Flammarion Flammarion
Des matchset Des héros
marcDuzan
france xvde
L’histoire du XV de France est parsemée des destins contrastés, multiples et discordants des mille douze joueurs ayant, un jour, une heure, un soir, enfilé sa tunique. Des rires, des larmes, des révolutions de palais, des destinées brisées, des glorioles passagères et des
triomphes immortels constellent les six cent soixante-trois matchs de l’équipe de France de rugby. Parmi tous ceux-là, j’ai choisi d’en retenir trente-six, victoire ou défaite, parce qu’ils étaient à mon sens porteurs de la dimension humaine propre à ce sport.
Le contexte historique, les coulisses, les secrets de vestiaire ou le making of, comme on dit aujourd’hui, ont ainsi tout autant d’importance – voire davantage – que les matchs en eux-mêmes. Des pionniers de 1906, qui ne s’étaient jamais rencontrés avant de pousser la porte de leur vestiaire, à la stupéfiante affaire Bastareaud, en passant par la touchante confession de Jean-Pierre Garuet ou les coups de force de la bande à Fouroux, cet ouvrage tente d’aborder l’épopée du XV de France par le prisme des hommes qui en ont écrit les grandes lignes. Une Histoire, des histoires et des hommes…
Des matchset Des héros
france xvde
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Journaliste au Midi olympique,
marc Duzan a déjà publié
un ouvrage sur le rugby – Rugby,
les rois de la coupe du monde 2007,
chez Solar.
Prix France : 29,90 ISBN : 978-2-0812-6083-2
11-IX
P Couverture : © Michel Birot4e de couverture et portrait de Marc Duzan : © Patrick Derewiany
SOMMAIRE16 août 1958
UnE tOURnéE En EnfER68
13 janvier 1962
CRAUStE Et l’« étRAnglEUR » d’édIMbOURg74
25 février 1967
VERy nICE gUy82
23 mars 1968
lES AUtRES « SOIxAntE-hUItARdS »88
16 janvier 1971
SpECtRE blAnC Et pRInCES dE gAllES96
26 février 1972
lE tEMpS dES AdIEUx102
29 juin 1974
lA CRéAtURE d’OCAMpO110
19 mars 1977
SUR Un AIR d’OpéRA…114
14 juillet 1979
I hAVE A dREAM122
16 juin 2001
lES COqS AUx hORMOnES190
17 novembre 2001
lE fAbUlEUx dEStIn dES jEUnES pOUlAInS198
9 novembre 2002
Un REnOnCEMEnt hIStORIqUE206
16 novembre 2003
MORtS Un jOUR dE plUIE212
27 mars 2004
ChASSEUR dE « pRIME »222
11 février 2007
CROqUE pARk !228
6 octobre 2007
blEU nUIt234
13 juin 2009
pIègE dE CRIStAl240
13 novembre 2009
gAng dE bOkS248
1er janvier 1906
lE jOUR S’ESt lEVé8
2 janvier 1911
lE péChé ORIgInEl14
3 avril 1920
RéVOlUtIOn IRlAndAISE20
28 mars 1921
l’hOMME qUI A dIt nOn26
21 février 1948
AInSI pARlAIt RObERt SORO34
24 février 1951
lA lIStE42
27 février 1954
lE ShOw Et lE fROId48
10 avril 1954
« bOnI » : lES MOtS pOUR lE dIRE56
29 mars 1958
lA nUIt dES lOngS COUtEAUx62
IntROdUCtIOn6
21 janvier 1984
lA COnfESSIOn dE gARUEt128
20 juin 1987
l’AUbE dU MOndE134
16 mars 1991
lE nOn dE lA ROSE142
3 juillet 1993
OUt Of AfRICA150
3 juillet 1994
lA bEllE Et lA bêtE156
17 juin 1995
lA fIèVRE dE l’OR162
5 avril 1998
dES pOIngS, dU SAng, dES pOIntS170
31 octobre 1999
UnE jOURnéE En EnfER176
5 février 2000
« bERnIE » pREMIèRE184
dES MAtChSEt dES héROS
fRAnCE xvde
76 des matchs et des héros xV dE fRAnCE
Aujourd’hui, je dirais donc à Aurore que j’aime le
rugby parce qu’il m’a permis de découvrir l’histoire de Lubin-
Lebrère, international français du début du siècle, noyant la
préparation physique d’un match en Irlande dans un pub de
Dublin, sous des flots de Guinness et aux côtés de quelques
fanatiques de l’IRA. Je dirais à Aurore que j’aime écouter Dimitri
Yachvili, le numéro 9 du XV de France, évoquer ses racines et
le périple de Chaliko, un aïeul géorgien retenu prisonnier par
les Nazis. Je lui raconterais l’histoire de Bismarck du Plessis, le
talonneur des Springboks, de race afrikaner et élevé parmi des
garçons de ferme, ces Noirs qui ne parlaient que sotho. Je lui
expliquerais enfin comment, une nuit de bringue à Wellington,
le mensonge de Mathieu Bastareaud provoqua, à l’autre bout
du monde, les excuses officielles de François Fillon au premier
ministre néo-zélandais. Je raconterais tout ça à Aurore, en
paraphant mon soliloque par ce mot de Jean Lacouture, jour-
naliste et écrivain : « Le rugby, c’est un monde. »
L’histoire du XV de France est parsemée des destins
contrastés, multiples et discordants des 1 012 joueurs ayant,
un jour, une heure, un soir, enfilé sa tunique. Des rires, des
larmes, des révolutions de palais, des destinées brisées, des
glorioles passagères et des triomphes immortels constellent
les 663 matchs de l’équipe de France de rugby. Parmi tous
ceux-là, j’ai choisi d’en retenir 36, victoire ou défaite, parce
qu’ils étaient à mon sens porteurs de la dimension humaine
propre à ce sport et évoquée précédemment. Le contexte
historique, les coulisses, les secrets de vestiaire ou le making
of, comme on dit aujourd’hui, ont ainsi tout autant d’impor-
tance – voire davantage – que les matchs en eux-mêmes. Des
pionniers de 1906, qui ne s’étaient jamais rencontrés avant
de pousser la porte de leur vestiaire, à la stupéfiante affaire
Bastareaud, en passant par la touchante confession de Jean-
Pierre Garuet ou les coups de force de la bande à Fouroux,
cet ouvrage tente d’aborder l’épopée du XV de France par le
prisme des hommes qui en ont écrit les grandes lignes. Une
Histoire, des histoires et des hommes…
mes meilleurs vœux de réussite pour son premier mandat,
qui la verra, en septembre, prof de latin à Sarcelles, qu’elle
me demande où j’en suis, professionnellement parlant. « Je
suis journaliste. » L’étonnement que trahit son regard me
fait aussitôt me demander quelle triste image je lui ai laissé
en cours de grec ancien. Sûr de mon effet, je poursuis dans
la même voix : « Oui, journaliste sportif ! » L’étonnement
fait place à une moue dubitative, suivie d’un « Ah, ok… »
plutôt glaçant. « Et tu écris sur quoi ? » Du rugby. « Que du
rugby ? » Oui. « Ah… Et ça ne t’ennuie pas, à force ? » Douche
froide. Le temps de la gloriole est passé. La sincérité d’Au-
rore, puisque c’est sous ce prénom-là que je la connais, me
confronte à plusieurs interrogations fondamentales : écrire
le sport est-il, comme elle semble me le souffler, d’une
vacuité sans nom ? Aurais-je réellement été moins inutile en
tant que prof de français au Mali, missionnaire en Éthiopie ?
La repartie m’ayant lâchement abandonné, je laissai mon
ancienne camarade au dance floor, un rien abattu…
Je sais, six ans plus tard, ce que j’aurais dû répondre à
Aurore. Probablement parce que je sais, aujourd’hui,
pourquoi ce métier me plaît. Au vrai, on peut envisager le
rugby sous divers aspects : techniquement, via la domina-
tion d’une mêlée sur une autre, la réussite dans ses coups
de pied d’un buteur sur son vis-à-vis ; psychologiquement,
suivant que l’Anglo-Saxon s’enferme dans un cadre immo-
bile lui offrant une régularité dans la performance et une
linéarité dont il peine aussi à s’affranchir, ou que le Latin
s’octroie, par atavisme, des triomphes ou des débâcles qui
ne surprennent plus que lui. Mais on peut aussi envisager
le rugby sous un aspect purement humain. Ce que j’aime
par-dessus tout, lorsque je parle de rugby, c’est souligner la
variété et la disparité des individus qui en font la richesse.
Car le rugby n’existe que par les hommes qui le pratiquent
et diverge radicalement selon qu’il est joué en Argentine ou
en Afrique du Sud.
Serge Simon, un ancien pilier international, docteur en
médecine depuis 1992, écrit à propos des journalistes spor-
tifs : « Quelques amis avaient décidé de suivre l’équipe de
France. Pour financer le voyage, ils se proposèrent d’écrire
quelques comptes rendus de matchs pour le journal du
pays. Ils ne pouvaient pas imaginer qu’un esprit pervers
allait décider d’en faire un métier. Depuis, des milliers de
types se font payer leurs voyages de la sorte, sans que per-
sonne ne puisse rien faire. Remarque : Antoine Blondin fut
un modèle pour les journalistes sportifs. Or il picolait sec.
Du coup, beaucoup de journalistes se sont mis à la picole
croyant que le talent se trouvait au fond des bouteilles.
Par effet boomerang, un paquet d’alcoolos s’est lancé dans
le journalisme sportif pour voyager gratos. » Je suis jour-
naliste sportif. C’est tout du moins ce qui est imprimé, en
lettres capitales, au dos de ma carte de presse. Le syndrome
« Serge Simon », je m’y suis frotté très vite. Aux balbutie-
ments, même, pour être tout à fait clair. Mes deux pre-
miers mois dans la vie active ne se sont pas écoulés que
déjà j’ai gravé mon nom au bas d’un reportage, une page à
dessein sociologique sur le calendrier des Dieux du Stade,
parue dans le Midi Olympique, en 2005. Ma mère l’a aussitôt
encadrée dans la véranda. Mon père l’a exhibée au village
comme s’il tenait là les reliques de saint Jacques. De quoi
jouer du col, c’était évident.
Au lendemain de la parution, un enterrement de
vie de garçon me mène à Pau, la préfecture des Pyrénées-
Atlantiques, où j’ai validé mon cursus universitaire deux
ans plus tôt. Aux heures fourbes du petit matin, je croise
une ancienne camarade de fac dans une discothèque du
centre-ville. Elle est agrégée de Lettres classiques et promise
à une belle carrière d’enseignante. Elle m’expose une vision
de la pédagogie qui, à cette heure avancée de la nuit, me
semble assez absconse ; me parle de sa vocation, de la fierté
que lui procure sa mission divine, « transmettre le savoir à
plus ignorant que soi ». Je n’ai pas le temps de lui souhaiter
dEShIStOIRES
Et dEShOMMES
introduction
1514 des matchs et des héros xV dE fRAnCE
1911France - ÉcosseÀ Colombes, France (le 2 janvier 1911) :France bat Écosse 16-15 (11-8 à la mi-temps)France : 4 essais : G. Laterrade, P. Failliot (2), G. Peyroutou – 2 transformations : P. DecampsÉcosse : 3 essais : J. McCallum, P. Munro, C. Abercrombie – 1 transformation : B. Tod – 1 drop-goal : J. PearsonArbitre : M. Jones (Angleterre) Équipe française : J. Combes (Stade français) – P. Failliot (Racing CF), M. Burgun (Racing CF), A. Francquenelle (SC Vaugirard), G. Lane (Racing CF) – (o) G. Peyroutou (CA Périgueux) – (m) G. Laterrade (Stadoceste tarbais) – M. Legrain (Stade français), (cap.) M. Communeau (BOUC), J. Bavozet (FC Lyon) – P. Decamps (Racing CF), F. Forgues (Aviron bayonnais) – P. Mauriat (FC Lyon), P. Mounicq (Stade toulousain), P. Guillemin (Racing CF) Équipe écossaise : B. Tod – W. Sutherland, Th. Young, F Buchanan, J. Pearson – (o) (cap.) P. Munro – (m) F. Osler – J. McCallum, R. Stevenson, A. Moodie – C. Abercrombie, R. Fraser – F. Turner, J. Scott, A.M. Stevenson
2 janvier 1911
lE péChé ORIgInEl
Reichel, pionnier du sport automobile et athlète accompli, il
écrivait dans les colonnes du Figaro : « Le meilleur athlète était
de notre côté. Sans Failliot, dont la prodigieuse vitesse nous
a victorieusement servis dans l’attaque et dans la défense,
l’équipe de France n’aurait peut-être pas battu l’Écosse. » Le
XV de France, dont l’antihéros portait ce jour-là des mitaines
de laine noire, venait de goûter au péché originel de la victoire.
Suivraient, au fil du siècle,
une centaine d’autres…
Dedet, deux joueurs du Stade français. Il les interpelle, leur
expose la situation, avant de leur demander, au nom de la
patrie en danger, de rejoindre les vestiaires. Dedet et Duval
se regardent, hésitent. Enfin, ils se confondent en excuses :
les « Stadistes » sortent d’un repas gargantuesque, n’ont
pas fait le moindre exercice depuis près de quinze jours et,
comble de malheur, ont très mal vécu leur non-sélection en
équipe de France. Allan Muhr tourne les talons, furax. C’est
alors qu’un comparse lui présente le poilu Marcel Laffitte.
Le soldat, jusque-là installé en pesages, arbore sa tradition-
nelle tenue de sergent. Conciliabule entre les deux hommes.
Une poignée de main scelle le premier grand secret du rugby
français. À toutes jambes, Laffitte gagne les vestiaires, dépose
ses godillots sous un banc de bois et accroche sa vareuse
sur un porte-manteau. Et là… « Francquenelle, vous voilà
enfin ! Mais où diable étiez-vous ? » Allan Muhr accueille
le remplaçant de Vareilles, toujours aux abonnés absents,
dans un grondement terrifiant. L’athlète de Vaugirard s’ex-
plique. Il a raté son train à Saint-Lazare et a dû prendre un
taxi à la hâte. L’honneur est sauf. Le XIV de France, concept
qu’auraient probablement adoré les British, n’entrera fina-
lement pas dans l’histoire de ce jeu.
« C’est un véritable temps écossais. On gagnera de quinze
points. » Le trois-quarts centre des Highlands Buchanan a
beau être l’attaquant le plus craint des îles Britanniques, il
n’a jamais brillé par ses aptitudes médiumniques. A-t-il vu,
dans ses songes éthérés, qu’un ailier nommé Pierre Failliot
offrirait à la France, ce 2 janvier 1911, sa première victoire
dans le Tournoi des cinq nations ? Visiblement, non. Failliot
(un mètre quatre-vingt-un et quatre-vingt-dix kilos), sur-
nommé l’« Autobus » par ses pairs et considéré comme le
précurseur des colosses polynésiens trustant aujourd’hui
les postes d’ailier, s’invite à la table des grands. Alors que
les Écossais ont remis la main sur le score (11-12), il se sai-
sit de façon acrobatique d’une passe flottante de son centre
Burgun, prend de vitesse son adversaire direct, place une
double accélération et aplatit, au bout d’une course féline,
son deuxième essai du match. Qui osera encore reprocher
à l’ailier du Racing, qui court le 400 mètres en quarante-
neuf secondes, ses penchants certains pour la maladresse ?
À Colombes, personne. En toute fin de match, ledit Failliot,
d’un plaquage énergique et appuyé, pour l’anecdote, d’un
terrible hurlement, exécutait même l’attaquant écossais
Sutherland à trois mètres de l’en-but français…
On raconte qu’au milieu de la foule, au moment où
le capitaine Marcel Communeau était porté en triomphe, une
voix s’est levée pour entonner La Marseillaise. Dans une irréelle
cacophonie qui résonna alors jusqu’aux confins du boulevard
Valmy, la horde sauvage prit le relais du patriote inconnu. Les
Latins tenaient leur victoire. « La France bat l’Écosse ! » titrait
le quotidien L’Auto au lendemain de ce match. Quant à Frantz
Leader, à la fin de 1910. Ils perdent la tête trop fréquemment.
Ils n’ont pas le sang-froid du joueur britannique au moment
où les chances de marquer sont les plus grandes. » Que les
coéquipiers de Marcel Communeau pratiquent alors un
rugby de garçons bouchers, c’est une certitude. Que cette
insidieuse réputation colle encore, de nos jours, aux presta-
tions des Tricolores, en est une autre…
Ras la gueule, Colombes
accueille cet après-midi-là
huit mille personnes. Un
tableau d’affichage a été
érigé à la hâte. Des braseros, autour desquels se massent
des grappes de mômes, trônent au milieu des pesages. Tout
est sous contrôle, ou presque. Une demi-heure avant le
coup d’envoi, une émeute éclate dans un coin du stade. Le
public, entassé sur le béton, est en colère. Un groupe de cinq
personnes, mécontentes du traitement infligé aux specta-
teurs corsetés en « populaires », prend alors à partie Charles
Brennus, le président de l’USFSA : « Monsieur, nous sommes
les délégués de cinq mille personnes, les spectateurs à vingt
sous. Si vous ne nous faites pas tout de suite passer aux places
à trois francs, nous vous prévenons que nos clients vont tout
casser ! » Brennus, imperturbable, lève les bras au ciel en
signe d’impuissance. Le public des « populaires » brise alors
les barricades. Plus de mille personnes s’invitent, de force,
en tribunes. Quelques centaines d’autres investissent la piste
d’athlétisme entourant, de ses bras d’argile, la pelouse de
Colombes. Puisque tout le monde a désormais un siège, place
au sport.
« Quelqu’un a vu Vareilles et Francquenelle ? » Dans les ves-
tiaires français, le hurlement d’Allan Muhr, sélectionneur
national, a laissé place à un silence contrit. Charles Vareilles,
le trois-quarts centre, n’est toujours pas arrivé. Son rempla-
çant, le sauteur à la perche Antoine Francquenelle, est lui
aussi introuvable. Alors que le match démarre dans une poi-
gnée de minutes, l’équipe de France de rugby, qui n’a encore
jamais gagné la moindre rencontre internationale, n’est
composée que de quatorze éléments. Branle-bas de combat.
Muhr, surnommé le « Sioux », imagine déjà le concert de
quolibets que lui réservent les Britanniques. Hanté par cette
vision d’horreur, il se met aussitôt en quête d’un quinzième
homme. En tribunes, il aperçoit René Duval et Jacques
ebonds de l’histoire. Le président Armand
Fallières en est au crépuscule de son inves-
titure. Il y a de cela six mois, l’ancien maire
de Nérac (Lot-et-Garonne) a inauguré le Vel’
d’Hiv’, dont les dix-sept mille places assises
initialement destinées aux séants des aficionados de vélos
seront, plus tard, largement dévoyées par le régime de Vichy.
Aristide Briand, son Premier ministre, vient de démissionner.
Le pays, sans être à l’agonie, est bel et bien malade…
Ce 2 janvier est un autre de ces jours affligeants
de l’hiver, où un brouillard épais et un froid pénétrant
engourdissent et attristent les êtres vivants. La foule, qui
se meut bruyamment vers Colombes, est tourmentée par
une interrogation lancinante : ce XV de France, reconnu
par tous comme largement inoffensif, a-t-il une chance de
vaincre les Écossais ? La dernière saison internationale a en
effet confirmé que les Britanniques avaient encore plusieurs
longueurs, sinon quelques années-lumière, d’avance sur le
jeu un brin rustique et désordonné que pratiquent alors les
Français. « Ceux-ci n’ont pas le meilleur tempérament pour
le jeu de rugby, analysait le quotidien anglais Cambrian Daily
R
L’attaquant du XV de France, Antoine Francquenelle, excellait aussi au saut à la perche.
Ce 2 janvier 1911, Marcel Communeau et ses coéquipiers avaient fait sensation à Colombes.
113112
Page de gauche :Il ne manquait que le grand Estève (deux mètres deux) ici face au petit Fouroux (un mètre soixante-neuf) pour s’opposer à la furia argentine.
Ci-dessus, en haut :Jean-François Gourdon, ici face aux Springboks en 1974, franchit la ligne argentine à quatre reprises.
Ci-dessus, en bas à gauche :Le pack du Tournoi (Boffelli, Bénésis, C. Spanghero, Cester, Vaquerin, Iraçabal, Estève et Skrela – de gauche à droite) n’avait hélas pu être reconstitué dans la pampa argentine.
Ci-dessus, en bas à droite :Hugo Porta, la machine à buter des Pumas, ici sous le maillot de la sélection argentine en tournée en Angleterre en 1978.
127126
Page de gauche, en haut :Robert Paparemborde n’était pas seulement un pilier de mêlée. Il démontre ici, face à l’Écosse en 1977, qu’il pouvait se transformer en un redoutable attaquant.
Page de gauche, en bas :Jean-Luc Averous, l’ailier de La Voulte, dégage le camp français d’un maître coup de pied.
Ci-dessus :Jean-Pierre Rives dans les vestiaires après un match du Tournoi : ses images christiques feront de lui l’une des premières stars du rugby.
241240 des matchs et des héros xV dE fRAnCE
2009France nouvelle-ZÉlande
À Dunedin, Nouvelle-Zélande (le 13 juin 2009) :France bat Nouvelle-Zélande 27-22 (17-11 à la mi-temps)France : 3 essais : F. Trinh-Duc (17e), W. Servat (29e), M. Médard (70e) – 3 transformations et 2 pénalités (4e, 66e) : J. DupuyNouvelle-Zélande : 2 essais : L. Messam (40e), M. Nonu (75e) – 4 pénalités (13e, 39e, 50e, 58e) : S. DonaldArbitre : M. Clancy (Irlande) Équipe française : M. Médard (Stade toulousain) – V. Clerc (Stade toulousain), M. Bastareaud (Stade français ; remplacé par Y. Jauzion, Stade toulousain, 69e), D. Traille (Biarritz olympique), C. Heymans (Stade toulousain) – (o) F. Trinh-Duc (Montpellier HR) – (m) J. Dupuy (Leicester Tigers ; remplacé par D. Yachvili, Biarritz olympique, 73e) – F. Ouedraogo (Montpellier HR), L. Picamolès (Montpellier HR ; remplacé par J. Puricelli, Aviron bayonnais, 62e), (cap.) Th. Dusautoir (Stade toulousain) – R. Millo-Chluski (Stade toulousain), P. Papé (Stade français ; remplacé par S. Chabal, Racing Metro, 53e) – S. Marconnet (Stade français ; remplacé par N. Mas, USA Perpignan, 59e), W. Servat (Stade toulousain ; remplacé par D. Szarzewski, Stade français, 51e), F. Barcella Équipe néo-zélandaise : (cap.) M. Muliaina – J. Rokocoko, I. Toeava (remplacé par L. McAlister, 60e), M. Nonu, C. Jane – (o) S. Donald – (m) J. Cowan (remplacé par P. Weepu, 51e) – A. Thomson (remplacé par T. Latimer, 60e), L. Messam, K. Read – I. Ross (remplacé par B. Evans, 74e), B. Thorn – N. Tialata (remplacé par J. Afoa, 63e), A. Hore (remplacé par K. Mealamu, 20e), T. Woodcock
13 juin 2009
pIègEdE CRIStAl
tombé dans ma chambre et me suis ouvert la pommette. J’ai eu
honte. J’ai paniqué. » En coulisses, nul ne croit sa version des
faits. Selon le docteur du XV de France Jean-Philippe Hager, qui
a soigné le Parisien aux abords de 4 heures du matin, le joueur
était bel et bien en état de choc lorsqu’il frappa à sa porte. La
thèse de l’accident domestique est une vaste blague. Que s’est-il
passé durant les vingt-cinq minutes au cours desquelles les
caméras de l’Holiday Inn ont perdu la trace de Bastareaud ?
Entre le moment précis où on le vit pénétrer le hall de l’hôtel en
compagnie de Fulgence Ouedraogo, Louis Picamolès et de deux
jeunes filles et l’instant où le passe de sa chambre fut actionné ?
S’est-il battu ? Si oui, avec qui ? Plusieurs noms circulent. Les
rumeurs persistent. Mais rien ne tient. Rien de sérieux, en tout
cas. En réalité, on n’est même certain que d’une seule chose :
au bout du monde, les Bleus ont signé un pacte, un serment
retenant la vérité en otage, pour l’éternité. Mais cette nuit du
20 juin 2010, la vie de Mathieu Bastareaud a bel et bien basculé.
Et depuis, les chicken wings du KFC n’ont plus vrai-
ment le même goût…
Bastareaud pour affronter les All Blacks au Carisbrook Stadium
de Dunedin, surnommé « The House of Pain », la « maison de la
douleur », par les locaux. Avant le match, on sent néanmoins
que les maîtres du monde, amputés de leurs leaders Dan Carter
et Richie McCaw, sont vulnérables.
Le déroulé de la rencontre confirme les espoirs de
Marc Lièvremont et les craintes de Graham Henry. À la dix-
huitième minute de jeu, le numéro 8 Louis Picamolès négocie
parfaitement une sortie de mêlée et sert son ouvreur François
Trinh-Duc, lancé comme une balle. Le numéro 10 montpel-
liérain raffute Kieran Read, humilie Liam Messam et Mils
Muliaina par une accélération foudroyante. Il résiste au retour
désespéré d’Adam Thompson et marque. Dix minutes plus
tard, Picamolès récupère un coup de pied de Messam dans ses
quarante mètres. Il sprinte le long de la touche, fixe la défense
des All Blacks et sert son ailier Vincent Clerc. Après un passage
au sol, Damien Traille prend le trou et croise avec Maxime
Médard, plaqué à trois mètres de l’en-but adverse. Le ballon
sort pour William Servat, qui marque en force. Les All Blacks
sont dépassés. Au centre du terrain, la puissance de « Basta
Rocket » fait des dégâts immenses. Fait-il peur aux trois-quarts
néo-zélandais ? On le jurerait, tant ceux-ci balbutient chacune
de leurs offensives. Lorsque Médard, en fin de match, profite
d’une mauvaise passe entre McAlister et Muliaina pour filer
seul à l’essai, la House of Pain capitule. « Nous avons été ridicu-
lisés, soufflera le boss des All Blacks Graham Henry en confé-
rence de presse. Bastareaud est le phénomène attendu. Quant
à Médard, il nous a tués… » À Dunedin, Marc Lièvremont
décroche le premier succès majeur de son jeune règne. Le
coach des Bleus exulte. Il ne le sait pas encore, mais les jours
qui suivront son premier triomphe incarneront à jamais son
pire cauchemar…
Une semaine plus tard, les Bleus, incapables de rééditer leur
performance du Carisbrook Stadium, sont logiquement bat-
tus (14 à 10) par les All Blacks. À 3 heures du matin, Mathieu
Bastareaud rentre seul à l’Holiday Inn, l’hôtel des Tricolores à
Wellington. Le lendemain, c’est la stupeur : l’entourage du XV
de France annonce que le joueur a été violemment agressé par
quatre ou cinq individus à la sortie d’un taxi. Le mardi suivant,
Basta rentre en France, le visage meurtri, le vague à l’âme. À son
arrivée à l’aéroport de Roissy, il s’étonne de l’ampleur médiatique
qu’a prise cette affaire. Une chaîne de télé néo-zélandaise, TV
One, a en effet révélé que le joueur français n’avait pas été agressé
dans la rue, comme il le prétendait. La police de Wellington s’est
procuré les vidéos montrant Bastareaud, indemne, rentrant à
l’hôtel en compagnie de deux joueurs du XV de France. Le scan-
dale est sans précédent. Entre la France et la Nouvelle-Zélande,
on frise l’incident diplomatique. François Fillon, le premier
ministre français, s’excuse officiellement auprès de John Key,
son équivalent néo-zélandais, qualifiant le comportement du
joueur d’« inexcusable ». Basta Rocket est sommé de s’excuser.
Ce qu’il fait : « Je suis rentré à l’hôtel après avoir trop bu. Je suis
table, réduite à un « Salut…
Mathieu… » étouffé dans un
soupir, est un appel au sui-
cide. Il est poli mais ne se
fourvoie jamais dans l’obséquiosité, se force peu, râle souvent.
Il aime la Guadeloupe, la terre de sa maman, mais « pas plus
d’un mois. T’en as vite fait le tour. » Il y a peu, son coéquipier
Guillaume Boussès, qui l’exhortait ironiquement à travailler
son développé-couché, lui a donné des envies de meurtre. Le
même jour, il s’en est pris à son pote Julien Saubade, coupable
à ses yeux d’avoir contraint le groupe parisien à une séance de
course, à la fois supplémentaire et fatale. Alors, quand les aya-
tollahs de la technique individuelle et de la passe sur un pas
lui reprochent aujourd’hui de n’être qu’un « coffre à ballons »,
il se contente de hausser les épaules et de lever les yeux au ciel
avant de lâcher, sans jamais faire vaciller ses intonations de
rogomme : « Quand j’étais môme, on m’a jamais demandé de
faire une passe. Mais ça viendra peut-être un jour… »
Au début de 2009, son début de saison fracassant lui offre
naturellement un destin international. L’« homme qui gagne
tous ses duels » (Fabien Galthié), le « centre le plus puis-
sant du monde » (Fabrice Landreau) découvre le plus haut
niveau. Dans un jeu fondé sur des principes élémentaires de
territoire et d’occupation, son exceptionnelle capacité à avan-
cer devient rapidement indispensable au XV de France. Ce
13 juin, Marc Lièvremont, le successeur de Bernie le Dingue à
la tête de la sélection nationale, a donc convoqué le phénomène
l ne l’explique pas vraiment. Sa mère Dania
est « assez menue », son père Jacques « pas
extraordinaire ». Lui ? 3,9 kg à la naissance,
cent seize aujourd’hui. Mathieu Bastareaud
est sans conteste le trois-quarts centre le
plus lourd de l’histoire. Des mensurations pantagruéliques.
Une morphologie irréelle, à faire passer Ma’a Nonu et Scott
Gibbs pour des moines tibétains en grève de la faim depuis six
semaines. Fabien Galthié, son coach au Stade français, s’était
juré en 2008 de lui faire perdre du poids. Il surveillait ses repas,
lui imposait des séances supplémentaires, lui conseillait le
vélo, beaucoup de vélo, « tous les matins à 8 heures. Résultat,
je n’avançais plus le week-end. Il ne faut pas se battre contre la
nature. Je n’aurai jamais des abdos en forme de plaquettes de
chocolat. Et devenir ou pas une couverture de calendrier m’in-
diffère. Je suis né comme ça. » Et il s’en contrefout.
Tous les dimanches, au su de tous, il sacrifie donc
au même rituel, son plaisir de fin gourmet à lui. Au crépus-
cule, quand le périphérique parisien vomit ses derniers vaga-
bonds, il pousse la battante d’un fast-food du coin, le KFC
de la porte de Saint-Cloud. Le sol y est gluant, les relents de
graillon tenaces, le personnel ravi d’être là. « Suivant ! – Un
Bucket Hot 33 s’il vous plaît. » Et quelques frites. Enfin, pour
apaiser sa conscience, un Coca Light. Là, Mathieu Bastareaud
empoigne son butin, se libère de sa casquette et contemple le
seau d’ailes de poulet avec un sourire extatique. Piano piano,
chicken wing après chicken wing, il se demande enfin pour-
quoi il faut toujours attendre une semaine, avant de se vautrer
à nouveau dans cette débauche très bon marché…
« Et alors ? Contrairement à beaucoup d’autres, je ne
m’en cache pas. Si vous écoutez les rugbymen d’aujourd’hui,
ils mangent des blancs d’œuf matin, midi et soir ! Tout ça,
c’est du mytho. » Beaucoup de choses l’agacent, « Basta ». Il
promène sur le monde un regard de Droopy désabusé, une
démarche de gros chat nonchalant, un cynisme désopilant,
un humour à la Bacri. La messagerie de son téléphone por-
IFrançois Trinh-Duc vient d’échapper à toute la défense néo-zélandaise. Le flanker Adam Thomson est impuissant.
Flammarion Flammarion
Des matchset Des héros
marcDuzan
france xvde
L’histoire du XV de France est parsemée des destins contrastés, multiples et discordants des mille douze joueurs ayant, un jour, une heure, un soir, enfilé sa tunique. Des rires, des larmes, des révolutions de palais, des destinées brisées, des glorioles passagères et des
triomphes immortels constellent les six cent soixante-trois matchs de l’équipe de France de rugby. Parmi tous ceux-là, j’ai choisi d’en retenir trente-six, victoire ou défaite, parce qu’ils étaient à mon sens porteurs de la dimension humaine propre à ce sport.
Le contexte historique, les coulisses, les secrets de vestiaire ou le making of, comme on dit aujourd’hui, ont ainsi tout autant d’importance – voire davantage – que les matchs en eux-mêmes. Des pionniers de 1906, qui ne s’étaient jamais rencontrés avant de pousser la porte de leur vestiaire, à la stupéfiante affaire Bastareaud, en passant par la touchante confession de Jean-Pierre Garuet ou les coups de force de la bande à Fouroux, cet ouvrage tente d’aborder l’épopée du XV de France par le prisme des hommes qui en ont écrit les grandes lignes. Une Histoire, des histoires et des hommes…
Des matchset Des héros
france xvde
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Journaliste au Midi olympique,
marc Duzan a déjà publié
un ouvrage sur le rugby – Rugby,
les rois de la coupe du monde 2007,
chez Solar.
Prix France : 29,90 ISBN : 978-2-0812-6083-2
11-IX
P Couverture : © Michel Birot4e de couverture et portrait de Marc Duzan : © Patrick Derewiany