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La Silicon Valley vue par Camille Despringhere 6 octobre 2014, 00h05 Article rédigé par Matthieu Dessureault. Les Français qui tentent leur chance dans la Silicon Valley, eldorado de la startup technologique, sont légion. C’est le cas de Camille Despringhere, qui a abandonné Québec, sa ville d’adoption, pour s’installer à Palo Alto. Il est aujourd’hui à la tête de While42 Palo Alto, un réseau d’ingénieurs en informatique français. Le Lien MULTIMÉDIA : Qu’estce que While42 ? Camille Despringhere : While42 est un réseau mondial et décentralisé d’ingénieurs tech français et de diplômés des écoles informatiques. Chaque branche, ou chaque chapitre, comme While42 San Francisco ou While42 New York, opère de manière indépendante. While42 San Francisco est d’ailleurs le premier chapitre à avoir été fondé en 2012 par Julien Barbier, Sylvain Kalache deux ingénieurs informatiques français expatriés. L’idée était simple : regrouper et connecter des gens se trouvant dans le même bateau. L’expérience d’expatrié est souvent éprouvante : arriver dans un pays étranger, sans connaître personne, et gérer une nouvelle langue et des règles du jeu différentes au sein du monde professionnel… il y a de quoi effrayer les plus tenaces ! While42 est la solution que nous proposons. Notre but est de connecter ces membres afin de créer de nouvelles relations professionnelles, mais aussi, chose surprenante pour un réseau de networking, des relations personnelles. En fait, je pense qu’il s’agit là d’un élément essentiel du succès du réseau. Le côté personnel ne veut pas dire qu’on va tous louer une maison et partir en vacances ensemble, mais l’ambiance décontractée des événements mensuels encourage les affinités. Le Lien : Comment se déroulent ces réunions ?

La Silicon Valley vue par Camille Despringhere

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Les Français qui tentent leur chance dans la Silicon Valley, eldorado de la startup technologique, sont légion. C’est le cas de Camille Despringhere, qui a abandonné Québec, sa ville d’adoption, pour s’installer à Palo Alto. Il est aujourd’hui à la tête de While42 Palo Alto, un réseau d’ingénieurs en informatique français.

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La Silicon Valley vue par Camille Despringhere 6 octobre 2014, 00h05 Article rédigé par Matthieu Dessureault. Les Français qui tentent leur chance dans la Silicon Valley, eldorado de la startup technologique, sont légion. C’est le cas de Camille Despringhere, qui a abandonné Québec, sa ville d’adoption, pour s’installer à Palo Alto. Il est aujourd’hui à la tête de While42 Palo Alto, un réseau d’ingénieurs en informatique français.

Le Lien MULTIMÉDIA : Qu’est­ce que While42 ? Camille Despringhere : While42 est un réseau mondial et décentralisé d’ingénieurs tech français et de diplômés des écoles informatiques. Chaque branche, ou chaque chapitre, comme While42 San Francisco ou While42 New York, opère de manière indépendante. While42 San Francisco est d’ailleurs le premier chapitre à avoir été fondé en 2012 par Julien Barbier, Sylvain Kalache deux ingénieurs informatiques français expatriés. L’idée était simple : regrouper et connecter des gens se trouvant dans le même bateau. L’expérience d’expatrié est souvent éprouvante : arriver dans un pays étranger, sans connaître personne, et gérer une nouvelle langue et des règles du jeu différentes au sein du monde professionnel… il y a de quoi effrayer les plus tenaces ! While42 est la solution que nous proposons. Notre but est de connecter ces membres afin de créer de nouvelles relations professionnelles, mais aussi, chose surprenante pour un réseau de networking, des relations personnelles. En fait, je pense qu’il s’agit là d’un élément essentiel du succès du réseau. Le côté personnel ne veut pas dire qu’on va tous louer une maison et partir en vacances ensemble, mais l’ambiance décontractée des événements mensuels encourage les affinités. Le Lien : Comment se déroulent ces réunions ?

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C.D. : Nos réunions mensuelles se déroulent dans les locaux d’une entreprise locale qui veut bien nous accueillir et commanditer notre événement, comme Google, Linkedin ou Cumulus Networks. En général, nous avons le droit à quelques bières et pizzas gratuites, puis on enchaîne sur un talk d’une trentaine de minutes sur un sujet techno. On parle des API, des tendances dans le monde du cloud, etc. Les membres apprennent beaucoup lors de ces présentations. Puis vient la partie networking de la soirée, que l’on nomme le Double Pipe. On aligne deux colonnes de gens face à face, qui ont alors deux minutes pour échanger, puis ça tourne et on répète l’opération au moins dix fois ! Du vrai speed dating appliqué dans un contexte professionnel ! Le but de l’activité n’est pas de se faire des amis en deux minutes, mais de briser la glace entre les membres. Même si tu es le mec le plus timide au monde, t’arrives quand même à échanger avec une dizaine de personnes en seulement vingt minutes ! Drôle et efficace. Le Lien : Combien de membres While42 regroupe­t­il ? C.D. : Depuis deux ans, le réseau n’a fait que grandir. On a passé le cap des 1 500 membres. Nous sommes présents sur tous les continents, excepté l’Afrique, mais je pense que ça ne devrait pas tarder. Ces chiffres prouvent qu’il existe une demande réelle de la part de la communauté d’ingénieurs informatiques français à entrer en contact avec des homologues après leurs études. Même si le but n’a jamais été d’être le plus grand réseau du monde, je pense qu’on est au début d’une très belle histoire. On s’efforce de tout garder à échelle humaine. Pas de formulaires automatiques, pas d’inscription en ligne, pas de réseaux LinkedIn, ni de groupe Facebook… tout se fait à la main, par email. Même les invitations aux événements sont envoyées personnellement aux membres par email ! Pour faire partie du club, il faut être parrainé par une personne déjà membre. Ces restrictions aident la communauté à rester en bonne santé. Le Lien : Quel est ton parcours académique ? C.D. : J’ai grandi en France, où j’ai fait des études en multimédia. Ensuite, j’ai passé deux ans au Québec pour compléter une maîtrise en communication à l’Université Laval. C’était l’expérience la plus enrichissante de ma vie. Lors de ma dernière année d’études, avec quelques amis, j’ai voulu monter un studio de développement d’applications mobiles. Le projet n’a jamais vu le jour pour de multiples raisons : capital de départ, recrutement de talents et, à plus long terme, des opportunités de marché restreintes, le Québec étant petit comme marché. Le Lien : Comment es­tu arrivé en Californie ? C.D. : Mon arrivée en Californie fut toute une histoire ! Un peu la conquête de l’Ouest en version moderne. Encouragé à venir tenter mes idées ici par mon mentor et directeur de mémoire, Claude Cossette, j’ai sauté dans ma voiture sans vraiment avoir pris le temps de planifier mon expédition. Je ne savais même pas où j’allais dormir la première nuit ! J’ai regardé des annonces Craiglist, dormi sur des sofas, puis j’ai réussi à louer une chambre chez Daniel Kottke, à Palo Alto. Daniel a été le premier employé chez Apple et aussi un très bon ami de Steve Jobs à l’époque. Grâce à lui, j’ai été aiguillé vers les bonnes ressources et les bonnes personnes très rapidement. Le Lien : Comment en es­tu venu à t’impliquer au sein de While42 ? C.D. : J’ai été invité à participer à un événement du réseau While42 San Francisco par des amis d’amis qui étaient en visite dans la vallée. J’ai pu rencontrer les cofondateurs, avec qui je me suis très bien entendu. Quelques mois ont passé et nous avons décidé d’ouvrir le chapitre While42 Palo Alto pour désengorger celui de San Francisco.

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La relation entre le chapitre Palo Alto et le chapitre San Francisco est particulière. Situées à 35 minutes de route l’une de l’autre, les deux villes se partagent des membres, des événements, des commanditaires, etc. Il n’est donc pas rare de revoir les mêmes têtes dans les deux groupes. Le Lien : Quelle est la première chose que tu as apprise en arrivant en Californie ? C.D. : « C’est l’histoire d’un mec, qui a eu une bonne idée et six mois plus tard, il était millionnaire… ». Sérieusement, on l’a tous entendue celle­là ! Mais ça n’existe pas ! Bien sûr, il y a toujours l’exemple du garage des parents de Steve Jobs, des génies du système de page ranking de Google, de la chambre à Harvard où est né Facebook… Même si ces histoires sont plutôt cool, elles ne représentent que très vaguement la réalité. Un tel produit est souvent le fruit d’années d’expertise et de travail acharné de la part des cofondateurs qui sont arrivés à concentrer toutes leurs énergies sur leur compagnie. Tu n’as pas besoin de milliers de personnes pour développer un très bon produit. Mais les quelques personnes avec qui tu t’associes au début sont critiques. Plus ton équipe est douée et expérimentée, meilleures sont tes capacités à écarter les mauvaises décisions. Et tout repose sur une série interminable d’échecs ! L’échec fait partie de l’équation. Dans la Silicon Valley, ce n’est pas un sujet tabou. L’échec fait partie des règles du jeu et te permet de restructurer tes idées, ainsi que ta compréhension du marché. Analyser son échec est donc essentiel et tout le monde y passe de manière régulière. Le seul conseil que j’ai à ce niveau : si tu échoues, autant le faire vite ! Tu peux ensuite passer à l’étape suivante. Le Lien : Est­il facile de faire sa place dans la Silicon Valley en tant qu’entreprise techno ? C.D. : La Silicon Valley fait rêver les entrepreneurs du monde entier, mais ce n’est pas non plus le Jardin d’Éden. Beaucoup de gens travaillent sur le même genre de choses ; la compétition est donc féroce au niveau du recrutement. J’ai passé six mois à chercher un développeur mobile spécialisé en iOS pour l’un de mes side projects. Les seules personnes qualifiées que j’ai réussi à trouver étaient toutes en dehors de la vallée ! Le coût des loyers dans la région est exorbitant. Le niveau de vie est l’un des plus chers au monde. Il est donc difficile de survivre dans les périodes creuses. Récemment, j’ai pu observer un intérêt sans précédent pour les ingénieurs français. C’est comme si les Français étaient passés d’un statut de « râleurs avec un mauvais accent » au statut de « rockstars de la tech ». Ils sont de plus en plus reconnus pour leur capacité à résoudre les problèmes complexes, leur esprit critique, ainsi que leur acharnement au travail. Compte tenu du manque d’ingénieurs dans la vallée, il est très facile pour un Français de se faire recruter par une grosse boîte. À l’heure du débat sur la réforme de l’éducation supérieure en France, il s’agit là d’un contre­argument de poids. Personnellement, je vois ici une preuve concrète du succès de notre système qui parvient à éduquer des gens ultra­qualifiés et très compétitif mondialement dans le domaine du high­tech. En France, ces ingénieurs sont souvent considérés comme des gens qui sont juste là pour « exécuter ». Ici, ces ingénieurs font partie intégrante du processus du développement d’un produit. C’est bien plus motivant ! La Silicon Valley est vraiment une région à part. C’est un écosystème complet où toutes les ressources sont sur place. De la petite startup à la multinationale, chacun y trouve son compte. Il y a des universités mondialement reconnues, telles que Stanford et UC Berkeley, des cabinets d’investissement de fonds privés à perte de vue, des startups à chaque coin de rue et chaque ville a sa propre multinationale : Redwood City (Electronic Arts), East Palo Alto (Facebook), Moun­tain View (Google), Santa Clara (Intel), San Jose (Cisco), Cupertino (Apple) et la liste continue.

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La région regroupe beaucoup de gens avec des intérêts communs sur une petite superficie. Tous ces gens échangent et interagissent constamment. Je pense que l’avantage principal d’être ici est ce que j’appelle « le langage de la Silicon Valley ». Tout le monde parle cette même langue, celle du high­tech. Tu peux croiser quelqu’un en faisant tes courses au supermarché et très rapidement parler de traction, de market fit, de scalability ou de venture capital. Le Lien : Quels sont les projets à venir pour While42 ? C.D. : Je pense que While42 va continuer de grandir de manière naturelle comme il l’a fait dans les deux dernières années. De nouveaux chapitres vont sans doute s’ouvrir dans d’autres grandes métropoles du monde où les ingénieurs français vont pouvoir échanger. Mais en réalité, notre mission n’a jamais été d’être « grand ». Ce qui compte pour nous, c’est de se concentrer sur des relations de qualités entre les membres. Car même dans un monde ultra­connecté, en vivant dans la Silicon Valley, avec des ingénieurs high­tech partout autour de soi, ce qui compte le plus, ou qui rapporte le plus, ce sont les relations humaines. Les vraies relations.