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La science-des-phenome

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Présentationdel’éditeur:Edmund Husserl (1859-1938) a fondé une discipline nouvelle, la phénoménologie, où ildéveloppe une analyse descriptive des actes de la conscience intentionnelle (perception,imagination,souvenir,conscienced’autrui,etc.).Avec lepremier livredes Idéesdirectricespourunephénoménologiepureetunephilosophiephénoménologique (1913),Husserldéfinit laphénoménologie transcendantalecomme« sciencedes phénomènes ». Il expose la méthodologie de la pratique phénoménologique et conçoit unambitieux programme de recherche : la description des actes de conscience doit permettre derévéler les structuresessentiellesde la subjectivité transcendantale.Ce faisant,Husserlnecréepas seulement une nouvelle discipline philosophique. Il ouvre aussi la voie à une ambitieuse«refondation»dessciencesempiriquesetréaffirmelanécessitéd’uncertainrationalisme,toutàlafoisthéoriqueetéthique.Cetouvrageexpliciteetinterrogeceprojetd’une«sciencedesphénomènes»,enexaminantunàun chacun des paragraphes des Idées directrices. Commentaire de cette œuvre majeure, ilconstitueaussiuneintroductionàl’œuvred’EdmundHusserletàlaphénoménologieelle-même.Antoine GRANDJEAN est maître de conférences en philosophie allemande à l’université deNantesLaurentPERREAUestmaître de conférences en philosophie contemporaine à l’université dePicardieJulesVerne.

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Sousladirectiond’AntoineGrandjean

etLaurentPerreau

Husserl.Lascience

desphénomènes

CNRSÉDITIONS15,rueMalebranche–75005Paris

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©CNRSÉditions,Paris,2012

ISBN:978-2-271-07522-2CedocumentnumériqueaétéréaliséparNordCompo

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Sommaire

Couverture

Titre

Copyright

Sommaire

Préface«Lasciencedesphénomènes»-AntoineGrandjean&LaurentPerreau

Abréviations

Laphénoménologiecommescienceeidétique-(§§1-17et63-75)LaurentPerreau

Dufaitàl’essence

Accéderàl’essence:laréductioneidétique

Universalité,nécessitéetlégalitéeidétiques

Réductionetneutralisation:Delalégitimationdelaréductiontranscendantaleauxconditionsdepossibilitédelaraison-(§§41-42,49-51,90,97,109-114,133,136-145)Jean-FrançoisLavigne

Réductionetcartésianisme-(§§30-34et49-51)JulienFarges

Lethèmedel’actualité-(§§27-28,§37,§§77-81)SamuelLeQuitte

Actualitéetcogitodansl’attitudenaturelle

L’actualitéetleJepur

Laquestiondelaréflexion-(§§34-38,44-46et77-82)Pierre-JeanRenaudie

Réflexionpsychologiqueetréflexionphénoménologique

Leproblèmeduscepticisme

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Réflexionetdescription

LacritiquedelaperceptioninterneetlamodificationréflexivedanslesRecherchesLogiques

Ladistanceréflexivedesoiàsoi

L’analysetemporelleduvécu

Lesdifférentsniveauxdelaréflexion

L’horizond’inactualitéduvécu

Lecaractèreabsoludelaréflexionetlaquestiondel’ego

«Jepuretriendeplus»-(§57,§80)AntoineGrandjean

«Je»

«Pur»

«Etriendeplus»:latransparencedel’ego

Riendetrop?

Ladoublethéoriedunoème:surleperspectivismehusserlien-(§§87-99et128-135)ÉtienneBimbenet

Lenoèmecommeobjetintentionnel

Lenoèmecommesensnoématique

Lesdeuxperspectivismes

Statutetsignificationdesdéveloppementssurl’affectivitéetlavaleur-(§§116et117)PatrickLang

I

II

III

IV

V

VI

Ladoctrinephénoménologiquedelaraison:rationalitéssansfacultérationnelle-(§§136-153)DominiquePradelle

Laraisoncommestructuretéléologiquedetouteintentionnalité

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Subjectivitédelaraison?Lapluralitédestypesderationalitéetleurunitéstructurale

Élargissementdelaraisonàlarationalitépré-scientifique

Provenancestructurale,etnonsubjective,desIdéesrégulatricesdelaraison

Bibliographiegénérale

I.ŒuvresdeHusserl

II.Littératuresecondaire

Lesauteurs

Collection

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Préface«Lasciencedesphénomènes»

AntoineGrandjean&LaurentPerreau

Le premier livre des Idées directrices pour une phénoménologie pure et une philosophiephénoménologiquequ’EdmundHusserlpublieen1913constitue lepremierexposé systématiquede laphénoménologietranscendantale.AveclesMéditationsCartésiennesde1929etLaCrisedesscienceseuropéennesetlaphénoménologietranscendantalede1936,cetexteouvreunevoied’accèsprivilégiéeàl’ensembledesonœuvre.

C’estàtroiségardsaumoinsquecetouvragepeutêtreconsidérécommefondateur.D’une part, Husserl y définit la problématique fondamentale qui n’aura cessé d’animer la

phénoménologie : la critique de toute forme de connaissance, qu’une « science des “phénomènes” »1devaitmeneràbonterme,enconférantdesurcroîtà laphilosophie lerangde«sciencerigoureuse»2.Cette « science des “phénomènes” » devait se réaliser sous la forme d’une analyse descriptive eteidétique des actes de la conscience intentionnelle, ainsi que des structures de la subjectivitétranscendantale.

D’autre part, Husserl expose dans ces Ideen laméthodologie de la pratique phénoménologique,laquellerésidedansunesériede«réductions»,parfoisdésignéessousletitregénéraldela«réductionphénoménologique»3. La première de ces réductions procède de l’épokhè transcendantale, qui a pourfonctionderévélerlasubjectivitétranscendantalecommetelle,ensuspendantlesprestigesdel’attitudenaturelle. La seconde est celle de la réduction eidétique, qui procure l’intuition de l’« essence » desvécusdeconscienceconsidérés.

Enfin, ce premier livre des Ideen constitue un véritable programme de recherche assigné à unediscipline nouvelle, parvenue à maturité. Il rassemble, sur des thématiques diverses et variées, lesrésultatsd’analysesdéjàengagées,quedestravauxultérieursontvocationàprolonger.Ilouvrelavoieàune ambitieuse « refondation » des sciences empiriques. Il réaffirme la nécessité d’un certainrationalisme,toutàlafoisthéoriqueetéthique.

Cequis’offreànous,c’estdoncunephénoménologiepleinementlégitiméedanssonprojet,celuiquiconsiste à restituer à la subjectivité la part qui lui revient dans la genèse et le déroulement de touteexpérience,celuiensommed’unethéoriedelaconstitutiontranscendantaledetouteexpérience.

*

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Cette œuvre de maturité est le fruit d’une longue genèse, dont l’origine est à situer dans lesRecherches Logiques de 19014. Comme on le sait, la parution ces Recherches constitue l’acte denaissance véritable de la phénoménologie.Husserl lui-même, dans la préface à la seconde édition de1913,qualifiaitcesRecherchesd’«œuvredepercée»(WerkdesDurchbruchs)5.Àsesyeux,ilyétaitparvenu à surmonter un ensemble de problèmes logiques-mathématiques et gnoséologiques qui lepréoccupaientdepuisladissertationd’habilitationde1887intituléeSurleconceptdenombre.Analysespsychologiques, reprise sans changements notables quelques années plus tard dans laPhilosophie del’arithmétique (1891)6. En effet, ces Recherches Logiques se présentaient comme une contributiondécisive à une « logique pure », c’est-à-dire à l’élucidation des concepts fondamentaux de la logiquecomprisecommedoctrinedelascience.Aprèsunesériedetravauxpréparatoiresconsacrésauxthéoriesdelasignification,del’abstraction,destoutsetdespartiesetdelagrammairelogique(oumorphologiede la signification),Husserl exposait, dans la cinquième de cesRecherches, une théorie des actes deconscience compris comme vécus intentionnels. Il définissait ainsi le domaine d’objet d’une nouvellediscipline,laphénoménologie,encorecomprisecommeuneformede«psychologiedescriptive»,bienqued’unnouveaugenre.Ilesquissaitensuite,aucoursdelasixièmeRecherche,lesgrandeslignesd’uneélucidationphénoménologiquedelaconnaissance.

Mais il ne s’agissait là que d’un commencement, qui décidait bien de la naissance de laphénoménologiecommeétudedescriptivedesvécusdelaconscienceintentionnelle,maisnonencoredesadéfinitionultimecomme idéalisme transcendantal,manifestedans les Ideende 1913 et pleinementassuméedanslesMéditationsCartésiennesde19297.

Dans la période qui court de 1901 à 1913, Husserl n’aura cessé d’œuvrer à une critique desdifférentesformesdeconnaissance,critiquequidevaitleconduireàdépasserledomainedela«logiquepure»encorefréquentéparlesRecherchesLogiques8.C’estbienceprojetd’unenouvellethéoriedelaconnaissance,plusencorequelesdifficultésoularéceptiondesRecherchesLogiques,quianiment lesinvestigations husserliennes de cette période.Or cette ambition devait conduireHusserl à s’interrogerplus radicalement sur la naturemême de l’expérience phénoménologique, ainsi que sur sesmodalitésd’accès.Lamutationquiseproduitentre1901et1913estainsitoutàlafoisd’ordreméthodologiqueetontologique.

Elle est d’ordreméthodologique dans lamesure oùHusserl découvre et affine progressivement ladémarchedelaréductiontranscendantale.Parcetteprocédure,Husserlaffranchitlevécudeconsciencede la réalité empirique du sujet et de la chose transcendante : il ne considère plus que le plan de«l’immanence»duvécu9.Àpartirde1906/1907,ilinclutenoutrelepôledel’objettranscendantauseinmême de cette immanence : c’est cette innovation décisive qui légitime la considération, proprementtranscendantale,delaconstitutionsubjectivedel’objetparlesujet10.EllepermetàHusserldedéfinirledomaine propre de la phénoménologie comme analyses des « phénomènes » (de ce qui apparaît à laconscience),c’est-à-diredesdifférentesmodalitésdelacorrélationintentionnelledusujetetdel’objet.En avril-mai 1907, cinq conférences portant sur « L’idée de la phénoménologie » livrent un exposésynthétiqueetconcisdecespremiersacquisetabordentle«conceptnatureldemonde».Cettepremièrecaractérisationdecequideviendra«l’attitudenaturelle»trouveunremarquableprolongementdanslecoursd’octobre1910intitulélesProblèmesfondamentauxdelaphénoménologie11.

Surunplanproprementontologique,Husserlaurad’abordassumé,danslesRecherchesLogiques,uncertain réalisme, dans la mesure où le vécu de conscience était alors considéré au seul titre de faitempirique.Maisprogressivement,contrecettepremièreoption,Husserlaréaffirmé,puisradicalisé,uneposition idéaliste.Celle-ciconsiste toutd’aborddans l’affirmationde la relativitéde l’objectivitéparrapportà l’activité intentionnellesubjective.Elle résideaussidans la thèse,proprementmétaphysique,selonlaquellel’étantdoitsonêtremêmeàlasubjectivité.AinsiHusserlenest-ilvenuàconsidérerque

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la subjectivité intentionnelle recélait « la totalité de l’être absolu12 ». Il conférait ainsi à laphénoménologiesadéfinitioncanonique,souslaformed’unidéalismetranscendantal.

*

Cettedéfinitiondelaphénoménologierépondàunprojetbienprécis,dontlareformulation,danslaPostfacede1929auxIdeen,estl’occasionpourHusserlderéinscriresonentrepriseauseindel’histoiredelaphilosophie:

MesIdéesdirectricespourunephénoménologiepureetunephilosophiephénoménologique,dontseullepremiervolumeestparu,tentent,souslenomdephénoménologiepureouencoretranscendantale,lafondationd’unesciencenouvelle,quoiquepréparéepar le cours tout entier du développement philosophique depuisDescartes, et relative à un champ d’expériencenouveau qui lui estexclusivementpropre,celuidela«subjectivitétranscendantale»13.

1.Dèsl’IntroductiondupremierlivredesIdeen,Husserlsouligneque«laphénoménologiepure»est«unescienceessentiellementnouvelle»14.Ellel’estdanssaforme,nousleverrons.Maisellel’estavant tout de par sa matière, dont l’invention revient précisément à la science en question. Laphénoménologien’estpasunenouvellemanièredetraiterdecequilaprécèderaitautitrededonné.Lanouveautéphénoménologiqueestd’abordcelledesonthème,dontlecaractèrededonnéeneprécèdepassonélucidationscientifique:«cechampinfinidel’aprioridelaconscience,auquelonn’ajamaisfaitdroitdanscequ’iladepropre,quin’amêmejamaisétéproprementvu,ilconvientdeledéfricher»15.D’oùuneévènementialitéoufactualitéradicaledelaphénoménologie,quiseulepeutaccomplirlegestefaisantparaîtresonchampthématique,enmêmetempsqueseull’advenirdecechampsemblelégitimer(ettoutàlafoisnormer)unerecherchescientifiqueàsonégard.Husserlinsisted’ailleurssurl’inconfortqueproduit le caractère inouïdecette science, cequi justifieque toutunchapitre soit consacréàdes« considérations préliminaires de méthode » (§§ 63-75) : l’exigence de radicalité et d’absence deprésupposé exclut précisément l’adoption préalable d’une méthode déterminée, et fonde une manièred’aristotélismeméthodologiquequicommandederéglerlemodedethématisationsurlemoded’êtreduthèmeinspecté16.

2. Cette innovation radicale se présente pourtant comme « la secrète aspiration de toute laphilosophiemoderne»17.Ce projet constitutif de lamodernité philosophique, et dontDescartes est lenom,comportedeuxvolets:1)l’exigenced’unescientificitéaccomplieet2)ladécouvertedel’uniquelieuquipermetted’ysatisfaire,quiestlasubjectivité.Descartesestceluiqui,remettantentrainl’idéalde laphilosophiecommesciencerigoureuse,et rigoureuseparcequefondéedemanièreultimeetsansaucunprésupposé,renouvellecetteidéedéjàplatonicienne18enidentifiantlelieudelacertitudeabsoluerequise,àsavoirlejepense.DescartesestunPlatonquisauraitenfinoùcherchercequ’ilcherche:dansla subjectivité19. Ce qui fait de lui « le génie fondateur originel de la philosophiemoderne dans sonensemble»20,les«tempsmodernes»étantdoncceuxdanslesquelsildevientpossible,envertudecetteorientationsubjective,desatisfaireà l’exigencequidéfinit laphilosophiecommetelle.C’estpourquoi«cen’estpasseulementlecaractèrefondamentaldelaphilosophiemoderne,maisaussiceluidetoutephilosophiefuture,quiestparlàdéterminéàpartirdeDescartes21».

3.S’ils’agitd’accompliruneintentionquiprécède,cetaccomplissementadvientdansladécouverteetlathématisationd’unchampd’expérienceproprementinouï,lasubjectivitétranscendantale.Eneffet,laphénoménologieprétenddécouvrirenpremierlieucedontavaitbesoinleprojetphilosophiquemoderne,et que ce projet n’avait cessé de s’obstiner à manquer. D’où ce mixte de téléologie historique et deradicaleévènementialité :Husserl seprésentecomme l’initiateurd’unnouveau régimedescientificité,

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toutenaffirmantquecettenouveautéradicaleestcequ’attendaittoutlepassé.Etlaphénoménologieestcapablederendrecomptedecetteconjonctiond’inéditiontotaleetd’aspirationquasiimmémoriale,encequ’elle rend raisondu retardavec lequelelleestadvenue.L’inventionphénoménologiquesupposequesoitdestituée«cetteattitudedel’existencehumainenaturellequi,nonpasdemanièrecontingentemaisparessence,esttoujourslapremière,cetteattitudequi,danstoutel’histoiredecetteexistence,danslaviecomme la science, n’avait jamais été interrompue »22 ; mieux, la première se confond avec cettedestitution. Cette attitude est celle dans laquelle jeme vis comme intégralement réceptif à l’égard del’étant,dont lacaractéristiquepremière serait l’immédiatetéde sadonation,à laquelle jeneprendraisaucune part23 : « j’ai conscience du monde comme immédiatement présent-là <unmittelbarvorhandene>»24,etl’effectifapourmoilesensdel’accueilli25.Attitudeaussinaïvequ’elleestnaturelle,puisqu’elleconstituequelquechosecommeunecontradictionphénoménologiqueperformative:l’attitudenaturelleestunethèse26,àsavoircelleducaractèrenonthétiquedusensd’êtredel’étant;elleconsisteàposerlesensdumondecommenonposé,etsoncaractèreauto-contradictoirepeutluidemeurercaché,parce qu’elle est un acte non thématique27, ou encore une « validation muette »28. Attitude dont ladésactivation seule peut dumême coup faire paraître la nature d’attitude : déposer l’attitude naturelledonneàvoirquelesensdenon-posédumondeestlui-mêmel’objetd’uneposition,etouvrelavoiedeladécouvertedececi,que tout sensd’êtreestposépar la conscience,dont le sensd’êtrene saurait êtreidentique à celui qui procède d’elle, et dont la vie pourra alors être saisie comme celle d’une«subjectivitétranscendantale».

Husserl explique qu’il use ici de « l’ancienne expression, mais avec un sens nouveau », en tantqu’elle désigne le « lieu originaire de toute donation de sens et de toute avération d’être<Seinsbewährung>»29.L’adjectifconsacred’abordlanatureconstituantedelasubjectivitéenquestion:«letranscendantalismedit:lesensd’êtredumondedelavieprédonnéestuneformationsubjective30»;ouencore:êtrepourmoi,c’estêtreparmoi31,entantque«touteslesunitésré-elles<realen>sontdes“unitésdesens”»,c’est-à-direquelquechosequisedonneàetdansunevisée32,desorteque«desunitésdesensprésupposentuneconsciencedonatricedesens»33.

Pourquoi,toutefois,réemployerl’expression«ancienne»?D’aprèslesIdeenI,c’estlaféconditédela thématisation de cette subjectivité en matière de théorie de la connaissance qui le légitime34.L’appellationtranscendantaledelasubjectivitéphénoménologiqueestd’unecertainemanièrelacontre-partiedesoninsertiondansleprojetphilosophiquedelamodernité.Letermeestchoisipourqualifierunesubjectivitéquiestlasourceoriginaireàlaquellepuiserlasolutionduproblèmedelaconnaissancedutranscendant,insolubletantqu’ilestpensécommeunerelationentrechoses.Solutionquiestd’ailleursd’une certainemanièreune annulation, puisquedès lors que toute transcendance est une transcendancedans l’immanence intentionnelle, laquestionn’estplusdecomprendrecomment laconsciencepourraitbiensortird’elle-même.

Enquoil’expressionanciennereçoit-elletoutefois«unsensnouveau»?Letranscendantalausensphénoménologique est d’abordun transcendantal en un sens extrêmement large, puisqu’il n’est pascantonnéàcequirendpossibleuneconnaissanceapriori,maisqualifieladimensionconstituantedelasubjectivité pure tout entière.Aussi bien, en tant que concept doctrinal, le transcendantal s’applique àtoutephilosophiequi reconduit lemondeausolsubjectifduquelseul il tiresonsens35,c’est-à-dire,aufond,àtoutephilosophieauthentiquementmoderne.Maisletranscendantalausensphénoménologiqueestaussiunautretranscendantal,ouencoreuntranscendantalenunsenstoutàfaitparticulier.Ilnedésigneenaucuncasuncertainnombredeconditionsdepossibilitédel’expériencequiseraientparlàmême soustraites à elle, et simplement reconstruites par la discursivité philosophique. La subjectivitéconstituante est au contraire un champ d’expérience privilégié, quoique retiré à qui demeure dansl’attitude naturelle36. L’élargissement du concept kantien de transcendantal est donc son altération

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assumée, puisqu’il s’appliquedésormais à « uneunité intuitive concrète »37, objet d’une « expériencetranscendantale»quiconstituerait,enbonkantisme,leplusstrictdesoxymores.

*

La phénoménologie husserlienne des Ideen se présente donc comme une science radicalementnouvelle, qui permet d’accomplir le sens natif de la philosophie depuis les Grecs, sens infléchidécisivement parDescartes en direction de son accomplissement subjectif, parce qu’elle découvre unchampd’expérience jamaismisau jouravantelle : la subjectivité transcendantale.Envertudecequenous appelions l’aristotélisme méthodologique de Husserl, il est toutefois clair que la science d’unnouveauchampd’expériencenepeutqu’incarneruneformenouvelledescientificité,celle-làmêmequelepremierrequiert,ensaspécificité.C’estsurcepointqu’ilconvientmaintenantd’insister,enexplicitantcetintituléd’«Idéespourunephénoménologiepureetunephilosophiephénoménologique».

1.La«scienceessentiellementnouvelle»,dontlesIdeenIrevendiquentlafondation,est«sciencedes“phénomènes”<“Phänomenen”>38».Étrangenouveautéquecelled’unesciencesemblanttraiterdece qui constitue aussi bien l’objet d’un très grand nombre de disciplines constituées.Mais nouveautéessentielle tout de même, dont les guillemets encadrant le terme de « phénomènes » constituentprécisément la marque39. La nouveauté essentielle de la phénoménologie est en effet corrélative del’invention d’un sens de phénoménalité essentiellement nouveau : les “phénomènes” de laphénoménologie ne sont pas les « “apparitions” <“Erscheinungen”> ou phénomènes » psychiques,physiquesouhistoriquesdontpeuvent traiter lapsychologie, la sciencede lanatureet l’histoire,etcequoique ces dernières puissent bien, sous condition d’une « modification » insigne de leur sens,ressortiràlapremière.

Premier paradoxe apparent que cette phénoménalité qui n’est précisément pas donnée d’emblée, àlaquelle ilconvientbienplutôtd’accéder,etceà la faveurdecequin’est riendemoinsqu’«un typed’attitude entièrement modifié40 ». La fidélité aux choses mêmes41, qui fait le mot d’ordre de laphénoménologie,n’adoncriend’unsimpleenregistrementdecequisedonnecommeétant.Aussibienlatâchedupremier livredes Ideen sera-t-elled’abordd’écarter lesobstaclesquibarrent« l’accèsàcenouveaumonde»,augréd’unerévolutionduregard,susceptibled’ouvrir«sousnosyeux»unchampinouïd’expérience,quel’onpourraseulementalorss’employerà«voir,distinguer,décrire42».

Eneffet,etlepremierparadoxeapparents’augmenteencored’unsecond,les«phénomènes»delaphénoménologie sont des « irré-alités43 ».Non qu’ilsmanquent d’effectivité (Wirklichkeit), puisqu’ilssontprécisémentlelieudel’uniqueévidenceapodictique.Maisparcequ’ilssontétrangersaudomainedeschoses(res)existantesdanslemonde(définicomme«omnitudorealitatis»),lamodificationquilesfaitadvenirauregardtenantprécisémentdansladésactivationdelavalidation,diversementmodalisée,de leur existencemondainepar la conscience.Dit autrement, les “phénomènes” de la phénoménologiesontlesphénomènes«transcendantalementréduits»àunapparaîtreàetdansunevisée.

Ledomained’objetdelasciencenouvelleestdoncouvertparcequeHusserlnommela«réductionphénoménologique».DanslesIdeenI,cettedernièreestidentifiéeàl’épokhè,c’est-à-direàlamisehorscircuitdel’attitudenaturelleàlaconscienceetdelathèsegénéralequ’elleimpliqueconcernantlesensd’existencedumondain44.EnintroduisantunedistinctionquinesetrouvepastoujoursclairementsouslaplumedeHusserl,onpeuttoutefoispréciserquecetteépokhè,commesuspensiondela thèsenaturelle,n’estqu’unmomentdelaréductionpriseensontout,àsavoirlemomentnégatifquirendpossiblesafacepositive. Elle permet de réduire à son apparaître pour la conscience ce que l’attitude naturelle posecommeétantdonné,ouvrantainsilavoieàlamanifestationdelaconstitutionsubjectivedecetapparaître,c’est-à-diredeladimensiontranscendantaledelasubjectivité.

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On voit que les phénomènes de la phénoménologie ne sont pas des « ré-alités », c’est-à-dire deschosesviséescommeexistantes,maiscequiestconsidéréseulemententantqueviséparlaconscience,ainsi que cette visée à laquelle et dans laquelle cela se donne. Ainsi ne sont-ils pas non plus des«apparitions»ou«manifestations»(Erscheinungen),puisqueHusserlentendd’abordparlàleproprede la chosematérielle, qui sedonne toujoursdemanière seulementunilatérale, s’esquissant dans unesérie indéfinie demanifestations ou apparitions irréductiblement inadéquates, inadéquation qui affecteaussi bien, en dernière instance, l’ensemble des ré-alités, en tant qu’elles sont toutes fondées sur leurespècematérielle.Lesphénomènesde laphénoménologieontquantàeux leprivilègede l’adéquation,puisqu’ilsrelèventd’unvécudontlemodededonationn’estprécisémentpasl’esquisse.N’étantpasdes«ré-alités»,ilsnesauraientêtredes«apparitions»,puisquecesdernièresdésignentprécisémentletypederé-alité(matérielle)quiestfondamentaleuégardàlasphèrechosiqueengénéral.

Silesphénomènesdelaphénoménologienesontpasdesapparitions,ilfauttoutefoisbienvoirqueles secondes appartiennent cependant, sous condition demodification réductive, aux premiers. Car laréductionnedélaissepasunthèmepourunautre.Ellechangelesigneduthèmeinitial(maintenuentantque phénomène pour la conscience), enrichissant ainsi ce thème de sa qualité (elle fait paraître laphénoménalité du phénomène) en même temps qu’elle lui ajoute un nouveau champ thématique, laconscience comme lieu originaire de toute phénoménalité. La réduction au phénomène libère donc laphénoménalitéduphénomèneetlatranscendantalitédelasubjectivité.Entantqueréductionà,ellen’estpasuneamputation,maisunemanifestationouunemonstrationcomme,unfaireparaîtreentantque,consistantdansunecommutationquiestunedoubleaugmentation(laphénoménalitédesphénomèness’ymanifesteelle-même,enmêmetempsqu’apparaîtlechampdelaconscienceconstituante).Suspendrelavalidationduvisécommeexistantn’estpassuspendre leviséco-impliquéen toutvécudeconscience,maisbienplutôt le faireparaîtrecommetel.Mettreentreparenthèsesn’estpasgommer,maisaffecterd’unindicedephénoménalité45.C’estpourquoilesapparitionsmodifiées,c’est-à-direréduitesaurangde«phénomènes»,simplementconsidéréesdansleurdimensiond’apparaître,deviennentdesobjetsdelaphénoménologie.

Comme«sciencedes“phénomènes”», laphénoménologieestdonc lasciencede l’apparaîtreà laconscience, considéré simplement en tant qu’apparaître à la conscience. Plus précisément encore, laphénoménologiepureàlaquelleils’agiticid’introduiredoitêtresaisiecommeune«théorieeidétiquedescriptivedesvécustranscendantalementpurs46».

2.Commelalogiquepure,lamathématiquepure,lathéoriepuredutemps,del’espace,ouencoredumouvement47, la phénoménologie n’est pas une science de faits, c’est-à-dire de choses considérées enleurparticularité,dontlethèmeseraitunoudesindividu(s)donné(s)dansleurexistenceempiriquehicetnunc.Laphénoménologieestunesciencequiporte surdesessences,ouencoreunescienceeidétique,c’est-à-direunescienceconcernant:1)cequiconstituel’identitémêmedufaitenquestion,sonquid,cesansquoiilnesauraitêtrecequ’ilest,etquiembrasseautantdeprédicatsessentielsquinepeuventpasnepasluiappartenir,etsurlabasedesquelsseulsilpeutrecevoiruncertainnombrededéterminationsparticularisantessecondaires482)cequi,pouvantêtredéclinéendiversesindividualitésdifférantlesunesdesautresquantàcesdéterminationssecondaires,estcommunàlaclassed’individusàl’égarddesquelscetteessencejouelerôled’espèce493)cequiestdumêmecoupprescriptifàl’égarddesindividualités,desortequel’essenceaunsensnormatifetdessineunelégalité50,prescriptioneidétiqueextensive51quigarantitauxsciencesquien traitentunrôledefondementdans l’édificedusavoir(etnousverronsquel’eidétiquephénoménologiqueprécèdeenquelquesortetouteslesautres).

La caractérisation de la phénoménologie pure comme science eidétique repose donc surl’antinominalisme husserlien, qui tient que l’identité essentielle spécifique des individus n’est pas unsimpleeffetde langage,maisunauthentiquecontenuquipeutetdoitêtredonnéau regardscientifique.

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Antinominalisme idéaliste et non réaliste toutefois52, car si les essences ne sont pas du monde, danslequelelless’instancient,l’unicitédecedernierexclutqu’ellespuissentêtrelogéesenaucunlieu53.Leurhétérogénéité ontologique à l’égard des faits ne fonde aucune hétérotopie, et les essences ne sont àcherchernulleparailleursquedanscetteincarnationfactuellequinesaurait lesépuiser.Aussibiennepeut-on saisir d’emblée l’essence « toute nue », mais seulement la rejoindre depuis l’intuition del’individu54, au gré de la méthode dite de « variation55 », à l’issue de laquelle devient possiblel’«idéation»(Ideation),c’est-à-dire«lavisiond’essence»(Wesensschauung).Ils’agitdefairevarierautantquepossiblelareprésentation,pourrepérerlesvariationsquin’ensontplus,parcequ’ellessontdesaltérations,etcellesquiensontvraiment,parcequ’ellesn’entamentpasl’identitédel’objet,etainsifairesaillircelle-ci.Laprécédenceméthodiquedufaitsurl’essencequilefondeimpliquedoncquecettedernièren’advientqu’àl’horizond’uneréductiondufaitàelle,réductioneidétiqueàlaquelledoitdoncprocéderlaphénoménologie,dèslorsqu’elleentendêtrenonunesciencedesfaitsdeconscience,maisla«doctrineeidétiquedelaconsciencetranscendantalementpurifiée56».

3. La phénoménologie pure n’est pas une eidétique formelle, comme le sont les disciplinesconstitutivesdecequeHusserlnomme«mathesisuniversalis », qui comprend la logique formelle etl’ontologieformelle,etquiéquivautà«lalogiquepuredanssapleineextension»,«scienceeidétiquedel’objetengénéral»,c’est-à-diredetout«quelquechose–danslamesureoùildoitengénéralpouvoirêtreunquelquechose»,qui analyse les constituants et formule les loisde l’objectité engénéral57. Laphénoménologie est une eidétiquedes vécus, terme qui désigne tout évènement de conscience58, doncl’eidétiqued’une«région»del’être,qu’ellespécifieensoncontenupropreouensamatière59:larégionconscience,dontellemontreprécisémentqu’ellen’estenrienunerégionparmid’autres,maislarégionoriginaireauseinde laquelle toute régionpeutveniràêtreconstituée.Car,nous l’avonsvu, lesvécusdonttraitelaphénoménologiesontdesvécus«purs»,considérésabstractionfaitedetoutepositiond’unmonde60, ce qui les distingue essentiellement des vécus psychiques, qui n’ont de sens que comme des«étatsd’âme»,propriétésd’unsujetpsychiquequilui-mêmeeststrictementsolidaired’uneincarnation,etdoncd’unemondanéité.Larégiondesvécuspursn’estpasunerégiondumonde,maissonorigine.

4. L’exigence philosophique de radicalité, c’est-à-dire d’une absence intégrale de présupposé,interditnotammentd’adopteruneméthodeprédéterminéed’accèsauxphénomènes,etfondecequenousappelionsunaristotélismeméthodologique : lemodede thématisationphénoménologiquedoitprocéderdumoded’êtredesonthème,envertudequoiuneeidétiquedesvécusestnécessairementuneeidétiquedescriptive, et non déductive, de ces derniers61. La phénoménologie se distingue donc essentiellementd’unautretyped’eidétiquematérielle,tellequelagéométrieparexemple.

Le géomètre, en effet, ne cherche pas à saisir les différences eidétiques ultimes, à décrire et àordonnerenclasseslesformesspatialesinnombrables.Àl’aidededéfinitionsetd’axiomes,ilentreprenddedériverdemanièredéductivelesrèglesgouvernantl’engendrementdesdiversesformespossibles,etlesloisquilesrégissent,letoutdansuneconceptualitéquidétermineexactementlesobjetsconcernés,desortequelagéométriepeutcirconscriredemanièretotale,exacteetstrictementdéductive sondomained’objectivité, dont toute indétermination pourra être exclue, et qui sera ainsi nommé « multiplicitédéfinie »62. Cette « définité <Definitheit> » présuppose que la région considérée se prête à uneconceptualité exacte63, ce qui à son tour exige que les essences à conceptualiser soient elles-mêmesexactes.

Or tel n’est pas le cas des vécus, dont la temporalité implique la dimension de flux, et de fluxmultidimensionnel64.Lesessencesphénoménologiquessontdesessencesfluentes,etlaphénoménologieveutlessaisirtellesqu’ellessedonnent,avecleurindéterminationpropre,quiestprécisémentuntraitconstitutif de l’invariant à chaque fois recherché. On pourrait, dans un premier temps, comparer la

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situationduphénoménologueàcelledunaturaliste(toutenayantà l’espritque lepremier travaillesurdesessencesetsurduvécu,quandlesecondtravaillesurdesfaitsetsurduré-el).Lenaturaliste,eneffet,n’apasaffaireàdescercles,trianglesoucarrés.Ilaaffaireàdesformestypiquesmaisinexactes,quisont adéquatement saisies dans des concepts morphologiques inexacts, du type « dentelé », « enombelle»,etc.65.Pour lenaturalistecommepour lephénoménologue, l’inexactitudeestdoncadéquate.Mais, dans un second temps, il faut dire que l’indétermination est constitutive du champphénoménologiquedemanièreplusradicaleencore.Car,concernantlesré-alitésnaturelles,unprocédéestpossible,quitendàfairedesformesexacteslalimiteidéaleverslaquelletendentlesformesinexactes(touteslesformesvaguementcirculairespouvantêtrecomprisescommedesapproximationsducercle),processusqueHusserlnomme«idéalisation»ou«idéation»(letermenedésignantplusl’intuitiondesessences, mais la substitution, à titre d’idéal, d’une essence exacte à une essence inexacte). Lamathématisationdelanatureparlaphysiquegaliléenneretourned’ailleursd’unecertainemanièrecetteidéalisation(tensionversunidéalexactdepuisdusimplementmorphologique),etHusserlparlealorsde«substruction»,pourdésignerleprocessusquifaitdel’idéalgéométriquelavéritéduphénomènelui-même,etquisubstituecelui-lààcelui-ci66.Orcette idéalisation,etplusencore la substructionqu’elleautoriserait ensuite, sont impossibles pour le phénoménologue, de sorte que l’inexactitude de saconceptualiténesauraitjamaisêtreconsidéréecommeunsimplerésidu.

L’adéquat,enmatièredevécu,c’estdoncirréductiblementl’inexact.L’inexactituden’estpasl’autrede la scientificité, mais le propre d’une science essentiellement descriptive, telle que l’est laphénoménologie.Cetteimpossibilitédel’exactitudeexigeraseulement,pournepasverserdansleflou,qui serait une figure non scientifique de l’indétermination, un effort d’univocité dans la déterminationconceptuelledesessences67.Laconceptualitéphénoménologiqueestdoncinexactemaisunivoque,etence sens rigoureuse. D’où une position singulière : la phénoménologie est une eidétique (matérielle),commelagéométrie,paroppositionàtoutesciencedefait.Maisellepartageaveccertainessciencesdefait (par exemple la science descriptive de la nature), et à la différence des autres eidétiques, leurcaractèredescriptif.Laphénoménologieopèrelaconjonctioninsignedel’essentiel,c’est-à-direduméta-factuel,etdudescriptif.Spécificitéquiimposeunrefusdetouteportéenormativedelamathématicitéenmatièredescientificité68 : contre toute« tentativevouée à l’échecd’établir quelquechose commeunemathématique des phénomènes69 », il faut tenir ferme que la phénoménologie ne saurait être « une“géométrie”desvécus»70,etquec’estprécisémentsascientificitéquil’exige.

5.Distinguerdela«phénoménologie»une«philosophiephénoménologique»,commelefaitletitrecomplet de l’ouvrage, suppose deux choses. D’abord qu’il peut y avoir des philosophies non-phénoménologiques, c’est-à-dire que la philosophie est d’extensionplus large que la phénoménologie.C’est un fait historique indéniable, qui ne doit toutefois pas masquer ceci, que dans l’expression« philosophie phénoménologique », l’épithète ne désigne pas tant une espèce de philosophie parmid’autres, dans une indifférence qualitative, que la philosophie qui se serait dotée de la méthode luipermettant de se tenir enfin à hauteur de son essence, et de réaliser ce qui définit son aspirationfondamentaledepuisPlaton.Ensuiteque«phénoménologie» et «philosophiephénoménologique»nesonttoutefoispassynonymes,etdoncqueletermede«philosophie»ditautrechoseetplusquelesimpletermede«phénoménologie».

Eneffet,laphilosophiepeutêtrecaractériséed’aprèsHusserlcommeuncorpsdeconceptsdisposésen un système, dont la fonction est d’abord de fondation radicale de l’édifice des sciences. Laphilosophie, conformément à son concept, et au sens le plus large, est donc d’une certaine manièrel’édifice total de la scientificité saisi en sa fondation absolue, et exemplairement ce momentfondationnel, que l’on nomme « philosophie première ».Or ce corps doctrinal ne saurait précéder etnormerlaphénoménologie,puisquecettedernièredoit,sansprésupposerlavaliditéd’aucunetradition,

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permettre de le fonder en première instance, et ce en tant qu’elle arpente le champ transcendantal quifonde tout apparaître, etdoncaussibien tout apparaîtred’objet engénéralque l’apparaîtred’objetdetelleoutellerégion,cepartagerégionaldel’apparaîtreétantcesurquoi toutescienceparticulièrefaitfond.C’estd’ailleursaulivreIIIdesIdeen,teldumoinsqueHusserlenad’abordconçuleprojet,queseraitrevenuelatâched’exposerunetelle«idéedelaphilosophie71».

Laphénoménologieestpremièreeuégardàtoutephilosophie:elleestcettesciencepremière,dontlaprimautéradicaleexclutqu’ellerelèvemêmeproprementdelaphilosophie,maisquiestfondatricedetoute philosophie véritable, c’est-à-dire de cette discipline rationnelle qui elle-même fonde l’édificegénéral des sciences. La « phénoménologie pure », qui est « la science fondamentale de laphilosophie72»,peutalors,à la limite, recevoir,parunemanièredesynecdoque, lenomdecequ’ellefonde, et revendiquer le statut de « philosophie première73 ». En tout état de cause, qu’elle soitcaractériséecommepremièreeuégardà toutephilosophieoucommephilosophiepremière, ilestclairque la phénoménologie n’en doit présupposer aucune, et que l’épokhè qu’elle doit principiellementaccomplirn’estautrequ’une«épokhèphilosophique74».

6.Le titre indiquequ’il s’agit seulementdedisposer lespremièrespierresd’unédificeàachever,c’est-à-dire, d’une certaine manière, de livrer une introduction à la phénoménologie. Non pas qu’ils’agisse de prolégomènes non-phénoménologiques à une phénoménologie future. L’introduction à laphénoménologie est une introduction elle-même phénoménologique, et donc d’emblée une introductiondans la phénoménologie75. Mais l’ouvrage revendique son ouverture, qui est d’abord problématique,puisqu’il s’agit d’accéder à un domaine aussi inouï que fondamental, et de circonscrire de manièrescientifiquementdéfinitivelesproblèmesqu’ilpose,sansprétendreencoredévelopperleursolution.Ces«idéespourunephénoménologie»recèlentavanttoutuneélaborationscientifiqueduphénoménologiquecommeproblème,unemiseenplacerigoureusedesproblèmesphénoménologiques,etuneesquissedesdirectionsàsuivrepourlestraiterphénoménologiquement76.LelivreI,quialestatutd’une«Introductiongénérale»,estbiensûrl’unedesmeilleuresvoied’entréedanscette«sciencedes“phénomènes”».

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En1913,lepremierlivredesIdéesdirectricespourunephénoménologiepureetunephilosophiephénoménologiqueparutdansleJahrbuch fürPhilosophieundPhänomenologischeForschung.Cettepremièreéditionafaitl’objetdedeuxrééditionsduvivantdeHusserl,en1922eten1928.

IlrevientàWalterBiemeld’avoirlivrélatoutepremièreéditioncritiquedutexte,en1950,danslasériedesHusserliana–EdmundHusserlGesammelteWerke,lesœuvrescomplètesdeHusserldontlesArchivesHusserl deLouvain assurent ladirection scientifique.Cette édition a ensuite été remaniée etcomplétéeen1976parKarlSchuhmann.Cedernierprésentealors le texteoriginaldeHusserl, revuetcorrigé,dansleHusserlianaIII/1.Untomeannexe,leHusserlianaIII/2,recueilleuneimportantesériedetextescomplémentaires:desannotationsmanuscritesdeHusserldirectementconsignéessurl’éditionoriginale,desmanuscritspréparatoiresdatantde1912,desnotes rédigéesparHusserlà l’occasiondediverses relecturesouencore,en1929,envueduprojetd’une traductionen langueanglaisedes IdéesdirectricesquiseramenéeàbienparWilliamR.BoyceGibson.

Cettemêmeannée,Husserl rédige égalementunepréface à l’édition anglaisequi paraîtra en1930dans le tome XI du Jahrbuch für Philosophie und Phänomenologische Forschung sous le titre deNachwort zu meinen Ideen zu einer reinen Phänomenologie77, texte qui est donc désormais connucommeétantla«postface»deHusserlauxIdéesdirectricesde1913.

LeHusserlianaIIIestcomplétédesHusserlianaIVetVquiprésententleslivresIIetIIIdesIdéesdirectrices…Eneffet,l’ambitionoriginelledesIdéesdirectrices…,tellequel’exposel’introductionau

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livre I, était triple.Le livre I, dont l’ambition avouée était essentiellement de nature propédeutique etméthodologique, devait exposer la « théorie généraledes réductionsphénoménologiques».Le livre IIdevait préciser les rapports de la phénoménologie aux sciences empiriques. Le livre III, enfin, devaitinitialement être consacré à l’« Idée de la philosophie » refondée à partir de la pratiquede l’analysephénoménologique78.Cedernier livrene futpasmenéàbienparHusserl,qui renverrason lecteurauxleçons de Philosophie Première (1923-1924). Ce qui nous est resté en guise de livres II et IIIcorrespondaitdoncàl’origineàunseuletmêmelivre,quidevaitengagerdesanalysesconstitutivesdontlesrésultatsdevaientnouspermettrede«fonder»l’ensembledel’édificedessciencesempiriques.Lelivre IIdes Idéesdirectrices… rassembleainsiunesériede«Recherchesphénoménologiquespour laconstitution» :Husserlydéveloppe lesanalysesconstitutivesdes régionsontologiquesde la«naturematérielle», de la«nature animale» (de l’âme) etdu«mondede l’esprit ».Cesdifférentes régionscorrespondent,respectivement,auxdomainesd’objetsdessciencesdelanature,delapsychologieetdes«sciencesdel’esprit79».LelivreIII,quiportepoursous-titre«Laphénoménologieet lesfondementsdessciences», revientsur ladistinctionentrephénoménologieetpsychologie,précise le rapportentrephénoménologieetontologieetenfinassigneàlaphénoménologielatâched’uneclarification(Klärung)desénoncésetdesconceptsdessciencesempiriques80.

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Leprésent recueil rassembleune séried’études consacrées aupremier livredes Idées directricespourunephénoménologiepureetunephilosophiephénoménologique.

Chacun des articles de ce volume examine un aspect particulier de ces Idées directrices… etcommentelespassagesdutextequiserévèlentêtrelespluspertinentssouscetteperspectivedéterminée.Lesparagraphesderéférencesont indiquésà lasuitedu titredechaquearticle.Cesmentionsontpourseule find’orienter le lecteurversdesmomentsprivilégiésdu textehusserlien,comptebien tenude lathématique choisie. Elles n’impliquent nullement que le propos du commentateur se restreigneexclusivementàlaconsidérationdesparagraphesindiqués.

Lesdifférentscontributeursdecevolumeontpuconcentrerleurattentionsurcertainsthèmesmajeursde la philosophie de Husserl, sur les moments stratégiques décisifs qui contribuèrent à donner à laphénoménologie sa figure propre. Certains articles reconsidèrent des analyses husserliennes qui, poursecondaires qu’elles puissent paraître, se révèlent souvent déterminantes à bien des égards. Notreintention n’était pas de proposer un commentaire suivi du premier livre des Idées directrices… deHusserl, mais plutôt d’opérer quelques « coups de sonde » qui, on l’espère, permettront au lecteurd’appréciertoutelarichesseettoutelasubtilitédelaphénoménologiequiseprésentedanscetouvragefondateur.Dansleurdiversité,lesarticlesduprésentrecueilcomposentainsiuneintroductionàlalecturedesIdéesdirectrices…et,au-delàdecetouvrage,àlaphénoménologietranscendantaleengénéral.

Les textes rassemblés sont issusdedifférentes journéesd’étudesqui se sont tenuesen2008-2009,lorsque le premier livre des Idéesdirectrices… deHusserl figurait au programme de l’épreuve oraled’explicationdetexteenlanguefrançaisedel’AgrégationdePhilosophie.Unepremièrejournéed’étudesfutorganisée le12 février2009parAntoineGrandjeanà l’UniversitédeNantes. Jean-ClaudeGensetPierre Rodrigo permirent la tenue d’une deuxième journée qui se tint à l’Université de Bourgogne le5mai2009.Enfin,ÉtienneBimbenetorganisaunesessiond’études le11mai2009auDépartementdePhilosophiedel’UniversitéJeanMoulin–LyonIII.

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Lesdifférentsarticlesquicomposentcevolumecitentdemanièresystématiquel’éditionscientifiquederéférenceen langueallemande,c’est-à-dire l’éditionde1976dans lacollectionHusserliana. Entrecrochets droits figure également la référence correspondante à la seule traduction en langue françaiseactuellement disponible, celle que Paul Ricœur avait fait paraître en 1950 chez Gallimard. Lacorrespondanceentre lesdeuxéditions,qui se réfèrent toutesdeuxà l’éditionoriginalede1913,aétéméthodiquementvérifiée.Jean-FrançoisLavigneprépareactuellementunenouvelletraductionenlanguefrançaisedupremierlivredesIdéesdirectrices…Aumomentoùleprésentouvrageaétécomposé,ilnenousapasétépossibledenousréféreràcettenouvelletraduction.Néanmoinslesystèmederéférenceschoisipourlesarticlesdecerecueilpermettraaulecteurderetrouver,parl’intermédiairedelaréférencecommuneauHusserlianaIII/1,lepassagecorrespondantdanslanouvelletraductionenlanguefrançaise.

1-.HuaIII/1,Introduction,p.3[IDI,p.3].Lalistecomplètedesabréviationsretenuesfigureci-après.Noustraduisonslescitations.

2-.HuaXXV[PSR].

3-.HuaIII/1,§33,p.69[IDI,p.111]:«[…]notreméthodeprendralecaractèred’uneréductionprogressive.C’estpourquoinousparleronsparfois,etmêmedepréférence,deréductionsphénoménologiques(bienque,pourindiquerleurunitéd’ensemble,nousparlionsaussidelaréductionphénoménologique)[…].»

4-.OnsereporteraàlavasteétudedeK.Schuhmann(1973),ainsiqu’auxtravauxdeJ.-F.Lavigne(2005et2009).

5-.HuaXVIII,p.8[RLI,p.XI].

6-.HuaXII[PA].

7-.HuaI,§41[MC].

8-.Dès1903/1904,Husserlaconçuleprojetd’unnouvelécritd’envergure,consacréàunethéoriephénoménologiquedelaconnaissance.Cf.:HuaIII/1,Introductiondel’éditeur,p.XVII.

9- .Cette période est celle d’unephénoménologie que Jean-FrançoisLavignenomme« immanentiste » (J.-F.Lavigne, 2005, p. 105-526).Elle estmarquéepar lesanalysesdesactesdelaperception,del’imaginationetdusouvenir.

10-.Voirsurcepointlecoursde1906/1907d’Introductionàlalogiqueetàlathéoriedelaconnaissance(HuaXXIV[ILTC])

11-.HuaXIII[PFP].

12-.HuaIII/1,§50,p.107[IDI,p.167].

13-.HuaV,Nachwort,p.141[IDIII,p.183].

14-.HuaIII/1,p.3[IDI,p.3].

15-.HuaIII/1,§63,p.135[IDI,p.209].

16-.Surcetaristotélismeméthodologique,voirHuaIII/1,§74,p.155[IDI,p.236];§76,p.161[IDI,p.246];§79,p.176[IDI,p.265sq.].

17-.HuaIII/1,§62,p.133[IDI,p.203].

18- . SelonHusserl, c’est à Platon que l’on doit « une nouvelle idée de la philosophie, comme science universelle et absolument légitimée », lui qui fut, contre lescepticisme des sophistes, « le fondateur de l’idée philosophique du vrai savoir et de l’authentique science, comme idée téléologique suprême de la connaissance »(Phänomenologische Methode und phänomenologische Philosophie (Londoner Vorträge), inHusserl Studies, 1999, 16, 3, p. 201 sq. ; trad. A. Mazzu, in Annales dephénoménologie,2003,p.163sq.).

19-.Cf.HuaI,§12,p.66[MC,p.71].

20-.HuaVI,§16,p.75[C,p.85].VoiraussiBeil.X(1936),p.425[C,p.469];HuaVII,10,p.63[PPI,p.89];HuaXVII,§93,a,p.235[LFLT,p.306].

21-.LondonerVorträge, p. 201 (trad. p. 163).Sur laquestiond’unepréparation cartésiennede la radicale innovationphénoménologique, il faut bien sûrgarder àl’espritlecaractèrerétrospectifdutextedela«Postface»,écriteàpeuprèsaumêmemomentquelesMC.Maislemotifcartésien,s’ilyestmoinsdécisif,estbienprésentdanslesIdeenI,puisquec’estluiquiyestmisenregarddel’épokhè(HuaIII/1,§31,p.62sqq.[IDI,p.97sqq.];§32,p.65[IDI,p.101].VoirdéjàHuaII,2,p.30[IP,p.52]).Descartesapparaîtenoutreau§62,commeceluidontlesconsidérationsfondamentalesabsolumentperspicacestendaientaufondàlaphénoménologie(HuaIII/1,p.133[IDI,p.203]).Ilestenfinévoquéau§46,commeceluidontlesanalysestrouveront,aveclaformulationdel’idéalismetranscendantal,leurvérité(HuaIII/1,p.99[IDI,p.153]).

22-.HuaVI,§41,p.154[C,p.172].

23-.Cf.HuaIII/1,§27,p.56sq.[IDI,p.87sqq.].

24-.HuaIII/1,§28,p.59[IDI,p.91].

25-.Cf.HuaIII/1,§30,p.61[IDI,p.95].

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26-.HuaIII/1,§30,p.60[IDI,p.94].Jean-FrançoisLavigne(2009,p.70sq.)notequeHusserlemploieletermede«Thesis»,etnonlatranscriptionallemandecourante«These»,probablementpouréviterquel’onyvoieuneaffirmationthéoriqueoudoctrinale.Leterme,quiengrecestlenomd’actioncorrespondantauverbeactiftithénaï,quisignifie«poseractivement,établircommevalide»,etqui,encontextelogique,dénoteunepropositionnon-démontréeservantdebaseàdesdéveloppements(J.-F.LavigneciteAristote,PremiersAn.,4,25b36;5,26b39;15,65b8;17,66a2;SecondsAn.,3,73a9;Topiques,VIII,5,159b10-17et6,160a6),alemérited’indiqueràlafoisladimensionpositionnelleetl’absenced’évidenceapodictique.

27-.HuaIII/1,§31,p.62[IDI,p.96].

28-.HuaVI,§40,p.152[C,p.170].

29-.HuaV,Nachwort,p.139[IDIII,p.181].

30-.HuaVI,§14,p.70[C,p.80].

31-.Cf.HuaXVII,§94,p.241[LFLT,p.314sq.];HuaI,§40,p.115[MC,p.130].

32-.Husserldéfinitle«sens<Sinn>»commecequenousavonsentête,àl’esprit,envue(«waswirimSinnhaben»).Cf.HuaIII/1,§90,p.206[IDI,p.310];HuaVI,§70,p.246[C,p.273].

33-.HuaIII/1,§55,p.120[IDI,p.183].Nousmarquonstypographiquementlaréférenceàlachose(res)contenuedanslestermesquidénotentlemoded’êtredelatranscendancemondaine (real,Realität, Irrealität), et que nous aurions pu aussi bien rendre à l’aide du décalque « réal », qui tend à s’imposer. Aucune solution n’estpleinementsatisfaisante,etl’essentielestdesavoirdequoiilestalorsquestion,enévitanttouteconfusionavecl’effectivité(Wirklichkeit)d’unepart,aveccequiappartientréellement(reel)auvécud’autrepart.

34-.HuaIII/1,§33,p.69[IDI,p.109];§97,p.228[IDI,p.340].Voiraussilapremièreversiondel’article«Phenomenology»pourl’EncyclopaediaBritannica(1927),inHuaIX,p.250.MêmesiHusserlrevendiqueletermede«transcendantal»dès1908(voirJ.-F.Lavigne,2005),c’estprécisémentlaparutiond’IdeenIquiconsacrepubliquementcestatutdelaphénoménologie.

35-.Cf.HuaVI,§26,p.100sq.[C,p.113];HuaVII,«KantunddieIdeederTranszendentalphilosophie»,p.282[PPI,p.360].

36-.Cf.HuaV,Nachwort,p.141[IDIII,p.183].

37-.HuaVII,p.282[PPI,p.360].

38-.HuaIII/1,Einleitung,p.3[IDI,p.3].LatraductionRicœurometlesguillemets,quisonticiessentiels,puisqu’ilssontlamarqued’uneirré-alisationquispécifieenproprel’objetdelaphénoménologie.

39-.Trèssouvent,etcommeHusserllenoteexplicitement(HuaIII/1,§89,p.205[IDI,p.308]),lesguillemetssontlamarquetypographiquedelaparenthèsequimaintientcequ’elleencadre,maisavecunsenspurementintentionnel.

40-.HuaIII/1,Einleitung,p.5[IDI,p.6].

41-.Cf.HuaXIX/1,Einleitung,§2,p.10[RLII-1,p.6];HuaIII/1,§19,p.41[IDI,p.63].

42-.HuaIII/1,Einleitung,p.5[IDI,p.6].

43-.HuaIII/1,p.6[IDI,p.7].

44-.Cf.HuaIII/1,§55,p.121[IDI,p.186].

45-.HuaIII/1,§76,p.159[IDI,p.243];§135,p.310[IDI,p.452].

46-.HuaIII/1,§75,p.156[IDI,p.238].

47-.Cf.HuaIII/1,§7,p.20[IDI,p.31].

48-.Cf.HuaIII/1,§2,p.12[IDI,p.17sq.].

49-.HuaIII/1,§12,p.30[IDI,p.45sq.];§75,p.156sq.[IDI,p.239].

50-.HuaIII/1,§8,p.22sq.[IDI,p.34sq.];§145,p.335[IDI,p.485].

51-.HuaIII/1,§135,p.311[IDI,p.454].

52-.Cf.HuaIII/1,§22,p.47sq.[IDI,p.72sq.].

53-.Cf.HuaXIX-1,I,p.106[RLII-1,p.116].

54-.CfHuaIII/1,§3,p.15[IDI,p.23].

55-.Voirlesanalysesdétailléesd’ErfahrungundUrteil,§87,a,p.410sq.[EJ,p.413sq.].

56-.HuaIII/1,§60,p.128[IDI,p.196].VoiraussiEinleitung,p.6[IDI,p.7sq.].

57-.HuaIII/1,§10,p.26sq.[IDI,p.40].

58-.VoirparexempleHuaXIX-1,V,§2,p.356sq.[RLII-2,p.146].

59-.Cf.HuaIII/1,§9,p.23sq.[IDI,p.35sq.].

60-.Cf.HuaIII/1,§89,p.205[IDI,p.308]:«“dans”laperceptionréduite(danslevécuphénoménologiquementpur)».

61-.HuaIII/1,§75,p.156sq.[IDI,p.238sq.].

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62-.HuaIII/1,§72,p.151sq.[IDI,p.231].VoiraussiHuaXVII,§31,p.98sq.[LFLT,p.129sq.].

63-.HuaIII/1,§73,p.154[IDI,p.235].

64-.HuaIII/1,§75,p.156sq.[IDI,p.238sq.].

65-.HuaIII/1,§74,p.154sq.[IDI,p.235sq.].

66-.HuaIII/1,§75,p.156[IDI,p.238].HusserlyreviendralonguementenHuaVI,§9,h,p.48sqq.[C,p.57sqq.].

67-.HuaIII/1,§66,p.140[IDI,p.216];§75,p.157[IDI,p.239sq.].

68-.HuaIII/1,§75,p.158[IDI,p.241].

69-.HuaIII/1,§71,p.149[IDI,p.228].

70-.HuaIII/1,§72,p.150[IDI,p.229].

71- .HuaIII/1,Einleitung, p. 7 sq.[IDI, p. 8 sq.]. Le livre III projeté n’est toutefois pas le livre III effectivement rédigé, et c’est dans le cours de 1923-1924,Philosophiepremière,qu’ilfautchercherlesélémentsd’unetelleprésentationdel’idéedelaphilosophie.

72-.HuaIII/1,Einleitung,p.3[IDI,p.3].

73-.HuaIII/1,§63,p.136[IDI,p.211].VoiraussiLondonerVorträge,p.200[trad.p.162].

74-.HuaIII/1,§18,p.39[IDI,p.61]

75-.Cf.HuaIII/1,§65,p.139[IDI,p.215].

76-.HuaIII/1,§63,p.121[IDI,p.413].Husserlnoteparailleurs,concernantlesdescriptionseidétiques,qu’ils’ytientauxélémentslesplusfaciles,àl’exclusiondesautres,commeparexempled’uneanalysepousséedelatemporalité(HuaV,Nachwort,p.142[IDIII,p.184sq.]).

77-.Cetextefitaussil’objetd’uneéditionàpart,lamêmeannée,chezM.NiemeyeràHalle.IlfutpubliéparMarlyBiemeldansleHusserlianaV(HuaV,p.138-162).Ilafaitl’objetd’unepremièretraductionparuedanslaRevuedeMétaphysiqueetdeMorale,1957,4,p.369à398,puisd’unesecondetraductionprésentéeenannexedeLaphénoménologieetlesfondementsdessciences,latraductionenlanguefrançaisedulivretroisièmedesIdéesdirectrices…(IDIII,p.179-210).

78-.HuaIII/1,pp.7-8[IDI,p.8].

79-.HuaIV[IDII].Lelecteurtrouveraunebrèveprésentationdel’histoiredecetextedanslapréfacedelatraductionenlanguefrançaiserédigéeparÉ.Escoubas.

80-.HuaV[IDIII].

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Abréviations

Lesréférencesàlalittératuresecondairesontindiquéesennotesdebasdepageetrenvoientàunebibliographie particulière qui figure à la fin de chaque article. Le lecteur trouvera également unebibliographiegénéraleenfind’ouvrage.

LesréférencesauxtextesdeHusserlsontconsignéesennotedebasdepage,avecindicationdelaréférenceauvolumeconcernédesHusserliana.EdmundHusserlGesammelteWerkeetdelatraductionfrançaise,quandelleexiste.HusserlianaestabrégéHua.Pourlestraductionsenlanguefrançaise,nousavonseurecoursauxabréviationssuivantes:

AL:Articlessurlalogique(1890-1913),trad.fr.parJ.English,Paris,PUF,1975.AMC : Autour des Méditations Cartésiennes (1929-1932). Sur l’intersubjectivité, tr. fr. par

N.DeprazetP.Vandevelde,Grenoble,Millon,1998.CE:Choseetespace.Leçonsde1907,trad.fr.parJ.-F.Lavigne,Paris,PUF,1989.C:Lacrisedesscienceseuropéennesetlaphénoménologietranscendantale,trad.fr.parG.Granel

etJ.Derrida,Paris,Gallimard,1976.EJ : Expérience et jugement. Recherches en vue d’une généalogie de la logique, trad. fr. par

D.Souche-Dagues,Paris,PUF,1971.ETV:Leçonssurl’éthiqueetlathéoriedelavaleur(1908-1914),trad.fr.dePh.Ducat,P.Lang,

C.Lobo,préf.deD.Pradelle,Paris,PUF,2009.ID I : Idées directrices pour une phénoménologie et une philosophie phénoménologique pures.

Tome premier. Introduction générale à la phénoménologie pure, trad. fr. par P. Ricœur, Paris,Gallimard,1950.

ID II : Idées directrices pour une phénoménologie et une philosophie phénoménologique pures.Livre second. Recherches phénoménologiques pour la constitution, trad. fr. par E. Escoubas, Paris,PUF,1982.

IDIII : Idéesdirectricespourunephénoménologieetunephilosophiephénoménologiquepures.Livre troisième. La phénoménologie et les fondements des sciences, trad. fr. parD.Tiffeneau, Paris,PUF,1992.

IP:L’idéedelaphénoménologie,trad.fr.etintro.parA.Löwit,Paris,PUF,1970.ILTC:Introductionàlalogiqueetàlathéoriedelaconnaissance.Cours(1906-1907),trad.fr.par

LaurentJoumier,Paris,Vrin,1998.MC:MéditationsCartésienneset lesConférencesdeParis, trad. fr.parM.B.deLaunay,Paris,

PUF,1994.LFLT:Logiqueformelleetlogiquetranscendantale,trad.fr.parS.Bachelard,Paris,PUF,1965.LPT: Leçonssur laphénoménologiede laconscience intimedu temps, trad. fr.parH.Dussort,

Paris,PUF,1964.

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OG:L’originedelagéométrie,trad.fr.parJ.Derrida,Paris,PUF,1970.PA:Philosophiedel’arithmétique,trad.fr.parJ.English,Paris,PUF,1972.PFP:Problèmesfondamentauxdelaphénoménologie,tr.fr.parJ.English,PUF,Paris,1991.Psy Ph : Psychologie Phénoménologique (1925-1928), trad. fr. par P. Cabestan, N. Depraz,

A.MazzùetF.Dastur,Paris,Vrin,2001.PP I :Philosophiepremière.Tome I.Histoirecritiquedes idées, trad. fr. parA.L.Kelkel,PUF,

Paris,1970.PPII:Philosophiepremière.TomeII.Théoriedelaréductionphénoménologique,trad.fr.parA.

L.Kelkel,PUF,Paris,1972.PSR:Laphilosophiecommesciencerigoureuse,Paris,PUF,1989.RenouveauSurleRenouveau.Cinqarticles,trad.fr.parL.Joumier,Paris,Vrin,2005.RLI :RecherchesLogiques.TomeI.Prolégomènesà la logiquepure, trad. fr.parH.Élieet al.,

Paris,PUF,1959.RLII-1 :RecherchesLogiques.Tome II.Recherchespour laphénoménologieet la théoriede la

connaissance,premièrepartie(RecherchesIetII),trad.fr.parH.Élieetal.,Paris,PUF,1961.RLII-2 :RecherchesLogiques.Tome II.Recherchespour laphénoménologieet la théoriede la

connaissance,deuxièmepartie(RecherchesIII,IV,etV),trad.fr.parH.Élieetal.,Paris,PUF,1961.RL III : Recherches Logiques. Tome III. Eléments d’une élucidation phénoménologique de la

connaissance(RechercheVI),trad.fr.parH.Élieetal.,Paris,PUF,1962.SI-I:Surl’intersubjectivité.I,trad.fr.parN.Depraz,Paris,PUF,2001.SI-II:Surl’intersubjectivité.II,trad.fr.parN.Depraz,Paris,PUF,2001.SP:Delasynthèsepassive,trad.fr.deB.BégoutetJ.Kessler,Grenoble,Millon,1998.

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Laphénoménologiecommescienceeidétique

(§§1-17et63-75)

LaurentPerreau

Le premier livre des Idées directrices pour une phénoménologie et une philosophiephénoménologiquepuresseprésentecommeune«Introductiongénéraleàlaphénoménologiepure».Lecaractèreéminemmentproblématiquedel’«accès»àlaphénoménologie,cette«scienceessentiellementnouvelle1 », se trouve médité par Husserl dès l’orée du texte. C’est tout d’abord sa « situationexceptionnelleparrapportauxautressciences»,c’est-à-diresoncaractèreinédit,saradicalenouveauté,quijustifielerecoursàdesilongspréliminairesméthodologiques2.Cependantilapparaîtrapidementquece n’est pas seulement en raison des spécificités de la phénoménologie et de ses difficultés propresqu’uneintroductionserévèlenécessaire,maisaussietsurtoutenraisondesmésinterprétationsquecettesciencenouvelleapususciter.

Introduire à la phénoménologie en 1913, aumoment de la rédaction de ces Ideen I, ce n’est passeulementprésenterunesciencenouvelleendéfinissantsondomained’objetsexclusif(lesvécuspursdelaconscienceintentionnelle)etenélaborantsaméthodologieparticulière(leuranalysedescriptive).Eneffet, les Recherches Logiques ont déjà établi la phénoménologie comme discipline philosophiqueradicalementnouvelle.Cesontellesquifonteffectivementœuvrede«percée»(Durchbruch)3etiln’estdoncpasquestion,aveclesIdeenI,derédigerunautremanifeste(etce,mêmesilaphénoménologiedesIdeen n’est plus tout à fait celle desRecherches Logiques). En revanche, il importe de dissiper unemésinterprétation avérée de la phénoménologie, qui confond cette dernière avec la psychologieempirique. Introduire à laphénoménologie, cela revientdésormais àprévenir touteméprisequant à lanature et à la fonctionde cette nouvelle discipline.C’est cet enjeuqui anime très clairement la brèveintroductionquiouvrecepremierlivre,oùHusserldénoncelaconceptionquifaitdelaphénoménologieun«stadepréliminairedelapsychologieempirique4»,etrappelleque:

la phénoménologie pure […]n’est pas une psychologie ; ce ne sont pas les hasards des délimitations de domaine et de laterminologie,maisdesraisonsprincipiellesquiluiinterdisentd’êtreannexéeàlapsychologie5.

LaméthodologiedéveloppéedanslesIdeenI répondd’abordetavant toutàcette inspirationanti-psychologiste en explicitant les « raisons principielles » qui décident de l’originalité du projet

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phénoménologique.Onpeutmêmeêtretentédeconsidérerquecen’estqu’àpartirdecetteintentionquelatransformationdelaphénoménologie,entre1901et1913,trouvesapleineetentièreintelligibilité.Enunsens,l’affirmationprogressivedel’idéalismetranscendantalestlaréponseconséquentequeHusserlapporteàlanécessitédedistinguerdurablementlaphénoménologiedetoutepsychologieempirique6.

Àcettefin,danslesIdeenI,Husserlmetenplaceundoubledispositifméthodologique:celuidelaréductioneidétiqueetde la réduction transcendantale.C’est ainsi àdeux titresque laphénoménologiepeutprétendresedistinguerdelapsychologieempirique.D’unepart,laréductioneidétiquereconduitlaphénoménologieà laconsidérationdel’essence,cequi ladistinguedecessciencesquineconsidèrentquelesfaits(àquoilapsychologie,biensûr,n’échappepas).D’autrepart,laréductiontranscendantalenousdonneaccèsauxphénomènestranscendentalementréduits,enautorisantuneappréhensiondélivréedu réalisme spontané de l’attitude naturelle. La phénoménologie transcendantale peut alors clamer sadifférence par rapport à la psychologie empirique, qui ne considère que des réalités naturelles(Realitäten)7.

Le vécu de conscience subit ainsi une double « purification », qui confère du même coup à laphénoménologiela«pureté»qu’ellerevendiquesihaut.Toutd’abord,levécudeconscienceestdélivréde sa contingence et pensé depuis la généralité eidétique (qui n’est pas la généralité empirique) : laphénoménologie sera donc une science a priori qui s’énonce à travers des descriptions relatives àl’essence du vécu. Ensuite, le vécu de conscience est libéré de la charge de réalité que lui imputaitl’attitude naturelle et restitué dans sa dimension proprement transcendantale : la phénoménologietranscendantales’accompliraàlafaveurd’unchangementd’attitude,quisuspendleréalismespontanédela conscience et révèle son activité constituante. Ces deux réductions, à la fois distinctes etcomplémentaires,signentlaspécificitéd’unephénoménologiepurequipeutsedéfinircomme«théorieeidétique[…]desphénomènestranscendantalementréduits8».

Dansl’effortmisàdistinguerlaphénoménologiedelapsychologie,réductioneidétiqueetréductiontranscendantalesemblentdoncjouerdesrôlespleinementcomplémentairesetd’égaledignité.Toutefois,iln’envaplustoutàfaitdemêmesil’onenvisagel’édificationdelaphénoménologiecommescience.Car de ce point de vue, selon Husserl, c’est surtout et essentiellement à la réduction eidétique et àl’élaboration d’une eidétique des vécus purs que la phénoménologie doit son caractère proprementscientifiqueet rationnel.La«science rigoureuse»queHusserla tantappeléedesesvœux9 repose eneffettoutentièresurlacapacitédelaphénoménologieàdécrireaprioril’essencedesvécuspurs10.C’està ce titre que la composante eidétique de la méthodologie phénoménologique mérite une attentionparticulière, alors même que l’exégèse husserlienne a plus volontiers commenté le dispositif de laréductiontranscendantaleetsesconséquencespourlediscoursphénoménologiqueengénéral.

Envisagerlaphénoménologiecommescienceeidétiquesupposetoutd’abordquel’ons’entendesurle sens et la portée de l’eidétique en question, en un sens général et dans le cas particulier de laphénoménologie. Cela suppose également que l’on puisse régler la question de sa scientificité, endéfinissant une norme épistémologique et en montrant comment la phénoménologie est à même desatisfaire à ses exigences. Dans les Ideen I, Husserl résout cette double interrogation sur laphénoménologie comme science et comme science eidétique en élaborant une théorie générale del’essence (dans la Première section, §§ 1-26), puis en considérant les réquisits méthodologiques del’édificationd’unesciencephénoménologiqueeidétique(danslaTroisièmesection,§§63à75).

Premièredifficulté:ladéfinitiondesprincipesetdesmoyensdecette«eidétiquedelaconscience»est progressive et peut paraître dispersée, ce qui ne facilite guère l’appréhension de ses spécificités.Cettedifficultéestaccuséeparlefaitquelesproposdutoutpremierchapitrenetrouventleurvaliditéetleurféconditévéritablequ’àtraversl’applicationeffectivedeladistinctiondufaitetdel’essenceaucasdelaphénoménologie,c’est-à-direparrapportaudomainedelaconsciencepure.

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Unesecondedifficultéconcernelesobscuritésrelativesdel’exposéhusserlien.Husserlprésupposesouventdesonlecteurunebonneconnaissancedesesécritspréalables–enl’occurrence,desRecherchesLogiques–etilneprendpastoujourslapeined’expliciterlesmotifsdelarévisiondecertainsconcepts.En outre, les préconisations méthodologiques déployées dans les Ideen I manquent cruellement deprécision, parfois sur des points cruciaux, et des références complémentaires à des textes ultérieurss’avèrent donc nécessaires pour prévenir d’éventuels malentendus11. Paradoxalement, Husserl faitreposer la dimension proprement scientifique de sa phénoménologie sur une méthodologie qui n’estmanifestementpasencoreparvenueàmaturité.C’estdoncunelectureintertextuellequisetrouverequisesi l’on veut restituer le sens exact de ces considérations méthodologiques, tantôt implicites, tantôtvirtuelles.

Dansleslimitesdelaprésentecontribution,nousconcentreronsnotreattentionsurlestatutetlerôledelaréductioneidétiquedanslesIdeenIde1913eninstruisantconjointementdeuxquestions:1.Quelest le sens spécifique de cette réduction et, plus particulièrement, quel est le sens précis du conceptd’Eidos?2.Enquoicetteconceptiondel’essence–del’eidétique–permet-ellededéfinirlecritèredescientificitédelaphénoménologieet,au-delà,est-elleàmêmederenouvelerl’idéedescientificité?

Dufaitàl’essenceDanslapremièresectiondesIdeenIs’exposent,d’unepart,unethéoriedel’essencedistinguéedu

faitet,d’autrepart,ladénonciationdesfaussesinterprétationsdunaturalismeetdel’empirisme.Celongdétour semble différer la véritable entrée en matière, accomplie avec les Considérationsphénoménologiques fondamentales de la Deuxième section, où se définissent les principesméthodologiquesqui régissent lesdifférentes réductionsphénoménologiques.Le lecteurdes IdeenI nepeutmanquer de s’interroger sur la fonction et le statut de ce préambule non phénoménologique à laphénoménologie12.Dequoiest-ildoncquestion,s’iln’estpasencorequestiondecettephénoménologieàlaquelleonentenddonneraccès?

Husserlsemblepourtantpréparerlavoiedelaphénoménologie.Aucélèbre§24,n’énonce-t-ilpaslefameux«principedesprincipes»,selonlequel«touteintuitiondonatriceoriginaireestsourcededroitpour la connaissance »13, en revendiquant sa légitimité pour toute science des essences ? Mais s’ilsuggèrequelaphénoménologiesedoitderespecterceprincipe,ilnenousditencoreriendesamiseenœuvre concrète et il reste à voir en quoi et de quoi la phénoménologie peut être, elle aussi, scienceeidétique.De surcroît, l’évocation d’une énigmatique « intuition d’essence » ou « vision d’essence »risquefortdeserévélerégaranteetdesusciterdefâcheuxmalentendus.Ce«principedesprincipes»apparaît immédiatement comme la justification ultime de la phénoménologie, comme ce qui la fondeintimement, mais la démonstration de sa validité demeure suspendue à la réalisation effective de laphénoménologiecommescienceeidétiquedesvécuspurs,commesciencedesstructuresessentiellesdelaconscience.Touteladifficultédecettepremièresectionestainsiqu’elledispensedesconsidérationsextra-phénoménologiquesquinetrouverontleurintelligibilitéetleurlégitimitéqu’avecladéfinitiondelaméthodologiephénoménologiqueetlapratiqueconcrètedelaphénoménologie.

Les « analyses logiques14 » du premier chapitre le sont au sens de cette logique pure que lesRecherchesLogiquescomprenaientcommeWissenschaftslehreou«théoriedesespèces[…]essentiellesdethéorie15».Ellesontunedoublefonction,qu’ilimportedebienconcevoir.D’unepart,ellesesquissentunambitieuxprogrammeépistémologique,quidoitpermettredefonder lessciencesempiriquessur lesontologiesrégionalescorrespondantes,en justifiant leurdomained’objetsrespectif16.D’autrepart,elleimposeàlaphénoménologiel’exigenced’uneréalisationsouslaformed’unescienceeidétique,apriori,desvécuspursdelaconscience.Laquestiondel’essenceestdoncdoublementdécisive:àtraverssoninstruction,Husserlétablitunenormeépistémologique,méta-théorique,quiassigneàlaphénoménologie

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un rôle fondateur par rapport aux autres sciences, et il détermine un critère de scientificité pour laphénoménologieelle-même,entantqu’eidétiquedescriptivedesvécuspursdelaconscience,scienceapriorides«phénomènes».Laphénoménologieauraitdonclesmoyensd’êtreunescienceparmid’autres,mais elle serait aussi la seule à pouvoir confirmer la validité de la norme générale (fondée sur ladépendance des faits par rapport aux essences) en réalisant le programme épistémologique qu’elleimplique.

Qu’est-cedoncquel’essence,ouplutôtl’Eidos?SelonHusserl,cetermegrecestintroduitdanslesIdeen I afin de préserver la distinction entre le « concept kantien d’Idée » et le « concept générald’essence (formelle oumatérielle) »17. Il exprime donc la spécificité du concept d’essence, dumoinstellequelaconçoiventdésormaislesIdeenI.

Eneffet,untelsoucidedistinctionterminologiqueetconceptuelleétaitencoreabsentdelapremièreédition des Recherches Logiques. Le terme d’essence – qui à cette époque n’a pas encore le sensd’Eidos–aalorspoursynonymeslestermesd’idée,d’espèce(Spezies,quicorrespondàlatraductiondel’Eidosgrecenlanguelatine)ouencorel’expressiond’objetgénéral(allgemeinerGegenstand)18.Souscevocable aux contours flous,Husserl rendcomptede la consciencedegénéralité.Dans le casde laperceptiond’unobjetrouge,nouspouvonsviserlasingularitéempiriquedecerouge,hicetnunc.Maisnouspouvonsaussiviserl’idéederougeenelle-même,c’est-à-diredanssagénéralité(Allgemeinheit).Cetactequiappréhendelerougedirectementn’estpasunesimpleabstraction,ausensoùl’entendentlesempiristes:ilprendpourobjetl’idéegénéralederouge,selonunmodedeconsciencebienspécifique.L’appréhension de l’idéalité est donc un mode de conscience qui se distingue de l’appréhension dessingularitésempiriques individuelles.Dès lors, le termed’espècedésigne tout typed’idéalité, c’est-à-dire à la fois les généralités conceptuelles ou encore ce que l’on appelle traditionnellement les«universaux» («homme»ou« rouge»),maisaussi lesobjets abstraits (comme lesnombres),voiremêmelesensd’unmotoud’uneproposition19.PourlepremierHusserl,l’espèceestl’idéalitécommuneàunediversitéd’objectitésindividuelles.

LepremierlivredesIdeenreconduituncertainnombredesacquisdesRecherchesLogiques.Mais,demanièreilestvrairelativementimplicite,Husserldistinguedésormaistroisconceptsd’essence:

1.Unpremier concept d’essencepermet de penser ce qui fait la spécificité d’unobjet individuel.Cette spécificité ne se réduit pas àune individuation spatio-temporelle, au constat de l’hic et nunc, àcetteunicitéquis’indiquedansladésignationdu«ceci-là»(diesda)20.Elleneseréduitdoncpasàlasingularitéempiriqueouréaledufait,maisrenvoieàunfonds(Bestand)deprédicablesessentielsquidéfinissent l’identité de l’objet21. D’autres prédicables, plus secondaires, peuvent ensuite caractériserl’objet en question, sans pour autant relever de son essence à proprement parler. L’essence n’est parconséquentriend’autrequel’ensembledesprédicablesenvertudesquelsl’objetprendsensànosyeuxetaun tel sens etnon tel autre.End’autres termes, l’essencede l’objet est saquiddité : « “Essence” ad’aborddésignécequidans l’êtreproprementspécifiquede l’individuseprésentecommeson“Quid”(sein Was)22. » L’essence rassemble les déterminations générales que nous attribuons de manièreprédicativeauxobjets.Ellen’est,encepremiersens,riend’autrequecela.

2. En un second sens, l’essence est l’ensemble des déterminations communes à une multiplicitéd’objectités. Ce second sens du concept d’essence n’est pas étranger au premier. Car « tout ce quiappartient à l’essence de l’individu, un autre individu peut aussi le posséder23 ». En d’autres termes,l’essenceestaffranchiedelacontingenceindividuelleetvautainsinécessairement,autitred’identitéuneetcommune,pourunensembledecasparticuliers.Elleadoncune«extension»(Umfang),envertudelaquelle « elle constitue l’ensemble idéal de tous les “ceci-là” possibles auxquels l’essence peut êtrerapportée dans le cadre de la pensée universelle d’ordre eidétique24 ». Cette extension est dite«empirique»lorsquecetteessencesetrouveassociéeàladéfinitiond’unesphèred’existence.Danscecas, chaque cas empirique est un exemplaire de l’essence déterminé par une position d’existence. La

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généralitéempiriqueestainsi fondée,endroit,sur lagénéralitéeidétique,maiselle l’illustreà traversune multiplicité d’exemples qui est aussi fonction de ce que Husserl appelle, dans Expérience etJugement, la « possibilité réale », c’est-à-dire la possibilité d’une réalisation de fait dans lemondeempirique25.

3.Les IdeenI distinguent de ces deux premiers concepts d’essence le concept d’essence pure ouEidos.L’essenceest alors compriseau sens strict etnonplusau sens large jusqu’alors envigueur.Lecritèrededistinctiondel’Eidosestceluidelapuretéeidétique.Qu’est-ceàdire?Celasignifiequeleconceptd’essencecomprisausenslarge,celuiquiaprévalujusqu’àprésent,acecidecaractéristique,qu’ilvautaussipourtoutegénéralitéempirique.Ausenslarge,l’essenceestencorecompriseendeçàdeladistinctionentre lepur et l’impur,de l’eidétiqueetde l’empirique.Au sens strict, ellenepeut êtrequ’essencepure:ellen’impliqueaucunepositiond’existenceauseindumonderéal.Ellesecaractériseparunenécessitéaprioriquinedépendpasde lacontingencedes«possibilités réales»26.Dumêmecoup,l’essencepurepeutêtreillustréepardesexemplesempiriques,maiségalementpardesfictionsdel’imagination–cequiconstitueletraitdistinctifabsoludel’Eidos,bienmisenévidenceau§4desIdeenI:

L’Eidos,lapureessencepeutêtreillustréepardesexemplesempruntésintuitivementauxdonnéesdel’expérience,àcellesdelaperception,dusouvenir,etc.,ettoutaussibienauxsimplesdonnéesdel’imagination(Phantasie).C’estpourquoi,poursaisiruneessenceen personne et de façon originaire, nous pouvons partir d’intuitions empiriques correspondantes,mais tout aussi bien d’intuitions sansrapportavecl’expérienceetsanssaisiedel’existence,d’intuitions«purementfictives»27.

Ainsi s’atteste l’extensionproprementeidétiqueetapriori de l’essencepure, sacapacité àvaloirtoutaussibienpourlesdonnéesdel’expérience(lesquellesnesontdoncpasdisqualifiées)quepourlesdonnéesdel’imagination.

End’autrestermes, lespossibilitésd’illustrationdel’essencepureouEidosnesontpasseulementlespossibilitésréales,maislespossibilitésaprioride lapenséeelle-même28.La théoriede l’essencepure se confond rigoureusement avec celle de l’a priori chez Husserl29. Seules les coordonnées dupensable, c’est-à-dire de ce qui fait effectivement sens pour la conscience, sont donc à considérer.L’essenceest icicequinormeapriori toutevisée intentionnelle,dans le casde laperceptioncommedanslecasdel’imagination.

Une connaissance de l’essence pure est donc possible, qui définira la portée et les limites de lanorme intentionnelle eidétique considérée. Cette connaissance se caractérisera par le fait que sesconsidérationseidétiquespeuvents’illustreràlafoisparlesdonnéesdel’expérienceetparlesdonnéesdel’imagination.Lemodèledecetteconnaissanceeidétique–apriori–estlivréparlesmathématiquespures.Legéomètrepeutbientracereffectivementdesfiguresoulesprojeterenimagination:dansuncascommedansl’autre,l’essenceducercleestintacteetprésenteunevaliditésemblable.Telleestdonclacaractéristique distinctive de toutes les « sciences pures de l’essence, telle que la logique pure, lamathématique pure, la théorie pure du temps, de l’espace, du mouvement, etc. »30 ; telle devra êtreégalement la caractéristique d’une phénoménologie soucieuse de se distinguer de la psychologiqueempiriquepours’affirmercommeeidétiquedesvécusdelaconscience.

Lelongpréambuleconsacréàladistinctiondufaitetdel’essenceestabsolumentdécisif,encequ’iljustifielapossibilitémêmedelaphénoménologiecommescienceeidétiquedelaconscience.Maisilestaussiéminemmentproblématique,danslamesureoùsavaliditésetrouvesuspendueàlamiseenœuvreeffectivedelaphénoménologie.

Observonslesconséquencesdecepremierchapitrepourl’ensembledelaphénoménologieàvenir:1. Une phénoménologie qui s’attachera à décrire l’essence pure de la conscience, ainsi que les

essences pures de ses divers vécus, gagnera de ce fait la garantie durable de sa distinction avec la

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psychologie empirique, qui ne considère quedes faits empiriques et des généralités empiriques.Cettedistinctionprincipiellen’interdit cependantpasque l’onpuisseaccorderuneattentionparticulière auxgénéralitésempiriquesdelapsychologieenlesabordantsousl’optiquedelagénéralitéeidétique:une« psychologie phénoménologique » est en ce sens possible31. De même, la distinction du fait et del’essence,tellequelapenseHusserl,légitimeunevoied’accèsàlaphénoménologiequiprivilégieralaconsidérationdurapportàlapsychologie32.

2. Cette distinction constitue le préalable logique et ontologique à toute phénoménologie quirevendiqueletitredescience.Préalablelogique,danslamesureoùl’onneconsidèrequelestatutdesobjets de pensée : c’est en ce sens que « l’essence (Eidos) est un objet (Gegenstand) d’un nouveautype»33,c’est-à-direunobjetdepenséepossible,aumêmetitrequelefait.Ladéfinitiondel’essenceestdoncd’abordetavanttoutd’ordrelogique,entantqu’elles’ordonneauconceptlogiqued’objet.Le§22desIdeenIpréciserautilementcepoint:

Leconceptuniverseld’objet,jenel’aipasinventé,jel’aiseulementrestituételquel’exigenttouteslespropositionsdelogiquepureetenmêmetempsj’aiindiquéquec’estunconceptindispensablepourdesraisonsdeprincipeetparconséquentégalementdéterminantpour le langage scientifique en général.En ce sens la qualité sonore « do» qui, dans la série des sons, est un termenumériquementunique ou bien le nombre 2 dans la série des nombres, la figure du cercle dans lemonde idéal des constructions géométriques, unepropositionquelconquedansle«monde»despropositions,–breftouteslesformesdel’idéal–sontdes«objets»34.

Maisils’agitlàégalementd’unpréalableontologique,ausensoùildistribuel’ensembledel’être,latotalitédesétantssouslesdeuxrubriques,complémentaires,del’essenceetdufait.Uncertainidéalismes’affirmedoncclairementdanscepréambulenonencorephénoménologique,unidéalismequin’estpasencore l’idéalisme transcendantal radical du § 49 des Ideen I et qui se contente pour l’heure derevendiquer le droit d’une connaissance a priori aux cotés des sciences empiriques. Cet idéalismedemeure,àcepoint,laseulepossibilitépourréconcilierlathéoriedelaconnaissanceavecelle-même,cequeHusserlsoulignaitdéjàdanslesRecherchesLogiques:

letermed’idéalismenevisepasiciunedoctrinemétaphysiquemaiscetteformedelathéoriedelaconnaissancequireconnaîtdansl’idéallaconditiondepossibilitéd’uneconnaissanceobjectiveengénéral,aulieudel’écarterparuneinterprétationpsychologiste35.

Cerappelprévientutilementunpossiblecontre-sens:ladistinctionlogico-ontologiqueentrelefaitetl’essence n’a rien de métaphysique, puisque comprise dans les strictes limites de la gnoséologie. SiHusserlsembleréactiverlevieuxprojetplatoniciend’une«scienceportantsurdesessences36»,c’estpourtantenunsensnon-platonicienqu’ilconvientdecomprendre leconceptd’essence,enunsensquiexcluttoutréalismedel’essence37.

3.Enfin, l’essence, ouplusprécisément la connaissancequi s’y rapporte, permet effectivement dedéfinir le critère de scientificité auquel la phénoménologie devra satisfaire, étant entendu que sondomaine d’objets sera celui des vécus purs de la conscience intentionnelle. Distinguer nettementl’essencedufait,ausensoùlefaitHusserl,celarevientàassigneràlaphénoménologiel’objectifd’uneconnaissanceapriori.Plusprécisément, laphénoménologiecomprisecommescienceeidétiquesedoitde réaliser trois tâches, qui toutes contribuent à sa scientificité : accéder à l’essence, clarifierl’expression conceptuelle de l’essence, décrire les légalités eidétiques ou nécessités d’essence quistructurentapriorinotrepensée.

Accéderàl’essence:laréductioneidétiqueLa phénoménologie se réalise effectivement comme « théorie eidétique […] des phénomènes

transcendantalementréduits»38parl’intermédiairedelaréductioneidétique,quiestreconductiondufaità l’essence. Cette réduction eidétique présuppose constamment l’exercice préalable de la réductiontranscendantale,quiluiprocuresondomained’objetsspécifique,lesvécusdeconsciencepurs.Dansles

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IdeenI,laréductiontranscendantaleopèreessentiellementparlebiaisdel’épokhè,lamiseensuspensdel’«attitudenaturelle»,c’est-à-diredecerapportimmédiatetspontanédelaconscienceaumondequiimplique toujours un acte de position définissant un être-ainsi et un être-là39. C’est la mise entreparenthèses de cette activité positionnelle continue et universelle de la conscience qui révèle laspécificitédecettedernière.Laconscienceestdonccequinécessairements’exceptedel’épokhè.Elleest cette région ontologique qui présente la singularité de ne pas tomber sous le coup de l’exclusionméthodiquedetoutepositiond’existence:

Laconscienceaelle-mêmesonêtrepropre(Eigensein)quidanssonabsoluespécificitéeidétiquen’estpasaffectéparl’exclusionphénoménologique.Ainsiellesubsistecomme«résiduphénoménologique»etconstitueunerégiondel’êtreoriginaleparprincipeetquipeutdevenirlechampd’applicationd’unenouvellescience,laphénoménologie40.

Ainsi la phénoménologie gagne-t-elle son domaine d’objets, celui de la région ontologique de laconscience (comme genre eidétique suprême de la phénoménologie)41, celui des vécus ou actes deconscienceparlemoyendesquelsseconstituelesensdetoutephénoménalité.Maiscesvécussontdesvécuspurs,nonseulementparcequ’ilssontdesvécuspurementetsimplementpsychiques(envertudel’exclusionméthodiquedetoutedimensionpsycho-physique),maisaussiparcequel’épokhèneutraliselaréalitéempiriquedecesvécus.Elleouvreainsilapossibilitédeconsidérerdifféremmentcesvécus,encessant de les aborder comme des faits empiriques réaux (ce que fait la psychologie, voire laphénoménologiedanssonmomentproprementpsychologique)pourfairedroitàleuressenceetauxloisd’essencequilesrégissent.

Un changement d’« attitude » ne suffit cependant pas pour édifier une nouvelle connaissance.Comment le phénoménologue pourra-t-il, pratiquement parlant, dégager l’essence des vécus pursconsidérés ? Comment une science phénoménologiquepure peut-elle être accomplie42 ? LaTroisièmesectiondes IdeenI, intitulée«Méthodesetproblèmesde laphénoménologiepure»,doitprécisémentrépondre à ces questions méthodologiques, cruciales en vue de l’édification de la phénoménologiecomme science. Mais force est de constater que la méthodologie husserlienne, encore relativementimmaturedanslesIdeenI,nes’encombreguèredepréconisationsdétaillées.Laprésentationdonnéedela méthode de la réduction eidétique pâtit indéniablement d’un certain nombre d’approximations etd’obscurités.Elleétablitnéanmoinsuncertainnombredeprincipesméthodologiquesquineserontpasremisencauseparlasuite.LesMéditationsCartésienneslesoulignentavecvigueur:

Nous nous élevons donc à l’idéeméthodologique selon laquelle, outre la réduction phénoménologique, l’intuition eidétique est laformedetouteslesméthodestranscendantalesparticulières[…]43.

Dans les IdeenI, laméthode de la réduction eidétique (ou idéation) est présentée par le biais dequatreapprochessuccessivesetcomplémentaires.

1.Unepremièreapproches’esquisseau§3dupremierchapitredelaPremièresection,quiaffirmeleprincipedelaconvertibilitédel’intuitionempiriqued’unindividuenintuitioneidétiquesusceptiblederestituer l’essence au sens large et l’essence au sens strict (l’Eidos). Il ne s’agit alors, en vertu de lacircularitéontologico-méthodologiquequisedéploiedanslesIdeen,quedefonderontologiquement,paravance, la possibilité de toute connaissance eidétique.Or le lexique choisi, en particulier celui de la«visiondel’essence»(Wesensschauung)44etdel’«intuitiond’essence»(Wesensanschauung)45,peutse révéler égarant. Certes, Husserl indique par là ce que les intuitions empirique et eidétique ont encommun:toutesdeuxlivrentl’objetenpersonne,enledonnantlittéralementàlaconscience,etce,qu’ils’agisse du fait ou de l’essence. Mais Husserl insiste également sur la différence principielle entrel’intuitionempiriqueetl’intuitioneidétique:cettedernièreestd’un«typenouveauetspécifique46».Orcettenouveautén’estpascaractériséepositivement.Husserlsecontentedepréciserquecette«intuition»n’impliqueaucune«assertionrelativeàdesfaits47».Leregistredel’intuitionestreconduitaudébutde

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laTroisièmesectiondesIdeenI,quistipulequelaphénoménologiedoitêtre«unesciencedanslecadredelapureintuitionimmédiate,unesciencepurementdescriptive48».

Très clairement,Husserl étend à l’essence lemodèle du remplissement intuitif de l’intentionnalitésignitive qui prévalait dans la sixième desRecherchesLogiques. Husserl y établissait une distinctioncapitaleentrel’intuitionsimpledelaperceptionetl’intuitiondite«catégoriale».L’intuitionsensibleaceci de caractéristique qu’elle fait apparaître l’objet dans son unité concrète de manière simple etimmédiate49:laperception«fusionne»directementdescontenusmatérielsenuntout,sansmêmequ’unequelconque forme de synthèse soit à l’œuvre. L’intuition catégoriale, elle, correspond aux « formescatégorialesdelasignification»quistructurentlaviséesignitive:uneviséepropositionnellecomplexe(un énoncé impliquant une certaine complexité syntaxique, qui ne se réduit donc pas à l’identificationd’un objet comme dans le cas de la perception) est elle aussi susceptible de plénitude intuitive.L’intuitioncatégoriale,quicorresponddoncauxformesdu jugement,neportedoncpassur lastructurematérielledudonné,maissurlastructuresyntaxiquedelapropositionàtraverslaquelles’accomplitlaviséede l’objet.Comme le souligneHusserldans laSixièmeRecherche, les catégories ne sont « riendans l’objet50 », puisqu’elles sont les formes de la pensée. Cependant ces formes, qui peuvent bienfonctionner à vide, peuvent aussi être intuitivement remplies, de telle sorte que la connaissance soitfondéeenévidence.

C’estcetteextensiondumodèledel’intuitionquivautdésormais,danslesIdeenI,pourl’essenceentantqu’objetdepensée,maissansqueHusserlneprennevéritablementlesoinderestituerlesacquisdesesRecherchesLogiques,nidepréciserquelleapuêtrel’évolutiondesapenséesurcepoint.

2.Aux§§67-69desIdeenI,unesecondeapprochemobiliseleregistrecartésiendelaclartéetdel’obscuritépourpenserlaréductioneidétiquecommeune«méthodedeclarification(Klärung)51»:«Lasaisiedesessencesasesdegrésdeclarté52».Laclartécaractérisel’intuitionquisaisitl’essenceentantqu’elle«sedonnepurementelle-même53»,elleestdoncindissociabledel’expériencedel’évidencequidoit ultimement sanctionner la réduction eidétique. C’est ainsi le caractère processuel, progressif etgraduelde laréductioneidétiquequise trouvemisenrelief.Cependant, làencore, legainproprementméthodologique demeure incertain, puisque l’idéation semble simplement requalifiée commeclarification:

Ilyacoïncidenceentre laconsciencedonatriceausens fortduterme, laconscienceintuitive,opposéeà laconsciencenon-intuitiveetlaconscienceclaireopposéeàlaconscienceobscure.Ilenvademêmedesdegrésdanslamanièredesedonner,desdegrésd’intuitivité,declarté.

Lelexiquedelaclarificationn’estdoncqu’uneautrefaçondedireleprocessusdel’idéation.Cettealternativediscursivealemérited’attirernotreattentionsurlefaitquelaréductioneidétiqueesttoutàlafois accès à l’intuitivité et intensification et extension continues de ce qui est déjà intuitif54. Husserlsuggèreainsiquel’intuitionimpurepeutcontribuerdemanièrepositiveàl’entreprisede«clarification»del’essence55.

3.LatroisièmeapprochedéveloppéedanslatroisièmesectiondesIdeen,plusprécisémentau§70,concerne lesmodalités précises de l’exemplification de l’essence considérée, ainsi que le rôle de laperceptionetdel’imagination(Phantasie).Ceparagrapheestabsolumentdécisif,encequ’ilénoncelevéritable principe gnoséologique de toute connaissance eidétique, ce que Husserl ne manque pas desouligner :«La“fiction”constitue l’élémentvitalde laphénoménologiecommede toutes lesscienceseidétiques;lafictionestlasourceoùs’alimentelaconnaissancedes“véritéséternelles”56.»Qu’est-ceàdire?

L’apportde l’imaginationconcerne ici lapossibilitéd’exemplifier l’essenceconsidérée,en faisantprogresser sa « clarification » par la mobilisation de cas particuliers susceptibles de l’illustrer demanière pertinente, par de « simples présentifications portant sur des exemples individuels »57. La

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perceptionconstitueàcetégardunepremièreressource.Pourillustrerl’idéederouge,jepeuxbienmeréféreràcetobjetrougequej’aisouslesyeux.Maislerecoursàl’imaginationestégalementpossibleetildoitmêmeêtreprivilégié:

[…] il importe d’exercer abondamment l’imagination à atteindre la clarification parfaite exigée ici, à transformer librement lesdonnéesdel’imagination58.

Laphénoménologieneconsidéreradoncpasseulementdesfaitspsychiquesempiriques,maisaussidesdonnéesfictives.CetteinnovationméthodologiqueintroduiteparlesIdeenI,quiconsisteenunusageréglédel’imagination,estlaconséquencedirectedelarequalificationdel’essencecommeEidos.Sousla perspectivede laPhantasie, l’essence de l’objet est neutre par rapport à tous lesmodes doxiquespossibles.Cenesontdoncplusseulementlespossibilitésréalesquisontenvisagées,maiségalementlespossibilitésidéales.Touteslesinstancesréellesoupossiblesd’uneessenceseretrouventdoncaumêmeplan. Ce nivellement permet de dégager un univers de pures possibilités imaginaires, où se révèle lefondseidétique:

Laphénoménologienelaissetomberquel’individuation(Individuation)maiselleretienttoutelateneureidétique(Wesensgehalt)dans laplénitudedesaconcrétion, l’élèveauplande laconscienceeidétique, laprendcommeuneessencedotéed’identité idéalequipourraitcommetouteessencesesingulariser(vereinzeln)nonseulementhicetnuncmaisdansunesérieillimitéed’exemplaires59.

DanslesIdeenI,Husserlneformalisepaslesprocéduresquipermettentderecouriràl’imaginationde manière à la fois légitime et pertinente. Cette formalisation n’adviendra que plus tardivement etprendraalors lenomde«variationeidétique»ou«variation libre»60.Leprincipede cetteméthoded’investigation consiste à faire varier imaginairement l’essence jusqu’aux limites des possibilités depensée.Husserldistinguequatremomentsauseindelavariationeidétique.Dansunpremiertemps,cetteprocédurefaitdel’exempleinitialune«purepossibilitérelevantdudomainedulibre-arbitre61»,c’est-à-diredelalibertédel’imagination.Ladonnéeconsidéréen’estpluscequis’imposeàmoi,maiscedontjedispose,àmaguise.Danslecasd’uneréalitéempirique,celle-ciestconvertieenimagination62.Dansundeuxièmetemps,onresituel’exempleparticuliercommevarianteauseind’unediversitédevariationspossibles. La multiplicité des variations ainsi constituée est ouverte et infinie. L’exemple initial vautdésormaisauseind’unesérie infiniedevariantespossibles.Dansuntroisièmetemps,onprocèdeà lamise en relief de l’essence en tant qu’unité synthétique de la variation. Les variantes singulières serecouvrent au cours de la variation et c’est cette coïncidence qui définit la généralité eidétique del’essence. Ultimement, le regard peut se porter sur ce qui est congruent, idéalement identique, surl’invariant qui demeure par-delà les modifications qui affectent chaque variante singulière. L’essencepureouEidosn’estdoncriend’autrequecetteinvarianceidéelledu«sensd’être»desphénomènes,elleestcequistructureapriorilaconscienceintentionnelle63.

Telleseralatâchedelaphénoménologie:conduirel’explorationdessolidaritésdifférentiellesquiliententreeuxlesvécusdelaconscienceenparvenantinfineàl’identificationdesinvariantsaumoyendevariationsimaginativesoueidétiques.L’essencepuren’estniunenaturesimple,nilafigured’unordrederéalitéextra-sensible,maisseulementl’unitécoordinatriceinvariantedesvécusréelsetpotentiels.Laphénoménologie peut donc se donner pour fin l’exploration structurale des visées intentionnellesobjectivantesdelaconscience.C’estle§86desIdeenIquiformuleceprojet:

Il importe donc d’examiner sur un plan extrêmement général comment, en chaque section et catégorie, des unités objectives se«constituentpourlaconscience».Ilfautmontrersystématiquementcommentleuressenceprescrit–précisémententantquepossibilitéeidétique–touslesenchaînementsquepeutcomporteruneconscienceréelleoupossibledecesunités:lesintuitionssimplesoufondéesquis’yrapportentintentionnellement,lesconfigurationsdepenséededegréinférieuretsupérieur,confusesouclaires,expriméesounonexprimées,préscientifiquesouscientifiques,ens’élevantjusqu’auxconfigurationssuprêmesdelasciencethéoriquerigoureuse64.

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4.Lescaractéristiquesdelaphénoménologiecommescienceeidétiquesontenfinpréciséesparunecomparaison entre phénoménologie et mathématique, et plus précisément entre phénoménologie etgéométrie pure (§§ 71-75). Aux yeux de Husserl, seules les disciplines mathématiques réalisenteffectivementleprogrammed’uneeidétiquescientifique65.Maissilephénoménologuepeuts’inspirerdeladémarchedugéomètre,ildoitaussis’interrogersurlaportéeetleslimitesdecemodèle:«peut-onconstituerunephénoménologiequiseraitune“géométrie”duvécu66?»Lapertinencedecettequestionprovient de la commune détermination de la géométrie comme eidétique pure ou science a priori del’espace et de la phénoménologie comme eidétique pure ou science a priori des vécus. Puisqu’ellesvisent toutes deux l’essence pure (l’Eidos), elles atteignent l’intuition eidétique en recourant àl’imagination,c’est-à-direenrévélantlespossibilitésréalesetidéalesdel’essence(qu’ils’agissed’unefiguregéométriqueoud’unvécupsychique).Ellesontdoncencommuncette«penséeeidétiquementpurequis’accomplitsurlefondementdesconstructionsdel’imagination67».Iln’estpassûrquel’onpuissepousserplusloinlacomparaison,pourdeuxraisonsdéterminantes.

Lagéométriepuresecaractériseparsonexactitude.Celle-cin’estpaslaisséeànotrechoix,ellenedépendpasnonplusdenotrehabileté logique,maisrésultede« l’exactitudedans lesessencesmêmesainsisaisies68 ».La conceptualitémathématique exprime sans reste l’essence considérée.Dès lors, un« nombre fini de concepts et de propositions […] détermine totalement et de manière univoquel’ensemble de toutes les configurations possibles du domaine sur le mode de la nécessité purementanalytique69».End’autrestermes,lesdéfinitionsetlesaxiomesdelagéométrieexprimentlesessencesdesfiguresspatialesd’unemanièreexhaustive,absolumentdéterminée.Lespropositionsquiendériventsont donc des constructions déductives et analytiques qui ne font que développer les conséquenceslogiques de ces définitions et axiomes qui expriment conceptuellement, avec exactitude, les essencesconsidérées. Le caractère constructif, analytique ou déductif de la géométrie pure résulte del’exactitudeeidétiquesurlaquelleellesefonde.

Laphénoménologiecomprisecommeeidétiquedesvécuspursdelaconscienceintentionnellen’estpascapabled’une telleexactitudeetellenese réaliseparconséquentpassous la formed’une théorieaxiomatiqueet analytico-déductive.Husserl estonnepeutplus clair sur cepoint : laphénoménologie« appartient à une classe fondamentale de sciences eidétiques qui diffère totalement des sciencesmathématiques70 ». En effet, lorsqu’elle considère l’essence singulière d’un vécu de conscience (telleperception,telleimagination),ellecomposenécessairementaveclecaractèrefluantdelaconscienceetnepeutsaisiravecexactitudel’essencesingulièreduvécuconsidéré. Ilseraitdoncvaindechercheràmathématiserlaviefluantedelaconscience,etcetteintentionn’ad’ailleursjamaisétécelledeHusserl71.Lesessencesdesvécuspursnesont jamaisdéfinitivementdéterminables.L’évidenceeidétiqueestuneévidencesousprésomption72.

L’inexactitudefoncièredelaphénoménologienecondamnepaspourautantsascientificité,qu’ilfautdoncenvisagerenrenonçantauséduisantmodèlequenousproposentlesdisciplinesmathématiques.Eneffet, laphénoménologiecompensesoninexactitudeparlapossibilitéquiest lasiennedeproduiredesdescriptionsrigoureuses,pourpeuquel’ondépasseleniveaudel’essencesingulière(telleperception)pour atteindre celui d’une généralité eidétique supérieure (la perception). Il est bien possible, à ceniveau,de formerdes concepts rigoureux, c’est-à-dire relativement stables et fidèles audonné.En cesens, levéritableobjetdelaphénoménologien’estpaslamultiplicitéfluantedesvécusdeconscience,mais leurs structures lesplusgénérales, ressaisiesdans leurdimensionapriori ou eidétique.Dans lemême temps, même si l’essence pure ou Eidos transcende la multiplicité des vécus, elle demeureconstammentréféréeàceux-ci.

C’estencesensbienprécisquelaphénoménologieseradoncunesciencedescriptive,c’est-à-direunesciencequineprocèdenipardéduction,niparconstruction,maisquiinstitueunesaisieprogressivede l’essence par le biais de conjectures et de vérifications successives, enmettant les déterminations

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conceptuellesenvisagéesàl’épreuvedel’essencerecherchée,ouplutôtdecequirésisteàlavariation.Laconditionpremièredecettedescriptivitérésidedansl’exerciced’uneattentionparticulièreaccordéeaudonné,maissaconditioncomplémentaireconsistedanslaviséedegénéralitéeidétiquequidoitanimerle phénoménologue. Dans le § 11 d’Ideen III, qui reprend cette question en comparant cette fois-ciphénoménologieetpsychologie,Husserlsouligneracepoint:laphénoménologie«n’estpasunethéoriedesessencesempirico-descriptives,c’est-à-direqu’ellen’estpasuneinvestigationdel’essenceduvécuenconnexionaveclesréalitéseffectivesduvécudonnéesdansl’expérience,maiselleestunerecherchedespossibilitésidéalesduvécu73».

Universalité,nécessitéetlégalitéeidétiquesSuffit-il d’atteindre l’essence pour faire de la phénoménologie une science eidétique ? Il n’en est

rien.Lasaisiede l’essence, termede laréductioneidétique,n’estenréalitéque laconditionpremièrerequisepourconférerà laphénoménologie ladignitéd’unescience.L’identificationdesessencesn’estpaslederniermotdelaphénoménologie,maissoncommencement.Silaphénoménologiepeutseréalisercomme science, c’est avant tout parce qu’il lui revient de dire et donner à voir les propriétés desessences considérées en formulant des propositions, des énoncés exprimant des universalités et desnécessitésd’ordreeidétique.

Levéritable critèrede scientificitéde laphénoménologie s’énonceainsi aux§§5 et6dupremierchapitre, qui définissent les deux caractéristiques des jugements eidétiques : l’universalité et lanécessité.Eneffet,le§5établitunedistinctionsubtileentreles«jugementsportantsurdesessences»,qui prennent directement l’essence ou l’état-d’essence (Wesensverhalt) pour objet de jugement, et lesjugements«universels»quivaudrontpourtoutindividupouvantêtreconsidérécommecasparticulierdel’essence(quis’énoncentdoncsouslaforme«Touslestriangleséquilatéraux…»)74.Cesderniersnousmontrentquelagénéralitéeidétique,parcequ’ellerenvoieàunepurepossibilitéeidétique,présenteunevalidité qui est légitime pour tout exemplaire de l’essence : elle a par conséquent une extension parprincipeuniverselle(etce,évidemment,qu’ilyaitounon,ensus,positiond’existence).

Le § 6 stipule pour sa part que « la généralité d’essence et la nécessité d’essence sont […] descorrélats»75.Plusprécisément,lejugementeidétiquesecaractériseparsonapodicticité:ilexprimelerapportnécessaireentrel’«état-d’essence»enquestionetlecasparticulierquil’illustre.Lanécessitéd’essence est ainsi nettement distinguée de la nécessité empirique, qui suppose toujours des positionsd’existence76.

Universalité et nécessité sont lesmarques de la légalité eidétique, laquelle n’est pas directementthématiséeentantquetelledanslesIdeenI.Laphénoménologieseréalisecommescienceeidétiqueenénonçant des lois d’essence, c’est-à-dire des jugementsapriori portant sur des essences pures77. Lesénoncés descriptifs de la phénoménologie pure n’ont donc pas pour fin de saisir l’essence commecertainspassagesdesIdeenIpeuventlelaisserentendre,maisbiendeparcourirdeslégalitéseidétiquesquiconstituentlefondsrationneldetoutevieintentionnelle.La«nouvelleeidétique»phénoménologiquel’estenraisondudomained’objetqu’ellesedécouvre(lesessencespures)etdesacapacitéàétablirle« système de l’a priori universel78 ». La scientificité et la rationalité de la phénoménologietranscendantale repose sur cette « rationalité authentique » qui est « la connaissance à partir des loisd’essence79».

Il convient d’apporter une ultime précision. Les lois eidétiques qui sont à la portée de laphénoménologienesontpasdeslois logico-formellesouontologico-formelles(quisonteo ipsopures)dans lamesureoùellessontexclusivementconstituéespardesconcepts (ex terminis) sans lemoindrerenvoi à l’expérience.Uneontologie formelle est bienpossible, qui considèrera l’essence commeuneforme vide et pensera formellement les rapports que les essences entretiennent entre elles : elle

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hiérarchiseralesessencesentreellesendistinguantdesgenres(lenombreengénéral)etdesespèces(lenombre 2)80. De cette ontologie formelle, il convient de distinguer les ontologies matérielles, quidéterminerontpourleurpartlesconditionsde«remplissement»del’essence,ouencorelesconditionsmatériellesdetouteindividuationempirique.

La notion dematérialité (Sachhaltigkeit), a été introduite au § 11 de laTroisième Recherche, oùHusserldistinguaitdeuxformesfondamentalesd’apriori,l’unanalytiqueetl’autresynthétique,constituéde lois formelles pour l’un et de loismatérielles pour l’autre. La légalité formelle est libre de toutematière(cequivautparexemplepourlesconceptsde«propriété»,«relation»,«tout»,«partie»),tandisquelalégalitéditematérielleatraitauxchosesconcrètes(Husserlcitelesconceptsde«maison»,de«couleur»,d’«espace»,de«sensation»)81.Elledéfinit,pour lesobjets individuelsd’unerégionconsidérée, l’ensembledesgénéralités eidétiquesqui lesdéterminent« synthétiquement», c’est-à-direselonunerelationdedépendanceconcrète.Laphénoménologieestparconséquentunescienceeidétiquematérielle, en tant qu’elle appréhende la concrétude des vécus de conscience à partir des généralitéseidétiquespures82.

L’ambitionproprementhusserliennede fairede laphénoménologieunescienceeidétiquese traduitdoncparunesingulièreéconomietextuelle:danslesIdeenI,Husserldéfinitunenormeépistémique(vialathéorieontologico-logiquedel’essence)quelaphénoménologiesedevradesatisfairepourseréalisercomme science,mais aussi de fonder en retour. En ce sens, la phénoménologie n’est pas une scienceeidétique parmi d’autres, elle est aux yeux deHusserl celle-làmême quimet au jour les structuresapriori de la pensée et peut donc renouveler la philosophie et refonder l’ensemble des sciences.Circularitéméthodologiquequinepeuttrouversonissuequ’enlapratiquedelaphénoménologiecommetelle,c’est-à-diredans l’analysedesessencesdesdiversvécusdeconscience.Encesens, les Ideen In’introduisent pas à la phénoménologie comme s’il s’agissait d’entrer dans un système philosophiqueconstitué,ellesinaugurentbienplutôtunetâchequiresteàaccomplireffectivement.

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1-.HuaIII/1,Introduction,p.1[IDI,p.1].Voirégalementle§63,p.135-137[IDI,p.210-211].

2-.Ibid.

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3-.HuaXVIII,préfacedeladeuxièmeédition,p.8[RLII-1,p.XI].

4-.HuaIII/1,Introduction,p.4[IDI,p.4].

5-.HuaIII/1,Introduction,p.4[IDI,p.5].

6-.VoirsurcepointLavigne,2005.

7-.HuaIII/1,p.6[IDI,p.6].

8- .HuaIII/1,p.6 [IDI, p. 7]. Il est inexact de traduire le texte allemand (Wesenslehre […] transzendental reduzierterPhänomene) par « doctrine eidétique desphénomènestranscendantauxréduits»,commeonpeutlelirechezSowa,2009,§1.

9-.HuaXXV,p.3-62[PSR].

10-.HuaI, §34,p.106 [MC, p. 119-120] : « […] les réflexionsquiviennentd’être accompliesme font considérer évidentqu’ilme fautavanttout élaborer unephénoménologie purement eidétique, et que c’est en elle seule que s’accomplit et peut s’accomplir la première réalisation d’une science philosophique – celle d’une“philosophiepremière”.»

11-.C’estnotammentlecaspourlaméthodeditedela«variationeidétique»,méthodologiquementvirtuelledanslesIdeenI.

12-.HuaIII/1,§17,p.38[IDI,p.58]:«[delaphénoménologie],jusqu’àprésent,nousnesavonsencorerien.»

13-.HuaIII/1,§24,p.51[IDI,p.78].

14-.HuaIII/1,§17,p.38[IDI,p.57].

15-.HuaXVIII,§69,p.248[RLI,p.272].VoirégalementHuaXIX/1,Introduction,p.7[RLII-1,p.3],quirappellequelestâchesd’unelogiquepureconsistentà«clarifierlesconceptsetlesloisquiconfèrentàtouteconnaissanceunesignificationobjectiveetuneunitéthéorique».

16-.Encesens,laphénoménologienourritl’ambitiond’êtrephilosophiepremière,philosophierequisepourquelessciencessoientcorrectementfondées.Àl’oréedupremierlivredesIdeen,Husserlsecontented’affirmerladépendancedessciencesdefaitvis-à-visdesscienceseidétique:«toutescienceportantsurdesfaits(toutescienceempirique)trouvedansdesontologieseidétiquesdesfondements(Fundamente)théoriquesessentiels.»(HuaIII/1,§9,p.23[IDI,p.36].Au§19dulivreIIIdesIdeen(HuaV, § 18, p. 98 [IDIII, p. 117]),Husserl précisera la nature de la tâche de « clarification (Klärung) dumatériel conceptuel » des sciences empiriques qui incombeinévitablementàlaphénoménologie.Cette«clarification»neconsistepasenunecollectioncontingentedeprécisionslexicalesmaisfondeendroitlavaliditédesconceptsenusage:les«conceptslogiques-formels»quisontlelotdetouteslessciencesengénéral;lesconceptsrégionauxquisedistinguentparleurgénéralité;les«particularisationsmatérielles»desconceptsrégionaux,«bienpropre»dechacunedessciencesparticulières(HuaV,§18,p.98[IDIII,p.118]).

17-.HuaIII/1,Introduction,p.8[IDI,p.9].VoirégalementBernet,Kern,Marbach,1989.

18-.Voirsurcepointl’ensembledelasecondedesRecherchesLogiques,HuaXIX/1,p.113-226[RLII-1,p.125-257].

19- .Hua XIX/1, Deuxième Recherche, § 8, p. 130 [RL II-1, p. 153]. Les Recherches Logiques confondent ainsi, sous la rubrique de l’essence, les universauxproprementditsetl’idéalitédessignifications.HuaXIX/1,PremièreRecherche,§32,p.107[RLII-1,p.117]:«l’idéalitédessignificationsestuncasparticulierdel’idéalitéde ce qui est spécifique en général ».Dans son exemplaire personnel,Husserl a plus tard raturé l’expression « de ce qui est spécifique » dans la phrase précédente (cf.Hua,XIX/2,p.818).

20-.HuaIII/1,§2,p.13[IDI,p.17].

21-.Ibid.

22-.HuaIII/1,§3,p.13[IDI,p.19].VoirégalementHuaIII/2,p.582etHuaXXX,p.373.

23-.HuaIII/1,§2,p.13[IDI,p.18].

24-.HuaIII/1,§13,p.33[IDI,p.50].

25-.EU,§82,p.398et§86,p.409[EJ,p.401etp.412].RealdésignetoujourschezHusserlcequiestposéautitrederéalitédansl’attitudenaturelle(HuaIII/1,§§1et33,p.10-11et66-69[IDI,p.13-16et105-109]).Ildoitêtredistinguédecequiesteffectivement(wirklich),c’est-à-direlarelationdunoèmeàl’objet(HuaIII/1,§90,pp.206-209[IDI,p.310-315]),commedecequiestreell,quirenvoieàlacompositionmatérielledel’acteetaunon-intentionneldelaviséeintentionnelle(HuaIII/1,§38,p.79[IDI,p.123]).

26-.EU,§86,p.410[EJ,p.413].

27-.HuaIII/1,§4,p.33[IDI,p.24].

28-.HuaXXVI,§36,p.126[Surlathéoriedelasignification,p.160-161].

29-.HuaXVII,§98,p.255[LFLT,p.332]:«C’est[leconceptd’Eidos]exclusivementquiestdoncvisé,chaquefoisoùdansmesécritsilestquestiond’apriori.»

30-.HuaIII/1,§7,p.20[IDI,p.31].

31-.HuaIX[PsyPh].

32-.Kern,2003.

33-.HuaIII/1,§3,p.14[IDI,p.21].

34-.HuaIII/1,§22,p.47-48[IDI,p.73].

35-.HuaXIX/1,RechercheII,Introduction,p.120[RLII-1,p.126].

36-.HuaIII/1,Introduction,p.6[IDI,p.7].

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37-.HuaIII/1,§22,p.14[IDI,p.21].

38-.HuaIII/I,Introduction,p.6[IDI,p.7].Surlerapportentreréductiontranscendantaleetréductioneidétique,voirStröker,1987,p.80sq.

39-.HuaIII/1,§31,p.62[IDI,p.96].NousrenvoyonssurcepointauxanalysesdeJ.-F.Lavigne(Lavigne,2009).

40-.HuaIII/1,§33,p.68[IDI,p.108].

41- . J.-F.Lavignesouligneàcepropos toute l’importancedumotifeidétiquequi sous-tend la réduction transcendantale,dans l’effortpourdégager l’essencede laconscience(Lavigne,2009).

42-.Cettequestionseposedéjàavecacuitédanslecoursde1906-1907d’Introductionàlalogiqueetàlathéoriedelaconnaissance(HuaXXIV,§37,p.220[ILTC,p.263].

43-.HuaI,§35,p.106[MC,p.120].

44-.HuaIII/1,§3,p.13[IDI,p.19].

45-.HuaIII/1,§3,p.14[IDI,p.21].

46-.HuaIII/1,§3,p.15[IDI,p.23].

47-.HuaIII/1,§4,p.17[IDI,p.25].

48-.HuaIII/1,§65,p.138[IDI,p.214],p.214.

49-.HuaXIX/2,SixièmeRecherche,§47,p.677[RLIII,p.182].«L’unitédelaperceptionseréaliseentantqu’unitésimple,fusionimmédiatedesintentionspartiellesetsansinterventiondenouvellesintentionsd’actes.»

50-.HuaXIX/2,SixièmeRecherche,§43,p.666[RLIII,p.169].

51-.HuaIII/1,§67,p.141[IDI,p.217].

52-.Ibid.

53-.HuaIII/1,§67,p.142[IDI,p.218].

54-.HuaIII/1,§68,p.144[IDI,p.221].

55-.Ibid.

56-.HuaIII/1,§70,p.148[IDI,p.227].

57-.HuaIII/1,§70,p.146[IDI,p.223].

58-.HuaIII/1,§70,p.148[IDI,p.226].

59-.HuaIII/1§75,p.157[IDI,p.239].

60-.Husserldéveloppelaméthodologiedelavariationeidétiquedansdeuxtextescomplémentaires,pratiquementidentiques:EU,§§86-91,p.409-432[EJ,p.412-434]etHuaIX,§9,p.72-87(PsyPh,p.71-84).Le§34desMéditationsCartésiennesmériteégalementconsidération.

61-.HuaIX,§9,p.76[PsyPh,p.74].VoirégalementEU,§90,p.426[EJ,p.429].

62-.HuaIX,§9,p.86[PsyPh,p.83].

63-.HuaIX,§9,p.76[PsyPh,p.74].VoirégalementHuaV,§7,p.29[IDIII,p.36]quiillustrecespréconisationsméthodologiquesparuneanalyseconcrèteet,enfin,HuaXVII,§98,p.218[LFLT,p.331].

64-.HuaIII/1,§86,p.196sq.[IDI,p.297sq.].

65-.HuaIII/1,§71,p.149[IDI,p.228].

66-.HuaIII/1,§75,p.150[IDI,p.229].

67-.HuaIII/1,§70,p.147[IDI,p.225].

68-.HuaIII/1,§73,p.154[IDI,p.235].

69-.HuaIII/1,§72,p.152[IDI,p.232].

70-.HuaIII/1,§75,p.158[IDI,p.241].

71-.Ibid.

72-.HuaVIII,p.383.

73-.HuaV,§11,p.69[IDIII,p.83].

74-.HuaIII/1,§5,p.17-18[IDI,p.26].

75-.HuaIII/1,§6,p.19[IDI,p.29].

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76-.Husserldonne,enguised’exempledelanécessitéempirique,l’énoncé«Touslescorpssontlourds»(sous-entendu,«auseindelanature»)et,enguised’exempledelanécessitéeidétique,l’énoncé«Touslescorpsmatérielssontétendus»(HuaIII/1,§6,p.20[IDI,p.30]).

77-.EU,§97,p.454[EJ,p.457sq].

78-.HuaI,ConférencesdeParis,p.38[MC,p.39].

79-.HuaXXVII,p.17[Renouveau,p.36].

80-.IDI,§12pp.45-47.

81-.HuaXIX/1,TroisièmeRecherche,§11,p.256[RLII-2,p.36].

82-.HuaIII/1,§72,p.150[IDI,p.229].

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Réductionetneutralisation:Delalégitimationdelaréductiontranscendantaleauxconditions

depossibilitédelaraison

(§§41-42,49-51,90,97,109-114,133,136-145)

Jean-FrançoisLavigne

Silaraisonn’estautrechosequelavalidité,àl’égarddelaréalité,desprocéduresdelarationalitéc’est-à-diredesstructuressubjectivesquirégissentlaperception,lejugementetlaconsécutionlogique,l’élucidationphénoménologique de ces procédures noétiques ne peut avoir la portée d’une fondationcritique de la raison qu’à la condition que soit pleinement valide la thèse de l’idéalismephénoménologique transcendantal1, c’est-à-dire l’identification sans reste de l’étant au corrélatconstitué.Eneffet,c’estdanslamesureoùseravérifiéel’identitédel’êtreaveclapossibilitéidéaleduremplissement perceptif de la visée, que l’exercice normal des synthèses transcendantales de diversdegréspourraprétendredépasserlaportéeseulementsubjective,irrémédiablementproblématique,delaconnaissancetellequel’interprétaitl’idéalismekantien.Fautederecevoir,eneffet,unetellevalidationmétaphysique stricte–quine suppose riendemoinsqu’une saisiede l’êtreen lui-même2 – lagenèseconstitutivetotaledumonde,commesystèmeinfinidescorrélatsintentionnelsd’unecommunautéouvertede subjectivités en relation d’intercompréhension, ne pourra jamais susciter qu’une appréhensioncollectivementsubjectivedumonde,etn’atteindradonc,enfaitderéalitétranscendante,qu’unfantômesynthétiqueunitaire,intersubjectivementcohérent.

Or, la cohérence d’apparitions dont la variation se déroule conformément à une règle – mêmeintersubjectivementpartagée–n’apaslepouvoirdefairequesoitcequin’estpas:lepartagecollectifd’une hallucination, si c’est une hallucination, ne fait que généraliser l’illusion et sa croyance – il neproduit aucune réalité. Cependant, le sens qui pour la conscience naturelle s’attache invinciblement àl’être de l’étant, et à la réalité dumonde, c’est la transcendance entendue stricto sensu, c’est-à-direl’êtreausensabsolu:l’êtrecommeindépendanceradicaledel’étantàl’égarddelaconnaissance,etdetouteactivitésubjectiveengénéral.

Or,éluciderl’origined’unetelletranscendance,nondelasimple«objectivité-pour-tous»àlaquellese borne le « phénomène » de Kant, tel est bien le projet ontologique qui fait le radicalisme de la

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phénoménologie transcendantale, et son audacieuse nouveauté. Le criticisme en effet, borné par sonapprochepsychologiquedel’activitécognitivedelasubjectivité,neparvientàvaliderlaconnaissanceque par rapport aux « phénomènes » comme objets d’une expérience possible, nullement en tantqu’étants.C’estpourquoiKantn’avaitpufaireplusqueposer–paradoxepourlesuns,contradictionpourlesautres–unescissionproblématiqueentrelemondecommeobjectivitéconnaissableetlaréalitéensoidel’étant.

Rien de tel en phénoménologie : le projet deHusserl, qui n’a jamais cessé depuis ses débuts3 derécuser l’idée kantienne de « chose en soi », est de fonder dans la phénoménalité pure de la vieintentionnelle lapossibilitémêmede toute transcendance–ycompris la transcendanceparexcellencequ’estl’êtreabsoluquelaconsciencedanssonattitudenaturellereconnaîtaumonde.Laphénoménologietranscendantalen’estpasunecritiquedelapossibilitédel’objet,elleveutêtreunegénéalogie radicalede l’étant comme tel, dans et selon sonmode d’être. Car ici, l’être n’est pas laissé en dehors de laphénoménalité;ilestdestinéàs’yrésorberentièrementparlamédiationdusens.C’estcetterésorptiondelatranscendancedel’étantdansl’activitévivanted’actualité/potentialitédelaconsciencequeHusserlnommeconstitution.

Aussi est-il essentiel à la conception husserlienne de la réduction phénoménologique de soutenirqu’ellenefaitrienperdredesdimensionsontologiquesdumondedel’expériencenaturelle.Husserlécritàcepropos,aussitôtaprèsleslignesdu§50oùsetrouvepourlapremièrefoiseffectuéeexpressémentlaréduction,etpourenexpliquerlesens:

End’autrestermes:aulieud’accomplirdemanièrenaïvelesactesquiappartiennentàlaconscienceconstituantlanature,avecleurs thèses transcendantes, et denous laisserdéterminer, par lesmotivationsqu’ils contiennent, àdes thèses transcendantes toujoursnouvelles,nousmettons toutesces thèses«horsd’action»,nousn’ycoopéronspas ; le regarddenotre saisieetdenotre recherchethéorique, nous le dirigeons sur la conscience pure dans son être propre absolu. C’est donc elle qui reste, comme le « résiduphénoménologique»recherché,quirestebienquenousayonsmis«hors-circuit»lemondeentieravectoutesleschosesmatérielles,lesêtres vivants, les hommes, nous-mêmes y compris.Nous n’avons à proprement parler rien perdu,mais gagné l’être absolu dans sonensemble,lequel,biencompris,abriteenlui-mêmetouteslestranscendancesmondaines,les«constitue»enlui-même4.

Que le monde, une fois soumis à la réduction phénoménologique – le monde-corrélat-de-la-conscience-perceptive,end’autrestermeslemondephénoménal–necessed’inclurelatranscendancemêmedelaréalitécommeunedimensioninternedesateneurd’essence5,estdoncunethèseabsolumentdécisive pour la validité de la critique husserlienne de la raison, au-delàmême de sa critique de laconnaissance : c’est sur l’affirmation que la transcendance de l’être se laisse interpréter sans restecomme un caractère intentionnel lié à la structure déterminée de certains vécus (de l’intuitionremplissante perceptive) et de leurs lois d’enchaînement, que se joue la viabilité de la philosophiephénoménologique de Husserl. Aussi écrit-il, dès le début du § 51, cette formule très claire où seréaffirmelesensontologiquedesonidéalismetranscendantal:

[…]lanaturen’estpossiblequ’entantqu’unitéintentionnellemotivéedanslaconsciencepurepardesenchaînementsimmanents.6Etd’insister,àlafindumêmeparagraphe:L’existenced’unenaturenepeutpasconditionnerl’existencedelaconscience,puisqu’elleserévèlebeletbienelle-mêmecomme

corrélatdeconscience;ellen’estqu’entantqueseconstituantdansdesenchaînementsréglésdelaconscience7.

Cesrappelsmettentenpleinelumièrel’importancecrucialequerevêtlaquestiondurapportlogiqueque Husserl établit, dans la Deuxième Section d’Ideen I, entre cet idéalisme ontologique de lasubjectivitéetlapratiqueméthodiquedelaréduction,devenantréductiontranscendantale8.Eneffet, laréductiondel’étanttranscendantàlaseuledimensiond’uncorrélatintentionnelexige,pourêtrelégitimeet ne pas apparaître comme un appauvrissement falsificateur, d’être justifiée au préalable par unevérificationdelaréductibilitédepleindroitdecetétantaustatutd’objetd’uneperceptionpossible,etparlà,àceluidenoèmeperceptifpossibleparprincipe.Cetteréductibilitédepleindroit,c’est-à-direlastricte équivalencequant au senset aucontenu,de l’étant comme réal transcendant etde l’objetd’une

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perception idéalement possible, est précisément ce que proclamait la double thèse de l’idéalismephénoménologiquetranscendantal,formuléedanslecélèbre«pastichecartésien»du§49:

L’êtreimmanentestdoncindubitablementêtreabsolu,ausensoùparprincipenulla«re»indigetadexistendum.D’autrepart lemondedes« res » transcendantes est depart enpart référéà la conscience, et, s’entend, nonpasà la

conscienceconçueselonunprocédélogique,maisàlaconscienceactuelle9.

C’est pourquoi, dans l’ordre suivi par la « Considération phénoménologique fondamentale10 »,Husserln’instaurepaslaréductionavantcetteinterprétationontologiqueduvécuperceptif,maisétablitd’abord(dans les§§42à49) lavaliditéde la thèse idéaliste,avantd’adopterexplicitement l’attitudephénoménologique(au§50),afindegarantirparcettethèselalégitimitédelaréductiontranscendantale.

Or,sil’identificationidéalistedel’étantaucorrélatintentionnelcompletnepeutpasêtregagnéeparuneanalyseopéréesousréductionphénoménologique,portantsurunvécu«pur»ausenstranscendantal– selon quellepostureméthodique une telle relativisation peut-elle être fondée ? Et, corrélativement,quelstatutontologiquepeutbienêtrereconnuauvécudeperceptionsoumisàl’analyseréflexivedansunetelleposture,pardéfinitionnon-réductive?

Husserladoncmanifestementbesoind’unautreprocédédeméthode,distinctde laréductionetenmêmetempspréalableàlapositiondesathèseidéaliste,pourluipermettredefonderenpremierlieu– dans une évidence intuitive qui soit conforme au « Principe des principes »11 – cette positionontologique.

Dansunouvragerécent12 onapumontrer endétail commentHusserl a résolucedélicatproblèmeméthodologiqueens’appuyantuniquementsurl’approcheeidétiqueduvécuintentionnel,traitéàlafoiscomme objet de la réflexion et comme essence singulière13. Cette postureméthodique sans réductiontranscendantaleluipermetàlafoisd’affirmeràplusieursreprises,dèsles§§33et34etjusqu’au§42,que sa méthode alors est uniquement l’analyse de l’essence14, et de rappeler régulièrement que sesanalyses se déroulent sans quitter le sol de l’attitude naturelle15. L’examen détaillé des effets queproduit lacombinaisondelapriseenvueréflexiveduvécusingulieretdesathématisationeidétique16permet de montrer qu’à la faveur de cette essentialisation de la perception singulière Husserl opère,tacitement,unevéritablepré-réductionontologique,quidélesteparavance l’objetperçudesonpoidsd’effectivité transcendante, et le ramène à la seule consistance ontologique d’un corrélat idéal, d’unobjet-apparaissant-possible.

Cette hypothèse exigeait évidemment que l’on identifie le stade précis de laFundamentalbetrachtung où Husserl met en place ce qui fonctionne de facto comme une exécutionanticipéedelaréductiontranscendantale.L’examendestextesconduitàconclurequel’opérationalieudèsleparagraphe41,àlafaveurdelamiseenévidencedelaloieidétiquedecorrespondanceentrelesystème légal de variabilité des esquisses perceptives et la visée intentionnelle d’une déterminationphénoménaleidentique(lacouleur)rapportéeàl’objet(comme«couleurdecettechosematérielle»).Cesont en effet deux choses très différentes, que d’affirmer une stricte corrélation intentionnelle entre lavariation des data hylétiques vécus (la couleur comme couleur éprouvée) et l’identité du corrélatnoématique(lacouleurcommecouleurperçue) ;etd’affirmer,d’autrepart,quececorrélatnoématiqueidéal est la propriétémême de la chose comme étant transcendant (la couleur en tant que propriétéchromatique d’un réal physique). Dans l’analyse du § 41 cette différence est escamotée, et Husserlconclutdirectementdelacorrélationnoético-noématiqueàladépendancesubjectivedel’étantchosique.Le cinquième alinéa du paragraphe déclare en effet, aussitôt après l’établissement de la corrélationperceptive:

Tandis que la chose matérielle est l’unité intentionnelle, ce qui est conscient de façon identique-unitaire dans l’écoulementcontinûment réglé desmultiplicités perceptives passant l’une dans l’autre, celles-ci elles-mêmes ne laissent pas d’avoir leur contenudescriptifdéterminé,…[…]17.

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Etladernièrephrasedu§42conclutdemême:

Parailleurs,lachosespatialen’estriend’autrequ’uneunitéintentionnelle,quiparprincipenepeutêtredonnéequecommeunitédetellesmanièresd’apparaître18.

La même pré-réduction arbitraire se marque également par l’identification immédiate, dans cesmêmes pages, de la transcendance du réal perçu avec le caractère par principe inachevable de laconnaissance perceptive – comme si le seul sens possible de la transcendance ontologique de l’étantnaturel était d’en excéder phénoménalement l’exposition perceptive momentanée, au sein de laperception même. Mais la transcendance que la conscience naturelle reconnaît à la réalité estontologique,etnonpasphénoménale.Elleneseramènenullementàl’inadéquationdesadonation.

Cetteinterprétation,cependant,laissaitencoreouvertesdeuxquestionsimportantes.

Toutd’abord,commentimaginerqu’unespritaussilucideetautocritiquequeHusserlaitpuanticiperainsitacitement,etpourainsidireclandestinement,laréductiontranscendantaledontils’agissaitprécisémentdefonderlapossibilité,sanss’enapercevoirlui-même?Nepourrait-onalorstrouver,dansletextemêmedesIdeen…I,l’indicationd’unecertaineprisedeconsciencedecequiressemblefortàuncercle?

D’autrepart,l’affinitétrèsétroiterelevéeparHusserllui-mêmeentrelaréductionphénoménologiqueet la modification de neutralité telle qu’il la définit et l’étudie aux §§ 109 à 117, peut suggérer unehypothèse plus nuancée : s’il semble si étrangement aller de soi, dans les §§ 41 et 42, que l’étanttranscendantperçunesoitriendeplusquelecorrélatidéalviséd’unesérierégléed’apparitions,etquela transcendance seulement phénoménale de l’inadéquation équivaille à la transcendance absolue, neserait-cepasquel’analysedelaperceptionsingulièreentantqu’eidosenveloppe–àl’insudel’auteurounon–uneneutralisationdelacroyanceoriginaireàl’êtredumonde?

*

Envisageonsd’abordcettesecondehypothèse.EllesetrouverenforcéesionsuitlecommentairequePaulRicœur a proposé de ces pages, en complément de sa traduction : Pour ressaisir l’intention desparagraphes 103 à 117, oùHusserl interprète à partir de la corrélation noético-noématique la relationentre « caractères (intentionnels) d’être » et « caractères de croyance », et analyse lesmodificationsintentionnellesauxquellespeuventêtresoumiseslesthèsesdoxiquescorrespondantes,Ricœurécrit19:

L’importancedecetteanalyseestgrande:la«thèse»dumonde,onlesait,estunecroyance;c’estdonciciqu’elleestincluse,commecaractèredunoème,dans lastructuremêmeduvécu,aprèsavoirétéexcluecommepertenaïvedans lemonde.Laréductionelle-mêmevaêtrerencontréeparmilesmodificationsdelacroyancemère(Urdoxa),§109:etainsilaphénoménologiefaitaccéderaurangd’objetlacroyancenaïvedontelledélivreetlaréductionlibératriceelle-même;cf.p.223n.1[…].

La première remarque est indéniablement juste : c’est bien à partir de ce § 103 que Husserl vas’efforcer d’inscrire, par ses descriptions, la réalité effective de « l’objet tout court » (Gegenstandschlechthin)etla«thèsedumonde»dansladimensionnoématiquedel’acteperceptif.C’estdoncbienàpartirdecedébutduchapitreIV20delaTroisièmeSectionqueHusserlmetenœuvreconcrètementsoninterprétationidéaliste-transcendantaledelaréalitémondaine,par l’assimilationconcrètedel’objetaunoèmeidéalementcomplet.Orsi,commel’affirmeRicœur,lamodificationdeneutralitéestl’opérationquipermetlamiseenévidencedel’inclusionducaractèred’«être»,commecaractèrenoématique,dansla vie subjective, on est amené à reconnaître en cette modification intentionnelle cette pré-réductionimplicitequirendparavancepossibleladoublethèseidéaliste.

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Ilestdoncbeletbiend’une«grandeimportance»dedétermineravecexactitudelerapportentrelamodification neutralisante de la thèse du monde comme thèse doxique originaire, et la réductiontranscendantale.

LecommentairecitémontrequeRicœur,poursapart,identifiepurementetsimplementlaréductionphénoménologique, comme suspension de la thèse naturelle dumonde, à lamodification de neutralitéappliquéeauvécuperceptif(puisquec’estlaperceptionquifondeetconfirmeconstammentlacroyance« naïve » à la réalité) : s’il estime que « la réduction elle-même va être rencontrée parmi lesmodifications de la croyance-mère » au « § 109 », c’est parce que là précisément est définie lamodificationneutralisante.Or,c’estjustementdansce§109quesetrouvelanoteàlaquelleilfaitaussiréférenceici,parcerenvoiàla«p.223,n.1»;danslanote1ainsidésignée,Ricœurconfirmecetteidentification:

Ceslignesattestent–écrit-il–quel’analyseportebiensurlamodificationquiarendupossiblelaphénoménologie21.

Quelle«modification»dethèsedecroyanceapu«rendrepossiblelaphénoménologie»,sinonlamisehors-circuitdel’attitudenaturelle,donclaréductionphénoménologique?Defait, ilécrivaitdéjà,dansunenoteantérieureaccompagnantletitredu§109surlamodificationneutralisante:

[…]touteslesmodificationsantérieuresapparaissentcommedespositions[…]auregarddelanouvellemodification,quiseuleneposepas,s’abstientdeposer.C’estellequemetenœuvrel’épokhè.[…]22.

Pourtant, si on considère attentivement les lignes du texte husserlien dont Ricœur estime qu’elles« attestent » que l’analyse porte bien ici sur une modification intentionnelle qui n’est autre que laréduction,ontrouveplutôtmotifdemettreendoutecettelecture.Husserlyécriteneffet:

Tout a les«parenthèses»modificatrices, étroitement apparentées à cellesdontnous avons tantparlé auparavant, et qui sont siimportantespourpréparerlavoieàlaphénoménologie23.

SiHusserlaffirmebienainsiuneextrêmeproximité,une«parenté» («naheverwandt») entre laneutralisationd’unethèsedoxiqueetlaréductionphénoménologique,ilestd’autantplussignificatifqu’ilnedisejustementpasqu’ils’agitdumêmeacteouprocédé!Parlericid’affinitéproche,c’estjustementunemanièrederefuserl’identificationdirecte,enluipréférantuneformederapprochementquipréserveunedifférence – siminime ou subtile soit-elle.Quant à la note 1 de la page 366, citée plus haut, oùRicœurexpliqueque lamodificationneutralisanteest l’opérationen laquelleconsiste l’épokhè, il fautrappeler qu’il s’agit là seulement de l’épokhè de la croyance naturelle aumonde, dans lamesure oùcelle-cineseconfondpasaveclaréductiontranscendantale,dontelleneformequelepremiermoment.

Eneffet, la réduction transcendantale complète est la reconduction de l’objet, en tant que corrélatnoématique,àsasourceintentionnellenoétiqueetauxsystèmesaprioriquilarégissent,etc’estàcetitrequ’elle peut prétendre ne pas « perdre » le monde auquel a affaire la perception naturelle, mais leretrouver,entier,auseindelaviedelaconscience.Ilfautdoncsegarderdeconfondrelasimplemiseensuspensdelacroyanceàl’êtreensoidumonde,etsamiseentreparenthèses:laparenthèseconserve,tandisquelesuspensdelacroyanceestpurementnégatif.C’estpourquoi,silaneutralisationdeladoxaoriginaire est effectivement, d’un côté, l’opérateur de l’épokhè phénoménologique, cette identité, enrevanche,nepeutpasengagerHusserlàreconnaître,entrelamodificationdeneutralitéetla«miseentreparenthèses»propreàlaréduction,davantagequ’unesimple«parenté»–mêmefort«étroite».

Observons aussi queHusserl n’attribue à ces « parenthèses » phénoménologiques qu’une fonctionpréparatoire:ellesn’ontpaslepouvoird’instaurerl’attitudephénoménologique,maisseulementdelui«préparerlavoie24».Cesecondindiceconfirmeque,silamodificationneutralisantedelaperceptionopèrebien lamiseensuspensde la« thèsed’être»essentielleauvécuperceptif,cette suspensionde

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croyancen’estpas l’effectuationde la réductionphénoménologiqueelle-même,qu’ellenepourrait toutauplusquepréparer.

L’examendelasecondehypothèseaboutitdoncdéjààunpremierrésultat:s’iln’estpasexcluquelamodification de neutralité joue un rôle dans la pré-réduction ontologique tacite qui rend possiblel’interprétation idéaliste-transcendantale de la perception au § 41, il est certain, en tout cas, qu’on nepeut identifier neutralisation doxique et réduction phénoménologique, contrairement à ce que lecommentairericœurienpouvaitlaissercroire.

Reste alors l’essentiel de cette seconde interrogation : la modification de neutralité est-elleeffectivement le procédé noético-logique qui rend possibles l’assimilation clandestine de latranscendance stricto sensu à la seule transcendance phénoménale, et la pré-réduction de l’étanttranscendantàuncorrélatintentionnel?

*

Avantd’examinercefonddelaquestion,ilestnécessairederépondreàcellequiavaitétéposéeenpremierlieu:Nepeut-ontrouverdansletextedesIdeen…Il’expressiond’uneprisedeconscience,parHusserl, de cette auto-présuppositionde la réduction transcendantale, qui ressembled’assezprès à uncercle?

Cetteprisedeconscienceexisteeffectivement:troispassagesdesIdeenenportenttémoignage,dontlerapprochementconduitàd’intéressantesconclusions.

Un premier texte, au début du chapitre consacré à introduire le concept de noème et la relationnoèse/noème, confirmeque c’est biendès le § 41 que s’amorce le « passage de l’attitude naturelle àl’attitudephénoménologique».Husserlécrit,auxpremièreslignesdu§88:

[…] nous rencontrons tout de suite, en ce qui concerne <181> l’intentionnalité, une distinction tout à fait fondamentale : ladistinctionentrelescomposantesproprementditesdesvécusintentionnelsetleurscorrélatsintentionnels,oulescomposantesdecesderniers.NousavonsdéjàabordécettedistinctiondanslesconsidérationspréliminairesdelaDeuxièmeSection25.Ellenousservait,danslepassagede l’attitudenaturelleà l’attitudephénoménologique,àmettreclairementen lumière l’êtrepropre (Eigensein) de la sphèrephénoménologique.Cependant,delasignificationradicalequ’elleacquiertauseindecettesphèreelle-même,doncdanslecadredelaréductiontranscendantale,significationtellequ’elleconditionnetoutelaproblématiquedelaphénoménologie,ilnepouvaitêtrequestionàcetendroit-là26.

Husserlreconnaîtainsique,mêmes’il«nepouvait[en]êtrequestionàcetendroit-là»,doncdansle§41(commelepréciselanotequ’ilaajoutée),ladistinctionetl’articulationquece§41effectueentrecomposantesnoétiquesetcorrélatnoématiqueduvécuintentionnelsontbienlesmêmesquiserévèlerontplustardavoirvaleurdefondement(une«significationradicale»)àl’égardde«toutelaproblématiquede la phénoménologie », dans une pratique de la réduction qui osera alors se déclarer«transcendantale».Ladifférenceentrelacorrélationnoético-noématiquequ’exposele§41etcellequipeut justifier l’idéalisme transcendantal et sa réductionn’estdoncpasunedifférencedecontenu,maisréside uniquement dans le degré de son explicitation : C’est bien la même corrélation, pourvue desmêmespropriétés,doncdumêmesens,etparsuitedouéedelamêmeportéeontologique;seulement,sielle est déjà ensubstance transcendantale, il n’est pas encore, « à cet endroit-là », pédagogiquementexpédientdeledire.CommeHusserlledéclareradanslaPostfaceàmesIdeen27de1930,sonintentionen élaborant cette Deuxième Section était deménager au lecteur un « passage » continu de l’attitudenaturelle à l’attitude phénoménologique, où celle-ci apparaîtrait alors légitimée par la nécessitérigoureuse qui résulte d’évidences eidétiques28. La fonction propédeutique des §§ 41 et 42 interdisaitdoncdedireexplicitementlesenstotaldecequi,pourtant,venaitdéjàbiend’yêtreeffectué–maissansquelelecteurenpuisseapercevoirtoutdesuitelaportéeradicale–idéaliste-transcendantale.D’oùcedemi-aveuaposteriori,dansle§88.

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Que la mise en évidence de la solidarité de corrélation qui rattache la variation hylétique des

«esquisses»perceptivesetl’apparitionnoématiquedesdéterminationsdel’objetdansle§41comportebiendéjà l’exécutionde faitde la réductionphénoménologique, alors quen’est pas encore acquise lapositionontologiquequidoitlalégitimer,onlevérifieégalementplusloin,dansunalinéa-clédu§97,deceparagrapheoùHusserldécritendétaillesmutationsintentionnellesinduitesparlamiseenœuvredelaréduction transcendantale. Dans cette très célèbre analyse de la perception phénoménologiquementréduited’un«arbre[…]danslejardin»,Husserlreprendintégralementetidentiquementlecontenudu«théorèmeeidétique»établiau§41:

Nous acquéronsmême, dans l’accomplissement de la réduction phénoménologique, l’évidence eidétique générique qui veut quel’objet arbre ne puisse apparaître, dans une perception en général, comme déterminé objectivement tel qu’il y apparaît, que si lesmomentshylétiques(oudanslecasd’unesérieperceptivecontinue–quesilesvariationshylétiquescontinues)sontprécisémentcelles-ci,etnond’autres.Celaimpliquedoncquetoutealtérationdelateneurhylétiquedelaperception,lorsqu’ellenesupprimepaspurementetsimplementlaconsciencedeperception,doitaumoinsavoirpourheureuxeffetquel’apparaissantdevientobjectivementun«autre»,quecesoitensoi-même,oubiendanslemoded’orientationafférentàsonapparition,etc29.

La nouveauté, ici, est que ce constat eidétique est expressément reconnu comme appartenant aucadreméthodologiquedela«réductionphénoménologique» : Indicesupplémentaired’un liendirectentrecelle-cietlathèsecorrélativistedu§41.

Maislapreuvedécisiveestfournieparleonzièmealinéadumême§97:Husserlyfaitexpressémentdelacorrélationconstitutiveesquisseshylétiques/identitéintentionnelle–établieeidétiquementau§41,donc en principe sans l’opération de réduction – lemotif déterminant qui non seulement légitime laréduction,maisfondesaqualificationcomme«transcendantale»:

Ladésignation de la réduction phénoménologique, et, pareillement, de la sphère duvécupur comme« transcendantale » reposeprécisément sur ceci que, dans cette réduction, nous trouvons une sphère absolue de matériaux et de formes noétiques dont lesentrelacements de type déterminé possèdent, en vertu d’une nécessité eidétique immanente, ce merveilleux avoir-conscience(Bewussthaben)d’uneentitédéterminéeoudéterminabledonnéedetelleettellefaçon,quiestpourlaconscienceelle-mêmeunvis-à-vis, un autre par principe, irréel, transcendant, et qu’ici se trouve la source originelle de l’unique solution pensable des problèmesgnoséologiques les plus profonds, concernant l’essence et la possibilité d’une connaissance objectivement valide du transcendant. Laréduction«transcendantale»opèrel’épokhèàl’égarddel’effectivité:maisàcequ’elleenconserveappartiennentlesnoèmes,avecl’uniténoématiquequi réside en eux-mêmes, et ainsi lamanièredont le réal est justement conscient, et spécifiquementdonnédans laconscienceelle-même30.

Cepassagesesitueàunstadedelaprogressiondutraité(§97)oùlaréductiontranscendantaleadéjàétédéfinie,justifiée,etvientd’êtreillustréedanssapratique.LeproblèmequiseposeàHusserlestalorsinverse de celui qu’avait à résoudre laFundamentalbetrachtung : nonplus trouver une voie intuitivepour passer légitimement, sans quitter l’attitude naturelle, de l’analyse réflexive de la perception à laréduction transcendantale ; mais désormais, puisque la réduction est acquise comme « attitudephénoménologique », définirà l’intérieur de ce cadre le rapport de la réduction transcendantale à lacorrélationperceptive.

L’élémentsignificatifestquecesoitexactementlemêmeétat-de-choseseidétique,déterminéparlesmêmespropriétésrigoureusementidentiques,quiconfèreiciàlaréductionsoncaractèretranscendantal–sonaptitudeàintégrerauvécuintentionnellaréalité31entantquetranscendance–àprésentqu’onsetrouveétablidanscerégimeréductif(«danscetteréduction,noustrouvons…»,ditHusserlaudébutdel’alinéa);etqui,avant l’adoptiondel’attituderéductive–au§41–permettait,enprincipesanscetteréduction,deproclamerdéjà ladépendanceontologiquedel’étantréalà l’égardde laconscience,sonidéalitédesimple«unitéintentionnelle»!Cetteidentitédetraitement,avantcommeaprèslaréductiontranscendantale, ne peut s’interpréter que de deux manières : ou bien on conclura que la réductionphénoménologiquetranscendantalenechangerienà lastructureniausensduvécuintentionnel,niàsaportéeentantqueconstituant;oubienilfautadmettrequecetteportéeconstituante,quirésorbedansle

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noème l’étant réal même, avec sa transcendance, appartenait déjà d’emblée à cette structure decorrélation.

Lapremièredeceslecturesestenévidentecontradictionavectoutl’enseignementhusserlien:silaréduction est indispensable selon Husserl, c’est bien parce que son adoption change tout dansl’interprétationdelaperceptioncommeévidencedumonde.Doncilfautconclurequele§41,enmettanten avant ce « théorème eidétique » de la corrélation noético-noématique, opérait déjà tacitement laréductiontranscendantale;maisque,commel’écritHusserl,onnepouvait,alors,encore«rienendire».

*

Cepointfondamentalacquis,onaperçoitlestermesdeladifficultéquenousdevonsaffronter:elleconsisteenl’identificationhusserlienneducorrélatnoématiqueidéal,telqueviséàtraverslavariationrégléedesdatahylétiquesetmotivéparelle,avecl’objettranscendantlui-même.

Ilconvientd’aborddes’enassurerenconfrontantlesdeuxtextes,éloignésl’undel’autre,oùHusserlénonce ce « théorème phénoménologique » de la corrélation noético-noématique qui fonde l’idée deconstitutiontranscendantale.Dansl’uncommel’autre,aussibienau§4132qu’au§9733,Husserlélaboreson analyse sur l’exemple de la perception de la couleur, en tant que « qualité seconde » de l’objetperçu:commecouleur«objective»,commecellequiappartientàlachoseréale,quiestsapropriétéchromatique.

Cette façon de déterminer la couleur objective est celle de l’attitude naturelle ; c’est de cetteconception de la qualité chosique queHusserl choisit de faire partir l’analyse dans le premier texte,conformémentàlapostureméthodiqueadoptéeau§34,etrappeléejusqu’auseuildu§41:

Demêmequelachosematérielleperçueengénéral,toutcequiluirevientenfaitdeparties,decôtésoudemomentsestaussi[…]nécessairementtranscendantàlaperception,quecelas’appellequalitépremièreouqualitéseconde34.

Quel’intentiondeHusserlsoitdeprendreenchargeetdefonderlatranscendancemêmedel’objeten tantque réal – tel que l’attitudenaturelle le connaît – c’est ceque confirme le§97.Audébutdupassagequinousintéresse,ilcommenceparpréciser:

Lacouleurdu troncd’arbre,purement tellequeperceptivementconsciente, est exactement« lamême»quecelleque, avant laréduction phénoménologique, nous prenions comme celle de l’arbre effectif (du moins en tant qu’hommes « naturels », et avantl’immixtiondeconnaissancesphysiques)35.

Ettoutel’analysequis’ouvreainsiconduitàlaconclusion(al.11)quelecorrélatnoématique,auquella structure et le contenu réel du vécu perceptif correspondent « en vertu d’une nécessité eidétiqueimmanente»,est

pour la conscience elle-même un vis-à-vis, un autre par principe, irréel, transcendant, et qu’ici se trouve la source originelle del’unique solution pensable des problèmes gnoséologiques les plus profonds, concernant l’essence et la possibilité d’une connaissanceobjectivementvalidedutranscendant.

La prétention de la phénoménologie transcendantale dépasse donc bien lamise en évidence d’unecorrélationsimplement fonctionnelleentre la structurede lanoèseet cellede sonnoème.En rester làserait demeurer dans la psychologie descriptive : dans ce cadre est certes possible une explorationprofondedelastructureetdesmodesdel’intentionnalité36;maiscelanepermetenaucuncasd’atteindrelebutphilosophiquequeHusserls’étaitfixédès1906:élaborerunecritiquedelaraison,etd’aborddelaraisonconnaissante.Or,unethéoriephénoménologiquedelaconnaissance impliquenécessairementlarésolutionduproblèmedelavaliditétranscendantedelaperception.

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Laquestionestdonc,pournous,dedéterminerdansquellemesurela«transcendance»dontcesdeuxtextes élucident la possibilité par sa constitution subjective, est bien la transcendance ontologique,absolue, que reconnaît dans son exercice spontané la raison naturelle. À quel arbre appartient cette«couleurdel’arbre»quej’identifieenvivantl’expérienceperceptivedel’arbredujardin?

Laquestionn’est évidemmentpas à comprendre selon le schémaclassiquedesphilosophiesde lareprésentation,oùl’objetapparaissant–le«phénomène»–estappréhendécommeun«objetsubjectif»au-delàduquelonpourrait,idéalementetproblématiquement,situerl’objetvéritable,lachose«ensoi»,quecet«objetpournous»masqueraitautantqu’illemanifeste37.Leproblèmen’estpasdesavoirsil’ondoit poser une existence de plus, celle d’un second objet qui serait « en soi », par-delà l’objetnoématique : iln’yaqu’uneseuleetuniqueexistence,cellede l’étant,quiestaussi, sanspour autantdevenir double ni autre que lui-même,objet d’intentionnalité.La question est de déterminer un sens :celui qu’il faut reconnaître au mot « transcendance » tel que Husserl l’emploie dans ces textes : latranscendanceainsidéfinieparlateneurmêmedudonnéphénoménologiqueanalysé(laperceptiondelacouleur objective), inclut-elle bien en elle toute transcendance,y compris cette transcendance commeêtreabsolu,queconnaîtlaraisondanssonrégimenaturel?

*

Dansle§41oùs’opèrelapré-réductiontranscendantaleimplicite,commedanslesanalysesdu§97destinéesàlaconfirmer,l’affirmationdel’identiténumériquestrictedelacouleur«objective»etdelacouleurnoématique repose sur l’oppositionentre le« contenu réel»duvécuperceptif et soncorrélatintentionnel:cequi,danslavariationhylétiquedesapparitionssenties,«apparaît».Le§41dit:

Lacouleurdelachosevuen’estpas,parprincipe,unmomentréeldelaconsciencedecouleur,elleapparaît;maistandisqu’elleapparaît, il est possible et nécessaire que, dans l’expérience qui la vérifie, l’apparition change de façon continue.Lamême couleurapparaît«dans»desmultiplicitéscontinuesd’esquisses decouleurs.Unconstat semblablevautpour laqualité sensible, etdemêmepourtouteformespatiale.

Cette couleur une et identique de la chose, qui est non la couleur apparente, mais la couleur« apparaissante », apparaissant à travers la variation réglée des couleurs apparentes, le § 97 lacaractérisecomme«couleurnoématique»:

Cette couleur à présent,mise entre parenthèses, appartient au noème.Mais elle n’appartient pas comme élément réel au vécuperceptif,quoiquenous trouvions,en luiaussi,«quelquechosecommedelacouleur» :àsavoir, la«couleursensorielle», lemomenthylétiqueduvécuconcret,danslequel«s’esquisse»lacouleurnoématique,oucouleur«objective».

Maisencelas’esquissel’uniqueet identiquecouleurnoématique,quiestdoncconsciente,dansl’unitécontinued’uneconscienceperceptivechangeante,<203>entantqu’uneetidentique,ensoiinchangée,dansunemultiplicitécontinuedecouleurssensorielles38.

Or, c’est cette « couleur noématique », terme idéal vers lequel tend la variation des couleursapparentes,quiapparaîtcomme«la»couleur«de» lachosematérielle :ellesemanifestecommelacouleur de l’objet ; c’est pourquoi elle apparaît en tant qu’« objective ». Et c’est cette couleur,intentionnellement objectifiée pour ainsi dire, que Husserl tient pour identique à la couleurtranscendante,àlapropriétéduréalexistantlui-même.

Encettedernière identificationconsiste en substance l’idéalisme transcendantalphénoménologiquelui-même.Est-elle,dupointdevued’uneinterprétationultimedusensetdel’originedel’être,légitime?

Nullement.Etcepourplusieursraisons.

Toutd’abord,l’exemplechoisiestbiaisé:lacouleurestparessenceunepropriétéphénoménale,unemodalité de l’apparaître de la chosematérielle ; tout son « être » s’épuise donc dans cet apparaître.

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N’étantqu’unmoded’apparaître, lacouleurqueHusserl tientpour« transcendante», lacouleurde lachoseperçue,nepeutavoird’autre«transcendance»quephénoménale.Cette«transcendance»consisteentièrement à apparaître comme distincte du vécu et de la subjectivité percevante : c’est donc latranscendance comme être-objet, l’objectivité. Une telle « transcendance », ne consistant qu’en l’acted’apparaîtreentantquecorrélatobjectif identique,estdepartenpartphénoménale,etpourcemotifradicalementdépendantedel’engagementsubjectifdansleprocessusdephénoménalisation.Or,sijenem’engagepasdansl’activitéperceptive,sijen’engagepascefaisantlamontéeauvisibledumondeetdel’étant,lacouleurn’estpas,carellen’aaucunepossibilitéd’apparaître.

Mais l’arbre du jardin, lui, n’est pas anéanti pour autant. L’objectivité n’est qu’une forme de laphénoménalisationdel’étant,elleneseconfondpasavecsonêtre.

Si en revanche on est fidèle au sensontologique du concept de transcendance propre à l’attitudenaturelle, on l’entendra nécessairement commeabsolue. La transcendance ainsi comprise est absolue,commeindépendancedel’êtred’unétantparrapportàsaphénoménalisation.Selonceconcept,leseulterme«transcendant»quepuissedésignerl’interprétationontologiqueduphénomènedelacouleurn’estni la couleur sentie ni la couleur noématique (phénoménale, constituée comme corrélat), mais cettepropriété réale invisible qui semanifeste à nous sous la forme du chatoiement hylétique. Ce qui, del’arbre même et en lui, en tant qu’il « pousse » dans la terre par lui-même, indépendant de touteintentionnalité,peutsusciterenmoil’apparitiond’undatumchromatique,commesacauseoccasionnelleetnoncommesoncontenu:telestleréférentvéritablement«transcendant»duvécudecouleur.

Orcettepropriétéréaleinsensible,parcequ’elleappartientvraimentàl’étanttranscendantdontelleformeunecomposante interne,n’apparaît jamaiscommecorrélatnoématiqueperceptif.CequeHusserlidentifiecomme«couleurnoématique»estbienlacouleur«objective»delachose,mais«objective»nerenvoiequ’àuneobjectivitéphénoménaleetnontranscendante,relativeetnonabsolue.

L’être que Husserl pense ainsi reconduire entièrement au faire-apparaître de la corrélationintentionnellen’estdonc,encoreunefois,riendeplusqu’unêtre-pour-nous,celuiqu’assurel’actualitédel’apparaître-comme-objet.Laperceptiondonneeffectivementd’êtreà son perçu, corrélat idéal ultime,mais le perçu-corrélat est l’objet, non l’étant, au sens propre. Le noème perceptif dans lequel l’arbrem’apparaîtnevitpas,etnedonnepasdefruits.Laperceptionatteintcertesnoématiquementl’objet,etlereconnaîtcommeprésentlui-même,«enpersonne»,danscequeHusserlappellesaSelbstheit.MaisilestinexactdeconfondreiciSelbstheitet«Leibhaftigkeit»39:danslenoèmeperceptif(mêmecomplet)l’étantestbienvisécomme lui-même,maisnullementatteint«enchairetenos»,danssacorporéitémême:la«couleurtranscendante»–plusexactementlapropriéténonvisiblequ’ondésigneainsi–estcommeetentantqu’est(lecorpsde)l’arbrelui-même,ellenedoitnullementcetêtreàl’activationd’uneintentionnalitésensible.

Cesecondtempsdelaréflexionobligedoncàconclureque,parcequelatranscendancephénoménalen’estpastranscendanceausensstrict,lacorrélationperceptivenoético-noématiquemiseenévidenceaux§§41et97d’Ideen…Inepeutsuffireàlégitimerl’idéalismetranscendantalphénoménologique.Laseulerelativité qu’une telle corrélation permette d’affirmer pour déterminer la réalité mondaine n’est quefonctionnelle, celle qui rattache structurellement l’être d’un corrélat, l’objet, à l’actualité de la vieintentionnelle.

D’où l’hypothèse à examiner : si la dénivellation ontologique qui distingue la « transcendance »intentionnelle,purementphénoménale,del’objetnoématique,etlatranscendanceeffectiveetabsoluedel’étantproprementditpeutpasser inaperçueauxyeuxduphénoménologue–etd’aborddeHusserl lui-même–aupointdeprendrelaconstitutionsubjectivedunoèmeperceptifcomplet,avecsathèsedoxique,pour la genèse de l’étant réal même, cette illusion transcendantale ne serait-elle pas due à ce quel’attitudephénoménologiqueimpliqueparelle-mêmeunemodificationneutralisante?

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*

Onavuquel’«étroiteparenté»entreréductionetmodificationdeneutralitérésultedecequecettemodificationestl’opérationenlaquelleconsistel’épokhèdelacroyancenaturelleaumonde:l’épokhèphénoménologiquedéfinie aux§§30et 31n’est autrequ’uneapplicationde cettemodification, qui enelle-mêmeestunemodification«générale»possiblepour tout actepositionnel40.Comparonsdoncendétail la modification neutralisante de la perception et la réduction transcendantale, afin d’apprécierl’éventuelleimplicationdecelle-làencelle-ci,etd’endéterminerl’effetéventuel.

Les définitions husserliennes confirment l’identité de lamise en suspens de la croyance qu’opèrel’épokhè phénoménologique avec la modification neutralisante. Elle ressort avec évidence si l’onconfronteladescriptionquedonneHusserl,au§90,delaréductionappliquéeàlaperception,avecsadéfinition de la modification générale de neutralité (§ 109). La réduction de la perception dumondecommeréalitéeffectiveestcaractériséecomme«miseentreparenthèses»d’une«position»(ausensactif) « de transcendance », et par le fait que cette thèse de réalité, loin d’être perdue, se trouveconservéeàl’intérieurdelastructureduvécuperceptifalorsprispourobjet;desortequel’attitudeduphénoménologue consiste à observer cette relation intentionnelle au monde comme une « thèse » decroyanceinhérenteàcevécu,sansycoopérerlui-même:

Simaintenantnousaccomplissonslaréductionphénoménologique,toutepositiontranscendante,etdoncavanttout<209>cellequirésidedans laperceptionelle-même, reçoit lesparenthèsesqui lamettenthors-circuit […].Cequi impliquecette conséquence : nousadmettonsseulementquel’onconsidèreetdécrivetoutescesperceptions,touscesjugementsetc.,commelesessentialitésqu’ilssonteneux-mêmes,etqu’onétablisse leconstatde toutcequiyestdonnéavecévidence,commecaractèreafférentoucommecomposanteinterne ; mais nous n’autorisons aucun jugement qui fait usage de la thesis de la chose « effective », ainsi que de toute la nature«transcendante»,quiy«participe».Entantquephénoménologuesnousnousabstenonsdetoutespositionsdecegenre.Nousnelesrejetons pas pour autant, lorsque nous « ne nous plaçons pas sur leur terrain », n’y « participons pas ». Elles sont bien là, elles co-appartiennentessentiellementauphénomène.Bienplutôt,nouslesregardons;aulieud’yparticiper(mitmachen),nouslesprenonspourobjets,nouslesprenonscommepartiesintégrantesduphénomène,etlathèsedelaperceptionprécisémentcommeunecomposantedecelle-ci41.

La caractérisation de la modification de neutralité, au § 109, concorde parfaitement avec cettedéfinitiondel’épokhè:

[…]Elle nebiffepas, elle n’«opère» rien, elle est, dans la conscience,<248> le contrepoint de toute opération (Leisten) : saneutralisation.Elleest impliquéechaquefoisque l’ons’abstientd’effectueruneopération,qu’on lamethorsd’action, lamet«entreparenthèses»,qu’onla«laisse-de-côté»etlatientdésormais«de-côté»,quel’onse«projetteenpensée»dansl’opération,ouquel’on«pensesimplementà»cequienrésulte,sansy«coopérer»42.

Ilfautdonctenirpouracquisquelamiseenœuvredelaréductionphénoménologiquereposesurunepréalablemodificationneutralisantedel’intentionnalitéperceptiveàl’étatimmédiat.

Ceconstatpermetd’apercevoirclairementlacontradictioninhérenteàlaréductiontranscendantale.D’uneparteneffet,enraisondesafin,cetteréductionexigequelastructureimmanenteetlecontenuréelduvécuperceptifsoientconservésinaltérés,entantquemomentsinternesduphénomènepur,delamêmeperceptionunefoisréduite;maisdel’autre,pourparveniràcestadeoùpourras’exercerladescriptionphénoménologique, est requise unemodification préalable, qui consiste àaltérer l’état originel de laconscienceperceptivevécue.Eneffet, que lamodificationneutralisante introduisebienunealtérationdécisivedanslastructureetlesensdelaperceptionnaturelle,c’estincontestablesil’onprendencomptesacaractéristiqueeidétiqueprincipale,quiestde transformer l’acte initial enunacteobjectivantmaisnon-positionnel,qui

supprimecomplètementtoutemodalitédoxiqueàlaquelleellesetrouveappliquée,luiôtetouteforce[…]43,

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etfaitdecetacteoriginelun«simplementpenserà…»délestédetouteprétentionàlavaliditéentermesd’être;Husserlécritprécisément,au§109:

Sidoncnousmettonshors-circuit,danscelaisser-de-côté,toutélémentdevolonté,maisquenousnel’entendonspasnonplusausensdequelquechosededouteuxoud’hypothétique,ilresteuncertainavoir-«-là-de-côté»,ou,mieuxencore,unavoir-comme-«se-tenant-là » de quelque chose, qui n’est pas « effectivement » conscient comme se tenant là. Le caractère de position est devenuimpuissant.Lacroyancen’estplussérieusementmaintenantunecroyance[…]44.

Une telle modification, qui certes ne fait pas disparaître l’acte de position, mais en annule lecaractèrepositionnelmême,enréduisantàzéro(«impuissant»)ce«caractèredeposition»,etretirantàlathèsedecroyancela«force»aveclaquellelasubjectivitéadhèreàl’évidencedu«se-tenir-là»del’objet, ne laisse assurément pas intacte la perception naturelle : la suppression de la position del’effectivité de l’objet, qui pour tout autre type d’acte objectivant (souvenir, imagination, attente,conscienced’image,etc.)n’estqu’unemodificationannexequin’affectepaslesensnoématiqueessentieldu vécu et en libère seulement la donation phénoménale, introduit en revanche, dans le cas de laperception, une altération majeure de sa teneur eidétique la plus propre ; car il est eidétiquementessentielà touteperceptiondecomporter lapositiondans l’être, comme réalité, de ce qui y apparaîtcommeobjetunetcohérent.

Du fait que la conscienced’effectivité (Wirklichkeit), qui suscite de la part de la subjectivité unethèsed’être (la« croyanceperceptive»), n’estpasun trait annexemaisuncaractèred’essence de laperceptioncommetelle,uneperceptionréduiteausensdelaréductiontranscendantalehusserlienneestune perception artificiellement privée de la portée ontologique qui lui est essentielle – à savoir, del’évidence vécue de la transcendance (stricto sensu, absolue) de son objet. Adoptée comme attitudeméthodiquepréalable,dansl’«attitudephénoménologique»transcendantale,cettepostureneutralisanteproduit sur la perception dumonde réal l’effet proprement réducteur d’une diminution de sens et deportéecognitive.C’estpourcetteraisonqu’auphénoménologuequi,commeHusserl,adopteaupréalableune telleattitude réductive, l’évidenceperceptivede l’êtrede l’objetnepeutplusapparaîtrequesousl’aspect amoindri, subjectivé et relativisé, d’une simple«prétentionde réalité», d’une« croyance»,brefd’unacteuniquementintentionnel.Dansuneconscienceperceptiveainsineutralisée,l’étantperçusetrouve délesté de son effectivité première, qui tenait dans sa puissance d’affecter, de manièreoriginellementtranscendante,lasubjectivitésensible.Ayantainsiperdutoute«force»affective,l’objetn’estplusqu’unapparaissantcommeunautre,etdèslorslaseule«effectivité»quiluiresten’estplusque celle que lui prête l’activité subjective de le viser et de le poser, qui procède de l’ego. C’estpourquoiilnepeutplusapparaîtrequesouslestraitsd’unsimpleobjetintentionnel.

La relativisation d’un tel « objet » va alors de soi – et il suffit d’apercevoir, en amont de cette«objectivité» intentionnellementposée, sa corrélationàun systèmedenoèsesmotivées,pour aboutirnécessairementàlathèseidéalistedelarelativitéontologiquedelaréalitéàl’égarddelaconscience,promuedèslorsàladigniténouvelledesubjectivité«constituante».

En réalité,mêmedans les casoù l’identificationappréhensivede l’objet esthésitante,ou s’avère,après plus ample vérification, erronée ou illusoire, jamais le vécu perceptif n’est dépourvu de laconscienced’effectivité:c’estuncaractèreessentielliéàsanatureperceptivemême.Carlaconscienced’effectivité, contrairement à une confusion quasi constante de l’approche husserlienne, n’est pas laconscience d’objectivité, ni n’en dépend. Elle est en effet directement liée à un trait structurel de lasensation,l’hétéro-affection.

*

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Il reste à déterminer sous quelle forme a pu s’opérer la modification de neutralité qui a renduoriginellementpossiblel’auto-illusionméthodiquequeconstitue,dèsIdeen…I, l’interprétation idéalistetranscendantaledelaréalitéperçue.

Si l’on considère le texte oùHusserl opère ce passage clandestin de l’attitude naturelle à sa pré-réduction ontologique – le § 41 – on ne peut trouver d’autre solution à cette énigme que dans le rôleméthodiquejouépar l’imagination.L’imaginationeneffet,commeHusserl lenoteau§111,n’estautrechose que « la modification de neutralité appliquée à la présentification positionnelle ». Or, par« présentification positionnelle » il faut entendre ici « le souvenir au sens le plus large qu’on puisseconcevoir».Le« souvenir»dont il s’agit làn’estpasàentendreau sens limitéqueprendcemotenfrançais,celuideconsciencedupassé.Letermehusserlien«Erinnerung»,pris«ausenslepluslarge»commeyinviteHusserl,désignetouteopérationparlaquellelaconscience«rappelle,faitresurgirpourelle-mêmeensonforintérieur»(«Er-innern»)uncontenudereprésentationquelqu’ilsoit.Ainsi,toutvécu intentionnel subjectivement réactivé, amené à la conscience claire, qui comporterait la positiondoxiquedesoncorrélatnoématiquepeutsetrouverneutralisésouscedernierrapport.Laneutralisationde son caractère positionnel laisse alors subsister le même contenu réel, mais « en suspens » : laconsciencevitalors,à l’étatpur,pourainsidire«suspendue»horseffectivité, lacorrélationnoético-noématiquevécue,lepurfaire-apparaîtredel’objetintentionnelprésentifié–doncintuitivementquasi-donné.Cettemodalitédeconscience,c’estl’imagination.

Or c’est précisément l’imagination qui est en phénoménologie, de l’aveu même de Husserl, leprocédé par excellence de la mise en présence des phénomènes. Plus radicalement, la structuretemporellede l’expériencepré-réflexivede laconscience faitde laprésentification (celledusouvenirproched’abord,puisdesonrappelenimaginationensuite)lemoded’exercicenécessairedelasaisieréfléchissante du vécu de conscience, car la méthode phénoménologique exige qu’il soit donnéintuitivement. C’est pourquoi la phénoménologie husserlienne de la perception se meut, le plusordinairement, dans l’élément de la quasi-perception en imagination.Et, quandmême il n’en irait pasainsi pour le phénoménologue aumoment où il effectue pour lui-même la description réflexive d’uneperceptionsingulière,prise«surlevif»hicetnunc,ilenseranécessairementainsidansladescriptionachevée,dontlecaractèreeidétiquementgénéral implique,pourl’auteuretplusnécessairementencorepourlelecteur,lepassageparlaprésentificationimaginative.

Onpeut alors apercevoir lamédiation jusqu’icimanquante : le passageméthodiquepar l’intuitiond’essence, pour analyser le vécu intentionnel – en particulier la perception – sans quitter l’attitudenaturelle, dans les §§ 34 à 41 inclus, implique que la vérification intuitive des énoncés eidétiquesproposéss’opèresouslaformedelaprésentificationimaginatived’une(ouplusieurs)perception(s).Or,commeonlevoitdansle§41,c’esteffectivementàl’analyseréflexived’uneperceptionenimaginationqueletexteprocède,etc’estsurcetypededonnédebasequ’ilinvitesonlecteuràvérifierintuitivementle pouvoir constituant de la corrélation intentionnelle.Ce lien caché,mais direct, entre le dégagementintuitif d’états-de-choses eidétiques – la tâche principale en phénoménologie – et la neutralisationimpliquéedanslaprésentificationimaginativedesvécusdeconscienceétudiés,estd’ailleursclairementrepéré et indiqué parHusserl lui-même, lorsque, esquissant au chapitre II de laQuatrièmeSection sa«phénoménologiedelaraison»,ilnoteque

dans chaque cas d’une position d’essence ou d’une proposition eidétique la présentification intuitive de son remplissementparfaitestéquivalenteauremplissementlui-même,demêmequesont«équivalents»apriorilaprésentificationintuitive,etmêmelasimplereprésentationimaginative(Phantasie)d’uneconnexioneidétiqueetl’intuitionévidentedecelle-ci[…].

C’estcette«équivalencedel’évidenceintuitivepositionnelleetdel’évidenceintuitiveneutre45»quisuscite, dans l’élaboration de la méthode phénoménologique, l’apparence d’une égalité de valeur, dupointdevueépistémologiqueetontologique,delaperceptionprésentifiéeetdelaperceptionactuelle.

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On vérifie ainsi que c’est bien lepoint de vue de l’eidétique qui joue le rôle clé dans lamédiationlogiquequirendpossiblel’interprétationidéaliste-transcendantaledel’expérienceperceptive.

Maisuneperceptionimaginéen’estpasuneperception:ellenepeutêtreeidétiquementidentiqueàune perception véritable, car celle-ci n’existe à l’état naturel que dans son actualité immédiate.L’imagination d’une perception a donc toujours déjà procédé à sa neutralisation – et à celle de soncorrélat immédiat, l’étantensoneffectivité–avantmêmeque laréflexiondescriptivenes’yapplique.Caràlaperceptionimaginéeilmanqued’embléecequiest,danslesensdelaperception,l’essentiel:l’effectivitéd’uneaffection.

*

Lemaintiendeladistinctionontologiqueentrelatranscendancephénoménale,propreàl’objectivité,et la transcendance absolue qui caractérise l’étant comme tel, permet ainsi de révéler sur quelssoubassements implicites, potentiellement contradictoires, repose le processus par lequel Husserlparvient à instaurer son idéalisme transcendantal, et, sur cette base, la légitimation de la réductionphénoménologique ainsi que son interprétation comme dégagement d’une sphère d’être autonome etabsolue–lasubjectivitétranscendantaleenunsensradical.

Cettegénéalogiecachéedelathèseidéalisten’estpassansconséquencespourlacompréhensiondelafondationphénoménologiquedelaraisontellequeHusserllaconçoit.Larelationestsidirecte,entreleseffetsdelamodificationneutralisanteetlafondationcritiquedelarationalité,qu’elleapparaîtdèslespremières lignes du § 110, alors que Husserl vient à peine de définir, au paragraphe précédent, lamodificationdeneutralitécommemiseensuspensdetoutcaractèrepositionnel.Maisceliensemanifested’abord sousun jour tout à faitparadoxal :Dès le début du ce§110, en effet,Husserl complète sonanalysedelamodificationdeneutralitéetdeseseffets,enprécisantque

[…]pourlesnoèsesneutraliséeslaquestiondelaraisonoudeladéraisonn’aaucunsens46.

Affirmationproprementsidérante,sil’ongardeprésenteàl’espritl’idéequetoutenoèseplacéesousréduction transcendantale, et considérée réflexivement par le regard phénoménologique, est une noèseneutralisée, car modifiée par l’épokhè ! Faut-il comprendre que le champ entier des phénomènessubjectifs«purs»setrouveraitsoustrait,parlaréductioncommeparuneétrangemagie,àtoutelogiqueetàtouterationalité?Onobjecteraitalorsàbondroitquelesrelationslogiquesformelles(lesloisdelaconsécution logique évidemment, mais déjà les lois a priori de composition du sens, objet de lagrammairepure47)conserventlamêmevaliditépourdesactesintentionnelsneutres:sijemodifiecequelesRecherches logiques appelaient la « qualité », c’est-à-dire la positionnalité propre, d’un acte, parexempled’unacted’affirmation(parexemple:«Ilferabeaudemainmatin!»enenretiranttoute«prisedeposition»,j’obtiensla«simplepensée»correspondante,(quilinguistiquements’exprimeralemieuxparlediscoursindirect):«…qu’ilferabeaudemainmatin».C’estlàexactementlephénomènequelalogique formelle nommeuneproposition.Mais il est évident que lespropositions, ainsi entendues ausens de pures significations propositionnelles, ne sont absolument pas soustraites, par cetteneutralisation,àl’empiredesloisformellesdelalogique!

Commentcomprendrealorscequ’affirmeiciHusserl:

lesnoèsesproprementdites,non-neutralisées,sontsoumises,envertudeleuressence,àune«justificationdelaraison», tandisquepourlesneutraliséeslaquestiondelaraisonetdeladéraisonn’aaucunsens48?

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Lesenss’éclairesil’onabordeceparadoxeapparentsousl’anglenoématique;Husserlexpliqueeneffet:

Toutcequiestcaractériséaupointdevuenoématiquecommeétant(certain),commepossible,conjectural,problématique,nul,etainsidesuite,peutêtrecaractériséainsidefaçon«valide»ou«non-valide»,celapeut«envérité»être,êtrepossible,êtrenul,etc.Enrevanchelesimple«sefigurer»ne«pose»rien,cen’estpasuneconsciencepositionnelle.La«simplepensée»d’effectivités,possibilités,etc.ne«prétend»rien,ellen’estniàreconnaîtrecommecorrecte,niàrejetercommeincorrecte49.

LecritèredecequeHusserldésigneicicomme«juridictiondelaraison»–etcelavautaussipourtoutelasectionIVconsacréeàla«phénoménologiedelaraison»commeclarificationdurapportentre«raison»(Vernunft)et«effectivité»(Wirklichkeit)–cen’estdoncpaslacohérencelogico-formelle(àquelque niveau que ce soit),mais plutôt son complémentaire, la cohérenceontologico-matérielle : laconformitédusensnoématiquecomplexe(composéparlaconstitutiond’une«proposition»noématique,selon le concept husserlien de « Satz»50) aux lois eidétiques qui régissent la régionmatérielle dontrelève l’objet intentionnel en cause – en particulier les lois du remplissement intuitif correspondant.Comparonsparexemplelespropositionssuivantes:«Pierreacinqans,etdéjàilapprendlecalcul»;«Pierre a cinq ans, et déjà il connaît par cœur la table demultiplication » : la première se présentecommerationnelle,éventuellementvraie(sonnoèmevautcommerenvoiàunéventuelétanteffectif),sousréserved’unremplissementintuitifdontnoussavonsd’embléequelleformeempiriqueildoitprendre:etcequinousindiqueainsi,apriori, la formenécessaired’uneconfirmationremplissanteéventuelle,estprécisémentcequenousdésignonscommela«raison»;lasecondeproposition,enrevanche,apparaîtcommel’énoncéd’unétatdechosespossible,voireconjectural:elleseremplit,entantquetelle,dansune simple présentification imaginative, qui nous montre que, s’il n’est pas certain, s’il est mêmeprobablementdouteux,quePierreconnaissepar cœur la tabledemultiplicationàcinqans, iln’ya làaucuneimpossibilitéeidétiquestricte;celaestpossible,quoiquenonprobable.Sienrevanchejedisque«Pierreacinqans,etvientd’obtenirlamédailleFields»,ledouteetlaconsciencedel’invraisemblablesurgissent aussitôt : car il y a contradictionmatérielle (au sens eidétique du terme) entre le degré dedéveloppementintellectuelpossibleparessenceàunjeuneenfantdecinqans,etlesavoirmathématiquequesupposeunetelledistinction;icila«juridictiondelaraison»s’exercedoncaussi,quoiquecesoitenunsensnégatif:c’estprécisémentellequijustifieicilaformationd’unjugernégatif,d’impossibilité(improbabilitéparexcès).Maissilapropositionformuléedit:«Monchatacinqans,etjouelepremierconcertodePaganini»,jesuisbienenprésenced’unacteintentionnelsignifiant(lacohérenceformelleestintacte),maisjesaisquel’onestsortideslimitesdelaraison:c’estfolie,oupoésie(lerenardparleau Petit Prince, mais St Exupéry ne passe pas pour un fou). Au contraire, la proposition neutraliséecorrespondantenesusciterapaslamêmeattitudeintentionnelle:sijedis«imaginonsquemonchatjouele premier concerto de Paganini », ou encore « la pensée quemon chat joue le premier concerto dePaganini»,nulleprisedepositiondoxiquen’étantprésupposéeni appelée, la« raison»n’apas à seprononcer:touteappréciationdudegrédevérité,possibilité,probabilité,etc.estsuspendue,oulaisséehors-jeu.TelleestlasituationintentionnellequeHusserlaenvuelorsqu’ilseréfère,dansce§110,àla«juridiction»delaraison.

C’estpourquoilecaractèrepositionnelou«doxique»del’acteintentionnelestuneprésuppositionessentielle de la rationalité entendue en ce sens. On voit ainsi qu’il s’agit là exclusivement de larationalitédurapportaumondecommetotalitédel’étanteffectif.Etdefait,laprétentionintentionnelleàl’effectivité de l’objet noématique s’avère une implication nécessaire du concept de rationalité queHusserlchercheàfonderphénoménologiquementdanslaQuatrièmeSectiond’IdeenI.

Lecritèrefondamentaldelarationalitéd’unacteoud’unepropositionesteneffetlapossibilitédesaconfirmationparl’évidence.Ceprincipefondamentalfaitdeladonationintuitiveoriginairede l’objet,entantquecorrélatnoématique,laconditionfondamentale,sinequanon,delaconnaissancerationnelle

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etdelavaliditéd’uneproposition.Husserlécritenparticulier,au§136,enouvertureduchapitreintitulé«Phénoménologiedelaraison»:

Si nous demandonsmaintenant ce qu’on entend par « vérification rationnelle », c’est-à-dire en quoi consiste la conscience deraison,plusieursdifférencesseprésententaussitôtànous[…]:

Enpremierlieu, ladifférenceentredesvécuspositionnelsdanslesquelsleposéaccèdeàl’être-donnéoriginaire,etceuxdanslesquelsiln’accèdepasàuntelêtre-donné:doncentreactesqui«perçoivent»,«voient»–enunsenstrèslarge–etceuxquine«perçoivent»pas[…]51.

Lapremièreformedelarationalité,premièreentantquefondamentale,atoujoursétépourHusserl,héritierdel’intuitionnismecartésien,l’intuitiondirectedudonné,qu’ils’agissedelaperceptionduréaloudel’intuitioncatégoriale(enparticulierl’intuitiond’essence):danslestermesdutitredece§136,le« voir » donateur originaire. Seule en effet l’évidence directe de l’objet, comme donné en personneimmédiatement, peut valoir a priori comme légitimation authentique et incontestable. L’exigence derationalitéimpliquedoncuneexigencecritiqueàl’égarddelaformed’intuitionmobiliséepourremplirlavisée:leremplissementdoitêtreoriginaire:

Laplénitudedusensàelle seulene faitpas tout, lecommentdu remplissement importe aussi.Unmodedevécudu sens est lemode«intuitif»,danslequell’«objetvisécommetel»est intuitivementconscient,etuncasparticulièrementdistinguéestceluioùlemode d’intuition est justement l’intuition originairement donatrice. Le sens dans la perception du paysage est rempli de façon«perceptive», l’objetperçuavecsescouleurs, formes,etc. (pourautantqu’elles« tombentsous laperception»)estconscientsur lemodedu«enchairetenos».Noustrouvonsdesemblablespositionsdistinguéesdanstouteslessphèresd’actes[…]52.

Maisuncaractèrespécifiquederationalitéappartientenpropreau<316>caractèredeposition,entantqu’unepositiondistinctivequi lui revient, en vertu de son essence, lorsque – et seulement lorsque – il est position sur la base d’un sens rempli, originairementdonateur,etpasseulementd’unsensengénéral[…]53.

Atoutapparaîtreenchairetenosd’unechosematérielleappartientlaposition,ellen’estpasseulementengénéraluneaveccetapparaître[…]elleest«motivée»parlui;et[…]pasengénéralsimplement,mais«rationnellementmotivée».C’estceque<284>signifie:lapositionadansl’être-donnéoriginairelefondementoriginairedesalégitimité[…]54.

La question philosophiquement fondamentale est donc celle de l’origine ultime de ce principe derationalité qu’est la donation originaire : Comment, à quelles conditions, la donation de l’objetnoématiqueseproduit-ellecommesaprésentation«leibhaft»,«enchairetenos»–etpasseulement«enpersonne»(selbst)–de tellesorteques’imposeà laconscience,en toutenécessitéet légitimité,l’évidencedel’effectivitédel’objet–ausenslepluspleinetoriginelduterme?

On voit bien qu’il n’y a qu’une seule réponse possible : cette condition, c’est le surgissementimpressionneleffectifd’uneséquencededatahylétiquesquiconcordent,demanièrecohérente–etpourcemotif « remplissante » – avec le sens noématique impliqué dans la visée.Mais qu’est-ce qui peutdonneràcesdataimpressionnelscecaractèreoriginelsidécisifd’effectivité?–Riend’autrequeleuraffectivité : rien d’autre que le fait qu’ils affectent, de manière absolue, radicalement spontanée etcontingente,lasubjectivitéenéveil.Onatteintainsiàlaconditionultimedelarationalitéhusserlienne:elle réside bel et bien dans la transcendance originairement absoluede ce qui affecte la conscienceéveillée, à partir d’une dimension qu’il faut reconnaître, phénoménologiquement, comme pré-phénoménale.

Latranscendanceabsoluedel’étantnepeutdoncêtreéludée,maisestaucontraire,endépitmêmedel’idéalisme transcendantal husserlien, une présupposition nécessaire et la condition même de larationalité.

RéférencesbibliographiquesLavigneJ.-F.(2009),Accéderautranscendantal?Réductionetidéalismetranscendantaldansles

Idées directrices pour une phénoménologie pure et une philosophie phénoménologique d’EdmundHusserl,Paris,Vrin,2009.

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1-.TellequeHusserllaformuledéjà,ensubstance,dèsles§§49et50desesIdéesdirectrices…de1913–c’est-à-direbienavantlesproclamationsexplicitesmajeuresdeLogiqueformelleetlogiquetranscendantale(LFLT,§§94à96)etdesMéditationscartésiennes(MC,§41).

2-.CetteexigenceentraîneHusserlàpostulerlapossibilitéd’une«essencedel’être»etdesaconnaissance:cf.HuaIII/1,§51,p.108,36àp.109,9(3eéd.1928,p.[96]);[IDI,p.168,34àp.169,5].

3-.VoirenparticulierRecherchesLogiques,tomeII,Introduction,§7;HuaXIX/1,p.24-29;RLII-1,p.20-24.Etlecoursdusemestred’hiver1902/03,AllgemeineErkenntnistheorie,HuaMatIII,p.79,9à85,3.

4-.HuaIII/1,§50,p.106,32à107,8.(3eéd.1928,p.[94]);[IDI,p.165,18àp.166,5];traductioninédite.

5-.Voirenparticuliercesdeuxformulesd’Idéesdirectrices…I:1)Au§47:«Ilnefautdoncpasselaisserabuserparlesmots,lorsqu’onparledelatranscendancedela chosematérielle vis-à-vis de<101> la conscience, ou de son “être-en-soi”. Le concept authentique de la transcendance du chosique, qui est lamesure de tout énoncérationnel sur la transcendance,ne sauraitpourtantêtrepuiséàaucuneautre sourceque la teneureidétiqueproprede laperception,ousi l’onpréfère,desenchaînementsspécifiquement(gearteten)déterminésquenousnommonsexpérienceprobante.L’idéedecettetranscendanceestdonclecorrélateidétiquedel’idéepuredecetteexpérienceprobante.»HuaIII/1,§47,p100-101;(3eéd.1928,p.[89]);[IDI,p.157,1-11].(Trad.inédite).Et2),au§49,justeaprèsl’énoncédeladoublethèseidéaliste:«Donné,un transcendant l’està traverscertainsenchaînementsde l’expérience.Donnédirectementetavecuneperfectioncroissantedansdesperceptionscontinuessevérifiantdemanière concordante, dans certaines formesméthodiquesd’unepensée fondée sur l’expérience, il parvientde façonplusoumoinsmédiate àunedétermination théoriqueévidente,ettoujoursenprogrès.»,HuaIII/1,§49,p.104(3eéd.1928p.[92]);[IDIp.16,12-20];trad.inédite.

6-.HuaIII/1,§51,p.108,1-3.(3eéd.1928p.[95]);[IDIp.167];trad.inédite.Noussoulignons.

7-.HuaIII/1,§51,p.109,5-9(3eéd.1928p.[96]);[IDI.p.169].Trad.inédite.ItaliquesdeHusserl.Noussoulignonslaformuleillustrantlathèsehusserlienne.

8-.Laréductionphénoménologiquesedistinguecommetranscendantalelorsque,àladifférencedelaréductionseulement«psychologique»propreàlapsychologiephénoménologique,elleopèrelaréductionauphénomènepurcommeincluantlecorrélatnoématique.

9-.HuaIII/1,§49,p.104,23-28(3eéd.1928p.[92]);[IDI,p.162].Trad.inédite.

10- . Tel est le titre que Husserl a donné à l’ensemble de la Deuxième section des Ideen I, où se trouve définie, justifiée et mise en pratique la réductionphénoménologique transcendantale. Il faut remarquer à ce propos queHusserl a écrit dans ce titre : «PhänomenologischeFundamentalbetrachtung » –au singulier. Cesinguliergrammatical,pourintitulernonunchapitre,maisl’ensembledeladeuxièmesection,aunsenscapital:ilnes’agitpaslàde«considérations»(parmid’autres),quiauraient(enoutre)lapropriétéd’avoiruncaractèred’extrêmeimportance(ausensfaibleordinairede«fondamentales»),commepourraitlesuggéreràtortlatraductiondeP. Ricœur, qui met « considérations » au pluriel – il faut comprendre qu’il s’agit de LA méditation où se trouve fondée, décisivement et une fois pour toutes, laphénoménologie.Noussommesdonclàenprésencedufondementuniqueetdécisifdelaphénoménologietranscendantale.

11-.Cf.Idéesdirectrices…I,§24:HuaIII/1,p.51(3eéd.1928p.[43-44]);[IDI,p.78-79].

12-.Lavigne,2009.

13-.Ou«singularitéeidétique».

14-.EvidemmentausensetselonlesconceptsprécisquiontétéintroduitsetdéfinisdansleChapitreIdelaPremièreSection,§§1à17.

15-.Cf.enparticulier:Idéesdirectrices…I,§33,al.5(HuaIII/1,§33,p.67(3eéd.1928p. [58] ; [IDI,p.106-107] ;§34,al.1 (HuaIII/1,p.69 (3e éd. 1928p.[60]);[IDI,p.109-110];§39,al.1(HuaIII/1,p.79,37-p.80,9(3eéd.1928p.[69-70];[IDI,p.124-125]);§41,al.1(HuaIII/1,p.83,30àp.84,5(3eéd.1928p.[73];[IDI,p.130-131).

16-.Cf.Idéesdirectrices…I,§12et§14(leconceptdesingularitéeidétique):HuaIII/1,p.30-31et33-34.(3eéd.1928p.[25-26]etp.[28];[IDI,p.45-47etp.50-51].

17-.HuaIII/1,§41,p.85,30-35(3eéd.1928p.[75]);[IDI,p.133];trad.inédite.Noussoulignons.

18-.HuaIII/1,§42,p.89,15-17;(3eéd.1928p.[78]);[IDI,p.138,18-21];trad.inédite.Noussoulignons.

19-.IDI,§103,p.354,titre,note1,3°;trad.PaulRicœur,Paris,Gallimard.

20-.Intituléprécisément«Problématiquedesstructuresnoético-noématiques».

21-.IDI,p.368,n.1.

22-.IDI,p.366,n.1.Noussoulignons.

23-.HuaIII/1,§109,p.248,34-37(3eéd.1928p.[223]);[IDI,p.368];trad.inédite.

24-.Ibidem.Letexteoriginalallemandditlittéralementquelamiseentreparenthèsesopéréeparlamodificationneutralisanteest«procheparente»(naheverwandt)decellequiest«siimportantepourpréparerlavoieàlaphénoménologie»(fürdieWegbereitungzurPhänomenologiesowichtigist).

25-.«Cf.§41,p.[73]sqq.»[N.B.:LetextedelaprésentenoteestdeHusserllui-même].

26-.HuaIII/1,§88,p.202,6-18(3eéd.1928p.[180-181]);[IDI,p.303-304];trad.inédite.

27-.Rédigéeen1930pouraccompagnerl’éditionanglaise.

28-.Husserlécritàcepropos,danslaPostface,4.:«Ilvadesoiquelepointdedépartnécessairepourchacundecescheminsestceluidel’attitudenaturelle-naïvequisefondesurlemondedel’expérienceentantqueterraindel’êtreprédonnécomme“allantdesoi”[…].J’aichoisidansleprésentouvrage(LivreI,2esection,chapitreII)lechemin leplus frappant,àcequ’ilmesemblaitalors.Dansunepremièrepartieégologique, il seprésentecommeuneméditationsursoi-mêmes’en tenantaudomainedel’intuitionpsychologiquepurementintérieureou,end’autrestermes,commeuneréflexion“phénoménologique”ausenspsychologiquehabituel.Maméditationmeconduitfinalementaupointoùmoiquiréfléchisalorssurmoi-mêmejecomprendsquejepossèdeuneessencepropre(Eigenwesen),cohérente,referméesursoi,[…]»(IDIII,p.193-194).Puis, dans la section5. : «Bienquece soit seulement avec la réductionphénoménologique […]que s’amorce réellement l’activitéphilosophiqueauthentique, cellejustementqui accomplit un travail effectif, toute laméditationpréliminaire est déjà conduite exactementdans lemêmeesprit.Elle est uneméditationphénoménologique,

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inconscienteencoreilestvrai.[…]etmêmesiellemetalorsenlumière(bienqu’imparfaitement)leslinéamentsdel’idéalisme[…].»(IDIII,p.197).Onvoitbien,àcesdemi-aveux,queHusserlétaitconscientd’avoiranticipél’adoptiondel’attitudephénoménologiquedansleprocessusmêmedesafondationrationnelle.

29-.HuaIII/1,§97,al.6,p.227(3eéd.1928p.[203]);[IDI,p.338];trad.inédite.

30-.HuaIII/1,§97,al.11,p.228(3eéd.1928p.[204]);[IDI,p.340];trad.inédite.

31-.§41,etextrêmefindu§42:cf.référencesindiquéesci-dessus,notes17et18.

32-.al.3et4.

33-.al.4à11.

34-.HuaIII/1,§41,al.3,p.84-85(3eéd.1928p.[74]);[IDI,p.132];trad.inédite.

35-.HuaIII/1,§97,al.4,p.226(3eéd.1928p.[202]);[IDI,p.337];trad.inédite.

36-.Etc’estcequ’eneffetHusserlaréalisépourlui-même,dansdenombreuxmanuscritsderecherchepostérieursauxIdeen,etrassembléssousletitre«AnalysenzurStrukturdesBewusstseins»–dontLudwigLandgrebeseserviraplustardpourlapréparationdutexted’ErfahrungundUrteil.

37-.DepuislesRechercheslogiques,cettethéoriedelaconnaissancecomme«signe»ou«imagementale»duréel(‘Bilder-theorie’)estdéfinitivementdépassée.Nousnepercevonsdanslejardinqu’unseuletmêmearbre,quin’alui-mêmequ’uneseulecouleur,etcetteunicitédel’objetn’estpasphénoménale,maisontologique:l’arbreperçu–entantqu’ilettelqu’ilm’apparaît,commelecorrélatnoématiquedemonvécudeperception–estexactementl’arbrequiexisteeffectivement,celui-làmême,idemnumero,quipousseetfructifiedenuitcommedejour,quej’ysoisoun’ysoispas,danscejardin.

38-.HuaIII/1,§97,p.226(3eéd.1928p.[202-203]);[IDI,p.337];trad.inédite.

39-.CommelefaitHusserlau§41:«Unconstatsemblablevautpourlaqualitésensible,etdemêmepourtouteformespatiale.Lamêmeetuniqueforme(donnéeenchair et en os comme lamême) ne cesse d’apparaître continûment “d’une autremanière”, dans des esquisses de forme toujours différentes.” puis : « qu’une conscienceempirique “intégrale » – se confirmant en elle-même de façon continue et unitaire – de lamême chosematérielle comporte un système complexe formé demultiplicitéscontinuesd’apparitionsetd’esquisses,danslesquellestouslesmomentsdel’objetquitombentsouslaperceptionaveclecaractèred’êtredonnéseux-mêmesenchairetenos,s’esquissentendescontinuitésdéterminées»,op.cit.p.85,7-14;(3eéd.1928p.[74]);[IDI,p.132].

40-.Surcecaractèreabsolumentgénéraldelaneutralisationintentionnelle,quidébordemêmeleslimitesdelasphèredelacroyance,cf.HuaIII/1,§109,al.1,p.247;(3eéd.1928p.[222]);[IDI,p.366-367].

41-.HuaIII/1,§90,p.208,36àp.209,16;(3eéd.1928p.[187]);[IDI,p.313-314];trad.inédite.

42-.HuaIII/1,§109,p.247,36àp.248,5;(3eéd.1928p.[222],al.2);[IDI,p.367,al.2];trad.inédite.

43-.HuaIII/1,§109,p.247,32-34;(3eéd.1928p.[222]);[IDI,p.367];trad.inédite.

44-.HuaIII/1,§109,p.248;(3eéd.1928p.[222-223]);[IDI,Ibid.p.368];trad.inédite.

45-.Titredu§140,d’oùprovientlacitationprécédente.

46-.HuaIII/1,§110,p.249;(3eéd.1928p.[223]);[IDI,p.369];trad.inédite.

47-.Cf.Rechercheslogiques,RechercheIV,§§10à14.

48-.HuaIII/1,§110,p.249,12-16;(3eéd.1928p.[223]);[IDI,p.369,al.2];trad.inédite.

49-.HuaIII/1,p.249;(3eéd.1928p.[223]);[IDI,p.369,al.3];trad.inédite.

50-.Cf.Idéesdirectrices…I,§133;HuaIII/1,p.305-306;(3eéd.1928p.[274-275]);[IDI,p.446-447];trad.inédite.

51-.HuaIII/1,§136,p.314;(3eéd.1928p.[282]);[IDI,p.459];trad.inédite.

52-.HuaIII/1,Ibid.p.315;(3eéd.1928p.[283]);[IDI,p.460];trad.inédite.

53-.Ibid.,p.315,39àp.316,4;(3eéd.1928p.[283]);[IDI,p.460];trad.inédite.

54-.Ibid.,p.316;(3eéd.1928p.[283-284]);[IDI,p.460,al.4,l.3àp.461,7];trad.inédite.

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Réductionetcartésianisme

(§§30-34et49-51)

JulienFarges

Si le premier tome des Idées directrices de Husserl peut être considéré à juste titre comme unouvragefondamental,cen’estpastant,commeonlesait,parcequ’ilfourniraitlepremierexposédelaphénoménologie(lesRechercheslogiques,paruesen1900-1901,sontcepremierexposéetnecesserontà ce titre de valoir, aux yeux de Husserl lui-même et selon son expression, comme une « œuvre depercée »), que parce qu’il constitue la première exposition publiée de la phénoménologie commeidéalismetranscendantal,revendiquantetassumantlathèsed’uneconstitutiondetoutsensd’êtreauseindesactesetdesenchaînementsd’actesintentionnelsd’uneconsciencepure.TreizeansaprèssadéfinitioncommepsychologiedescriptivedanslesRechercheslogiques,critiquéeparHusserllui-mêmedès19031,laphénoménologieseprésentedésormaisrésolumentcommeunephénoménologiepure,étroitementliée,comme le titre de l’ouvrage de 1913 le laisse clairement entendre, au projet plus large d’une«philosophiephénoménologique».Danscettemesure,ilyadoncpleinelégitimitéàdirequecetouvrageest lepremierexposéde laphénoménologieencequ’elleadespécifiquementhusserlien.Or,commeHusserl l’affirmera avec force en 1930 dans le premier paragraphe de la Postface qu’il rédige àl’occasion de la traduction anglaise de l’ouvrage, « le commencement véritable de l’édificationsystématiquedecettesciencerésidedansleschapitresquitraitentdecesréductions[sc. les réductionstranscendantaleeteidétique]2»,cequi l’autoriseraàconsidérerseptansplustard,danslecadredelapréfacequ’il rédigecette foisà lacontinuationde laKrisis,que« toutes lesobjectionsà la réductionphénoménologique sont du type : “objection des antipodes”3 ». Ces déclarations nous conduisent àsoulignertroispoints,quivontpermettrededéterminerprogressivementlecadreproblématiquedenosprochainesanalyses.

Enpremier lieu, il fautnoterque la réduction, s’accomplissantmoyennant laprocéduresuspensivequ’estl’épokhèphénoménologique,nedevientlaméthodeprincepsdelaphénoménologiequepourautantquecettedernièreestconçuecommephilosophietranscendantale,cequisignifiequeméthodologiedelaréductionetthéoriedelaconstitutionsontsolidairesl’unedel’autre,qu’elless’impliquentetseclarifientmutuellement.Mêmesiune tellesolidaritése laissevérifierhistoriquementdepuis l’hiver1906-19074,c’estauxIdeenIqu’ilrevientd’exposerpourlapremièrefoispubliquementetdefaçonécritelanatureetla fonction de la réduction phénoménologique comme méthode d’une phénoménologie désormaistranscendantale,etceauseind’unesectionqui,pourn’êtrequeladeuxièmedel’ouvrage,n’enestpas

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moins tout à fait logiquement nommée la « considération phénoménologique fondamentale5 ».D’où unpremierparadoxeapparentdanslastructuredesIdeenI:lecommencementeffectifdelaphénoménologieneprendpasplaceaudébutdel’ouvragequiyintroduit.

Ensecondlieu,ilfauttoutefoispréciserquelaréductionn’estpaslaméthodedelaphénoménologie,sipar«méthode»onentendunensemblededémarchespréalablesdestinéesàintroduiredel’extérieuràtel ou tel ensemble de problèmes ou de résultats : en toute rigueur, la réduction n’introduit pas à laphénoménologie mais commence la phénoménologie. Par suite, les questions de méthode de laphénoménologiedoiventêtreconsidéréescommeautantdeproblèmesphénoménologiques6, sibienquedanstouteintroductionàlaphénoménologie,entantqu’expositiondelaréductionphénoménologique,laphénoménologie est condamnéeà seprésupposer elle-même.Commeon le sait, c’estpar cebiaisqueHusserl retrouve leproblèmeclassiqueducommencementde laphilosophie, auquel la réductionvientdonner une acuité renouvelée, et les Ideen I, première grande « introduction générale à laphénoménologie pure », souffrent elles-mêmes du fait qu’une introduction à la phénoménologie n’estpossiblepourainsidirequedel’intérieur,ouencorequelaphénoménologiedoitavoircommencépourqu’ilsoitpossibled’yintroduire.

Mais ces remarques ne prennent un sens déterminant que si l’on souligne en troisième lieu lecaractèreglobalementcartésiendelaposturephilosophiquegénéraleadoptéeparHusserldansl’ouvragede 1913. Par ce terme, il ne s’agit pas d’entendre seulement l’esprit qui gouverne l’ensemble desanalyses et que Husserl ressaisit notamment dans certaines déclarations introductives7, mais, plusprécisément, la détermination et la mise en œuvre d’une attitude suspensive au service du projetfondationnaliste visant lamise au jour d’un fundamentum inconcussum susceptible de permettre à laphilosophiedecommencer,souslaformed’un«pointdedépartabsolu»caractériséparl’apodicticitéouladonationévidente.Or,commeilestbienconnu,c’est justement ladeuxièmesectiondel’ouvragequi s’acquitte de cette démarche inaugurale (d’où son caractère de « considération phénoménologiquefondamentale»),sibienquec’estsurellequ’onpeuts’appuyerpourdonneruncontenuàl’idéed’une« voie cartésienne », ou du moins pour compter ce premier tome des Ideen parmi les œuvreshusserliennes qui empruntent paradigmatiquement une telle voie,même siHusserl ne désigne pas lui-mêmeainsicecheminementen19138.

Notre propos n’est pas ici de discuter le caractère cartésien de l’ambition d’une fondation de lascienceengénéralmoyennantledégagementd’unpointdedépartapodictiquementévident,maisplutôtdeposerlaquestiondesavoirsic’estréellementlàlafaçondontprocèdel’ouvragefondateurde1913.Orau-delàdesqualificationscartésiennesrétrospectivesfourniesparHusserllui-même9,ilnoussemblequela démarche complexe et tortueuse suivie par lui dans laFundamentalbetrachtung invite aumoins àintroduirequelquesréservessurcepoint.Autrementdit,noussouhaitons,danslespagessuivantes,rendreau cartésianisme des Ideen I, souvent accepté comme une évidence allant de soi, sa dimension deproblème,largementtributaireducaractèreproblématiquedel’expositiondelaméthoderéductivedanscette section fondamentale. Inversement, il s’agit pour nous, en une sorte d’élucidation réciproque, degagner quelque lumière sur l’idée et les problèmes de la réduction phénoménologique au fil d’uneréflexion sur la question du cartésianisme de Husserl. Pour ce faire, nous procéderons selon unedémarche qui élargira progressivement la perspective : partant de l’examen de l’acte suspensif qu’estl’épokhèphénoménologique,nousenviendronsensuiteàceluidelamiseenœuvredelaréductionelle-même10avantd’envisagerdanssonensemblelavoiesingulièrequesuiventettracentàlafoislesIdeenIverscefondementabsoluqu’estlasubjectivitétranscendantale.

*

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Auseuildenosanalyses, ilconvientderappelerque ladeuxièmesectionn’estpas leseul lieudel’ouvrage de 1913 où la démarche suspensive qui commande l’attitude authentiquementphénoménologique est thématisée parHusserl : si on laisse de côté, en amont, le § 18 et « l’épokhèphilosophique»qu’ilproposepourlecoupàtitredepréalablestrictementméthodologique11(commeunéchodu«principed’absencedeprésupposition»desRechercheslogiques12,etdontle§32rappelleraqu’elle n’a rien à voir avec l’épokhè à laquelle la phénoménologie doit l’ouverture de son champthématique propre13), il faut préciser que la réduction phénoménologique ne sera véritablementintelligiblequ’en aval, au termedu§109, c’est-à-dire lorsqu’elle aura été ressaisie, de l’intérieurdusystème des corrélations noético-noématiques auquel elle livre l’accès, comme « modification deneutralité » et que sa signification en tant que vécu intentionnel aura été clarifiée descriptivement etjustifiée intuitivement14. La conclusion qu’on peut en tirer est que la seconde section de l’ouvrage estfondamentale non en ce qu’elle épuise le sens théorique de l’attitude phénoménologique, mais en cequ’elle fonde la possibilité pratique de la réduction, c’est-à-dire en ce qu’elle justifie l’idéalismephénoménologique en accomplissant (en donnant à voir) ce changement d’attitude en quoi consiste laréduction, à savoir la conversion quimène de l’attitude naturelle à l’attitude phénoménologique.Celaprécisé,nouspouvonsnous tournervers l’actesuspensifqu’est l’épokhè phénoménologique,dontnousenvisageronssuccessivementl’objet,lanatureetlamodalité.

Le titre du § 31 indique sans équivoque ce sur quoi porte l’épokhè : « la thèse naturelle », à ladéfinitiondelaquelleestconsacréleparagrapheprécédent.Rappelonsquecelasignifiequel’épokhèneconcernepasteloutelélémentdecontenudumondedonnéàl’attitudenaturellemaislecaractèredecedernier,c’est-à-direlamodalitéprincipielledesadonationdansl’expérience.Or,commeonlesait,cettemodalitéfondamentaleestdenatureontologique : le traitdescriptifessentieldumondenaturelcommecaractèreesteneffetsonêtre-làouencoresoneffectivité15.Celaimpliquenonseulementquececaractèreest indépendant de la variation des contenus ontologiques particuliers de l’expérience (voire que leurvariabilité confirme son invariabilité de principe)16, mais surtout qu’en tant quemodalité ontologiquefondamentale en laquelle s’explicite la naturalité même de l’attitude naturelle, il ne doit pas êtreconsidérécommel’effetoulapropriétéd’unacteparticulier.C’estjustementpourdésignercettevaliditéontologique antérieure à tout acte théorique particulier queHusserl parle de « thèse » et emploie parconséquentl’hellénismeThesis,destinéàéviterletermeSetzung;carils’agitplus,endéfinitive,d’uneprésuppositiongénéralequed’unepositionparticulière17.Danscesconditions, ilne fautpasse laisserabuser par les brachylogies dans lesquellesHusserl évoque l’exclusion de la transcendance, celle dumonde, dumoi, deDieu, etc.Aucun étant singulier n’est exclu, à proprement parler,même si tous lesétants (et, par suite, les sciences qui s’y rapportent) sont concernés par la suspension du caractèreontologique général selon lequel le monde est naturellement donné à la conscience18 : l’altération del’attitude naturelle est donc bien une altération modale et non une modification qualitative de soncontenu.

Mais si ce dernier point est clair, il semble beaucoup plus difficile de passer d’une définitionformelledecettealtérationàlacompréhensionpositivedesapossibilité.Eneffet,silathèsegénéraledel’attitudenaturellen’estpasenelle-mêmeunactedutyped’unjugementd’existence,maisleprésupposésurlequelreposelapossibilitédetoutjugementnatureletspontanéd’existence,parquelactepourrait-elle être altérée ? Si, comme le dit Renaud Barbaras, elle est « en deçà de toute prise de positionthéorique car elle est endeçàde l’interrogation»19même, par quel acte lamettre en question commetelle?Cesquestionsmettentenjeunonplusl’objetmaislanaturemêmedel’épokhè.

Si la thèse générale renvoie au caractère ontologique fondamental de l’attitude naturelle et si, parconséquent, toute mise en doute de la réalité de tel ou tel étant, toute exclusion, loin d’altérer cecaractère,leconfirme,faut-ildirequelapratiquedudoutesoitabsolumentvaineetstérilerelativementàlapossibilitéd’unealtérationde la thèsede l’attitudenaturelle?Toutedémarchede typecartésien se

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trouve-t-ellepar làd’embléecongédiée?Enréalité, lasituationestplusnuancée,etc’estpar lebiaisd’uneconfrontationsubtileavecladémarchecartésiennequele§31exposelapossibilitéformelled’uneépokhèphénoménologique.Dans lamesureoùcetaspectde l’argumentationhusserlienneadéjàdonnélieuàbiendescommentaires20,nousnouspermettronsdelesexaminerassezrapidement.

RelativementàlaquestiondirectricedelanatureducartésianismedeHusserl,lepointdécisifesticique la présentation de la possibilité formelle d’une épokhè de la thèse générale a le sens d’unepurification de la démarche cartésienne du doute hyperbolique21, s’accomplissant par voie degénéralisation et d’abstraction. La généralisation22 consiste à se demander quels caractères de l’actemêmededoutersonttransposablesausimpleprojet,àlasimpletentativededouter,etconduitàétablirquel’épokhèn’estpasuncertaintypededoutemaislemomentsuspensifauquelledoutedoitcequ’onpourrait nommer son efficacité dubitative, c’est-à-dire sa capacité àmettre quoi que ce soit en doute.Maisàcettegénéralisationsuccèdel’abstraction23parlaquelleHusserlmontrequesiledoutesupposelasuspension, celle-ci n’implique pas pour autant le doute, et que la signification de l’épokhè commemomentintérieurquisuspendlathèsegénéralepeutêtredétachéeou«dissociée»24nonpasseulementdudouteeffectif,maisdelatentativemêmededouter.Lapreuveestfournieparlefaitquelasuspension,contrairementàlamiseendoutequireposesurelle,estcompatibleavecuncertainmaintiendelathèsegénéralequ’elle suspendpourtant : ellepeut coexister avec levécude la thèsegénérale enun seul etmêmemomentdeconscience25.Àlaquestiondesavoircequ’estdonccetteépokhè,considéréepurementcommetelleetcommeindépendammentde la tentativededouterquis’appuiesurelle,Husserl répondainsiendesformulescélèbres:

C’est[…]quelquechosed’absolumentoriginal.Nousn’abandonnonspaslathèsequenousavonsopérée;nousnechangeonsrienànotreconvictionquiensoi-mêmedemeurecequ’elleest,tantquenousnefaisonspasintervenirdenouveauxmotifsdejugement:cequeprécisémentnousnefaisonspas.Etpourtant la thèsesubitunemodification : tandisqu’elledemeureenelle-mêmecequ’elleest,nouslamettonspourainsidire«horsdejeu»,«horscircuit»,«entreparenthèses».Elleestencorelà,commeestencorelàdanslaparenthèsecequenousyenfermonsetcommeestlà,horsdesconnexionsducircuit,cequenousenexcluons26.

Mesuronsici l’ampleurduparadoxequiaffleuredansletextehusserlien:c’estprécisémentparcequ’elleestcompatibleavec lemaintiende la thèsegénéraleque l’épokhè est cettemodificationquil’altèrevéritablement,alorsquetouteslesautresmodifications,quipeuventcertessecoordonneràlathèsegénéralemaisnonsecomposeravecelle27,lareconduisentsansl’altérerlemoinsdumonde.Cesmodifications,quisontenréalitéautantdeprisesdepositionàl’endroitdelaréalité,sontcequeHusserlnomme les modalités doxiques (des modalités de croyance auxquelles correspondent des caractèresd’être), dont il fournit un examenphénoménologique àpartir du§103 et aunombredesquelles il fautcompterledoute.Cederniern’estautre,eneffet,quelamodalitéquiposel’êtrecommedouteuxetqui,loin d’altérer ou de suspendre la thèse générale, la reconduit en prenant position sur l’être, et ceprécisémentparcequ’iln’enrestepasàunepuresuspension.Qu’ajoute-t-ildoncaumomentsuspensif?HusserlsemontreiciunlecteurattentifdeDescartes,etpointe,àl’œuvredanslatentativededouter,unmoment complémentaire demodification positionnelle qui agit pour ainsi dire en sous-main du doute,celui de la supposition du non-être28. On peut donc dire que par opposition aux modalités doxiques,l’épokhè ne reconduit pas la thèsemais en renverse la valeur (Umwertung), et c’est en cela qu’ellel’altèreplusradicalementquenelepeutaucuneprisedepositiondoxique,pasmêmelanégation(quiestencoreunmodedeposition).C’estlaraisonpourlaquelleHusserlpeutdéclarerquelamiseenœuvredel’épokhèphénoménologiquesedistingue toutautantdudoutesceptiqueà l’endroitdumondequedesanégation sophistique29 : par-delà l’attestation comme la contestation30, la mise entre parenthèses estneutralisation,ouencore,pourreprendreuneformuleremarquabledeR.Barbaras,«ellen’estpasthèsedenon-réalité,maisnon-thèsederéalité31».

Qu’ya-t-ildoncdecartésiendansladémarchesuspensivehusserlienne?Rien,ilfautleconcéder,sicen’est legeste suspensif lui-même, telqueDescartesn’a justementpas su lemaintenirdans toute sa

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puretémaisl’ajointàunesuppositiondunon-êtredumonde,lecondamnantàreconduireainsilathèsegénérale qu’il prétendait radicalement altérer et à ne pas sortir, en fin de compte, de cemonde qu’ilrépudiecommedouteux,etceprécisémentparcequ’il lerépudiecommedouteux.C’estaussi laraisonpourlaquelleledoutecartésienconserveuncaractèreprovisoireetdemeureunexpédientdelarecherchephilosophique,alorsque l’épokhè,actemêmeduphilosopherpourHusserl,nepeutêtrequedéfinitivepuisquemêmesionpeutcesserdelapratiquer,ellen’enapasmoinsdonnéàsaisirlathèsepourelle-mêmeet établi ce faisantune foispour toutes la réalité en soidumondecommeobjetd’unecroyancenaturelle.Nous sommes ainsi conduit au dernier aspect de l’épokhè à l’occasion duquel unemise enperspectiveavecDescartesestpertinente.

Beaucoup moins relevé par les commentateurs que les précédents, il concerne la modalité del’effectuationdecette suspensionpure. Il convientde soulignereneffet la fréquence,pournepasdirel’omniprésencedelaréférenceàlalibertédusujetphilosophantaumomentoùsedéveloppelaréflexionsurlapossibilitéd’uneépokhèphénoménologiquedansl’économiedesIdeenI32.Pourrendreraisondecetteinsistance,onpourrait,dansunpremiertemps,apercevoiriciuneproximitéavecleDescartesnonplusdesMéditationsmétaphysiquesmaisplutôtdelapremièrepartiedesPrincipesdelaphilosophie,où, commeon le sait, ledouten’estplusprésenté selon l’ordrede ladécouverte réflexivemais selonl’ordredesraisons:danscecontexte,ilestréféréànotrelibertédelemettreenœuvre,quidevientàlafoisl’originedudouteetcequiestrévéléparluidansuneévidenceabsolue33.

Mais une nuance décisive doit toutefois être introduite, interdisant de pousser plus loin lerapprochement. Au moment où, dans le § 31, Husserl rejette toute assimilation de l’épokhèphénoménologique auxdiversesmodifications doxiques, il précise qu’il n’est pas au pouvoir de notrelibre arbitre de transformer la thèse de l’attitude naturelle en antithèse, la position en négation ou enquelque autremodalisation doxique que ce soit34 ; par contraste, il affirme une page plus loin que la« conversion de valeur [en quoi consiste l’épokhè] dépend entièrement de notre liberté35 ». Uneconclusions’imposedonc:enaffirmantqu’iln’estpasennotrelibrepouvoird’altérerparmodalisationdoxique,etenparticulierpar ledoute, la thèsegénérale,Husserlneditmanifestementpasquenousnesommes pas libres de douter ; il montre plutôt que celui qui, comme Descartes, croit suspendreeffectivement la thèsegénéralepar simplemodalisationdoxique s’illusionne sur les pouvoirs qui sontréellement ceux de sa liberté.Le doute peut bien consister à affirmer de l’être qu’il est douteuxmaisjamaisconvertirsansrestedel’êtreendudouteux.Malibertén’aaucunpouvoirsurl’êtrecommetel;elle peut seulement, aumieux, neutraliser la thèsegénérale sur l’être dumonde,mais non endisposerdoxiquement.Encesens,donc,l’épokhèphénoménologiqueestplusfidèleaupouvoirréeldelalibertésubjectiveque l’entreprisededoutehyperbolique :elleaccomplit l’altération laplus radicalequi soitdansleslimitesdenotrelibertéfinie.Lacapacitédel’épokhèàmaintenirdanslaneutralitélavaliditédelathèsegénéraleestainsi,dupointdevuedeHusserl,lesigneparadoxald’uneconceptionplusjusteenmême temps que plus radicale de la liberté du sujet que celle qui est à l’œuvre dans la démarchecartésienne.

Restequelamiseenévidencedecetteliberténevapassansconféreràl’épokhèlecaractèred’unedécision théorique arbitraire, qui rendmanifeste la limitation des analyses du premier chapitre de la« considération phénoménologique fondamentale ». Pour remédier à cette apparente gratuité du gestesuspensif inaugural, il convient donc de progresser de la simple définition formelle de l’épokhè à lapratiqueeffectivedelaréduction.

*

Commeonlesait,c’estprécisémentlafonctionessentielleduchapitreII(«laconscienceetlaréaliténaturelle»)quederendrepossibleetintelligiblecepassage,ensereplaçantenamontdel’épokhè,au

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seindel’attitudenaturelle,etenn’usantdesressourcesquedelaseule«réflexionpsychologique»surlesvécus36 : ils’agitainsidejustifierconcrètement–àdéfaut,peut-être,demotiverintégralement–lamiseenœuvredelaréductionphénoménologique,enl’articulantsimultanémentàlathèseidéalistedelaconstitutiontranscendantale.Danscesconditions,laquestiondirectricedeHusserlestlasuivante:«Quepeut-ildoncsubsisterquandonmethorscircuitlemondeentier,ycomprisnous-mêmesettouteespècede“cogitare”37 ? ». Cette question, ainsi qu’il est bien connu, pose le problème du « résiduphénoménologique»:ils’agitdemontrerquelaconscienceestbiencetêtreoucetterégionontologiquequirésisteàl’épokhèphénoménologique,etquiprésenteparconséquentunedifférenceontologiqueavecla réalité naturelle38. Or le repérage des occurrences explicites de cette thématique du résidu montrequ’ellen’intervientquedanslechapitresuivant,dansles§49et5039,soitaumomentoùlaréductionesteffectivementopérée.

CesindicationstextuellesmontrentnonseulementquemalgrélacoupureentreleschapitresIIetIII,c’estunseuletmêmemouvementargumentatifquicommenceau§34dansl’attitudenaturelleets’achèveau§50avecl’introductioneffectivedelaréductionphénoménologique,maissurtoutqu’aumomentoùle§50affirmequelaconsciencepureestlerésiduphénoménologiquerecherchédepuisle§34,ilformuleun résultat déjà acquis, si l’on en croit du moins le titre du § 49. Or ce dernier point est lourd deconséquences en ce qui concerne la question des rapports entre réduction et idéalisme dans laFundamentalbetrachtung, car il conduit à reconnaître que l’essentiel de la thèse idéaliste de laphénoménologie (l’affirmationde l’indépendanceontologiquede laconsciencepar rapport à la réalitéainsiquedelarelativitédusensd’êtredecetteréalitéparrapportàlaconscience40)estexposéavantlamiseenœuvredelaréduction,dansce§49dontleproposrenvoieàsontouràdesrésultatsacquisdansles paragraphes précédents41. Mais si la conscience est sue et décrite comme résidu avant que soiteffectivementopéréelaréductionàlaquelleelleestcenséerésister,silaréductionn’estpasnécessaireàla démonstration du caractère résiduel de la conscience mais le présuppose, l’idée d’un « résidu »phénoménologiquepeut-elleêtreautrechosequ’unleurre?Orpuisquec’estprécisémentcetteidéequiappelle le rapprochement avec la recherche cartésienne d’un fundamentum inconcussum résistant audoute hyperbolique, la question que nous posons revient à demander si la démarche husserlienne desIdeenIestsicartésiennequ’onleditetqu’ellepeutàl’occasionlelaissersupposer.

Pouryrépondre,nouspouvonsnoustournerdirectementversle§49,quisesitueàlajonctiondesanalysesinstituantl’idéalismetranscendantalphénoménologiqueetdelamiseenœuvredelaréductionphénoménologique.Ils’agitpourHusserldemontrerquelacorrélationdesdeuxrégionsaenfaitlesensd’une relationdedépendance ontologiquede la réalité à l’égardde la conscience.La constructionduparagraphe fait s’enchaîner deux vagues argumentatives, pour ainsi dire inverses l’une de l’autre,destinées à justifier le caractère asymétrique de la corrélation intentionnelle42. Considérons-lessuccessivementennousdemandantàchaquefoiscequ’ilenestducaractèrerésidueldelaconsciencepure.

Lapremièreargumentation(HuaIII/1,p.103-104,l.28[IDI,p.160-162,l.9])partdel’idéed’unecorrélationetenvientàl’asymétriedesdeuxrégionsenprocédantdumondeverslaconscience :ellemontrequel’êtredumondenedéterminepasl’êtredelaconscience.Pourétablircettethèse,deuxtempssont développés : le premier (Hua III/1, p. 103-104, l. 4 [ID I, p. 160-161, l. 21]) établit que laconcordancedenotreexpérienceactuelledumonden’estabsolumentpasprescriteeidétiquementparlastructureintentionnelledelaperception,sibienquecettedernièren’exclutpaslapossibilitédeprinciped’unenon-concordancegénéraliséedanslaquellelacohérencedumondes’effondrerait.Entouterigueur,ceslignesnemettentenœuvreaucuneopérationthéoriquesuspensiveayantpourrésultatunenégationouuneannihilationdumonde,maisétablissent seulement lapensabilitéd’unchaosperceptif (lequeln’estpas un pur et simple néant intuitif), ce qui est sensiblement différent43. Le second temps (Hua III/1,p. 104, l. 5-22 [ID I, p. 161, l. 22-162, l. 2]) se rattache quant à lui à la thèse de la contingence

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fondamentaledel’êtretranscendant,acquiseau§46,etmontrequeradicaliséeenunepossibilitédenon-être,cettecontingencemodifiesansl’atteindrefondamentalementl’êtredelaconscience44.Contrairementàl’argumentationprécédente,noussommesbienicienprésenced’unenégationdumonde,d’unnéantdemonde;maislaquestioncrucialeestlasuivante:s’agit-ilpourautantd’unemiseenœuvredel’épokhècomme suspension de la thèse générale de l’attitude naturelle ? Et il faut bien répondre que non, carl’anéantissementesticibienplutôtunehypothèsedontlaplausibilitédécouledelaradicalisationdusens de la thèse générale et du sens d’être du monde naturel (sa contingence) que l’effet de sasuspension.

Venantaprèsunepremièresériedeconséquences,ladeuxièmeargumentation(HuaIII/1,104,l.29-105,l.26[IDI,p.162,l.10-163,l.24])procèdecettefoisdelaconscienceverslemonde,enmontrantquesisontdonnéslesenchaînementssynthétiquesquipermettentl’apparitiond’unmondecommecorrélatintentionnel,alorsilestimpensablequ’unmondenesoitpaspourlesujetd’unetelleconscience.Commeon levoit, cet argumentn’est autreque l’inversiondupremier tempsde l’argumentationprécédente (àsavoir de l’hypothèse d’une non-concordance perceptive généralisée) et demeure, comme tel,parfaitement étranger à l’idéed’uneannihilationdumondeetd’uneconscienceconstituante résiduelle.C’estens’appuyantsurcedoublemouvementargumentatifqueHusserlachèveleparagrapheenaffirmantconjointementlaséparabilitéontologiqueetlarelativitétranscendantaleouconstitutivedelaréalitéparrapportàlaconscience,alorsmêmequ’entouterigueuraucuneréductionn’aétémiseenœuvre.

Ilfautdoncconclurequeletitredu§49estfallacieux:laconsciencen’yestpasétabliecommeunrésidupuisqu’aucunedémarchedesuspensionn’yaétémiseenœuvreàlaquellelaconscienceauraitrésisté:defait,sousl’intituléd’«anéantissementdumonde»cen’estpaslasuspensiondelathèsed’existencequisejouemaisaucontrairel’approfondissementducaractèreleplusfondamentaldelaréalité mondaine, sa contingence, c’est-à-dire la nécessaire possibilité de son non-être. Cettepossibilitéappartientcommetelleausensd’êtredumondelui-mêmeetn’estpasl’effetd’uneactivitédelibresuspensiondelapartdusujet.Ceparagraphenefaitdoncqu’approfondiretpréciserlecaractère«détachable»delarégionconscienceparrapportàlaréalitéenuneindépendance,etlacorrélationdesdeuxrégionsenunrapportasymétriqueauprofitdelaconscience.Etlorsquele§50appuielamiseenœuvreeffectivedelaréductionsurlefaitqu’«unenouvelleattitudedoitêtrepossible45»,ilsous-entendàl’évidencequ’elleledoitpuisqu’ilyabienquelquechosesusceptiblededemeureraprèscettemiseenœuvre.Autrementdit,c’estbienl’indépendanceontologiquedelaconscience,établieàmêmel’attitudenaturelle par une analyse réflexive de l’essence de la conscience, qui garantit que l’épokhè est nonseulementpossiblemaisqu’ellen’estpasvaine,etquijustifiesamiseenœuvreauseind’uneréductionquiseprésentedèslorscommelaconversionpositive,dansladoctrinedelaconstitutiontranscendantale,deladéterminationnégativedelaconscienceparsonindépendance46.

Rien, par conséquent, n’est ici véritablement cartésien si ce n’est le caractère hyperbolique dugesteparlequellacontingenceestinterprétéecommeunepossibilitédenon-concordancegénéralisée.Onpeutcertesajouterque ladétermination fameusede laconsciencecommeêtreabsoludansce§49s’effectueparlemoyendel’idéedesibisufficientia47,quin’estautrequelecritèreparlequelDescartesavaitlui-mêmedéfini,denouveaudanslesPrincipesdelaphilosophie,lasubstanceengénéral48;maiscet ajout se fait alors à la décharge de l’ouvrage de 1913, s’il est vrai que la déterminationphénoménologiquedelasubjectivitéoriginaireimplique,commeHusserlnecesseradelerépéterparlasuite,unecritiquedeprincipedu«réalismetranscendantal»induitparl’interprétationcartésiennedelaconsciencepurecommesubstanceréalepensante(commemens).Parconséquent,leleitmotivdu«résiduphénoménologique»nedoitpastromper:danstoutecettedémarche,ilnesignifiepasdutout,enfinde compte, la production réductive d’une conscience pure mais la vérification réductive d’uneindépendance ontologique de la conscience déjà acquise analytiquement dans l’attitude naturelle.Danscesconditions, rienn’interditdeconsidérer ladémarchehusserliennequis’exposedans les trois

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premiers chapitres de cette deuxième section des Ideen I comme l’inversion pure et simple de ladémarche cartésienne des Méditations métaphysiques : Husserl ne chemine pas, en effet, d’unesuspension de la validité de la thèse du monde jusqu’à la détermination de l’ego comme fondementultime, mais, après s’être assuré de la possibilité formelle d’une suspension pure, il part d’unedétermination du sens ontologique de la conscience comme indépendance absolue jusqu’à la mise enœuvre d’une procédure suspensive qui convertit le résultat ontologique en donnée transcendantale etouvrelechampdelaphénoménologiecommedoctrinedelaconstitutiontranscendantale.

*

Cerésultatnouspermetdeconclurecetteétudeeninterrogeantdefaçonplusglobalelecartésianismedelavoied’accèsautranscendantalismephénoménologiqueexposéedanslesIdeenI : lecheminementde laFundamentalbetrachtung peut-il êtredésigné commeune«voie cartésienne» ?Poséede façonaussiabrupte,laquestionpourraitparaîtrenaïveouoiseusepuisquedanslaKrisis,Husserldésignelui-mêmeexplicitementladémarched’IdeenIcommecartésiennepourendénoncerl’insuffisance49,sibienquelaplupartdescommentateursluiemboîtentnaturellementlepassurcepoint.Maisau-delàdel’espritcartésien qui préside assurément à la quête d’un point de départ apodictique et fondamental pour laphilosophie et, par voie de conséquence, pour l’édifice du savoir rationnel, il nous semble que lesanalysesprécédentesinvitentàrelativisercettecaractérisationetàproposerunelecturepourainsidire«décartésianisée»delavoieempruntéeparl’ouvragede1913.

En effet, si l’on tient compte, d’une part, du fait que l’introduction effective de la réduction estprécédéeparuneanalyseontologiquepréalabledontlafonctionestdemettreenévidenceladistinctionrégionaleentreconscienceetréalitéafindemontrerlerattachementdecelle-ciàcelle-làentantquesoncorrélatintentionnel,nedoit-onpasconvenirquelaFundamentalbetrachtungnousmetenprésencedecettevoiequ’ilestconvenudenommer«ontologique»,selonlaquellelesrégionsontologiquesetleurstructures eidétiques servent de « fils conducteurs transcendantaux » pour la régression réflexive à lasubjectivitéoriginaireetàsesprestationsconstituantes50?Cettelectureseraitcorroboréeparlefaitquedans la dernière section de l’ouvrage, aumoment où il s’agit de prendre toute lamesure de la tâchethéoriquedelaconstitutionphénoménologiquedelaréalité,lapossibilitéd’unetellefonctionconductricedel’ontologieestexposéeetjustifiéepourelle-même51,donnantainsirétrospectivementsalégitimitéaucheminementdeladeuxièmesection.OnpeutdoncconveniravecKernquedanscettesection«domineaussiunsensdelaréductionphénoménologiquequinerésultepasducheminquiaétéempruntémaisquirelève du chemin par l’ontologie52 ». Mais si l’on tient compte, d’autre part, du fait que l’analyseontologique préparatoire qui s’y déploie est celle de la conscience intentionnelle (et non celle de lanature perceptive) et qu’elle s’effectue moyennant une « réflexion psychologique53 », ne doit-on pasreconnaître que le cheminement qui s’y donne à voir relève de la voie qu’il est convenu de nommer«psychologique » – cette voie prétendument empruntée parHusserl à partir des années 20 et dans lecontexte de la seule phénoménologie génétique ? Il semble que si54. Outre le fait que cette voiepsychologique se montre par là comme un simple avatar de la voie ontologique (ce qui invite à laconsidérer comme une voie hétéronome et, pour cette raison, secondaire55), cette lecture conduit àconsidérer les Ideen I comme la matrice d’où Husserl tirera, à la faveur notamment del’approfondissement de l’analyse intentionnelle moyennant l’idée d’une constitution passive, ladistinctionsystématiqueentredesvoiesméthodiquesencoreproblématiquementmêléesen1913.

Or cette difficulté méthodologique du premier tome des Ideen est évidemment indissociable ducaractère hautement aporétique de la structure argumentative de sa deuxième section, telle que nousl’avonsdéjàévoquéeprécédemment:endissociant,àdesfinspédagogiques,lapossibilitédel’épokhèet la mise en œuvre de la réduction et en intercalant entre ces deux moments une eidétique de la

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conscience pure destinée à montrer que la conscience est bien séparable par essence de la réalité,l’exposéhusserlienrendpatentelacircularitéenvertudelaquelleréductionetidéalismesedéterminentmutuellement,maisceensecondamnant inévitablementàsouffrir lui-mêmedecettecircularité,qui luidonne l’apparenced’une immensepetitioprincipii.Mais il nous semble que loin de compromettre laportéeinauguraledel’ouvragede1913pourlaphénoménologiecommephilosophietranscendantale,cesaporiespermettentdecomprendreenquelsensils’agitbienavecluid’uncommencementphilosophique,c’est-à-diredeladéterminationprogrammatiqued’unensembledetâchesthéoriquesfondamentales.

En ce qui concerne le thème cardinal de la réduction phénoménologique-transcendantale, l’exposédesIdeenI laisselelecteurenattentededeuxtâchesurgentes(unedistinctionclaireentrelesdiversesvoiesd’accèsàlaréductionet,conséquemment,uneclarificationdesrapportsentreattitudenaturelleetattitude transcendantale), en même temps qu’il permet d’ores et déjà de comprendre qu’une simpleintroduction à la phénoménologie transcendantale ne peut être menée à bien que si elle s’en acquitteconjointement–cedontiln’estpasinterditdepenserqueHusserln’yparviendraquedanslesannées30,danslecadredelaKrisis.Aussin’ya-t-ilaucuneaffectationdesapartàs’espérerencore,àcetteépoque,un«commençant56».

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PhilosophieEdmundHusserls,DenHaag,MartinusNijhoff,Phaenomenologican°42.

1-.Dansla«Recensiond’Elsenhans»,inHuaXXII,p.201sq.[AL,p.276sq.].

2-.PostfaceàmesIdéesdirectricespourunephénoménologiepure,inHuaV,p.142[IDIII,p.184].

3-.HuaVI,p.439,n.1[CR,p.485,n.1].Lesensdecetteformulepeutseprécisergrâceàunedéclarationqu’ontrouvedanslaPostfacede1930:«Cesobjectionsreposenttoutessurdesmalentenduset,endernièreanalyse,surlefaitquel’onramènemaphénoménologieàunniveaudontledépassementconstitueprécisémenttoutesasignification;end’autrestermes,l’onaméconnucequ’ilyad’essentiellementnouveaudansla“réductionphénoménologique”[…]»(HuaV,p.140[IDIII,p.181]).

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4- .Pourunearchéologiedétailléedecedéveloppementsimultanéde la réductionphénoménologiqueetde l’entente transcendantalede laphénoménologie,nousnepouvonsquerenvoyeràLavigne,2005,p.527-616.

5-.RappelonsiciquelatraductiondePaulRicœurestétrangementfautivepuisqu’ellerendparunpluriel(«Considérationsphénoménologiquesfondamentales»,IDI,p.85)unsinguliertoutàfaitévidentenallemand(DiephänomenologischeFundmentalbetrachtung).

6-.Cf.cettedéclarationquiclôtle§65desIdeenI,selonlaquelle«toutcetouvrage,quiveutfrayerlavoieàlaphénoménologie,[est]lui-mêmedepartenpart,envertudesoncontenu,unephénoménologie»(HuaIII/1,p.139[IDI,p.215]).

7-.Cf.HuaIII/1,p.5[IDI,p.5]:«Exclurelatotalitédeshabitudesdepenséequiontrégnéjusqu’àcejour,reconnaîtreetabattrelesbarrièresspirituellesqueceshabitudesdressentautourdel’horizondenotrepensée,poursaisirensuiteavecuneentièrelibertéintellectuellelesvéritablesproblèmesdelaphilosophiequidemandentàêtretotalementrenouvelésetqu’ilserapossibled’atteindreunefoisl’horizondébarrassédetoutcôté[…].»

8-.Cf.Boehm,1956,p.XXXIII-XXXIV;Kern,1962,p.304-311[trad.fr.,p.286-292];Drummond,1975,p.48-50[trad.fr.,p.267-269].

9-.Cf.parexempleHuaVIII,p.283;HuaVI,§43,p.157-158[CR,p.176].

10-.Cettedissociationentrel’analysedel’épokhèetcelledelaréductionestjustifiéeparlecheminementmêmedesIdeenI,quiprésentelaparticularitédes’enquérirdelapossibilitéd’uneépokhèphénoménologiqueavantsamiseenœuvredansl’accomplissementeffectifdelaréduction.Sicecheminementaleméritederendreexpliciteladistinction,tropsouventoubliée,entreépokhèetréduction,iln’estpasimpossiblequ’ilsoitsimultanémentàl’originedebiendesdifficultésetmêmedecertaineslimitesdelaprésentationgénéraledelaméthoderéductivedanslesIdeenI.Entoutcas,celaimpliquequedeuxfoyerstextuelsdoiventêtreconsidérésiciaveclaplusgrandeattention:les§30-33,quivalidentlapossibilitédeprinciped’uneépokhèphénoménologiqueaprèsavoirformulélecaractèregénéraldel’attitudenaturelle,etles§50-51,oùlaréductionphénoménologiqueesteffectivementmiseenœuvre(l’opérationintervenantprécisémentinHuaIII/1,§50,p.106[IDI,p.165]).

11-.HuaIII/1,§18,p.39-40[IDI,p.61-62].Cetteépokhèconsiste«encequenoussuspend[ons]notrejugementàl’égarddel’enseignementdetoutephilosophiepréalable,etquenouspoursuiv[ons]toutesnosanalysesdansleslimitesimposéesparcettesuspensiondejugement».

12-.Cf.HuaXIX/1,§7,p.19sq.[

13-.Cf.HuaIII/1,§32,p.66[IDI,p.103sq.].

14-.HuaIII/1,§109,p.247sq.[IDI,p.366sq.].

15-.Cf.HuaIII/1,§30,p.61[IDI,p.95]:«Laréalitéeffective(Wirklichkeit),cemotleditdéjàassez,jeladécouvrecommeexistantetjel’accueille,commeellesedonneàmoi,égalementcommeexistant.[…]“Lemonde”esttoujourslàcommeréalité[…].»

16-.Cf.ibid.:«Jepeuxmettreendouteetrécuserlesdonnéesdumondenaturel:celanechangerienàlaposition(àla“thèse”)généraledel’attitudenaturelle.“Lemonde” est toujours là comme réalité ; tout au plus est-il, ici où là, “autrement” que je ne le présumais, et faut-il en exclure ceci ou cela sous le titre de “simulacre”,“d’hallucination”etc.,etpourainsidirelebiffer;jel’exclusdecemondequi,dansl’espritdela“thèse”générale,esttoujourslemondeexistant».Cespropospermettentd’apercevoiranticipativementlesgrandeslignesdelacritiquedeDescartesdontlathéoriedelaréductionphénoménologiqueestlelieuetsurlaquellenousreviendronsplusbas.

17-.Cf.surcepointHuaIII/1,§31,p.62[IDI,p.96].Pouruneélucidationduconcepthusserliende«thèse»parretouràl’originearistotélicienneduterme,cf.Lavigne,2009,p.70,n.4.

18-.Cf.HuaIII/1,§32,p.65[IDI,p.102]:«Cequenousmettonshorsdejeu,c’estlathèsegénéralequitientàl’essencedel’attitudenaturelle;nousmettonsentreparenthèsesabsolumenttoutcequ’elleembrassedansl’ordreontique:parconséquenttoutcemondenaturelquiestconstamment“làpournous”,“présent”,etnecessederesterlààtitrede“réalité”pourlaconscience,lorsmêmequ’ilnousplaîtdelemettreentreparenthèses.»

19-.Barbaras,22008,p.77.

20-.Notammentdepuisl’articlepionnierdeLöwit,1957etlesindicationscomplémentairesdeSchuhmann,1971.

21-.LadimensioncritiquedelaréférenceàDescartesapparaîtdèsladéclarationd’intentionqu’ontrouvedansle§31desIdeenI(cf.HuaIII/1,p.62[IDI,p.97]:«Unprocédédecegenre,possibleàchaqueinstant,estparexemplelatentativededouteuniverselqueDescartes aentreprisdemeneràbien,maisdansundessein toutdifférent,dansl’intentiondefaireapparaîtreunplanontologiqueabsolumentsoustraitaudoute.Nousadoptonscepointdedépart,maispoursoulignerenmêmetempsquepournouslatentativeuniverselledudoutenedoitservirquedeprocédéméthodique(methodischerBehelf)destinéàfaireressortircertainspointquigrâceàluipeuventêtredégagésavecévidencecommeétantenveloppésdanssonessence»).

22-.HuaIII/1,§31,p.62-63[IDI,p.97-98].

23-.HuaIII/1,§31,p.63-64[IDI,p.98-100].

24-.HuaIII/1,§31,p.64[IDI,p.100].

25-.Voici,àcetégard,lepassagedécisif:«nouspouvons,avecuneentièreliberté,opérercetteépokhèoriginale,c’est-à-direunecertainesuspensiondujugementquisecomposeavecunepersuasiondelavéritéquidemeureinébranlée,voiremêmeinébranlablesielleestévidente»(HuaIII/1,§31,p.55[IDI,p.100-101]).

26-.HuaIII/1,§31,p.63[IDI,p.98-99].

27-.Cf.HuaIII/1,§31,p.63[IDI,p.100].

28-.Cf.HuaIII/1,§31,p.63-64[IDI,p.100]:«Danslatentativedudoutequis’adjointàunethèseet,commenouslesupposons,àunethèsecertaineetinébranlée,lamise“horscircuit”s’opèredansetavecunemodificationdutypeantithèse,àsavoiravecla“supposition”dunon-êtrequiformeainsilesoubassementcomplémentairedelatentativededouter.»Pourmesurerlajustessedecetteanalyse,iln’estquederenvoyeràlafameusedéclarationdeprincipedeDescartesdanslapremièreMéditation:«lemoindresujetdedouterquej’y[i.e.leschoses]trouveraisuffirapourmelesfairetoutesrejeter»(R.Descartes,Méditationsmétaphysiques,ATIX,p.14).

29-.HuaIII/1,§32,p.65[IDI,p.102].

30-.HuaIII/1,§32,p.66[IDI,p.104].

31-.Barbaras,22008,p.81.

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32-.Cf.parexempleHuaIII/1,p.62,63,64,65[IDI,p.97,98,99,100,102].

33-.Cf.R.Descartes,Principiaphilosophiæ,I,§6,ATVIII-1,p.6(noustraduisons):«Nousavonsunlibrearbitrepropreàempêchernotreassentimentdansledouteetànouspréserverainsidel’erreur»(«Noshabereliberumarbitrium,adcohibendumassensumindubiis,sicqueaderroremvitandum»);etI,§39,ibid.,p.19-20(noustraduisons):«Lelibrearbitreestconnuparsoi»(«Libertatemarbitriiessepersenotam»):«Orilestàcepointmanifestequ’ilyaennotrevolontéunelibertéetquenouspouvonsparlibrearbitreaussibiendonnerquerefuserl’assentiment,qu’ellepeutêtrecomptéeaunombredesnotionspremièresetdespluscommunesdontnousdisposons.C’estcequinousapparutunpeuplus tôt lorsque,nousappliquantàdouterde toutechoseetqu’étantparvenusaupointd’imaginerquequelqueauteur toutpuissantdenotrenaturepûtnoustromperentoutesfaçons,nousn’enfaisionspasmoinsennousl’expérienced’unelibertétellequenouspouvionsnousabstenirderecevoirennotrecréancecequin’étaitpasabsolumentcertainniexaminéàfond»(«Quodautemsitinnostrasvoluntatelibertas,etmultisadarbitriumvelassentirivelnonassentiripossumus,adeomanifestumest,utinterprimasetmaximecommunesnotiones,quænobissuntinnatæ,sitrecensendum.Patuitquehocmaximepauloante,cumdeomnibusdubitarestudentes,eousquesumusprogressi,utfingeremusaliquempotentissimumnostræoriginisauthoremmodisomnibusnosfallereconari;nihilominusenimhancinnobislibertatemesseexperiebamur,utpossemusabiiscredendisabstinere,quanonplanecertaerrantetexplorata»).

34-.HuaIII/1,§31,p.62[IDI,p.98].

35-.HuaIII/1,§31,p.63[IDI,p.99].

36-.HuaIII/1,§33et34,resp.p.67et69[IDI,p.107et109].

37-.HuaIII/1,§33,p.66[IDI,p.106].

38-.HuaIII/1,§33,p.68[IDI,p.108]:«Nouspoursuivronscetteétudeaussiloinqu’ilestnécessairepourobtenirl’évidenceàlaquellenousavonsvisé,àsavoirquelaconscienceaenelle-mêmeunêtreproprequi,danssonabsoluespécificitéeidétique,n’estpasaffectéparl’exclusionphénoménologique.Ainsi,ellesubsistecomme“résiduphénoménologique”etconstitueune régionde l’êtreoriginaleparprincipe,etquipeutdeveniren fait lechampd’applicationd’unenouvelle science,–brefde laphénoménologie.»

39-.Cf.HuaIII/1,§49,resp.p.103[IDI,p.160:«Laconscienceabsoluecommerésidudel’anéantissementdumonde»]et107[IDI,p.165-166:«C’estdoncelle[sc.laconsciencepure]quidemeurecommele“résiduphénoménologique”cherché;elledemeure,bienquenousayonsmis“horscircuit” lemondeentier,avec toutes leschoses,lesêtresvivants,leshommes,ycomprisnous-mêmes»].

40-.Cf.lesformulesdécisivesdeHusserl:HuaIII/1,§49,p.104[IDI,p.162]:«L’êtreimmanentestdoncindubitablementunêtreabsolu,encesensquenulla“re”indigetadexistandum.D’autrepart lemondedes“res”transcendantesseréfèreàuneconscience,nonpointàuneconscienceconçuelogiquementmaisàuneconscienceactuelle.»

41-.C’estàJ.-F.Lavignequ’ilrevientd’avoirélucidésystématiquementlestenantsetlesaboutissantsdecetteinversionremarquabledansl’économiedesIdeenI, toutenfondantsurunetelleélucidationunelecturecritiquedel’ouvrageetdel’idéalismephénoménologiquedanssonprincipe(cf.Lavigne,2009).Sansnécessairementcoïncideraveccette lecturecritique,nosprésentsdéveloppementscorroborentet s’appuientnéanmoins sur l’analyse structuralede laFundamentalbetrachtung qui y est proposée(p.46-51)etquiétablitnotammentquec’estentre les§41et47ques’élaboreetseformule la thèse idéalistede laphénoménologie,enamontde lamiseenœuvrede laréduction(p.262-271).

42-.LepassagedelapremièreàlasecondeargumentationsesitueinHuaIII/1,§49,p.104,l.29[IDI,p.162,l.10].

43-.D’oùlaconcessiondeHusserl:«Danscecas,ilseraitpossiblequedansunecertainemesureilviennepourtantàseconstituerdesformationsoffrantuneunitérudimentaire : ce seraient des point d’arrêt provisoires pour les intuitions, qui n’auraient ainsi qu’une simple analogie avec les intuitions de choses, puisqu’elles seraienttotalement inaptesàconstituerdes“réalités”permanentes,desunitésdurables,qui“existentensoi,qu’ellessoientounonperçues”»(HuaIII/1,§49,p.103-104[ID I,p.161]).

44-.HuaIII/1,§49,p.104[IDI,p.161]:«Simaintenantnousfaisonsintervenirlesconclusionsobtenuesàlafindudernierchapitreetévoquonsainsilapossibilitédunon-êtreinclusedansl’essencedetoutetranscendancedechose,ildevientclairquel’êtredelaconscience,ettoutfluxduvécuengénéral,serait certes nécessairementmodifiésilemondedeschosesvenaitàs’anéantir,maisqu’ilneseraitpasatteintdanssapropreexistence.»

45-.HuaIII/1,§49,p.106[IDI,p.165(noussoulignons)].

46-.Cf.HuaIII/1,§50,p.107[IDI,p.166]:«Nousn’avonsproprementrienperdu,maisgagnélatotalitédel’êtreabsolu,lequel,sionl’entendcorrectement,recèleensoitouteslestranscendancesdumonde,les“constitue”ensonsein».

47-.Cf.HuaIII/1,§49,p.104,l.24-25[IDI,p.162,l.4-5].

48-.Cf.R.Descartes,Principiaphilosophiæ,I,§51,ATVIII-1,24(noustraduisons):«Parsubstance,nousnepouvonsrienentendred’autrequ’unechosequiexistedetellesortequ’ellen’abesoind’aucuneautrechosepourexister»(«Persubstantiamnihilaliudintelligerepossumus,quamremquæitaexistit,utnullaaliareindigeatadexistendum»).

49-.Cf.HuaVI,§43,p.157-158[CR,p.176].

50-.Cf.Kern,1962,p.327sq.[tr.fr.,p.305sq.].

51-.Cf.HuaIII/1,§149-150,p.344-352[IDI,p.497-507].

52-.Kern,1962,p.335-336[trad.fr.,p.312].

53-.Cf.supra,n.44.

54- . D’où la légitimité d’une étude structurale de la Fundamentalbetrachtung comme celle que propose J.-F. Lavigne, 2009 (p. 127-188), qui la confronte auxdifférentesversionsdel’articlede1927destinéàl’EncyclopædiaBritannica,quisontautantd’expositions«canoniques»delavoieparlapsychologie.

55- .Nousretrouvonsainsi l’interprétation,aussi justequeméconnue,queJ.J.Drummonddonnedel’articulationdestroisvoiesméthodiqueshusserliennes,quiapourparticularitédeminorerlepoidsdelavoiepsychologiqueentantquevoiedépendanteauprofitd’unearticulationdesvoiescartésienneetontologique,conjointementsuffisantespourgarantiràlaphénoménologiel’apodicticitédesonpointdedépart(cf.Drummond,1975,p.54,62[trad.fr.,p.174,184]).

56-.Cf.Postface…,inHuaV,161[IDIII,p.209].

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Lethèmedel’actualité

(§§27-28,§37,§§77-81)

SamuelLeQuitte

Dans le langage phénoménologique du premier livre des Idées directrices, l’actualité désigne lemoded’êtrede la conscience, en tantqu’elle est effectivement tournéeversquelquechose.L’actualitéinvestitd’uneviséeexplicitelaconscienceintentionnelleserapportantàunobjetpourcequ’ilestetpeutse dire également « visée consciente », si l’on veut insister sur la double portée – directionnelle etréflexive–decettemodalité.Laperceptionactuelled’unobjetphysiquesignified’uncôtéquec’estbiencetobjet qui est visé et, de l’autre côté, que jevise cetobjet enpleine conscience, en sachantque jeperçoisetenayantconsciencedepercevoircetobjetetnonunautre.Aussines’étonnera-t-onguèredufaitqueHusserl recoureàceconceptpourcaractériser lecogito, la«consciencedequelquechose».L’intentionnalité,thèmecentraldesIdeenIetdelaphénoménologieengénéral,peutenpremièreinstancesedéfinircommelaconscienceactuelledequelquechose:

lesvécuspurement actuelsdéterminent le sens fort des expressions tellesque« cogito»,« j’ai consciencedequelquechose»,«j’opèreunactedeconscience»1.

Ce faisant,Husserl semble suivre de très près la doctrine deBrentano, qui définit la psychologiecommelasciencedel’expériencehumaineinterne,ouconsciente.Cette«conscienceconsciente»,àladifférence de la perception sensible, se présente elle-même comme étant intentionnellement reliée àquelque chose d’autre qu’elle et, en même temps, réflexivement reliée à elle-même. L’intentionnalités’entend dès lors comme une relation à double foyer, comprenant indissociablement un actepsychologique conscient et le corrélat nécessaire de cet acte, à savoir ce vers quoi il est dirigé. Lesphénomènesmentaux possèdent une dualité fondamentale puisque chaque acte dirigé vers un objet estconcomitammentdirigéverslui-même.Intentionnalité,actualitéetcogitosont troisexpressionspourunseulphénomène,ouplutôt troispointsdevuedifférentssurunmêmephénomène.Cetteassimilationdel’intentionnalité à la conscience actuelle et à l’effectivité d’une visée réfléchie peut-elle êtreunilatéralement maintenue ? En d’autres termes : existerait-il quelque chose comme une modalitéinactuelle de l’intentionnalité ? La première appréhension de l’intentionnalité comme « conscience dequelque chose » semble à l’inverse corroborer cette assimilation.Comment prétendre que laméthodephénoménologique puisse laisser concevoir un mode non actuel de la conscience, c’est-à-dire uneconscience qui ne se rapporterait pas effectivement à quelque chose ou, pire, une conscience qui

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ignoreraitcequ’elleviseetqui,parconséquent,nesauraitêtredite«conscience»?Or,ilsemblebienquel’unedesinnovationsmajeuresdelaphénoménologietranscendantale,initiéedanslesIdeenIetquine fera que se confirmer et s’accentuer par la suite2, est d’avoir mis en évidence le caractèrenécessairementinactueldel’intentionnalité,c’est-à-dired’avoirouvertlechampdespotentialitésdelaviedeconscience.L’étudedesstructuresdelaconsciencenesauraitserésorberdansl’étudedesmodesactuelsetexplicitementperformésdecetteconscience,maisdoitnécessairementintégrerl’ensembledecequipeutentrerdanslechampdelaconscience.L’arrière-planquinefaitpasl’objetdemonregardattentif momentané lorsque je perçois un objet, constitue à la fois l’horizon sur le fond duquel cetteperception se détache et un espace de liberté infiniment ouvert à l’accueil de la nouveauté. Or, cetarrière-plan inactuel et non regardé est bel et bien intentionnel, en un certain sens paradoxal que cetarticleseproposed’examiner.

Actualitéetcogitodansl’attitudenaturelle

PremièreapprocheduproblèmeAprèsavoirétabli,danslaPremièreSection,lapossibilitéd’unesciencedesessencesfondéesurle

« principe des principes » du fondement intuitif de toute connaissance et récusé toute forme denaturalisme, laDeuxièmeSectiondes IdeenI livreunedescriptionde l’attitudenaturelle, de laquelle,précisément,l’épokhèsedonnepourambitiondenousfairesortir.

Dansl’attitudenaturelle,«J’aiconscienced’unmondequis’étendsansfindansl’espace,quiaetquiaeuundéveloppementsansfindansletemps3.»

Danscetteexpérience,jedécouvrequeleschosessontlà,mêmesijenem’enpréoccupepasetque,probablement,pourcertainesd’entreelles,ellesonttoujoursétélàetseronttoujourslà(dumoinsjeneme pose pas cette question). Des choses existent, mais encore des êtres vivants, des phénomènesculturels, qui m’entourent et que je perçois (ou ne perçois pas). Ces différents étants peuvent êtreconsidérésavecattentionetdevenirobjetsdeperception.Maisilspeuventaussiêtresimplementlà,sansentrerdanslechampdemaperception,sansêtreobjetd’unregardspécifiquedelaconscience.Enmetournantverseux, je les faispénétrerdans lechampdemaperception ;dustatutdesimplesétants là-présents,ilsdeviennentobjetsdeperception.Cefaisant,jemedétourneparallèlementdesobjetsquejeregardaisauparavant:ilyadonctoujours,àcôtédesobjetsperçusavecattention,desobjetsco-présentsqui sont là et bien là, sans être authentiquement objets de la perception, que ce soit les objets deperception antérieurs, délaissés lors de la réorientation demon regard vers un nouvel objet, ou bienl’ensembledeschosesquientourentl’objetregardéetquejeperçoissansyprêterattention.Jepossèdenéanmoinsàleurégardunesortede«savoir»naturelcarjesaisquelemurestlàderrièremoi,mêmesijeneleregardepasetmêmesicesavoirn’estpasconceptuel,théorique,nimêmearticulé.Jelesaisdelamêmemanièrequejesaisqu’ilya,derrièrelavitredelafenêtre,unerue,uneville,etc.

l’ensembledecesobjetsco-présentsàl’intuitiondefaçonclaireouobscure,distincteouconfuse,etcernantconstammentlechampactueldelaperception,n’épuisemêmepaslemondequiest«là»defaçonconscienteàchaqueinstantoùjesuisvigilant.Aucontraire,ils’étendsans limiteselonunordrefixed’êtres.Cequiestactuellementperçuetplusoumoinsco-présentetdéterminé(oudumoinsdéterminé de quelque côté) est pour une part traversé, pour une part environné par un horizon obscurément conscient de réalitéindéterminée4.

Toute perception d’un objet spatial s’opère ainsi sur le fond d’un halo d’objets non-perçus quientourentmaperceptionactuelleetenstructurentlechamp.Lesdegrésdenettetéoudeclartédistinguentainsi lesobjetsselonleurmodededonnée(perçu,simplement là,perçuattentivement,etc.).Cemonde

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co-présentnecontientpasseulementlemondedeschosesspatio-temporelles;c’estaussilemondedeshommes,desbiens,desvaleurs,desoutils,del’histoire.Autrementdit,dansl’attitudenaturelle,ilexisteune«croyance»générale en l’existenced’un seul etmêmemondeenvironnant auquel, en tantqu’êtrehumain,j’appartiens.Cette«croyance»,Husserll’appellelecogito,quidésigneaussibienlesactivitésthéoriques, les actes de l’affectivité, que les actes simples dumoi par lesquels je me tourne vers lemondequiestimmédiatementlà,pourlesaisir.C’estlaraisonpourlaquelle

Tantquejesuisengagédanslavienaturelle,mavieprendsanscessecetteformefondamentaledetoutevie«actuelle»,mêmesijenepeuxpas énoncer le cogito à cetteoccasionetmême si jenepeuxpasmediriger« réflexivement»vers le«moi» etvers le«cogitare»5.

Cecogito«naturel»oupré-réflexifqualifiesimplementlafaçonparlaquellejeprendsconsciencedumondeenvironnant.L’actualitéapparaîticisousdeuxformes,l’uneafférenteauxstructuresmêmesdela perception, où l’actualité est pensée par contraste avec le réseau d’inactualités co-présentes maisinaperçuesetpouvantaccéderauchampdeperceptionviauneréorientationduregard,l’autredésignantunemodalitédemonrapportconscientaumondedansl’attitudenaturelle.Cesdeuxsensserejoignentendéfinitive, car l’actualité semble bien avoir pour corrélat la présence effective de la réalité quim’environne. L’actualité ne traduit rien d’autre que l’attitude à laquelle correspond la positiond’existencedumonde,quandbienmêmecettepositiond’existencelaisseadvenir,d’uncôtédeshorizonspotentielspouvantdeveniractuelsdanslaperception,oudesattitudesqui,commecelledumathématicienquine s’occupequedesnombrespurs et des loisnumériques,ne coïncident certespas avec l’attitudenaturelle,maisdanslaquelle,pourtant,«lemondeactueldemeureencoreprésent6».

La neutralisation de la croyance en la thèse de l’existence du monde aura pour effet de faireapparaîtreune« régionde l’être»quiéchappeà l’emprisedecette thèsegénérale,mêmesi l’analysecontinue ici (§§33-34)d’êtremenéedans l’attitudenaturelle.L’eidétiquede la consciencedévoileunêtre qui n’est précisément pas ébranlé par lamise hors d’usage de toute position et de tout jugementd’existence.Nousnequittonspasicil’attitudenaturelle,maisils’agit,auseuildeces«Considérationsphénoménologiques fondamentales », de déployer une sorte de psychologie eidétique qui comprend laconscience encore comme une région au sein du monde, et tout l’enjeu du passage de l’eidétique autranscendantal,danslesIdeenI,seraprécisémentdeneplusconsidérerlaconsciencecommeundomained’objets,commequelquechosedanslemonde.Cepasdécisifdemeurepourl’instantencorenonréalisé.Comment le cogito doit-il s’entendre, dès lors que, tout en demeurant dans l’attitude naturelle, nousmettonscependantenœuvreuneanalyseeidétiqued’unerégionquineparaîtpasaltéréeparlamisehorsd’usagedelathèsegénéralecorrélativedel’attitudenaturelle?C’esttoutl’intérêtdeces§§34à37dupremier tomedes Idéesdirectrices qued’offrir, sur lecogito, uneperspectivenouvelle, endehors detouteprisedepositiontouchantlathèsedel’existencedumonde.

LastructuredesvécusPouratteindrequelquechosecomme l’essencede la conscience, il convientdenepas séparer les

deux pôles de la description, à savoir le vécu individuel dans son essence et la conscience entenduecomme flux des vécus, un flux duquel peuvent être détachés certains vécus individuels. Comment,précisément,unvécuindividuelpeut-ilainsiêtredétachédufluxdesvécus?C’estpourrépondreàcettequestionqu’estintroduiteladistinctionimportanteentreactualitéetinactualité.L’exemplefameuxdelaperceptiondupapierblanc(§35)enfournitl’illustration.Cepapier,lorsquejelevois,letouche,etc.,j’enaiuneperceptionvisuelleoutactile.Cettevueetcetouchersontdescogitationes,c’est-à-diredes«vécuspleinementconcretsdupapierquevoici».Cequejevis,c’estl’apparitiondupapierdanslesconditions décrites (ilm’apparaît blanc, dans la semi-pénombre, etc.) et cette apparition relève de la

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cogitatio, du pôle « subjectif » du vécu, de lamanière par laquelle jeme rapporte à un objet de laperception.Enface,sil’onpeutdire,setrouvelepapierlui-même,perçuavecsasituationdansl’espace,saforme,toutescesqualitésquidéfinissentlecogitatum,nonpaslaperceptionentantquevécu,maiscequiestvécuparlaperception,cequel’onperçoit.Cen’estpaslefaitetlamanièredontjevisletoucher,maiscequejetouche.

Percevoir c’est s’apercevoir, car, au sens fort, toute perception d’une chose s’accompagne de laconsciencedecetteperception.Maisqueveutdire,ici,«consciencede»?Celanesignifieenrienunsentiment intérieur ou une prise de conscience psychologique. S’apercevoir, c’est simplement « êtretournéversl’objetquiestobjetdemaperception»(zugewendet).Et,enme«tournantvers»,j’actualisecetteperceptionetperçois cepapier commeétant cepapier ici etmaintenant, autrementdit, jeprendsconsciencedecepapier.Percevoir,c’estdoncdécouperetdétacherunmomentsurlefondd’unfluxdevécusetd’apparitions,s’yfixeretlesaisir7.Lasaisieatoujourslesensd’unacte«fondé»surundonnéfondateur: ilexisteuncertainnombred’élémentsdonnés,dontjeneretiensqu’unpetitnombre,quejesaisis.Cequisetientderrière,enarrière-plan,dansl’ombre,jeleperçoiscertesd’unecertainemanière,maisjen’enfaispasl’objetactueldemaperception.D’uncôté,donc,laconsciences’accordeàl’objetdelaperception,maisd’unautrecôtéetnécessairement,elleserapporteauhaloquientourel’objetetsurle fond duquel il se découpe. Les modalités selon lesquelles la conscience se rapporte à ce halodemeurentfloues,cars’ilestcertesbiendonné,ilnel’estpasdelamêmemanièrequel’estl’objetperçu.Danscehalo, lesobjetsapparaissentcertes,mais, comme leditHusserl,poureux-mêmesetnonpourmoi.L’objectif,ici,nevisepasàproduireunedescriptiondecette«aire»oudecetarrière-plan,maisde déceler l’essence de la conscience en sonmode particulier et fort d’« être-tourné-vers-un-objet ».Néanmoins,laprésencedecehaloquientourelaperceptiond’unobjetindiqueunepossibilitéessentiellepourlaconscience,àsavoircettelibertédeconvertirleregarddel’objetperçuversunautreobjetqui,préalablementlaissédansl’ombre,parvientmaintenantàlalumière,entreenscènesil’onpeutdire.

Levécuprimitif peut subir certainesmodificationsquenous caractérisons commeune libre conversiondu« regard»–nonpaspurementetsimplementduregardphysique,maisdu«regardmental»–quisedétachedupapierd’abordregardépourseportersurlesobjetsquiapparaissaientdéjàauparavantetdontonavaitparconséquentuneconscience«implicite»;aprèslaconversionduregard,cesobjetsaccèdentàlaconscienceexplicite,ilssontperçus«attentivement»ou«notésaccessoirement8».

Cesstructuresgénéralesn’affectentpasuniquementlesvécusdeperception,maistouslesvécusengénéral;parconséquent,leschosesphysiquesdelaperceptionexternenesontpaslesseulesàapparaîtredelasorte,entouréesd’unhalod’inactualitésco-présentes.Pourtant, lacoïncidenceentre l’actualitéetl’attention,entrel’actedesetournerversquelquechoseetl’actedeledétacherd’unarrière-fondnevautquepour les actes lesplus simplesde la représentation sensible.Par ailleurs, cette caractérisationdel’intentionnalitécommepolaritéd’uneactualitéetd’un«horizon»d’inactualitéssusceptiblesdedeveniractuellesparunretournement(ouconversion)delaconscienceestégalementlamarquedesvécuseux-mêmesetentreeux.Lesvécuss’enchâssentets’enchaînentdansdesflux,dansunréseauetuntissu,quifaitquecequiestactuelpeutdevenirinactueletvice-versa,autrementditque«lefluxduvécunepeutjamaisêtreconstituédepuresactualités9».Laprésencedecesobscuritésdemeurantàl’arrière-planestnécessaireàl’exercicemêmedetoutvécucommeàlaconstitutiondufluxquiluiassuresacohérence.LaréférenceàDescartesquiprécèdeimmédiatementcettephrasen’estévidemmentpasanodine,puisqu’ils’agit là, malgré les apparences selon lesquelles Husserl se placerait docilement sous l’autorité deDescartes, d’une critique indirecte de la conception purement actualiste de la conscience chez cetauteur10.Lesvécusactuelsautantquelesdonnéesinactuellesfontpartiedelavieintentionnelledusujet,mêmes’ilexistedemultiplesmodalités,pourlaconscience,d’être,c’est-à-diredeserapporteràlafoisauxobjetsetàsespropresvécus :éveil,attention,vigilance,etc.Tous lesvécussont«consciencedequelquechose»,mêmes’ilsne le sontpas tousde lamêmemanière.Le§35des IdeenI délimite la

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sphèreducogitocommemoded’actualitédelaconscience,enl’opposantàsamodalitéinactuelle,c’est-à-direàunétatdelaconsciencedanslequelleregarddel’espritn’estpasencore(oun’estplus)dirigévers l’objet de cette conscience. L’exemple le plus évident en est donné par le contraste entre laconsciencesimpled’unechoseperceptibleetlesarrière-fondsquientourentcetteperception.

La«modificationd’inactualité»opèrecetteréorientationduregard,quisedétached’unobjetperçuattentivementpourseporterverscequin’étaitd’abordqu’apparaissantimplicite.Cettemiseencontrastededeuxmodesdelaconscience,sonmodeactueletsonmodeinactuelfaitdel’actualitél’«être-dirigé-vers» (Gerichtetseinauf) de la conscience.Cela ne signifie pas qu’« être-dirigé-vers » et « saisir »(Erfassen) soient synonymes. La saisie caractérise un type d’acte particulier car l’objet intentionnel(objetducogito,delaconscienceactuelle)et«objetsaisi»neveulentpasdirelamêmechose.Cen’estquepour lesobjectitéssimplement représentables,que laconversion(être-dirigé-vers)esteo ipsounesaisie.C’estcequ’attestele§37enreprenantànouveauxfraisladistinctionentre«setournervers»et«saisirattentivement»,quiavaientétéassimilésl’unàl’autredanslecasdesactesperceptifs.

Ausenslepluslarge,préciseHusserl,saisirunobjetcoïncideavecl’observer<achten>,leremarquer<bemerken>,soitquel’onsoit spécialement attentif <aufmerksam>, ou qu’on le note accessoirement <nebenbei beachten> – si du moins on prend cesexpressions dans leur sens ordinaire. Quand on dit : observer ou saisir, il ne s’agit pas du mode du cogito en général, du mode del’actualité,mais, si on y regarde de plus près, d’unmode d’acte particulier que peut adopter toute conscience ou tout acte qui ne lepossèdepasencore11.

Àl’inversedel’actualité,ducogito,commemoded’êtredelaconscienceengénéral,l’actedesaisienesecontentepasd’amenerunobjetsousleregarddelaconscience,maisapporteunélémentnouveau,encequ’ilsaisitauthentiquementunobjet.Iln’estpasaisédemarquercettedistinction,danslamesureoù dans les cas les plus élémentaires de la relation intentionnelle, dans les actes simples comme lareprésentation,dontlatâcheconsisteprécisémentàprendreconscienced’unobjet,cesdeuxfonctionsseconfondent. Or, il s’en faut de beaucoup pour que notre expérience du monde se résume à cetteprésentationneutred’objetscar

cemonden’estpas làcommeunsimplemondedeschosesmais,selonlamêmeimmédiateté,commemondedevaleurs,commemondedebiens,commemondepratique.D’embléejedécouvreleschosesdevantmoipourvuesdepropriétésmatérielles,maisaussidecaractèresdevaleurs:ellessontbellesetlaides,plaisantesetdéplaisantes,agréablesetdésagréables,etc12.

Lorsquej’évalueuntableaucommebeau,uneactioncommelouable,unepersonnecommedésirable,jemetournebeletbienverscesqualités,jeportemonregardverselles.Etpourtant,jenelessaisispasausensstrict.Pourlaconsciencedechose,lesimplefaitdesetournerverselles,c’estlesobserver,lessaisir, puisque ce qui m’apparaît et ce que je saisis ne diffèrent pas : lorsque je perçois une chosephysique, j’accomplis, en me tournant vers elle, un acte dans lequel je saisis cette chose selon lespropriétésmatériellesdecettechose. Iln’enest rienpourcequi concerne lesqualitésaxiologiques13.Alorsquelesactesde«représentationsimple»nefontqu’identifier,mettreenreliefouporterleregardsurquelquechosequi,enunsens,existedéjàdanssesdéterminationsessentielles,lesactesévaluatifsouvolitifsapportentunélémentsupplémentaire.Cesderniersdiffèrentradicalementdesactescognitifs,danslamesureoùilsneconsistentpasàsaisirl’état-de-chose.Noussommescertesbiendirigésversquelquechose,maiscet«être-dirigé-vers»nepermetpasdeconstituerlateneurdechosedecettechose,maissateneurdevaleur.L’homogénéitéquiexiste,danslesactesperceptifs,entrecequiseprésenteetcequiestsaisi,n’existeplusdanslesactesévaluatifs:lavaleurnepeutêtresaisie.Sansdoutefaut-ilquecesactesévaluatifsprésupposentqu’unechosesedonnepourqu’ellepuisseêtreévaluée,etmêmequ’unevaleurentantquetellesedonne.Defaçonunpeuschématique,onpourraitdirequecertainsactesserapportentàunobjet en tant qu’objet, quandd’autres actes se rapportent àunobjet en tant qu’objet de, objet deplaisir,d’amour,dehaine,etc.Toussontcertesbienporteursd’unecertainerelationàl’objet,maisdansle second cas, celle-ci semble indirecte, ou plutôt reconduite, en dernière instance, à des qualités

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affectivesquineressortissentpasàl’objetentantquetel.L’objetesticimédiatd’uneintentionnalitéquiviselavaleuroul’action.Cequidistinguedonccesactes,cen’estpasdeserapporteroudenepasserapporter à un objet car ils sont tous performés sous unmode actuel,mais ce qui les distingue c’est,encoreunefois,lamodalitéparlaquellelaconsciences’yrapporte.Ilexisted’abordunedistinctiondefond entre la caractéristiquegénérale de la conscience comme intentionnalité et la tournure spécifiquequ’estl’actualité,entenduecomme«être-effectivement-tourné-vers-un-objet».Auseindecettesecondecatégorie,l’acteayantlecaractère«d’être-dirigé-vers»désignesoitl’attentionquisaisitdanslasphèrethéorique de la représentation, soit la « tournure affective » (Gefühlshinwendung) pour les actesévaluatifs,ouencore«l’orientationvolontaire»(Willensrichtung–auf)pourlasphèrepratique.C’estla raison pour laquelle Husserl parle, en ce qui concerne ces actes évaluatifs, d’un double objetintentionnel,lachosepureetsimpleetl’objetintentionnelcompletetdedeuxintentionscorrespondantes,cellequisaisitlachoseetcellequis’orienteverslavaleur.Danslamesureoùl’évaluation,c’est-à-direlaconsciencedirigéeverslavaleur,comportemalgrétoutenellelareprésentationdelachose,mêmesi,decettechose,elleneretientquelemomentdevaleur,onpourraittrèsbienappliqueràcetterelationladialectique de l’actualité et de l’inactualité. Dans un cas, en effet, je me dirige vers les composantsempiriques de la chose, en laissant de côté ses déterminants axiologiques, pour constituer l’objetintentionnel « chose », et je considère ainsi sous le mode de l’inactualité tous les composantsaxiologiquesdelachose;dansunautrecas,enrevanche,laconscienceactualiseuniquementlesqualitésaffectivesdelachose14etlaissedansl’ombresespropriétéschosiques.Nousaurionsalorsaffaireàunedistinction qui semble rappeler celle établie entre « noème complet » et « noyau central » (ou cœurnoématique) au § 91 des IdeenI. En effet, ce noyau central contient le sens objectif pur et dépouillé,correspondantaudegréminimaldesensdel’objetnoématiquesimple.Autourdececœursegreffentdescouchessupplémentaires,quiapportenttouteleurcomplexitéàcenoyauuniqueetidentiqueàlui-même.Le sens complet et maximal du noème ne pourra être établi qu’au terme d’une intégration des actesfondés, thétiques, positionnels ou thématiques. Cette description ne saurait cependant être tout à faitconvaincante,danslamesureoù,précisément,l’undesobjectifsdesIdeenIconsisteàinvestirlesactesaffectifsd’unecapacitéobjectivantequileurétaitdéniéejusque-là.Siceparallèledoitfonctionner,alorsilfaudraitplutôtdirequelavaleur,c’est-à-direlesensobjectifde«beau»,«bon»ou«agréable»,doitconstitueruncœurnoématiqueautourduquelsesuperposentdescouchesd’actessuccessives,lesactesdudiscours axiologique, des thèses axiologiques, des croyances axiologiques, etc. Mais le problèmedemeurenonrésoludesavoircommentunevaleurpeutconstituerun«noyaucentral»,alorsqu’elleestsubordonnée à une représentationoriginaire. Il faut bienposer l’existenced’unedouble intentionnalitérayonnant à partir d’un unique fondement chosique, l’une visant à l’explicitation des composantesempiriquesdel’objetdanslasaisie,l’autreserapportantàlapurevaleurobjective.Cetravailduregardintentionnelnesauraitsedéterminerautrementquecommemodificationd’inactualité.

L’actualitéetleJepurIlrestecependant,dansce§37lui-même,unélémentdécisifquenousavonspourlemomentnégligé.

Le titre du paragraphe atteste en effet déjà l’introduction d’une nouvelle problématique.On a affaire,depuis le § 27, à une conception « naturelle » du cogito comme acte, qui ne présuppose en rienl’existence d’un Je pur duquel émanerait cet acte. D’ailleurs, le § 34 déclare expressément que pourdéterminerlaconscienceausensfort,àsavoirparlecogitocartésien,onpeutsepasser,provisoirement,d’uneréflexionsurle

moilui-mêmeauqueltouscesvécusserapportent,ouqui«vit»«eneux»defaçontrèsdifférente,quiestactif,passif,spontané,etc15.

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Danscettetentativepourdécelercommentsemanifestel’essenceducogitocommeacte,iln’estdoncpasbesoindeposerunmoiquiseraitporteurdevécus.Certes,au§35,Husserldéfinitcequ’ilappellele«moivigilant»(wachesIch)commecemoiquirassemblelefluxdevécussouslemodeducogito,maisc’estpourpréciseraussitôtquececogitoestàlafoispré-réflexifetpré-expressif,puisqu’iln’estniobjetréfléchiduregard,niobjetd’undiscours.Autrementdit,cesvécussontceuxd’unmoivigilantvivanteneuxsouslemodeducogito,mais

cela ne veut pas dire naturellement qu’il est capable constamment, ou même du tout, de faire accéder ces vécus au plan del’expressionprédicative:lessujetspersonnelsincluentaussilesanimaux16.

Ici,donc,lemoivigilantn’estriend’autrequelefluxactueldesescogitationesetdesinactualitésquil’entourent.Maisaucunprinciped’unificationdecesvécusoudecefluxn’estencoreposé.Lasimpleattentionau lexiquesembleattesterunchangement radicalentre le§35et le§37,puisqu’onpassedu«moivigilant»(wachesIch)au«moipur»(reinesIch).Lathèseesticiaffirméetrèsexplicitement:

Quand un vécu intentionnel est actuel et par conséquent opéré selon lemode du cogito, en lui le sujet « se dirige » sur l’objetintentionnel.Aucogitolui-mêmeappartientun«regardsur»l’objetquiluiestimmanentetquid’autrepartjaillitdu«moi»,cemoinepouvantparconséquentpasfairedéfaut17.

Onauratôtfait,ici,deconclureàuneanticipationdelathèseduJetranscendantaltellequ’onlavoitse déployer une fois la réduction à la sphère pure des vécus immanents pratiquée et le principe del’inaltérabilitédumoipurposé(§§49-57).Ilfautcependantsegardericidetouteprécipitation.D’unepart,eneffet,l’expression«moipur»n’intervientpasdanslecorpsdutexte,maisseulementdansletitreduparagraphe.D’autrepart,contrairementàcequeditlatraduction,leterme«moi»n’apparaîtqu’uneseulefoisdanslaphrasecitée.L’ensembleduparagraphedonnecertesdeuxnouvellesoccurrences,maisàchaquefoisils’agitdel’expression«Ichblick»(«regarddumoi»)etjamaisleterme«moi»n’estemployéensonusagenominal(«lemoi»).Ricœurrépèteleterme«moi»,làoùHusserlsecontented’utiliser une conjonctionde coordination.Enfin, la seule fois où le terme«moi» estmobilisé, dansl’expression«qui luiest immanentetquid’autrepart jaillitdu“moi”», il estassortideguillemets18.Celanouspousseàcroirequ’ilnes’agitpaslàdeposerlanécessitéd’unJepurcommepôleunificateurde l’ensemble des vécus constituant le flux de la conscience.Ce Je pur se constitue dans lemaintiend’uneunitéégoïquepar-delàetàtraversladiversitédesvécus,grâceàlatemporalisationimmanente.Ici,lemoinedésignequ’unregardquisedirige,ilqualifietoutactedelaconscienceengénéralcommeacted’être-dirigé-vers, mais il ne constitue en rien l’unité de cette conscience. D’ailleurs, le moi sembles’épuiserdanslavariétédecesactes:

Ceregarddumoiendirectiondequelquechosediffèreselonletypedel’acte:danslaperception,ilperçoit,danslafiction,ilfeint,dansleplaisir,ilprendplaisir,danslevouloir,ilveut19.

Touscesactesdelaconscienceactuelleprocèdentdumoi,maisn’yconvergentpas: ilmanqueuncentreunificateurquipermettededéterminerqu’ils’agitdumêmeregardquifeint,perçoitetimagineetconstituerl’unitéd’unevieintentionnellequines’éclatepasenunevariétéinfinied’actes.Ils’agiraicideparveniràcomprendrecommentetpourquoiHusserlestpasséd’uneconceptionducogitocommeacte(§35)àuneconceptionducogitocommeacteduJe(§80)20.Cettesecondeacceptioncontientenréalitédeux interprétations possibles : soit le cogito procède d’un Je conçu comme le centre depuis lequelrayonnenttouslesactesdéfiniscomme«orientationvers»,soitleJevitdanslecogitoactuelettoutacteest actuellement accompli par le Je. En exhibant les « structures générales de la conscience pure »,Husserl reprend l’examen des traits constituants de la conscience, tels que les avaitmis en évidencel’analysedelaconsciencepuredansl’attitudenaturelle,enréintégrantcettefoislatranscendancedanslefluxfermédesvécusdeconscience.

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LaréflexionDans ce contexte, la réflexion, « propriété fondamentale de la sphère du vécu » (titre du § 77),

assumeladistinctionduvécuetdelaréflexionsurlevécu.Le«vécuquel’onestentraindevivre»sedonnedanstoutel’actualitédumaintenant.Lemoivitcevécudemanièreconcentréeetattentive,aupointqu’ilnepeutavoirenvueautrechosequecequ’ilvitactuellement.Lemoi,enunsens,absorbédanssespropresvécus,nepeutpasêtretournéenmêmetempsverscequ’ilvitetversautrechose,quecet«autrechose»soitl’horizondepotentialitésquientouresonvécuactuel,ouqu’ellesoitlefaitmêmequ’ilvivecevécu.Celaneveutpasdirequ’àcepremierniveaulemoi«tiennesespropresvécussoussonregard»oulessaisisse.Cequelemoitientsoussonregard,cesontlesobjetscorrélatifsdecevécu.Mais

Toutvécuquinetombepassousleregardpeut,envertud’unepossibilitéidéale,êtreàsontour«regardé»:uneréflexiondumoisedirigesurlui,ildevientunobjetpourlemoi21.

Ausecondplanlemoiréfléchitsespropresvécusetestactuellementorientéverscevécului-même,qu’il prendpourobjetde son regard intentionnel.Dans cet acte réflexif, levécuqui réfléchit possèdebienunerelationàl’objetduvécuprimaire,maiscetterelationestmédiatiséeparcepremiervécu.Onvoitdoncicisecomplexifier larelationd’actualité,quiestmaintenantdonnéeaucarré :elleconcernenonseulementlesvécusprimaires,maisencorelesvécusquiprennentpourobjettelvécuprimaireet,parconséquent, peuvent faire jouer leur regard sur telle perception, puis telle autre, etc. D’ailleurs, ceprocessusestàl’infini,carjepeuxégalementprendrelevécuderéflexionàsontourpourunobjet.Maislemêmeprincipegénéralvautpourtouscesvécusdetypesdifférents:jenepeuxvivrequ’unseulvécusurlemodedel’actualité.Toutvécu,qu’ilsoitréfléchiounon,estinséréàunfluxmaiscen’estqu’aumoyende la réflexionque jepeuxmettreenévidence le faitque toutvécuappartientàunfluxunique.Pourcefaire,Husserlrecourtàuneanalysedesdifférentesformesdetemporalitéetderéflexionsurlesvécustemporels.Nonseulement laréflexion, leregardportésurunvécuquis’estdéroulé,estunvécuvéritablement existant,mais, de plus, dans cette réflexion, le vécu apparaît comme quelque chose quivient justement d’exister sans être réfléchi. Autrement dit, ce qui se donne, ce n’est pas seulementl’actualité d’un vécu de réflexion, mais c’est aussi la temporalité du vécu réfléchi, autrement dit, larétention,conçuecommeconsciencedu«toutjustepassé»:

Lapremièreréflexionquifaitretoursurlajoieladécouvreentantqueprésenteactuellement,maisnonentantseulementqu’elleest précisément en train de commencer. Elle s’offre là comme joie qui perdure, que l’on éprouvait déjà auparavant et qui échappaitseulementauregard22.

Laréflexionpermetd’intégrerlesvécusauseind’unseulfluxdeconscience,danslamesureoùilestpossiblenonseulementdevivreunvécusousuneformeactuelle,maisencoredese rendreprésentcevécu,de leportersous le regard,etmêmedevoirenquoi,précisément, ilne faisaitpas l’objetd’unetelle attention. Actualité et inactualité ne concernent donc plus seulement la sphère de la perceptioninstantanéedesobjets,mais s’appliquentdésormais au fluxduvécude conscience lui-même : jepeuxtournerleregarddelaréflexionverscequiaétévécuetmêmeréfléchirsurlaréflexionelle-même.Toutactederéflexionpeutàsontourdevenirobjetd’unenouvelleréflexionetjouerdonccommeperceptionoriginairevis-à-visd’unactequilemodifie.

LarelationaumoipurCesactesréflexifssontdoncàlabasedelaconstitutiond’unfluxdevécus,ets’ilspeuventjouerun

telrôle,c’estparceque:

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Seulsdesactesdel’expérienceréflexivenousrévèlentquelquechosedufluxduvécuetdesanécessaireréférenceaumoipur;seulsparconséquentilsnousenseignentquelefluxestlechampoùs’opèrentlibrementlescogitationesd’unseuletmêmemoipur23.

Cetteidéetrouvesajustificationauxparagraphes80et92desIdeenI.Laquestionesticidesavoircomment unifier un flux de vécus24. Il a été démontré que le flux du vécu en tant que donnéephénoménologiqueseconstitued’aborddansdesactes réflexifsquien font l’expérience.Mais il aétésimplementposé,etnondémontré,queleJepuravaitunrapportnécessaireavectoutvécudeceflux.Ceserait par un acte réflexif que nous pourrions obtenir connaissance du flux du vécu et de sa relationnécessaire au Je pur, selon le § 78. En posant cette relation nécessaire du flux du vécu à un Je pur,Husserl fait de ce Je le principe unificateur du flux des vécus. Tous les vécus d’un flux sontreconnaissablescommevécusd’unseuletmêmeJe,commeunitéd’unerelationàleurJe,carl’identitéque le« je regarde» (Ichblicke)produitpeut semaintenirdans lechampdescogitationes d’un flux.ChaquevécuestdoncparessenceetnécessairementreliéauJepur:

Chaque«cogito»,chaqueacteenunsensspécial,secaractérisecommeunactedumoi,ilprocèdedumoi,enluilemoi«vit»«actuellement»25.

Cequineveutpasdire,inversement,quelesvécusquinesontpasaccomplissurlemodeducogitosoientexclusdel’ego;simplement,eneux,lemoinevitpasactuellement,maispotentiellement.Touslesvécusqui n’ont pas cette forme authentiqueducogito appartiennent à la conscience, ils font partie del’arrière-plandelaconscience,cequin’ariendedépréciatif,puisquecetarrière-plann’estriend’autrequelechampdelibertédelaconsciencemême.Celaneveutpasdirenonplus,contrairementàcequel’on pourrait penser au premier abord, qu’en chaque acte effectué sous le mode du cogito, il y aitautomatiquementpositiond’unJepurentenducommeunesubstancequisemaintiendraitnécessairementsous et dans tous les actes intentionnels. Il y a certes bien un moi qui vit actuellement dans chaquecogitatio,mais d’une part il ne s’agit pas d’un Je qui existerait au sens réaliste du terme, puisque laréduction ne nous permet pas de nous prononcer sur quelque forme d’existence que ce soit et surtout,d’autrepart,direqu’unJevitdanschacundecesactes,cen’estriendeplusquededire«être-dirigé-sur»,«êtreoccupéà»,«fairel’expériencede».Autrementdit, leJe,ici,n’existepasautrementquedanscesvécuseux-mêmesetsevoitmêmequalifié,au§80desIdeenI,d’«indescriptible».LeJepurconsisteenunefaçondeserapporteràundonné.Iln’existepasd’instancetranscendanteauxvécusquiconstitueraitlasourcedelaquellepartiraient,uniformément,cesvécus,ilexistesimplementuneévidenceselon laquelle lorsque je perçois, c’est moi qui perçois, lorsque je pense, c’est moi qui pense, etc.Husserlneposedoncpasunprincipeégologiqueuniformeduquelprocèderaientdesactesdifférenciés,maissimplementunedéfinitiondumoicomme«façondeserapporter»,ou«façondesecomporter»,c’est-à-direàlafoiscommeactedeserapporteretmanièreparticulièreetidentifiabledeserapporteràquelquechose26.

Celapourrait aboutir àunéclatementdu sujet entre sesdifférentsacteset, enquelque sorte, àuneschizophrénie, si l’onne sedonnaitpas lesmoyensdepensercequi faitqu’àchaquemoment jepeuxreconnaîtreceJecommeétantunseuletuniqueJequiperçoit,veut,imagine,etc.Encoreunefois,ilnes’agirapasicideposerlaréalitéd’unesubstancepensantedemeurantparessenceidentiqueàelle-même,maisdedéterminercomments’opèrel’unificationdufluxdesvécusquiseconnectentlesunsauxautres.Certes, chaque vécu peut être pris isolément, précisément comme ce qui fait l’objet d’une attentionspécifique.Mais,enréalité,cettefaçondeprocédern’estqu’unemanièredeserapporterauxvécus.Carje peux aussi les considérer comme étant unis au sein d’un courant et relevant du tempsphénoménologique,quiconstituebeletbien«cette formeunitairede tous lesvécusenunseul fluxduvécu(ununiquemoipur)27».

Letempsphénoménologique28déterminelesmodalitésmêmesdedonationdesvécus,puisqu’iln’estpas quelque chose de séparé mais la forme même dans laquelle les vécus se donnent. Sans

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commencement ni fin, il prescrit la durée de chaque vécu, en jouant sur les trois forme-mères detemporalisationque sont l’avant, l’après et lemaintenant.C’est à travers le regarddumoipur que sedéterminel’existence temporelleduvécu:si leregardde laconscienceseportesurunnouveauvécu,alorsl’ancienvécun’aplusdeduréedansletemps.L’expression«moipur»peutainsiêtreassimiléeàl’expression«uniquefluxduvécu»,pourcetteraisonquelemoipossèdeseullapossibilitédeparcourirl’ensemble de ses vécus et du flux les réunissant selon les dimensions de l’avant, de l’après, et dusimultané, et qu’il peut actualiser ou, au contraire, se détourner de n’importe quel vécu pour le fairedisparaîtredanslepassé.Cettecapacitéàramenersousleregarddelaconscienceunvécupourremplirlaformefondamentaledu«maintenant»,constituelapossibilitémêmed’unedistribution,dansuneunitétemporelle,d’unensembledevécuset,partant,laconditiond’unificationdufluxdesvécussousuneseuleetmêmeexpérience.

Auseind’untelfluxunifié,leregarddumoipossèdecettelibertéfondamentaledesedétournerd’unvécuquelconquepourseporterversd’autresvécus.Lesmodificationsd’inactualitésontfondéesdansceprincipefortselonlequelletout,qu’ils’agissedutoutdel’expérienceoudutoutfermédufluxdemesvécus,nepeutsedonnerautrementquecommeunidéalrégulateurquejenepeuxjamaisatteindremaisqu’ilmefauttoujoursessayerdepenser.Iln’ya,parprincipe,pasdefinitudedansl’expérience,quipeuttoujoursserapporterd’unvécuindividuelàcesvécusquiformentsonhorizonetentourentlevécuquejesaisis actuellement. Lemodèle téléologique qui gouvernait la perception des choses physiques est iciréinvesti dans la sphère intime des vécus29. L’unification des vécus en un seul etmême flux organiséautour d’un moi prescrivant les formes de temporalité et de temporalisation demeure une Idée pardéfinition inaccessible,mais régulantnécessairement la relationréflexived’uneconscienceaufluxdesvécusdontellefaitl’expérience.CetteIdéeoffrelagarantiedel’identitéduMoietdel’ipséitédesonexpérience

Si l’actualitédésigne indéfectiblement lemodecanoniquede l’intentionnalité comme«consciencede », l’un des intérêts majeurs des descriptions phénoménologiques du Livre I des Idées directricesconsiste à essayer de faire de tout ce qui n’est pas l’objet actuel de mon expérience le lieu d’uneexpériencepossible.Ainsi,au§84,Husserlaffirmebienqu’entout«cogitoactuelunregardquirayonnedumoipursedirigesur“l’objet”dececorrélatdeconscience30».Maisilestabsolumentimpossibledetrouver,entouslesvécus,cetteformeéminentedelaconsciencecomme«être-dirigé-vers»,ou«être-tourné-vers».Etpourtant,continueHusserl,mêmelesvécusquinesontpasportésparuncogitoactuel,«comportentuneintentionnalité31».Touteslesapparitionsquirestentdansl’ombreformentun«champdeperceptionspotentielles»verslesquelleslecogitopeutàtoutmomentetavecuneentièreliberté,setourner32. Pour ce faire, il faut bien que ce champ de potentialités, d’une part, ne soit pas un champchaotiqueetdéstructuré,maisqu’ilsoitenquelquesortepré-organisé,c’est-à-direquesoientpré-tracéeslesmodificationsd’inactualitépossibleset,d’autrepart,qu’ilappartienne,enquelquefaçondéjààmonexpérience. Comment pourrais-je prendre pour objet de mon regard attentif quelque chose qui m’estabsolument étranger, comme peuvent l’être, par exemples, les vécus d’autrui ? C’est ce que confirmeencore,demanièreparadoxale,le§92qui,aprèsavoirqualifiél’actede«prisedeposition»commeuneopération attentionnelle actuelle de la subjectivité, précise pourtant qu’il existe toute une série devécus,«deprocessusquisedéroulentauseindufluxduvécuendehorsdurayondumoietducogito33».Etcesvécus,mêmesilemoinevitpaseneuxets’ilsrelèvent,enunsens,decequeHusserlnommela«consciencemorte»34,cesvécuspourtant«comportentuneappartenanceaumoi»,danslamesureoùilsdésignent un champ infini et inépuisable de « potentialités offertes aux actes libres du moi35 ». Cesressources infinies de l’expérience ouvrent des horizons illimités de progrès, dont la phénoménologiestatiquedesIdeenIconstituelefondementtranscendantal.

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RéférencesbibliographiquesBernetR.(1994),Laviedusujet,Paris,PUF,coll.«Epiméthée».Marbach E. (1974),Das Problem des Ich in der Phänomenologie Husserls, La Haye, Martinus

Nijhoff.Wahl J. (1994), Du rôle de l’idée de l’instant dans la philosophie de Descartes (1920), Paris,

DescartesetCie.

1-.HuaIII/1,§35,p.73[IDI,p.115].

2-.Cf.enparticulierle§19desMéditationsCartésiennes,«Actualitéetpotentialitédelavieintentionnelle».

3-.HuaIII/1,§27,p.56[IDI,p.87].

4-.HuaIII/1,§27,p.57[IDI,p.89].

5-.HuaIII/1,§28,p.59[IDI,p.91].

6-.HuaIII/1,§28,p.59-60[IDI,p.92-93].

7-.Le§35attestel’identificationdela«perceptionausensfort»àlasaisiedanslephénomènedel’extraction:«ImeigentlichenWahrnehmennalseinemGewahren,binichdemGegenstande,z.B.demPapierzugewendet,icherfasseesalsdieseshierundjetztSeiende.DasErfassenisteinHerausfassen,jedesWahrgenommenehateinenErfahrungshintergrund»(HuaIII/1,p.71[IDI,p.112]).

8-.HuaIII/1,§35,p.72[IDI,p.113].

9-.Ibid.Letexteallemanddit:«derErlebnisstromkannnieauslauterAktualitätenbestehen»(HuaIII/I,p.73).

10-.PourreprendreuneexpressiondeJeanWahl(1920,p.60),l’idéalismecartésienestun«actualisme».L’expressionhusserliennede«lauterAktualitäten»peutainsiêtre interprétéecommeune réponseauprincipecartésiende lavéritéde laproposition«egosum,egoexisto»«quotiesameprofertur, velmente concipitur» et,partant,commeuneréappropriationdeladistinctionleibnizienneentreperceptionetaperception.SelonLeibniz,eneffet,jepeuxpercevoirnombredechosessansenavoirconsciencecommelorsquej’habitedepuistrèslongtempsàcôtéd’unechuted’eauetquejeperçoistoujourslebruitdel’eau,maissansm’enapercevoir.L’aperceptionestuneconnaissanceréflexive(conscienced’avoirconscience)quin’appartientqu’auxesprits(c’est-à-direauxhommesetàDieu)etsupposel’attention.Ilyadonc,enl’homme,denombreusesactivités,laplupartmême,quinesontpasconscientes.L’inconscient–queLeibnizappelleles«petitesperceptions»–adoncunsenspositif;ilnes’opposepasàlaconscience,maisformeuneétapedanslaprogressioncontinuedelaperceptioninconscienteàl’aperceptionconsciente.Restequelalimitationdelaperceptiontientessentiellement,pourLeibniz,àlaconstitutionfiniedel’esprithumain,alorsqu’elleestleseulfaitdesmodesdedonationdesphénomènes,selonHusserl.Autrementdit,Dieu,s’ilexiste,perçoitleschosesspatialesparesquisses.Commelemontresansdétourle§43desIdeenI,«c’estdoncuneerreurdeprincipedecroireque(…)Dieu,sujetdelaconnaissanceabsolumentparfaiteetdoncaussidetouteperceptionadéquatepossible,possèderaitnaturellementlaperceptiondelachoseensoiquinousestrefuséeànous,êtresfinis»(HuaIII/1,§43,p.89,[IDI,p.138]).

11-.HuaIII/1,§37,p.75-76[IDI,p.119].

12-.HuaIII/1,§27,p.58[IDI,p.90].

13-.OnretrouveiciladistinctionentreWahrnehmungetWertnehmung,largementtravailléedanslesIdeenIIainsiquedanslesLeçonssurl’éthiqueetlathéoriedelavaleur.L’analogieirréductibledecesdeuxtypesdeperceptionaconstitué,durantladécennie1910,l’undeschampsd’investigationmajeursdeHusserl.

14-.Cf.HuaIV,p.8[IDII,p.31]:«nousn’accomplissonsplusle‘voir’surcemodeéminentlorsque,àlavued’uncield’unbleuresplendissant,nousvivonsdansleravissement.»

15-.HuaIII/1,§34,p.70[IDI,p.111].

16-.HuaIII/1,§35,p.73[IDI,p.115].

17-.HuaIII/1,§37,p.75[IDI,p.118].

18-.Laphraseallemandeditexactement:«IsteinintentionalesErlebnisaktuell,alsoinderWeisedescogitovollzogen,so“richtet”sichinihmdasSubjektaufdasintentionaleObjekt.Zumcogitoselbstgehörteinihmimmanenter“Blick-auf”dasObjekt,derandererseitsausdem“Ich”hervorquillt,dasalsoniefehlenkann»(HuaIII/1,p.75).Onobjecteracertainementque l’emploidesguillemets témoigneà l’inversede la réductionaumoipuret à l’immanencede sesvécus.Si tel était lecas, commentexpliquerqueHusserlnejustifiel’emploidesguillemetsqu’au§89desIdeenI,c’est-à-dire,précisément,justeaprèslaconstitutiondel’unitédufluxdesvécusàtraverslatemporalisationimmanenteduJe?C’estbiencetteunificationquiétablitlerôledumoipuretleprincipegénéraldelaphénoménologietranscendantale,lequels’exprimeavanttoutdansl’analysenoético-noématique.

19-.HuaIII/1,§37,p.75[IDI,p.118].

20-.Cf.iciE.Marbach(1974,chap.6).

21-.HuaIII/1,§77,p.162[IDI,p.247].

22-.HuaIII/1,p.164[IDI,p.250].

23-.HuaIII/1,§78,p.168[IDI,p.256].

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24-.OnrappelleraàceproposquelapremièreéditiondesRecherchesLogiquesrejetaitexplicitementl’idéed’unprincipeégologiqueunificateurdufluxdesvécus.Siladifférenciationentremoiempiriqueetmoiphénoménologiqueétaitcertesbienprésente,cedernierneconsistaitenriend’autrequ’enl’unitédelaconnexiondesvécus.End’autres termes, l’unificationdesvécusaumoipurétaitpenséede façonpurement immanente, alorsqu’avec les Ideen I, elle devient le fruit d’une« transcendancedansl’immanence».Cf.àcesujetlaCinquièmeRechercheLogique,§4etIdeenI,§57.

25-.HuaIII/1,§80,p.178[IDI,p.269].

26-.CequelesMéditationsCartésiennes(§§31-34)appellerontun«style»,un«caractèrepersonnel».

27-.HuaIII/1,§81,p.180-181[IDI,p.272].

28-.Nousnedonnonsiciqu’uneprésentationsommaireetsuperficielleduproblèmedelatemporalité.Lesdistinctionsfondamentalesontétéétabliesen1905danslesLeçonssurlaconscienceintimedutemps.Retenonsseulementquel’absolu«définitifetvéritable»surlequelsefondetouteconscienced’objetestlaconsciencedutemps,quimontrecommentcetteconscienceconstituanteestaussiettoujoursnécessairementconstituéedansletempsphénoménologique.Surcepoint,cf.le§81desIdeenI.

29-.Lesmotifsetlesenjeuxdecetteconception«téléologique»delaperceptionontétéremarquablementmisenlumièreparR.Bernet(1994).

30-.HuaIII/1,§84,p.188[IDI,p.284].

31-.Ibidem.

32-.L’arrière-plan(i.e.:l’intentionnalitéensonmodeinactuel)nedoitpassecomprendreenunsensexclusivementtopographique;enfontpartieégalementcequeHusserlappelleiciles«amorcesd’actes»(Aktregungen),cesactesquinesontpasencorecomplètementréalisés,maissontcommeenattente. Ilssontvirtuellementdesactes.Ilspeuventserencontrerlorsque,parexemple,unsentimentdeplaisirestsuscité,quiignoreencorel’objetexactl’ayantengendré(s’agit-ildecetableau,d’unepartiesimplementdelascènequ’ilreprésente,del’harmoniedescouleurs,dusouvenirqu’ilévoque,del’histoirequ’ilraconte,del’étrangetéqu’ildessine?).

33-.HuaIII/1,§92p.214-215[IDI,p.321].

34-.L’expression«totenBewussthabens»setrouveenHuaIII/1,§92,p.213[IDI,p.319].

35-.HuaIII/1,§92,p.215[IDI,p.320-321].

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Laquestiondelaréflexion

(§§34-38,44-46et77-82)

Pierre-JeanRenaudie

RéflexionpsychologiqueetréflexionphénoménologiqueLaquestiondelaréflexiviténeconstitueniunthèmecentral,nil’undesaspectslesplusoriginauxdu

premier tome des Idées directrices, qui ne lui réserve que quelques paragraphes au début du secondchapitredelatroisièmesection,assortisdequelquesremarqueséparsesetdisséminéesàl’intérieurdecetextesidense.Maissi laréflexionnereprésentepaslemaître-motdesIdeen,elledéfinit toutefoisunequestion transversale que Husserl fait jouer sur différents niveaux et que l’on voit stratégiquementressurgirauxmomentsoùsenouentcertainesarticulationsessentiellesdecetouvrage.Ilfautàcetégardsouligner le caractère structurant des analyses que Husserl consacre à la réflexion dans un texte quiportaitpoursous-titre«introductionàlaphénoménologiepure»,etdontlavocationétaittoutautantcelled’unmanifestequed’unesortede«manuelpratique»delaphénoménologietranscendantale.IlestclairquelecœurdelaméthodephilosophiquerésolumentnouvelledontcepremiertomedesIdeen s’efforcededélimiterlecadreconsistedansl’établissementetlajustificationdelaréductionphénoménologique.Mais la réduction elle-même a en quelque sorte partie liée avec la question de la possibilité de laréflexion(enunsensquenousauronsàétablir),etc’estlaraisonpourlaquellecettedernièredéfinitunenjeutoutaussifondamentaldelaméthodephénoménologique,ainsiqueHusserllerappelleau§77desIdéesdirectrices:«laméthodephénoménologiquesemeutintégralementparmidesactesderéflexion1.»

Il faut ici rappeler que la réflexion a toujours joué le rôle de vecteur de la démarchephénoménologique,dèssatoutepremière«percée»danslesRecherchesLogiquesde1901,etavantquesaméthodenesoitsystématiquementrecentréeautourlamiseenœuvredelaréduction(cequiexpliquequelaréflexionpuisseapparaîtredanslesIdeenaussibienavantqu’aprèsl’effectuationdelaréductiontranscendantale).Silaphénoménologiesedonnepourobjectifdedécrirelesvécusdeconscience,ilfautd’abordquecesvécuspuissentnousêtredonnésd’unefaçonoud’uneautre,etqu’ilspuissentêtrepriscommeobjetsdeladescription.Laréflexivitéjoueàl’égarddelaphénoménologielerôlede«conditiondeprincipedesapossibilité2»,sitantestqu’ellenousrendlevécuaccessibleetsertdevoied’accèsàcette conscience dont la réduction permettra de révéler le caractère constituant. C’est la réflexionphénoménologiquequinousassurequel’egoetsesvécusdeconsciencepeuventêtredonnésàl’intuition,ousaisisdansl’immanence;c’estdoncàellequ’ilrevientdefournirlesgagesdecettetransparenceà

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soi de la conscience qui doit légitimer la description phénoménologique, et c’est encore sur elle quereposeraladistinctioncapitaledesIdéesdirectricesentrelesdeuxsensfondamentauxetirréductiblesdel’être,l’«êtrecommeconscience»etl’«êtrecommeréalité».

Dansl’économiedesIdeen,laréflexivitéapparaîtd’abordaucoursdeladeuxièmesectionsouslafiguredela«réflexionpsychologique»quenouspouvonsfaireporter«surnotremoietsonvécu»,sansquitter le terrainde l’attitudenaturelle et sans seplier« à aucuneépokhèphénoménologique3 ».MaisHusserlsouligneau§51lanécessitédereprendrecetteréflexionnonplussurunmodepsychologiquemaissurunmodestrictementphénoménologique,unefoismiseenplacelaréduction,etc’estlaraisonpour laquelleon la retrouvedans la troisièmesectionoùelledevientunestructure fondamentalede laconsciencepure.Unteldéplacementn’aévidemmentriendefortuit,etilexprimeaucontraireunethèsefondamentaledeHusserl,lathèseproprementditedesIdeensurlaréflexion,quin’estjamaissimplementune propriété psychologique (de fait) des vécus psychiques, mais une loi d’essence (de droit) de laconscience transcendantale. Les lignes qui suivent se proposent de rendre compte de la portéephilosophiquedecettethèse,encherchantd’abordàéclairerlesensdesproblèmesphilosophiquesqueHusserl espérait résoudre avec sa théorie de la réflexion, et enmontrant comment cette dernière doitrendre possible le passage d’une psychologie (qui était encore celle desRecherches Logiques) à unephilosophietranscendantale(celledesIdéesdirectrices).

LeproblèmeduscepticismeDirecommelefaitHusserlquetoutvécuouquetoutecogitatio«comportelapossibilitédeprincipe

queleregardsetourne“réflexivement”surelle4»nevapassansposeruncertainnombrededifficultésquejevoudraiscommencerparexaminer.

LapremièredecesdifficultésestprésentéeparHusserllui-mêmeau§79,autraversdesobjectionsetdescritiquesqueH.J.Wattavait initialementadresséesà lapsychologiedeTheodorLipps5,etqui,bienqu’explicitementdirigéescontrelemodèleintrospectionnisteenpsychologie,n’atteignentpasmoinsselonHusserllapossibilitémêmedeladescriptionphénoménologique.LadifficultésoulignéeparWattmetencauseladistancequiséparel’actualitéd’unvécudeconsciencedelaréflexionquinouspermetdefairedansunsecondtempsretoursurcevécu.Wattinsistesurl’idéeselonlaquelle«laréalitédumoiprésentetdesvécusdeconscienceprésents»est«simplementvécuemaisnon“sue”,c’est-à-diresaisiepar réflexion6 ». Vivre telle ou telle expérience de conscience n’est pas du tout la même chose queréfléchirsurnotrevécudeconscience:ils’agitlàdedeuxvécusessentiellementdifférents,l’unouvertsurlemonde,plongéintentionnellementenlui,consacréàl’effectuationprésentedetelleoutelleviséeintentionnelle, et l’autre tournévers lepassé, puisqu’il se rapportenonplus aumondeet surunmodeactuel,mais aux vécus passés qui viennent d’avoir lieu, et qui doivent être révolus pour pouvoir êtreobjectivés et visés dans un nouvel acte de conscience. Une distance semble ainsi inéluctablement secreuser entre le vécu « simplement vécu », irréfléchi pour reprendre les termes de Sartre, et le vécuréfléchi (mais réfléchi de façon telle qu’il ne puisse précisément plus être « simplement vécu »).L’objectiondeWatts’exerceainsicontretoutepossibilitédeconnaîtreréflexivementcequiaétévécu:«commentpourrait-onsavoirquenotrevécuestenvéritéabsolumenttelquenouspensonsqu’ilest7?»HusserlprenddanslesIdeentrèsausérieuxcettedifficulté,quisembleremettreencauselesprincipesmêmesdesaphénoménologie,etàlaquelleildonnelenomde«scepticismeméthodologique8»:«quedeviendrait la phénoménologie si ses énoncés avaient le droit de porter sur les essences de vécusréfléchis et devenus objets de “savoir”, mais non sur les essences de vécus purs et simples ?Qu’arriverait-il,s’ilétaitàpeinepossibledeconjecturercommentonaccèdeàlaconnaissanceduvécuimmédiat9?»

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Maisonpeutallerplusloinetajouterdeuxdifficultésnotablesàcellequerelèvel’auteurdesIdéesdirectrices:premièrement,cettethéoriedelaréflexionneconduit-ellepasHusserlàréintroduireparlafenêtrecequelesRecherchesLogiquesavaientchasséparlaporte,àsavoircetteperceptioninternequeHusserl avait dénoncée au titre de présupposémétaphysique dans sa critique deBrentano10 ?Husserln’éprouve en effet aucunedifficulté à détailler lemodede fonctionnement de la réflexion en écrivant,danslasuitedu§38:«End’autrestermes,toutecogitatiopeutdevenirl’objetdecequ’onappelleune“perceptioninterne”11.»Deuxièmement,siréfléchirrevientàprendrelevécucommeobjetd’unnouvelacte intentionnel, cela ne conduit-il pas la phénoménologie à manquer cela même qu’elle cherche àdécrire,enfaisantdumoietdesesvécusdesimplesobjetsmentaux?Onrejointicilacritiqueadresséeàlaphénoménologiehusserlienneparlesnéo-kantiens,etessentiellementparNatorp:laphénoménologienepourraitpenser le sujetquecommeobjet, et s’interdiraitde saisir la subjectivitédans sa radicalitéconstitutive.

Le« scepticisme»professéparWattneconstituedoncpasuneatteinte seulement localecontre laphénoménologie,danslamesureoùilmenacedesepropageràl’ensembledesthèsesfondamentalessurlesquellesellerepose.C’estàcetitrequeHusserlsemetendevoirdeleréfuterdanscesparagraphesimportantsdelatroisièmesection,enprenantcommefilconducteurdesesanalyseslaquestiondesavoirsous quelles conditions la phénoménologie peut se donner lesmoyens de décrire les vécus dans leurprésentvivant.

RéflexionetdescriptionIlfauttoutefoispréciserquelescritiquesdeWattnesontabsolumentpasnouvellespourHusserl.Si

cesobjectionsontàsesyeuxuneimportancenonnégligeable,c’estprécisémentparcequ’ellesfontéchoauxdifficultésrencontréesparBrentanodansl’établissementdesa«psychologiedescriptive»,etc’étaitdéjààdetellesdifficultésquelaphénoménologieavaittentéderépondredèslesRecherchesLogiquesde1901.ContrelessuccèsgrandissantsdeWundt,quibornaitlapsychologieexpérimentaleàl’étudedes« conditions physiques externes des phénomènes internes12 », l’originalité de Brentano avait étéd’introduire une méthode strictement descriptive en psychologie, se fondant sur l’accès en premièrepersonnequenousavonsànospropresphénomènespsychiques.Maiscetteméthodedescriptivequiseraà l’originede laphénoménologieconduisaitBrentanoà réhabiliter, contre lepositivismedeComte, etdanslesillaged’unetraditionempiristeallantdeLockeàStuartMill,l’expérienceinterne,afindefonderunepsychologieempiriqueindividuellequinesoitpassimplementuneapplicationdesloisphysiquesaudomainedupsychique.Or,c’estprécisémentLockequiavaitdonnéseslettresdenoblesseàlaréflexionenl’appuyantsurlesensinterne,paroppositionausensexterne: laperceptioninterne,devantgarantircet accès immédiat aux contenusmentaux quimet l’entendement en relation avec ses propres idées etopérations,fondeainsidansl’Essaisonpouvoirderéflexion13.OnretrouvelatraceindélébiledecetteconceptionaucœurdeladistinctionfondamentaleétablieparBrentanoentrelesphénomènespsychiques(donnésdanslaperceptioninterneetcaractériséspar leur intentionnalité)et lesphénomènesphysiques(donnésàlaperceptionseulementexterne).

La perception interne joue ainsi chez Brentano le rôle de fondement de la connaissancepsychologique:sitoutphénomènepsychiqueestintentionneletsecaractériseàcetitreparlefaitd’avoirunobjetvers lequel il estdirigé, il se saisit toujours enmême temps lui-mêmede façon immédiate etévidente14.C’estsurcepointfondamentalquereposelathèsedesdeuxobjets,primaireetsecondaire,delaconscience:sil’objetintentionnelverslequelestdirigéunphénomènepsychiqueconstituesonobjetprimaire, nous percevons toujours en même temps ce phénomène à titre d’objet secondaire. Si nousprêtons l’oreille à tel ou tel son déterminé, par exemple, alors le son est l’objet primaire de l’acted’entendre, l’audition son objet secondaire : « Dans le même phénomène psychique, où le son est

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représenté,nouspercevonsenmêmetempslephénomènepsychique;etnouslepercevonssuivantsondoublecaractère,d’unepartentantqu’ilalesoncommecontenu,etd’autrepartentantqu’ilestenmême tempsprésent à lui-même comme sonpropre contenu […]L’acte psychique de l’audition […]devientenmêmetemps,danssatotalité,sonobjetetsoncontenupropres15.»

Toutefois, une telle perception interne (innereWahrnehmung)n’est pas intentionnellement dirigéeverssonobjetausensoùl’esttouteperceptionexterne,etc’estlaraisonpourlaquelleBrentanosoutientqu’ellenedoitenaucunefaçonêtreconfondueavecuneformed’observationinterne(Beobachtung)16 :les phénomènes psychiques nous sont immédiatement donnés sans pour autant que la conscience soitintentionnellementdirigéeverseuxautitred’objetsprimaires.ContreLockecettefois,ils’agitdebiendissocierlaperceptioninternedelaréflexion:«Noussommesincapablesd’observernosphénomènespsychiques présents […] Une réalité qui ne constitue que l’objet second d’un acte peut bien êtreconscientedanscetacte,maisnepeutyêtreobservée17.»Sic’étaitlecas,lephénomènepsychique,endevenantl’objetd’uneobservation,neseraitplusvécudel’intérieur,enpremièrepersonne,maisilseraitcomme regardé et décrit de l’extérieur, en troisièmepersonne.Une telle situation aboutirait à la pertepureetsimpleduphénomène,cequisemanifestedelafaçonlaplusclairedanslecasdelacolère:«ilsuffiraiteneffetd’observerlacolèrequibouillonneennous,pourlavoirsecalmeretquedisparûtenmême temps l’objet de l’observation. » On retrouve à ce niveau l’objection de Watt, d’inspirationparfaitementbrentanienne.ÀceciprèsqueBrentanos’étaittoutefoisdonnélesmoyensderépondreàlaquestion de savoir comment la conscience et ses vécus subjectifs peuvent être décrits sans êtreobjectivés,enaffirmantquenousavonsuneperceptioninternedenosphénomènespsychiquesactuelsaumomentoùnouslesvivons,quoiquenousnepuissionsjamaisobserverquenosphénomènespsychiquespassés.Par conséquent,Brentano avait été conduit à réactiver la solutionproposéeparStuartMill endéfensedel’introspection:c’estendéfinitivel’usagedenotremémoirequirendpossiblelapsychologie,en livrant à l’observation les phénomènes psychiques passés18. Le travail de description est toujoursrétrospectif et empirique, rendant illusoire l’espoir de pouvoir parvenir à une forme de « descriptionabsolue»ausensqueWattprêteàlaphénoménologie.

LacritiquedelaperceptioninterneetlamodificationréflexivedanslesRecherchesLogiques

Or, c’est pourtant bien d’une radicalisation de ce concept brentanien de description que naîtra laméthodeproprementphénoménologiquedanslesRecherchesLogiques,conduisantHusserlàréhabiliterla réflexion que la psychologie brentanienne faisait passer à l’arrière-plan et dont elle permettait derelativiser l’importance. L’erreur de Brentano aux yeux de Husserl est d’avoir reconduit au principemêmede sapsychologieunprésupposémétaphysiquemassifqu’aucunedescriptionnepeut légitimer :celuidel’oppositionentreun«dedans»etun«dehors»del’espritsurlaquellereposeladistinctionfondamentaleentre lesphénomènespsychiqueset lesphénomènesphysiques(lespremiersétantdonnésde façon immédiate dans la perception interne, tandis que les seconds ne sont donnés que parl’intermédiairedesreprésentationsinternesetdanslaperceptionexterne).Enconséquence,Brentanones’estjamaisdonnélesmoyensdeconsidérerlevécuautrementquecommeun«objetmental»,bienqu’ils’efforce de le soustraire aux lois de l’intentionnalité en stipulant qu’il ne peut être perçu qu’au titred’objetsecond.«[SelonBrentano]toutphénomènepsychiqueestnonseulementconscience,maisilestaussilui-même,enmêmetemps,contenudeconscience,et,encecas,aussiobjetdeconscienceausensétroit de la perception19. » Husserl refuse résolument ce partage ontologique entre objets physique etpsychiquepourdesraisonspurementdescriptives:nousnepercevonspasl’objetextérieurd’uncôté(lachose physique perçue) et l’objet mental de l’autre (le vécu psychique intentionnellement dirigé vers

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l’objetphysique)20.La«neutralitémétaphysique»de laphénoménologie la retientdeprendre levécucomme une sorte d’objet à l’extérieur duquel elle pourrait se situer pour le décrire. L’illusionmétaphysiquesurlaquellereposelaperceptioninternechezBrentanorevientàprétendreavoirunaccèsnon-intentionnel aux phénomènes psychiques, c’est-à-dire aux vécus intentionnels eux-mêmes. Le vécupsychique serait ainsi à la fois le dispositif sur la base duquel s’établit la relation intentionnelle à unobjetetunobjetsecondaireàl’intérieurmêmedecedispositif.

Aux yeux de Husserl, on ne peut éviter ce paradoxe qu’en assumant jusqu’au bout la thèsed’intentionnalité:sitouslesvécussontintentionnelsetcontribuentàobjectivercesurquoiilsportent,alors la description phénoménologique doit elle aussi subir la loi de l’intentionnalité et ne pouvoirs’appliquer au vécu qu’en l’objectivant (ce qui ne veut pas dire pour autant que le vécu estun objetmental). L’accès à nos propres vécus ne peut en aucune façon représenter une exception à cette thèsed’intentionnalité:ilnepeutaucontraires’accomplirquedansunnouvelacteintentionnel,àsavoirdansuneréflexionprenantpourobjetunvécudontladimensiondeprésencenouséchappenécessairement.Laréflexionengagebeletbienunenouvellemodalitéintentionnelledelaconscience,loinquel’onpuisseluisubstitueruneformenon-intentionnelledesaisieduvécu.

L’introductiongénéraleauxRecherchesLogiquesformulaitainsidéjàlesdeuxthèsescardinalessurla réflexion phénoménologique que l’on va retrouver dans les paragraphes des Ideen qui nousintéressent:premièrement,noussommesobligésd’accepterquelevécunenousestaccessiblequ’auprixd’unemodificationréflexivequinouslelivresousuneformeobjectivée,etnontelqu’ilétaitvécusurlemode du présent vivant. La réflexion introduit nécessairement unemodification intentionnelle dans levécuqu’elle transformeenobjet.C’estcette thèseque l’onretrouvera tellequelleau§78des Ideen :«touteslesvariétésdela“réflexion”présententlecaractèred’unemodificationdeconscience,et,bienentendu, d’unemodification que par principe touteconscience peut subir21. » Il est donc essentiel dedistinguer,commelefaitHusserlau§77desIdeen,lefaitdevivreunvécuetlapossibilitédele«tenirsoussonregard»,oud’enavoiruneintuition:«toutmoivitsespropresvécus;[…]Illesvit,celaneveut pas dire : il les tient “sous son regard”, eux et ce qui y est inclus, et les saisit sous lemode del’expérienceimmanenteoud’uneautreintuitionoureprésentationimmanentes22.»Assumerjusqu’auboutlathèsed’intentionnalité,c’estaccepterqu’aucuneconsciencedesoinevienneredoublerlaconscienced’objetaumomentoùcelle-ciestactualisée.LasecondethèseessentielledeHusserltientdanssonrejetde toute formede conscienceoudeperception interne à laBrentano, nousdonnantun accès immédiat(c’est-à-dire non-intentionnel et non-réflexif) au vécu que nous sommes en train de vivre :l’intentionnalitéde laconscience,en ladirigeantàchaquefoisvers lemonde,en l’absorbantdanssonrapportàteloutelobjet,ladétournetoujoursenmêmetempsd’elle-même.L’attitudenaturelleapparaîticicommeunesimpleconséquencedel’intentionnalité,envertudelaquellepercevoirnepourrajamaiséquivaloir à se voir percevant.Husserl prend bien soin de souligner que la conscience intentionnellen’estpas immédiatement redoubléeparuneauto-consciencequi luipermettrait de se saisir elle-mêmedans cet acte. Elle ne peut apparaître comme telle qu’au moyen d’un nouvel acte intentionnel dirigéréflexivementsurl’actequivientd’avoirlieu:«seulsdesactesdel’expérienceréflexivenousrévèlentquelquechosedufluxduvécuetdesanécessaireréférenceaumoipur23.»

LadistanceréflexivedesoiàsoiLa rigueur de la description phénoménologique se paye ainsi au prix de la perte du caractère

irréfléchiduvécu.Ilsubsisteunedifférencefondamentaleentrevivreunvécuetdécrireréflexivementunvécu : ce qui est décrit doit avoir d’abord été objectivé, de telle façon que le caractère subjectif quianimele«vivre»propreàcevécu(sonactualitéde«présentvivant»dirontlesIdeen)aétémodifiéetirrémédiablement perdu.Or, si la position desRecherches Logiques semble très proche de celle des

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Ideen,puisqu’elleposedéjà lesdeux thèses fondamentalesquiconstitueront lenerfde l’argumentationdesIdeen, leursconclusionsnesontpourtantpasdutout lesmêmes,etcepointdoitnouspermettredecomprendrecequifaitl’originalitédelapositiondesIdeenenréponseauxcritiquesdelaréflexion.Eneffet, la thèse des Recherches sur la modification réflexive et l’objectivation des vécus conduisaitHusserl à toujours maintenir un écart irréductible entre le vécu réfléchi, objet de la descriptionphénoménologique,etlevécuirréfléchiquin’estjamaisimmédiatementaccessibleauphénoménologue,mais ne semble pouvoir l’être qu’au moyen de cette modification réflexive. Ainsi, les RecherchesLogiquesassumaientd’unecertainefaçonl’impossibilitéd’atteindreautrechosequ’unvécuempirique,décritrétrospectivementetsurleterraindel’expérience24.

Leproblèmesurlequelvientbuterl’analysedesRecherchesestceluidel’écartentredesmodalitéstemporellesinconciliablesdelaconscience(selonquelevécuestvécusurunmodeprésentouréfléchisur un mode passé) ; et cette difficulté se traduit par un retard irréductible de la réflexionphénoménologique (et de la description) sur l’actualité insaisissable du vécu. Et c’est la raison pourlaquelle Husserl accorde tant d’importance à l’objection de Watt au § 79 des Ideen : la situationthéoriquequ’ildénoncecorrespondàunedifficultéqueHusserlalui-mêmerencontréedanslamiseenplacedelaphénoménologie.Lamodificationréflexiveinterditaprioritoutepossibilitédecomparerlevécu réfléchi au vécu irréfléchi, ce qui signifie que nous n’avons aucunmoyen de rendre compte del’adéquationdenotredescriptionauvécuauquelelleprétends’appliquer.Pourreprendrel’exempledeHusserlau§78,commentpouvons-nousêtreassurésquenotreréflexionsurlesentimentdejoiequenousvenonsd’éprouvernousdonneaccèsàcesentimentdejoietelqu’ilaétévécu,sinousconvenonsquecetteréflexionlemodifienécessairementet l’objective,sansnouslaisseraucunmoyendecomparercequiaétémodifiéauvécutelqu’ilavaitétévécuauprésentavanttouteréflexion?

L’analysetemporelleduvécuC’estprécisémententravaillantcettequestiondelatemporalitéphénoménologiquedelaconscience

dans ses leçons de 1905 que Husserl va formuler une solution à cette difficulté, et engager laphénoménologie dans le fameux tournant (« transcendantal ») sur lequel va reposer la position desIdeen25.Làoùl’analysestrictementlogiquedel’intentionnalitéduvécunelaissaiten1901aucunespoirde surmonter l’écart entre le vécu, tel qu’il se déroule dans l’actualité d’unprésent vivant, et le vécupassésurlequellaréflexionnouspermetderevenirpourledécrire,Husserlvachercheràrésorbercetécartdansladimensionintrinsèquementetoriginairementtemporelledufluxdeconscience.CequelesRecherchesavaienteutendanceàlaisserdecôté,c’estlecaractèretemporeldufluxàl’intérieurduquels’insère toutvécudeconscience ;autrementdit,c’est le faitque toutvécuestparessenceunvécuquis’écoule, et qui n’est pas simplement l’équivalent d’un point géométrique idéal sur la ligne décrivantl’écoulementdu tempsde laconscience :« toutvécuréelestnécessairementunvécuquidure»,écritHusserlau§81,ils’inscritdansuntempsqui«nepeutaucunementêtremesuréparlapositiondusoleil,parl’heure,niparaucunmoyenphysique26.»Husserldéfinitlatemporalitécommeunensembledemodesselon lesquels se décline le vécu (modes de l’avant et de l’après, du enmême temps, du l’un aprèsl’autre,etc.).Celasignifiequec’est«letempsquiappartientparessenceauvécucommetel»,etnonlevécusubjectifquisesitueàl’intérieurd’untempsobjectifluiétantextérieur.

En conséquence, l’écart qui sépare mon vécu présent des vécus passés sur lesquels je peuxmaintenant réfléchir n’est pas une simple limite imposant des contraintes extérieures à la conscience,c’estaucontrairesaloid’essencelapluspropre:ilestessentielauvécuqu’ils’écouleetpuissedoncsedéclinerselondesmodalités temporellesdifférentessanspourautantdevenirautre.Husserl tenteainsid’intérioriser cette contrainte temporelle qui pèse sur la réflexion phénoménologique en en faisantl’essence même du vécu. Il faut donc être particulièrement attentif à l’inflexion très importante que

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Husserldonneàsathéorielorsqu’ilprécisequelaréflexionestune«possibilitéidéale»duvécului-même:s’ilmaintientladistinctionétabliedanslesRecherchesLogiquescontreBrentanoentrevivreunvécu et le tenir sous le regard objectivant de la réflexion, Husserl ajoute dans les Ideen que cetteréflexionestune«possibilitéidéale»duvécu,enentendantparlàunepotentialitéstructurelledetouteconsciencecommetellequinevientnullements’exercersurelledel’extérieur:«toutvécuquinetombepassousleregardpeut,envertud’unepossibilitéidéale,êtreàsontour“regardé”;uneréflexiondumoisedirigesurlui,ildevientunobjetpourlemoi27»;«letyped’êtreduvécuveutqu’ilsoitperceptiblepar principe sur le mode de la réflexion »28. La réflexivité est une propriété essentielle et nonaccidentelleduvécu29,nefaisantjamaisquedéployerd’unenouvellefaçonsatemporalitéimmanente.

CequeHusserlchercheainsiàpenser,c’estunemodificationréflexivequinesetraduisepaspourautantparunealtérationirrémédiablenouséloignantàjamaisdetouteprésenceàsoiduvécu.Cen’estpasparcequenousmodifionslecaractèretemporeldeprésentduvécuquecesurquoinousréfléchissonsdoitnécessairementdevenirautre,devenirunvécudifférentdeceluiquenousvenonsdevivre.Husserlrépondiciàl’objectiondeWattselonlaquellelaphénoménologien’offriraitaucunegarantiequelevécuréfléchiqu’elledécritsoitbien«lemême»queceluiquivientd’avoirlieu.Parcequelevécuestfluent,ilappartientàsonessencedesemodifierconstamment:lamodificationn’estpasunaccidentmaisbienune loi de la conscience à laquelle la description phénoménologique doit elle-même se plier, ce quijustifiequ’elle s’accomplissed’abord commemodification réflexive.C’est cepointque les leçonsde1905avaientpermisd’établirenanalysantcettemodificationcommela«loi»lapluspropredesvécusdeconscience:«chaqueprésentactueldelaconscienceestsoumisàlaloidelamodification30.»

Unvécunepeutainsijamaisêtredonnéunefoispourtoutesdanssonunité,maisilsedéploiedansunetemporalitéquinouspermetderéfléchirsurlui:«unvécun’estjamais[…]complètementperçu;ilneselaissepassaisirdanssapleineunité.Paressence,c’estunflux;sinousdirigeonssurluileregarddelaréflexion,nouspouvonsleremonterenpartantdel’instantprésent31».Silevécus’insèredansunfluxcontinu32,alorssonprésentvivantnetiresonsensqueparrapportàunpassésurlefondduquelilsedessine, qu’il retient en lui d’une certaine façon et sur lequel nous pouvons donc revenir dans denouveauxvécusréflexifs:«Toutvécuestenlui-mêmeunfluxdedevenir,ilestcequ’ilestenengendrantdefaçonoriginelleuntypeeidétiqueinvariable:c’estunfluxcontinuelderétentionsetdeprotentions,médiatiséparunephaseelle-mêmefluantedevécusoriginaires,oùlaconscienceatteintle“maintenant”vivantduvécu,paroppositionà son“avant”et à son“après”»33. Il est certes essentielque toutvécus’actualisedansunprésentvivant,maisiln’appartientpasmoinsàl’essencedeceprésentqu’ildevienneàchaqueinstantunpasséoffrantàlaréflexioncelamêmequivientd’êtrevécu.Husserldiraainsiau§78quele«momentdumaintenantvivant»estàlafois«laseulephasequisoitabsolumentoriginaire,maisquiégalementnecessedes’écoulercontinûment34».Leprésents’écouleenétant«retenu»dansunenouvelleconscience,queHusserlnomme«consciencerétentionnelle»:c’estbienàuneconsciencedupassé (du vécu qui vient tout juste d’avoir lieu) que nous avons affaire,mais cette conscience est enmêmetempsuneconsciencerétentionnelleprésenteouactuelle decevécupassé.Levécupassén’estplusseulementpassé,etilestactualiséd’unenouvellefaçondanscettenouvelleconscience.

Husserlmetainsienreliefl’ambivalencefondamentaleetinéliminableduvécuréfléchi:levécuestà la fois passé et présent, saisi au présent et actualisé de façon réflexive, tout en se donnant commequelque chose de passé et d’irréfléchi : « le vécu, réellement vécu à un certainmoment, se donne, àl’instant où il tombe nouvellement sous le regard de la réflexion, comme véritablement vécu, commeexistant “maintenant” ; ce n’est pas tout : il se donne aussi commequelque chose quivient justementd’existeret,dans lamesureoù iln’étaitpasalors regardé, il sedonneprécisémentcommetel,commeayantexistésansêtreréfléchi»35.Si laconsciences’absorbedanssonrapportà l’objetsur leplandel’effectivité,ellepeutaussitoujours,surleplandelapossibilité,sesaisirelle-mêmedansuneréflexion:«nosvécusantérieursétaient[…]perceptiblesdefaçonimmanente,quoiquenonperçuseffectivement

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defaçon immanente36.» Ilappartientdoncà l’essenceduvécuqu’ilpuissesedonnerà la foiscommeprésent actuel et comme vécu tout juste passé qui perdure dans un nouveau présent actuel. Dans larétention,lepasséimmédiatestencorelà,sansmédiation,surlemodedelaprésence.Husserls’appuieicisurladistinctionétablieen1905entrelesouvenirprimaire–une«queuedecomètequis’accrocheàlaperceptiondumoment37»–et lesouvenirsecondaire,quin’est jamaisune façonde retenirdansunnouveauprésentunmaintenantquivienttoutjustedes’écouler,maisunereproductiond’uneconsciencepasséedansunenouvellereprésentation.Tandisque lamélodiequenousvenonsd’entendreestencoreprésente à notre esprit, le souvenir d’une mélodie que nous reproduisons n’a plus ce caractère du«présentenpersonne»,du«donnéenchairetenos».Cequicaractérisedoncphénoménologiquementlaconsciencedu«toutjustepassé»,c’estqu’elleestune«conscienceprésentative»aumêmetitrequelaconsciencedumaintenant38:laréflexionn’estpasseulementlesouvenird’unvécurévolu,maiscelui-ciyestperçuentantquetel39.

LesdifférentsniveauxdelaréflexionEndétaillantlesdifférentesstratesdontsecomposelaconsciencedupassé,Husserlsedonneainsi

lesmoyens de distinguer entre un passé tout juste passé qui participe encore àmon vécu présent (lesouvenir primaire) et un passé révolu ne pouvant être rappelé que dans sa dimension de passé (lesouvenir secondaire). « Avec le surgissement d’une donnée originaire, d’une phase nouvelle, laprécédenten’estpasperdue,mais“gardéeentête”(c’est-à-direprécisément“retenue”)40.»Larétentionnes’identifienullementàunesortederegardenarrière,maisellecorrespondaucontraireàunefaçonprésente de vivre à l’intérieur de ce passé qui vient tout juste de s’écouler, en ajoutant cette phaseprésenteàlaphasepasséeretenue.EtHusserlpoursuitenécrivant:«Maisparcequejel’aientête,jepeux dirigermon regard sur elle dans un acte nouveau, que nous nommons une réflexion (perceptionimmanente)[…]C’estàlarétentionquenoussommesredevablesdepouvoirprendrelaconsciencepourobjet41.»LepointcapitalquipermetàcesanalysesdedépasserlaconceptionqueHusserlpartageaiten1901avecBrentanoetWatt,estainsilesuivant:lefaitquelaréflexionaitnécessairementaffaireàunvécupassé ne l’empêche en riende ressaisir ce vécu en tant queprésent actuel, dans lamesure où ilappartientencoresurunmoderétentionnelauprésentvivantdemonvécuderéflexion.UneconnaissanceréflexiveduvécuprésentestdoncpossibleetnonseulementduvécupassécommechezBrentano:cequiaccède ainsi à la consciencevia la réflexionpossède« le caractèredu “encorevivant” et du “venantjustement”d’exister42 ».Husserl pouvait en conséquence affirmer en 1905 que « toutes les objectionsqu’onaélevéescontrelaméthodedelaréflexions’expliquentparlaméconnaissancedelaconstitutiondelaconscienceencequ’ellead’essentiel43».

Ondoitdoncdistinguerdifférentesformesoudifférentsniveauxderéflexivité,quifontjouerdefaçondifférente cette temporalité propre au vécu, peuvent porter aussi bien sur un souvenir primaire quesecondaire, et qui vont permettre de saisir la structure réflexive du vécu elle-même. Pour reprendrel’exempledonnéparHusserlau§77desIdéesdirectrices,jepeuxvisermajoiepasséesouslaformedusouvenir(secondaire),maisjepeuxaussivisermajoietoutjustepasséeentantqu’ellecontinueàêtrevécueetqu’ellem’esttoujoursprésente(entantquesouvenirprimaireretenudansleprésentvivantdema conscience actuelle). La réflexion porte alors sur ce qui vient de s’écouler et accomplit unemodification du regard. Or, loin de s’en tenir à ce premier niveau de réflexivité, je peux toujoursredoublerma réflexion par une nouvelle réflexion. Tout d’abord, en thématisant cettemodification duregard elle-même : « il est toujours possible de faire attention à la façon dont la joie se convertit enregardetdesaisir,àlafaveurducontraste,l’absencedetoutregarddirigésurcettejoiedanslecoursantérieurduphénomène44.»Laréflexionfaiticiapparaîtrenégativementcetteabsencederéflexivitéquicaractériseladimensiondeprésentvivantduvécu.Maisonpeutallertoujoursplusloinetréfléchirnon

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plussurlevécumaissurlaréflexionelle-mêmeentantqu’elleapportenécessairementunemodificationduvécuquinouséloignedecetteprésencevivante :«nousavonségalement lapossibilité,enfacedecette joie devenueultérieurement objet, de réfléchir sur la réflexionqui l’objective et ainsi d’éclairerplusvivementencoreladifférenceentrelajoievécue,maisnonregardée,etlajoieregardée,ainsiquelesmodificationsquisurviennentàl’occasiondesactesdesaisie,d’explicitation,etc.,introduitsaveclaconversionduregard45.»Laréflexionsesaisitelle-mêmecommemodificationetadonclesmoyensdemettreenévidencecequiladistingue,entantqueréflexionsurlajoievécue,delajoievécueelle-même(c’est-à-dire de la joie vécue de façon irréfléchie). Contre le spectre de cette possible régression àl’infiniequiavait toujoursconstituél’épouvantaildesthéoriesclassiquesdelaréflexion, lapossibilitéderéitérer indéfiniment la réflexion légitimeaucontrairecelle-cidanssaprétentionàdécrire levécu,danslamesureoùellen’aplusbesoindenierqu’ellelemodifieàchaquefois.

L’horizond’inactualitéduvécuL’erreur que commettent les critiques de la réflexion est ainsi de fonder leurs objections sur une

conceptionstatiquedeladimensiondeprésenceoud’actualitéduvécuqu’uneanalysephénoménologiquedelatemporalitédelaconsciencenesauraitvalider.Cequiestmanqué,c’estlastructuredurapportquisenoueentreactualitéetinactualitéauseindetoutvécudeconscience:lesvécusactuels«sontcernésparune“aire”devécusinactuels;lefluxduvécunepeutjamaisêtreconstituédepuresactualités46».Delamêmefaçonque«toutcequiestperçusedétachesurunarrière-pland’expérience47»,toutvécuactuelvient toujours se détacher à l’intérieur d’un flux continuel de vécus passés qui constituent comme sonarrière-fondouson«horizontemporel»d’inactualité48,maisnesontpaseux-mêmesvécusentantquetels : tous ces vécus passés constituent en quelque sorte la trame sur laquelle le vécu présent vientinscriresonmotif.Onretrouveici,auseinmêmedelatemporalitédufluxdeconscience,cettestructuregénérale d’horizon qui articule des vécus d’arrière-plan à des vécus détachés par le regardphénoménologique, et qui va permettre à Husserl, au § 45, de rendre compte de la possibilité de laréflexion.Nonseulement, lesvécus sont«en tantque telsprésents s’ils sont l’objetd’uneconscienceréflexive,maisilssontdéjàlààl’étatnonréfléchisousformed’“arrière-plan”etprêtsaussiparprincipeàêtreperçus, enun sensd’abordanalogueauxchosesquenousne remarquonspasdans le champdenotreregardexterne49».C’estlàquerésidelapossibilitéinsignedelaréflexion,commeretoursurcequiparticipaitàl’accomplissementdeteloutelactedeperception,oudeteloutelvécudeconscienceengénéral,sansêtrepourautantl’objetexplicitementprispourthèmedecevécu.Husserlsubstitueainsiàl’oppositionbrentanienneentreobjetprimaireetobjetsecondairel’oppositionentreconscienceimpliciteetconscienceexplicite,laquellepermetderendrecomptedela«modificationd’inactualité»quesubitlevécucommed’unepropriétéessentiellesurlaquelles’appuielaréflexion50.

C’est la raison pour laquelle Husserl explique que l’essence de la réflexion est de saisirprésentementquelquechosequiesttoujoursenmêmetempsposécommedéjàlà,commeprécédantcettesaisie:«cequidanslaréflexionestsaisidefaçonperceptivesecaractériseparprincipecommequelquechosequinonseulementestlàetdureauseinduregarddelaperception,maisétaitdéjàlàavantqueceregardnesetournedanssadirection51.»C’estendéfinitivecepointquipermetprécisémentderépondreauproblèmequiavaitétéposéparWatt:«lacogitatiomodifiéeestelleaussi,maisàsafaçon,[…]uneconscience, et une conscience de lamême chose que la conscience nonmodifiée correspondante52. »C’estbien levécu irréfléchiquesaisit la réflexion,nonparcequenouspourrionsavoiruneattestationqu’il s’agit bien dumême en les comparant l’un à l’autre,mais précisément parce que la perspectived’unetellecomparaisonest«absurde53».De lamêmefaçonqu’ilserait«absurdedemettreendoutel’existencepasséedeschosesquisontdécouvertescomme“encore”présentesàlaconsciencelorsqueleregard se tourne en arrière, bref de mettre en doute la rétention immédiate, il serait absurde de se

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demandersifinalementlesvécusquitombentsousnotreregardneseconvertissentpasdecefaitmêmeenquelquechosedetotalementdifférent54».

Husserlpeutainsiassumerleparadoxed’unemodificationduvécudanslaréflexionquinousdonnepourtantlevécuréfléchientantprécisémentqu’ilest«lemême»quelevécuirréfléchi:lamodificationréflexive sevoit ainsi inscrite au seinmêmede la présence à soi duvécude façon àdésamorcer paravance l’objection de Watt. C’est un point que Derrida n’avait pas manqué de noter, sur un modeévidemmentcritique,lorsqu’ils’efforçaitdemontrerqueHusserl,s’ilavaitétéfidèleàlaradicalitédeses propres analyses dans les leçons de 1905, aurait dû renoncer à centrer ses analyses autour de ladimensiondeprésenceduvécu,pour conclure à ladisséminationde ladifférance temporelle aucœurmêmede touteprésence55.Mais c’était négliger le fait que la stratégie deHusserl suivait la directionprécisémentinverse,puisqu’elleavaitjustementpourobjectifderésoudrecettefractureinterneauvécuphénoménologique que lesRecherches Logiques laissaient sans solution. L’analyse de la constitutiontemporelleduvécupermetde résorber l’écartque la réflexion fait toujoursapparaîtreen inscrivant lamodification réflexiveaucœurde la temporalitépropreau fluxdeconscience, et enespérantdecettefaçonpouvoiraccorder,surunmodenonproblématique,ladifférenceàsoiduvécu(ou,sil’onveut,sadifférance)etsadimensiondeprésenceoriginaire.

Lecaractèreabsoludelaréflexionetlaquestiondel’egoEnconséquence,Husserln’hésitepasàaffirmerau§78desIdeenquenouspouvonssaisir«comme

un principe eidétique universel […] la validité absolue de la réflexion en tant que perceptionimmanente56 ». S’il est absurde de se poser le problème de l’altérité entre vécus réfléchis et vécusirréfléchis, cela signifie que la réflexion ne nous livre pas le vécu comme une simple abstractionpsychologiqueprélevéeàl’intérieurduchampdel’expérience,maisbienqu’ellenousdonneaccèsàunabsoluépistémologique,un«“ceci-là”dontc’estunnon-sensdemettreendoutel’existence57».C’estendéfinitive lepoint auquelvoulait en arriverHusserl enmettant enplace cette théoriede la réflexion :«quandmaréflexions’appliquesurmonvécupourlesaisir,j’aisaisiunabsoluenlui-même58.»Cequifondephénoménologiquementcecaractèred’absolupropreàladonationréflexiveduvécu,c’estlefaitquelevécuestdonnédefaçonpurementimmanente,danslamesureoùilappartientaumêmefluxdontfait partie la réflexion : « par actes dirigés de façon immanente, ou plus généralement par vécusintentionnels rapportés de façon immanente à leurs objets, nous entendons des vécus dont l’essencecomporteque leurs objets intentionnels, s’ils existent du tout, appartiennent aumême flux de vécuqu’eux-mêmes59. » De cette façon, déclare Husserl, « dans le cas d’une perception immanente (diteinterne),laperceptionetleperçuformentparessenceuneunitésansmédiation60».

Enconséquence,une telleperception immanentedoitêtre reconnuecommeabsolument indubitable,puisqu’ellene laisses’installeraucunécartquipuisseavoirunsensentreelleetsonobjet : tousdeuxappartiennent au même flux de conscience. Là où l’argument de Watt reposait sur l’impossibilité decomparerlevécuréfléchietirréfléchi,Husserltireenquelquesorteargumentdecetteimpossibilité(enla réinterprétant comme une « absurdité », soit une impossibilité essentielle et non contingente) pourprouveraucontrairelavaliditéinconditionnelledelaréflexion.NoustouchonsiciunpointabsolumentcapitaldesIdéesdirectrices,quientrainedeuxconséquencesmajeures.

D’unepart,cetteévidenceoucette indubitabilitéabsoluede laperception immanentedemonvécuvientprécisémentconsacrerdanslesIdeencequelesRecherchesLogiquesavaientrésolumentlaissédecôté,àsavoirce«moipur»queHusserlneparvenaitàtrouvernullepartdanslaréflexion.L’évidencedeladonationduvécuentantqu’ilestlemienetaucunautreesteoipsol’évidencelaplushautequejepuisseavoirdemoi-même,cellequimepermetde«diresansrestrictionetnécessairement:jesuis,cettevieest, jevis,cogito61».Husserlnerevientpourtantpassur la thèseselon laquelleaucunmoipurne

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saurait être trouvé làoùHusserl lecherchait en1901,à savoirà l’intérieurduvécu : lemoipurn’a«aucuncontenuquel’onpuisseexpliciter»,il«n’estpasquelquechosequipuisseêtreconsidérépoursoiettraitécommeunobjetpropred’étude62».MaiscequiconstituaitunethèsenégativedesRecherchesse retourne en une thèse positive dans la phénoménologie transcendantale : si l’ego n’est riend’empirique,iln’enassumepasmoinslerôledestructurefondamentaledetouteconscience,fondéedanslaprésenceàsoiimmanenteduvécuabsolu63,etprendlestatuttranscendantalde«pôlesujet64».

Cette évidence absolue du vécu joue d’autre part un rôle décisif dans l’économie des Ideen, enfondant l’opposition de la perception immanente à la perception transcendante de façon purementphénoménologiquesurune«distinctiondeprincipedanslafaçondontl’uneetl’autresedonnent»65.Or,c’estcettedistinctionquivapermettrededéterminernégativementlesdeuxsensfondamentauxdel’êtreau§42 : l’êtreduvécuestunêtrequi,parprincipe,nesedonnepassous telleou telledeses faces,commelefaitunechoseofferteànotreperception,etquinelaisses’insinueraucunetranscendanceentrenotrevécuactuelet levécusur lequelnousréfléchissons.Si l’êtredelaréaliténesedonneque selon«unecertaineinadéquation66»,«unvécunesedonnepasparesquisses67».«Laperceptionduvécuestla vision simple de quelque chose qui dans la perception est donné (ou peut se donner) en tantqu’“absolu”etnonentantquel’aspectidentiquequisedégagedesmodesd’apparaîtreparesquisses68».

L’usage phénoménologique de la réflexion révèle ainsi la profonde asymétrie entre l’être commeconscienceetl’êtrecommeréalité69quifaitdecederniersensdel’êtreunsens«purementsecondaireetrelatif,unêtrepourlaconscience»,tandisquedesoncôtélaconscienceprendunsensabsoluetdoitêtreanalyséecommeconstituante,entantqu’illuirevientdeconstituerlesensd’êtredumonde70.Laréflexionaboutitainsiàcerenversementspectaculairedu§50montrantque«l’êtrequipournousestpremierestensoisecond,c’est-à-direquecequ’ilest,ilnel’estque“parrapport”aupremier71».C’estdoncsurellequereposelapossibilitéduchangementradicalquis’opèreàpartirdece§50,permettantdepasserd’une analyse de la conscience comme « résidu » à une analyse de la conscience commeUr-region,proto-régionourégionconstituante.

On comprend alors pourquoi Husserl pouvait écrire au § 51 que la réflexion appelait déjà unchangementd’attitudenousconduisantendouceurverslaréductionetlaphénoménologietranscendantalequ’elle implique : elle nous incite à prendre la conscience comme un champ d’expériencephénoménologique«quinesoitpasunfragmentdelanature72».Levécun’estenaucunefaçonundonnépsychologique que nous saisirions par abstraction sur fond et sous condition de l’existence dumondeposédansl’attitudenaturelle73,c’estundonnéabsoludontlesensd’êtrenesauraitsemesureràl’aunedeceluiquicaractériselaréaliténaturelle:«faceauvécuempiriqueetconditionnantsonsens,ontrouvelevécu absolu, [lequel] peut être légitimé de façon indubitable dans son être absolu par un changementconvenabled’attitudeetdonnédansuneintuitiondirecte»74.ContrairementàcequisepassaitdanslesRecherchesLogiques75, laphénoménologien’empruntepasl’objetdesesdescriptionsà lapsychologie(raisonpourlaquelleellen’estplusenaucunefaçonune«psychologiedescriptive):ellesedéfinitplutôtcomme une science a priori des vécus qui, bien qu’elle ne porte pas sur des objets abstraits maisconcrets76,n’estpasplusdépendantedel’empiricitédecesderniersquelagéométrienel’estdesfigurestracéesà la craie sur le tableaudugéomètre.Son travail consisteaucontraireà fournirunenormedevaliditéauxvécusempiriques:«toutedescriptioneidétiquerelativeauxespècesdevécusénonce,pouruneexistenceempiriquepossible,unenormedevaliditéinconditionnée77.»Laphénoménologiedevient«l’instancesuprêmedanslesquestionsméthodologiquesfondamentalesqueposelapsychologie78».

Aussi,silaréflexions’exerced’abordsurleterraindel’attitudenaturelle,sinoussaisissonsd’abordnotrevécupar abstraction et commeun fragmentdumonde, elle est nécessairement appelée àdevenirtranscendantale, si tant estqu’elle révèle lepouvoirdeconstitutionde laconscience sur la réalité.Laréflexion est bien, à cet égard, la clé de la phénoménologie transcendantale elle-même : ce que ladeuxième section avait présenté comme une caractéristique ou une propriété psychologique de la

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consciencedevientdanslatroisièmesectiondesIdeenune«structuregénérale»appartenantàl’essencedelaconsciencepure.Etc’estendéfinitivelaraisondel’argumentationparl’absurdequeHusserlfinitpar faire jouer contreWatt : il serait absurdedemettre la réflexivité« au comptede tel ou tel défautfortuit,contingent,empirique,attachéànotreconnaissancehumaine79»,danslamesureoù,aucontraire,elledéfinitstrictement,niplusnimoins,cequ’est laconsciencepure.Unvécuauquel la réflexionnepourraitpass’appliquerneseraittoutsimplementpasunvécu,etinversement,unvécuquipourraitêtreconnuautrementqueparréflexionn’enseraitplusvéritablementun:«Ilestévidentqueparessence–etnon par conséquent pour des raisons purement contingentes, valables par exemple uniquement “pournous”etpournotre“constitutionpsycho-physique”contingente–c’estseulementaumoyenderéflexionsdecegenrequel’onpeutconnaîtrequelquechosecommeuneconscienceetuncontenudeconscience(ausens réelou intentionnel).Dieu lui-même,par conséquent, est lié à cettenécessité absolueet évidente[…]Mêmeluinepourraitobtenirdesaconscienceetdesoncontenudeconsciencequ’uneconnaissanceréflexive80.»

RéférencesbibliographiquesBrentanoF. (2008),Psychologiedupointdevueempirique, trad. fr.MauricedeGandillac,Paris,

Vrin.DerridaJ.(1967),Lavoixetlephénomène,Paris,PUF.LockeJ.(2001),Essaisurl’Entendementhumain,trad.fr.J.-M.Vienne,Paris,Vrin.WattH.J.(1907),«ÜberdieneuerenForschungeninderGedächtnis–undAssoziationpsychologie

ausdemJahre1905»,inArchivf.d.ges.Psychologie,t.IX.WundtW.(1974),GrundzügederphysiologischenPsychologie,Leipzig,WilhelmEngelmann.

1-.HuaIII/1,§77,p.162[IDI,p.247].

2-.HuaIII/1,§79,p.172[IDI,p.261].

3-.HuaIII/1,§34,p.69[IDI,p.109].

4-.HuaIII/1,§38,p.77[IDI,p.121].

5-.Cf.l’articledeH.J.Watt:«ÜberdieneuerenForschungeninderGedächtnis–undAssoziationpsychologieausdemJahre1905»,inArchivf.d.ges.Psychologie,t.IX(1907).

6-.CitéparHusserl,HuaIII/1,§79,p.170[IDI,p.259].

7-.Ibid.,p.171[IDI,p.260].

8-.Ibid.,p.169[IDI,p.258].

9-.Ibid.,p.172[IDI,p.261].

10-.Voiràceproposl’appendicegénéralauxRecherchesLogiques,consacréàcettecritiquedeladistinctionbrentanienneentreperceptioninterneetexterne.

11-.HuaIII/1,§38,p.77[IDI,pp.121-122].

12-.Cf.lesGrundzügederPhysiologischenPsychologiepubliésparWundten1874.

13-.Locke,2001,II,1,§4,p.165:«L’autresourced’oùl’expériencetiredequoigarnirl’entendementd’idées,c’estlaperceptioninternedesopérationsdel’espritlui-même[…].J’appelleraicelle-ciREFLEXION.»VoiraussiLocke,2001,IV,21,§4.

14-.Brentano,2008,II,1,§6,p.104.

15-.Op.cit.,II,2,§8,p.139-141.

16- .Op.cit., I, 2, § 2, p. 40 : « ce qui est objet de ce que l’on appelle communément perception externe, nous pouvonsl’observer : pour bien comprendre unphénomène,onyappliquetoutesonattention.Maisc’estlàunechoseabsolumentimpossiblequandils’agitdel’objetd’unepureperceptioninterne.»

17-.Op.cit.,II,2,§9,p.140,voiraussiII,1,§2.

18-.Op.cit.,I,2,§3.

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19-.AppendiceauxRecherchesLogiques,HuaXIX/2,p.758[RLIII,p.277].

20-.5èmeRechercheLogique,§11,HuaXIX/1,p.386[RLII/2,p.174-175].

21-.HuaIII/1,§78,pp.165-166[IDI,p.252].

22-.HuaIII/1,§77,p.162[IDI,p.247].Voiraussi§37,p.75[IDI,p.118-119].

23-.HuaIII/1,§78,p.168[IDI,p.256].

24-.Cf.lacritiqued’inspirationhumiennequeHusserladresseau«moipur»deNatorp,au§8dela5eRechercheLogique,HuaXIX/1,pp.372sq.[RLII/2,p.159-164].

25-.Voiràceproposles§§35et81-82desIdeen.

26-.HuaIII/1,§81,pp.181-182[IDI,p.273-275].

27-.HuaIII/1,§77,p.162[IDI,p.247].

28-.HuaIII/1,§45,p.95[IDI,p.147].

29-.HuaIII/1,§78,p.166[IDI,p.252].

30-.Leçonspourunephénoménologiedelaconscienceintimedutemps,§11,HuaX,p.29[LPT,p.44].

31-.HuaIII/1,§44,p.93[IDI,p.144].

32-.Husserlparleàcesujetd’un«continuumsansfindedurées»,HuaIII/1,§81,p.182[IDI,p.275].

33-.HuaIII/1,§78,p.167[IDI,p.254].

34-.Ibid.,p.168[IDI,p.255].

35-.HuaIII/1,§77,pp.162-163[IDI,p.248].

36-.Ibid.

37-.HuaX,p.35[LPT,§14,p.50].

38-.HuaX,supplémentIII.

39-.VoiràcesujetlescommentairesdeDerridasurlarétentiondanslecinquièmechapitredeLaVoixetlephénomène(Derrida,1967,p.72):«SiHusserll’appellenéanmoinsperception,c’estparcequ’iltientàcequeladiscontinuitéradicalepasseentrelarétentionetlareproduction,entrelaperceptionetl’imagination,etc.,nonentrelaperceptionetlarétention.»

40-.HuaX,p.118[LPT,supplémentIX,p.159].

41-.Ibid.

42-.HuaIII/1,§78,p.168[IDI,p.256].

43-.HuaX,p.120[LPT,supplémentIX,p.161].

44-.HuaIII/1,§77,p164[IDI,p.250].

45-.Ibid.

46-.HuaIII/1,§35,p.73[IDI,p.114].

47-.Ibid.,p.71[IDI,p.112].

48-.HuaIII/1,§81,p.182[IDI,p.275].

49-.HuaIII/1,§45,p.95[IDI,p.146-147].

50-.HuaIII/1,§35,p.72[IDI,p.114]:«l’essencedecesvécus[…]impliquecettemodificationremarquablequifaitpasserlaconsciencedupremiermode,oùelleesttournéedefaçonactuelle,ausecondmodedel’inactualitéetréciproquement.Danslepremiercas,levécuestuneconsciencepourainsidire“explicite”desonobjet,dansl’autre,uneconscienceimplicite,purementpotentielle.»

51-.HuaIII/1,§45,p.95[IDI,p.146];voiraussile§82:«chaquemaintenantquiaffecteunvécu[…]anécessairementsonhorizond’antériorité»,op.cit.,p.184[IDI,pp.277].

52-.HuaIII/1,§36,p.73[IDI,p.115](noussoulignons).

53-.HuaIII/1,§78,p.169[IDI,p.257].

54-.Husserlavaiten1905appliquéceraisonnementparl’absurdeaucasde«l’évidencedelarétention»;Cf.HuaX,p.34[LPT,§13,pp.49-50].

55-.Derrida,1965,chap.5(voirnotammentlesp.72sq.).

56-.HuaIII/1,§78,p.168[IDI,p.256].Voiraussi,au§79,p.175[IDI,p.264]:«lesphénomènesdelaréflexionsontenfaitunesphèrededonnéespures.»

57-.L’idéedelaphénoménologie,deuxièmeleçon(IP,p.54).

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58-.HuaIII/1,§46,p.96[IDI,pp.148-149].

59-.HuaIII/1,§38,p.78[IDI,p.122].

60-.Ibid.[IDI,p.123].Laperceptionimmanentevientainsisesubstitueràlaperceptioninterne,endélestantcelle-cidesachargemétaphysiqueauprofitd’uncritèrepurementphénoménologique.

61-.HuaIII/1,§46,p.97[IDI,p.149].

62-.HuaIII/1,§80,p.179[IDI,p.270].Voirégalementl’important§57:«nousnenousheurtonsnullepartaumoipurcommeàunvécuparmid’autresnimêmecommeunfragmentoriginald’unvécu[…].Lemoipursembleêtreunélémentnécessaire;l’identitéabsoluequ’ilconserveàtraverstousleschangementsréelsetpossiblesdesvécusnepermetpasdeleconsidérerenaucunsenscommeunepartieouunmomentréel(reelles)desvécusmêmes»,HuaIII/1,p.123[IDI,p.189].

63-.Voiràceproposle§37desIdeen,HuaIII/1,p.75[IDI,p.118]:«Aucogitolui-mêmeappartientun“regardsur”l’objetquiluiestimmanentetquid’autrepartjaillitdu“moi”,cemoinepouvantparconséquentjamaisfairedéfaut.»

64-.HuaIII/1,§80,p.179[IDI,p.270].

65-.HuaIII/1,§42,p.88[IDI,p.136].OncomprendicilesraisonsdecettesymétrieentrelerecoursàDieupourjustifierl’absoluitédelaperceptionparesquisse(§44,p.92[IDI,p.142])etpourrendrecomptedel’irréductibilitédelaréflexioncommecléd’accèsànospropresvécus(§79,p.175[IDI,p.265];voirlepassagequenouscitonsenconclusiondecetexte).

66-.HuaIII/1,§44,pp.91-92[IDI,pp.140-142].

67-.HuaIII/1,§42,p.88[IDI,p.137].

68-.HuaIII/1,§44,p.92[IDI,p.143].

69-.HuaIII/1,§49,p.105[IDI,p.163]:«Entrelaconscienceetlaréalitésecreuseunvéritableabîmedesens.Nousavonsd’uncôtéunêtrequis’esquisse,quinepeutjamaisêtredonnéabsolument,unêtrepurementcontingentetrelatif,del’autreunêtrenécessaireetabsolu,quiparprincipenesedonnepasparesquisseetapparence.»

70-.HuaIII/1,§55,p.120[IDI,p.183-184].

71-.HuaIII/1,§50,p.106[IDI,p.164].

72-.HuaIII/1,§51,p.108[IDI,p.167].

73-.ErreuràlaquelleHusserldonneradanslaKrisislenomd’«abstractioncomplémentaire»;HuaVI,p.81[CR,§18,p.92].

74-.HuaIII/1,§54,p.119[IDI,p.182].

75-.Voirnotammentle§7del’introductiongénérale,quiseratrèslargementréécritdanslasecondeédition,HuaXIX/1,pp.24-29[RLI,p.20-24et263-264].

76-.HuaIII/1,§73,p.153[IDI,p.234].

77-.HuaIII/1,§79,p.177[IDI,p.267].

78-.Ibid.,p.177[IDI,p.268].

79-.Ibid.,§79,p.176[IDI,p.266].

80-.Ibid.,§79,p.175[IDI,p.265].

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«Jepuretriendeplus»

(§57,§80)

AntoineGrandjean

«En tantquedonnéabsolument,ouà reconduireà ladonationdans le regardpossible a priori d’une réflexion fixative, [le Je] n’est absolument rien de secret,voiremêmedemystique.»(IDII,§22)

SelonlesIdeenI,lephénoménologueattentifauxstructuresgénéralesdelaconsciencepurenepeutquereconnaîtrequ’ilsetrouveenelle,outresesactes,unJesanslequelcesdernierssontimpossibles,enmêmetempsqu’iln’estrienendehorsd’eux1:«Jepuretriendeplus2».C’estcetteformulequenousentreprenonsd’éluciderici.Eneffet,ellen’apasseulementleméritederamasseràl’extrêmecequesonanalyse permet de déployer, et qui est la thèse husserlienne concernant le caractère égologique de laconscience.Elleestenoutrecardinale,etceenundoublesens, interneetexterne. Interne,puisqu’ellepermetdesituerlaphénoménologiedesIdeenauseindutrajetphilosophiquedeHusserllui-même,pardifférence d’avec ce qui précède l’ouvrage de 1913,mais aussi par différence d’avec ce qui le suit.Externe,puisquelareconnaissanced’unedignitétranscendantaledel’egosingulariselaphénoménologiehusserlienne par rapport à ses concurrentes. Toutes choses engagées par la question qui sera ici àl’horizonconstantdenotrepropos:quesignifie,pourletranscendantal,d’êtreégologique3?

«Je»

UnevienaturelleenpremièrepersonneLa mise hors circuit de l’attitude naturelle à la conscience, mise hors circuit qui est aussi bien

l’ouverturethématiqueduchampdesesvécuspurs,c’est-à-direcelledelasubjectivitétranscendantale,affecteuneconsciencequiexisted’embléeàlapremièrepersonne.Lavienaturelledelaconscienceestcellede«quelqu’un»quisesaisitcomme«Je4»,opérantuneexpérienceconstammentfaiteenpremièrepersonne5,danslecoursd’uneviequisedonneàluicommelasienne6.Aussilesdiversactesdecetteconscience ressortissent-ils bien au cogito7, entendu au sens large que lui donne Descartes dans ladeuxièmedesMéditations8,dontHusserlécritqu’ildénote« laconscienceentendueausensfortetseprésentantd’emblée9 » : « “Je perçois, Jeme souviens, J’imagine, Je juge, sens, désire, veux”, et de

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même tous les vécus égologiques semblables, dans leurs innombrables configurations spécifiquesfluantes10. » La matière même de l’acte phénoménologique premier s’énonce donc : cogito. Laconscience,quiestunensemblefluantdevécus11,estaussibienconsciencedecesvécuscommeautantde«Jevis».

UnJeirréductibleOr,silesensdeJeenestprofondémentaltéré,lecaractèreégologiquedelaviedelaconsciencesort

quantàluiindemnedelamisehorscircuitdesonattitudenaturelle.Cars’ilfautdistinguerleJeréduitou«pur»duJepsychiquequisevitcommevivantd’unevienaturelle, lecaractèreégologiquedelavieconsciente est quant à lui irréductible : le « je phénoménologique » ne saurait être réduit à « un rientranscendantal12».

La vie consciente comporte en effet, en son essence, une double polarité. Si toute conscience estconsciencedequelquechose,elleestnécessairement,ausenssubjectifdugénitifcettefois,conscienced’un Je13. Toute perception est perception en première personne, toute remémoration est un je mesouviens,touteimaginationestunj’imagine,toutjugementestunjejuge,toutejoieestunjemeréjouis:«en touscesactes, jesuisprésent<bin ichdabei>,actuellementprésent14. »Cettecoappartenanceduvécu et du Je excède d’ailleurs la sphère de l’actualité.Certes, un large pan de la vie de conscienceadvientenl’absencedetoutJevigilant.Maistouteconscienceassoupiedemeure,entantqueconscience,susceptibled’être rattachéeà lavied’uneconscienceéveillée,c’est-à-dire lascènesur laquelle ilestconstamment possible que le Je fasse son entrée, en quoi Husserl voit le sens véritable de la thèsekantienne qu’il reformule ainsi : « il faut que le Je pur puisse accompagner toutes mesreprésentations15 » : toutecogitatio ressortit àuncogito16,même si cen’est pas toujours surunmodeactuel.Lesvécusquinesontpasdutype«cogito»,etqui«formentlemilieugénéralpourl’actualitéégologique»,«ontaussipartauJepur,etcelui-ciàceux-là» :« ils lui“appartiennent”comme“lessiens”,ilssontsonarrière-plandeconscience,sonchampdeliberté17.»

L’orientationcaractéristiquedetoutactedeconsciencesupposeeneffetdeuxcoordonnées,le«de»thématique (intentionnalité) supposant aussi bien un « depuis ». Cette nécessité d’un depuis ne suffittoutefoispasàgarantirqu’il indiquequoiquecesoitquiaitunequelconqueconsistance.Lecaractèrecentrifugede laconsciencenepeutêtrecompriscommesacentrationvéritableque si ladiversitédesactessedonnecommedéclinaisond’uneviséeidentique,dontl’identitémêmeattestequ’ilexisteunfoyerdecettemultiplicité.Orc’estceque faitparaître la réflexion :«Tout“cogito”, toutacteprisau sensspécifique,estcaractérisécommeacteduJe,il“sortduJe”,cedernier“vit”enlui“actuellement”18.»L’intentionnalitédelaconscience,sonêtre-dirigésur,estaussibienunprocéder-de,inconcevablesansunpoint-source,«point-Je<Ich-punkt>»quiest le« terminusaquo»de tous lesactes19.Nousverronsd’ailleursque«Je»nedésignepasautrechosequecetteidentitéfocale,envertudelaquellecequiestéchappéevers l’objet est nécessairement échappéede, qui peut aussi bien être le lieu d’un retour à.L’égoïtédelaconscienceestdoncl’enversdesonintentionnalité,entantqu’intentionnalitédontl’identitéd’intentionestdonnéeàelle-même.Ilfautparsuiteluireconnaîtreunstatuteidétiquesemblable:

aucunemisehors circuit nepeut supprimer la formeducogito et biffer le sujet « pur » de l’acte : l’« être-dirigé-sur », « être-occupé-à », « prendre-position-sur », « faire l’expérience de, souffrir de », recèle nécessairement dans son essence qu’il s’agitprécisémentd’un«depuisleJe»ou,selonunfaisceaudirectifinverse,d’un«endirectionduJe»–etceJeestleJepur,auquelnulleréductionnepeutrienfaire20.

Toutvécuétantsusceptibled’apparaîtrecommeun«jevis»,etdonccommeceenquoi«Jevit»,« la relation de tout vécu au Je “pur” » peut être promue au rang de premier des « traits distinctifseidétiquesgénérauxdudomaineduvécutranscendantalementpurifié21».

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QuiestJe?Reste à savoir ce qui est visé sous le nom de Je. Répondre à cette question, c’est avant tout

circonscrirelelieudeJe.OrdeceJe,ilfautd’aborddirequ’iln’estnullepart.Iln’esteneffetpasunvécu, puisqu’il est précisément le pôle identique de tous les vécus fluants22. Il n’est pas non plus un«morceau»devécu,c’est-à-direunecomposanteréelledesvécus23,puisquelefluxdontils’agitn’estpasuncadreauseinduqueladviendraientlesvécus,maiscaractériselatexturemêmedecesderniers,quisontfluantsdepartenpart.Mais,etilnousfaudrayrevenir,cequin’estpasunvécun’estpasrien,etsileJen’estniunvécuniunepartiedevécu,c’estprécisémentparcequ’ilestpartoutoùil(y)avécu:si«leJepurnepeutenaucunsensêtreconsidérécommeélémentoumomentréeldesvécuseux-mêmes»,c’est « en tant que terme absolument identique en tout changement effectif et possible des vécus24 ».L’atopicitéduJeestcelledel’omniprésent,aumoinspotentiel,etsonomniprésenceestlecorrélatdesanécessité:si,parprincipe,toutecogitatioest«untermeéphémère»,«leJepursembleêtreuntermeprincipiellementnécessaire25».Sil’onnesauraittombersurleJeeninspectantlesvécus,s’iln’estnullepartdans le vécu, c’est donc précisément parce qu’il est partout où il y a vécu, toujours susceptibled’apparaîtrecommeun«Jevis».Sonimpossibleinscriptiontemporelleestcelledecequiestpermanentoùtoutflue.Iln’esttoutefoisprécisémentpasunpermanentdansleflux,dontl’universaliténesauraitêtreentamée.Lemoded’êtreduJen’estpasceluid’unrocdanslefleuve.LeJenes’entêtepas,etaucunemétaphorepositivetiréedel’ordredeschosesn’esticiadéquate:«LeJesembleêtrelàconstamment,etmêmenécessairement,etcetteconstancen’estmanifestementpascelled’unvécupersistantstupidement,d’une“idéefixe”»,«ilappartientbienplutôtàtoutvécuquisurvientets’écoule».Appartenanceinsignequifondeuneappartenanceinverse:leJeappartientàtoutvécudonnédecefaitcommeévénementd’uneviequiestidentiquementlasienne.

LeJeestdoncletitredel’irréductibleidentitédelavieconsciente:«Cerayonderegardchangeavec chaque cogito, rejaillissant avec le nouveau et disparaissant avec lui. Mais le Je est un termeidentique».Cetteidentitén’estd’ailleurspastantunepropriétéduJequesoncontenutoutentier,sionluiajoute sa forme de foyer d’où procèdent tous les rayons de la vie consciente : « dans toutaccomplissement d’acte résideun rayonde l’être-dirigé, que je nepeuxdécrire autrement que commeprenantsonpointdedépartdansle“Je”,quiydemeureàl’évidenceindivisetnumériquementidentique,tandisqu’ilvitdanscesmultiplesactes»26.Lavieconsciente,commevied’unJevisantdesobjets,estdoncessentiellementbipolaire,sanstoutefoisquecettebipolarisationsoithomogène27.Carlepôle-foyerégologiqueestunpôleradicalementasubstantiel,unpôlesiradicalementdépourvudepropriétéquesapolaritémêmenesignifierienpourelle-mêmesil’onprétendleséparerdesrayonsquiprocèdentdelui:«ceJepurcommepôlen’estriensanssesactes,sanssonfluxdevécu,sanslavievivantequifluepourainsidirede lui-même28» ;« le Jen’est riend’isolé.LeJene sedonnequ’avec le cogito29. »C’estpourquoi,malgrélamétaphoreprégnanteduregard30,l’analogieduJeavecl’œilnesauraitêtreadéquate.Pas seulement parce que l’analogie induirait une compréhension de l’ego comme spectateur,méconnaissantqu’ilestfoncièrementengagéenetparsesvécus(muparcequi lerepousseoul’attire,captéparcequ’ilaime,potentiellementemportédansunabîmedetristesse,etc31.).Surtoutparcequ’elleconduirait à luiattribuer l’identitédecequi serait, comme l’œil, au fondementdu regardqui serait lesien.Orenvertudesonasubstantialitéradicale,leJenestautrequel’identitédeceregardmême.Iln’estquedanslevivredechaquevécu,etn’estrienhorsdelui:«Danscetentrelacementsingulieravectous“ses”vécus,leJevivantn’esttoutefoisrienquipourraitêtreprispourlui-mêmeetdontonpourraitfaireunobjetd’étudeàpart.Abstractionfaitedeses“modesderelation”ou“modesdecomportement”,ilestcomplètementvidedecomposanteseidétiques, iln’aabsolumentaucuncontenuexplicable, il est enetpoursoiindescriptible:Jepuretriendeplus32.»

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Jesansqualité,l’uniqueestdoncsanspropriété33.SileJeestunobjet,c’est-à-direunquelquechoseet non pas rien34, il est sans teneur déterminante objective, c’est-à-dire sans propriété qui puisseconstituerlamatièred’uneprédication.OnajouteracependantquecetteinconsistanceduJecommeobjetfait précisément de lui le thème d’une description infinie. Sa vacuité qualitative a pour envers uneplénitude impossible à jamais clore, et cet indescriptible pour soi est aussi bien le décrit en toutedescription.De cequi n’est rien àpart soi,mais toujours seulement le vivant tout vécu, onne sauraitjamaisavoirfaitletour:aussiloinqu’ilyavivre,ilyaJequivit:«pourcetteraison,ildonnelieuàunemultiplicitéd’importantesdescriptions,précisémentconcernantlesmodesparticuliersselonlesquelsilestleJevivantdanslesespècesdevécusoumodesdevécusàchaquefoisconcernés35.»Enunsenspluslarge,laphénoménologieestdepartenpartunedescriptioneidétiqueduJe,maiscellequisaitquelilest,c’est-à-direlevivanttoutvécu,etriend’autre36.

UnenécessitéretardéeNivécu,nicomposanteréelledesvécus,leJenesauraitêtreditimmanent,ausensquele§41des

IdeenIdonneàceterme.Néanmoins,comme«appartenant»aufluxdevécusdontiln’esttoutefoispas,ilesthorsdequestiondeluiattribuercettetranscendancequiestcaractéristiquedeschoses.Foyerd’uneviequinepeuts’ytrouverréellementsanstoutefoispouvoirêtrelogéailleurs,vivantentoutvécusanstoutefois–ouplutôtsanspourcetteraison–pouvoirs’ytrouverjamais,leJeinquièteetdéstabiliseleprincipemêmed’unepartitionbinaire,etimposequeluisoitreconnue«unetranscendancesingulière»,«unetranscendancedansl’immanence37».

OnsaitqueHusserlacommencéparexclureceJe,sicontraignantconceptuellement,delaviepurede la conscience. Dans la première édition des Recherches logiques (1901 pour la partie qui nousintéresse),Husserl,quirevientsurcepointpours’endémarquerau§57desIdeen1,faisaitprofessiond’un«scepticisme»enmatièreégologique38,pourcettedoubleraisonqueleJe,outreledéfautdirimantd’être introuvable, aurait également celui d’être superflu. Superflu d’abord, contrairement à cequ’invoquele(néo)kantisme,quivoudraitqu’uneinstancesynthétiquesoitrequisepourassurerl’unitéduflux du vécu, alors que cette dernière lui est immanente, et en dernière instance enracinée dans latemporalité même. Dans la cinquième Recherche, Husserl refuse que cette unité du flux des vécusrequière quelque chose comme un Je, et affirme qu’elle tient dans leur seule liaison immanente, lescontenusn’allantpas sansdes loisqui régissent àchaque fois leurs interconnexions,d’oùprocède,demanièrestrictement immanente39, l’unitéd’un toutdevécusquiestceque l’onappelle le Je, etqui sefondeendernièreinstancedanslatemporalité40.Nominalismeégologiquequiidentifiestrictement«leJephénoménologique»et« lecourantde laconscience41 »ou« la complexiondevécus saisissablesdemanière réflexive42 ».Le Je n’est que le titre de l’unité des vécus, laquelle résulte de leur unificationlégale immanente, sansqu’il soitbesoind’un«principeégologique<Ichprinzip>»pour conférer uneunitéàcequienpossèdeuneparsoi.Introuvableensuiteetsurtout43,nihorsduvécucommeuntermetranscendant, ni au sein du flux qui ne recèle, précisément en vertu de sa nature de flux, aucun termeidentique.Ce qui n’est ni un objet ni un vécu n’est, pour leHusserl desRecherches, rien qui ait uneconsistance véritable.Descriptivement égologique, certes, la vie de la conscience ne peut alors êtresaisie ontologiquement comme la vie d’un Je44, et il faut dire d’elle qu’elle « n’est la pensée depersonne45».Aussibien,«leJephénoménologiquementprisn’estdoncpasquelquechosedespécifique<Eigenartiges>quiflotteraitau-dessusdesvécusmultiples,maisilestsimplementidentiqueàl’unitédeconnexion qui leur est propre46 », c’est-à-dire qu’il n’est rien hors du « “faisceau” respectif desvécus47».LeJeestsoituncontenuempirique,soitlesimpletitredel’unitérelationnelleimmanentedesvécus :Jepurn’estriendontonpuisseexclureun«deplus»,parcequ’iln’estpasmêmequelquechose.

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LasecondeéditiondesRecherches,contemporainedesIdeenI,marqueplusieursfoislarétractationdeHusserlsurcepoint48.Laquestionesttoutefoisdesavoirsurquelretraitsefondel’ajoutd’unJeàlavieconsciente.IlesttentantdepenserqueHusserlrevientsurlasuperfluitéduJe,notammentauvuducontexte dialogique, qui voit par exempleHusserl s’approprier la citation bien connue deKant sur lenécessaireaccompagnementpossibledemesreprésentationsparun identique«Jepense49»,alorsqueson scepticisme égologique s’inscrivait directement dans une polémique contre le néokantisme deNatorp50,dontilditdésormaisavoirappris51.Ilfauttoutefoisrefuserdeselaisserégarerparcecontexte,carilestclairquecen’estpascommeopérateursynthétiqueoucommefondementdel’unitédufluxquel’égoïtéestdésormaisreconnuecommeunedimensiondelapureté.L’abandonduscepticismeégologiquenesigneenaucuneunerétractationdeHusserlquantàunbesoind’unité,et leJenefaitpassonentréedanslaviedelaconscienceautitredepôlesynthétique.Husserln’affirmepasdutoutqu’ilyaitbesoind’unJepourassurerl’unitédufluxdelavieconsciente.Cequ’ilaffirmedésormais,c’estlapolarisationégologique, que tout cogito actuel rend explicite, de ce flux, dont l’unité n’a pas cessé d’êtrephénoménologiquement garantie en lui-même. Bref, pas plus en 1913 qu’auparavant, l’ego ne fondel’unité du flux, qui est d’embléeun flux, et le temps, qui est la forme originaire de la synthèse52, n’adéfinitivementnulbesoind’unprincipeextérieurquilesynthétiserait.Latemporalitédelavieconscienteexclutd’elleladiscrétion53typiquedel’atomistiquedelareprésentationqui,communeaukantismeetàl’empirismeclassique,fondeauseindupremierleréquisitsynthétique.L’unitédelavieconsciente,dontl’egodit seulement lapolarisation identique,ne saurait êtreconsidéréecommeuneperformancedecedernier, puisqu’elle a pour fondement suffisant sa propre temporalité, « ce temps phénoménologique,cetteformeunitairedetouslesvécusenunfluxduvécu(leJepurun)54».LeJenefondepasl’unitédelavie consciente. Il dit simplement l’identité déclinée en chacun des actes dont cette vie d’elle-mêmeunitaireest l’élément.S’ilestune relationde fondationentre l’unitéde laconscienceet le Je,elleestdoncbienplutôtinverse55.

Aussibien, lasuperfluitésynthétiqueduJen’estenrienatténuée,etcen’estpasàsonsujetquelaposition husserlienne a changé. Il y va en fait d’une véritable découverte ontologique, qui renverse leverdict d’abord tiré du caractère introuvable de l’ego. De fait, le tournant égologique de laphénoménologiesupposaitquesoitbriséel’identificationdusubjectifetduvécu,quandlesRecherches,accomplissantunemétonymiedontHusserlaperçoitensuitelecaractèreerroné,tiennentquel’immanenceréelle sature le sens de l’immanence56. Dans une telle topique, qui restreint le phénoménologique auvécu57,iln’yaeneffetaucuneplacepourleJepur.Pourtenirqu’ilyadavantagedanslasubjectivitéquecequ’ilyadanslevécu,ilfautquele«dans»aitunsenspluslargequel’immanenceréelle.SileJepurcesseun jourd’être introuvable, cen’est pasparcequeHusserl a fini par tomber sur lui en arpentantconsciencieusement le même domaine, mais parce qu’il a ouvert une nouvelle dimension de lasubjectivité, susceptiblede l’abriter.Dit autrement, il fallaitque soitdécouvert le sens intentionneldel’immanencepourquel’irréductibilitédescriptivedeladimensionégologiquedelaconscienceouvrelavoie à la reconnaissance de l’existence d’un Je pur. C’est donc cette découverte, qui ouvre à laphénoménologie la voie de l’idéalisme, qui lui ouvre également la voie de l’égologie. Et le tournantidéalistedelaphénoménologiedatantde1906-190758,iln’yariend’étonnantàcequecetteconceptionégologique de l’unité de la conscience s’affirme seulement ensuite59, et l’emporte relativementtardivementsurlesréticencespersistantesdeHusserl60.

LaquestionduJepurn’estdoncjamaiscelledel’unitédelavieconsciente,maiscelledel’identitéàl’œuvredanschacundesactes.Questionimposéeparleschosesmêmes,etdontlasolutionégologiquerequérait lapositionidéaliste.Enétendantl’immanenceàl’immanenceintentionnelle,Husserl incluteneffettoutobjetdanslasubjectivité.Certes,latranscendancedansl’immanencequiestcelleduJen’estpaslatranscendanceintentionnelledunoème,puisqu’ellen’estpascelledecequiestvécu,maiscelledequivit.Toutefois,enpensant toute transcendancecomme immanence intentionnelle,Husserldécouvrait

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un régime irréel de transcendance qui pouvait constituer une dimension d’accueil pour cettetranscendancedansl’immanencequicaractérisel’ego,etnulautre.S’ilrestealorsducheminàparcourir,l’ouvertured’unlieud’accueilpourleJe,doubléedel’irréductibilitédescriptivedelaformeégologiquedelavieconsciente,nepouvaitqu’inciterHusserlàl’emprunter.Lerefluxduscepticismehusserlienenmatière égologique ne signifie aucunement un scrupule devant son anti-néokantisme, mais bien laconséquence de l’adoption d’une nouvelle position ontologique : c’est la découverte de l’immanenceintentionnelledelatranscendanceobjectivequiouvraitlavoiedel’inventiond’unetranscendancedeladimensionsubjectivedel’immanencemême.Sansenfaireunthéorème,mêmes’ilvaudrait lapeinedetester la chose sur d’autres perspectives, il nous semble donc légitime d’affirmer que l’idéalisme(immanencedutranscendant)etletraitégologiquedelaphénoménologiehusserlienne(unetranscendancedansl’immanence)sontlesdeuxfaces,certesaucunementidentifiables,d’unemêmeinvention,quin’estautrequecellel’excèsdel’immanentparrapportauvécu,oud’unrégimeirréeld’immanence.

«Pur»Que le Je en question soit pur, cela signifie qu’il s’agit du Je réduit61, distingué d’une impureté

synonymedemondanité,c’est-à-diredu«Jehumain62»oupsychique.La«subjectivitéempirique63»esteneffetunmomentdumondelui-même,desortequele«“Je,l’homme”64»subitlamisehorscircuit.LeJequiapparaîtsousréductionn’estdoncpasl’egoausensnaturel,cequisignifieetquel’egoabienunsens pour le transcendantal, et qu’il y a un sens transcendantal d’ego. Si le premier point a déjà étéexpliqué,c’estverslesecondqu’ilnousfautdésormaisnoustourner.

Partons,pourbiencomprendrelesdonnéesduproblème,d’unecaractérisationplustardive.DanslesMéditations cartésiennes, Husserl écrit que dans « l’expérience de soi transcendantalo-phénoménologique65»,jenesuis«plus»celuiquej’étais66.Celasignifietroischoses:1)dansl’attitudenaturelle,jemevivaiscommeunepartiedumonde2)dansl’attitudetranscendantale,«je»m’apparaiscettefoiscommecequifaitquelemondeapparaît3)ilyatoutefoissuffisammentdecontinuitéentrelesdeuxpourquejepuissedirequej’étaisceluiquejenesuisplus!LeJepsychiqueetleJepurnesontpassanslien,puisquel’unpeutviserl’autrecommesonproprepassé.Ilyvadoncd’unenon-synonymiequin’est pas une pure et simple homonymie, tout le problème étant de la penser positivement. «Rapportdifficile,etmêmeparadoxal67»,queceluidutranscendantalaumondaintelqu’ilsemblesenouerdansuneseuleetmêmeinstance,quiplusestcellequiditprécisémentl’identité:Je.D’oùle«paradoxe68»que constitue cet apparent chiasme phénoménologique d’un Je qui, comme transcendantal, constitue lemondedanslequelilsetrouvecommepsychique:«est-cequejenedispasdeuxfoisJe69»?

Cetteéquivoquesanshomonymies’expliqueparlaradicalitédel’incarnation,envertudelaquelleleJe pur s’apparaît sous les traits mondains d’un psychisme. L’incarnation est en effet « ré-alisation<Realisierung>»70delaconscienceenâme.Carsil’égoïtéestuntraiteidétiquedelaconscience,leJepurn’estpasuneconsciencedesurvol.IlesttoujoursJed’uncorps,ausensd’abordoùilestdepuisuncorps.Maislaradicalitéphénoménologiquedel’incarnationfaitquelesenslocaldelapréposition(de=depuis)sefaitsensd’appartenance(de=génitif).LecorpsdepuislequelleJevit,étantirréductiblementsonlieu,estbiencecorpsquiestlesien,etdontils’objectivecommeétantleJe,pôledesphénomènespsychiques,aussimondainquelachair(Leib)horsdelaquellelepsychismeseraitintrouvable71.TelestleJepsychique,sujetidentiquedontcequi,auniveautranscendantal,estsaisicommevécupur,advientàchaque foiscommeunepropriétéouunétatd’âme,«état<Zuständlichkeit>de conscienced’un sujetégologique ré-el identique72 », saisi « dans son unité avec la chair apparaissante ». Si l’on parlecommunémentd’«étatsd’âme»,onpourraitaussibiendirequel’âmeestlaconscienceviséecommelemilieudesétatsd’unsujetincarné.Letranscendantalnefaitd’unecertainemanièrequ’unaveccequ’ilconstitue,leJepsychiquen’étantquelamanièredontleJepurs’apparaîtd’êtreincarné.

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Contre tout psychologisme transcendantal, cette espèce du réalisme transcendantal qui consiste àprendre la ré-alité qu’est l’âme pour le sujet transcendantal, il ne faut toutefois pas se contenter derappelerconstammentquelaconsciencepuren’estpasl’âme.Ilfautlefaire,carcettedernière,siellepeutserecueillirenelle-même73etainsis’isolerdurestedumonde,n’estpascequiresteunefois lemondesuspendu;elleenfaitpartie74,etc’estcorpsetâme(âmeparcequecorps)quel’hommesetrouvedans laparenthèse. Il faut toutefoisallerplus loin, car si le transcendantaln’estpas lepsychique, sonsens d’égoïté n’est pas non plus principiellement identique à celui du Je psychique, lequel n’est passeulementunJecharnel,maisunJecharnelparmid’autres.Or,siletranscendantaln’estpascharnel,iln’estpasnonplusprincipiellementintersubjectif,puisqu’ilestprincipedel’intersubjectivitémême.Lesensd’ego du transcendantal doit donc être compris commeun sens transcendantal d’ego. Le Je purn’est pas ce qui reste de l’attitude naturelle sous réduction. Il n’est pas une limite à la réduction. Iln’apparaît,ensapureté,quesoussacondition75.

En effet, le Je pur n’est pasd’emblée la première personne. Il est d’abord la personne, si par cetermeonentend l’étant auquel apparaît sapropre identité à soi, oubien strictement impersonnel, si lapersonnalité désigne cette fois une identité qui n’a de sens que différentiel76. Le Je de l’individuempiriquecontingentestlui-mêmeconstituéparleJepurqui,précisémentparcequ’ilestsingulier,n’estpas, du moins dans un premier temps, particulier. Comme Husserl l’écrira dans la Krisis, le « Jeoriginaire<Ur-Ich>77»n’estpas«leJedespronomspersonnels78»,quin’apasdesenssansunTu.Iln’estpasunJe,maisleJe79,etc’estseulementdanslaconstitutiondel’alteregoqu’il s’auto-constitueaussi bien comme première personne. L’égoïté précède donc la personnalité : le sens personnel del’égoïté est un sens second, que le Je pur se donne, au gré d’une auto-personnalisation strictementcontemporainedesaconstitutiondel’altérité.

«Etriendeplus»:latransparencedel’egoRappelons la restrictionméthodique liée à l’exigence phénoménologique : le Je n’a droit de cité

phénoménologique que pour ce qui, de lui, ressortit à la sphère des données réduites évidentes80.N’accepterduJepurquesonégoïté«etriendeplus»,cen’est toutefoispasexcluredeluicequiluiappartiendrait sans relever de l’évidence. C’est nier que quoi que ce soit lui revienne, sinon cetteévidenteégoïté,pourmarquerl’indescriptibilitéensoi-mêmedecequin’estrienhorsdesonimplicationenchaquevécuactuel,avecsondoublehorizond’inactualité.LesIdeenthématisentunegoradicalementtransparent, dont au fond l’absolue nécessité se paye d’une pauvreté radicale. L’adéquationcaractéristiquedesonévidence,quiexclutqu’ilyaitquoiquecesoit«deplus»queledonnéenacte,excèdeeneffetcellequirevientengénéralàlasphèredesvécus.Cettedernièresignifiequeduvécu,toutse tient d’emblée sous le regard, par différence avec la transcendance ré-elle, qui se donnenécessairementenesquisses,etdonctoujoursdemanièreinadéquate.MaissiduJe,toutestlàd’emblée,c’estparcequ’iln’arienàdonner.Àl’excèsdelachoseetàlacomplétudeduvécu,ilfautdoncajouterl’adéquationduvide,caractéristiquedel’ego.

LeJe,quin’estrienquisoitisolabledesonvivre,n’apasmêmealorslaconsistanced’unstyle,carriendecequ’ilvitne leconfigure lui-même.L’indéfaisableentrelacsJe-vécusne tramepas le Je lui-même. C’est pourquoi sa vacuité statique ne saurait d’ailleurs être dynamiquement relevée. Sil’inadéquation du ré-el peut se redoubler, son historicité s’ajoutant à sa perpétuelle donation enesquisses,leJedesIdeennes’augmented’aucunehistoire.Husserlexclutàl’époquetoutehistoricitéduJepur,etreversepropriétés,dispositionsetdiverscaractèresauchampré-el:sil’hommeauncaractère,une histoire et des aptitudes, le Je pur n’en a pas, lui qui au fond n’a rien, puisqu’il est tout entierperformance de fonctions : «En tant que Je pur, il ne recèle aucune richesse intérieure cachée, il estabsolumentsimple,ilestabsolumentmanifeste,touterichesseconsistedanslecogitoetdanslemodede

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la fonction qui peut y être saisi de manière adéquate81. » La dimension réflexive de la méthodephénoménologique ne saurait donc être confondue avec une entreprise introspective, y comprisl’hypothèquepsychologisteunefoislevée.Cariln’ya,concernantleJe,rienàentreprendre.«Etriendeplus»neditpasquetoutaététrouvé,maisqu’iln’yarienàchercher,entermesdepropriétésdeceJe.L’expressionneconclutpas l’enquête,elle l’exclut.Un actede réflexion, etdu Je toutestvu :«poursavoirqueleJepurestetcequ’ilest,aucuneaccumulation,sigrandesoit-elle,d’expériencesdesoinepeutm’instruiredavantagequel’expériencesingulièred’unsimpleetuniquecogito82.»

Le caractère inaugural et définitif de ce « et rien de plus » sera toutefois remis en cause par lesdéveloppementsgénétiquesetmonadologiquesplus tardifsde laphénoménologie83.Lorsqu’il écrit que«leJequifonctionnecommecentren’estpasunpôled’identitévide84»,Husserlprocèdeàunemiseaupointdirectementdirigéecontrel’affirmationdu§80.L’egopur,eneffet,n’estpasunJesanshistoire.Laquestion de l’auto-constitution de l’ego ne saurait être suffisamment résolue par sa référence à latemporalitéphénoménologique,prisecommesimplesurgissementduflux.Ellenepeutl’êtrequedansuneconfigurationhistoriquedecettetemporalité,commeélémentd’unevéritablegenèse.Defait,sitoutvécuettoutacteestsituédansunfluxtemporel,lemaintenantd’avantnedisparaîtpaspurementetsimplementauprofitdumaintenantd’après.Chaque«prestation»,c’est-à-direchaqueacteconstituant,situéeenunpointduflux,persistedanslespointssuivants,autitredecequiestadvenu,enmêmetempsqu’elleouvresur un avenir qui n’est pas pleinement indéterminé.Toutes ses « prestations », qui sont à chaque foismotivées–enquoiellesattestenttoujoursd’unemanièred’êtremotivépropreàl’ego,c’est-à-dired’unstylequiluirevientsingulièrement85–etderechefmotivantes,particularisentlaconscienceconstituante,qui se constitue ainsi en sa particularité,dans ses œuvres : ses prestations particulières constituent àchaque fois la conscience comme conscience particulière, d’ainsi constituer86. La particularité desconstitutionsparlaconscienceestconstitutiondesaparticularitéparlaconscience.L’ego, inséparabledesesvécus,enestdèslorslepôleidentiquemaisnonvide.Carchaquenouvelleconstitutiondesensestipso facto constitution d’une propriété de l’ego constituant, comme ego ayant (déjà) constitué cela.Toute constitution donne lieu à une sédimentation, à un habitus87, c’est-à-dire à un acquis durable etsusceptibled’êtreréactualisé,lequelestnécessairementl’habitusd’unJe,quiestaussibienleJedecethabitus. « Substrat d’habitus88 », le Je pur s’étoffe ainsi au fil de ses constitutions, et se singularised’autant, l’histoire de ses constitutions étant du même coup l’histoire de son auto-constitution.L’identitéduJen’estpascelleduvide.Elledoitêtrecomprisecomme identitédeconséquence (dontl’inconséquence n’est qu’unmode)89 ; conséquence non pasavecsoi,mais comme la formemême deconstitutiondecesoi,quinese tientpasenarrièred’elle.Bref, toutessesconstitutionsconstituent laconsciencecommeindividualitéinsubstituable,c’est-à-direquetouteconsciencesefaitadvenircommemonade90,laquelle,commeLeibnizledisaitd’aborddelasubstance,inclutausensleplusforttoussesprédicats:sesconstitutionspasséeslaconstituentetpré-esquissentdansunecertainemesuresesactesàvenir.

Il est, pour le Je pur, de l’irrévocablement sien qui circonscrit son avenir. Chaque acte de laconscience impliqueendernièreanalyseunavoir decette conscience,par lequel ellen’estpas lepurfairesanshistoireettoujoursvierged’uncentrefonctionnelvide,maiscequ’elleafait,quiengagedoncsonêtretelleoutelle,c’est-à-direaussibienunêtreuntel,sansquecetteidentitésoitd’ordreempirique.Bref,danslefluxtemporeladvient«uneunitédelagenèseuniverselledel’ego»,et«l’egoseconstituepour lui-mêmeenquelque sorte dans l’unité d’une “histoire”91 ».Cettehistoricité du transcendantal,thématiséedanslecadredelaphénoménologiegénétique,permetdoncdedépasserl’alternativeduJepurvideetduJepsychiqueconcret : le transcendantalestprocèsd’individuation92et leJeadvient,ensonidentitéconcrète,dansl’histoiredesaconstitutiondumonde.

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Riendetrop?L’existencenaturelleestd’embléevieenpremièrepersonne.Mais,dumêmecoup,letranscendantal

se laisse au fond donner son caractère égologique depuis un autre. Husserl ne procède pas dutranscendantalàl’égologique,maisd’unevienaturelleégologiqueautranscendantal.PoserlaquestiondesavoirsileJepurneconstituepas,pourlasphèrephénoménologique,quelquechosedetrop,c’estdoncinterroger pour finir une certaine continuité égologique entre attitude naturelle et attitudephénoménologique,continuitédontonapusedemandersiellenesignepasuneéventuelledéficienceenradicalité.

Continuité thématique relatived’abord.Ellene signifiepasque la réceptionphénoménologiquedutraitégologiquede lavieconscientesoitpurepassivité.Husserl s’interrogebien,nous l’avonsvu,surl’éventuelleréductibilité,laconsistanceetl’identitédeceJe,qu’ilfautdistinguerduJepsychique,etcejusquedanssonsensd’égoïté.Iln’empêchequel’attitudephénoménologiqueselaissedonnerl’identitédelavieconscientecommeviedeJe.Àcetitre,onpeutdirequelathématisationduJesousréductionnesignifiepasunereprisedel’égologiquesouslesespècesdusimplephénomène,maislaréaffirmationdesapertinenceauplantranscendantal93.Larépétitionpost-réductionn’estpasiciunereconsidérationentreparenthèses;ellen’estpasuneprécisiondustatutduvisé,maisuneprécisiondustatuttranscendantaldecequisedonnaitendeçàdelaréduction.Enmatièreégologique,larépétitionn’estpasunchangementdesigne,elleestuneélévation.

Continuité formelle ensuite, qui redouble le risque d’un biais naturel dans la considération dutranscendantal.Carsilaviedelaconsciencepurereçoitsonsenségologiquedelavienaturelledecettedernière,l’actephénoménologisantquipermetd’enprendrelamesuren’estlui-mêmequelaprolongationdel’actenaturelparlequelleJeapparaît.Autrementdit,l’actephénoménologisantquipermetdesaisirlavie de la conscience pure dans une présence intuitive ne fait que prolonger celui par lequel la vienaturelledelaconsciencesesaisitcommevied’unJe.Lerisqueestalorsd’attribuerautranscendantalcequin’estqu’uneffetdeprojectionnaturelle.

Cetacte,dontlapossibilitéestnécessairementimpliquéeparl’êtredetoutvécu,etquifaitparaîtrelarelation de tout vécu à ce Je qui n’en est pas un, n’est autre que la réflexion94. En effet, tout vécu deconsciencepeutdevenirl’objetd’unnouveauvécuquileprendpourthème,c’est-à-direl’objetd’unvécuderéflexion,siparlàonentendlaconversiondelaconscienceverselle-même.L’êtreduvécu,c’est-à-dire de tout événement de conscience, fait qu’il peut être réfléchi95, et ce dans une réflexion de typeintuitifàlaquelleilsedonneenpersonneensaprésenceoriginaire.AussibienHusserlpouvait-ilécrire,dès l’ouverture de l’ouvrage, et comme si la chose allait tout simplement de soi : «Nous avons uneexpérience originaire de nous-même et de nos états de conscience dans la perception dite interne ouperceptiondesoi96.»PerceptionqueHusserl,àladifférencedeBrentano,préfèredire«immanente»,etqui, si ellepeut êtremoinsclaire etplus fugitiveque laperception transcendante97, est cependant toutaussiperceptivequ’elle,etseulesusceptibled’adéquation.

Orc’estbiencette réflexionnaturelle qui est le lieud’apparaîtredu Jeempiriqueà lui-même.Eneffet, et tout d’abord, c’est lorsqu’il est réfléchi que le vécu apparaît comme un Je vis, c’est-à-direcommeunvécuduJeausenssubjectifdugénitif.Seule laréflexionmanifeste lecaractèreentièrementégologique de la vie de conscience.Voir un pommier en fleurs n’est pas le voir comme objet demavision.C’est-à-direque,voircepommier,cen’estnivoircettevisiondupommier,nimevoirlevoyant.Orc’estcequeHusserlaffirmeégalementduJepur:laréflexion,renduepossibleparl’essenceduvécu,estdoncrequisepourfaireparaîtrelarelationauJeinclusedanstoutvécu98.Laréflexionestcetactequifaitparaîtreletraitégologiquedetouslesvécusengénéral,ycomprisceuxoùleJeestd’unecertainemanièreoublieuxdelui-même99.Mieux:laréflexionnemanifestepasseulementlecaractèreégologiquedutranscendantal.Elledonne,sansreste,l’egoquipolariselaviedeconscience.Levécuréfléchissant

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estaussibienlevécuduJe,ausensobjectifdugénitifcettefois100.Orl’actederéflexionsecaractériseselonHusserl par son immédiation101, laquelle autorise la stricte identité du Je réfléchissant et du Jeréfléchi, identité intuitive du sujet de l’acte et de son objet qui place cette intuition de réflexion auxparagesdel’intuitionintellectuelletellequel’idéalismeallemandapulathématiser:«LeJepurpeutêtre posé sur le mode de l’objet par le Je pur, identiquement le même102. » La réflexion, lieu decoïncidencephénoménologiqueentrecequifaitapparaîtreetl’apparaissant,estlaréfutationenactedesscrupulesquipouvaientanimerNatorp:lefoyerdetouteobjectivationadvientbiencommeobjetdesoi,pour autant que l’on n’accepte pas, par unemétonymie indue, que l’objet chosique sature le sens del’objectité.

Danscesconditions,silaquestiond’unéventuelbiaisnatureldanslaconsidérationdutranscendantalse pose, c’est parce que l’acte phénoménologisant, bien qu’il s’adosse à la rupture thématiquementradicalequeconstitue l’épokhè,n’endemeurepasmoins leprolongementdecette réflexionnaturelle,elle-mêmerenduepossiblepar laréflexivitépotentiellenécessairement inclusedans lemoded’êtredetoutvécu:«laméthodephénoménologiquesemeutintégralementparmilesactesderéflexion103»,dontl’espèce « transcendantale » ou « pure » (sous épokhè) n’en participe pasmoins dumême genre quel’espèce«naturelle104».

Cette permanence dans la révolution peut nourrir le soupçon. Car si l’apparaître du Je estnécessairementréflexif,etsilaréflexionestunactequin’estpasexclusivementphénoménologique,maisaussibiennaturel,lapertinenceindiscutabledupremierdépenddelavalidationphénoménologiquedelaseconde.Cettevalidation tientdans la reconnaissancede l’immédiationcaractéristiquede la réflexion,elle-mêmeadosséeàlatemporalitéduvécu.Cettedernièregarantiteneffetl’absencedetoutesolutiondecontinuitéentrelevécupré-réflexifetlevécuréfléchi.Car«auprésentfluantdemanièrevivantelui-même appartient toujours un domaine de passé immédiatement conscient105 » et « il appartient àl’essencedel’intuitiondutempsqu’ellesoitenchaquepointdesadurée[…]consciencedutoutjustepassé, et non simplement conscience du point-maintenant du terme objectif apparaissant commedurant106».Larétention,comme«conscience-d’-encore107»,enfaisantquel’onpeutseretournersurlevécusansl’avoir«lâché»,assurelacontinuitédupré-réfléchietdelaréflexion,enl’absencedetouteruptureentreleprésent(delaréflexion)etletout-justepasséréfléchi108.AussiHusserlpouvait-ilécrireque « toutes les objections qui ont été élevées contre la méthode de la réflexion s’expliquent par laméconnaissance de la constitution essentielle de la conscience109 », à savoir de sa temporalité. Larétentiongarantitqueréflexionetprésencenes’excluentpas,ouencorequelaréflexion,quiestbienunemodification, ne signifie toutefois aucune médiation, ce dont Husserl tire comme conséquence quel’objectivationréflexivenepeutsignifierunealtérationduréfléchi,etd’oùprocède«ledroitabsoludelaréflexionpercevantdemanièreimmanente,c’est-à-diredelaperceptionimmanentepureetsimple110».

Onnoterasimplementquecettegarantierétentionnelledelavaliditéabsoluedelaréflexion,etdoncdu caractère égologique du phénoménologique, peut ne pas sembler absolument définitive.Car si elleexpliqueque la réflexionn’apasbesoind’unemise àdistancepour être instituée, elle ne suffit pas àexcluretouteprisededistancedufaitdelaréflexion.End’autres termes,quelaréflexionnerequièrepasd’altération (que l’altérationnesoitpasuneconditionde la réflexion),celanegarantitpasque laréflexionn’enproduise pas (que l’altérationne soit pas un effet de réflexion).La rétentiongarantit laréflexiondetoutevacuité,sansassurerl’êtreinaltéréduréfléchi.

L’argument antisceptique général, qui consiste à lui attribuer une manière de contradictionperformative, et que Husserl mobilise sur ce cas particulier111, ne nous semble pas loin d’être unsophisme:nulbesoin,pourmettreendoutelaportéeimmédiatementrévélantedelaréflexion,demesurereffectivement– et doncdansune réflexion– le réfléchi à l’irréfléchi.Car cette suspicionn’inclut pasnécessairement une thèse d’altération. Savoir qu’il y a de la réflexion, qu’il y a du réfléchi et del’irréfléchi,etlesavoirparréflexion,cen’estaucunementprétendresavoirdansl’évidencecequesont

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cestroistermes.Ilincombebienplutôtautenantdelaportéeimmédiatementrévélantedelaréflexiondel’établir!Et,pourcefaire,ilfaudraitmontrerquerétentionetréflexionsonthomologues,cequinevaaucunementdesoi.Eneffet,àladifférencedelaréflexion,larétentionn’estenrienobjectivante,desorteque si la rétention fournit à la réflexion son sol matériel, les deux actes rétentionnel et réflexif sonttotalement hétérogènes : « la rétention elle-même n’est pas un regard en arrière qui fait de la phaseécouléeunobjet112»;ilyalà«unnouvelacte»,enquoiconsisteprécisémentlaréflexion.Ladifficulténe nous semble donc pas suffisamment tranchée. Car si la rétention ménage l’espace matériellementcontinudelaréflexion,ellenegarantitenrienlecaractèrenonperturbateurdesaforme.Etsisaformeavait notamment cet effet de matière insigne : faire advenir l’évidence de l’ego, en plus ? Et si la«merveilledesmerveilles»113était,pourunepartaumoins,unsortilègedelaréflexion?C’estcequenombredessuccesseursdeHusserlpersisterontàpenser,surdesmodesd’ailleursdivergents.

RéférencesbibliographiquesBenoistJocelyn(1994),AutourdeHusserl.L’egoetlaraison,Paris,Vrin.HoussetEmmanuel(2000),Husserletl’énigmedumonde,Paris,Seuil.MarbachEduard(1974),DasProblemdesIchinderPhänomenologieHusserls,DenHaag,Nijhoff.PradelleDominique(2006),«Monadologieetphénoménologie»,inPhilosophie,no92,p.56-85.

1-.Cf.HuaIV,§22,p.99[IDII,p.150]:«Ici,d’unepartleJepurestcertesàdistinguerdesacteseux-mêmes,entantqueceluiquifonctionneeneux,quiàtraverseuxserapporteàdesobjets;maisd’autrepartc’estseulementabstraitementqu’ilestàdistinguer.Abstraitement,danslamesureoùilnepeutêtrepensécommequelquechosedeséparédecesvécus,desa“vie”–exactementcomme,àl’inverse,cesvécusnesontpaspensables,sinonentantquemediumdelavieégologique<desIchlebens>.»NoustraduisonslestextesdeHusserlquenouscitons.Précisonsquel’allemandnedisposequed’unterme,«Ich»,pourmarquercequelefrançaisdédoubleen«je»et«moi».L’utilisationdusecondpourrendrele«Ich»quiaunesignificationsubstantive(«lemoi»)auraitl’avantaged’allégerlepropos,sansproduired’effetd’étrangeté.Maiscetavantagesepayed’aumoinsdeuxinconvénients:lerisquededonneràsupposerqueletexteallemandluiaussidédouble«je»et«moi»;ledangerd’uneententesubstantialistecettefois,decequi,onleverra,n’estqu’unfoyerfonctionnel,«etriendeplus».Nousavonsdoncprislepartidetraduire«Ich»parun«Je»,certespastoujourstrèsélégant.

2-.HuaIII/1,§80,p.179[IDI,p.271].

3-.Questionqu’ilfautbiensûrentendreenéchoàcellequeposeJocelynBenoist(1994,p.41-61):«Quesignifie,pourlesujet,d’être“transcendantal”?»

4-.HuaIII/1,§28,p.59[IDI,p.92].

5-.Cf.HuaIII/1,§27,p.56[IDI,p.87sq.]:«J’aiconscienced’unmonde…»,«jeletrouvedemanièreimmédiatementintuitive,j’enail’expérience»,«leschosescorporellessonttoutsimplementlàpourmoi»,« lesêtresanimésaussi,commeleshommes,sont immédiatement làpourmoi ; je les regarde, je lesvois, j’entendsqu’ilsarrivent,jelesprendsparlamain;enleurparlant,jecomprendsimmédiatementcequ’ilssereprésententetpensent,quelssentimentsnaissenteneux,cequ’ilssouhaitentouveulent»,etc.

6-.Cf.HuaIII/1,§28,p.59[IDI,p.91]:«Danslecoursnatureldelavie,jevis…»;HuaXIII,§1,p.112sq.[PFP,p.90].

7-.HuaIII/1,§28,p.59[IDI,p.91].

8-.Descartes,Méditations,II,AT.IX-1,p.22:«Qu’est-cequ’unechosequipense?C’est-à-direunechosequidoute,quiconçoit,quiaffirme,quinie,quiveut,quineveutpas,quiimagineaussi,etquisent.»

9-.Ce«sensfort»estàdistinguerdu«senstrèslarge»,quidénotel’ensembledetouslesvécus(HuaIII/1,§33,p.67[IDI,p.107].

10-.HuaIII/1,§34,p.70[IDI,p.110].

11-.HuaIII/1,§33,p.67[IDI,p.107];§49,p.104[IDI,p.162].

12-.HuaIII/1,§57,p.123[IDI,p.188].

13-.CommeHusserll’écriraen1929,«touteconscienceestconsciencedemonJe»(HuaIX,AmsterdamerVorträge,§7,p.315[PsyPh,p.257];citéparJ.Benoist,«Qu’est-cequel’egotranscendantal?(AutourdesmanuscritsdelasérieC)»,inop.cit.,p.19).

14-.HuaIII/1,§80,p.179[IDI,p.270].

15-.HuaIV,§26,p.108[IDII,p.161].

16-.HuaIII/1,§57,p.123[IDI,p.189].

17-.HuaIII/1,§80,p.179[IDI,p.270].Voiraussi§57,p.123[IDI,p.190]:«Danstoutcogitoactuel[leJepur]vitsavieenunsensparticulier,maistouslesvécusd’arrière-planluiappartiennentaussi,etluiàeux.»

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18-.HuaIII/1,§80,p.178[IDI,p.269].Voiraussi§37,p.75[IDI,p.118]:«Aucogitolui-mêmeappartient,commeluiétantimmanent,un“regard-sur”l’objet,regardquid’autrepartjaillitdu“Je”,lequelnepeutdoncjamaisfairedéfaut.»

19-.HuaIV,§25,p.105[IDII,p.158].

20-.HuaIII/1,§80,p.179[IDI,p.270].

21-.HuaIII/1,§80,p.178[IDI,p.269].

22-.HuaIII/1,§57,p.123[IDI,p.189].VoiraussiHuaIX,§41,p.208[PsyPh,p.195].

23-.VoirparexempleHuaIV,§23,p.102sq.[IDII,p.154sq.].

24-.HuaIII/1,§57,p.123[IDI,p.189].VoiraussiMsKII4,p.43b(citéparMarbach,1974,p.304):«Danslaconscience,leJeestpartout».

25-.HuaIII/1,§57,p.123[IDI,p.189].

26-.HuaIV,§22,p.98[IDII,p.148].

27-.CfHuaXIV,Nr.2(1920-1921),p.30[SI-2,p.477]:leJeest«dansunecertainemesureanalogueaupôleobjectif(pôled’affection,pôlethématique,etc.),quiestcequ’ilestcommesupport,substratd’accidents,d’attributschangeants.Etpourtantilesttoutautrechose:lepôle-Je<Ichpol>estcequ’ilestnonpascommesupport,commesubstratpourl’actionetl’affection,etc.,maisprécisémentJe,pointd’applicationd’unrayonnement,centredefonctionpourlesaffections,pointderayonnement,centred’activités,d’actes.Ilest“dans”sesétats[…]et“dans”sesactesquisedirigent…».

28-.MsEIII2(1920-1921),p.5a(citéparMarbach,op.cit.,p.303).

29-.MsKII4(entre1913et1916),p.43b(citéparMarbach,Ibid).

30-.VoirparexempleHuaIII/1,§57,p.123[IDI,p.189]:«son“regard<Blick>”seportesurl’objectif“àtravers”chaquecogitoactuel.»

31-.Cf.HuaIV,§22,p.98[IDII,p.148sq.].

32-.HuaIII/1,§80,p.179[IDI,p.270sq.].

33-.Cf.HuaXIV,BeilageII(1921),p.43[SI-2,p.494]:«LeJen’estriend’autrequepôlesansqualitéd’actes,ettiretoutessesdéterminationsdecettepolarité»;Nr2,p.29[SI-2,p.476sq.] :«LeJeestuncentrefonctionnelquipeutàchaquefoisêtrelecentrefonctionneld’unefonction[…]NousavonsainsiunJeidentique,quitoutefoisn’estrienpourlui-même,quiest,ensoietpoursoi,considéréabstraitement,entièrementvidedecontenu,quiconsidéréenetpoursoipossèdeseulementcetraitpropreetuniverselspécifiqued’êtreuncentrefonctionnelengénéraletici,dansceflux,d’êtresoncentrefonctionnelengénéral.»

34-.Surladéfinitiondel’objetcommeunquelquechose,voirparexempleHuaIII/1,§10,p.27[IDI,p.40];§13,p.31[IDI,p.48];§22,p.47[IDI,p.73].

35-.HuaIII/1,§80,p.180[IDI,p.271].D’oùl’irréductiblepertinenceduthèmeégologiqueétroitemententendu,souslesespècesdu«Jepurduvivre<dasreineIchdesErlebens>»distinguédu«vécului-même»,ladistinctiondemeurantphénoménologiquementlégitimeetnécessaire,malgréleurirréductibleentrelacs.

36-.Cf.HuaIX,AmsterdamerVorträge,§7,p.315[PsyPh,p.257]:«lecentreégologiquepurphénoménologiqueestunthèmephénoménologiqueimportant,ets’entrelaçantendernièreinstanceàtoutautre.»

37-.HuaIII/1,§57,p.124[IDI,p.190].VoiraussiMsFIII1,p.3a(citéparMarbach,op.cit.,p.127).Cettetranscendanceestparailleursl’objetd’uneapparentehésitationdeHusserlqui,commençantparaffirmerqu’elleest«nonconstituée»(Ib.),annonceensuiteuneconstitutiondel’egolui-même,toutenlalaissantdecôtéetensecontentantdemarquerqu’elleaàvoiravecl’absoluqu’estlatemporalité(HuaIII/1,§81,p.182[IDI,p.274]).CommelenoteMarbach(op.cit.,p.212),Husserlad’ailleursremplacé,dansl’undesesexemplairespersonnels,«nonconstituée»par«enuncertainsensnonconstituée»(HuaIII,p.502).Cequiestexclun’estdoncpastant laconstitutionduJequesaconstitutionàpartird’unemultiplicité(MsFIII1,p.6a),c’est-à-direlecaractèreconstitutivementdérivédesonsensd’identité.

38-.HuaIII/1,§57,p.124[IDI,p.190].

39-.Letraitantikantiendecesnotesestd’ailleursgénéralisé,puisquelecaractèreimmanentdelalégalité–etdoncdel’unité–dumultipleexclut«icicommeailleurs»,c’est-à-direaussibienpourl’unitéégologiquequepourl’unitéobjectale,lanécessitéd’unopérateursynthétiqueextérieuraumultipleunifié(HuaXIX/1,V,§4,p.364[RLII-2,p.153]).

40-.HuaXIX/1,V,§6,p.369[RLII-2,p.158].

41-.HuaXIX/1,V,§4,p.363[RLII-2,p.152].

42-.HuaXIX/1,V,§8,p.374[RLII-2,p.161].

43-.Ib.

44-.HuaXIX/1,V,§12,p.391[RLII-2,p.179sq.]:«Dansladescription,onnepeutéluderlarelationauJevivant;maislevécului-mêmeàchaquefoisconcernéneconsistepasenunecomplexionquicontiendraitlareprésentationégologiquecommevécupartiel».

45-.HuaXVI,§13,p.41[CE,p.64].

46-.HuaXIX/1,V,§4,p.363sq.[RLII-2,p.153].

47-.HuaXIX/1,V,§12,p.390[RLII-2,p.179].Commeonlesait,HusserlrencontreicileHumeduTraitédelanaturehumaine(I,IV,6,trad.P.BarangeretPh.Saltel,Paris,GF,1995,p.344).

48-.HuaXIX/1,V,§4,p.364[RLII-2,p.153];§6,p.368[RLII-2,p.157];§8,p.374[RLII-2,p.161];§8,p.376[RLII-2,p.163];§12,p.391[RLII-2,p.180].

49-.HuaIII/1,§57,p.123[IDI,p.190](onnoteraquecetexteneconcerneaucunementlanécessitéd’unefonctionsynthétiqueégologique,mais,cequiesttoutautrechose,l’appartenancedelasphèredel’inactualitéauJe).Parmilestextesplusanciens,quivoyaientacontrarioHusserls’opposerfrontalementàlathématisationkantienne

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du«Jepense»,onpeutciternotammentlaLettreàHockingdu7septembre1903(HuaDokumente,III.III,p.147sq.)etHuaVII,BeilageXX(1908),p.387.L’assignationexclusivementempiriquedel’egofaitalorssystèmeavecl’interprétationanthropologiquedelasubjectivitéthématiséeparKant.

50-.HusserlciteetcritiquesonIntroductionàlapsychologieselonlaméthodecritique(1888)(HuaXIX/1,V,§8,p.372sq.[RLII-2,p.159sq.]).

51- .En1912,danssaPsychologiegénéraleselonlaméthodecritique,Natorpa réponduauxcritiques formuléesparHusserlen1901(voirnot.chap.2,§6, trad.E.DufouretJ.Servois,Paris,Vrin,2008,p.56sqq.).

52-.Cf.HuaI,§18,p.79[MC,p.188sq.].

53-.HuaIII/1,§81,p.182[IDI,p.275]:«Toutvécueffectif[…]estnécessairementunvécuquidure;etaveccetteduréeils’ordonneàuncontinuumsansfindedurées–àuncontinuumrempli.Ilanécessairementunhorizontemporelrempliomnilatéralementinfini.Cequisignifieenmêmetemps:ilappartientàun“fluxduvécu”infini.»

54-.HuaIII/1,§81,p.181[IDI,p.272].Voiraussi§82,p.184[IDI,p.278];HuaXIII,§37,p.184sqq.[PFP,p.198sqq.].Marbachinterprètetouscestextes(etd’autres du même genre) comme s’ils marquaient, au lieu d’une stricte réciprocation, une relation de fondation de l’unité temporelle par le Je, dont les Problèmesfondamentaux(1910-1911)marqueraientl’entréeenphénoménologie.Cettelecturenoussembledoublementcontestable.Toutd’abord,danscetexte,leJephénoménologiquen’estpasplusqu’ailleursleprincipedel’unitédelavieconsciente;ilseréciproquestrictementaveccettevieunitaire,dontilmarquesimplementlecaractèrepropre,pardifférenced’avec lesautresviesdont lapremièrepeutavoirconscience,surunmodeseulement indirect,dans l’empathie.«Je»ydésignedonc l’appropriationd’unevieconscienteunitaire,etn’enassurepasl’unité,cardecepointdevueilestdéfinitivementsuperflu.«Je»nesertpasàpenserl’unitéd’unemultiplicité(devécus),maisdésigneuneunitédifférentielleauseind’unemultiplicité(devies)–cettedésignationn’ayantenoutreriend’unefondation,laquelletientsimplementaumodededonnée(toutvécuquise donne enoriginal et dansun accès direct ressortit ipsofacto à cette vie qui estmienne et non celle d’un autre, comme le confirmeront encore, précisément, les textespostérieursàl’admissionduJepur.VoirparexempleHuaXIV,Nr.24(1927),p.429).Parailleurs,lesProblèmesfondamentauxdemeurentencorefoncièrementindécisquantàlaquestionduJepur,compriscommecentreoupôledelavieconsciente,etnonpluscommesimpletitredecettevieunitairepropre.VoirparexempleHuaXIII,§19,p.155[PFP,p.153sqq.].Silesvécusnepeuventcertesplusêtreconsidéréscommelesvécus«depersonne»,puisqu’ilssedonnentcommevécuspropres,rienn’estencoreaffirméquantà laconsistanced’unJepur irréductibleauxactesdont ilest inséparable.Dans lesProblèmesfondamentaux,Husserl soutientdonc la thèsed’unemiennetéphénoménologique,sansencorerienaffirmerdel’éventuelleconsistancephénoménologiqued’unJepur.

55- . C’est d’ailleurs pourquoi Husserl peut noter, dès le § 57, et, évidemment, bien avant toute considération d’intersubjectivité, que le Je pur est un Je pur«principiellementdifférentpourchaqueflux»(HuaIII/1,p.124[IDI,p.190]).VoiraussiHuaIX,BeilageXII,p.416:«Séparationdesfluxdeconscience,abstractionfaitedelaquestionduJe».

56-.HuaIII/1,§128,p.296[IDI,p.435].D’où,parexemple,lerefusthématiquedeladoctrinebrentaniennedel’immanenceintentionnelle(HuaXIX/1,V,§11,p.385sq.[RLII-2,p.174sq.]).

57-.HuaXIX/1,V,§2,p.359sq.,[RLII-2,p.148sq.].

58-.VoirHuaXXIV[ILTC]etHuaII[IP].

59-.Sur«l’embarras»husserlienconcernantleJe,dontlesmanuscritsde1907-1908témoignent,voirMarbach,op.cit.,p.59sqq.(Marbachneliepas,quantàlui,lasortiedecetembarraset laconquêted’unepositionontologique idéaliste). Ilesten toutétatdecausefrappantdevoirquec’estprécisémentdansdes textesde la findel’année1907queHusserlseposefortementlaquestiondesavoirsi,enplusduJe-phénomèneetdel’unitétemporelleimmanentedesvécus,iln’estpasunJequi,unetlemême,vitenchacundesactesdiversdelaconscience.VoirnotammentMsBII1(septembre1907),p.22bet23a(citéparMarbach,op.cit.,p.76).

60-.Voir,en1912encore,leshésitationsdeHusserldansleMSFIII1,p.3aet3b(citéparMarbach,op.cit.,p.128).Husserlmarqueplusieursfois lecaractère(anti)métaphysiquedesesréticences(HuaXIX/1,V,§8,p.374[RLII-2,p.161];HuaV,§6,p.24[IDIII,p.31].

61-.Le§57indiquesuffisammentqu’ilyestquestion,paranticipation,dudestinduJesousréduction.Voiraussicetteéquationexpliciteausujetduvécu:«“dans”laperceptionréduite(danslevécuphénoménologiquementpur)»(HuaIII/1,§89,p.205,[IDI,p.308]).

62-.HuaIII/1,§49,p.105[IDI,p.163].

63-.HuaIII/1,§57,p.124[IDI,p.190].

64-.HuaIII/1,§80,p.179[IDI,p.270].

65-.HuaI,§11,p.65[MC,p.69].

66-.HuaI,§11,p.64[MC,p.68]:«“Jesuis,egocogito”,celanesignifiedoncplus:Je,cethomme,jesuis»;«jenesuisplusceluiquiserencontrecommehommedansl’expériencedesoinaturelle»;ib.,p.65[MC,p.69]:«Aumoyendel’épokhèphénoménologique,jeréduismonJehumainnatureletmaviepsychique–ledomainedel’expériencedesoipsychologiquequiestlamienne–àmonJetranscendantalo-phénoménologique,ledomainedel’expériencedesoitranscendantalo-phénoménologique.»Lapermanencedupossessif(«monJe»)danslepassagedupsychologiqueautranscendantalmarquebienladifficulté,quiestdepenserletranscendantaletlepsychiquecommedeuxmodesd’êtredumêmesujet.

67-.HuaVI,§58,p.207[CR,p.231].

68-.HuaVI,§53,p.182[CR,p.203].

69-.HuaXVII,§96,a,p.245[LFLT,p.319].

70-.HuaIII/1,§53,p.117[IDI,p.179].Nousmarquonstypographiquementlaréférenceàlachose(res)contenuedanstouslestermesquidénotentlemoded’êtredelatranscendancemondaine(real,Realität,Realisierung).

71-.VoiraussiHuaIV,§33,p.139[IDII,p.199].

72-.HuaIII/1,§53,p.117[IDI,p.180].Husserlprendl’exempledelajoie,quipeuttouràtourapparaîtrecommevécupuroucommeétatdujoyeux.Voiraussi§85,p.195[IDI,p.293].

73-.Ilappartienteneffetàtoutego,qu’ilsoitmondainoutranscendantal,depouvoirserapporteràsoi.Cf.HuaI,§33,p.102[MC,p.116].

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74-.Mêmesi,auseindecequiapparaît,l’âmeneressortitpasàl’apparaîtreexterne,ellen’endemeurepasmoins,entantqu’apparaissante,extérieure(enunsensnonspatial)àlasphèreontologiquedecequifaitapparaître:l’immanencepsychologiqueesttranscendancephénoménologique.VoirparexempleHuaXVII,§93,c,p.238[LFLT,p.310].

75-.HuaVI,Beil.VI,p.409sq.[CR,p.452sq.].

76-.Laconsciencetranscendantaleestalors«uneconsciencenonpersonnelle»,(HuaIII/1,§54,p.119[IDI,p.182].

77-.HuaVI,§54,b,p.188[CR,p.210].

78-.HuaVI,§73,p.270[CR,p.299].

79-.HuaVI,§19,p.84[CR,p.95].

80-.Cf.HuaIIII/1,§57,p.124[IDI,p.190].

81-.HuaIV,§24,p.105[IDII,p.157].

82-.HuaIV,§24,p.104[IDII,p.156].

83-.Marbach(op.cit.,p.205)noted’ailleursque l’on trouve,dans l’undesexemplairesquepossédaitHusserl,enmargedu«et riendeplus»,plusieurspointsd’interrogationetd’exclamation(cf.HuaIII,p.505).

84-.HuaI,§32,p.100[MC,p.113].VoiraussiHuaIX,§41,p.211[PsyPh,p.198].

85-.HuaIX,§42,p.215[PsyPh,p.202];HuaXIV,Nr.2,p.18[SI-2,p.464].

86-.Cf.HuaXIV,Beil.II(1921),p.44[SI-2,p.495].

87-.Cf.HuaIV,§54,p.214[IDII,p.298].

88-.HuaI,§32,p.100[MC,p.113].

89-.Cf.HuaIV,§29,p.112sq.,trad.IDII,p.165sq.;MsFIII1(1915-1916),p.248b.

90-.Cf.not.HuaI,§33,p.102[MC,p.115].Laconceptionmonadiquede l’ego,quiouvre la thématiquede lasimple identitéde laviséeactuellesurunprocèsd’individuationgénétique,datede la findesannées1910.Elleestpostérieureàunpremierusagedu termede«monade»,quidit laclôtureencorestatiquedu fluxde laconsciencepropre,etquidatedudébutdelamêmedécennie.Surl’usagehusserlienduconceptdemonade,voirDominiquePradelle(2006).

91-.HuaI,§37,p.109[MC,p.123].VoiraussiHuaIX,§41,p.211sq.[PsyPh,p.198sq.].

92-.Cf.EmmanuelHousset(2000),p.177.

93-.Cf.JocelynBenoist(1994),«Egologieetdonation:Premieressaiendirectiondelaquestiondelaprésence»,p.71.

94-.Nousnetraitonsicidelaréflexionquedanslamesureoùnotrethèmelerequiert.Pouruneanalysedétailléedelaquestion,voirlacontributiondePierre-JeanRenaudieauprésentvolume.

95-.HuaIII/1,§38,p.77[IDI,p.121];§45,p.95[IDI,p.146];§77,p.162[IDI,p.246sq.];§78,p.166[IDI,p.253];HuaIV,§23,p.101[IDII,p.152].

96-.HuaIII/1,§1,p.11[IDI,p.15].

97-.HuaIII/1,§70,p.146[IDI,p.224].

98-.HuaIII/1,§78,p.168[IDI,p.256]:«c’estseulementpardesactesd’expériencesurunmoderéflexif<reflektiverfahrende>quenoussavonsquelquechosedufluxduvécuetdesanécessaireréférenceauJepur;etdoncdececi,qu’ilestunchampdelibreaccomplissementdecogitationesduseuletmêmeJepur;quetouslesvécusdufluxsontprécisémentlessiensdanslamesureoùilpeutportersonregardsureux,ouregarder“àtraverseux”quelquechosed’étrangerauJe.»VoiraussiHuaXIII,Beil.XXXII,p.246.

99-.LeMsAI18(mars-avril1914)parleàleursujetde«Selbstvergessenheit»(p.18asq.,citéparMarbach,op.cit.,p.178sq.).

100-.HuaIV,§23,p.101[IDII,p.152]:«Al’essencedetoutcogitoappartientengénéralqu’unnouveaucogito,dutypequenousnommons“réflexion-du-Je<Ich-Reflexion>”,estprincipiellementpossible,qui,surlabasedupremier,lequels’entrouvephénoménologiquementmodifié,saisitlesujetpurdecedernier.Partant,ilappartient[…]àl’essenceduJepur,depouvoirsesaisirlui-mêmecommecequ’ilestetdanslamanièrequ’iladefonctionner,etdesefaireainsiobjet.»

101- .HuaIII/1, § 38, p. 78 [IDI, p. 123] : « dans le cas d’uneperception dirigée demanière immanente ou, dit brièvement, d’uneperceptionimmanente (de laperceptiondite“interne”),perceptionetperçuformentparessenceuneuniténonmédiatisée.»

102-.HuaIV,§23,p.101[IDII,p.152].

103-.HuaIII/1,§77,p.162[IDI,p.247].Voiraussi§78,p.165[IDI,p.252].

104-.Cf.HuaVII,«KantunddieIdeederTranszendentalphilosophie»,p.268[PPI,p.340sq.].

105-.HuaVIII,49,p.149sq.[PPII,p.208].

106-.HuaX,§12,p.32[LPT,p.47].

107-.HuaX,§39,p.180sq.[LPT,p.106].

108-.HuaX,Beil.IX,p.118sq.[LPT,p.159]:«Lorsquesurgitunedonnéeoriginaire,unephasenouvelle,laprécédenten’estpasperdue,mais“gardéeenmain”(c’est-à-direprécisément“retenue”),etgrâceàcetterétentionunregardenarrièresurl’écouléestpossible;[…]parcequejel’aienmain,jepeuxdirigerleregardsurelledans

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un nouvel acte, que nous nommons une réflexion (perception immanente) ou un ressouvenir […] C’est donc à la rétention que nous sommes redevables du fait que laconsciencepuisseêtreprisepourobjet.»

109-.HuaX,Beil.IX,p.120[LPT,p.161].

110-.HuaIII/1,§78,p.168[IDI,p.256].

111-.HuaIII/1,§79,p.174[IDI,p.263].

112-.HuaX,Beil.IX,p.118[LPT,p.159].

113- .Hua V, § 12, p. 75 [ID III, p. 89] : « la merveille des merveilles est le Je pur et la conscience pure ». Voir aussi Phänomenologische Methode undphänomenologischePhilosophie(LondonerVorträge), inHusserlStudies,1999,16,3,p.207(trad.A.Mazzu,inAnnalesdephénoménologie,2003,p.169sq.) :« l’egocogito,cette trivialitédes trivialitéspourceuxquisontphilosophiquementaveugles,cettemerveilledesmerveillespourceuxquisontphilosophiquementclairvoyants» ;HuaI,§18,p.81[MC,p.89].

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Ladoublethéoriedunoème:surleperspectivismehusserlien

(§§87-99et128-135)ÉtienneBimbenet

«Wemightliketoknowmuchmoreindetailwhatnoemataare1.»

D.Føllesdal

Lenoèmeestunobjetdirectementphilosophique.Ilreprésente,defait, l’unedesgrandescréationsconceptuellesdeHusserl.Ilfaitsonapparitionen1913,danslesIdéesI2,autrementditdansunouvrageambitionnant de présenter la version officielle, et largement systématisée, d’une phénoménologieparvenueàmaturité.Onpeutconsidéreralorsqu’ildonnelaformuleexactedel’intentionnalité,tellequeHusserl en a longuementmédité la définition, à partir de cequ’on a souvent appelé le «problèmedeBrentano3 ». Mais le noème n’est pas seulement un concept qui répond à un problème ; il estphilosophiqueégalementencequ’ilposeproblème, alimentantunediscussionserrée,etcequ’onpeutconsidérercommeunevéritabledispute.

Faut-ileneffetleconsidérercommeune«entitéabstraite»,unesignificationconceptuellerelayantletrajet intentionnelde laconsciencevers sonobjet?Oubien faut-ilvoiren luiaucontraire la«chosemême»quenouspercevons,voulons,jugeons?D’uncôté,ilestuneinstancemédiatrice(etparlàfortprécieuse,pourcomprendreceque«viser»veutdire),del’autreilest«l’objetcommetel»viséparlaconscience,et renduàsavéritépar l’opérationde la réduction.Tout sépare,commeonvoit,cesdeuxinterprétations,àcommencerparlepaysageintellectueldanslequelelless’inscrivent.Nousavonsaffaired’un côté à une lecture dite « frégéenne » de la phénoménologie, apercevant dans le noème unegénéralisation à l’ensemble de notre expérience du sens langagier ; de l’autre à une interprétationindexée,nonplussur la logiqueet la théoriedu langage,maisplutôtsur lechampde laperception,etfaisantalorsdunoèmel’unitémouvanteconstituéedansetparlefluxdesvécusdeconscience.Commeonvoit,c’estbienladéfinitiondunoème,lavuemêmequ’onenprend,etnontelouteldesesaspects,quiestengagéedanscettequerelle.

C’esticiqu’unretoursurlamiseenplaceduconcept,danslesIdéesI,peuts’avérerprécieux.S’yaperçoit en effet un élément essentiel, et qui éclaire d’une tout autre lumière ce qu’on a appelé

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« l’ambiguïté systématique4 » ou encore « l’amphibolie5 » du noème. La théorie du noème, dans cetouvrage,n’estpassimple,maisdouble.Elles’exposeunepremièrefoisdanslaTroisièmeSection(chap.3,essentiellementles§§87à99),unedeuxièmefoisdanslaQuatrièmeSection(chap.1,§§128-135).Orlecontextedecesdeuxexpositionsn’estpaslemême,loins’enfaut.La«première»théoriedunoèmes’insèredans lecadredugrandinventairequeHusserlacommencéàdresserde laconscience,élevéepar la réductionaurangde«proto-région6»,ou régionconstituante.Danscechamp« infinide toutesparts7 » de la conscience transcendantale, il est certain que « la distinction entre les composantesproprement dites des vécus intentionnels et leurs corrélats intentionnels8 », ou entre les momentsnoétiques etnoématiquesde la conscience, s’avèredéterminante.La« structurenoético-noématique9 »organise l’œuvrede la réflexionphénoménologique,elleestcommesonaxegénérateur,etellenepeutl’êtrequesichacundesdeuxpôlesestclairementdéfini,etdistinguédel’autre.Cequiappartientauvécude conscience à titre de composante « réelle » (reell), et ce qui lui appartient encore mais à titreintentionnel;cequevitlaconscienceetcequ’ellevise:cepartageestfondateuretdonneletondecettepremièreexposition.

Toutautreest lepropos initiépar laQuatrièmeSection. Iln’estplusquestion icidedéfiniroudedistinguer;iln’estplusquestiondeclarifieroud’expliciterledomainedelaconsciencetranscendantale.Il est question cette fois d’interroger, en avantde la conscience, la possibilité pour elle de rencontrer«l’êtrevéritable»ou«réel»,«l’êtrelégitimablerationnellement10».Unefoisrendueàelle-mêmeparl’opérationdelaréduction,unefoismiseauclairsursesstructuresessentielles,laconsciencepeut-elleprétendresefaireraison,c’est-à-direaccéderàuneconnaissancedecequiest?Orcettequestion,quiclôt l’édifice des Idées I, concerne intimement la théorie du noème, s’il est vrai que celui-ci, commeobjetimmanentàlaconscience,anécessairementàvoiravecl’ambitiondeconnaîtrel’objetconsidérécettefoiscommetranscendantlaconscience,l’objetquiest«objectivement»ou«réellement»cequ’ilest.C’estdirequedanscecontexted’unephénoménologiedelaraison,lenoèmen’aplusgrand-choseàvoiraveccequ’ilétaitlorsqueHusserlleprésentaitsimplement,danslasectionprécédente,commeunhôtedelaconsciencetranscendantale.Determinusadquem,objetviséparlesactesdeconscience,lenoèmeestdevenu iciun terminusaquo, lepointdedépartd’unevisée lancéeendirectionde l’objetréel.Toutachangé,etlesdeuxthéoriesremplissentdestâchessidissemblables,qu’ellesapparaissentenréalitébiendavantagecomplémentairesqu’antagonistes.Ellesneparlenttoutsimplementpasdelamêmechose11.Lapremièretâchequis’offreàl’interprèteestdoncdedésintrication:toutsepassecommesiles« frégéens » eux-mêmes, à commencer parD. Føllesdal, s’étaientmontrés insuffisamment analytiques,tropvitetentésderabattrelenoème«rationnel»surlenoème«perceptif»;ouinversementcommesila«NewSchool school» (A.Gurwitsch,D.Cairns), campant sur laphénoménologiehusserliennede laperception, n’avait pas voulu apercevoir les potentialités proprement rationnelles incluses dans leconceptdenoème.

Nousreviendronsdoncsur lesdeuxmomentsde l’exposition(TroisièmepuisQuatrièmeSections),pourrestitueràchacunedesdeuxthéoriessaspécificité.Maisnousn’enresteronspaslà.Cars’ilestvraiquec’estd’unseuletmême«noème»qu’ilestquestionchezHusserl,alorsilnousfaudrabien,àlafin,tenterlasynthèse.Une«diplopie»,aussisavantesoit-elle,nefaitpasunevuevéritable,toutjusteuneentité nominale. Manifestement le noème s’aperçoit avec évidence chez Husserl ; c’est chez lui unconceptopératoire,etdont iln’a jamaisditqu’il luiposaitproblème.Surquoi,dès lorsfonder l’unitédesdeuxnoèmes?C’estlaquestionquenousposeronspourterminer,enremarquantqu’ilexisteunpointcommunaux«deux»noèmes.Cequiéclateeneffet,dansl’uneetl’autrethéoriedunoème,c’estcequenous appellerons le perspectivisme husserlien, un perspectivisme en l’occurrence double :perspectivismeperceptif,àtraversladoctrinedesesquisses(Abschattungen);perspectivismerationnel,

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à travers la doctrine de la prédication, ou de lamultiplicité des prédicats possibles pour qualifier unmême objet. La noématique des Idées I articule ensemble ces deux perspectivismes, et c’est ainsiseulement,pensons-nous,quepeuts’apercevoir l’unitédesesdeuxmoments. Ilyadeuxnoèmesparceque le perspectivisme peut être implicite ou explicite, refoulé (dans la perception), ou déclaré (dansl’espace discursif de la prédication). Il n’y a qu’un seulmonde, vu de toutes parts ; simplement cettemultiplicité de vues peut rester enveloppée en soi, dans le dogmatisme de l’attitude naturelle, ous’officialiser et se déplier, dans l’espace des raisons.Et demême que, dans laKrisis, il n’y a pas àchoisirentrelascienceetlemondedelavie,ouentrelaconnaissanceetl’expérience,parcequec’estlemêmemondequitantôtseperçoit,ettantôtseconnaît,iln’yadécidémentpasàjouerunedéfinitiondunoèmecontrel’autre:ilyajusteàtenterdepenserensemblelesdeuxformes,perceptiveetrationnelle,duperspectivismehusserlien.

LenoèmecommeobjetintentionnelLaTroisièmeSectionnous installedans l’«empirede laconscience transcendantale»12, et cepar

l’opérationdelaréductionphénoménologique.Ornoussavonsdepuislefameuxhiver1906-190713quelamisehorscircuitdel’existencedumonde,laneutralisationdelacroyanceensonexistence,nenousfontpasperdrelemonde:celui-cieneffetcontinuedenousapparaîtrepourcequ’ilest,ensatranscendancemême.Simplementla transcendanceestaffectéedésormaisd’unnouvel indice: lemonden’estpluscequiestlàsansmoi,commedansl’attitudenaturelle,maiscequi,danssonextérioritémême,estencorelàpour moi, visé par moi, inséparable par conséquent des vécus de conscience qui en recueillentl’apparaître. La conscience à laquelle nous reconduit le regard phénoménologique est une conscienceintentionnelle, une conscience dont l’intentionnalité, l’être dirigé sur un objet, représente lacaractéristique eidétique fondamentale. C’est pourquoi la phénoménologie ne se contentera jamais dedécrirelaconsciencecommeunerégioninerte,offertesansplusàladescription:

Sansquittersonpropreterrain[celuidelaconsciencepure],elledoitarriverànepasconsidérerlesvécuscommedequelconqueschosesmortes,commedes«complexesdecontenus»,quiexistentpurementmaisnesignifientrien,neveulentriendireetqu’ilsuffiraitdedistribuerenélémentsetformationscomplexes,enclassesetensous-classes;elledoitserendremaîtressedelaproblématiqueparprincipeuniqueen songenre que luiproposent lesvécusen tantquevécus intentionnels, c’est-à-direpurement envertude leuressenceeidétique,entantqueconscience«de»14.

Commephénoménologie«orientéeobjectivement15»,elleadopteralepointdevuetéléologique,etcentral pour elle, de la « fonction » : « Il importe donc d’examiner sur un plan extrêmement généralcomment,enchaquerégionetcatégorie,desunitésobjectivesse“constituentpourlaconscience”16.»

Ainsi la réduction, pour réflexive qu’elle soit, ne revient pas simplement à la conscience. Elle yrevientavecunepenséedederrière,quiluifaitd’entréedejeuaccomplirdesdistinctionscapitales.Onopposera tout d’abord ce qui appartient « réellement » à la conscience, comme ensemble de vécusimmanents, et ce qui lui appartient « intentionnellement », comme unité objective visée par cetteconscience.Ducôtéde lacogitatio proprementdite, oudes composantes réellesde la conscience, ondistinguera ànouveauentre les«vécus sensuels»,ou«datahylétiques»,qui représentent lamatièrepassivementdonnéedu sentir, et les actesdonateursde sens, ou«noèses», à qui incombededonnerforme à cettematière des sensations, pour la diriger intentionnellement vers un objet. Ainsi la noèseappartientencore,commelahylèsensuelle,àlaconscienceelle-même;maisàladifférencedelahylè,elleestcequidelaconscienceregardeversl’autredelaconscience,cequidelaconscienceseporteintentionnellementvers l’objet.Àcesdeuxcomposantes réellesde laconscience (matière sensuelleetformeanimatrice),onopposeraalorslenoème,c’est-à-direlacomposanteproprementintentionnelledelaconscience,soncogitatum:cequevisecetteconscience.Danslaperceptiond’unarbre,ladescription

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phénoménologique apercevra ainsi, premièrement un ensemble de vécus sensuels mouvants,deuxièmementdesactesd’attention,deplaisir,etc.conférantàcedonnéunsensintentionneletunifiant,etenfintroisièmementcesensintentionnellui-même:l’arbrecommecorrélatintentionneldelaconscience.

Entenduainsi,àpartirdesadéfinitionauchapitre3delaTroisièmeSection,lenoèmereprésente,àl’intérieur de la conscience réduite, l’objet visé par cette conscience ; il est l’objet dans le sujet, latranscendancedansl’immanence.ÀtraversluisedonneàvoirlapulsationphénoménologiqueàlaquelleHusserlnousauraunefoispourtouteshabitués:lemouvementderetouràsoi,orchestréparlaréduction,yrencontre lemouvementexactement inversede l’intentionnalité.Lenoèmec’est,commeditMerleau-Ponty, « la réflexion qui se conteste elle-même, parce que son effort de reprise, de possession,d’intériorisationoud’immanencen’apardéfinitiondesensqu’àl’égardd’untermedéjàdonné,etquiseretiredanssatranscendancesousleregardmêmequival’ychercher17».Enluiserécapitulel’ambitionquiprésidait,dans lesRecherches logiques,à lamiseenplacede laphénoménologie : justifiersur leterrainmême de la psychologie la possibilité pour la conscience d’échapper au psychologisme, et deproduireunesciencevéritable;proposerunedescriptiondesactesdeconsciencecapabledejustifierqueceux-cirencontrentcequiest;s’installerdansleplussubjectif(levécudeconscience)pouryvoirs’ydéclarer«“l’ensoi”del’objectivité18».

D’où,portantlatracedecetétrangeprojet,unenotionelle-mêmeétrange,touteendoublesnégations.D’un côté le noème n’est pas la chose existante, étant issu d’une opération quimet entre parenthèsesl’existence ; mais d’un autre côté il n’est pas non plus la conscience, étant justement ce que vise laconscience. Le noème n’est ni la chose « réale » (real), physiquement existante, ni une composante«réelle»(reell)delaconscience,commesontlesnoèsesetleursoubassementhylétique.Lenoèmedel’arbre,ditHusserl,n’estpasl’arbre«puretsimple19»,àcetitreil«nepeutflamber,serésoudreensesélémentschimiques20».Ilestl’objetréduit,etc’estdoncdanslevécuphénoménologiquepurquenouslerencontrons, en un lieu dont toute la définition est précisément de neutraliser l’existence « pure etsimple».Maisiln’estpasnonpluslaconscienceelle-même:iln’enapasl’étoffetemporelleetfluide,ilnes’écoulepasdansunemultiplicitédevécus, ilestaucontraire l’unitéobjectivequis’annoncedemanièreconcordantedanslediversdesvécus.Leplannoématiqueapparaîtcomme«lelieudesunités,leplannoétique,lelieudesmultiplicités“constituantes”21».Lenoèmen’estdoncnitoutàfaitdumonde,nitoutàfaitdelaconscience;enceciilyabien,commelediraLaCrisedesscienceseuropéennes,un«paradoxedesobjetsintentionnelsentantquetels22».Letermede«sens»(Sinn),àcetégard,nefaitquebaptiser le paradoxe, conjoignant d’un côté l’irréalité (le sensde l’arbrene«brûle»pas), et del’autrel’unitéobjective(lesvécusvisentencommun«le»sensdel’arbre).C’estcommesiontouchait,aveclenoème,àlalimitedesdistinctionshusserliennes:àcestadelenoèmenefaitquesedistinguer;iln’estriend’autrequecequ’iln’estpas,esttoujoursailleursquelàoùilest;commeditHusserl,d’uneformule qui condense ce qu’on pourrait appeler « l’utopie » du noème : « Ainsi la noématique sedistinguecommeuneobjectivitéquiappartientàlaconscienceetquipourtantgardesonoriginalité23.»

En réalité cette utopie, et ces doubles négations, ne sont que l’apparence du noème. Dès qu’onaccomplit,autrementqu’enparole,laréductionphénoménologique,alorsonsedonneunecaractérisationpositivedunoème.Conformémentàsadéfinitionpremière,cellequ’annoncelecoursduprintemps1907,laréductionphénoménologiqueveutd’abordêtreune«réductiongnoséologique24»,affectantdenullitétoute théorie naturelle de la connaissance qui voudrait expliquer causalement le connaître, depuis lemondeexistant.Soussapremièreacceptionlaréductionfaittomberl’obstacled’unepsychologisationdela connaissance, elle est la négation d’une négation : elle refuse de présupposer dogmatiquement latranscendancedumonde,présuppositionquinesauraitmenerqu’àunerelativisationduconnaître;elle

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décideaucontrairede«voirenface»cettetranscendance,enélucidantsonsurgissementdanslechampd’évidencedesvécusdeconscience.Encesenslaréduction,etavecellelenoème,n’ontriendenégatif.Endéclassantlepsychologisme,laphénoménologienousmetenfacedumonde«telqu’enlui-même»,c’est-à-dire innocenté de toutes les confusions sceptiques. En neutralisant l’existence du monde laréduction ne nous prive de rien, au contraire, elle « augmente » notre vue dumonde, nous le faisantapercevoir depuis la « sphère de présence absolue25 » de la conscience, et par là rendu invincible àl’égarddudoutenaturaliste.CommeditFinkellen’estpasune«méthodedelimitation(Einschränkung)intra-mondaine»,maisplutôtune«méthoded’illimitation(Entschränkung)excédantlemonde26».

On peut comprendre à partir de là le « paradoxe apparent27 », ou encore la « terminologietrompeuse28»,detoutefaçonl’appellationétrange,quiconsisteàdiredunoèmedel’arbre,luiquin’estrien d’existant, lui qui ne sait même pas flamber, qu’il est pourtant « l’arbre comme tel29 ». Laformulation,c’estvrai,estpourlemoinschoquante,etilestbondes’enétonner;elledonneunpeuvitelapréséanceàlaphilosophiesurl’ordrepré-philosophiquedelavie;enelles’exprimelecoupdeforcequereprésente,dansl’ordredel’attitudenaturelle,l’attitudephénoménologique.Orelledevientlégitimesil’onacceptequepourunetelleattitudeilyaplusdanslenoème,etnonpasmoins,quedanslachoseexistante.Lenoème,c’estl’objetréduit,doncreconduitàsesdéterminationsessentiellesetnécessaires;c’estcequidelachosem’estdonné«enpersonne»,ensaprésenceévidenteetindubitable,quandjenesuis jamais certain au contraire de l’existence de l’arbre, pouvant toujours faire l’hypothèse de soninexistence.Lenoèmeexprimeune«fidélitéauvisageduperçu(àsoneidos)30»,l’assurancedetoucheràtraversluil’absolu,etnonlecontingent.Orce«surplus»dunoèmeàl’égarddelachoseeffectivementexistantes’exprimepresquenarrativement,danslefilmêmedel’exposition.Audéparteneffet,lenoèmeestprésentécommelepôleidéalementidentiqueviséparlesdifférentsvécusdeconscience;c’est,pourreprendrelecoupledumultipleetdel’unquiprésideaupointdevuefonctionnel,«l’identitédel’objetprésumé»,«l’unitéobjective»,paroppositionaudiversdelaviedeconscience31.Husserllerappelleau§98:«Laconsciencequiunit“fonctionnellement”lemultiple,etquienmêmetempsconstituel’unité,neprésenteenfaitjamaisd’identité,alorsquel’identitédel’objetestdonnéedanslecorrélat32.»Maisc’estpourajouter,justeaprès:«Quellequesoitlapartd’exactitudecontenuedanscetteinterprétation,lesconclusionstiréesnesontpasabsolumentcorrectes[…]33.»Pourquoicetterectification?Pourquoivouloirdireplus?Parceque,expliqueHusserl,ducôtédunoèmeégalementnousrencontronsdudivers.Lenoèmeestuneunité,maiselle-mêmechangeante;c’estl’unitéd’undiverslui-mêmenoématique,s’ilest vrai que c’est bien sur la couleur elle-même (en son noème) que se marquent les variations del’apparaître. Certes c’est bien toujours lamême couleur que je perçois ;mais au-delà de ce « noyaucentral34»dunoème,oudeson«sensobjectif35»,ilfaudrafairerentrerdansle«noèmecomplet36»les« modes variables d’apparaître37 » : par exemple, dit Husserl, « l’angle sous lequel [la couleur]m’apparaît38»;maisaussilefaitqu’ils’agissed’uneperception,oud’unsouvenir,oud’uneimagination.Certescesmodesdedonnéeappartiennentàlaconscience,ensafaceproprementnoétique;cesontles« esquisses » de la chose, queHusserl assimile à lamatière hylétique de la conscience ; ou ce sontencoreles«caractèresthétiques»àtraverslesquelslaconsciencemodalisesonrapportàl’être,commeperception, ou souvenir, ou imagination, ou souhait, etc. Et pourtant ces caractères qui relèvent de lanoèseetdesaspontanéité«sereflètent»,commeditHusserl,danslenoème,ilsviennents’inscrireàlapériphérie,si l’onveut,desonnoyaudesens.Percevoirn’estpas imaginer ;maiscettedistinctionquiregardelaviedeconsciencesemarquepourtantdanscequejeperçois,danslatextureserréeduperçu,quin’estriendecomparableàl’étofferelâchéedessonges.Jepeuxdirequelamêmecouleur,au-delàdesonnoyaudesens,varieselonquejelavoisd’icioudelà,ouqu’elleestunsouvenir,ouuneperception;maislavariationdecesmodesdedonnées,mêmesiellem’est imputable,semarquedansl’apparaîtremêmedelacouleur.Demêmelejugement«Sestp»peutreprésenterlenoyaudesensd’unecertitude,

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d’une conjoncture ; il peut être un jugement évident ou un jugement aveugle, etc. ; et « toutes cescaractérisationsvariables»,ditHusserl,«sontindispensablesaunoèmecomplet39».Enceciilyabienun«diversnoématique40».

C’estdirequ’ilyabeaucoupdanslenoème,biendavantageentoutcasquelasimpleunitéidéaledesonapparaître.Lenoèmec’estl’objetexistant,maisgonflédetoutelaviedeconsciencequelacroyanceen l’existence oblitérait. C’est l’objet désormais aperçu sur le fond des actes de conscience qui leconstituentcontinûment.C’estl’objetidentiqueàlui-même,commedansl’attitudenaturelle,maisreconnuidentiqueàsoidanslefluxsanscessechangeantdesonapparaître.A.Gurwitschamisaucentredesaconceptiondunoèmecettegénérositéphénoménale.Lenoèmeestpourlui lachoseréduite,sibienquenoustiendronsenelletoutcequiapparaît,précisémenttelqu’ilapparaît:

[Lenoèmeperceptif] se révèleêtre lachoseperçue, telleprécisémentqu’elleseprésentedansunacteconcretdeperception– autrementdit commeapparaissantd’uncertain côté, sousune certaineperspective, sous telleorientation, etc.Ence sens, toutes lesmanièresd’apparaîtreetdeseprésenterquenousavonsmentionnéesplushautenrelationaveclathéoriedesesquissesdoiventêtremisesaucomptedesnoèmesperceptifs41.

Le noème est l’objet apparaissant, autrement dit à la fois l’identité de l’objet et les modes del’apparaître,plusexactement : l’unitéobjectivedans l’apparencechangeante. Il se trouvepourtantquecette caractérisation du noème, aussi conforme soit-elle manifestement à la méthode de la réductionphénoménologique,semblebeaucoupmoinsévidentelorsqu’onlaréfèreàlareprisedelanotion,danslaQuatrième Section. Tout change, comme on va le voir, à commencer par ce « plus », qui tourneinévitablement au «moins », dès lors que le noème s’apparaît comme une étape, ou unmoyen, pouraccéderrationnellementauréel.

LenoèmecommesensnoématiqueDanslaQuatrièmeSectionlaconsciencepuren’estpluselle-mêmelethèmedel’exposition.Elleest

cettefoisréféréeenavantd’elle-mêmeà«l’objectivité»(Gegenständlichkeit),autrementditàcequiest « objectivement » le même pour toute conscience possible. Cette prétention véritative est ce quidéfinitlaraison;laraisonn’estennousriend’autrequecequiveutla«validité»(Triftigkeit), sionentendparlà,selonunjeudemotrécurrentchezHusserl,lacapacitépourlaconsciencede«rencontrer»(treffen) son objet42. Or cette prétention rationnelle, faut-il le rappeler, est exactement le défi que laphénoménologie a décidé de relever et qui la constitue, dès le départ, en projet gnoséologique : laphénoménologienaîtchezHusserlcommeuneréflexioncritiquesur«lerapportentrelasubjectivitéduconnaîtreet l’objectivitéducontenude laconnaissance43» ; et si elle s’accomplitprogressivementenidéalisme transcendantal c’est parceque, commecritiquephénoménologiquede la connaissance, il luiincombe de montrer que l’être transcendant n’est rien qui nous échappe absolument, rien qui ne soitintégralementconstituabledanslesenchaînementsréglésdesvécusdeconscience44.AinsilaQuatrièmeSectioncouronne-t-elletéléologiquementl’édificesystématiquedesIdéesI;icilaconscienceréduiteestmise en face de la tâche qui présidait, en réalité depuis le début, à sa définition ; comme consciencetranscendantale, elle porte en elle le projet d’une « connaissance objectivement valable dutranscendant45».

Orcettetâchen’estpasétrangèreaunoème.Elleestmême,enunsens,cequiluirevientenpropre.Sile noème est l’objet réduit lui-même, l’objet rendu à son évidence et débarrassé de l’hypothèquesceptiquequi legrevaitdans l’attitudenaturelle,alors lenoèmeest lepremierpasd’uneconnaissance«objectivementvalabledutranscendant».Ilestcequi,danslaconsciencepure,s’ouvreàl’objectivité.

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CommeditHusserl«leproblèmephénoménologiquedelarelationdelaconscienceàuneobjectivitépossède avant tout une face noématique46 ». Le noème est la pièce stratégiquement centrale de cetteprétention rationnelle à l’objectivité ;mais c’est à condition alors de le considérer autrement qu’il nel’était dans la Troisième Section.Car il n’est plus question ici d’une analyse fonctionnelle, décrivantl’unification de la vie de conscience dans sa visée d’un objet identique ; il n’est plus question d’uneidentificationnoétiquedudivers, oude l’imposition audivers d’un sens reconnaissable ; il n’est plusquestion de reconnaissance. Il est question de connaissance, c’est-à-dire d’une évaluation de l’objetapparaissantetreconnaissable(lenoème)entermesd’objectivité;ilestquestiondemesurerlenoèmeàl’objet « objectif », celui qui vaut universellement au-delà de ma conscience actuelle. La Troisièmesection était bâtie selon l’axe noético-noématique : le noème était ce à quoi parvenait l’unificationfonctionnelledudivers,lepôleidentiquequeconstituentlesnoèses.DanslaQuatrièmeSection,lenoèmeest devenu le point de départ d’une visée de l’objet transcendant. Il était auparavant la plénitude del’objet apparaissant, autour duquel gravitait la conscience ; il n’est plus maintenant qu’une versionpossible parmi d’autres de l’objet universel, une vue prise parma conscience sur l’objet de tous lesobjets.De fait levocabulaire s’est largement infléchi.Onestpasséd’unespaceperceptif àunespacelogique, l’espacedu jugementprédicatif : iln’estplusquestiond’esquissesmaisdeprédicats ; l’objetvisé n’est plus la chosemais le X indéfiniment déterminable, « le purX par abstraction de tous sesprédicats47».

Cetterequalificationdunoèmen’estpassansdanger.Enresituantlenoème«entre»laconscienceetl’objet, elle réactive en effet un risque qui guette en réalité toute la noématique, et contre lequel laTroisièmeSectiontentaitdéjàdeseprémunir:celuidefaireimplicitementdunoèmeuneentitépsychiquefaisant le lien entre la conscience et la réalité, une image mentale présente dans l’esprit comme lesubstitut intérieur de la chose. La psychologisation des corrélats intentionnels de la conscience n’estjamaisloin,elleestlepéchéorigineldetoutethéoriedel’intentionnalitédepuisladoctrinemédiévalede« l’inexistence » de la chose dans l’esprit, jusqu’àBrentano lui-même.Et elle ne peutmener, commeHusserl n’a jamais cessé de le rappeler depuis son débat de 1894 avec Twardowski, qu’à « desabsurdités48» :d’unepart,comme il le rappelleencoredans le§90des Idées I, si lenoèmeétait un« portrait interne » de l’objet réel, alors nous aurions justement une conscience de copie, et non deréalité;parcequ’ilporteenluilescaractèresthétiquesdesonapparition,parcequ’ilestleperçu«entant que perçu », l’imaginé « en tant qu’imaginé », etc., le noème se connaît immédiatement commeperceptionréelle,etnonimaginaire.Maisd’autrepart,silenoèmen’étaitqueledoublementaldel’objetextérieur, alors il faudrait bien, ànouveau, lepercevoir lui aussidonc s’endonnerune fois encoreundoublemental:etainsidesuite,sansfin.Celasignifie,danslaTroisièmesection,quelenoème(quellequ’ensoitlamodalité:lenoèmed’unechoseperçue,souhaitée,jugée,etc.)nepeutêtrequel’objetlui-même,etnonsondouble;«l’arbrelà-basdanslejardin49»,etnonun«sens»quivoltigeraitquelquepartentremoietl’arbreréel.Ilyvadurestedeladéfinitionmêmedelaréductionphénoménologique:sicelle-cinousreconduisaità lavisiond’êtres« intérieurs»,si lesnoèmesétaientcequia lieuhorsdumondeetn’étaientpaslemondelui-même,augmentédelaviedeconsciencequilesconstitue,alorsonnevoitpascequ’unetelleméthodepourraitnousapporter,pourréassurernotreconnaissancescientifiquedumonde.

Le problème, c’est qu’en secondarisant le noème à l’égard de l’objectivité, en faisant du noèmequelquechosequin’estpasencorel’objet=X,laphénoménologiedelaraisondelaQuatrièmeSectionréactive ce risquedudédoublement, et doncde lamentalisation-psychologisationdunoème.CommeyinsisteRicœur,ce«rebondissementdeladescription»,audépartdelaQuatrièmeSection,«poselesplusextrêmesdifficultésd’interprétation50».Ilconstateque«cettenouvellepéripétieparaîtdifficilement

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conciliable à première vue avec l’idée d’une constitution intégrale de l’étant-du-mondedans et par laconscience»51,etrappellelaperplexitédeFink,faceà«l’inquiétanteindifférencedesIdéesàl’égarddeladifférenceentrepsychologieetphénoménologie52».Enréponseàcesinquiétudesilfaudradonctenir,avecFinkjustement,quele«noèmetranscendantal»n’estpasle«noèmepsychologique53»,parcequ’àladifférencedecedernier,lenoèmetranscendantal,c’est-à-direleseulvrainoème,porteenluilaviséedel’objet.L’objet=X,c’estlatranscendanceentantqueposéeparlenoème,latranscendancecommepôled’uneconnaissancenoématiquepossible.VoilàcequeditHusserl,lorsqueparexempleilinsistesurunecertaine« intimité»dunoèmeetde sonobjet :«Enparlantde la relation (et spécialementde la“direction”)de laconscienceà sonobjet,nous sommes renvoyésàunmoment suprêmement intimedunoème54.»C’estcommesil’ambitionrationnellederencontrerlaréalitéétaittéléologiquementinscritedanslenoème;commesitoutcequeconstituefonctionnellementlaconscienceétaitdesoi-mêmepromisàsedépasserdansl’épreuveduvrai.Cette«intimité»dusensetdel’objetsignifiéfaisaitdurestepartiedesacquisdéfinitifsde lapremièreRecherche logique,dont le long travaild’élaborationconceptuelleavaitjustementconsistéà«déréaliser»ou«démentaliser»lasignificationlinguistique,pourfinalementfairedusignifierl’acteréférentiellui-même,autrementdittoutsaufuneentitéséparabledelaréférence:lasignificationcomme«modedéterminédeviséedel’objet55»,autrementditcommerapportmêmeàl’objet,soustelaspectdéterminé.

Onpourraitalorsposerlatripartitionsuivante,récapitulantparlàlesdeuxmoments,fonctionnelpuisrationnel,del’exposition.Lenoèmecomplet,c’est:

1. Lesmodes de donnée, ou caractères thétiques : comme on l’a vu précédemment, lesmodes dedonnéeontleuroriginedanslescomposantesréellesetplusexactementnoétiquesdelaconscience,maisellessereflètentpourtantdanslenoème,àquiilappartientd’apparaître«commeperçu»,ou«commesouvenu»,etc.;

2.Lenoyaunoématique,ou le«sensnoématique» invariant :c’est là lenoème lui-même, lesensidéalement identique, qui nous fait reconnaître la chose « en tant que » telle chose.On le distinguerad’unepartdeladiversitédesmodesdedonnée,d’autrepartdel’objetuniversel=Xdontilnereprésentequ’unaspect(qu’unprédicat)possible;

3.L’unitéobjectivedunoème,sarelationrationnelleàl’objet=X:commeonvientdelevoir,ilestessentiel (contre toutpsychologisme)que la relationà l’objet figuredans lenoème, à titre demomentconstitutif, et non hors de lui : il y va de la réussite même de la phénoménologie comme idéalismetranscendantal,capablederéférerl’objettranscendantàlasphèred’immanencedesvécusdeconscience.

Orcettetripartition,onlesait,n’estpasinnocente.Derrièreelles’aperçoit,commeenfiligrane,lecadrethéoriquequistructura,chezlesélèvesdeBrentano,lesdifférentsdébatsrelatifsàl’intentionnalité.On pense bien sûr à la tripartition chezTwardowski, de « l’acte », du « contenu » et de « l’objet »,commelerappelleHusserlau§129;maisaussi,danslapremièreRecherchelogique,auxtroismomentsde l’expressionque sont la«manifestation» (des actesdonateursde sens,ou remplissant le sens), la«signification»,etenfin«l’objet»(expriméaumoyendelasignification).MaisonpenseégalementàFrege,aufaitquechezluilasignification(Sinn)d’unmot,ensonidéalité-universalité,d’uncôténeseréduitpasàlareprésentationparticulière(commeactepsychologique)quej’enai;maisqued’unautrecôté cette significationest àdistinguerde la« référence» (Bedeutung), c’est-à-dire de l’objet visé àtravers elle56. La même planète peut être appelée « étoile du matin » ou étoile du soir », deuxsignifications constituant chacune un «mode de donation57 » possible de lamême référence.Ainsi la

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significationvients’intercalertrèsexactement«entre»l’acteempiriquedelaconscienceetlaréférencesignifiée.C’est la fameuse imagedu télescope :«La référenced’unnompropreest l’objetmêmequenousdésignonsparcenom;lareprésentationquenousyjoignonsestentièrementsubjective;entrelesdeuxgîtlesens,quin’estpassubjectifcommel’estlareprésentation,maisquin’estpasnonplusl’objetlui-même58.»Onvoitquelaconsonanceestfrappante,entrelestripartitionsfrégéenneethusserlienne,ouentre la thématisation que l’un et l’autre proposent de la signification verbale, à mi-chemin de laconscienceetdel’objetqu’ellesignifie.Etc’est lemêmecadrethéoriquequisemblemobilisédanslanoématiquedelaQuatrièmeSection,lorsqueHusserldéclareque«toutnoèmeaun“contenu”,àsavoirson“sens”;parluilenoèmeserapporteà“son”objet59»;ouque«lenoèmeaensoi-mêmeunerelationàl’objetaumoyendeson“sens”propre60».

D’où, laplupartdutempsaxéesurcetteQuatrièmeSection,etnonsur laprécédente,une« lecturefrégéenne»faisantvaloirlarelation«intensionnelle»ouprédicativedunoèmeàl’égarddel’objet:lenoème,oulesensnoématique,étantalorscaractérisécommeunconceptouunprédicatfournissantuneinformation partiale, une information possible parmi d’autres, sur le même objet. Comme le poseFøllesdal,«aumêmeobjetpeuventcorrespondredifférentssensnoématiques61»,autrementditplusieurs« entités abstraites62 » constituant chacune unmode de présentation possible de l’objet. Le noème estalors directement référé au contexte logico-sémantique de la première Recherche logique ; et il estdifficile en effet de contester que l’intense travail de conceptualisation opéré alors sur la notion designification, véritable laboratoire de la phénoménologie à venir, allait se révéler déterminant pour ladéfinition de l’intentionnalité en général. C’est ce que rappelle Føllesdal, citantHusserl, comme tousceuxquiaprèsluiadoptentlamêmeligneinterprétative:«Lenoèmeengénéraln’est,quantàlui,riend’autre que la généralisation de l’idée de signification au domaine total des actes »63. Les Idées I ledisentaussi,maisunpeudifféremment:

À l’origine cesmots [signifier (bedeuten) et signification (Bedeutung] ne se rapportent qu’à la sphère verbale, à la sphère de«l’exprimer».Maisonnepeutguèreéviter[…]d’élargirlasignificationdecesmotsetdeleurfairesubirunemodificationconvenablequileurpermetdes’appliquerd’unecertainefaçonàtoutelasphèrenoético-noématique[…]64.

L’idéen’estalorspasexactementlamême.Lesmotsemployés(signifier,signification)peuventêtreles mêmes, dit Husserl, mais leur transfert généralisant de la sphère verbale à la sphère noético-noématiquenécessitenéanmoinsune«modificationconvenable»deleursens.Etl’onpeutalorsinsister,commeFøllesdal,Smith etMcIntyre, ouDreyfus, sur la filiation ; ou au contraire sur lamodification,commeGurwitschouSokolowski.D’uncôté,onferavaloirtoutcequiramènelenoèmedanslesparagesdesRechercheslogiques :commelasignificationverbale,maisaussicommelejugementprédicatif, lenoème a son centre au-delà de lui-même, dans l’objet auquel il se réfère ou dont il est un prédicatpossible.Onpeutmêmealler,commelefaitHusserlau§133,jusqu’àconsidérerlenoèmecommeune« proposition » (Satz) : cela implique que le noème, y compris perceptif (on parlera alors d’uneproposition« àun seulmembre65 »), eta fortiori le noème d’une proposition prédicative (on parleraalorsd’uneproposition«synthétique66»),dit toujoursquelquechose surquelquechose.Lenoème,ycompris de l’arbre que je perçois, est une proposition, cela veut dire qu’il est, comme« pommier enfleursvuteljouretsoustelaspect»,uneassertionvraieoufaussesurlepommierobjectif.D’unautrecôté,onferavaloirtoutcequ’unephénoménologiedelaperception,etnonunethéoriedelasignificationou du jugement, me dit du noème : non pas qu’il dit l’objet, mais qu’il le présente, à travers sesapparenceschangeantes;nonpasqu’ilenestunprédicatpossible,maisqu’ilseconfondaveclui,étantl’objetcommetel.Dans lepremiercas, lenoèmeestunmoyend’allervers l’objet,dans l’autre, ilestl’objetlui-même,danslarichessedesonapparaître.Soit,pourévoquerlafameusemétaphorefrégéenne,lamainquiprendl’objet,lamainavecsesosetsesmuscles;soitcequetientlamain67.

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Pour autant, nous disions en commençant qu’il n’y a pas à choisir entre ces deux définitions du

noème.Cen’estenrienunealternative,chacuneétantliéeàuncontextedistinct.C’estcequ’ilnousresteàéclaircir.

LesdeuxperspectivismesÀaucunmoment, il faut le noter,Husserl ne fait état d’une quelconque tension dans sa théorie du

noème.Defait iln’yariendecontradictoiredans lesdeuxmomentsde l’exposition, rienquiobligeàopterpourunethéorieaudétrimentdel’autre.D’unesectionàl’autrelecontexteachangé,sibienquelamême entité s’offre à deux attitudes différentes : dans le premier cas, le noème est leconstitué de laconscience(leperçucommetel,levoulucommetel,lejugécommetel);ilestl’objetreconnuidentiquesoiàtraverssesapparenceschangeantes.Dansledeuxièmecasilsefaitconstituant,danslecadred’uneattitudenouvelle(rationnelle)quiseporteau-delàdelui,etquienfaitunmoyendeconnaîtrecequiest,objectivementouuniversellement.

Or il y a d’autant moins à choisir que toute la phénoménologie husserlienne nous aura habitués,implicitement d’abord, puis explicitement, à affronter la dualité du perceptif et du rationnel, et lanécessairefondationdel’unsurl’autre.LadernièrephénoménologiedeHusserl,enparticulieravecLaCrisedesscienceseuropéennes,maisaussiExpérienceetJugement,vaprendredirectementpourthèmecette confrontation, à travers les concepts de «monde de la vie » ou d’« expérience ». Or c’est là,pensons-nous,uncadreinterprétatifquioffretouteslesressourcespourarticuler,sanslesconfondre,lesdeux théories du noème. Il n’y a pas à jouer l’une contre l’autre les interprétations « perceptive » et«conceptuelle»dunoème,parcequ’iln’yapasàchoisir,entrel’expérienceetlaraison:ilyajusteàfonder l’une sur l’autre. La science, comme mise en œuvre et actualisation conséquente du projetrationneldeconnaîtrecequiest,s’attaqueaumondedelavielui-même,pouryproduiresesidéalisationsefficaces.Lemondequejeperçoisnaïvementetdanslequeljevisestlemêmemondequeveutsonderlascience;del’unàl’autreseulel’attitudeachangé.Decepointdevue,laremarquedeMohantys’imposeavecforce,selonlaquellelenoèmeest«uneentitéquiestimplicitementconceptuelle»,parcequ’elle«peutêtreélevéeauniveaud’unesignificationconceptuelle68».Lamêmeentité,quivautcommeunobjetintentionnelàpartentièredansl’ordreantéprédicatif,peutsefairesignificationnoématiqueouprédicatbonàtoutjugement,pouruneattituderationnelle.

Maisilsepourraitalors,inversement,quecegrandparihusserliend’unerefondationperceptivedurationnel,profiteàsontourdel’éclairagedesIdéesI,et tirequelquebénéficedela théoriedunoème.Carcelle-ci, il est tempsde lenoter,orchestreundoubleperspectivisme ; c’est là,pensons-nous, sonapportleplusoriginal.Defaitlenoèmeperceptifestl’unitéd’undiverssanscessechangeant;ilest«lemoment idéalement identique de tous les vécus de conscience qui coïncident dans le sens69 ». Ladescription phénoménologique de la perception a toujours défini cette diversité des vécus commeunediversité « d’esquisses » (Abschattungen) de la chose, c’est-à-dire de points de vue spatialement ettemporellementdistinctsprissurlamêmechose70.Lenoèmerationnelseprésentequantàluicommeunediversité noématique tentant, téléologiquement, d’accommoder l’objet transcendant : cette fois ce sont«les»noèmeseux-mêmesquisontdivers,etquiseprésententcommeautantdepointsdevuepossiblesprissurl’objet.Icileperspectivismen’estplusperceptifmaisprédicatif;quandlaperception«tourne»autour de la chose pour en multiplier les aperçus, la connaissance « discute », c’est-à-dire(étymologiquement)confronteetentrechoquelesdifférentsjugementspossiblessurunmêmeobjet.Dansles deux cas pourtant, unemultiplicité de vues (sensibles ou intellectuelles) vise une unité objective.

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Dans les deux cas, la constitution de quelque chose comme un « objet » ou une « objectivité » n’estpossible que parce que se vise à chaque fois « lemême », au sein d’unemultiplicité. En quoi cetteconsidérationnousfait-elleavancer,endirectiond’uneunificationdunoème?

Lepointimportant,ici,lepointquinoussemblepacifierdéfinitivementlaquerelledesdeuxnoèmes,c’estquenousavonsaffaireenréalitéaumêmeperspectivisme,assumédifféremmentdanschacunedesdeuxattitudes.Carc’estnonseulementlamêmechosequidansuncasestperçueets’écouleenesquisses,dansl’autreestconnueetsedéclineenarguments;maisparailleursc’estlemêmeperspectivismequidans un cas s’oublie, dans l’autre s’officialise. Le propre de la perception en effet, c’est qu’elle estdogmatique:ellecroitaumonde,ouàl’existencedelachose;ellecroittoucherlachoseelle-même,oulemondede tous ;encecielle ignoresonperspectivisme.Ellesait,maissanssavoir,ousansvouloirsavoir,quelamêmechoseestvuedifféremmentdepuisunautrepointdevue;sonréalismeestrobuste,refoulant dans un sentiment indivis de présence la partialité des points de vue, contractant dansl’épaisseurdelachosel’infinitédesvuespossiblessurelle.C’estuneconstantechezHusserl,etcedèslesRechercheslogiques:«Quejeregardecelivreiciprésentd’enhautoud’enbas,del’intérieuroudel’extérieur,c’esttoujourscelivre-làquejevois71.»Celaveutdirequelesactespartielssont«fondus»enunseulacte,plutôtqueprésentscommetels;iln’yapasà«fonder»sureuxunactesupplémentairevisant, au-delà d’eux, l’unité de la chose72. La Verschmelzung (fusion) des actes partiels traduitexactement, dans un vocabulaire hérité de Stumpf, le perspectivisme refoulé, su en même tempsqu’ignoré,donts’inaugure l’intentionnalitéperceptive.Ladescriptionest rigoureusement lamêmedansles Idées I : dans l’attitude naturelle, dit Husserl, les data hylétiques ne sont pas l’objet d’uneperception;cen’estquedansle«vécuanalyseur73»quel’onpeutséparerl’esquissedel’objetquis’yfigure.Cet oubli des points de vue est d’ailleurs, si l’on y pense, la seulemanière de comprendre la«nécessitéeidétique74»établieau§41,selonlaquellelamêmechoseàlafoiss’écouleen«undiversininterrompu d’apparences et d’esquisses75 », et pourtant se donne chaque fois « soi-mêmecorporellement76».Carcommentneserait-cepasdedeuxchosesl’une?Commentlaperceptionpourrait-elle connaître à la fois le multiple et l’unité, un divers qui s’écoule et une chose qui tient, un fluxd’apparences subjectives et une croyance en l’existence transcendante ? Commentphénoménologiquement, c’est-à-dire dans le vécu que j’en ai, pourrait s’accomplir la synthèsed’identification du multiple, l’unification intentionnelle du divers ? Comment, sinon par le jeu d’undogmatismeoud’unecroyance,c’est-à-dired’uneignoranceactive?

Inversement,onaperçoitdans lanoématique rationnelleunperspectivismedéclaré : dans l’espaceverbaletpropositionnelilestofficielquetellenominationestseulementl’unepossibleparmid’autres,ou que telle prédication peut être falsifiée par une autre. Parce que le langage est un espace sociald’interlocution, l’attribution nominale ou prédicative du sens s’y conçoit d’emblée comme partielle etpartiale.Celuiquinommeetquijugelefaitensachant(etnonenrefoulant)queleprédicatchoisiestunpossibleparmid’autres,àproposdelamêmechose.Ilpeutdire«levainqueurd’Iéna»,maissaitqu’onpeut parler aussi du « vaincu de Waterloo » ; comme il peut dire que « a est plus grand que b »,préférablepourluià«bestpluspetitquea77»;danslesdeuxcasilsaitqueplusieurssignificationssontpossiblesàproposdelamêmechoseoudumêmeétatdechose;ilconnaîtl’infiniediversitédu«vouloirdire » à propos dumême thème. L’espace de la discussion humaine se connaît comme pluriel, il luiappartient, comme leposeR.Sokolowski78, de se réfléchir «propositionnellement» : de connaître laproposition comme proposition, donc toute la différence qui sépare cette proposition, avec sasignificationparticulière,del’étatdechoseviséàtraverselle.Le§44deLogiqueformelleetlogiquetranscendantale précise cepoint79.Dans l’attitude«naïve»,ditHusserl, nous jugeonsd’unemanièreimmédiate, autrement dit en étant dirigés sur l’état de chose auquel nous croyons et que nous tentons

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d’exprimerdansnotrejugement.Enjugeant,«noussommesdirigésnonpasverslejugement,maisversles objets sur lesquels nous portons un jugement […]80 ». Or c’est précisément ce qui change avecl’attitude théorique.Celle-ci,dans son«besoindes’assurer sur leschosesmêmesde lamanièredontelles sont réellement81 », est nécessairement amenée à réfléchir sur un mode critique ses propresassertionspourlesvérifier.Toussesjugements,lesavant«lesprendpouruniquementprovisoires82».Ilssontpourluidesmodesdeprésentationspossiblesetrévocablessurl’étatdechoseréel;ilssontpourlui«ses»jugements,àtelmomentdonnéetdanstelcontexte,qu’ilnesauraitconfondreaveclaréalité.Lepropre de l’attitude naïve au contraire, c’est d’ignorer cette opacité référentielle.CommeditHusserl,« juger c’est toujours croire quelque chose, avoir “devant soi” quelque chose en tant qu’étant, d’unemanièreintuitiveounon83».L’attitudenaïvevoitdirectementl’étatdechoseàtraverslejugement,elleoublie la signification particulière du jugement en s’obnubilant de la référence, exactement comme laperceptionvoit lachoseetnonl’esquisse,«précipitant» lefluxdesvécusdanslacroyanceen«la»chose. Cela signifie que la perception, et plus généralement l’attitude naïve (antéprédicative), sontopaquesettransparentesàlafois:leuropacitéestimpliciteetnonassumée;elleest,sil’onveut,ensoietnonpoursoi;elleestuneopacitébienréelle(onvoitouonjugetoujoursdequelquepart),maisvécuecommetransparence,illusiond’uneprésenceentièreetsansdéfaut.

Ensadualité,lenoèmenousentretientainsidedeuxfaçonsdeviserlemêmemonde.Àsonpremierniveau(perceptifouantéprédicatif),lenoèmeestlachoseréelle,maisaugmentéedelaviedeconsciencequilaconstituecontinûment;c’estl’objetintentionnel,c’est-à-direl’objetdansle«comment»desonapparaître–le«perçuentantqueperçu»,le«jugéentantquejugé».Simplementàcepremierniveaules caractères thétiques qui représentent la vie de la conscience, les modes fluents de l’apparaître,s’unifientets’oublientfonctionnellementdansl’identitédusensvisé.Àcepremierniveaulenoèmeestlepôled’unificationdeladiversitédesvécus,cequisignifiequ’ildonneàvoirlamultiplicitédesvécusenmême tempsqu’il la résorbe ; il est lamultiplicité résorbée (refoulée)dans l’unité.Dans lenoèmesecompose,commeditsibienMerleau-Ponty,«uneseulevisionàmilleregards84» : lachosepleinedetous les points de vue sur elle. Or c’est très exactement cette multiplicité refoulée qui fait retour ausecondniveaudunoème,cettefoissousuneformeparfaitementassumée.Laraisonn’estpasdogmatique,comme l’est l’attitudenaturelle ;elleestcritique.Ladiversitédespointsdevuequinous faitgraviterautourduréeln’estplusignoréemaisétaléeaugrandjourdel’espacepublic«des»raisons;ilyanonplus«le»noème,mais«des»noèmesou«des»prédicatsdifférents,pourqualifierlamêmechose.

Celasignifie,maisnouslesavionsaumoinsdepuislesfameusesdescriptionsdeChoseetEspace,qu’onnequittejamaisleperspectivismechezHusserl:Dieului-mêmeverraitencoredequelquepart.Leperspectivisme est l’intentionnalité elle-même, comme œuvre d’identification du multiple ; il est latournuremêmedenotreinsertiondansl’être.Onsauraitd’autantmoinslequitterquelaraison,c’est-à-dire nous-mêmes décidés à voir le réel en face, la raison consiste précisément à l’organiser pour enlibérer toute l’efficace. En regroupant sous un même vocable (le noème) ces deux modalités duperspectivisme, Husserl nous aura rendu attentifs à cette étrange conjonction de l’oubli et de laclairvoyance : l’attitude naturelle c’est le point de vue ignoré, le perspectivisme refoulé, la croyancedogmatiqueaumondecommun;laraisonc’estlepointdevueconsenti,clarifié,élevéparlapratiquedeladiscussionàlahauteurd’uninstrumentdevérité.

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1-.Føllesdal,1969,p.686.

2-.Lapremièrementiondutermesembledater,trèsexactement,de1912,dansl’undesmanuscritsdesIdéesI(cf.HuaIII/2,p.567).

3-.FisetteetPoirier,2000,p.170.

4-.Dreyfus,1972,p.135.

5-.Bernet,1994,p.70.

6-.HuaIII/1,§76,p.141[IDI,p.242].

7-.HuaIII/1,§63,p.120[IDI,p.209].

8-.HuaIII/1,§88,p.181[IDI,p.303].

9-.HuaIII/1,§93,p.193[IDI,p.322].

10-.HuaIII/1,p.282[IDI,p.458].

11-.Solomon,1977,p.169;Bernet,1994,p.68.

12-.HuaIII/1,§76,p.141[IDI,p.242].

13-.Lavigne,2005,p.562-569.

14-.HuaIII/1,§86,p.178[IDI,p.298].

15-.HuaIII/1,§84,p.168[IDI,p.282].

16-.HuaIII/1,§86,p.177[IDI,p.297].

17-.Merleau-Ponty,1960,p.204.

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18-.HuaXIX,§1,p.[RLII-1,p.9].

19-.HuaIII/1,§89,p.184[IDI,p.308].

20-.HuaIII/1,§89,p.184[IDI,p.308].

21-.HuaIII/1,§98,p.207[IDI,p.343]

22-.HuaVI,§70,p.244[CR,p.271].

23-.HuaIII/1,§128,p.265[IDI,p.434].

24-.HuaII,p.39[IP,p.65].

25-.HuaII,p.32[IP,p.55].

26-.Fink,1974,p.146(traductionmodifiée).

27-.Solomon,1977,p.175.

28-.Cf.Dreyfus,1972,p.156:«PourquoiHusserlutilise-t-iluneterminologieaussitrompeuse?Pourquoidire“leperçucommetel”pourdésignerjustementcetélémentdelaperceptionquin’estpasperceptivementprésent?»

29-.HuaIII/1,§89,p.184[IDI,p.308].

30-.Granel,1968,p.221.

31-.HuaIII/1,§86,p.177[IDI,p.296].

32-.HuaIII/1,§98,p.207[IDI,p.343].

33-.HuaIII/1,§98,p.207[IDI,p.344].

34-.HuaIII/1,§91,p.189[IDI,p.316].

35-.HuaIII/1,§91,p.189[IDI,p.316].

36-.HuaIII/1,§91,p.189[IDI,p.316].

37-.HuaIII/1,§98,p.208[IDI,p.345].

38-.HuaIII/1,§98,p.208[IDI,p.345].

39-.HuaIII/1,§94,p.197[IDI,p.328].

40-.HuaIII/1,§98,p.208[IDI,p.344].

41-.Gurwitsch,1966,p.341.

42-.HuaIII/1,§128,p.266[IDI,p.435].

43-.HuaXVIII,p.VII[RLI,p.IX].

44-.Lavigne,2005,p.279-280.

45-.HuaIII/1,§97,p.204[IDI,p.340].

46-.HuaIII/1,§128,p.266[IDI,p.435].

47-.HuaIII/1,§131,p.271[IDI,p.442].

48-.HuaIII/1,§90,p.186[IDI,p.312].

49-.HuaIII/1,§90,p.186[IDI,p.312].

50-.HuaIII/1,p.265[IDI,p.431].

51-.HuaIII/1,p.265[IDI,p.432].

52-.Fink,1974,p.153.

53-.Ibid.,p.152.

54-.HuaIII/1,§129,p.268[IDI,p.438].

55-.HuaXIX,§13,p.49[RLII/1,p.56].Surcetteredéfinitiondelasignification,cf.Benoist,1997,p.21-57.

56-.Frege,1971.

57-.Frege,1971,p.103.

58-.Frege,1971,p.106.

59-.HuaIII/1,§129,p.267[IDI,p.436].

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60-.HuaIII/1,§128,p.266[IDI,p.435].

61-.Føllesdal,1969,p.683.

62-.Ibid.,p.684.

63-.HuaV,p.89[IDIII,p.106].

64-.HuaIII/1,§124,p.256[IDI,p.418].

65-.HuaIII/1,§133,p.274[IDI,p.446].

66-.HuaIII/1,§133,p.274[IDI,p.446].

67-.Frege,1971,p.191.Cf.égalementsurcepointMcIntyre,1987,p.531.

68-.Mohanty,1981,p.711.

69-.HuaXI,§12,p.321[SP,p.72].

70-.HuaXVI[CE].

71-.HuaXX,§47,p.149[RLIII,6,p.182].

72-.HuaXX,§47,p.149[RLIII,6,p.182].

73-.HuaIII/1,§98,p.205[IDI,p.341].

74-.HuaIII/1,§41,p.74[IDI,p.132].

75-.HuaIII/1,§41,p.74[IDI,p.132].

76-.HuaIII/1,§41,p.75[IDI,p.133].

77-.HuaXIX,§12,p.47et48[RLII/1,p.53et55].

78-.Sokolowski,1987,p.525.

79-.HuaXVII,§44,p.107-112[LFLT,p.163-170].

80-.HuaXVII,§42,p.99[LFLT,p.152].

81-.HuaXVII,§44,p.108[LFLT,p.165].

82-.HuaXVII,§44,p.111[LFLT,p.169].

83-.HuaXVII,§44,p.108[LFLT,p.164-165].

84-.Merleau-Ponty,1945,p.84.

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Statutetsignificationdesdéveloppements

surl’affectivitéetlavaleur

(§§116et117)

PatrickLang

Ilpeutsemblerincongrud’aborderlesIdeenIsous l’anglede laphilosophiepratique,c’est-à-direcelui de l’éthique et de la philosophie des valeurs. L’imposant ouvrage ne s’annonce-t-il pas commeressortissant à la théoriede la connaissance, où il revendiqued’ailleursd’avoir ouvert l’accès à« lasourceoriginaired’où l’onpeut tirer la seulesolutionpensabledesproblèmes lesplusprofonds […],concernant l’essenceet lapossibilitéd’uneconnaissanceobjectivementvalable1 » ?Cequ’a retenu laculturephilosophiquedecette«Introductiongénéraleàlaphénoménologiepure»,cesontlescontenusmêmes qu’annoncent les grandes articulations de la table des matières : l’intuition des essences, laréductionphénoménologiquecommemisehorscircuitdelathèsegénéraled’existencedumonde,lamiseen évidence du champ de la conscience pure ou transcendantale, l’exploration de ce champ par uneméthoderéflexivequidécouvre«l’intentionnalitécommethèmecapitaldelaphénoménologie2»,etquipénètredans lesmultiples structuresnoético-noématiques, en revendiquant explicitement la reprise re-fondatrice du projet kantien d’une critique de la raison théorique.De fait, la réputation deHusserl en1913 est encore presque exclusivement attachée aux Recherches logiques, parues en 1900/01. Biensouvent,lesIdeenIseréfèrentàcetécritetauxdifficultésdecompréhensionqu’ilasoulevées.Danscescirconstances, les succincts développements relatifs à l’affectivité et à la valeur qui figurent dans lesIdeenIpeuventaisémentpasserinaperçusoudumoinsêtreperçuscommeanecdotiques.

IlestvraiqueHusserlenpersonneacontribuéàdonnerdelui-mêmel’imaged’unpurthéoriciendela connaissance, en choisissant denepublier de sonvivant quedesouvrages relevantde cedomaine.L’histoiredelaphilosophie,tellequ’elleestprésentéedanslesmanuelsetlesencyclopédies,confortelepublic,même cultivé, dans cette conception de la phénoménologie : idéaliste et transcendantale, doncpurement théorique et gnoséologique, certes féconde,mais intellectualiste et abstraite chezHusserl, laméthodephénoménologiqueauraitétérendueconcrèteetexistentielleparHeidegger,puisparJasperset,enFrance,parSartre,Merleau-Ponty,Levinas,Ricœur(traducteurdesIdeenI).Mais touscesauteurs,aime-t-on à répéter, n’auraient pu appliquer laméthode phénoménologique au traitement de questionspratiques, ou inversement intégrer l’éthique à la phénoménologie comme doctrine, qu’au prix d’une

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ruptureplusoumoinsaffirméeavecHusserl,etspécialementavecleHusserldesIdeenI.Ilsembledoncnécessaire,undemi-siècleaprèslaparutiondelapremièremonographiesurLesrechercheséthiquesdeHusserl3,defairelepointsurl’étatactueldespublications,quiabeaucoupévolué.

IEneffet, les vicissitudesdu travail éditorial ont eupour conséquencedene rendre accessibles au

publicquedepuisunebonnevingtained’annéesleseffortsdéployésparHusserlenvued’unefondationphénoménologiquedelathéoriedesvaleursetdel’éthique.Leslacunesdocumentairessesontcombléespeuàpeu,grâceà lapublicationdesLeçonssur l’éthiqueet la théoriede lavaleurdispenséesentre1908et1914àGœttingen(HuaXXVIII,1988),disponiblesdepuis2009enfrançais4;descinqarticlesécrits en 1922/23 pour la revue japonaise Kaizo sur le « renouveau » comme problème d’éthiqueindividuelleetcollective(HuaXXVII,1989),dontlatraductionfrançaiseaétépubliéeen20055;puisducoursdeLogiqueet[d’]épistémologiegénérale,professéentre1910/11et1917/18,etcomportantunimportant paragraphe6 sur l’axiologie et la pratique formelles et matérielles (Hua XXX, 1996,actuellement en cours de traduction) ; enfin du cours d’Introduction à l’éthique de 1920 et 1924 àFribourg(HuaXXXVII,2004,égalementencoursdetraduction).Leprocessusn’estpasachevé,puisquel’on attend la parution, différée d’année en année, d’un ensemble de textes intitulé Entendement,affectivitéetvolonté.Étudessurlastructuredelaconscience7,dont lesétudesgroupéessous le titre«Constitutiondevaleur,affectivité,volonté»sont,pourunebonnepartie,antérieuresdequelquesannéesoucontemporainesdelarédactiondesIdeenI.

Parallèlement,lasituationaprofondémentchangédanslechampdelalittératuresecondaire.Ilesteneffet remarquable que, jusque dans les années 1970, les études francophones sur les investigationshusserliennes en matière d’éthique n’aient vu le jour qu’en marge du courant dominant de « laphénoménologieenFrance».Ellesontétéproduites,leplussouvent,pardespenseursoudescourantsétrangers ou même hostiles à la phénoménologie, comme la déontique, la logique des normes, ou lepositivismejuridique8.Plusrécemment,suiteàlapublicationdescoursetarticlesdeHusserlconcernantl’éthique,lateneurdecestravauxdufondateurdelaphénoménologieafaitl’objetd’étudesspécialiséesen langue étrangère9. Ce n’est qu’au cours des sept dernières années que la recherche francophone acommencéàprendreencomptecetteévolution;etilafalluattendre2008pourlire,souslacautiond’unphénoménologueaussiéminentqueJacquesTaminiaux:

Larechercheenéthiquen’estpasledomaineleplusconnudel’œuvredeHusserl.Orl’éthiqueestunepréoccupationrécurrentede sonœuvre.Unvaste corpus de textes atteste en effet de l’attention accordée parHusserl à ces problèmes.Les éditions les plusrécentesdesmanuscritshusserliensdémontrentquesondomained’investigationnes’estpaslimitéàlathéoriedelaconnaissance.Ellesconduisentaussiàsedemandersil’interrogationéthiquen’estpaselle-mêmeconstitutiveduprojetphénoménologiquecommetel,dèssoncommencement10.

Ilnes’agiraitdoncderiendemoinsqued’uneinversioncomplètedesperspectivesdelectureetdecompréhension. Une telle inversion est corroborée par les faits biographiques, qu’il faut égalementrappeler:dèsledébutdesesactivitésuniversitaires,Husserlaconsidérél’éthiquecommel’unedesespriorités. Après une première tentative en 1889/90, avortée faute d’auditeurs en nombre suffisant, lePrivatdozent Husserl dispense à Halle des enseignements intitulés « Problèmes fondamentaux del’éthique»(1891,1893),«Éthiqueetphilosophiedudroit»(1894,1897),«Éthique»(1895)11.KlausHeldfaitdoncerreurlorsqu’ilécrit(àl’occasiond’uncolloqueen1992):«Dès1908,Husserladonnédesleçonsportantsurl’éthique12.»IlestvraiqueHusserllui-mêmesembleavoirconsidéréd’unœiltrèscritique laportéede ses effortsdes années1890.Dansune lettredu4 septembre1919à sondiscipleArnoldMetzger,ilécrira:«[AucoursdeladernièredécennieduXIXesiècle,]jen’avaisencoreaucun

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intérêtpourlesréalitéspratiquesetculturelles,nulleconnaissancedeshommesetdespeuples,jevivaisencoredansunevolontéde travail théorétiquepresqueexclusive13.»C’estpeut-êtrepourquoi,aussitôtnomméprofesseurextraordinaireàGœttingen(1901),Husserlentreprend«unremaniementintégral»deson cours sur l’éthique, qu’il dispense au semestre d’été 190214. Que les questions éthiques l’aientpréoccupé jusqu’à la findesannées1920,c’estcedont témoigneencore leparagraphe50deLogiqueformelleetlogiquetranscendantale.

IIUne attention sensibilisée par tous les éléments d’information qu’on vient de rassembler doit être

prêtée aux passages des Ideen consacrés à l’éthique, à l’axiologie, à l’affectivité, à la volonté, à lapratique.

Àenvisagerlaquestionsousleseulanglequantitatif,onrecenselesoccurrencesdetermessuivantes.Vouloir[Wollen]:53passages;affectivité[Gemüt]:32;évaluer:31;valeur:28;plaire:26;pratique[Praktik]:21;sentiment[Gefühl,Fühlen]:18;axiologie:17;joie:10;agir:10;éthique:5;désir:3 ; amour : 3 ; préférence : 2 passages. Ce qui représente au total 259 passages relatifs au champ(étroitementlimité)desquestionsdephilosophiepratique.

Pourtant,parleurbrièveté,laplupartdecespassagespassentfacilementinaperçus.Laraisondoitenêtre cherchée dans le caractère particulier de l’ouvragemême. Dans l’esprit de Husserl, les Ideen Iremplissent une triple fonction, chaque fonction particulière n’étant pas forcément compatible – maisplutôtenconcurrence–aveclesdeuxautres.

1/Lafonctionlaplusexplicitementaffichéeestcelled’introductioninitiatrice.C’estellequidonnesontitreàl’ouvrage,quigouvernel’économiedetouteladeuxièmesection,etquiestréaffirméeendenombreuxendroits,Husserlinsistantd’ailleurssurlecaractère«commençant»delaphénoménologieetsursonproprestatutde«débutant»enlamatière.Danscecontexte,leprivilègeaccordéauxanalysesrelativesàlaperception[Wahrnehmung],quimarquentl’espritdetoutlecteurdébutantdanslesIdeen,est justifiépar le réquisitdidactiquede lasimplicité.Or, les questions relatives à l’affectivité et à lavaleur revêtent, comme on le verra, un degré de complexité supérieur ; c’est pourquoi, la plupart dutemps,ellesnesontmentionnéesqu’enpassant.

2/Lasecondefonction,quientretientaveclapremièreunrapportdetensionsanscesseperceptible,est celled’uneprésentationexhaustive.Husserl souhaite donner un aperçu le plus complet et le plussystématiquepossiblede laphénoménologie,de ladiversitédeseschamps,desrésultatsauxquelselleest déjà parvenue, des différentes directions de ses recherches en cours, ainsi que des tâches qui sedessinentpourunavenirplusoumoinslointain.Toutelatroisièmesectiondel’ouvrageprivilégiecettefonction, qui est partout sous-jacente. C’est ce qui explique l’omniprésence discrète des références àl’affectivité, à l’évaluation, à la volonté. Ainsi, dès le § 27 (qui est, en un certain sens, le véritablecommencementdel’ouvrage),dansladescriptiondu«mondeselonl’attitudenaturelle»,ilestprécisé:

Cemonde n’est pas là pour moi comme un simplemonde de choses [Sachenwelt] mais, dans la même immédiateté, commemondedevaleurs[Wertewelt],commemondedebiens[Güterwelt],commemondepratique [praktischeWelt].D’emblée je trouveleschosesdevantmoipourvuesnonseulementdepropriétésmatérielles,maisaussidecaractèresdevaleurs:bellesetlaides,plaisantesetdéplaisantes,agréablesetdésagréables,etc15.

Le tonestdonné : la référenceauxvaleurs,présentedès ledébutde ladémarche,neseraàaucunmoment perdue de vue,mais constamment rappelée par d’incidentesmentions qui, prenant souvent laformed’énumérationsd’apparencebanaleetunpeufastidieuses,sedérobentà l’attentiondu lecteur. IlfautylireaucontraireuneperpétuellepréoccupationdeHusserl,quiseréclameicideDescartes.Onse

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souvient en effet de la définition canonique du cogito, dans laSecondeMéditation16, et qui est ainsirepriseparHusserl:

C’est à ce monde, à ce monde dans lequel je me trouve et qui en même temps m’environne, que se rapportent donc lescomplexes desactivités spontanées de ma conscience avec leurs multiples variations : l’observation scrutatrice, l’explicitation et laconceptualisation descriptives, la comparaison et la distinction, la colligation et la numération, la supposition et l’inférence, bref laconscience dans son activité théorétique, sous ses formes et à ses degrés différents.Demême les actes et les étatsmultiformes del’affectivitéetdelavolonté:plaisiretdéplaisir,seréjouiretêtreattristé,désireretfuir,espéreretcraindre,sedécideretagir17.

Le souci d’exhaustivité semanifeste notamment au début du chapitre III de la troisième section, àl’occasion de l’introduction du couple conceptuel « noèse/noème ». La phénoménologie s’y fixe pourtâched’éluciderlaconstitutiondesvaleurs.Eneffet,aprèsavoirposéquelaconscienceest«sourcedetouteraisonetdetoutedéraison,[…]detoutevaleuretdetoutenon-valeur,detouteactionetdetoutenon-action18»;aprèsavoirannoncéqu’ils’agiradedistinguer,«parallèlementaudoubletitrederaisonetdedéraison[…],les‘vraies’valeurs, les‘valeursillusoires’et les‘non-valeurs’»etderechercher«comment enchaque régionet catégoriedesunitésobjectives se ‘constituentpour la conscience’19 »,Husserlconfirmequel’intentionnalité,«thèmecapitaldelaphénoménologie»,inclutl’éthique:

Onn’a à peuprès rien fait tant qu’on se contente de dire et de saisir avec évidenceque toute représentation se rapporte à unreprésenté,toutjugementàunjugé,etc.,ouqu’onrenvoieparailleursàlalogique,àlathéoriedelaconnaissance,àl’éthiqueetàleursmultiplesévidences,etqu’ensuiteondésignecesévidencescommerelevantdel’essencedel’intentionnalité.[…]Jusqu’àquelpointeneffetdespropositionslogiquesetdemêmedespropositionspurementontologiques,purementéthiques,outouteautrepropositionaprioriqu’onpeutciter,peuvent-ellesexprimerquelquechosedevéritablementphénoménologique?Etàquellescouchesphénoménologiquescelapeut-ilappartenirenchaquecas?Ladifficultén’estnullementaiséeàrésoudre20.

ToutsepassedonccommesiHusserl,constammentpousséparlesoucid’exhaustivitéàétendresesanalyses au domaine de l’affectivité et des valeurs, s’astreignait non moins constamment par soucididactiqueàuneascèsequiluifaitréduirelesincursionsdanscedomaineàderapidesmentions21ouàquelquesrarespassagesplusdéveloppés,maisdontlecaractèreresteprogrammatique.

3/Latroisièmefonction,elle-mêmedécomposable,estjustificatriceetprotreptique.LesIdeenIsontdestinéesàleverlesmalentendusqu’ontrencontréslesRecherchesLogiques ;ellesdoiventécarterparanticipation de nouveaux malentendus possibles et mettre en relief les divergences avec d’autresapproches ; enfin et surtout, elles sont censées convaincre le lecteur de la légitimité, mieux : del’impérieusenécessitédeladémarchephénoménologique,desgarantiesdesérieuxqu’elleapporte,etdel’importancecrucialedesrésultatspourl’ensembledelaphilosophie.D’oùleniveausouventtrèsélevédetechnicitéetderigueur,multipliantlesdistinctionsdélicates,serviesparuneterminologieproliférante,qui tout à la fois puise dans un vocabulaire (supposé connu) des mathématiques et de la logique, etrecourtauxnéologismes(souventintroduitsdefaçonabrupte)–toutcelaallantbienentenduàl’encontrede la première fonction et ne servant pas toujours la seconde. Cette fonction justificatrice occupe lepremierplandèslechapitreIIdelapremièresection,maiségalementdanslaréfutationdesobjectionscontrelaréflexionpure(§79)et,bienentendu,danstoutelaquatrièmesection.

IIICertaines des distinctions subtiles dont il était question à l’instant concernent précisément les

spécificitéspropresaudomainedel’affectivitéetdesvaleurs,etilconvientd’attirersurellesl’attention.Ainsi faut-il distinguer le cogito dans son mode général, qui est l’« être-dirigé-vers » un objetintentionnel,etla«saisie»d’unobjet,quiestunmoded’actespécifique.

Ilfautbienremarquerquel’objetintentionneld’uneconscience(prisentantqu’ilestsonpleincorrélat)n’estnullementsynonymed’objetsaisi22.

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Iln’yacoïncidencedesdeuxaspectsquedanslecasdelachose[Ding];dèslorsqu’elleestobjetintentionnel,elleestipsofacto«saisie».Enrevanche,

dansl’acted’évaluer,noussommestournésverslavaleur,dansl’actedelajoieverscequiréjouit,dansl’acted’aimerverscequiestaimé,dansl’agirversl’action,sanspourtantsaisirtoutcela.L’objetintentionnel,cequiadelavaleur[dasWerte],cequiréjouit,cequi est aimé, ce qui est espéré en tant que tel, l’action en tant qu’action, [tout cela] ne devient un objet saisi qu’à la faveur d’unetournureobjectivantepropre[ineinereigenenvergegenständlichendenWendung]23.

Autrement dit, évaluer positivement un objet intentionnel, ce n’est pas synonyme d’une saisieexplicite de la valeur comme objet. Se réjouir de quelque chose, c’est « être dirigé vers » la choseréjouissante en la saisissant comme chose, sans pour autant la saisir comme chose intrinsèquementréjouissante.

Être tournéversunechoseen l’évaluant, cela impliquecertes la saisiede lachose ;maiscen’estpas la chosesimple,mais lachosevalableoulavaleur24[…]quiestlecorrélatintentionnelcompletdel’acted’évaluation.C’estpourquoi«êtretournéversunechosepourl’évaluer»nesignifiepasdéjà«avoirpourobjet»lavaleur25,ausensparticulierd’unobjetsaisi,telquenousdevonsl’avoirpourportersurluiunjugementprédicatif,etdemêmepourtouslesacteslogiquesquis’yrapportent26.

Pour que cette valeur devienne elle-même « objet saisi », un acte propre d’objectivation estnécessaire27.

La notion de double intentionnalité, que Husserl introduit dans le présent contexte, est égalementdélicateàsaisir.Ilnes’agitpas28dedeuxdirectionsdel’intentionnalitéquiseraientdivergentes;maisbienplutôtd’uneintentionnalitéquienentoureuneautrecommeunegaine:

Dans les actes dumême type que l’évaluation, nous avons donc un objet intentionnel en un double sens [dumot] : il nous fautdistinguerentrelasimplechoseetl’objetintentionnelcomplet,àquoicorrespondunedoubleintentio,unedoublefaçond’être-dirigé-vers.Quandnoussommesdirigésversunechosedansunacted’évaluation,sedirigerverslachosec’estyêtreattentif,c’estlasaisir;maisnoussommeségalement«dirigés»–encorequedefaçonnonsaisissante–verslavaleur.Lemodedel’actualitéestpropre,nonseulement à la représentation de la chose [das Sachvorstellen], mais aussi à l’évaluation de la chose, qui l’enveloppe [das esumschließendeSachwerten]29.

Prenons donc bien garde qu’« objet intentionnel en un double sens » ne signifie nullement « deuxobjets intentionnels », mais que la chose (saisie) n’est autre que le « noyau30 » chosique de l’objetintentionnelcomplet,noyauquiestcommeenrichiparetenchâssédansd’autresdimensions(icicelledelavaleur),nonsaisiesenelles-mêmes,bienqu’unactesedirigesurelles.C’estlàcequeHusserlappelleun«actesimpled’évaluation31».Ilajouteaussitôt:

Engénéral, lesactesaffectifsetvolitifs32 sont fondésàunniveausupérieur,cequicompliqued’autant l’objectivité intentionnelleainsi que les façonsdont les objets inclusdans l’unité de l’objectivité totale reçoivent [le regard] tournévers eux.En tout cas, il fautprendrepourrèglelethéorèmesuivant:Entoutacteestàl’œuvreunmodedel’attention.Maisdèslorsqu’unacten’estpasunesimpleconsciencedechose, dès lorsqu’unenouvelle conscienceprenantpositionà l’égardde la chose se fonde sur lapremière, lachoseetl’objetintentionnelcomplet(p.ex.«chose»et«valeur33»)sedissocient,commesedissocient«êtreattentif»et«avoirsousleregarddel’esprit»34.

Husserlprécisealorslanaturedela«tournureobjectivante»dontilavaitétéquestionplushaut:

Mais en même temps, ces actes fondés35 comportent par essence la possibilité d’une modification par laquelle leurs objets[Objekte]intentionnelscompletsdeviennentdesobjets[Gegenstände]d’attentionet,encesens,desobjets«représentés»,lesquelsàleurtoursontsusceptiblesdeservirdesubstratsàdesexplicitations,desrelations,desconceptualisationsetdesprédications36.

C’est en raisonde cette objectivationque, dans l’attitudenaturelle, nousnous trouvons face à des« valeurs », à des objets pratiques, des produits de la culture, etc., c’est-à-dire, en toute rigueurterminologique, à des « objets-ayant-de-la-valeur », eux-mêmes susceptibles d’entrer, à titre defondateurs, dans des rapports de fondation avec des actes logiques (qui, dans la gradation jusqu’icirepérée,seraientdetroisièmeniveau).

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IVAvant d’aller plus loin, il sera utile d’apporter une précision terminologique. Dans les Ideen I,

Husserl,à lasuitedeBrentano37, rangedansunecatégoriecommunelesactesaffectifs, l’évaluation, lavolonté.Laplupartdu temps, les troisdomainessontcitésdans lesouffled’unemêmeénumération,etsouventdansunordrequisemblefortuit.Raressont lesdéveloppementsplusconstruitsoùcessphèressontexplicitementdistinguées38.LerecoursauxLeçonssurl’éthiquede1914peutdèslorss’avérerutile.En premier lieu, Husserl y oppose clairement, comme classes distinctes, les actes de connaissance(caractériséscommeprisesdepositionsquisontautantdemodificationsd’actesdecroyanceoriginaires,c’est-à-dire d’actes doxiques) et les « actes de l’affectivité, les actes du ressentir, du désirer et duvouloir39»;cesdernierssontessentiellementnondoxiques :cenesontpasdesactesdu« tenir-pour-vrai », mais du « tenir-pour-beau ou bon »40. En second lieu, l’on y trouve41 une gradation, ou uneimbrication,desdifférentessphères,qu’onpeutrésumerences termes: l’évaluationesthétiquejugeunobjet comme beau sans se soucier de son existence ; l’évaluation existentielle [existenzialeWertung]jugebonuntelobjetàlaconditionqu’ilexiste,etcelui-cidevientalorsl’objetd’unejoierationnellementlégitime ; si un tel bien n’existe pas, il sera une valeur de désir, c’est-à-dire le corrélat d’un désirrationnel ;etsiune tellevaleurdedésirest réalisable,elleseraunevaleurdevolonté,c’est-à-dire lecorrélatd’unvouloirrationnel.Poursimplifier,onpeutdirequelesactesévaluatifsontpourcorrélatdesvaleurs,etlesactesvolitifs,laréalisationdecesvaleurs.Celaposé,revenonsauxIdeenI.

Une fois accomplie la réduction phénoménologique transcendantale, tentons de rendre compte desdifférentespropriétésetparticularitésqueHusserlassigneauxactesévaluatifsetaffectifs.

1/Enpremierlieu,ilspartagentaveclesactescognitifsunepropriétéfondamentale:l’intentionnalités’ysuperpose,commeune«couchedonatricedesens»,àunecouchepurementsensuelle,pourainsidireprédonnée. Dans le cas des actes affectifs, évaluatifs et volitifs, cette couche sensuelle est celle des« sensations de plaisir, de douleur, de chatouillement, etc42. ». Partout, des data sensibles se donnentcomme des matières pour des mises en forme intentionnelles ou des donations de sens. C’est ce quiexpliqueque

ces concepts de matière [ὕλη sensuelle] et de forme [µοφρή intentionnelle] s’imposent franchement à nous quand nous nousprésentifionsn’importequellesintuitionsclaires,oudesévaluations,desactesdeplaisir,desvolitions,etc.,clairementaccomplis43.

Loindoncqueles«donnéeshylétiques»neconcernentquelesseulsactesperceptifsoucognitifs,ellessontégalementlamatièrepremièredesactesintentionnelsdel’affectivité.C’estpourcetteraisonmêmequ’il fautétendre lanotiondesensibilitéà lasphèredesvaleurs.Si lasensibilitéausensétroitdésigne«lerésiduphénoménologiquedecequiest[…]médiatiséparlessens»,ceterme,prisenunsensplusvastemaisnéanmoinsunifié,«embrasseaussilesétatsaffectifsetlespulsionssensibles44»,entantqu’ilsfonctionnentcomme«matières»[Stoffe]danslesvécusintentionnelsdelasphèreaffectiveetvolitive. Or, c’est bien sur cette affectivité, qui ne saurait ressortir qu’au sensible, que se fondeoriginairement la sphère axiologique. Husserl prolonge ainsi les critiques vigoureuses formulées parBrentano45àl’encontreduformalismemoralkantien,lequelrestreignaitlerôledelasensibilitédanslasphèreéthiqueauseulsentimentdurespect.

2/ En second lieu, c’est bien à titre d’actes fondés de niveau supérieur que les actes évaluatifsfocalisent l’intérêt dans les Ideen I. Après avoir illustré la corrélation noético-noématique dans ledomainedujugementprédicatif,Husserlposedesdistinctionsanaloguesdanslasphèredel’affectivitéetdelavolonté:

Desdéveloppementsanaloguesvalentensuite […]pour la sphèreaffectiveetvolitive,pourdesvécus telsqueprendreplaisiretdéplaisir, évaluer en tous les sensdumot, souhaiter, sedécider, agir ; tous cesvécus contiennentplusieurs et souventdenombreusesstratifications intentionnelles, d’ordrenoétique et, parallèlement, d’ordrenoématique […] : p. ex. surune représentation concrètepeut

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s’édifier unmoment non-autonome [unselbständig] d’« évaluation », lequel inversement peut à nouveau disparaître.Quand de cettefaçonunpercevoir,unimaginer,unjuger,etc.,sertdefondementàunecouched’évaluationquilerecouvreentièrement,noustrouvonsdans la totalité ainsi fondée [Fundierungsganze], désignée d’après sa couche supérieure du nom de ‘vécu d’évaluation concret’,différentsnoèmesousens46.

Ces développements reprennent et approfondissent, après accomplissement de la réductionphénoménologique, la distinction rencontrée ci-dessus dans la description initiale du monde dansl’attitudenaturelle:celleentrelachose«saisie»etlachose«ayantdelavaleur»,lavaleurn’étantpas,dansunpremiertempsdel’analyse,saisiecommetelle:

Nousdevonsdèslorsdistinguerd’uncôtélesobjets,choses,propriétés,étatsdechoses,quisontlàdansl’évaluercommeayantdela valeur […] ; d’autre part les objets-valeurs eux-mêmes, les états-de-choses-valeurs eux-mêmes. […] Nous parlons de la simple«chose»[Sache]quivaut,quiauncaractèredevaleur,unequalitédevaleur [Wertheit] ; [nousparlons]d’autrepartde lavaleurconcrète elle-même ou de l’objectité-de-valeur. […] L’objectité-de-valeur implique la chose correspondante, elle introduit commenouvellecoucheobjectivelaqualitédevaleur47.

Conformémentàcequenousavonsétablici-dessus48 sur l’imbricationdesactesd’évaluationdansles actes de volonté49, nous comprenons que ces derniers soient des actes fondés à un niveau encoresupérieurdecomplexité.L’accomplissementd’uneprisededécisioninclutdesvécusquiluiserventdesoubassement,àsavoir,despositionsdevaleurs,elles-mêmesfondéessurdespositionsdechoses50.

3/Ilreste,entroisièmelieu–etc’estlatâchelaplusardue–,àétablircommentseconstituecequi,danslacitationprécédente,estappelé«objectitédevaleur»,c’est-à-direlavaleurcommequalité.Pourformuler la question avec les Leçons sur l’éthique de 1908/09, il s’agit d’éclaircir « la relationproblématique entre l’entendement et l’affectivité lors de l’objectivation de la valeur51 », c’est-à-dired’élucider

[les] fonctions qui incombent à l’« entendement » au sein de la sphère affective, dans lamesure où celle-ci prétend amener àl’intuitionetàlajustificationattestatricedenouvellesobjectités,lesobjectitésdevaleur52.

Autrementdit,ilimportedesavoirsilesactesaffectifssontdesactesobjectivants,etenquelsensilslesont. Ilsembleeneffetquecesoient lesactesaffectifs(évaluatifs)quiconstituent lesvaleurs,alorsque,d’unautrecôté,lesvaleurssontdesobjectités(fût-ced’unerégionpropre),etquedesobjectitésnepeuvent se constituer que dans des actes objectivants, c’est-à-dire des actes de connaissance53 : c’estcettecontradictionqu’ils’agitdelever.

Est-cequela«perception»quidonnedesvaleursestégalementuneperceptionsensible,est-elleaussiperceptionaumêmesens[duterme]?Peut-onpercevoirunerèglededroitet,afortiori, lavaleurd’unerèglededroit,commeonperçoitunechose?Onpeutpercevoiruntableau[…].Maisqu’enest-ildelavaleuresthétiquedutableau?Peut-onpercevoirl’œuvred’artentantquetelle?Nousavonslà,denouveau,laparticipationdel’évalueret,denouveau,laquestion:commentl’évaluers’yprend-ilpourquedelavaleursoitdonnéeenlui?Qu’est-cedoncqu’unêtre-donnédelavaleur54?

L’enjeu de la question est considérable : Husserl entreprend de dépasser l’opposition historique(dans la philosophie anglaise du XVIIIe siècle) entre « morale du sentiment » et « morale del’entendement»,ouencoreentrelescepticismeéthiquedeHumeetleformalismeabstraitdeKant.

Àcetégard,l’utilisationdelanotionde«thèse»(quientredansladéfinitiondetoutcogito,etquiad’abord été introduite55 à propos des actes de perception, de souvenir ou d’anticipation, qui tous«posent»de« l’être»)doit être élargie à l’ensemblede toutes les sphèresd’actes, sibienqu’il estpossibledeparler,nonplusseulementdethèsesd’être,maisdethèsesdeplaisir,dethèsesdesouhait,dethèsesdevolonté,etc.L’unedesconséquencesdecettepositionalitédesactesengénéralrésideenceci,quetoutcaractèrethétiquequi,danslenoèmed’uncogito,seconstitueentantquecorrélatd’unethèsenoétiqueappartenantàcecogito,peutêtreconvertiencaractèred’être,enunemodalitéd’êtreausensleplus large. C’est pourquoi, lorsque nous accomplissons une thèse de plaisir, son corrélat noématique« plaisant » peut être converti en modalité d’être, nous en avons alors conscience comme « étant

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plaisant»,etàcetitreildevientsujetdeprédicatspossibles.Touteladifficultéestdesavoirdansquellemesurecesthèsescontiennentenelles,àtitredefondement,desthèsesdoxiques,voirepossèdentelles-mêmesuncaractèredoxique.Laquestionestpournousdesavoircommentlesactesaffectifspeuventêtrethétiques (commeonvientde levoir) sanspour autant êtreoriginairementdoxiques (cequ’ilsne sontpas).

Ladifficulté s’accroît d’autant que les développements correspondants sont insérés dansune séried’analyses (§ 109-117) concernant la «modification de neutralité », c’est-à-dire unemodification quiconsiste à simplement penser à une opération de la conscience tout en s’abstenant de l’accomplir56.Husserlinsistesurlefaitquecetteneutralisationlaisseintactslescorrélatsdesvécusnonneutralisés,àcettedifférenceessentielleprèsquecescorrélatsnecontiennentplusriendeprédicable57.Silaneutralités’oppose ainsi à la positionalité, celle-ci se divise elle-même en positions actuelles et positionspotentielles,etlamodificationdeneutralisationestapplicableauxdeux.Demême,elleestapplicableàl’ensembledesmodalisationsdoxiquesquesontlesthèsesdesupposition,dedoute,denégation,etc.,quisont des modifications d’une thèse doxique originaire [doxische Urthese ou Urdoxa], laquelle esttoujours contenue en elles à titredepotentialité.Or, lesmodalitésd’une thèsedoxiqueoriginaire sontelles-mêmesdes thèsesdoxiques.Mais ladifférence entrepositionalité et neutraliténe s’appliquepasseulementauxthèsesdoxiques:elleconcernetouteslesthèseset,plusgénéralement,touslesactes,qu’ilssoient en cours d’accomplissement ou non. Concluant ces analyses, Husserl écrit : « Dans tous nosdéveloppements placés sous le titre de la neutralité, les positions doxiques ont eu la préférence. Laneutralitéavaitsonindexdanslapotentialité58.»Aprèslesdistinctionsclairesdu§113,cettedernièreaffirmation,surprenante,nesauraitsignifierquec’est lapotentialitédes thèsesdoxiquesquipermetdeconstaterlaneutralité,maisseulementquelaneutralitémodifielesthèsespotentiellesaumêmetitrequelesthèsesactuelles.

Tout caractère thétiqued’actepris engénéral (toute « intention » d’acte, p. ex. l’intention de plaisir, l’intention évaluative ouvolitive, le caractère spécifique de la position de plaisir ou de volonté) recèle en soi, de par son essence, un autre caractèreappartenantaugenre‘thèsedoxique’,aveclequelil«coïncide»àcertainségards59.

Autrement dit, selon que l’intention d’acte est positionnelle ou neutre, la thèse doxique qu’ellerenfermeàtitredepotentialitéestelle-mêmepositionnelleouneutre.Lesanalysesultérieuressubirontdeuxélargissementsdécisifs:1/lathèsedoxiqueinclusedanstoutethèsen’estpasnécessairementunethèsedoxiqueoriginaire,maispeutêtretoutesortedemodalitédoxique;2/lathèseoriginairen’estpasnécessairementunethèsedoxique,maispeutêtre,précisément,une«positiondeplaisiroudevolonté»à«caractèrespécifique».LesLeçonsde1908-1909expliquaientdéjàquetoutelasériedesmodalisationsestainsiapplicableàlasphèreaxiologique:

Nouspourrionsaussiparlerdecertitudedeplaisir,decertitudedesouhait,decertitudedevolonté,puisparsuitedesupputationsdesouhait,deconjecturesdesouhait[…],dedoutesdesouhait60.

Lesparagraphes116et117des Ideen, sourcescentralespour la thématiquequinous intéresse ici,poursuivent l’investigation des « noèses de sentiment, de désir, de vouloir » en tant qu’elles sont«fondéessurdes‘représentations’,desperceptions,dessouvenirs61»,etc.Ils’agitànouveau,dansceslignes,d’unereprised’analysesprécédentes,enrichiesd’unvocabulaireacquisentre-temps,danslebutdefaireapparaîtreavecprécisionl’activitédelaconsciencedansledomaineaffectifetvolitif.Cequiest décisif dans ces noèses fondées, c’est que les nouveaux moments noétiques – fondés sur lesprécédents–introduisentégalementdenouveauxmomentsnoématiques,quisonteux-mêmes,commeonl’adéjàvu,susceptiblesd’unethèsedoxique.

Unnouveausens seconstituequiest fondésurceluide lanoèsesous-jacente, enmême tempsqu’il l’englobe.Lenouveausens introduitunedimensionde sens totalementnouvelle ; avec lui se constituent nonplus denouveaux éléments déterminants des

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« choses » brutes,mais les valeurs des choses, les qualités de valeurs [Wertheiten], ou encore des objectités de valeurs concrètes[comme]labeautéetlalaideur,labontéetlamauvaiseté;[demême]l’objetusuel,l’œuvred’art,lamachine,lelivre,l’action,l’œuvre,etc62.

Cettecouchedesens«valable»s’ajoute,commeuncaractèrethétiquenouveau,au«noyaudesens»qu’est la chose évaluée, et peut doxiquement être posée comme « étant valable », selon toutes lesmodalisations. Toute la difficulté consiste à savoir quels rapports les « appréhensions de valeur »entretiennentavec les«appréhensionsdechose».C’estàcette tâche, seulementesquissée ici,queseconsacreladeuxièmepartiedesLeçonssurl’éthiquedispenséesen1908/09.Leproblèmeyestformuléencestermes:

Comment une valeur en soi peut-elle devenir consciente dans un acte affectif, et comment peut-on même prétendre [et]justifierlaprétentiondeprendreconscienced’unevaleurvéritable63?

L’amorcedesolutionproposée(en1914)estlasuivante:

C’estseulementsurlabasedesactesaffectifspréalablesquiévaluentlebeauoulebonqu’unjugervientéventuellements’édifier;uneprisedepositionestalorseffectuée,desconceptsetdesmots sontmobilisés,et surgissentalorsdes jugementsprédicatifs surunévalueretdesvaleurs64.

Ici encore, les contresens menacent donc, si l’on ne prend bien soin de distinguer avec Husserl«évaluation»et«jugementdevaleur».La«valeur»,entouterigueur,est lecorrélatounoèmed’unacteaffectifqui,en tantque tel,nese rapportepasà lavaleuren tantqu’objet,mais la ressentet,parsuite, laconstitueselon lemodede l’affectivitéquiesten jeu.«Unsimplesentiment,unplaisirouundéplaisir,unacteaffectifengénéraln’objectivepas65.»Lejugementdevaleur,quantàlui,présupposeetexprimeuneobjectivationdelavaleur.

La raison axiologique […] est pour ainsi dire dissimulée à elle-même. Elle ne devient manifeste que par la connaissance quis’accomplitsurlabasedesactesaffectifs.Orlaconnaissancen’inventepas,ellemetseulementaujourcequi,d’unecertainemanière,estdéjàlà.Sil’affectivitén’étaitpasundomainedeprésomptions,si,enelle,maisprécisémentsurlemodedel’affectivité,desdécisionsn’avaientdéjàdonnéleursuffrage,laconnaissancenetrouveraitrienquisoitdel’ordredesvaleursoudescontenus-de-valeurs66.

D’autrepart,ilfautrépéterquelesactesaffectifsetvolitifs,entantqu’ilssontdesactes,c’est-à-diredes vécus intentionnels, sont des « thèses » non doxiques (quoique convertibles en thèses doxiques,puisquedanstoutcaractèrethétiquerésidentdesmodalitésdoxiques):

Commençons par comprendre clairement que les actes de plaisir (qu’ils soient « effectués » ou non), et de même des actesaffectifsouvolitifsdetoutesorte,sontprécisémentdes«actes»,des«vécusintentionnels»,etquel’«intentio»,la«prisedeposition»leurappartientenchaquecas;ou,pourledireautrement:cesont,enunsenstrèslarge,maisessentiellementunifié,des«positions»,mais précisément des positions non doxiques67 […]. Dans l’évaluer, le souhaiter, le vouloir, quelque chose est aussi « posé »,abstractionfaitedelapositionalitédoxiquequi«réside»eneux68.

Autrementdit, les thèsesaffectivessont«apparentées» (ibid.) aux thèsesdoxiques,mais elles ensont bien plus indépendantes que toutes les modalités doxiques. C’est pourquoi la modification deneutralitéconcerneenfindecomptelescaractèresthétiquesdetoutesorte,etcedefaçondirecte,«sansledétourparles‘positions’ausensétroitetseulusueldumot,celuidesthèsesdoxiquesoriginaires69».

Àlalumièredetoutescesprécisionspréparatoires,qu’ilconvientdegarderprésentesàl’esprit,peutenfins’éclairer l’affirmationdans laquelleculminenonseulement leparagraphe117des IdeenI,maistoutunfaisceaud’analysesmenéesdepuisleparagraphe109;affirmationselonlaquelle

tous lesactes engénéral– y compris lesactesaffectifs et volitifs– sontdesactes«objectivants» [objektivierende],qui«constituent»originellementdesobjets[Gegenstände];ilssontlasourcenécessairederégionsd’êtredifférentesetdoncaussidesontologiesdifférentesquis’yrapportent70.

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N’y a-t-il pas contradiction avec l’affirmation précédemment citée : « un acte affectif en généraln’objectivepas»?Pouréclairercepointdécisif,lerecoursauxLeçonssurl’éthiqueetlathéoriedelavaleurs’avèreindispensable.Husserlyexposeunedifférenceentrelesmodesd’intentionnalitédesactesobjectivants au sens propre (perceptions ou jugements) et des actes affectifs (évaluation, plaisir,souhait):

Lesactesobjectivantsnesontpasdescomplications [composées]d’uneconsciencequi rendconscientquelquechosed’objectif,plusuneprisedepositionvis-à-visdecequiestobjectivementconscient.[…]D’unautrecôté,l’acteévaluatifestunecomplicationdecegenre.Unacteobjectivantestlà,quioffrel’objetàl’avisévaluatif,etparsurcroîtl’évaluerlui-mêmes’yajoute71.

Ilparaîtdoncexactdedirequelesactesobjectivantssont«dirigés»surdesobjets(c’est-à-diresurdesétants)nonpasausenspropreduterme,maisenunsensnormatifoutéléologique;etquelesactesévaluatifs sontdirigés,de façonégalement téléologico-normative,nonpas surdesétants,mais surdesvaleurs.Celles-ciseconstituentcommeobjets,nondanslesactesévaluatifseux-mêmes,maisdansdesactesobjectivantsquis’édifientsurlesactesévaluatifs72.

LevocabulairedesIdeenIn’estpasexactementlemême,maisexprimelamêmeidée;ondiraquetouslesactesnesontpasobjectivantsdelamêmefaçon,ausenslittéral73,maisqu’ilslesontselondesmodespropres:

Par exemple, la conscience évaluante constitue un type d’objectité qui est nouveau par rapport au simple monde des choses,l’objectité«axiologique»;c’estun«étant»relevantd’unerégionnouvelle,danslamesureprécisémentoùl’essencedelaconscienceévaluante en général pré-trace, à titre de possibilités idéales, des thèses doxiques actuelles quimettent en relief des objectités dotéesd’une teneur nouvelle – des valeurs – qui sont « présumées » au sein de la conscience évaluante. Dans l’acte affectif, elles sontprésuméessurlemodedel’affectivité[gemütsmäßig]et,parl’actualisationdelateneurdoxiquedecesactes,ellesenviennentàfairel’objet d’un avis doxique et, ultérieurement, logiquement explicite. De cette façon toute conscience d’acte accomplie de façon non-doxique74estobjectivanteenpuissance,seullecogitodoxiqueaccomplitenactel’objectivation75.

Nouspourrionsdireégalementquel’acted’évaluationsedirigeversl’objetévaluésanscependantenextraire la valeur à titre d’objet ; seule l’opération théorique de réflexion, de jugement, accomplitl’objectivation de la valeur comme telle, cette objectivation étant par conséquent un acte de la raisonthéorique76.

4/ Afin de couvrir le champ complet des actes affectifs et volitifs, les Ideen I élargissent leurdescription au cadre des synthèses de conscience.À titre d’exemples de telles syntaxes articulées oupolythétiques, Husserl cite le « vouloir relationnel ‘en raison de quelque chose d’autre’»,mais aussi«touslesactesdepréférence77».Parcequetoutesynthèseestelle-mêmeunethèse,etqu’àcetitreellerecèle une thèse doxique parallèle comme nous l’avons vu précédemment, la syntaxe des énoncésdoxiquesesttransposableàlasphèreaffective.C’estpourquoiilpeutyavoirquelquechosecommeunejoieplurielle,unplaisirpluriel,unvouloirpluriel,auseind’uneseuleconscience,commel’amouràlafois unifié et collectif d’une mère pour ses enfants. Ici encore, les indications de Husserl restentexplicitementprogrammatiques,toutensoulignant

combienilestimportantdepoursuivreavecsoincesanalyses,sinousvoulonsconnaîtrel’essencedesobjectivités,dessignificationset desmodes de conscience axiologiques et pratiques, donc si nous voulons aborder les problèmes de l’« origine » des concepts etconnaissanceséthiques[…]78.

VLebutdesdéveloppementssurl’affectivitéetlesvaleursdanslesIdeenIestdoncdefaireapparaître

lelienquiintègrepleinementcesdomainesàlaphénoménologiedanssonensemble,entantqueméthoderéflexive au service d’une critique de la raison. Par la subsomption sous le titre générique de lapositionalité(c’est-à-diredescaractèresthétiques),Husserlsouhaiteétablirlesfondementsdesanalogies

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que l’histoire de la philosophie (depuis Aristote jusqu’à Brentano, en passant par Hume et Kant) apressenties entre la logique, l’axiologie et l’éthique, analogies qu’il reprend, dans ses courscontemporains sur l’éthique, afin de constituer deux disciplines formelles, parallèles à la logiqueformelle,savoirl’axiologieformelleetlapratiqueformelle.

Nousatteignonsicilasourcelaplusprofonded’oùl’onpuissetirerquelqueéclaircissementsurl’universalitédel’ordrelogiqueetfinalementsurcelledujugementprédicatif[…];c’estàpartirdelàqu’oncomprendégalementl’ultimefondementdel’universalitédurègnedelalogiquemême.Onconçoitaussi[…]qu’ilsoitpossibleetmêmenécessaired’édifierdesdisciplinesformellesetmatérielles,d’ordrenoétiqueounoématique,etdesdisciplinesontologiquesquiseréfèrentessentiellementàl’intentionnalitéaffectiveetvolitive79.

Eneffet,laphénoménologie,commecritiquedelaraison,seproposederépondreàlaquestiondelavaliditéoudubien-fondé[Triftigkeit]durapportdelaconscienceàuneobjectité,ouplusprécisémentdurapportdunoèmeàsonobjectité.Cettequestionconcernenonseulementlesobjectitésnaturelles,maisaussilesobjectitésdevaleur.Parlerrationnellementdecesobjectités,c’esténoncerquelquechosequipuisseêtre«justifié»,«attesté»,«vu»directementoudansuneévidencemédiate80.Le«voirdonateuroriginaire»,dontilaétéquestiontoutaulongdel’ouvrage,seprésentealorscommelapremièreformed’attestation rationnelle, celledes actes intellectifs.Dans ce cas, la« thèse» estmotivéed’une façonexceptionnelleparunedonationadéquate,une«évidenceoriginaire»,etelleestàcetitreun«actederaison»ausensleplusélevéduterme.Or,

àtouterégionetàtoutecatégoried’objetsprésomptifscorrespondaupointdevuephénoménologique[…]untypefondamentaldeconsciencedonatriceoriginaire;àcetteconscienceserattacheuntypefondamentald’évidenceoriginaire81.

La question se pose donc de savoir quel est le type d’évidence originaire dans lequel s’attestentrationnellement des valeurs, l’évidence n’étant pas seulement une dénomination pour les processusrationnelsrelevantde lasphèredoxique,maisapplicableà toutes lessphères thétiques.La«véritéouévidence théorique ou doxologique » doit avoir pour pendant la « vérité ou évidence axiologique oupratique82 ». La conscience thétique, en chacun de ses genres, est régie par des normes. Pour êtrerationnelle, une conscience de valeur doit d’abord être conforme aux lois formelles établies parl’axiologieformelle.Cettedisciplines’édifiesurunemorphologiequi luisertdesoubassement.Ainsi,lesformessynthétiquescommecellesmentionnéesci-dessus(lapréférence,l’évalueroulevouloir«enraisond’autrechose»,l’amour«pluriel»)contiennentdesconditionsaprioridevaliditéquitrouventleurexpressiondansdesloiseidétiques.

Danslesformespuresdelasynthèseprédicative[…]résidentdesconditionsaprioridepossibilitéde lacertitude rationnelled’ordre doxique, ou en termes noématiques de la vérité possible. […] Il en va demême pour les synthèses relevant de la sphèreaffectiveetvolitive,etleurscorrélatsnoématiques[…].C’estprécisémentdanslespuresformessynthétiquesappartenantàcessphères(p. ex. dans les relations de moyen à fin) que résident réellement des conditions de possibilité de la « vérité » axiologique etpratique.Danscecas,aumoyendel’«objectivation»quis’accomplitégalementdanslesactesaffectifsparexemple,touterationalitéaxiologique et pratique se convertit […] en rationalité doxique, du point de vue noématique, envérité, et du point de vue objectif, enréalité:nousparlonsdebuts,demoyens,depréférabilités,etc.,vraisouréels83.

Demêmequetouteloilogiqueformelleestconvertibleenuneloiontologiqueformelleéquivalente,touteloiaxiologiqueformellepeutêtreconvertieenloiontologique,s’intégrantàuneontologieformelledesvaleurs,desbiens,detouslescorrélatsdelaconscienceaffectiveetvolitive84.

VIEnuncertainsens,lesIdeenIaccompagnentd’uncommentairesystématiquelesLeçonssurl’éthique

etlathéoriedelavaleur,qu’ellesrattachantàl’entreprisephénoménologiquedanssaglobalité.Lepointdejonctionestconstituéparleparallélismeentrelalogiqueformelle,l’axiologieformelleetlapratiqueformelle.Ceparallélisme,surlequelHusserln’acesséd’insister,appelledeuxremarques:

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1/Notreétudeaétabliquelamiseenœuvred’uneanalogieméthodiqueentrelalogiqueetl’éthiquen’impliquenullementuneassimilationde lasphèreaffectiveà lasphèrecognitive,maisprésupposeaucontrairel’irréductiblespécificitédechacune.

2/Le concept d’éthique, dans l’acceptiondeHusserl, est plus largeque celui de lamorale85 ; lescommentateurs l’oublient parfois, reprochant alors à l’éthique husserlienne de se maintenir dans unegénéralité qu’il s’efforçait au contraire d’atteindre dans le but de fonder de façon scientifiquementrigoureuse unemorale. Quoi qu’il en soit, nous demeurons limités en apparence à un formalisme quiappelle des complémentsmatériels. Husserl luimême l’a dit : la « règle de Brentano », c’est-à-direl’impératifcatégoriqueformelselon lequel il fautchoisir lemeilleurparmi lesbiensaccessibles,«nepeutavoir lederniermot86».C’estpar laconceptiond’unapriorimatérielqueHusserl,à lasuitedeBrentanoetaprès1913endialogueavecMaxScheler,approfonditsonoppositionauformalismekantien.«Unerégulationformelledel’évalueretduvouloirsouslaprésuppositionquelamatièredel’évalueretduvouloir–donclaparticularitédecontenudesobjets-valeursetdesobjets-de-volonté–pourraitêtrelaissée hors concours, est une absurdité87. » Cette idée est reprise dans laLogique et épistémologiegénéralede1917/1888, laquellerévèledoncuneremarquableunitédelapenséedeHusserlenmatièred’éthique,puisqu’elleenrappellelamotivationessentielle:parvenir,enmatièred’impératifsmoraux,àdesjustificationsultimes,susceptiblesd’évidencerationnelle.

Seuleuneviehumainequiareçud’unesciencepureetauthentiqueunéclaircissementconcernantsonsens,unedéterminationdeses réalités et de ses potentialités de valeurs – ainsi que des normes fixes pour ses développements et ses possibilités dedéveloppement–peutseréaliserendegrésdevaleurrelativementlesplusélevés,dansunprogrèsindéfinidelagradationdevaleur89.

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J.Taminiaux(dir.),Bruxelles,Ousia.Vongehr Th. (2004), « Husserl über Gemüt und Gefühl in den Studien zur Struktur des

Bewusstseins », in : B. Centi&G. Gigliotti (eds.),Fenomenologia della ragion pratica. L’etica diEdmundHusserl,QuadernidiFilosofian°2,Naples,Bibliopolis,p.227-253.

1-.HuaIII/1,§97,p.228(IDI,p.340).Touslespassagescitésdanslaprésenteétudesontretraduitsparmessoins.

2-.Titredu§84.

3-.Roth1960.CechercheuratravailléexclusivementsurlesmanuscritsconservésauxArchivesHusserlàLouvain.

4-.Cf.ETV.DeuxtextescomplémentairescontenusdanscemêmevolumeHuaXXVIIIavaientpréalablementététraduitsenfrançais:E.Husserl,«Éthiqueetthéoriedelavaleur»,trad.fr.dePh.DucatetC.Lobo,Annalesdephénoménologien°4,2005,p.189-225.LaconfrontationentrecesLeçons,quiencadrentchronologiquementletravailderédactiondesIdeenI,etcesdernières,estéclairanteàplusd’untitre,etaservidefilconducteuràlaprésenteétude.

5-.Cf.Renouveau.

6-.HuaXXX,§65,p.286-311.

7-.U.Melleaannoncélapublicationdecesmatériauxdès1988(cf.Hua.XXVIII,«EinleitungdesHerausgebers»,p.XXXVIII,note1).Vongehr2004endonneuneprésentation.LeMitteilungsblatt für die Freunde des Husserl-Archivs (Bulletin des Archives Husserl) n° 33 (décembre 2010) rend compte de la poursuite des travauxéditoriauxsousletitresuivant:EdmundHusserl,Verstand,GemütundWille.StudienzurStrukturdesBewusstseins,eds.U.MelleetTh.Vongehr:«Letravailsurlepland’ensembledestroisvolumesprévus(entendement,affectivité,volonté)aétépoursuivi.L’appendicecritiqueaétécomplété.Lestitrespourladivisionenchapitresetenparagraphesdes2eet3evolumesontfaitl’objetd’unerévision.»Contrairementauxnoticesd’annéesprécédentes,aucunedatedeparutionn’estindiquée.

8-.Cf.notammentCossío,1951.Cf.égalementKalinowski,1965;1968;1969,suivideprèsparlathèsedeGardies,1972.(JeremercieCarlosLobod’avoirattirémonattentionsurcestextes.)

9-.Cf.bibliographieenfind’article.

10-.Taminiaux,2008,avant-proposdeN.MonseuetL.Perreau,p.5.Jesouligne.

11-.Cf.Schuhmann,1977,p.24,30,35,41,45et51.

12-.Cf.Held,1995,p.122.

13-.HusserlianaDokumenteIII,BriefwechselIV,DieFreiburgerSchüler,Dordrechtetc.,Kluwer,1994,p.408.

14-.Cf.Schuhmann,1977,p.70-71.C’estdececoursde1902queproviennentlesdeuxextraitssurHumeetKanttraduitsenfrançaisen2005,cf.ci-dessus,note4.

15-.HuaIII/1,§27,p.58(IDI,p.90).(Saufmentioncontraire,lesitaliquesdanslescitationssontdeHusserl.)

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16-.«Maisqu’est-cedoncquejesuis?Unechosequipense.Maisqu’est-cequ’unechosequipense?C’est-à-direunechosequidoute,quiconçoit,quiaffirme,quinie,quiveut,quineveutpas,quiimagineaussi,etquisent»,Méditationseconde,ATIX,p.22(jesouligne).CepassageestcitédemémoireparHusserl,HuaIII/1,§34,p.70.

17-.HuaIII/1,§28,p.58-59(IDI,p.91).

18-.HuaIII/1,§86,p.196(IDI,p.295).

19-.HuaIII/1,§86,p.197-198(IDI,p.296-297).

20-.HuaIII/1,§87,p.200(IDI,p.301).

21-.Citonsencore,àtitred’exemplecaractéristique,laconclusiondulong§52consacréauxrapportsdela«choseselonlaphysique»etla«choseperçue»:«Iln’estpasnécessairededévelopperparticulièrementquetousleséclaircissementsconcernantlesobjectivitésdelanatureentantque‘simpleschoses’valentnécessairementpourtouteslesobjectivitésaxiologiquesetpratiquesquitrouventenellesleurfondement,pourlesobjetsesthétiques,lesproduitsdelacivilisation,etc.»(HuaIII/1,p.116[IDI,p.177-178]).

22-.HuaIII/1,§37,p.75.Ricœurtraduit:«Ilfautobserverqu’iln’estpaséquivalentdeparlerd’unobjetsaisi»,rendantainsiladistinctionincompréhensibleparomissiondel’undesestermes(IDI,p.119).

23-.HuaIII/1,p.76(IDI,p.66).Ils’agitdupremiervéritabledéveloppementdesnotionsd’affectivitéetdevaleursqu’ontrouvedanslesIdeenI;commeonleverra,lespossibilitésdemalentenduoudecontresensguettentàchaqueinstantlelecteur.Ilimported’autantplusdenepasfairefausserouteàcestadeapparemmentprécoce,quelesprécisionsapportéesdansles3eet4esectionsdel’ouvragenepeuventelles-mêmesêtrecorrectementcomprisesqu’enrapportaveccespremièresindications.

24- .Ce termeest icisourced’équivoqueetd’obscurité. Ils’agitd’uneconcessiondeHusserlau langagecourantqui,confondantprécisémentceque lephilosophedistingueici,appelle«valeur»unechoseayantdelavaleur.Lasuite(notamment§95)établiraclairementquelavaleurentantquetellen’estprécisémentpaslecorrélatdel’acted’évaluationsimple,maisqu’ellerequiertunactededegrésupérieur,àlafaveurduquelunjugementthématiqueentreenjeu.

25-.«Ilfaut[…]prendregardeaufaitquejugerdelabeautéestautrechosequeprendreplaisiraubeau.»(ETV,p.137).

26-.HuaIII/1,§37,p.76.ChezRicœur(IDI,p.120),ladernièrepartiedelaphraseesttraduite:«ilenestdemêmedanstouslesacteslogiquesquiserapportentàlavaleur»,cequi sembleêtreuncontresens ; certes,dustrictpointdevuegrammatical, lepronom ihnpeutavoirWert commeantécédent,maisphilosophiquement, cetantécédentnepeutêtrequeGegenstand:lejugementprédicatifestnommécommeunexempledel’ensembledesacteslogiquesquiserapportentàunobjet,etpourlesquelsilfautquecetobjetsoitd’abord«saisi».

27-.Cesactes«seconds»serontdécritsàlapagesuivanteentantque«modifications»et,ultérieurement(§116-117),sousletitredes«actesfondésd’undegrésupérieur».

28-.Contrairementàla«doubleintentionnalité»dontilestquestion,parexemple,au§72desLPT.

29-.HuaIII/1,§37,p.76.Ricœur(IDI,p.120)traduitladernièrephrase:«Lemoded’actualiténeporteplussurlareprésentationdelachose,maisaussi[…]»;or,nichtbloßsignifierecte«nonseulement»,«ne…plus»traduisantnichtmehr.

30-.LeconceptdenoyauseraintroduitparHusserlau§90,oùilexplique:«Lenoèmecompletconsisteenuncomplexedemomentsnoématiqueset[…]lemomentspécifique du sens n’y forme qu’une sorte de couche nucléaire nécessaire, sur laquelle sont essentiellement fondés d’autres moments » (p. 206). Et au § 92 : « Nousremarquonsparlàqu’àl’intérieurdunoèmecomplet[…]ilnousfautdiscernerdescouchesessentiellementdifférentesquis’agrègentautourd’un‘noyau’central,autourdupur‘sensobjectal’»(p.210).

31-.Untelacteestdéjàunactefondé:«Ildoitd’abordyavoirunobjetqui,entantquetel,doitavoirsesprédicats logiques ; ilpeutensuiteassumeraussidesprédicatsaxiologiques.[…]Lesprédicatsaxiologiquesprésupposentlesprédicatslogiques»(HuaXXVIII,p.256[ETV,p.338]).

32-.Gemüts-undWillensakte;«etvolitifs»manquechezRicœur(IDI,p.120).

33-.Cf.ci-dessusnote24.

34-.HuaIII/1,§37,p.77.

35-.Ilfautcomprendred’aprèscequiprécèdequelesactesd’évaluationlesplussimplessontdéjàdesactesfondésdepremierniveau.«Fondésenunsensdouble:1/seconstruiresurquelquechose;2/présupposercequelquechosecommenécessaire»,écritHusserldansunenotede1908/1909(HuaXXVIII,p.252[ETV,p.334]).DanslesIdeenI,lesactesfondésàunniveausupérieursontétudiésàpartirdu§93,puissurtout,etplusexplicitement,àpartirdu§116.

36-.HuaIII/1,§37,p.77(IDI,p.121).

37-.Cf.F.Brentano,VomUrsprungsittlicherErkenntnis(1889),§20,Hambourg,Meiner,1969,p.18;L’OriginedelaconnaissancemoralesuivideLaDoctrinedujugementcorrect,trad.fr.M.deLaunay&J.-C.Gens,Paris,Gallimard,2003,p.51-52.

38-.C’estlecasau§95,parexemple.

39-.HuaXXVIII,p.59(ETV,p.136-137).

40-.Cf.ibid.,l’ensembledu§20delapartieA.

41-.HuaXXVIII,p.47-48(ETV,p.122-123).

42-.HuaIII/1,§85,p.192(IDI,p.288).

43-.HuaIII/1,§85,p.192-193(IDI,p.289).

44-.HuaIII/1,§85,p.193(IDI,p.290).

45-.Cf.F.Brentano,VomUrsprungsittlicherErkenntnis,op.cit.,§13,p.14,etnote14,p.51-52(trad.fr.,p.45-46).Cf.aussiGrundlegungundAufbauderEthik,Hambourg,Meiner,1978,p.33-40,74-83,134-152.

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46-.HuaIII/1,§95,p.220(IDI,p.329-330).

47-.HuaIII/1,p.220-221(IDI,p.330).

48-.Cf.note41.

49- . Pour faciliter la compréhension des IdeenI, il est utile de garder à l’esprit que l’image de l’emboîtement (ou de l’imbrication) et celle de la fondation sontéquivalentes : « Les intentionnalités de la noèse et du noème s’étagentpardegrés les unes sur les autres ou plutôt s’emboîtent les unes dans les autres d’unemanièreoriginale»(HuaIII/1,§100,p.235[IDI,p.349]).

50-.Cf.HuaIII/1,§95,p.221(IDI,p.331).

51-.HuaXXVIII,p.249(ETV,p.330).

52-.HuaXXVIII,p.251(ETV,p.332).

53-.Cf.HuaXXVIII,p.277(ETV,p.362).

54-.HuaXXVIII,p.279(ETV,p.364-365).

55-.Cf.HuaIII/1,§103.

56-.Cf.HuaIII/1,§109.

57-.C’estparcettemodificationdeneutralité,miseenévidencedanssaspécificité,maisaffectanttouteslesclassesd’actesthétiques,quelaméthoderéflexive(cf.§77-79)etl’έπϲχήphénoménologiquereçoiventrétroactivementleurultimejustification.

58-.HuaIII/1,§115,p.264(IDI,p.390).

59-.Ibid.

60-.HuaXXVIII,p.327(ETV,p.417).

61-.HuaIII/1,§116,p.266(IDI,p.393).

62- .HuaIII/1, §116,p.267 (IDI, p. 393-394).On voit que ces lignes font écho à celles, citées ci-dessus, des p. 76-77 et 220-221. Il convient donc d’éclairerrétroactivementcespassagesantérieursparceuxcitésici.

63-.HuaXXVIII,p.250(ETV,p.331).

64-.Ibid.,p.60(ETV,p.137).

65-.Ibid.,p.253(ETV,p.335).

66-.Ibid.,p.63(ETV,p.141).

67-.Nurebennichtdoxische(jesouligne).Ricœur(IDI,p.396)traduit:«maisprécisémentdespositionsdoxiques»,remplaçantainsil’énoncédutexteparl’idéecontraire.C’estcequiexpliquelecontresensgrevantlanote2dutraducteuràlamêmepage,oùRicœurparlede«croyancespratiquesetaffectives»,alorsqueHusserlestprécisémententraind’expliquerquelesthèsespratiquesetaffectivesnesontpasdescroyances.Nousverronsqu’ilnes’agitpasd’unesimplecoquille,maisdeplusieurserreurs de traduction qui se répondent, tendant à identifier le thétique au doxique. C’est là assurément l’une des causes de l’embarras manifesté par le commentairefrancophoneà l’égarddes analyseshusserliennes concernant les actes affectifs, embarrasqui expliqueenpartie l’ascendantqu’ontpuprendre, sur cemêmecommentairefrancophone,lesgriefsadressésàlaphénoménologiehusserlienneparHeideggeretLevinas.Cf.àcesujetLobo2010.

68-.HuaIII/1,§117,p.268-269.

69-.HuaIII/1,§117,p.270(IDI,p.398).

70-.HuaIII/1,§117,p.272(IDI,p.400-401).

71-.HuaXXVIII,p.338(ETV,p.429).

72-.Cf.HuaXXVIII,p.339-342(ETV,p.431-434).

73-.Husserls’expliqueenplusieursendroitsdesIdeenIsurl’importancequerevêtentlesguillemets,entantqu’ilsmarquentle«changementdesigne»impliquéparlaréductionphénoménologique.Cf.HuaIII/1,p.159,205,209,215,219-222,226,310,350.

74-.Ricœur(IDI,p.401)traduit«opéréedefaçondoxique»;maisletexteportebien«Jedesnicht-doxischvollzogene».Cf.ci-dessusnote67.

75-.HuaIII/1,§117,p.272.

76-.Cf.ETV,préfacedeD.Pradelle,p.46.

77-.HuaIII/1,§118,p.274(IDI,p.404).

78-.HuaIII/1,§121,p.281(IDI,p.412-413).

79-.HuaIII/1,§117,p.272(IDI,p.401).

80-.Cf.HuaIII/1,préambuleauchap.IIdelaquatrièmesection,p.314(IDI,p.458).

81-.HuaIII/1,§138,p.321(IDI,p.467).

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82-.Cf.HuaIII/1,§139,p.323.Ricœur (IDI,p.471) traduit :«La ‘vérité théorique’ou ‘doxologique’ouévidence», obscurcissant ainsi le parallèle établi parHusserl,etsuggérantqueleconceptd’évidenceseraitréservéàlasphèredoxique.

83-.HuaIII/1,§147,p.340(IDI,p.493).

84-.Cf.HuaIII/1,§148,p.343(IDI,p.496-497).

85-.Cf.HuaXXVIII,p.414;trad.fr.:«Éthiqueetthéoriedelavaleur»,Annalesdephénoménologien°4,2005,p.221.

86-.Ms.BI21,65a(conservéauxArchivesHusserldeLouvain).

87-.HuaXXVIII,p.139(ETV,p.228).

88-.HuaXXX,p.294sq.

89-.Ibid.,p.305.

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Ladoctrinephénoménologiquedelaraison:rationalitéssansfacultérationnelle

(§§136-153)

DominiquePradelle

«Pointderaisondonnée,maisuneraisonquisefaitetdontnoussommesresponsables.»

ÉdouardLEROY,«Surquelquesobjectionsadresséesàlanouvellephilosophie»

Quelestlestatutdelaraisondanslaphénoménologietranscendantale?Entantquedegrésuprêmedel’activiténoétique,désigne-t-elleunefacultéenracinéedanslanatureetlaspontanéitécognitivedusujettranscendantal?Husserlest-ilainsiconduitàassumerlerenversementcoperniciendeKant?

Chez Kant, raison est un titre désignant les formes de l’aspiration métaphysique de l’homme, ladispositionmétaphysiqueà rechercher l’inconditionnésous la formedesobjetssupra-empiriquesde lametaphysicaspecialis–l’âmecommepartienonempiriquedel’hommedéterminéeparpursconcepts,lemondecommetotalitéinfinie,etDieucommeomnitudorealitatisetCréateurdetoutétant.Ils’agitd’unefacultédistinctedel’entendement,danslamesureoùelleaspireàconféreràsesconnaissancesuneunitésystématique et est la faculté des Idées – concepts nécessaires auxquels ne correspond nul objet quipuisseêtredonnéparlessens1.

LepointcentraldeladoctrinekantienneestpourHusserllesuivant.Auseindusujettranscendantal,la raisondésigneune facultédistinctede l’entendement,unedispositionmétaphysique (lametaphysicanaturalis étant en effet ancrée dans la nature de l’homme2) dont les structures sont primairementsubjectivesetdessinent,auseindel’homme,lebesoind’unerelationauxobjetssuprasensibles;ellefaitl’objetd’unedisciplinespécifique,lamétaphysiquedelamétaphysique,quiapourtâched’éluciderlapossibilitédelamétaphysiqueàtitrededispositionnaturelledusujet3.OrilnepeutyavoirdedéductionobjectivedesIdéestranscendantalesdelaraison,maisseulementunedéductionsubjective–àsavoirunedérivation à partir de la nature de la raison prise comme entité préexistante, constitutive du sujettranscendantal4 ; les structures de la raison constituent donc un fait anthropologique dont il estimpossiblederendreraison.

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L’exigence d’une philosophie sans présupposition ne doit-elle donc pas conduireHusserl àmettreentreparenthèsestoutprésupposérelatifàlaraisoncommefacultéetàsesstructures?Levinasétait-ilfondéàassimilerlaphénoménologiehusserlienneàun«idéalismesansraison»?Husserlmanifesteiciunesingulièreambivalence.

D’uncôté,laréductionphénoménologiqueenveloppelaraison,dontellemetensuspenslavaliditéontologique, puisque s’y applique l’exigence demettre hors circuit toute faculté subjective, à titre deprésupposition transcendante5 : on ne saurait donc admettre, comme constituant la nature du sujettranscendantal,une faculté rationnelledont l’existenceseraitunsimple fait anthropologiquecontingent,uniquementfondédanslanaturesupposéedel’espritfini.

De l’autre, loin d’éliminer radicalement tout usage du concept de raison, Husserl l’emploie aucontrairerégulièrement:l’ultimesectiondesIdeenIestintitulée«Raisonetréalitéeffective»(VernunftundWirklichkeit),etcomprenddeuxchapitresintitulés«Phénoménologiedelaraison»et«Niveauxdegénéralité de la problématique de la raison théorétique »6 ; de même, l’ultime chapitre de Logiqueformelleetlogiquetranscendantaleestintitulé«Logiqueobjectiveetphénoménologiedelaraison»7.Et,au§23desMéditationscartésiennes,Husserlénoncelathèsefondamentaleselonlaquellelaraison

n’est pas une faculté de l’ordre du fait contingent [kein zufällig-faktisches Vermögen], un titre désignant de possibles faitscontingents, mais au contraire une forme structurelle eidétique et universelle de la subjectivité transcendantale en général [eineuniversalewesensmäßigeStrukturformdertranszendentalenSubjektivitätüberhaupt]8.

Il existe donc en phénoménologie un sens légitime du concept de raison, qui ne désigne pas unefaculté subjective appartenant à la nature du sujet connaissant. Quel est ce sens phénoménologique,affranchidetoutehypothèserelativeàlapré-constitutionpsychologiquedusujetfini?Quepeutêtrelaraison,siellen’estplusunefacultéconstitutivedusujet?Enoutre,queltypederationalitéesticivisé:larationalitéscientifiqueengénéral,communeàtouteslessciences?larationalitéphénoménologiquecommefondementdetouteautreforme?ouuneformederationalitépluslarge,embrassantlasphèrepré-scientifiquedelaperception,maisaussilesdomainesnonthéorétiquesdelapratique,del’affectivité,del’axiologieetdel’esthétique?

LaraisoncommestructuretéléologiquedetouteintentionnalitéLa réponse à la première question est donnée dans deux textes – le § 58 desProlégomènes à la

logiquepureetlesLeçonssurl’éthiqueetlathéoriedelavaleurde1908-09:

cesconceptsmythiquesdéconcertantsqueKantaffectionne tant, […] jeveuxdire lesconceptsd’entendementetderaison[dieBegriffeVerstandundVernunft],nousnelesaccepteronsnaturellementpasausenspropredefacultésdel’âme[indemeigentlichenSinnevonSeelenvermögen].Nousprenonsbienplutôtlestermesd’entendementetderaisoncommedesimplesindicesdel’orientationvers la« formedepensée»et ses lois idéalesque la logique,aucontrairede lapsychologieempiriquede laconnaissance, sedoitdeprendre9.

Naturellement,letermederaison[Vernunft]nedésigneàprésentaucunefacultépsychique[keinpsychischesVermögen],maisdoitêtreentendudemanièrephénoménologiqueou–pourparlercommeKant–transcendantale,àsavoircommeuntitreembrassantlesconfigurationseidétiquesd’actes [WesensgestaltungenvonAkten] en lesquelsparviennent à la visée [zurGemeintheit kommen] et,danslecontextedelaconnaissance,àladonationlégitimatrice[zurausweisendenGegebenheit],desobjectitésdu typecatégorialenquestion,enfonctiondeleuressence[GegenständlichkeitendesbetreffendenkategorialenTypusihremWesennach]10.

Qu’est-ce à dire ? Que le terme de raison devient un titre désignant l’ensemble des problèmesphénoménologiquesdevalidation,d’attestationdel’êtreoudelavaliditéd’unobjet–etce,quellequesoitsasphèred’appartenanceontique.Ilsesitueaucroisementdesdeuxprincipesessentiels:celuidelastructure téléologique de l’intentionnalité, selon laquelle toute intention tend vers l’intuitionremplissante11;etleprincipestructuralselonlequeltouteessencerégionale(toutsensnoématique,selon

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la régionde l’étantdont il relève)prescritausujet transcendantalunestructurede l’évidenceoude laconstitution12.

1/Envertude la thèseontologique fondamentalede l’idéalismeconstitutif, touteobjectitépour laconscience(fürdasBewußtsein)n’estcequ’elleestqu’entantqu’objectitéparlaconscience(durchdasBewußtsein)13.Qu’ellesoitpar la conscience, cela signified’unepartque l’objet estviséparunacteintentionnel de la conscience qui est instaurateur de son sens ontique par une sorte de spontanéitésémantique ;etd’autrepart,quecette intentionvisant le senspeut se réaliseren intuitiondonatricedel’objet, c’est-à-dire que le sens est susceptible de se valider dans l’évidence comme un objetvéritablement étant. Le concept de raison désigne donc une structure téléologique inhérente à touteintentionnalité, celle-ci étant l’essence structurale de la conscience. Ses moments essentiels sont lessuivants:touteintentionvisantunsensd’objettendtéléologiquementversl’intuition,oul’évidencedel’objet14 ;cettedernièren’estautrequel’auto-donationde l’objet, sadonationdirecteenoriginal,paroppositionàtoutere-présentationetàtouteviséepurementsymbolique15;enfin,cettedonationn’estàsontourquelaprocéduredevalidationdusensontique,devérificationdesavaliditéenfonctiondenormes.Leconceptderaisonn’estdoncqu’untitreuniverseldésignantlaproblématiquedelavaliditéet–toutevalidité ayant sa source dans un acte subjectif de validation dans l’évidence donatrice – pour ladétermination des structures de la validation ; et un titre pour la structure téléologique de touteintentionnalité,selonlaquelletouteviséeintentionnelletendversladonationdel’objet–ou,entermesnoématiques, selon laquelle tout sens objectal requiert une validation par des actes d’évidencedonatrice16.CitonsànouveauHusserl:

Vuquecequ’estuneobjectitépourlaconscienceestparlaconscience,c’est-à-direseulementgrâceàdesactesconstituants,leproblèmecapitalconsisteàexplicitercomment,auseindelaconscience,peutêtredonnéeuneobjectitésurlemodequenousappelonslefait,pourl’êtredecetteobjectité,des’attester-de-manière-valide[dasSich-in-gültiger-Weise-Ausweisen]17.

2/ Le sens de la thèse énoncée au § 23 desMéditationsCartésiennes s’éclaircit donc à présent.Pourquoi la raisonn’est-ellepasde l’ordredu faitcontingentetnes’identifie-t-elleplusàune facultéqui,appartenantausujetà titred’invariantanthropologique,pourraitaussibiennepas luiappartenir?C’estque«raison»nedésigneplusunsimplepouvoirinhérentàl’êtredusujet,maisunestructuredevalidationrelativeàl’essencedetoutétantengénéral.Unprincipestructuralvienteneffetcompléterleprincipetéléologique.Certes,dansl’ontologiephénoménologique,l’êtredel’étantn’estpasdel’êtreensoi,maisdel’êtrepouretparuneconscienceabsolue,sevalidantgrâceauxmodesd’évidencedecettedernière ; l’être de l’étant est ainsi fondé sur la subjectivité pure.Mais d’un autre côté, chaque typerégionald’étant(chosetemporelle,spatiale,matérielle,culturelle,animée,sociale,personne…)impliqueunestructurespécifiquedevalidationdusensoudeladonationdel’objet;loind’êtrepurementsubjectif,leconceptderaisonestdésormaispenséàpartirdesessencesnoématiques,etnondesactesnoétiques;depuislestypesd’objets,etnondepuislescapacitésquiappartiennentàlanaturedusujettranscendantal.Bienquela«phénoménologiedelaraison»soitorientéesurlesconfigurationsdelaviesubjective,lefilconducteur transcendantaln’enrésidecependantpasdans lanatureou lespouvoirsdusujet,mais–puisquetouteessenced’objetenveloppeuntypeessentieldeprisedeconscience–danslestypesd’objetsusceptiblesdesedonneràlaconscience.Quelasphèredesvécusdeconscienceneseréduisepasàunflux héraclitéen dépourvu de connexion nomologique, mais soit soumise à des lois eidétiques, celaprovientdufaitquelasphèredesnoèmesestreliéepardesconnexionsd’essenceàcellesdesnoèsesquilesvisentetlesatteignent18.

Laphénoménologiedelaraisondésignedonclaproblématiquedelaconstitutiontranscendantaledesobjets,pourautantqu’elleestdéployéedemanièresystématiqueaufilconducteurdescatégoriesd’objetsintra-mondains et idéaux : pour chaque type d’objets (mélodie, arc-en-ciel, table, animal, personne,institutionsociale),ilfautdéterminercomment,àtraversunemultiplicitédevécusdonateurs,parvientà

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semaintenir et se confirmeruneunitéobjectale.L’élucidationde cettepossibilité est à chaque fois latâched’unedisciplineconstitutiveparticulière:àsavoirladoctrinedelalégalitéeidétiquequirelieuntype noématique particulier à une pluralité articulée de vécus de la conscience. En chaque régionmondaine se réactive donc, au plan constitutif, le problème traditionnel du rapport entre l’Un et leMultiple,interprétécommerapportentrel’étantetlesconfigurationsdelaconscience19.Àunedoctrinesubjectivistedelaraisonsesubstitueainsiunedoctrineeidétiquedesformesdelarationalité.

Subjectivitédelaraison?Lapluralitédestypesderationalitéetleurunitéstructurale

Ilfautentendrerigoureusementlecaractèrenonsubjectivistedecettedoctrinephénoménologiquedela raison.Nonsubjectiviste ne signifie pasnonsubjectif. Le concept de raison désigne, non plusunedispositionancréedansl’essencedusujet,maisunensembledestructuresnoético-noématiquesdictéespar les essences d’objets. À ce titre, il est bien subjectif, puisqu’il désigne des configurations de laconscience ; mais d’un autre côté, il est foncièrement a-subjectif, vu que les lois qui régissent lesenchaînementsdelaconsciencedonatriced’objetn’ontpasleurfondementdanslanaturedusujet,maissontprescritesaprioriparlacatégoriedontrelèvel’objet.Ainsi,qu’unvécuinstantanénepuisseêtredonnéqu’àuneréflexionquiestunacteendéphasagetemporelparrapportàcequ’ilréfléchit,c’estunenécessitéquinedépendpasdutypedeconscienceenquestion,etquis’avèreindifférenteàladistinctionentresujetfinietinfini20.Qu’unemélodienepuissesedonnerautrementquecommeunitésynthétiqueàtraversunesuccessiondedatasonores,cen’estpaslàunmoded’appréhensionpropreàlaconsciencehumaine (ou en général finie), mais une vérité structurale qui appartient à l’essence de tout objet detemps. Qu’une chose spatiale ne puisse se donner que d’une manière unilatérale et progressive, encomplétantsonaspectpar lasynthèsesuccessivedesesfaces,c’est làencoreunestructuredéterminéepar l’essencede resextensa, et qui s’impose à toute subjectivité –y compris àDieu, entendu commeconceptlimited’unesubjectivitéomnisciente21.Enfin,qu’uneautrepersonnenepuissejamaisparveniràladonationoriginale,dufaitquesaviepsychiquedemeureparprincipeinaccessible,c’estlàunevéritéstructurale inhérente à l’essence ontique de l’autre ego, et non une vérité anthropologique due à unelimitation de fait de notre faculté de connaissance22. Levinas attirait l’attention sur la récurrence et larésonancenonanthropologistedelaformule:«“MêmepourDieu”,laformuleestremarquable23.»LesensenrésidemoinsdansunethèsethéologiquequisoumettraitDieuauxconditionspropresàl’intuitionfinie,quedanscelleselonlaquellelesmodesdedonationrésistentàtoutevariationeidétiqueopéréesurle subjectivité, parceque ce sont des lois structures inhérentes aumodedeprésentationdesobjets dechaquetype.

Laraisonnedésignedoncplusuneseuleetuniquefaculté,maiséclateenunemultiplicitédetypesconstitutifsoude structures typiquesde lavalidation ; iln’yaplusuneuniqueraisonconstitutivedusujet,maisunepluralitéderationalitésrégionales.Telestlemotifpourlequellesultimesparagraphesdes IdeenI etdeLogique formelle et logique transcendantale, consacrés à la phénoménologie de laraison, culminent en une analyse de lapluralisation desmodes d’évidence possibles en fonction desdifférentes catégories d’objets. Ainsi, l’ego cogito et les vécus réduits jouissent d’une évidenceapodictique,tandisquelesobjetsnepeuventsedonnerquedansuneévidenceprésomptive;laréflexionpuredonnelesvécusdansuneévidenceadéquate,paroppositionàl’évidenceinadéquatedesobjetsdel’expérience externe ; la donation de mes vécus et des archi-objets sensibles (temporels, spatiaux,matériels)estoriginale,c’est-à-direincarnéeenunnoyaudedonnéeshylétiques,tandisquecelled’autruine peut l’être par principe (puisque les vécus d’autrui me sont absolument inaccessibles de manièredirecte),desortequel’expériencequejefaisd’autruiestnécessairementanalogique,etc24.

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Cettepluralitédemodesd’évidenceoudetypesconstitutifsdemeure-t-elleunchaosdépourvud’unitéetdelégalité,condamnéàunedisséminationanarchique?Nonpas!Ellepossèdeaucontraireuneunitéstructurale, prescrite par l’architectonique des essences d’objets et des disciplines eidétiquescorrélatives25.Ilyatoutd’aborduneoppositioncardinaleséparantlarationalitéformelle–quirégitlesmodes d’évidence des variantes du quelque chose vide –, et les formes de rationalité matériales,corrélatives à l’évidenced’une régiond’objetsmondains.Cetteoppositioncorrespondà ladistinctionentrelesactesdeformalisationetdegénéralisation26.

Aux essences matériales (qui enveloppent un contenu de connaissance et sont obtenues pargénéralisation à partir des individus intra-mondains) s’opposent en effet les essences formelles,dépourvuesdetouteteneurobjectaleetobtenuesparexténuationdetoutecontenu.L’ensembledecelles-ci englobe la totalité des formes du quelque chose en général, c’est-à-dire toutes les catégoriessyntaxiques et ontologiques (comme substrat, attribut, prédicat, ensemble, groupe, etc.). Dansl’orientation subjective qui est corrélative, cela définit la doctrine de la constitution des catégoriessyntaxiques et ontologiques-formelles, dont la tâche est d’élucider l’origine de leur sens et de leurvalidité.Estainsitracélechampd’unedoctrinephénoménologiquedel’entendementoudelaraisonausensétroit–àsavoirlaraisonformalisante,purementcatégorialeoulogique.D’unepart,onydécritlestypesd’actesformalisantsetd’opérationssynthétiques(synthetischeOperationen)d’explicitation,miseenrelation,colligation,etc.,quisontàl’originedescatégoriessyntaxiquesdel’apophantiqueformelle,c’est-à-diredesformesdetoutediscursivitépossible;d’autrepart,onyrecherchelestypesd’évidenceen lesquels ces significations formelles acquièrent la validité d’objets (scil. d’essences) formelsproprementétants27.Cesproblèmesdevalidationdescatégories,ainsiquedesprincipesformelsquilesrégissent,rejoignentceuxdel’épistémologiedelalogiqueetdesmathématiques;telssontparexempleceuxquiconcernentlavalidationdesprincipesfondamentauxdelalogique(principedecontradictionetdutiersexclu),ouencoreceuxquirelèventdelathéoriedesensembles(sommeetproduitdesensembles,existencede l’ensembledespartiesd’unensembledonné,existencede l’ensembledechoix,etc.).Lesconcepts d’entendement et de raison désignent ainsi les actes noétiques d’orientation sur les loisformellesdelasignificationetdel’objectualité–c’est-à-dire,dansl’ordre:surlescatégoriesformellesdelasignificationetdel’objet,puissurlesloissyntaxiquesd’enchaînementsensédessignifications,puissur les lois logiques formelles de la non-contradiction ou de l’inclusion analytique, et enfin, sur lesformesdethéoriesetdemultiplicités28.

Àcela s’oppose lechampde larationalitématériale, qui englobe la totalitédes régionsd’objetsintra-mondains obtenues par généralisation à partir d’objets individuels dumonde.Loin que la sphèrematérialesedissémineenunemultiplicitéanarchiqueetouvertedeconcepts,lagénéralisationopéréesurlesindividusmondainsaboutitàunensembledeconceptssuprêmesdeconcreta(chosematérielle,êtreanimé, personne, objet d’usage, objet d’art, institution sociale)29 ; et cet ensemble est ordonné par larelationfondamentaledefondation(Fundierung)oudestratification(Schichtung)entrelesessences30.Ainsiselaissentdéfinirsystématiquement,dansl’orientationsubjective,lestâchesdeladoctrinedelaraisonmatériale : dégager d’abord statiquement par l’intuition eidétique chaque région, à titre de filconducteurtranscendantaldelarechercheconstitutive;puisdécrire,toujoursauplanstatique,commentopèrent les synthèses de validation qui appartiennent à la conscience de l’unité et de l’existence d’unobjetdecetterégion,etceensuivantlahiérarchiepropreaurapportdefondation(doncenpartantdelacouche inférieure de la chose matérielle, pour remonter de strate en strate vers les couchessupérieures)31;enfin,parcourirgénétiquementlahiérarchiegraduelledescouchesobjectales,defaçonàdégagerlesmodesdesynthèsequireliententreelleslesdifférentesstrates,etlafonctionquepossède,ausein du mode de validation relevant d’une strate supérieure, le mode d’évidence propre à une strateinférieure32–parexemple,lafonctiondelaperceptiondel’autrecorpscommesimplechosematérielledanslaconstitutiondesêtresanimés,danscelled’autruioudesidéalitéslinguistiques.

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Ce qui confère à la raison son unité n’est par conséquent plus d’ordre subjectif. L’unité de larationalité matériale tient au caractère systématique de l’ordre des essences d’objets mondains, quiprovientàlafoisdecequetouteslesrégionsmatérialessontenglobéesdansl’eidosdumonde(ousens-de-monde,Weltsinn33) comme omnitudo realitatis, et du fait qu’elles sont reliées entre elles par larelationdefondation.Quantàl’unitédelarationalitéformelle,elletientaufaitqu’étantdesformesdel’objetengénéral,lescatégoriesformellesnesontpasdesspectresexsanguesflottantdansquelquecielintelligible, mais se caractérisent au contraire par un double ancrage dans la sphère mondaine : unancrage téléologique – puisqu’elles sont applicables aux objets intra-mondains qu’elles visent àdéterminer –, et un ancrage généalogique – dans la mesure où elles sont fondées sur les catégoriesd’objetsmondains, vu qu’elles sont issues des opérations judicatives les plus simples portant sur lesobjets perceptifs. C’est donc l’essence noématique de monde comme omnitudo realitatis – et nonl’essencenoétiquedusujet–quiformelefilconducteurtranscendantalomni-englobantàpartirduquelilestpossibledeparlerdel’unitédelaraison:ilya,derechef,uneradicaledésubjectivationduconceptderaison.

Élargissementdelaraisonàlarationalitépré-scientifiqueCelapermetde répondreà laquestionde laplacedesdéveloppements sur la raisonauseinde la

phénoménologie transcendantale : le fait que la « phénoménologie de la raison » intervienne le plussouvent à la fin des grands ouvrages husserliens signifie-t-il qu’il s’agit sous ce titre de traiter d’unproblèmephénoménologiquelocal?Etqueleconceptderaisonselimiteàlaraisonscientifique,voirephénoménologique – c’est-à-dire à des formes supérieures de la vie intentionnelle, relevant d’uneélucidationtardivequiprésupposeraitqu’aientdéjàétéélucidéslesdegréssimplesetfondamentauxdecettevie?

Il n’en est rien !On a vu en effet que le concept deVernunft devenait un titre universel pour lesproblèmesdeconstitution,c’est-à-diredevalidationdelaviséed’objet.Dèslors,loindeselimiteràunesphèrelocaledelaviedelaconscience,laphénoménologiedelaraisonenvientàthématiserlatotalitédesconfigurationsduchampdelaconscience,aupointdes’identifieràlaphénoménologieengénéral34;désignantunestructureuniverselledelaconscienced’objetetsaspécificationselonlestypesd’objet,letermedeVernunftembrasse toute laviedelaconscience–pourautantqu’elleestconscienced’objet.Loin de se limiter à la seule raison logique ou scientifique, le concept de raison subit ainsi unélargissementqui lui faitdésigner toutes les formesd’évidenceoudevalidation,ycompriscellesquirelèventdudomainepré-scientifiqueetpré-linguistiquedelaperception.L’investigationdesmodesdeconstitutionpropresauxobjetsde l’expérienceperceptivemeteneffetenévidence le faitquecelle-ciimpliquedéjà des formesde rationalité suigeneris, qui caractérisent respectivement la perception del’objet spatial, de l’objet matériel, l’aperception de l’autre personne, etc. : elles désignent autant destructuresetdenormesdelavalidation.Leconceptderaisonestparconséquentarrachéàl’étroitesseduchampdelapenséescientifique,pourdésignerunensembledestructuresdevalidationdéjàopératoiresauplanantéprédicatif.

Une tâche spécifique résidealorsdans l’examendu rapport entre cesdeux formesde rationalité–c’est-à-diredanslaquestiondesavoirsilesméthodespropresauxsciencessontlibrementforgéesparl’initiativeduprojetdepensée,ousileursnormesépistémiquessontdéjàpréfiguréesparlesformespré-scientifiquesdelaconstitution.Ladéterminationphysiciennedelamatière,parexemple,est-elleounondépendante de la simple perception de la chose matérielle ? L’investigation propre aux sciences del’espritvoit-elleounonsonmodederigueurprescritparlemoded’accèsauxréalitésspirituelles?Àcesquestions,laréponsedeHusserlestinvariable:laméthoded’investigationd’undomainedel’étantne relève pas d’une libre initiative rationnelle de l’esprit connaissant, ni d’un geste autonome

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d’instaurationdeprocédures de recherche,mais demeureprescrite sub specie aeternitatis par le typerégionaldel’étantetlemodedeconsciencedonatriceoriginairequiluiappartient;

l’essenceprincipielle,l’Idéedetoutescienced’uncertaintypecatégorialetl’Idéedesaméthodeprécèdent,entantque“sens”dechaquescience,cettescienceelle-même;cetteIdéepeutetdoitêtrefondéeàpartirdel’essencepropredel’Idéedesonobjectualité,quidétermine sondogme–elledoitdoncêtre fondéeapriori. […]Celavautpour toutes les catégoriesontologiques,quiparvoiedecorrélationrenvoientàdesformescatégorialesfondamentalesdeconsciencedonatrice35.

D’unepart,toutescienceestinvestigationd’uncertaindomainedel’étant;leslimitesdecedomainenesontpasinstauréesparunactearbitrairededélimitationthéorétique,maissontdéjàprescritesparunsecteur ontique correspondant au sein du monde de l’expérience pré-scientifique. L’articulationsystématique et la démarcation thématique des différentes sciences sont fondées sur la structured’ensemble du monde de l’expérience mondaine, en tant qu’elle se découpe en différentes régionsd’objetsconcretsnonréductibles lesunesauxautres(chosematérielle,êtrevivantvégétal,êtreanimé,personne, etc.)36 ; cette structure du monde de l’expérience est donc instaurée non par la raisonscientifique, mais par la raison pré-scientifique, qui constitue passivement les divers types d’unitéobjectale37.

D’autrepartetsurtout,lestraitsstructurelsdelaméthodescientifiqueserèglentsurletypeconstitutifappartenant à chaque région : en chaque secteur ontique, les voies épistémiques de la recherche sontpréfigurées par le style constitutif de l’objet en question, c’est-à-dire par le style d’anticipation et dedéterminabilité que prescrit l’eidos régional. Par exemple, la donation structurellement unilatérale etincomplètedelachosespatialeestcequifondelecaractèreaposteriori,inachevableetprésomptifdelascience physique, la condamnant à opérer par hypothèses inductives uniquement susceptibles d’unecorroboration empirique précaire : l’inductivité scientifique est d’emblée prescrite par l’inductivitéperceptive38.Demême, lestylede rationalitéappartenantà lasciencephysique (celuide l’explicationcausale) est préfiguré par la forme de causalité pré-scientifique qui appartient à la chose matérielleperceptive : parceque cettedernière est une substancedont lespropriétéspermanentes semanifestentdans des réactions semblables à des circonstances semblables – c’est-à-dire une unité fonctionnelleessentiellementrelativeauxchangementsducontextematériel(ontiresurunressort,ilexécuteuneséried’oscillationsquirévèlentsonélasticité)–,larationalitéphysicienneprendnécessairementlestyled’uneexplicationcausalequirecherchelesconnexionsconstantesetrégléesentrelesvariationsdeparamètresinternesetexternes39.Demême,ladistinctionentrequalitéssensiblesrelativesàlasubjectivité(couleur,son, odeur…) et qualités géométriques irrelatives (figure, mouvement) appartient déjà à la choseperceptive,cequiprescritàlasciencephysiqueleprogrammed’unedéterminationsystématiquedecesdernières–quiconstituent l’ensoide lanaturematérielle40. Il y a ainsi une tendance spontanéede laraison des sciences de la nature à étendre au-delà de la nature corporelle et à appliquer à la sphèrespirituellelaméthodenaturalistederecherchedeconnexionsrégléesetletypedecausalitéinductive,etàtraiter l’âme et l’esprit comme de simples annexes psychiques du corps, dont les états successifs setrouventenconnexionrégléeetaveugleavecceuxducorps41.

Mais cette naturalisation de l’esprit et cette extension paradigmatique de la causalité inductiveconstituentunpréjugéquiseheurteàlaspécificitéontiquedelarégionesprit :ledévoilementdusensdes choses de l’esprit (unités de signification), de leur type d’unité (unités historiques en devenirpermanent),deleurmodededonnéeessentiel(lasaisiecompréhensive)etdeleurtypedeconnexion(larelation demotivation) exclut toute correspondance terme à terme entre les états du corps et ceux del’esprit – puisque les deux régions nature et esprit sont régies par des lois de connexion distinctes(causalitéetmotivation),etquelesunitésontiquescorpsetespritoffrentdestypesd’identitéhétérogènes(unitésubstantielleinvariante,etunitéendevenir)42.Lemoded’expériencepré-scientifiquedetoutcequiestpsychiqueexcluteneffet l’inductivité, l’explicationcausaleet l’évacuationdespropriétéspurement

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subjectivesauprofitdedéterminitésobjectives43.Ledevenirdel’âmen’estpasrégiparundéterminismecausal aveugle consistant en une connexion réglée entre états internes et externes, mais par la loi demotivationspirituelle,selonlaquellejenepuisêtremotivéqueparlesobjetsintentionnelsquimesontconscients;ilnes’agitpasd’unerelationréaleentredeuxréalitésmondainessituéessurlemêmeplan,maisd’un rapport intentionnel entre sujet etobjet44.Ensuite, le conceptdepropriétépermanente aunevaliditédanslasphèredeschoses,quinepossèdentpasd’histoireetpeuventêtreétudiéesentoutinstant,sansquelechoixdel’instantsoitdéterminantpourlanaturedel’objet;ilestenrevanchedépourvudevaliditédanslasphèredupsychique,carl’âmepossèdeunehistoire,concentreenchacundesesétatslamémoire de ses états antérieurs et, loin de se déterminer par un ensemble de propriétés fixes, est enconstant changement45. Enfin, si la science de la nature procède par exclusion des déterminitéssubjectives-relatives, une telle réduction n’a aucun sens pour la sphère spirituelle, où il s’agitprécisémentd’étudierlesétatssubjectifsdel’esprit46.

Lanormederigueurrégissantlarationalitédessciencesdel’espritadoncsonoriginedansl’attitudespécifiquequ’ilconvientd’adopterpouraccéderauxphénomènesdelasphèrespirituelle,etcetteattitudeestprescriteparlemodededonationinhérentauxchosesdel’esprit47.Pourchaquedomained’objets,letypederationalitéquirégitl’investigationnerelèvepasd’uneinitiativespontanéedelaraisonsubjectivequiinstaureraitlibrementsesnormesderigueur;cesdernièressontaucontrairefondéesdanslemodededonnée qui appartient par essence à la catégorie d’objets – c’est-à-dire dans la structure noético-noématique inhérenteà la régionenquestion.Touterationalitéscientifiqueest locale,parcequ’elleasonoriginedansl’aprioriconstitutifdechaquerégiond’objets.

Provenancestructurale,etnonsubjective,desIdéesrégulatricesdelaraison

Tout ce qui vient d’être dit ne semble pas concerner spécifiquement la raison, mais s’étendre àl’entendement engénéral ; en témoigne lepassagedéjà cité du§153des Ideen I, oùHusserl sembleexplicitement assimiler les sphèresde l’entendement etde la raison48.OrKant distingue expressémententreentendementetraison,commefacultésrespectivesdesrèglesetdesprincipes;puis,commefacultésde connaissance des phénomènes et d’unification de telles connaissances ; enfin, comme facultés desconcepts(rapportésauxobjetsd’expériencepossible)etdesIdées(relativesauxobjetssuprasensiblesnondonnablesenuneexpérience).Enassimilantlastructuredelaraisonàcelledesactesdevalidationintuitiveapplicablesàn’importequellesphèred’objetsdel’expérience,Husserlnefait-ilpasdisparaîtrela spécificité de la raison – sa relation aux Idées et aux objets suprasensibles ? L’Idée infiniecaractérise-t-elleencorelaraisonchezHusserl?peut-ellelefairesansunenécessairerenonciationàlacritiquedusubjectivismekantien?

IlconvientdesuivrelesanalysesdupénultièmechapitredesIdeenI,intitulé«Phénoménologiedelaraison », oùHusserl énumère les structures formelles inhérentes à la rationalité en général, dans uneprogressionqui se règleà la fois sur lesdistinctionsprésentéesparLeibnizdans lesMeditationes decognitione,veritateetideis49,surcellesquefaitDescartesdanslesRegulae50,etsurlatablekantiennedesmodalités51:connaissanceintuitiveetaveugle,évidenceassertoriqueetapodictique,puisadéquateetinadéquate,enfinmédiateetimmédiate.Leprincipegénéraldel’analyseestlesuivant:letermed’objetdésignel’étant,c’est-à-direcequiestvéritablement;orl’être-véritable(l’être-effectif)estenconnexiond’essenceavecl’être-vrai(l’être-valide);ettoutevérité(validité)asasourcedansunprocèssubjectifdevalidation.Ilexisteparconséquentunecorrélationentreleconceptdevérité(oud’effectivité)etlesstructures de l’attestabilité rationnelle : élucider les structures ontologiques-formelles de l’étant engénéral, c’est dévoiler les structures noético-noématiques de validation possible, ainsi que les

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fondementsde légitimité et lesnormes téléologiquesqu’elleprescrit auprocèsde connaissance52. Lesdistinctionstraditionnellesentrelesdegrésdeperfectiondelaconnaissancecorrespondentauxniveauxnoétiquesdelavalidationrationnelle,etl’essencestructuraledelaraisondésigneunensembled’Idéesrégulatricesquiprescriventàl’actedeconnaissancedesvoiesdeperfectionnement–progressionverslaclartédel’évidencedonatrice ; régressionvers l’évidenceimmédiate ; retourà l’évidenceapodictiquedonatrice de lois eidétiques ; enfin, progression dynamique vers la complétude des déterminités del’objet.

Mais l’essentiel réside ailleurs. Bien que ces notions traditionnelles distinguent des modalitésnoétiquesdelaconnaissance,ellessontcependantpenséesaufilconducteurdescatégoriesd’objets,etnondespouvoirssupposésdusujet;c’estl’eidosdel’objetquiimpliqueparavancelastructuredelaconnaissancedel’objetetlestyledesvoiesépistémiquesparlesquelleselledoitseparachever.Loindereleverdel’initiativedelaraisonouduseulprojetthéoriquededéterminationdel’objet, lesIdéesdeclarté,d’apodicticité,d’adéquationetdefondation immédiatecorrespondentauxstructures régulatricesprescritesaprioriparcertaines régionsd’objets : loinque l’onpuisse librementse fixerpourbutuneconnaissance claire, apodictique, adéquate ou immédiatement fondée de n’importe quel type d’objet,c’estlacatégoried’objetsenquestionquiimposeunhorizondeprogressionou,àl’inverse,enexclutparprincipelapossibilité.Cesstructurestéléologiquessontainsiarrachéesàlasubjectivité,bienqueseulela mise en œuvre de la volonté subjective de savoir puisse leur donner corps et les conduire à laréalisation:nouvellefiguredugesteanti-coperniciendeHusserl.

Prenonspourexemplel’Idéed’adéquation,empruntéeàLeibniz.Quelleestlaprovenancedel’Idéed’adéquation?A-t-ellesasourcedansleprojetthéorétiquededéterminationcomplètedel’objet,c’est-à-diredansundésirdeconnaîtreinhérentausujettranscendantal?Émane-t-elledelavolontédevérité–cequisitueraitHusserldansuneproximitéinattendueaveclapenséedeNietzsche?Ouest-elleaprioriprescrite(ouexclue)parlastructuredeladonationdechaquetyped’objets?

L’adéquationappartientaumodededonnéedechaquetyped’objets,entantqu’aprioriprescritparleuressencerégionale.Ainsi,àtoutvécuimmanentappartientuneévidenceadéquateetsansreste,tandisqu’àtouteréalitémondaine,transcendanteetdonnéeparesquissescorrespondunedonationinadéquate,enveloppant un horizon de connaissance approchée – l’immanence impliquant l’adéquation, et latranscendancemondaine, l’inadéquation. L’opposition entre les deux notions correspond au hiatus quioppose l’êtreabsolude laconscienceet l’être relatifde toute réalitémondaine,ouencore ladonationabsolue et sans reste de la sphère réelle (reell) et la donation relative et par esquisses de la sphèreréale53. En effet, puisque l’inadéquation présuppose un écart entre composantes pleines et vides(intuitivesetsignitives),alorsquel’adéquationexclutlaprésencedessecondes,seullemodededonnéepropre à chaque région d’objets peut (en tant qu’il enveloppe ou non la possibilité de visées vides)prescrire à la connaissance l’adéquation comme but ou, à l’inverse, la condamner à une perpétuelleinadéquationdeprincipe.Parcequ’elle suppose lapossibilitéd’unecoïncidenceparfaite entreviséetdonné (intentionné et intuitionné), l’adéquation est exclue par tout objet dont l’horizonde déterminitésexplicitablesestinfini,oudontl’horizondedéploiementintentionnelestindéfini(etnepeutêtreclos);elle est donc exclue par tout objet qui se présente par esquisses – puisqu’un tel mode d’expositionimpliqueparprincipeunhiatusentrele«noyaudecequiest“effectivementexposé”»etl’«horizonde“co-donation” non véritable »54 ; écart qui peut, certes, être réduit en actualisant les potentialitésintentionnelles(p.ex.entournantautourdel’objetpourenprésenterlesdiversesfaces),maisjamaisêtreaboli.Ellen’appartient,àl’inverse,qu’àcequinesedonnepasparesquisses,maisdefaçonabsolueetsansreste,etn’enveloppeaucunhorizond’indétermination.Aussileprojetdeconnaissanceadéquatenerelève-t-il pas de l’initiative du sujet connaissant : car il serait insensé de vouloir progresser dans laconnaissance d’un vécu absolument donné, ou de vouloir parvenir à la connaissance complète etdéfinitived’uneréalitémondaine.Leprojetépistémiquedelaraisondoitparconséquentseréglersurla

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différenceontologiqueentrel’êtremondainetnonmondain,etsurladifférencecorrélativedestructurequ’offrentleursmodesdedonnéerespectifs;lesIdéesnes’ancrentpasdanslaspontanéiténoétiquedela raison, mais dans les différences ontologiques entre les catégories d’objet, ainsi que dans lesdifférencesstructuralesentrelesmodesdedonnée.

C’est donc dans les caractères de l’essence régionale que se situe la provenance des normesrationnelles : pour tout objet transcendant, l’écart infini entre le noème intuitionné et le sens completintentionnémotive lapositionde l’Idée infiniedeconnaissanceadéquate.L’infinitéqui caractérise lesIdéesrationnellesneprovientpasdelanaturesubjectivedelaraison(faculté infinie,paroppositionàl’entendement fini), mais de la structure de la donation de toute transcendance mondaine. C’est uneinfinité structurale et anonyme. La raison n’est en définitive qu’un titre désignant l’ensemble desstructuresnoétiquesqueprescriventàquiconquelesessencesrégionales:

Maislapenséedontelleparle[scil.l’analysephénoménologique]n’estlapenséedepersonne55.

Husserl construit donc une doctrine de la rationalité qui soustrait la notion de raison à touteprésuppositionsurl’essencedelasubjectivité:laraisonnedésigneplusunefaculté,maisunepluralitédemodesderationalitéabsolumentprescritsparlesdifférentescatégoriesd’objets;etloindes’ancrerdans l’autonomie théorétiquedu sujet, les Idéesprogrammatiques inhérentes auprojetdeconnaissancerationnelle d’ordre supérieur ont leur dans les structures ontologiques et constitutives des diversescatégories.Si laphénoménologie transcendantalesecaractériseparsonorientationsubjective,ellen’ariend’unsubjectivismequirégleraitlesstructuresdel’objetsurcellesdusujet;cesontàl’inverselesstructuresdu sujet qui s’ordonnent à cellesdes typesd’objets.Lesnormesqui régissent la volontédesavoirsontancréesdanslesstructuresdumondedel’expérience;lesformesdelarationalité,appeléesparcelamêmequ’ellesconstituent.Laraisonestleproduitdesesproduits.

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2-.KrV,Einleitung,B21(trad.fr.DM,p.80,AR,p.108).

3-.KrV,Einleitung,B22(trad.fr.DM,p.80,AR,p.108).

4-.KrV,Transz.DialektikSystemdertransz.Ideen,A336/B393:«DecesIdéestranscendantales,iln’yapasàproprementparlerdedéductionobjectivepossible–commecellequenousavonspudonnerdescatégories[…].Maisnouspouvionsentreprendreunedérivationsubjective[subjectiveAnleitung]decesIdéesàpartirdelanaturedenotreraison[ausderNaturunsererVernunft]»(trad.fr.DM,p.348,AR,p.355).

5-.RappelonslaformuledeErstePhilosophie,I(HuaVII,BeilageXX,p.387):«Mettonshorscircuittoutesles“facultés”».

6-.HuaIII/1,p.295,314et337[IDI,p.431,458et489].

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8-.HuaI,§23,p.92[MC,p.102].

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9-.HuaXVIII,ProlegomenazurreinenLogik,§58,p.216-217[RLI,p.237-238].

10-.HuaXXVIII,C,§7a,274[LETV,p.359].Demême,HuaXXVIII,BeilageXII(1909),p.364.

11-.HuaI,§24,p.93[MC,p.103],oùl’Evidenzestcaractériséecomme«unepossibilité,voireunbut[Ziel]auquelaspireetquechercheàréalisertouteintentionrapportéeàtoutcequiestdéjàviséetdoitl’être».

12-.«Toutobjet,toutobjetengénéral(ycomprisimmanent)prescritunestructurerégulatriceausujettranscendantal»HuaI,§22,p.90[MC,p.99],HuaIII/1,§86,p.198[IDI,p.297]etHuaIII/1,§138,p.321[IDI,p.467]:«Àtouterégionetàtoutecatégoried’objetprésuméscorrespond[…]uneespècefondamentaledeconsciencedonatriceoriginaire[…]et,corrélativement,untypefondamentald’évidenceoriginaire»,HuaV,§7,p.36[IDIII,p.44].HuaXVII,§60,p.169[LFLT,p.219].

13-.HuaXXVIII,C,§7a,p.275[LETV,p.360].

14-.HuaI,§24,p.93[MC,p.103].

15-.HuaI, §24,p.92-93 [MC,p.102-103].HuaXVII, §59,p.165-166 [LFLT, p.213-214] :« l’évidencecommeauto-donation [Evidenzals Selbstgebung] »,«L’évidencedésigne[…]l’effectuationintentionnelledel’auto-donation[intentionaleLeistungderSelbstgebung].».

16-.«L’évidenceestdoncuneespèceuniverselledel’intentionnalité,rapportéeà l’ensemblede laviede laconscience ;grâceàelle, cettedernièreaunestructuretéléologiqueuniverselle,unedispositionà la“raison” [eineAngelegtheitauf“Vernunft”], voireune tendanceconstantevers celle-ci [einedurchgehendeTendenzdahin] »,HuaXVII,§60,p.168-169[LFLT,p.218].

17-.HuaXXVIII,C,§7a,p.275[LETV,p.360].

18-.«Lasphèredesvécusesttoutaussirigoureusementnomologiqueselonsastructureeidétiquetranscendantale,touteconfigurationeidétiquepossibleselonlanoèseetlenoèmeesttoutaussifermementdéterminéeenellequel’est,parl’essencedel’espace,toutefigurepossibles’inscrivantenlui–d’aprèsdeslégalitésinconditionnellementvalides»,HuaIII/1,§135,«Transitionverslaphénoménologiedelaraison»,p.310-311[IDI,p.454].

19- . «Au sens large, un objet se “constitue” […] dans certains enchaînements de conscience qui impliquent en eux-mêmes une unité donnable dans l’évidence[einsehbareEinheit],pourautantqu’ilsentraînentaveceux,paressence,laconscienced’unxidentique»,HuaIII/1,§135,p.313[IDI,p.457].

20-.«Àcettenécessitéabsolueetdonnéedansl’intuitioneidétique,Dieuestdoncluiaussiastreint,toutautantqu’àl’évidenceeidétiqueque2+1=1+2»HuaIII/1,§79,p.175[IDI,p.265].

21-.HuaIII/1,§§42,44et138,p.88,92et319[IDI,p.137,142et465].

22-.HuaI,§50,p.139[MC,p.157-158].

23-.E.Levinas,1982,p.113.

24-.HuaXVII,§107a-c,p.289-295[LFLT,p.375-382].

25-.«L’architectonique[Stufenfolge]desdoctrineseidétiquesformellesetmatérialesprescritenquelquesortel’architectoniquedesphénoménologiesconstitutives[scil.desdoctrinesdelaraison],détermineleursniveauxdegénéralité»,HuaIII/1,§153,p.358-359[IDI,p.516].

26-.HuaIII/1,§153,p.358[IDI,p.515];HuaV,§19a-b,p.97-98[IDIII,p.117-118].

27-.HuaIII/1,§153,p.356-357[IDI,p.513-514].

28-.HuaXVIII,Prolegomena…,§§58et67-68-69,p.216-217et244-249[eRLI,p.237-238et267-274].

29-.HuaIII/1,§9,p.23[IDI,p.35].HuaV,§19b,p.98[IDIII,p.117].

30-.HuaIII/1,§152,p.354-355[IDI,p.511].DemêmeHuaI,§22,p.90[MC,p.99],àproposdela«synthèseconstitutiveuniverselle»quiconstituel’eidosdemonde,c’est-à-direl’unitésystématiquedescatégoriesmatérialesordonnéesenniveauxparlarelationdefondation.

31- . «Lemonde possède bien sa structure apriorique étagée [ihre apriorischeStufenbau], et il estmanifestement nécessaire, dans la recherche constitutive de laphénoménologie,desuivrecettestructure[tellequ’ellesedéfinit]surleversantontique–doncdecommencerparleniveauleplusbas,etdepoursuivreensuiteparlesstratesqui s’élèvent de niveau en niveau [den sich aufstufenden Schichten nachzugehen]. »HuaMat IV, p. 150. Le § 22 desMéditations cartésiennes définit le système de laconstitutionphénoménologiquecommeétantprescritparl’«unitéd’unordresystématiqueetomni-englobant[systematischeundallumspannendeOrdnung]»–unitéàsaisir«aufilconducteurmobiled’unsystèmedesobjetsdeconsciencepossible,qu’il fautdégagerniveauparniveau[stufenweiseherauszuarbeitendesSystem]»,HuaI, p. 90[MC,p.100].

32-.Cesontles«trèsdifficilesproblèmesinhérentsàl’entrelacementdesdifférentesrégions[VerflochtenheitderverschiedenenRegionen]»mentionnésau§152desIdeen…I(HuaIII/1,p.354,[IDI,p.510]),ainsiqu’au§107cdeFormaleundtranszendentaleLogik(HuaXVII,p.294,[LFLT,p.381]).

33-.«Ainsilaphénoménologieenglobe-t-elleeffectivementlemondenatureltoutentierettouslesmondesidéauxqu’ellemetentreparenthèses:ellelesenglobeentantquesens-de-monde[Weltsinn]»,HuaIII/1,§145,p.336-337[IDI,p.488].

34-.«Parlàs’élargitcerteslecadredesrecherchesconstitutives,àtelpointqu’ilpeutfinalementembrasserlaphénoménologietoutentière.»;«unephénoménologiedelaraisonaussicomplèteviendraitàseconfondreaveclaphénoménologieengénéral;undéveloppementsystématiquedetouteslesdescriptionsdelaconsciencerequisesparletitreglobaldeconstitutiond’objetdevraitcontenirenlui-mêmetouteslesdescriptionsdelaconscienceengénéral»,HuaIII/1,§153,p.356etp.359[IDI,p.513et517].

35-.HuaV,p.13[IDIII,p.17].Cf.HuaIX,§7,p.64[PsyPh,p.64].

36-.«Classificationdessciencesparrégressionaumondedel’expérience.Laconnexionsystématiquedessciencesasonfondementdanslaconnexionstructurelledumondedel’expérience»,HuaIX,§7,p.64[PsyPh,p.64].

37-.«Toutescienceasondomaine[Gebiet]etaspireàproduirelathéoriedecedomaine.C’estcependantlaraisonscientifique[wissenschaftlicheVernunft]quicrée[schafft]cesrésultats,etlaraisonsaisissantparl’expérience[erfahrendeVernunft]quicréeledomaine»,HuaXVII,§94,p.239[LFLT,p.311].

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38-.HuaVI,§9b-d-h,p.29,37et51[CR,p.36,45et59].HuaIV,§16,p.52[IDII,p.85]:«Cequel’onpeutparprincipevoirettrouverparuneexpériencescientifique,estdéjàprescritparl’expériencegénéraled’unechose»,HuaIX,§19,p.125-126[PsyPh,p.119-120]:«Cetteprésomption[Präsumtion],quiappartientaustylenatureldel’expérienceuniverselleetdontlacertituden’estjamaismiseenquestion,régitégalementlessciencesobjectives.»

39-.«Toutesciencedecequiestréalprocèdeparexplicationcausale[…].Cequiaucontraireconstitueleprincipedelaréalitécommetelle,[…]c’estden’êtrecequ’elleestquedanslacausalité.Elleestparprincipequelquechosederelatif[einprinzipiellRelatives]»,HuaV,§1,p.4[IDIII,p.6].HuaIX,§§22-23,p.133-135[PsyPh,p.127-129].HuaIV,§16,p.45-52[IDII,p.77-86].HuaMatIV,p.180-182.HuaVI,§9b,p.28[CR,p.36].

40-.HuaIV,§18d,p.76-77[IDII,p.116-117].HuaIX,§§18-19,p.120-124et126-128[PsyPh,p.115-119etp.120-122].HuaMatIV,p.162,190et198-204.

41-.HuaIX,§23,p.136-138[PsyPh,p.129-132].

42-.HuaIX,§§23et25,p.138-139et142-143[PsyPh,p.132-133et136-137].HuaIV,§§63-64,p.291-297[IDII,p.392-400].

43- .«àunniveauplusélevé, l’élémentdecausalité inductive [dasInduktiv-Kausale]neconstituepas l’essence réaledecequiest spirituel [das realeWesen derGeistigkeit]»,HuaIX,§24,p.140[PsyPh,p.133].

44-.«Lacausalitépsychiqueetlacausalitéspécifiqueàlapersonneest,entantquecausalitédelamotivationspirituelle[KausalitätgeistigerMotivation],quelquechosedetoutautrequelacausalitéinductive»,HuaIX,§24,141[PsyPh,p.134].HuaIV,§55,p.215-220[IDII,p.299-305].

45-.HuaIV,§§32-33,p.133,135-137[IDII,p.191-192et195-197].

46-.HuaIX,§27,p.149-150[PsyPh,p.142-143].

47-.HuaIX,§27,p.150[PsyPh,p.143].

48-.HuaIII/1,§153,p.356[IDI,p.513].

49-.Leibniz,1978,p.9-10;1972,p.150.

50-.Descartes,Regulaeaddirectionemingenii,1986,p.368sq.

51-.KrV,Transz.Analytik,A80/B106etA218/B265sq.

52-.HuaIII/1,p.314[IDI,p.458].

53-.«Parprincipe,unechoseréale,unêtrepossédantuntelsensnepeutapparaîtrequedemanièreinadéquatedansuneapparitionclose»,HuaIII/1,§138,p.319[IDI,465].Unpontdirectpeutdoncêtreétablientreles§§41à44etle§138desIdeenI.

54-.HuaIII/1,§44,p.91[IDI,p.141].

55-.HuaXVII,§13,p.41[CE,p.64].

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Bibliographiegénérale

I.ŒuvresdeHusserl

1.Éditionscritiquesdel’œuvredeE.HusserlLesHusserliana.EdmundHusserlGesammelteWerke sont éditées sous ladirectiondesArchives

HusserldeLouvainetsontencoursd’éditiondepuis1950chezM.Nijhoff(LaHaye)depuis1980chezKluwer (Dordrecht/Boston/Lancaster, puis Dordrecht/Boston/Londres) et depuis 2005 chez Springer(Dordrecht).Nous indiquonspourchacundesouvragesdecette série la traduction lapluscouranteenlangue française, quand elle existe. Pour faciliter le repérage chronologique, la date de rédactionsupposée ou avérée du texte husserlien original est relevée entre parenthèses et figure immédiatementaprèsletitredutexte.Lesabréviationsemployéesdanslecorpsdurecueilrenvoienttoujoursauxtitresdes traductions françaises lesplus courantes.La liste complètede ces abréviations figure audébutdurecueil.

HuaI.CartesianischeMeditationenundPariserVorträge (1929), éd.parS.Strasser,DenHaag,M. Nijhoff, 1950 [Il existe deux traductions en langue française : par G. Peiffer et E. Levinas,Méditations cartésiennes. Introduction à la phénoménologie, Paris,Vrin, 1947 et parM. deLaunay,MéditationsCartésiennes et les conférences deParis, Paris, P.U.F., 1994 (nous citons cette dernièretraduction,abrégéeMC)].

Hua II.Die Idee der Phänomenologie. Fünf Vorlesungen (1907), éd. parW.Biemel,DenHaag,M.Nijhoff, 1950 [tr. fr. parA.Löwit,L’idéede laphénoménologie.Cinq leçons, Paris, P.U.F., 1970(abrégéIP)].

Hua III/1. Ideen zu einer reinen Phänomenologie und phänomenologischen Philosophie. ErstesBuch:AllgemeineEinführungindiereinePhänomenologie.1.Halbband.Textder1.-3.Auflage,éd.par K. Schuhmann, Den Haag, M. Nijhoff, 1950 [tr. fr. par P. Ricœur, Idées directrices pour unephénoménologieetunephilosophiephénoménologiquepures.Tomepremier:introductiongénéraleàlaphénoménologiepure,Paris,Gallimard,1950(abrégéIDI)].

Hua III/2. Ideen zu einer reinen Phänomenologie und phänomenologischen Philosophie. ErstesBuch : AllgemeineEinführung in die reinePhänomenologie. 2.Halbband.Ergänzende Texte (1912-1929),éd.parK.Schuhmann,DenHaag,M.Nijhoff,1970.

Hua IV. Ideen zu einer reinen Phänomenologie und phänomenologischen Philosophie. ZweitesBuch : Phänomenologische Untersuchungen zur Konstitution (1912-1917), éd. par M. Biemel, DenHaag,M. Nijhoff, 1952 [tr. fr. par É. Escoubas, Idées directrices pour une phénoménologie et unephilosophie phénoménologique pures. Livre second : Recherches phénoménologiques pour laconstitution,Paris,P.U.F.,1982(abrégéIDII)].

Page 153: La science-des-phenome

Hua V. Ideen zu einer reinen Phänomenologie und phänomenologischen Philosophie. DrittesBuch :DiePhänomenologie und dieFundament derWissenschaften, éd. parM.Biemel,DenHaag,M.Nijhoff, 1952 [tr. fr. parD.Tiffeneau,La phénoménologie et les fondements des sciences, Paris,P.U.F.,1992(abrégéIDIII)].

HuaVI.Die Krisis der europäischenWissenschaften und die transzendentale Phänomenologie.Eine Einleitung in die phänomenologische Philosophie (1935-1937), éd. parW. Biemel, Den Haag,M. Nijhoff, 1954 [tr. fr. par G. Granel et J. Derrida, La crise des sciences européennes et laphénoménologietranscendantale,Paris,Gallimard,1976(abrégéC)].

HuaVII.ErstePhilosophie(1923/1924).ErsterTeil:KritischeIdeengeschichte,éd.parR.Boehm,DenHaag,M.Nijhoff,1956[tr.fr.parA.L.Kelkel,Philosophiepremière(1923/1924).Premièrepartie.Histoirecritiquedesidées,Paris,P.U.F.,1970(abrégéPPI)].

Hua VIII. Erste Philosophie (1923/1924). Zweiter Teil : Theorie der phänomenologischenReduktion,éd.parR.Boehm,DenHaag,M.Nijhoff,1959[tr.fr.parA.L.Kelkel,Philosophiepremière(1923/1924).Deuxièmepartie.Théoriephénoménologiquedelaréduction,Paris,P.U.F.,1972(abrégéPPII)].

HuaIX.PhänomenologischePsychologie.VorlesungenSommersemester1925,éd.parW.Biemel,Den Haag,M. Nijhoff, 1962 [tr. fr. par P. Cabestan, N. Depraz, A.Mazzù et F. Dastur,PsychologiePhénoménologique(1925-1928),Paris,Vrin,2001(abrégéPsyPh)].

HuaX. Zur Phänomenologie des inneren Zeitbewusstseins (1893-1917), éd. par R. Boehm,DenHaag,M.Nijhoff,1966[tr.fr.parH.Dussort,Leçonssurlaphénoménologiedelaconscienceintimedutemps,Paris,P.U.F.,1964(abrégéLPT)].

Hua XI. Analysen zur passiven Synthesis. Aus Vorlesungs- und Forschungsmanuskripten (1918-1926), éd. parM. Fleischer,DenHaag,M.Nijhoff, 1966 [tr. fr. parB.Bégout et J.Kessler, avec lacollaborationdeN.DeprazetdeM.Richir,Delasynthèsepassive,Grenoble,J.Millon,1998(abrégéSP)].

HuaXIII.ZurPhänomenologiederlntersubjektivität.TexteausdemNachlaβ.ErsterTeil:1905-1920, éd. par I. Kern, Den Haag, M. Nijhoff, 1973 [tr. fr. du texte n° 6 par J. English, Problèmesfondamentauxdelaphénoménologie(1910-11),Paris,P.U.F.,1991;tr.fr.partielledesautrestextesparN.Depraz,Surl’intersubjectivité,Paris,P.U.F.,2.vol.,2001(abrégéSI-IetSI-2)].

HuaXIV.ZurPhänomenologiederIntersubjektivität.TexteausdemNachlaβ.ZweiterTeil:1921-1928, éd. par I. Kern, Den Haag, M. Nijhoff, 1973 [tr. fr. partielle des textes par N. Depraz, Surl’intersubjectivité,Paris,P.U.F.,2.vol.,2001(abrégéSI-IetSI-2)].

HuaXV.ZurPhänomenologiederIntersubjektivität.TexteausdemNachlaβ.DritterTeil:1929-1935,éd.parI.Kern,DenHaag,M.Nijhoff,1973[tr.fr.partielledesautrestextesparN.Depraz,Surl’intersubjectivité,Paris,P.U.F.,2.vol.,2001(abrégéSI-IetSI-2)etparN.DeprazetP.Vandevelde,Autour desMéditations cartésiennes (1929-1932). Sur l’intersubjectivité, Grenoble, J.Millon, 1998(abrégéAMC)].

HuaXVI.DingundRaum.Vorlesungen1907,éd.parU.Claesges,DenHaag,M.Nijhoff,1973[tr.fr.parJ.-F.Lavigne,Choseetespace.Leçonsde1907,Paris,P.U.F.,1989(abrégéCE)].

HuaXVII.Formaleund transzendentaleLogik.VersucheinerKritikder logischenVernunft.MitergänzendenTexten,éd.parP.Janssen,DenHaag,M.Nijhoff,1974[tr. fr.parS.Bachelard,Logiqueformelle et logique transcendantale. Essai d’une critique de la raison logique, Paris, P.U.F., 1965(abrégéLFLT)].

Hua XVIII. Logische Untersuchungen. Erster Band : Prolegomena zur reinen Logik. Text dererstenundderzweitenAuflage,éd.parE.Holenstein,DenHaag,M.Nijhoff,1975[tr.fr.parH.Élie,A.L.KelkeletR.Schérer,Recherches logiques.Tomepremier :Prolégomènesà la logiquepure,Paris,P.U.F.,1959(abrégéRLI)].

Page 154: La science-des-phenome

Hua XIX-I. Logische Untersuchungen. Zweiter Band, erster Teil : Untersuchungen zurPhänomenologieundTheoriederErkenntnis,TextdererstenundzweitenAuflage,éd.parU.Panzer,Dordrecht/Boston/Lancaster,M.Nijhoff,1984 [tr. fr.parH.Élie,A.KelkeletR.Schérer,RecherchesLogiques. Tome 2 :Recherches pour la phénoménologie et la théorie de la connaissance.Premièrepartie :Recherches I et II, etdeuxièmepartie :Recherches III, IV etV, Paris, P.U.F., 1961 (abrégéRLII-1etRLII-2)].

Hua XIX-2. Logische Untersuchungen. Zweiter Band, zweiter Teil : Untersuchungen zurPhänomenologieundTheoriederErkenntnis,TextdererstenundzweitenAuflage,éd.parU.Panzer,Dordrecht/Boston/Lancaster,M.Nijhoff,1984 [tr. fr.parH.Élie,A.KelkeletR.Schérer,RecherchesLogiques. Troisième volume : Éléments d’une élucidation phénoménologique de la connaissance,RechercheVI,Paris,P.U.F.,1962(abrégéRLIII)].

Hua XXII. Aufsätze und Rezensionen (1890-1910), éd. par B. Rang, Dordrecht/Boston/London,M.Nijhoff,1979[tr.fr.parJ.English,Articlessurlalogique,Paris,P.U.F.,1975(abrégéAL)ainsique:Surlesobjetsintentionnels,Paris,Vrin,1993].

Hua XXIII. Phantasie, Bildbewuβtsein, Erinnerung. Zur Phänomenologie der anschaulichenVergegenwärtigungen. Texte aus dem Nachlaβ (1898-1925), éd. par E. Marbach,Dordrecht/Boston/London,Kluwer,1980[tr.fr.parR.KassisetJ.-F.Pestureau,Phantasia,conscienced’image,souvenir,Grenoble,J.Millon,2002].

Hua XXIV. Einleitung in die Logik und Erkenntnistheorie. Vorlesungen (1906-1907), éd. parU.Melle,Dordrecht/Boston/Lancaster,Kluwer,1984[tr.fr.parL.Joumier,Introductionàlalogiqueetàlathéoriedelaconnaissance.Cours(1906-1907),Paris,Vrin,1998(abrégéILTC)].

Hua XXV. Aufsätze und Vorträge (1911-1921), éd. par T. Nenon et H. R. Sepp,Dordrecht/Boston/Lancaster, Kluwer, 1987 [tr. fr. par M. de Launay, La philosophie comme sciencerigoureuse,Paris,P.U.F.,1989(abrégéPSR)].

Hua XXVI. Vorlesungen über Bedeutungslehre. Sommersemester 1908, éd. par U. Panzer,Dordrecht/Boston/Lancaster, Kluwer, 1987 [tr. fr. par J. English, Leçons sur la théorie de lasignification,Paris,Vrin,1995].

Hua XXVII. Aufsätze und Vorträge 1922-1937, éd. par T. Nenon et H.-R. Sepp,Dordrecht/Boston/London, Kluwer, 1989 [La conférence Phänomenologie und Anthropologie a ététraduitedansl’ouvrageintituléNotessurHeidegger, tr. fr.parD.Franck,Paris,Minuit,1993,pp.57-74].

Hua XXVIII. Vorlesungen über Ethik und Wertlehre 1908-1914, éd. par U. Melle,Dordrecht/Boston/London,Kluwer,1988.

HuaXXIX.DieKrisisdereuropäischenWissenschaftenunddietranszendentalePhänomenologie.Ergänzungsband.TexteausdemNachlass1934-1937, éd. parR.N. Smid,Dordrecht/Boston/London,Kluwer,1993.

HuaXXX. Logik und allgemeineWissenschaftstheorie.Vorlesungen 1917/1918,mit ergänzendenTextenausdererstenFassung1910/1911,éd.parU.Panzer,Dordrecht/Boston/London,Kluwer,1996.

Hua XXXII. Natur und Geist. Vorlesungen Sommersemester 1927, éd. par M. Weiler,Dordrecht/Boston/London,Kluwer,2001.

Hua XXXV. Einleitung in die Philosophie. Vorlesungen 1922/1923, éd. par B. Goosens,Dordrecht/Boston/London,Kluwer,2002.

Hua XXXVII. Einleitung in die Ethik. Vorlesungen Sommersemester 1920 und 1924, éd. parH.Peucker,Dordrecht/Boston/London,Kluwer,2004.

HuaXXXIX.DieLebenswelt.AuslegungendervorgegebenenWeltundihrerKonstitution.TexteausdemNachlass(1916-1937),éd.parR.Sowa,Dordrecht,Springer,2008.

Page 155: La science-des-phenome

Hua Mat III. Allgemeine Erkenntnistheorie, éd. par Elisabeth Schuhmann, Kluwer Ac. Publ.,Dordrecht/Boston/London,2001.

2.TextespubliésendehorsdesHusserlianaErfahrungundUrteil.UntersuchungzurGenealogiederLogik,éd.etrédactionparL.Landgrebe,

Hamburg,Glaasen&Goverts,Dordrecht/Boston/London,Kluwer, 1948 [tr. fr. parD. Souche-Dagues,Expérienceetjugement.Recherchessurlagénéalogiedelalogique,Paris,P.U.F.,1970(abrégéEJ)].

«VorwortzuE.Fink,DiephänomenologischePhilosophieEdmundHusserlsindergegenwärtigenKritik»,inE.Fink,StudienzurPhänomenologie1930-1939,DenHaag,M.Nijhoff,1966,p.VII-VIII[tr.fr.parD.Franck,Delaphénoménologie,Paris,Minuit,1974,pp.13-14].

La terre ne se meut pas, tr. fr. desMs D 17, D 18 et D 12 IV par D. Franck, D. Pradelle, J.-F.Lavigne,Paris,Minuit,1989.

« Randbemerkungen Husserls zu Heideggers Sein und Zeit und Kant und das Problem derMetaphysik»,HusserlStudies, 11,1994,pp.3-63 [tr. fr.parD.Franck,Notes surHeidegger, Paris,Minuit,1993].

«WertdesLebens.WertderWelt.Sittlichkeit(Tugend)undGlückseligkeit(Februar1923)»,éd.etprés.parU.Melle,HusserlStudies,13,1997,pp.201-235.

«PhänomenologischeMethodeundphänomenologischePhilosophie(LondonerVorträge)»,HusserlStudies,16,1999,3,pp.200-254[tr.fr.parA.Mazzu,inAnnalesdephénoménologie,2003,pp.161-221]

3.CorrespondanceBriefeanRomanIngarden.MitErläuterungenundErinnerungenanHusserl,éd.parR.Ingarden,

DenHaag,M.Nijhoff,1968.Hua Dok III-1. Edmund Husserl : Briefwechsel. Band I : Die Brentanoschule, éd. par

K.Schuhmann,Dordrecht/Boston/London,Kluwer,1994.HuaDok III-2.EdmundHusserl :Briefwechsel.Band II :DieMünchenerPhänomenologen, éd.

parK.Schuhmann,Dordrecht/Boston/London,Kluwer,1994.Hua Dok III-3. Edmund Husserl : Briefwechsel. Band III : Die Göttinger Schule, éd. par

K.Schuhmann,Dordrecht/Boston/London,Kluwer,1994.Hua Dok III-4. Edmund Husserl : Briefwechsel. Band IV : Die Freiburger Schüler, éd. par

K.Schuhmann,Dordrecht/Boston/London,Kluwer,1994.HuaDokIII-5.EdmundHusserl:Briefwechsel.BandV:DieNeukantianer,éd.parK.Schuhmann,

Dordrecht/Boston/London,Kluwer,1994.Hua Dok III-6. Edmund Husserl : Briefwechsel. Band VI : Philosophenbriefe, éd. par

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Lesauteurs

Étienne BIMBENET, ancien élève de l’École Normale Supérieure, est actuellement Maître deConférences à l’Université JeanMoulin – Lyon III, où il enseigne la philosophie contemporaine et laphénoménologie.IltravaillesurMerleau-Ponty;maisaussilaquestiondenotreorigineanimale,etsurlapossibilité d’une anthropologie d’un point de vue phénoménologique. Il est l’auteur de Nature etHumanité. Le problème anthropologique dans l’œuvre de Merleau-Ponty (Vrin, 2004) ; de AprèsMerleau-Ponty.Étudessurlaféconditéd’unepensée(Vrin,2011);etdeL’Animalquejenesuisplus(Gallimard,2011).

JulienFARGESestactuellementpost-doctorantauxArchivesHusserldeParis.IlasoutenuunethèsesurlesfonctionsdelanotiondemondedelaviechezHusserletpubliédenombreuxarticlesportantsurl’œuvredecedernieretsursonretentissementdanslaphilosophieduXXesiècle.

Antoine GRANDJEAN est Maître de Conférences en philosophie allemande à l’Université deNantes.Dernierouvrageparu:Critiqueetréflexion.Essaisurlediscourskantien,Paris,Vrin,2009.

Patrick LANG, diplômé de la faculté d’économie politique de Munich, agrégé et docteur enphilosophie,agrégéd’allemand,ancienconseillerauministèredelaCulture,estMaîtredeConférencesàl’Université de Nantes, où il enseigne principalement la philosophie morale et politique ainsi que laphilosophieallemandecontemporaine ;depuis2009, il est responsableduparcours«musique»de lalicencedephilosophie.Publicationsrécentes:EdmundHusserl,Leçonssurl’éthiqueetlathéoriedelavaleur (1908-1914), trad. fr. avec introduction, notes et glossaire par Ph. Ducat, P. Lang et C. Lobo,Paris, PUF, 2009, 480 p. ; « La subversion des valeurs par l’ordre bourgeois. L’efficacité sociale duressentiment selon Max Scheler », in : A. Grandjean & F. Guénard (dir.), Le ressentiment, passionsociale, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2012 ; « Cohérence et continuité musicales : uneapproche phénoménologique », in : V. Alexandre-Journeau (dir.), Arts, langue et cohérence, Paris,L’Harmattan,2010,p.123-140;«Phénoménologieetsociologie.LecturescroiséesdeSartreetd’AlfredSchütz»,in:AnnalesdePhénoménologien°9,2010,p.97-115;«Introductionàlaphénoménologieduvécumusical»,in:AnnalesdePhénoménologien°7,2008,p.47-76.

Jean-FrançoisLAVIGNE,ancienélèvede l’ÉcoleNormaleSupérieurede la rued’Ulm,agrégédephilosophieetdocteurèsLettres,esthistoriendelaphilosophiemoderneetcontemporaine,spécialistedephénoménologie(Husserl,Heidegger,Levinas,Henry).Professeuràl’universitédeNicedepuis2003,il a publié notammentHusserl et la naissance de la phénoménologie (1900-1913), PUF, Epiméthée,2005 ;MichelHenry:Penséede lavieetculturecontemporaine,Actesducolloque internationalde

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Montpellier,Beauchesne, 2006 ;LesMéditations cartésiennesdeHusserl (en collaboration avecuneéquipe de spécialistes), Paris, Vrin, 2008 ; Accéder au transcendantal ? Réduction et idéalismetranscendantal dans les Idées… I de Husserl, Paris, Vrin, 2009 ; L’Affectivité. Perspectivesinterdisciplinaires, Nice, Revue Noesis, n° 16, automne 2010. Membre honoraire de l’InstitutUniversitaire deFrance, il est actuellement président de la Société InternationaleMichelHenry, et enposition de délégation pour recherches auprès du CNRS (UMR 8547 « Pays Germaniques : Culture,histoire,philosophie»,ArchivesHusserldeParis).

SamuelLEQUITTE,agrégédephilosophie(2006),estactuellementATERàl’UFRdephilosophiede l’Université deRennes I. Il prépareundoctorat dephilosophie sous ladirectionde JérômePorée,portant sur Husserl et la philosophie des valeurs. Ses champs de recherche concernent laphénoménologie,laphilosophiemorale,lesthéoriesdelavaleur.Publicationrécente:«LeplaisirdanslaphénoménologiedeHusserl»,revuePhilosophien°111,éditionsdeMinuit,septembre2011.

Laurent PERREAU, ancien élève de l’ENS Lettres et Sciences Humaines de Lyon, agrégé dephilosophie,docteurenphilosophiedel’UniversitéParisIPanthéon-Sorbonne,estmaîtredeconférencesen philosophie contemporaine à l’Université de Picardie Jules Verne, membre du CURAPP-ESS etmembre associé des Archives Husserl de Paris. Ses travaux portent essentiellement sur laphénoménologieallemandeet l’épistémologiedessciencessociales.Ilest l’auteurd’unethèseintitulée«Lemondesocial selonHusserl» (àparaîtreen2012chezSpringer),etd’articlessur lesœuvresdeE.HusserletA.Schütz.

DominiquePRADELLE,agrégédephilosophie,ancienélèvede l’ÉcoleNormaleSupérieurede larued’Ulm,docteurèslettresHDR,estactuellementProfesseuràl’UniversitéBlaisePascal(Clermont-Ferrand). Il a publiéL’archéologie dumonde. Constitution de l’espace, idéalisme et intuitionnismechezHusserl (Dordrecht,KluwerAcademic Publishers, 2000),Par-delà la révolution copernicienne(Paris, PUF, 2012), et de nombreux articles sur la phénoménologie husserlienne, heideggérienne etfrançaise, co-dirigé avec F.-D. Sebbah le collectif Penser avec Desanti (Mauvezin, TER, 2010) etparticipéàlatraductiondeHeidegger,Platon:leSophiste(Paris,Gallimard,2001)etLask,Doctrinedescatégories (Paris,Vrin, 2002). Il vapublierGénéalogiede la raison (Paris, PUF, en préparationpour2013).Ildirige,auxEditionsdeMinuit,larevuePhilosophie.

Pierre-JeanRENAUDIE a soutenu une thèse portant sur la théorie des catégories chezHusserl. Iltravailleactuellementsurlaquestiondeladescriptiondel’expérience.

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CNRSphilosophie

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JavierTEIXIDOR,Aristoteensyriaque.PaullePerse,logicienduVIesiècle,2003VéroniqueLERU,LaCrisedelasubstanceetdelacausalité.Despetitsécartscartésiensaugrandécartoccasionnaliste,2004ThierryMARTIN(dir.),Probabilitéssubjectivesetrationalitédel’action,2003Jean-FrançoisKERVÉGANetGillesMARMASSE(dir.),Hegel,penseurdudroit,2004KitarôNISHIDA,L’Éveilàsoi,éditionettraductiondeJacyntheTremblay,2004LouisALLIX,Perceptionetréalité.Essaisurlanatureduvisible,2004MichelVANNI,L’Impatiencedesréponses.L’éthiqued’EmmanuelLévinasaurisquedesoninscriptionpratique,2004BernardSTEVENS,Invitationàlaphilosophiejaponaise.AutourdeNishida,2005YvesCUSSETetStéphaneHABER,HabermasetFoucault.Parcourscroisés,confrontationscritiques,2006BrunoGNASSOUNOUetMaxKISTLER(dir.),LesDispositionsenphilosophieetensciences,2006

KimSangONG-VAN-CUNG(dir.),LaVoiedesidées?LestatutdelareprésentationXVIIe-XXesiècles,2006Jacques BOUVERESSE, Delphine CHAPUIS-SCHMITZ, Jean-Jacques ROSAT, L’Empirisme logique à la limite. Schlick, le langage etl’expérience,2006DenisTHOUARD,LePartagedesidées.Étudessurlaformedelaphilosophie,2006MichaëlFŒSSEL,Jean-FrançoisKERVÉGANetMyriamREVAULTD’ALLONNES(dir.),Modernitéetsécularisation,HansBlumenberg,KarlLöwith,CarlSchmitt,LeoStrauss,2007FrançoiseBARBARAS,Spinozaoulasciencemathématiquedusalut,2007PascaleGILLOT,L’Esprit.Figuresclassiquesetcontemporaines,2007VéroniqueLERU,SubversivesLumières.L’Encyclopédiecommemachinedeguerre,2007MichaëlFOESSEL,Kantetl’équivoquedumonde,2008Jean-MarcJoubert,GilbertPons(dir.),Portraitsdemaîtres.Lesprofsdephilovusparleursélèves,2010FrédéricKECK,LucienLévy-Bruhl.Entrephilosophieetanthropologie,2008JocelynBENOISTetJean-FrançoisKERVÉGAN(dir.),AdolfReinach.Entredroitetphénoménologie,2008AlainCAILLÉetChristianLAZZERI(dir.),LaReconnaissanceaujourd’hui,2009StéphaneHABER,L’Hommedépossédé,2009MaximeROVERE,Exister.MéthodesdeSpinoza,2010SouâdAYADA,L’islamdesthéophanies.Unereligionàl’épreuvedel’art,2010JulieSAADA,Hobbesetlesujetdedroit.Contractualismeetconsentement,2010AndréJACOB,Esquissed’uneanthropo-logique,2011ThibautGRESS,Descartesetlaprécaritédumonde.Essaisurlesontologiescartésiennes,2012CaroleWIDMAIER,Findelaphilosophiepolitique?HannahArendtcontreLeoStrauss,2012AlainPOLICAR,Lelibéralismepolitiqueetsonavenir,2012

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