régions de la chevelure. Recherchez les zones sombres où les cheveux se séparent et

servez-vous de ces zones comme d’espaces négatifs. Déterminez les grands mouvements, la

courbe précise d’une mèche ou d’une ondulation. L’hémisphère droit, qui adore la

complexité, peut tomber en extase devant les détails d’une chevelure, et la reproduction

correcte de vos perceptions dans cette partie précise du dessin peut avoir un impact

formidable, comme le montre le portrait de Proud Maisie (figure 10-16). Sont à éviter les

petits traits hâtifs et symboliques qui représentent les cheveux avec la même désinvolture que

si vous aviez écrit le mot en toutes lettres en travers du portrait.

Lorsque vous serez prêt à commencer, rappelez-vous qu’il vous faudra trente à quarante

minutes. Vous pourriez régler une minuterie pour ne pas oublier d’accorder une pause à votre

modèle. Prévenez d’ailleurs cette personne que vous ne pourrez pas bavarder pendant qu’elle

posera.

Placez votre modèle et prenez la distance voulue. Délimitez la forme générale de la tête.

Visualisez cette forme sur votre feuille à dessin. Dirigez votre regard vers les espaces négatifs

qui l’entourent. Vous vous sentirez dériver vers le mode-D... atteignant l’état de conscience

qui vous permet d’accéder à une vision claire des choses.

Après avoir terminé : Vous pouvez être fier de vous — vous avez réussi. J’espère que vous

êtes aussi satisfait de votre dessin que le sont mes élèves après leur premier portrait.

S’il vous semble que certaines parties de votre dessin ne sont pas parfaitement correctes.

tâchez de corriger les erreurs en utilisant les procédés suivants. En renversant le dessin. vous

aurez une vision plus fraîche et plus objective des rapports entre les divers éléments et vous

verrez où d’éventuelles corrections sont « L’objet, qui est le support de toute oeuvre

146

nécessaires. Une autre technique très utile pour

déceler les erreurs consiste à recouvrir la partie

du dessin qui semble incorrecte et à visualiser

cette partie comme elle devrait apparaître.

Gardez cette image à l’esprit pendant que vous

regardez le dessin. Retirez ensuite rapidement

la main pour laisser paraître la partie

d’art véritable, est l’accomplissement d’une

manière d’être, un état de fonctionnement

intense, un instant plus qu’ordinaire de notre

existence ... C’est dans cet état que nous

faisons nos découvertes car c’est alors que

nous voyons clair. »

Robert Henri, The Art Spirit

escamotée. Si cette partie du dessin est incorrecte — mal placée ou trop petite — vous verrez

immédiatement l’erreur. Une troisième technique consiste à dresser le dessin à côté du modèle

et à vérifier successivement chaque espace négatif, en contrôlant les angles, les dimensions,

etc. — d’abord sur le modèle, ensuite sur le dessin. Là où les espaces négatifs ne concordent

pas, vous trouverez une erreur.

Afin d’éviter toutefois que vous ne jugiez trop sévèrement votre travail, le moment est venu

de reprendre les dessins préliminaires que vous aviez réalisés à la fin du chapitre 1. La

comparaison sera peut- être aussi frappante que pour les dessins avant et après reproduits à la

fin de ce chapitre. En effet, si vous examinez votre dessin préliminaire d’une tête et votre

dessin préliminaire d’un personnage de mémoire (votre dessin de personnage), vous

constaterez vraisemblablement une répétition de votre symbolique dans les traits du visage.

Mais le dessin de profil que vous venez de réaliser ne comporte probablement aucune trace de

cette symbolique et avec ce dernier dessin, vous êtes en bonne voie pour atteindre un niveau

adulte d’expression visuelle.

TRAVAUX D’ELEVES

Profils en dessin

Maintenant que vous avez lu toutes les instructions pour éviter les problèmes spécifiques du

portrait de profil, voyez les travaux d’élèves consacrés à ce type de dessin. En examinant ces

travaux, passez en revue les différentes étapes franchies par les élèves pour réaliser leurs

portraits. Relevez les mesures principales en posant votre crayon sur chaque dessin mesurez

les distances entre le niveau de l’oeil et le menton, le niveau de l’oeil et le sommet du crâne,

l’emplacement de l’oreille, et ainsi de suite. Tâchez de deviner quelles sont les formes

difficiles comme les lunettes, l’iris, l’oreille, etc., pour lesquelles l’élève-artiste a dû utiliser

les espaces négatifs.

147

Kevin Schley

P. Krones

Sherlyn Arch

Rona Kramer

148

Janice Gallagher

Sheila Kalivas

Exercices supplémentaires

Avant de commencer : Pour ces exercices, je vous demande de copier des dessins de maître,

c’est-à-dire des portraits réalisés par des artistes connus de jadis. Le but est d’observer la

manière dont un grand artiste a vu le visage d’un individu particulier, dans toute la complexité

des proportions. En copiant ce portrait, imaginez-vous donc que vous êtes ce grand artiste et

retracez la progression de son travail. Copiez un portrait de profil d’un grand maître. Utilisez

les espaces négatifs à l’extérieur de la forme et à l’intérieur de celle-ci (technique du

« dépassement ») en dessinant, à la place des éléments « difficiles », les formes qui leur sont

directement adjacentes. Si vous le voulez, vous pouvez copier le portrait la tête en bas (Voir

figure 10-17).

10b. Si le premier portrait de maître que vous avez copié était celui d’une femme, copiez à

présent celui d’un homme, ou inversement.

.4 pris avoir terminé : En vous aidant des techniques conseillées pour les dessins de profil.

recherchez les éventuelles erreurs de perception dans les dessins que vous venez d’exécuter.

Ensuite, pendant toute la journée, vous regarderez les personnes que vous rencontrez comme

si vous étiez un grand maître et comme s’ils étaient d’éventuels modèles. Imaginez ce que

donnerait leur portrait dans le style du maître dont vous avez copié les tableaux.

MAITRISE DE LA TECHNIQUE

149

Avant de vous attaquer à l’étape suivante, c’est-à-dire le portrait de trois quarts, faites les

exercices 10a et b.

La première étape, comme pour chaque dessin, est de créer une situation propice à la

conversion cognitive vers le mode-D. Tâchez de disposer d’un laps de temps d’une demi-

heure au moins. Commencez par fixer du regard les espaces négatifs. Avec le temps, votre

cerveau s’accoutumera à cette démarche et la conversion s’effectuera toujours plus aisément.

Une fois plongé dans le mode-D, votre unique problème sera de vous rappeler d’accorder une

pause à votre modèle.

Si, comme cela arrive parfois, votre cerveau gauche reste actif, le meilleur remède est de

procéder à une brève séance de dessin de contour pur, en dessinant votre modèle ou n’importe

quel objet complexe. Le dessin de contour pur semble imposer plus radicalement la

conversion vers le mode-D et il s’agit donc d’un excellent exercice d’ « échauffement » avant

de dessiner n’importe quel objet.

UN QUART DE TOUR : LA VUE DE TROIS QUARTS

Fig. 10-17. Dessin d’élève de l’une des Quatre

Têtes de Dürer.

Fig. l0-18. Esquisse d’après un portrait de trois

quarts réalisé pur l’artiste allemand Lucas

Cranach (1472-1553). Tête d’un Jeune Homme avec

une Toque rouge.

Les jeunes enfants dessinent rarement les personnes la tête légèrement tournée d’un côté dans

la position dite de trois quarts. Généralement, les enfants dessinent les visages soit de face soit

de profil. Vers l’âge de dix ans, ils s’essayent au portrait de trois quarts peut-être parce que cet

angle de vue permet d’exprimer plus fidèlement la personnalité du modèle. Les problèmes

que rencontrent les jeunes artistes dans ce genre de dessin sont toujours les mêmes : la vue de

trois quarts produit des perceptions visuelles en contradiction avec les formes symboliques

150

qu’ils ont développées depuis la prime enfance pour figurer les visages de face et de profil

et qui, lorsqu’ils ont dix ans, sont solidement ancrées dans leur mémoire.

Quelles sont ces contradictions ? Primo, comme vous pouvez le voir à la figure 10-18, le nez

n’est pas le même que le nez vu de profil. Secundo. les deux côtés du visage sont de largeur

différente, l’un étant plus large et l’autre plus étroit. Tertio, l’oeil du côté le plus éloigné est

plus étroit que l’autre et présente une forme différente. Quarto, la moitié de la bouche du côté

le plus éloigné est plus courte que l’autre moitié et se dessine différemment. La perception

d’une asymétrie dans les traits du visage entre donc en conflit avec les symboles mémorisés

qui reproduisent presque toujours les traits de manière symétrique de chaque côté du visage.

Pour résoudre ce conflit. il faut donc dessiner uniquement ce qu’on voit sans remettre en

question sa perception des formes et sans modifier ces dernières pour les faire correspondre à

une symbolique gardée en mémoire. Voir les choses-telles-qu’elles-sont, dans la merveilleuse

complexité qui les singularise, voilà la clé qui ouvrira la porte.

Avant de commencer : J’aimerais vous guider le long de cette évolution, étape par étape, et

vous enseigner quelques procédés qui vous permettront de garder une claire perception de la

réalité. Notez une fois de plus que si je faisais une démonstration de portrait de trois quarts, je

ne nommerais aucune des parties du visage, me contentant simplement de les désigner du

doigt. Aussi, lorsque vous dessinez, ne nommez pas les différentes parties du visage. Essayez

même de ne pas vous parlez intérieurement pendant que vous travaillez.

Fig. 10-19. Evaluez l’inclinaison

de axe central par rapport à la

verticale. La ligne du niveau des

yeux est perpendiculaire à l’axe

central.

Fig. 10-20. Les bords de la feuille représentent la verticale et

l’horizontale. L’angle de l’axe central est dessiné sur la feuille par

rapport à la verticale (le bord de la feuille).

1. Pour ce premier dessin, placez votre modèle de sorte que, de votre place, le bout du nez

coïncide avec le contour extérieur de la joue la plus éloignée, comme la figure 10-19. La joue

constitue ainsi un espace fermé.

151

2. Tout comme pour le dessin de profil, cadrez la forme à l’aide d’un viseur ou avec la

main et le crayon. Fixez du regard les espaces négatifs jusqu’à ce qu’ils vous apparaissent

comme des formes. Regardez ensuite la forme générale de la tête — le contour extérieur

général — et attendez qu’il vous apparaisse comme une forme.

3. Baissez ensuite les yeux sur votre feuille blanche et visualisez la forme générale de la tête

sur le papier. Faites une esquisse mentale de cette forme — vous pouvez la tracer légèrement

si cela vous aide à en fixer l’image.

4. Observez votre modèle. Situez d’abord l’axe central, c’est-à-dire la ligne fictive qui passe

exactement par le centre du visage. Dans la vue de trois quarts, l’axe central passe parles deux

points suivants : le milieu de l’arête du nez et le milieu de la lèvre supérieure. Imaginez un

mince fil traversant le nez (figure 10-19). En tenant votre crayon verticalement à un bras de

distance en direction de la tête de votre modèle, vérifiez l’angle d’inclinaison de l’axe central.

L’inclinaison de la tête est différente pour tous les modèles. Evaluez cet angle par rapport à la

verticale (c’est-à-dire votre crayon). Visualisez une nouvelle fois la forme générale de la tête

sur votre feuille et tracez l’axe central avec l’inclinaison correcte (figure 10-20). Cet angle

d’inclinaison est essentiel pour la ressemblance du portrait. Ensuite, tracez très finement la

ligne du niveau des yeux perpendiculairement à l’axe central afin d’éviter la distorsion des

traits dont j’ai parlé au chapitre 9. Mesurez sur votre modèle et ensuite sur votre feuille pour

vous assurer que la ligne du niveau des yeux se situe bien à mi-hauteur de la forme générale.

5. Vous allez utiliser la méthode du dessin de contour modifié : dessinez lentement en

concentrant votre attention sur les côtés et en percevant les rapports de dimensions,

d’inclinaisons, etc. Cette fois encore, vous pouvez commencer par où vous semble bon. (J’ai

tendance à commencer par la forme qui se trouve entre le nez et le contour de la joue la plus

éloignée parce que cette forme est facile à voir, comme à la figure 10-21). Les instructions

suivantes suivent un ordre particulier mais vous pouvez en préférer un autre.

Fig. 10-21. Toute cette région doit d’abord Fig. 10-22.

vous apparaître comme une forme.

6. Regardez cette forme et fixez-la jusqu’à ce qu’elle vous apparaisse clairement. Dessinez-en

le contour extérieur. Comme vous le voyez, ce dessin vous donne le contour du nez. A

l’intérieur de cette forme vous avez dessiné l’oeil avec la configuration particulière qui est

celle des yeux vus de trois quarts. L’oeil, lui aussi, se « dessine tout seul ». Il suffit de

dessiner les formes qui l’entourent. Vous pouvez suivre l’ordre conseillé à la figure 10-22

mais ce n’est pas nécessaire. D’abord la forme au-dessus de l’oeil (1), puis la forme voisine

(2), ensuite la forme du blanc de l’oeil (3), et enfin la forme en dessous de l’oeil (4). Tâchez

de ne pas penser à ce que vous dessinez. Dessinez simplement chaque forme en observant

celle qui lui est adjacente.

152

7. Situez ensuite l’emplacement de l’oeil du côté de la tête le plus proche de vous. Vous

remarquerez que sur votre modèle, le coin intérieur de l’oeil se situe sur la ligne du niveau des

yeux. Vous remarquerez également que l’oeil est particulièrement éloigné du contour du nez :

celte distance est presque toujours égale à la longueur de l’oeil lui-même (figure 10-22).

L’erreur la plus fréquente que commettent les élèves débutants dans le portrait de trois quarts,

est de dessiner l’oeil trop très du nez. Cette erreur déroute toutes les autres perceptions et peut

nuire au dessin. Tâchez de voir (par la visée) la longueur de cette distance et de la dessiner

comme vous la voyez.

8. Ensuite, le nez. Situez sur votre modèle le bord de la narine par rapport au coin intérieur de

l’œil : abaissez une droite suivant la même inclinaison que l’axe central (parallèlement à cet

axe) (figure 10-23). Ne remettez pas vos perceptions en question. Rappelez-vous que les nez

sont plus grands que vous pensez. Dessinez ensuite la forme de la narine en suivant la forme

des espaces qui entourent le nez.

9. La bouche. Evaluez la distance à laquelle

se trouve la bouche (à l’endroit où les lèvres

se joignent) sur l’axe central par rapport à la

longueur du nez, par exemple. Faites une

marque. Situez le coin de la bouche par

rapport à l'oeil (figure 10-23). Observez

ensuite la ligne médiane de la bouche et

dessinez-en la courbe exacte, telle que vous la

percevez. Cette courbe est importante dans la

mesure où elle détermine l’expression du

modèle. N’essayez pas de qualifier cette

expression en vous disant intérieurement :

« Elle a une expression très agréable » ou « Il

a l’air tellement aimable ». Les perceptions

visuelles sont là pour être vues. Si vous voyez

clairement et si vous dessinez exactement ce

que vous voyez, l’expression du visage sera

précisément l’élément auquel vous réagissez.

Le mode-D vous permet de réagir, bien sûr —

mais pas avec des mots.

Fig. 10.23.

Poursuivez en dessinant d’abord la ligne médiane de la bouche du côté le plus proche du

visage. Complétez par les bords supérieurs et inférieurs des lèvres du même côté en vous

rappelant que ces traits doivent être légers parce qu’ils ne représentent pas des contours

extérieurs.

Pour dessiner la bouche du côté le plus éloigné du visage, utilisez la technique des espaces

négatifs que vous avez utilisée pour dessiner l’oeil de ce même côté du visage. Dessinez la

forme des espaces autour de la bouche. Une fois encore, notez avec précision la courbe de la

ligne médiane.

10. L’oreille. Situez exactement l’oreille soit par la visée, soit en mesurant sur le modèle.

Prenez garde à placer l’oreille suffisamment en arrière. La distance entre le niveau des yeux et

le menton sera à peu près égale à la distance entre le coin intérieur de l’oeil et l’arrière de

l’oreille. Vous pouvez vérifier ce rapport en mesurant sur votre modèle si c’est nécessaire.

153

Observez ensuite où se situe le dessus de l’oreille, ensuite le dessous, et dessinez l’oreille

d’après les espaces négatifs qui l’entourent.

11. Les cheveux et l’encadrement du visage. Dessinez les cheveux qui encadrent le visage

comme vous l’avez fait pour votre dessin de profil : utilisez le front comme espace négatif

dont le contour extérieur serait la limite de la chevelure. Ensuite, observez et dessinez

certaines parties, au moins, des cheveux, en reproduisant l’allure générale, certains

mouvements particuliers, la texture, les zones sombres où les mèches se séparent, etc.

12. Le cou et le col. Observez sur votre modèle l’endroit où le contour du cou semble émerger

du contour du menton, que vous avez déjà dessiné. Evaluez ensuite l’angle que forme le cou

par rapport à la verticale. Dessinez ces contours. Pour dessiner le col ou l’encolure du

vêtement, dessinez les formes adjacentes à celles que vous voulez reproduire : le cou, la

surface autour du col ou en dessous de lui. Comme pour toutes les formes dont le dessin est

empreint de symbolisme, vous devez regarder l’espace autour de la forme pour dessiner

correctement cette dernière.

13. Vous avez peut-être envie d’ombrer légèrement ce dernier dessin. Observez la forme des

zones sombres sous la lèvre inférieure ou sous le menton. par exemple, ou encore sous le nez.

Vous verrez peut-être une zone sombre sur le côté du nez ou sous la paupière inférieure. Vous

pouvez ombrer légèrement les zones sombres avec votre crayon et étendre la couleur avec le

bout du doigt si vous le voulez. Tachez de situer et de noircir les zones sombres exactement

comme vous les voyez. Leur forme est déterminée par la structure osseuse du visage et la

lumière moins vive qui les éclaire. Dans le chapitre suivant, j’expliquerai plus complètement

l’utilisation des clairs et des sombres pour accentuer l’aspect tridimensionnel de vos dessins.

Maintenant que vous avez lu toutes les directives, vous êtes prêt à dessiner. Placez votre

modèle et votre feuille de papier. Délimitez la forme du visage. Visualisez-la sur votre feuille.

Dirigez votre regard vers les espaces négatifs. Vous vous sentirez passer au mode-D.

Après avoir terminé : Une fois le dessin terminé,

vous vous assoirez probablement en regardant

votre dessin et vous exercerez un regard différent

de celui que vous exerciez pendant que vous y

travailliez. Une fois le dessin achevé, vous le

considérerez d’un oeil plus critique, plus

analytique. et vous remarquerez peut-être de

« Lorsqu’une certaine activité, comme la

peinture, devient un mode d’expression

habituel, il se peut que le fait de prendre son

matériel de peinture et de se mettre à

travailler avec ces instruments agisse de

manière suggestive et provoque aussitôt un

essor vers l’état supérieur ».

Robert Henri, The Art Spirit

légères erreurs, de petites différences entre le modèle et le dessin. C’est la façon de faire de

l’artiste. Quittant le mode-D, son mode de travail, pour réintégrer le mode-G, l’artiste prévoit

l’étape suivante, évalue le dessin en fonction des critères particuliers du cerveau gauche,

prévoit les corrections nécessaires. Reprenant alors sa brosse ou son pinceau, l’artiste se remet

à l’ouvrage et se replonge dans le mode-D, son mode de travail. Ces décrochages et reprises

154

successifs se poursuivent jusqu’à ce que

l’ouvrage soit terminé, c’est-à-dire jusqu’à

ce que l’artiste décide que le tableau n’a plus

besoin d’être travaillé.

Vous souhaitez peut-être vous replonger

dans le dessin pour une seconde séance de

pose. Gardez-vous cependant de dessiner

sans que le modèle pose pour vous. Dès que

vous essayez d’ « achever » un dessin sans

vous référer au modèle, la porte des

perceptions se referme brutalement et vous

risquez de gâcher votre travail. Pour ces

premiers dessins, il est particulièrement

nécessaire d’avoir l’objet matériel sous les

yeux.

Avant de passer à la leçon suivante, relisez

les instructions relatives à la vue de trois

quarts et faites les exercices 10c, d et e.

Fig. 10-24. Copie d'élève d’un dessin de maître.

Sara Clippinger

FAITES FRONT : LE PORTRAIT DE FACE

Avant de commencer :Cette fois encore, lisez d’abord toutes les directives. Revoyez les

proportions du blanc au chapitre 9. Eliminez tous les travaux d’élèves.

1. Fixez une feuille sur votre planche avec du papier collant ou des punaises, choisissez la

position de votre modèle, réglez une minuterie, etc. Ces préparatifs vous sont probablement

déjà familiers.

Exercices supplémentaires

10e. Copiez un dessin de maître d’une personne vue de trois quarts (voir figure 10-24).

10d. Si le premier portrait de trois quarts était celui d’une femme, copiez à présent le portrait d’un

homme.

10e. Disposez deux miroirs et une lampe de manière à voir votre propre visage de trois quarts, la lampe y

produisant un fort contraste de clairs et de sombres. Faites votre autoportrait de trois quarts en ombrant

certaines formes plus foncées (voir page 176).

2. Cadrez la forme et attendez que vous apparaissent les espaces négatifs et la forme générale

de la tête. Visualisez cette forme sur votre feuille blanche pour amorcer une conversion

cognitive vers le mode-D. Faites une esquisse mentale afin de savoir où se placeront les traits

du visage, le sommet de la tête, etc. et quelles seront leurs dimensions relatives.

155

3. En tenant votre crayon verticalement à bout de bras, vérifiez l’inclinaison de l’axe

central. Tracez (très finement) la ligne du niveau des yeux. A présent vous pouvez

commencer le dessin ; vous devez être passé au mode-D.

4. Vous pouvez commencer par n’importe quelle partie de la tête. Je donnerai de nouveau mes

instructions dans un ordre particulier afin de les simplifier, mais il se peut que plus tard, vous

adoptiez un ordre différent.

5. Placez les yeux (remarquez que l’espace entre les yeux est de la longueur d’un oeil). Voyez

et dessinez le contour exact de chaque oeil. Les deux yeux sont souvent différents. Pour

percevoir plus clairement les contours, fixez votre regard sur la forme au-dessus de l’oeil

(entre la paupière supérieure et le sourcil) et utilisez cette forme comme un espace négatif.

Observez la forme exacte des paupières, le mouvement précis des cils. Ne modifiez rien, ne

repensez rien — dessinez simplement ce que vous voyez.

6. Le nez. En observant le modèle, visualisez un triangle joignant les coins extérieurs des

yeux et la pointe du nez. Ce triangle présente une forme particulière pour chaque modèle.

Visualisez ensuite le triangle sur votre dessin et faites une marque pour l’emplacement de la

pointe du nez. Cette technique. conforme au mode-D, permet de percevoir correctement la

longueur du nez — ce détail posant de fréquents problèmes aux élèves débutants. Observez

ensuite sur votre modèle la largeur du nez au niveau des narines par rapport aux coins

intérieurs des yeux.

Observez les clairs et les sombres le long du nez. Dans la plupart des cas, vous verrez un clair

d’un côté du nez et un sombre de l’autre côté. Si vous regardez attentivement, vous

remarquerez que ces clairs et sombres ont une forme spécifique, déterminée par la lumière qui

tombe sur la structure osseuse particulière de ce nez particulier. En dessinant le clair ou le

sombre (il faut choisir l’un ou l’autre), vous reproduirez la structure osseuse du nez. Pour ce

faire, dessinez l’un des côtés du nez, pas les deux.

Chez la plupart des gens, les symboles figurant les narines sont particulièrement résistants.

Dessinez les formes en dessous des narines afin de dépasser votre symbolisme.

« Lorsqu’on dessine un visage, n’importe quel visage. c’est comme si des rideaux se levaient, comme si des

masques tombaient l’un après l’autre ... jusqu’à ce que seul subsiste un dernier masque qu’on ne peut ni

retirer ni réduire. Une fois le dessin terminé, j’en sais long sur ce visage, car aucun visage ne peut se

dissimuler longtemps. Rien n’échappe à l’oeil mais tout est pardonné d’avance. Le regard ne juge pas, ne

moralise pas, ne critique pas. Il accepte les masques avec gratitude comme il accepte que les longs

bambous sont longs et que la gerbe d’or est jaune. »

Frederick Franck The Zen of Seeing

7. La bouche. Evaluez la longueur de la lèvre supérieure par rapport à la longueur du nez, par

exemple. Tracez la ligne médiane de la bouche en prenant garde qu’elle soit perpendiculaire à

l’axe central. Il arrive souvent qu’on dessine la bouche en oblique, ce qui modifie

étrangement l’expression. Notez avec un soin particulier la forme et la position des coins

extérieurs de la bouche, ces derniers contribuant pour beaucoup aux nuances expressives du

visage. Dessinez ensuite le contour extérieur des lèvres. La lèvre inférieure n’est parfois

qu’une région plus sombre qui souligne la lèvre supérieure. Regardez attentivement votre

modèle. Des traits épais figurant le bord des lèvres résultent souvent d’une perception

incorrecte ou de l’interférence d’un symbole. En général, les bords des lèvres ne sont pas des

contours abrupts mais de simples changements de coloration.

156

8. Le crâne. Mesurez sur votre modèle la distance entre le niveau des yeux et le sommet

des cheveux et comparez-la à la distance entre le niveau des yeux et le menton. Marquez sur

votre papier l’endroit où arrivera le point le plus excentrique du contour de la forme générale.

Cela vous aidera à dessiner correctement la forme du visage.

9. Le visage. Notez la distance entre les traits et la limite extérieure du visage telle que vous la

percevez. Quelle est cette distance par rapport à un élément que vous avez déjà dessiné,

comme l’œil, le nez ou la bouche ? Quelle est la longueur du menton par rapport au nez que

vous avez dessiné ? Toujours par la méthode du dessin de contour modifié, dessinez la forme

du visage.

10. Les cheveux. Observez cette fois encore la forme extérieure de la chevelure et sa forme

intérieure, là où elle rencontre le visage. Notez le mouvement général des cheveux, les

endroits où ils se séparent et laissent des traces plus sombres. Observez et dessinez certains

détails du mouvement de la coiffure et de la manière dont elle encadre le visage. Donnez au

spectateur des informations suffisantes pour décrire l’aspect général de la coiffure.

« Dépassez » votre symbolique en dessinant certaines régions complexes de la chevelure.

Tâchez d’utiliser le même style de trait pour dessiner les cheveux que pour dessiner le visage

— autrement dit, assurez-vous que le trait que vous utilisez reste le même du visage aux

cheveux. La qualité du trait, l’intensité du ton et la précision des détails doivent rester

constants pour le dessin des cheveux et le dessin du visage. Si vous avez employé un trait net

et foncé pour dessiner le visage, par exemple, utilisez le même trait net et foncé pour dessiner

les cheveux. Cette constance créera l’unité du portrait. Par contre, l’usage d’un trait net et

foncé pour les traits du visage et d’un trait léger et imprécis pour les cheveux aboutirait à un

dessin désuni.

11. Le cou, le col et les épaules. Vérifiez que la largeur des épaules soit suffisante par rapport

à la largeur du visage. Utilisez les espaces négatifs pour dessiner le col (les espaces sous le col

et autour de lui). Prenez soin que les épaules soient suffisamment larges. Une erreur fréquente

parmi les élèves débutants consiste à dessiner des épaules trop étroites. Vérifiez à deux fois

l’espace négatif au-dessus de l’épaule en vous demandant : « Où se situe la limite de l’épaule

par rapport au contour du visage ? »

12. Achevez le dessin en reproduisant la merveilleuse complexité de tous ses contours et en

ombrant, si vous le souhaitez, les zones que vous percevez comme des formes plus sombres.

Après avoir terminé : Maintenant que vous avez observé avec grande attention le visage des

autres, vous comprenez certainement ce que veulent dire les artistes lorsqu’ils prétendent

qu’un visage humain est toujours beau.

TRAVAUX D’ELEVES

Portraits de face

En examinant les portraits d’élèves aux pages suivantes, tâchez de réviser mentalement les

divers procédés utilisés par les artistes. Procédez vous-même aux différentes prises de

mesures. Cela vous permettra d’améliorer votre technique et de vous exercer l’oeil.

AU-DELÀ DU PORTRAIT

157

Terminez par les exercices 10f, g et h avant de poursuivre la lecture des instructions

suivantes pour ombrer vos dessins. Cette technique vous permettra d’affiner les perceptions

de votre regard fraîchement éveillé.

Exercices supplémentaires

Voyez dans les travaux d’élèves des exemples de portraits et de copies de dessins de maîtres.

10f. Cherchez un dessin de maître d’un visage vu de face. En copiant ce dessin vous

approfondirez vos connaissances en matière de proportions et vous vous exercerez à utiliser

les espaces négatifs, etc. Tout en dessinant, vous constaterez que la moindre modification de

la longueur ou de l’orientation d’une ligne ou d’une forme altère l’expression du visage.

Vérifiez toutes les proportions en mesurant avec votre crayon les divers éléments du dessin.

Tournez le dessin la tête en bas si c’est nécessaire pour mieux percevoir les proportions.

10g. Si ce premier portrait de face était celui d’une femme, demandez à un homme qu’il pose

pour vous. Faites-en le portrait de face, votre modèle portant cette fois un chapeau — de

n’importe quel genre. Si vous avez copié le portrait d’un homme, demandez à une femme

qu’elle pose pour vous.

10h. Asseyez-vous face à un miroir. une lampe vous éclairant d’un côté et faites votre

autoportrait en observant la forme des ombres sur votre visage.

Georgette Zuleski. Exemple 10f.

John Boomer

158

Kimberly Leyman. Exemple 10e.

Dolores Stewart

Urba Dean Bury

M. Shours Exemple 10g

159

Bob Jean Exemple 10h

160

161

Passage à la troisième dimension : voir la lumière pour dessiner les ombres

L’ambition la plus grande des élèves est de donner aux formes un effet

de tridimensionnalité en apprenant à « ombrer » le dessin. Cette

technique se fonde sur la perception des variations de tons entre le clair

et l’obscur. Les différents degrés de tonalité s’appellent valeurs.

L’échelle complète des valeurs va du blanc pur au noir pur en passant

littéralement par des milliers de nuances infimes.

Dans un dessin au crayon, jeton le plus clair est le blanc de la feuille elle-

même. Le ton le plus foncé s’obtient en groupant les traits en une zone

aussi sombre que le permet la mine du crayon. Les tons intermédiaires

s’obtiennent en manipulant le crayon suivant des procédés divers : le

dessin en noir et blanc, la hachure, etc. Dans ce chapitre, je vous

montrerai d’abord comment voir les ombres et je décrirai ensuite

brièvement les différentes manières d’ombrer un dessin.

LE ROLE DU CERVEAU DROIT DANS LA PERCEPTION DES

SOMBRES

La réflexion de la lumière sur un objet nous révèle la forme de cet objet :

les valeurs tonales des sombres et des clairs nous permettent de voiries

formes dans leurs trois dimensions. Il est curieux de constater que, tout

en utilisant l’opposition clair—sombre pour interpréter et identifier les

objets, nous ne prêtons aucune attention, ou presque, aux formes

spécifiques de ces clairs et sombres. Il semble qu’on ignore, ou qu’on

dépasse, ces formes de la même manière qu’on ignore les images

renversées ou les espaces négatifs. Après tout, les ombres ne sont

d’aucune utilité pour le cerveau gauche si ce n’est pour les informations

qu’elles lui fournissent et qui lui permettent d’identifier les objets

tridimensionnels.

Pourtant, les ombres (et les zones claires) peuvent être considérées

comme des formes en soi, au même titre que les espaces négatifs et par le

même procédé. Centrez d’abord votre regard sur une ombre (par

exemple, l’ombre sur le visage d’Henry Fuseli, figure 11-2) et attendez

un instant que le cerveau gauche, après avoir scruté cette forme sans la

reconnaître, relègue le travail au cerveau droit — l’ombre vous

apparaissant à ce moment comme une forme. Il est alors possible de

dessiner ou de peindre cette forme sur votre feuille et elle fonctionnera

pour le spectateur exactement de la même manière dont les ombres

fonctionnent dans le monde réel : elle révélera la forme exacte de l’objet

tridimensionnel, en l’occurrence le visage d’Henry Fuseli. (Si vous

retournez le livre pour regarder, à l’envers, l’ombre du visage de Fuseli,

celle-ci vous apparaîtra plus directement comme une forme).

Fig. 11. Echelle

des valeurs

162

Je voudrais insister sur l’importance de la

forme des ombres en m’exprimant d’une

autre façon : la forme de l’ombre sur le

visage du Fuseli est elle-même déterminée

par la forme du nez, de la joue et du visage

de l’artiste. Dès lors, si vous dessinez

correctement cette ombre, vous dessinerez

correctement la forme exacte du nez, de la

joue et du visage d’Henry Fuseli. Dans le

dessin ombré ce sont les formes des ombres

qu’il faut être capable de voir et de dessiner.

Et à l’intérieur des formes sombres, il faut

pouvoir déceler les rapports de valeurs :

quelles sont les formes sombres les plus

foncées, quelles sont les plus neutres et

quelles sont les plus claires.

Ces perceptions particulières, comme toutes

les techniques du dessin, s’exercent plus

facilement une fois que s’est produite la

conversion cognitive vers le mode de

l’artiste. Les recherches récentes ont montré

que l’hémisphère droit était spécialisé non

seulement dans la perception de la forme des

ombres simples. mais encore dans

l’interprétation des figures que certaines

ombres forment entre elles. Les patients qui

souffrent de troubles de l’hémisphère droit

éprouvent souvent de grandes difficultés à

identifier les « figures ambiguës » complexes

et fragmentaires comme celles que vous

voyez à la figure 11-3.

Comment le cerveau droit arrive-t-il à cette

illumination qui lui permet de saisir la

signification de ces agencements de zones

claires et sombres ? Apparemment par

l’appréhension des rapports entre les

différentes formes qui s’agencent pour

Fig. 1-2. Henry Fuseli (1741-1825), Portrait de

l’Artiste. Avec l’aimable autorisation

du Musée Victoria et Albert, Londres.

« L’un des moments les plus heureux de la vie se

produit à cette fraction de seconde où le familier

devient soudain l’aura éblouissante de

l’intensément neuf ... Ces illuminations sont trop

rares, plus singulières que régulières : et nous

sommes embourbés la plupart du temps dans le

terre à terre et le trivial. Plus horrible encore :

ce qui semble terre à terre est la matière même

dont est faite la découverte. La seule différence

vient de notre perspective, de notre volonté

d’assembler les pièces d’une façon entièrement

nouvelle et de voir un dessin là où seules

apparaissaient des ombres un instant plus tôt ».

Edward B. Lindaman, Thinking in Future Tense

constituer l’ensemble. Le cerveau droit n’est nullement inhibé par l’absence de certains

éléments et semble prendre plaisir à « saisir » l’image en dépit de son caractère fragmentaire.

LUMIERE FAITE SUR LES FORMES SOMBRES

Essayons. Si vous trouvez une personne bénévole qui accepte de poser pour vous, placez une

lampe de sorte qu’un faisceau de forte lumière éclaire un des deux côtés de son visage,

laissant des ombres noires et contrastées sur la moitié non éclairée. Si vous ne trouvez pas de

modèle, vous pouvez vous dessiner vous-même en utilisant un miroir, ou vous pouvez vous

servir de la photographie d’un visage fortement éclairé.

Pour ces exercices, il vous faudra un pinceau (un pinceau à aquarelle n° 7 convient très bien ;

vous pouvez également utiliser un pinceau japonais comme on en trouve dans la plupart des

magasins de matériel d’artisanat). Il vous faudra aussi un flacon d’encre de Chine noire que

vous pourrez vous procurer dans la plupart des papeteries.

163

Fig. 11-3.

Avant de commencer : Lisez toutes les instructions pour ombrer votre dessin à l’encre de

Chine, Assurez-vous de disposer d’un laps de temps relativement long et ininterrompu. Mes

instructions étant consignées par écrit,je devrai désigner les formes par leur nom. Mais

lorsque vous peindrez la première forme sombre et toutes celles qui suivront, essayer de ne

pas nommer les traits du visage (le nez, les lèvres, etc.).

Fig. 11-4.

Fig. 11-5.

1. Le côté éclairé du visage sera rendu par le blanc de la feuille. Vous peindrez la forme des

ombres à l’encre noire. Vous n’utiliserez que deux valeurs, le blanc et le noir— pas de ton

intermédiaire. Le but de l’exercice est de vous apprendre a voir la forme des ombres.

2. Fixez votre regard sur une ombre, par exemple l’ombre qui longe le nez. Attendez qu’elle

vous apparaisse comme une forme. Une fois que vous en distinguez nettement la forme,

164

dessinez-la à l’encre avec votre pinceau. (Voir figure 11-4, un exemple de l’aspect que

peut prendre cette forme.)

3. Observez la forme suivante, par exemple l’ombre en dessous de la lèvre supérieure.

Dessinez cette ombre.

4. Tournez les yeux vers la forme suivante, par exemple celle qui se trouve sous la lèvre

inférieure. Observez cette forme en la comparant à celles que vous avez déjà dessinées.

Dessinez cette ombre (figure 11-5).

Fig. 11-6.

Fig. 11-7.

5. Etant donné que toute une moitié du visage se trouve dans l’ombre, dessinez cette vaste

forme telle que vous la percevez (figure 11-6).

6. Regardez maintenant les petites ombres du côté éclairé du visage et attendez qu’elles vous

apparaissent comme des formes. Noircissez ces formes en les peignant à l’encre et en

observant leurs proportions par rapport à celles d’autres formes déjà dessinées.

7. Essayez de discerner la forme des ombres du côté éclairé du chapeau. Peignez-les telles que

vous les voyez, dans leurs moindres détails. Evitez les formes symboliques — recherchez la

forme exacte des ombres (figure 11-7).

8. Achevez votre dessin à l’encre. L’espace négatif derrière la tête peut être peint comme une

forme sombre mais vous pouvez aussi conserver le blanc de la feuille (figure 11-8).

165

Après avoir terminé : Vous avez peut-

être été surpris au moment où votre

dessin vous est apparu comme un visage.

A cet instant, la force tridimensionnelle

du dessin s’est imposée à votre

conscience. Il semble que ce soit un

phénomène courant : vous dessinez

quelques formes qui ne semblent rien

composer de particulier ; puis,

subitement, vous « saisissez » l’image et

vous vous extasiez intérieurement : « Ça

marche ! » Si cette expérience vous a

échappé lors de ce premier dessin,

essayez-en un autre. Une manière

efficace pour vous accoutumer à ce type

de dessin est de copier une image comme

l’autoportrait de Rembrandt à la figure

11-9. Si votre cerveau gauche s’obstine à

intervenir, retournez le Rembrandt la tête

en bas et copiez-le de cette façon, à

l’encre et au pinceau. Vous remarquerez

que l’encre et le pinceau

Fig. 11-8.

permettent particulièrement bien d’apprendre à percevoir les ombres. Etant donné qu’il n’est

pas possible de gommer, vous êtes forcé de regarder très soigneusement la forme des ombres

avant de poser le pinceau sur le papier.

Fig. 11-9. Rembrandt Van Rijn. Autoportrait (1634).

Avec l’aimable autorisation du Kaiser-Friedrich

Museum, Berlin.

LA HACHURE DES OMBRES PLUS CLAIRES

166

Fig. 11-10.

Fig. 11-11

Quand vous aurez l’impression d’avoir vraiment perçu la forme des ombres grâce à la

technique de l’encre et du pinceau, vous serez prêt à ajouter d’autres valeurs que le blanc et le

noir à votre dessin —les tons intermédiaires de gris. Toutes sortes de techniques et de

procédés s’offrent à vous. La hachure est la technique la plus utile. Je vous en instruirai

brièvement. La hachure peut revêtir diverses formes, vous adopterez bientôt votre style

personnel de hachure, de même que vous possédez déjà votre propre style de trait.

1. La hachure consiste en plusieurs séries de traits courts, rapides et parallèles, une série se

superposant à une autre jusqu’à ce qu’on obtienne la valeur souhaitée. Commencez par une

« série » unique (figure 10-11).

2. Repassez la première série de traits avec une seconde série de traits parallèles qui recoupent

les premiers (voir figure 11-11)). Notez que la direction des seconds traits s’écarte très peu de

la direction des premiers.

3. Changez votre main de position et repassez une troisième fois les traits.

4. Ajoutez de nouvelles séries de traits en évaluant la valeur du ton et en adoucissant les

transitions entre les tons si c’est nécessaire. (La figure 11-12 illustre l’emploi de la hachure

pour « ombrer » une sphère.) Comme vous le voyez, la hachure rend la surface plus réelle et

donne un reflet d’air et de lumière entourant la forme.

167

Exercices supplémentaires

11a. Au fusain ou au crayon.

faites l’autoportrait de Kathe

Kollwitz à la figure 11-15. Notez

la complexité des ombres autour

des yeux. N’oubliez pas de

visualiser un triangle pour placer

l’oreille.

11b. Au pinceau et à l’encre de

Chine, copiez l’autoportrait de

Rembrandt à la figure 11-9.

11c. Examinez l’utilisation de la

hachure dans la nature morte de

Morandi à la figure 11-13.

Disposez quelques objets pour

une nature morte. Placez une

lampe de côté et utilisez votre

propre style de hachure.

11d. Dessinez un sac de papier au

crayon comme l’a dessiné un

élève à la figure 11-14.

Fig. 11-12.

11e. Utilisez le fusain pour dessiner un portrait comme ceux des figures 11-15 et

11-17.

11f. Recouvrez complètement une feuille de papier à dessin d’un ton uni avec le fusain.

Dessinez votre autoportrait en utilisant une gomme pour effacer les formes claires.

11g. Peignez un portrait à l’encre de Chine allongée d’eau en reproduisant le dessin des clairs

et des sombres comme à la figure 11-18.

EN RESUME

Ce chapitre n’a été qu’une brève initiation aux plaisirs qu’on éprouve à dessiner avec l’ombre

et la lumière. Les exercices 11a à 11g vous permettront d’améliorer vos aptitudes et vos

techniques dans la perception et la reproduction des effets d’éclairage sur les formes

tridimensionnelles. Pour vos progrès futurs, il convient de noter que les exercices à l’encre de

Chine et au pinceau vous mènent directement à la peinture et au monde fantastique de la

couleur. Votre voyage ne fait que commencer.

168

Fig. 11-13. Giorgio Morandi, Grande Nature morte avec cafetière (1934). Avec l’autorisation du Fogg Art

Museum, Université de Harvard.

Fig. 11-14.

Fig. 11-15. Kathe Kollwitz (1867-1945). Autoportrait

de profil. Avec l’aimable autorisation du Fogg Art

Museum.

169

Fig. 11-16. Ly Chen Sreng

Fig. 11-17. Tom Nelson

Fig. 11-18. G. Smith

170

171

Le Zen du dessin : la révélation de l’artiste

Au début de ce livre, j’ai dit que le dessin était un procédé magique. Quand votre cerveau est

las de jacasser sans cesse, le dessin vous permet de taire ses bavardages et de saisir la vision

fugitive d’une réalité transcendante. Par les moyens les plus directs, vos perceptions visuelles

traversent votre organisme en passant par les rétines, les nerfs optiques, les hémisphères

cérébraux, les nerfs moteurs, pour transformer en un tour de magie votre banale feuille de

papier en une image directe de vos réactions originales, de votre vision de la perception. Et

votre vision personnelle vous révélera aux yeux du spectateur, quel que soit le sujet de votre

dessin.

De plus, le dessin peut également vous

révéler à vos propres yeux, dévoilant

certains aspects de vous-même que votre

conscience verbale vous dissimulait. Vos

dessins peuvent vous apprendre la manière

dont vous voyez les choses et dont vous les

ressentez. Vous dessinez d’abord avec le

mode-D, en communiquant silencieusement

avec votre dessin. Ensuite, repassant au

mode de la parole, vous pouvez interpréter

vos sentiments et vos perceptions en

exploitant les puissantes facultés de votre

« Pour transformer le monde nous devons

commencer par nous-même :et ce qui importe en

commençant par nous-même, c’est l’intention.

Notre intention doit être de nous comprendre

nous-même et de ne pas laisser aux autres le soin

de se transformer eux-mêmes ... Telle est notre

responsabilité, la vôtre et la mienne : car, aussi

petit que soit le monde dans lequel nous vivons, si

nous apportons un point de vue nouveau à notre

existence quotidienne,peut-être serons-nous alors

capables de toucher le monde tout entier. »

J. Krishnamurti, « Self Knowledge », in The First

and Last Freedom

cerveau gauche — la parole et la pensée rationnelle. Lorsque le dessin est incomplet ou

inaccessible à la parole et à la logique rationnelle, un retour au mode-D peut produire

l’intuition et l’appréhension analogique nécessaires pour répondre à la question. Il se peut

également que les hémisphères travaillent en coopération en un nombre indéfini de

combinaisons possibles.

Les exercices de ce manuel ne constituent bien sûr qu’un premier pas vers la connaissance de

vos deux esprits et de la manière d’en exploiter le double potentiel. Le bref aperçu de vous-

même conquis grâce au dessin vous laisse libre désormais de voyager seul.

Une fois sur cette voie, vous aurez toujours

l’impression que le dessin suivant vous permettra

de voir plus fidèlement, de saisir plus exactement

la nature de la réalité, d’exprimer l’inexprimable,

de percer le secret derrière le secret. Comme l’a

dit le grand artiste japonais Hokusai, on n’a

jamais fini d’apprendre le dessin.

« La vie du Zen commence par l’ouverture

du satori. Le satori peut se définir comme

une appréhension intuitive par opposition à

la compréhension intellectuelle et logique.

Quelle qu’en soit la définition, satori signifie

le déploiement d’un monde nouveau

jusqu’alors imperçu. »

D.T. Suzuki, « Satori », in An Introduction

to Zen Buddhism

Une fois converti à une nouvelle manière de voir, vous en viendrez peut-être rechercher

l’essence des choses, ce mode de connaissance se rapprochant singulièrement du concept de

satori en philosophie Zen, tel qu’il est décrit dans la citation de D.T. Suzuki. A mesure que se

déploient vos perceptions, votre approche des problèmes se modifie ; vous corrigez vos

anciennes erreurs de perception et vous retirez l’un après l’autre les masques de stéréotypes

qui dissimulent la réalité et vous empêchent de voir clair.

172

Ayant accès au potentiel complet des deux

parties de votre cerveau et aux différentes

combinaisons possibles entre les potentiels

distincts de ses deux hémisphères, vous avez

le champ libre pour prendre plus intensément

conscience de la réalité et pour mieux

dominer les processus verbaux qui déforment

la pensée — parfois au point de provoquer

des troubles physiques. La pensée rationnelle

et systématique est certainement vitale dans

notre civilisation, mais il est également vital

pour notre civilisation de comprendre

comment le cerveau de l’homme façonne son

comportement.

« Depuis l’âge de six ans, j’ai la manie de

dessiner la forme des choses. A cinquante ans,

j’avais publié une infinité de dessins mais aucun

de ceux que j’ai publié avant l’âge de soixante-

dix ans ne vaut la peine d’être retenu. A

soixante-treize ans, je connaissais un peu la

structure véritable de la nature. des animaux,

des plantes. des oiseaux. des poissons et des

insectes. Par conséquent, lorsque j’aurai quatre-

vingts ans, j’aurai progressé davantage : à

quatre-vingt-dix ans, je pénétrerai le mystère des

choses ; à cent ans je franchirai une étape

merveilleuse : et quand j’aurai cent et dix ans,

tout ce que je ferai, que ce soit simplement un

point ou une ligne, sera vivant ».

Ecrit à l’âge de soixante-quinze ans par moi,

jadis Hokusai, aujourd’hui Owakio Rojin, vieil

homme fou du dessin.

Grâce à l’introspection, vous pouvez vous lancer dans cette recherche, en mettant en place

votre « observateur caché » et en apprenant, du moins dans une certaine mesure, comment

fonctionne votre propre cerveau. En observant votre cerveau au travail, vous approfondirez

vos facultés de perception et vous pourrez exploiter le potentiel de chacune de ses moitiés.

Face à un problème, vous aurez le choix entre deux perspectives : l’une abstraite, verbale et

rationnelle ; l’autre globale, informulée et intuitive.

Tirez parti de ce double potentiel. Dessinez tout et

n’importe quoi. Aucun sujet qui soit trop ardu ou

trop aisé, rien qui ne soit beau. Tout n’est que

matière à dessiner— un petit carré d’herbes folles,

un verre brisé, un paysage tout entier, un être

humain.

« L’une des caractéristiques des grands

dessins, est l’acceptation sincère par

l’artiste de son propre style et personnage.

C’est comme si, au nom de l’artiste, le

dessin disait me voici ».

Nathan Goldstein, The Art of Responsive

Drawing

Continuez d’étudier. L’accès aux grand maîtres de jadis et d’aujourd’hui vous est facilité par

de nombreux livres d’art de prix raisonnable. Etudiez les maîtres, non pour copier leur style

mais pour lire leur pensée. Qu’ils vous apprennent à voir d’une façon nouvelle, à voir la

beauté dans la réalité, à inventer des formes originales et à ouvrir de nouvelles perspectives.

Observez votre style qui se crée. Protégez-le, nourrissez-le. Donnez-lui le temps nécessaire

pour qu’il se développe et qu’il s’affirme. Lorsqu’un dessin ne marche pas bien, gardez

l’esprit calme et serein. Cessez un moment cet interminable monologue intérieur. Sachez que

tout ce que vous devez voir ce trouve là, devant vous.

Armez-vous chaque jour de votre crayon. N’attendez pas un moment précis, une inspiration.

Comme vous l’avez appris grâce à ce livre, c’est à vous qu’il appartient de vous préparer et de

créer les conditions qui favoriseront votre envol vers cet état de conscience différent-de-

l’ordinaire, propice à une vision claire des choses. Avec la pratique, votre esprit effectuera

cette démarche toujours plus facilement. Mais si vous la négligez, cette faculté peut de

nouveau vous échapper.

Apprenez à dessiner à une autre personne. Une révision du cours serait d’une utilité

inestimable. Les leçons que vous donneriez vous permettraient de mieux comprendre encore

la démarche qu’implique le dessin et elles ouvriraient de nouveaux horizons à d’autres

personnes.

173

Aiguisez vos facultés de visualisation ; exercez-vous à voir avec « l’oeil de l’esprit ».

Quel que soit l’objet que vous dessinez, il se gravera dans votre mémoire. Evoquez ces

images ; revoyez les dessins de maîtres que vous avez étudiés, les visages d’amis que vous

avez dessinés. Imaginez aussi des décors que vous n’avez jamais vus et dessinez ce que vous

voyez avec l’oeil de l’esprit. Le dessin permettra de donner à cette image une vie et un

réalisme tout particuliers.

Tirez parti de vos facultés de visualisation pour résoudre vos problèmes courants. Envisagez

les difficultés de divers point de vue et suivant des perspectives différentes. Voyez-en les

différentes composantes dans leurs véritables proportions. Eduquez votre cerveau à travailler

sur un problème pendant que vous dormez, que vous vous promenez ou que vous dessinez.

Retournez le problème sous toutes ses faces. Imaginez des dizaines de solutions sans les

censurer ou les réviser. Prenez le problème comme un jeu et appliquez-lui le mode « mi-

dérisoire mi-sérieux » de l’intuition. Il est probable que la solution se présente sous une forme

parfaite au moment où vous vous y attendez le moins.

En exerçant les facultés de votre cerveau droit, vous apprendrez à percevoir toujours plus

profondément la nature des choses. Lorsque vous regarderez les gens et les objets qui vous

entourent, imaginez que vous les dessinez et vous les verrez alors différemment. Vous les

verrez d’un oeil éveillé, l’oeil de l’artiste qui vous habite.

« Un moine demandait à son maître : ‘Qu’est-ce que mon moi ?’ Le maître répondit : ‘Il y a quelque chose

de caché dans les profondeurs de ton moi, et il faut apprendre à connaître son activité secrète’. Le moine

demanda alors qu’on lui dise quelle était cette activité secrète. Le maître se contenta d’ouvrir et de fermer

les yeux ».

Frederick Franck, The Zen of Seeing

174

Postface

A L’ATTENTION DES PROFESSEURS ET DES PARENTS

En tant que professeur et en tant que parent, je me suis particulièrement intéressée à la

recherche de nouvelles méthodes d’enseignement. Comme la plupart des autres professeurs et

des autres parents,j’ai pris réellement conscience — parfois douloureusement — que

l’enseignement et son pendant, l’apprentissage, étaient des démarches d’une imprécision

extrême, des opérations menées la plupart du temps à l’aveuglette. Il arrive que les élèves

n’apprennent pas ce que nous pensions leur enseigner et ce qu’ils apprennent en réalité n’est

pas toujours ce que nous prétendions leur inculquer.

J’ai le souvenir d’un cas qui illustre de manière frappante les difficultés qu’on éprouve à

communiquer ce qui doit être appris. Vous avez peut-être vous-même connu ou entendu

parler d’une expérience semblable avec un élève ou votre propre enfant. Il y a de cela de

nombreuses années, le fils d’une amie à qui je rendais visite revint de l’école tout excité par

ce qu’il avait appris. Il était en première année et l’instituteur avait commencé la classe par

une leçon de lecture. L’enfant, Gary, annonça qu’il avait appris un nouveau mot. « C’est très

bien, Gary», dit sa mère. « Quel est ce mot ? » Il réfléchit un instant puis répondit: «Je vais te

l’écrire ». Sur une petite ardoise, l’enfant écrivit soigneusement : MAISON. « C’est très bien,

Gary », dit sa mère. « Qu’est-ce que ça veut dire ? » Il regarda le mot, puis sa mère et dit sur

un ton de constatation : « Je ne sais pas ». L’enfant avait apparemment appris l’aspect

extérieur du mot — il avait parfaitement appris la formule visuelle du mot. L’instituteur,

toutefois, enseignait un autre aspect de la lecture — ce que les mots signifient, ce que les mots

représentent ou symbolisent. Comme il arrive souvent, ce que l’instituteur avait enseigné et ce

que Gary avait appris étaient singulièrement différents.

Comme il s’est avéré par la suite, le fils de mon amie assimilait toujours mieux et plus

rapidement la matière visuelle, mode d’apprentissage que semblent obstinément préférer un

certain nombre d’élèves. Malheureusement, le monde de l’école est un monde essentiellement

verbal et symboliste et les élèves comme Gary doivent s’adapter ; ils doivent abandonner leur

mode d’apprentissage préféré et apprendre à la manière que leur impose l’école. Le fils de

mon amie a heureusement réussi la conversion, mais combien d’autres sont abandonnés en

chemin ?

Ce changement forcé de style d’apprentissage est relativement comparable à l’obligation

d’écrire de la main droite. C’était jadis une coutume très répandue que de contraindre les

personnes qui étaient naturellement gauchères à devenir droitières. Il se peut qu’à l’avenir

nous en venions à considérer le système éducatif qui force les enfants à changer leur mode

naturel d’apprentissage avec autant de mépris que nous considérons aujourd’hui l’idée de les

obliger à écrire de la main droite. Nous serons bientôt capables de tester les enfants pour

déterminer leur style d’apprentissage optimal et pour choisir dans un éventail de méthodes

d’enseignement, celle qui garantira à l’enfant un apprentissage à la fois visuel et verbal.

Les professeurs ont toujours su que les enfants n’apprenaient pas tous de la même manière et

depuis longtemps maintenant, les personnes responsables de l’éducation des jeunes espèrent

que les progrès des recherches sur le cerveau apporteront quelque lumière sur la manière de

dispenser un enseignement de qualité égale à tous les élèves. Jusqu’il y a quinze ans environ,

les nouvelles découvertes sur le cerveau semblaient surtout utiles à la science. Mais ces

175

découvertes trouvent aujourd’hui des applications dans d’autres domaines et les

recherches récentes dont j’ai souligné l’importance dans ce livre promettent d’apporter une

base solide pour un changement fondamental des techniques d’enseignement.

David Galin, entre autres chercheurs, a défini trois tâches essentielles pour les enseignants :

primo, de viser au développement des deux hémisphères cérébraux — pas seulement

l’hémisphère gauche verbal, symboliste et logique, qui a toujours fait l’objet des soins de

l’enseignement traditionnel, mais encore l’hémisphère droit, spatial, relationnel et global qui

est largement négligé dans le système scolaire actuel : secundo, d’apprendre aux élèves à

adopter le mode cognitif convenant à une tâche donnée ; et, tertio, d’apprendre aux élèves à

faire appel aux deux modes cognitifs — aux deux hémisphères — de manière intégrée pour la

résolution d’un problème donné.

Quand les enseignants seront capables de coupler les modes complémentaires ou de

sélectionner celui qui convient à une tâche donnée, alors l’enseignement et l’apprentissage

deviendront des processus plus précis, l’objectif ultime étant de développer les deux moitiés

du cerveau. Les deux modes de connaissance sont également nécessaires à la totale

exploitation des facultés humaines ainsi qu’à toute oeuvre de création quelle qu’en soit la

nature — littérature, peinture, découverte de nouvelles théories en physique ou étude de

problèmes écologiques.

Il s’agit d’un objectif difficile à assigner aux enseignants à cette époque où le système scolaire

est attaqué de toutes parts. Mais notre société évolue rapidement et il est de plus en plus

malaisé de prévoir quelles seront les facultés les plus indispensables pour les générations à

venir. Bien que nous nous soyions fiés jusqu’ici à la moitié gauche, la moitié rationnelle, du

cerveau humain pour planifier l’avenir de nos enfants et pour résoudre les problèmes qu’ils

pourraient rencontrer en chemin vers cet avenir, l’évolution radicale qui nous bouleverse

ébranle la confiance que nous avions placée dans la réflexion technologique et dans les

vieilles méthodes d’enseignement. Sans abandonner pour autant le développement des

aptitudes du langage et de la logique arithmétique, des professeurs consciencieux recherchent

des techniques d’enseignement qui rehaussent les facultés intuitives et créatives des enfants,

les préparant ainsi à affronter les difficultés nouvelles avec un esprit souple. inventif et

imaginatif, à saisir les ensembles complexes d’idées et de faits intimement liés, à percevoir les

principes généraux à la base des phénomènes, et à considérer les anciens problèmes sous un

angle nouveau.

Et vous-même, en tant que parent ou en tant que professeur, que pouvez-vous espérer faire

aujourd’hui pour favoriser le développement égal des deux hémisphères cérébraux d’un

enfant ? Il importe d’abord de connaître les fonctions spécifiques et les modes d’opération

caractéristiques de chaque hémisphère. Des ouvrages tels que celui-ci peuvent vous permettre

de comprendre l’essentiel de la théorie et d’effectuer vous-même la conversion d’un mode

cognitif à l’autre.

Je suis convaincue que l’expérience personnelle est un point extrèmement important, voire

essentiel, pour le professeur qui souhaite transmettre son savoir aux autres.

En second lieu, vous devriez connaître l’effet de certains exercices sur l’activation de l’un ou

l’autre hémisphère et vous devriez essayer de déterminer la moitié du cerveau que les élèves

utiliseront, en créant les conditions ou en dictant les opérations qui favoriseront la conversion

d’un mode cognitif à l’autre. Vous pourriez par exemple demander aux élèves de lire un texte

en s’intéressant aux faits, et leur proposer d’exprimer oralement ou par écrit leurs

impressions. Vous pourriez ensuite leur demander de lire le même passage en s’attachant à la

176

signification ou au contenu caché du texte, accessible par l’imagerie ou la pensée

métaphorique. Pour ce mode d’apprentissage, vous pourriez solliciter un commentaire sous

forme de poème, de peinture, de danse, de devinette, de calembour, de fable ou de chanson.

D’autre part, certains types de problèmes d’arithmétique ou de mathématique exigent une

réflexion logique linéaire. Pour d’autres, il faut procéder à des rotations imaginaires de formes

dans l’espace ou à des manipulations de nombres qui s’exécutent plus commodément par la

visualisation mentale des schémas appropriés. Tâchez de découvrir, en étudiant vos propres

démarches mentales. ou en observant vos élèves, quelle sont les opérations qui conviennent au

style de l’hémisphère droit, celles qui conviennent au style de l’hémisphère gauche et celles

qui exigent le fonctionnement complémentaire ou simultané des deux hémisphères.

Vous pourriez également procéder à certaines expériences en variant les conditions ambiantes

de votre classe — du moins certaines conditions dont vous avez le contrôle. Le monologue

ininterrompu du professeur, ou les discussions entre élèves, par exemple, tendent à enfermer

ces derniers dans le carcan du mode cognitif de l’hémisphère gauche. Si vous pouvez mener

vos élèves à effectuer une conversion profonde vers le mode-D, vous obtiendrez une

condition ambiante très rare dans les classes modernes : le silence. Non seulement les élèves

garderont le silence mais encore seront-ils absorbés par le problème à résoudre. attentifs et

confiants, alertes et satisfaits. Apprendre devient un agrément. Cet aspect du mode-D vaut à

lui seul qu’on s’y attache. Efforcez-vous d’encourager et de préserver ce silence.

J’ajouterai ce dernier conseil : tentez l’expérience de modifier la disposition des bancs ou

l’éclairage. Les mouvements physiques, surtout quand ils sont structurés comme dans le cas

de la danse, peuvent produire une conversion cognitive. La musique favorise les conversions

vers le mode-D. Le dessin et la peinture, comme vous l’avez appris ici, provoquent des

conversion radicales vers le mode-D. Vous pouvez créer un langage original, par exemple un

langage illustré par lequel les élèves pourraient communiquer en classe. Je vous conseille

d’utiliser le tableau aussi souvent que possible — non seulement pour y écrire des mots, mais

aussi pour y tracer des dessins, des graphiques, des illustrations, des schémas. L’idéal serait

de représenter chaque information suivant deux modes distincts : le mode verbal et le mode

pictographique. Vous pourriez tenter de réduire le contenu verbal de vos cours en adoptant un

mode de communication non verbal quand cela vous semble approprié.

Enfin, j’espère que vous mettrez en oeuvre toutes vos facultés intuitives pour créer de

nouvelles méthodes d’enseignement, et que vous ferez part de ces méthodes à vos collègues

en participant à des séminaires ou à des publications pédagogiques. Vous utilisez

probablement déjà—intuitivement ou rationnellement — de nombreuses techniques qui

favorisent les conversions cognitives. En tant que professeurs, nous devons partager nos

découvertes tout comme nous partageons l’objectif commun de préparer, pour nos enfants, un

avenir harmonieux, cohérent et favorable à l’exploitation intégrale de leurs facultés

cérébrales.

En tant que parents, nous pouvons contribuer largement à la réalisation de cet objectif en

aidant nos enfants à développer des modes nouveaux qui leur permettront d’accéder à la

connaissance du monde — le mode verbal/analytique et le mode visuel/spatial. Pendant les

premières années, déterminantes, de l’enfance, les parents ont le pouvoir de façonner l’avenir

de leurs enfants en empêchant la réflexion verbale de masquer les autres aspects de la réalité.

Les recommandations les plus essentielles que je voudrais adresser aux parents concernent

l’usage des mots ou plutôt, le « non-usage » des mots.

177

Dessins réalisés par un élève en quatrième année primaire : trois leçons entre le 15 avril et le 19 avril 1977.

Période d’instruction : quatre jours.

Je pense que nous sommes trop volontiers enclins à nommer les choses quand nous nous

adressons à de jeunes enfants. En nous contentant de nommer les choses, sans plus

d’information, lorsqu’un enfant nous demande « Qu’est-ce que c’est ? », nous lui laissons

croire que seuls, le nom ou l’étiquette d’une chose sont importants, que la dénomination est

suffisante. Nous défendons à nos enfants la voie de l’interrogation et de la découverte en

classifiant les éléments du monde réel. Au lieu de nous contenter de nommer un arbre,

tâchons également de guider notre enfant dans une exploration à la fois physique et mentale

de l’arbre. Cette rencontre peut s’effectuer de diverses manières, en touchant, en sentant, en

regardant l’arbre sous des perspectives différentes, en le comparant avec un autre, en en

imaginant l’intérieur ou la partie souterraine, en écoutant le bruit des feuilles, en observant

l’arbre à différentes heures du jour ou selon les saisons, en plantant ses graines, en étudiant

son utilité pour d’autres créatures vivantes — les oiseaux. les mites, les insectes, et ainsi de

suite. Ayant découvert que chaque chose est fascinante et complexe, l’enfant comprendra que

l’étiquette n’est qu’une partie infime de l’ensemble. Ainsi éduqué, il conservera son sens de

l’interrogation malgré l’avalanche de mots qui nous accable à cette époque.

Pour encourager les aptitudes artistiques de votre enfant, je vous conseille de le confronter

très tôt à une profusion de matériaux artistiques et au type d’expérience perceptuelle que je

viens de décrire. Votre enfant progressera de manière relativement prévisible suivant les

différents stades du développement artistique infantile. S’il vous appelle à l’aide pour un

dessin, répondez-lui donc : « Allons voir de plus près ce que tu essaies de dessiner ». Les

perceptions nouvelles deviendront ainsi partie intégrante des représentations symboliques.

Les professeurs comme les parents peuvent utilement aborder les problèmes des jeunes

artistes, problèmes dont j’ai parlé dans cet ouvrage. Comme je l’ai expliqué, le dessin réaliste

est un stade que les enfants doivent dépasser vers l’âge de dix ans. Les enfants veulent

apprendre à voir et ils méritent qu’on leur accorde l’aide qu’ils réclament. Les séries

d’exercices de ce manuel — y compris l’exposé relativement simplifié sur les fonctions des

hémisphères cérébraux — peuvent s’appliquer à des élèves de dix ans. On peut choisir pour

les dessins à l’envers des sujets qui intéressent les adolescents (par exemple, le dessin réaliste

et « bien fait » de héros et d’héroïnes de bandes dessinées en pleine action). Les dessins

d’espaces négatifs et de contour attirent également les enfants de cet âge car ils leur

permettent d’appliquer directement les techniques nouvelles dans leurs dessins courants. (Voir

l’illustration du progrès réalisé par un élève de dix ans en quatrième année primaire, en quatre

jours d’instruction). Le portrait présente un attrait particulier pour ce groupe d’âge et les

adolescents arrivent à dessiner parfaitement leurs amis ou leurs parents. Une fois leur crainte

de l’échec surmontée, les jeunes travaillent le dessin avec zèle afin de perfectionner leurs

techniques et le succès rehausse leur confiance et leur estime de soi.

178

Mais l’importance du dessin pour l’avenir, comme vous l’ont appris les exercices de ce

manuel, est d’ouvrir véritablement l’accès aux fonctions de l’hémisphère droit et d’en assurer

le contrôle. Grâce au dessin, les enfants apprennent à voir et ils deviendront peut-être ainsi des

adultes qui exploitent totalement leurs facultés cérébrales.

Dessins réalisés par un élève en quatrième année primaire : Trois leçons entre le 15 avril et le

19 avril 1977. Période d’instruction : quatre jours.

A L’ATTENTION DES ELEVES DES BEAUX-ARTS

Pour de nombreux artistes contemporains reconnus, la technique du dessin réaliste n’est pas

importante. Il est vrai que, d’une manière générale, l’art contemporain n’exige pas

nécessairement de dispositions pour le dessin, et l’art véritable — même le grand art — fleurit

dans les réalisations d’artistes modernes qui ne savent pas dessiner. La valeur de leur

production artistique vient, je suppose, d’une sensibilité esthétique cultivée par d’autres

moyens que les méthodes fondamentales de l’enseignement traditionnel dans les écoles des

beaux-arts : le dessin et la peinture d’après nature, la nature morte et le paysage.

Les artistes contemporains dédaignant souvent l’aptitude au dessin comme une donnée

superflue, les élèves néophytes des beaux-arts se trouvent dans une double impasse. Rares

sont les élèves qui se sentent suffisamment sûrs de leurs aptitudes créatives et de leurs

chances de réussite dans le monde artistique pour se passer totalement de suivre des cours.

Pourtant, les oeuvres d’art modernes qu’ils voient dans les musées ne semblent exiger la

connaissance d’aucune technique classique et ils ont l’impression que les méthodes

traditionnelles ne répondent pas à leurs aspirations. Pour se sortir de cette double impasse, les

élèves évitent souvent d’apprendre le dessin réaliste et s’installent aussitôt que possible dans

un style conceptuel étroit, à l’imitation des artistes contemporains qui recherchent souvent un

style original et répétitif qui les identifie comme une signature.

Pour l’Anglais David Hockney, cette étroitesse de vue est un piège pour l’artiste (voir la

citation au chapitre 1). II s’agit en tout cas d’un piège pour les élèves des beaux-arts qui, trop

souvent, se forcent à s’installer dans des structures répétitives. Ils essayent peut-être de

s’exprimer à travers l’art avant même de savoir ce qu’ils ont à dire.

D’après l’expérience que j’ai tirée de l’enseignement du dessin à différents niveaux,

j’aimerais adresser quelques recommandations à tous les élèves des beaux-arts, et

particulièrement aux débutants. Primo, n’ayez crainte d’apprendre le dessin réaliste. Les

techniques du dessin, élémentaires pour toute forme d’expression artistique, n’ont jamais

interdit l’accès aux sources de la créativité. Picasso, qui dessinait divinement, fut l’exemple

vivant de ce principe et l’histoire regorge de cas semblables. Les artistes qui apprennent à

bien dessiner ne produisent pas pour autant des oeuvres ennuyeuses ou d’un réalisme pédant.

Les artistes dont les créations sont réellement pédantes et ennuyeuses aboutiraient sans doute

à un résultat identique s’ils s’adonnaient à l’art abstrait ou non figuratif. Les techniques du

dessin n’inhiberont jamais votre créativité, au contraire, elles la stimuleront.

Secundo, tâchez de comprendre l’importance qu’il y a d’apprendre à bien dessiner. Le dessin

vous permet de voir les choses à la manière originale de l’artiste, comme des révélations, quel

que soit le style que vous adoptiez pour exprimer votre vision. A travers le dessin, vous

devriez vous attacher à connaître la réalité de l’expérience — voir toujours plus clairement,

toujours plus profondément. Naturellement, vous pourriez développer votre sensibilité

179

esthétique par d’autres moyens que le dessin comme la méditation, la lecture ou les

voyages. Mais, c’est ma conviction, ces autres voies sont, pour un artiste, plus aléatoires et

moins fructueuses. En votre qualité d’artiste vous serez plus certainement amené à utiliser des

moyens visuels d’expression : or le dessin affine les perceptions visuelles.

Enfin, dessinez chaque jour. Dessinez ce que vous voulez : un cendrier, une pomme à demi

grignotée, une personne, une brindille. J’ai déjà donné ce conseil dans le dernier chapitre de

ce livre et je le répète ici parce qu’il est spécialement important pour les élèves des beaux-arts.

Dans un sens, l’art c’est comme l’athlétisme : si vous ne vous entraînez pas, les facultés

visuelles s’émoussent et s’amollissent. Le but du dessin n’est pas de tracer des lignes sur une

feuille de papier, tout comme le but du jogging n’est pas de se rendre à un endroit précis.

Vous devez exercer votre regard sans trop prendre garde au produit de vos exercices. Vous

pouvez choisir vos meilleurs dessins et jeter les autres ou même les jeter tous. L’objectif de

vos séances de dessin quotidiennes devrait être de vous apprendre à voir toujours plus en

profondeur.

Glossaire

Apprentissage : Toute modification relativement stable du comportement, résultant de

l’expérience ou de la pratique.

Art abstrait : Une transposition dans le dessin, la peinture, la sculpture ou le design, d’un

objet ou d’une expérience de la vie réelle. Implique généralement la mise en

évidence, l’emphase ou l’exagération d’un aspect particulier de la manière dont l’artiste

perçoit la réalité. A ne pas confondre avec art non figuratif.

Art non figuratif : Forme d’art qui ne s’attache pas à reproduire l’apparence d’objets ou

d’expériences du monde réel, ou à produire l’illusion de la réalité. Egalement appelé art non

objectif ou non représentatif.

Art réaliste: Représentation objective des objets, des formes et des figures délibérément

perçus. Appelé aussi « naturalisme ».

Axe central : Les traits du visage sont plus ou moins symétriques et se situent de part et

d’autre d’une ligne verticale imaginaire traversant le visage en son centre. Cette ligne

s’appelle axe central. On l’utilise en dessin pour déterminer l’inclinaison de la tête et pour

placer les traits du visage.

Blanc : Surface de forme ovoïde qu’on dessine pour figurer la forme générale de la tête chez

l’homme. Le crâne humain n’ayant pas la même forme lorsqu’on le regarde de face ou de

profil, le blanc de face et le blanc de profil présentent un ovale sensiblement différent.

Cerveau : Partie principale de l’encéphale des vertébrés formée de deux hémisphères. C’est la

dernière partie de l’encéphale à évoluer et sa participation est essentielle dans tous les types

d’activité mentale.

Commissutotomisés : Individus ayant souffert de crises épileptiques incurables, dont les

problèmes de santé n’ont pu être atténués que par une opération chirurgicale. Cette

opération, qui consiste a séparer les deux hémisphères cérébraux en sectionnant le corps

calleux, se réalise rarement. On ne compte qu’une dizaine de commissurotomisés.

180

Composition : Rapports déterminés entre les parties ou les éléments d’une oeuvre d’art. En

dessin, l’arrangement des formes et des espaces dans le format.

Conversion cognitive : Passage d’un état mental à un autre, par exemple du mode-G au mode-

D ou inversement.

Corps calleux : Faisceau compact et massif d’axones réunissant les cortex cérébraux droit et

gauche. Le corps calleux permet une communication directe entre les deux moitiés, ou les

deux hémisphères, du cortex cérébral.

Côté : En dessin, l’endroit où deux éléments se rencontrent (par exemple. l’endroit où le sol et

le ciel se rencontrent) : la ligne de séparation entre deux formes ou entre une forme et un

espace.

Créativité : Aptitude à trouver de nouvelles solutions à un problème ou des modes originaux

d’expression : le fait de donner naissance à un élément nouveau pour l’individu.

Espace négatif : Surface entourant les formes positives avec lesquelles elle possède un ou

plusieurs côtés communs. L’espace négatif est limité par le format.

Etats de conscience : Le concept encore mal précisé de conscience est employé dans cet

ouvrage pour désigner la perception constamment variable qu’a l’individu de ce qui se passe

dans son propre esprit. Un état de conscience modifié est un état de conscience largement

perçu comme différent de l’état de veille ordinaire. Certains états subjectifs différents nous

sont familiers : le rêve, la méditation...

Format : Forme particulière de la surface peinte ou dessinée — rectangulaire, circulaire,

triangulaire etc. —, proportions de cette surface, par exemple le rapport entre la longueur et la

largeur dans le cas d’un rectangle.

Grille : Lignes perpendiculaires horizontales et verticales régulièrement espacées, qui divisent

la surface d’un dessin ou d’une peinture en petits carrés ou rectangles. S’utilise généralement

pour agrandir un dessin ou pour favoriser la perception des relations spatiales.

Hachure : Superposition croisée de différentes séries de traits parallèles qui marque les

ombres ou le volume dans un dessin.

Hémisphères cérébraux : La partie extrême du cerveau antérieur, nettement divisée en deux

parties à la gauche et à la droite du cerveau. Se compose essentiellement du cortex cérébral,

du corps calleux, des ganglions basilaires et du système limbique.

Hémisphère droit : Moitié droite du cerveau (située à la droite de l’individu observé). Pour la

plupart des droitiers et une large proportion des gauchers, les fonctions relationnelles et

spatiales siègent dans l’hémisphère droit.

Hémisphère gauche : Moitié gauche du cerveau (à la gauche de l’individu observé). Pour la

plupart des droitiers et une large proportion des gauchers, les fonctions du langage siègent

dans le cerveau gauche.

Image : Image rétinienne : image optique d’objets réels perçus par les organes de la vue,

interprétée par le cerveau.

181

Images conceptuelles : Images d’origine mentale, intérieure (l’ « oeil de l’esprit ») plutôt

que d’origine perceptuelle, extérieure : images généralement simplifiées, plus souvent

abstraites que réalistes.

Imagination : Recombinaison d’images mentales issues d’expériences passées, en une

structure originale.

Intuition : Connaissance directe et apparemment non médiate ; jugement, signification ou idée

qui se présente à une personne sans intervention connue d’un phénomène quelconque de

pensée rationnelle. Ce jugement est souvent le résultat de critères minimes et semble « issu de

nulle part ».

Latéralisation hémisphérique : Différenciation au niveau de leurs fonctions, des deux

hémisphères cérébraux.

Ligne de contour : En dessin, ligne qui représente le côté d’une forme.

Mode-D : Mode de traitement des informations défini comme simultané, global, spatial et

relationnel.

Mode-G : Mode de traitement des informations défini comme linéaire, verbal, analytique et

logique.

Niveaux des yeux : En dessin de perspective, ligne horizontale vers laquelle semblent

converger les lignes situées en dessous d’elle dans un plan horizontal. En portrait, ligne de

proportion qui divise la tête en deux horizontalement ; la position des yeux sur ce repère, au

centre de la tête.

Perception : Conscience, ou prise de conscience, des objets, des relations, ou qualités —

intérieures ou extérieures à l’individu — au moyen des organes des sens et sous l’influence

des expériences précédentes.

Perception globale: Dans les fonctions cognitives, traitement simultané d’une quantité

d’informations en une configuration d’ensemble, par opposition au traitement successif

d’éléments séparés.

Qualité expressive : Différences légères qui distinguent les individus dans la manière dont ils

perçoivent la réalité et représentent le résultat de leurs perceptions dans une oeuvre d’art. Ces

différences expriment les réactions intimes de l’individu aux stimuli perçus ainsi que son coup

de crayon original, déterminé par ses particularités physiologiques motrices.

Raccourci : Manière de représenter les formes sur une surface plane de sorte qu’elles

semblent émerger de cette surface ou s’en éloigner : procédé permettant de créer une

sensation de profondeur et de volume dans le dessin des formes et des personnages.

Symbolique : En dessin, ensemble de symboles utilisé systématiquement pour former une

image, par exemple celle d’un personnage. Les symboles sont généralement employés

successivement, l’un en évoquant un autre, de la même manière qu’on écrit un mot familier,

le tracé d’une lettre appelant le tracé de la suivante. La symbolique des dessins s’établit

généralement pendant l’enfance et persiste durant l’âge adulte, à moins que l’individu

n’apprenne de nouvelles manières de dessiner.

182

Traitement des informations visuelles : Usage des organes de la vue pour obtenir des

informations de sources extérieures, et interprétation de ces données sensorielles par la

pensée.

Valeur : Dans le domaine des arts, qualité d’un ton plus ou moins foncé ou plus ou moins

clair. Le blanc est la valeur la plus claire, ou la plus élevée, Le noir est la valeur la plus foncée

ou la plus basse.

Visée : En dessin, évaluation des dimensions par rapport à une mesure constante (le crayon

tenu à bout de bras est le procédé le plus courant) ; localisation relative de différents points

dans un dessin — position d’un élément par rapport à un autre.

Visualiser : Evoquer mentalement la reproduction de quelque chose qui ne peut être perçu par

les sens ; voir avec l’ « œil de l’esprit ».

Zen : Système de réflexion qui se fonde sur une forme de méditation appelée zazen. Le zazen

commence par la concentration, le plus souvent sur des problèmes dont la solution est

inaccessible à la raison. La concentration mène au samadhi, « état d’unité » grâce auquel le

méditateur perçoit l’harmonie des choses du monde. Après différents stades, l’étape finale du

zen est le satori, ou « non mental », état subjectif particulièrement clair dans lequel il est

possible de percevoir les détails de chaque phénomène sans évaluation ni réflexion.

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Index

Adolescence

effets sur le développement artistique, 63-64, 98-99

Bogen Joseph, 29

187

Bouche, 158, 170, 173-174

Boucher François, 105

Brevil, 2

Cerveau, 26-43. Voir également :

Commissurotomie, Corps calleux, Traitement des informations, Conversion du mode-G

au mode-D, Latéralisation hémisphérique.

Cerveau gauche, 37, 39, 55. 76-78

Cerveau droit, 48-49, 55-58, 78-79

visualisation, 37-41

traitement des informations, 35-37

Cézanne Paul, 101

Cheveux, 162-163, 170-171, 174

Coins, 125-127

Col, 160, 171, 174

Commissurotomisé, 29, 30-32

Composition, 98-99

Connaissance

deux modes de, 34-35

Conscience, modifications de l’état de, 4-5

Conversion du mode-G au mode-D, 42-43, 50-51, 55, 90

Corinth Lovis, 146

Corps calleux, 28-30.

Côtés, 83-84, 105

Cou, 159, 171, 174

Cranach Lucas, 167

Créativité, 6-7

Degas Edgar, 121

Delacroix Eugène, 15, 120

Dessin

à l’envers, 50-55

au mode de l’hémisphère droit, 48-49

aptitude au, 2-3, 198-199

de contour, 84-87, 89-93

des espaces négatifs, 100-106, 107-111

de perspective. 122. 123

matériel de. 8, 9

préliminaire. 9-10

réaliste. 7

techniques, 3. 139

visages, 154-164, 166-171, 172-175

Développement artistique enfance, 58-59, 62-82

Dimensions, 123-125. Voir également Perspective. Proportions

Dürer Albert, 5,77, 101, 116, 1117-118, 142, 167

Enfance

développement artistique, 58-562-63

stades, 64-76

enseignement, 195-199

Espaces négatifs, Voir Dessin et Exercices

Exercices

188

coins de pièce, 125-127 dessin de contour, 84-87, 89-93

dessin de perspective, 122-123

dessin des espaces négatifs, 101-103

ombres, 182-185, 185-186

profils, 155-156, 167-172. 173-175

têtes, 140-141, 143-14

vase et visages, 46-48, 49-50

viseur, 105-106

Format, 98-100

Fuseli Henry, 180-181

Galin David, 35, 196

Gazzaniga Michael, 29. 31

Hémisphères cérébraux, voir Cerveau gauche et Cerveau droit

Hockney David, 199

Hokusai, 193,

Homer Winslow, 113

Klee Paul, 74

Kokoschka Oskar, 149

Latéralisation hémisphérique, 59

Levy Jerre, 29, 30

Ligne

utilisation de la, 20-23

Lunettes, 159

Matériel, voir Dessin, matériel

Matisse Henri, 3, 100, 141

Menton, 159

Miró Joan, 99

Modigliani, 141

Morandi Giorgio, 187

Myers Ronald, 28

Nebes Robert, 29

Nez, 157, 169, 170. 173

Nicolaides Kimon, 83

Ombres, 180-186

Oreille, 160-161. l70

Ornstein Robert, 78

Parole

et le cerveau 32,34

Paysage

dessins d’enfants, 68-70

Perspective, 116-123. Voir également Dessin

189

Picasso Pablo, 20, 21, 52, 74, 141, 199

Portraits, 7-8. 137-139. 155-175

Profils, 147-137

Proportions. 134-137

Réalisme. 7-8. 72-76

Rembrandt. 23. 184

Rodin Auguste, 5

Rubens Pierre-Paul, 113

Sandys Anthony Frederick Augustus, 162

Sharrington Charles. 41

Signature, 20-21

Sperry Roger W., 28-3 I

Symboles, 65-66. 76-82

Tart Charles, 42

Tête, 137-139

dessin, 140-141. 143-145, 147-151

proportions, 141-142

Tiepolo Giambattista, 51

Toulouse-Lautrec Henri de, 100

Traitement des informations, 34-36

hémisphère droit, 35-37

Trevarthen Colwyn, 28, 23

190

Utilisation préférentielle de la main droite ou de la main gauche, 43

Van Gogh Vincent, 16-17, 142. 146

Vase et visages, 46-48, 49, 50

visages, 154. Voir également

bouche,

cheveux,

cou,

lunettes,

menton,

nez,

oreilles,

yeux

vue de face, 172-175

vue de profil, 155-163

vue de trois quarts, 166-l 75

Vision et dessin, 3-4, 23

influence de la symbolique, 76-82

Visualisation, 37-42

Vogel Philip, 29

Visée, 119-121, 123-125. 128

Viseur, 104-106

Vision

et dessin, 3-4,23

influence de la symbolique, 76-82

Visualisation, 37-42

Vogel Philip, 29

Yeux, 156, 169-170, 173

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