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Autrui, c'est tout autre homme que moi. Mais si autrui est autre que moi, c'est aussi un autre "moi" (c'est "le moi qui n'est pas moi" dit Sartre), car, comme moi, autrui est une CONSCIENCE. Par là je le saisis non comme une chose mondaine parmi les autres, mais comme une PERSONNE.
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AUTRUIFormateur : Yves LIOGIER
Collection Philosophique
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays à l’auteur. Dépôt légal : Septembre 2013
AUTRUI
Autrui, c’est tout autre homme que moi.
Mais si autrui est autre que moi, c’est aussi un autre « moi » (c’est « le moi qui n’est
pas moi » dit Sartre), car, comme moi, autrui est une CONSCIENCE.
Par là je le saisis non comme une chose mondaine parmi les autres, mais comme
une PERSONNE.
Collection Philosophique
1
AUTRUI
La question se pose alors des rapports entretenus par nos consciences :
Ma conscience est-elle tributaire de celle d’autrui ?
Et comment communique-t-elle avec cette dernière ?
On sera ainsi conduit à réfléchir sur le LANGAGE, mais aussi sur la valeur de la RAISON dans cet effort de connaissance
de l’autre.
Collection Philosophique
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AUTRUI
Si la raison est ce à quoi nous participons en commun, elle est du même coup ce qui réduit
l’altérité propre, la spécificité d’autrui.
La connaissance d’autrui ne repose-t-elle pas alors sur L’IRRATIONNEL
(la sympathie, l’amour) ?
On observera que ces difficultés de la connaissance inter-individuelle se retrouvent
dans les SCIENCES DE L’HOMME en général.
Collection Philosophique
3
AUTRUI
Mais le problème de mes rapports avec autrui se pose également sur le plan de
l’action, de la vie avec autrui, c’est-à-dire des ECHANGES, de la SOCIETE, du
POUVOIR, de la VIOLENCE, du DESIR, de la LIBERTE, et, dans une perspective morale, de la JUSTICE et du DEVOIR.
Collection Philosophique
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AUTRUI
On notera enfin qu’autrui c’est l’autre, mais aussi les autres, c’est-à-dire ceux qui
n’appartiennent pas à ma CULTURE, ce qui invite à réfléchir sur l’ethnocentrisme.
Collection Philosophique
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AUTRUIRespecter l’autre, est-ce respecter en lui
la personne humaine ?
Collection Philosophique
6
Question
Les deux termes fondamentaux de la question sont évidemment « respect » et « personne
humaine » :
Il s’agit donc maintenant de bien examiner les différents sens que peuvent prendre chacun d’eux
(quels sont les différents objets possible du respect ? Quelles sont les différentes exigences de
la personne ?), lesquels de ces sens imposent la liaison de ces deux concepts, et si une telle liaison
est légitime ou non, possible ou nécessaire.
AUTRUI
Un constat
Spontanément, chacun d’entre nous veux être respecté par autrui, et inversement,
les autres désirent que nous les respections.
Le respect apparaît ainsi comme une exigence essentielle de la vie en société.
Collection Philosophique
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QuestionIntroduction
AUTRUILe problème
Pourtant le respect n’exclut nullement la critique, voire le combat contre autrui, combat
de ses actes comme de ses idées ; bien plus, on peut considérer que l’homme qui nous
paraît le plus méprisable, celui chez qui nous ne trouverions aucune qualité, est en droit,
devant la loi positive comme devant la loi morale, d’exiger de nous un certain respect.
Mais alors à quoi s’adresse un tel respect ? Ne serait-ce pas uniquement à la personne
humaine qu’est l’autre ? C’est ce qu’il nous faut examiner.Collection
Philosophique8
QuestionIntroduction
AUTRUI
Collection Philosophique
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QuestionIntroductionDiverses sortes
de respect Le respect se définit comme un « sentiment qui porte à accorder à quelqu’un une
considération admirative, en raison de la valeur qu’on lui reconnaît, et à se
conduire envers lui avec réserve et retenue, par une contrainte acceptée »
(Petit Robert).
La question est de savoir quelle est cette « valeur » que l’on reconnaît dans la
personne que l’on respecte, et de quelle sorte est cette reconnaissance, qui sera
très différente selon qu’elle est spontanée ou forcée.
AUTRUI
Collection Philosophique
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QuestionIntroductionDiverses sortes
de respect a) Pascal : distinguer respect conventionnel
et respect naturel
Dans son Second discours sur la condition des grands, Blaise Pascal
observait qu’ « il y a dans le monde deux sortes de grandeurs ; car il y a
des grandeurs d’établissement et des grandeurs naturelles ».
AUTRUI
Collection Philosophique
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QuestionIntroductionDiverses sortes
de respectLe texte de Blaise Pascal
Les grandeurs d’établissement, poursuit Pascal, dépendent de la volonté des
hommes, qui ont cru avec raison devoir honorer certains états et y attacher certains respects. Les dignités et la
noblesse sont de ce genre. En un pays on honore les nobles en l’autre les
roturiers ; en celui-ci les aînés, en cet autre les cadets. Pourquoi cela ? parce qu’il a plu aux hommes. La chose était
indifférente avant l’établissement : après l’établissement elle devient juste,
parce qu’il est injuste de la troubler.
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Collection Philosophique
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QuestionIntroductionDiverses sortes
de respectLe texte de Blaise Pascal Les grandeurs naturelles sont celles qui
sont indépendantes de la fantaisie des hommes, parce qu’elles consistent dans
les qualités réelles et effectives de l’âme et du corps, qui rendent l’une ou
l’autre plus estimable, comme les sciences, la lumière de l’esprit, la vertu,
la santé, la force.
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QuestionIntroductionDiverses sortes
de respectLe texte de Blaise Pascal
Nous devons quelque chose à l’une et à l’autre de ces grandeurs ; mais comme elles sont d’une nature différente, nous
leur devons aussi différents respects. Aux grandeurs d’établissement, nous leur
devons les respects d’établissement, c’est-à-dire certaines cérémonies
extérieures qui doivent être néanmoins accompagnées, selon la raison, d’une
reconnaissance intérieure de la justice de cet ordre, mais qui ne nous font pas
concevoir quelque qualité réelle en ceux que nous honorons de cette sorte.
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QuestionIntroductionDiverses sortes
de respectLe texte de Blaise Pascal
Il faut parler aux rois à genoux ; il faut se tenir debout dans la chambre des
princes. C’est une sottise et une bassesse d’esprit que de leur refuser
ces devoirs. Mais pour les respects naturels qui consistent dans l’estime, nous ne les devons qu’aux grandeurs
naturelles ; et nous devons au contraire le mépris et l’aversion aux qualités
contraires à ces grandeurs naturelles. »
(Ed. Brunschvicg, p. 236)
AUTRUI
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QuestionIntroductionDiverses sortes
de respect Selon Pascal, donc, il existe deux sortes de respect, correspondant aux deux sortes de valeurs que nous respectons en autrui, à savoir d’une part des « grandeurs d’établissement » (comme la
noblesse), qui sont des grandeurs sociales artificielles et conventionnelles en ce sens
qu’elles dépendent de la volonté des hommes et que cette volonté des hommes ne se fonde
pas sur des raisons objectives ; d’autre part des « grandeurs naturelles » qui, elles,
contrairement aux précédentes, ne sont pas arbitraires, mais ont une valeur universellement
reconnue dans la mesure où elle constituent des qualités objectives de l’individu, telles que
l’intelligence, la science, la vertu, la santé, la force.
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QuestionIntroductionDiverses sortes
de respect Les deux sortes de respect leur correspondant sont donc :
- Le respect d’établissement ou conventionnel, qui est pour ainsi dire de surface :
Il ne s’agit pas de rejeter ces grandeurs, mais de les reconnaître en les tenant pour ce qu’elles
sont :
de simples conventions.
Ce type de respect s’exprime d’ailleurs par ces autres conventions que sont les formes de
politesse (on s’agenouille devant un roi, mais on se tient debout dans la chambre des
princes).
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QuestionIntroductionDiverses sortes
de respect Les deux sortes de respect leur correspondant sont donc :
- Le respect naturel, ou respect vrai, qui est l’estime, c’est-à-dire la
reconnaissance d’une grandeur comme vraie grandeur, digne d’admiration et susceptible de constituer un modèle.
Aussi le contraire de l’estime est-il
« le mépris et l’aversion »
(tandis que le contraire du respect d’établissement, c’est l’indifférence).
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Collection Philosophique
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QuestionIntroductionDiverses sortes
de respect b) Respect et crainte
Mais parmi ces valeurs, tant naturelles que conventionnelles, peut-on ranger la force
violente ?
Puis-je respecter en autrui la force par laquelle il s’impose et me contraint ?
Des expressions comme « tenir » ou « garder quelqu’un en respect » semblent bien
montrer que la considération qu’enveloppe le respect peut en effet parfois se révéler n’être qu’une considération forcée, et le
respect se présenter comme une soumission fondée sur la crainte.
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QuestionIntroductionDiverses sortes
de respect c) Respect et loi
Semblablement, ne puis-je respecter l’autre non pour lui-même mais par respect
pour la loi positive, soit par libre acceptation de cette loi, soit par crainte
de ses rigueurs ?
Un tel respect est certes possible, mais il s’agit alors d’une sorte de respect que
nous pourrions dire purement passif, dépouillé de toute admiration pour son
objet comme de toute crainte à son égard, et donc tout près de
l’indifférence.
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QuestionIntroductionDiverses sortes
de respect c) Respect et loi
Dans ces conditions, on peut contester qu’il y ait réellement respect, si l’on voit dans
le respect une attitude positive, spontanée et libre. La loi n’ordonne du reste pas de respecter autrui, mais ses
droits :
Le respect qu’elle demande n’est ainsi guère autre chose qu’une limitation de la liberté
de chacun par rapport à celle d’autrui.
Un tel respect d’autrui imposé par la loi se révèle ainsi moins un respect de l’autre
qu’un respect de la loi.
AUTRUI
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QuestionIntroductionDiverses sortes
de respectKant : on ne
peut respecter que des
personnes
a) Distinguer choses et personnes
Selon Kant, si nous voulons être rigoureux, il nous faut clairement opposer deux
types d’êtres :
- Les choses, c’est-à-dire tous les êtres qui ne possèdent pas la raison.
Leur valeur, si grande qu’elle puisse être sur tel ou tel plan, n’est cependant
jamais absolue mais relative :
Les choses sont toujours des moyens.
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QuestionIntroductionDiverses sortes
de respectKant : on ne
peut respecter que des
personnes
a) Distinguer choses et personnes
Selon Kant, si nous voulons être rigoureux, il nous faut clairement opposer deux types
d’êtres :
- Les êtres raisonnables ou personne : c’est-à-dire ces êtres qui seuls sont doués
d’autonomie, c’est-à-dire du pouvoir qu’ils ont d’obéir à la loi que leur impose leur nature raisonnable, du pouvoir de se
déterminer à agir par la raison.
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QuestionIntroductionDiverses sortes
de respectKant : on ne
peut respecter que des
personnes
a) Distinguer choses et personnes
Selon Kant, si nous voulons être rigoureux, il nous faut clairement opposer deux types
d’êtres :
- C’est de cette autonomie que la personne tient sa dignité inconditionnelle.
La personne n’a pas en effet seulement une valeur pour nous, mais une valeur absolue, littéralement une valeur
incomparable.
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QuestionIntroductionDiverses sortes
de respectKant : on ne
peut respecter que des
personnesUn texte de
Kant
« Tout homme, écrit Kant, a le droit de prétendre au respect de ses semblables et
réciproquement il est obligé au respect envers chacun d’entre eux. L’humanité elle-même est une dignité ; en effet l’homme ne peut jamais être utilisé simplement comme
moyen par aucun homme (ni par un autre, ni même par lui-même), mais toujours en même
temps aussi comme une fin, et c’est en ceci précisément que consiste sa dignité (la
personnalité), grâce à laquelle il s’élève au-dessus des autres êtres du monde, qui ne
sont point des hommes et peuvent lui servir d’instruments, c’est-à-dire au-dessus de
toutes choses . »
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QuestionIntroductionDiverses sortes
de respectKant : on ne
peut respecter que des
personnesUn texte de
Kant
« Tout de même qu’il ne peut s’aliéner lui-même pour aucun prix (ce qui
contredirait le devoir de l’estime de soi), de même il ne peut agir
contrairement à la nécessaire estime de soi que d’autres se portent à eux-
mêmes en tant qu’hommes, c’est-à-dire qu’il est obligé de reconnaître
pratiquement la dignité de l’humanité en tout autre homme, et par
conséquent sur lui repose un devoir qui se rapporte au respect qui doit être
témoigné à tout autre homme. »
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QuestionIntroductionDiverses sortes
de respectKant : on ne
peut respecter que des
personnes
b) Le respect ne peut s’appliquer
qu’aux personnes
Ainsi donc, la valeur de l’homme dépassant celle de tous les autres êtres non
raisonnables, ces derniers sont des « choses », que l’homme peut
légitimement utiliser comme moyens au service de ses propres fins.
Dans ces conditions, à strictement parler, on ne peut avoir du respect pour les choses,
puisqu’elles peuvent être employées comme des moyens, mais uniquement
pour les personnes.
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QuestionIntroductionDiverses sortes
de respectKant : on ne
peut respecter que des
personnesUn autre extrait de Kant
« Le respect, écrit Kant, s ’applique toujours uniquement aux personnes, jamais aux
choses. Les choses peuvent exciter en nous l’inclination, et même de l’amour, si ce sont
des animaux (par exemple des chevaux, des chiens, etc.), ou aussi de la crainte, comme la mer, un volcan, une bête féroce, mais jamais
de respect. Une chose qui se rapproche beaucoup de ce sentiment, c’est l’admiration et l’admiration comme affection, c’est-à-dire
l’étonnement, peut aussi s’appliquer aux choses, aux montagnes qui se perdent dans
les nues, à la grandeur, à la multitude et à l’éloignement des corps célestes, à la force, et
à l’agilité de certains animaux, etc. »
AUTRUI
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QuestionIntroductionDiverses sortes
de respectKant : on ne
peut respecter que des
personnesUn autre extrait de Kant
« Mais tout cela n’est point du respect. Un homme peut être aussi pour moi un
objet d’amour, de crainte ou d’une admiration qui peut même aller jusqu’à
l’étonnement et cependant n’être pas pour cela un objet de respect. Son humeur badine, son courage, et sa
force, la puissance qu’il a d’après son rang parmi ses semblables, peuvent
m’inspirer des sentiments de ce genre, mais il manque toujours encore le
respect intérieur à son égard. »
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QuestionIntroductionDiverses sortes
de respectKant : on ne
peut respecter que des
personnes
b) Le respect ne peut s’appliquer
qu’aux personnes
On ne saurait donc respecter en autrui autre chose que la personne humaine :
nulle de ses qualités, nulle grandeur en lui, conventionnelle ou naturelle, ne mérite
notre respect, mais seulement notre admiration, tandis que la loi morale
exige que nous respections en autrui comme en nous-même la personne.
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QuestionIntroductionDiverses sortes
de respectKant : on ne
peut respecter que des
personnesConclusion
Avec l’opinion commune on peut voir dans le respect une considération admirative, qui n’exclut pas
une certaine crainte, et qui est susceptible, en ce sens, de s’adresser aux diverses qualités
d’autrui, naturelles ou « d’établissement ». Mais on peut aussi, avec Kant, ramener le respect à
cette seule soumission à la loi morale, qui nous ordonne catégoriquement, selon la seconde
formulation du devoir moral, d’agir toujours de telle sorte que nous traitions l’humanité, soit
dans notre personne, soit dans la personne d’autrui, toujours en même temps comme une
fin, jamais simplement comme un moyen, c’est-à-dire de reconnaître en autrui une personne
humaine dont la valeur est absolue.
AUTRUI
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QuestionIntroductionDiverses sortes
de respectKant : on ne
peut respecter que des
personnesConclusion
Cependant on peut se demander si tel respect qui – n’étant commandé que par le Devoir et s’adressant non à l’individu complet mais à cette abstraction qu’est la personne humaine – est dépouillé de
tout sentiment d’admiration et même de crainte, ne confine pas tout compte
fait à de l’indifférence à l’égard d’autrui.
Tel était du moins l’avis de Schopenhauer.
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QuestionIntroductionDiverses sortes
de respectKant : on ne
peut respecter que des
personnesConclusion
Dans Le fondement de la morale, en effet, soulignant que pour Kant « une action, n’a de
véritable valeur morale que si elle est accomplie uniquement par devoir, par pure volonté de faire
le devoir et sans aucun penchant naturel » et que « le véritable caractère moral ne commence que là où quelqu’un, sans sympathie aucune, froid et
indifférent aux maux d’autrui, non point philanthrope par nature, mais uniquement en
considération du devoir rigoureux, accomplit de bonnes actions », Schopenhauer voyait là une « prétention qui révolte le véritable sentiment moral », une « apothéose de l’indifférence, si
contraire à la doctrine chrétienne qui met l’amour au-dessus de tout et n’accorde nulle valeur à ce
qui en est dépourvu ».
AUTRUIFormateur : Yves LIOGIER
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