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Page 1: Le comportement des investisseurs individuels

Les investisseurs

individuels sont-ils

parfaitement rationnels?

AprÚs un bref détour par

la notion fondamentale de

rationalité parfaite, les

auteurs soulignent les

principaux biais

comportementaux mis en

évidence dans la littérature

financiĂšre, soit dans les

études expérimentales en

laboratoire, soit dans les

analyses empiriques

portant sur la composition

des portefeuilles

d’investisseurs individuels.

Face aux biais observés, la

derniùre partie de l’article

présente une théorie

alternative des choix

risqués qui est ensuite

appliquĂ©e Ă  l’évaluation

d’un produit financier

particulier.

L’investissement sur un marchĂ© financierentraĂźne le report Ă  une date ultĂ©rieure d’unepartie de la consommation prĂ©sente. Cette

dĂ©cision d’investissement est prise par l’individu ensituation de risque ou d’incertitude. DĂšs lors, la comprĂ©-hension de la formation des prix sur les marchĂ©s finan-ciers est Ă©troitement liĂ©e Ă  la comprĂ©hension du com-portement des acteurs sur ces marchĂ©s et, plusprĂ©cisĂ©ment, Ă  celle du comportement des investisseursface Ă  des dĂ©cisions dont les issues sont incertaines. Denombreux travaux acadĂ©miques ont tentĂ© de construiredes modĂšles normatifs du comportement de l’investis-seur parfaitement rationnel sur un marchĂ© financier.Cette approche est gĂ©nĂ©ralement opposĂ©e Ă  celles plusempiriques qui tentent de mettre en lumiĂšre les mĂ©ca-nismes psychologiques qui sous-tendent les comporte-ments observĂ©s. En thĂ©orie financiĂšre, le critĂšre retenupour dĂ©crire le comportement d’un individu parfaite-ment rationnel2 est la maximisation de l’utilitĂ© espĂ©rĂ©e

DOSS IER

PAR MARIE-HÉLÈNE BROIHANNE,MAXIME MERLI, PATRICK ROGER

Le comportementdes investisseurs

individuels1

1. Cet article reprend quelques arguments dĂ©veloppĂ©s dans l’ouvrageFinance Comportementale (Economica, 2004) par les mĂȘmes auteurs.2. Voir Ă©galement Allais (1955).

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et cette formalisation repose sur un plu-sieurs axiomes3. En particulier, l’ordre deprĂ©fĂ©rence de l’individu n’est pas perturbĂ©par un changement mineur des probabilitĂ©sd’occurrence des diffĂ©rents Ă©tats (axiomede continuitĂ©). En outre, si deux loteriessont associĂ©es Ă  une troisiĂšme, l’ordre deprĂ©fĂ©rence de l’individu en ce qui concerneles deux loteries n’est pas perturbĂ© par lanature de la troisiĂšme loterie (axiome del’indĂ©pendance des alternatives).Lorsque ces axiomes sont vĂ©rifiĂ©s, les prĂ©-fĂ©rences de l’individu peuvent ĂȘtre reprĂ©-sentĂ©es par une fonction d’utilitĂ© linĂ©airedans les probabilitĂ©s (von Neumann etMorgenstern (1947))4. Si les actifs finan-ciers sont dĂ©crits par des variables alĂ©a-toires, l’investisseur rationnel confrontĂ© Ă un choix d’investissement sĂ©lectionne untitre (une loterie) ou le portefeuille (combi-naison de loteries) qui engendre la plusgrande satisfaction5.Le deuxiĂšme aspect du comportement del’investisseur parfaitement rationnelconcerne sa rĂ©action Ă  de nouvelles infor-mations, que celles-ci soient d’ordre gĂ©nĂ©-ral, Ă©conomique ou financier. L’arrivĂ©e denouvelles informations entraĂźne la modifi-cation, par les individus, des probabilitĂ©sd’occurrence affectĂ©es aux diffĂ©rents Ă©vĂ©-nements futurs. L’investisseur rationnel

opÚre cette révision des probabilités enobéissant à la rÚgle de Bayes6. Il est à noterque si tous les investisseurs sont parfaite-ment rationnels, seules les informations nonanticipées peuvent modifier ces probabilitéset finalement conduire à une modificationdu prix des actifs financiers. Nous revenonsbriÚvement dans une premiÚre section surce qui est entendu par comportementrationnel face à des choix risqués et nousquestionnons la pertinence de cette hypo-thÚse. Une seconde section est consacréeaux principaux résultats des études empi-riques relatives au comportement des inves-tisseurs individuels. Enfin, la derniÚre sec-tion est dédiée aux approches théoriquesalternatives ayant pour objet de rendrecompte des principaux biais observés.

I. – LA RATIONALITÉ PARFAITE EN QUESTION

1. Choix individuels et rationalité

DĂšs 1953, Allais souligne un paradoxe quiremet en cause l’axiome d’indĂ©pendancedes choix7. En outre, l’expĂ©rience menĂ©epar Allais indique que les individus prĂ©fĂš-rent systĂ©matiquement les choix pour les-quels les probabilitĂ©s sont connues, et l’onparle alors d’aversion pour l’ambiguĂŻtĂ©8. Enparticulier, les Ă©tudes de ce phĂ©nomĂšne

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3. Cette axiomatique est essentiellement due Ă  von Neumann et Morgenstern (1944, 1947). Pour une descriptionprĂ©cise de ces axiomes, voir Mas-Colell, Whinston et Green (1995).4. Pour une dĂ©monstration de ce thĂ©orĂšme, voir Gollier (2001).5. Lorsque la fonction d’utilitĂ© est quadratique le choix de l’individu s’opĂšre dans l’espace espĂ©rance-variance et ceconstat est Ă  l’origine du modĂšle d’équilibre des actifs financiers (voir, par exemple, Markovitz (1952), Sharpe (1964)).6. Soit (Ω, A, P) un espace probabilisĂ© ; notons A1, A2
, AN un ensemble d’évĂ©nements deux Ă  deux incompatibleset de probabilitĂ©s non nulles tels que Ui = 1

i = N Ai = Ω. Alors pour tout événement B on a :

P(Ai/B) =

7. Voir également Ellsberg (1961) ou encore Kahneman et Tversky (1979).8. Pour une revue de littérature sur ce sujet, voir Camerer et Weber (1992).

P(B/Ai)3 P(Ai)

^N

k = 1P(B/Ak) 3 P(Ak)

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montrent que les individus prĂ©sentant del’aversion Ă  l’ambiguĂŻtĂ© sont prĂȘts Ă  payerjusqu’à 20 % de valeur espĂ©rĂ©e pour Ă©viterl’ambiguĂŻtĂ© (MacCrimmon et Larsson,1979 ; Curley et Yates, 1989 ; Bernasconi etLoomes, 1992). Dans le mĂȘme esprit,Tversky (1969) montre que des individusconfrontĂ©s Ă  des choix risquĂ©s ne respectentpas toujours l’axiome de transitivitĂ©.D’autres expĂ©riences mettent l’accent sur lefait que les individus ne rĂ©visent que trĂšsrarement leurs anticipations en respectant larĂšgle de Bayes. En guise d’illustration,l’étude d’Eddy (1982) est menĂ©e dans lemilieu hospitalier et le problĂšme posĂ© est lesuivant.Supposez que vous veniez d’examiner unepatiente. Celle-ci prĂ©sente une tumeur, maisle fruit de votre expĂ©rience vous conduit Ă estimer la probabilitĂ© de cancer (tumeurmaligne) Ă  1 %. Vous dĂ©cidez tout de mĂȘmede procĂ©der Ă  une mammographie. Voussavez que cet examen classe correctement80% des tumeurs malignes et 90% destumeurs bĂ©nignes. À votre grande surprise,le rĂ©sultat indique que la tumeur estmaligne. À combien estimez-vous la proba-bilitĂ© que cette tumeur soit effectivementmaligne?Dans cette expĂ©rience, il semble que lesmĂ©decins interrogĂ©s perçoivent la probabi-litĂ© d’avoir un cancer, lorsque le rĂ©sultat estpositif, comme approximativement Ă©gale Ă la probabilitĂ© d’un rĂ©sultat positif lorsque lepatient a un cancer9, c’est-Ă -dire 80%, alorsque cette probabilitĂ© n’est que de 7,5 % sil’on applique la rĂšgle de Bayes.

Un autre biais classique Ă  la rationalitĂ© par-faite concerne la cohĂ©rence des choix opĂ©-rĂ©s par les individus lorsqu’ils sontconfrontĂ©s Ă  des loteries d’espĂ©rance d’uti-litĂ© identique. Lors de leurs expĂ©riences,Slovic et Lichtenstein (1968) constatentque les prix d’achat ou de vente des loteries(Ă©valuĂ©s par les participants) semblent pluscorrĂ©lĂ©s aux niveaux des paiements asso-ciĂ©s aux loteries qu’aux probabilitĂ©s de rĂ©a-lisation de ces diffĂ©rents paiements. Enrevanche, les prĂ©fĂ©rences dĂ©clarĂ©es par lessujets pour telle ou telle loterie semblentplus corrĂ©lĂ©es aux probabilitĂ©s des diffĂ©-rents Ă©tats plutĂŽt qu’aux paiements offertspar les loteries. Ce phĂ©nomĂšne peut alorsconduire les individus Ă  une incohĂ©rence dechoix (nommĂ©e inversion des prĂ©fĂ©-rences10).Ce rĂ©sultat demeure valide lorsque les par-ticipants sont incitĂ©s financiĂšrement(Tversky et al., 1990). Plus marquantencore, Lichtenstein et Slovic (1973)confirment ce rĂ©sultat dans l’étude du com-portement de « vrais » joueurs Ă  Las Vegas.

2. Heuristiques classiques

Les exemples prĂ©cĂ©dents montrent que leschoix des individus ne sont gĂ©nĂ©ralementpas en accord avec ce que prĂ©dit l’hypo-thĂšse de rationalitĂ© parfaite. L’approcheproposĂ©e par les chercheurs en psychologiecomme A. Tversky et D. Kahneman est dif-fĂ©rente. Selon ces auteurs, les individusconfrontĂ©s Ă  un choix complexe opĂšrent dessimplifications ou raccourcis de raisonne-ment. Les dĂ©cisions prises sont alors rĂ©gies

Le comportement des investisseurs individuels 147

9. 95 % des mĂ©decins interrogĂ©s estiment cette probabilitĂ© autour de 75 % ce qui est dix fois trop Ă©levĂ© au regard dela rĂšgle de Bayes. Voir Ă©galement Edwards (1968).10. Une Ă©tude classique de ce phĂ©nomĂšne est due Ă  Lichtenstein et Slovic en 1971 et pour une discussion dĂ©taillĂ©ede l’axiome en question, voir Tversky, Slovic et Kahneman (1990).

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par des rĂšgles simplifiĂ©es (ou heuristiques)que les psychologues tentent de mettre enlumiĂšre. Face Ă  des choix, l’utilisation deces heuristiques conduit les individus Ă  descomportements parfois Ă©loignĂ©s de ce queprĂ©dit la thĂ©orie des probabilitĂ©s ; ces dĂ©via-tions sont qualifiĂ©es de « biais ». Trois heu-ristiques « classiques » essentiellementdues Ă  Tversky et Kahneman (1974) illus-trent nos propos11.

Heuristique de représentativité

De nombreuses situations auxquelles sontconfrontĂ©s les individus peuvent ĂȘtre rĂ©su-mĂ©es par des questionnements du type :quelle probabilitĂ© associez-vous au fait quel’évĂ©nement A soit dĂ» au processus B?Quelle est la probabilitĂ© qu’un objet Aappartienne Ă  un ensemble B? En rĂ©pondantĂ  ce type de questions les individus fontgĂ©nĂ©ralement appel Ă  l’heuristique de reprĂ©-sentativitĂ©. Plus A est reprĂ©sentatif de B,plus la probabilitĂ© associĂ©e par les individusĂ  ce lien est Ă©levĂ©e. De nombreux exempleset rĂ©sultats d’expĂ©riences sont venus corro-borer cette affirmation. Les expĂ©riencesconsistent, par exemple, Ă  attribuer une pro-babilitĂ© au fait qu’un individu appartienne Ă une certaine catĂ©gorie professionnelle. Enparticulier, Tversky et Kahneman (1982) ontrĂ©alisĂ© une expĂ©rience dans laquelle la des-cription suivante est proposĂ©e.Linda est ĂągĂ©e de 31 ans, cĂ©libataire,franche et trĂšs brillante. Elle est diplĂŽmĂ©ede philosophie. En tant qu’étudiante, elleĂ©tait trĂšs sensible aux questions de discri-

mination et de justice sociale et a Ă©galementparticipĂ© Ă  des manifestations anti-nuclĂ©aire. Quelle est pour vous l’affirma-tion la plus probable ?1. Linda est employĂ©e de banque,2. Linda est employĂ©e de banque et fĂ©mi-niste90% des participants Ă  cette expĂ©riencechoisissent la rĂ©ponse 2. Ce type de rĂ©ponseest intriguant puisque la population desemployĂ©es de banque fĂ©ministes est inclusedans la population des employĂ©es debanque. De ce fait, la probabilitĂ© de cedouble Ă©vĂ©nement (employĂ©e de banque etfĂ©ministe) est beaucoup plus faible quecelle associĂ©e Ă  l’évĂ©nement simple(employĂ©e de banque). Ce biais de raison-nement est gĂ©nĂ©ralement nommĂ© erreur deconjonction. D’autres biais sont associĂ©s Ă l’utilisation de l’heuristique de reprĂ©sentati-vitĂ©, par exemple, l’insensibilitĂ© desrĂ©ponses Ă  la frĂ©quence initiale et Ă  la taillede l’échantillon ou encore l’interprĂ©tationerronĂ©e de la chance (gambler’s fallacy,Tversky et Kahneman, 1974)12.Sur ce dernier point, imaginons que nouslancions un dĂ© parfaitement Ă©quilibrĂ© 6 foisde suite et que nous analysions ce tirage enrelevant Ă  chaque lancer si le nombreobtenu est pair (notĂ© P) ou impair (notĂ© I).Les individus ont gĂ©nĂ©ralement tendance Ă considĂ©rer qu’un tirage du type I P P I I Pest plus probable qu’un tirage du type I I IP P P. La raison essentielle est que la suc-cession trop marquĂ©e de nombres impairspuis de nombres pairs semble, pour de

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11. Voir, Gilovich, Griffin et Kahneman, (2002).12. Pour plus de prĂ©cisions et une prĂ©sentation complĂšte de l’ensemble des biais induits par cette heuristique, le lec-teur peut se rĂ©fĂ©rer Ă  Tversky et Kahneman (1974, 1982, 2002) d’oĂč sont tirĂ©es les expĂ©riences qui illustrent cettesection.

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nombreux individus, contraire Ă  la notionde tirage alĂ©atoire. Or, la taille trĂšs faibledes tirages ne permet aucune conclusion dece type. Ce biais est dĂ» Ă  l’utilisation d’unerĂšgle erronĂ©e qualifiĂ©e de « loi des petitsnombres » (Tversky et Kahneman, 1971)13.Sur un marchĂ© financier, l’utilisation decette rĂšgle peut conduire les investisseurs Ă percevoir des tendances en lieu et place dephĂ©nomĂšnes parfaitement alĂ©atoires.

Heuristiques d’ancrage et de disponibilitĂ©

On distingue gĂ©nĂ©ralement trois dĂ©finitionsde l’ancrage : la premiĂšre concerne le pro-cessus par lequel un nombre saillant maisnon informatif est donnĂ©, la deuxiĂšme estun rĂ©sultat d’expĂ©rience qui dĂ©montre l’in-fluence de l’information donnĂ©e sur lechoix opĂ©rĂ© par les individus. Enfin,ancrage et ajustement ont parfois trait auprocessus psychologique par lequel lenombre donnĂ© conduit Ă  l’effet observĂ©(Chapman et Johnson 200214).La prĂ©sence de cette heuristique trouve saplus cĂ©lĂšbre illustration dans l’analyse desrĂ©sultats obtenus lors de l’expĂ©rience sui-vante15 (Tversky et Kahneman, 1974). Ellecomporte plusieurs Ă©tapes et les Ă©tapes 2 et3 contiennent les questions posĂ©es aux par-ticipants :– PremiĂšre Ă©tape : une roue de la fortune estutilisĂ©e et permet de tirer de façon alĂ©atoireun nombre compris entre 0 et 100. Le rĂ©sul-tat du tirage au sort est communiquĂ© auxparticipants.

– DeuxiĂšme Ă©tape : selon vous le nombre depays africains membres de l’ONU est-ilsupĂ©rieur ou infĂ©rieur au nombre tirĂ© ?– TroisiĂšme Ă©tape : Ă  combien estimez-vousle nombre de pays africains membres del’ONU?De façon surprenante, le nombre tirĂ© alĂ©a-toirement a une influence sur la rĂ©ponse Ă  laderniĂšre question. À titre d’exemple, Ă  laquestion finale, la rĂ©ponse mĂ©diane est de25 pour le groupe de sujets pour lequel lenombre issu du tirage alĂ©atoire est de 10 etde 45 pour le groupe de sujets soumis Ă  untirage alĂ©atoire de 65. La prĂ©sence de cetteheuristique a Ă©tĂ© confirmĂ©e par de nom-breuses Ă©tudes. Kahneman et Knetsch(1993) ont demandĂ© aux habitants deToronto s’ils Ă©taient prĂȘts Ă  payer 25 dollars(faible valeur de l’ancrage) ou 200 dollars(forte valeur de l’ancrage) pour nettoyer unlac afin d’y protĂ©ger la faune et la flore. UnedeuxiĂšme question est ensuite formulĂ©e : Ă votre avis, quelle est la valeur moyenne quesont prĂȘts Ă  payer les habitants de cette villepour le nettoyage? Dans ce cas, les sujetsconfrontĂ©s Ă  l’ancrage de 25 dollars esti-ment que le consentement Ă  payer moyenest de 14 dollars tandis que les sujetsconfrontĂ©s Ă  l’ancrage de 200 dollars esti-ment ce dernier Ă  36 dollars. On peut souli-gner que cet effet d’ancrage reste prĂ©sentmĂȘme lorsque les ancrages sont extrĂȘmes(Strack et Mussweiler, 1997)16.Selon Tversky et Kahneman, dans cesexpĂ©riences tout se passe comme si « les

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13. Une application concrĂšte et ludique de cette perception erronĂ©e de la chance est Ă©tudiĂ©e par Gilovich et al.(1985).14. Dans Gilovich et al. (2002, p. 121).15. La notion d’ancrage avait dĂ©jĂ  Ă©tĂ© soulignĂ©e par Slovic et Lichtenstein (1968).16. Voir Chapman et Johnson (2002) Ă  ce sujet et pour un approfondissement des derniĂšres recherches en psycho-logie concernant cette heuristique, le lecteur peut se rĂ©fĂ©rer aux chapitres 6, 7 et 8 de l’ouvrage de Gilovich et al.(2002).

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individus formulaient leurs estimations enpartant d’une valeur initiale et en l’ajustantpour donner leurs rĂ©ponses finales [et]
cetajustement est systĂ©matiquement tropfaible ». On peut noter que l’insuffisance del’ajustement observĂ© est couramment nom-mĂ©e biais de conservatisme. Sur les mar-chĂ©s financiers, ce phĂ©nomĂšne peut ĂȘtre Ă l’origine de sous-rĂ©action des investisseursĂ  de nouvelles informations (Bernard,1992, ou Barberis, Shleifer et Vishny, 1998pour une approche thĂ©orique s’appuyant surce constat).Selon Tversky et Kahneman (1974), l’heu-ristique de disponibilitĂ© est un principe parlequel les individus Ă©valuent la frĂ©quenced’une classe ou la probabilitĂ© associĂ©e Ă  unĂ©vĂ©nement en fonction de la facilitĂ© aveclaquelle les exemples ou l’occurrence detels Ă©vĂ©nements leur viennent Ă  l’esprit ; unĂ©vĂ©nement tel qu’un accident de voiture estgĂ©nĂ©ralement plus facilement imaginablequ’une morsure de mygale. Un exempleclassique de l’utilisation de cette heuris-tique est donnĂ© par Tversky et Kahnemanen 1973. Ces auteurs ont posĂ© Ă  des sujets laquestion suivante :Dans un Ă©chantillon alĂ©atoire de textes enlangue anglaise, est-il plus probable qu’unmot commence par la lettre K ou que K soiten troisiĂšme position (exclusion faite desmots de moins de trois lettres) ?Sur les 152 individus interrogĂ©s, 105 pen-sent que les mots commençant par la lettreK sont les plus nombreux. Dans les faits, lesmots qui contiennent un K en troisiĂšmeposition sont deux fois plus nombreux. CerĂ©sultat est le fruit de l’utilisation de l’heu-ristique de disponibilitĂ©. En effet, cesauteurs justifient ce choix par le fait que lesmots dont la premiĂšre lettre est K viennentplus facilement Ă  l’esprit que les seconds.

Les participants affectent alors Ă  ces motsune plus grande probabilitĂ© d’occurrence.Ces expĂ©riences ont aussi Ă©tĂ© menĂ©es avecd’autres lettres et conduisent au mĂȘmerĂ©sultat.

II. – COMPORTEMENTINDIVIDUEL : RÉSULTATS

EMPIRIQUES

Le comportement des investisseurs indivi-duels est de mieux en mieux apprĂ©hendĂ©par la recherche en finance comportemen-tale. En guise d’illustration, les porte-feuilles individuels semblent peu diversi-fiĂ©s (Goetzmann et Kumar, 2001) et lesinvestisseurs individuels semblent plusprompts Ă  racheter des titres prĂ©cĂ©dem-ment dĂ©tenus si leur prix a augmentĂ©depuis leur cession (Barber et al., 2004).En outre, certains biais systĂ©matiquessemblent conduire Ă  une gestion sous-optimale des portefeuilles individuels.Nous revenons dans les deux sous-sec-tions qui suivent sur deux biais classiquesassociĂ©s Ă  la gestion des portefeuilles indi-viduels.

1. Effet de disposition et sous-performance

Un biais devenu classique et qualifiĂ© debiais de disposition est dĂ©crit par Shefrin etStatman en 1985. Ce biais traduit la dispo-sition des investisseurs Ă  vendre les titres« gagnants » trop rapidement et Ă  garder enportefeuille trop longtemps les titres « per-dants ». DĂšs lors, ce comportement conduitles investisseurs Ă  une gestion sous-opti-male de leurs portefeuilles. D’un point devue trĂšs gĂ©nĂ©ral, la sous-optimalitĂ© de ges-tion des portefeuilles individuels peut trou-ver son origine dans la prĂ©sence d’un phĂ©-

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nomĂšne qualifiĂ© de comptabilitĂ© mentale(Thaler, 1985)17.Dans le cas de portefeuilles de titres, cettecomptabilitĂ© mentale conduit les investis-seurs Ă  nĂ©gliger les interactions possiblesentre les diffĂ©rents titres. Ils ont alors ten-dance Ă  « comptabiliser » chaque titre indivi-duellement et, de ce fait, le portefeuille n’estpas apprĂ©hendĂ© dans sa globalitĂ©. Outre cetteconsidĂ©ration trĂšs gĂ©nĂ©rale, les origines dubiais de disposition peuvent ĂȘtre multiples:– une croyance irrationnelle en le retour desprix Ă  la moyenne,– la forme de la fonction d’évaluation desinvestisseurs (la thĂ©orie des perspectives estdĂ©veloppĂ©e dans la derniĂšre section de cetarticle),– en rĂ©alisant leurs gains et en ne rĂ©alisantpas leurs pertes, les investisseurs satisfontleur recherche de fiertĂ© et Ă©vitent d’ĂȘtreconfrontĂ©s au regret18.Odean (1998) confirme l’existence de cebiais en Ă©tudiant 10 000 comptes d’investis-seurs individuels de janvier 1987 Ă dĂ©cembre 199319. Cette Ă©tude porte sur

6 380 actions traitĂ©es sur le NYSE,l’AMEX et le NASDAQ et 97 843 transac-tions sont prises en compte. Pour chaquetransaction et chaque portefeuille indivi-duel, le prix de vente des titres est comparĂ©au prix moyen d’achat de ces titres afin dedĂ©terminer s’il s’agit d’une rĂ©alisation deplus-value ou de moins-value. Les titres quicomposent le portefeuille individueln’ayant donnĂ© lieu Ă  aucune transactionpermettent de dĂ©terminer la perte ou le gainpotentiel de l’ensemble du portefeuille.Deux ratios sont alors calculĂ©s : une propor-tion de gain rĂ©alisĂ© (PGR) et une proportionde perte rĂ©alisĂ©e (PLR).Les lignes PLR et PGR contiennent respec-tivement les proportions de pertes rĂ©alisĂ©eset les proportions de gains rĂ©alisĂ©s. Lescolonnes, « AnnĂ©e », « DĂ©cembre », et« Janvier/Novembre » contiennent lesrĂ©sultats obtenus respectivement sur l’en-semble de l’échantillon, les mois dedĂ©cembre uniquement, les annĂ©es entiĂšres,exclusion faite du mois de dĂ©cembre. LaderniĂšre ligne contient la valeur de la statis-

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17. Voir, Benartzi et Thaler (2001) pour une illustration.18. Pour d’autres explications de ce phĂ©nomĂšne, voir Shefrin et Statman (1985).19. Voir Ă©galement, Dhar et Zhu (2002).20. Le mĂȘme type de rĂ©sultats est obtenu pour une analyse compte par compte, pour d’autres points de rĂ©fĂ©rence(prix maximum d’achat par exemple), pour des proportions calculĂ©es sur le nombre de titres Ă©changĂ©s ou encorepour des dĂ©coupages plus fins de l’échantillon initial.

Tableau 1RÉSULTATS OBTENUS

Année Décembre Janvier/Novembre

PLR 0,098 0,128 0,094

PGR 0,148 0,108 0,152

DIFF – 0,05 0,02 – 0,058

t-stat – 35 4,3 – 38

Source : Odean, 1998.

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tique de Student (significativitĂ© des diffĂ©-rences de proportions)20.Les rĂ©sultats traduisent sur l’ensemble de lapĂ©riode, et pour l’ensemble de l’annĂ©e, unedisposition plus forte des investisseurs Ă rĂ©aliser leurs gains plutĂŽt que leurs pertes(PLR < PGR). Les rĂ©sultats pour les moisde dĂ©cembre soulignent une proportion deventes importante par rapport au reste del’annĂ©e qui est Ă  mettre en parallĂšle avecl’économie d’impĂŽts que permet cette opĂ©-ration. En outre, on peut remarquer que cesrĂ©sultats sont statistiquement trĂšs significa-tifs. Enfin, si l’on se rĂ©fĂšre au tableau prĂ©-cĂ©dent, le rapport entre PGR et PLR estproche de 1,5, ce qui a une interprĂ©tationsimple : un titre en hausse a 50 % de plus dechances d’ĂȘtre vendu qu’un titre en baissedurant cette pĂ©riode.Cette disposition Ă  vendre les titresgagnants peut trouver sa motivation dansune croyance trĂšs forte au caractĂšre deretour Ă  la moyenne et le tableau suivantdonne les rentabilitĂ©s des titres gagnantsvendus et des titres perdants gardĂ©s en por-tefeuille pour diffĂ©rentes pĂ©riodes qui sui-vent cette opĂ©ration.

Les pĂ©riodes choisies sont respectivementde 84 jours (durĂ©e mĂ©diane de dĂ©tention destitres sur l’échantillon Ă©tudiĂ©), 1 an ou 252jours ouvrĂ©s (horizon d’investissementestimĂ© par Benartzi et Thaler, 1995) etenfin, 2 ans ou 504 jours ouvrĂ©s (tauxmoyen de dĂ©tention des titres sur le NYSEpour la pĂ©riode Ă©tudiĂ©e). Les deux pre-miĂšres lignes du tableau contiennent lesrentabilitĂ©s moyennes en excĂšs de l’indiceCRSP21 (reprĂ©sentatif du marchĂ© actionsamĂ©ricain) pour les titres gagnants venduset les titres perdants gardĂ©s en portefeuille.La troisiĂšme ligne contient la diffĂ©rence derentabilitĂ© moyenne entre ces deux types detitres22. Les rĂ©sultats traduisent, parexemple, que sur une pĂ©riode de 1 an, l’ex-cĂšs de rentabilitĂ© des titres vendus est de3,41 % supĂ©rieure Ă  l’excĂšs de rentabilitĂ©des titres gardĂ©s en portefeuille. En outre,cette sous-performance des titres gardĂ©s enportefeuille est observĂ©e quelle que soit ladurĂ©e retenue.TrĂšs clairement, si la stratĂ©gie des investis-seurs se fonde sur l’idĂ©e que les titres per-dants (gardĂ©s en portefeuille) « sur-perfor-ment » les titres gagnants dans une pĂ©riodefuture alors cette stratĂ©gie est en moyenne

152 Revue française de gestion

Tableau 2RÉSULTATS OBTENUS

84 jours 252 jours 504 jours

Titres gagnants vendus 0,47 2,35 6,45

Titres perdants gardĂ©s – 0,56 – 1,06 2,87

DIFF – 1,03 – 3,41 – 3,58

Source : Odean, 1998.

21. Center of Research in Security Prices de l’universitĂ© de Chicago.22. La significativitĂ© de ces rĂ©sultats est testĂ©e Ă  partir d’une mĂ©thode de bootstrap (voir, Odean 1998, p. 1791) : ilssont statistiquement significatifs.

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perdante. On peut remarquer que ce rĂ©sultatest compatible avec l’effet momentum mis enĂ©vidence par Jegadeesh et Titman en 1993.

2. Surconfiance et Ă©changes excessifs

Sur un marchĂ© oĂč n’interviennent que desinvestisseurs parfaitement rationnels etpleinement informĂ©s, le volume d’échangedes titres individuels est extrĂȘmementfaible. En effet, l’échange de titres rĂ©sultealors essentiellement d’ajustements de por-tefeuilles, guidĂ©s par la publication d’infor-mations affectant la valeur fondamentale del’entreprise. Comment expliquer alors lesvolumes Ă©changĂ©s sur les diffĂ©rents mar-chĂ©s mondiaux?Intuitivement, les raisons de l’échange detitres financiers peuvent ĂȘtre multiples : unbesoin de liquiditĂ©, un ajustement du couplerendement/risque, un refinancement de por-tefeuille (vente de titres gagnants afin decouvrir la perte sur d’autres positions) ouenfin, des raisons fiscales. Cependant, lesvolumes Ă©changĂ©s ne semblent pas pouvoirĂȘtre justifiĂ©s par ces seuls arguments. Pourles chercheurs en finance comportementale,les volumes d’échange sont extrĂȘmementĂ©levĂ©s car les investisseurs sont sur-confiants. Ce biais de surconfiance peutd’ailleurs ĂȘtre liĂ© Ă  d’autres notions tellesque le bais d’optimisme, l’illusion decontrĂŽle ou encore l’illusion de connais-sance.Le biais de surconfiance trouve son originedans l’étude du calibrage des probabilitĂ©ssubjectives. Ce dernier traduit de quellemaniĂšre la confiance dans un Ă©vĂ©nementcorrespond Ă  sa probabilitĂ© d’occurrenceeffective. Plus simplement, un individu est

parfaitement « calibrĂ© » si son niveau deconfiance dans une sĂ©rie d’évĂ©nements cor-respond Ă  leur probabilitĂ© moyenne de rĂ©a-lisation. Les rĂ©sultats de nombreuses expĂ©-riences montrent que les individus sontgĂ©nĂ©ralement surconfiants23. On peutcependant noter que lorsque les questionssont simples, un dĂ©faut de confiance estalors observĂ© (Lichtenstein et al., 1982).Les problĂšmes de calibrage ne constituentqu’une des manifestations de la sur-confiance. En effet, les individus suresti-ment leurs propres capacitĂ©s et sont particu-liĂšrement optimistes sur les Ă©vĂ©nementsfuturs qui leur sont personnellement favo-rables. En outre, la surconfiance se reflĂštedirectement dans l’opinion que les indivi-dus ont d’eux-mĂȘmes : ils se considĂšrent,par exemple, comme de meilleurs conduc-teurs (Svenson, 1981) ou de meilleurs ges-tionnaires (Cooper et al., 1988) que lamoyenne et ont tendance Ă  surestimer leurrĂŽle dans la rĂ©alisation d’évĂ©nements favo-rables (Miller et Ross, 1975).Les investisseurs sont-ils sujets au mĂȘmebiais ? Quelles sont, si c’est le cas, lesconsĂ©quences sur leurs choix d’investisse-ment?Sur les marchĂ©s financiers, les investisseursopĂšrent des sĂ©lections de titres dans un uni-vers oĂč la prĂ©vision est difficile et c’estdans ce type d’environnement que les phĂ©-nomĂšnes de surconfiance sont les plusprompts Ă  apparaĂźtre (Griffin et Tversky,2002). En outre, une certaine confiance ensa capacitĂ© de gestion et d’anticipation estnĂ©cessaire afin de dĂ©cider de gĂ©rer seul sonpropre portefeuille.

Le comportement des investisseurs individuels 153

23. Ce biais n’est pas liĂ© Ă  une profession, il est observĂ©, par exemple, chez les mĂ©decins, les psychologues cli-niques, les juristes ou encore les analystes financiers (Griffin et Tversky, 2002).

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On peut noter que sur un marchĂ© oĂč lescoĂ»ts de transaction sont positifs, un inves-tisseur parfaitement rationnel ne prendposition que si l’espĂ©rance de gain de cetteopĂ©ration excĂšde les coĂ»ts induits. À l’op-posĂ©, un investisseur surconfiant peutprendre une position dans le cas inverse enestimant de façon erronĂ©e, par exemple,l’amplitude des profits espĂ©rĂ©s. De la mĂȘmefaçon, un tel investisseur peut sĂ©lectionnerses titres en surestimant la prĂ©cision de soninformation privĂ©e ou sa capacitĂ© Ă  traitercette information.Une façon de mettre en exergue un tel com-portement est de mesurer si la rentabilitĂ©des titres achetĂ©s excĂšde la rentabilitĂ© destitres vendus par les investisseurs indivi-duels, en tenant compte des coĂ»ts de tran-sactions. Odean (1999) Ă©tudie la profitabi-litĂ© des choix de portefeuille desinvestisseurs Ă  partir de la base de donnĂ©esde comptes individuels dĂ©crite dans la sec-tion prĂ©cĂ©dente. Sur cette pĂ©riode et pourcet Ă©chantillon, le coĂ»t de transactionmoyen s’élĂšve Ă  5,9 % pour une opĂ©rationd’achat/vente et, de ce fait, la rentabilitĂ© des

titres achetĂ©s doit finalement excĂ©der d’en-viron 6 % celle des titres vendus afin d’ĂȘtreprofitable. Le tableau suivant offre lesrĂ©sultats obtenus pour l’ensemble del’échantillon et pour trois pĂ©riodes dis-tinctes de calcul des rentabilitĂ©s24.Le rĂ©sultat le plus marquant est que, quelleque soit la pĂ©riode choisie, la rentabilitĂ© destitres vendus excĂšde celle des titres achetĂ©s.Par exemple, pour l’échantillon global etpour un horizon d’une annĂ©e, la rentabilitĂ©des titres achetĂ©s est de 3,3 % infĂ©rieure Ă celle des titres vendus. On peut remarquerque ce constat est valide hors coĂ»ts de tran-saction et que la prĂ©sence de ces derniers nefait qu’amplifier ce rĂ©sultat25. Afin d’affinercette analyse, la sur ou sous-performancedes portefeuilles « potentiellement » dĂ©te-nus est mesurĂ©e. Pour chaque mois t, la ren-tabilitĂ© d’un portefeuille composĂ© d’uneposition dans chaque titre ayant fait l’objetd’un achat pendant une pĂ©riode prĂ©cĂ©dant lemois t, est calculĂ©e. Cette pĂ©riode est nom-mĂ©e pĂ©riode de formation et varie de 4 Ă 24 mois et le portefeuille construit estnommĂ© portefeuille « achetĂ© ». Un porte-

154 Revue française de gestion

24. Les pĂ©riodes de test choisies sont dĂ©crites dans la sous-section prĂ©cĂ©dente et ces rĂ©sultats sont statistiquementsignificatifs.25. Des rĂ©sultats identiques sont obtenus pour des dĂ©coupages diffĂ©rents de l’échantillon, pour les investisseurs lesplus actifs et en limitant l’effet de refinancement des portefeuilles.

Tableau 3RÉSULTATS OBTENUS EN POURCENTAGE

84 jours 252 jours 504 jours

Titres achetés 1,83 5,69 24,00

Titres vendus 3,19 9,00 27,32

DIFF – 1,36 – 3,31 – 3,32

Source : Odean, 1999.

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feuille « vendu » est construit de la mĂȘmefaçon. Il s’agit alors d’analyser les perfor-mances du portefeuille global par rapport Ă un benchmark reprĂ©sentatif du marchĂ©actions amĂ©ricain (indice CRSP). Letableau suivant donne quelques rĂ©sultats etl’on peut noter que ces derniers sont statis-tiquement significatifs26.Les colonnes prĂ©sentent les diffĂ©rentespĂ©riodes de formation retenues. La pre-miĂšre ligne contient la rentabilitĂ© moyennedu portefeuille en excĂšs du portefeuille dumarchĂ©. Enfin, la derniĂšre ligne contientl’alpha de Jensen.Les valeurs obtenues sont toutes nĂ©gativeset l’on peut conclure que le choix opĂ©rĂ© parles investisseurs n’est pas optimal. End’autres termes, les nombreux Ă©changes detitres ne semblent pas justifiĂ©s. En guised’illustration, si la pĂ©riode de formation desportefeuilles retient les titres Ă©changĂ©s partranche de 12 mois, alors le portefeuilleconstruit prĂ©sente une rentabilitĂ© mensuellemoyenne infĂ©rieure Ă  celle du marchĂ© del’ordre de 0,225 %. Les valeurs de l’indicede Jensen traduisent Ă©galement une sous-performance de la stratĂ©gie mise en place.Ces rĂ©sultats semblent corroborer l’hypo-

thĂšse selon laquelle les investisseurs souf-frent de sur-confiance et surestiment la prĂ©-cision de leur information. DĂšs lors, cet Ă©tatde fait les conduit Ă  des ajustements de por-tefeuilles trop frĂ©quents ou, en d’autrestermes, Ă  un Ă©change excessif de titres27.Dans le mĂȘme esprit, Barber et Odean(2002) testent l’hypothĂšse de surconfianceen Ă©tudiant le comportement et la perfor-mance d’investissements choisis par unlarge panel d’investisseurs ayant optĂ© pourune gestion de portefeuille en ligne contreune gestion traditionnelle. Leur base dedonnĂ©es contient, en particulier, les opĂ©ra-tions rĂ©alisĂ©es par 1 607 investisseurs sur lapĂ©riode janvier 1991 Ă  dĂ©cembre 1996. Cepanel est trĂšs original car il est constituĂ©d’investisseurs dont les stratĂ©gies sur-per-formaient le marchĂ© avant ce changement.En quoi ces investisseurs sont-ils suscep-tibles de souffrir du biais de surconfiance?Plusieurs arguments peuvent ĂȘtre avancĂ©s :– ces investisseurs obtiennent de bonsrĂ©sultats avant ce changement et, de ce fait,ont tendance Ă  penser que leur succĂšs est lefruit de leur compĂ©tence. À l’opposĂ©, lesindividus attribuent gĂ©nĂ©ralement leurĂ©chec au manque de chance ou Ă  l’action

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26. Le modĂšle de Fama et French (1993) est Ă©galement testĂ©. En outre, une analyse trĂšs prĂ©cise du comportementdes titres dans les pĂ©riodes qui prĂ©cĂšdent l’achat et la vente est proposĂ©e dans l’article original.27. Pour une analyse de la sur-confiance selon le sexe et ses consĂ©quences directes (volume d’échange plus impor-tant et performances plus faibles pour les hommes), le lecteur peut se rĂ©fĂ©rer Ă  Barber et Odean (2001).

Tableau 4RÉSULTATS OBTENUS EN POURCENTAGE

4 mois 12 mois 24 mois

RentabilitĂ© – 0,293 – 0,225 – 0,137

CAPM/alpha – 0,311 – 0,234 – 0,152

Source : Odean, 1999.

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des autres (Miller et Ross, 1975). Ce biaisd’auto-attribution peut alors entraĂźner unesurconfiance chez ces investisseurs et lesconduire Ă  s’engager dans des Ă©changesplus frĂ©quents et, en particulier, Ă  choisirdes investissements plus spĂ©culatifs. Enanticipant que l’effort demandĂ© par le chan-gement de gestion sera amorti par plusd’échanges, ces investisseurs semblent plusprompts Ă  passer Ă  la gestion en ligne ;– lorsque les individus reçoivent plus d’in-formations sur la base desquelles ils formu-lent des prĂ©visions, la prĂ©cision de leursprĂ©visions tend Ă  augmenter moins rapide-ment que la confiance qu’ils ont dans cesderniĂšres. La quantitĂ© d’information sup-plĂ©mentaire peut conduire Ă  une illusion deconnaissance et Ă  une surconfiance (Peter-son et Plitz, 1988). En gĂ©rant leur porte-feuille via le rĂ©seau, les investisseurs sontconfrontĂ©s Ă  une foule d’informations quipeut accentuer l’illusion de connaissance etde ce fait la sur-confiance ;– les individus pensent gĂ©nĂ©ralement queleur implication personnelle a une influence

sur la rĂ©alisation d’évĂ©nements favorables(pourtant alĂ©atoires) et ce phĂ©nomĂšne estnommĂ© l’illusion du contrĂŽle (Langer etRoth, 1975). En choisissant leurs titres sansintermĂ©diaire (conversation tĂ©lĂ©phonique,par exemple), ces investisseurs peuvent sesentir personnellement plus impliquĂ©s ;l’illusion de contrĂŽle peut les conduire Ă  desĂ©changes plus frĂ©quents.Le tableau 5 suivant rĂ©sume les principauxrĂ©sultats obtenus avec des rentabilitĂ©smesurĂ©es en tenant compte des coĂ»ts detransaction28.La premiĂšre colonne (colonne « avant »)concerne les rĂ©sultats obtenus avant le pas-sage Ă  la gestion en ligne et la secondeaprĂšs ce passage (colonne « aprĂšs »). Outreles rĂ©sultats obtenus par le panel d’investis-seurs ayant changĂ© de mode de gestion(colonnes online), le tableau contient lesrĂ©sultats qui concernent un panel d’inves-tisseurs « proches » de ces derniers maisn’ayant pas procĂ©dĂ© au changement demode de gestion sur l’ensemble de lapĂ©riode Ă©tudiĂ©e29. Ces derniers sont quali-

156 Revue française de gestion

28. Pour la significativitĂ© des ces rĂ©sultats, le lecteur peut se rĂ©fĂ©rer Ă  l’article original.29. Au moment de la premiĂšre transaction d’un investisseur sur l’internet, un autre investisseur ayant la position laplus proche (en termes de taille) lui est associĂ©. D’autres alternatives sont testĂ©es et ne modifient pas fondamenta-lement les rĂ©sultats.

Tableau 5RÉSULTATS OBTENUS EN TENANT COMPTE DES COÛTS DE TRANSACTION

Avant AprĂšs

Rentabilité Online Classique DIFF Online Classique DIFF

RentabilitĂ© nette 1,492 1,355 0,137 1,002 1,082 – 0,08

ExcĂšs/marchĂ© 0,197 0,060 0,137 – 0,291 – 0,211 – 0,08

Excùs/benchmark – 0,160 – 0,196 0,036 – 0,297 – 0,120 – 0,177

CAPM/alpha 0,126 0,044 0,082 – 0,519 – 0,311 – 0,208

Taux rotation 73,7 53,2 20,5 95,5 48,2 47,3

Source : Odean, 1999.

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fiĂ©s de classiques dans la suite. Lescolonnes « DIFF » contiennent les Ă©carts.Les lignes « rentabilitĂ© nette », « excĂšs/marchĂ© » et « CAPM/alpha » donnent res-pectivement les rentabilitĂ©s mensuellesmoyennes, les rentabilitĂ©s mensuellesmoyennes en excĂšs de l’indice CRSP et lamesure de performance de Jensen. Enfin, laligne « excĂšs/benchmark » contient les ren-tabilitĂ©s mensuelles moyennes en excĂšsd’une rĂ©fĂ©rence interne. Cette derniĂšre cor-respond Ă  la performance mensuellemoyenne des portefeuilles dĂ©tenus par lesinvestisseurs au dĂ©but de chaque annĂ©e. End’autres termes, elle mesure la performanceobtenue si aucune transaction n’avait Ă©tĂ©rĂ©alisĂ©e pendant l’annĂ©e.Le premier constat est que le panel d’inves-tisseurs ayant optĂ© pour une gestion enligne (que nous qualifierons d’investisseursonline dans la suite) rĂ©alise une bonne per-formance et surperforme le marchĂ© de prĂšsde 20 points de base (les investisseurs clas-siques d’environ 14 points de base). AprĂšsle changement, les performances affichĂ©espar les investisseurs online se dĂ©gradent etsous-performent le marchĂ© et les investis-seurs classiques (respectivement de 29points de base et de 8 points de base). Levolume d’échanges (dans la ligne « taux derotation ») a particuliĂšrement augmentĂ©pour les investisseurs online. Le taux derotation annualisĂ© est mesurĂ© sur les deuxans qui prĂ©cĂšdent le passage Ă  la gestiononline et deux ans aprĂšs cet Ă©vĂ©nement. Lesinvestisseurs online ont un taux de rotationplus important avant le changement de typede gestion. Cependant, aprĂšs ce passage letaux de rotation augmente de plus de 20 %

(pour atteindre 95,5 %) alors que celui desinvestisseurs classiques diminue30. On peutnoter que lors du premier mois d’échangevia internet, ce taux de rotation atteint120 %. Enfin, la performance en excĂšs dubenchmark interne montre que les investis-seurs online perdent 30 points par mois(3,6 % annuel) au travers de leur activitĂ©alors que les investisseurs classiques neperdent que 12 points de base (1,4 %annuel).Pour conclure, l’ensemble de ces rĂ©sultatsconfirme, trĂšs largement, les hypothĂšsestestĂ©es et, en particulier, celles concernantla sur-confiance et les Ă©changes excessifsdes investisseurs.

III. – LES PROPOSITIONSTHÉORIQUES ALTERNATIVES

Les travaux menĂ©s par les expĂ©rimenta-listes dans le domaine de la prise de dĂ©ci-sion face au risque ont permis de dĂ©gagerun certain nombre de conclusions indĂ©pen-dantes du contexte dans lequel les dĂ©cisionssont prises. L’article de Kahneman etTversky (1979) prĂ©sente de nombreux testsexpĂ©rimentaux dont les rĂ©sultats rĂ©sumentl’ensemble des travaux prĂ©cĂ©dents etconduisent les auteurs Ă  construire unethĂ©orie des choix individuels fondĂ©e sur lesconstatations suivantes :– les individus ont tendance Ă  sur-pondĂ©rerles Ă©vĂ©nements dont la probabilitĂ© d’occur-rence est faible et Ă  sous-pondĂ©rer les pro-babilitĂ©s moyennes ;– l’évaluation d’une loterie se fait par rap-port aux variations de richesse qu’elleengendre et non par rapport aux niveaux

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30. Les auteurs démontrent également que le taux de rotation « spéculatif » double aprÚs le passage à une gestionen ligne.

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absolus de richesse atteints lors de la rĂ©so-lution de l’incertitude ;– une perte d’un montant donnĂ© a un effetnĂ©gatif sur le bien-ĂȘtre plus important quel’effet positif liĂ© Ă  un gain de mĂȘme mon-tant ;– les individus sont preneurs de risque ducĂŽtĂ© des pertes et riscophobes du cĂŽtĂ© desgains.Le premier point fonde le principe de nonlinĂ©aritĂ© par rapport aux probabilitĂ©s surlequel repose l’ensemble des thĂ©ories alter-natives Ă  la thĂ©orie de l’espĂ©rance d’utilitĂ©(EU). Parmi celles-ci, la thĂ©orie de l’utilitĂ©espĂ©rĂ©e dĂ©pendante du rang (Quiggin,1982 ; Yaari, 1987) utilise, non seulementdes fonctions de pondĂ©ration Ă  la place desprobabilitĂ©s mais introduit le concept dedĂ©pendance au rang. Cette modificationconduit Ă  recourir Ă  une fonction de trans-formation des probabilitĂ©s qui permet derĂ©soudre les problĂšmes de dominance sto-chastique liĂ©s Ă  l’emploi de fonctions depondĂ©ration, en particulier dans le cas, frĂ©-quent en finance, de loteries dotĂ©es de deuxprix.Les trois derniers points fondent la thĂ©oriedes perspectives de Kahneman et Tversky31

qui connaĂźt le plus grand succĂšs depuis plu-sieurs annĂ©es. Cette thĂ©orie utilise leconcept de dĂ©pendance face au rang etintroduit le traitement asymĂ©trique desgains et des pertes par rapport Ă  un niveaude rĂ©fĂ©rence. Dans ce cadre, les prĂ©fĂ©rencesdes agents sont dĂ©terminĂ©es de façonconjointe par la valeur subjective desconsĂ©quences des choix qui diffĂšre selonqu’il s’agit de gains ou de pertes (mesurĂ©e

par la fonction d’évaluation) et par l’atti-tude des individus face au risque (mesurĂ©epar la fonction de transformation). Il estsans doute trop tĂŽt pour trancher dĂ©finitive-ment la question de savoir si le succĂšs de lathĂ©orie des perspectives rĂ©sulte d’un effetde mode ou si cette approche autorise unedescription des prĂ©fĂ©rences qui permet derendre compte de la majoritĂ© des phĂ©no-mĂšnes inexpliquĂ©s par le modĂšle EU. Il fauttoutefois reconnaĂźtre que les diverses appli-cations dans le domaine de la finance sontprometteuses ; elles apportent en effet dessolutions satisfaisantes Ă  des problĂšmeslonguement dĂ©battus dans la littĂ©rature aca-dĂ©mique comme l’énigme de la prime derisque des actions32 ou celle de la volatilitĂ©des prix par rapport Ă  celle des divi-dendes33.Avant de prĂ©senter la thĂ©orie des perspec-tives de Kahneman et Tversky, nous faisonsun dĂ©tour par la thĂ©orie de l’utilitĂ© espĂ©rĂ©edĂ©pendante du rang qui permet d’introduirele principe de non-linĂ©aritĂ© par rapport auxprobabilitĂ©s dans la premiĂšre sous-sectionde cette partie. Une derniĂšre sous-sectionpropose une illustration de l’utilisation deces deux thĂ©ories pour Ă©valuer un produitfinancier rĂ©cemment proposĂ© par lesMutuelles du Mans.

1. Non-linéarité par rapport aux probabilités

Les modĂšles qui permettent d’introduire lanon-linĂ©aritĂ© par rapport aux probabilitĂ©sproposent de remplacer les probabilitĂ©s par des poids. ConsidĂ©rons une loterie (x1 ;

158 Revue française de gestion

31. Kahneman et Tversky (1979), Tversky et Kahneman (1992).32. Voir Benartzi et Thaler (1995), Barberis et al. (2001).33. Voir Shiller (1981).

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 ; xn ; pn) qui procure un rĂ©sultat xiavec la probabilitĂ© pi, i = 1, 

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luée par :

^n

i = 1 u(xi) w(pi)

u est une fonction d’utilitĂ© et w(pi) est lepoids du rĂ©sultat i. Ce poids peut ĂȘtre inter-prĂ©tĂ© comme l’attention accordĂ©e au rĂ©sul-tat i, il est matĂ©rialisĂ© dans une fonction depondĂ©ration w(.) et dĂ©pend, par hypothĂšse,seulement de la probabilitĂ© pi. Cette for-mule gĂ©nĂ©ralise l’ensemble des modĂšlesqui intĂšgrent la non-linĂ©aritĂ© par rapportaux probabilitĂ©s. La thĂ©orie de l’espĂ©ranced’utilitĂ© constitue un cas particulier danslequel w(pi) = pi. Ces modĂšles supposentque la somme des poids est Ă©gale Ă  un afinde prĂ©server la propriĂ©tĂ© de dominance sto-chastique d’ordre 1 indispensable Ă  la trans-formation des probabilitĂ©s pi indĂ©pendam-ment des rĂ©sultats xi.Le concept de dĂ©pendance au rang permetl’utilisation de poids dont la somme nevaut pas nĂ©cessairement 1 et a, en outre,l’avantage de rassembler l’ensemble desmodĂšles de choix non linĂ©aires en uneseule formulation thĂ©orique qui en facilitela prĂ©sentation.

L’intuition de la dĂ©pendance au rang est quel’attention accordĂ©e Ă  un rĂ©sultat dĂ©pend nonseulement de la probabilitĂ© de ce rĂ©sultatmais aussi de son attrait par rapport auxautres rĂ©sultats de la loterie. Le tableau 6 ci-aprĂšs illustre cette intuition34. Si un dĂ©cideurpessimiste Ă©value la loterie A, il sera prĂȘt Ă accorder plus d’un tiers de son attention aurĂ©sultat de 10 alors qu’il peut Ă©valuer la lote-rie B en accordant cette fois moins d’atten-tion au rĂ©sultat de 10. Deux rĂ©sultats demontants identiques peuvent donc avoir despoids diffĂ©rents si leurs rangs sont diffĂ©rentsdans l’attention que leur porte le dĂ©cideur.De la mĂȘme façon, il est possible que deuxĂ©vĂ©nements ayant la mĂȘme probabilitĂ© aientdes pondĂ©rations diffĂ©rentes si leurs rangssont diffĂ©rents. Le rang d’un rĂ©sultat captetoute l’attention du dĂ©cideur et dĂ©termineainsi la fonction de transformation. Celle-ciest appliquĂ©e Ă  la fonction de rĂ©partition desrĂ©sultats.Comme les modĂšles qui l’ont prĂ©cĂ©dĂ©e, lathĂ©orie de l’utilitĂ© espĂ©rĂ©e dĂ©pendante durang (RDEU) repose sur l’utilisation d’unefonction de pondĂ©ration w : [0, 1]→[0, 1]mais celle-ci n’est plus appliquĂ©e aux pro-babilitĂ©s d’évĂ©nements individuels mais Ă la fonction de rĂ©partition. Ainsi, le poidsaccordĂ© au rĂ©sultat xi apparaĂźt dans une

Le comportement des investisseurs individuels 159

34. Nous empruntons cet exemple Ă  Diecidue et Wakker (2001).

Tableau 6EXEMPLES DE LOTERIES

Loterie A Loterie B

Gain Probabilité Gain Probabilité

10 1/3 30 1/3

20 1/3 0 1/3

30 1/3 10 1/3

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fonction de transformation πi qui tientcompte du rang des rĂ©sultats. Pour une lote-rie (x1 ; p1 ; 

xn ; pn), avec x1 < x2

xn la fonction RDEU qui permet d’évaluerla loterie est donnĂ©e par :

V(x1 ; p1 ; 

xn ; pn) = ^i = n

i = 1u(xi) πi

oĂč πi = w1 ^i

j = 1pj2 – w 1 ^

i–1

j = 1pj2 = w(F(xi))

pour i ≄2

Dans le tableau 6, le résultat de 10 est classépar le décideur au rang 1/3 pour la loterie Acar FA(10)=1/3, et au rang 2/3 pour la lote-rie B car FB(10)=1/3+1/3.

2. Traitement asymétrique des gains et des pertes

La thĂ©orie des perspectives introduit le trai-tement asymĂ©trique des gains et des pertespar rapport Ă  un niveau de rĂ©fĂ©rence gĂ©nĂ©-ralement associĂ© Ă  une variation de richessenulle. Cette thĂ©orie est alors formellementdĂ©crite dans le contexte de loteries compor-tant un nombre n de rĂ©sultats possibles,positifs et nĂ©gatifs. Pour une loterie (x1 ; p1 ; 

xn ; pn) on supposera parconvention que x1 < x2 < 0 < xm+1 < ..... xn.En rĂ©fĂ©rence Ă  un investissement dans unactif financier ou un portefeuille, on a doncm Ă©tats de la nature pour lesquels la renta-bilitĂ© est nĂ©gative alors que les (n-m) Ă©tatsrestants engendrent une rentabilitĂ© positive.De ce fait, la fonction d’évaluation d’unagent, notĂ©e V, est dĂ©composĂ©e en deuxparties :

V(x1 ; p1 ; ..... xn ; pn) = V(x) = V(x+) + V(x–)

= ^i = n

i = 1πi

+ v (xi) + ^i = m

i = 1πi

– v (xi)

La fonction v est le pendant de la fonctiond’utilitĂ© u. Cependant, comme Kahnemanet Tversky l’ont mis en Ă©vidence expĂ©-rimentalement, v est concave du cĂŽtĂ© desgains (Ă  droite du niveau de rĂ©fĂ©rence)mais convexe du cĂŽtĂ© des pertes (Ă gauche du niveau de rĂ©fĂ©rence). De plus,comme les agents manifestent de l’aver-sion pour les pertes, la pente Ă  gauche duniveau de rĂ©fĂ©rence est plus forte que lapente Ă  droite de ce mĂȘme niveau. End’autres termes, cette fonction n’est pasdiffĂ©rentiable au niveau du statu quo. Laforme paramĂ©trique n’est pas unique,mais la plus courante est donnĂ©e ci-dessous :

v(x) = 5(x – x*) si x≄ x*

– λ (x* – x)ÎČ si x <x*

oĂč x* est le niveau de rĂ©fĂ©rence Ă  partirduquel gains et pertes sont calculĂ©s.Lorsque le temps n’intervient pas (le rĂ©sul-tat de la loterie est connu immĂ©diatement)x* est la richesse de l’agent lorsqu’ildĂ©cide ou non de participer Ă  la loterie.Dans les problĂ©matiques de finance, lechoix du point de rĂ©fĂ©rence est plus dĂ©li-cat. Si par exemple, il s’agit de dĂ©ciderd’investir pour un an dans un portefeuilleindiciel, ce point de rĂ©fĂ©rence doit ĂȘtreĂ©valuĂ© Ă  partir des possibilitĂ©s d’investis-sement alternatif. Le choix le plus courantconsiste Ă  prendre comme rĂ©fĂ©rence larichesse initiale capitalisĂ©e au taux sansrisque.Les valeurs des paramĂštres, estimĂ©es parTversky et Kahneman sont α = ÎČ = 0,88 etλ = 2,25 toutefois plusieurs Ă©tudes rĂ©centesutilisent, par souci de simplification, α = ÎČ= 1 car la fonction devient linĂ©aire par mor-

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ceaux35. Le coefficient λ est appelĂ© indiced’aversion aux pertes (Köbberling et Wakker, 2002). Il est supĂ©rieur Ă  1 pour tra-duire cette aversion. En effet, dans une lote-rie Ă  deux rĂ©sultats, si la mise (et donc lerĂ©sultat nĂ©gatif en cas de perte) est d’uneunitĂ©, le gain net devra ĂȘtre supĂ©rieur Ă  λ encas d’issue favorable pour que l’individuaccepte de participer Ă  cette loterie. Lafigure 1 reprĂ©sente la fonction v autour dupoint de rĂ©fĂ©rence fixĂ© Ă  0 lorsque α = ÎČ =0,88. Comme les paramĂštres α et ÎČ sontproches de 1, le rĂ©sultat est assez proched’une fonction linĂ©aire par morceaux. Parcontre, la prĂ©sence du coefficient d’aver-sion aux pertes induit un point de non-dif-

fĂ©rentiabilitĂ© au niveau de rĂ©fĂ©rence x* sup-posĂ© Ă©gal Ă  0 dans cet exemple.Les poids πi

+ et πi– sont, comme pour le

modĂšle RDEU, dĂ©finis Ă  l’aide de fonctionsde pondĂ©ration, notĂ©es w+ et w– mais w– s’applique Ă  la fonction dĂ©cumulative36

alors que la fonction w– s’applique Ă  lafonction de rĂ©partition de la loterie :

πn+ = w+ (pn) et

πi+ = w+ 1 ^

n

j = ipj2 – w+ 1 ^

n

j = i+1pj2

= w+ (1 – Fx(xi – 1)) – w+ (1 – Fx(xi))

pour m ≀ i < n

Le comportement des investisseurs individuels 161

Figure 1FONCTION D’ÉVALUATION

35. Ce choix simplificateur est par exemple fait par Barberis et al. (2001) dans l’étude de l’énigme de la prime derisque des actions.36. Lorsque F est la fonction de rĂ©partition d’une variable alĂ©atoire, la fonction dĂ©cumulative G est dĂ©finie parG(x)=1 – F(x).

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π1– = w– (p1) et

π1– = w– 1 ^

i

j = 1pj2 – w– 1 ^

i – 1

j = 1pj2

= w– (Fx(xi)) – w– (Fx(xi– 1))

pour 2 ≀ i ≀ m

La forme paramĂ©trique proposĂ©e parTversky et Kahneman est la mĂȘme pour lesdeux fonctions mais les paramĂštres sontdiffĂ©rents. Plus prĂ©cisĂ©ment, si l’on dĂ©finitw de la façon suivante :

w(p, ÎŽ ) =

les fonctions w+ et w– sont de la formew+(p)= w(p,ÎŽ +) et w–(p)= w(p,ÎŽ –) oĂč ÎŽ +

et ÎŽ − sont deux paramĂštres rĂ©els qui peu-vent prendre des valeurs diffĂ©rentes. Cetteformulation de w n’est pas unique mais cechoix constitue une description parcimo-nieuse des pondĂ©rations car un seul para-mĂštre intervient. Tversky et Kahneman

obtiennent ÎŽ += 0,61 et ÎŽ –= 0,69 sur leursrĂ©sultats expĂ©rimentaux.À titre d’exemple, si l’on suppose qu’il y avingt Ă©tats Ă©quiprobables et que la moitiĂ©donne des rĂ©sultats positifs, la figure 2illustre les poids affectĂ©s aux rĂ©sultats desvingt sorties possibles de la loterie rangĂ©sdans l’ordre croissant. Comme c’était le casprĂ©cĂ©demment, le systĂšme de poids π = ( π +, π –) ne dĂ©finit pas une probabilitĂ©

(^10

i = 1πi

– + ^20

i = 11πi

+ ≈ 0,90 en supposant pour

simplifier que ή += ή −= 0,69).

3. Une illustration : le produit MMmax

Les Mutuelles du Mans ont proposĂ© ennovembre 2003 un produit appelĂ© MMmaxqui repose lui aussi sur une loterie. Le sous-cripteur voit ses fonds rĂ©munĂ©rĂ©s Ă  2,5 %par an ; c’était le taux garanti pour l’annĂ©e2004 au moment de la commercialisationdu produit en novembre 2003. Les

pή(pή + (1 – p)ή)1/ή

162 Revue française de gestion

Figure 2FONCTION DE PONDÉRATION AVEC ÉTATS ÉQUIPROBABLES

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Mutuelles du Mans Assurances (MMA dansla suite) procĂšdent, au dĂ©but de chaque sai-son (au sens usuel du terme), au tirage ausort d’un nombre compris entre 000 et 999.Ce nombre dĂ©termine les bonus du compted’épargne et le souscripteur doit choisirdeux saisons dans l’annĂ©e aux tirages des-quelles il pourra participer (les bonus nesont pas cumulables).Le processus est ensuite trĂšs simple. Sup-posons que le nombre tirĂ© soit xyz ; lescontrats dont le numĂ©ro se termine par zgagnent 5 % d’intĂ©rĂȘts payĂ©s en fin d’an-nĂ©e, en plus des 2,5 % promis initialement.Les contrats dont le numĂ©ro se termine paryz gagnent 10 % d’intĂ©rĂȘt supplĂ©mentaireet, enfin, les contrats dont le numĂ©ro finitpar xyz gagnent 20 %.Afin de dĂ©terminer simplement l’espĂ©rancedu coĂ»t pour MMA, et donc l’espĂ©rance degain pour les souscripteurs, nous suppo-sons que les souscripteurs choisissent auhasard les saisons de participation auxtirages, que le nombre de souscripteurs estun multiple de 1000 et que tous les sous-cripteurs investissent un mĂȘme montant37

de 10 000 €.

ConsidĂ©rons, sans perte de gĂ©nĂ©ralitĂ©, unsouscripteur ayant choisi de participer auxdeux premiers tirages et notons X1, X2 deuxvariables alĂ©atoires, correspondant auxdeux tirages successifs, prenant les valeurs0, 1, 2 et 3 selon le nombre de numĂ©ros cor-rects obtenus aux tirages au sort. Letableau 7 indique les gains obtenus selon lesvaleurs des variables X1 et X2. Les deuxpremiĂšres lignes et colonnes contiennentles valeurs des variables et les probabilitĂ©sd’occurrence de celles-ci. Les autres ligneset colonnes contiennent les gains effective-ment obtenus.Les variables X1 et X2 sont indĂ©pendantes etsi l’on note gij le bonus obtenu lorsquevariables X1 = i et X2 = j, le bonus espĂ©rĂ©s’écrit :

^3

i, j = 0gij P(X1 = i) P(X2 = j) = 106, 4

Comme le taux certain est de 2,5 %, la ren-tabilité espérée de ce placement est donc de3,564 %.Le tableau 8 récapitule les résultats obtenussi la richesse de référence est considérée

Le comportement des investisseurs individuels 163

37. Le montant de 10000 euros est choisi pour la lisibilité des résultats mais un contrat ne peut dépasser 1500 euros.

Tableau 7BONUS SUR 10000 EUROS

X1/X2 0 1 2 3

Probabilités 0,9 0,09 0,009 0,001

0 0,9 0 500 1000 2000

1 0,09 500 500 500 500

2 0,009 1000 1 000 1000 1000

3 0,001 2000 2 000 2000 2000

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comme Ă©tant la richesse initiale capitalisĂ©eau taux de 3,564 %.Les deux premiĂšres colonnes contiennentles probabilitĂ©s et les rentabilitĂ©s corres-pondantes. La troisiĂšme colonne indique lavaleur de vi, les trois derniĂšres reprĂ©sententla fonction de pondĂ©ration πj dans le cas desdeux thĂ©ories.L’évaluation globale pour la thĂ©orie desperspectives V(x) pour les valeurs ÎŽ += 0,61et ÎŽ −= 0,69 s’écrit donc :

V(x) = V(x+)+V(x–)= (192,1536 30,1755 + 395,372 30,0577

+ 765,621 30,0212) + (– 136,7386 3

0,6781) = – 19,98

En utilisant la mĂȘme valeur pour le para-mĂštre, ÎŽ+= 0,65=ή−,on obtient V(x)=– 19,93.L’évaluation est dans les deux cas nĂ©ga-tive38, ce qui signifie une prĂ©fĂ©rence desinvestisseurs pour le rendement sĂ»r de3,564 %. Si l’on considĂšre Ă  prĂ©sent l’éva-luation obtenue avec la thĂ©orie de l’utilitĂ©espĂ©rĂ©e dĂ©pendante du rang, les rĂ©sultatsdiffĂšrent :

V(x) =10 501,51 > 10 356,4 et les investis-seurs prĂ©fĂšrent la loterie MMmax.Ainsi, dans le cas de la thĂ©orie des perspec-tives, les investisseurs bien qu’étant attirĂ©spar les loteries Ă  skewness positive sontĂ©galement caractĂ©risĂ©s par une aversion auxpertes qui les conduit Ă  refuser la loteriealors que cette aversion aux pertes n’aaucune influence dans la thĂ©orie de l’utilitĂ©espĂ©rĂ©e dĂ©pendante du rang.Si les investisseurs obĂ©issent Ă  la CPT,force est de constater que le produitMMmax n’est pas trĂšs bien conçu. Para-doxalement, son dĂ©faut n’est pas l’excĂšs derisque mais une insuffisance dans la disper-sion des rĂ©sultats. On peut en effet montrerque si on fait passer le bonus maximum Ă 75 % en diminuant le taux sĂ»r de 0,1 % (cequi laisse constante l’espĂ©rance de rentabi-litĂ©), la fonction d’évaluation devient posi-tive (Roger et Pfiffelmann, 2005). Obtenir2,4 % au lieu de 2,5 % n’est pas perçucomme trĂšs pĂ©nalisant alors qu’un bonus de75 % au lieu de 20 % paraĂźt trĂšs attractif,mĂȘme si le souscripteur n’a qu’une chancesur mille de recevoir ce bonus.

164 Revue française de gestion

38. L’évaluation est obtenue pour α = ÎČ =0,88. En utilisant une fonction v linĂ©aire par morceaux α =ÎČ = 1, le rĂ©sul-tat demeure nĂ©gatif, V(x)= – 1,62.

Tableau 8CALCUL DE LA FONCTION D’ÉVALUATION

ProbabilitĂ© Rendement vi πj(CPT) πj(CPT) πj(RDEU)

ή + =0,61 ;ή − = 0,69 ή + =0,65= ή− ή = 0,65

0,81 2,5% –136,7386 0,6781 0,6489 0,6489

0,171 7,5% 192,1536 0,1755 0,1836 0,2492

0,0171 12,5% 395,372 0,0577 0,0525 0,0768

0,0019 22,5% 765,621 0,0212 0,0166 0,0250

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CONCLUSION

Les thĂ©ories issues de la psychologie et dela sociologie ont donnĂ© lieu, au cours desvingt derniĂšres annĂ©es, Ă  de nombreux tra-vaux dans les divers domaines des sciencesde gestion. En particulier, un nouveau cou-rant de recherche en plein dĂ©veloppement,la finance comportementale, remet en causeun grand nombre de modĂšles de la thĂ©oriefinanciĂšre classique.Cette derniĂšre s’est construite autour detrois piliers : la rationalitĂ© parfaite des indi-vidus, l’efficience des marchĂ©s, et la maxi-misation de l’espĂ©rance d’utilitĂ©. L’ambi-tion de cet article Ă©tait, d’une part, deprĂ©senter les rĂ©sultats des Ă©tudes empi-riques qui ont remis en cause certains de cesfondements, en particulier la rationalitĂ© par-faite des investisseurs et, d’autre part, demontrer que la thĂ©orie des perspectives peutĂȘtre une alternative riche en termes de des-cription du comportement de l’investisseurindividuel.Dans une premiĂšre section, les principauxbiais cognitifs et leurs implications entermes de gestion des portefeuilles indivi-duels ont Ă©tĂ© soulignĂ©s. Nous nous sommesensuite penchĂ©s sur les thĂ©ories alternatives

au modĂšle dominant de l’espĂ©rance d’uti-litĂ©. L’application au produit MMmax,commercialisĂ© par les Mutuelles du Mansen novembre 2003, souligne les implica-tions concrĂštes de la finance comportemen-tale en matiĂšre de « design » des produitsfinanciers. Outre cet aspect opĂ©rationnel,certaines anomalies classiques trouvent desrĂ©ponses satisfaisantes dans ce cadre thĂ©o-rique, nous pensons en particulier Ă l’énigme de la prise de risque des actions(Benartzi et Thaler, 1995).MalgrĂ© ces rĂ©sultats encourageants, il estencore trop tĂŽt pour savoir si une approchecomportementale des choix d’épargne etd’investissement est en mesure de supplan-ter l’approche microĂ©conomique usuelle.En particulier, l’application de ces thĂ©oriesalternatives en matiĂšre de choix de porte-feuille pose de redoutables problĂšmes cal-culatoires, dans la mesure oĂč l’évaluation(au sens de la fonction V) d’un portefeuillenĂ©cessite d’ordonner tous les rĂ©sultats pos-sibles. L’histoire a cependant souvent mon-trĂ© qu’un problĂšme jugĂ© insoluble Ă  un ins-tant donnĂ© trouvait une solutionsatisfaisante dans un futur plus ou moinsproche.

Le comportement des investisseurs individuels 165

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