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Université de Nantes Faculté de droit et de science politique
Ophélie Popille Master 2 Science politique de l’Europe
(Année 2015 – 2016)
Ouverture des données publiques à
Nantes : espoirs, déceptions et évolution.
Sous la direction de Renaud EPSTEIN, maître de conférences en science politique Jury : Renaud EPSTEIN, maître de conférences en science politique Goulven BOUDIC, maître de conférences en science politique
2
Remerciements
Tout d’abord, je souhaite remercier Mr Renaud Epstein qui, en tant que
directeur de mémoire, m’a aidé dans la construction de mon objet de
recherche et dans son approfondissement.
J’adresse ensuite mes remerciements aux acteurs qui m’ont accordé des
entretiens, me permettant d’étayer mon étude : Cécile Thomas, Claire
Gallon, Hervé Jaigu, Gérard Le Berre, Bassem Asseh, Alain Cairault,
Simon Boisserpe, Martin Lambert, Julien Kostrèche, Mounir Belhamiti,
Jean-Philippe Lefèvre, Bastien Kerspern.
Ces nombreuses et diverses rencontres m’ont permis d’alimenter ma
recherche et de nourrir ma réflexion afin de proposer l’étude qui va suivre.
3
SOMMAIRE
Introduction
Chapitre 1 : L’Open Data, un concept importé à adapter au niveau local 1.1 L’importation du concept d’ouverture des données
1.2 Adapter le programme au niveau local
1.3 L’Open Data « à la nantaise », véritablement inédit et opérationnel ?
Chapitre 2 : Un projet avec ses espoirs et ses faiblesses 2.1 L’Open Data n’est pas une « mine d’or » économique
2.2 Conséquences et perception de l’ouverture des données dans l’administration
2.3 Quelle pertinence pour l’échelon territorial ?
Chapitre 3 : Une action publique en pleine évolution 3.1 Une évolution nécessaire à la démarche
3.2 Replacer l’usager au cœur des préoccupations ?
Conclusion
Annexes
4
INTRODUCTION
À propos du sujet
L’Open Data, ou ouverture des données publiques, est un processus débuté autour
des années 2010 et 2011 en France et qui consiste, pour les administrations, à
publier sur un site internet les données produites et collectées dans le cadre de
l’activité de leurs services. Cette disposition ne concerne bien évidemment pas des
données jugées incommunicables – en raison d’un caractère trop sensible de ces
dernières, ou de données permettant trop facilement d’identifier les individus qui en
font l’objet. Outre la publication de ces données, les administrations qui participent à
ce mouvement se doivent également de suivre quelques règles afin d’en favoriser la
réutilisation, le but premier de l’Open Data étant d’inciter les individus à se saisir des
données afin d’en tirer des usages qui se révéleront utiles pour la vie locale, par
exemple. Au sein de cette étude, l’Open Data est considéré comme une politique
publique à part entière, ayant ainsi fait l’objet d’un processus comparable à celui
d’autres politiques, passant par la mise à l’agenda, la mise en œuvre ou encore
l’évaluation. C’est pourquoi cette recherche aura pour objectif de souligner ces
différents moments de la mise en œuvre, afin d’en tirer le bilan et de comprendre
l’évolution de cette politique publique.
Le sujet de l’Open Data est souvent accolé à celui du Big Data. Le Big Data est une
notion complexe à définir, tant elle recouvre différentes expertises, différents
domaines d’activité. La société IBM, spécialisée dans l’informatique, traite de ce sujet
sur son site web et propose, si ce n’est une définition, au moins une explication du
concept :
« Chaque jour, nous générons 2,5 trillions d’octets de données. A tel point
que 90% des données dans le monde ont été créées au cours des deux
dernières années seulement. Ces données proviennent de partout : de
capteurs utilisés pour collecter les informations climatiques, de messages
sur les sites de médias sociaux, d'images numériques et de vidéos
publiées en ligne, d'enregistrements transactionnels d'achats en ligne et
5
de signaux GPS de téléphones mobiles, pour ne citer que quelques
sources. Ces données sont appelées Big Data ou volumes massifs de
données. »1
L’Open Data peut alors être considéré comme une partie de cet ensemble de
données, et le Big Data est donc souvent évoqué en même temps. Cependant, ce
mémoire n’évoquera pas vraiment la question du Big Data, sinon pour compléter
l’analyse sur certains points. En effet, il s’agit d’abord d’un sujet extrêmement vaste,
qui recouvre des réalités très différentes en ce qu’il peut être appréhendé sous une
multitude d’aspects. Le travail effectué pour un mémoire n’est peut-être pas assez
long pour pouvoir évoquer toutes ces dimensions. Par ailleurs, il s’agit d’un sujet qui
n’est qu’assez peu politisé : le Big Data est resté, pour le moment, un sujet très
technique qui a plutôt trouvé sa place auprès des entreprises spécialisées et des
techniciens. C’est pourquoi il ne nous a pas semblé pertinent de l’évoquer trop
longuement ici.
Pour revenir à notre sujet de l’Open Data, ce dernier occupe une place de choix dans
l’actualité, tant au niveau local qu’au niveau national. En effet, le concept fait l’objet
de nombreuses réflexions à propos de son utilité mais aussi de son utilisation. À
l’échelle de Nantes, l’Open Data est entré dans une seconde phase, intervenant
après une période de bilan sur l’ouverture menée depuis l’année 2011. Ce bilan a
permis aux divers acteurs – élus comme acteurs privés – de faire le point sur les
résultats obtenus et sur les nouveaux objectifs qui peuvent être fixés. Au niveau
national, on observe à la fois une continuité dans l’ouverture des données des autres
collectivités qui ne se sont pas encore lancées, mais aussi d’autres mouvements à
l’œuvre. La mise à disposition des données publiques est devenue depuis peu une
obligation légale pour les collectivités de plus de 3500 habitants, ce qui est
susceptible de provoquer quelques changements. Par ailleurs, l’un des sujets
émergent autour des données publiques est celui de l’innovation ouverte, ou encore
de la démocratie participative grâce aux outils numériques, qui a pour vocation de
replacer les citoyens au cœur de la participation et donc de l’usage de ces outils,
incluant les données ouvertes. Mais il s’agit de sujets sur lesquels nous reviendrons
1 IBM, « Définition du Big Data » in ibm.com, En ligne < https://www-01.ibm.com/software/fr/data/bigdata/ >, consulté le 20 août 2016
6
au cours de cette étude et qui par conséquent ne seront pas développés dans cette
introduction.
La question de l’accessibilité des citoyens aux données produites par l’administration
n’est pas nouvelle. Comme nous le verrons plus tard, la législation a fait entrer cette
notion dans le cadre légal depuis de nombreuses années. Dès le mois de juillet
1978, une loi est promulguée, « portant diverses mesures d'amélioration des
relations entre l'administration et le public et diverses dispositions d'ordre
administratif, social et fiscal »2. Cette loi contient plusieurs chapitres, dont les deux
premiers portant sur le droit d’accès des individus aux documents administratifs et
sur le droit de réutilisation de ces documents. Il y a déjà presque cinquante ans, la
législation se penchait donc sur ces idées d’accès aux informations par la société
civile. Bien entendu, l’Open Data diffère en ce qu’il porte avec lui la dimension
numérique de cette idée, ce qui lui permet de diffuser à plus grande échelle encore
l’accès aux documents. En effet, afin de pouvoir accéder à ces documents, les
citoyens devaient, auparavant, interpeller l’administration concernée afin que celle-ci
mette à disposition l’information souhaitée. Parallèlement à la promulgation de cette
loi a été créée la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), dont le
rôle est de surveiller ce libre accès de tous aux documents administratifs. Elle
intervient particulièrement lorsque le demandeur fait face à un refus de la part du
service, examinant ainsi le bien-fondé de ce rejet. La CADA peut également
intervenir directement auprès des administrations afin de les aider à déterminer quels
documents peuvent être communiqués, et quels autres doivent être conservés en
interne. Car toutes les informations ne peuvent pas être mises à disposition du
public : c’est le cas d’informations trop sensibles, qu’il pourrait s’avérer dangereux de
transmettre. La nuance que l’on trouve avec l’Open Data est que dans le cas de la loi
de 1978, les documents pouvaient être demandés par la société civile mais étaient
dans le même temps conservés en interne par les administrations. Avec l’ouverture
des données publiques, ces données sont mises à disposition du public même si ce
dernier n’en fait pas la demande. Cela permet éventuellement de favoriser la
2 Legifrance, mise à jour le 19 mars 2016, « Loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et le public et diverses dispositions d'ordre administratif, social et fiscal » in Legifrance.gouv.fr, En ligne, < https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000339241 >, consulté le 20 août 2016
7
consultation et la réutilisation de ces données, dans la mesure où elles ne
nécessitent plus une réclamation auprès des administrations, impliquant un travail
bien moins fastidieux. Il serait donc possible de dire que l’Open Data est une sorte
de transformation de la loi de 1978 au regard des évolutions numériques prenant
place dans la société actuelle. Il s’agit alors d’une évolution logique du cadre
législatif, qui prend en compte les nouveaux outils d’information et de communication
que tous ont à disposition, administrations comme particuliers.
Avec le temps, de nombreux articles ont vu le jour à propos de l’Open Data. Il s’agit
d’un sujet qui peut intéresser un grand nombre de champs de recherche, aussi bien
le milieu scientifique que les domaines des sciences humaines ou des sciences
politiques. Il est donc possible de récolter différents points de vue. Si nous nous
concentrons sur le champ qui nous intéresse ici, à savoir le champ de la science
politique, la littérature est de plus en plus développée. S’il reste encore peu
d’ouvrages rédigés à ce propos, un certain nombre de revues spécialisées
s’intéressent à l’Open Data et aux implications que cette ouverture peut avoir sur
différents domaines de la société. La question fait d’ailleurs débat sur plusieurs
points. D’abord sur l’utilité économique de l’ouverture des données : si certains
semblent indiquer que l’Open Data est une immense opportunité de développement
économique pour les entreprises ou les start-ups et l’occasion de créer de nombreux
postes ainsi qu’une richesse autour des données, d’autres contestent cet argument
en avançant qu’aucun modèle économique ne peut être construit sur les données
publiques seules. D’autre part, sur la question des bouleversements que l’Open Data
produit sur les administrations publiques, le débat se divise entre une modernisation
certaine de ces services et une réticence des institutions qui impliqueraient la
conservation du statut quo, évoquant une inertie et une résistance au changement
de la part de ces entités. Enfin, l’un des autres points de débat autour de l’Open Data
repose sur les citoyens : les citoyens peuvent-ils réellement s’intéresser à l’Open
Data ? Ce dernier peut-il vraiment leur être utile ? Autant de questions débattues qui
seront reprises tout au long de ce mémoire et qui ont ainsi servi de base à cette
analyse.
8
Méthodologie
Afin de choisir le terrain sur lequel porte le sujet de ce mémoire, plusieurs éléments
ont été pris en compte. D’abord, la ville de Nantes est un territoire intéressant à
étudier dans la mesure où la ville a été la seconde en France à ouvrir ses données.
La démarche y est donc en place depuis plus de cinq ans désormais, ce qui permet
de prendre du recul et d’analyser plus finement les impacts et conséquences que
cela a pu avoir sur la collectivité. Le choix a été fait de n’étudier que la démarche
nantaise, car elle représente plutôt un prétexte afin de pouvoir porter le regard sur la
démarche générale d’Open Data, à une échelle plus nationale. Le cas nantais est
donc un bon point de départ pour cela, afin de pouvoir transposer l’étude à un niveau
local et ainsi de pouvoir accéder plus aisément à un terrain d’enquête. En ce qui
concerne ce terrain, les acteurs interrogés sont donc nantais. Certains occupent des
fonctions à une plus grande échelle, c’est le cas des agents qui ont été rencontrés
lors d’entretiens auprès de Nantes Métropole, du Département de Loire-Atlantique ou
de la Région des Pays de la Loire. Cela s’explique par le fait que la plateforme
d’Open Data à Nantes est mutualisée avec ces quatre niveaux d’institutions, ce qui
implique des relations entre elles et des collaborations afin d’assurer l’harmonie de
l’ouverture. Les différentes échelles institutionnelles ne pouvaient ainsi pas être
négligées.
Du côté de la période d’étude choisie, la décision de se pencher sur l’actualité est
venue au fil des entretiens réalisés. En effet, ce mémoire avait à son commencement
pour objectif d’étudier plus en détail le lancement de l’Open Data en 2011 et les
différents groupes d’acteurs s’étant mobilisés sur ce sujet, avec la volonté de faire
ressortir les intérêts de chacun, les enjeux de cette coopération et les résultats
obtenus. Cependant, rapidement après le début des entretiens, le constat a été fait
qu’il serait trop complexe de faire un historique précis des événements qui se sont
déroulés. Effectivement, il est très difficile pour des acteurs qui s’impliquent sur un
grand nombre de sujets de se remémorer précisément les actions auxquelles ils ont
participé ainsi que les acteurs avec lesquels ils ont collaboré, lorsque ces souvenirs
remontent à plusieurs années. Le sujet de l’Open Data connaît une évolution rapide
et constante, l’analyse aurait donc pu se retrouver faussée par des souvenirs biaisés.
Cette démarche a donc été laissée de côté afin de se concentrer sur des
événements plus récents, en phase avec l’actualité du sujet qui a été décrite plus tôt.
9
Afin de conduire la recherche présentée ici, le choix a été fait de se baser sur un
certain nombre d’entretiens réalisés auprès d’acteurs variés. Dans un premier temps,
la revue de la littérature sur le sujet a été nécessaire afin de construire un cadre
d’analyse. Le travail a donc d’abord consisté à lire un certain nombre d’ouvrages et
d’articles pour faire un état des lieux de la question et d’en tirer des questions qu’il
serait intéressant de traiter. Par la suite, les entretiens sont venus confirmer ou
infirmer certains propos et hypothèses qui guidaient la recherche. Pour cette
enquête, le terrain choisi s’est donc limité à la ville de Nantes, un grand nombre
d’acteurs issus de structures différentes y étant présents. Au moyen d’entretiens,
leurs opinions ont pu être recueillies. Pour cela, une grille d’entretien a été élaborée,
qui reprenait la plupart du temps des questions similaires pour chaque individu,
permettant ainsi la comparaison entre leurs propos. En outre, certaines questions
étaient spécifiques aux fonctions qu’ils occupent ou aux activités qu’ils mènent,
puisqu’ils ne sont pas tous issus du même milieu. En tout, onze entretiens ont été
réalisés, dont un mené avec deux personnes simultanément. En moyenne, ces
entretiens ont une durée d’une heure. Les interviewés ont d’abord été sélectionnés
en regard de leurs fonctions, mais aussi en raison de leur implication sur le sujet de
l’Open Data, que ce soit lors du début de l’ouverture en 2011 ou aujourd’hui.
L’ensemble des entretiens rassemble ainsi plusieurs milieux : le monde associatif,
les acteurs privés au sein d’entreprises ou de start-ups, les institutions sur plusieurs
niveaux avec des agents et élus de la ville de Nantes, Nantes Métropole, le
Département de Loire-Atlantique et la Région des Pays de la Loire. Le sujet n’a pas
été difficile à aborder, tant auprès des acteurs privés que des acteurs institutionnels.
Au contraire, le projet étant porté par des personnes enthousiastes à l’idée de
l’ouverture, les discussions se montrent intéressantes et fournies. Suite à ces
rencontres, les propos des interviewés ont été analysés et sont venus appuyer
l’étude menée tout au long de ce mémoire, en complément de la documentation
collectée et de la littérature.
Des difficultés se sont posées au cours de ce travail, notamment lors de la définition
du sujet : le sujet est très vaste et il existe une multitude d’angles sous lequel il peut
être étudié. Au commencement du projet de recherche, l’objectif était d’étudier la
mobilisation des différents acteurs locaux autour de l’ouverture des données en
10
2011. Cependant, lors des premiers entretiens il est clairement ressorti qu’il serait
très difficile voire impossible de faire un historique précis des différentes actions qui
se sont déroulées et encore plus de les étudier en profondeur. En effet, les acteurs
interrogés, n’avaient pas toujours de souvenirs précis du déroulement de la
démarche, des relations qu’ils ont pu avoir avec d’autres groupes. Il a donc fallu
rediriger l’étude, qui s’est ainsi recentrée sur l’évolution de la politique d’Open Data
en elle-même et non plus sur les acteurs qui l’ont forgée, bien qu’il s’agisse
également d’une question très intéressante.
Problématique
Le travail réalisé ici et l’étude qui en découle cherchera à répondre à une question
directrice : quels éléments de la mise en œuvre de l’Open Data – à Nantes et en
France – ont pu influencer l’évolution actuelle de la politique ? Il s’agit donc de
revenir sur le déploiement de la politique d’ouverture des données afin de
comprendre pourquoi cette dernière se trouve actuellement dans une phase
d’évolution. Si cette question porte sur deux échelles – le local et le national – c’est
parce qu’il nous apparaît que la politique d’ouverture menée à Nantes reflète bien le
déroulement de l’ouverture au niveau national. Par ailleurs, Nantes ayant été l’une
des premières villes françaises à se lancer dans l’Open Data, le recul et l’expérience
permettent une analyse plus approfondie.
Afin de répondre au mieux à la problématique, l’étude qui suit a été découpée en
trois grands chapitres, qui retracent les moments forts de la mise en œuvre et de
l’évolution de la politique d’Open Data. Dans un premier temps, nous étudierons
l’Open Data sous le prisme de son « importation » et de son adaptation au niveau
local. Le second chapitre sera l’occasion de se pencher sur le bilan de l’ouverture
des données et donc sur les déceptions qui ont pu faire suite aux espoirs. Pour finir,
le troisième et dernier chapitre sera consacré à la transformation de la démarche et
aux nouveaux questionnements qui se posent après six années d’ouverture des
données en France.
11
CHAPITRE 1 – L'OPEN DATA, UN CONCEPT « IMPORTE » A ADAPTER AU
NIVEAU LOCAL.
La notion d’Open Data résulte d’un processus relativement long et trouve ainsi des
racines au fil de l’Histoire, notamment en termes de droit d’accès des citoyens aux
informations détenues par les administrations. Cependant, si l’on prend la démarche
d’ouverture des données que l’on connaît aujourd’hui, l’inspiration est surtout anglo-
saxonne et également plus récente. Ce qui signifie que le concept a été à la fois
« importé » mais aussi adapté aux spécificités françaises et locales par les
collectivités s’étant lancées dans la démarche. C’est ce que nous étudierons tout au
long de ce premier chapitre.
1.1 L’importation du concept d’ouverture des données
« La Société a le droit de demander compte à tout agent public de son
administration »
Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, article 15, 1789
De l’Open Data en 1789 ? Bien que l’anachronisme soit flagrant, force est de
constater que l’idée de transparence de l’administration française avait été pensée il
y a bien longtemps. Le concept d’open data tel qu’il est connu aujourd’hui est encore
très lointain, mais cet article de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen
pose déjà des bases certainement nécessaires à un tel mouvement. Ces notions de
transparence et de droit de regard du citoyen sur l’activité de son administration ont
ensuite évolué au fil de l’Histoire, pour en arriver aujourd’hui à la situation que nous
connaissons. Presque 200 ans plus tard, en 1978, naît la Commission d’Accès aux
Documents Administratifs (CADA) chargée de garantir l’accès des citoyens à
certains documents qu’ils souhaiteraient consulter. Cette commission permet ainsi de
veiller à la bonne application de la loi n°78-753 du 17 juillet 1978 qui portait les
germes du futur open data. Portait, car cette loi a depuis été modifiée afin d’appliquer
une directive européenne portant sur l’ouverture des données publiques en juillet
2015. Preuve en est que l’Open Data a trouvé ses sources dans l’Histoire et est donc
le fruit d’un processus bien plus long, dépassant de loin le simple tournant numérique
relativement récent.
12
Mais si l’histoire française comporte des traces de cette ouverture depuis longtemps,
le concept tel qu’il est connu aujourd’hui relève plutôt d’une construction Nord-
américaine.
1.1.1 Un concept né Outre-Atlantique Le concept d’open data au sens entendu aujourd’hui – la publication des données
publiques et leur mise à disposition grâce aux outils numériques – est donc né aux
États-Unis, plus précisément en Californie. Fin 2007, un groupe d’une trentaine de
personnalités se réunit à Sébastopol afin de discuter d’un sujet qu’ils défendent tous
ardemment : l’Open Data. Avec les élections présidentielles prévues pour 2009,
l’objectif est avant tout de donner une définition à ce concept et de l’imposer comme
objet politique auprès des candidats. La figure de proue de cette initiative n’est autre
que Tim O’Reilly, auteur et éditeur avant-gardiste et majeur dans le domaine de
l’informatique ; c’est notamment à lui que l’on doit l’expression de Web 2.0 puisqu’il
est le premier à l’avoir formulée. Ce dernier invite donc quelques personnages
influents (dont Lawrence Lessig, fondateur de Creative Commons) afin de réfléchir
de façon commune à une définition de l’Open D doncata.
Afin de poser un cadre plus précis sur ce que devrait être une donnée ouverte, des
critères ont ainsi été établis, qui permettent de considérer ou non une donnée
publique comme étant ouverte. Ces critères sont au nombre de huit et constituent
donc une feuille de route pour les programmes d’ouverture de données publiques,
bien que tous les critères ne soient pas systématiquement réunis dans chaque
démarche. Dans un premier temps, la donnée ou le jeu de données doivent être le
plus complet possible, afin de restituer au mieux son sens lors de sa publication.
Les données doivent également être primaires, c’est-à-dire qu’elles sont destinées à
être publiées telles qu’elles ont été collectées, sans modification préalable. Par
ailleurs, si elles sont présentes sous forme de visualisation plus esthétique, le fichier
original ayant servi de base devra être mentionné en même temps. La publication de
ces données doit être la plus rapide possible : dans le domaine du numérique qui
évolue à une vitesse extrêmement rapide, la donnée perdra de sa valeur si elle est
mise en ligne trop tardivement. L’accessibilité doit être possible pour tous, il faut
donc penser à la meilleure manière de diffuser et publier ces données afin que
chacun puisse s’en saisir et les réutiliser. Il faut également veiller à la facilité de la
prise en main des données sur n’importe quel support, ce qui correspond plus ou
13
moins à des questions d’intuitivité. L’accès pour tous garantit également que
l’ouverture des données ne présente pas de discriminations, de cette façon les
individus souhaitant télécharger des jeux de données n’ont pas à s’inscrire au
préalable et peuvent, s’ils le souhaitent, le faire de manière anonyme. Le format ouvert est bien entendu un critère primordial pour la publication de ces données,
condition sine qua non pour les qualifier d’ouvertes. Le format choisi pour mettre en
ligne la donnée doit donc être complètement ouvert et permettre les consultations et
réutilisations sans conditions. Par ailleurs, les données publiques ne répondent pas
aux contraintes du droit d’auteur, toujours dans l’optique d’éviter toute contrainte
dans leur réutilisation.3
Outre la définition de ce qu’est une donnée ouverte, le projet de Tim O’Reilly lorsqu’il
réunit ces influents consiste également à faire passer l’open government à l’agenda
politique. La mise à l’agenda politique du sujet de l’open government aux Etats-Unis
s’est donc faite sur le modèle de la « fenêtre d’opportunité » de John W. Kingdon4.
« La fenêtre constitue une métaphore comparant la mise sur agenda au lancement
d’une mission spatiale [...]. Dans le cas de la fenêtre politique, il ne s’agit plus de
planètes qui s’alignent mais de courants qui se rejoignent »5. Ces courants, au
nombre de trois selon Kingdon, correspondent à trois champs de l’activité politique
qui évoluent indépendamment, jusqu’au jour ou l’opportunité se présente de les
rassembler. Le premier courant, le problem stream, correspond donc aux problèmes
politiques pouvant se manifester et auxquels la mise sur agenda aura pour but de
répondre. Dans le cas de l’apparition de l’open government, le problème que l’on
peut identifier est celui de la légitimité du gouvernement et de la confiance qu’ont les
citoyens en ce dernier. Toute la question est de savoir comment rétablir une relation
de confiance entre particuliers et élus. Le policy stream correspond quant à lui aux
solutions qui peuvent être apportées au problème politique, solutions proposées par
différents acteurs sans lien systématique avec le politique ; c’est le cas de la
3 Opengovdata, «The 8 Principles of Open Government Data » in The Annotated 8 Principles of Open Government Data, En ligne, < https://opengovdata.org/ >, consulté le 21 juillet 2016 4 Politologue et professeur émérite à l’université du Michigan, John W. Kingdon fait figure de référence dans la littérature des politiques publiques, notamment grâce à son ouvrage Agendas, alternatives and public policies publié en 1984, qui traite de la mise à l’agenda 5 Pauline, Ravinet, « Fenêtre d’opportunité » in Laurie, Boussaguet (dir.), Dictionnaire des politiques publiques, Paris, Presses de Sciences Po, « Références », 2014, page 276
14
« solution » de l’open government, qui a émergé dans les milieux de l’informatique et
de la science.
La racine scientifique de l’Open Data On peut dire que le phénomène d’Open Data trouve en partie sa source dans le
monde de la science. En effet, des chercheurs se sont penchés sur la question et ont
prouvé qu’en mettant en commun les données que chacun récoltait au cours de son
travail, il serait alors possible d’en tirer des études bien plus approfondies et
fouillées. Ainsi, les résultats s’en trouveraient améliorés et le partage d’informations
permettrait à chacun de travailler avec les mêmes outils et connaissances.
Le troisième et dernier courant proposé par Kingdon est le political stream : il est
composé de tout ce qui fait la « vie » de la politique, à savoir les opinions publiques,
les événements politiques, les changements de l’administration ou encore la vie
électorale, dont les périodes de campagne. Aux États-Unis, précisément, la réunion
de Sébastopol intervient quelques mois avant les élections présidentielles de 2009.
En théorie, tous les éléments sont réunis pour que l’idée d’open governement puisse
atteindre la sphère politique et s’inscrire à l’agenda. C’est ainsi que Barack Obama
s’empare du sujet durant sa campagne électorale, contrairement à son adversaire
John McCain, pour en faire un point central de son programme et de sa future
administration. Afin de prouver ses intentions de s’engager réellement dans ce
processus, Obama se met en action dès sa prise de fonctions et signe lors de son
arrivée à la Maison Blanche le 20 février 2009 la directive qui lancera l’Open
Government Initiative, premier projet porté par le quarante-quatrième président des
États-Unis. Selon ce dernier, les trois principes fondamentaux de cette initiative sont
les suivants : la transparence du gouvernement et ses administrations, la
participation des citoyens à la prise de décision grâce aux données portées à leur
connaissance et la collaboration entre société civile et sphère politique afin de co-
construire les meilleures politiques possibles. L’Open Data est l’un des moyens
utilisés par le gouvernement afin de mettre en place cet open government : les
données publiques ouvertes à tous sont ainsi un moyen pour les citoyens de prendre
connaissance d’éléments jusque-là réservés à l’administration afin de les combiner
avec leur propre expérience et leur propre usage de leur environnement dans le but
de proposer les solutions de gouvernance les plus adéquates.
15
Le président Obama s’est donc lancé dans son mandat en portant haut l’argument
de l’open government. Les Etats-Unis ont fait partie par la suite des huit pays
fondateurs de l’open government partnership (OGP), partenariat multilatéral
cherchant à promouvoir les gouvernements ouverts dans le monde. Les sept autres
pays fondateurs, c’est-à-dire le Brésil, le Royaume-Uni, l’Afrique du Sud, l’Indonésie,
les Philippines, le Mexique et la Norvège, ont décidé du lancement de cette
démarche en septembre 2011.
Si les États-Unis ont été les pionniers des idéaux de gouvernements ouverts, le bilan
de l’administration Obama reste globalement négatif : beaucoup d’observateurs
indiquent qu’il s’agit de l’un des gouvernements américains les plus opaques. En
2013 notamment, le Committe to Protect Journalists (CPJ) déclare dans un rapport :
« The administration’s war on leaks and other efforts to control information are the
most aggressive I’ve seen since the Nixon administration » 6 (« La guerre
administrative contre les fuites et les efforts pour contrôler l’information sont les plus
agressifs que j’ai vu depuis le gouvernement Nixon »). Une critique d’autant plus
acerbe que l’affaire Edward Snowden n’a fait qu’entériner cette vision du
gouvernement américain plus secret que jamais. Les élections présidentielles à venir
seront par ailleurs certainement décisives pour l’avenir de l’open government : si
Hillary Clinton est déjà impliquée sur le sujet – elle était secrétaire d’État au moment
de la création de l’OGP et a participé à son lancement – il ne semble pas que Donald
Trump se soit positionné sur la question.
1.1.2 Une influence « par le haut » ? Outre les Etats-Unis faisant figure d’exemple, ainsi que le Royaume-Uni, qui a suivi
de près et de manière assez précoce ce mouvement d’ouverture – en 2015, le pays
arrive second au classement de l’Open Data Index7 – l’influence pour l’ouverture est
également venue par les hautes sphères de l’État français, voire d’un niveau encore 6Committe to Protect Journalists, « The Obama Administration and the Press » in cpj.org, En ligne, < https://www.cpj.org/reports/2013/10/obama-and-the-press-us-leaks-surveillance-post-911.php >, consulté le 30 juillet 2016. 7Open Knowledge Foundation, « United Kingdom » in Global Open Data Index, En ligne, < http://index.okfn.org/place/united-kingdom/ >, consulté le 15 août 2016.
16
supérieur. En effet, l’Union Européenne a aussi joué un rôle dans l’ouverture des
données publiques en France. Depuis 2003 déjà, une directive vise à faciliter la
réutilisation de documents produits par les administrations des États-membres8. Il
existe par ailleurs un portail Open Data à l’échelle européenne, le site web
data.europa.eu donnant libre accès à des documents produits par les institutions et
organismes de l’Union Européenne.
En France, le mouvement d’Open Data au niveau national se met en marche durant
l’année 2011. La mission Etalab est créée le 21 février 2011 au moyen d’un décret,
rattachée aux services du Premier Ministre. Son objectif est de créer un « portail
unique interministériel destiné à rassembler et à mettre à disposition librement
l'ensemble des informations publiques de l'Etat, de ses établissements publics
administratifs et, si elles le souhaitent, des collectivités territoriales et des personnes
de droit public ou de droit privé chargées d'une mission de service public »9. Elle doit
donc venir appuyer l’ouverture des données publiques au niveau national.
Son action se poursuit, notamment avec la conception en octobre
2011 de la Licence Ouverte (ou Open Licence), utilisée depuis
novembre de la même année dans toutes les démarches de
libération de données de l’administration étatique.
Le 5 décembre 2011, le site data.gouv.fr est lancé : il s’agit de la plateforme Open
Data à l’échelle nationale. À son lancement, 330 000 jeux de données sont déjà
disponibles, les plus anciennes remontant à l’année 1905. Cette initiative à grande
échelle a permis de lancer la France dans la démarche, jusqu’alors hésitante dans
l’hexagone.
8 Europa, «Directive 2003/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 17 novembre 2003 concernant la réutilisation des informations du secteur public» in eur-lex.europa.eu, En ligne, <http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:32003L0098:FR:HTML>, consulté le 30 juillet 2016.9 Legifrance, « Décret n° 2011-194 du 21 février 2011 portant création d'une mission "Etalab" chargée de la création d'un portail unique interministériel des données publiques » in Legifrance.gouv.fr, En ligne, <https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000023619063&dateTexte=20121030>, consulté le 30 juillet 2016.
17
Le 2 mai 2014, Marylise Lebranchu, alors Ministre de la Décentralisation, de la
Réforme de l’État et de la Fonction Publique, adresse une lettre aux membres du
comité de pilotage de l’OGP afin de faire part de la volonté de la France de rejoindre
le partenariat. En août 2014, le pays rejoint le comité de pilotage de l’organisation à
la suite d’un vote. Depuis octobre 2015, la France est vice-présidente de
l’organisation – qui procède selon le principe de présidence tournante entre les
différents membres – et prendra la tête de l’OGP à partir d’octobre 2016, pour une
durée d’un an. Un arrêté du 21 septembre 2015 créé le secrétariat général pour la
modernisation de l’action publique (SGMAP) et, dans le même temps, organise la
fusion de la mission Etalab – dirigée depuis 2013 par Henri Verdier – et de la
Direction des systèmes d’information (DSI) de l’État afin de créer la Direction
interministérielle des systèmes d’information et de communication (DISIC)10.
L’influence du niveau étatique dans l’ouverture des données à Nantes ne paraît pas
être un argument valable, puisque les démarches réalisées à l’échelon national ont
commencé après l’annonce de l’ouverture à Nantes. Cependant, l’accélération des
démarches dans les collectivités françaises et au niveau national a pu représenter un
moteur pour la collectivité nantaise.
1.1.3 Le modèle de Rennes, ville pionnière en France Historiquement, Nantes peut être considérée comme une place forte du numérique
en France. Avant l’apparition de ces questions, la ville était très avancée dans les
domaines de l’informatique ou du web. Il n’est donc pas étonnant qu’elle se soit
rapidement emparée du sujet de l’open data. Mais malgré son statut de pionnière au
sein du mouvement en France, Nantes n’est pas la première commune à avoir
ouvert ses données. En effet, la ville de Rennes a entamé cette démarche en 2010,
créant ainsi une dynamique qui poussera Nantes à se lancer également dans le
processus. Cette ouverture rapide n’est pas seulement due au désir nantais d’ouvrir
ses données : on peut y voir l’expression d’une sorte de rivalité historique entre ces
deux villes, se disputant souvent le titre de capitale du grand Ouest. Il s’agit alors de
10 Legifrance, «Arrêté du 21 septembre 2015 portant organisation du secrétariat général pour la modernisation de l'action publique» in Legifrance.gouv.fr, En ligne, <https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000031194455&dateTexte=20150922>, consulté le 30 juillet 2016.
18
ne pas se laisser devancer, d’autant plus sur un domaine que Nantes maîtrise
particulièrement.
Dès 2010, la ville de Rennes se penche donc sur le sujet de l’ouverture des données
publiques et devient la première collectivité à publier ses propres données. En Mars
2010, la décision est prise de créer une plateforme dédiée aux données publiques.
Son ouverture effective se fait trois mois plus tard : la ville de Rennes et Rennes
Métropole publient les premières données du service de vélo en libre-service et
celles de plusieurs organismes publics locaux. Dans la foulée, un concours est lancé,
ouvert d’octobre 2010 à mars 2011 et intitulé « Rennes Métropole en accès libre ».
L’objectif est d’inviter les individus – particuliers, professionnels du numérique – à
s’emparer des données afin de créer de nouveaux services innovants. L’originalité
de la démarche, selon les institutions rennaises, tient dans le partenariat conclu avec
Appel à projets de Rennes
Lancé en même temps que la libération
des données publiques et doté de
50000€, le concours initié par la ville de
Rennes, Rennes Métropole et Keolis
Rennes a pour but de stimuler la
création d’applications ou services
innovants sur tous types de supports, sur
la base des données publiées sur la
plateforme. Six prix ont été décernés et
les projets lauréats ont bénéficié d’une
communication via la plateforme. En
contrepartie, les applications devaient
être mises à disposition de tous
gratuitement durant un an avant de
pouvoir être exploitées. Les données
mises à disposition portaient
essentiellement sur les transports et
l’environnement.
19
Keolis, opérateur des transports en commun de l’agglomération, qui ouvre ses
données concernant le réseau de bus et de métro. Aujourd’hui, 158 jeux de données
sont disponibles sur le site data.rennes-metropole.fr. Les objectifs principaux de cette
ouverture reprenaient globalement ceux affichés dans le cadre du lancement de
l’open government aux Etats-Unis – améliorer le quotidien des citoyens et la
participation au débat politique ainsi que la transparence de l’administration – à
l’exception d’un élément qui n’apparaissait pas dans la démarche américaine : la
création d’une « valeur d’usage » des données et l’augmentation de l’attractivité de la
métropole. Il est donc certain que l’engagement de Rennes dans l’ouverture des
données publiques a poussé Nantes à s’y impliquer à son tour, d’autant plus que
l’exemple d’une expérience précédente relativement réussie constituait un argument
de plus en faveur de l’Open Data nantais.
Il est important de rappeler que l’ouverture des données publiques à Nantes ne s’est
pas faite seulement grâce à des influences extérieures. Des demandes étaient déjà
formulées sur le territoire, notamment par l’association LiberTIC, acteur majeur de
l’Open Data dans la collectivité. L’association a lancé une pétition dès la fin de
l’année 2010 afin de donner plus de poids à la demande, destinée à être portée
devant les élus au début de l’année 2011. La pétition, réunissant environ 200
signatures dont un grand nombre de « têtes de réseaux » a permis de lancer le
dialogue avec la collectivité et d’enclencher la démarche d’ouverture des données. Il
est donc intéressant de constater que l’idée d’Open Data est moins née d’une
volonté politique que de « pressions » extérieures. Une fois la collectivité lancée
dans le processus, l’année 2011 a été décisive, avec l’annonce de l’ouverture par
Jean-Marc Ayrault le 3 février 2011 à l’occasion de l’inauguration de la Cantine
Numérique, puis la mise en ligne de la plateforme en novembre 2011. Il est
intéressant, dans le cadre de ce travail, d’étudier de manière plus approfondie la
mise en place de ce programme d’action publique, puisque cette mise en place sera
sans aucun doute déterminante pour la suite de la démarche.
1.2 Adapter le programme au niveau local
Il paraît assez clair que l’ouverture aux États-Unis figure comme modèle pour celle
des pays ayant suivi le mouvement : c’est bien Outre-Atlantique qu’ont été définis les
20
critères de l’Open Data et que s’est mise en place cette libération des données,
même si des germes étaient déjà présents dans les législations nationales ou
européennes. En France, l’argument d’une ouverture réussie aux États-Unis et
l’exemple de Barack Obama a permis de donner plus de poids au mouvement
d’ouverture des données publiques, ce qu’a confirmé Jean-Philippe Lefèvre,
responsable de la Mission participation citoyenne et usages numériques au
Département de Loire-Atlantique. Nous avons ainsi pu assister à une sorte de
transfert de politique publique. Sarah Russeil, dans le Dictionnaire des politiques
publiques, décrit ce processus de cette manière :
« Sont rassemblés, sous l’expression transfert, les processus de
développement au sein des systèmes politiques et/ou sociaux existants, de
programmes d’action, de politiques ou encore d’institutions dont les cadres
d’action relèvent d’idées ou proviennent d’institutions ou de programmes
d’action de systèmes politiques et/ou sociaux autres (en général
étrangers) »11.
Cela peut donc correspondre à ce qu’il s’est passé lors de l’apparition du mouvement
d’ouverture des données publiques en France – voire en Europe. Plusieurs acteurs
rencontrés lors d’entretiens dans le cadre de cette recherche ont par ailleurs souligné
que la communication faite par le président Obama autour de ce programme
légitimait plus encore l’ouverture en France. Mais, d’une part, ce transfert n’a pas été
total. Les démarches françaises poursuivent un seul but, à savoir l’ouverture des
données. Cette même ouverture des données qui, aux États-Unis, constituaient l’un
des moyens pour parvenir à l’élaboration d’un gouvernement ouvert. David Dolowitz
et David Marsh évoquent ces différentes formes de transfert dans leur article
Learning from abroad : the role of policy transfer in contemporary policy-making12. Ils
en relèvent quatre, qui correspondent à différents « degrés » de transfert : la copie
(qui correspond à un transfert direct et complet), l’émulation (évoquant plutôt un
11 Sarah, Russeil, « Transfert de politiques publiques » in Laurie, Boussaguet (dir.), Dictionnaire des politiques publiques, Paris, Presses de Sciences Po, « Références », 2014, pages 640-641 12 David Dolowitz, David Marsh, «Learning frome abroad : the role of policy transfer in contemporary policy-making» in Governance, volume 13 (2000), pages 5-23
21
transfert d’idées attachées au programme d’action publique), la combinaison (un
mélange de plusieurs politiques différentes) et l’inspiration (la base de la politique est
inspirée d’une autre mais sa mise en œuvre peut être très différente). De ces quatre
modèles, on peut considérer que le transfert du programme d’action publique
concernant l’Open Data relève plutôt de l’émulation : en effet, nous l’avons vu, l’idée
de gouvernement ouvert recherchée aux États-Unis n’apparaît pas réellement – du
moins pour le moment – en France. Il s’agit donc de transférer certaines idées
provenant de l’initiative d’origine afin de les appliquer au niveau national, voire local
dans le cas de Nantes et des autres collectivités ouvrant leurs données. Ceci paraît
relativement normal, car comme le rappelle Sarah Russeil, les transferts sont
« porteurs d’échanges, de transformations et d’ajustements » 13 . Le phénomène
d’ouverture des données est donc un concept largement importé des États-Unis,
mais repris à un concept plus grand encore, celui de gouvernement ouvert. Ce
changement peut s’expliquer par le transfert qu’a connu le programme d’action
publique, mais aussi par sa nécessaire adaptation au niveau local. Effectuer ce
changement d’échelle implique un changement dans les enjeux politiques et sociaux
de la démarche, puisque le territoire et les acteurs ne sont plus les mêmes. Les
moyens sont également différents et le niveau local ne peut certainement pas
reproduire une action menée par une administration étatique. Cela peut donc
expliquer pourquoi, lorsque l’on compare les discours entourant l’ouverture des
données, on peut voir que les arguments avancés en faveur de cet Open Data ne
sont pas les mêmes.
1.2.1 Les enjeux de l’ouverture selon les acteurs politiques
Le programme d’ouverture des données publiques dans les collectivités a dû trouver
des arguments afin de soutenir la démarche, notamment car, il faut le rappeler, la
libération de ces données représente un coût conséquent pour les administrations
locales. En terme de temps, pour commencer, la publication de données nécessite
de mobiliser du personnel au sein des institutions afin de décider d’une « ligne
éditoriale ». Un travail doit être aussi fait pour contextualiser les données, ne pas les
publier sans explications qui permettraient de faciliter la compréhension et,
13 Sarah Russeil, Transfert de politiques publiques, op. cit., p 641
22
potentiellement, la réutilisation. Ces missions sont d’autant plus complexes à réaliser
que, nous le verrons par la suite, les agents des services publics français n’ont pas
encore acquis la culture de la donnée et ne sont donc pas forcément les plus à
même de travailler ces datas. Par ailleurs, les coûts financiers sont également assez
élevés, pour plusieurs raisons. La mise en ligne des données sur une plateforme
peut représenter un grand budget si le portail est hébergé par un prestataire
extérieur et non par la collectivité : la démarche nantaise ne connaît pas ce problème
grâce au portail mutualisé entre les quatre niveaux d’institution. Dans tous les cas,
ces portails engendrent des frais de maintenance non négligeables (à titre
d’exemple, la ville de Montpellier a déboursé 15 000€ en 2011 pour la maintenance
de son portail Open Data). La publication des données implique également des
dépenses pour obtenir une expertise capable de juger de la conformité de ces
données, mais aussi pour les mettre en forme, afin de les proposer sous un format
plus compréhensible pour les réutilisateurs. Le coût de la publication d’un jeu de
données peut parfois se chiffrer en millions d’euros, dépenses difficilement
supportables pour la plupart des communes lancées dans l’Open Data.14
Afin de justifier une telle démarche coûteuse et chronophage, les politiques ont donc
présenté plusieurs arguments lors de l’annonce de l’ouverture des données, afin de
démontrer que l’investissement, certes assez lourd sur le moment, allait devenir
bénéfique sur le long terme. Pour cela, plusieurs champs ont été investis par ces
décideurs. C’est notamment Jean-Marc Ayrault, alors maire de Nantes, qui a avancé
plusieurs arguments via un dossier de presse publié en novembre 2011. On y
retrouve l’argument économique, la modernisation de l’action publique, l’attractivité
du territoire ou encore, le dialogue citoyen. À la différence des autres démarches que
l’on a pu observer, c’est à dire l’open government américain et l’ouverture des
données publiques à Rennes, Nantes fait de l’argument économique l’une des
principales justifications de la libération de ses datas. Le communiqué de presse
publié le 21 novembre 2011 afin d’annoncer le lancement du portail commun revient
ainsi sur les raisons qui ont poussé Jean-Marc Ayrault, à l’époque maire de la ville, à
14 La gazette des communes, mis à jour le 21 avril 2014, «Open data : quels coûts pour les collectivités locales ? » in La gazette des communes, En ligne, <http://www.lagazettedescommunes.com/438803/open-data-quels-couts-pour-les-collectivites-locales/>, consulté le 31 juillet 2016.
23
ouvrir les données publiques. La collectivité s’appuie alors sur des chiffres
européens, selon lesquels le marché de la réutilisation des données publiques
produirait environ 27 milliards d’euros de bénéfices par an. En effet, en 2006, le
rapport « Measuring European Public Sector Information Resources » (MESPIR)
annonce cette somme comme estimation des bénéfices possibles créés par les
réutilisations de données. L’argument économique, d’autant plus lorsqu’il est appuyé
par l’Union Européenne, n’est pas négligeable puisqu’il permet de justifier la
démarche d’ouverture qui risquerait de se heurter à de fortes réticences. Il s’agit
donc d’un bon compromis : l’effort d’ouverture aujourd’hui sera payant dans un
avenir par ailleurs pas si lointain. Il ressort de ces communiqués de presse un
sentiment d’émulation, comme si la machine allait pouvoir se mettre en marche à
l’instant même de la publication des données. Les entreprises de l’écosystème
numérique pourront s’emparer de ces données afin de les transformer en services
utiles pour les citoyens et la vie locale. Toujours selon ce même communiqué de
presse, « encourager l’émulation sur le territoire tend à favoriser l’émergence de
nouveaux acteurs et le développement de l’activité économique au profit d’une
meilleure qualité de vie pour les habitants. »15. Créer un écosystème des données
permet également d’attirer de jeunes entrepreneurs ou de plus grandes firmes
souhaitant utiliser les données dans leur activité. Une attractivité économique, donc,
qui sera rapidement remise en cause par la suite.
Lorsque l’on revient sur la démarche d’open government des États-Unis, nulle
mention n’est faite d’un potentiel économique pour les données. L’argument apparaît
toutefois dans la démarche rennaise. Un argument économique qui sera par la suite
beaucoup appuyé grâce aux différentes actions de la collectivité, notamment au
travers des appels à projets et autres hackathons. Nous étudierons ceci dans le
second chapitre.
Dans une autre perspective, l’ouverture des données est appuyée par l’argument de
la modernisation des services publics. C’est un fait, l’image de l’administration
française auprès des citoyens usagers n’est pas la meilleure possible. La société
actuelle réclame de plus en plus de transparence de la part des administrations, en
même temps que la confiance des citoyens en leurs institutions et leurs élus décroît.
15Voir annexe n° 1, page 79
24
L’opinion publique témoigne d’un véritable manque de « croyance » en la politique
actuelle. Publier les données publiques pourrait ainsi être un moyen de dépasser
cette vision : garder les données en interne incite les individus à penser que quelque
chose est à cacher, puisque ces informations ne sont pas divulguées. Libérer des
données à propos du fonctionnement des institutions permettrait éventuellement
d’écarter cette suspicion, si toutefois les données permettaient réellement d’en savoir
plus sur le fonctionnement de l’administration. Cela favoriserait, dans le même
temps, le changement de l’image des institutions, souvent perçues comme
« archaïques » et peu rompues aux usages numériques. Il s’agit d’ailleurs d’une
démarche déjà engagée avec les différents processus de numérisation des services
publics, de plus en plus de démarches étant réalisables via Internet. Mais l’Open
Data permettrait aussi de moderniser l’action même, le travail des services publics.
C’est un argument sous-jacent qui ressort beaucoup dans les différents modes de
promotion de l’Open Data. Si les agents produisent une grande quantité de données,
les mettre en ligne peut aussi permettre d’en augmenter la qualité (puisqu’elles
seront visibles par tous). Elles pourront également être réutilisées rapidement dans
les différents services, au lieu d’une information actuellement en « silos » qui oblige
les agents à effectuer des démarches parfois lentes pour obtenir des informations
provenant d’autres services. Cela menant, en fin de compte, à un gain de temps
dans le travail effectué en interne.
L’un des objectifs est aussi de rendre la vie (et la ville) plus facile pour les citoyens.
Grâce à l’ouverture des données et à la multitude de nouveaux services et usages
qui seront créés par des professionnels en ébullition, de nombreuses applications et
sites web pourront faciliter les usages de la ville pour tous. Il s’agit ainsi d’utiliser les
données, de les croiser, afin de produire des services utilisés par les habitants dans
leur vie quotidienne et sur tous les volets : transports, loisirs, environnement, ... Cela
transparaît d’ailleurs lorsque l’on voit que beaucoup de données publiées dans un
premier temps étaient des données au sujet des transports, de l’environnement. En
outre, il existe également une volonté de rendre la ville plus attractive aux yeux de
potentiels futurs résidants du territoire. Une ville « connectée », dont on peut faire un
usage intelligent grâce aux données permettrait de favoriser l’installation dans les
communes pratiquant l’ouverture des données. Un argument que l’on peut trouver
discutable car il a été prouvé depuis que les citoyens s’intéressent très peu aux
25
données : l’attractivité de ces dernières est donc probablement loin d’être un critère
pour l’installation sur le territoire.
Ces différents arguments participent tous des récits construits autour du référentiel
d’ouverture des données. Claudio Radaelli en donne un exemple dans une
occurrence du Dictionnaire des politiques publiques : « Un récit sur les applications
positives pour la santé humaine des manipulations génétiques peut, par exemple,
servir à soutenir le référentiel de modernisation »16. Cet exemple est tout à fait
transposable au cas de l’Open Data nantais, dans la mesure où les récits à propos
des bénéfices potentiels de l’ouverture des données publiques servent à appuyer
l’action publique globale.
1.2.2 L’Open Data devient une fin à atteindre et non plus un moyen En réalisant ce transfert dans la politique publique, on peut aussi observer que le
propos même de l’action s’est transformé. D’une volonté de créer un gouvernement
ouvert aux États-Unis, l’objectif en France a consisté en l’ouverture des données
seule. Tout ce qui « habillait » le concept d’ouverture des données a disparu, en
laissant pour seul but de créer des plateformes afin d’y publier des données et de
laisser les réutilisateurs s’en saisir. Il existe bien entendu dans la politique d’Open
Data française une volonté de renforcer le dialogue entre élus et citoyens ainsi que la
transparence de l’administration, mais cela apparaît plutôt comme un objectif parmi
d’autres, en lieu et place de l’objectif final, global de la politique. Ce changement
d’objet peut être dû au changement d’échelle qui s’est opéré lorsque les communes
ont commencé à ouvrir les données : l’idée d’un gouvernement ouvert étant plutôt
sous la responsabilité de l’État, les communes se sont apparemment concentrées
sur d’autres aspects du processus. De façon secondaire, on assiste aujourd’hui à
des volontés de créer une participation à l’échelle locale, mais cela arrive plusieurs
années après le début de l’ouverture. Nous le verrons dans le troisième chapitre de
cette étude.
Les élus locaux ont donc dû adapter la démarche américaine, menée à une échelle
nationale, au niveau des territoires. On peut observer des mécanismes en partie 16 Claudio, Radaelli, « Récits (policy narrative) » in Laurie, Boussaguet (dir.), Dictionnaire des politiques publiques, Paris, Presses de Sciences Po, « Références », 2014, page 548
26
similaires, notamment à propos de la mise sur agenda : à Nantes, le militantisme a
joué un grand rôle dans l’apparition de l’Open Data au sein des préoccupations
politiques, ce qui s’est déroulé également dans la démarche américaine. Pour autant,
d’autres facteurs ont pu jouer, en particulier les exemples d’ouvertures déjà
effectuées avant celle de Nantes, paramètre qui n’était pas présent pour l’ouverture
aux États-Unis. La collectivité nantaise a su mettre en place une communication de
grande ampleur autour de l’ouverture des données pour se positionner comme un
acteur majeur de ce mouvement. Cette communication peut cependant faire l’objet
d’un questionnement, afin de savoir dans quelle mesure les arguments avancés se
sont réellement mis en place dans la démarche.
1.3 L’open data “à la nantaise”, véritablement inédit et opérationnel ?
Nantes a fait de l’Open Data un formidable sujet de communication sur les aspects
du numérique et de l’innovation. À en croire les différentes institutions, la ville a
développé son Open Data « à la nantaise », en faisant ainsi une particularité
territoriale, de manière à se démarquer des autres démarches d’ouverture des
données publiques. Avec le recul, il peut être utile de questionner la légitimité de cet
argument, afin de distinguer, entre l’objet de communication et l’intention réelle, dans
quelle mesure cela s’est avéré vrai.
1.3.1 La démarche « multi-acteurs » Lors de la libération des données, la collectivité a choisi de communiquer sur ce qui
doit représenter l’Open Data nantais, en faire son originalité ; la démarche « multi-
acteurs ». Le jeu à la nantaise consiste ainsi à réunir dans la démarche d’ouverture
un grand nombre d’acteurs issus de différents milieux : des associations, des élus,
des professionnels du numérique et, bien entendu, les citoyens. Il s’agit d’une
volonté faisant suite assez logiquement au désir de voir se créer un écosystème
autour des données publiques. Or, cette démarche pose plusieurs questions. Tout
d’abord, celle de la réelle importance du caractère pragmatique de ce jeu à la
nantaise. En effet, la collectivité avait en tous les cas besoin d’acteurs extérieurs afin
de mener à bien l’ouverture des données, d’autant plus lorsque l’on se remémore
que cette ouverture relativement précoce est en grande partie due à l’action militante
de l’association LiberTIC sur le territoire. Les différents acteurs ayant participé de
27
près ou de loin à la libération des données s’accordent à dire que sans cette
intervention de LiberTIC et sa cofondatrice Claire Gallon, les données ne se seraient
ouvertes que bien plus tard à Nantes. Si l’impulsion a été en grande partie donnée
par l’action militante, la suite de la démarche reposait également sur les
connaissances des différents acteurs présents sur le territoire. Pour développer un
Open Data cohérent, il fallait en effet pouvoir compter sur l’expertise de
développeurs et entreprises qui ont pu opérer pour mettre en valeur les données,
lors des hackathons par exemple. Proposer des réutilisations des données sous la
forme d’applications utiles, qui feront l’objet d’une communication, permet ainsi de
médiatiser la donnée et éventuellement d’attirer de nouveaux curieux. L’expertise et
le réseau des associations ont également été un apport précieux pour la collectivité.
Cela est particulièrement vrai pour l’association LiberTIC, qui a pu se positionner
comme médiateur entre les élus et la société civile puisque ce dialogue lui a été
délégué par les institutions. Cela permettait ainsi d’exploiter le réseau déjà construit
de l’association, qui avait une meilleure connaissance des acteurs du numérique à
Nantes que les politiques. Cette nécessité de s’entourer d’une multitude d’acteurs est
donc devenue un sujet de communication sur lequel la collectivité a pu s’appuyer
pour promouvoir une démarche d’ouverture des données co-construite et
participative, utilisant cet argument afin de se démarquer de la ville de Rennes. Les
élus ont ainsi été capables de s’approprier des enjeux propres à l’ouverture des
données pour en faire un argument de communication en faveur de la libération des
datas. Il est intéressant de voir comment un discours portant au départ sur l’utilité
pure de la démarche peut alors devenir la justification d’une démarche, permettant
aux politiques d’expliquer leurs choix et décisions en matière d’Open Data.
La seconde question que soulève cette volonté d’Open Data « à la nantaise » tient
dans le fonctionnement véritable de cet écosystème. Les différentes annonces
effectuées lors de la décision d’ouvrir les données ou de la mise en ligne de la
plateforme indiquaient le souhait de la collectivité de s’entourer de nombreux
acteurs, non seulement pour profiter de différentes expertises mais aussi afin de
fédérer ces acteurs autour du sujet de l’Open Data, espérant créer ainsi un
écosystème de la donnée, réunissant associations, professionnels, chercheurs. Il est
vrai que beaucoup d’acteurs se sont mobilisés sur le sujet, et ce relativement tôt.
Cela s’explique de plusieurs manières en fonction des acteurs concernés. Les
différentes associations étaient déjà positionnées sur les données ouvertes en amont
28
du lancement de la démarche nantaise. LiberTIC est la structure ayant poussé cette
ouverture à Nantes, tandis qu’Atlantic 2.0 fédérait déjà des acteurs du numérique et
de l’innovation au sein de son association, action concrétisée par la suite grâce à
l’ouverture de la Cantine Numérique, dont l’inauguration fut l’occasion pour Jean-
Marc Ayrault d’annoncer le lancement de l’Open Data nantais. L’association
Médiagraph, que l’on peut également retrouver parmi les acteurs, s’était quant à elle
déjà tournée vers des actions de sensibilisation et de formation aux données grâce à
son fonctionnement sous forme d’infolab, notamment auprès d’associations ou de
porteurs de projet souhaitant acquérir des connaissances nécessaires à la mise en
valeur de leurs propres données. L’association, dont l’action autour des données
publiques s’est accélérée à partir de 2012, a aussi pu utiliser des données publiques
dans son activité de sensibilisation auprès des retraités, son public principal. Sur le
territoire nantais, une autre association a pu se nourrir de l’ouverture des données,
même si elle ne figurait pas parmi les pionnières du mouvement : il s’agit d’Hellodata.
Spécialisée dans la visualisation de données, l’association se propose
d’accompagner les détenteurs de données afin de les aider à analyser ces dernières
et les mettre en forme afin qu’elles puissent être diffusées par la suite. Un grand
nombre d’acteurs associatifs ont donc pu trouver un intérêt dans l’ouverture des
données afin de proposer des solutions à d’autres individus souhaitant manipuler ces
nouvelles sources d’information.
Chez les professionnels, l’engouement pour les données a rapidement suscité un
intérêt : dès les premiers mois de l’ouverture, les données ont pu être utilisées par
différentes structures lors d’événements tels que les appels à projets, ou les
hackathons. Les développeurs, notamment, se sont beaucoup emparés des données
afin d’essayer de créer des usages à partir de ces dernières. D’autres structures,
comme la communauté des chercheurs notamment au laboratoire LINA de
l’université de Nantes ou encore à l’école de Design a pu s’intéresser aux données
dans leurs travaux de recherche. Même si la médiatisation est retombée quelques
mois après l’ouverture des données et l’effervescence qu’elle a provoquée,
l’écosystème numérique à Nantes s’est rapidement emparé de la question. Il reste
que beaucoup d’acteurs l’ont par la suite délaissée. Par ailleurs, on remarque que
malgré quelques initiatives pour réunir ces différents acteurs, ils ont finalement
beaucoup travaillé chacun de leur côté, utilisant les données selon des modes bien
différents en fonction de leur activité. Cette unité de l’écosystème numérique nantais,
29
si elle a pu être observée dans les premiers mois de la libération des données, s’est
en revanche rapidement dissoute après quelques temps.
Avec le recul, on peut donc observer que la démarche nantaise, au lieu d’une
démarche multi-acteurs, a plutôt vu naître une pluralité d’initiatives issues de tous
milieux. Les différents acteurs ne se sont pas réellement côtoyé – c’est en tout cas
ce qui ressort des entretiens menés lors des recherches – à l’exception de
l’association LiberTIC qui dans son rôle de « médiatrice » comme nous l’avons vu
plus tôt a pu être en contact avec un certain nombre d’individus ou de structures. Les
seules occasions qui ont pu réunir plus d’acteurs ont été les événements de type
hackathons, durant lesquels des rencontres ont pu se faire, ce qui a pu être
bénéfique pour l’écosystème. L’annonce de cet Open Data « à la nantaise » s’est
donc basée sur un besoin de la collectivité de pouvoir compter sur différentes
expertises, mais ne s’est pas forcément déroulée comme prévu. Ce qui ne signifie
évidemment pas que la démarche pluri-acteurs n’a pas été voulue par les politiques,
puisque ces derniers avaient bien conscience des effets bénéfiques qu’elle pouvait
avoir sur le processus d’ouverture. Seulement, elle ne s’est pas réellement mise en
place, chaque acteur ayant plus ou moins délaissé le sujet tour à tour.
1.3.2 Apporter de l'inédit Un autre argument fort dans le lancement de l’ouverture des données fut l’aspect
inédit de la démarche, notamment au travers de la plateforme mutualisée entre la
Ville et la Métropole, rejointe par la suite par le Département de Loire-Atlantique et la
Région des Pays de la Loire. Cette mutualisation, qui permet surtout de réduire
sensiblement les coûts de l’ouverture en réunissant les frais d’hébergement et de
maintenance, a donc été utilisée comme argument afin de montrer l’innovation
apportée par la collectivité nantaise en matière d’Open Data. Par ailleurs, cette
mutualisation a pu être facilitée du fait que ces différents niveaux institutionnels
portaient tous la même couleur politique à l’époque. Une plateforme mutualisée à
tant d’échelons est en effet une démarche inédite en France. La ville de Rennes, qui
a précédemment ouvert ses données, a proposé un portail commun à la Ville et la
Métropole, un premier effort de mutualisation dont a pu s’inspirer Nantes. D’autres
similitudes sont visibles avec Rennes, notamment dans l’appel à projets lancé en
30
parallèle de la libération des données. Les concours de « Rennes Métropole en
accès libre » et « Rendez-moi la ville + facile » ont en effet proposé pendant
plusieurs mois aux réutilisateurs de s’emparer des données afin d’en créer des
applications, avec un suivi et un financement à la clé. Une démarche ressemblante
dans les étapes qu’elle a parcouru. Si l’on se penche sur la liste des partenaires, un
autre rapprochement peut être fait : les villes de Rennes et de Nantes se sont toutes
deux entourées de l’opérateur de transport public local, respectivement Keolis et la
Semitan, ces deux structures ayant accepté d’ouvrir certaines de leurs données en
même temps que les données publiques. Cela a produit des similitudes dans les
réponses proposées par les développeurs lors des appels à projets, incluant un
grand nombre d’applications à propos des transports, ou de l’environnement.
Il est donc possible de questionner le caractère réellement inédit du processus, car
certaines idées se retrouvent dans les différentes démarches. Cela paraît normal,
étant donné que l’Open Data restait, en 2011, un sujet très récent en France, à tel
point que l’État commençait tout juste à s’en emparer. Par ailleurs, bénéficier d’un
exemple de l’exemple de l’ouverture à Rennes permettait à la collectivité nantaise de
s’appuyer sur une expérience et ainsi de ne pas se lancer à l’aveugle dans un tel
mouvement. En revanche, et c’est ce que nous allons voir dans un second chapitre,
la mise en œuvre de la politique d’Open Data à Nantes, tout comme les promesses
qu’elle portait, ont rapidement montré leurs limites et on fait place à un certain
nombre de déceptions de la part des différents acteurs. Il existe un écart entre le
référentiel, l’imaginaire construit autour de l’Open Data et ses réelles applications.
C’est un fait, l’Open Data a constitué un sujet de communication formidable pour la
collectivité nantaise au cours des mois qui ont suivi l’ouverture en 2011. De
nombreuses attentes ont été formulées autour de la démarche et les différents
acteurs se sont montrés optimistes quant à la formation d’un véritable écosystème
des données. Bémol : la traduction française et locale de la politique par rapport à
son inspiration américaine ne s’est pas faite sans pertes. En effet, l’idée d’open
government prônée par Barack Obama n’a pas réellement fait surface en France,
même si les élus nantais poursuivaient l’objectif d’ouverture de la démocratie locale
et de participation accrue des citoyens. Ces promesses qui ont été posées il y a
quelques années ont naturellement suscité des attentes de la part des différents
31
groupes impliqués. Après cinq ans d’ouverture, nous allons à présent voir dans
quelle mesure ces promesses se sont réalisées.
32
CHAPITRE 2 – UN PROJET AVEC SES ESPOIRS ET SES FAIBLESSES
Ce n’est plus réellement un secret, le programme d’Open Data nantais lancé en
2011 avec ses premiers objectifs n’a pas véritablement comblé les attentes qu’il avait
soulevé. Si l’on reprend les trois arguments phares exprimés par les élus lors de
l’annonce de la libération des données, on peut citer l’argument économique, le
processus de modernisation des services publics et le bénéfice pour les citoyens. Or,
si certaines améliorations ou initiatives sont tout de même apparues sur le territoire,
on ne peut pas affirmer que ces résultats correspondent aux espoirs formulés par les
acteurs. Dans ce chapitre, nous nous pencherons davantage sur les arguments de
développement économique et de modernisation de l’administration, la question du
citoyen faisant l’objet du chapitre trois puisqu’il mérite d’être traité avec d’autant plus
de profondeur.
2.1 L’Open Data n’est pas une « mine d’or » économique 2.1.1 Malgré quelques initiatives réussies ... L’ouverture des données publiques à Nantes a permis de faire naître un certain
nombre d’initiatives extrêmement intéressantes, en terme d’activité et d’animation de
l’écosystème numérique. Comme nous le verrons cependant, rien ne permet
réellement de créer un modèle économique autour des données. De nombreuses
initiatives sont lancées par des associations, quand d’autres intègrent l’Open Data
comme une partie de leur activité seulement et se chargent plutôt de médiation.
Dans tous les cas, il n’existe pas réellement de start-up ou d’entreprise bâtie sur les
données ouvertes. Les lauréats d’appels à projets ou développeurs d’applications
proposent des projets qui peuvent se révéler pérennes mais qui ne suffisent pas pour
autant à en faire une activité à part entière. Nous allons ici revenir sur ces différents
usages des données, qui produisent des activités variées mais difficilement
quantifiables au niveau économique.
En ce qui concerne les associations, elles sont nombreuses à s’être emparées du
sujet de l’Open Data afin de proposer des services basés sur ces données. Le milieu
associatif touchant au sujet des données ouvertes est particulièrement dynamique,
que ce soit au niveau local et au niveau étatique. Parmi les projets que l’on peut
identifier sur le territoire, l’association OpenStreetMap est bien entendu un acteur
33
important. Fondé en 2004 au Royaume-Uni, le projet a pour objectif de créer une
cartographie du monde, alimentée par les citoyens selon leurs connaissances. La
branche nantaise de l’association organise notamment des « cartoparties », invitant
des citoyens à se réunir et explorer une zone délimitée de la ville afin de reporter les
données collectées sur une carte interactive, alimentée de manière collective avec
des données produites par les usagers et disponibles en accès et réutilisation libre.
Un exemple vient illustrer cette activité : à Nantes, OpenStreetMap a proposé
plusieurs cartoparties visant à recenser les appuis vélos présents sur la commune.
Autre initiative intéressante, la création de l’association Hellodata spécialisée dans la
visualisation de données publiques. Il s’agit ainsi de rendre les données plus lisibles
et plus compréhensibles afin de donner aux citoyens les clés pour les analyser, sans
avoir besoin de connaissances techniques préalables. L’association propose ainsi
sur son site des visualisations de données, infographies et cartographies qui mettent
en valeur des données publiques afin de renseigner sur un sujet à portée locale ou
territoriale (il peut s’agir de la question de Notre-Dame des Landes, des industries
culturelles et créatives nantaises ou encore de consommation collaborative). À la
différence d’OpenStreetMap, qui invite les citoyens à participer aux différentes
cartographies réalisées, l’association Hellodata se charge de mettre en forme les
données afin d’en proposer des visualisations à son public. Activité également
proposée par le cluster Ouest Médialab, dont le public est plutôt ciblé sur des
professionnels. En effet, la structure organise régulièrement des « hyblabs » tournés
sur les datas : datajournalisme, datasport. Il s’agit d’ateliers se déroulant sur
plusieurs jours et rassemblant, dans le cas des hyblabs nantais, des étudiants de
l’Université de Nantes, d’Audencia, de l’École de Design ou encore de Polytech.
L’idée étant de créer des équipes transdisciplinaires afin de faire travailler les
étudiants sur des jeux de données, en vue de les exploiter de manière innovante et
de faire usage de nouveaux outils de communication afin de diffuser ces données.
Le hyblab datajournalisme en est à sa quatrième édition, celui portant sur le
datasport ayant quant à lui trois éditions à son actif. Il s’agit donc de former à la
réutilisation des données ouvertes des étudiants démontrant un certain attrait pour
ces dernières. Outre ces hyblabs, le cluster propose également des formations
envers les professionnels afin de les aider à appréhender les nouveaux outils
s’offrant à eux dans leur activité. En juin 2016, la formation Datacom « Communiquer
avec des données » proposait de former des professionnels, essentiellement
34
journalistes et communicants, à la datavisualisation. Lors des différentes Digital
Week, Ouest Médialab propose également des sessions de « speed training »,
formations rapides d’une trentaine de minutes chacune et se déroulant sur une
journée afin d’accompagner les professionnels vers les nouveaux usages de la
communication. Le cluster opère donc plutôt dans une logique de formation des
professionnels, ce qui reste indispensable, notamment en matière d’Open Data. En
effet, si ces données publiques permettent de créer des activités nouvelles, telles
que le datajournalisme, elles apportent également des réticences chez les différents
acteurs. Restons sur l’exemple du datajournalisme : cette activité relativement
nouvelle commence à se populariser auprès des journalistes et consiste à exploiter
les jeux de données publiques mis en ligne afin d’en faire la source de leur travail.
Cette pratique, si elle rencontre un certain succès auprès d’une partie des
journalistes, suscite également des interrogations chez d’autres. Le milieu du
journalisme, en particulier écrit, est depuis longtemps menacé par les différents
supports numériques qui prennent de plus en plus de place dans les modes
d’information des individus. Le journalisme de données est ainsi vu comme un
prolongement de ce mouvement, qui risquerait donc de fragiliser d’autant plus cette
activité. Par ailleurs, certains journalistes considèrent encore qu’explorer des bases
de données sur un ordinateur ne relève pas d’un travail journalistique, ce dernier
consistant plutôt, pour eux, à se déplacer directement sur le terrain. Les données
publiques ne sont pas vues comme un terrain et provoquent donc des réticences. Il
existe donc toujours des méfiances au sein des différents secteurs d’activité vis à vis
des données. Les initiatives rencontrant un certain succès à Nantes permettent de
conserver un dynamisme autour des données publiques, mais ne permettent pas
d’occulter le fait qu’il n’existe pas de réel bénéfice économique direct grâce à ces
dernières. En effet, du point de vue des acteurs extérieurs à l’institution et en
particulier des professionnels du numérique, l’ouverture a permis de créer quelques
projets mais pas réellement de fonder une activité autour d’elle.
2.1.2 ... Un modèle économique difficile à trouver Nous l’avons vu, l’ouverture des données a permis sur le territoire la création d’une
bonne dynamique autour de la formation et la médiation vers les datas, mais il faut
se rendre à l’évidence, l’objectif affiché par les politiques lors de l’ouverture n’a pas
été réellement atteint. Dans le communiqué de presse diffusé par la collectivité, le
35
discours laissait en effet penser que les entreprises ou start-ups allaient pouvoir
s’emparer des données, les réutiliser et en tirer des usages innovants afin de créer
une économie autour de la donnée. Or, après cinq ans d’ouverture, on peut observer
que cette attente a été déçue. Les promesses de bâtir une économie de la donnée
se sont rapidement révélées utopiques. Force est de constater que, cinq ans après
l’ouverture des données publiques, aucun modèle économique n’a pu être trouvé
autour de ces datas, et ce pour plusieurs raisons. Dans un premier temps, les
données publiques mises en ligne, malgré le travail effectué avant leur publication,
restent d’une qualité insuffisante pour des usages approfondis. Les jeux de données
sont souvent incomplets, il est donc difficile de les croiser car les niveaux
d’informations ne sont pas les mêmes. Par ailleurs, le nombre de données apparaît
également comme insuffisant. En 2015, la France est classée 10ème du « global open
data index » réalisé par l’association Open Knowledge Foundation. Cet index se
base sur le jugement de différents jeux de données considérés comme des
informations clés à propos du fonctionnement du gouvernement, tels que les
résultats électoraux, la qualité de l’air ou de l’eau, les budgets, etc. Sur cette base,
l’index établit une note des différents critères, jugeant ainsi si les données les
concernant sont satisfaisantes ou non, et une note globale est attribuée au pays
concerné. La France a obtenu sur l’année 2015 une note globale de 63%.
Le classement comporte 122 rangs, ce qui place la France à un bon niveau.
Seulement, lorsque l’on se penche sur l’étude des jeux de données plus
36
précisément, on se rend compte que les moins bien notés correspondent à des
éléments primordiaux : les dépenses de l’État viennent en dernière position, ces
données étant considérées comme ouvertes à seulement 10%. Les données à
propos de la propriété foncière viennent ensuite, suivies des registres d’entreprises
et de la cartographie du pays. Des éléments qui semblent pourtant assez importants
si la volonté de l’État est de créer un gouvernement ouvert. On peut donc en
conclure que les données ouvertes sur les différents portails sont relativement
« superficielles », en ce qu’elles ne concernent pas des secteurs au cœur du
fonctionnement du gouvernement. Les données ouvertes, dans les communes mais
aussi au niveau étatique, ne seraient ainsi pas assez approfondies et complètes pour
permettre de réels usages et réutilisations.
Afin de créer des outils ou services suffisamment puissants, il faudrait également
disposer de nombreuses années de données, ce qui n’est pas forcément le cas, ces
dernières remontant la plupart du temps à deux ou trois ans en arrière, autrement dit
très peu de temps dans le domaine du numérique. C’était notamment le cas, pour un
projet mené conjointement par Nantes Métropole et le laboratoire LINA – que nous
avons évoqué lors de notre entretien avec Hervé Jaigu – afin de créer un outil pour
les bibliothèques de Nantes, basées sur les données des emprunts de livres, afin de
proposer des recommandations, des suggestions et étudier le lectorat. Cependant,
une profondeur de données trop insuffisante en termes de temps ne permettait pas
une analyse suffisamment fine des résultats : au lieu de deux ou trois ans, il aurait
fallu disposer d’une dizaine d’années de données. On peut donc aisément penser
que les données publiques, destinées à être publiées gratuitement, souffrent d’un
manque de qualité qui empêcherait les réutilisations pertinentes. Dans le même
temps, la production des données publiques relève d’une mission « annexe » des
institutions. Cela ne relève pas du même processus de production des autres
données, par exemple produites dans le cadre d’une activité privée et largement
mises en valeur avant d’être libérées. L’administration publique n’a pas pour mission
première de produire des données. Cela peut en partie expliquer la qualité moindre
des données publiques publiées. Par ailleurs, si les entreprises et développeurs sont
en capacité de créer des services à partir des données, ces derniers ne possèdent
pas systématiquement de valeur : ce qui créé la valeur d’un service ou d’une
application réside notamment dans la concurrence. Or, il n’existe pas réellement de
concurrence dans les services basés sur les données : en tout cas pas suffisamment
37
pour être en mesure de monnayer ces services et donc construire un modèle
économique grâce à ce dernier.
Au-delà du modèle économique difficile à fonder sur les données publiques, un autre
écueil réside dans la relation entre les professionnels et les institutions. Le principal
point d’accrochage étant la différence de temporalité entre ces deux univers.
L’ouverture des données et la collaboration qu’elle implique entre des acteurs
différents est incontestablement bénéfique puisqu’elle permet, dans une certaine
mesure, de rapprocher des milieux qui ne se côtoient habituellement pas, favorisant
ainsi le dialogue entre élus, agents du service public, développeurs, militants, et bien
d’autres encore. Cependant, ce dialogue devient compliqué lorsque l’on s’aperçoit
que les temporalités de ces différents milieux sont assez différentes, il devient alors
difficile de synchroniser tous ces acteurs. C’est ici le cas entre la collectivité et les
professionnels du numérique. Ces derniers, qui avaient déjà connaissance des
questions d’Open Data ou de Big Data grâce à leur activité, ont pu s’emparer très tôt
du mouvement afin de l’exploiter selon leurs compétences et leurs ressources.
Seulement, cette mise en marche très rapide ne correspondait pas réellement à la
gestion faite par les institutions, qui, elles, n’avaient pas vraiment de connaissances
en la matière et n’imaginaient pas encore les usages qui pourraient être faits des
données, malgré une volonté de lancer une dynamique capable de créer des
services innovants. Alors que les entreprises avaient déjà des visions pour les
données, l’institution a continué à « tâtonner », si bien que l’enthousiasme des
professionnels a fini par s’étioler, lassés d’attendre le soutien de la collectivité. Car la
réutilisation des données afin d’en faire usage est une activité plutôt chronophage,
que beaucoup de professionnels ont d’abord fait de façon bénévole. Au bout de
quelques mois, voyant que la réponse politique tardait à arriver, de nombreuses
entreprises ont ainsi délaissé le sujet de l’Open Data. Le problème, ici, est causé par
différents facteurs. Les entreprises du numérique, de l’innovation connaissent bien
les données et les travaillent régulièrement, elles sont donc familières du sujet, au
contraire des institutions qui n’avaient jamais réellement approché les données.
Cette différence de connaissances a ainsi impacté la manière dont les différents
acteurs se sont saisis de la question. Les entreprises, déjà opérationnelles dès la
libération des données, se sont confrontées à une administration apprivoisant
progressivement ce nouvel objet. Elles ont donc démarré très rapidement, pour se
38
rendre compte que le portage politique dont elles avaient besoin ne suivait pas. Pour
venir illustrer cela, prenons l’exemple d’un projet porté par le laboratoire Arts et
Technologie de Stereolux. Dès 2011, le laboratoire avait réfléchi, conjointement avec
l’association LiberTIC, à un « open data événementiel ». Il s’agissait d’ouvrir les
données culturelles d’une multitude d’acteurs – structures et institutions – dans le but
de les réunir sur une même plateforme. Cela permettrait de rendre plus lisible une
offre culturelle nantaise très dense et d’agréger les données afin de rendre leur
consultation plus simple. Ainsi, il serait beaucoup plus rapide de savoir exactement
quels événements se déroulent à Nantes à une date précise, toutes les offres étant
regroupées à un même endroit grâce au travail effectué sur les données. Présenté
en décembre 2011, quelques semaines seulement après la libération des données, il
s’agissait alors d’un premier véritable travail de réutilisation des données à l’échelle
de la collectivité, prouvant ainsi le dynamisme des acteurs privés autour de l’Open
Data. Malheureusement, les institutions, dont l’implication dans le projet était
indispensable à sa mise en œuvre, n’ont pas suivi le mouvement. En effet, le
développement d’un tel projet demandait l’appui d’un financement afin de pouvoir
dépasser le stade expérimental et être déployé à grande échelle. Cette absence
d’apport n’a donc pas permis de pérenniser le projet et les acteurs impliqués s’en
sont détournés, simplement car ils ne pouvaient plus se permettre de passer un
temps considérable, de façon bénévole, pour un projet qui ne pouvait perdurer sans
soutien. Le projet avait-il démarré trop tôt, sans laisser aux acteurs publics le temps
de définir ses attentes ? C’est en tout cas ce que l’on peut penser, lorsque l’on sait
qu’aujourd’hui, l’Open Data culturel fait partie de l’une des nouvelles orientations de
la démarche. Le projet d’Open Data événementiel porté par Stereolux y aurait donc
totalement sa place, seulement à l’époque, il ne correspondait pas aux priorités des
institutions en matière de données publiques. La direction générale de la culture s’est
récemment demandée si les données pouvaient effectivement jouer un rôle sur l’offre
culturelle nantaise, plusieurs années après qu’un projet ait déjà été proposé. Cette
différence de temps entre ces deux propositions – environ quatre ans se sont
écoulés – montre bien à quel point le dialogue entre deux milieux très différents peut
encore être complexe. Elle montre également dans quelle mesure le politique
influence la démarche Open Data, faisant le choix ou non d’ouvrir et de valoriser
certaines données lorsque cela est le plus arrangeant. Certaines données qui
pourraient être rendues publiques dès aujourd’hui sont conservées en interne en
39
attendant un moment plus propice, où la libération de ces données précises sera
plus pertinente. Or, cela interroge l’un des critères de base de l’Open Data, dont
nous avons pris connaissance dans le premier chapitre, celui indiquant qu’une
donnée doit être publiée le plus rapidement possible après sa collecte pour être
qualifiée d’ouverte. Dans le cas où une donnée possédée par l’administration est
conservée de la sorte, attendant un moment idéal pour être publiée, ne s’éloigne-t-on
pas du concept d’Open Data, pour se rapprocher purement et simplement d’un outil
de communication ?
Pour le moment, l’Open Data sert plutôt d’outil pour les start-ups et entreprises afin
de démontrer leurs savoir-faire en termes de manipulation de données. Il peut alors
s’agir d’un tremplin afin de se diriger ensuite vers le traitement de données plus
massives telles que les Big Datas. Ces dernières peuvent justement représenter une
solution, à croiser avec les données publiques, afin de créer plus de solutions
pertinentes et approfondies, qui pourraient éventuellement correspondre à un
modèle économique. 2.1.3 Quelle valeur, quels usages pour les données publiques ? Plusieurs pistes de réflexion sont permises pour tenter de comprendre comment les
données publiques issues de l’Open Data peuvent gagner de la valeur, au point de
créer une éventuelle économie. La question se pose ici du potentiel réel de l’Open
Data pour créer des opportunités économiquement intéressantes. Au-delà de
quelques exceptions, cela reste en effet un objectif compliqué à atteindre, nous
l’avons vu précédemment. Les données publiques sont-elles réellement vouées à
être d’une qualité suffisante pour construire des usages ? Elles ne sont en effet pour
le moment qu’un produit annexe du travail des administrations, non pensées pour
des usages extérieurs. Il est possible qu’avec l’extension du principe d’ouverture des
données et l’obligation par la loi dont elles font désormais l’objet, ces datas gagnent
en qualité au fil du temps. Mais elles restent des données publiques, c’est à dire
gratuites et réutilisables par tous. En temps normal, un bien prend de la valeur en
raison de sa rareté : ce n’est pas vraiment le cas avec ces données : celles-ci ne
sont pas rares, bien au contraire et elles ne s’épuisent pas après leur utilisation. Les
données publiques sont d’autant plus confrontées à ce problème de valeur qu’elles
sont publiées gratuitement : elles perdent ainsi toute rareté, puisqu’elles sont
disponibles pour tous. La valeur augmente également avec le traitement des
40
données, qui deviennent alors plus compréhensibles, plus facilement réutilisables.
Ces recherches sur la valeur des données sont explicitées dans l’ouvrage
Datanomics17, co-écrit par Simon Chignard et Louis-David Benyayer. On remarque
bien qu’il est extrêmement difficile de poser une valeur précise sur les données,
d’autant plus que cette estimation varie en fonction de l’acteur qui la donne : pour un
agent du service public, une donnée vaut le travail qu’il produit. Pour un
professionnel du numérique, c’est plutôt l’usage qu’il peut en faire qui donne de la
valeur aux datas. Cette idée de valeur est essentielle pour la construction d’une
éventuelle économie de la donnée, car elle amène ainsi à questionner la façon dont
les données doivent être traitées pour produire des usages intéressants sur le plan
de la rentabilité. Nous explorons ici quelques pistes qui pourraient être intéressantes
pour l’usage des données dans un but économique.
Dans un premier temps, la collectivité peut chercher à élargir le champ des acteurs
non institutionnels impliqués dans l’ouverture des données. Cette volonté d’étendre
le réseau existe aujourd’hui et se manifeste par le désir de faire de la plateforme
Open Data nantaise une sorte de « réceptacle » pour les données d’acteurs
extérieurs à l’administration. Poursuivant le partenariat commencé au début de la
libération des données, la collectivité collabore ainsi avec la TAN et Air Pays de la
Loire afin de mettre à disposition certains jeux de données. D’autres acteurs se sont
progressivement ajoutés à la liste ; l’association Mieux trier à Nantes met à
disposition les données du recyclage des déchets. Des jeux de données d’Atlanpole
ou de Nantes Métropole Habitat ont également été publiés. Ainsi, le nombre
grandissant de données disponibles offrirait potentiellement la possibilité de les
croiser afin d’en faire naître des services ou usages plus approfondis. Mais pour
cela, la quantité ne suffit pas, les données devant aussi être de qualité afin d’être
considérées comme fiables et ainsi dépasser le simple stade des tests. Il y a donc
tout un travail à effectuer sur les données pour les rendre utilisables pour de telles
fins, ce qui sera probablement permis par une plus grande attention portée aux
données au sein des administrations qui les produisent. Nous le verrons par la suite,
17 Simon Chignard, Louis-David Benyayer, Datanomics : les nouveaux business models des données, Limoges, Éditions FYP, « Entreprendre – Développement professionnel », 2015, pages 35-37
41
cela prendra effectivement du temps, mais la culture qui est actuellement en train de
s’installer favorisera sûrement une meilleure qualité des données publiques.
Ensuite, il faut également rapprocher l’Open Data du Big Data, concept souvent mis
de côté dans le développement de l’action publique d’ouverture des données.
L’Open Data fait partie des Big Datas et les complète. Le terme de Big Data est très
difficile à définir précisément, mais il regroupe toutes les données informatiques
produites et stockées en masse et provenant de tous les appareils producteurs de
données. Les données publiques sont donc comprises dans ce grand ensemble,
mais les Big Datas sont souvent associées aux données manipulées par les grandes
entreprises, pour la simple raison que ces données sont tellement massives qu’elles
nécessitent d’immenses moyens pour être traitées. C’est ici qu’intervient la question
de la construction de modèles économiques sur les données. En effet, les données
issues des Big Datas sont traitées depuis plusieurs années maintenant afin de créer
des outils utilisés par des entreprises. C’est le cas de grandes firmes telles que
Google, Amazon ou Facebook, qui utilisent les données produites par les utilisateurs
et recueillies afin de cibler les publicités en fonction des navigations des individus,
affiner les recherches grâce aux données annexes ou encore proposer d’autres
services ou produits en fonction des achats des internautes. Ces pratiques reposent
donc sur le croisement d’un grand nombre de données entre elles, toutes concernant
l’internaute ciblé et permettant de lui proposer des offres ou des services en fonction
des pages web qu’il a pu visiter, des informations personnelles qu’il a renseigné. De
tels usages sont désormais de plus en plus répandus, et si l’Open Data est loin de
pouvoir en développer de similaires, les données publiques pourraient néanmoins
être intéressantes à utiliser dans un cadre semblable. Au lieu d’informations sur les
achats, les consultations de pages web, les données publiques fournissent des
informations sur les usages que les habitants font de la ville, le mode de vie de ces
individus, les services proposés par la collectivité. Croiser ces données avec les
informations contenues dans le reste des Big Datas, à savoir des informations à
caractère commercial, ne pourrait-il pas permettre de créer des services pour la ville
avec une portée bien plus grande ?
Il est difficile de savoir par quels moyens l’Open Data pourrait représenter un
bénéfice économique, dans la mesure où l’usage de données est une activité
42
complexe. Mais nous l’avons vu, il n’est pas impossible que ces données puissent
représenter une base pour la création d’initiatives éventuellement plus fructueuses. Il
n’est pas non plus question de négliger les projets déjà menés grâce aux données,
car ces derniers permettent d’animer le processus d’ouverture sur le territoire.
Simplement, d’autres solutions restent à trouver en ce qui concerne le « business
model » des datas.
2.2 Conséquences et perception de l’ouverture des données dans
l’administration
« Les données produites par les statistiques publiques étaient auparavant
des données étatiques. C’est sur ce « savoir » que l’administration étatique
asseyait ses prétentions au gouvernement rationnel des populations.
L’ouverture des données publiques et le fait que les firmes privées puissent
collecter des données individuelles transforment la nature des relations
entre l’État et le marché. Si ces données sont privatisées, elles risquent de
priver l’État de l’une de ses capacités fondamentales, celle de décrire la
société. »
« Encore une révolution informatique ? Open et big data dans les
organisations administratives », Pierre-Yves Baudot, Guillaume Marrel et
Magali Nonjon.18
C’est un fait, les données publiques sont amenées à bouleverser le fonctionnement
des administrations en interne, ne serait-ce que dans leur production qui nécessite
de revoir certains aspects du travail. Ces changements causés par l’ouverture des
données publiques causent encore aujourd’hui des réticences chez les différents
acteurs, mais la mise en œuvre des différents mouvements de numérisation de
l’administration, de transparence et d’ouverture est désormais lancée.
18Pierre-Yves Baudot, Guillaume Marrel, Magali Nonjon, « Encore une révolution informatique ? Open et big data dans les organisations administratives » in Informations sociales, n°191 (2015), pp 8-18
43
2.2.1 En quoi les données changent-elles l’organisation de l’administration ?
Différents aspects peuvent être impactés par l’ouverture des données, notamment
dans la configuration de l’administration en elle-même. Dans un premier temps, le
phénomène de numérisation des services publics qui a cours depuis plusieurs
années et maintenant l’ouverture des données favorisent l’arrivée de techniciens au
cœur de l’action publique. En effet, ces derniers possèdent une expertise que les
agents en interne n’ont pas. Cette situation s’illustre avec l’apparition de nouveaux
métiers au sein de la fonction publique ou des métiers du politique. Les data analysts
par exemple ont fait leur apparition dans les équipes de campagne lors des élections
présidentielles de 2012 et dans les périodes électorales qui ont suivi. Forts d’une
première expérience réussie aux États-Unis, où une équipe de data analysts
travaillaient pour Barack Obama afin de cibler au mieux son public de campagne et
ainsi obtenir de meilleurs résultats, ils se sont ainsi fait une place dans ces moments
forts que sont les campagnes électorales et permettent ainsi de démontrer l’utilité
des données. D’autres exemples peuvent être pris, comme la création de nombreux
postes de chief data officer au sein des collectivités et même au niveau étatique,
Henri Verdier occupant cette fonction en sa qualité de directeur de la mission Étalab.
Nous assistons donc à l’émergence de nouveaux acteurs au sein des services
publics, pas nécessairement formés par les canaux « officiels » de l’administration
publique mais possédant des compétences techniques qui tendent à manquer au
sein de ces institutions. Ils permettent par la même occasion l’introduction d’une
culture numérique et de la donnée, qui peine toujours à s’installer. Les auteurs de
« Encore une révolution informatique ? Open et big data dans les organisations
administratives » l’indiquent, « La révolution numérique recompose en effet les
administrations publiques (création de nouveaux services, de nouvelles fonctions).
Elle suppose aussi un travail spécifique pour que les données produites soient ables,
non nominatives, sécurisées et utilisables »19. L’ouverture des données suppose
donc une certaine refonte de l’activité des services publics, permettant d’intégrer ces
nouvelles missions à celles déjà effectuées. Outre ces changements
organisationnels, d’autres se ressentent également dans les manières de travailler
exercées en interne. Dans le travail quotidien, l’Open Data permet ainsi une plus
grande rapidité d’accès aux données. Ces dernières, conservées en « silos » avant
19ibid.
44
leur ouverture sont gardées par les services qui les produisent : pour se les procurer,
il faut donc faire des demandes à ces différents services, impliquant un délai de
réponse et de transfert des données plus importants. Ouvrir les données sur le
portail permet à chaque agent d’aller puiser dans les jeux de données pour trouver
celles dont il aurait besoin. Bien entendu, toutes ne sont pas disponibles et cela ne
concerne donc qu’une partie des informations. Mais pour autant, ce système de
travail permettrait d’améliorer la circulation des informations en interne même et
représenterait ainsi un gain de temps. Certains évoquent l’Open Data comme la
continuité du processus de managérialisation du service public, les données ou
algorithmes tendraient à « dicter » certaines manières de travailler aux agents du
service public, certaines cibles sur lesquelles porter une plus grande attention dans
le travail. Pour le moment cependant, la culture de la donnée est encore loin d’être
suffisamment installée pour engendrer de telles pratiques. Cette difficulté
d’installation de la culture tient aux résistances que l’on observe encore en interne
des administrations.
2.2.2 Des réticences en interne Le numérique n’est pas encore bien perçu comme un outil vers la gouvernance
ouverte. Beaucoup d’administrations reconnaissent l’utilité de ce média en ce qu’il
permet de diffuser l’information vers les citoyens : la logique suit encore un modèle
top-down. Les institutions gardent ainsi leur rôle d’informateurs et conservent les
données pour leur propre usage, les distribuant de temps en temps aux citoyens.
Certains agents peuvent craindre la perte d’un « pouvoir » si les citoyens parviennent
à acquérir un niveau de connaissances équivalent au leur. Dès lors, quel intérêt
d’être élu, lorsque tout un chacun peut avoir accès aux mêmes informations et à un
poids de décision de plus en plus important ? Une crainte qui apparaît légèrement
démesurée, car l’Open Data ne signe pas la disparition des élus : il favorise le
dialogue entre ces derniers et les électeurs. L’Open Data fait donc encore peur, et
les réticences qui étaient exprimées au début de l’ouverture restent aujourd’hui, pour
certaines.
Du point de vue des agents en interne des administrations, certains doutes sont
également exprimés. On retrouve ainsi le fait que publier des données et donc les
mettre en forme au préalable prend beaucoup de temps : il s’agit d’une activité qui
s’ajouterait au travail déjà effectué par les agents, ce qui les place souvent dans la
45
crainte d’une surcharge de missions. Par ailleurs, la plupart des agents ne sont pas
formés à cet outil et ne savent donc pas exactement comment l’utiliser. Sur ce point,
on peut penser que le terme d’Open Data dessert le mouvement : il s’agit d’un terme
anglo-saxon, qui peut donner l’image d’un sujet technique difficile à maîtriser pour
des « novices ». Les agents ne savent donc pas forcément comment traiter ces
données qu’ils produisent afin de les mettre en forme en vue de leur publication. Et si
le sujet n’est pas réellement compris, il sera difficile de le faire accepter par tous. On
remarque d’ailleurs que beaucoup d’agents réticents changent d’avis lorsqu’ils sont
informés de l’utilité des données et des enjeux qu’elles recouvrent, réalisant que
cette démarche peut en effet être bénéfique. Différentes réticences qui viennent donc
d’une certaine méconnaissance des données et de leur utilité. Mais d’autres portent
également sur les éventuelles réutilisations et usages qui peuvent être faits de ces
informations : beaucoup craignent un jugement de valeur porté sur leur travail par les
citoyens. En effet pour un agent, mettre des données en ligne, fruit de son travail
quotidien, revient à prendre le risque d’être évalué selon la qualité de ces données.
Certains agents craignent donc que les données qu’ils publient soient utilisées afin
de juger de leur sérieux, de leur efficacité. D’autre pensent plutôt aux usages qui
seront faits des données après leur publication : quelle réutilisation les citoyens en
feront-ils ? Le sujet posant le plus problème étant celui de la réutilisation pour un
intérêt privé. En effet, le fait que des données produites par des agents du service
public puissent être réutilisées par des professionnels pour créer des usages privés
qu’ils pourront monnayer semble être un argument avancé par beaucoup de réticents
au sein des administrations. La peur des réutilisations réside aussi dans
l’interprétation que les usagers peuvent faire des données : certains agents
redoutent que les données soient sorties de leur contexte, réutilisées afin de leur
faire dire tout autre chose que ce qu’elles expriment normalement. La réutilisation est
pourtant, par définition, un point aveugle de la démarche d’ouverture des données :
une fois les données publiées, elles sont laissées à la libre utilisation des individus et
ces usages ne peuvent pas être suivis. Seules les initiatives conduites dans des
cadres officiels comme les appels à projets peuvent bénéficier d’un
accompagnement par la suite.
Il s’agit donc, pour les administrations, d’acquérir une certaine culture nécessaire à
l’installation durable du processus d’ouverture des données, ce qui peut passer dans
un premier temps par la formation des agents à la production et l’utilisation des
46
données. En effet, si les réticences viennent en partie d’une méconnaissance, se
former permettrait de mieux faire face à ce sujet. Des formations ont été menées par
différents acteurs auprès des agents en interne, notamment par l’association
LiberTIC. Ces formations réunissent pour le moment un petit nombre d’agents,
souvent déjà en faveur de l’ouverture, les réticents restant les plus complexes à
atteindre. Par ailleurs, ce processus de formation se réalise sur le long terme,
l’administration étant touchée par une sorte d’inertie : conserver le statut quo éviterait
tous les problèmes et contraintes que craignent les différents acteurs. Cette culture
de la donnée n’est donc pas acquise et paraît encore lointaine pour l’administration
française : elle s’installera éventuellement avec le renouvellement des effectifs au fil
des ans, lorsque des agents possédant l’appétence et les codes pour le numérique
et le digital feront leur entrée dans les institutions. Outre cet écueil, les données
souffrent également d’une vision trop « triviale », ou superficielle. Pourtant, au même
titre que des infrastructures par exemple, elles représentent un patrimoine détenu
par la collectivité, comportant une histoire, des informations, des cas à propos de la
vie locale. Et tout comme les infrastructures, ce patrimoine numérique doit être géré,
entretenu et mis au service des usagers. Il est pour le moment compliqué d’arriver à
une telle vision sur les données, il s’agit d’un processus long, une considération qui
s’acquiert avec le temps. En attendant, les agents enthousiastes en faveur de
l’ouverture permettent tout de même aux administrations de s’ouvrir à cette
démarche : les projets d’Open Data sont ainsi portés par certains individus qui
s’efforcent de diffuser cette culture au sein des différents services. Les réticences qui
existent toujours pourraient cependant évoluer, en bien ou en mal, car depuis
quelques mois l’ouverture des données est devenue un processus obligatoire,
appuyé par un cadre légal qui tend de plus en plus à favoriser les démarches d’Open
Data dans les collectivités, ainsi qu’au niveau national.
2.2.3 Les conséquences de l’obligation par la loi Depuis l’été 2015 et la promulgation de la loi portant nouvelle organisation territoriale
de la République (ou loi NOTRe), l’Open Data revient au cœur des débats au sein
des institutions. Cette loi constitue le dernier volet de la Réforme territoriale et
contient trois axes principaux, à savoir une redistribution des compétences
départementales et régionales, avec un rôle des Régions qui se trouve augmenté, un
accroissement de l’intercommunalité et, surtout, une amélioration de la transparence
47
des collectivités territoriales20. C’est bien ce dernier point qui est intéressant en
regard du sujet de l’Open Data. Sur ce volet, la loi dispose que toute commune de
plus de 3500 habitants se trouve dans l’obligation de rendre accessibles leurs
données publiques. La loi en elle-même, c’est à dire son texte, ne promeut pas
l’Open Data : en effet, elle laisse aux collectivités le soin de décider sous quel format
ces dernières souhaitent publier les données en question. Cela ne rend donc pas
obligatoire l’utilisation d’une licence ouverte, critère primordiale pour qu’une donnée
soit considérée comme ouverte. Ces données à publier peuvent donc être
simplement mises à disposition sur le site internet institutionnel de la commune
concernée. Cependant, en considérant le contexte actuel ou les démarches d’Open
Data sont fortement valorisées sur les territoires et au niveau étatique, la publication
en Open Data serait d’autant plus bénéfique : d’abord car les données publiées
peuvent ainsi être hébergées sur le site data.gouv.fr si la collectivité ne souhaite pas
créer une plateforme dédiée mais aussi car des licences ouvertes sont déjà
disponibles, créées et exploitées par d’autres communes. Il s’agit donc d’une
démarche fortement associée à l’idée d’Open Data. En revanche, cette loi et les
conséquences qu’elle implique peuvent être sources de questionnements.
Dans un premier temps, il faut prendre en compte les délais dans lesquels sera
appliquée la loi : en effet, si les collectivités ayant déjà un site internet prêt à recueillir
les données publiques se trouvent légalement obligées de mettre ces dernières en
ligne sous un délai d’une semaine, il en va autrement pour les autres communes
concernées. Et sur ce point, l’absence de réelle sanction – autre qu’un rappel à la loi
ou un avertissement – n’est pas tellement incitative pour ces dernières. Un article
récemment publié sur le site internet Next INpact intitulé « Open Data : pourquoi les
collectivités locales rechignent à appliquer la loi NOTRe »21 rapporte le témoignage
les témoignages de certains agents, relativement mécontents de cette décision
législative. En effet, l’obligation de publication des données entraîne une rapidité de
20 Legifrance, «LOI n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (1)» in Legifrance.gouv.fr, En ligne, <https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000030985460&categorieLien=id>, consulté le 1er août 2016. 21 Next INpact, 26 mai 2016, «Open Data : pourquoi les collectivités locales rechignent à appliquer la loi NOTRe» in Next INpact, En ligne, <http://www.nextinpact.com/news/98806-open-data-pourquoi-collectivites-locales-rechignent-a-appliquer-loi-notre.htm >, consulté le 1er août 2016
48
mise en ligne après que lesdites données soient collectées, ce qui implique presque
nécessairement une qualité assez basse des datas publiées. Ce qui peut donc, in
fine, porter atteinte à l’image du travail produit au sein des administrations et attiser
les mécontentements des acteurs extérieurs. Cette loi, jugée par certains trop stricte
et relativement peu appliquée depuis sa promulgation, certains aspects concernant
la publication des données administratives devraient être abrogés par la future loi
pour une République numérique, aussi surnommée loi Lemaire. Cette loi prévoit en
effet de réduire le champ des documents soumis à l’obligation de publication,
rendant l’objectif plus réaliste pour les collectivités. Par ailleurs, les citoyens jugeant
un défaut de publication pourront saisir la CADA, démarche impossible dans le cadre
de la loi NOTRe. Si les différentes communes concernées par l’ouverture – toujours
celles comportant plus de 3500 habitants – disposeront d’un délai de six mois à deux
ans pour publier les données, il n’y aurait a priori toujours aucune sanction prévue en
cas de manquement à l’obligation.
N’y aurait-il pas un risque, avec une telle loi, d’éloigner encore plus les communes
déjà réticentes de l’ouverture ? Il existe encore de nombreuses communes, plus ou
moins grandes, n’ayant pas souhaité se lancer dans l’Open Data. L’exemple de
Saint-Nazaire est probant : la commune, qui compte près de 70 000 habitants, ne
propose toujours pas de démarche d’ouverture de ses données publiques. C’est le
cas également pour d’autres communes, qui risquent alors de faire partie de celles
qui « traîneront » pour appliquer la loi. L’obligation ne parviendra probablement pas à
transformer des villes réticentes en enthousiastes des datas. En revanche, la loi peut
inciter des communes réticentes à se lancer dans l’Open Data : elle produit un cadre
rassurant sur lequel appuyer la démarche et peut ainsi les aider à se lancer plus
rapidement que prévu. Au lieu d’étudier la question et de reporter l’ouverture à une
date ultérieure, cela pourrait permettre aux communes de se lancer sans attendre.
On se rend donc rapidement compte que la loi pourrait au final plutôt bénéficier aux
communes réticentes, car les collectivités déjà partantes pour l’ouverture de leurs
données, mais qui attendaient un moment propice, par exemple, auraient fini par
libérer leurs données publiques, dans un délai plus ou moins long. Il faut cependant
souligner que derrière cette obligation se trouve un enjeu d’accompagnement,
d’autant plus pour les communes réticentes, le risque étant que cette ouverture
obligatoire soit mal vécue. Afin de faciliter la démarche d’ouverture, les communes
49
ayant déjà libéré leurs données peuvent donc se positionner dans une logique d’aide
afin d’apporter leur propre expertise sur le sujet, partager des bonnes pratiques et
mettre en confiance les communes concernées par la loi.
Bien entendu, si l’ouverture devient une obligation légale pour les communes de plus
de 3500 habitants, les collectivités n’atteignant pas cette démographie peuvent tout
de même ouvrir leurs données si elles le souhaitent. Il serait même bénéfique de les
inciter à le faire. Seulement, dans ce cas, pas de cadre légal « rassurant » pour
s’entourer. Une telle ouverture repose donc entièrement sur les volontés politiques
ayant cours sur le territoire et non sur des questions de taille des communes.
L’exemple de la commune de Brocas22 Le 27 mai 2016, France Culture consacrait l’une de ses émissions Pixel au sujet de
l’Open Data. À cette occasion, Jean-Christophe Elineau, conseiller municipal de la
commune de Brocas située dans les Landes témoigne du lancement de la démarche
sur ce territoire. Loin de répondre aux exigences de la loi – la municipalité ne compte
que 770 habitants – elle s’est tout de même lancée dans l’ouverture des données
dès l’année 2011. Un bilan contrasté, car l’élu a rencontré quelques difficultés pour
faire accepter la démarche au sein de son administration. Malgré cela, les habitants
se montrent plutôt très réceptifs au projet et semblent s’impliquer dans cette
ouverture assez inédite pour une si petite commune. Preuve en est que la volonté
politique peut permettre à des collectivités d’ouvrir leurs données, sans que
l’obligation légale ne devienne une contrainte trop lourde.
Cette volonté politique peut parfois être bien difficile à identifier, même chez les
communes de plus de 3500 habitants. Nous en avons vu l’exemple avec Saint-
Nazaire, mais cela se vérifie également dans la métropole nantaise ; certaines
communes de l’agglomération ont décidé de suivre le mouvement et d’ouvrir leurs
données également. C’est le cas d’Orvault notamment, qui s’est lancé dans la
publication de ses données. D’autres communes montrent un intérêt pour le
mouvement, telles que le Pèlerin, Saint Aignan de Grand Lieu, Rezé, mais pour le
22 Émission Pixel, 27 mai 2016, « Données publiques : si ouvertes que ça ? » in France Culture, En ligne, <http://www.franceculture.fr/emissions/pixel/donnees-publiques-si-ouvertes-que-ca>, consulté le 2 août 2016.
50
moment les démarches concrètes n’ont pas débuté. À l’échelle du Département, la
commune de Chéméré a accueilli en 2015 une opération libre : sur le temps d’un
weekend, diverses associations comme LiberTIC, OpenStreetMap ou Regards
Citoyens se sont associées aux services institutionnels pour appréhender et
manipuler les données ouvertes. Grâce à cette expérience, la commune s’est
également illustrée dans le mouvement d’Open Data. En dehors de ces occurrences,
les autres communes ne semblent pas prendre la voie de l’ouverture pour le
moment, peut-être par manque de volonté politique. C’est donc essentiellement la
ville de Nantes qui porte la démarche d’ouverture des données sur le territoire.
En matière d’ouverture, de nombreux efforts sont encore à faire, à la fois pour attiser
les volontés politiques autour des données, mais aussi pour inciter à ouvrir
effectivement les informations publiques. Se pose de plus en plus la question de
l’ouverture « par défaut » des données publiques des territoires.
2.3 Quelle pertinence pour l’échelon territorial ? 2.3.1 La nécessité de démarches locales L’Open Data en France a d’abord émergé au niveau local, les collectivités ayant été
les premières à ouvrir avant le lancement de la démarche au niveau national, au
travers de la mission Étalab. Si ce niveau national tend aujourd’hui à devenir de plus
en plus pertinent pour la production d’usages approfondis, les démarches locales
n’en restent pas moins très importantes, et ce pour plusieurs raisons.
D’abord car la publication des données découle de choix politiques, eux-mêmes
conditionnés par le contexte territorial. La couleur politique des communes peut avoir
des répercussions sur la manière dont se déroule une ouverture, par exemple. Les
spécificités territoriales peuvent également avoir un impact : la présence d’un
écosystème de professionnels du numérique par exemple. À Nantes, cet
écosystème a permis à la collectivité d’afficher une volonté de co-construction de la
politique d’ouverture des données, en associant au débat ces acteurs qui apportaient
ainsi une expertise supplémentaire. Ces types d’acteurs, qui pour certains participent
encore aux débats aujourd’hui, peuvent ne pas être présents sur d’autres territoires,
rendant ainsi plus difficile le dialogue avec les institutions et l’apport d’expertise qu’ils
représentent. Ceci est également vrai pour le milieu associatif : l’ouverture des
données à Nantes est en partie poussée par un mouvement citoyen mené par
51
l’association LiberTIC. Dans d’autres communes, l’ouverture doit se faire selon la
seule volonté des politiques. On peut imaginer que dans d’autres cas, les
professionnels du numérique pourraient être ceux qui inciteraient à la libération des
données. Il existe donc de nombreux facteurs qui peuvent intervenir dans la décision
d’ouverture des données qui modifient par conséquent les besoins exprimés par la
société civile quant à cette démarche et les attentes politiques. C’est pourquoi il est
intéressant que chaque commune produise son propre Open Data, de la même
manière que Nantes a façonné sa démarche à son image. La démarche nationale
permet ensuite de réunir ces diverses actions locales sous l’égide de la mission
Étalab et du portail data.gouv.fr, et son rôle serait alors plutôt de promouvoir une
égalité, un « lissage » des données afin que ces dernières soient le plus semblables
possibles d’une commune à l’autre pour en faciliter l’analyse et les réutilisations. Il
découle de ceci que l’ouverture au niveau local permet de faire naître des initiatives
sur le territoire, telles que celles étudiées au début de ce chapitre. Si certains projets
liés à l’Open Data s’opèrent à la fois au niveau local et national (comme
OpenStreetMap), ce n’est pas le cas de tous. Par ailleurs, les services, usages ou
applications que font naître les données sur le territoire répondent à des besoins
locaux, qui ne sont pas toujours similaires d’une commune à l’autre. Exception faite
des applications concernant les parkings, ou les transports en commun, d’autres se
tournent plutôt sur des aspects spécifiques à la vie locale, apportant ainsi une plus-
value à la démarche à l’échelle de la collectivité.
On peut également se demander si le niveau local ne serait pas le plus accessible
pour les citoyens ? Ces derniers, déjà peu intéressés par la démarche, ne le
seraient-ils pas moins si cette dernière se déroulait à l’échelon étatique ? Entretenir
une proximité entre élus locaux et citoyens permet dans un premier temps de
renforcer la participation locale et pourrait ensuite susciter l’intérêt de quelques-uns
pour un échelon supérieur. Ce qui semble le plus proche aux individus pourrait
également sembler plus compréhensible et atteignable. Dans le même esprit, cela
peut éventuellement permettre aux politiques de recevoir de plus nombreux retours
sur leur démarche. Le niveau local permet en effet d’expérimenter des solutions
basées sur les données, se déroulant sur certains quartiers de la ville par exemple,
avant de pérenniser ou non une action. Des expérimentations qu’il serait peut-être
plus complexe de mener à une plus grande échelle. L’idée d’un Open Data
52
uniquement étatique paraît également centraliser la démarche, alors même que
l’idée est aussi de créer plus de lien entre élus et citoyens à tous les niveaux de
gouvernance.
Ces expériences locales peuvent ensuite venir alimenter d’autres projets conduits au
niveau national et qui permettent d’échanger sur ce mouvement d’ouverture des
données.
2.3.2 Des actions à l’échelle nationale Outre la mission Étalab, que nous avons étudiée auparavant et qui constitue la
démarche Open Data de l’État dans sa globalité, il existe différents projets visant à
stimuler le mouvement, en collaboration avec les différentes communes pratiquant
l’ouverture. Parmi ces initiatives se trouve l’association Open Data France, créée en
2013. Elle vise dans un premier temps à réunir les différentes collectivités françaises
ayant ouvert leurs données afin de permettre un échange d’expériences et de
bonnes pratiques. La mutualisation des vécus en matière d’Open Data peut être très
utile, sur un sujet qui peut parfois se révéler complexe. D’autant plus que ces
expériences profitent également aux communes s’engageant dans la démarche, afin
de leur faire profiter de conseils pour que leur propre ouverture se déroule bien.
L’association souhaite donc également promouvoir l’ouverture des données auprès
de collectivités qui se montreraient encore hésitantes. Le poids de l’association
auprès des institutions nationales lui permet aussi de porter des projets à un échelon
supérieur, afin de donner une dimension supplémentaire aux démarches territoriales.
Dans son action, l’association Open Data France est épaulée par d’autres structures
comme LiberTIC, Étalab ou encore la Fing (Fondation internet nouvelle génération).
53
Dans le même esprit, l’organisation Eurocities permet également à certaines
communes d’échanger au sujet de l’Open Data, cette fois dans un cadre plus
européen. Eurocities n’est pas spécialisé sur les questions d’ouverture des données
publiques mais y consacre une partie de son activité, comme le montre une
déclaration publiée par la structure, regroupant un certain nombre d’arguments en
faveur de l’Open Data et des recommandations adressées aux communes et États
se lançant dans la démarche23.
Ce soutien affiché au niveau européen permet également de légitimer l’action se
déroulant sur les territoires et le groupe Eurocities favorise le dialogue direct entre
ces derniers, évitant ainsi un passage par le niveau étatique bien que ce dernier soit
tout de même présent, représenté par la mission Étalab. À nouveau, ce groupe de
travail permet l’échange d’expériences, cette fois entre différents pays et donc la
comparaison entre des démarches pouvant se révéler très différentes. Depuis près
de 10 ans, la ville de Nantes fait partie du comité exécutif d’Eurocities et en assure la
vice-présidence depuis l’année 2012. Le sujet de l’Open Data nantais est ainsi très
débattu au sein de cette instance.
Une centralisation des différentes démarches locales permet donc d’avoir un aperçu
des spécificités de chacune et est aussi l’occasion de faire circuler des bonnes
pratiques, pouvant également être utiles aux collectivités en voie d’ouverture. Si les
démarches locales restent donc un élément essentiel dans l’Open Data tel qu’il est 23 Voir annexe n°2, page 82
La Fing (Fondation internet nouvelle génération) Créé en 2000, le think tank de la Fing réunit des
acteurs publics et privés tels que des entreprises,
start-ups, chercheurs, militants afin de réfléchir sur
des sujets portant sur l’innovation ou encore les
transformations numériques. Il s’agit donc d’un
important collaborateur sur les questions de données
ouvertes.
54
appliqué en France, il est positif de pouvoir compter sur des instances à un niveau
supérieur et dans une telle démarche, la discussion et l’échange à propos des
expériences reste une clé pour une meilleure ouverture, le but étant d’apprendre des
réussites ou erreurs des autres communes ayant procédé à la libération de leurs
données. Il semblerait donc que la démarche d’ouverture des données en France ait
pu trouver un équilibre, articulant démarches locales, démarche nationale et
discussions multi-niveaux.
En ce qui concerne la démarche nantaise, celle-ci a donc pu faire un bilan de son
ouverture presque cinq ans après le démarrage. Nous l’avons vu, beaucoup
d’espoirs affichés en 2011 se sont retrouvés éteints par le déroulement de l’action
par la suite. Pour autant, il ne s’agit pas d’un bilan totalement négatif. D’une part car
l’ouverture a pu faire naître des activités et projets nouveaux, apportant ainsi une
démonstration des usages pouvant être faits des données. Si le bilan du point de vue
économique n’est pas celui escompté, cela peut également être dû à des facteurs
qui n’ont pas encore été pris en compte et qui le seront probablement lors des
prochaines années. Il en va de même en ce qui concerne le rôle des datas au sein
de l’administration, qui nécessitera un temps plus long d’adaptation. Les différents
acteurs de l’Open Data à Nantes sont lucides et savent que le résultat affiché ne
correspond pas totalement aux objectifs annoncés. Pour autant, la force de la
démarche réside en ce qu’elle est capable de se renouveler, de prendre en compte
les écueils qu’elle a rencontré afin de proposer de nouvelles orientations applicables
dans les mois ou années à venir. Par ailleurs, l’échelon territorial se révèle de plus
en plus comme un tremplin permettant la naissance d’initiatives situées plutôt au
niveau étatique. Nous l’avons vu, les démarches individuelles des collectivités
restent importantes mais la seconde phase de l’Open Data français inclus de plus en
plus l’échelon supérieur. Cette nouvelle direction va de pair avec la transformation
globale de l’Open Data, c’est à dire qu’une évolution est également visible au niveau
national. C’est ce que le troisième et dernier chapitre s’attachera à démontrer.
55
CHAPITRE 3 – UNE ACTION PUBLIQUE EN PLEINE EVOLUTION
Nous l’avons vu, la mise en œuvre de l’ouverture des données à Nantes n’a pas
forcément répondu à toutes les attentes des différents acteurs qui se sont lancés
dans la démarche. En parallèle, après plusieurs mois rythmés par la publication de
nouveaux jeux de données, le ralliement du Département et de la Région sur la
plateforme ou encore les nombreux événements autour des données, la politique
d’Open Data commence à s’essouffler et se fait de plus en plus discrète. Pour
autant, il serait faux d’affirmer qu’elle disparaît. L’action publique serait plutôt en train
de se recomposer, le recul nécessaire permettant aux élus et autres acteurs
d’identifier des besoins plus pertinents en matière de données publiques. Par
ailleurs, on observe à Nantes que le numérique en général se trouve grandement
impulsé, même si l’Open Data tend à disparaître des sujets d’actualité et de
conversation. À une échelle nationale, l’Open Data connaît un second souffle au
travers d’idées nouvelles que nous étudierons par la suite.
3.1 Une évolution nécessaire à la démarche 3.1.1 Après l’effet d’annonce vient le temps du « data blues » Comme pour de nombreuses politiques publiques, on peut retrouver pour l’ouverture
des données un cycle qui marque les différentes étapes de la « vie » de cette
politique. Comme l’évoque Jean-Baptiste Harguindeguy dans le Dictionnaire des
politiques publiques ;
« La littérature consacrée au sujet retient en général le modèle de Charles
O. Jones [1970] en tant qu’étalon. Celui-ci se décompose de la manière
suivante : mise sur agenda (agenda-setting), formulation (policy
formulation), décision (decision), mise en œuvre (implementation),
évaluation (policy evaluation), terminaison (policy termination). »24
Si l’on peut reprendre ce schéma afin de le faire correspondre à la politique
d’ouverture des données nantaise, il serait inexact de dire qu’elle est aujourd’hui en
24 Jean-Baptiste, Harguindeguy, « Cycle (policy cycle) » in Laurie, Boussaguet (dir.), Dictionnaire des politiques publiques, Paris, Presses de Sciences Po, « Références », 2014, pages 198-199
56
phase de terminaison. Cette dernière est en effet loin d’être terminée, elle serait
plutôt en train de se recomposer. La mise sur agenda a été observée avec l’action de
l’association LiberTIC et l’influence de la ville de Rennes, sa formulation s’est ensuite
traduite par les différentes annonces ayant pu être faite en amont de l’ouverture. La
décision a ensuite été prise de créer un portail et de libérer ces données, jusqu’à la
mise en œuvre, qui correspond à la publication effective. Si la phase d’évaluation a
fait l’objet d’une médiatisation moindre, c’est parce qu’elle s’est plutôt déroulée en
interne. En effet, il ressort des différents entretiens effectués pour cette recherche
que chaque acteur ayant participé à l’ouverture des données s’est plus ou moins
remis en question, faisant un point sur ses attentes avant l’ouverture, la manière dont
il a vécu la libération des données et ce qui en est réellement ressorti. Cette mise au
point a donné lieu à quelques « bouleversements », certains acteurs déçus ayant
préféré se retirer, d’autres ayant émergés grâce à un intérêt pour certains aspects de
l’Open Data. Le département de Loire-Atlantique a commandé, en 2014, une
évaluation de la démarche auprès du cabinet Deloitte. Intervenant près de trois ans
après le début de la démarche, cette évaluation dressait un bilan mitigé de
l’ouverture des données : elle soulignait ainsi la méconnaissance du sujet, tant en
interne qu’auprès des citoyens, ainsi que les attentes peut-être trop ambitieuses des
élus quant à la libération des données.
Dans tous les cas, il est certain qu’aujourd’hui, l’effet d’annonce, le « buzz
médiatique » autour de l’ouverture des données est retombé depuis de nombreux
mois. Cet effet était d’autant plus exacerbé que le sujet était nouveau, innovant et
inédit : ces caractéristiques favorisent ainsi une grande communication, permettant
aux élus de proposer de nouvelles actions basées sur les données. Après l’ouverture
et grâce à différents acteurs, les données ont pu être appréhendées et l’objet s’est
ainsi normalisé, en particulier au sein des entreprises. Ce processus participe donc
de l’amoindrissement de l’effervescence qui a pu naître autour de l’Open Data. Cette
émulation a aussi pu s’atténuer en raison des attentes déçues qu’avaient posé les
différents discours : après quelques mois d’ouverture, le bilan a montré que les
objectifs affichés n’étaient et ne pouvaient être remplis, ce qui a pu pousser la
collectivité à diminuer la communication autour de l’Open Data, afin de disposer d’un
moment de « calme » médiatique pour recentrer ses objectifs autour des datas. Par
ailleurs, la politique publique a été très stimulée dans ses premiers mois d’existence
grâce aux différents événements organisés à ce sujet : les appels à projets, les
57
hackathons ont été autant de moyens pour susciter et maintenir l’intérêt des
réutilisateurs potentiels. Mais une fois passée l’expérimentation de ces dispositifs,
cet intérêt est retombé. Comme nous l’avons vu plus haut, il s’agit d’un phénomène
ayant déjà été théorisé, et l’on peut donc penser que cette étape est tout à fait
normale dans le déroulement de la politique publique. Il aurait été difficile de
maintenir cette dernière à un niveau constant d’intérêt, encore plus lorsque l’on
évoque le domaine du numérique, milieu en constante évolution et sans cesse à la
recherche d’innovation.
Cependant, ce bilan est à nuancer lorsque l’on observe l’utilisation des données ; en
effet, même si l’engouement est peut-être dépassé, le nombre de téléchargements
de jeux de données, lui, est en augmentation. Si les différentes institutions ne
disposent pas encore des clés pour analyser et expliquer ces nombreux
téléchargements, cela prouve cependant que la plateforme continue d’attirer de
potentiels réutilisateurs, des individus intéressés par les données. On retrouve à
nouveau ce souci du point aveugle des réutilisateurs, les institutions ne peuvent ainsi
pas savoir qui télécharge ces jeux de données ni pourquoi ils le font. Cependant,
cela montre que des individus, particuliers ou professionnels, conservent un intérêt
pour les données.
Néanmoins, si cet essoufflement de la démarche apparaît comme naturel et
temporaire, il est nécessaire de penser l’évolution de l’Open Data, qu’il s’agisse du
fond ou de la forme de l’action publique. La collectivité cherche à recentrer ses
objectifs et ses attentes à propos des données afin de donner un second souffle à la
politique d’ouverture.
3.1.2 Quelles évolutions possibles ? Des transformations déjà observables à
Nantes Le thème de l’Open Data à Nantes semble s’être essoufflé depuis quelque temps :
moins de médiatisation, moins d’acteurs impliqués. Le concept n’a pas disparu,
puisqu’il est toujours animé, notamment en interne des institutions, pour l’intégrer
dans de nouveaux domaines qui pourront ainsi produire des solutions intéressantes.
Les élus et agents des institutions s’interrogent donc afin de faire évoluer la
démarche d’ouverture des données pour qu’elle puisse mieux répondre aux attentes
des différents acteurs. Cela peut s’avérer complexe, d’autant plus que de nombreux
acteurs s’étant lancés dans l’Open Data en 2011 se sont détournés de la question
58
depuis. Malgré cela, certains acteurs toujours en place travaillent à relancer la
nouvelle « phase » de l’Open Data à Nantes.
Ainsi, plusieurs projets sont menés et l’ouverture des données se poursuit, car de
nombreuses informations sont encore destinées à être mises à disposition. Des
agents à différents niveaux des institutions sont chargés de missions concernant
l’Open Data. Ce qui peut éventuellement indiquer que cette notion commence à
s’installer de manière pérenne dans les administrations.
En outre, l’Open Data a éventuellement pu donner une impulsion dans le domaine du
numérique nantais. Depuis quelques années, l’écosystème est en effet animé par de
plus en plus d’initiatives dont l’Open Data, malgré le retrait progressif de cette
thématique des événements et autres interventions. La ville est aujourd’hui une place
forte du numérique, notamment grâce à des événements tels que le festival
Web2Day ou la Nantes Digital Week, qui attire un nombre considérable de
professionnels et amateurs du numérique venus de nombreux pays. Lors du début
de l’ouverture des données, le sujet était très présent au sein de ces temps forts : les
interventions et présentations à ce propos permettaient ainsi de présenter l’Open
Data et d’expliquer la démarche nantaise. Aujourd’hui, les interventions à son sujet
sont devenus rares voire inexistantes. Cela s’explique également par la rapidité avec
laquelle le monde du numérique et du digital évolue : un sujet d’actualité en 2011 ne
l’est plus du tout aujourd’hui et il est presque normal que l’Open Data ait disparu des
conversations, des conférences. En revanche, cela peut également traduire en partie
le détachement des professionnels du sujet. À Nantes, L’Open Data est devenu peu
à peu un sujet qui se joue en interne des administrations plus qu’à l’extérieur.
3.1.3 D’une manière plus globale, une évolution générale de la démarche Nous l’avons vu plus haut, l’Open Data a été « importé » par les collectivités
françaises à partir des démarches anglo-saxonnes, en délaissant cependant
l’habillage qui venait l’entourer, à savoir les concepts de gouvernement ouvert.
Pendant un certain temps, le seul objectif des politiques était d’ouvrir les données et
d’en observer les conséquences, espérant que ces dernières apporteraient des
bénéfices à la fois économiques et citoyens. Avec le recul pris après cinq ans
d’ouverture, les divers acteurs impliqués dans la démarche ont pu se rendre compte
59
que cette approche ne fonctionne pas comme attendue. Aujourd’hui, l’évolution du
mouvement semble indiquer que cet « habillage » est en voie de réapparaître. En
effet, les différentes initiatives menées par les élus et les autres acteurs pour faire
évoluer le mouvement tendent plutôt vers des idées de dialogue citoyen, de
participation au débat public. Le courant porte plutôt vers l’idée d’innovation ouverte,
au sein de laquelle plusieurs acteurs différents jouent un rôle. Les milieux associatifs
qui portaient depuis le départ les notions de participation citoyenne se retrouvent
dans ce discours, les élus espèrent ainsi trouver un second souffle leur permettant
potentiellement d’atteindre leurs objectifs premiers et les professionnels également
peuvent y trouver leur place, construisant des outils numériques ou des plateformes
qui seront les lieux du dialogue et de la participation.
Aujourd’hui, l’Open Data est à la source d’initiatives visant à rapprocher les citoyens
des élus. Ces initiatives consistent souvent en des applications ou des plateformes
dont l’objectif est la participation à la décision et à l’action publique. Ces approches
peuvent être différentes : il s’agit parfois de donner aux institutions et élus les outils
numériques facilitant leur communication vers les citoyens et permettant ainsi
d’engager le dialogue avec ces derniers. D’autres fois, la démarche est plutôt dirigée
vers les citoyens, afin de leur donner des clés de compréhension de l’action publique
pour pouvoir, in fine, y prendre part. De nombreux projets font partie de ce
mouvement, notamment à l’échelle nationale : les sites web tels que La fabrique de
la loi, nosdéputés.fr ou nossénateurs.fr peuvent être cités. Au niveau nantais, la
dynamique se fait plus timide mais des projets sont pourtant visibles. Certains
acteurs se penchent sur les questions de participation citoyenne, d’implication dans
la vie locale. Par exemple, la plateforme Influents se décrit comme « un projet
d'innovation démocratique bénévole et à but non-lucratif »25. Il s’agit ainsi de réunir
des individus venus de tous horizons souhaitant s’impliquer dans la vie locale en tant
que citoyens, qui peuvent trouver un lieu d’échange, de débat et déposer leurs idées
et avis. Si l’on s’éloigne ici légèrement du thème de l’Open Data, Influents a tout de
même participé à partir de 2014 à l’initiative Atelier des élections à Nantes, en
collaboration avec l’association LiberTIC. Se déroulant sur plusieurs temps forts, ce
dispositif invitait les individus à créer des outils numériques au sujet des élections
25 Influents in influents.fr, En ligne, < http://www.influents.fr/ >, consulté le 15 août 2016.
60
municipales de 2014, notamment à partir des données publiques mises à
dispositions sur le portail Open Data. Une sorte de hackathon citoyen donc, qui
permettait de s’emparer du sujet des élections jusque-là relativement pauvre en
termes d’outils numériques. On retrouve ainsi l’idée de simplifier et raccourcir la
relation entre élus et citoyens, au travers d’applications ou de plateformes web
utilisant l’Open Data comme l’une de ses sources. Ce dispositif était également
accompagné de la start-up Tuttivox, spécialisée sur les questions d’e-démocratie et
d’opinion via les médias sociaux. Si le terrain de ces initiatives est moins large à
Nantes qu’à l’échelle nationale, on note tout de même que les idées sont présentes
sur le territoire et pourront éventuellement se développer à l’avenir. Ces applications,
plateformes ou sites web ont en commun d’être placés sous le même dénominateur,
la Civic Tech. La Civic Tech est un mouvement que l’on voit apparaître depuis
plusieurs mois et qui a gagné très rapidement la sphère politique, qui s’est emparée
de ce nouveau sujet - en particulier Axelle Lemaire qui défend depuis quelques
temps sont projet de loi République Numérique. La Civic Tech ne possède pas
encore de définition précise. Le mouvement regroupe une multitude de mouvements,
eux-mêmes issus de milieux variés mais qui se réunissent pourtant tous sous un
même objectif, celui de favoriser l’apparition d’une démocratie plus ouverte, plus
participative et moins représentative. La Knight Foundation, une agence américaine
qui cherche à promouvoir, entre autres, la qualité du journalisme ou encore
l’innovation dans les médias a publié en 2013 un schéma, montrant ainsi ce que peut
comprendre le terme de Civic Tech.
61
« The emergence of Civic Tech », Knight Foundation, 2013.
Ainsi, on peut constater que la Civic Tech se nourrit de plusieurs dispositifs ou
processus à l’œuvre dans la société actuelle. Les notions de communauté et de
collaboration y sont essentielles, car le nombre favorise la qualité des démarches.
Cette qualité se trouve donc dans la multitude des individus prêts à s’engager. D’un
côté plus technique, les datas publiées par le gouvernement viennent également
alimenter les initiatives de Civic Tech, qui s’appuient aussi sur les réseaux sociaux
pour échanger avec les individus. Il s’agit donc d’un processus liant la sociabilité, le
numérique et les données ouvertes. Cela apparaît comme une suite logique aux
avancées effectuées sur le plan numérique et politique. Contrairement à l’Open Data
62
seul, le mouvement des Civic Tech a fait naître une multitude d’initiatives qui
semblent rencontrer un fort succès auprès de la sphère gouvernementale et qui sont
soutenues par les élus. Le gouvernement – Axelle Lemaire tout particulièrement – a
notamment lancé l’initiative des « Mardigital » : tous les mois, des start-ups sont
accueillies dans un ministère différent afin d’y présenter leurs projets innovants. Le
24 mai 2016, l’un de ces Mardigital était par ailleurs consacré à la Civic Tech. À cette
occasion, le ministère de l’économie a publié dans un dossier de presse une
cartographie de la Civic Tech en France, offrant une vision globale des différents
acteurs présents dans ce domaine.
63
Le mouvement de la Civic Tech apporte également son lot de questionnements. L’un
d’entre eux porte sur une potentielle « ubérisation » prochaine de la politique, causée
par la multiplication d’applications et d’outils numériques dédiés à ce champ. Ce
néologisme, évoqué pour la première fois par Maurice Lévy, publicitaire et président
64
du groupe de communication Publicis dans une interview du Financial Times26,
provient du nom de la célèbre entreprise Uber, qui permet de mettre en contact ses
utilisateurs avec des conducteurs proposant leurs services en tant que chauffeurs. Si
l’apparition de ce modèle a déclenché un conflit avec les chauffeurs de taxis, son
développement a aussi servi d’illustration à un processus en marche depuis
plusieurs années. Au travers de la numérisation des différents milieux – services
publics comme entreprises privées – les relations entre clients et fournisseurs de
biens ou de services deviennent de plus en plus directes et ne passent plus par les
relais traditionnels. Ainsi, transposé au monde de la politique, « l’ubérisation »
correspondrait à la multitude d’applications et plateformes construites afin de
raccourcir la relation entre élus et citoyens, de rapprocher ces deux éléments
pourtant de plus en plus éloignés. Grâce au numérique, le dialogue pourrait se faire
de manière beaucoup plus directe. Cette vision de la vie politique suscite à la fois les
réticences de ceux ne désirant pas voir le rôle traditionnel de la politique bouleversé
mais également l’enthousiasme des militants pour la démocratie ouverte.
Les données publiques sont de moins en moins prises en compte de manière isolée :
les différents acteurs ont perçu qu’il ne s’agissait que d’une partie des matériaux à
leur disposition pour construire des dispositifs plus grands encore, qui se
rapprochent ainsi de plus en plus des notions de gouvernement ouvert qui ont motivé
l’ouverture en premier lieu. Pour autant, l’Open Data reste un phénomène important
en France, qui tend à se pérenniser, au travers de l’obligation légale étudiée dans le
second chapitre ou grâce aux démarches d’ouverture des données menées par de
nombreuses communes en France, qu’il s’agisse « d’anciennes » qui continuent
d’alimenter leurs plateformes ou de collectivité se lançant tout juste dans le
processus. Si l’Open Data et plus globalement l’innovation ouverte sont des notions
de plus en plus intégrées aujourd’hui et qui se développent de manière très rapide
dans la sphère des professionnels et autres militants, il reste une question
primordiale qui doit également être traitée, à savoir celle des citoyens. Jusqu’ici, les
différentes actions publiques donnent l’image de politiques conduites par des élus en
collaboration avec des professionnels mais, même si les citoyens sont apparemment
26Thomson, Adam, « Maurice Lévy tries to pick up Publicis after failed deal with Omnicom » in Financial Times, 14 décembre 2014
65
la cible première, ils ne sont pour le moment que très peu associés aux processus.
Pourrait-on ainsi déceler une sorte de « condescendance » politique envers les
citoyens ? Ou une peur des usages que pourraient faire ces derniers des outils de
démocratie participative et de dialogue citoyen, au point que les démarches leurs
seraient en apparence ouvertes, mais resteraient en réalité plutôt fermées ?
Il est assez clair que les citoyens devraient occuper une place centrale dans les
démarches concernant la démocratie ouverte, l’open government. Mais cela risque
de s’avérer difficile, d’une part si les politiques restent réticents à l’idée de ces
nouveaux modes de fonctionnement, mais aussi – et c’est ce que nous allons voir
par la suite – si les citoyens eux-mêmes ne s’emparent pas du sujet.
3.2 Replacer l’usager au cœur des préoccupations ?
Nous l’avons vu plus tôt, les Etats-Unis, initiateurs du mouvement de l’Open Data en
politique, n’attachaient pas les mêmes objectifs à la libération des données
publiques. Dans son Memorandum adressé dès le premier jour de son mandat aux
départements et organismes gouvernementaux, Barack Obama exprime sa vision de
l’open government :
« Mon Administration s’engage à créer un niveau d’ouverture sans
précédents au Gouvernement. Nous travaillerons ensemble pour assurer la
confiance des citoyens et établir un système de transparence, de
participation citoyenne et de collaboration. L’ouverture renforcera notre
démocratie et elle promouvra l’efficience et l’efficacité au sein du
Gouvernement. »27
Barack Obama, Memorandum for heads of department and agencies on
transparency and open government, 21 janvier 2009.
Dans ce projet d’open government, l’objectif premier est bel et bien de redonner
confiance en l’administration aux citoyens et d’ouvrir afin de créer une collaboration
et une participation de tous, en vue de l’amélioration des services. Le discours
entendu à Nantes autour des données publiques était tout autre, puisqu’il mobilisait
27 « My Administration is committed to creating an unprecedented level of openness in Government. We will work together to ensure the public trust and establish a system of transparency, public participation, and collaboration. Openness will strengthen our democracy and promote efficiency and effectiveness in Government. »
66
l’aspect économique avant toute chose, occultant ainsi les préoccupations de
dialogue et de participation citoyenne. Un recadrage qui n’est d’ailleurs pas propre à
la ville de Nantes : le constat est le même lorsque l’on considère la démarche
française dans sa globalité. Samuel Goëta et Clément Mabi l’évoquent, « L’espoir de
la découverte d’un « nouveau pétrole » a longtemps dominé le débat sur l’open data,
reléguant au second plan ses enjeux citoyens en termes de transparence et
d’émancipation des citoyens. »28. L’écueil est donc présent de manière générale :
l’objectif d’open government, déjà tronqué au profit de la seule ouverture des
données, se trouve ensuite privé de sa justification première. Les piliers de
transparence, participation et collaboration évoqués par le gouvernement américain
deviennent très secondaires dans la démarche française.
3.2.1 La place centrale de l’usager dans la production des données Au fil de l’exploration de la littérature à propos de l’ouverture des données publiques
et des notions de gouvernement ouvert, la question de la place de l’usager, du
citoyen revient de nombreuses fois. Il est évident qu’au sein d’une telle démarche, le
citoyen constitue le cœur des préoccupations et des actions. Préoccupation qui,
nous l’avons vu, a été quelque peu laissée de côté lors de l’adaptation de la
démarche aux territoires français, Nantes n’y faisant pas exception. Alors, pourquoi
peut-on dire que le citoyen, relativement délaissé jusqu’ici, représente un élément
central de la démarche ? Comment peut-il l’être ? C’est ce que s’attache à démontrer
le paragraphe qui suit.
Dans un premier temps, les données sont produites par les services publics, qui se
basent ainsi sur les usages que font les habitants des collectivités afin d’en tirer des
observations, des statistiques. On peut donc en déduire que sans les citoyens, les
données collectées seraient moindres. Les citoyens, en tant qu’usagers de la ville au
quotidien, détiennent par ailleurs des informations que ne peuvent connaître les
agents des institutions. La vie d’un quartier, d’une zone peut être mesurée grâce à
des capteurs, des outils techniques mais les cas d’usages vécus par les habitants
représentent une information dont la valeur n’est pas négligeable. Ainsi, ces cas
d’usages peuvent venir compléter l’image que peuvent donner les statistiques d’un 28 Samuel Goëta, Clément Mabi, « L’open data peut-il (encore) servir les citoyens ? » in La Découverte, n°79 (2014), pages 81-91
67
aspect de la vie publique. Les individus positionnés en faveur de l’ouverture des
données se penchent ainsi sur cette dimension. Conscients que les données ne
représentent qu’une partie des informations que l’on peut récolter, leur but devient
alors de pousser les habitants à partager leurs cas d’usage afin de compléter les
statistiques.
Par exemple, si l’on voulait évaluer la nécessité ou non de l’éclairage d’une rue de la
ville, des capteurs peuvent être installés afin de mesurer le passage dans cette rue,
permettant ainsi de savoir à quelles heures il est nécessaire d’enclencher ou de
couper l’éclairage. Outre ces capteurs, qui mesurent le monde d’une manière
totalement technique et rationnelle, le vécu, l’expérience que les habitants font de
leur propre environnement peut en dire plus. Ainsi, les riverains pourront apporter
des informations qualitatives en plus des éléments quantitatifs afin de prendre une
décision d’autant plus pertinente.
Les usagers de la ville sont donc les mieux placés pour s’exprimer sur leur
environnement, ses défauts ou avantages. Leur expertise devient donc de plus en
plus essentielle à la construction d’un véritable dialogue citoyen. Impliquer les
citoyens permet également à la collectivité de confronter sa vision de la ville à leur
propre perception de cette dernière. Comme le rappelle Sandra Moatti dans l’article
« Les promesses de l’Open Data » paru dans le magazine Alternatives
Économiques, « la mise en ligne du répertoire des 360 000 arrêts de bus du
Royaume-Uni a permis aux usagers de signaler et de corriger 18 000 erreurs »29. Cet
exemple montre qu’avec l’implication des citoyens, la démarche d’ouverture des
données peut être co-construite afin d’en tirer les meilleurs usages. Ces
démonstrations tendent à inciter les collectivités à se diriger vers une approche
mettant le citoyen au cœur de la démarche. C’est notamment le cas de la ville de
Nantes, qui cherche aujourd’hui à rediriger sa politique d’Open Data dans cette
direction. C’est une tendance que l’on observe par ailleurs à l’échelle nationale et qui
se généralise de plus en plus.
En parallèle de ces questionnements, d’autres notions font surface. Celle de
multitude, notamment, peut se lier avec les démarches d’ouverture des données. Il 29Moatti Sandra, « Les promesses de l’Open Data » in Alternatives Économiques, mai 2012, pages 38-41
68
s’agit alors de ne plus considérer le citoyen seul mais la multitude de citoyens
présents dans les collectivités, qui pourraient ainsi agir ensemble. Toujours dans le
même article, Sandra Moatti indique qu’il s’agit là d’une sorte de retour à la
conception scientifique qui a animé la naissance du concept de données ouvertes :
« Né dans le monde la science, avec l’idée que la mise en commun des informations
augmente l’intelligence collective, le mouvement en faveur de l’ouverture des
données s’étend désormais à celles produites par les acteurs publics »30. Ainsi, plus
les individus se réuniraient pour produire, mettre en commun des informations, plus
ces dernières se révéleraient pertinentes par la suite pour en tirer des usages utiles.
On retrouve ici la notion de crowdsourcing. Comme le définissent Thierry Burger-
Helmchen et Julien Pénin dans l’article Crowdsourcing : définition, enjeux, typologie,
le crowdsourcing « consiste littéralement à externaliser (to outsource) une activité
vers la foule (crowd) c’est-à-dire vers un grand nombre d’acteurs anonymes (à
priori) »31. Même si l’ouverture des données ne concerne pas l’externalisation d’une
activité, la notion de dialogue citoyen peut s’en rapprocher : au lieu de laisser
l’entièreté du processus de décision entre les mains des agents ou des élus, l’Open
Data consiste à fournir les éléments aux citoyens pour que ces derniers puissent
également participer à cette décision. Les auteurs précisent par la suite leur idée :
« Dans notre analyse nous distinguons trois types de crowdsourcing : le
crowdsourcing d’activités inventives, de tâches routinières et de contenu.
Dans le premier cas l’entreprise fait appel à la foule pour résoudre des
problèmes parfois complexes et/ou créatifs (apporter des idées) tandis
que dans les deux autres, la foule ne résout pas un problème mais
apporte du contenu, des capacités calculatoires, du temps, etc. »32.
Si l’on transpose cette démarche issue du monde de l’entreprise à l’Open Data, on
peut alors retrouver des similitudes : les institutions tentent en effet d’interpeller la
foule des citoyens afin que ceux-ci s’emparent des données et en tirent des usages 30ibid.31Thierry Burger-Helmchen, Julien Pénin, «Crowdsourcing : définition, enjeux, typologie » in Management et avenir, n°41 (2011), pages 254-269
32Thierry Burger-Helmchen, Julien Pénin, «Crowdsourcing : définition, enjeux, typologie », op. cit., p. 255
69
dont ils pensent avoir besoin. Ici, ce sont surtout les professionnels du numérique,
les développeurs qui peuvent être atteints. Outre cette dimension, cette multitude
peut également apporter du contenu : c’est donc ce que nous avons vu plus haut. En
partageant leurs expériences, les usagers peuvent participer aux débats et ainsi
trouver leur place dans le dialogue citoyen que les collectivités cherchent à mettre en
place.
Ainsi, il devient de plus en plus évident que le citoyen constitue l’un des acteurs
principaux de l’ouverture des données publiques. Si les préoccupations se tournent
maintenant vers son intégration dans la démarche d’Open Data, l’une des grandes
questions reste de savoir si ces derniers y trouveront réellement un intérêt. Jusqu’à
maintenant, ils ne se sont pas réellement emparés de la question et rien n’indique
qu’ils sont disposés à le faire. Ce désintérêt peut être expliqué par plusieurs facteurs,
que l’on cherchera à expliciter par la suite.
3.2.2 Quel intérêt réel des citoyens pour la question ? Si l’objectif est désormais de replacer les citoyens au cœur de la démarche, il peut
cependant être utile de s’interroger sur l’intérêt réel que ces derniers portent au sujet
de l’Open Data. En effet, la collectivité nantaise n’a pas observé jusqu’ici de véritable
engouement des citoyens pour l’ouverture des données. Si leur absence peut aussi
provenir de la direction qu’avaient prise les politiques lors de l’ouverture, et que nous
avons étudiées dans le second chapitre, il est également possible que les citoyens
« lambda » ne se soient pas penchés plus avant sur la question car celle-ci ne les
intéressait pas. Plusieurs causes pourraient expliquer un tel désintérêt, avec
notamment la vision technique portée sur les datas qui paraissent difficilement
accessibles pour qui ne serait pas amateur de technologies ou d’outils numériques.
Les citoyens ne sont pas des techniciens et à l’heure où l’on cherche encore à
réduire les fractures numériques encore présentes, une grande partie des utilisateurs
de l’informatique ne s’intéressent pas à des aspects aussi spécifiques. Par ailleurs,
l’ouverture des données est mise en place par les élus, afin de donner des clés de
compréhension des institutions et administrations publiques. Or, il devient difficile
d’attirer l’intérêt des citoyens dans un contexte fort d’indifférence voire de rejet de la
politique en général. Enfin, étudier les données, les télécharger, les analyser prend
du temps : nous l’avons vu, même pour des entreprises spécialisées sur la question,
70
il s’agit d’une activité très chronophage réalisée en échange d’un bénéfice moindre,
presque inexistant. Il se pose alors la question du temps à consacrer à ces données
en tant que citoyen ? Des individus qui ont eux-mêmes d’autres activités
professionnelles, qui ne sont pas forcément au point sur le traitement des données
devraient ainsi fournir d’autant plus de temps pour accéder aux données et les
utiliser. Il s’agit là d’un effort considérable que l’on demanderait de fournir aux
habitants.
Par ailleurs, les données ne sont peut-être pas encore suffisamment « percutantes »
pour attirer l’attention des citoyens « lambda ». En effet, les données publiées à
l’heure actuelle restent toujours sans grand enjeu politique, quand bien même l’une
des promesses de l’ouverture était de fournir un regard citoyen, un levier de critique
du pouvoir afin de donner plus de poids à l’opinion public. Or, il est difficile de
critiquer des données basiques telles que les données de transports, par exemple.
Certaines commencent cependant à émerger, notamment avec le lien effectué entre
les données sur l’environnement par exemple et les militants en faveur où contre
l’aéroport de Notre-Dame des Landes. Il s’agit de ce genre de pouvoir que pourraient
rechercher les citoyens, le pouvoir de prendre connaissance des éléments déjà
connus des services publics afin de contester, soutenir ou participer à des décisions.
Or, si les données portaient un enjeu plus grand, peut-être l’intérêt serait-il plus fort ?
Aujourd’hui, les données que les individus souhaiteraient le plus voir publiées,
comme les budgets ou dépenses des collectivités par exemple, ne sont que très peu,
voire pas du tout ouvertes. Actuellement, il est difficile pour les citoyens de se rendre
compte de l’utilité des données à leur disposition, car elles portent sur des sujets très
banals. Seuls les développeurs ou les entreprises peuvent éventuellement tirer des
usages de ces données et même eux peinent à y trouver un intérêt. Il est possible
que lorsque les données en diront plus sur les éléments clés de fonctionnement des
collectivités ou de l’État, les citoyens y verront ainsi un plus grand intérêt et seront
plus à même de s’impliquer dans la démarche. En attendant, l’Open Data tel qu’il est
mis en place aujourd’hui, n’est pas un sujet grand public. Il se destine encore à des
professionnels du numérique, des militants ou à des citoyens déjà au fait de ces
usages numériques. Toute la question est donc de savoir s’il est réellement possible
de susciter l’intérêt des citoyens, ou si l’ouverture des données est condamnée à
rester une démarche menée par des élus pour des professionnels.
71
3.2.3 Comment susciter l’intérêt des citoyens ? Que l’intérêt des citoyens s’éveille progressivement aux données ou que seuls
quelques « connaisseurs » se penchent sur ces dernières, il est en tous les cas
nécessaire de réfléchir à des moyens de rendre les datas plus accessibles. Plusieurs
démarches semblent aller dans ce sens, même si elles ne garantissent pas
l’augmentation de l’intérêt des citoyens pour l’Open Data. Elles pourront néanmoins
ouvrir le chemin à une meilleure compréhension des matériaux disponibles et des
enjeux que recouvrent ces données.
L’un des premiers axes pouvant être utilisé dans cette « démocratisation » est celui
de la médiation : rapprocher les citoyens des données par des ateliers, des prises en
mains au travers de structures dédiées, voilà un processus qui s’est déjà engagé à
Nantes. L’association OpenStreetMap, par exemple, propose des cartoparties
invitant des citoyens à se rassembler afin de cartographier des zones d’une ville ou
d’un quartier, à pied, à vélo, en voiture. Généralement organisées sur le temps d’un
weekend, ces cartoparties permettent ainsi à des individus de tous horizons de se
rencontrer lors d’un événement tout en participant à l’élaboration d’une carte de
manière participative. À Nantes, la métropole a pu organiser une réunion de ce genre
à vélo, en collaboration avec OpenStreetMap et Place au vélo, afin de recenser les
appuis vélos présents sur le territoire. L’occasion de voir se rassembler des habitants
aux intérêts très variés : adeptes du cyclisme qui viennent avant tout pour pratiquer,
riverains désireux d’apprendre à connaître leur environnement ou encore amateurs
de numérique et nouvelles technologies attirés par l’utilisation des données, même si
les objectifs sont différents, le résultat final est très satisfaisant. On dénombre une
participation élevée, une cinquantaine de personnes environ manifestant pour la
plupart une volonté de réitérer l’expérience. En quelques mois, la cartographie de
ces appuis vélos présents sur 78 secteurs était élaborée puis publiée sur le site
d’OpenStreetMap. Il apparaît ici que l’un des moyens d’intéresser les citoyens aux
données est peut-être de les croiser avec des sujets que ces derniers connaissent et
maîtrisent : l’exemple du vélo ici montre bien que des amateurs de cyclisme ont pu
faire le déplacement et se prêter au jeu durant un ou plusieurs weekends même s’il
n’avaient au départ aucune connaissance du concept des données. Des expériences
de ce type donnent à voir aux individus éloignés du sujet de l’Open Data les
applications que ce dernier peut avoir dans la vie quotidienne. De là à évoquer le
72
concept de « vulgarisation » de l’Open Data, il n’y a qu’un pas. Il s’agit d’une idée qui
rejoint celle exprimée plus haut à propos de la médiation autour des données : cela
correspondrait alors à une simplification non pas des données mais de la démarche
d’ouverture en elle-même. C’est un sujet à prendre avec précaution, car le terme de
vulgarisation en lui-même pourrait desservir l’objectif : associé à l’univers de la
science, cette expression pourrait laisser penser que si le sujet de l’Open Data a
besoin d’être vulgarisé, alors il doit très certainement être compliqué. Or, ce n’est pas
tellement le cas : l’ouverture des données n’est pas un processus complexe à
comprendre – même s’il est complexe à mettre en place. La formation aux données
représente à ce titre un enjeu : initier le plus tôt possible les individus à l’analyse et à
la réutilisation des données dans des activités quotidiennes permettrait
éventuellement d’aider la culture de la donnée à s’installer plus durablement.
Certains évoquent l’utilisation des données publiques dans l’enseignement : dans le
cadre de cours à l’école, aller chercher et utiliser des données en rapport avec le
sujet étudié permettrait de créer des « cas pratiques », montrant ainsi comment les
datas peuvent être utilisées, de manière simple. Cette idée de la formation aux
nouvelles technologies de l’informatique ou du web est déjà visible au travers de
plusieurs initiatives, comme l’installation de l’École du logiciel libre (ou Open Source
School) à Nantes et dans d’autres villes françaises à la rentrée 2016. On peut penser
que cette évolution dans les formations prend en compte les besoins nouveaux
causés par la numérisation et la digitalisation des métiers et des services. Il est donc
possible que le besoin de former des individus aux enjeux de l’Open Data, voire des
Big Datas se fasse également ressentir à l’avenir. Dans tous les cas, la formation
aux données reste un vecteur intéressant pour rapprocher les citoyens de ces
dernières : les datas seraient ainsi intégrées dans les pratiques, elles deviendraient
un outil « naturel » des usages au quotidien. Bien évidemment, une telle conception
est encore loin de s’installer : le problème est le même que pour le fonctionnement
interne des administrations par exemple, la culture de la donnée n’est pas encore
installée et demandera un long moment avant de s’exprimer pleinement.
L’un des autres axes de travail qui pourrait permettre une meilleure compréhension
des données porte plutôt sur les datas en elles-mêmes. C’est un fait, les tableurs
Excel remplis de chiffres ne sont absolument pas attractifs pour des individus
étrangers au sujet. La démarche peut même devenir contre-productive : publier des
73
données les plus brutes possible reviendrait à prendre le risque de faire fuir les
potentiels réutilisateurs, dépassés par des fichiers qu’ils ont peur de ne pas
comprendre et dont le retraitement serait bien trop long et complexe. L’une des
solutions serait éventuellement de fournir des grilles de lecture accompagnant les
données, permettant ainsi au public des citoyens de s’approprier les informations
publiées en sachant comment les lire. Il s’agit d’une solution qui peut cependant
poser question, notamment sur l’orientation de ces grilles de lecture. En effet, nous
l’avons déjà vu, une donnée n’est pas neutre puisqu’elle fait l’objet d’un choix de
publication, à un moment donné et par rapport à d’autres données. Mais en plus de
cette étape de publication, si les institutions fournissent des grilles de lecture, il se
peut que celles-ci soient orientées de manière à inciter le lecteur à interpréter les
données d’une certaine manière plutôt que d’une autre. On peut alors se demander
si une telle façon d’agir correspond réellement à la vision originale de ce que devrait
être l’Open Data. Une seconde option – qui nous le verrons pose le même genre de
problème que la réponse précédente – pourrait résider dans la diversification des
données publiées sur les plateformes d’Open Data. Il s’agirait donc non plus de
publier uniquement des tableurs mais également des vidéos, des images, des textes
sous la même licence que les autres données. Une telle diversité permettrait de
rendre les données publiées plus accessibles à un public qui n’a pas
systématiquement les connaissances techniques nécessaires. Il s’agit d’une
technique expérimentée par la collectivité nantaise dans des dispositifs de dialogue
citoyen. Dans le cadre du grand débat sur la Loire, la Métropole a en effet souhaité
faire participer le plus grand nombre d’habitants du territoire. Pour cette raison, un
document socle a été édité en collaboration avec l’AURAN, regroupant un grand
nombre de données statistiques, de cartographies, de fiches afin de donner aux
participants le plus d’éléments possibles pour analyser la situation et décider de la
meilleure solution.
74
Un document aussi complet permet donc aux individus de s’approprier le sujet en
disposant de toutes les informations possibles. Ici, la diversité des données
présentées peut avoir été un atout : ne présenter que des données statistiques,
comme le fait actuellement la démarche d’Open Data, aurait pu repousser un grand
nombre de participants potentiels. Dans cette lignée, la collectivité mène une
réflexion sur la diversification des données qui pourrait être un moyen d’attiser
l’intérêt des citoyens pour les données. Il s’agirait de pérenniser ce genre d’initiative,
produire de plus en plus de données mises en formes afin de donner à chaque
citoyen un socle de connaissances égal, pour que le débat démocratique puisse se
dérouler dans les meilleures conditions. La diversification des données pose tout de
même une question en regard des critères de l’Open Data que nous avons exposé
au sein du premier chapitre. En effet, l’un de ces critères stipule que pour être
considérée comme ouverte, une donnée doit être publiée telle qu’elle a été collectée
sans modification préalable. Si toutefois l’instance responsable de la publication
souhaite proposer une donnée « retouchée » pour des raisons esthétiques ou de
compréhension, la source première de la donnée, le fichier brut doit être fourni en
parallèle. Lorsque l’on étudie ce critère dans le contexte de l’ouverture des données
Le grand débat « Nantes, la Loire et nous » En octobre 2014, la collectivité lance le
grand débat à propos des usages de la
Loire, invitant tous les citoyens à venir
échanger à ce sujet au travers de différents
supports. Ce dispositif vise à expérimenter
de nouveaux modes de dialogue et de
participation citoyenne. Si la participation est
faible en regard des attentes, les formats
utilisés pour diffuser les documents
semblent tout de même attirer plus de
monde que de simples statistiques en Open
Data.
75
– à Nantes comme en France – on peut se demander si cette liste de conditions peut
et doit encore être d’actualité. Les critères de l’Open Data tels qu’ils ont été pensés
lors de la réunion de Sébastopol produisent une ouverture des données très
technique et ne prennent pas en compte l’aspect politique ou sociologique de la
démarche. Il s’agit là encore d’une évolution de la démarche que l’on observe avec
sa traduction dans d’autres sphères d’action. Si les recommandations édictées par
ces personnalités, avant tout des techniciens, ont permis de forger une définition
relativement claire de l’Open Data, elles ne sont pas forcément adaptées au public
que cherchent désormais à cibler les élus, à savoir les citoyens. Il est donc
intéressant de voir comment les collectivités s’éloignent progressivement de cette
définition de base pour proposer leur propre vision de l’Open Data et alimenter les
différentes plateformes avec des données publiées sous de nouveaux formats. Ces
formats pouvant être une manière de simplifier les données afin de les rendre
accessibles au plus grand nombre, et ainsi de permettre une éventuelle appropriation
de la part des citoyens.
En conclusion, on observe une évolution indéniable du sujet de l’Open Data, à la fois
sur le territoire nantais mais plus encore à l’échelle nationale. Les élus, militants et
professionnels semblent lancés dans la seconde phase de cette « révolution
numérique », mettant en œuvre des solutions variées pour proposer un open
government, un dialogue bien plus solide entre citoyens et politiques. Cela s’observe
au travers de la Civic Tech, parfaite illustration de cette préoccupation nouvelle. La
question reste maintenant de savoir si les citoyens vont finalement trouver l’intérêt de
telles démarches et s’y impliquer, sans quoi elles risqueraient d’être elles aussi
vouées à l’échec. Une démocratie ouverte sans participation citoyenne n’est en effet
pas envisageable. Les efforts de communication et de rapprochement envers les
citoyens, ainsi que la dimension nationale des dispositifs peuvent éventuellement
être un avantage pour ce nouveau tournant. Il est possible de considérer que l’Open
Data constitue l’élément déclencheur de ce mouvement, qui n’aurait peut-être pas
connu une si forte progression sans l’ouverture préalable des données. Cette
ouverture se poursuit par ailleurs sur le territoire national, puisqu’il s’agit également
d’un prérequis pour l’alimentation de l’innovation ouverte. Cependant, si les citoyens
conservent leur posture désintéressée, il pourrait être intéressant de voir ce que
deviendra cette initiative.
76
CONCLUSION Cette étude nous a ainsi permis de nous pencher plus en détail sur les processus à
l’œuvre dans le déploiement de la politique d’ouverture des données à Nantes.
Grâce au premier chapitre, nous avons pu observer que l’Open Data nantais découle
d’autres expériences qui se sont déroulées en amont, que ce soit en France ou à
l’étranger. Ces précédents ont permis de nourrir la vision des élus, que ces derniers
avaient de l’Open Data et de construire une ouverture telle qu’ils l’imaginaient. Les
autres expériences ont également pu justifier cette ouverture et venir appuyer la
légitimité d’une telle démarche, alors que le mouvement commençait tout juste à
émerger dans l’hexagone. Les élus se sont donc inspirés d’observations variées, tout
en essayant de produire une démarche à même de se démarquer : en cela, la
communication très active effectuée autour de l’Open Data nantais a été l’un des
atouts de la construction de cette identité. Car si l’on se penche plus avant sur la
politique en elle-même, elle reste très semblable à celle entreprise par la ville de
Rennes quelques mois plus tôt – ainsi que par les autres villes qui se sont lancées
après. L’Open Data français se construit donc au fur et à mesure des expériences
menées dans chaque collectivité, chacune se nourrissant des apports de la
précédente. En cela, il pourrait être intéressant d’étudier la démarche rennaise
puisqu’il s’agissait de la première ville à se lancer dans l’Open Data en France, elle a
donc dû traduire directement les politiques anglo-saxonnes, sans exemples sur
lesquels s’appuyer. Pour en revenir à la collectivité nantaise, cette première partie a
pu souligner les attentes qu’avaient les élus face à une telle ouverture et les espoirs
que cette dernière apportait au territoire. Après plusieurs années d’ouverture, l’heure
est donc propice au bilan, et les différents acteurs mobilisés sur la question font le
constat de certaines déceptions quant aux promesses qui ont pu être faites. C’est sur
ce propos que s’est concentré le second chapitre, notamment sous l’aspect
économique et sur la question des administrations. Il s’agit là de deux « reproches »
régulièrement opposés au mouvement d’Open Data. De nombreux acteurs avaient
« prédit » des bénéfices économiques, ou encore une modernisation des services
publics grâce à la publication des données. Or, il est évident qu’aujourd’hui, ces
promesses n’ont pas pu être tenues. Malgré la volonté des acteurs impliqués, il s’agit
peut-être d’objectifs qui étaient d’emblées trop complexes, voire impossibles à
atteindre. Nous l’avons expliqué dans ce chapitre et il n’est pas nécessaire d’exposer
77
à nouveau les raisons de ces « échecs », mais il est tout de même important de
souligner que, malgré ces erreurs – qui apparaissent relativement normales dans le
cadre d’une politique presque inédite à l’époque – l’Open Data nantais dans sa
globalité n’est pas un échec. L’ouverture des données a en effet permis à la fois la
construction de projets basés sur les données et qui fonctionnent très bien
aujourd’hui, en particulier au sein du milieu associatif. D’autre part, le mouvement a
permis un gain de dynamisme dans l’écosystème numérique nantais, qui serait peut-
être moindre si la sphère politique ne s’était pas penchée avec tant d’attention sur
ces questions. Si Nantes était déjà une place forte du numérique avant 2011, la ville
est aujourd’hui un lieu incontournable pour de nombreux événements comme le
Web2Day ou la Nantes Digital Week, temps forts qui attirent des visiteurs venus du
monde entier. Il est donc utile de nuancer le bilan de l’ouverture des données
publiques nantaises, afin de ne pas dresser un tableau entièrement négatif, ce qui
serait faux. Même si des efforts sont encore à faire, et des solutions à trouver
ailleurs, l’Open Data continue aujourd’hui d’évoluer dans d’autres directions afin de
répondre au mieux aux besoins et attentes de chacun. Au sein de ce chapitre
s’opère également un déplacement du sujet vers le niveau national : en effet, si l’on
se rend rapidement compte que le niveau local présente des limites au
développement d’une telle politique, le niveau national semble plus pertinent pour
mener des projets à grande échelle, permettant ainsi de toucher un plus grand
nombre de personnes. C’est donc dans cette optique, mais aussi à propos de
l’évolution de la politique qu’a été écrit le troisième et dernier chapitre. Il s’agit en
effet de montrer que l’Open Data est aujourd’hui dans une phase d’évolution et que
les réflexions autour de la question semblent pointer vers une nouvelle direction,
mettant en avant la place centrale du citoyen dans de telles démarches et rejoignant
doucement les thématiques d’open government chères à Barack Obama. L’Open
Data français semble aujourd’hui vouloir se mettre au service des citoyens, qui ont
été relativement mis de côté dans la mise en œuvre de la politique depuis 2011.
Ainsi, les notions de gouvernement ouvert ou de démocratie participative prennent
de plus en plus de place dans les réflexions et dans la médiatisation du sujet. Cette
ampleur nouvelle permet à de nouveaux acteurs d’émerger et à de nouveaux
dispositifs de voir le jour. Il est impossible de prévoir l’évolution future de l’Open Data
et des politiques numériques en général, tant ce domaine est soumis à des
fluctuations importantes et change de manière rapide. Cependant, certaines
78
tendances se dessinent déjà, au travers desquelles nous observons une véritable
politisation du sujet du numérique.
C’est le cas avec le label French Tech par exemple, qui représente un enjeu de plus
en plus important pour les collectivités souhaitant développer leur écosystème
numérique. Ce label vise en effet à récompenser les collectivités démontrant un
dynamisme certain dans le domaine de l’innovation et du numérique, leur apportant
une visibilité et une publicité à l’échelle nationale. Si cette conclusion ne nous permet
pas d’approfondir le sujet, il est tout de même intéressant de voir à quel point ce
label est devenu un enjeu politique important. Nous avons pu le voir notamment lors
de la visite de François Hollande à Angers, en juin 2015 : à l’occasion de
l’inauguration de la Cité de l’objet connecté située dans la ville – alors en lice pour
l’obtention du label French Tech – le président de la République annonçait dans son
discours « vous aurez la French Tech ». Une déclaration survenant quelques jours
seulement avant l’annonce officielle par Axelle Lemaire de huit nouvelles collectivités
labellisées. Le label French Tech devient donc un enjeu, un concours dont les
lauréats se voient récompensés d’un label qui n’apporte pourtant rien de plus qu’une
visibilité pour qui est au fait de l’actualité numérique. Outre ces effets de
communication, qui servent ainsi une certaine publicité des collectivités et du
gouvernement qui apparaît de cette manière impliqué sur le thème du numérique, ce
label permet également au gouvernement d’inciter les collectivités à entretenir et
développer leur rapport au numérique, tout en s’assurant qu’elles répondent toujours
aux critères leur permettant d’obtenir ce fameux label. Ne pourrait-on pas y déceler
ici les traces d’un « gouvernement à distance », permettant à l’État de contrôler la
numérisation et l’innovation de ses collectivités, sans pour autant les prendre en
charge directement ? Comme l’indique Renaud Epstein dans son article « Gouverner
à distance. Quand l’État se retire des territoires »33, le gouvernement peut ainsi
pousser les collectivités à mettre en marche leurs politiques numériques afin de
correspondre au profil d’un lauréat du label French Tech.
L’exemple de la French Tech est un bon moyen d’illustrer la politisation dont le
numérique fait l’objet aujourd’hui : les politiques s’approprient l’outil, pour se
33Renaud, Epstein, «Gouverner à distance. Quand l’État se retire des territoires » in Esprit, novembre 2005
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rapprocher des citoyens mais également pour montrer que le gouvernement et ses
administrations sont capables de se moderniser et de suivre l’actualité d’un outil qui
détient aujourd’hui une place centrale chez un nombre conséquent de citoyens. Il
semble que les processus d’innovation et de numérisation s’accélèrent de plus en
plus, et l’on peut se demander jusqu’où ces évolutions pourront-elles aller. Déjà
depuis quelques temps émerge la notion des smart cities, dont l’objectif serait de
rendre les villes intelligentes grâce à des capteurs, des mesures et des statistiques
permettant de gérer au mieux chaque aspect de la vie quotidienne locale. Une
approche qui représente un immense terrain d’opportunités pour les différents
acteurs pouvant s’impliquer sur ces questions, en particulier pour les professionnels
du numérique. Mais si la démarche de l’Open Data a pu soulever une erreur, c’est
bien celle de l’oubli du citoyen dans cette révolution numérique. Si la numérisation de
la société se poursuit en conservant les réflexions sur la place des usagers, les
citoyens devraient donc occuper une place centrale à la fois dans la production et
dans l’usage des outils nécessaires à ce nouveau fonctionnement. La question qui
se pose à nouveau est ainsi de savoir si la société française peut être prête à
accueillir une telle « révolution », et quand elle le pourra.
80
ANNEXES
Annexe n°1 : Dossier de presse « Nantes ouvre ses données publiques » de la ville
de Nantes, diffusé le 21 novembre 2011.
81
82
83
Annexe n°2 : Eurocities Statement on Open Data, mai 2013.
84
85
86
87
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§ Émission de radio
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(2016), [en ligne] < http://www.franceculture.fr/emissions/pixel/donnees-publiques-si-
ouvertes-que-ca > (consulté le 2 août 2016).
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Table des matières
Remerciements ................................................................................................... p. 2 Sommaire ............................................................................................................. p. 3 Introduction ......................................................................................................... p. 4
Chapitre 1 : L’Open Data, un concept importé à adapter au niveau local ...... p. 11 1.1 L’importation du concept d’ouverture des données ..................................... p. 11
1.1.1 Un concept né Outre-Atlantique ......................................................... p. 12
1.1.2 Une influence « par le haut » ? .......................................................... p. 15
1.1.3 Le modèle de Rennes, ville pionnière en France ............................... p. 17
1.2 Adapter le programme au niveau local ........................................................ p. 19
1.2.1 Les enjeux de l’ouverture selon les acteurs politiques ....................... p. 21
1.2.2 L’Open Data devient une fin à atteindre et non plus un moyen ........ p. 25
1.3 L’Open Data « à la nantaise », véritablement inédit et opérationnel ? ........ p. 26
1.3.1 La démarche « multi-acteurs » .......................................................... p. 26
1.3.2 Apporter de l’inédit ............................................................................ p. 29
Chapitre 2 : Un projet avec ses espoirs et ses faiblesses ............................... p. 31 2.1 L’Open Data n’est pas une « mine d’or » économique ................................ p. 31
2.1.1 Malgré quelques initiatives réussies ... ............................................... p. 31
2.1.2 ... Un modèle économique difficile à trouver ..................................... p. 33
2.1.3 Quelle valeur, quels usages pour les données publiques ? ............... p. 38
2.2 Conséquences et perception de l’ouverture des données
dans l’administration .................................................................................... p. 41
2.2.1 En quoi les données changent-elles l’organisation
de l’administration ? .......................................................................... p. 42
2.2.2 Des réticences en interne ................................................................... p. 43
2.2.3 Les conséquences de l’obligation par la loi ........................................ p. 45
2.3 Quelle pertinence pour l’échelon territorial ? ............................................... p. 49
2.3.1 La nécessité de démarches locales .................................................. p. 49
2.3.2 Des actions à l’échelle nationale ........................................................ p. 51
90
Chapitre 3 : Une action publique en pleine évolution ..................................... p. 55 3.1 Une évolution nécessaire à la démarche ..................................................... p. 54
3.1.1 Après l’effet d’annonce vient le temps du « data blues » .................. p. 54
3.1.2 Quelles évolutions possibles ? Des transformations
déjà observables à Nantes ................................................................. p. 56
3.1.3 D’une manière plus globale, une évolution générale de
la démarche ....................................................................................... p. 57
3.2 Replacer l’usager au cœur des préoccupations ? ....................................... p. 64
3.2.1 La place centrale de l’usager dans la production des données ........ p. 65
3.2.2 Quel intérêt réel des citoyens pour la question ? ............................... p. 68
3.2.3 Comment susciter l’intérêt de la société civile ? ................................ p. 70
Conclusion ........................................................................................................... p. 75
Annexes ............................................................................................................... p. 79 Bibliographie ........................................................................................................ p. 86 Table des matières .............................................................................................. p. 89