REMERCIEMENTS
Cinquante-trois magistrats ontcontribuéà ce travail cn acceptantde me recevoiret de seplier aux exigences del’entretien.La courtoisiede leur accueiln’a eu d’égale quel’intérêt de leurs témoignages et de leursréflexions surla questionde la mobilité. Qu’ilstrouvent ici l’expression de ma reconnaissance.
Ce travaildoit également beaucoupàChristine Gridel, qui a assuré lecodage desdonnées à partir de l’Annuaire de la magistrature,à JosetteJuffard, qui afait la saisieinformatique et préparé l’exploitation statistique, etenfin àGérard Rosset, stastiticien, quil’a réalisée ausein de 2RJ.
La documentation Française : "La magistrature ""hors les murs"" : analyse de la mobilité extra-professionnelle des magistrats"
La magistrature "hors les murs"Analyse de la mobilité extra-professionnelle des magistrats
Anne Boigeol (IHTP/CNRS)
RESUME
Les magistrats sont peunombreux à franchirleurs frontièresprofessionnelles pour allerexercer desfonctionsdifférentes dans d’autres univers.Leur habitus professionnel ne lesprédispose pas à cegenred’aventure, la magistrature ayant construit sontautonomie surune culture de fermeturerelative.Il n’estdonc passurprenant que les magistrats mobilesne soient pas représentatifs de lamagistrature dans sonensemble, qu’ils s’en distinguentpar des caractéristiques qui peuventfaciliter leurorientationvers ce type de pratique.Cesontaussi des filières particulières qui conduisent un magistrat àpartir en détachement,filières qui luidonnent unecertaine visibilité,comme lesfilières syndicales ou politiquesou filières de compétencesparticulières,comme le droit économique, et bien sûr lafilièregénérale desMACJ.
Le développement relatif de lamobilité, depuis une dizained’années, et surtout ladiversification sontanalysés àla fois comme la manifestationd’une demandecroissantede service juridique et commel’expressiond’unestratégie dedistinction d’unefraction dela magistrature.Le développement de laplace du droit et dela justice dans les relationssociales, la
régulation de l’économie, la construction européenne, auquels’ajoute lemouvement demise en cause de laresponsabilitépénale decertainesélites contribuent àaccroître et àredéfinir sensiblement lesbesoins de compétencesjuridiques et judiciaires. Que cesoitdans les organismesinternationaux,dans lesadministrations, les entreprises, la fonctionjuridique évolue trèsrapidement, ce quinécessite desajustements des compétencesprofessionnellesmobilisées, et conduit à ouvrir le marché dudroit, même dans lesespacestraditionnellementprotègés. Dans cecontexte de recomposition, les magistratssontsollicités en raison de leurcompétence particulière,juridique et judiciaire, qui lespositionne defaçon intéressante, bien quetoujours marginale, sur le marché desservicesjuridiques. Le développement dudroit pénal desaffaires n’est évidemment pas étrangeràcette demande.
Mais le développementrelatif dela mobilité doitégalement être recherchédansla stratégiede certaines fractions de lamagistrature, qui souhaitent, sur le modèle desgrands corps,accroître leurs ressourcesindividuelles et collectives. La mobilité permet effectivementd’accumulerdifférentes formes de capitaux,mais elle aégalement un coût, qui résidedansl’adaptation à de nouvelles cultures et dans la diffilereconnaissance par lecorps del’intérêt collectif de ces pratiques.
Cependant,mêmesi la mobilité extra-professionnelle de lamagistrature progresse, elleest néanmoins contrainte non seulement par la concurrence des autrescorps del’Etat etpar celle des autres juristes professionnels qui nevont pas manquer deréagir auxempiètements des magistrats, enfin par lanécessité de ne pasnuire aux principes qui sontau coeur de laspécificité dela magistrature.
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LA MAGISTRATURE « HORS LES MURS »Analyse de la mobilité extra-professionnelle des magistrats
Anne Boigeol(IHTP/CNRS)
SYNTHÈSE
Par rapport aux autrescorps del’Etat, qui ont construit une partie deleur pouvoir sur leur
capacité à se déployer à l’extérieur, les magistratssont peunombreux à franchirleurs
frontières professionnelles pouraller exercer d’autresfonctions, « hors lesmurs » de
l’institution judiciaire. Et pourtant cette mobilité, analyséeprincipalement à partir des
détachements, s’est tendanciellementdéveloppée, et surtout diversifiée,depuis la seconde
guerre mondiale, plusparticulièrement depuis laVème République. Aucours decette
période les détachements «traditionnels » vers les colonies, puis dans le cadre de la
coopération ont progressivementdisparu au profit de mobilitésplus variées, allant de
l’exercice de fonctions deconseillers dans des administrations, desorganisations
internationales, etmême des entreprises privées,à celles de sous-préfet. Si l’essentiel des
mobilités se fait sur despostesjuridiques certaines d’entre elles,plus récentes,concernent
des positionsplus généralistes.
Le phénomène estd’autant plusintéressant que la mobilité est étrangère àl’habitus
professionnel, la magistrature ayantconstruit son autonomie sur uneculture de fermeture
relative. Non seulement elle estrestée méfianteà l’égard del’intrusion de toutcorps
étranger, ce qui ne la différencie pas vraiment des autrescorps del’Etat, maissurtoutelle
est restée très réticente à ce que sesmembres quittentprovisoirement l’univers bien
délimité des juridictionspouraller seconfronter à d’autres mondes.
Dans ces conditions iln’est passurprenant que les magistratsmobiles ne soient
pas tout-à-fait représentatifs de lamagistraturedanssonensemble. Ils ont une trajectoire un
peu différente de celle de lamajorité desmagistrats issus dela filière classiqueétudes de
droit-ENM-magistrature. Ils ontparfois exercé d’autres fonctions avant dedevenir
magistrat, ou encorediversifié leurs études, en imaginantd’autres horizons professionnels.
Ils ont doncdéjà, au départ, dumoins un certain nombre d’entre eux, une ouverture,
contrainte ou voulue, quipeut les prédisposerà tenter d’autres aventures. Mais les
magistrats mobiles ontégalement d’autres caractéristiques quicontribuent à enfaire un
groupe un peu particulier.La plupart des mobilités ayant lieuà Paris, ce sontprincipalement
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des magistrats parisiens quisont concernés, ce qui contribue à la non intégration de ces
pratiques par un corps,majoritairement provincial.Plus encore, les magistrats mobiles
sont, engrandemajorité, des hommes, dans une magistrature qui se féminise àgrandspas.
Concernant des hommesparisiens dans unemagistrature féminisée etlargement provinciale
la mobilité apparaîtcommerelevant davantage de stratégies de distinctiond’individus ou de
groupes particuliers que d’uneaction collective du corps.
La mobilité n’étant pas une pratique qui concernel’ensemble de la magistrature ce
sont souvent desfilières particulières qui yconduisent.Il y a, bien sûr, lafilière des
MACJ, ces derniers,surtout s’ils appartiennentà certains bureaux, constituent une
pépinière demagistrats mobilespotentiels,dans lamesure où ilssont souvent directement
en contact avec lesadministrations ouinstitutions désireuses des’adjoindre la compétence
d’un magistrat. Maisil y a aussila filière de l’engagement syndical ou politique ausens
large qui permet, notamment à desmagistrats de province, d’acquérir unevisibilité
particulière et de s’insérer,le cas échéant, dansun réseau de mobilité. Il y aaussi les filières
des spécialitésjuridiques potentiellement porteuses de mobilité :droit des affaires, droit
communautaire, droits del’homme, spécialités recherchéesdans la communauté des
juristes, ou dansle monde dela régulationéconomique
L’analyse des différentslieux de mobilitéfait apparaître l’importance dela mobilité
de proximité. Beaucoup demagistrats ne partent pastrèsloin. Outre lesMACJ, nombre de
détachements se font dans des cerclesrelativement proches de l’institutionjudiciaire, Ecole
nationale dela magistrature,ministère dela justice, tribunauxadministratifs, tribunaux
militaires etc. Cesmobilités sontplutôt des mobilités de début decarrière et des premières
mobilités comme lesont, engénéral, les mobilités dans lesadministrations. Lesmobilités
politiques, ou encore lesmobilités dansle secteur économique sefont à desstadesplus
avancés de la carrière. La mobilité des magistrats se présenteainsi avec une structure
bimodale. Unemajorité de mobilités se font dansle premier tiers dela carrière, ce qui
signifie à un niveauhiérarchique relativementpeuélevé, cesont lesMACJ, et certaines
mobilités de proximité ou dans les administrations nationale ou mêmeinternationale. Et puis
il y a une mobilité à des postes plusélevés qui concerne àla fois des détachements dans des
organismes prestigieux, desdétachements au ministère de lajustice comme directeurs ou
sous-directeurs, et desmobilités vers lesecteur économique oudans des hautesautorités
administratives indépendantes.
L’analyse descarrières conduità renforcerla thèse dela mobilité commestratégie
de distinction et de repositionnementsocial d’unefraction de lamagistrature. Même s’il est
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très difficile d’identifier précisément l’effetpropre de la mobilitédans laréussited’une
carrière - et si les statistiques peuvent recouvrir dessituationstrès hétérogènes - l’analyse
statistique montre que lescarrières desmagistrats mobiles sontloin d’être médiocres.Et
d’ailleurs nombre demagistrats dela Cour de cassation ont eu aumoins unemobilité au
cours deleur carrière, ce qui ne lesa pas empêchés de parvenir à laplus hautejuridiction.
En fait toutdépend des mobilités concernées, et surtout, de la manièredontelles sont
gérées parrapport au corps. Lesmobilités peuventêtre d’autant mieuxintégréesdansla
carrière qu’elles sont relativement proches del’institution et ne durent pas trop longtemps.
Le retour dans lamagistrature sefera d’autantmieux qu’il sera préparé et que lemagistrat
mobile saura montrer, en adoptantun profil plutôt bas,qu’il a toujours l’esprit magistrat.
Ultérieurement,samobilité pourra être capitalisée.
Le relatif développement des pratiques demobilité s’explique d’abord par
l’accroissement dela place du droit et dela justice dans lasociété,auquel s’ajoutele
contexteparticulier demise en cause dela responsabilité pénale dechefs d’entreprises, de
hautsfonctionnaires...La fonction juridique, que cesoitdans les administrations, dans les
entreprises, ou dans lesinstitutions internationales, se transformesensiblement, ce qui
nécessite certains ajustements descompétences professionnelles.
Dans les administrations lesbesoins juridiques se sont diversifiés, ledroit public
n’étant plus seul en cause.Si des magistrats sont sollicitésdans certainsministères, c’est
parce que les administrateurs civilsn’ont pas forcément lacompétencejuridique qui leur
permette defaire face auxproblèmes qui seposent aujourd’hui aux administrations. Un
certain nombre de magistratsmobilesestiment d’ailleurs que les magistrats, " qui ontfait
un cursus juridiquecomplet", sont les mieux placés, entous cas mieuxplacés que les
énarques,pour diriger desservices juridiques. Les magistratssont sollicités en raison de
leurscompétences juridiques,générales ou spécialisées et, deplus en plus souvent, en
raison deleur compétence judiciaire. Ainsi lesmagistrats ne s’occupent pas seulement
d’activité législative et réglementairemais aussi d’évaluation du risquejuridique et
judiciaire, voire deprévention du risque juridique et judiciaire, dumoins dans certains
ministères, particulièrement exposés.
Dans le secteuréconomique c’est bien l’importancecroissante du droit dansla
régulation, la nécessité de garantirle bon fonctionnement des mécanismes du marché quia
conduit àla fois àune spécialisation des magistrats dans cedomaine et au développement de
certainesmobilités. Des magistratssont ainsi recherchés en raison deleur compétence
particulière en droit boursier, ou en droit dessociétés, ou encore endroit financier, etsont
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chargés de rappeler larègle, d’évaluer le risquejuridique associé à des opérations. Plus
récemment, c’est lamise encause dela responsabilité pénale deschefs d’entreprise, qui a
conduit ces derniers àrechercherla compétence particulière de magistrats. Ni leursavocats,
ni leurs servicesjuridiques n’ontsu les mettre à l’abri de la curiosité decertains juges
d’instructions etmême deleurmise enexamen. Alors qui de mieuxplacéqu’un magistrat
pour prévenir lesennuisjudiciaires desP.D.G. ? Ils ont parfois étérecruté par des
chasseurs detête, ce quiillustre parfaitement l’entrée desmagistrats dans lemarché du
droit: le produit "magistrat" commence àêtre recherché sur le marché desservices
juridiques.
Ainsi la présence des magistrats " hors les murs ", qui traduit uneévolution
sensible de laplace du droit et dela justice est aussi liée à uneconjonctureparticulière,
caractérisée par un certain" activisme judiciaire ". L’activité decertains juges
d’instruction a pourconséquence imprévue de créer despossibilités de mobilitépour les
magistrats !
La redéfinition des besoins juridiques qui s’opèreaujourd’hui contribue à ouvrir
quelque peu lemarché du droit,mêmedans desespaces traditionnellementprotégés. Ainsi,
par exemple,s’il sembley avoir un consensus sur lanécessité de développer et de
réorganiser la fonction juridique auseindes administrations, laquestion estposée desavoir
qui est le mieuxplacé pour exercer ces fonctions. Si les magistrats, dumoins certains
d’entre eux, estimentavoir une compétence particulièrepour assurer la fonction juridique
de l’Etat,d’autres corpspeuventavoir les mêmes prétentions.
Mais si la mobilité des magistratss’est développée, c’est aussi parcequ’elle permet
à une fraction dela magistrature de sortir, demontrer que les magistrats de l’ordre judiciaire
ont une compétence qu’ils peuventfaire valoir ailleurs, dansd’autres organisations, dans
d’autres fonctions.C’est égalementparcequ’il y a une volonté de ne pas laisser lescorps
spécialistes de l’essaimage monopoliser les postespour lesquels les magistrats prétendent
eux aussi, et davantage que par lepassé,avoir la compétence.Certaines de ces mobilités,
par les différentes formes de capitaux qu’elles permettentd’accumuler, sontconsidérées
comme uneexceptionnelleoccasion derepositionnement socialpour un corps quis’est
longtempsconsidérécommedéclassé. Onvoit ainsis’amorcer, dans certains organismes
européens, le principe del’alternance entre un magistrat de l’ordre judiciaire et un magistrat
du Conseil d’Etat, principe qui,mêmes’il est parfois difficile à fairerespecter, n’en
constitue pas moins lesigne d’uneréévaluationimportantepour l’ordre judiciaire. De même
dans l’espaceéconomique,la nomination demagistrats à des postes (certes encore peu
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nombreux) traditionnellementmonopoliséspar les grandscorpsillustre également que le
magistrat - pas n’importe quel magistrat - devient un produitprisé dans le domaine dela
régulationjuridique del’économie.
Cependant cesstratégies ne concernentqu’un nombre pour le moinsrestreint et
même minime demagistrats. Ceux-civont s’efforcer demontrer que leurspratiques de
mobilité rejoignentl’intérêt collectif, estimant que la mobilité, " c’estle prestige ducorps
à l’extérieur de l’institution ". Ils se considèrent souventcomme desmissidominici de la
justice, faisantconnaître le droit, la justice etla magistrature en dehors del’institution. De
plus un certain nombre d’entre euxsont directement utilesà la magistrature dans son
ensemble puisqu’ils constituent des relaisimportants pour la formation des magistrats.
Convaincus deleur utilité pour l’institution, les magistrats mobiles déplorent quele
ministère dela justice neles soutienne pas, en ayant une politique de mobilité suffisamment
affirmée.
Mais le bénéfice collectif desmobilités ne paraît pastoujours reconnu par la
magistrature dans son ensemble. Lesmagistrats sont d’autant plus enclinsà souligner
l’intérêt individuel des magistrat mobiles qu’ils voient un certainnombre d’entre euxse
positionner sur des trajectoires sociales ascendantes qui les éloignent deplus en plus de leur
corps d’origine alorsqu’eux-mêmes travaillent dans des conditions parfoistrèsdifficiles.
Ce qui est parfaitementintégré dans les grandscorps, à savoir la dialectique subtileentre
intérêt individuel etintérêtcollectif, ne l’est guèrepour la magistrature.Il y a mêmeparfois
processus de disqualificationréciproque, les magistrats mobilesdénonçant la"culture de
fermeture" des magistrats en juridiction, affichant leur " mépris descastes et joutes
locales ", et les magistrats des juridictions stigmatisant les magistrats mobiles comme des
" planqués ", qui fontla « juridiction buissonnière », et ne " pensentqu’à l’argent" !
Au delà desadifficile intégration par lecorps,le développement dela mobilité des
magistrats,paraît contraint non seulement par les problèmesorganisationnels que posent
ces pratiquesmais aussi par la nécessité de ne pas nuire aux intérêts spécifiques dela
magistrature, notamment à sonindépendance, qu’elle chercheconstammentà renforcer.
Certainesmobilités, en particulier celles qui impliquent unfort engagement partisan à
l’égard d’un parti politique, del’Etat, d’entreprises, peuvent conduire à desconfusions de
rôle; elles peuventaussicontribuerà brouiller "l’apparence d’impartialité dujuge", lors de
son retour enjuridiction. La mobilité des magistratsn’est pas tout-à-faitéquivalente à celle
des autrescorps etrequiert, par conséquent, certaines précautions quipeuvent se traduire,
nnotamment, par des "investissements deforme " adéquats.
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SOMMAIRE
- INTRODUCTION 5
- CHAPITRE I : UN TOUT PETIT MONDE 9
I.1. Une pratique étrangère à l’habitus professionnel 9I.2. Les définitions de la mobilité 14I.3. Structure de la mobilité 20I.4. Un profil un peu particulier 24
- CHAPITRE II : DYNAMIQUES DE LA MOBILITÉ 32
II.1. Les moteurs et filières dela mobilité 32II.2. La carrière des magistrats mobiles 37
- CHAPITRE III : L’ACCROISSEMENT DE LA DEMANDEDE SERVICE JURIDIQUE ET JUDICIAIRE 43
III.1. Les secteurs de lamobilité 45III.1.1. La mobilité des magistrats dans lesorganismes
internationaux et la construction del’Europe 45III. 1.2. La mobilité des magistrats dans le domaine économique 47III. 1.3. Les magistrats au barreau 53III.1.4. La demande demagistrats dans les administrations 53III.1.5. Les magistrats dans lescabinetsministériels 60
III.2. Quelles positions pour les magistrats ? 62
- CHAPITRE IV : L’INTÉRÊT RELATIF DE LA MOBILITÉ 68
IV.1. Les profits 68
IV.I.1. L’argent et les avantages matériels 68IV.1.2. Le prestige et la considération 70IV.1 3. L’élargissement dela compétence 71IV.1.4. Le capital social 75
IV.2. Le coût personnel dela mobilité : l’adaptationnécessaire et parfoisdifficile de l’habitus 76
- CHAPITRE V : UNE STRATÉGIE COLLECTIVE FAIBLE 87
- CHAPITRE VI : DE QUELQUES PROBLÈMES LIÉS À LAMOBILITE DES MAGISTRATS 99
- CONCLUSION 104
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- ANNEXES 110
Annexe 1 : Méthodologie 111Annexe2 : De la politique coloniale à la juridicisation des relations
sociales : la lente progression dela magistrature" hors lesmurs " 113Annexe 3 : Tableaux synoptiques desdétachements 122Annexe 4 :Tableaux statistiques 126
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INTRODUCTION
Le thèmede l’ouverture dela magistrature sur d’autreshorizons n’est pas un
thèmenouveau.Il suffit de se souvenir deMaurice Aydalot, Procureur Général prèsla
Cour d’appelde Parisqui, en 1959, exhortait ses pairsà seressaisir, àmettreà jour leur
culture administrative, politique etsociologique1. On peut aussi évoquer les arguments
utilisés pour justifier la création d’une Ecolede la magistratureoutre l’apprentissage
technique des différents métiers dela magistrature,l’Ecole devait êtreun lieu d’ouverture
sur la société, surle monde,susceptiblede faire sortir le magistratde sa tourd’ivoire
juridique2. Ce thème est toujoursd’actualité puisquela magistraturefait régulièrement
l’objet de critiques qui dénoncentsaculture de fermeture corporatiste, son "monolithisme
culturel".
Depuis quelquesannéess’est dessiné un mouvement visantà rendre plus
perméables les frontières qui séparentla magistrature non seulement des autrescorpsde
l’Etat, mais aussi del’ensemble dela communauté des juristes.Ce mouvements’est
traduit par la diversification des voiesde recrutement dela magistrature, avec,
notamment, les dispositionsprévoyant des intégrations temporaires dansla magistrature
et par uncertainencouragement au détachement.Ce mouvement est encorepeu développé
maisil paraîtbénéficierd’un certain intérêt commeen témoignent l’augmentationrelative
du nombre de détachements et surtoutla diversification de ces détachements.Certains
poussent mêmela mobilité assezloin puisqu’ils franchissentla frontière symbolique qui
séparele secteur public du secteurprivé et entrentau barreau -ils restent alors dansla
famille judiciaire -, ou se mettent au serviced’entreprises privées,ce qui constitue une
extra-territorialité maximum. Cette dernière mobilité rencontre d’ailleurs un certain
succès.En revanchela mobilité des autrescorpsde l’Etat vers la magistrature est encore
peudéveloppée.
Cettemobilité, cetteperméabilitédes frontières professionnelles est encouragée
par un certain nombre d’éminentsjuristes3, magistrats ounon, qui voient dans ces
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pratiquesle moyen de corriger ce qu’ilsestimentêtre leseffets négatifs d’un système
bureaucratique de recrutement et de formationdesjuges : juges recrutés trop jeunes,sans
expérience de la vie, manquant de maturité. Sensiblesaux modesde recrutements anglo-
saxons ouaméricains desjuges, ilsestiment quela mobilité devrait permettred’acquérir
ce qui est supposé manquer aux magistratsfrançais recrutéspar la voie ordinaire, c’est-à-
dire une autre expérienceprofessionnelle, uneouverture sur d’autres univers que
l’universjuridictionnel
Mais cet accroissement de lacompétence n’estpasqu’un pur souciintellectuel.Il
s’inscrit dans des stratégiesplus complexes qu’ilfaut s’efforcer de mettre à jour. De
mêmequela revendication d’accroissementde la compétence des magistrats, quiétait au
principe du projet d’école dela magistraturene prend tout son sens querapportéeaux
intérêts sociaux etprofessionnels d’unefraction de la magistraturedans le contexte
particulierdel’après-guerre, le mouvementvisantà accroîtrela compétencedesmagistrats
par le développementde pratiquesde mobilitésne peut se comprendresansla prise en
compte desstratégies des magistrats et des circonstances danslesquelles ellesse
développent.
Le moment nous est apparuparticulièrementopportun pour se livrerà une
analysesociologique de ce phénomènede la mobilité des magistrats, dansla mesure où
ces pratiques,leur portée,leur signification, sont en train d’évoluer et d’acquérirune plus
grande visibilité.
Deux hypothèses majeures ontstructurénotredémarche.
La première considèrele développementde la mobilité des magistratscomme
une réponse au mouvementde recomposition du champ juridique quis’opère,
notamment sous l’effetde l’internationalisation du droit et dela mise en concurrence des
systèmes juridiques. Cette recomposition a des conséquences non seulement sur le droit
mais aussi sur les professions juridiqueset judiciaires nationales. Il y a un besoin
croissantde compétences juridiques dansdifférentsdomaines dela régulationjuridique.
économique et sociale,dans les administrations nationales et internationales.En raison de
la balkanisation des professions juridiques,desclivages entre les publicisteset privatistes
la question se pose desavoir qui estle mieux à même de répondre à cesnouveaux
besoins. Lesmagistrats,à travers des pratiquesde mobilité, peuvent répondre, dumoins
en partie,à ces demandes. Ilssontd’autant plusappréciés que ces demandes ont de plus
en plus souvent unedimension judiciaire. C’estdonc leur expérience proprequi est
recherchée.
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Mais la mobilité des magistratsne peutêtre analyséeuniquement commeune
réponse passive à une évolution extérieure.Elle résulteausside la volonté d’une fraction
de magistrats d’occuper des terrainspériphériques ou extérieurs,de conquérir des
territoires prestigieux ou tout aumoins intéressants afin d’accroîtreleur pouvoir social,
stratégies renduespossiblespar les restructurations encours, dans les domaines
juridique, politique et économique. Ainsi,par exemple,le transfertd’une partie de la
souveraineté del’Etat à des instances européennespeut être considéré, pour la
magistrature, comme uneoccasionunique pour affirmer sa présence et sa compétence
dansl’ordre juridique européen et pourse repositionner,par rapportaux grandscorps
notamment. Sila mobilité permet des stratégiesà l’extérieur de la magistrature, ellepeut
permettre également desstratégies dedifférenciation interne, ainsi que sembleraitle
suggérerle fait quela très grande majoritédesmagistrats mobilessoient des hommes.
Cependantmême si la mobilité permet des stratégies intéressantes pourla
magistrature,le phénomèneneconcerne qu’unpetit nombrede magistrats, ce qui n’est
pas sansconséquence surla manièredont le corps, dans son ensemble,perçoit cette
mobilité. Celle-cineparaît guère intégrée dansla culture dela magistrature.
Pour menerà bien notre recherchedeux approches ontété conjuguées,l’une
statistique, qui s’efforce d’appréhenderquantitativementle phénomène dela mobilité,
d’en dégager les caractéristiques les plus importantes (cf. annexe1). Elle a été menéeà
partir de l’annuaire de la magistrature dans son éditionde 19954. L’autre, qualitative,
repose surun ensemble d’entretiens réalisésavecdes magistrats en situation demobilité
ou ayant été en situationde mobilité. Cinquante-trois magistrats ont ainsiété
interviewés5. A travers ces interviews ona cherchéà retracer comment la mobilité
survenait dansla carrière, quellesétaient les compétences mobilisées, comment ces
mobilités étaient ou non capitaliséespar les magistrats concernéset par la magistrature
dans sonensemble.
Dans un premier chapitre ontenterad’expliquer pourquoila mobilité est une
pratique marginale dansla magistrature, les magistrats mobiles constituant ainsi " un tout
petit monde ", présentant, au demeurant, des caractéristiques particulières. Les
explications seront recherchéesà la foisdans l’habitus professionnel des magistrats quine
prédisposepas à ce genre de pratiqueset dans les contraintes propresde la magistrature
qui les rendent plus difficile que pour un autre corps. On s’interrogera aussi sur les
différentes définitions dela mobilité, qui impliquent des tauxde mobilité différents.
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Dans un secondchapitre seront analysées les dynamiques dela mobilité en
repérantd’abord les moteurs quisont susceptiblesde la favoriser, puis ens’interrogeant
sur les effets dela mobilité sur les carrières.La mobilité étantunphénomène minoritaireil
n’est passurprenantqu’il y ait des filièresqui y prédisposent et qui sontà rechercher
principalement dans des engagements personnel, dans desspécialisations juridiques ou
dansle fait d’êtrepasséau ministère de lajusticecommeMACJ.
Puis, dansun troisièmechapitre, lesdifférentes mobilités des magistratsseront
analysées comme une réponseà l’accroissement dela demande en service juridiqueet
judiciaire. Différentsdomaines serontabordés successivement qui permettront desaisirla
naturede la demandefaiteaux magistratsmobiles.On verra également que les magistrats
se heurtent à laconcurrence, parfois vive,desautrescorps, ce quidétermine, pourune
large part, les positionsqu’ils occupent.
Dans unquatrième chapitre seront analysées les différentesformes deprofits
que permettent les mobilités :capital économique,capital social, compétence,capital
symbolique.Mais on verra aussi que cesmobilitésont un coût personnel, enparticulier
l’adaptation de son habitus professionnel, qui est parfois élevé.
Dansun cinquième chapitreon aborderala difficulté pour le corps decapitaliser
ces mobilités etde la transformer enstratégiecollective. De sorteque la mobilité des
magistrats apparaîtaux yeux ducorpsprincipalement commeunestratégie individuelle.
Enfin un dernier chapitre feraétat dequelques problèmesliés à la mobilité des
magistrats.
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CHAPITRE I
LES MAGISTRATS MOBILES : UN TOUT PETIT MONDE
I.1. Une pratique étrangère à l’habitus professionnel
A la différence des grandscorps del’Etat qui ont fondé une partie deleur pouvoir sur
leur capacitéà diffuser dansla société, " à fournir au pays de grandscommis " 6. les
magistrats del’ordrejudiciaire sont peu nombreux àfranchir leurs frontières professionnelles
pour aller occuper d’autrespositions dans desunivers différents.Le caractèremarginal de
cette pratique résulte de la manièredont s’estconstruitl’habitus professionnel des magistrats,
qui n’a pas favorisé la projection du corps à l’extérieur, mais aussi des contraintes
institutionnelles et organisationnelles du corps.
A partir du moment oùla magistraturea commencéà se professionnaliser,c’est-à-
dire sous la IIIème République,avec notamment l’institutiond’un examen d’entrée,elle a
cherchéà protéger son territoire en renforçant ses frontières professionnellespar unelimitation
du recrutementextérieur. Les possibilitésde sortie des magistrats hors deleur corpsétaient
extrêmement limitées et s’effectuaient essentiellement dansle domaine politique, ou pouraller
exercer des fonctions identiques ouvoisinesdansl’empire colonial. Il s’agissaitde mobilités
qui n’impliquaientpas de réciprocité, qui n’empiétaientguèresur le territoire d’un autrecorps.
L’auto-reproduction du corps,plusparticulièrementde la hautehiérarchie,par le systèmedes
parrainages, permettaità la fois de contrôlerle corpsjudiciaire et deconstruire sonautonomie
relative7. En fermant les frontières, enprotégeantson indépendancepar un ensemblede
garanties concernantla nomination et l’avancement,la magistraturene prédisposaitpas à la
mobilité extra-professionnelle.
La formation au seind’une école spécifique officialise, en quelquesorte, cette
fermeture relative : les auditeurs sont formés et entraînésà exercer les différentes fonctionsde
la magistrature et nonà être avocat,juriste d’administration ou juriste dansune entreprise,
mêmesi le souci de l’Ecole a toujours été l’ouverture surla société, dans sesdifférentes
composantes8. L’ENM resteune école d’application etse différencie de l’ENA qui se veut
davantage une écolegénéralistedela hautefonction publique.
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Quand on entre dansla magistraturec’est en généralun engagement à longterme
même sicertains jeunes auditeurs àl’Ecole nationalede la magistraturemanifestentquelques
réticences àenfermer ainsileur avenir professionnel.Une enquêteréalisée auprès de 3
promotions d’auditeurs (1984-1986)montrait que 63% d’entre euxvoulaient consacrer àla
magistrature toute leur carrière professionnelle,17%déclaraient ne passavoirexactementquel
serait leur avenirdans la magistrature et 20% qu’ilsne souhaitaient pasterminer leur vie dans
la magistrature.9 C’estencore,pour un certain nombrede magistrats,unesorte desacerdoce,
un engagementproched’un mariage, oùl’on " épouse " les fonctionsde juge, ou encoreune
vocationà connotation religieuse, comme l’exprime ce magistrat :
" C’est une institution de traditioncléricale. On est appelé. Onsedrape dansle grand
châle noir de sa mère dans la salle debain ; ensuite on rentre dans cette sorte degrand séminaire
qu’est l’Ecole nationale dela magistrature; onmet une soutane que les curésne portentplus.
Puis on gravit une espèce dehiérarchie qui ressemble beaucoup à unehiérarchie ecclésiastique
et puis,si on a de la chance, ontermine évêque,voirearchevêque ...Et tout ça dans uncursus
complètement fermé et cloisonné, canalisé,avec une vision du monde complètement
extérieure,avecdes pouvoirs considérables,avec une logique complètementautarcique :la
logique juridique."(20)
Si la magistrature diffusefort peu àl’extérieur, c’estparce que c’est complètement
contraireà la culture traditionnelledu juge. La réservetraditionnelledes magistratsimpliquait
qu’ils ne sortent pas,qu’ils ne se commettentpas avec le monde, car celui-ci risquait de
menacerleur indépendance10. Commele rappellece magistrataujourd’hui en retraite : " mon
pèreconsidérait qu’un magistratne doit pas avoir de relations pour être à l’abri de toute
sollicitation " (9), ou encore cet autre magistrat détaché :
" Le juge ne voit personne enville parce que çapourrait porter atteinte à son
indépendance. C’est une cultureavant tout individualiste et corporatiste. Le juge est
culturellement introverti. Ce qui s’explique historiquement, sociologiquement etmême
logiquement.L’idée de seprojeter àl’extérieur était vécue, jusqu’il ya peu de temps,comme
unesortedeviolence àla culture traditionnelle.L’extérieur est regardéun peu commeun lieu
impur, où l’on perd la puretéde son indépendance,la pureté de sesprincipes; ça permet
d’éviter la confrontation." (20)
Les magistrats mobiles insistentd’autant plus surcetteculture de fermeturequ’eux-
mêmes en sont sortis -du moins provisoirement -et ont le sentimentd’être victimes d’une sorte
La documentation Française : "La magistrature ""hors les murs"" : analyse de la mobilité extra-professionnelle des magistrats"
d’ostracisme dela part du corps (onreviendraultérieurementsur cet aspect). Observantla
magistrature de l’extérieur ils ont le sentiment que celle-ci est entourée de murailles opaques.
C’est également sur la distancepar rapport à l’argentque s’est construit le modèle
d’exercicetraditionnel de la magistrature, alors que les sorties du corpssontsouvent associées
avec " l’appât du gain ". Quitter un corps encorehabité parl’esprit sacerdotal nepeutrésulter
que de motivations qui sont àl’opposé des valeurs traditionnelles dela magistrature.Même si
nombre de magistrats se plaignentrégulièrement del’insuffisance de leur rémunération,
l’argent n’est pas aucoeur de leurspréoccupations,carde toutes façons, on ne fait pasfortune
dans la magistrature. Les magistrats mobiles sont aussiimprégnés decette idéologie ense
défendant den’êtrepartis que pour des raisonsmatérielles. " On vous soupçonned’avoir fait
çapour de l’argent. Il y a des fantasmes extraordinaires chez les magistrats qui pensentque.
considérant qu’ilssont eux-mêmes insuffisammentrémunérés, que noussommes touspartis
exclusivementpour desraisonsmatérielles... vouspouvez passer2 heurespour leur expliquer
que cen’est pas exactementl’origine de votre démarche, on vouscroit oupas." (10)
Le fait quela magistrature soit une carrièrene favorisepasnon plus les évasionshors
du corps. Mêmesi le détachement n’interromptpas la carrièreil est plusfacile de la gérer en
étant sur place. Plusieurs des magistrats quenous avons interviewé sont persuadés quela
mobilité hors magistrature nuit àla carrière.Ce sentimentest d’autantplus ancréqu’il est
associé aux difficultés effectives que rencontrentun certain nombre de magistrats mobiles
lorsqu’ils veulent rentrer en juridiction.
L’habitus dumagistrat, son engagementdans la professiontendent àle convaincre,à
le renforcer dansl’idée qu’il est fondamentalementun magistrat, que son savoir-faire, les
vertus, les qualitésqu’il déploiesontspécifiques. Plusieurs magistrats mobiles ontfait part du
sentiment d’incapacité fondamentaleà faire autre chose, qui habite la magistrature :
" Beaucoupde magistrats croient qu’ils n’ensont pascapables : ils neveulentpasprendrele
risquedesecasserla gueule; en plus quiva à la chasse perdsa place;ce raisonnementje l’ai
vu tenir par des magistrats qui auraient trèsbien pu exercer des fonctionsà l’extérieur de la
justice maisqui n’osaient pas.Pour partir il faut du cran, del’inconscience oualors il faut
vraimenten avoir marre !"(15). La mobilité estalorsprésentéecommeun défi : se prouver
que l’on est " capable defaire autrechose " (12), quel’on peut s’adapterdans un univers
différent. " Je pensequ’unepartie dela motivation des magistrats quipartenten détachement
c’est une volontéd’auto-évaluation : qu’est-ce-queje vaux à l’extérieur " (20). Un magistrat
parlede son " complexeecclésiastique ", qu’ila dû surmonterpour sortirde la magistrature.
Il n’est pas facile de quitter la magistrature. Beaucoup de magistrats mobilesle
soulignent. Il y a presque toujours chez lesmagistrats mobiles un attachementaffectif, la
revendication detoujours appartenirà la grandefamille de la magistrature. Plusieursd’entre
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eux ont dansleur bureau dessignesrappelantleur appartenanceà la magistrature, insignede
ler substitut, photos du palais de justice, un autregardesarobe dansle placard de son bureau.
Certes comme on leverra, il s’agit aussi, etpeut-êtresurtout,d’une manièrede gérer etde
valoriser leur capital spécifiquedans l’organisation d’accueil, mais pas seulement.La
magistrature est un univers structuré, chargéde repères,de principes qui nesont plus là
lorsquel’on en sort.Plusieurs des magistratsinterviewésnous ont ditêtre entrésdans la
magistraturepar vocation. Partirc’est un peu défroquer, surtoutsi l’on part trèsloin. Il est
étonnant de voir un magistrat, parti dans le secteur privé, chanter leslouangesde la
magistrature " c’est le plus beau métier du monde " tout ens’enéloignant, immanquablement,
et en regrettant que ses enfants ne reprennentpasle flambeau.
La mobilité est loind’être intégréedans le modèle professionnel des juges. Les
magistrats mobiles onttendance àsoulignerqu’ils n’ont pas vraimentrecherchécettemobilité,
qu’elle est arrivéesansqu’ils fassent quoi que ce soit, invoquantle hasard, " la bonne
étoile" , des circonstances particulières, unerencontre : " le destin m’appelleau téléphone "
" le train passe,j’y monte ". Beaucoup invoquentla chance,mêlant la satisfactionde leur
situationà un désir, trèsdiffus, des’excuserd’avoir fait ce choix. Peu nombreux sontceux
qui disent explicitementqu’ils ont cherchéà être détachés.
Le caractère marginalet non intégré par la profession dans sonensemble des
mobilitéspeutse voir à propos duretour des magistrats mobiles dansle corps.Ce retour est
un moment délicat et nécessite beaucoupde diplomatie, voire d’abnégation, pour être
acceptablepar le corps,pour que les modèlesde carrièresoient respectés. Vouloirtrop
explicitementou trop rapidement capitalisersa mobilité en prétendantoccuper un poste
intéressant est difficilement acceptablepar le corps.
Maissi la mobilité n’estpasintégrée dansle modèle traditionneldela magistrature,il
y a également des contraintes spécifiquesà ce corps quilimitent son développement
Il y a d’abord des contraintes organisationnellesqui limitent la mobilité.La taille de la
magistrature -plus de 6000 magistrats - sarépartition sur le territoire national, ont pour
conséquence immédiate quela magistraturene peut être géréecommeun grandcorpsdont les
effectifs sont restreints.(Mêmele corps desconseillers administratifs, astreintà une mobilité
obligatoire, ne compteguère plus de 800 personnes...).Ce sont aussi les contraintesqui
garantissent l’indépendance des magistrats quiposent également des problèmes
organisationnels et peuvent rendre problématiqueune trop grande fluidité du corps vers
l’extérieur. Les règles de nomination compliquentsensiblement les opérationsde mobilité,
comme l’explique ce magistrat :
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" Les protectionsdont sont dotées lesmagistrats - inamovibilité, transparence,
conditions de nomination - sont unfrein au détachementdansla mesure où ellesimpliquent
une lourdeur degestionquen’ont pas les autrescorps.Quandun magistratpart, on nepeut
pas le remplacer tout desuite. Par exempleil y a un seul juge des enfantsdans tout le
département de la Manche.Il part en détachement. Pendant 9mois il n’y aura plusde juge des
enfantsparce qu’on ne peut pas nommer toutde suite quelqu’un sur ceposte. Donc le
détachementestmal vu par les chefs de Cour quivont essayer dele différer. De sorte que
l’administrationd’accueil vaattendre, vabloquer le poste alors qu’elle peut prendretout de
suite un administrateur civil."(7)
De surcroît,le développement du détachement implique unecertaine réciprocitéqu’il
est difficiled’assurerenraisondu statutde la magistrature. Tel étaitun des objectifs de la loi
de 1992, qui visait àla fois à diversifierle recrutementde la magistrature età instaurer des
possibilités de détachements réciproques entreles corps issusde l’ENA et la magistrature,ce
qui n’était passimple, comptetenu dela spécificitédesfonctions de magistrat, deleur statut,
et plus précisément des protectionsparticulières dont ils bénéficient. Le système de
détachement judiciairea ainsi été imaginé, et créé. Maisla magistrature n’estpastrès enclineà
accepter qued’autres corps del’Etat viennent sur son territoire.La commission d’intégration,
chargéed’examiner les candidatures," a une approche trèsrestrictive du détachementde
fonctionnaires dansle corpsjudiciaire. Tous les dossiersnesontpasbons -il y a desplanches
pourries - mais ily a des dossiers quiauraientmérité une approche plus constructivede la
commission ".(32)Le cas des administrateurs civils auministère de la justice est assez
exemplairede ce désirde rester entre soi. Les magistrats du ministèrede la justice ont
longtemps été extrêmement réticentsà leur arrivéeau sein de la chancellerie, préférantassurer
eux-mêmesle travail de gestion et d’administrationpour lesquels ils n’ontpas forcément les
meilleures compétences.Le nombre d’administrateurs civilsa quelque peu augmenté
aujourd’hui. ce qui n’estpassansrelation avec une certainecrisedu recrutement desMACJ11.
Enfin les magistrats sontpeut-êtred’autant moins portésà sortir hors les mursde la
magistrature etde l’institution judiciaire qu’ils sont astreintsà une certaine mobilité
géographique ou tout au moins fonctionnelle,s’ils veulent progresser dansla carrière. Les
magistrats soulignent volontiersqu’ils peuvent exercer plusieursmétiers au sein de la
magistrature, et qu’ilsne sont pas du tout enfermés dansle " monolithisme culturel "
dénoncé. notamment,par les magistrats mobiles.Entre les fonctionsde juge pour enfantet
cellesde substitut, en passantparcelles dejuge d’instance ou de juge d’instruction, lesmétiers
offerts aux jeunes magistrats sont variés,même si les magistratsprivilégient en général
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certainesfonctions.Cette diversité est d’ailleurs enviéepar certains juges administratifs,qui
" font le même métier du début à lafin de leur carrière"(53).
Comptetenu de toutes ces réserves qui contribuentà restreindre les possibilitésde
sortir " hors les murs ",il n’est donc pas surprenant quela mobilité ne concerne qu’unpetit
nombre de magistrat. Il faut soulignerd’ailleurs que plusieurs magistrats mobiles ontfait état
des difficultésqu’ils avaient eu àtrouver un successeur pour lesremplacerdansleur postede
détachement. On nesebouscule pas toujourspour être détaché.
Cependantil y a plusieurs manières de définirla mobilité desmagistrats.
I.2. Les définitions de la mobilité
La mobilité extra-professionnelle quinousintéresse estle mouvement qui conduit les
magistrats à quitter provisoirementleur territoire spécifique - les juridictionsde l’ordre
judiciaire - pour aller exercer, pendant un temps déterminé, uneactivité différente. La mobilité
extra-professionnelle des magistrats -comme des autresfonctionnaires - estrégie par des
textes qui réglementent lessorties du corps :détachement,mise à disposition, mise en
disponibilité. Mais ces catégoriesnesont pasparfaitementsatisfaisantes, ni exhaustives.Le
détachement recouvre dessituations extrêmementdiverses, certainesétant proches de
l’institution justice, comme les maîtres de conférenceà l’ENM, d’autres beaucoup plus
éloignées. Certains magistrats sontdétachés auministère dela justice, comme directeurs ou
sous-directeurs, alors que les chefs debureau dumême ministère sont des MACJ. Les
catégories juridiquessont loin d’être des instruments parfaitspour appréhendernotre
phénomène.
La question s’est doncposée de savoirquelle délimitation de la population de
magistrats mobiles nousadoptions,notammentdans l’enquêtestatistique, et, en particulier,
s’il était pertinent d’inclure les MACJ. Deux conceptions decette mobilité peuvent être
envisagées, qui correspondentà deux définitions du territoire initial de la magistrature.La
premièreconsidère leterritoiredela magistrature commeétantcelui desjuridictions; le passage
à la chancellerie estalors considéré comme une mobilité.La seconde repose surune
conception pluslarge duterritoire judiciaire,y incluant le ministèrede la justice,ce qui réduit
la mobilité aux véritables détachements, misesà disposition et à certaines misesen
disponibilité.
Dans la première conceptionla mobilité doit être appréhendée non seulementà
travers les positions administrativesde détachement, demise à disposition etde mise en
disponibilité,maisaussià travers l’affectationde magistrats au ministère dela justice, comme
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MACJ. Danscetteconception, c’estle fait de quitter les fonctions juridictionnelles, doncde
prendre dela distance avec ce qui constitue l’essencemême de l’activité de juge ou de
procureur qui est privilégié.Certes letravail au ministère dela justice est parfois trèsprochede
celui en juridiction. Un magistratdétachéparle ainsi de son passage àla chancellerie,au
bureau de la nationalité, qui " ne constituait pas une rupture avecle mondejudiciaire car on
traitait directementun certainnombre dedossiers, plustout le contentieux, quel quesoit le
stade auquelil se situe ... celam’a permis de faire des mémoires pourla Cour de
cassation"(7). Maisil peut être aussi sensiblement différent.D’abord parcequ’il s’agit d’un
travail classique d’administration centrale,d’élaboration deslois, travail auquel il sera
également amenéàparticiperdans d’autres ministères, dansle cadredu détachement.Ensuite
parce que si le ministère de la justice estun fief de la magistrature, les magistratsy sont
néanmoins conduits, du moins danscertains secteursà côtoyer d’autres univers
professionnels, et ce au seinmême de l’institution. Un des magistrats interviewésestimeque
sa nominationà l’administration pénitentiairea véritablement signifiéun changementd’activité
le mettant en contact avec des corps très différents.
" Je considère mon passageà la chancellerie - l’administration pénitentiaire -comme
un véritable détachement mêmesi onrestedansla boutique.J’y ai acquis des compétencesen
gestion,gestion financière, gestion du personnelavec la participation auxCAP et aux CTP.
J’y ai côtoyé d’autres corps professionnels, administrateurs civils, corps techniques,
personnels pénitentiaires.J’ai beaucoup appris entravaillant avec un X-Pont quiétait d’une
grandecompétence surla gestion des marchés, surle suivi d’un grandprogramme, surla
tenue des coûts, des délais, surla négociation; j’ai appris commenton négociait avec les
entreprises privées; ce quia été une chancepour moi car les magistratsnesavent pas négocier,
ne savent pas comment ontravaille avec desgens de corpsdifférents "(25)
Si la chancellerieestlargementpeupléede magistratselle n’en est pas moins unlieu
où ceux-ci peuvent à lafois enrichirleur expérienceet leur carnetd’adresse, danset hors la
magistrature. C’est souventle lieu de passageobligé pour les détachements ou les misesà
disposition. La probabilité d’être détaché lorsquel’on devient MACJ est loin d’être
négligeable,si l’on considère les résultats de notreenquête : 36% des magistrats qui ont eu
une première mobilitéà la chancelleriecommeMACJ ont eu, ultérieurement, aumoins un
détachement.Et 35% des magistratsayant eu un détachement aucours de leur vie
professionnelle sont passéspar la chancellerieà un momentou à un autrede leur carrière.Les
deux populations sont donc relativement imbriquées. Les grandscorps ont d’ailleurs
expérimentéun processussimilaire puisqu’ils ont commencépar coloniser leur ministère de
tutelle avantdepoursuivre leurs conquêtesà l’extérieur.
Dans la deuxième conceptionde la mobilité, qui correspondà une définition plus
restrictive,le passage parla chancellerien’estpasconsidéré commeunemobilité extrajudiciaire
La documentation Française : "La magistrature ""hors les murs"" : analyse de la mobilité extra-professionnelle des magistrats"
maiscomme une mobilité fonctionnelle. Cela renvoie davantageà uneconception dela mobilité
comme un processus deprojection à l’extérieur,commeune conquête de nouveaux territoires.
Danscetteperspective on peut d’ailleurs contesterla qualité de mobilité extra-professionnelle
auxmagistrats détachéscomme directeurs ou sous-directeursà lachancellerie, ou commemaître
de conférence à l’ENM.C’estd’ailleursla conception qu’avaitretenueJean-LucBodiguel dans
les pages qu’ilconsacre àla mobilité dela magistrature12.
Les deux conceptions sejustifient et constituent une sortede fourchette permettant de
fournir un ordre degrandeurpour définirle phénomène de mobilité. Nous avons ainsi constitué
deux populations, une population concernéepar une mobilité au sens large,incluant lesMACJ
et une population caractériséepar une mobilité ausens plusrestreint, qui exclut les magistrats
n’ayant étéque MACJ. Uneconception encore plus profiléede la mobilité a même été
envisagée, en excluant ce que nousavonsappelémobilité de proximité ainsi que lesmobilités
dans d’autres fonctionsjuridictionnelles,mais la conceptionest apparue troprestrictive pour
être opérationnelle dupoint de vue statistique.
La mobilité professionnelle : unphénomènequantitativementpeu important
Pour évaluer la population des magistrats concernéspar une mobilité extra-
professionnelle nous avons" balayé " systématiquementla dernière édition disponible de
l’annuairede la magistrature - 1995, lorsque nous avonscommencé l’enquête - pour arriverà
apprécierle nombre total de magistratsqui, à un moment ou à un autrede leur existence
professionnelle, ont été détachés, mis à disposition, ouMACJ.
Compte tenu de la manière dont l’annuaire estfabriqué, l’évaluation faite peut être
considérée comme unminimum. En effet non seulement les misesà dispositions sont sous-
représentées,car ne faisant pastoutes l’objet d’un arrêté,mais les détachementsle sont parfois
aussi, en raison des délais, parfois considérablesentre le détachementeffectif et la date du
décretl’instituant. De sortequele détachementn’apparaîtparfois dansla notice individuelle du
magistrat concerné que beaucoup plustard13.
Parla suite nous avonsrestreintla population enne prenanten considération que les
magistrats nés après 1935.Ce choix étai justifié par le souci d’avoir une population
relativement homogène, entrée dans la magistratureà partir de 1958,les magistrats plus anciens
étant régispardes statuts différents et ayant eudesdébuts de carrière différents.
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Sur 6350 magistratsrecensés en 1995, 956 ont eu au moinsun détachementau sens
large aucours de leurcarrière, ce qui représenteun pourcentage de15%14. En ne considérant
que les magistratsnésaprès 1935, qui constituent 92% dela magistrature en 1995, ce sont 846
magistrats sur5825, soit 14,5%d’entre eux qui ont eu,au moins unefois dans leur vie
professionnelle, un détachement ausenslarge.
Tableau n˚1 : La proportion de détachés dans la magistrature en 1995
Source : enquête statistique, annuaire1995
Si l’on exclut les magistrats quin’ont été que MACJ, cene sont plus que 643
magistrats qui sont concernés, soit10,1%de l’ensembledu corps(et 546 magistrats sur5825,
soit 9,4%si l’on neconsidère que les magistrats nésaprès 1935).
Ces chiffres sont moinsélevés queceux fournis par Bodiguel pour l’année 1978.
L’auteur estimaitalorsà 15% (soit 8()5 magistrats),la proportion de magistratsayant eu au
moinsun détachement aucoursde leur carrière - enne comptant pas lesMACJ -. Mais il faut
affiner la comparaisonpourcomprendre que,contrairementà l’image que renvoient leschiffres
globaux (15% de magistrats mobiles en1978et 10%en 1995), les pratiquesde détachementse
sont développées.En 1978, parmi les 8O5 magistrats ayant euun détachement, 621l’avaient
été dans le cadre de la coopération.Ce qui réduit considérablementl’importance des autres
détachements.Et comme en1995il n’y a quasimentplus dedétachement dansle cadre de la
coopération technique, cela signifie que lesautrespossibilitésdedétachementssesontaccrues.
Il y a une certainedynamique du détachement. Les 846 personnesde notre population
ont effectué 1340 mobilités,ce qui représente1,6 mobilité par personne.En excluant les
magistrats quin’ont été que MACJ, les 546magistrats restant ont eu en moyenne 1,9
La documentation Française : "La magistrature ""hors les murs"" : analyse de la mobilité extra-professionnelle des magistrats"
détachements, qui se répartissent dela manière suivante (on considère commeun seul
détachement une mobilité dans une position quiserenouvelle)
- 1seul détachement : 269 magistrats (49,3%)
- 2 détachements : 166 magistrats (30,4%)
- 3 détachements : 59 magistrats (10,8%)
- 4 et + détachements : 52 magistrats(9,5%)
En excluant les magistratsayant été successivementMACJ et détachés pourne
prendre en considération que les détachements ausensstrict, on voit que le phénomèneest
circonscrit : 76,4% des détachés,(soit 269 personnes), n’ont euqu’un seul détachement,
19,6%(soit 69personnes) en ont eu2 et 4% en ont eu 3 et+.
La mobilité des magistrats est un phénomène extrêmement circonscritne concernant
qu’unpetit nombre de personneset souventlimité àun seul détachement.
La population mobile que nous avons reconstituéeà partir de l’annuaire de la
magistrature comporte à lafois desmagistratsayant été détachés ouMACJ dans le passéet des
magistrats en position de détachement en 1995, quiserépartissent de la manièresuivante :
- magistrats ayant étédétachés ouMACJ dansle passé :445
- magistrats toujours en détachement : 226
- magistrats toujoursMACJ : 159
- magistrats endisponibilité : 19*
- Total 846
* et ayant eu au moinsundétachementdansleur carrière.
...mais quiconnaîtun développementrelatif
Une autremanièred’aborder la mobilité extra-professionnelle des magistratsest de
considérer les flux demagistrats qui sont hors de leurcorpsàun momentdonnét (lesMACJ ne
sont alors pas pns en compte).En ne considérant que les détachements, quisont lesmieux
connus, les détachés représentaient 2,5%del’ensemble ducorps en1991, 3% en 1994,3,5%
en 1997et 3,8% au débutde l’année 1998.Les misesà disposition sont moinsbien connues,et
moins nombreuses ;en 1995 ellesconcernaient 45personnes,soit environ O,7% du corps.
L’annuaire des magistratsdétachés et misà disposition publié début1997 comptabilise 27
La documentation Française : "La magistrature ""hors les murs"" : analyse de la mobilité extra-professionnelle des magistrats"
magistrats mis à disposition maisil n’inclut pas les magistrats misà disposition des cabinets
politiques.Leur nombre est, parconséquent, sous-estimé.
tableau n˚ 2. Evolution récente du nombre de détachements :
Source : jusqu’en 1995,annuaires dela magistrature;depuis 1996,bureau Ade lasous-direction de la magistrature, ministère dela justice.
Comparéeaux autrescorpsde l’Etat la mobilité extra-professionnelle des magistrats
est faible. Jean-Luc Bodiguelestimeque même dans les corpsmoins prestigieux,tels les
administrateurs civils et les ingénieurs des pontset chaussées les détachementsne tombent
guère au dessous de30%15.
Dans le cadre de la mobilité extra-professionnelleil faut également considérer les
magistrats qui sont en disponibilité et exercentdiverses fonctions, d’avocats,juristes
d’entrepriseetc., disponibilité qui se solderapar un retour dansla magistrature pourquelques
uns, et par un départ définitifpour la plupart. Maisle nombre de magistrats quifont une
mobilité extra-professionnelle dansle cadre d’une disponibilité estdifficile à estimer. La
disponibilitépeutconcerner aussibien des magistrats qui s’arrêtent detravailler provisoirement
pour éleverleurs enfants que desmagistrats quiquittent la magistrature pourexercerd’autres
fonctions. Dans notre population " mobile " nous n’avons pris en considération que les
disponibilités qui étaient associées avec un détachement, considérant que les disponibilités qui
n’étaient précédées,plus ou moinsloin dans le temps, d’aucun détachement concernaient
principalement des magistrats qui souhaitaient pouvoirs’occuperà plein temps deleurs enfants,
et donc ne nous intéressaient pas.De toutes façonsle chiffre global desmagistrats en
disponibilité estfaible16. Cette formedemobilité serapriseen comptedans l’analysequalitative
à partir des interviews réalisésavec des magistrats en disponibilitéet qui exercentd’autres
fonctions.
Unequestion sepose autermede cette évaluationde l’importance relative du nombre
de magistrats concernéspar le phénomènede mobilité. Dansla mesure où nous cherchonsà
La documentation Française : "La magistrature ""hors les murs"" : analyse de la mobilité extra-professionnelle des magistrats"
savoir commentla magistrature seprojette à l’extérieur, dequelle manièreelle est impliquée
dans d’autres activités que lesactivités strictement judiciaires, ne fallait-il pas également
considérer les activités extrajudiciaires qui n’impliquent pas de quitter provisoirement ses
fonctions mais peuvent secumuler avecleur exerciceprofessionnel ?Ainsi les magistrats dela
Cour de cassation, qui ne sont passouvent détachés,participent à un grand nombrede
commissions (Commissionbancaire, Commission d’accèsaux documents administratifs,COB,
Commission nationale consultative des droitsde l’hommeetc.) decomités (Comitéd’arbitrage
dela fédération des travauxpublics,Comité ducontentieuxfiscal, douanier,et des changes,
Comité européen pour la prévention dela torture etc.), de conseils (Conseilde la concurrence,
Conseil nationale destransports,Conseil national de la comptabilité etc.), président ou
participentà de nombreuxjurys17. etc. Certesun certain nombre de cesactivitéssont exercées
par des magistrats honoraires,et toutes n’ont pasla même importance. Néanmoins ces
activités sont loin d’être négligeables. Les magistrats peuvent également avoir d’autres
activités,d’enseignement, d’arbitrage, desactivitésélectives locales (maire) etc. dont on ne
sait rien car elles nesont inventoriéesnulle part. Il n’est pas possiblede les prendre en
considération. La situation estainsi assezdifférentede celle de l’Italie où toute activité extra-
professionnelle des magistrats, qu’elleimplique un détachement ou pas,doit être soumiseà
l’autorisation duCSM. Desrecherches ont ainsi mis enévidencel’importancede cetteactivité ;
entre 1994 et 19964848 demandesd’autorisation d’activité extra-professionnelle ontété
soumises au Conseil supérieurde la magistratureitalien et 95% d’entre elles ontétéacceptées18.
Mais pour laFrance, etdonc pour notre recherche,il n’était paspossiblede prendre encompte
statistiquementcette forme de diversification de l’activité des magistrats, quipeut être aussi
considéréecomme uneforme d’ouverture(mais quin’est pas sansposer des problèmes,ainsi
quel’ont montré les chercheurs italiens).
I.3. Structure de la mobilité
Les détachementsse font plutôt en débutde carrière,à des niveauxhiérarchiquespeu
élevés.En 1996, 56% des magistrats détachésou mis à disposition appartiennent audeuxième
grade. Si les postesofferts à la mobilité de magistrats hors hiérarchiesont peu nombreux
puisqu’ilsconstituent moins de4% de l’ensemble, lespostes offerts auniveau du premier grade
La documentation Française : "La magistrature ""hors les murs"" : analyse de la mobilité extra-professionnelle des magistrats"
deuxième groupeconstituent néanmoins 27,9%del’ensembleet ceux du premiergradepremier
groupe 12,5%.
Tableau n˚ 3. Structure hiérarchique par sexe desdétachés en 1996
source : bureau Ade la sous-directionde la magistrature, ministère dela justice.
C’estdansle IIème grade que le nombre de détachements estle plus élevé. Comme
l’explique un magistrat ancienresponsable des détachements : " Les postesproposés ne
peuventl’être qu’à des magistratsavec relativementpeu d’ancienneté; après ils coûtenttrop
chers ! "(7) Dans des territoires occupéspar d’autrescorps,il est plusfacile, ou plutôtmoins
difficile de prétendreoccuper des positionsde baseque des positions élevées. Certains des
corpsd’accueil, commecelui des administrateurs civils, sont confrontésà des problèmesde
carrière etnesont guèreenthousiastesàl’idée de voir des membresde corpsextérieursvenir
occuper des positions hiérarchiquesdéjàtrop rares pour eux-mêmes.
Si la majoritédes détachementssefont à desniveauxpeuélevésde la carrière,il existe
néanmoinsun certain nombre de détachements, ouplus généralement demobilités, qui
concernent plus particulièrement les magistrats du premiergrade voire, de façonexceptionnelle,
hors hiérarchie.C’est auniveau du premier grade deuxièmegroupe quel’on trouvele taux de
" sortie par détachement "le plus élevé : 6,9% des magistrats,et plus encore 8,3% chez les
magistrats de sexe masculin.
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Tableau n˚ 4. Taux de détachement par sexe et par catégorie hiérarchique
(nombre de détachement rapporté au nombre de magistrat dans la catégorie
équivalente) - en %.
source : bureau A dela sous-direction dela magistrature, ministère dela justice.
Ils occupent des fonctions très spécialiséesdans des commissionsadministratives
indépendantes,dans desentreprises publiques,ou des collectivités locales, se mettenten
disponibilité pour aller " pantoufler " dansle privé. S’ils ne peuventpratiquementpas
prétendreoccuper des postes de directeurs ou de sous-directeurs dansd’autresadministrations
qui constituentun territoire réservé, une chassegardéepour lescorps issusde l’ENA, ils
occupent ces mêmes fonctions au ministèrede lajustice ainsi quequelques postesde directeur
juridique dans des entreprises publiques.Quelques rares hauts magistratssontdétachésdans
desjuridictions internationales19.
A la différence de leurs collègues duConseild’Etat, les hauts magistratsne sortent
guère ducorpspouraller vivred’autresexpériences. Les magistratsde la Cour de cassation
sont peu mobiles comme en témoignent les annuairesde la Cour de cassation; lesquelques
détachés qui ensont issus sont, enrègle générale, des conseillers référendaires ou des
auditeurs, trèsexceptionnellement des conseillers " lourds " ou des avocatsgénéraux.Il n’est
également pas fréquent que des magistratsde la Courde cassation semettenten disponibilité,
ou en congé pour aller exercer des fonctions dansle secteur privé, quece soit aubarreauou
dans des grosses entreprises. Cependantil faut rappelerque les magistratsde la Cour de
cassation ont uneactivité extrajudiciairenon négligeable ... et que bon nombre d’entreeux
ont été mobiles aucours deleur carrière,commeon le verra ultérieurement.
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La cartographie dela mobilité fait apparaîtrel’importance dela mobilité de proximité.
Entre lesMACJ, l’ENM, l’Inspection, les détachements auministère dela justice, lesmobilités
au cabinet du Garde dessceaux ....la mobilité de beaucoup de magistrats n’estpas très
aventureuse. Acet égard, on notera d’ailleursl’importance du nombre dedétachements à
l’Ecole nationale de la magistrature. Néanmoinsuncertainnombre de magistratsvont plus loin,
parfois même très loin.A notre connaissance,il y a aujourd’hui au minimum une douzainede
magistrats en disponibilité quisont dans des entreprises privées, ce quireprésenteune
expérience d’extra-territorialitéassezconsidérable (qui nesont guère comptabilisésdans le
tableausuivant).
Tableau n˚ 5. Panorama des mobilités (au sens large) pour les 4
premiers détachements
Source : enquête statistique, annuaire1995
A côté du pôle de mobilité de proximité, il ya égalementd’autres mobilités qui
présentent une importance numérique relative.Le premier pourrait quasiment êtrerattachéà la
mobilité de proximité; il s’agit de détachements dans d’autres juridictions,administratives,
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militaires ou encore à Monaco.Le deuxièmeest constitué par les détachements dansdes
administrations, qui constitueun secteur d’accueil relativement important.
Cepanoramapermetégalement de voir qu’ily a des mobilités quisont trèslargement
des premières mobilités :il s’agit des mobilitésversle ministèredela justice, comme MACJ,de
la mobilité vers l’Ecole nationaledela magistrature, desmobilités vers lesautres juridictions.
D’autres sont davantagedesmobilitésplustardives comme les détachements auministèrede la
justice (il s’agit depostes dedirecteurs oude sous-directeurs), lesdétachementsà caractère
politique, dans lescabinets ministériels, les services du premierministre, qui constituent
beaucoupplus fréquemment une deuxième,voire une troisièmeou une quatrième mobilité.De
mêmeles autorités indépendantes constituentpresqu’aussisouventun premier ouun deuxième
détachement.
Les troisièmes et quatrièmes mobilités concernent essentiellement des détachements
politiques ou des mobilités en administration,dont la moitié au ministère de la justice, à des
postes hiérarchiquement élevés.
1.4. Les magistrats mobiles : un profil un peu particulier
Quitter la magistrature,mêmepour unecourte durée,n’est pas une démarchefacile
dansla mesure oùelle n’est guère intégrée dansla culture professionnelle. Seuleune petite
fraction du corps estconcernée parcette mobilité. Il n’est donc pas surprenant que les
magistrats mobiles présentent des caractéristiquesparticulièresqui peuvent, du moinspour
certains d’entre eux, les prédisposeràcette aventure.
Desmagistrats ayantplus souvent uneexpérienceprofessionnelle antérieure
Que la mobilité extra-professionnellene soit pas une pratiquebien intégréedans la
magistraturepeut se lire d’abord dans le fait que les magistrats qui " s’expatrient "
provisoirement dela magistrature ont eu,plus fréquemment que dans l’ensemble ducorps,
une expérience professionnelleantérieure à leur entrée dans la magistrature.Parmi les
magistrats interviewés10 sur 51, ont exercéun autremétier avant d’intégrerla magistrature.
Ils ont été avocat, attachéd’administration, professeur du secondaire, assistant enfaculté,
éducateur, inspecteur desdouanes,policier. Cette première mobilité vers la magistrature,
souventascendante,a été possiblepar les filières professionnellesd’entrée dans le corps,
c’est-à-direpar lebiais du recrutementlatéral, dudeuxièmeconcours, oupar l’intégration sur
titre à l’Ecole nationalede la magistrature.Mais tous n’ont pas pu bénéficierde ces modes
d’accès particuliers et sont entrés dansla magistraturepar la voie régulière du concours
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étudiant.20 Cette expérienceprofessionnelleantérieure peut leurpermettre plus facilement
d’envisager une nouvelle mobilité et ce d’autant plusqu’un certainnombre d’entreeux n’ont
pas toujours trouvé dans la magistrature toutes les satisfactions de carrière qu’ilsavaient
escompté en intégrant le corps. Ce professeur de philosophie devenumagistrat voit sonavenir
quelquepeu bouché après 10 ans d’ancienneté dansla magistrature. " Je n’avais guèrede
perspectives saufà prendre des cheminstrès compliqués, c’est-à-direqu’il fallait rentrerdans
des circuits, connaître desgens ... " (4). Il est alors tentépar les offresde détachement dans
la préfectorale et va effectivementdevenirsous-préfet etsemontre extrêmement satisfait.
Certaines fonctions endétachement sontparticulièrementpriséespar les magistrats
qui ne sont pasissus dupremierconcours :c’est le cas dela préfectorale : " lamajoritédes
candidatsaux fonctions de sous-préfet viennent du2èmeconcours " estime cemagistrat quia
étéà l’origine de cetteinitiative. " Les anciens fonctionnairessont devenusmagistratspour
exercer des fonctionsd’autorité; etpuis dansla magistratureils ne les ont pas. Ils sont alors
attirés par la fonction de sous-préfet qui estl’image de la fonction d’autorité ". Dans
l’annuairedes magistrats détachés, publiéau débutde 1997,le recrutement des sous-préfets
paraîts’être unpeudiversifié: néanmoins7 sous-préfetssur 22sont d’anciens fonctionnaires.
Des magistratsun peu différemment dotésendiplômes
La populationde magistrats mobilesse distingue ausside l’ensemble du corpspar
son cursusuniversitaire dansla mesure oùils apparaissentà la fois plus et différemment
titrés : seulela moitié d’entre eux ne sonttitulaires que dudiplôme minimum, maîtrise ou
licence,contre 70% des magistrats quirestenten juridiction et 61% des MACJ, cesderniers
occupant une position intermédiaire.Ils sont unpeu plus nombreuxà détenirun doctorat ouun
diplômedeIIIème cycle.
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tableau n˚ 6. Diplômes desdétachés, MACJ et non détachés.
Source : enquête statistique, annuaire1995
Autrementdit, ils ont moinssouvent suivi la filière normaleet linéaire conduisant
directement dela maîtrise en droità l’Ecole nationalede la magistrature. Les magistrats
mobiles sontplus nombreuxà avoir la double formationIEP+ diplôme de droit : 10,7% de
l’ensemble des magistrats ayant eu aumoins une fois dans leurvie une mobilité extra-
professionnelle contre seulement4,8% desmagistrats restés en juridiction.La formation
dispensée dans les IEPpeut prédisposer àla mohilité dans la mesure oùelle donne une
cultureplus généraliste quecelle dispensée dans lesfacultés de droit, qu’elle introduit à la
culture administrative et qu’elle crée des solidaritésavec les (futurs) membres descorps
administratifs. Si 15% des magistrats détachés (contre 9% des non détachés) ontune
formation académiqueplus diversifiée quele simple cursus juridique cette diversification
concerne principalement lesIEP, licence de lettre, de philosophie, de langue, d’histoire.
Parmi les magistrats interviewés qui ont fait science po rares sont ceux qui ont suivila section
" économie etfinance ", comme l’a fait ce magistrat, aujourd’hui directeur juridique d’une
grande banque, quia toujours euun goûtpour l’économie.Si la formation académiqueinitiale
des magistrats mobilesestdavantage pluridisciplinaire, cette ouvertureestcependantrelative si
l’on considère l’ensemble desdisciplines.
Certains magistrats, quile sont devenusà défaut d’avoir réussi l’ENA, retrouvent
ainsi leurs anciennes ambitionsà traversle détachement.L’un d’eux fait d’ailleurs remarquer
que les possibilitésde détachementqu’il a dansla magistrature peuventlui permettre defaire
unecarrière plus intéressante ques’il était sorti del’ENA avecun mauvais rang.
Des magistrats plutôtparisiens
Les magistrats mobiles ontune autre caractéristique : ce sontprincipalement des
parisiens.Si la localisation - parisienne - despositions offertesà la mobilité explique pour
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l’essentielcette situation,la manièredontsont attribuées ces positionsintervient également.La
mobilité résulte davantage de mécanismesde cooptation dans unmilieu relativementrestreint
que de procédures transparentes et ouvertesà un grand nombre. Les magistratsde la
Chancellerie constituent ainsi un vivier pour détachés potentiels, en raison des contacts
multiplesqu’ils sontamenés à nouer avecd’autres administrations, d’autres institutions,se
constituant ainsi un capital social quipeut être facilement valorisé sousforme de détachement
oude miseà disposition : 36% del’ensembledes magistrats qui ont été MACJ aucoursde leur
carrière professionnelle ont euun détachement.
Les MACJ, " ce sont les énarquesde la justice, onpassetoujours devanttout le
monde " (46) dit ce magistratqui, suiteà un passage stratégiqueà la chancellerie,a occupé
des postesrecherchés dans lesjuridictions parisiennesavant de quitterla magistraturepour
exercerd’autresfonctions.Quantaux postesexigeantun expatriement territorial,postesdans
les institutions européennes ou internationales,l’attribution des plusimportants ne se faitpas
au moyen de fiches de postes distribuées dans lesjuridictions mais relèventde la chancellerie,
parfois même du premier ministre. C’est également àla chancellerieque sont géréesles
différentes formes de mobilité, et que se négocientun certain nombre de ces positions
extérieures offertes aux magistrats.
A la chancellerie,l’affectation à un service plutôtqu’à un autre n’est pas sans
incidencesur les possibilitésde détachement.Le bureau dedroit commercial,le bureaude
l’action pénale de la directiondesaffaires criminelles ... constituentdes lieuxqui peuvent plus
facilementdéboucher sur des propositions dedétachementintéressantes, qu’unbureau de
gestion oudeprocédure.
Peu de chancede s’évader quelquestemps de la magistrature si l’on habite la
province." Si vous restez en province etsi vous ne partezpas à la chancellerievous n’avez
pratiquementaucune chanced’être détaché, ce quisignifie que le détachementn’est pasrentré
dansla culture ducorps"(32). Les occasionssont rares : quelques postesde sous-préfetsont
été occupéspar des magistratsde province n’ayant jamais eu d’étape parisiennedans leur
carrière, de même quequelques postesdans des collectivités territoriales (exemple à
Strasbourg), ou dans lestribunaux administratifs; plus exceptionnellement, unposte de
lecteur d’arrêtàla CJCEaété attribuéà un magistrat frontalier du Luxembourg.
Il y a parfois uneouverture pour les magistratsdeprovince lorsquele posten’est pas
d’un niveau hiérarchique élevé, ouverture néanmoinsfacilitée par l’intermédiation d’un
magistratde la chancellerie. "D’habitude les postes auministèredes affaires étrangères sont
tous pourvuspardesMACJ car ils ont accèsà l’information que l’on n’a pasquand onest en
juridiction. Le poste a été proposé à des tasde MACJ qui ont refusé. Ala Chancellerie
l’obsession des MACJ c’est de devenir chef ! c’est Courteline ! Messieurs les ronds de cuir !
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Ils sontd’abordrédacteurset au bout de 8 jours ilsveulentdéjà êtrechefs !Alors quand,au
bout de deux ans, on leur propose d’être rédacteur de base au ministère des affaires
étrangères, soitleur attirance pourl’international est très forte -c’estle cas de Y,- soit malgré
leur attirancepour l’international,leur ambition personnelle l’emporte et à ce momentlà ils
restentà la chancelleriedansl’attente d’un postede chef debureau.La fille qui occupaitce
posteavant moi cherchait quelqu’un et essuyait des tasde refus ... elle a contactéun de mes
amis à la chancellerie quim’en a parlé. Elle m’a téléphoné un vendredi, jel’ai rencontréele
lundi matin, etj’ai immédiatementposéma candidature " (23)
Ce sont aussi les fortesspécialisations quiexistentdans lesjuridictions parisiennes
qui contribuent au caractère parisien des mobilités.Le Parquet financier constitueainsi un
vivier pourcertaines mobilités.
Que la mobilité extra-professionnelle soitun phénomène essentiellementparisien
n’est pas sansconséquence sur sa perceptionpar l’ensemble dela magistrature qui considère
avecune certainesuspiciontoutepratiquedérogatoirede la fonction judiciaire, qu’il s’agisse
des MACJ ou des magistrats occupant des fonctionsà l’extérieur de l’institution. Comme
l’exprime ce magistrat : " Les détachés sont vécus comme descuriosités, comme la
chancellerie, et sontmal comprispar les juridictionsde province qui développent unesorte de
cultured’imperméabilitéà l’égardde l’extérieur ".
Desmagistrats jeunes mais aussimoins jeunes
La mobilité des magistrats est majoritairementunemobilité de débutde carrière, cequi
s’explique par le profil des postesofferts : en 1996, 56% des magistrats endétachement
appartiennent au IIème grade.Cependant desnuances doivent être apportéeslorsquel’on prend
en considération l’ensemble dela population mobile évaluéeà partir de l’annuairede la
magistrature.Il y a des différencessensibles suivantqu’il s’agit d’une mobilité en tant que
MACJ ou d’une mobilité dans le cadred’un détachement ou d’unmise à disposition. Les
mobilités comme MACJsont beaucoupplus précoces que cellesliées à un détachement.Cela
s’observe au niveau de l’anciennetéà la premièremobilité, ou encorede l’âge. Alors que90%
des mobilitésà la Chancelleriesefont avant 8 ansd’anciennetédansla carrière, ce n’est que
50%desdétachements quisefont pendantcettemême période. Les détachementsse font à des
âgesmoins jeunes que lesaffectations auministère dela justice. Même si la règle des 4ans
d’ancienneté minimuma parfois connuquelque souplesse dans sonapplication (6% des
détachés quin’ont jamais été MACJ,l’ont été avant 4 annéesd’ancienneté21).
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Tableau n˚ 7. Ancienneté à la première mobilité
Source : enquête statistique, annuaire 1995
De sorte que les magistratsmobiles sontplutôt jeunes, etmêmetrès jeuneslorqu’il
s’agit desMACJ. Les 2/3 d’entreeux sont arrivésà la chancellerieavant 34 ansalors quele
quart des détachements " purs " se fait avant cet âge. Si les magistrats quipartent en
détachementsont plus âgés que ceux qui viennentà la chancellerie,ce qui ne saurait
surprendre,il n’en reste pasmoins quela moitié d’entre eux ont au plus 36 ans mais aussique
35% d’entre eux ont 41 ans et plus. Onretrouveau niveaudes âges ce quel’on observaitau
niveau desgrades.
Le tableausuivant montre quela structurepar âge des magistrats mobiles estbi-
modaleavecune grande concentration des premiers détachements chez lesmoins de 36 ans,
c’est-à-diredansle premier quartde la carrière, maisaussi avec unquartde ces mobilitésqui
ont lieu après41 ans. Elle illustre bien les deux types de mobilité qui caractérisentla
magistrature. A titre de comparaison les magistrats qui deviennent MACJ lefont
principalement aux âges jeunes,la décroissanceen fonctionde l’âge étant linéaire.
Tableau n˚ 8. Age à la première mobilité.
Source : enquête statistique, annuaire 1995
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Les magistrats mobiles : une population masculine.
Enfin, pour acheverle portrait de cette population mobile, il faut prendre en
considération la répartition homme/femme.Il s’agit d’unevariable intéressante dansla mesure
où la magistrature est une profession qui seféminiseà vive allure. Les magistrats mobilessont,
defaçon trèsmajoritaire, de sexe masculin, quel’on considère le stockde ceux qui ont euune
mobilité ou le flux de ceuxqui sont enmobilité aujourd’hui. En 1998, il n’y a que 30%de
femmes parmi les détachés.
Tableau n˚ 9. Répartition par sexe des magistrats mobiles en1995.
Source : enquête statistique, annuaire1995
Les différences dansla représentation dessexes sont très sensibles et très
intéressantes. Si la mobilitévers lachancellerieapparaît comme unemobilité pratiquéepar les
deux sexes,la mobilité par détachement apparaît commeune pratiquemasculine. Hommeset
femmes ne développentpasles mêmes stratégies enmatièrede mobilité. Dansune profession
où il y a 48,5% de femmes, leshommes sontdavantageenclins à trouver des stratégiesde
distinction, qui les différencient, quileur permettentd’accumuler desressources,de les
diversifier, et,le cas échéant de les capitaliser.
Plus que leurs collègues du sexeféminin, les hommesMACJ profitent de leur
passageà la chancelleriepour développer des stratégiesde détachement, ainsi quele montre
uneanalyse parpromotion des magistrat mobiles n’ayantétéque MACJ. Plus lespromotions
sont récentes etplus les proportions d’hommes etde femmes n’ayant été queMACJ sont
proches.Inversement plus elles sont anciennes et plusellessedifférencient, les hommesétant
nettementmoins nombreux que les femmesà avoir limité leur mobilité au passageà la
chancellerie. (cf. tableau en annexe 4)
L’analysedu profil des magistrats mobilesrévèle ainsicertains clivages quitraversent
la magistrature.Entre la magistrature parisienne etla magistrature provincialed’une part, et,
dansla magistrature parisienne entrela magistrature qui participeaux cabinetsministériels, qui
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occupe despositions desecrétaire général dans les juridictions, qui est détachée et quiest
plutôt masculine et celle quiresteenjuridiction ou qui passe àla chancellerie, comme MACJ,
majoritairement féminine.
Si le monde des magistrats mobiles est unpetit monde qui présentedes
caractéristiques particulières, certaines spécificités,il n’est cependant pas homogène.La
mobilité concerne, pour une part, des magistrats qui ontdéjà des expériencesd’ouverture, que
ce soit par une activité professionnelleantérieureou par une formation universitaireun peu
plus diversifiée. Leurmobilité ne fait que confirmer, ou prolonger, des dispositions qu’ils
avaientdéjà ou encore,permetde les réorientervers deshorizons plus conformesà leurs
aspirations.La mobilité concerne aussi des magistrats quin’étaient pas prédisposésà la
mobilité,mais qui vont devenir mobiles, notammentpar certainesfilières, ou encoreparceque
la mobilité peut, sous certaines conditions, s’inscrire dansune stratégie de carrièrebien
comprise..L’analyse de ces filières, des moteurs quiconduisentà la mobilité, permettrade
dégager progressivementtous les facteurs qui contribuent à forger destrajectoires particulières
ou nondesmagistrats mobiles.
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CHAPITRE II
DYNAMIQUES DE LA MOBILITÉ
II.1. Les moteurs et filières de la mobilité
Alors que l’entréedans la magistraturese fait suivant desmodalités qui sont
bureaucratiques, que ce soitpar les concoursd’entrée ou par les procéduresd’intégration
latéraledansla magistrature, quela nominationaux différents postesde la magistratureest
largementcontrôléepar le CSM, la mobilité extérieuredes magistrats estdéterminéepar des
procédures qui relèventdavantage del’intuitu personae et du capital de relations sociales
détenu par un magistrat quede procédures plus égalitaires.Si le principe officiel des
détachements estla diffusion despostes proposésdansl’ensembledesjuridictions la réalité est
assez différente,le service compétentde la chancelleriene faisant souvent qu’entérinerune
situationdefait, négociéeailleurs. Bon nombredes positionsde détachement, souventparmi
les plus intéressantes, échappentainsi à toutediffusion par la chancellerie dans les juridictions.
Ce sont d’autresrègles du jeu quisontmobilisées.
Exceptionnelles sont lesmobilités extra-professionnelles quine résultent pas du
fonctionnementd’un réseau de relations. Seuls 5 magistrats surla cinquantaine quenous
avons interviewés ontétédétaché suiteà uneoffre de détachement signaléepar des fiches de
posteen ne mentionnant aucune intermédiation.Ce sont desmagistrats deprovince,loin des
élites judiciaires parisiennes :2 d’entre eux sont devenus sous-préfets, les troisautresont
intégréundépartement juridique au seind’une administration.Mais dansla plupartdescas la
mobilité est une affaire de contact,derelation personnelle. Quandun magistrat quitteun poste
en détachementil s’efforcede présenter unremplaçantqu’il recherche parmi ses collèguesde
promotion ou de juridiction. Un magistrat sera candidatà un postederéférendaire à laCour de
justice de la Communauté européenneparce qu’il en a été informé par un de ses anciens
collègues, quiétait lui-même à Luxembourg.Un magistrata ainsi été prévenude l’existence
d’un postedans une des juridictions européennespar uncollègue en posteà la chancellerie :
" J’ai étéprévenupar X que la Cour cherchait quelqu’unpour desfonctions particulières -
lecteur d’arrêt-. Il m’a dit : Si çat’intéresseprendcontactavecla Cour, maismoi je ne t’ai
rien dit " (19). Lamiseen contact ne vautpasdésignation; l’organisme d’accueil restant maître
du choixmaiselle estessentielle puisqu’elledonneune visibilité au magistrat candidat.
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La plupart des mobilités de base se fontpar la mobilisation du réseau des pairs, ou,
danscertains caspar l’intermédiaired’autrescorps professionnels rencontrésdansl’exercice
de leurs fonctions.
Certains magistrats se trouventeux-mêmes des détachements. Ils ont rencontré des
personnalités extérieuresdans le cadre d’une formation particulière (par exemple formation
organiséepar la fondation" Entreprise et performance "), ou dansle cadre de l’exercicede
leurs fonctions. Un magistrat,ancien procureurdans uneville moyenne danslaquelle il avait
noué des relations amicales avecle préfet en postedansle mêmeressort a, quelquesannées
plus tard, rejointcelui-ci, en tant que directeur juridique,dansl’entreprise publiquedont l’ex
préfeta pris la direction. La circulation des informationsn’étantpasorganiséeà la manièredes
grands corps qui disposentd’associationsgéranttrès soigneusementle capitalsocial de leurs
membres,c’estparfois par le hasard descirconstances qu’un magistrat se trouve êtreinformé
et présenté surun poste.
Pour les positions les plusélevées ce sont quasi exclusivementle jeu des relations qui
détermine les affectations, ces relations pouvant êtreprofessionnelles,politiques ou amicales.
Cependantmêmesi elles résultent de discussions quisefont dansle secret des cabinetsou lors
de dîners en ville les mobilité ne sontpassansrationalité.
Plusieurs " moteurs " peuvent favoriserla mobilité, dont le premier a déjà été
évoqué, c’estle passage auministère dela justice. LesMACJ constituent un vivier de
magistrats potentiellementmobiles, eux-mêmes ayant déjà effectué, pour desraisons très
diverses, unepremière mobilité en venant au ministère. Mais les différents départements du
ministèrene sont pas équivalents,certains prédisposent davantageà la mobilité que d’autres,
en fonction des domaines dudroit et des interlocuteurs extérieurs àla justice. L’affectation à
unbureauplutôt qu’àun autrenedépend cependantpastoujours des souhaits des magistrats :
un magistrat arrivantà la chancellerieen souhaitantle poste de législation économiquea été
affectéàla libération conditionnelle,unautre qui souhaitait toutfaire saufde l’administrationa
été affecté à la DAGE ...il faut souventêtrepragmatique etsavoir saisir les occasions quise
présentent.
Le deuxième estle moteur syndical ou politique.Le troisième est lié à des
spécialisations juridiquesqui sontparticulièrement prisées.
L’engagementsyndical ou politique contribueà accroîtrela visibilité des magistrats.
à développerleur capital social, à lesfaire émerger du lotcommun. Cetengagementpeut leur
permettrede sortir d’une situation derelatif isolementet les conduire,le cas échéant,à la
participation àun cabinetministériel ou à un détachement.Parmi les magistrats interviewés
deux étaient originaires de provinceetsont venusà Paris dufait de leurs responsabilités dans
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une organisationsyndicale.L’exemplesuivant illustre bien la façon dont cette appartenance
peut jouer. Magistrate deprovince,membre d’une organisationsyndicale,elle fait partie du
bureau decette organisation, ce quilui donne l’occasion devenir régulièrementà Paris.
L’appartenance à ce bureau accroît savisibilité de sorte qu’elle va être pressentiepour
participerà une importante commission de réforme.La participationà cette commission luifera
rencontrer des personnalités qui lui permettront, ultérieurement, d’obtenirun détachementdans
une "hauteautorité administrative". Parla suite cette magistrate sera appeléeà participerà un
cabinet ministériel.
Parfois la mobilité s’inscrit dans un engagementmilitant en faveur d’une cause
collective, à vocation nationale ouinternationalequi dépassele cadre du syndicalisme
judiciaire, même s’ilpeutle rejoindre.Il s’agit d’engagementsrelatifs à des causes juridiques,
droitsde l’homme, défense deslibertés individuelles ou sur des thèmesplus larges concernant
l’intégration dans la société, qui s’appuient sur des réseaux nationaux oueuropéens,
politiques ou/et juridiques. Cesréseaux facilitent les mobilités dans des organismes ou
institutions concernéspar la promotion des droits de l’homme, ou encorepar la mise en place
de tellepolitique d’intégration.De sorte quele rôle du magistrat est parfois conçucomme un
"catalyseur" de paixsociale",quel que soit leniveau où il intervient : "décloisonner l’activité
du magistrat etfaire en sorte qu’il soit l’interlocuteur qui agrège les autres initiatives.
notammentcelles qui viennent du mouvement social."(45)
L’engagement ou tout aumoins lessympathies syndicales ou politiquespeuvent
conduire aussi àla participationà des cabinets ministérielscommeconseiller technique, ou
mieux,comme directeurdecabinet, ce quiséduitplusd’un magistrat, attirépar la proximité du
pouvoir etpar les attributs quiy sont associés. Cette participationà descabinets politiquespeut
conduireà d’autres mobilités, en raison ducarnetd’adresse quel’on se constitue,mais aussi
parcequela réintégration dansla magistraturen’est pas toujoursfacile, surtoutsi l’on est très
marqué politiquement.En raisondes valeursdeneutralité, du devoirde réserve quihabitent la
magistratureil n’est pas toujours facile, et acceptablepar le corps, deréintégrer des magistrats
mobiles marqués politiquement.Il faut parfois lesfaire passerpar une étapede transition.
Certaines mobilités, qui peuvent êtreassez prestigieuses, sontaussides moyens d’amortir des
mobilités politiques. Revenirdans une juridiction après un passage dans des postestrès
politiquescommecelui de directeur de cabinet du garde dessceaux,de conseiller duPremier
Ministre ouencore de conseiller du Président dela Républiquepeut êtredifficile. Un directeur
de cabineta ainsiété nommé avocat généralà la CJCE, un autreDirecteurde la Gendarmerie,
un directeur adjointa été nommé Directeurde l’Ecole nationalede la magistrature, fonctions
éminemment prestigieuses,mais qui sontnéanmoins interprétées comme un nécessaire sasde
décontamination politique,de démarquageavant de pouvoir prétendre à d’autreshautes
fonctions judiciaires.De mêmele poste de secrétairegénéralde la GrandeChancellerie dela
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Légion d’Honneur a été attribuésuccessivement auconseillerjudiciaire sortantde Matignon
puis au conseiller judiciaire sortant del’Elysée.Dansun registreun peu différent revenir dans
le corpsaprès un mandat de députén’estpas forcément plusaisé ainsiqu’entémoignele retour
" avorté " d’Alain Marsaud suite à son échecélectoral enjuin 199722.
Cesontégalement certaines spécialités juridiques et judiciaires qui sont,aujourd’hui,
potentiellementporteuses demobilité. Il en est ainsi de l’expertise enmatière de droit
économique, de droit financier, qu’unepetite fraction de magistrats ont acquis soit lorsd’un
passage au ministèrede la justice (et plusprécisément dans des bureaux spécialisés tels quele
bureaude droit commercial dela direction des affairesciviles, ou encore à la direction des
affaires criminelles, au bureau dela législation pénale, financière, économique et sociale, ou au
bureau del’action publique et des affaires économiques etfinancières) soit enjuridiction, dans
les parquets financiers ou encore, dans les sections spécialiséesde l’instruction.
Ces magistrats ont constituéun petit milieu, informellement structurépar quelques
grandes " figures ", commecelle de PierreBézard, auquel plusieurs des magistrats mobiles
interviewés font référence,petit groupedont les membresse sont relayés dans des instances
commela COB, le Conseil de la concurrence,avantde partir, pour quelques unsd’entre eux,
par un mouvementcentrifuge, vers lesentreprises privées.La spécialisation en droit
économique et financierqui, il n’y a pas si longtempsn’était pastrès recherchée, commeen
témoigne les difficultésqu’a eu,il y aenviron unedizaine d’années,un magistratdétachéà la
COB pour trouver des candidats magistrats désireuxde venir le rejoindre, est devenue
aujourd’hui un domaine extrêmement " porteur ", compte tenu destransformations de
l’environnement juridique et économique.Un " marché privé " s’estmêmeentrouvert aux
magistrats.Avec la juridicisation des relations économiques l’expertisede certains magistrats
en matièred’évaluation du risque juridique etjudiciaire encouruspar les entreprises ou les
banques les rend intéressants et concurrentiels surle marché du droit. Ce " marchéprivé "
pour les magistratsva aussi bénéficier du mouvementde mise en causede la responsabilité
pénaledeschefs d’entreprise. Des magistrats sontcontactéspar des chasseursde tête, ce qui
était encore inimaginable il ya peude temps, ainsi quele raconteun magistrat :
" A l’époque j’ai envisagéde partir dansle privé. J’ai fait des démarches maisle
produit magistrat, en 1989,n’était pasun produit encoredangereux; onn’était pas danscette
phasede quasi révoltejudiciaire où le seul nom de juge d’instruction fait frémir les grands
patrons.Donc il n’y avait pas de marché privépour les magistrats.Et le seul chasseurde tête
queje suis allé voir m’a regardécomme une poule devantun couteau se disant queveux-tu
queje fasse detoi ! Les choses seraientdifférentes maintenant "(3).
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Le droit communautaire constitueégalementune spécialitéqui se développeet qui
ouvre des possibilités de mobilité.Il y a encore peu de véritablesspécialistes dudroit
communautaire, dansla communauté juridique en général etdans la magistrature en
particulier. Manifester de l’intérêt pour ce droitpeut conduire à des détachements dans les
institutions et cours européenneset ouvrir des perspectives intéressantes. Lespremiers
contactsavec Bruxelles et le droit communautaire sefont souvent lors d’un passageà la
chancellerie où les MACJsont appelésà sedéplacerà Bruxelles pour négocier des directives
d’harmonisation, concernant tel domaine du droit,le droit des assurancespar exemple. Parla
suite unedynamiquepeut secréer. Ainsi suiteà des premiers contacts avecBruxelles " onm’a
commandé une étude sur l’impact du marchéunique sur le droit français; c’estvenu aux
oreilles de l’Avocat Général français à Luxembourg; et c’estcomme ça queje suis arrivé à la
Cour de justice des communautés européennes. " (33)Ce domaine, étant amenéà se
développeret étant relativementpeu investi par les hiérarques, a permis de multiples
stratégies, à l’intérieur età l’extérieur de l’institutionjudiciaire (passage aubarreau,intégration
dans les institutions curopéennes).
La spécialisation dans les droits de l’homme constitue égalementun domaine quipeut
permettre auxmagistrats des mobilités dans les institutions européennes et internationales.
Progressivement les magistrats de l’ordre judiciaire ontinvesti quelques positionsimportantes
au sein desinstances de l’ONU ou duConseil de l’Europe. Ils participent à différentes
missions ettravaillent sur le terrain dans des instancescomme la chambre des droitsde
l’homme enBosnie. Unmilieu de magistrats spécialisés dans lesdroits de l’hommes’est
structuréautourdefigures commecelle deLouis Joinet, premier magistrat français àavoir été
nomméà la sous-commission des droitsde l’homme de l’ONU à Genève, faisantsuite à 3
conseillers d’Etat.
Il y a les filières qui peuvent favoriserla mobilité des magistrats en lesmettant en
situation d’être sollicités. Les magistratsmobiles peuventjustifier et rationaliser leurmobilité
par un projet intellectuelbasésur le thèmede l’ouverture,de l’accroissement de compétence.
Mais il y a aussi les circonstances particulières, lesraisons immédiates quipoussent les
magistratsà partir, et qui sont plusterre à terre,plus pragmatiques.Pour environ un magistrat
sur cinq interviewés,la mobilité a été le moyen derésoudre, du moins provisoirement,une
situationjugée insatisfaisante.Elle a ainsi permis :
- des réorientations professionnelles(mal orientés dansla magistrature) :3
- de sortir d’une situation decarrière bloquée : 3
- demettrefin à unesituationdesurcharge permanente de travail : 3
- desortir d’une situation demésentente avec supérieurs :2
- de se rapprocher de sa famille :2
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D’autres raisonssontégalement évoquées, notammentpar des magistrats d’ungrade
relativement élevé, qui partent dans des entreprisesprivées :c’est " l’angoissede la voie toute
tracéevers la Cour de cassation" . Pour cesmagistrats,dont la compétenceest reconnue,
quitter la magistrature nepeut se faire que par une discrète disqualification ducaractère
bureaucratique dela carrière.
II.2. La carrière des magistrats mobiles
Si l’on prolonge l’idée quela mobilité extrajudiciaire estun phénomènemal intégré
par la magistrature, qu’elle n’appartientpas à l’habitus professionnel, lescarrières des
magistrats mobiles devraient logiquement s’en ressentir etapparaîtreplus laborieusesque
celles deleurs collègues restant enjuridiction. Et d’ailleurs beaucoup de magistratsmobiles
sont convaincus que leur mobilitérisquede pénaliserleur carrière.Ce sentiment est engénéral
renforcépar l’anticipation des difficultés de retour. Cependant l’inlluence dela mobilité sur la
carrière apparaîtplus complexe.La mobilité estun élément quipeutjouer un rôle favorisant ou
au contraire défavorisantdans la progressionde la carrière. Tout dépend dela naturede la
mobilité concernée et dela manièredont elle est gérée.Mais beaucoup d’élémentsmontrent
quela mobilité estloin d’être néfasteà la carrière.
Si la Cour de cassationn’est pasun lieu de mobilité,à l’inverse du Conseil d’Etat,il
apparaît néanmoins que les éminents magistrats quila composent,pour qui l’appartenanceà
cettehaute institutionconstitue unesorte de couronnementde leur carrière, n’ont pas toujours
eu des postes exclusivement judiciaires.
Plusde la moitié des conseillers et les deux-tiers desavocatsgénéraux ontconnuune
mobilité extra-professionnelle aucours de leur carrière23. Il s’agit principalement de
détachements comme directeur ousous-directeur auministère dela justice ou encorede
mobilités à de postes deconseiller technique,de chargéde mission au cabinet du Garde des
sceaux, dansd’autres ministères,ou à matignon. Quelques conseillers ouavocatsgénéraux
ont été détachésà la COB, (2), au Conseil constitutionnel(2), à la Direction généralede la
gendarmerie nationale, ou encoreà la Commissionde la concurrence24. Pour les avocats
générauxde la Cour de cassation,il s’agit plus fréquemment que pour les conseillersde
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mobilités à caractère politique,par la participationà un cabinet ministériel, comme directeur ou
comme conseiller. La nomination dans un Parquetgénéral (Cour de cassationmais aussiCour
d’appel de Paris)constitue souvent une voie deréintégration dansle corpspour les magistrats
ayant occupé desfonctions àcaractèrepolitique : 9 avocats généraux sur 30 (annuaire1995),
ont eu unetelle activité contre 7 conseillers sur 85 (d’aprèsleur notice biographiquede
l’annuaire, quisous-estime ce genre demobilité).
Si l’on ne sait pas si c’est vraimentla mobilité qui a favorisé l’accès àla haute
juridiction, en tous caselle ne l’a pas empêché. D’autres facteursse conjuguent dansune
carrière pourfavoriser l’accès aux plus hauts postesparmi lesquels le passagepar les
secrétariats généraux des juridictionsd’île de France. Les postesde secrétaires généraux,qui
sont perçus comme " des filières de fils d’archevêques destinésaux plus bellescarrières "
constituent un lieu privilégié pourse constituer un capital de relations, et constituentun
élément important dansla réussited’une carrière.Parmi nos 51 magistrats interviewés,6 ont
été secrétaires généraux. Les mobilités qui peuvent s’ensuivresont choisies etse font, en
général, en concertation avecle ou les hiérarques concernés.
L’analyse de la populationde magistrats mobiles ausenslarge, eny incluant les
MACJ, montre qu’ils ont,dans l’ensemble, descarrièresplus réussies - en ce quiconcerne
les positions hiérarchiques - que les magistrats non mobiles. Lesdifférences sontnettes,
commele montrele tableausuivant. Pourannuler les effets d’âge,nous avonscomparéles
carrières des uns et des autres en considérant différentes promotions de magistrats.
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Tableau n˚8 Niveau atteint dans la carrière en 1995 suivant l e s
promotions et l’existence ou non d’un détachement.
Les résultats montrés par cetableau sont clairs : les magistrats qui ont eu un
détachementsont plusnombreuxà atteindreles catégories élevées dela hiérarchie que les
magistrats qui fontleur carrièreen juridiction. Quelquesexemples :pour la promotion 1971-
74, 22% des magistrats mobiles sonthors-hiérarchiecontre seulement 9% des magistrats non
mobiles; 68% des détachéssont en 1-2 contre seulement 36%.Si l’on considère une
promotion plusrécente, les résultats sont également significatifs : 10% des magistrats mobiles
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de la promotion 1981-83 sont parvenus en I-2 en1995 et 25% enI-1 contre seulement 4%et
12% des magistrats non mobiles.
Cependant ces résultatspeuvent être expliqués, dumoins pour une part, par le fait
qu’il s’agit de carrières parisiennes, et quecelles-ci sont plus rapides que les carrières
provinciales(possibilités d’accèsdirect du deuxième grade au premier grade deuxièmegroupe
et nombre élevé depostes I.2 et HH). Pour essayerd’appréhenderl’effet parisien, les
carrières desmagistratsn’ayant été queMACJ qui sont souvent des carrières parisiennes(en
1995, 69% desmagistrats qui ont étéMACJ et ne le sont plus exercentdans les coursd’appel
de Paris etde Versailles), ont été séparées des carrières desdétachés ;(en 1995 62% des
magistrats ayant euun détachement exercentdansles coursd’appelde Paris etde Versailles).
Ces carrières ontétécomparées,à partir de la durée dans chaque grade/groupe, (cf.tableaux
en annexe4). Les carrières des détachés apparaissent plus prochesdecelles des MACJ quede
celles des magistrats nonmobiles, ce quiconfirme l’existenced’un effet parisien; mais s’en
distinguent aussi, dansun sens un peu plus favorable, sans que lesécarts soient
considérables.Même si l’effet spécifiquede la mobilité reste difficile à saisir par l’enquête
statistique, elle paraît davantage avoir des effetspositifs que négatifs surla carrière,mêmesi
les situationssontcontrastées.. Mais les carrières, et notamment lesbelles carrières ne sontpas
qu’une affaire de mobilité.La mobilité peut faire partie d’une stratégiede carrière bien
comprise,mais ce n’est pasle seulélément.Et celane veut pasdire que toutesles mobilités
soient bonnes pourla carrière. Ce sont des méthodesplus qualitatives qui permettent
d’appréhender ces mécanismes.
Il est difficile de trouver les règles éventuelles qui gouvernentla carrière des
magistrats mobiles;néanmoinsil apparaît quela mobilité serad’autantplus utile à la carrière
qu’elle ne sera pastrop longue - outout au moinsqu’elle sera entrecoupéede retour dansla
magistrature - qu’ellene serapas trop lointaine, et quele contact avec les juridictions, et
notamment les hiérarques, sera maintenu.La mobilité sera d’autant plus utile qu’elle est
associéeavec d’autres pratiques qui favorisent les carrières,comme par exemple les
secrétariats généraux des juridictions d’îledeFrance.
Quelques exemples illustrentce que peuventêtre les mécanismes d’unecarrière
réussie.Le premier concerneun magistrat quenous nommerons monsieurP. Avant d’entrer
dansla magistrature, Mr.P. a fait un stage autribunal de Paris et s’estfait remarquerpar le
Président W.A sasortie del’Ecole il occupe successivementdeux fonctions auparquet etau
siège dans des juridictions deprovince.Il est alorssollicité par le présidentW pour occuper
des fonctionsdans sonsecrétariat général, fonctionsqu’il exercera pendant troisans. Puisil
retourne en juridiction avant d’être appeléà nouveauau secrétariatgénéral dela présidence du
Tribunal deParis, parl’intermédiaire du réseau dessecrétaires, etdevient très proche du
nouveau président Z.Puis il retourne enjuridiction et est alorssollicité pour exercer
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d’importantes fonctions auministère dela justice; il sera doncdétachépendant 3ans. Il
retournealors enjuridiction à la Courd’appel,avant de partir pour unnouveaudétachement
dans une organisationinternationale... Ce quicaractérisela carrière de ce magistratc’est
d’abord sa mobilité, au seinmêmede l’institution judiciaire, et aussi en dehors;il ne reste
jamais troplongtempsdans une fonction, qu’elle soitjuridictionnelle ou extra-juridictionnelle.
Détaché,il accepte,par un travail constantde rationalisation,justifié par ce qu’il estimeêtre
son attachementprofond àla magistrature,des retours enjuridiction pas toujours faciles,
prouvant ainsi qu’ila toujours l’habitus et l’ethos dela magistrature.
Affecté à la Cour d’appel après sondétachementà la chancelleriece magistrata le
" sentimentd’un retourà une activité de cruciverbiste.Ce qui me permetde faire ça, c’est
parceque c’est vraimentle métier que j’aime.L’acte de juger est profondémentancréau fond
de moi ". Et de rappeler lespropos quelui avait tenus un des chefsde juridiction auprès
duquelil avait été secrétairegénéral : " N’oubliez pasmoi je suis là dans ce bureau,mais
demainje n’y seraisplus, je seraisun petit retraité avecma carte vermeil. Vous, vousêtes
secrétaire général. vous avezun beaubureaumaisdemain ..." (20)
La capitalisation dansla carrière est d’autant plus facile que les magistratsne sont pas
partis troploin du sérail judiciaire (Directeur ou sous-directeur au ministèrede la justice) La
capitalisation dans lacarrière de mobilités impliquantuneplus grandedistanciationpar rapport
au corps, comme c’estle cas des sous-préfet, dontcertains occupent des fonctionsde
Directeurs cabinet dans des grosses préfectures,risqued’être plus difficile.Selonun magistrat
détaché " la chancellerie neveut pasles nommer procureurde la République pour qu’iln’y ait
pas confusion degenre.Le CSM ne veut pasnon plus lesnommer président, comptetenu de
leur absence ducorpsjudiciaire; Ils vont doncêtreréintégrés dans des postes quine sont pas à
responsabilité". (7) Cependant la capitalisation est parfoisdifférée : il faut savoirattendreun
peu,faire ses preuves,pour voir sonavancement réalisé. " Mon détachement a duré 6 ans;il
ne faut pas rester trop longtemps endétachement.Il faut choisir. Un détachement c’estune
porteouverte sur une expériencenouvelle,c’est un enrichissementintellectuel quivous permet
deramener dansle corpsjudiciaire deschoses que vousavezapprises maisil ne faut pass’en
aller pendant 10 ans comme ontfait certains. Ceux-là, on les voitde travers,et probablement
avecquelque raison. Doncil faut rentrer. C’est parraison que je suisrentrée.J’ai été 6mois
rédacteurpuisj’ai été nommée chef de bureau.Le détachement n’a pas nuità ma carrière" (50).
Il s’agit alors uneforme decompromisentre les exigences ducorps dans sonensembleet les
aspirations des magistrats mobiles.
De toutes façonsil n’est plus possible,commecela a été le cas, de faire toutesa
carrière en détachement.Pour être nommé sur un postehors hiérarchie il faut effectivement
reveniren juridiction.
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Il y a des mobilitésqui, en général, signifient non-retour versla magistrature.Elles
concernent soit des magistratsrelativementjeunes qui se réoriententversle barreau, soit des
magistrats moins jeunes quis’orientent vers les entreprises privées. Cesaffectations
nécessitent une mise en disponibilité.Etre mis en disponibilité implique un arrêt de la
progressionde la carrière. De sorte que les magistrats quise mettenten disponibilité pour
tenterune expérience dans leprivé sont souventdéjà dans des positionsélevéesde la carrière
(I-2 ou HH)
La différence de condition entrele statut de détachement et celuide mise en
disponibilité est d’ailleurs dénoncéepar certains magistrats qui estiment anormal que des
magistrats détachésdans des entreprises publiquesvoient leur carrière dans la magistraturese
poursuivre alors que ceux qui sont mis endisponibilitépour faire le mêmetravail dans des
entreprises privées,voient leur carrièrejudiciaire stoppée.Un magistrat raconte l’histoired’
" un parquetierà qui on a proposé,il y a 7 ou 8ansdedevenir Directeur d’unefiliale crééepar
la Lyonnaise des eauxpour gérer les prisons privées(7000places) ;ce magistrat a du êtreplacé
en positionde disponibilité. " Je suis persuadéqu’un membredu Conseild’Etat se serait
débrouillé pour être en détachement. C’était unemissionde service public.Il ne s’agissait pas
de vendrede l’eaumais degérer une institution en application d’une décision dejustice. Au
bout de5 ansil a voulu rentrer. Onl’a fait rentrerlà oùil était parti; et même onl’a fait repartir
à 0 alors qu’il avait déjàun an etdemied’anciennetédans songrade...c’est la position du
CSM; etl’administration approuve.Ce n’est pastrès positif !"(18)
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CHAPITRE III
L’ACCROISSEMENT DE LA DEMANDE EN SERVICEJURIDIQUE ET JUDICIAIRE
C’est d’abordl’accroissement du besoin de compétence juridique etjudiciaire à
l’extérieur de la magistrature et des tribunaux qui explique principalementle recours,certes
limité, à des magistratsà l’extérieur deleur domaine spécifique d’interventionet surtout la
diversification despositions qui leur sont offertes. L’aventure des magistratshors des
frontières de l’institutions’est faite très progressivement (cf. annexes2 et 3), accompagnant,
d’une certaine manière, la montée du droit dansla régulation de l’économie et de la sociétéet
dansla construction européenne.L’augmentationde la demandede services juridiquesest
générale etneconcerne pas seulement lesopérateurs privés ou les justiciables,25 mais aussi les
administrations et institutions d’Etat, confrontéesà des problèmes juridiques et judiciaires
qu’elles n’avaient guère l’habitudede rencontrer. Les magistrats sont-ils lesmieux placés
pour répondreà cette demande? Le débat estouvert. Ils ont en tous cas des compétencesqui
sont différentes de celles desadministrateurs ayantété formés au droit public, et leurs
compétences paraissent aujourd’hui présenterun intérêtparticulier.
Mais la demandede magistratsne datecependant pas d’aujourd’hui;elle est plus
ancienne,même s’il s’agissait alors d’unphénomène beaucoup plus ciblé. Lesbesoinsen
magistrats dans différents secteurs dela société ont d’abord été limitésà certains domainestrès
particuliers, trèsproches du judiciaire.Puis ils se sontdiversifiés, aupoint, aujourd’hui,de
franchir le seuilsymbolique quiséparele secteur publicdusecteur privé.La magistraturea été
sollicitée, avec mesure etpar petites touches, dans desdomainestrèsdiversde l’espace social.
En examinantsuccessivement lesprincipales institutions ouorganismes quiont
accueilli des magistrats, onverra comment les différents éléments deleur compétence vont
être mobilisés. Cars’il n’était pas dansl’habitus des magistratsde développer desrelations
avec l’extérieur,il n’était pas non plus évident, pour des administrations, des entreprisesde
faire venir un tel personnage. Pourquoi rechercher ses services ?
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Quelssont lesatouts des magistrats ?Ce sont d’abord des juristes, spécialistesde
droit privé. Ce sont ensuite desspécialistes du judiciaire.Ce sont enfin des hommeset des
femmes qui ont l’habitude del’exercice de l’autorité. Leur formationet leur expérience
professionnelleleur ont conféré des qualités particulières.C’est souvent à l’occasion d’une
expériencehors de la magistrature que lesmagistrats prennent conscience deleur spécificité :
celle-ci réside, d’après cemagistrat, dansleur capacitéà " écouter, à délibérer,si possiblede
façon contradictoire, età décider "(20). " C’estun métier oùl’on apprend àécouterles gens
et à prendre des décisions.Il n’y a pas beaucoupd’école où l’on apprend ceschoseslà aussi
bien "(43). Cettecapacitéà prendre des décisions est souvent considérée comme une des
caractéristiques majeures qui lesdifférencie des énarques.
C’est aussi leurcaution morale qui est recherchée. Spécialistesdu respectde la loi, ils
peuventêtre sollicités dans le cadre d’une démarche visantà instaurer, ouà restaurer une
déontologie, des règles debonneconduite.
Les institutions, organismes divers qui ontrecours aux services d’un magistrat
privilégient l’un ou plusieurs aspectsde leur compétence, certains faisantplus appel au
magistratjuriste, d’autres au magistratspécialiste du judiciaire, d’autresau magistratgarant
d’une certaine moralitépublique, ouprivée.
Ce sont dans lesdomaines qui constituentle prolongement direct de leur activité
judiciaire que les magistrats ontd’abord été sollicités. Nousneparleronspasici des magistrats
détachés dans les payssousmandat français ousousprotectorat, qui ont exercé des fonctions
judiciaires au Liban, en Syrie, ou encore enTunisie ou au Maroc. Nousne parlerons pas non
plus desmagistrats détachésà Monaco, conformément à untraité de 1931, qui lui-même
prorogeait un accordplus ancien.
Les premierspostesoccupéspar des magistratsà l’extérieur et qui n’étaientpas des
fonctions juridictionnelles ont été des postesdedirecteur de contentieux.Ce sontà la fois leurs
compétences judiciaires techniques et leurs compétencesde juristes qui sont utiles.L’exemple
dela SNCF estle plus ancienpuisque c’est en1925qu’un magistratest détachéà ce quiétait
alors l’Administration descheminsde fer de l’Etat, pour dirigerle Service du contentieux.
Puis, après la guerre, l’Office national d’étude etde recherche aéronautiquerecruteégalement
un magistrat pourêtre chef des services juridiques et ducontentieux.Il en estde même au
Ministère de la jeunesseet des sports quiaccueille, en1947, un magistrat commechef du
Service du contentieux des entreprisesde presse, ouencorele Métropolitain dont le Service
juridique et du contentieuxseradirigé pendantprès de 3 anspar un futur Premier Présidentde
la Cour decassation, Maurice Aydalot (1944-47). Parla suite, lesmagistrats seront toujours
recherchéspour leur compétence enmatièredecontentieuxmais aussipour leurscompétences
juridiques, pour leurconnaissance dudroit etleur habiletéà manier le raisonnement juridique,
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à travailler à l’élaboration deslois. Aujourd’hui ce sont les compétences judiciaires des
magistrats, leur" connaissancejudiciaire du droit ", leur connaissanceintime del’institution,
des stratégies quel’on peut y développer, quisont recherchéespar un certain nombre
d’institutions et d’entreprises.
III.1. Les différents domaines de la mobilité
La demande des compétences de magistratsa bénéficié de différentesimpulsions : le
développement des institutions internationaleset la construction européenne, l’accroissement
du besoin derégulation juridique del’économie et, plus généralement, laredéfinition de la
fonction juridique au sein des entreprises,des administrations.Le développement des
" affaires ", la mise encause dela responsabilitépénaledes " élites irrégulières"26 jouent
un rôle important dans cettedemandeparticulière decompétences.
III.1.1 La mobilité des magistrats dans les organismes internationaux et la
construction de l’Europe.
Au lendemainde la guerre,la création del’ONU avait permisà quelquesmagistrats
d’être détachésdansun organismeinternational.Le nombre de magistrats détachésà l’ONU
est restéfaible (Organeinternationalde contrôle des stupéfiants, Commissionpour le droit
international, Tribunalpénal international). Mais leur présencerelative s’est néanmoins
développée, en particulierdansle domaine desdroits de l’homme,avec la participation de
magistratsà différents comités de l’ONU(comité sur les discriminations raciales,comité des
droitsde l’homme,comité sur les problèmes économiques sociaux et culturels...) età la sous-
commission des droitsde l’homme de Genève, participations qui n’impliquent pas forcément
dedétachements.
Mais, c’est avecla constructionde l’Europe et le développement des institutions
européennes, quede nouvelles perspectivesse sont ouvertesaux magistrats,comme, plus
généralement, à la communauté des juristes.Le mouvement a commencé au début des années
soixanteavecle détachementde magistratsà la CEE et à la CECA.Cela a continué avec la
création de la Cour de justice de la communauté européenne puis dutribunal de première
instancedans lesquels des magistratssont détachés dans différentespositions, ouencore la
Cour européenne des droitsde l’homme. Cela se poursuitavecle détachement demagistrats
au Conseilde l’Europe, dans des organismestels quel’Office européen desbrevets, et, dans
les années 90,l’Office de l’harmonisation dansle marché intérieur. La construction de
l’Europe a suscité desbesoinsjuridiques auxquels les magistrats ont pu répondre,davantage
en raisonde leur compétence juridique généralequ’en raison deleur compétence judiciaire.
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Que des magistratsparticipent aux juridictions européennespeut semblerd’autant
plus logique et justifié que les décisions des juridictionss’imposent aux juges nationaux.C’est
principalement leur expertise juridique qui est sollicitée,la procédure étant sensiblement
différente. Même si l’exercice est difficile, voire parfoisingrat, l’enjeu est important : " On
part de donnéesjuridiques, desprincipes généraux dudroit, du droit originaire, etde la
réglementation communautairebruxelloise, odieuse, insupportable,illisible, et avec ça on
chercheà trouver unesolution juste, auniveaud’un équilibre global dont onsait qu’elle aura
une influence sur des millionsd’européens " (18). On demandeaux magistratsde juger ou dc
requérir, d’instruire, ce que font les référendaires,devérifier, ce que font les lecteurs d’arrêt.
Des magistrats participent directement, dansle cadre des institutionseuropéennes, à
l’élaboration des normes juridiques européennes comme l’illustrel’exemple de ce magistrat,
détaché àla Commission : " Icije dirige l’équipe : harmonisation dudroit des sociétés : il
s’agit d’harmoniser les législationsnationales etde préparer lesrèglementscommunautaires,
du style sociétés européennes, qui s’appliqueront directementaux entreprises".(44) Là encore
ce sont leursqualités de juristesplus queleur connaissances judiciaires qui sont mobilisées.
Certains magistrats détachésà la Commissionestimentque leur formation de magistratn’est
d’aucune utilité dans les fonctions qu’ilsexercent. C’est en raison de leur compétence
juridique généralequ’ils sont là.
S’il y a quelquesmagistrats dispersés dans les différentes directionsde la
commission,c’est dansle domaine des droitsde l’homme que la compétencedes magistrats
est appréciée, que ce soit au Conseil de l’Europeoù un magistrat s’occupe des programmes de
coopération dansle domaine des droitsde l’homme avec les pays d’Europecentrale et
orientale,plus précisémentdansle domainede la Conventiondes droits de l’homme, (et un
autre s’occupe desprogrammesdecoopérationjuridique avecla Russie), ouà la Commission
et à la Cour européenne des droits del’homme, où lesmagistrats s’efforcentd’accroîtreleur
influence.
Depuis la reconnaissancepar la France dudroit de recoursindividuel devant la
Commission et la Cour européenne des droitsdel’homme, en 1981, ce sont desmagistrats qui
représententla France,par l’intermédiaire duministèredes affaires étrangères. Ils s’occupent
des contentieux liés à l’applicationde la Convention européenne des droitsde
l’homme : " notre travail consiste à être les avocats du gouvernement français;il faut
démontrer que les griefs soulevéspar les requérantsne sont pasfondés. C’estun travail très
juridique. un travail d’avocat "(41)
Mêmesi leur nombre estfaible ets’ils sont en concurrenceavecd’autrescorps, les
magistrats,par leur présencedans ces instances,signifient que la magistrature n’estpas
absente de cemouvement de création d’unordrejuridique supranational.
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Sous un autre angle, l’internationalisation des espacesjudiciaires a conduit le
ministère dela justice a envoyer des magistrats dits " deliaison " dansquelques pays ,(à ce
jour en Italie, aux Pays-Bas et aux Etats-Unis),dont la mission et de favoriser lacoopération
judiciaire internationale.
III.1.2. La mobilité des magistrats dans le domaine économique
La mobilité desmagistrats versle secteur économique estplus récentequecelle vers
les institutions internationales. Certes, comme on l’a vu,il y avait depuis longtemps quelques
magistrats dans des entreprises ou offices publics.Le développement decette forme de
mobilité apparaîtdans un premiertemps trèslié à l’apparition des autorités administratives
indépendantes chargées dela régulation des pratiques économiques et financières.Plus
récemment cesont leurscompétences juridiques spécialisées etleur expertisejudiciaire qui
vont être sollicitées, notammentpar les entreprises, et plusparticulièrementles entreprises
privées,
Les magistrats détachés àla COB ouau Conseil dela concurrence
La présence de magistrats del’ordre judiciaire dans des organismescommela COB
(depuis 1968) oule Conseil de la concurrence (depuis 1982)a d’abord été justifiée par la
naturemême des questions juridiquesdontces autorités étaientsaisies -nécessitéde connaître
à la fois le droit boursieret le droit des sociétés,le droit de la concurrence27. Il s’agissaitde
rappeler le droit et de contrôler la légalité des pratiques financières, boursières,
concurrentielles. Un magistrat qui a étéparmi les premiers magistrats détachésà la COB
résume ainsi sonaction : " A l’époque les parquets étaient lointains et n’intervenaientpas
beaucoup. Il yavait peudejuristes dansle mondede la financeet de la banque; onrappelait
qu’il y avait le respectde la règle. C’était passionnant maisc’était dur... car les juristes, les
magistratsétaientdes empêcheursde tourner enrond. Nous étions ceux quidisaient aux
directeursfinanciers, vousne pouvez pasfaire ça, et d’ailleurs venezavecvotre directeur du
contentieux. Ona revaloriséà l’intérieur de la COB et des entreprisesle rôle du droit, le
respectde la règle " (49). Lesmagistrats de la COB doivent pouvoir donner desappréciations
sur des questionstrès pointues, quine relèvent pas de l’activité traditionnelledu magistrat.
" Ce qui estdemandéaux magistratsde la COB c’est d’avoir un jugementsuffisamment sûr
pour dire si tel ou tel montagejuridico-financier est conformeà la loi, pour dire si telle
émissionde catégories devaleursmobilièresest licite... doncc’est ce type d’opération qu’on
voit et cen’estpas du tout dansla formation du magistrat.Il est même demandési un montage
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n’est pas juridiquement correct de donner desorientationspour le rendrelicite. C’est plus un
travail deconseil du typeavocatd’affaireque de magistrature. " (52)
Mais la présence de magistratss’inscrit égalementdans l’évolution de la conception
du contrôle des activités économiques. Liéeà l’intensification dela compétition internationale,
la juridicisation des relations économiques qui s’opère, notamment sousla pression des grands
cabinets internationaux delawyersaméricains, s’accompagne d’un besoinaccru de sécurité
juridique afin de garantir le bon fonctionnement des mécanismes du marché.Cette sécurité
juridique s’est notamment concrétiséepar le renforcement des pouvoirs des autorités ayant en
charge les affaires debourseet de concurrence -par l’attribution de pouvoirs de sanctionet par
la possibilité de contester leurs décisionsdevantla Cour d’appel.Le contrôle desactivités
économiques et financièresparaît s’inscrire davantagedans uneperspectivede régulation
juridique de l’économie sous contrôle du juge judiciaire que dans une optique de
réglementationadministrative. L’attributionà la COB - et auConseilde la concurrence -de
pouvoirs de sanction etle transfertà la cour d’appel deParis desrecours auparavant formés
devant l’ordre administratif ont encoreaccrule besoinspécifique demagistrats28.
Les magistrats dans les entreprises
S’il y a depuis longtempsun magistrat - et même maintenant plusieurs - àla direction
juridique dela SNCF,s’il y a ena quelquesautresà la RATP ou à EDF/GDF, Air France,ce
sont aujourd’hui surtout desgrossesentreprises privées quise sont offert les servicesd’un
magistrat :Lagardère, StGobain, LVMH, Compagniegénéraledes eaux,Lyonnaise de
eaux, Thomson.Il y a aussi des banques, BFCE,Société générale, BNP,CCF, Lazars...
Quel est l’intérêt pour une entreprisede recruter un magistrat qui semet en
disponibilité s’il s’agitd’une entrepriseprivée.ou en détachement, s’il s’agit d’une entreprise
publique29?
Traditionnellement, les quelques magistrats qui ont été détachés en entreprise l’étaient,on
l’a vu, pour s’occuperprincipalement du contentieux, auquelétait en général adjoint le
" juridique " (domaine pendantlongtemps peudéveloppé); ces fonctions ne positionnaient pas
les magistrats trèshaut dans la hiérarchie30. C’est leur compétence générale dudroit et de la
justice qui étaitalorssollicitée. Aujourd’hui, le contentieux constituetoujours undomaine qui
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est proposé aux magistrats,contentieux élargiet intégré dans des directions juridiquesdont
l’importance - et les effectifs - se sontbeaucoup développés. Mais les magistrats sont
maintenantsollicités pour d’autres raisons;pour leur compétencejuridique très pointue, en
droit bancaire, en droit boursier ou en droit dessociétésd’une part, et,d’autre part, peut-être
surtout, pour leur connaissance du milieu judiciaire etdeses arcanes.
La nature du recours au droit et donc aux juristesa égalementquelquepeuchangé.
En raisonde la transposition surle terrainjuridique de la guerre économique,le recoursau
droit devient deplus enplus tactique, pourlancerdes offensives ou, au contraire, pours’en
défendre31. De sorte que les opérations juridiques sont davantage analysées en termesde
risques juridiques et judiciaires. Ces risquessont rendus d’autantplus visibles que se
développent lesmises encause dela responsabilitépénaledes chefs d’entreprise et autres
responsables.Dans un tel contexte. lesmagistrats peuvent avoir des atouts particuliers surle
marchédu droit. L’évaluation durisque juridiqueet judiciaire estun domaine où les magistrats
se disent particulièrementcompétents, en tous cas pluscompétents que les juristes internes
desentreprises. " Au parquet on sait cequ’estun risque. Ona uneculture durisqueaussibien
dansle domaine économique quedansle domaine de la délinquancejuvénile " (35)
La situationn’est pas exactementla même dans les entreprises publiqueset dans les
entreprises privées,bien que, dans lesdeux cas, ce soitla double compétencejuridique et
judiciaire desmagistrats qui soit recherchée.
Les premiers magistrats recrutés dansdesentreprises publiques étaient des magistrats
relativementgénéralisteset n’avaient pas de spécialisationclairementaffichée. Maintenant,ce
sont toujoursplutôt des généralistes mais onvoit poindre des magistrats spécialistesde droit
économique. Un ancien chef du service juridiquede la COB dirige ainsi le département
juridique d’une grosse entreprise publique.Uneautre entreprise publiquea mis à la tête de sa
direction juridique un ancien directeurà la chancellerie,une troisième,un ancien 1ersubstitut
au tribunal de Paris. Cesmagistrats sont polyvalents. " Ledépartement juridiqued’un EPIC
dont un magistrat est directeurtraite, pour l’ensemble de l’entreprise, del’ensemble des
domaines du droit, depuisle droit public (travaux publics, constructionsdomaniales)jusqu’au
droit pénal (agression,recouvrementde chèques), en passantpar le droit social. qui estun
secteur énorme"(15)
Partout se développel’activité d’évaluation et de prévention durisque juridique,à
propos de laquelle les magistrats s’estimentparticulièrementcompétents. Unmagistratqui
occupe plutôt une fonctiondeconseil dansuneentreprise publiqueva ainsi évaluer les risques
encouruspar certains agentset s’efforcer d’y remédier : " Jeme suis aperçueque nos
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managers de terrain, nos ingénieurs, étaientà 100 lieues desdangers qui lesguettaientquand
ils commettaient certains " actes ", commedistribuer des subventions sansprécautions lors de
l’implantation d’un site" (24) D’où l’organisation de cyclesde formation à l’attention des
agents de l’entreprise quisont particulièrement exposés aux risques. Cetteformation
décentralisée, organisée en partenariatavec l’ENM, avec la collaboration de magistrats du
Parquet,vise à la fois à donneraux agentsune information sur l’organisation judiciaire,la
responsabilité pénale des personnesmorales,la délégation, et à sensibiliser les magistratsaux
problèmes desentreprises.
Mais ce sont aussi, et de plus enplus, leurs compétencesjudiciaires qui sont
recherchées. Unmagistrat dans une entreprisepubliquejustifie sa présencepar la naturedes
problèmes qui seposent -problèmes quirelèventprincipalement du droitprivé - et par " la
connaissance judiciaire du droit ".L’" accès " particulierqu’il a autribunal de Paris, dufait
de sa connaissance des magistrats,de sa familiarité avec l’institution, lui permettent
" d’expliquerà ses collègues ce que représentent les agressionsd’agents etde les titiller pour
qu’ils les fassent passer (les agresseurs) encomparution immédiate "(15)..; ou aucontraire,
pour d’autresaffaires, de plaiderpour la médiation pénale.
Des argumentsde même nature sont avancéspar un autre magistrat.également
directeur juridique d’une grande entreprisepublique, qui justifie sa présencepar ses
compétencesà la fois juridiques etjudiciaires : " unegrandepartie del’activité ici, c’est de
traiter du contentieux judiciaire;le fait d’êtremagistrat permet defaciliter certains contactsavec
le mondejudiciaire. Le fait que le directeurdes services juridiques soitun magistrat fait que
l’établissementn’est pas tout-à-fait un plaideur ordinaire ... çajoue certainementun
peu ! " (11)
Dans les entreprises privées, les demandesà l’égard des magistrats sontplus
pointues.Cesont à la fois des compétences juridiques très spécialisées, très pointues,qui sont
recherchées et des compétences relativesau savoir-fairejudiciaire; ce sont donc desmembres
issus du sérail, des magistratsspécialisés dans lesdomaines économiqueset financiers,
provenant souvent des parquets financiers, oude la COB, qui sont sollicités par les
entreprises, (bien que récemment,le recrutementsesoit diversifié) notammentpar les banques
spécialisées en ingénierie financière. Unmagistratdécrit ainsi son travail : " Je faispartie de
l’équipe qui travaille sur lesproduits financiers.Noussommes une desrares banques qui a, en
interne.sapropre validation juridique des montagesqu’elle propose. Maisil arrive toujoursun
moment où onfait valideruneopérationpar un avocat (16).
Comptetenu des lourds nuages dela justice qui se sontaccumulés audessus dela
tête de certainesentreprises,un domaines’estbeaucoup développé, enpartie avec ou grâce
aux magistrats : celui de l’évaluation et de la prévention durisquejuridique.
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" J’ai acquis dans lesfonctionsjudiciairesle sens durisque juridique quebeaucoup
n’ont pas forcément quand ilssont dans uneentreprise. Par exempleil peut se produire que
nous fassions desopérations qui nesont pasd’une conformitétotale avec laréglementation.
La réglementation françaiseesttrès pointilleuseet onpeutêtreà la limite dece quiest autorisé.
Tout le problème est de savoirsi l’on fait tout de mêmel’opération ou pas.Et ça, le degréde
réalité d’un risque juridique, est trèsdifficile à apprécier.Si on a connu lesjuridictions de
l’intérieur on l’apprécieun peu plus facilementque d’autresqui peuventse faire des fausses
idées surla manière dontl’autoritéjudiciaire fonctionne." (36)
Mais c’estégalement en raison dela multiplicationdes " affaires" et des misesen
examen de chefs d’entreprise que desmagistrats sont sollicités. Constatantl’état
d’impréparation où ellessetrouvaientface à l’interventionjudiciaire, queni leur département
juridique interne ni leur réseaud’avocat n’avaient été à même de les mettreà l’abri des
curiosités de la justice, une poignée dechefsd’entreprise ontfait appelà des magistrats pour
venir leur prêter main-forte, pour déterminerla " stratégie judiciaire " du groupe oude
l’entreprise. " Raressont lesjuristes qui connaissent les procédures judiciaires de l’intérieur.
Le judiciaire est un véritablemaquis etpeudepersonnes saventle dominer."(36)
C’est bien la connaissance du judiciaire,de sa culture mais aussi de sesarcanes,de
ses recettesde cuisine, quiintéresse lesentreprises. Les magistrats ont une connaissance du
judiciaire qu’aucun directeurjuridique maisonn’a et même, selonun magistrat, qu’aucun
avocatn’a, car " les avocats ne mettentpaslespiedsau palais"(17). Un magistratestimeque
" l’accès àla justice pour un groupe, cen’est pas si simple. En général il passepar ses
avocats, et les avocats, on nesait jamais bien, comptetenu des particularitésjuridiques, ce
qu’ils vont faire. Souvent ilsvont au civil alorsqu’il faut aller au pénal,et l’inverse. Alors
qu’un magistratil sait pourquoiil fautaller aupénalet pasau civil. "(35) De plus lesavocats
" sont des mercenaires ", ils sont àl’extérieur. Or pour déterminerla stratégiejudiciaire d’un
groupe "il faut quelqu’un qui soit àl’intérieur de la maison ", qui soit en contactpermanent
avec l’ensemble des directeurs. Unmagistratqui est conseiller auprèsd’un grand groupe
estime avoir un " rôled’audit permanent " (17).
Sansgénéraliserc’est bien en raisondes ennuisjudiciaires rencontréspar des PDG
d’entrepriseque certains magistrats ont étéembauchés, dans d’excellentesconditions.Il y a un
réel besoinde conseil enla matière, comme entémoignentdifférentessessionsde formation
organiséespar des organismes de conseilspour des chefs d’entreprises stressés,avec la
collaborationd’un certain nombrede magistrats...Qui de mieux placé qu’un magistrat pour
prévenir les ennuisjudiciaires ? Les magistrats en entreprise privée, que nousavons
interviewés soulignent tous quele nombre d’entreprisesqui cherchent à avoir unmagistratse
développe... Il n’y a pasde trimestresansqu’on me demande des noms de magistratspour
sortir (dans desentreprises)".(35)
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C’est bien les ennuisjudiciaires des PDG quisont, en général,à la sourcede ce
nouveau" marché " qui s’ouvre à unepoignée de magistrats." Mr. X (PDG d’une très
grosse entreprise) a rencontréun haut magistratde la Cour de cassationlors d’un dîner enville
et lui a dit : "que puis-je faire pour qu’il ne m’arrive plus ce quim’est arrivé ? " Et le haut
magistratlui aurait répondu : "FaitescommeZ, prenezun magistratavecvous" ".(17)
Outre laconnaissance dela justice, ce sont lesréseaux que les magistrats savent
mobiliser, réseaux de relations au sein de la magistrature,mais aussi au sein dela police,qui
peuvent êtreutiles aux entreprises.Il estpeut-êtreplus facile dejustifier sa présencepar les
relationsavecla police quepar celles, plusdélicates,avecles magistrats :" Pour un groupe
c’est importantd’avoir unancien procureur. Onsait qui estla police. On les connaît.Il n’y a
pasde chefsde la police queje n’ai connu jeunes commissaires quandj’étais jeune substitut.
Ce qui facilite grandement les choses.Je les appelle, onse voit, on déjeune ensemble:je leur
explique mon problème.Ils disentbonje téléphoneà mon adjoint qui va porterplainte Je
suppose que dansbeaucoup d’entreprises onne sait pas qu’il existe un service de police
internationalimplantédansla plupart des ambassades au monde.C’est des choses quel’on
sait ;on connaîtle chef.on l’appelle.J’ai un problème au Mexique.Ah bon auMexique il faut
que tu voies X, je lui passe un coupde fil. Ils sont là pour ça puisquec’est clairement dans
leur missiond’aider les entreprises étrangères qui ont des problèmesdans les paysoù ils sont.
Mais encore faut-il lesavoir " (35)
C’estaussi en raison deleur figure morale, que les magistratspeuventêtre sollicités.
Il y a une douzaine d’années un magistrat aété sollicité par le Conseil du marchéà terme
(organe de régulation professionnelle duMATIF), qui était confrontéà quelquesproblèmeset
mêmequelques scandales." Il était nécessairede marquer symboliquementle fait quec’était
un marchésérieux, déontologique.Et un des élémentsde la stratégiede redressementde
l’image du MATIF a été de recruter un magistrat. Il fallait en outre élaborertoute la
réglementationdu marché,il était donc nécessaired’avoir des compétences enmatière de
rédaction detextesjuridiques. "(36) Parla suite, unefois les textesadoptéset la situation
stabilisée,la présenced’un magistratn’était plus indispensable.Récemmentc’est encorela
cautionmorale des magistrats quiest recherchéepar certaines entreprises.Une magistratedu
parquetfinancierdeParisaétésollicitéepar un grand groupepour assurerle respectde " la
chartedéontologique ".Un magistrat souligneainsi cette utilisation de la compétenceet de
l’image du magistrat " Il sedéveloppedans les entreprises,compte tenu des affaires,un
besoin de recréer une déontologieinterne rigoureuse, quel’on puisseafficher commeétantun
paravent àtous lesdébordements;je ne peux leur en vouloir de donner uncôté moral à la
démarcheentrepreneneuriale"(16). La démarchea néanmoins ses limites sur lesquelleson
reviendra plusloin.
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Mêmes’il ne s’agit pas d’un mouvementde masseil y a néanmoins unmarchéprivé
qui s’estouvert aux magistrats qui sont amenésà" pantoufler ", àl’image de certainsde leurs
collègues duConseil d’Etat,leur compétence spécifiqueétant considérée comme trèsutile à
l’extérieur de l’institution judiciaire. Il en est demême,dans unecertainemesure - relative -
pour lebarreau.
III.1.3. Les magistrats au barreau
Quitter la magistraturepour le barreaune relève pasd’une mobilité temporairemaisbien d’uneréorientationde carrière.Ceux quenous avons rencontrésse sontorientés versle
barreau d’affaire,dans des cabinets où ilspeuventvaloriserunecompétence particulière qu’ils
ont acquise au sein dela magistrature, parfois aucoursd’un détachement.La compétenceen
droit communautaire dont certains magistratsdeviennentspécialistes après un passageà la
Cour de justice, auTribunal de première instance ou à la Commission européenneest
particulièrement appréciée dans les grands cabinets d’affaires parisiens.Mais les compétences
en matière financière, commerciale ou boursière sont également recherchéespar certains
cabinets quiaccueillentdes magistratsayant acquis une compétence soit aucours d’un
détachementà la COB ou dansl’exercicedefonctionsdansles parquets financiers ou dansles
sections financières del’instruction. Ce n’est pasuniquement leursavoir juridique spécialisé
qui est recherché mais aussileur savoir-fairejudiciaire car, commele soulignecet ancienhaut
magistrat entré au barreau poury terminer sa carrière, les avocatsd’affaire sont peu aufait du
fonctionnement des juridictions : " les avocatsne connaissentpasles tribunaux: ilsse font
des illusions sur ce qu’ils font; beaucoup d’avocatsne plaidentpas ce qui est utile. d’autres
plaidentl’impossible " (46).Lui même est consultépar ses nouveaux collègues en raisonde sa
grande culture juridique - que lesavocatsd’affaires, très spécialisés,n’ont pas - et de sa
connaissance de la " cuisine dutribunal ", des stratégiesà adopter,de la manièred’introduire
uneaffairecomplexe.Ayant toujoursvu faire il sait bien quelles sont lesstratégiesà adopter.
Depuis quelquetempsc’est à propos du droitpénal des affaires que les magistrats devenus
avocats sont sollicités.Commepour les grandes entreprisesil y a au barreauun marchélatent
pourdes magistrats très qualifiés.
III.1.4. La demande de magistrats dans les administrations
C’est au lendemainde la guerre quecertainesadministrations demandentà bénéficier
des services de magistratspour régler, la plupart dutemps, des problèmesliés à la gestiondes
séquelles de la guerre (pour plus dedétailsvoir annexe2). Il s’agit, parexemple, duministère
de la population, où des magistrats sont chargésde s’occuper des questionsde naturalisation,
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ou encore, duministère de la reconstructionnationale.Les autres magistrats détachésdans les
administrations sont trèspeu nombreux etoccupentdes positionséclectiques tellesque celle
de Directeurgénéral dela Radiodiffusion française d’outremer, auministère dela France
d’outre mer ou encorecelle de Commissaire général du Comitépermanentdes foireset
manifestations économiques à l’étranger !Par la suite, aucoursde la 5èmeRépublique,c’est
le ministère desaffaires étrangères, puis celuide l’économieet des finances qui concentrentle
nombrele plusimportant de magistratsdétachés avec,bien sûr le ministèrede la justice. Mais
au début des années 90,la demande de magistratspar certaines administrations connaîtun
léger développement.
Les magistrats sont recherchéspour leurs compétencesjuridiques,pour travailler sur
l’élaboration destextes. Mais plus récemmentleur activité s’est également orientéevers
l’évaluation des risques juridiques et judiciaires,mettanten oeuvre leurconnaissancejudiciaire
du droit.
Le rôle principal des magistrats en administrationne diffère guèrede celui des
magistratsà la Chancellerie :travail réglementaireet législatif,avec, comme différence. qu’ils
sont en position d’exogénéïtéalors quel’univers de la chancellerieest essentiellementpeuplé
de magistrats, du moins au niveau de ses cadres.Il s’agit là d’une fonction classique, " d’un
travail d’administration centrale pur et dur "pour lequel les magistratspeuventdonner un
regard particulier.Cesontleur culturejuridique et leur aptitudeau raisonnement juridiquequi
sont mobilisées, mais aussi les qualités propres attachéesà leurs fonctions. " Quandon arrive
dansune administration dans laquelleles personnes quiprennent lesdécision n’ont pas de
formation juridique d’une part, et, d’autre part, n’ont pas ce qu’ont les magistrats par leur
métier. c’est-à-direle recul sur les dossiers,c’est-à-dire l’impartialité, c’est-à-direle sens du
contradictoire,je vousassurequ’on estun vrai "plus" dans ces administrations"(5()). C’est à
propos des magistrats détachésdans les administrations centrales quePatriceMaynial propose
d’étendre le cadre deMACJ. Ils auraientpour rôle principal d’innerver les administrations
centralesd’un réseau de juristes privatistes et de suivre la production normative des
ministères32.
Certains illustrent la thèse du " sous-équipement juridique des administrations
centrales ",suivant l’expressionde PatriceMaynial, en faisantétat du peu de goût pour le
droit qu’ils ont observéchez leurs collègues administrateurs civils. " Les administrateurs
civils que je rencontren’aimentpas faire du droit, nesont pas attiréspar le droit en général;ils
ne savent pas toujoursse débrouilleravecle contentieux administratif.Souvent ilsne savent
pas lire un arrêt duConseild’Etat ".
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C’est donc en tant qu’expertsjuridiques que les magistrats sont sollicités.
" Ici vous avez unegrosse partie del’activité qui est une activité réglementaire.Pour
ces aspects là noussommesplutôt l’équivalent des juristes d’entreprise c’est-à-direqu’on fait
du conseil auprès des juristes qui veulentaffiner leursprojets.(39)
" J’ai rédigé uncertain nombre dedécretscomme ceux del’ANVAR. J’ai travaillé en
interministériel sur les réponses à élaborerà propos des loisd’Amatoet Kennedy... " (39)
L’autre aspect dutravail des magistratsdans les administrations estla consultation
juridique quis’analyse deplus en plus entermesd’évaluationdes risques juridiques.
Partout on assiste à une évolutionimportante dela prise en compte du droit dans
l’action de l’administration.Cetteprise en compte estliée au fonctionnementjudiciaire mais
aussi à l’évolution du droit administratif. " En 1987 on acréé les cours administratives
d’appel,on a introduit des réformes procédurales avec les référés, ona même des dispositions
qui permettentl’exécution desjugements. Pourl’administrationc’est révolutionnaire.Elle était
prétorienneelle faisait cequ’elle voulait. Du fait des règles communautairesl’administratif
évolue;jusqu’à il y a peu, toutle monde s’en fichait. Maintenant, quand on passe unmarché
public, on vérifie les seuils....(39) La transformation dela place du droit etde sonutilisation
concernedirectementl’administration qui se voit confrontée avec des problèmes quine
relèvent plus seulement dudroit administratif. La montée de la mise en cause de la
responsabilité pénale desagentsva contraindrela fonction juridique des ministères à évoluer
pour mieux assumer etprévenir ces nouveaux risques. Carsi l’on est arrivé àcette situation
c’estd’abord parce que les fonctionnaires estimaient quela fin justifiait les moyens. " Nous,
membres dela fonction publique, avonstendance à nouscomporterfaceà ce qui nousapparaît
commela nécessité, comme des"corsaires",c’est-à-direà nousjouer des règles pourle bien
public, en vued’une finalité d’intérêt général "33. Ce qui signifie également que les contrôles
administratifs ontsuivi la même tendance etn’ont pas fonctionné comme ils auraientdu34 ainsi
quele rappelle cemagistrat :" j’ai dit aux inspecteurs sivous n’occupez pastout votre espace
vous, l’administration,le juge judiciaire va l’occuperet cen’est pas son métier doncil le fera
mal et donc ceseraà votre détriment ".(34)
C’estégalement le cloisonnement entrele droit privé et le droit public, assorti d’une
hiérarchisation despositionsauxquelles les formations afférentespeuventconduire - l’accès
aux grands emplois juridiquespublics étant réservé àun élite juridique polyvalente via le
Conseild’Etat35 - qui explique que les fonctionnaires pouvaientnepasse sentir concernéspar
le droit privé, et au delà, par le judiciaire.
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La mise en cause dela responsabilité des agentsde l’Etat introduit desbesoins
juridiques àla fois plus importants et de naturedifférente. L’affaire dusangcontaminé,de
Furiani, et biend’autres ont faitsoufflerun vent d’inquiétudechez nombre de fonctionnaires.
Pour faire face à ce mouvement etfaire évoluerla fonction juridique dans lesdites
administrations qui de mieuxplacé qu’un magistrat, ainsi quele recommandait un conseiller
d’Etat,chargé de faire unbilan de la fonction juridique au sein duministèrede l’équipement36.
Les magistratsd’administrationvont avoir àgérer,dans une certaine mesure, les conséquences
des ces mises en causespénales. Ils peuventavoir alors une contribution spécifique dufait de
leur connaissance judiciaire, qui les distingue desjuristes d’administrationsclassiques.
Lorsqu’àl’horizon seprofilent des mises en causes pouvant se terminer devant des juridictions
pénales ou civiles, la présenced’un magistrat peut s’avérer d’autant plus utile que la
connaissancedel’institution judiciaire qu’ont les fonctionnaires hauts etmoinshauts estfaible.
C’estnon seulementla compétencejudiciaire du magistrat qui est recherchée etutile maisaussi
" l’image d’une figure morale"(36), qui estsusceptible deremettre del’ordre.
Le magistratdétachédans certainesadministrationsvoit ainsi sonrôle quelquepeu
réévalué, avecla montée du risque pénal, lamiseen causedes" immunités administratives ".
Non seulement les magistrats vontse livrer à une évaluationdes risquesjuridico-
judiciaires, mais certains ontégalement unrôle de prévention desrisques, par un travail
pédagogiqued’information et de formation àla responsabilité,et ce, particulièrementdans les
ministères dont lesagents sont plus exposés à ces risques(en particulier les ministères
techniques et les ministères quitraitent de dossiers économiques importants).Il s’agit
d’expliquer que certaines pratiques quiavaientcours jusqu’alors,bien que souventà la limite
de la légalité, voire illégales,même si elles pouvaientêtre réalisées dansle souci du bien
public, ne peuventplus sefaire sous peine de poursuites pénales, que " lesfonctionnaires
sontsoumisà 3 régimes de responsabilité laresponsabilitépénale,la responsabilitécivile et la
responsabilitédisciplinaire." (34 ) Les magistratsne sont pas les seulsà participer à ce
mouvement mais ils estiment avoirunecontribution tout-à-fait spécifique.
" Beaucoupd’affaires risquent de se terminer au pénal ou aucivil et l’expérienceque
l’on peut avoir,nous, des juridictions etde la manièredont peuvent réagirles magistratspour
un certainnombre de dossiersaide beaucoup l’administration. Onapporte un raisonnement
qu’ils n’ont pas. Le chef de servicequi, au départ était réticent, s’est vite aperçu quele
raisonnement du magistrat est très différent decelui de l’énarquequi est un raisonnementde
droit public, de tout pour l’Etat. Nous on a un raisonnement quiest de dire : si vous avez
tort, vous avez tort et vous assumez ". Nous ne faisons pas de défense de l’Etat
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systématique. Le principede la bonne foi aussic’est lorsquel’on a tort on le reconnaîteton
essaiede réparerdans lesmeilleuresconditions. Ona aussi démontré quecette attitude,cela
coûtait beaucoup moinscher" (40) Par leur compétencejuridique propre les magistrats
détachés en administration contribuent à modifier les frontières entrele droit public et le droit
privé, à introduire un autre droitdans l’administration, un droitplus contractuel,suivant
lequel l’Etat n’a pas tous lesdroits.
Mais les magistrats sollicités disentsesituer toujours sur unplan technique et non sur
un plan politique de stratégie judiciaire, qui risquerait de les placer enporteà faux par rapportà
l’institution judiciaire : " De plus en plus,lorsqu’on est saisid’un dossier,l’aspectque l’on
nous demande deregarderc’est l’aspectpénal.Quel estle risque quel’on prend si l’on fait
telle chose ... même lesministres ! ils ontla trouille ! Notre boulotc’est de faire une analyse
de risque; onne prend pas de décision.J’ai toujours considéré que mon jobétait purement
technique. Vous avez des règlements,si vous ne les appliquezpas voilà le risque que vous
prenez.L’opportunité nenous appartientpas. " (40)
Au ministère de l’équipement, la multiplication des mises en causes pénales(leur
nombre est passé de3()à plus de150 en5 ans)a entraînéundéveloppementdu pôlejuridique
du ministère dontl’objectif est de " contribuerà la sécurité juridique des services déconcentrés
et taire en sorte que les usagers duservice publicsoient bien traités. "(34) Plusieurs
administrationsvoient le dispositif juridique prendre de l’ampleur passant de l’état demissionsd’étudeet de consultation,ou de bureau,pour devenirsous-direction37.
Suite logique de l’évaluation du risque juridique, les magistratsdétachéss’occupent
également defaire de la prévention par la formation des agents.Des colloques ontété
organisés au ministèrede l’équipement. auministèrede l’économieet desfinances38, avec la
participation de force magistrats, pour sensibiliser les fonctionnairesaux questions de
responsabilités; on rappelleauxdirecteursdesdirections départementalesde l’équipement que
" maintenantil faut faire du droit, il faut respecter les règlesjuridiques ". Faisant échoà
l’action des magistrats enjuridiction qui poursuiventet sanctionnent les fonctionnaires les
magistrats en administrationparticipent à une opération de moralisation/juridicisationde
certains domainesde la vie administrative.
La pénalisation quis’est immiscéedans certains secteursde l’administration a pour
effet la découverte - ou la redécouvertede la loi et de la justice par des agents publics. Les
magistrats détachés ont alorsun rôle pédagogique : expliquer que certaines pratiquesqui
avaient coursjusqu’alors,bien que souventà la limite dela légalité, voire illégales.ne peuvent
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plus sefaire souspeinede poursuites pénales.La poursuitepénaleest utilisée commelevier
pour rappeler les obligations légales des fonctionnaires. Al’Agence judiciaire du trésor, les
magistrats détachés auservicejuridique contribuent à rappelerla loi et les responsabilitésde
chacun. Une certaine inquiétude gagne les fonctionnaires, notammentdanscertainssecteurs.
" L’Etat est représentépar des fonctionnaires dans les conseils d’administration des
entreprisespubliques39. Ces fonctionnaires sont très inquiets quandils voient le Crédit
lyonnais, la Française des jeux, Giat industrie, le Gan...c’est vrai qu’un certain nombre de ces
hauts fonctionnaires commencent àavoir peur pour leur carrièreet se posent des tasde
question. Ils ne doiventpaspenserqu’uneinstruction duministrecouvrira leur responsabilité:
c’est dur mais ça rentre."(40)
L’action des magistrats rejoint, dans certainscas, celle des corps
d’inspection : " Manifestement onsent que lesjeunes inspecteurs des finances ontenvie
d’aller au charbon,d’arrêter un peu toute cette gabegie, qui est assez générale.J’en parlais
l’autrejour avec un inspecteur des finances quime disaitquesi ils voulaientaller très loin ils
pourraient parfaitement mettre encausel’ensemble des présidents des conseils régionauxet
départementaux, quetous à un moment donné, quoiqu’il arrive, ontfait des choses
irrégulières... Alorslà il faut une graduation,on ne peut pas tout détruire. C’est le côté
opportunité; ça nenousregarde pas. "(40)
Dans leur participation autravail pédagogiquede prévention desrisques juridiques
une autre spécificitédesmagistrats en administration - dans les ministères techniques -est de
développerla communication, au niveau local,entre les administrations décentralisées et les
procureurs,afin de développerleur information réciproque. Lesprocureurs desjuridictions
peuvent alors avoir un rôle important : " Les fonctionnaires desDRIRE ont un rôle
d’inspecteur des installations classées c’est-à-dire les usinesde type Seveso. Ils disenttous
quepourexercer leur activitédefaçon efficaceil faut qu’ils aient de bonnesrelationsavec les
chefsd’entreprise.La question quivient régulièrement dans les rencontresavec les procureurs
est la suivante :faut-il systématiquement dresser P.V.de toutes les infractions que nous
constatons ? La réponsepeut varier enfonction des Parquets. Parfoisle Parquet estbien
content que ce soitgéréen opportunité des poursuitesd’abord par l’administration et ensuite
que çaremontequandc’est utile. Mais enmêmetempsce qui est important de leur dire est
qu’il faut se méfier de cesouci de bonnesrelationsparcequene pas constater uneinfraction
c’estune affaireentendue. Nepaslaisser de trace écrite dela miseen demeure qui aura été faite
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au chef d’entrepriseà l’occasion dela visite, s’il y a sinistre ensuite,c’est clairementleur
responsabilité qui sera engagée."(39)
Depuis quelquesannées le ministèredel’intérieur recrutedes magistrats pourexercer
des fonctions de sous-préfet.Au départ il n’y a pas eu du tout demandede la part de ce
ministère maisoffre de la part du ministèrede la justice, qui avait eu connaissance des
difficultés de recrutement que connaissait ce corps et quicherchaitde nouvelles possibilitésde
détachements pour lesmagistrats.Ceux-ci ayant, semble-t-il, donné toute satisfactionau
ministère de l’intérieur,le nombrede postesofferts à la magistraturea été augmenté.Dans
l’Annuaire des magistrats détachés, publié début 1997,il y a 22 magistrats sous-préfets.Mais
ce n’est pas vraiment leurs compétences juridiques ou judiciaires quisont recherchées,bien
qu’elles soient considérées comme unapport intéressantdans l’exercice de leurs fonctions
mais leurs qualités d’homme d’autorité. Toutefois les magistrats sous-préfets estimentque
c’est aussileurscompétences juridiques et judiciaires qui sont utiles.
Les magistrats apportent,bien sûr,leurs connaissances juridiques qui servent,plutôt
occasionnellement :"connaître ce quirelèvedu droit administratif, du droitcivil ou du droit
pénal "; maisc’est surtout " la rigueurjudiciaire, qui est spécifique, qui consiste à connaître
les textes avant des’intéresserà leur application, àsavoir lire un dossier,à savoirconvaincre;
on a l’habitude dans le monde judiciaire de repérer ce qui est important de ce qui est
accessoire,de conduirela réflexion sur le fond plutôt que de rester ensurface ..." (4) Un
autre parle de " l’approche plusrigoureusedes magistrats " : " On n’apprendpas à un
énarqueà être rigoureux, on luiapprendà traiter 100dossiersà la fois, à être efficace,à êtreà
l’aise en toute circonstance,à parler en public,à parler pour ne rien dire, et ça, parfois,c’est
un art ".(29)
L’expérience du Parquet est considérée commeutile pour l’exercicedes fonctionsde
sous-préfet, comme l’explique ce substitut devenusous-préfet : " Tous lesjours je suis en
relation avecla police, la gendarmerie, les RG,je suis enétroit contactavec un monde queje
connaisbien. Enplus les magistrats duParquet savent ce qu’estune permanence, ce qu’estla
gestiond’une crise."(5)
La mise en causede la responsabilitépénale des préfetsa entraîné unecertaine
inquiétude etle besoin de renforcer la fonction juridique au sein des préfectures,Les
magistrats sous-préfets sont sollicités,par leurs collèguesdela préfectorale. sur les problèmes
juridiques relatifsà laresponsabilité des préfets, mais defaçon informelle. Ils sont avanttout
sous-préfets et doiventexercerleur fonctiondesous-préfet.
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III.1.5. Les magistrats dans les cabinetsministériels
La présence de magistratsdans lescabinets ministériels n’est pasnouvelle. Il n’est
pastoujours aisé de saisir son importancerelative, uncertainnombre d’entreeux étantmis à
disposition àtitre officieux. N’ayant pas d’existence juridiqueratifiée par un arrêté ils
n’apparaissent pasdans les annuaires.Le ministère dela justice est toujours apparu,sous la
IVèmecomme sousla Vème République, commele lieu privilégié d’appartenanceà un cabinet
ministériel, le nombre de magistrats officiellement affectés au cabinet du Garde des sceaux
variant entre 3 et 8. Mais, depuisla guerre, le besoin d’avoir des magistratsparaît s’être
affirmé en changeant de nature. Des magistrats ont été détachésà la Présidence du
gouvernementpuis dans lesservices duPremier Ministre. Ils ont d’abordété affectésau
Servicejuridique dela Direction générale des études et recherches, puis au Secrétariat Général
du Gouvernement ; ces dernièresannéesle nombre de magistrats détachés dans des
organismes dépendant directement du Premierministre a légèrementcru, ce quitémoignede la
placede la fonction juridique aucoeur mêmede l’Etat. Un certainnombredes fonctions sont
desfonctions à caractère plutôt techniques. D’autressont plusfranchement politiques,comme
cellede conseillerjudiciaire du Premier ministre.Le rôle de conseillerjudiciaire à Matignon est
particulièrement important quandil y a cohabitation,lorsqu’il y a peu ou pasde relationsentre
le Présidentde la République et lesministres. Le conseillerjudiciaire à Matignon esten
position d’interface entrele milieu politique et le milieu judiciaire, ce dernierétant souvent
" empruntd’une grande rigidité,réclamantbeaucoupmais n’estimant pas devoir bougeren
quoi que ce soit ".Inversementle milieu politiquea pendantlongtemps d’autantplus respecté
la justicequ’il n’y faisait rien et n’enentendaitpasparler. Danscette situation d’interface les
magistrats conseillers judiciairesà Matignon essaientd’établir des interactions : contribuerà
convaincre le corps de la nécessitéde certains changements etfaire en sorte que les
politiquesserendent compte des problèmes auxquelsl’institution judiciaire est confrontée La
situation duconseillerjudiciaire est délicate, exigeant beaucoup dediplomatie : "A Matignon
tout le mondea raison.Il faut savoirgérer lesconflitssuivantuneméthodologie detravail et de
résolution très proche decelle du juge des enfants " (31). Les magistrats conseillersdu
PremierMinistre peuvent aussi avoirun rôle politique plus général.Ils joueront d’autantplus
facilement cerôle qu’ils ont une connaissancede la société,à travers un ou des engagements
qui nesont pas strictement judiciaires mais s’inscrivent souvent dansun cadremilitant au sens
large, engagements quileur ont permisde se constituerun très large réseaude relations,
mobilisables,le cas échéant, pour résoudre certaines difficultéspolitiques40.
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Le Président dela Républiquedispose,lui aussi,de conseillers enmatièrejudiciaire
(la participation de magistrats au cabinet du Président dela Républiqueparaîtconstante depuis
De Gaulle). Jusqu’àla dernière réforme du CSM ce rôle était,pour une large part, tenu par le
secrétaire administratif duCSM. Jusqu’en 1993 le secrétaireadministratif du CSM était
nommé par décision du Président de la Républiquecomme les membres de son cabinet : " ça
s’estrenforcésous FrançoisMitterandqui a eu la mêmesecrétaire du CSM pendant presque
toute sa présidence"(47). Avec la réforme de 1993,le secrétariatdu CSM aété séparé du
cabinetdu Présidentde la République. Ona transforméle poste desecrétairedu CSM en un
poste nommé surproposition du gouvernementpar le Président dela République et par
décret. Le conseillertechnique del’Elysée, qui ne s’occupait que des grâces,y a gagnéen
poids. Il a en charge,outre le secrétariatjuridique du Président,de suivre l’activité du
ministère de la justice, de se tenir au courant del’évolution de la jurisprudence et des affaires
sensibles en matièred’ABS, par exemple, de sentir les mouvements des professionnels,être à
l’écoute des "consciences " dela magistrature et du barreau...
Les magistrats qui participentà des cabinets ministérielsont, pour la plupart. fait
partie, à un moment ouà un autre, ducabinet du Garde dessceaux, engénéral comme
conseiller technique.Le poste de Directeurde cabinet du ministre de la justice qui, sousla
IVème République a été,à 13reprises, occupépar unepersonnalité non magistrat estdevenu,
sousla Vème République, l’apanage des magistratsavecquelques exceptions, en1978, et
sous les gouvernementsde gauche41. Les ministres de gouvernements de droite,de la
cohabitation oude la succession,se sont toujours appuyés sur desmagistrats, auprofil
politique souvent marqué. Les ministres degaucheparaissentavoir moins confiance dans les
capacités managériales desmagistrats,(seul Robert Badintera fait appel à deux magistrats
comme Directeursde cabinet),utilisant leurs compétences entant que conseillers techniques.
Toutes ces fonctions, et plusparticulièrement cellesde Directeurde cabinetcommecellesde
conseiller dans les instances dirigeantes dugouvernement marquent politiquement les
magistrats quiy participent, ce qui rend parfois difficile leurretourdansle corps.
La mobilité des magistratshors de l’institution judiciaire répond ainsi à la
transformationde la place du droitdans les relations économiqueset sociales qui conduità un
besoin accru d’expertise juridique et judiciaire. L’expertisejudiciaire des magistratsconstitue
un créneau d’autantplus important que lamiseencausedela responsabilité pénale des acteurs
de la vieéconomique,politique ou administrative sedéveloppe. Les magistrats sont sollicités
en raisonde leur compétence spécifique,qu’ils peuventainsi valoriser. Mais leur sortie " hors
La documentation Française : "La magistrature ""hors les murs"" : analyse de la mobilité extra-professionnelle des magistrats"
les mursde la magistrature " va être délimitée, et d’unecertaine manièrecontenuepar la
résistance des autrescorps.
III.2. Quelles positions pour les magistrats " hors les murs " ?
Sortir de la magistrature implique, engénéral,d’aller s’implanterdans des territoires
qui sont peuplés pard’autrescorps. Ceux-ciapprécientmodérément les intrus,surtout depuis
que les magistrats peuventêtre détachésdans les corpsrecrutéspar la voie de l’ENA. Les
magistratssont enconcurrencedirecte avecles administrateurs civils et autres énarques.La
réactionde protection corporatiste est d’autant plusforte parmi les hauts fonctionnairesque,
ainsi que le soulignePatrice Maynial,la haute administrationa " une considérationmesurée
pour le droit privé ", mêmesi la situation est entrain d’évoluer.
Les magistrats ontété admis ouplutôt tolèrés, à dose homéopathique et sur des
postes juridiques etde niveauhiérarchiquepeu élevé. La majorité des postes juridiques des
administrations, chefs debureaude servicesjuridiques sont occupés nonpar des magistrats
maispar desadministrateurs civils.
Les postes dansle secteur administratif auxquels les hauts magistrats ou entous cas
les magistrats du premiergrade pourraient prétendre constituent la chasse gardée des
administrateurs civils ou des grandscorps del’Etat, et en particulier du Conseild’Etat. Les
magistrats ne peuvent ainsi prétendre occuperdespostesde sous-directeurs ou afortiori de
directeur, qui sont des postes non strictement juridiques.Il y a bien sûr moyen de contourner
l’obstacle : au ministèrede l’industrie où le corps des mines dédaigneles postesde sous-
directeur(enraisondela faiblesse relative desprimes)un magistrat occupe, enalternanceavec
un administrateur civil,le poste de sous-directeur ayant en chargela sous-direction des affaires
juridiques et du contentieux...Il est alors"chargéde sous-direction".Une exception : un
magistratrecrutécommechefde bureau puis comme chefdeservice au ministèrede la fonction
publique;(ce magistratavait acquisune compétenceparticulière et un carnet d’adresselors
d’uneformation spécifiquedont le thèmede recherche,cette annéelà, était la modernisation
du service public). Suiteà cettenomination, quin’était pas un emploi strictement juridique,
" les administrateurs civils ont eu peur: ils connaissent des difficultéspour trouver des
débouchés etsesont efforcésde mettrele holà " (7). Certesla préfectoralea étéouverte aux
magistratssansbeaucoup de difficultés,maisc’estessentiellementparce qu’ellesouffrait d’un
déficit decandidature
Les magistratsdétachésseheurtentà des corporatismes affirmés.Certainsministères,
certains corpsde l’Etat qui se sont forgés une forte culture d’autonomie et de singularité
acceptentencoreplus difficilement que les autresla venue d’éléments étrangers.Le MAE est
La documentation Française : "La magistrature ""hors les murs"" : analyse de la mobilité extra-professionnelle des magistrats"
ainsi présenté comme" un sale ministère pour les détachés " (8). Les magistratssont en
général recrutés sur un poste de secrétaires des affaires étrangères,il est trèsdifficile pour eux
de devenir conseiller car " ça bouffe un postepour les diplomates "(8) " Onnous fait vite
comprendre que la maison estréservéeaux diplomates "(41). Ailleurs, auministère de
l’économie et desfinancesla situationn’est pas forcément meilleure :" Le problèmeici est
que le magistrat est parfois unpeu le fou du roi, c’est-à-direqu’on a le droit d’avoir des idées
mais la maisonn’aime pasqu’on pilote tout; elleaimebien nous coller des énarquesà droite et
des énarques à gauche. Dans mon bureauil n’y a pas d’énarque,maisj’ai un sous-directeur
énarque etj’ai un directeur qui,parbonheur nel’est pas, etc’estsansdoute pourcela qu’il y a
un magistrat ici " (28)
Les structures interministériellespeuventêtre plus facilesà vivre pour les magistrats
dans la mesure oùle principe de l’appartenance au groupeinterministériel transcende, du
moinsdans unecertainemesure, lesappartenances corporatistes. Unmagistratdétachéau
CIRI est un " ciriboy " avantd’être un magistrat !De même le SGG fonctionneégalement
commeune sorte de club, (association des personnels du SGG et autres services dupremier
ministre) dans lequel l’origine des corps est théoriquement transcendée, ouplutôt est
euphémisée.
Les autorités administratives indépendantesdans lesquelles coexistent plusieurscorps
apparaissent également commeun lieu où les problèmes de concurrence entre lescorpssont
relativement effacés, ou en tous cas atténués :" Au Conseil de la concurrence les rapporteurs
sontdesénarques en mobilité, des magistrats,desfonctionnairesde la Direction généralede la
concurrence et de la répression desfraudes, etd’autresfonctionnaires.C’esttrès bien car nous
n’avonspas tousla même façon de travailler,deraisonner. Les relations sont chaleureuses.Le
Conseil est un lieu un peu privilégié. un peu interministérielce qui rend plus pacifique la
coexistence des corps " (38).
Il n’en reste pasmoins quela plupart hautes autorités administratives indépendantes,
considéréespar la doctrine comme des " quasi-juridictions " sontprésidées par des
conseillersd’Etat, les magistrats del’ordre judiciaire occupantune position seconde.De sorte
que l’on perçoit une certaine irritationpar rapportà la position dominante du Conseil d’Etat,
" qui a tous les postes quinous feraienttant de bien" (9)
Les magistrats mobiles expérimentent non seulementla concurrence mais aussile
poids de la hiérarchie. Au delà du prestige des institutions internationales. certains ont
expérimenté,en tant que référendaireà la Cour dejustice un " rapport féodal "(33)avec le
juge pour lequel ils travaillaient. Ala CommissiondeBruxellesc’est le caractère " pesant " de
la hiérarchiequi est dénoncé," elle est peut-êtreplus pesante quedans les administrations
françaises; les genssontobsédéspar l’avancement " (42)
La documentation Française : "La magistrature ""hors les murs"" : analyse de la mobilité extra-professionnelle des magistrats"
Si majoritairement lamobilité des magistrats se fait principalementvers des postes
correspondant au premier tiers dela carrière,il existe néanmoins,on l’a déjà vu, unemobilité
qui sedéveloppe unpeu, vers des posteshiérarchiquementélevés.Il y a bien sûr quelques
positions qui sont depuis longtemps " acquises "à la magistrature commecelle de Directeur
juridique de la SNCF.D’autressont des conquêtesplus récentes,commele poste deDirecteur
juridique et fiscal dela Caisse des dépôts,le postede Directeurjuridique dela RATP, ou le
poste de Directeur juridiqued’Air France. Dans certainspostes les magistratsde l’ordre
judiciaire ont pris uneplace qui était occupéepar des membres des grandscorps. Les
magistrats occupent désormaisquelques postes quiétaientjusqu’alors la chassegardéedu
Conseil d’Etat.
Au niveau des juridictionsinternationales qui permettaient, dansla mesure oùil
s’agissaitde nouvelles institutions, dans uncontextenon pas françaismais européen,une
certaineredistribution des cartes entre lescorps, le territoire a progressivement été plus ou
moinsréparti entrel’ordre judiciaire et l’ordre administratif.mais cettesituationne paraît pas
être stabilisée.Pour la Cour de justice " en1980,la nomenklatura du Conseild’Etat a décidé
que le postede juge reviendrait au Conseild’Etat et le posted’avocat général au judiciaire "
(18) Au tribunal de première instance des communautésc’est le principe del’alternance entre
un membre du Conseild’Etat et un magistrat del’ordre judiciaire quia étéétabli par un accord
informel entrele ministrede la justice etle VP du Conseild’Etat, quitte, commele soulignece
magistrat détaché,à ce que ces logiquesprofessionnellesse fassent audétriment de1"’ intérêt
national Par le principe d’alternance, onempêcheun juge françaisd’avoir un deuxième
mandat et donc d’accéderà la présidence dutribunal (qui requiert de l’ancienneté) " (42).
L’alternance a d’ailleurs été difficileà faire respecter !Entre la Cour européenne des droitsde
l’homme et la Commissioneuropéenne des droitsde l’homme c’est égalementle principe de
l’alternancequi a été adopté.Récemmentc’est un magistrat quiaurait dû être nomméjuge.
C’estunconseiller d’Etat quil’a été !
Les magistratsde l’ordre judiciaire estimentavoir une formation juridique plus
costaude que les énarques " Quandon voit commentla France estreprésentéedevantla Cour
de justice... lesgens qui plaident sont des diplomates duquai d’Orsayqui n’ont quasimentpas
deformation juridique. Les anglais sont représentéspar un barrister.On pourrait trèsbien faire
appelà un avocat, ce quiaurait le méritede diffuserle droit communautaire dansle barreau.
Mais ce seraits’attaquer aulobby du Conseild’Etat ! "(42)
Faceà cesluttes pour occuper et monopoliser ces postes,la stratégie préconiséepar
un certainnombre de magistrats mobiles qui sedisent " agacés " parcetteconcurrence, etle
cas échéant, en font le frais, est de faire une sorte de"dégagement entouche" en préconisant
l’ouverture de ces postesà d’autresprofessionnels, plusparticulièrementaux professeursde
droit etaux avocats, commele font d’autrespaysdela communauté.
La documentation Française : "La magistrature ""hors les murs"" : analyse de la mobilité extra-professionnelle des magistrats"
" Le gouvernement pourrait trèsbien décider que ce seraitun professeur dedroit qui
occupe les fonctions de juge oud’avocat général, ce qui estle cas pourbeaucoupd’Etats. Bien
sûr les magistrats del’ordre judiciaire et le Conseild’Etat hurleraient ! "( 18)
Si le secteur public,national ou international,reste le domaine privilégié de la
mobilité des magistrats,le secteurprivé commenceà s’ouvrir aux juges. Cette ouverture sefait
à des niveaux hiérarchiques élevés : directeurde service juridique de grandes entreprises oude
banques, soitmieux encore,conseillerparticulierdes présidentsde sociétés oude groupes.
Certes il ne s’agit pasd’un mouvement de massemais d’une tendancesymboliquement
importante.
Certains de cespostes, notammentdedirecteur ontétéconquis surle Conseil d’Etat,
ce que certains magistrats savourentparticulièrement.D’autresont été créés de toutepièceen
raison du contexte particulierde la juridicisation des relations sociales etsurtout de la
pénalisationde la vie des affaires. Lesconseillersde présidentsfont partie desplus hautes
instancesde direction de l’entreprise. Ilsoccupent souvent uneplace privilégiée hors cadre
hiérarchique de l’entreprise, doncd’une certainemesurehors compétition, créée souvent
spécialement pour eux. Unmagistrata ainsile titre de " contrôleurgénéral dugroupe ", titre
qui lui a été conférépour " asseoir son autorité ". Sapositionprochedu présidentlui permet
d’être au dessus desdirecteurs, et notammentdu directeur juridique.Tel autre magistrata lui
aussi une position singulière proche du PDG,(il est directeur, chargédemissionà la Direction
générale) et est également situé hiérarchiquement audessus duDirecteur juridique, qui estun
juriste maison, un troisième occupe conjointement les fonctions desecrétaire générald’un très
gros groupe et cellesde directeurjuridique. Dernièrement,la pressefaisait état de la venue
d’un magistrat à la Compagniegénérale des eaux, en soulignant "qu’il pourrait jouerun rôle
important auprès deM. Messier (président dugroupe)"42. Ils font partie du comité directeur
de l’entreprise, du " corporate ", et ontautorité sur ledirecteurjuridique " Le magistraqui
va dans une entrepriseprivée doit entrerpar la grande porte, caril marchesur les pieds des
autres,il développe des pointsde vue quene peuventavoir les juristes maisons; sinonla
situation n’est pas tenable"(35).
En revanche les directeurs juridiquesne font pas forcément partie du staff de
direction. Plusieurs magistrats nous ont ditavoir refusédes postesde directeurjuridique dans
des entreprises enraison de leur position subalternedans l’entreprise " Dans beaucoup
d’entreprisesle directeur juridiquefait du tout venant; lesgros problèmes ce sont lesavocats
qui les traitent.Il est clair qu’il faut utiliser les services des avocats maisn’être que dans les
mains d’audits externes,c’est ennuyeux ".(13)La présencede magistrats dans les sphères
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dirigeantes del’entrepriseconduitd’ailleursà réaménagercertaines des relationsde l’entreprise
avec les avocats, sur lesquelles onreviendra.
Quelle que soit leur position dansl’entreprise, et là qu’il s’agisse aussibien
d’entreprise privée que d’entreprisepublique, ce sont des magistrats qui sontrelativement
élevés dans la hiérarchie judiciaire (I-2 ou HH), qui se mettent, si nécessaire, endisponibilité
pour pouvoir se livrerà ces activités.C’est unemobilité de fin de carrière,qui, en général,
n’estpassuivie de retour dansla magistrature.Ils sontpeunombreuxmais leur présence est à
la fois le symbole dela pénalisation dela vie desaffaires et dela juridicisation des relations
économiques mais aussid’un mouvement de repositionnement des magistrats dansle champ
des élitesjuridiques. " J’ai connula tendance, qui est entrain de se renverser, où tous les
chefs de services juridiques desbanques et desgrandes entreprises étaient des conseillers
d’Etat. (...) Les conseillersd’Etat sont des gens très normatifs qui ont beaucoupde qualités
maisce sont pas des gens de risque.Quand on est au Conseil d’Etat,le risque estlimité. Au
Parqueton sait ce qu’est unrisque. On a eula culture du risque aussibien dans le domaine
économique quedansle domaine de la délinquance de tous les jours.J’ai toujours été admiratif
de la façon dont rédigeaient les conseillers d’Etat...ils ont un talent indiscutable,mais sur la
notion de risque dansl’entreprise, sur lesmanoeuvresqu’il faut faire pour diriger lesrisques,
c’est pas leurjob. "(35)
L’arrivée d’un magistrat dans une organisationcomme une entreprise ouune banque
ne se fait pas sansproblèmes dansla mesure oùils peuventêtre amenésà empiéter surle
territoiredes autres dirigeants. Un magistrat ayant été directeur juridique d’une banqueraconte
qu’au début les autres directeurs ont trèsmal pris ses interventions dans des domaines qu’ils
considéraient comme les leurs : " Quand le directeur financier expliquaitque telle prise de
participation à tel secteurétait vraiment intéressanteet que moi je lui disais : mais non,
attendez,il y a tel et tel risqueparceque... la premièrefois c’était mal compris " (35)Quant
aux magistrats qui sont conseillers des chefs d’entreprise, les circonstances dans lesquelles on
fait appelà eux peuventavoir poureffet de neutraliser quelquepeulaconcurrence en raisonde
la spécificitéde la compétence du magistrat qui est recherchée. " Surle plan juridique je n’en
saispas plus quele directeurjuridique mais ni lui ni les avocatsn’ont ma connaissance du
judiciaire, car les avocatsnemettent pas les pieds au palais".(17)
En situation d’interface entre l’entreprise et la justice les magistrats utilisent leur
savoir-faire leur connaissance del’institution et de ses agents,auservicede l’entreprise.Cela
setraduit notamment dansl’élaboration de la stratégiejudiciaire mais aussi dansle choix des
avocats.D’unecertaine manière, dans les entreprisesou les banques, les magistratsempiètent
sur le territoire des avocats, quine voient pas forcément d’un bon oeill’irruption d’un juge
comme interlocuteurdans l’entreprise.D’abord la venue d’un magistrat peut conduire à
réaménagerle panel desavocatsauquel l’entreprisea recours.Ensuite la venued’un magistrat
La documentation Française : "La magistrature ""hors les murs"" : analyse de la mobilité extra-professionnelle des magistrats"
dans une entreprisepeut conduire àréaménager les relationsentre l’entreprise, sadirection
juridique et les avocatsdansla mesure où c’estle magistrat quiprend en chargela stratégie
judiciaire du groupe, du moins dans sesaspects les plus importants. Presque tous les
magistratsdans lesentreprises publiques ouprivées que nousavonsinterviewés (7 autotal)
ont dit qu’ils tenaient la bride courte aux avocats, les utilisant comme desexperts endroit plus
que comme des stratèges judiciaires,par exemple pour " vérifier, valider des contrats
extrêmementpointus, rédigés par les directionsjuridiques ", ou encore en rédigeant les
conclusions que les avocats devront déposer.(15)
En sortant de l’universbien réglé des juridictions et en occupant certainespositions
où ils mettent en oeuvre leur savoir-fairejudiciaire, aussi peu nombreuses soient-elles. les
magistrats mobiles contribuent à ébranler quelquepeu le système desprofessions juridiques,
dansla mesure oùleur action conduità certaines recomposition des territoires de compétence.
Mais les magistrats ne sont pas toujours dans uneposition aussi favorable et seheurtent
souventà des corporatismes affirmés qui encadrent etlimitent leurssorties hors du corps.
Quel estl’intérêt pour ces magistratsd’aller seconfronter ainsià d’autrescorps,de
quitter provisoirement une carrière.Que gagnent-ilsà partir ainsi hors lesmurs de leur corps
d’origine. ? Il faut que ces mobilités soient intéressanteset leur permetted’accumuler
expérience, relations et autres capitaux, pour quecela justifie leur départ, fut-il de courte
durée. L’enjeu de ces stratégies d’accumulation peut s’analyser en termes de
repositionnement,de reclassement social. Mais ces stratégies ont aussi un coûtpersonnel,au
delà desconcurrences avec les autres corps. Elles nécessitentde la part des magistrats mobiles
des investissements spécifiques, et toutun travaild’adaptation.
La documentation Française : "La magistrature ""hors les murs"" : analyse de la mobilité extra-professionnelle des magistrats"
CHAPITRE IV
L’INTÉRÊT RELATIF DE LA MOBILITÉ
IV.1. Les profits de la mobilité
La mobilité est intéressanteà plus d’un titre pour les magistrats. Mais les profits
qu’ils peuvent en retirer diffèrent suivant le type de mobilité. Il y a bien sûr des profits
matériels ;mais il y a aussi d’autres profits, comme l’accroissement de compétence,le capital
de relations,le prestige, et, plus indirectement,la possibilité de se repositionnerpar rapport
aux autres corps del’Etat.
IV.1.1. L’argent et les avantages matériels
Ce sont les gains financiers des magistrats mobiles qui sont les aspectsle plus
tangibles desavantagesde la mobilité et font souventrêver les magistrats quine le sont pas.
Cetteforme deprofit estbien réelledansla plupart des mobilités, maispas systématique.Une
magistrateestimemêmeque sa mobilité - qui était justifiée par des raisonsde regroupement
familial - lui a coûté del’argent : " Moi j’ai perdu de l’argent par mon détachement;c’est
clair; nousnesommes pasforméspour nous défendre surle plan denotre rémunération, onne
le fait pas bien, ou pas du tout... on estquelques uns à nes’êtrepasbien débrouillés." (50)
Même s’il ne fautpas généraliseril apparaît néanmoinsqu’un certain nombrede
magistrats mobiles ont effectivement desrémunérations qui sont très attrayantes. Ausommetil
y a les postes dans les entreprisesprivées dont les rémunérations sont d’autant plusélevées
que les positions occupées sont singulières(conseillers desPDG). D’après les témoignages
recueillis la rémunération annuelle dépasseraitalors le million de francs. Les magistrats
directeurs juridiques d’entreprise en général doublentleur salaire, un magistrat dans une
banquegagnant ainsi en 1997, 65 000F mensuel.Mais les institutions internationales sont
aussi des lieux où les gains financierssont confortables euégard à la rémunérationdes
magistrats français. Un magistrattravaillant à la Commission,depuis longtempsil est vrai,
nousa déclarégagner plus de 60000F mensuelnet d’impôt. Ce magistratavait d’ailleurs du
mal à comprendre comment sescollègues enjuridiction acceptaientde travailler pour un
La documentation Française : "La magistrature ""hors les murs"" : analyse de la mobilité extra-professionnelle des magistrats"
salairesi dérisoire... Dans un autre organismeseuropéenun jeune magistrat a vu sonsalaire
doubler. (Sonsalaireétait déjà passé de 16000F à 20 000F lorsqu’il avait quitté son tribunal
d’instance de province pourentrer au ministère des affaires étrangères. " J’ai vu la
différence !",s’exclame-t-il.
L’intérêt pour les magistrats qui travaillent dans les organisation internationalesréside
égalementdans des conditions de travail : " Ontravaillait dansune ambianceirréelle, presque
féerique;les moyensétaient, etsont toujoursconsidérables. Un luxe de moyen est misà la
disposition du travail juridictionnel dont les référendairessont l’expression."(32) Et un autre
magistratd’une instanceeuropéennesouligne,lui aussi, les bonnes conditionsde travail qui
font ressortir,à rebours, les imperfectionsdu système national :
" Dans la magistratureil y a un problèmedont on ne parle pasc’est la lutte des
classes entregreffiers et magistrats.Là je travaille dans uneorganisation internationale;j’ai
deux secrétaires; mais mes secrétaires ellesgagnentcomme unmagistraten France, alorsla
lutte des classes, ça ne lespréoccupe pas.Ce sont des gensmotivés qui travaillent
beaucoup " (23),
Ces conditions de travail qui font rêver les magistrats de juridiction, les
rémunérations élevées paraissentpeut-êtred’autant plus nécessaires que l’indépendance des
juges doit être garantie maisaussiquele travail est parfoisingrat, certains évoquant " undroit
profondémentennuyeux"(18)
Dans les administrations françaises c’est essentiellementle régime différentiel des
primes suivant les ministères qui rendtel ou tel détachementplus ou moinsattractif, le
ministèredes finances et les ministèrestechniquesétantmieux lotis que les autres départements
ministériels, qui ne fonctionnent que surleur dotation budgétairealors que le régime des
primesdespremiers est améliorépar " ce qu’on appelle pudiquementun fondsdeconcourset
qui n’est ni plus ni moins les épices queperçoiventces ministèresdans leurs prestationsde
service".(39)
Les conditionsdetravail, les avantages en nature sont également évoquésàproposde
mobilités auseinde l’administration, notammentpar les magistrats qui deviennent sous-préfet
: maison defonction avec son personnel, voiture,chauffeur...
Même si les magistratsse défendentde n’être partis que pour des considérations
matérielles, celles-ci contribuent néanmoins,pour unebonne part, àl’intérêt de la mobilité, ce
qui concourt à rendrele retour de certains dansla magistrature,un peu difficile; on invoque
alors l’engrenage des impôts, où les traites de l’appartement achetéà crédit.
La documentation Française : "La magistrature ""hors les murs"" : analyse de la mobilité extra-professionnelle des magistrats"
D’autres au contraire rationalisent parfaitement leschangements dansle standing etla
rémunération. "Quand je dirigeais le Service...je disposais d’unbureau agréable, d’une
voitureavecchauffeur,je voyais fréquemmentle ministre,je voyageaisà l’étranger. Je suis
devenu conseiller à laCour enn’ayant pas de bureau, pas de téléphone, pas de secrétariat,pas
de voiture, et une réduction de montraitement;moi les aspects matériels,je m’en moque,
peut-êtreparceque ma femme travaille,et même il m’amuse de passerpar des douches
écossaises - maisd’autres ne supportent pas"(20)
IV.1.2. Le prestige, la considération
Partir en mobilité peut donner l’occasion aux magistrats de bénéficier d’une
considération qu’ils ontle sentimentde ne pas avoir dansleur corpsd’origine. C’est, suivant
une magistrate, l’effet du " merle blanc " : " Etre magistratparmi d’autres n’apporte
aucunegloriole.Mais être magistratparmides gens quine le sont pas, ça a une gloriole."(3)
Ce prestige du magistrat à l’extérieur ducorps,qu’il soit à hon compte oupas, uncertain
nombre de magistratsle ressentent et enretirentdessatisfactions. C’estparticulièrementle cas
des magistrats sous-préfets. Les magistrats ont étéparticulièrementbien accueillis dans ce
corps qui connaît des difficultésde recrutement assez importantes. Les magistrats sous-préfets
sont trèssensiblesà la considération dontils font l’objet dans leur corps de détachement.
" Ils placent lemagistrat surun piédestal" (29). Un magistrat résume en ces termesle bilan de
son détachementcommesous-préfet : " Ici on est respecté, on est considéré,on a du pouvoir,
ona desmoyens."(5)
Cette considérationne paraîtpas complètement indépendantede l’activité de certains
juges d’instruction, et dumouvement de mise en cause de la responsabilitépénale des
fonctionnaires :" On vientd’ailleurson a la culturejudiciaire; ils sont très friandsde profiter
de cette culture judiciaire, decette façon de réagir aux choses et aux personnes. Sur des
problèmesqui touchent à la fois le judiciaire et l’administratif on nous consulte on nousécoute, on chercheà savoir notre sentiment surl’évolution des choses quifait très peur, la
miseen cause de la responsabilité des préfets, les mises en examen,c’est déroutant,on en
parle, on échange sur ce point. " (4)
Ce prestigede la magistratureà l’extérieur, d’autresl’ont expérimenté, quece soit
dans les organisations internationales -le fait d’être magistrat est tout-à-fait valorisantet
valorisé - " on me présentecomme un magistrat français;un magistrat n’est pasun
fonctionnaire " - Les concurrences entre les juges administratifs et judiciaires,querelle
françaisepar excellence,ne concernent guère les autres membresde ces organisations.Les
magistratsbénéficientd’un reconnaissance " quel’on n’a pas dans lesjuridictions ".(41)
Dans les administrations centrales, où les querellesde territoire sont plus vivaces,le prestige
dépendde la position occupéeet du type d’activité. Les magistratsseront d’autant plus
La documentation Française : "La magistrature ""hors les murs"" : analyse de la mobilité extra-professionnelle des magistrats"
considérés que c’est leur compétence judiciaire - spécifique - qui sera sollicitée. Unepartie du
prestige desmagistrats mobilesparaît d’ailleurs être liée àl’action des juges d’instruction.
" J’ai changé d’opinion vis-à-visde certains juges qui m’apparaissaient commeun peu
extérieur à ce que le juge devaitfaire. Ils ont euun impact considérable;il ont fait énormément
debien à la justice; ça a redonné une place à la justicefaceà l’administration."(29)
Dans les entreprises aussi, les magistrats paraissentparticulièrementconsidérés,
notamment par lescorps quinesont pas concurrents." Ici c’est plein depolytechniciens.J’ai
été accueilliavec une espèce derespect qui dure toujours. Ils ontl’impressionquel’on maîtrise
un des seulsdomainesqu’ils ne maîtrisent pas."(15)
IV.1.3. L’élargissement de la compétence
Le thème de l’ouverture et de l’élargissement dela compétence constituela
justification officielle de toutes les mobilités, quels que soient lescorpsconcernés43. C’est la
raison qui légitime le départ, à propos delaquelle il n’est pas déplacé de s’étendre(à la
différence des profits économiques).
Pourla magistrature c’est unethème récurrent.il a étéparticulièrementutilisé par les
partisans de l’Ecolede la magistrature, quijustifiaient l’existenced’une écolepar la nécessité
dedonner aux futurs magistrats, surle modèlede l’ENA, une compétenceélargie.44 Maxime
Leroy, juge de paixhonoraireet membrede l’Institut évoquaitainsi, en 1955, ce quedevait
être, selon lui,cetteécole : " Je voistrès bien cetteécole du magistratétablie à un carrefour
universitaire sur lequel donneraientla prison,le palais,les facultésde lettres,de médecine,de
droit, et quelques grandsservices économiques,notamment l’admirable Service de la
statistique généralede la France, ainsi quele Conseil national économique, lorsqu’il sera
utilement réformé.Il faudrait que les jeunesgens préparésdéjà à l’exégèse des textespar les
cours actuels, fissent dans cette écoleun assez long stage oùleur seraitplutôt montré, in anima
vili qu’enseignéex cathedra,la complexitédes faits qu’ilsaurontà connaître, autrement que
sous la forme stylisée d’une règle de droit ou de conclusionschicanières. Les candidats
magistratsseraientainsi initiés concrètementà la viede la prison, à la psychologiecriminelle,
à lacomptabilité bancaire, au mouvement économique,à centautreschoseslà où il convientde
les étudier,dans une prison, dansun service deBicêtre ou de Sainte-Anne ou dansune
banque ".45 Le projet était défendupar une fraction dela magistrature quivoyait, danscette
nouvelle compétence formaliséeà travers une école, un élément essentiel duprocessus
La documentation Française : "La magistrature ""hors les murs"" : analyse de la mobilité extra-professionnelle des magistrats"
d’affirmation de la magistrature commeun corpslégitime et compétent, susceptible delutter
contre le déclassement social quila menaçait.Si la situation de la magistrature n’estpas
exactementla mêmeaujourd’hui, lesobjectifs recherchés à traversla mobilité ne sont pas
sensiblement différents puisque, audelà de l’accroissementde soncapital de compétencese
profile toujours la perspective de réévaluer saposition dans l’espace social.
Le thème de l’augmentation et de l’enrichissementde l’expérienceest, bien sûr, le
thème sur lequel reviennentle plus volontiers les magistrats détachés. Cet élargissementva de
la transformation del’état d’esprit du magistratà l’acquisition d’un certain nombre de
compétences générales ou particulières.
Certains magistrats mobiles estiment quecette expérience hors lesmurs estessentielle
pour la magistrature : " c’est unesorte dedébridage de l’esprit et despersonnalités.Il faut
aller vivre sa vieavantderégler celledesautres.Jepense qu’onne peutpasexercer cepouvoir
fondamentalde juger si on n’a pas été confrontéà d’autres modes de pensée,à d’autres
logiques,à d’autresréalités quipermettentde relativiserle pouvoir que vous avez,de vous
insérer dansla réalité. (...) Le droit peut fonctionner surlui-même;ça peut être parfaitement
logique, et sortirun résultat complètement dépourvude pertinence;et cela me paraît êtreun
danger considérable; ça conduit l’institutionjudiciaire à une endogamie judiciaire,à une sorte
d’asphyxic totale. Ouvrons lesfenêtres, respirons. Faites sortir les gens etfaites les
revenir."(20)
Quelques exemples montrentde quelle manière les magistrats enrichissentleur
compétencepar leur expérience de mobilité.
. Devenir pourun temps conseiller detribunal administratifparaîtêtreune expérience
qui offre undépaysementrelatif dansla mesureoù le droit et la procéduresont différentset où
la culture du corps des conseillers n’est pasexactementla mêmeque celle de la magistrature
judiciaire. Cela permet de " découvrir une autre manièrede rendre la justice, selonune
procédure différente, en appliquantun droit trèsspécifiqueà des litiges d’une autrenatureet
d’un autredimension,d’évoluer dansun mondequi n’est plus le mondejudiciaire mais qui
n’est pasencore celui de l’administration, voilà quine peut être qu’enrichissant pour quiveut
continuerà apprendre ".En fait il s’avèrequeparmi les magistrats qui deviennent conseillers
administratifs, beaucoup ont une formation dedroit public desorte quel’on peut penserqu’il
s’agit, du moins pour une part, davantaged’une réorientation professionnelle que d’une
perméabilitéentre les corps.(Sur les17magistrats conseillers des tribunaux administratifs,au
moins 8 ont une formation endroit public). Néanmoins l’instauration d’unecertainefluidité
entre lescorpsjudiciaire et administratif n’estpas sansintérêt dansun contextegénéralde
recomposition duchampjuridique.
La documentation Française : "La magistrature ""hors les murs"" : analyse de la mobilité extra-professionnelle des magistrats"
. L’expérience dans lesautorités administratives indépendantes,notamment en
matièrede régulation économique estsouventprésentéecomme étant susceptibled’élargir
sensiblementla compétence des magistrats financiers.Ainsi ce magistratissu du parquet
financier de Paris - " expérienceaustère et qui manquait d’ouverture " - , découvre à la COB
" un domaine financier plus vaste, unerégulation quin’était pas uniquement pénale ".Cela
lui a permis de " déployer ses connaissances enmatière commerciale, deprotection de
l’épargne ", de " restructurer sa conception dela régulation en matièred’appel àl’épargne,de
protection des investisseurs".(26) Un autremagistratissu du bureau de droitcommercialdu
ministère de la justiceestime quepour lui " le détachement aété essentiel;cela m’a permisde
comprendre un certain nombre de trucs qui se passent sur les marchés etdansl’entreprisemais
aussi decomprendre que les choses ne sont passi simples ...qu’il y a parfois des confusions
entre des habiletés commerciales et les éléments constitutifsde l’ABS ... il est indispensable
que le magistrat qui fait du financier s’ouvre au milieu, comprenne les mécanismesde
fonctionnement del’entrepriseet les mécanismesde fonctionnement desmarchés"(49). Cette
compétence est d’ailleursbien souvent reconnue puisque les magistrats dela COB sont
fréquemment sollicitéspardes organismes ou entreprises extérieurs qui veulent les débaucher
afin d’importer leursavoir etleur savoir-faire.
. Dans lesjuridictions européennes les magistrats acquièrent une compétence "dans
un domaine qui n’est pasun droit en plus mais un droit qui a des conséquencestrès
importantes sur l’exercice juridictionnel auplan interne".(32) Non seulementils développent
leur savoir. leur connaissance dudroit communautaire,mais aussileur savoir-faire à travers
une connaissancepratique du fonctionnement d’institutions; ces compétences constituantun
bon investissement pour l’avenir.
. les magistrats en entreprise publique ouprivée, dans une banque ou au barreauqui,
sauf exception,ne reviendront pas dansla magistratureet ont pris unecertainedistance,
soulignent,eux aussi, l’intérêt que représenteleur mobilité. Il y a, bien sûr le thème de
l’ouverture que développe ce magistrat, directeur du service juridique d’une entreprise
publique : " En tant que directeur j’appartiens auComitéde directionde l’entrepriseet suis
associé à la gestiond’un établissement de prèsde 40 000 agents. Ca vousouvre l’esprit, c’est
une autre dimension !"(15)
Il y a bien sûr la connaissancede l’entreprise, des impératifs de rentabilité,de
l’ensemble des questions juridiques qui seposentau seind’une société de production oude
service.Il y a aussi un autre aspectdel’ouverture que soulignent les magistratsenentreprise :
c’est la découverte del’autre côté de la régulation judiciaire, c’est-à-dire découvrir ce quise
passe en amont de l’intervention du juge. " Dans mon métier : exercer des poursuites
judiciairescontre les gens d’entreprise, quelque choseme choquait terriblement; c’est que je
venais comme lescarabiniers,aprèsla bataille. Dans cetype de contentieuxvous intervenez
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années après l’incident, ou aprèsla mort de l’entreprise;x annéesplus tard, onvenait dire à
quelqu’un ce qu’il aurait du faire ...(10)
Il y a aussi un autreregardsur la justice, dufait de l’extra-territorialitédu magistrat
mobile. Un magistrat fait ainsi état de ce qu’ila découvert, lorsqu’ilétait dans une banque,le
coût dela préparationd’un procès.Il considère qu’ily a un décalageentre le coût de cette
préparation pourle ou les justiciables, fussent-ils des banques, etle coût trop faible que
consacre la justice étatique au règlement des conflits.
Dans l’entreprise certains découvrentenfin quele pouvoir n’est pas forcément là où
ils croyaient : " jem’étais toujours imaginé quej’avais un pouvoir énorme. Maintenant,je ne
suis pas sûr que ce soit là qu’est le pouvoir ".(17)
. Plus lesmagistrats sontloin de l’institution judiciaire et plus ils ont tendanceà
rationaliserleur mobilité, à en soulignerl’intérêt intellectuel. Les sous-préfets sontd’autant
plus enclinsà montrer combienl’expérienceest intéressante pour eux quecette mobilité est
récente. Les magistratssous-préfets quenous avons rencontrés se disentextrêmement
satisfaitsde leur situation. Leur satisfactionest justifiée par l’acquisition d’un nouvelle
compétence,qualifiée de " compétencegénéralede la vie quotidienne ", de " culturede
l’appareil d’Etat ", de " culture dela chose publique ".Le contactavec les élus,avec les
associations, la " connaissanceconcrète etréelle de la responsabilitéde chacun dans la
société ",la connaissance de " toutes lesactivitéssociales, municipales,connaître toutce qui
existepour traiterde la précarité, duchômage ; c’estnotremétier quotidien en sous-préfecture
d’harmoniser toutes cesaffaires, cespalliatifs à la précarité, ces aidesà l’emploi, on préside
des tas de commissions, onsait commenttout ça fonctionne " (4). Il s’agit donc d’une
connaissancede la vie ordinaire qui n’est passans intérêt quand on prétendtraiter de ses
dysfonctionnements.
L’expériencedans la préfectoralepermet de découvrir la relativité du pouvoir du
procureur. " J’ai découvert quela justice ne se rendait pascompte quele pouvoir c’est le
préfet,mais pasle procureur.Le préfet il sait tout avant. Les magistrats ne connaissentpas le
fonctionnement de l’appareil d’Etat"(51)
La documentation Française : "La magistrature ""hors les murs"" : analyse de la mobilité extra-professionnelle des magistrats"
IV.1.4. Le capital social
Les magistrats mobiles accroissentleurcompétence,leur savoirmais c’est également
leur capital social, " leur carnet d’adresse" que les pratiques de mobilités permettentde
développer. Un magistratsouligne tout ce quesaprésenceà la Commission des communautés
lui a permis d’acquérir : " Ici c’estun milieu international;on domine 15 droits nationaux, on
côtoiedes gens de 15 origines différentes.On a des contactsavec le patronat, les syndicats
professionnels des 15 Etats "(44).
Le capital social que les magistratspeuventse constituer lorsd’une mobilité est un
investissementàla fois àlong terme et àcourt terme. A travers lesmobilités les magistratsse
font connaître comme desgens compétents,avec lesquelson crééedes liens, ongarde le
contactet qui pourront,le cas échéant,être sollicités, ultérieurement. Maisle capital social
acquispar les magistrats au cours deleur mobilité peut leur permettrede valoriserrapidement
leurs nouvelles compétences par des réorientationsprofessionnelles, de nouveaux
détachements.
L’intérêt d’être détaché dans des juridictions européennes oudans les autres
institutions de l’Europe réside également dans l’inscriptiondans un milieu international de
juristes, susceptible de constituerun réseau d’interlocuteursde qualité. Les magistrats
acquièrent ainsiunevisibilité et unenotoriété d’autantplus grandeque le droit communautaire
compte encorerelativementpeu d’experts en France. " Pendant 3 ans etdemi j’ai été
complètement immergédans le droit communautaire.Il faut dire qu’il n’y a pasgrand chose
d’autre à faire à Luxembourg. Aubout d’un an j’écrivais des articlesdans de nombreuses
revues,je faisais des conférences ...En généraltoutes lesportes voussont ouvertessans
difficultés. " (33.) Un magistratdans uneorganisation européennedit avoir bénéficié d’un
formidable " coup d’ascenseur professionnel"(23). Il s’est constitué une expérience
considérable et un vaste carnet d’adresse qu’il espère pouvoir négocier dansla magistrature ou
ailleurs. Demême,de jeunes référendaires oulecteurs d’arrêtsvont pouvoir capitaliserleur
expérience soit à l’intérieurde la magistrature soità l’extérieur en intégrantle barreau ou les
institutions européennes (ce qui est assez fréquemment le cas).
On a déjà mentionné que les magistratsde la COB, encontactpermanent avecle
monde économique étaient extrêmement courtisés, etpouvaient trèsfacilement, s’ils le
souhaitaient, pantoufler ou obtenird’autres détachements.
Les comités interministérielssont égalementdes lieux où l’on se constitue uncarnet
d’adresse important, quipeut d’autant plusêtremobilisé et valorisé quele label magistrat est
quelquepeu revalorisé. " Actuellement c’estsmart d’être magistrat;Je suis convaincu queje
passetrois coups defil et j’ai trois propositions dans l’administration. Dans uncabinet
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ministériel c’est bien d’avoir son magistrat. Al’Inspection des finances onme dit de venir
parce quec’est plus marrant d’avoir unmagistrat qu’un sous-préfet ..."(37).
Toutes les mobilités ne se valent pas en ce qui concerne la structure des profits
qu’elles permettent. Certainessont très intéressantes pour les magistratspar l’importanceet
les différentesformes de capitaux qu’elles permettentd’acquérir. Les magistratsauront
d’ailleurs tendanceà minimiser les éventuellesdifficultés qu’ils rencontrent. D’autressont
moins enthousiasmantes, que cesoit au plan de la rémunération, del’intérêt du travail, du
milieu professionnel.
Mais si les mobilitéspermettent l’accumulationd’un certainnombre de profits elles
ont aussi un coûtpersonnel, qui n’estpasuniformemaisn’en estpasmoinsréel.
IV.2. Le coût personnel de la mobilité : l’adaptation nécessaire et parfois
difficile de l’habitus professionnel
Hors les mursprotecteurs de la justice que ce soit par l’intermédiaire d’un
détachement,d’une mise à disposition oud’une disponibilité les magistratsportent une
nouvellecasquette,exercentde nouvelles fonctions. Cesfonctionspeuventêtre caractérisées
parleur plus ou moinsgrandeproximité par rapport à l’institution judiciaire. Si toutesexigent
du magistrat unerelative adaptation,celle-ci n’est pas du tout du mêmeordre pourtoutesles
mobilités. Etrejuge au Tribunal depremièreinstancede la Cour de justice des communautés
européennes exigede s’adapter à un univers sensiblement différent maisavec des fonctions
qui prolongent les fonctions judiciaires.Il y a unecertaine continuité entre les deux.Lorsqu’un
magistrat enfile l’habit de sous-préfet, c’est-à-dire pénètre dans un milieu sensiblement
différent pour yexercer des fonctionsd’autorité sous lesordres d’un Préfet.il doit adopter
une nouvelleculture et mettre une certainedistancevis-à-visde ses anciennes fonctions oude
ses anciens collègues.Il en est demêmequandun haut magistratdécide d’intégrerle barreau
ou de conseiller le PDG d’une grosseentreprise. Il devient alors défenseur d’intérêts
particuliers, ce qui està l’opposé de la missiondujuge.
Les magistrats mobiles doiventgérerla rencontrede deux univers,de deuxcultures,
abandonnant certains éléments constitutifsde la premièrepour adopter des élémentsde la
seconde.Le passagede l’état de magistrat enjuridiction à celui de magistratmobile n’est pas
toujours simple et nécessite non seulementde s’adapterà une nouvelle situationmais aussi
certaines précautions, afinqu’il n’y ait pasde confusion de rôles.La questionpeut êtreposéeà
propos de toutes les mobilités,de tous les corps.Mais elle prend unedimension particulière
lorsqu’il s’agitdes juges, ces derniersétant investis d’un pouvoir important et étantde ce fait,
porteursd’un certain nombrede valeurs :impartialité, indépendance ...qui, en général, ne
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peuvent pas êtreprises encompte dela même manière dans leurs nouvelles fonctions.
Commentsefait alorscette mutation ? Etcommentse faitle retour dansla culture d’origine ?
Les magistrats mobiles revendiquenttrès haut leurappartenance àla magistrature,et
même ceux qui ensont le plus éloignés etqui, selontoutevraisemblance, ne reviendrontpas
dans le corpsjudiciaire se montrent extrêmementattachésà leur titre de magistrat. Certes,
comme onl’a déjà vu, quitter la magistrature, même provisoirement, n’est pastoujoursfacile.
Il est encoreplus difficile de " défroquer " lorsquel’on a considéré quela magistratureétait
un sacerdoce, ou, en touscas, unevocation.Mais l’appartenance àla magistratureconstitue
aussi ce qui permetaux magistrats de sevendre à l’extérieur, autrementdit, leur " fond de
commerce ", elleleur permetaussi de se protéger des partenaires ou desmilieux un peu trop
envahissants ou déplaisants.C’est, enrègle générale, entant que magistrats qu’ils sont
sollicités, bien que, danscertainscas, le lien ne soit pas toujours évident.L’attente àleur
égardest différentesuivant lesinstitutions etpeut concerner aussi bien leursconnaissances
juridiques queleur connaissance etleur savoir-fairejudiciaires ou encore les valeursdont ils
sont porteurs.
Quitter la famille judiciaire pouraller exercerd’autresfonctionsnécessite des’adapter
à un autre milieu culturel, professionnel.Il est, en général, nécessaired’y faire des
investissements spécifiques etde mettreentreparenthèseune partie des éléments importants
de l’identité professionnelle des magistrats, notamment, unecertaine limitation de son
indépendance46.
Ce processusd’ajustementpour le magistrat, entre cequ’il est, ce qu’il connaîtet le
nouvel universdans lequel il doit s’intégrer, l’attente que l’on a à son égard est parfois
difficile; il arrive mêmequ’il échoue. Certains desmagistrats interviewés ont évoquéle cas
d’un magistrat " rapatriésanitaire " d’un détachement et celuid’un autre,dont le détachement
surun poste de préfet de police dansle sud dela Francen’a pas franchementété couronnéde
succès.D’autres ont fait état de leur " souffrance ", desdifficultés considérablesqu’ils ont
rencontrées. Si les échecs flagrants sont exceptionnels, les adaptationsdifficiles sont moins
rares; quelques magistrats ontvu avecsoulagementleur retour dansla magistrature. Un
magistrat déplore l’absence de décision qui caractérisesafonction dans un service dépendant
du PremierMinistre et " le côté artificiel de l’urgence:je ne supporte plusl’urgence qui
s’autocrée; 90% desgens sont fascinés parça; je l’ai été, mais j’en ai assez;j’ai besoin de
retourner sur deschosesconcrètes"(2)
La documentation Française : "La magistrature ""hors les murs"" : analyse de la mobilité extra-professionnelle des magistrats"
Quelques exemples montrent cetravail d’adaptation qui diffère beaucoup suivantle
type de mobilité.En fait il noussemblequ’il faut différencier les adaptationsrequisessuivant
qu’il s’agit de mobilitésdans des universrelativementproches dela justice, comme les
mobilitésversd’autres fonctions judiciaires, ou encore lesmobilités vers desfonctions detype
généraldansle cadre duservice public, quin’impliquent pas véritablement derévolution
culturelle chez le magistratmobile - à l’exception toutefois des mobilités sur les postesde
sous-préfet qui occupent une positionparticulière-, et les mobilités versle secteur privé,
secteur hautement concurrentiel et gouvernépar la recherche duprofit, dans lequel les
magistrats mobiles deviennent les défenseursd’intérêts privés, ce quiexige une adaptation
beaucoup plus importante, " un saut dans l’inconnu ".
Travailler dans les institutions européennes,travail qui nemobilise pas forcément les
compétences spécifiques des magistrats, nécessite, suivantun magistrat qui y estdétaché
depuis plusieursannées, uneacclimatationcertaine;non seulementil s’agit de connaître des
domaines nouveaux, maisil faut également s’habituerà une culture particulière. " Ici le choc
des cultures est tel quesi vous vousy acclimatez, au boutd’un certaintemps, çavous change
fondamentalement. Vousn’êtes plus le même; ce qui rend le retour difficile "(43) Non
seulementil y a cette adaptationculturelle, à propos de laquelle les magistrats insistent
volontiers, en soulignant égalementle mode de relations entre lesagents qui estmarquépar
une certaine familiarité, une absencede protocole - qui ne caractérise pas vraimentl’univers
judiciaire - mais aussi une hiérarchiepesante, "un processusde décision quiest parfois
opaque ", autrement dit uneindépendance très encadrée, que lesagents soient fonctionnaires
ou agents contractuels.
De même exercer desfonctions dans les juridictions européennesnécessiteun
investissementintellectuel important sous la forme d’une immersion totale dans le droit
communautaire,de " s’imprégner d’une réglementation odieuseet ennuyeuse". mais
l’expériencede magistrat facilitel’adaptationautravail proprement dit que ce soit les fonctions
de référendaire,de juge ou de lecteur d’arrêt. On reste dansun univers judiciaire, dansun
travail de rédaction ou d’instruction qui estrelativementfamilier aux magistratsmême si le
modedefonctionnement est sensiblement différent, les jugesbénéficiantdetoutes les garanties
d’indépendance.
Le détachementdans lestribunaux administratifsnécessitelui aussi uneadaptation
qui est d’ailleurs extrêmement organisée puisquele magistratdétachése trouve formé de la
mêmemanière que les énarques et autres fonctionnaires en détachement. Un magistratrappelle
que le magistrats judiciaires qui incorpore une promotion de futurs conseillers administratifs
" est appelé, probablementplus qued’autres, à faire preuve d’humilité. Magistrat il a
l’habitudede décider et croitsavoirrédiger rapidementun jugement, estimant, volontiers, que
la technique dela rédactionn’a plus de secrets pourlui. En réalité il découvre rapidement que
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la rédaction d’une décisionpar le juge administratif obéit, sous la houlette sourcilleuseduConseild’Etat, à des règles bien précisesdont il ne sauraitêtre question des’affranchir ...47
Les mobilités effectuées au sein des administrations nécessitent, en général, des
ajustements de la part des magistrats quidécouvrent une culture administrativedont ils ont une
connaissance très imparfaite, côtoient d’autres corpsprofessionnelsaveclesquels ils ont des
relationsparfois concurrentielles,participentau travail de productionde la loi, rappellent, le
cas échéant, laloi. Les ministères se différencient, certainsétant " dessalesministères " pour
les détachés,d’autresétant plus accueillants. Néanmoins " ilne faut passecacher ladifficulté
parfois d’intégrer unsystème plus contraignant quele sien du point devue hiérarchie"48. Un
magistratsouligne ainsila nécessitéd’une reconversion lorsquel’on est détaché dansune
administration, en l’occurrence au ministère des affaires étrangères. " Quand j’étais juge
d’instance, j’étais seulmaître à bord. Arrivé en administration centrale, ceà quoi il faut
s’habituer,c’est la perte de son indépendance :ne pas signerle moindre bordereau, être
corrigépar quelqu’unqui, lui-même, est corrigé;mais c’est une formidableécolede rigueur,
de discipline;j’ai appris àécrire et à rédiger".(23) Cependant,aujourd’hui, le magistraten
administration centralereste peut-êtredavantage magistratqu’il ne l’était auparavant, car ses
compétencesjudiciaires sont davantage sollicitées.
Plus dépaysantes et nécessitantdavantage une adaptation de son habitus
professionnel sont les mobilités sur despostesde sous-préfets. Commentpeut-on du jourau
lendemain quitter uneprofession dontl’indépendance, notammentpar rapport aupouvoir
politique constitue la préoccupationcentrale pour devenir un fidèle servant de pouvoir
exécutif ?C’est laquestion que se posent uncertain nombre de magistrats,notamment des
magistratsmobiles49..: " On voit des magistratstrèscombatifs surle plande l’indépendancede
la magistrature, de la justiceet qui courentcommedes lapinsà des postesde sous-préfets où
ils seretrouvent dans des situations où ils sonttrèséloignésde l’idéal qu’ils avaientaffirmé et
qui vont revenir après, je me demandecommentils font psychologiquement pourassumertout
ça. " (32)
Un autre magistrat souligne lacontradiction : " qu’est-cequ’il y a de plussoumis au
pouvoir central ? c’est le sous-préfet; quia la plus granderevendicationd’indépendance ?
c’est la magistrature.Il y a eu des échecssplendides.Quand on est procureur onn’est pas
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préfet. Cesont des fonctionstrès antinomiques. Cela neme serait jamais venu àl’idée d’aller
faire le préfet "(35). Mais cetteréactionest loin d’être généraleparmi les magistrats mobiles.
La plupart d’entre eux estiment très intéressantecette possibilité, même si la perte de
l’indépendance en est le prix. Lesmagistrats sous-préfets s’efforcent d’ailleursderelativiser ce
prix en estimant d’abord queleur image d’indépendance n’est pas indifférente àla bonne
réceptionqu’ils ont eu dans le corps. Les sous-préfets sontextrêmementsensibles aufait que
des gens qui incarnent l’indépendance viennentdansun corps qui symbolisela dépendance,
mêmesi quelquesnuances modulent ce constat. " Ilme semble que beaucoupd’entre eux
apprécientle fait qu’on ait été professionnellement des gens indépendants.Jecrois qu’ils ont
l’impression, et à juste titre,qu’onne peut pas perdrecetteindépendance d’esprit.Je bénéficie
d’une présomption de sincéritéqu’il est d’autant plus facile d’avoir que je ne suis
théoriquement que de passagedansle corps,par rapportà tous nos collèges sous-préfetsissus
du sérail, qui ne comptent pas en sortir. Moi,si onm’ennuietrop, si je suistrop aux ordreset
queje ne supporte plus ça, si les ordressont imbéciles,je rentre àla maison ... onest très
libre; 10ansd’indépendanced’esprit ça ne se perdpasquandon changedecorps. "(4)
Renoncer provisoirementà leur indépendancene posepasvraimentde problèmesaux
magistrats sous-préfets.Il s’agit, selon eux,d’un changement de casquette qui est parfaitement
réversible. Pourillustrer leur propos ils s’appuient surdeuxexemples.Le premierconcerne
lestribunauxadministratifs etla Cour des comptes. " Lesjuges administratifs fontla navette
entre les corps,le corps préfectoralet les juridictions administratives;et s’il y a des gensqui
sont indépendants, ce sontbien les juges administratifs " Il en estde mêmepour les jugesde
la Cour descomptes, " quisont d’une indépendance redoutée "; " pour eux c’est tout-à-fait
naturel d’allersur le terrain seconfronterà la réalité quotidienne deschoses qu’ilsauront à
juger j’ai l’impression qu’ils gagnent enindépendance.Et en plusils ne sont pasprotégés
par un statut aussi fortement quenous. "(4). C’est aussi la position d’un conseiller
administratif en mobilité, que nousavonsinterviewé : " Quelqu’un qui estjuge et qui part en
détachementdansl’administration il a des réflexesde juge, il a une liberté, c’est ça quile
caractèrise, et ça ne va passansheurts."(53).
L’autre exemple estcelui du Parquet. L’argument estlà ausside relativiserla question
de l’indépendance en faisantun rapprochemententrela situationdes sous-préfetset celle des
magistrats duParquet, qui sontsoumis à la hiérarchie, elle-même soumise au pouvoir
politique, via lesProcureursGénéraux. "Le sous-préfet estle représentantde l’Etat demême
que le magistrat du Parquetest le représentant du Garde dessceaux "(5). Onne voit pas
d’objectionà ce que les magistrats passent duSiègeau Parquet,c’est-à-dired’une situation
d’indépendancecomplèteà une situation de dépendancerelative.L’argumentest utilisépar les
magistratssous-préfet : " Lavie d’un sous-préfet n’est pas différentede la vie d’un
substitut, pired’un un substitut général, ou encored’un procureur;ils disposentd’un certain
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pouvoir local et, en même temps ont un contrôle trèsfort, suivant les PG,de la part du Parquet
Général.Il n’y a pas de différences entre lesdeux modesde fonctionnement.Le secrétaire
générald’un ProcureurGénéral a unrôle équivalentau Directeurde cabinetd’un préfet... "
(29)
De fait les magistrats sous-préfets viennent souvent duParquet50. Cetteappartenance
au Parquet les rendrait, suivantle ministère de l’Intérieur,plus facilementadaptablesà leurs
nouvelles fonctions, dansla mesure où ils ontdéjà l’expérience de l’obéissanceà une
hiérarchie. Mais aussi parce que " un magistrat du Parquet sait ce quec’est qu’une
permanence et ce qu’estla gestion d’une crise "(5). Mais il y a aussi maintenant des
magistrats du siège, assez souvent desjuges d’instruction, et même un président de tribunal !
En montrant que leur situationn’est pas très différentede celle d’autres corps
juridictionnels ou même de celle de la magistraturedu Parquetles magistrats sous-préfets
cherchentà banaliserleur situation. Maisquelle que soit la conception qu’ils ontde leur
dépendance ou de leur indépendanceil n’en restepas moins que les magistrats sous-préfets
représentent le pouvoir politique. Cette appartenance va les conduire à certains
réaménagements dans les relationsavecles autres magistrats, plus précisément avecceux qui
sont enpostedans les juridictions avoisinantes.
En effet le changementde casquetten’est pas toujours aussi aisé que les magistrats
mobiles veulentbien le présenter. Les magistrats en juridictionseméfient des magistratssous-
préfets.Ce qu’ils craignentpar dessustout c’est que leurs collèguessous-préfetsmélangent
les rôles et prétendent intervenir dans les affaires de la justice envoulant, en particulier,mener
l’action publique,ouen tous casla contrôler.Des magistrats mobilesdansd’autres domaines
ont fait part des"piresennuisqu’auraientcertainsde leurs amis procureurs avec des magistrats
sous-préfets "(35).La gestion de ces situationsexige de mettre une certainedistance et
d’investir dans la forme, d’être très respectueux des prérogatives et des procédures pour
baliser et respecter le territoiredechacun. Les magistrats en juridiction considèrent que " l’on
estpassédansun autre campavec lequel ils doivent garderleursdistances",(4) limitent leurs
relations avec les magistrats sous-préfets austrict nécessaire.Quantà ces derniers,ils disent
connaître les règles,savoirqu’il y a des chosesqu’ils ne peuventpas faire vis-à-vis d’un
parquetierpar exemple;" il n’est pas possible queje donnemon opinion surl’opportunité de
poursuivretelle ou telle infraction dans mon arrondissement. Chacunfait son travail dans son
secteur " (4). Mais comme l’exprimecet autre magistrat sous-préfet " çapeut démanger
parfois "(5).Et deciter l’exempled’un chauffard ayant renverséet tué une fillette alorsqu’il
roulait à vive allure dansun village. Le chauffard n’a pasété " mis au trou "; ce quin’a pas
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été compris parla population du village. " Jene peux pas me permettrede téléphonerau
procureur;il prendrait cela très mal;je le lui dirai lors d’un cocktail ".(5)
Dans un domaine radicalement différent, passerde l’univers judiciaire à celui de
l’entreprise estpour le moins dépaysantet pas toujours évident,Il faut faire ses preuves.
Lorsque cemagistrat estarrivé dans l’entreprise G, " certainsse sont demandés ce quevenait
faire unprocureur dans l’entreprise.Il a fallu les convaincre que j’étais utile.J’ai du m’adapter
très vite.Mais j’ai aussi eu de la chance. J’étaisici depuis un an quandil y a eu la privatisation;
c’était un sujet passionnant oùla placedu juridique était très importante.J’ai participé àla
petite équipe qui a mis enplace la privatisation - avec le Trésor, bien sûr - et cela m’a
certainementpermis de gagner des moisd’efforts depopularité. Cela m’a permisde " prendre
place" (10)
L’entrée etl’intégration dansl’entreprise estsouvent facilitée par la pratique d’une
spécialité qui intéresse particulièrement les entreprises : droit boursier, droit des sociétésou par
le passagepar un organisme,commela COB, qui constitue unesorte d’interface entre le
mondedel’entrepriseetde la banque et lemondejudiciaire. Plusieurs magistrats ontexprimé
le sentimentd’avoir fait " un grandsaut ",particulièrement quand ils quittentle secteurpublic
pour le secteur privé, certes,comme l’exprime certains, " avec un parachuted’acier "
puisqu’il y a toujours une possibilité deretour dans la maison mère dela magistraturesi
l’acclimatation ne se fait pas. Rares sont lesmagistrats qui démissionnentde la magistrature
(s’ils le font c’est qu’ils sont arrivés à la limite des possibilités légalesde mise en
disponibilité);ils cherchent toujours à prolonger aumaximum leurmise en disponibilité,non
qu’ils envisagent forcémentderevenir dansla magistraturemais parcequeleur appartenanceà
la magistrature, et doncla connaissancequ’ils ont de la justice, des gensde justice constitue
leur spécificitéau sein l’entreprise, ce que les juristes maisonn’ont pas et que lesavocats
n’ont, pas suffisamment, Lesmagistratsdoivent s’adapter tout en préservantleur spécificité.
Les banques, les entreprises sont des univers structuréspar des notions, telles quele profit. la
concurrence, quinesont,pour le moins,pasfamilières à la magistrature.Même les entreprise
publiques n’échappentpas à ces contraintesmême si elles sont moins féroces Quellesque
soient lesfonctions occupées au seinde l’entreprise, les magistrats doiventintégrer ces
préoccupations. "Il faut une grandefacilité d’adaptationpour passer du montrefeutré de la
magistratureau mondede tueursde l’industrie... je suispersuadéque çane peutpas être tôt
dans la carrière quel’on peut fairecela ".(17)
Devenir directeur juridiqued’uneentreprisepubliqueou privéc demandeau magistrat
de mobiliser non seulement sonsavo i rjuridique et judiciaire mais aussi deconnaître
l’entreprise,de se transformer en manager pourgérerune équipede juristeparfois importante.
Cequ’il fera d’autantmieux qu’il a déjà eu une expérience auseindela justice. L’un desdeux
magistrats directeurs de servicesjuridiques dans une entreprisepublique que nous avons
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rencontréavait à la fois une importante expérience en administration centrale -notammentde
directeur - et une expérience de chef de cour qui ont pu favorisercette adaptation.L’autre avait
une expérience de chef de juridictionqui, elle aussi,constituaitune première expériencede
direction d’une organisation.L’un comme l’autre avaient plutôt une compétencejuridique
générale. A l’inverse le magistrat directeur du service juridiqued’une entrepriseprivée n’avait
guère d’expérience de management maisune spécialisation juridique confirmée,ce qui
correspond davantageà la demande del’entreprise(qui, en l’occurrence estunebanque).
Néanmoinsêtre magistratdans uneentreprisepubliqueest différentd’être magistrat
dans une entreprise privée.D’abord parce que les magistratsy sont détachés etque, par
conséquent,leur carrièredans la magistraturecontinue, du moinsjusqu’à un certain point -
cettesituation estd’ailleursestimée très scandaleusepar des magistrats occupant des positions
similairesdansle secteur privé - ensuiteparceque l’idéologie du service publicest forte et
constitue un dénominateur commun entrel’entreprise publique et l’institutionjudiciaire. De
sorteque ces mobilités paraissentplus acceptables,pour lescorps, moinsrisquée pour son
image, quecelles dansle secteur privé.
Ce sont surtout certaines mobilitésvers le secteur privé qui demandentune
transformation assez importantede leur habitus professionnel.
Les mobilités vers les banques trèsspécialisées, en particulier, nesont pas toujours
faciles,dansla mesure où cela exigeun gros investissementdans desdomainestrès pointuset
évolutifs dudroit bancaire.Si la plupart des magistrats quipartentdans lesbanques sontdéjà
spécialisés endroit bancaire ou des sociétés,quelques unsne le sont pas. oupas
suffisamment.L’adptation estalors d’autant plusdifficile que le travail demandé est très
différent de celui du magistrat enjuridiction, fut-il spécialisé. Un magistratestime avoir
beaucoupsouffert pendant deuxans, etne se considère toujourspas commeun juriste de
banqueconfirmé." L’on est sortide la lettre de change.L’acte de crédit classiquene permet
pas des’enrichir. Il y a une pertede rentabilitésur lesactivitésclassiquesde la banque.En
plus le banquiern’estplus le fournisseurexclusif desentreprises.La rentabilité ne peutvenir
que de nouvellesprestationsde service aux entreprises : on doitproposer desmontages
complexes sur des situationsdefait qu’on ne rencontrepas dansune carrièretraditionnellede
magistrat."(14) Ce magistratestime quecette activité au sein de la banquea exigé de lui
" beaucoup de sacrifices ", etqu’il est littéralement " asphyxié ".
Un autre magistrata égalementfait étatde certainesdifficultés d’adaptation àl’univers
de la banque.Le métier de banque estde plus en plussansfrontière; " ne pasavoir une
véritableculture internationale (notammentbilinguisme avecl’anglais)m’a pesé ". La gestion
des hommesde la banque n’est pas facile quandla compétition est incessante, quand les
salaires sont renégociés chaque année...le fait que je sois extérieur leura évité une guerre
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interne ! "(30). On estloin de l’universprotégé dela magistrature et dela fonction publique
en général. Cette expérience, parfois difficile, dansun univers hautement concurrentiel conduit
le magistrat à se recentrer sur ce qui constitue saspécificité : cette expérience " lui a apporté un
plus grand respect desprincipes juridiques fondamentaux. Les juristes d’entreprises ont
tendance à seprendre pour des hommesd’affaire et à utiliserle droit comme une recette. Les
jeunes qui ont fait un stage aux Etats-Unisn’ont pas de vraie culture juridique. Avoir unevraie
culture juridique, une culture profonde, avoir le respect du droit fondamental constitutele seul
moyen de s’adapter ". (30)
Un autre magistrat quiparaîtparfaitementbien intégrédansune banque internationale
très spécialisée se définit comme étant " un magistrat au service dela banque. C’estcomme
si la banqueavait pu se payer les servicesd’un magistrat qui estlà pour luidire : voilà la bonne
règle; cen’estsupportable que comme ça.C’est totalement impensablequ’ils puissentme faire
faire des choses quine seraient pas régulières ". Sonattachementà la magistrature,il l’a
montré lorsque, aubout d’une période dedisponibilité, qu’il avait exigée, la banquelui a
demandé de démissionner " afin qu’on sache où vous êtes ".L’échéance venue ce magistrat
n’a pas pu rédigersa lettre de démission,une telle démarchelui étant psychologiquement
impossible.Ce dilemme a finalement été résolupar samise en retraite, quilui a permis de
devenir magistrat honoraire,donc de rester magistrat tout en satisfaisantà l’exigence de la
banque (qui neseraitd’ailleurs probablement plusla mêmeaujourd’hui) : " je continued’être
magistrat.Dans monbureauj’ai toujours maplaque de premiersubstitut !"(16)
A la fois plus simple et plus complexe estla situation desmagistratsqui sont
conseillers dePDG. En marge des directions juridiques, et au dessusd’elles leur spécificité
réside, encore davantage qu’ailleurs, dansla très bonneconnaissancequ’ils ont du système
judiciaire, des procédures etdela culture judiciaire.En fait, ils utilisent la connaissance qu’ils
ont du système contrele système.Pour rester performant surce créneau,il est donctrès
important pour eux d’entretenirleur culture judiciaire.
Il s’agit de trouver un équilibreentre la conversion aux nouvelles fonctions, qui
impliquent d’êtreloyal à l’égard de son nouvelemployeur : " Jefais partie de ma nouvelle
maison;j’y suis intégré corps et âme ", tout en entretenant cequi constitue soncapital
spécifique :la connaissance dujudiciaire, la connaissance des procédures,de la jurisprudence
et surtout,le réseau de relations au Parquet.Il s’agit d’utiliser la connaissanceintime que l’on
a de l’institution auservice d’intérêts privés.Il est essentiel pour ces magistrats d’entretenir
des bonnes relations avec lesmagistrats desparquets. Celapasseen généralpardes invitations
à déjeuner, par des invitationsà participer à certains événements du typeRoland Garros, ou
autres, quientretiennentla convivialité. L’opération n’est pas toujours simple, desfaux-pas,
des dérapages ou desconfusions pouvant seproduire. La frontière n’est pas toujoursnette
entre maintenir de bonnesrelation avec le Parquet etfaire du lobbying.Tous lesmagistrats en
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entreprise privée insistent sur le faitqu’ils n’ont pasintérêt à tenter des opérationsde lobbying
car ils se discréditeraient complètement aux yeuxde leurs collègues et perdraient, dumême
coup, leursourced’information. Ce qu’ils disent rechercher enrencontrantles magistratsdes
Parquets relève de l’impalpable.C’est " tout unclimat, toute une perception des choses qui est
à eux et dont ils vous parlent".(35)
" Si un magistrat part duservice dela justice uniquementpour faire du lobbyingil se
trompe. Clairement, ce seracontre-productif,parcequand on s’en va il faut savoir que les
collèguessont assez chatouilleux surleur indépendance, etqu’ils ont raison d’ailleurs. Peut-
être les entreprises ont-ellesla tentation de faire venir des magistrats quiconnaissent les
dossiers qui les concernent ...C’est une erreur psychologique importante.Le corps va se
sentir violé ! Les magistrats dans les entreprises sont passésde l’autre bord. Il n’est pas
interdit de continuerà voir ses copains quisont dans la magistrature mais il faut savoir
managerdefaçon intelligente et avec prudence.Si vous lesvoyezuniquement pourleur casser
les pieds avec vos dossiers vous allez perdrebeaucoupdecrédibilité. Quelquefois ce sontdes
magistrats qui ontun dossier quivous concerne qui vousen parlent ... alors là on est à
l’aise ". (35)
Il n’en reste pasmoins que lesentreprises privées qui ont recoursà un magistratpour
prévenir ou guérir d’éventuels problèmes judiciaires, suscitent beaucoup de méfiance ausein
du mondejudiciaire et des magistrats mobilesqui restent dansle secteurpublic. Ainsi une
magistrate, très en contact avecle monde de la financeet de l’entreprise déclare-t-elle" ne
jamais déjeuner avecun hommed’affaires mis enexamen "(13). Unautre, détachéà la COB,
a annulé brusquementun stagequ’il organisait pour les auditeursde l’ENM dans une
entreprise privée, lorsquele PDG de ladite entreprisea étémis en examen, augrand dam de
son collègue qui était dansl’entreprise.
Dans un autre domainesetransformer enavocat d’affaire quandon a été longtemps
magistrat exige également beaucoupde doigté et de prudence.Là aussiil faut que le magistrat
devenu avocatsoit particulièrement respectueuxde la forme,évite toute familiarité pour ne pas
semerla confusion.Ainsi cet avocatancienmagistratmet toujours sarobe d’avocatlorsqu’il
va voir unjuge d’instruction ouun parquetier,pour bien affirmer que c’est désormais entant
qu’avocat qu’ilintervient51.
Ce magistratd’un rangélevé devenuavocatsait quele changementde rôle n’est pas
facile, dansla mesure oùla scènerestela même :le tribunal. Il évite, de ce fait de trop plaider
car " c’est gênant de plaider devant d’anciens collègues "(46) et préfère le travail de
consultation, oùil est moinsvisible. Il estimeavoir changéde monde, en passant dusecteur
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public ausecteurprivé, du " secteurprotégé "au " secteurexposé ". Il est montédans " le
bateau qui sebat sur le marché dudroit ", où les avocats sont des " commerçants dudroit "
où " le justiciable est unclient qui paie, donc qu’il faut gagner " (46); Il parle du choc du
monde de l’argent, de la lutte surle marché du droit quioblige àéliminer ceux quine sont pas
assezperformants, dela préoccupation constante dela rentabilité. Ses nouvellesactivités
l’amènent également à modifier quelquepeu ses relations avec ses anciens collègues.
" Maintenant je suisdéfenseur ;toutes mes connaissancesje m’ensers contrele système;c’est
un système écrasant,surtoutpour lespetits;j’utilise toutemaconnaissance du systèmepour
résister ausystème."(46)
Cesont leurs compétences juridiques,bien sûr, mais aussi etpeut-êtresurtout, leur
connaissancede l’institution judiciaire qui intéressent les organismes ouorganisationsqui
souhaitent avoirla collaborationdemagistrats. Les adaptions exigées diffèrent suivant leslieux
de mobilité. Peu dechose encommun entre les adaptations demandéespour l’exercice de
fonctions dans des institutions européennes etcellesrequisespar l’exercice des fonctionsde
sous-préfet.Si beaucoupde magistrats mobiles disentleur attachementà la magistratureil n’en
restepasmoinsqu’un certainnopbred’entre eux ont véritablementchangé de campet qu’un
certain nombre deprécautions sont nécessairespour éviter les confusionsde rôle. Ces
précautionssematérialisentdansla procédure, dansce que l’on peut considérer commedes
" investissementsde forme "52- port systématiquede la robed’avocat,prisede distanceentre
magistrats sous-préfets et magistratsde juridiction, refus du lobbyingetc.- qui permettentla
fluidité des corpssansconfusion de rôle, dumoins en théorie.
En fait les magistrats mobiles s’adaptentaucoup par coup, augré des opportunités.
La mobilité n’est pas, onl’a vu, unepratiquetrès développée, et,à la différence des grands
corps,la stratégie collective estpeu développée.
La documentation Française : "La magistrature ""hors les murs"" : analyse de la mobilité extra-professionnelle des magistrats"
CHAPITRE V
UNE STRATEGIE COLLECTIVE FAIBLE
La capacitédes grands corpsà se déployer versl’extérieur se fait d’autant mieux
qu’elle s’inscrit dans unevéritable politique de mobilité à laquelle participentà la fois les
autorités ducorps et lesmembres individuels.La puissanced’un corpsà l’extérieur apparaît
très liée " à sa cohésion interne qu’elle nourrit en retour "53. Chaque membre ducorps
bénéficie personnellement de l’augmentation du prestige ducorps suivant le principe des
" prestiges communicants"54. Le Conseil d’Etat encourage ses membres et les conseillers des
juridictions administrativesà partir en détachement,considérant qu’il s’agit de " l’intérêtbien
comprisde la juridiction administrative "(53).La situationde la magistrature, estloin d’être
équivalente.
" Loin de savoirgérerle corps commele font les grands corps, Conseild’Etat, corps
des mines, qui savent,avecintelligence,placerleurs gens,favoriser l’essaimage, étudier les
possibilités deretour, tout cela dans l’intérêt généraldu corps, nous c’est rigoureusement
l’inverse. C’est un corps suffisamment individualiste,replié sur lui-même pour ne pas
supporter cecôté là".(10)
S’il y a aujourd’hui uncertain développement des détachements et des autresformes
de mobilités endehorsde la magistrature, on est loin dela volonté expansionniste quiest
presque consubstantielleaux grands corps.La mobilité ne concernequ’un petit nombrede
magistrats etneparaîtguèreêtre soutenuepar l’ensembledela magistrature.Corps engrande
partie provincial peu concernépar un phénomènequi apparaîtavant toutcomme parisien,
estimantêtre confrontésà des problèmesde sous-effectifs importants que lesdétachements
risquent d’aggraver, lesmagistrats en juridiction sontpeu enclinsà soutenir ce mouvement,à
reconnaître qu’ilpeutêtre porteur d’aspects positifs pourle corps. Ils le sont d’autantmoins
que la mobilité est une pratique hétérodoxepar rapport à leur habitus professionnel.La
magistrature, rappelons-le s’est construite surune culture de fermeturerelative par rapport à
l’extérieur. Vouloir sortirde la magistratureestconsidéré,à la limite, comme une désertion.
La documentation Française : "La magistrature ""hors les murs"" : analyse de la mobilité extra-professionnelle des magistrats"
" Les résistances ducorps, la technostructureinerte et passive se manifestent à traversune
hostilité àl’égard de ceux qui sontdétachés et de ceux qui sont en disponibilité ". (18)
Les magistrats mobilesnemanquentpasd’arguments pour justifierl’intérêt collectif
deleur expérience extrajudiciaire, que ce soitpour la magistrature, pourla justice etpour le
ministère de la justice. A la différence des grandscorps pour lesquelsl’intérêt des pratiquesde
diffusion à l’extérieur relève de l’évidenceles magistrats mobiles, entous cas uncertain
nombre d’entreeux, sesentent obligésde démontrerl’intérêt de leur démarchepour la
magistrature. Ilsargumententd’autant plus que les magistrats enjuridiction se montrent pour
le moins réservés,disent-ils, quantà l’intérêt collectifde ces pratiques.C’était d’ailleurs une
des raisons dela création, en 1991,d’une associationdestinée à regrouper les magistrats
détachés, misà disposition ou endisponibilité; il s’agissaitde mieux expliquer l’intérêt de la
mobilité auxmagistratsrestés en juridiction, aux chefsdejuridiction, auministèrede la justice
autrementdit de " valoriser lesdétachements " tout en faisantbénéficier " l’ensemble des
magistrats des expériences acquises dans les organismesprivés par les magistrats détachés ".
Mais l’association des magistrats détachésa peu de chosesà voir avec les associations des
grands corps, qui gèrent lesintérêtcollectifs et individuels de leurs membres.
Par leur expériencehors de la magistrature les magistrats mobilesestiment gagner
ainsi un capital deconnaissances,générales ou particulières, quibénéficieà l’ensembledu
corps.D’ailleurs un certain nombre de magistrats mobiles s’efforcentde faire bénéficier le
corps des acquisde leur expérience " hors les murs ". Un magistrat détaché dansune
juridiction européennesouligneainsi la nécessitéderedistribuer ses nouvelles connaissances :
" Une de mes fonctions est defaire connaîtrece qui se passe ici aux juristes
français.Le magistrat en détachement doit avoirle souci de rendreà son institution " (18).
C’est aussi de façon plus directe par la participation à la formation initiale ou
permanentedes magistrats que les magistratsmobilesjustifient l’intérêt de leur expérience
extrajudiciaire pour le corps. Un certain nombrede magistrats en détachementestiment
" donner beaucoup " à lamagistrature, " renvoyer l’ascenseur " dèsqu’ils le peuvent.Ce
sont souvent des magistrats qui occupent des positions institutionnellesdont l’intérêt est
évident pour lamagistrature, dans les juridictions européennes,par exemple : " Sivous saviez
ce quej’ai fait pour la magistrature ici.J’ai fait les premiersstages pourl’ENM; j’ai trouvé
l’argent.j’ai fait mille et une conférenceà Pariset à Bordeaux;je me suis occupé dustagede
3èmeniveau deformation professionnelle endroit communautaire. Je crois que le corps
réalise ce que les détachés lui apporte quand ilssecomportentbien "(19).
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Dans un autredomaine,celui du droit économique ou du droit financier, des
magistrats détachésà la COB ou dans des organismesfinanciers contribuent égalementà la
formation des magistratsdans ces domaines ausein de l’ENM.
En gagnant en compétences spécifiquesc’est l’imagede la justice etdeses juges dans
son ensemble qui se trouve rehaussée. Eva Joly, quicontribue,parmi d’autres,à rehausserle
prestigede l’institution par l’image d’une grandecompétence a développé saconnaissancede
l’entrepriselors d’un passage au CIRI, auministère de l’économie et des finances.
L’ouverture sur d’autres cultures qui permet desortir du milieu du droit et
d’appréhenderla société,le monde économique,le monde administratif,dont les magistrats
connaissentpeu de choses,voire ont quelquesidées toutes faites, estégalementimportante
pour le corpsbien que plusdifficilement transmissible. Ainsi ce magistrat qui estallé à la
COB témoigne-t-il de son expérience :
" Le contact avec des gensd’autresmilieux nousa apportéénormémentde science,
énormémentde pratique; cela nous a appris à dépasser notre propremilieu du droit. C’est
l’aspect que j’essaie de vendreà mes collèguescar cette incompréhension des différents
mondes est quelque chose de fondamental.Ce monde du droit que beaucoup considèrent
encorecomme le monde dela chicane, et cemonde dela finance que le monde dudroit
considère commele monde des mauvais coups, des truquages, desmontages,de la
spéculation... cegenrede contact permet devoir qu’il y a des gensde grandebonne volonté
qui sebattent pour leurmaison etqu’il faut lesaider àévoluer en disant : iln’y a pas que des
valeursde rentabilité,il y a des valeursde transparence. d’éthique, d’égalité.Et eux de nous
montrer que lesdirigeants d’entreprisecréent desrichesses, des emploiset qu’il ne faut pas
non plus leur casser les reinspar l’application de n’importe quelle sanction, procédure.Donc
de la compréhension réciproque,tout en restantsur ses gardespour un certain nombrede
choses."(49)
C’estégalement en rapprochant, au niveaulocal les magistrats et les représentantsde
services décentralisés del’Etat (DRIRE, DDE.. . ) ou des entreprises nationales par
l’organisationde sessions deformation surle risquequi permettentà la fois aux responsables
de l’entreprisede mieux connaître la justice, les risques juridiquesqu’ils encourent,mais aussi
aux magistratsde comprendre commentmarche une entreprise etdonc de prendre des
décisions en meilleure connaissance de cause.
Même lesmagistrats qui sont dans des entreprisesprivées estiment qu’ils pourraient
apporter beaucoup dechosesà la magistrature,à la justice, si toute fois la justice daignait
s’intéresser à eux.Il y a biensûr les stagespour les auditeurs,maisplus encore.
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" J’occupe desfonctions àcaractère juridique, ce quin’est pas aux antipodes dece
que fait un magistrat, çapeut intéresserl’un ou l’autre... Pour en resterau secteur privé,la
demi-douzaine de magistrats quenous sommespourraitsous une forme ou uneautreapporter,
je pense, uncertain nombre de chosesà leurscollègues en juridiction, àla chancellerie,à
l’ENM. Tous ces gens,comme moi, ont gardécette immenseaffection pour le corps... je
pensequ’on serait à même de fairebénéficierla chancelleriede réflexions surun tasde sujet,
defaçon parfaitement officieuse, clandestine, sije puis dire " (10)
En sortant dujudiciaire pour aller dans des administrations, des entreprises, des
organismes financiers, les magistratscontribuent à faire connaître le droit et la justice, à
rappelerla règle dans leslieux où son usageétait ignoré ou oublié,à la diffuser, et donc à
développerle rôle du droit et des juristes.En contribuantà revaloriserle rôle du droitdans les
entreprises, dans les administrations, en sensibilisant aurisque juridique et judiciaire, les
magistrats mobiles accroissentle capital de prestige dela magistrature et des juristesen
général. D’ailleurs les magistrats détachés s’assimilent parfoisà de véritablesmissi dominici
de l’institution judiciaire. " Le détachementc’est le prestige du corpsà l’extérieur de la
justice. "(15)
Les magistrats mobiles ont essayéde développer, dans unecertainemesure, une
stratégiedegrandcorps en s’organisant,car, commele soulignecettemagistrate. " il nefaut
pas tout attendre dela chancellerie;il faut savoir bouger " (50). Ils s’efforcentégalementde
faire en sorte que lespositionsqu’ils occupent dans des administrations ou autres institutions
restent acquises àla magistrature.D’où leur souci de trouver un successeurmagistrat
lorsqu’ilsquittent un détachement.La perte de la Direction de la Gendarmerienationalea été
extrêmementmal ressentiepar le magistrature : " c’est insupportable ! " (3)Mais ces
pratiques,mêmesi elles sont souvent efficaces,ne constituent pasvraimentune politique de
mobilité.
L’intérêt de la mobilité, uncertain nombrede ministresde la justice disent enêtre
convaincus. Depuis une vingtained’annéeson a assistéà l’émergenced’un discours officiel,
àquelquesprises de position des politiquesà l’égardde la mobilité des magistrats, ce quiest
un phénomène nouveau.Ainsi en 1978, lorsd’unecérémonie consacréeaux 20 ansde l’Ecole
de la magistrature,le présidentde la République - lui-même membred’un grand corps -
exhortait la magistratureà s’ouvrir vers l’extérieur en souhaitant quedes magistrats soient
candidats à des fonctionsà l’extérieur ducorps55. La volonté d’aménager etde structurer les
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sorties de magistrats aégalement étéréaffirméepar des Gardes dessceaux commeHenri
Nallet56 ou Jacques Toubon;le premier ayant défendula loi de février 92 qui permet aux
magistratsd’être détachésdans des corpsrecrutéspar la voie de l’ENA, avecen échange,la
possibilité pour cescorps de pouvoireux aussi venirdans le corps judiciaire,sousforme de
" détachement judiciaire ". Lesecond,quant à lui, a montré sonintérêt pour la questionen
prenant l’initiative de réunir l’ensemble des détachés, en faisantétablir un annuaire des
magistrats détachés ou mis à disposition et, enfin, en s’engageantà neplus lestenir à l’écart
des publications desoffres depostes, toutes mesures destinéesà " répondre " ausentiment
d’abandonressenti parnombre dedétachés.
Le thème de l’ouverture estun thème qui est facilement défendablepar les Gardes des
sceaux.Il n’est pas nouveauet peut être utilisé dans différentescirconstances :il s’agit de
favoriser les détachements pourpermettre àla fois " l’aération ducorps " par l’acquisition
d’"une connaissance renouveléede l’administrationet de la société " etfaire bénéficier les
institutionsd’accueil des " valeursmorales " et des " compétencestechniques quisont celles
des magistrats"57. Mais simultanémentil s’agit de nepascontrarierle corps, ne pasperturber
le cours de la justice enprivant les juridictionsde magistratsqui ne seront pasforcément
remplacés,alors querégulièrement l’insuffisance dunombre de magistratsdans certains
tribunaux est dénoncée.
Alors, comme le note cemagistratdétachédans uneinstitution européenne : " Tout
le mondesedéclare favorable au détachement, tous lesGardes des sceaux,tous les Directeurs
des services judiciaires ... mais ças’arrêtelà. Le discours esttenu mais jamais suivid’effet " .
(18) De même ce magistrat, endisponibilité dans une entrepriseprivée dénonce les
" rodomontadesrégulières desGardes dessceaux " sur " la nécessité quele corps
essaime ".(10) Ou encore,comme le souligne ce magistratdétachédans une entreprise
publique : " onn’a pas fait cequ’il fallait en matièrede détachementfautede moyens: et puis
on n’était paséquipé pour se vendre"(11)
La volonté du ministère d’impulserune ébauche depolitique de mobilité de la
magistratures’estnéanmoins traduite au débutdesannées 90par une augmentation dunombre
de détachements, etpar un soucidediversifier leslieux demobilité. Cette opérationa été,il est
vrai, facilitée par des contraintesde gestiondu corps. " Le momentallait arriver où on ne
pourrait presqueplus recruter caril y avaitun tarissement des départsà la retraiteet on n’était
pas sûr quel’on pourrait organiser lesconcours.Donc si l’on voulait continuer à recruter il
La documentation Française : "La magistrature ""hors les murs"" : analyse de la mobilité extra-professionnelle des magistrats"
fallait faire partir des gens en détachement ! " (32) Lapolitique de mobilité est donc enpartie
liée àune certaine fluctuation deeffectifs desmagistrats en juridiction. " Ily a des moments
où c’est opportun de mener unepolitique de détachementet des moments où çàl’est
moins " (49)
Mais pour faire partir les magistratsil fallait trouver despostesd’accueil, plus
précisémentleur ouvrir un certain nombre de corpsde l’Etat, habituellement approvisionnés
par l’ENA. Les discussions interministérielles ontétédifficiles, les possibilitésd’accueil dans
la magistrature, condition dela réciprociténe pouvantêtre tout-à-fait équivalentes àcelles
concernant un autre corps. " Fairevenir des membresd’autrescorps dansla magistratureest
difficile du fait dustatut. On a étéobligéd’inventerune machineà gaz ...on faitvenir les gens
pour 5 ans : c’est beaucoup plus compliqué "(31). L’équilibre est encore instable. Les
magistratsseméfient des recrutements extérieur, fussent-ils temporaires. Selonun magistrat
mobile la commission d’intégration chargéed’examiner les demandesde détachement
judic ia i re "a une conception trèsminimaliste et très restrictive du détachemient de
fonctionnairesdansle corpsjudiciaire. Orsi on est trèsferméà l’égard des détachementsde
fonctionnaires dansle judiciaire, cela vainduire des réflexes restrictifscôté fonction publique
et il y a des détachements quine seferont pas"(32)
Le nombre de détachements’estaccru et surtout de nouvelles possibilitésde mobilités
ont étéouvertesaux magistrats, comme,par exemple,la possibilité d’être détachésur des
postes de sous-préfets. Ce nouveaudomaine de détachementa été effectivement ouvertsuite à
une action prospective du magistrat desservices judiciairechargé des détachements.
Cependantl’incertitude de la politique demeure,illustrée par la discontinuitéde l’action du
ministèrede la justice que représentele non remplacement, pendantplusieurs mois,et à au
moins deux reprises, dumagistrat qui s’occupe des détachements,lui-même parti en
détachement.Le détachement est considéré commeunepratiqueintéressantemaisdont le statu
reste secondaire58.
Les magistrats mobilesestimentnéanmoins très insuffisantela politique de mobilité
du corpstantde la part dela chancellerie, quede la part desorganesde gestion ducorps. Ils
ont le sentimentde sortir de la galaxie judiciaire, de sortir de la zone d’attraction de la
magistrature.Il s’ensuit, chez beaucoupd’entre eux, un malaise certain. Beaucoupde
magistrats déplorent dene plus existerpour leur corps d’origine. La création del’association
desdétachésn’estpas sansrelations avec ce malaise. " Onse sentait très orphelin; en plusle
départen détachement estsouvent brutal. Onest brusquement coupéde tout lien, de toute
communication,de tout document venantde la chancellerie;on se sent lâché; c’est un
sentiment très désagréable.On aeu envie de se regrouper car notreidentité de magistrat
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demeuretrèsforte; nousy tenons et à partir du moment où on ytient on se sentplus solidesi
on se groupepour la faire valoir "(50)
Très nombreux sont les magistrats qui déplorentle peu d’attention de leur
administration de tutelle à leur égard.
" Jen’ai pas de relationsavecle ministèrequi ne suit pas ses agents.Il ne lestraite
pasbien.C’estune grossièreerreur de ne passoutenir les détachements"(24)
" Est-ce que lesDirecteurs des services judiciairessont intéressés desavoir ce que
fait un détaché ? Je ne crois pas.Je crois que monposte est intéressantpour la magistrature.Je
n’ai pas l’impressionqu’il le sache.Si j’étais directeurdes Services judiciaireset quej’avais
un magistrat pourla premièrefois au ... (organisme européen)je prendrai mon téléphoneet
l’appellerai pourlui demanderce qu’il fait etc.. Les détachementsc’est géré mais c’est pas
pensé.C’est dommage maisje m’en tamponnele coquillart ! " (23)
" J’aiquelques relationsavec la chancellerie carje connais les directeurs.Mais je ne
suis pas sollicité par la chancellerie. C’estmoi qui leur propose.J’ai l’impression d’être un
peuquémandeur !" (18)
Un magistrat travaillantdans unautre organisme européenregrette aussi que les
magistrats détachésne soient pas "suivis " par leur administration nationale. " Certainsde
mes collègues sont, eux aussi, envoyés par leur capitale, mais ils sont suivis, onleur
demande deschoses,on fait passer des messages.La France aurait intérêt à utiliser ses
détachés ...vous vousoccupezde tel dossier,notre positionc’est ça, nous serionsintéressé
de voir telle évolution... jamais ! ilsne s’intéressentpas du tout ! Il m’est arrivé de proposer
mes services à l’ENM... gratuitement, ils avaient juste le voyage à payer... on ne m’a jamais
invitée ! Quand des magistrats détachésà la Commission proposent leurs services
bénévolement çane les intéressepas ! Personnellementcela ne me dérangepas, mais c’est
pour la France !c’estce que les autres Etatsfont ! " (44)
La distance estencore plusforte - et plus fortementressentie - lorsque les magistrats
sont " passés "dansle privé (et sont alors endisponibilité)
" Jamaisun Garde dessceaux nes’est intéresséà X. Y, ou moi ... jamais, non pas
parceque lui, gardedes sceauxne s’y intéresseraitpas lui-même... maistout est fait par le
corps judiciaire qui l’entoure, son cabinet, ses directions, pour que nousne soyonsplus à la
surfacede la terre... on est passé, probablement, ducôté de l’enfer, ou, entous cas, on est
tombédans untrou ... commecela, onne gène plus personne. (...) " Dupremier jouret
jusqu’à maintenantj’ai compris quej’étais considéré commeun pestiféré, un galeux,un
transfuge, untraître à lapatrie età la cause ... alorsje doisdire que celane m’était pasvenu à
La documentation Française : "La magistrature ""hors les murs"" : analyse de la mobilité extra-professionnelle des magistrats"
l’esprit. Que l’on ne me dresse pas untapis rougesi je voulais retoumer dansle corps c’est
une autre question ... maisétant en dehors ducorps, neportant préjudiceà personne,n’ayant
pasbloqué deposte - dès queje suis parti j’ai étéremplacé -je pensais queje ne seraispas
victime d’un ostracisme particulier. Orj’ai constatéque je suis instantanément tombéaux
oubliettes, délibérément ... jen’existe plus ... je suis toujoursmagistratmaisje n’existe plus
dans lesdossiers de la chancellerie ...plusrelié à quoi que ce soit, rien,c’estle silence ."(10)
L’autre question qui préoccupe les magistratsmobiles, en dehors dufait d’être
" lâchés " par la chancellerie concerne les conditionsde réintégrationdans la magistrature.
Les grands corps, particulièrementle Conseil d’Etat, oula Cour des comptes, saventréintégrer
leursmembres partisvers d’autres horizons et qui souhaitentrevenir; pour la magistraturele
problème est plus délicat, plussensible,tant cette pratiquen’est pas ancréedans leshabitudes
professionnelles, mais aussiplus compliqué.La magistrature est une carrièrepour laquelleles
postes hiérarchiquement élevés sontrelativement peu nombreux et sont convoités par
beaucoup de magistrats.
Les magistrats mobiles sont nombreux à envisagerleur retour avec une certaine
appréhension. L’impression qui dominechez les magistrats mobiles est qu’ " ily a toujours
ausein ducorpsjudiciaire et des instances commela commission d’avancementun préjugé
plutôt défavorable àl’égard des détachés"(11). Toutes lesmobilités ne posentpas les mêmes
problèmes. Ce ne sontpasuniquement les mobilitésà des niveaux hiérarchiques élevés, des
mobilités particulièrement "intéressantes ", dans desorganisations internationales, dans
certaines organisations économiques, oumême dansla préfectorale, qui posent des problèmes
de réintégration. Les magistrats détachés dans des administrationsà de niveaux hiérarchiques
peuélevéssont loind’être dépourvus d’exigencesquantà leurs réintégrations.
Estimant avoirfait des efforts d’adaptation,avoir fait des investissements,avoir
gagnéune sorte de plus-valuepar rapport à leurs collègues de juridiction en allant se
confronter avec le vaste monde, beaucoupdemagistrats mobiles disentne pas vouloirrentrer
dansla magistrature dans n’importequelle condition. Uncertain nombre d’entreeux ont eu
des responsabilités, parfois importantes, dirigés des services comportant beaucoupde
personnes, fréquenté des élites,travaillé dans des conditionsmatériellesgratifiantes,gagnéde
l’argent aussi. Certains ont acquis deréelles compétences quipeuvent être très utiles à
l’institution. Ils ont aussi découvertqu’ils valaient quelque choseà l’extérieur de la
magistrature,qu’ils étaient en quelque sorte " vendables ". Cela n’est passans modifier
quelquepeu le regard qu’ils ont surla magistrature. Ils souhaitentrentrer dans la magistrature,
maispasà n’importe quelprix, ainsi que l’exprime cejeune magistrat : " Jeconsidère que
j’ai acquis une certaine expérience.Jeveux bienrevenir dansunParquet si on me garantit que
j’aic une carrière financière.(...) Sinon j’ai mieux ailleurs "(37), Un certain nombre de
magistrats en détachement soitdans lesorganisations internationales,soit dans la sous-
La documentation Française : "La magistrature ""hors les murs"" : analyse de la mobilité extra-professionnelle des magistrats"
préfectorale, soitdans des entreprises nous ontdit leur hésitation à rentrer, considérant que
s’ils ne pouvaient pas réintégrer àun poste suffisamment intéressantpour eux, ils préféraient
reconduire leur détachement, voire intégrer d’autrescorps. " Ce quirisque d’arriver,si la
magistrature ne sait pasréintégrer ses détachés, c’est que ce soit les autrescorps quiprofitent
de la formation donnéepar le corps judiciaire, sans aucun retour."(29)
Certainsmagistrats mobiles dénoncent les prétentionsexcessivesdecertainsde leurs
collègues : " Peut-être que beaucoup dedétachésavaient le défaut d’arriver comme des
grands seigneurs endisant : moi moi moi, qu’allez vous me donner ? Lesdétachésse
comportaient parfois comme desgens qui avaient faits de gros efforts et qu’il fallait
récompenser.Jepensequ’il ne faut pas prendre les choses comme ça,commela récompense
personnellede quelqu’un maisplutôt les prendre sous l’angle du profit que l’on peut tirer
pour la justice de cette expérience que ces gens ont accumulé.C’est une erreur d’arriveravec
des prétentions."(32)
Qu’un certain nombre demagistrats mobilesaient des exigences enmatière de
réaffectationne peut que heurter les stratégieset l’habitus professionnel des magistratsen
juridiction. Le corpsva mal réagir si la mobilité consitueun raccourci pourla carrière,une
manièredebrûler lesétapes, - en ayant fait, enquelquesorte, " lajuridiction buissonnière "
et,desurcroît, en gagnant del’argent -alors que les magistrats enjuridiction se confrontentau
travail quotidien d’une justice demasse pas toujours très gratifiante,dans des conditions
matériellessouventmédiocres. et suiventle long cheminement dela carrière.
" Je suis convaincu que ceux qui ontsuivi uncursus plus classiqueont, vis-à-vis de
ceux qui reviennent,le sentiment des ouvriersdela première heureà l’égard des ouvriersde la
onzième heure.C’est clair. Je crois beaucoupquecette mentalité cléricale à laquelleje faisais
référencese traduit dans une sortede discréditjeté sur ceux qui partent, quelque part,ils
défroquent. Leschosesévoluent sans doute un peu. Maintenant certains magistrats non
détachés trouvent valorisant quecertainsmagistratsportent un peu le flambeaude l’institution
à l’extérieur.Mais je nesuis pas sûr que ce soitle sentiment dominant quiest : vous cherchez
fortuneà l’extérieur,nevenezpas maintenant manger dans notreécuelle;on est là,petit peta,
on a monté les échelons, on arrive,la langue pendante,à l’écuellede croquettes quel’on attend
depuis 15ans ... et vous, vous arrivez,vous vous ruez dessus : cela ne va pas du
tout ! " (20)
Ce sont les instancesde gestion du corps qui s’occupentde la réintégrationdes
magistrats mobiles.L’attitude du CSM, etde la chancelleriepour les magistrats duParquet,est
souventappréciéede façon critique : " Revenir dansle judiciaire aprèsun détachementest
souvent problématique,la chancellerie oule CSM refusantde leur donner des emploisde
responsabilité (7).
La documentation Française : "La magistrature ""hors les murs"" : analyse de la mobilité extra-professionnelle des magistrats"
" Jusqu’au début des années 90 la chancellerie ne faisaitpasbeaucoup d’effortspour
les gens qui revenaient en juridiction.Il y avait un peu une mentalité :"vous enavez bien
profité maintenantvous devez la fermer etvous ferez cequ’on vous donneramêmesi cela n’a
rien à voir avec ce quevousavez fait avant etmêmesi on netire pasprofit de votre expérience
antérieure " !"(32)
Les organescollectifsde gestion ducorps - Commission d’avancement, etConseil
supérieurde la magistrature -, composéspour unelargepart demagistrats éluspar leurs pairs,
représentent l’ensemble dela magistrature qui estpeu concernéepar les détachementset les
mises à disposition.Pour lesmagistratsde province, lesdétachéssontvécus unpeu comme
" des curiosités quisontbien loin de leurspréoccupationsquotidiennes. Les organismesde
gestion ducorpssont donc soucieuxde ne pas favoriser les magistrats mobilespar rapportà
ceux qui restent en juridiction, et qui fontle " véritable "travail de magistrat. Les " notations
dithyrambiques " des détachés agacentparfois lesmembresde la commission : " ellessont
tellementdithyrambiques qu’elles ne sontplus crédibles. Dansun milieu où il n’y a pas de
juristes vous êtes forcémentbons ... ce n’est pas pour autant qu’on est meilleur que les
collègues en juridiction."(7) Le CSM est peut-êtreégalement d’autant moinsportéà répondre
aux attentes des magistrats mobilesqu’il n’est pasconsultésur l’opportunité desdétachements
(si ce n’est sur les conditionsde forme)
Certains magistratsmobiles stigmatisentle caractèrecorporatiste,la frilosité des
organismesde gestion du corps; ceux-ci représentant, " uncertain type de magistrature,la
magistrature de province, douce, moyenne,dont l’idéal c’est l’avancement à
l’ancienneté!... Cettemagistrature là considère que lesgens qui sont endétachementsontdes
gens quise gorgent financièrement, qui ontdes avantagesmirifiques - il y a une sortede
jalousie trèsclaire -, qui onttous les avantages ... donc, enplus on ne va pasleur donner les
postes intéressants à leur retour. " (3)
Les choix auxquels sont confrontés les organismesde gestion sont quasiment des
choix politiques.
" Quandvous restez longtempshors juridictionavec des responsabilités importantes
le retour dansla magistrature est difficile; soit on vousdonneun posteimportantet il y aura
une réactiondu corps;soit on vous offre un postesans responsabilité. qui vousdéçoit, et
vousaurezalorsla tentationdene pas revenir " 7).Et deciter le casd’une magistrateayant
occupé pendant 8 ans des fonctions importantes dansle cadred’un détachement,et qui a été
réintégréecomme avocatgénéral à laCour d’appel deParis, nomméepar le ministère de la
justice. Saréintégration a suscitéde fortes réactionscar ce magistrat" est passédevantpas
mal de collègues " (7). Aujourd’hui,avecle poids du CSMau niveau des nominations, les
choses seraient peut-être différentes. Récemmentla Gardedes sceaux arenoncéà nommerun
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magistratayant eu un détachement pour causede mandatparlementaireà un posteimportant
d’un grand Parquetd’Ile de France.
La réintégrationd’un magistratse fera d’autant mieux que celui-cisaurarespecter
l’habitusdu corps, c’est-à-direqu’il rentrera avecun profil bas, enmontrantqu’il est toujours
un magistrat,qu’il se soumetaux règles de l’avancement,qu’il n’a pas oupeu de prétention
du fait de son détachement. Parla suite,aprèsqu’il ait " fait sespreuves " il est possible
qu’il puissecapitaliser sa mobilité.(cf. chapitre sur les carrières)
La prise en compte -modérée -de ces mobilitéspar les organismesde gestion du
corps, que cesoit les services judiciaires ou les organismes quigèrent les carrières
(commission d’avancement, CSM) ne correspond souvent pasà ce qu’attendent les magistrats
mobiles. Ils considèrent que les efforts qu’ils ontaccomplis ne sont pas suffisamment
reconnuspar la communauté des magistrats quinevoient dansleur démarche que l’expression
de leur intéressement, quela manifestationde leur besoin de reconnaissance. Les magistrats
mobiles ont le sentiment d’être perçus comme " des casés, des privilégiés, desgens
bénéficiant depasse-droits, quisont en vacance ".(41)
Les magistrats mobiles stigmatisent enretour une magistraturefrileuse, manquant
d’ouverture, en soulignant sesrites, en dénonçant sa culturede révérence, son nombrilisme.
Ce processusde disqualification réciproqueexprime assez bien,même s’il représentedes
situations peut-être extrêmes, la difficulté pourla magistratured’intégrerunepratique quidans
d’autrescorpsposemoins deproblèmes.
La mobilité de la magistrature n’apparaîtni portée parune véritable politique de
mobilité ni soutenuepar une stratégie collective forte.Mais peut-il en être vraimentautrement
lorsque cela neconcerne quesi peu de magistrats; lorsque,à la différence des grands corpsqui
ne comptent quequelquescentainesde membres, la magistrature compteplus de 6000
personnes dispersées surtout le territoire national. Maisla domination dumodèledes grands
corpsfonctionne et les magistrats y fontsanscesse référence, déplorant den’être pas soutenus
dans leurs entreprises demobilité commele sont lesautrescorps. Ils portent des jugements
sévères sur l’action du ministère de la justice et les organes de gestion du corps. Cette carence
de stratégie collectivea pour conséquencedemettreen évidencela stratégie individuellede la
mobilité, qui n’est pas habillée,commepour les grandscorpspar l’intérêt collectif.
Mais il y a quelque chosede nouveau depuis quelques années. On a vu quede plus
en plusde magistrats étaientsollicités entant que spécialistes dujudiciaire ; un des ressortsde
la mobilitéde la magistratureestla judiciarisation et surtoutla pénalisation dela vie publiqueet
de la vie des affaires.Autrement dit, c’est par leur action proprementjudiciaire que les
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magistrats, dumoins un certainnombre d’entreeux, développent des possibilitésde mobilité
pour la magistrature.Cependantil paraîttoujours difficile de parlerde stratégiecollective de
mobilité.
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CHAPITRE VI
DE QUELQUES PROBLEMES LIÉS À LA MOBILITE DES
MAGISTRATS
La mobilité desmagistrats n’estpastout-à-fait équivalenteà celle des autres corpsde
l’Etat. On a déjàvu que le passage del’état demagistratà celui de magistrat mobilen’était pas
toujoursévident et nécessitaitcertains ajustements,notamment dans lesrelations avec les
anciens collègues.Le risque de lobbyinga également été évoqué par certains magistratsà
propos des mobilitésdans des entreprisesprivées étant impliquées dans des procédures
judiciaires en cours.
D’autres risques sont soulignésparcertains magistrats. Leurmise en évidence paraît
très liée nonseulement au débat actuel surl’indépendance de lamagistratureet le rôle du CSM
mais aussi aux nouvelles recommandations,voire aux nouvelles normes édictéespar les
juridictions européennes.
. Le premier problème soulevétient à l’absence decontrôlesur les détachements.La
plupart des détachementsse font de façon informelle par le jeu des relations;le CSM
n’apprécie pas l’opportunité des détachements,nevérifiant que lesconditions de forme. Alors
que le rôle du CSM tend à croître pourgarantir la non ingérencedu politique dans les
nominations et les carrières,certainsmagistrats estiment anormal que la mobilitéextrajudiciaire
échappeà tout contrôle. " Une des faiblesses dusystèmeactuelest qu’il n’y a aucuncontrôle
sur les sorties du corps alors que celles-cipeuvent être l’occasion ... decertainesmanoeuvres ;
on peutoffrir un pont d’or à quelqu’un qui est en charge de procédures qui sont difficiles... et
il peutêtre tenté "59...
Un autre risque est également associé àce non contrôle des départs. Lorsquele
pouvoir politique maîtrisaitdavantage les carrièresdes magistrats.il pouvait effectivement
récompenser les plus " méritants " de ses servantspar des promotions exceptionnelles. C’est
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de moins en moinspossible aujourd’hui enraison du contrôle croissant du CSMdans le
déroulement des carrières, ce quilimite les coups d’ascenseurinjustifiés. " A travers les
détachements onpeut très bien continuer àfaire des cadeauxà des gens et donc à rémunérer
desservices, ce qu’on nepeut plus beaucoupfaire par des fonctions juridictionnelles (sauf
pour les fonctions de ProcureurGénéral). " (32)
Sans quecela soit forcément descadeauxrécompensant desservices,il nous a été
signalé que lescabinets de plusieursGardes dessceaux sont intervenus pourfaire nommer
certains magistrats sur des postes endétachement. Cela a, en particulier, été évoquéà propos
des magistrats proposés auministère de l’intérieurpour occuper lesfonctions de sous-préfet.
Les interventions du cabinet ne sontd’ailleurspastoutes couronnéesde succès. Quelques uns
des magistrats interviewés nous ontdit avoir conquis leur détachementcontre le candidat
officiel du cabinet, ce quileur a parfois sérieusement compliquéla tâche. Onpeut également
concevoir que certaines interventions du pouvoirpolitique facilitent l’attribution de postesen
détachementà des magistrats ayant occupé des fonctions marquées politiquement,afin de les
" décontaminer "( maisil y va ausside l’intérêt ducorps).
Dansleur souci de dégager complètement la gestionde la magistrature du pouvoir
politique, et de garantir l’indépendance des magistrats uncertain nombre d’entre eux
souhaiteraient quele CSM contrôle lesmobilités60. Ils s’appuient sur l’exemple du CSMitalien
qui doit être consulté pour toutes lesactivités extrajudiciaires desmagistrats, qu’elles
impliquent ou non un détachement. Les travaux menés en Italie surla question montrent quele
CSM, qui estmajoritairement composé de magistrats, est assez libéral sur ces activités, etqu’il
n’oppose pasbeaucoup derefus61. Deplus l’intervention du CSM n’empêche pas qu’ily ait
parfois confusion des rôles et quetoute cette activité extrajudiciaire soit extrêmement
préjudiciable au fonctionnement ordinaire desjuridictions, ainsi quecela a été souligné dans
une enquête menée en Italie.L’auteur s’inquiète de " l’incidence de toutes lesactivités
extrajudiciaires des magistrats sur l’indépendancede la magistratureet sur son image
d’impartialité ". Il s’interroge sur la possible menace quereprésente " la présence de
magistrats à despostes politiques et entantque représentants de partis politiques auParlement
pourle fonctionnement correctdenotre ordre constitutionnel ".Le contrôledu CSM enItalie
La documentation Française : "La magistrature ""hors les murs"" : analyse de la mobilité extra-professionnelle des magistrats"
est présentécomme étant trop laxiste etn’empêcheni les confusions de rôle,ni les confusions
de pouvoir.
Le principal problème posépar la mobilité des magistrats, etparticulièrementpar
certaines mobilités, estla confusion derôle qui peut exister, notammentlors du retour en
juridiction, mais aussi aucours decertaines mobilités.La question des mobilitéspolitiques,
mais aussid’autres détachements, risque d’être poséeà propos des normes européennes
découlantde la convention européenne des droitsde l’homme;en effet,d’aprèsun magistrat
mobile, il y a de plus en plus souvent des " rappels de l’obligation d’apparence
d’impartialité " quisontfaits à l’occasion de procès disciplinaires. On retrouve exactement les
problèmes qui ont été soulevés enItalie.
" Quand il y a un militantismefort, un engagementpolitique marqué. Vous êtesle
juge X etvous jugez en correctionnelleMr Untel, élu duparti politique qui est adversaire du
parti politique danslequel vous êtes engagé d’unefaçon visible, commentgarantissez-vous,
commentlui garantissez vous votreimpartialité?
" Comme on est souvent - le juge judiciaire - sousun angle,le juge de l’Etat et de
l’administration,commentpeut-on garantir que toutes ces expériences que l’onva accomplir
soit pour les pouvoirs politiques, pourl’Etat, pour l’administration,ne vont paspesersur les
décisions auxquelles on va participer quand onrevientdansle travail juridictionnel ?
" Les magistrats sous-préfetsn’ont pas forcément envie, lorsqu’ils rentrent en
juridiction, de sebattrecontrel’administrationavecdes intérêtséconomiques importants.Ce
n’est pasun manque d’honnêtetéde leur part,mais tout le monde n’estpasforcémentprêt à se
lancerdans un conflit. Presque tous sontprofondément honnêtes et n’échangeraient pasune
décisioncontreun service. Il n’empêcheque surle plan de l’apparence d’impartialité... tous
ces jeunes sous-préfets sémillants ...
Cette question del’impartialité va venir sur le devant de la scène et sera très
embarrassante"(32)
Alors que l’engagement syndicalet politique affirmé et revendiqué bien haut,
notammentpar le syndicatde la magistraturea contribuéà " secouer la vieille maison dela
justice ", qui s’esteffectivement modernisée,aujourd’hui,avec la montéeen puissance des
normes européennes et des instances chargées des droitsde l’homme, " la persistence de ces
engagementsrisque de conduireà une contradiction, que beaucoupne veulent pas voir,
préférantjouer la politique de l’autruche ".
La documentation Française : "La magistrature ""hors les murs"" : analyse de la mobilité extra-professionnelle des magistrats"
Il faut néanmoins noter que raressont les magistratsdéputés, c’est-à-dire des
magistrats qui ont un engagementpolitique marqué, qui ontréintégréla magistratureaprès le
non renouvellement de leurmandat62.
. Un deuxième problèmeposé parcertaines mobilités, tient àla délimitation de la
frontière entre la compréhension des univers, quepermet la mobilité etla distance nécessaire,
qu’exige l’action dejuger. Si le jugedevient trop compréhensifil ne pourraplus juger.La
questionseposepar rapport aux milieux financiers ou économiques, oumêmeadministratifs
que les magistrats mobilessont amenésà connaître et dont ils essaient de mieux comprendre
les logiques de fonctionnement. Les magistrats mobiles soulignentl’intérêt de cesexpériences
tout en rappelantqu’il y a des limites à ne pas franchir.Cette frontière n’est pas toujours
évidente à situer.Certainsla situenttrès proche dujudiciaire, enestimant quele juge ne doit
devenirni un expert comptable,ni un financier,qu’il doit avoir une connaissance minimum
mais ne pasrentrer dansla logique particulière, d’autres la situent plus loin, mais la place
exacte de lafrontière n’est pas délimitéeet peut mêmeconstituer un enjeu entre juges et
expertsetmême au sein dela magistrature.
S’il y a des risques de confusion derôle lorsque lemagistrat mobile revient dansla
magistratureil y a aussi desrisques de confusion lorsque les magistrats sont hors dela
magistrature. On lesa abordés à propos de sous-préfets, qui peuvent avoir la tentation de
menerl’action publiqueà la place des magistrats; et desmagistrats conseillers judiciaires de
PDG d’entreprises privéesqui peuvent avoirla tentation de faire du lobbyingjudiciaire. Faceà
ces interférences le corpsréagit en principe en mettant deladistance, defaçon à rendre contre-
productive les éventuellesinitiatives des magistrats mobiles,mais il n’en reste pasmoins que
le risqueexiste.
. Le dernier problème, pastrès souvent évoqué, est quela mobilité enlève desforces
vives aux tribunaux. L’argument est d’ailleursbalayé parcertains qui estiment " qu’il est
évident qu’il y a suffisamment de magistrats; simplementil est tout aussi évidentqu’ils sont
trèsmal distribués surle territoire national età travers lesjuridictions "(10). Commecelaa
été évoqué au début de cerapport,partir en détachement,être mis à disposition ou en
disponibilité peutposer des problèmes danscertaines juridictionsdans la mesure où le
remplacement, notamment des juges du siège,fait l’objet d’une procédurelongue. Cela est
vrai dans les petitesjuridictions - mais lesmagistrats de province sontpeu concernéspar la
mobilité -; cela est moins vraipour les juridictions parisiennes, qui peuventamortir plus
facilement les départs de magistrats.
La documentation Française : "La magistrature ""hors les murs"" : analyse de la mobilité extra-professionnelle des magistrats"
La question de la mobilité desmagistratsparaîtêtre à la croisée de deux logiques.La
première est la logique dela spécificité de la magistrature quiimplique des garantiesmaximum
concernant son indépendance, ses conditionsde recrutement denomination, d’avancement.
Danscette logiquele CSM est tout-puissant, et protège lesintérêtscollectifs dugroupe,limite
au maximum lespressions individuelles, etcontrôle lessortiescomme les entréesdans le
corps. C’est aussi le CSM qui veille à ce que l’apparenced’impartialité soit sauvegardée.
Suivant l’autre logique, très présente chez les magistrats mobiles,il faut laisser unecertaine
souplesse dans les pratiques demobilité, afin de garantirl’efficacité du système -à savoir
l’ouverture sur d’autres univers - qui seraitparalyséepar des procédurestrop bureaucratiques.
Cette conception plus libérale, quipermetdes pratiquesplus élitistes,correspond aussià une
idéologie encoursparmi l’élite des juristes (cf. note 3).
La documentation Française : "La magistrature ""hors les murs"" : analyse de la mobilité extra-professionnelle des magistrats"
CONCLUSION
Comparé aux autrescorps del’Etat les magistrats sontpeu nombreuxà franchir leurs
frontièresprofessionnelles pour aller exercer d’autres fonctions dans des univers différents.Et
pourtantcette mobilité s’est tendanciellement développée etsurtout diversifiée, depuisla
seconde guerremondiale. Le phénomène estd’autant plus intéressant quela mobilité est
étrangèreà l’habitus professionnel,la magistrature ayant construit son autonomie surune
culture de fermeture relative.La création d’une école de la magistrature n’apas réussi à
contrecarrerla tendance à une certaine fermeture corporatiste. D’unecertainemanière,elle l’a
mêmecristallisée63. La magistrature estrestéeméfiante à l’égard de l’intrusionde tout corps
étranger,ce qui ne la différenciepas vraiment des autres corpsde l’Etat; mais surtout elle est
restée très réticente àce que ses membresquittent provisoirement l’univers feutré des
juridictions.
Dans ces conditionsil n’est pas surprenant que les magistrats mobilesne soient pas
tout-à-fait représentatifs de la magistraturedans son ensemble. Ils ontune trajectoire unpeu
différente de cellede la majorité des magistrats issusde la filière classique étudesde droit-
ENM-magistrature. Ils ont parfoisexercéd’autres fonctions avantde devenir magistrat, ou
encore diversifiéleursétudes, en imaginantd’autres horizons professionnels.Ils ont donc déjà,
audépart, du moins uncertainnombre d’entre eux,une ouverture,contrainteou voulue,qui
peut les prédisposer àtenter d’autres aventures,Mais les magistrats mobiles ontégalement
d’autres caractéristiques qui contribuentà en faire un groupe unpeu particulier qui les
singularisede l’ensemble ducorps. La plupart desmobilités ayant lieu à Paris, ce sont des
magistrats parisiens quisont concernés, ce quicontribueà la non intégrationde ces pratiques
par un corps, majoritairement provincial. Plus encore, les magistratsmobilessont, engrande
majorité, deshommes,dans unemagistrature quise féminise à grands pas. Concernant des
hommes parisiensdansunemagistrature féminisée et largement provincialela mobilité apparaît
comme relevant davantagede stratégiesde distinction d’individus oude groupes particuliers que
d’une actioncollective ducorps.
La mobilité n’étantpasune pratique qui concerne l’ensemble dela magistrature ce sont
souvent des filières particulières quiy conduisent.Il y a, bien sûr, la filière des MACJ,ces
La documentation Française : "La magistrature ""hors les murs"" : analyse de la mobilité extra-professionnelle des magistrats"
derniers, surtout s’ilsappartiennentà certains bureaux, constituent unepépinière de magistrats
mobiles potentiels. Maisil y a aussi la filière de l’engagement syndical oupolitique au sens
large qui permet, notammentà des magistratsdeprovince,d’acquérir une visibilitéparticulière
et de s’insérer,le cas échéant, dansun réseau de mobilité. Il ya aussi les filières des spécialités
juridiques potentiellement porteuses de mobilité : droit des affaires,droit communautaire, droits
de l’homme.
L’analyse des différents lieuxdemobilité fait apparaîtrel’importancede la mobilité de
proximité. Beaucoupde magistrats nepartent pastrès loin. Outre lesMACJ, nombre de
détachements se fontdans des cerclesrelativementproches del’institution judiciaire, Ecole
nationalede la magistrature, ministère de la justice, tribunaux administratifs, tribunaux militaires
etc. Ces mobilitéssont plutôt des mobilités de débutde carrière etdes premières mobilités
commele sont, en général, lesmobilitésdans les administrations. Lesmobilitéspolitiques, ou
encore les mobilités dans le secteur économiquese font à des stades plusavancés de la carrière.
La mobilité des magistrats se présenteavec une structure bimodale. Une majorité de mobilitésse
font dansle premier tiersde la carrière, ce quisignifie à un niveau hiérarchiquerelativementpeu
élevé, cesont les MACJ, et certainesmobilités de proximité ou dans les administrations
nationaleou même internationale.Et puis il y a une mobilité à des postes plusélevésqui
concerneà la fois des détachements dans des organismes prestigieux, des détachementsau
ministère de la justice comme directeurs ousous-directeurs, et desmobilités vers le secteur
économique ou dans des hautes autorités administratives indépendantes.
L’analyse des carrières conduità renforcer la thèsede la mobilité comme stratégiede
distinction etde repositionnement social d’unefraction de la magistrature.Même s’il est très
difficile d’identifier précisément l’effet proprede la mobilité dansla réussited’une carrière - etsi
les statistiques peuvent recouvrir des situations très hétérogènes - l’analyse statistique montre
que les carrières des magistrats mobilessont loin d’être médiocres.Et d’ailleurs nombrede
magistrats dela Cour de cassation ont euau moinsunemobilité au coursde leur carrière, cequi
ne lesa pas empêchés de parvenir àla plus hautejuridiction. En fait tout dépend desmobilités
concernées, et surtout, dela manièredontelles sont géréespar rapport aucorps. Lesmobilités
peuventêtre d’autant mieux intégrées dansla carrièrequ’elles sont relativementproches de
l’institution et ne durent pas trop longtemps.Le retour dansla magistraturese fera d’autant
mieux qu’il sera préparé et quele magistratmobile saura montrer, enadoptantun profil plutôt
bas, qu’il a toujours l’esprit magistrat. Ultérieurement, samobilité pourraêtre capitalisée.Mais
cela n’estpas toujoursle cas.
Le relatif développement des pratiquesde mobilité s’explique d’abord par
l’accroissement dela placedu droit et dela justice dansla société, auquel s’ajoutele contexte
particulier de mise en cause dela responsabilitépénale de chefs d’entreprises, de hauts
fonctionnaires...La fonction juridique, que ce soit dans lesadministrations, dans les
La documentation Française : "La magistrature ""hors les murs"" : analyse de la mobilité extra-professionnelle des magistrats"
entreprises, ou dans les institutions internationales,setransforme sensiblement, ce quinécessite
certains ajustements des compétences professionnelles.
Dans les administrations lesbesoinsjuridiques sesont diversifiés, le droit public
n’étantplus seul en cause. Si des magistratssont sollicités danscertains ministères, c’estparce
que les administrateurscivils n’ont pas forcémentla compétence juridique quileur permettede
faire faceaux problèmes qui se posentaujourd’hui aux administrations. Uncertainnombrede
magistrats mobiles estiment d’ailleurs que lesmagistrats, " qui ontfait un cursus juridique
complet ", sont les mieuxplacés, entous casmieux placés que les énarques, pour diriger des
services juridiques. Les magistrats sontsollicités en raison de leurs compétencesjuridiques,
générales ou spécialisées et, deplus en plus souvent, enraison deleur compétence judiciaire.
Ainsi les magistratsne s’occupentpas seulementd’activité législative et réglementairemais
aussi d’évaluation du risquejuridique etjudiciaire, voirede prévention durisque juridique et
judiciaire, du moinsdanscertains ministèresparticulièrementexposés64.
Dans le secteur économique c’estbien l’importance croissante du droit dansla
régulation, la nécessitéde garantir le bon fonctionnement des mécanismes dumarchéqui a
conduità la fois à une spécialisation des magistratsdans cedomaine et au développementde
certaines mobilités. Des magistratssont ainsi recherchés enraison de leur compétence
particulièreen droit boursier, ou endroit des sociétés, ou encore en droit financier, et sont
chargésde rappeler la règle, d’évaluerle risque juridique associéà des opérations.Plus
récemment, c’est lamise en cause dela responsabilitépénaledes chefs d’entreprise, quia
conduit ces derniers à rechercherla compétenceparticulièrede magistrats. Ni leurs avocats,ni
leurs servicesjuridiques n’ont su les mettre à l’abri de la curiosité de certains juges
d’instructions et mêmedeleur miseen examen. Alors quide mieux placé qu’un magistratpour
prévenir les ennuis judiciaires des P.D.G. ? Ils ont parfois étérecrutépar des chasseursde tête,
ce qui illustre parfaitementl’entrée des magistratsdans le marché du droit : le produit
" magistrat " commenceàêtre recherché surle marché desservices juridiques.
Ainsi la présence des magistrats " hors les murs ", qui traduit une évolution
sensiblede la place du droit et dela justice est aussiliée à une conjoncture particulière,
caractériséeparun certain " activismejudiciaire ". Commel’exprime ce magistratdétachédans
une administration : " moi je suis un travailleur immigré saisonnier,c’est parce qu’il fait
mauvais que vousavezbesoindemoi !"(34).
La redéfinition desbesoins juridiques qui s’opère aujourd’hui contribue àouvrir
quelquepeule marché dudroit, mêmedansdesespacestraditionnellement protègés. Ainsi,par
exemple,s’il semble y avoir unconsensus surla nécessitéde développer et réorganiserla
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fonction juridique au sein des administrations,la question reste posée desavoir qui estle mieux
placépour exercer cesfonctions65. Les magistrats, du moins certains d’entreeux, estiment avoir
une compétence particulière pour assurerla fonction juridique del’Etat66. Mais ils ne sont pas
les seuls.
Mais si la mobilité des magistratss’est développée, c’est aussiparcequ’elle permetà
unefraction de la magistrature desortir, demontrer que les magistrats de l’ordre judiciaireont
une compétencequ’ils peuventfaire valoir ailleurs, dans d’autresorganisations, dansd’autres
fonctions. C’est aussiparcequ’il y a unevolonté de ne pas laisser lescorps spécialistesde
l’essaimagemonopoliser les postespour lesquels les magistratsprétendent euxaussi, et
davantage quepar le passé, avoir la compétence, ce queleur permet, dansune certainemesure,
le contexte actuel. Ces mobilités, ou dumoins certaines d’entre elles,par les différentesformes
decapitaux qu’elles permettent d’acquérir, sont considéréescommeuneexceptionnelleoccasion
de rebondir pour uncorps qui s’estlongtemps considérécomme déclassé. On voit ainsi
s’amorcer, dans certains organismes européens,le principede l’alternance entreun magistratde
l’ordre judiciaire etun magistrat du Conseil d’Etat, principequi, mêmes’il est parfoisdifficile à
faire respecter, n’en constitue pas moinsune conquêteimportante pourl’ordre judiciaire. De
mêmedans l’espace économique,la nominationde magistratsà des postes(certesencorepeu
nombreux) traditionnellement monopoliséspar les grands corpsillustre également quele
magistrat - pas n’importe quelmagistrat -devient un produit prisé dans le domainede la
régulation juridique de l’économie.
Cependant cesstratégiesneconcernent qu’un nombrepour le moins restreintet même
minime de magistrats. Néanmoins,comme l’ensemble des magistrats mobiles,ils vont
s’efforcerde montrer queleurs pratiquesde mobilité rejoignent l’intérêt collectif; la mobilité
" c’est le prestige ducorps à l’extérieur de l’institution " (15). Ils se considèrent souvent
comme desmissidominici de la justice, faisant connaîtrele droit, la justice et la magistrature
en dehorsde l’institution. De plus un certain nombred’entreeux sontdirectementutiles à la
magistraturedans son ensemble puisqu’ilsconstituent desrelais importants pourla formation
desmagistrats. Les magistrats mobiles déplorent quele ministère dela justice ne les soutienne
pasen ayantune politiquede mobilité suffisamment affirmée.
Mais l’apport collectifdesmobilitésne paraît pastoujours reconnupar la magistrature
dans son ensemble qui est davantage portéeà voir les bénéficesindividuels des magistrats
mobilesplutôt que les bénéfices collectifsqu’ils sont susceptibles d’apporter.Ils sont d’autant
plus enclins à soulignerl’intérêt individuel des magistratmobiles qu’ils voient un certain
nombred’entreeux se positionner sur destrajectoiressociales ascendantes qui les éloignentde
La documentation Française : "La magistrature ""hors les murs"" : analyse de la mobilité extra-professionnelle des magistrats"
plus en plus deleur corps d’origine. Ce qui estparfaitementintégré dans les grandscorps, à
savoir la dialectiquesubtile entreintérêt individuel et intérêt collectif, ne l’est guèrepour la
magistrature.Il y a même parfois processusde disqualification réciproque, les magistrats
mobiles dénonçantla "culture de fermeture" des magistrats en juridiction,affichant leur
" mépris des castes etjoutes locales ", et lesmagistrats des juridictions stigmatisant les
magistratsmobiles comme des " planqués ", quifont la " juridiction buissonnière ", et quine
" pensent qu’àl’argent " !
Alors quel avenir pourla mobilité des magistrats? Pratique non intégrée dans
l’habitus professionnel, sa perceptionplus quemitigée dansle corps apparaît aussi trèsliée au
caractère marginalet sélectif de la pratique. Faut-il alors, comme certainsle suggèrent,
préconiser une obligationde mobilité sur le modèledes corps issusde l’ENA ? Une telle
éventualitéaurait l’avantagede banaliserla mobilité. Elle s’inscrirait dansla tendancelourde
qui, depuis laguerre, a rapprochéla magistrature des autres corps de l’Etat.Samise en oeuvre
ne serait pas forcémentaiséedu fait de l’importance numérique ducorps et des garanties
statutaires propres à la magistrature, qui alourdissent les procéduresdenomination.
Cependantla question se posede savoir si toutes les mobilitésà l’extérieur du corps
sont intéressantes pourla magistrature. Certes,comme lesautres corps, la magistrature
s’efforce dene pas occuper despositions quisoient disqualifiantes. Mais,plus généralement
est-il intéressant, pourla magistrature, d’ouvriraumaximum les possibilités de mobilités en
l’étendantà des fonctions non juridiques ou, au contraire, de les limiterauchampjuridique, au
marché dudroit, au demeurant, enpleine expansion ? Les mobilités lesplus intéressantespour
les magistrats, celles quipermettent d’acquérirune compétence recherchée,d’accumuler
différentesformes deprofits sontcelles quise situent surle terrainjuridique. Pour les postes
plus généralistes, les magistratspeuvent apporter unecontribution spécifique quipeut être
appréciée,mais qui restera marginale;ils ne sont pas compétitifs,en particulier pour les
positions lesplus élevées, avec les spécialistesde la généralitéque sont les énarques.La
magistraturen’a pas forcémentintérêt àinvestir desterrains sur lesquels elle a,a priori, peu
d’avantagespar rapportaux autres corps.La questionest poséeà propos de la mobilité sur les
postesde sous-préfet,pour lesquels les magistratsn’ont qu’unc compétencegénérale. Ces
postes ont étéinvestisparceque ce corpsconnaissait des difficultésde recrutement. Certes ces
possibilités permettent des réorientations professionnelles,ce qui est loin d’être sansintérêt;
mais à l’heure où le droit connaît unessor sansprécédent, où lesbesoinsjuridiques se
développent, onpeut s’interroger surl’utilité globale, sur le caractèreporteur de ce type de
mobilité pour la magistrature.
Le développementdela mobilité seheurteégalementà un autreproblèmequi estlié à la
spécificité de la magistrature, notammentà son indépendance,qu’elle cherchepar ailleurs
constammentà renforcer, et à sonimpartialité. Certaines mobilités, en particulier cellesqui
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impliquent un fort engagement partisanà l’égard d’un parti politique, de l’Etat ou même
d’entreprises,peuventconduire à brouiller l’image du juge, comme l’a souligné la Cour
européenne des droits del’homme qui, à différentes reprises,a rappelé l’obligation de
l’apparenced’impartialité des juges67.
Le développement dela mobilité des juges se trouveainsi encadrépar des logiques
sociales fortes quile contraignent :d’abord, par la concurrence des autres corpsde l’Etat qui
sont souvent mieux placéspour occuper lespositionsgénéralistes, et même parfois les positions
juridiques, ensuite,par la concurrence desautres juristes qui oeuvrent sur le marché dudroit, le
barreauprincipalement, qui ne vont pasmanquer de réagir auxempiètements desmagistrats,
enfin, par la nécessité dene pas nuireaux principes qui sont au coeurde la spécificité dela
magistrature.Le chemin de la mobilitédesmagistratsestune voie étroite.
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