FĂVRIER 2019
LA VALEUR DE LâACTION POUR LE CLIMAT
UNE VALEUR TUTĂLAIRE DU CARBONE POUR ĂVALUER LES INVESTISSEMENTS
ET LES POLITIQUES PUBLIQUES
Rapport de la commission présidée par
Alain Quinet
Rapporteurs
Julien Bueb, Boris Le Hir, BérengÚre Mesqui, Aude Pommeret, France Stratégie
Matthieu Combaud, Direction générale du Trésor
FRANCE STRATĂGIE 3 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
AVANT-PROPOS
La lutte contre le rĂ©chauffement climatique impose de limiter les quantitĂ©s de gaz Ă effet de serre, et tout particuliĂšrement de gaz carbonique, prĂ©sentes dans lâatmosphĂšre. Pour honorer ses engagements en la matiĂšre, la France doit sensiblement accentuer ses efforts. Or elle a pris un retard important sur la trajectoire quâelle devrait suivre pour atteindre lâobjectif de neutralitĂ© carbone, ou zĂ©ro Ă©mission nette (ZEN), inscrit dans lâAccord de Paris de 2015 et le Plan Climat de 2017.
Pour dĂ©carboner, il faut investir pour rĂ©duire les Ă©missions. Le choix des investissements Ă effectuer doit se faire en fonction dâun coĂ»t par tonne dâĂ©missions Ă©vitĂ©es. Câest ce que fait lâĂtat pour ses propres investissements, en se fixant une rĂšgle : prendre en compte une valeur de la tonne de CO2 Ă©vitĂ©e (ou Ă©quivalent) dans lâanalyse socioĂ©conomique quâil effectue. Câest la « valeur tutĂ©laire » du carbone. Ce cas particulier devrait ĂȘtre Ă©tendu Ă toutes les activitĂ©s engendrant des Ă©missions de gaz Ă effet de serre, pour pouvoir donner une « valeur de lâaction pour le climat » qui leur soit applicable.
Le Premier ministre a demandĂ© Ă Alain Quinet, qui avait dĂ©jĂ eu la responsabilitĂ© dâun premier rapport sur le sujet en 2008, de rĂ©unir une commission pour rĂ©viser, avec lâappui des Ă©quipes de France StratĂ©gie, la valeur tutĂ©laire, en tenant compte des nombreuses Ă©volutions qui ont eu lieu au cours des dix derniĂšres annĂ©es.
Le rapport dâAlain Quinet dresse un panorama complet des analyses permettant, dans lâĂ©tat actuel et prĂ©visible des techniques disponibles pour rĂ©duire les Ă©missions ou capter le carbone, de dĂ©finir une trajectoire de valeurs dont la prise en compte permettrait dâatteindre lâobjectif de neutralitĂ© carbone Ă lâhorizon 2050. Compte tenu de lâĂ©volution des objectifs et des techniques, et du retard pris par rapport Ă la trajectoire souhaitable de nos Ă©missions, elle conduit Ă rĂ©viser nettement Ă la hausse la valeur tutĂ©laire cible, qui devrait sâĂ©tablir Ă 250 ⏠la tonne CO2e en 2030, alors que la cible fixĂ©e en 2008 pour cette mĂȘme date Ă©tait de 100 âŹ.
Le rapport invite la puissance publique Ă adopter des politiques permettant que cette valeur soit prise en compte dans le pĂ©rimĂštre le plus large possible. La commission « Valeur de lâaction pour le climat » prĂ©conise que soient utilisĂ©s des outils allant au-delĂ
La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 4 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
des seuls signaux-prix, en combinant tous les instruments â rĂ©glementations, mesures facilitant lâaccĂšs au crĂ©dit et favorisant les investissements verts notamment â pouvant avoir des effets Ă©quivalents. Cette dĂ©marche pragmatique est nĂ©cessaire pour permettre une mise en Ćuvre effective, qui tienne compte de lâensemble des consĂ©quences Ă©conomiques et sociales de ces Ă©volutions nĂ©cessaires, et y apporte des rĂ©ponses appropriĂ©es.
Gilles de Margerie Commissaire général de France Stratégie
FRANCE STRATĂGIE 5 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
TABLE DES MATIĂRES
INTRODUCTION .............................................................................................................. 9
DĂMARCHE, RĂSULTATS, USAGES : MESSAGES CLĂS ET RECOMMANDATIONS ............................................................. 15
LES CHIFFRES CLĂS ................................................................................................... 31
GLOSSAIRE .................................................................................................................. 33
CHAPITRE 1 â LE CONTEXTE MONDIAL : CE QUI A CHANGĂ DEPUIS DIX ANS ... 35
1. Le monde nâest pas sur la bonne trajectoire ....................................................... 36
1.1. Des risques de dommages graves et irréversibles .........................................................37
1.2. Un budget carbone mondial en Ă©puisement rapide ........................................................39
1.3. Les scénarios du GIEC pour atteindre la neutralité carbone ..........................................43
2. Le champ des opportunitĂ©s technologiques sâest Ă©largi ................................... 45
2.1. Un avenir technologique plus prometteur ......................................................................45
2.2. Des incertitudes importantes sur les coĂ»ts des technologies Ă lâhorizon 2050 ...............48
3. LâĂ©conomie du climat fournit le cadre dâune attĂ©nuation efficace du changement climatique ................................................................................... 50
3.1. Lâanalyse Ă©conomique de lâattĂ©nuation dâune externalitĂ© globale ...................................50
3.2. Une « boĂźte Ă outils » pour atteindre lâobjectif de dĂ©carbonation au meilleur coĂ»t ..........52
4. Le contexte institutionnel est plus porteur, mĂȘme si la coopĂ©ration internationale reste insuffisante ........................................................................... 57
4.1. LâAccord de Paris de 2015 .............................................................................................57
4.2. LâĂ©laboration de nouveaux rĂ©fĂ©rentiels de valeur du carbone ........................................58
La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 6 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
4.3. La mise en place dâoutils de tarification du carbone ...................................................... 62
4.4. Des valeurs de référence du carbone globalement revues à la hausse au niveau mondial ......................................................................................................... 63
CHAPITRE 2 â LA DĂMARCHE COĂTS-EFFICACITĂ ................................................. 65
1. Lâapproche est fondĂ©e sur les engagements climatiques de la France ............ 65
1.1. Lâobjectif « zĂ©ro Ă©missions nettes » ............................................................................... 66
1.2. Lâhorizon 2050 .............................................................................................................. 67
1.3. Le découplage entre émissions et activités humaines ................................................... 67
2. La dĂ©marche de la commission sâappuie sur plusieurs instruments de prospective ....................................................................................................... 72
3. Le cahier des charges se fonde sur un jeu dâhypothĂšses raisonnables ........... 73
3.1. Les caractéristiques de la neutralité carbone prises en compte par la commission ....... 73
3.2. Lâhorizon de la simulation .............................................................................................. 75
4. Le calcul dâune trajectoire pour la valeur du carbone repose sur des travaux originaux de modĂ©lisation ................................................................ 77
4.1. Les grandes catégories de modÚles utilisées ................................................................ 77
4.2. Des modĂšles qui doivent ĂȘtre complĂ©tĂ©s pour couvrir tous les GES .............................. 81
4.3. Les principes généraux des exercices de simulation et de prospective ........................... 81
4.4. La modélisation du progrÚs technique ........................................................................... 85
5. Le scénario de référence ....................................................................................... 87
5.1. Un environnement international « neutre » .................................................................... 88
5.2. Une hypothĂšse de croissance de 1,6 % par an en moyenne ......................................... 89
5.3. Un scénario de référence sans signaux-prix sur le carbone .......................................... 90
5.4. Une tendance favorable de gains dâefficacitĂ© Ă©nergĂ©tique............................................. 90
5.5. Des émissions de GES calculées par les modÚles ........................................................ 91
CHAPITRE 3 â LES RĂSULTATS DES DIFFĂRENTS EXERCICES DE PROSPECTIVE ................................................................................ 93
1. Toutes les approches convergent vers une revalorisation substantielle de la valeur de lâaction pour le climat .................................................................. 93
1.1. Les modĂšles.................................................................................................................. 93
1.2. La prospective technologique ........................................................................................ 98
Table des matiĂšres
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1.3. La sensibilité des résultats aux puits, aux comportements et aux coûts des technologies.......................................................................................................... 102
2. Lâinvestissement constitue lâenjeu principal dâune transition rĂ©ussie vers la neutralitĂ© carbone ................................................................................... 111
2.1. Les Ă©volutions sectorielles ........................................................................................... 111
2.2. Les grands leviers de convergence vers la neutralité carbone ..................................... 115
CHAPITRE 4 â LA VALEUR DE LâACTION POUR LE CLIMAT ................................. 121
1. La trajectoire proposĂ©e sâancre sur une valeur de 250 ⏠en 2030 ................... 121
1.1. Une trajectoire unique pour lâensemble de lâĂ©conomie ................................................. 121
1.2. Une trajectoire pluriannuelle ancrĂ©e sur une valeur de 250 âŹ2018/tCO2e en 2030 ......... 122
2. La trajectoire est revue à la hausse, en ligne avec les travaux internationaux de modélisation les plus récents .............................................. 124
2.1. Une revalorisation de la trajectoire trouvant son origine dans lâĂ©puisement du budget carbone mondial et français ......................................................................................... 124
2.2. Une trajectoire en cohérence avec les travaux internationaux les plus récents ............ 126
3. Une coopĂ©ration internationale plus intense permettrait de rĂ©duire les coĂ»ts dâabattement ........................................................................................................ 127
3.1. Les incertitudes technologiques et comportementales ................................................. 127
3.2. La valeur de lâaction internationale .............................................................................. 128
4. La valorisation des actions de décarbonation .................................................. 129
4.1. Le montant des actions de décarbonation rentables .................................................... 129
4.2. La valeur des émissions évitées par les actions engagées .......................................... 133
4.3. Le coût socioéconomique des émissions résiduelles de gaz à effet de serre et la valeur des puits .................................................................................................... 134
CHAPITRE 5 â UN RĂFĂRENTIEL POUR VALORISER LES IMPACTS CLIMATIQUES DES PROJETS DâINVESTISSEMENT PUBLICS ..... 137
1. LâĂ©valuation socioĂ©conomique des projets doit ĂȘtre Ă©tendue et renforcĂ©e .... 138
1.1. Toutes les personnes publiques sont concernées ....................................................... 138
1.2. Tous les domaines de lâaction publique sont concernĂ©s .............................................. 141
La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 8 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
2. Lâensemble du cadre dâĂ©valuation doit ĂȘtre rĂ©novĂ© Ă lâaune de lâobjectif de neutralitĂ© carbone ........................................................................................... 143
2.1. La valorisation de la contribution des projets Ă la dĂ©carbonation de lâĂ©conomie doit intĂ©grer une analyse des risques .......................................................................... 144
2.2. Les incidences de long terme des projets de lutte contre le changement climatique ................................................................................. 148
2.3. La prise en compte de lâensemble de la vie des projets .............................................. 149
CHAPITRE 6 â UNE BOUSSOLE POUR LâINVESTISSEMENT ET LâACTION .......... 151
1. La valeur de lâaction pour le climat permet de prĂ©ciser des actions sectorielles de dĂ©carbonation utiles Ă la collectivitĂ© ........................................ 152
1.1. LâĂ©valuation des coĂ»ts dâabattement socioĂ©conomiques ............................................. 153
1.2. Une approche dynamique de lâordre de mĂ©rite ............................................................ 159
1.3. Une rĂ©fĂ©rence Ă©tendue Ă lâensemble de lâĂ©conomie .................................................... 162
2. La valeur privĂ©e des actions doit ĂȘtre rapprochĂ©e de leur valeur socioĂ©conomique ................................................................................................ 163
2.1. Une décarbonation profonde des activités humaines repose nécessairement sur un éventail de mesures complémentaires ............................................................. 164
2.2. LâĂ©valuation par usage de lâensemble des mesures de dĂ©carbonation mises en Ćuvre doit ĂȘtre renforcĂ©e ............................................................................. 165
3. SynthĂšse : le mode dâemploi de la valeur de lâaction pour le climat ............... 169
CONCLUSION GĂNĂRALE ......................................................................................... 171
ANNEXES Annexe 1 â Lettre de mission .................................................................................... 175
Annexe 2 â Membres de la commission ................................................................... 177
Annexe 3 â Auditions ................................................................................................. 179
Annexe 4 â Bibliographie ........................................................................................... 181
FRANCE STRATĂGIE 9 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
INTRODUCTION
Lâambition française est dâĂ©liminer les Ă©missions de gaz Ă effet de serre sur le sol national Ă lâhorizon 2050. Câest lâobjectif « ZEN » : zĂ©ro Ă©missions nettes de gaz Ă effet de serre liĂ©es aux activitĂ©s humaines, les Ă©missions brutes rĂ©siduelles ayant vocation Ă ĂȘtre absorbĂ©es par les puits de carbone que sont notamment les forĂȘts, les prairies et Ă plus long terme les dispositifs techniques de capture et sĂ©questration du carbone.
Cette ambition doit sâincarner dans des changements de comportement, des investissements publics et privĂ©s, et plus gĂ©nĂ©ralement dans un ensemble dâactions publiques et privĂ©es. Il faut agir sur un front large, mais il faut aussi agir dans le bon ordre, fixer des prioritĂ©s, concentrer les moyens sur les actions utiles, arbitrer entre le dĂ©ploiement rapide de technologies matures et lâanticipation de nouvelles solutions permises par les innovations en cours, accompagner les transitions industrielles et sociales.
Donner une valeur monĂ©taire Ă lâaction pour le climat, câest reconnaĂźtre la valeur de lâaction par rapport Ă la non-action, câest signaler que les activitĂ©s humaines doivent intĂ©grer, « internaliser » les bĂ©nĂ©fices collectifs que procure la rĂ©duction des Ă©missions de gaz Ă effet de serre. Câest se donner une rĂ©fĂ©rence pour sĂ©lectionner et hiĂ©rarchiser les actions utiles Ă la collectivitĂ©.
La valeur de lâaction pour le climat sâinscrit dans une stratĂ©gie publique de long terme exprimant une vision partagĂ©e de la lutte contre le changement climatique â en lâoccurrence lâAccord de Paris de 2015 et le Plan Climat de 2017. Dans le cas particulier de lâanalyse socioĂ©conomique des investissements publics, lâĂtat dĂ©cide de la valeur quâil va retenir pour les Ă©valuer : câest le sens originel de lâexpression de « valeur tutĂ©laire », Ă©tendu ici Ă un cadre plus gĂ©nĂ©ral.
Sâinscrivant dans une longue tradition française de calcul Ă©conomique, et dans la dĂ©marche des prĂ©cĂ©dentes commissions prĂ©sidĂ©es par Marcel Boiteux (2001) et Alain
La valeur de lâaction pour le climat
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Quinet (2008)1, le prĂ©sent rapport est le fruit du travail dâune commission composĂ©e dâune vingtaine dâexperts et dâĂ©conomistes de lâenvironnement issus de lâuniversitĂ©, des centres de recherche et des organisations internationales, du monde Ă©conomique et social, des organisations non gouvernementales et de lâadministration2. La commission « Valeur de lâaction pour le cllimat » a mobilisĂ© pour Ă©laborer ses propositions cinq Ă©quipes de modĂ©lisation, auditionnĂ© plusieurs personnalitĂ©s et tenu de nombreux ateliers ouverts aux reprĂ©sentants des diffĂ©rents secteurs de l'Ă©conomie3.
La valeur de lâaction pour le climat mesure la valeur pour la collectivitĂ© des actions permettant dâatteindre lâobjectif de neutralitĂ© carbone
Par lâAccord de Paris de 2015, les parties se sont fixĂ© comme ambition collective de parvenir Ă la neutralitĂ© carbone au cours de la seconde moitiĂ© du XXIe siĂšcle, lâAccord invitant les pays dĂ©veloppĂ©s Ă atteindre cet objectif avant les pays en dĂ©veloppement. Cet objectif sâappuie sur le diagnostic du Groupement dâexperts internationaux sur le Climat (GIEC) dâun Ă©puisement du budget carbone â câest-Ă -dire des marges rĂ©siduelles disponibles pour Ă©mettre des gaz Ă effet de serre â si lâon veut contenir le rĂ©chauffement climatique en deçà de 2 °C. Sur la base des tendances passĂ©es, nous nâavons devant nous que trois dĂ©cennies dâĂ©missions Ă notre disposition : au-delĂ , notre marge de manĆuvre sera Ă©puisĂ©e, avec un risque Ă©levĂ© que se matĂ©rialisent des dommages graves et irrĂ©versibles.
La lutte contre le changement climatique et les bĂ©nĂ©fices quâelle procure pour la collectivitĂ© ne sont pas spontanĂ©ment pris en compte dans les calculs de rentabilitĂ© financiĂšre des acteurs publics et privĂ©s. La valeur de lâaction pour le climat â ou valeur tutĂ©laire du carbone â vient combler cette dĂ©faillance de marchĂ© : elle donne une mesure du chemin qui reste Ă parcourir â et exprime en consĂ©quence la valeur que la sociĂ©tĂ© doit accorder aux actions publiques et privĂ©es de dĂ©carbonation permettant dâarriver au bout du chemin. Ce sont les deux faces dâune mĂȘme piĂšce.
1 Commissariat gĂ©nĂ©ral du Plan (2001), Transports : choix des investissements et coĂ»t des nuisances, rapport du groupe prĂ©sidĂ© par Marcel Boiteux, Paris, La Documentation française ; Centre dâanalyse stratĂ©gique (2008), La Valeur tutĂ©laire du carbone, rapport de la commission prĂ©sidĂ©e par Alain Quinet, Paris, La Documentation française. 2 La liste des membres de la commission figure en annexe 2. 3 La liste des personnes auditionnĂ©es figure en annexe 3.
Introduction
FRANCE STRATĂGIE 11 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
Le relĂšvement de la valeur de lâaction pour le climat donne dâabord une mesure du chemin Ă parcourir
Pour 2030, horizon des investissements qui sont dĂ©jĂ ou vont ĂȘtre prochainement dĂ©cidĂ©s, la commission propose une valeur tutĂ©laire de 250 âŹ2018 la tonne dâĂ©quivalent CO2 (CO2e), soit un relĂšvement substantiel par rapport Ă la cible de 100 âŹ2008 fixĂ©e en 2008. Ce relĂšvement reflĂšte le caractĂšre limitĂ© du budget carbone Ă notre disposition ; elle rĂ©vĂšle la nĂ©cessitĂ© dâinvestir durablement dans les technologies bas carbone, et le coĂ»t de ces technologies.
Au-delĂ des annĂ©es 2030, la valeur proposĂ©e sâaligne progressivement sur une rĂšgle de Hotelling, câest-Ă -dire la rĂšgle de bonne gestion dâune ressource Ă©puisable, dont la valeur a vocation Ă croĂźtre au rythme du taux dâactualisation â et nâest donc pas Ă©crasĂ©e Ă long terme par le jeu de lâactualisation. Elle est Ă lâhorizon 2050 en ligne avec les coĂ»ts prĂ©visibles des technologies structurantes nĂ©cessaires Ă la dĂ©carbonation â soit une fourchette prudente de 600 Ă 900 âŹ2018/tonne de CO2e.
Les incertitudes vont croissantes au fur et Ă mesure que lâhorizon considĂ©rĂ© sâallonge au-delĂ de 2030. Une valeur de lâaction pour le climat plus faible en fin de pĂ©riode â ramenĂ©e en dessous de 500 ⏠â reflĂ©terait une coopĂ©ration internationale plus forte, permettant dâaccĂ©lĂ©rer la production et la diffusion dâinnovations, et rendant possibles des technologies de rupture.
Le relĂšvement de la valeur de lâaction pour le climat Ă©tend le champ des actions rentables pour la collectivitĂ©
La valeur de lâaction pour le climat donne une valeur monĂ©taire aux actions publiques et privĂ©es de dĂ©carbonation. Elle permet traditionnellement dâĂ©valuer et de sĂ©lectionner les investissements publics sur la base de leur valeur socioĂ©conomique (et non pas seulement financiĂšre). Mais son usage doit ĂȘtre Ă©largi pour appuyer la dĂ©finition des prioritĂ©s de politique publique. Si la valeur de lâaction pour le climat est de 250 âŹ2018 Ă lâhorizon 2030, cela veut dire que toutes les actions qui coĂ»tent moins de 250 âŹ2018 la tonne de CO2e Ă©vitĂ©e doivent ĂȘtre entreprises (un grand nombre de gestes de rĂ©novation thermique de bĂątiments, le dĂ©ploiement de certaines Ă©nergies renouvelables pour produire de la chaleur, par exemple). Sinon lâobjectif risque de ne pas ĂȘtre atteint. Ă lâinverse, des actions dont le coĂ»t est supĂ©rieur Ă 250 ⏠ne devraient ĂȘtre mises en Ćuvre que si, Ă lâhorizon de leur dĂ©ploiement total, la trajectoire de valeurs tutĂ©laires est supĂ©rieure Ă leur coĂ»t.
Plus généralement, une trajectoire pluriannuelle de valeur tutélaire du carbone lisible et crédible permet à chacun de mesurer si des efforts adéquats sont engagés dÚs à présent
La valeur de lâaction pour le climat
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pour atteindre lâobjectif de dĂ©carbonation, dâĂ©valuer si les moyens sont mobilisĂ©s au bon niveau et au bon moment. Elle rend ainsi possibles des investissements Ă temps de retour longs que lâincertitude ou la volatilitĂ© pĂ©nalisent.
Une fois le pĂ©rimĂštre des actions rentables du point de vue des objectifs de lâaction pour le climat identifiĂ©, lâĂtat ou les collectivitĂ©s territoriales peuvent choisir de les prendre en charge directement par des investissements publics. Ils peuvent aussi, lorsque cela est nĂ©cessaire, orienter les choix privĂ©s, par la tarification du carbone, des subventions Ă lâacquisition dâĂ©quipements dĂ©carbonĂ©s ou des mĂ©canismes de partage de risque de dĂ©veloppement entre public et privĂ©, des rĂ©glementations. Dans ce cadre, la valeur de lâaction pour le climat ne prĂ©juge pas de la bonne combinaison des mesures de politique environnementale disponibles. Elle fournit une rĂ©fĂ©rence pour vĂ©rifier que « lâaddition » de ces mesures sur un usage donnĂ© (lâincitation Ă utiliser le vĂ©hicule Ă©lectrique, par exemple) est bien dimensionnĂ©e. Le cumul des mesures doit ĂȘtre suffisant pour permettre de basculer vers un usage dĂ©carbonĂ©. Il faut, Ă lâinverse, vĂ©rifier que les coĂ»ts implicites des normes, plus difficiles à « lire » que les signaux-prix, ne sont pas trop Ă©levĂ©s.
La dĂ©carbonation de lâĂ©conomie est possible moyennant des changements de grande ampleur des technologies et des usages
Nos travaux confirment, sâil en Ă©tait besoin, que la France nâen a pas fait assez dans la lutte contre le changement climatique : les Ă©missions de gaz Ă effet de serre ont bien baissĂ© depuis 1990, mais notre pays est toujours en retard par rapport Ă son tableau de marche. Nos travaux indiquent Ă©galement que ce retard peut ĂȘtre comblĂ© par une plus grande sobriĂ©tĂ© (des Ă©quipements bien dimensionnĂ©s par rapport aux usages et mieux utilisĂ©s), des gains dâefficacitĂ© Ă©nergĂ©tique, un meilleur usage des sols et le dĂ©ploiement Ă grande Ă©chelle de nouvelles technologies dĂ©carbonĂ©es.
Parvenir Ă Ă©liminer les Ă©missions de gaz Ă effet de serre en soutenant lâactivitĂ© suppose un effort durable dâinvestissement
DĂ©carboner « intelligemment » â sans comprimer le PIB, sans provoquer de « fuites de carbone » â suppose dâinvestir aujourdâhui dans des technologies propres et de dĂ©carboner le stock de capital entendu dans le sens le plus large possible : les usines, le parc de production dâĂ©nergie, les exploitations agricoles, les bĂątiments et les logements, les flottes de vĂ©hicules, etc.
Lâinvestissement est la clĂ© : câest lui qui rend possible le dĂ©couplage entre Ă©missions de gaz Ă effet de serre et activitĂ©s humaines ; câest lui qui rend possibles les changements de comportement en faisant Ă©merger des solutions alternatives.
Introduction
FRANCE STRATĂGIE 13 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
La France a rĂ©duit ses Ă©missions de gaz Ă effet de serre de lâordre de 80 millions de tonnes depuis 1990 ; il faut en abattre quatre fois plus dâici 2050. Le besoin de redĂ©ploiement des financements et des investissements vers les usages dĂ©carbonĂ©s est bien documentĂ© Ă lâĂ©chelle internationale, notamment par les travaux rĂ©cents de lâOCDE1, du New Climate Economy Project2 et de la Commission europĂ©enne3. Nos simulations confirment ce besoin durable dâinvestissement « vert » : il faut Ă la fois redĂ©ployer vers la lutte contre le changement climatique une partie importante des flux dâinvestissement actuels, et assumer un surcroĂźt dâinvestissement pouvant atteindre 10 % par an. Lâinvestissement requis ne reflĂšte pas seulement un besoin de grands projets (dĂ©veloppement des moyens de production dâĂ©lectricitĂ© et des rĂ©seaux), mais aussi le cumul dâun grand nombre de petits projets portant sur des actifs existants (rĂ©novation thermique des bĂątiments, conversion des flottes de vĂ©hicules thermiques en vĂ©hicules dĂ©carbonĂ©s, etc.) ou de nouveaux actifs locaux (installations locales de production dâĂ©nergies renouvelables, de bornes de recharge Ă©lectrique, etc.).
Le rĂŽle des politiques publiques est aussi de soutenir lâinnovation. Une partie du chemin visant Ă dĂ©coupler Ă©missions et PIB peut ĂȘtre accomplie en investissant dans des technologies existantes. Mais il faut aussi dĂ©velopper des technologies non matures aujourdâhui, en saisissant lâopportunitĂ© de dĂ©velopper des filiĂšres industrielles en France. Lâinnovation pourrait ouvrir de nouvelles opportunitĂ©s pour augmenter la taille des puits de carbone (via la capture et le stockage du CO2), stocker durablement lâĂ©nergie et Ă©largir le champ des alternatives au pĂ©trole.
Au-delĂ de 2030, le chemin vers la transition bas carbone dĂ©pend pour une large part de lâintensitĂ© de la coopĂ©ration internationale dans la lutte contre le changement climatique.
Une meilleure intégration des efforts des différents pays doit permettre à la fois :
â dâaccĂ©lĂ©rer la diffusion des technologies existantes, comme en tĂ©moigne la dynamique favorable des Ă©nergies renouvelables dont les coĂ»ts de production dĂ©croissent fortement ;
â de favoriser le dĂ©veloppement de nouvelles technologies, dâen amortir le coĂ»t initial sur une assiette large et donc de faire profiter chaque pays dâĂ©conomies dâapprentissage et dâĂ©chelle sous forme de baisses de prix ;
1 OCDE (2017), Investing in Climate, Investing in Growth, éditions OCDE, Paris. 2 New Climate Economy (2018), Unlocking The Inclusive Growth Story of the 21st Century: Accelerating Climate Action in Urgent Times. 3 Commission européenne (2018), A Clean Planet for all. A European Strategic Long Term Vision for a Prosperous, Modern, Competitive and Climate Neutral Economy, novembre.
La valeur de lâaction pour le climat
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â dâĂ©viter le risque de « fuites de carbone », inefficaces dâun point de vue climatique et pĂ©nalisantes pour lâĂ©conomie française. Les secteurs les plus difficiles Ă dĂ©carboner sont aussi des secteurs trĂšs internationalisĂ©s â le transport de marchandises longue distance et certains secteurs industriels intensifs en Ă©nergie tels que la chimie, la sidĂ©rurgie et la cimenterie. Ce constat plaide pour le dĂ©veloppement dâinstruments communs au niveau europĂ©en (marchĂ© ETS, harmonisation de la fiscalitĂ© sur lâĂ©nergie, mĂ©canisme dâinclusion carbone, etc.) et plus largement au niveau mondial pour les transports internationaux.
Le travail rĂ©alisĂ© par cette commission est original et se veut prĂ©curseur, dans la mesure oĂč la France a Ă©tĂ© lâun des tout premiers pays au monde Ă se doter dâune valeur tutĂ©laire du carbone pour lâĂ©valuation de ses investissements publics. Elle peut aujourdâhui Ă©tendre cette dĂ©marche dans le cadre plus gĂ©nĂ©ral dâune valeur pour lâaction pour le climat, au service dâune ambition forte de neutralitĂ© carbone. Les membres de la commission souhaitent que cette proposition de nouvelle trajectoire tutĂ©laire du carbone soit utilisĂ©e dans les Ă©valuations dâinvestissements et plus gĂ©nĂ©ralement des politiques publiques, et quâelle alimente le dĂ©bat sur les stratĂ©gies et les leviers dâaction nĂ©cessaires Ă la rĂ©ussite des objectifs du Plan Climat1.
1 Ă ce rapport sâajoute une quinzaine de contributions rĂ©unies dans un volume intitulĂ© ComplĂ©ments, Ă©galement disponible sur le site de France StratĂ©gie.
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DĂMARCHE, RĂSULTATS, USAGES MESSAGES CLĂS ET RECOMMANDATIONS
Par lâAccord de Paris de 2015, les Ătats signataires se sont fixĂ© comme ambition collective de parvenir Ă la neutralitĂ© carbone, câest-Ă -dire Ă lâĂ©quilibre entre Ă©missions de gaz Ă effet de serre et capacitĂ©s dâabsorption des puits. Le Groupe dâexperts intergouvernemental sur lâĂ©volution du climat (GIEC) a rĂ©cemment confirmĂ© que cet objectif est nĂ©cessaire si lâon veut contenir le rĂ©chauffement climatique en deçà de 2 °C.
Pour contribuer Ă lâeffort collectif indispensable, la France, dans le Plan Climat de juillet 2017, sâest fixĂ© lâobjectif « zĂ©ro Ă©missions nettes » (ZEN) de gaz Ă effet de serre Ă lâhorizon 2050, les Ă©missions brutes rĂ©siduelles ayant vocation Ă ĂȘtre absorbĂ©es par les puits de carbone que sont notamment les forĂȘts, les prairies et Ă plus long terme les dispositifs technologiques de sĂ©questration du carbone. Cet objectif est plus ambitieux que le « facteur 4 » (division par quatre des Ă©missions) retenu en 2005 et Ă nouveau en 2015. Les actions de rĂ©duction des Ă©missions de gaz Ă effet de serre doivent donc ĂȘtre amplifiĂ©es dĂšs maintenant car notre pays nâest pas sur la bonne trajectoire.
Pour sĂ©lectionner les actions pertinentes, il convient de leur donner une valeur socio-Ă©conomique, câest-Ă -dire une valeur du point de vue de la collectivitĂ©. La valeur de lâaction pour le climat reprĂ©sente prĂ©cisĂ©ment la valeur monĂ©taire que la collectivitĂ© donne aux actions permettant dâĂ©viter lâĂ©mission dâune tonne Ă©quivalent CO2 (CO2e).
La valorisation des actions de lutte contre le changement climatique a Ă©tĂ© historiquement Ă©laborĂ©e, sous lâappellation de valeur tutĂ©laire, pour lâĂ©valuation socioĂ©conomique des investissements publics. Mais cette Ă©valuation mĂ©rite dâĂȘtre Ă©largie Ă lâensemble des actions possibles, pour fixer les bonnes prioritĂ©s, encourager les actions utiles et les sĂ©quencer dans le temps.
En 2008, une premiĂšre commission avait proposĂ© une trajectoire de valeur tutĂ©laire du carbone. Dix ans plus tard, une mise Ă jour de ces travaux sâavĂšre nĂ©cessaire : les objectifs de politique climatique ont intĂ©grĂ© le retard pris au niveau mondial dans la rĂ©duction des Ă©missions de gaz Ă effet de serre et la nĂ©cessitĂ© dâaccroĂźtre les efforts ; les opportunitĂ©s technologiques pour relever le dĂ©fi climatique et les perspectives de
La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 16 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
coopĂ©ration internationale se sont prĂ©cisĂ©es, mĂȘme si un chemin important reste Ă parcourir.
Une valeur de lâaction pour le climat fondĂ©e sur lâAccord de Paris et les engagements français
LâĂ©tablissement dâune valeur de lâaction pour le climat peut renvoyer Ă plusieurs logiques. La premiĂšre, dite coĂ»ts-avantages, consiste Ă identifier la valeur du carbone qui Ă©galise le coĂ»t marginal des dommages liĂ©s Ă lâĂ©mission dâune tonne de CO2e et le coĂ»t marginal de la rĂ©duction de ces mĂȘmes dommages. Cette logique, inspirĂ©e des travaux historiques dâArthur Pigou sur les externalitĂ©s, a Ă©tĂ© appliquĂ©e dĂšs les premiers travaux sur le climat de William Nordhaus, puis reprise notamment dans le rapport Stern (2006). Elle conduit Ă calculer au niveau mondial le dommage subi par lâhumanitĂ© du fait de lâaugmentation de la concentration de gaz Ă effet de serre, indĂ©pendamment du pays Ă lâorigine de lâĂ©mission et de la localisation des dommages.
La dĂ©marche de cette commission relĂšve dâune logique complĂ©mentaire de la prĂ©cĂ©-dente, dite coĂ»ts-efficacitĂ©. Celle-ci consiste Ă identifier la valeur dâune tonne CO2e Ă©vitĂ©e Ă prendre en compte dans les dĂ©cisions de lâensemble des acteurs Ă©conomiques pour que la France atteigne la neutralitĂ© carbone1 Ă lâhorizon 2050. Par rapport Ă une dĂ©marche de coĂ»ts-avantages, cette logique permet de sâaffranchir des incertitudes sur lâĂ©valuation des dommages, en se fondant sur un objectif reflĂ©tant les prĂ©fĂ©rences collectives. La valeur tutĂ©laire ainsi dĂ©finie reprĂ©sente la valeur pour la sociĂ©tĂ© des actions de rĂ©duction des Ă©missions de gaz Ă effet de serre permettant dâatteindre lâobjectif de neutralitĂ©.
Pour conduire cette dĂ©marche, la commission sâest dâabord attachĂ©e Ă bien caractĂ©riser la portĂ©e des engagements français pour en dĂ©duire une trajectoire pertinente de valeur tutĂ©laire.
Lâobjectif en flux dâĂ©missions nettes dâabord
LâexternalitĂ© climatique est une externalitĂ© de stock, liĂ©e au niveau de concentration des gaz Ă effet de serre dans lâatmosphĂšre. Câest pourquoi la prise en compte de cette externalitĂ© sâexprime traditionnellement en budget carbone, câest-Ă -dire en plafond dâĂ©missions de CO2e cumulĂ©es dans le temps Ă ne pas dĂ©passer pour contenir lâĂ©lĂ©vation des tempĂ©ratures. Le cinquiĂšme rapport du GIEC publiĂ© en 2013 et 2014 a
1 Le terme de neutralitĂ© « carbone » couramment utilisĂ© renvoie Ă un objectif de neutralitĂ© pour lâensemble des gaz Ă effet de serre.
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FRANCE STRATĂGIE 17 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
montrĂ© quâen lâabsence dâeffort spĂ©cifique sur la rĂ©duction des Ă©missions, le budget carbone mondial pour limiter Ă 2 °C la hausse des tempĂ©ratures serait Ă©puisĂ© avant le milieu du siĂšcle.
LâĂ©puisement rapide des budgets carbone mondiaux conduit aujourdâhui Ă complĂ©ter les objectifs de stock â la gestion prudente dâun budget carbone pluriannuel â par un objectif en flux : « zĂ©ro Ă©missions nettes » de gaz Ă effet de serre liĂ©es aux activitĂ©s humaines. Cette logique en flux dâĂ©missions nettes est dĂ©sormais la norme :
â câest la rĂ©fĂ©rence de lâAccord de Paris de 2015, dont la logique sâadosse aux travaux du GIEC ;
â câest la rĂ©fĂ©rence du rapport spĂ©cial du GIEC sur la limitation du rĂ©chauffement climatique Ă 1,5 °C publiĂ© en octobre 2018 ;
â câest la rĂ©fĂ©rence adoptĂ©e par la France, ainsi que plusieurs autres pays, notamment europĂ©ens (NorvĂšge, SuĂšde, Portugal, Espagne, etc.). Dans le cas français, les Ă©missions rĂ©siduelles Ă©mises jusquâau « zĂ©ro Ă©missions nettes » restent cohĂ©rentes avec la consommation du budget carbone Ă notre disposition, si celui-ci Ă©tait dĂ©fini sur la base de notre part dans les Ă©missions mondiales1.
Lâhorizon ensuite
La France se fixe un objectif de neutralitĂ© carbone Ă lâhorizon 2050, sans attendre la seconde moitiĂ© du XXIe siĂšcle. Cet horizon est en ligne avec lâAccord de Paris qui invite les pays dĂ©veloppĂ©s Ă engager des efforts rapides. Il intĂšgre le besoin dâaction prĂ©coce pour « sortir du pĂ©trole » et ne pas ĂȘtre pris au dĂ©pourvu en cas de mauvaise nouvelle. Il rĂ©pond enfin Ă un souci dâĂ©quitĂ© internationale dans la lutte contre le changement climatique.
Lâobjectif « ZEN » de 2050 doit Ă©videmment ĂȘtre compris comme un objectif quâil faut tenir dans la durĂ©e, tout au long de la seconde moitiĂ© du siĂšcle, ce qui suppose un dĂ©couplage durable entre Ă©missions de gaz Ă effet de serre et activitĂ©s humaines.
Le découplage entre émissions et activités humaines enfin
Lâambition française est de tracer un chemin permettant de rĂ©ussir la transition vers la neutralitĂ© carbone sans peser sur la croissance. Chercher Ă atteindre un objectif dâĂ©missions en 2050 par une compression du PIB serait coĂ»teux â en termes dâemploi et de pouvoir dâachat â et inefficace sur le plan climatique â si cela impliquait des « fuites de
1 Sans prĂ©juger de la maniĂšre dont pourraient ĂȘtre effectivement rĂ©partis les budgets carbone entre pays.
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carbone », câest-Ă -dire des relocalisations de la production dans des pays moins ambitieux sur le plan climatique, du fait de pertes de compĂ©titivitĂ©.
La dĂ©marche retenue rĂ©pond ainsi Ă deux exigences : parvenir Ă dĂ©carboner lâĂ©conomie en rĂ©duisant les Ă©missions de gaz Ă effet de serre par unitĂ© de PIB ; investir pour ce faire dans lâefficacitĂ© Ă©nergĂ©tique et les technologies dĂ©carbonĂ©es.
Depuis 1990, les Ă©missions de gaz Ă effet de serre en France ont diminuĂ© de 15 % tandis que le PIB augmentait de prĂšs de 50 %. Ce rĂ©sultat est liĂ©, entre autres, aux actions de verdissement de notre mix Ă©lectrique et aux efforts dâĂ©conomie dâĂ©nergie qui commencent Ă payer. Il reflĂšte aussi la tertiarisation de notre Ă©conomie et le dĂ©clin de certains secteurs industriels. Lâenjeu est dâamplifier cette tendance de baisse des Ă©missions dans les trois prochaines dĂ©cennies, ce qui suppose un effort important dâinvestissements et des changements des comportements.
Une valorisation de lâaction pour le climat fondĂ©e sur le meilleur Ă©tat de lâart
Force est de constater quâil nâexiste pas dâoutil de simulation « clĂ©s en mains » gĂ©nĂ©rant mĂ©caniquement une valeur de lâaction de lutte contre le rĂ©chauffement climatique. La commission propose une estimation raisonnable fondĂ©e sur le meilleur Ă©tat de lâart, en intĂ©grant trois ingrĂ©dients essentiels.
Premier ingrédient : une littérature économique consacrée à la question centrale de la répartition des efforts de décarbonation dans le temps
La gestion dâun « budget carbone » conduit Ă recommander une trajectoire dâĂ©missions et de valeur tutĂ©laire du carbone permettant de respecter le plafond dâĂ©missions en minimisant le coĂ»t des transitions Ă©conomiques et sociales. Dans ce cadre, le niveau de la valeur tutĂ©laire du carbone doit permettre de respecter lâobjectif fixĂ© ; son taux de croissance doit conduire Ă une bonne rĂ©partition des efforts dans le temps. La rĂšgle de Hotelling recommande dans sa version Ă©lĂ©mentaire une croissance de la valeur carbone au rythme du taux dâactualisation public, soit une valeur actualisĂ©e demeurant constante au cours du temps : Ă condition de partir dâun point initial suffisamment Ă©levĂ© pour garantir un effort total adĂ©quat, cette valorisation uniforme des actions garantit leur bonne rĂ©partition dans le temps.
La commission a considĂ©rĂ© que la rĂšgle de Hotelling Ă©tait une rĂ©fĂ©rence pertinente Ă long terme, mais quâil pouvait ĂȘtre lĂ©gitime de sâen affranchir en dĂ©but de pĂ©riode pour lisser la revalorisation de la valeur de lâaction pour le climat.
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DeuxiÚme ingrédient : le recours à des simulations de modÚles
Les modĂšles permettent dâobjectiver la valeur de lâaction pour le climat, en fonction de lâobjectif fixĂ©, dâune description fine des technologies, des comportements, des interactions entre la France et son environnement international.
Les modĂšles Ă dominante technologique permettent de dĂ©finir une trajectoire reprĂ©-sentant le coĂ»t de la rĂ©duction dâune tonne additionnelle de CO2e, ce coĂ»t marginal dâabattement ayant vocation Ă croĂźtre dans le temps au fur et Ă mesure quâil est nĂ©cessaire de mobiliser des technologies plus onĂ©reuses. Les modĂšles macro-Ă©conomiques, pour leur part, permettent dâexpliciter les investissements et les changements de comportement nĂ©cessaires Ă lâatteinte de la neutralitĂ© carbone.
La commission a estimĂ© que les modĂšles donnaient une perspective pertinente de la valeur carbone requise jusquâĂ lâhorizon 2030, voire 2040, ou de maniĂšre alternative jusquâĂ une rĂ©duction dâĂ©missions proche du « facteur 4 » (division par 4 des Ă©missions de gaz Ă effet de serre par rapport Ă 1990). La robustesse des rĂ©sultats sâĂ©mousse cependant au fur et Ă mesure que lâon sâĂ©loigne dans le temps, que le niveau dâĂ©missions se rĂ©duit et que lâon sâapproche du seuil oĂč les rĂ©ductions appellent des changements fondamentaux, non marginaux, que les modĂšles calibrĂ©s sur le passĂ© ne savent plus prĂ©dire.
TroisiÚme ingrédient : des exercices de prospective technologique ou technico-économique
Les exercices de prospective technologique, tels ceux conduits au niveau mondial par lâAgence internationale de lâĂ©nergie (AIE) ou au niveau français dans le cadre de la prĂ©paration de la stratĂ©gie nationale bas carbone (SNBC), permettent dâapprĂ©cier le potentiel de dĂ©carbonation de diffĂ©rentes technologies, leur vitesse de dĂ©ploiement et leurs coĂ»ts Ă©ventuels. Pour atteindre un objectif de dĂ©carbonation complĂšte, la valeur tutĂ©laire du carbone doit prendre en compte un portefeuille de technologies structurantes et nĂ©cessaires pour dĂ©carboner certains usages concentrant les Ă©missions rĂ©siduelles, mĂȘme si elles nâont pas atteint un niveau de maturitĂ© suffisant et restent donc relativement chĂšres.
Des changements de grande ampleur pour atteindre lâobjectif de « zĂ©ro Ă©missions nettes »
Les travaux de modĂ©lisation montrent quâil existe des marges importantes de dĂ©carbonation Ă des coĂ»ts modĂ©rĂ©s. Par exemple, lâoptimisation des systĂšmes de transports publics, lâĂ©lectrification de certains usages, le dĂ©veloppement de certaines
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énergies renouvelables thermiques ou la rénovation des bùtiments présentent, dans de nombreux cas, une bonne efficacité environnementale et un faible coût de la tonne de CO2e évitée.
Mais dĂ©carboner en profondeur lâĂ©conomie implique des changements de plus grande ampleur, dans un contexte oĂč la structure des systĂšmes Ă©nergĂ©tiques nâĂ©volue que lentement et oĂč les Ă©missions de gaz Ă effet de serre restent difficilement compressibles en deçà de certains seuils pour certains usages.
Les principaux enseignements qualitatifs de nos travaux sont les suivants :
â lâatteinte de lâobjectif « zĂ©ro Ă©missions nettes » passera Ă la fois par des Ă©conomies dâĂ©nergie et par une dĂ©carbonation de lâĂ©nergie utilisĂ©e ;
â la dĂ©carbonation sera progressive et reposera pour une large part sur des investissements destinĂ©s à « verdir » le capital existant (logements, bĂątiments tertiaires, vĂ©hicules, etc.) ou Ă constituer de nouvelles infrastructures (rĂ©seaux de chaleur, rĂ©seaux de borne de recharge Ă©lectrique, transports collectifs, etc.) ;
â il existe des gisements dâabattement importants Ă coĂ»t nul ou faible permis par une plus grande sobriĂ©tĂ©, une plus grande efficacitĂ© Ă©nergĂ©tique, des gestes simples ou de petits investissements. Une fois ces gisements Ă©puisĂ©s, et sauf rupture technologique, le coĂ»t des actions par tonne de CO2e Ă©vitĂ©e augmentera au fur et Ă mesure que lâon progressera dans la dĂ©carbonation et quâil faudra recourir Ă des technologies moins matures ;
â Ă lâhorizon 2050, le secteur de lâĂ©nergie, dĂ©jĂ largement dĂ©carbonĂ© par le mix nuclĂ©aire-Ă©nergies renouvelables, pourra lâĂȘtre complĂštement, voire devenir une source dâĂ©missions nĂ©gatives si est acquise la « faisabilitĂ© sociotechnique » du dĂ©veloppement de la BioCSC (capture et stockage du carbone en sortie de centrales fonctionnant Ă la biomasse) ou de la capture directe de carbone dans lâair. Les Ă©missions brutes rĂ©siduelles, que les puits de carbone devront permettre dâabsorber, seront alors principalement le fait de lâagriculture et de quelques secteurs industriels.
Une valeur cible relevée à 250 ⏠en 2030, cohérente avec les estimations internationales les plus récentes
La commission considĂšre que lâhorizon 2030 a vocation Ă constituer le point dâancrage privilĂ©giĂ© dâune trajectoire pluriannuelle de valeur de lâaction pour le climat, pour deux raisons fondamentales :
â lâhorizon 2030 â soit un horizon dâun peu plus de dix ans â est dĂ©cisif pour « ancrer » les anticipations et dĂ©clencher une vague dâinvestissements « bas carbone » ;
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FRANCE STRATĂGIE 21 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
â Ă cet horizon, les travaux de modĂ©lisation peuvent sâadosser Ă des Ă©lĂ©ments de prospective Ă©conomique et technologique raisonnablement solides, mĂȘme sâils restent naturellement entourĂ©s dâincertitudes.
Sur la base des travaux de modĂ©lisation rĂ©alisĂ©s, la commission propose, en partant de 54 ⏠en 2018, de retenir une valeur cible de lâaction pour le climat de 250 âŹ2018 en 2030.
Cette valeur est significativement plus Ă©levĂ©e que celle du rĂ©fĂ©rentiel actuel issu des propositions de la commission en 2008 (100 âŹ2008, soit 110 ⏠en valeur dâaujourdâhui). Cela reflĂšte principalement le retard pris et le relĂšvement corrĂ©latif du niveau dâambition au-delĂ du « Facteur 4 », qui impliquent des coĂ»ts dâabattement Ă©levĂ©s dans plusieurs secteurs de lâĂ©conomie, en particulier dans lâagriculture, certains secteurs industriels (le ciment, la chimie ou lâacier), et dans les transports de marchandises sur longue distance (par route, air ou mer). Les coĂ»ts dâabattement reflĂštent aussi le caractĂšre encore insuffisant du niveau de coopĂ©ration internationale et lâabsence de mĂ©canismes de flexibilitĂ© internationale sur lesquels pouvait tabler la commission de 2008.
Au-delà de 2030, la trajectoire proposée est le résultat de deux approches complémentaires :
â une prospective sur les coĂ»ts du portefeuille de technologies structurantes pour rĂ©ussir la dĂ©carbonation. La commission nâa pas la prescience de lâarrivĂ©e dâune nouvelle technologie « backstop » miracle â câest-Ă -dire dâune technologie permettant de se passer complĂštement des Ă©nergies fossiles pour un coĂ»t stabilisĂ©. Elle ne postule pas davantage lâĂ©mergence dâun potentiel dâĂ©missions nĂ©gatives, câest-Ă -dire dâune augmentation de la taille des puits de carbone telle que le budget carbone augmenterait et rendrait possible un relĂąchement des efforts. Mais elle considĂšre quâun portefeuille de technologies structurantes et variĂ©es (recours par exemple Ă un usage direct plus Ă©tendu de lâĂ©lectricitĂ© dĂ©carbonĂ©e, ou Ă un usage indirect via le vecteur hydrogĂšne, ou dĂ©veloppement des gaz verts et de la biomasse) permettrait de parvenir Ă une dĂ©carbonation profonde moyennant des prix de bascule relativement Ă©levĂ©s ;
â le calage progressif sur une rĂšgle de Hotelling. Entre 2030 et 2050, la croissance de la valeur tutĂ©laire se rĂ©duit sensiblement pour se caler progressivement sur une rĂšgle de Hotelling pour un taux dâactualisation public de 4,5 %. Celle-ci garantit que la valeur des gains climatiques nâest pas « Ă©crasĂ©e » par lâactualisation.
Au total, la commission recommande de retenir une valeur de 500 âŹ2018 en 2040 et 775 âŹ2018 en 2050. Ces valeurs sont dans la fourchette des valeurs du carbone les plus rĂ©centes recensĂ©es dans le dernier rapport spĂ©cial du GIEC dâoctobre 2018.
La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 22 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
La valeur de lâaction internationale
La dĂ©finition dâune trajectoire de valeur de lâaction pour le climat doit prendre en compte les incertitudes qui entourent les Ă©valuations, incertitudes qui vont croissantes au fur et Ă mesure que lâhorizon sâallonge et que le champ des possibles technologiques et diplomatiques sâĂ©largit.
Les analyses de sensibilitĂ© montrent que la trajectoire proposĂ©e repose sur des travaux de modĂ©lisation raisonnablement robustes Ă lâhorizon 2030. Au-delĂ de 2030, nos analyses de sensibilitĂ© indiquent que les valeurs proposĂ©es pourraient ĂȘtre revues Ă la baisse si la coopĂ©ration internationale permettait dâaccĂ©lĂ©rer la production et la diffusion des innovations « vertes ».
La sensibilitĂ© des rĂ©sultats au coĂ»t des technologies est, en effet, Ă©troitement liĂ©e aux hypothĂšses de coopĂ©ration internationale sous-jacentes. Au niveau industriel, des efforts de recherche et dâinnovation davantage tournĂ©s vers des solutions de dĂ©carbonation auraient des effets puissants pour baisser le coĂ»t des technologies, comme on lâobserve actuellement pour les Ă©nergies renouvelables. Lorsque plusieurs centres de recherche et entreprises de diffĂ©rents pays se lancent dans des programmes dâinnovation, il en rĂ©sulte Ă terme des gains pour chaque pays pris individuellement : chacun bĂ©nĂ©ficie en effet de lâapparition et de la diffusion mondiale des innovations et de la baisse des coĂ»ts des technologies permise par les effets dâapprentissage et les Ă©conomies dâĂ©chelle.
Au total, un scĂ©nario de rupture technologique permis par une coopĂ©ration internationale plus intense aurait sans doute peu dâincidence sur la valeur tutĂ©laire du carbone 2030 mais permettrait dâenvisager une rĂ©vision en forte baisse de cette valeur entre 2030 et 2050. Celle-ci pourrait sâĂ©tablir aux alentours de 450 ⏠à lâhorizon 2050 dans ce scĂ©nario favorable.
Lâincertitude sur les coĂ»ts des technologies dâattĂ©nuation (comme sur les dommages du changement climatique) renforce la nĂ©cessitĂ© dâune approche sĂ©quentielle oĂč les politiques sont progressivement rĂ©visĂ©es au fur et Ă mesure que de lâinformation supplĂ©mentaire devient disponible. Cela a trois consĂ©quences :
â cela renforce lâintĂ©rĂȘt dâune valeur de lâaction pour le climat, assurant la cohĂ©rence dans lâĂ©valuation de toutes les options dâattĂ©nuation potentielle, sans faire de choix a priori ;
â cela implique que lâincertitude soit prise en compte dans la dĂ©termination de la valeur, ce que la trajectoire et les fourchettes qui lâentourent sâefforcent de faire, comme lâillustre le graphique ci-dessous ;
Messages clés et recommandations
FRANCE STRATĂGIE 23 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
â cela implique aussi que la valeur ne soit pas fixĂ©e une fois pour toutes, mais soit rĂ©visĂ©e Ă Ă©chĂ©ances rĂ©guliĂšres â tous les cinq Ă dix ans â en fonction des nouvelles informations structurantes, en particulier sur les vrais coĂ»ts de lâattĂ©nuation.
La valeur de lâaction pour le climat
Un usage universel de la valeur de lâaction pour le climat
La transition vers une dĂ©carbonation profonde appelle Ă la fois des changements de comportement et des changements technologiques. Ceux-ci sont Ă notre portĂ©e, moyennant un Ă©ventail large dâactions, notamment de bons signaux de prix, un programme dâinvestissements permettant dâĂ©largir le champ des usages dĂ©carbonĂ©s et un effort dâinnovation au niveau mondial.
Aujourdâhui, tous les secteurs sont concernĂ©s. Parvenir Ă une dĂ©carbonation profonde de lâĂ©conomie doit conduire Ă Ă©largir « lâassiette » des actions publiques et privĂ©es de lutte contre le changement climatique, mĂȘme si lâon sait que les gisements dâabattement sont trĂšs diffĂ©rents dâun secteur Ă lâautre, Ă la fois en termes de volume, de coĂ»t unitaire, de possibilitĂ© de substitution et de vitesse de dĂ©carbonation.
Aujourdâhui, tous les gaz Ă effet de serre sont concernĂ©s et pas seulement le CO2. Les Ă©missions de gaz Ă effet de serre portent en effet pour un quart dâentre elles sur les gaz autres que le CO2. Lâenjeu nâest pas seulement de rĂ©duire les Ă©missions dâorigine Ă©nergĂ©tique mais aussi les Ă©missions liĂ©es aux procĂ©dĂ©s industriels, au traitement des dĂ©chets, Ă lâagriculture ou Ă lâusage des sols.
54 âŹ
250 âŹ
500 âŹ
775 âŹ
0 âŹ
200 âŹ
400 âŹ
600 âŹ
800 âŹ
1 000 âŹ
1 200 âŹ
2018 2020 2022 2024 2026 2028 2030 2032 2034 2036 2038 2040 2042 2044 2046 2048 2050
Risque sur le budget carbone (retard dans l'action mondiale et française)Champ d'incertitude raisonnable lié au contexte international, aux comportements et aux développements technologiquesPossibilité du développement de technologies de rupture grùce à une action internationale renforcée
Limite des possibilitĂ©s de dĂ©couplage des Ă©missions de gaz Ă
effet de serre au PIB
Effet de l'innovation permis par une coopération internationale plus intense
La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 24 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
Une trajectoire pluriannuelle lisible pour rendre possibles les investissements et lâinnovation
La clĂ© dâune transition Ă©nergĂ©tique rĂ©ussie repose sur la constitution dâun stock de capital permettant de crĂ©er de lâactivitĂ© sans Ă©mettre de gaz Ă effet de serre. Comme de nombreuses Ă©tudes prĂ©cĂ©dentes, notamment celles de lâOCDE, du New Climate Economy Project et de la Commission europĂ©enne1, nos travaux confirment un besoin de redĂ©ploiement des investissements et des financements vers des projets dĂ©carbonĂ©s.
Lâinvestissement net supplĂ©mentaire pour rĂ©ussir la transition bas carbone reprĂ©sente jusquâĂ 10 % des flux existants, dont une part doit par ailleurs ĂȘtre redirigĂ©e vers la formation de capital « vert ».
Nos travaux délivrent deux enseignements plus spécifiques :
â pour rendre possibles les investissements et les innovations, les acteurs publics et privĂ©s doivent disposer dâune trajectoire de valeurs lisible et stable qui serve « de boussole » Ă leurs anticipations et permette de les coordonner : chaque acteur doit dĂšs Ă prĂ©sent prĂ©parer la sortie du pĂ©trole et anticiper lâĂ©puisement des budgets carbone ;
â les investissements nĂ©cessaires relĂšvent dâabord dâune multitude de choix indivi-duels, portant sur le logement, la mobilitĂ©, la production dĂ©centralisĂ©e dâĂ©nergie. Il est nĂ©cessaire de lever les diffĂ©rents freins traditionnels Ă lâinvestissement (insuffisance de R & D, accĂšs limitĂ© Ă lâinformation et au crĂ©dit), de mobiliser la finance climat et dâorganiser le bon partage des financements et risques technologiques entre public et privĂ©.
Un guide pour lâaction
La valeur de lâaction pour le climat reflĂšte Ă la fois lâampleur du chemin Ă parcourir â reprĂ©sentĂ© par le coĂ»t marginal dâabattement des Ă©missions de gaz Ă effet de serre â et la valeur Ă donner aux actions permettant dâarriver au bout du chemin, câest-Ă -dire de converger vers lâobjectif ZEN.
1 OCDE (2017), Investing in Climate, Investing in Growth, Ă©ditions de lâOCDE, Paris ; New Climate Economy (2018), Unlocking The Inclusive Growth Story of the 21st Century, op. cit. ; Commission europĂ©enne (2018), A Clean Planet for all. A European Strategic Long Term Vision for a Prosperous, Modern, Competitive and Climate Neutral Economy.
Messages clés et recommandations
FRANCE STRATĂGIE 25 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
Une référence pour déterminer les priorités collectives
La valeur de lâaction pour le climat a pour vocation premiĂšre de constituer la rĂ©fĂ©rence dâun cadre dâĂ©valuation rĂ©novĂ© permettant de rĂ©pondre Ă quatre questions fonda-mentales :
â le pays est-il sur la « bonne » trajectoire de dĂ©carbonation, câest-Ă -dire sur le chemin lui permettant dâatteindre in fine lâobjectif ZEN ? La rĂ©ponse Ă cette question relĂšve dâun suivi quantitatif des flux dâĂ©missions par secteurs et des puits de carbone ;
â la trajectoire observĂ©e permet-elle dâatteindre lâobjectif fixĂ© au meilleur coĂ»t ? Câest lĂ que la valeur de lâaction pour le climat intervient comme rĂ©fĂ©rence utile, dans la mesure oĂč elle permet de dĂ©finir le pĂ©rimĂštre des actions pertinentes pour la collectivitĂ©. Une valeur plus Ă©levĂ©e Ă©tend le champ des actions rentables pour la collectivitĂ© : Ă chaque instant, toutes les actions â publiques ou privĂ©es â qui coĂ»tent moins cher que la valeur tutĂ©laire du carbone, i.e. qui prĂ©sentent un coĂ»t dâabat-tement socioĂ©conomique infĂ©rieur Ă cette valeur, devraient ĂȘtre entreprises. Si ce nâest pas le cas, il convient dâidentifier les freins et les verrous qui font obstacle Ă ces actions ;
â les actions sont-elles appelĂ©es par ordre de mĂ©rite ? De nombreuses actions sont Ă conduire pour atteindre lâobjectif, mais elles doivent ĂȘtre engagĂ©es dans le bon ordre. Les gisements de rĂ©duction des Ă©missions de CO2e Ă bas coĂ»t doivent ĂȘtre mobilisĂ©s en prioritĂ©, avant que soient lancĂ©es les actions plus coĂ»teuses. Câest lâintĂ©rĂȘt dâune trajectoire pluriannuelle de valeur croissante dans le temps de guider le dĂ©clenchement en temps utile â ni trop tĂŽt, ni trop tard â des actions efficaces, en tenant compte des dĂ©lais de rĂ©alisation des investissements ;
â les actions sont-elles spontanĂ©ment dĂ©clenchĂ©es par les acteurs privĂ©s ou nĂ©cessitent-elles une intervention publique ? Dans certains cas, les actions nâentraĂźnent aucun coĂ»t et gĂ©nĂšrent mĂȘme parfois des gains. Câest notamment souvent le cas de choix de sobriĂ©tĂ©, de partage dâĂ©quipements ou de certains gestes dâefficacitĂ© Ă©nergĂ©tique. Dans dâautres cas, lâexternalitĂ© nâest pas prise en compte et requiert une intervention publique prenant la forme dâinvestissements ou de mesures incitatives et rĂ©glementaires.
Une rĂ©fĂ©rence pour Ă©valuer lâefficacitĂ© des actions sectorielles et des projets dâinvestissement publics
Dans ce cadre gĂ©nĂ©ral dâĂ©valuation, la valeur de lâaction pour le climat gagnerait Ă ĂȘtre utilisĂ©e de maniĂšre systĂ©matique dans les Ă©valuations socioĂ©conomiques des projets. En effet, les diffĂ©rentes actions envisagĂ©es pour lutter contre le changement climatique prĂ©sentent des rapports efficacitĂ© Ă©cologique-coĂ»ts Ă©conomiques trĂšs dispersĂ©s. Plus
La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 26 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
prĂ©cisĂ©ment, deux indicateurs clĂ©s permettraient dâutiliser la valeur de lâaction pour le climat pour guider lâallocation des ressources rares de la sociĂ©tĂ©.
âą Le premier, de portĂ©e gĂ©nĂ©rale, est le coĂ»t dâabattement socioĂ©conomique, câest-Ă -dire le coĂ»t complet (achat et usage) dâune action engagĂ©e pour abattre une tonne de CO2e supplĂ©mentaire. La valeur de lâaction pour le climat constitue une rĂ©fĂ©rence Ă laquelle les diffĂ©rents coĂ»ts dâabattement peuvent ĂȘtre comparĂ©s, les actions dont le coĂ»t dâabattement est infĂ©rieur Ă la valeur Ă©tant rentables pour la collectivitĂ©. Encore faut-il que les calculs de coĂ»ts dâabattement obĂ©issent Ă des rĂšgles stables et transparentes, ce qui nâest pas encore le cas. Un travail de normalisation doit ĂȘtre rĂ©alisĂ©.
âą Le second, de portĂ©e plus spĂ©cifique, est le calcul de rentabilitĂ© socioĂ©conomique des projets dâinvestissement publics. Dans ce cadre, la valeur permet dâorienter les projets en donnant une valeur monĂ©taire aux Ă©missions Ă©vitĂ©es. Les Ă©valuations socioĂ©conomiques des projets dâinvestissement publics obĂ©issent Ă un jeu de rĂšgles bien Ă©tablies, mais leur usage doit se diffuser au-delĂ de sa sphĂšre traditionnelle dâapplication, constituĂ©e principalement des transports et des bĂątiments publics.
La revalorisation de la valeur de lâaction pour le climat doit sâintĂ©grer dans une vision exhaustive de lâimpact « climat » des projets. Au-delĂ de la rĂ©vision Ă la hausse de la valeur tutĂ©laire du carbone, il sera nĂ©cessaire de rĂ©viser lâensemble du cadre dâĂ©valuation : les scĂ©narios de rĂ©fĂ©rence, la prise en compte du risque climatique dans le taux dâactualisation, celle de lâensemble des impacts climatiques tout au long de la vie des projets. Ce travail de rĂ©Ă©valuation doit permettre de mieux les hiĂ©rarchiser et de redĂ©finir en consĂ©quence un programme dâinvestissements mieux alignĂ© sur lâobjectif ZEN.
Une référence pour anticiper les changements nécessaires
Une trajectoire pluriannuelle de valeurs, dâaujourdâhui Ă 2050, indique le chemin restant Ă parcourir pour « sortir des Ă©nergies fossiles » et doit inciter chaque acteur Ă anticiper cette sortie, Ă sây prĂ©parer.
Au-delĂ de cet effet de signal, des mesures dâincitation ou de prescription sont souvent nĂ©cessaires pour favoriser le dĂ©clenchement des actions utiles lorsque celles-ci ne sont pas spontanĂ©ment dĂ©cidĂ©es par les acteurs privĂ©s. Sâinscrivant dans lâapproche retenue par lâOCDE et la commission Stern-Stiglitz1, cette commission considĂšre quâil faut, en amont des mesures particuliĂšres, veiller au bon alignement des politiques publiques sur
1 OCDE (2015), Aligner les politiques publiques pour une Ă©conomie bas carbone, Publications de lâOCDE ; Commission Stern-Stiglitz (2017), Report of the High-level Commission on Carbon Prices.
Messages clés et recommandations
FRANCE STRATĂGIE 27 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
lâobjectif de lutte contre le changement climatique, notamment au niveau des politiques fonciĂšres, dâurbanisme et de transports.
Dans ce cadre rĂ©alignĂ©, la dĂ©carbonation passe par la mobilisation dâun panel de mesures â tarification du carbone, subventions, mesures dâaccĂšs au crĂ©dit, partage des risques technologiques, rĂ©glementations â, chacune permettant de faire une partie du chemin. Il nâest pas possible de tabler sur une seule de ces mesures car chacune a sa zone de pertinence et ses contraintes. La tarification du carbone permet de soutenir la rentabilitĂ© des investissements « verts » et dâorienter les innovations dans la « bonne direction », mais elle est contrainte par ses effets redistributifs et par les risques de pertes de compĂ©titivitĂ© industrielle. La rĂ©glementation permet dâatteindre un rĂ©sultat de maniĂšre certaine, mais peut imposer des coĂ»ts de mise en conformitĂ© Ă©levĂ©s pour certains acteurs et freiner lâinnovation. Quant aux subventions, elles reprĂ©sentent un coĂ»t pour les contribuables et peuvent gĂ©nĂ©rer des effets dâaubaine.
La valeur de lâaction pour le climat nâest pas « flĂ©chĂ©e » sur une mesure particuliĂšre, et la commission ne prĂ©tend pas trancher la question de la bonne combinaison des mesures. Elle souligne quâune attention particuliĂšre devra ĂȘtre portĂ©e Ă la gestion des transitions sociales et professionnelles : la politique de dĂ©carbonation engage le pays tout entier pour le trĂšs long terme et il est vital quâelle puisse ĂȘtre largement comprise, partagĂ©e et soutenue.
Dans ce contexte, la commission recommande que lâon puisse Ă©valuer, Ă lâaune de la valeur tutĂ©laire du carbone, usage par usage, si la combinaison retenue est bien dimensionnĂ©e et rend possible le dĂ©clenchement des investissements bas carbone qui soutiennent lâactivitĂ©. Cela relĂšve dâun vrai travail dâĂ©valuation car les diffĂ©rentes mesures se combinent sans quâil soit possible dâadditionner au sens strict les signaux-prix et les coĂ»ts implicites des normes. Mieux lâĂtat connaĂźtra les coĂ»ts dâabattement des Ă©missions de CO2 par usage, mieux il pourra calibrer ses interventions pour faciliter le basculement vers des technologies dĂ©carbonĂ©es.
Pour permettre aux acteurs de sâapproprier la nouvelle trajectoire de la valeur tutĂ©laire et faciliter sa mise en Ćuvre, nous recommandons les actions suivantes
1. Officialiser dans les rĂ©fĂ©rentiels dâĂ©valuation socioĂ©conomique la trajectoire proposĂ©e de la valeur de lâaction pour le climat, pour permettre Ă tous les acteurs de disposer dâune rĂ©fĂ©rence commune.
La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 28 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
2. Faire de cette valeur la rĂ©fĂ©rence dâun cadre dâĂ©valuation renforcĂ© des actions de dĂ©carbonation.
âą Normaliser, sous lâĂ©gide de France StratĂ©gie, les rĂšgles de calcul des coĂ»ts dâabattement socioĂ©conomiques, afin de pouvoir comparer les diffĂ©rentes actions sectorielles de dĂ©carbonation Ă la valeur de lâaction pour le climat.
âą Mieux prendre en compte, en sus de la dĂ©carbonation, les cobĂ©nĂ©fices associĂ©s Ă la lutte contre le changement climatique : amĂ©lioration de la qualitĂ© de lâair et donc de la santĂ© par rĂ©duction de la pollution locale, prĂ©servation et renforcement de la biodiversitĂ© ; meilleurs rĂ©gimes alimentaires ; rĂ©duction de la sensibilitĂ© aux chocs pĂ©troliers, voire avance technologique.
âą Ăvaluer, sur la base de la trajectoire pluriannuelle proposĂ©e, lâordre dans lequel ces actions ont vocation Ă ĂȘtre dĂ©ployĂ©es pour atteindre lâobjectif de neutralitĂ© carbone en 2050 de la maniĂšre la plus efficace possible, dans une logique de mise en cohĂ©rence des politiques publiques et dâaccompagnement des transitions Ă©conomiques et sociales.
3. Revoir le cadre de lâĂ©valuation socioĂ©conomique des investissements publics et en dĂ©duire un nouvel ensemble de projets.
Demander Ă France StratĂ©gie de mettre Ă jour le cadre de lâĂ©valuation socioĂ©conomique des investissements publics pour :
âą prĂ©ciser le ou les scĂ©narios de rĂ©fĂ©rence permettant dâatteindre lâobjectif national de neutralitĂ© carbone, quâil conviendra dâutiliser dans les Ă©valuations de projets ;
âą valoriser les projets publics en fonction de leur contribution Ă lâobjectif de neutralitĂ© carbone et de leur « valeur dâoption », i.e. de la flexibilitĂ© quâils apportent dans la mise en Ćuvre de la stratĂ©gie ;
âą prĂ©ciser le taux auquel il convient dâactualiser les coĂ»ts et les gains climatiques des projets, en tenant compte notamment de la corrĂ©lation entre les bĂ©nĂ©fices des investissements de dĂ©carbonation et la croissance Ă©conomique future ;
âą mieux prendre en compte les Ă©missions gĂ©nĂ©rĂ©es et/ou Ă©vitĂ©es pendant la phase de construction des projets dans lâĂ©valuation, en plus de celles dĂ©jĂ comptabilisĂ©es pendant leur exploitation ;
âą rendre disponibles Ă lâensemble des acteurs publics (Ătat, collectivitĂ©s territoriales, autres) des mĂ©thodes dâĂ©valuation socioĂ©conomique pouvant ĂȘtre appliquĂ©es Ă tous leurs projets dâinvestissement publics, sachant que le respect de lâobjectif de neutralitĂ© carbone reposera pour une large part sur lâagrĂ©gation dâun grand nombre de petits projets ;
Messages clés et recommandations
FRANCE STRATĂGIE 29 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
âą demander au SecrĂ©tariat gĂ©nĂ©ral pour lâinvestissement de proposer, sur la base de ces Ă©valuations mises Ă jour, un nouveau programme de projets de R & D et dâinvestissements publics.
4. Dimensionner en fonction de la valeur de lâaction pour le climat les combinaisons possibles de mesures environnementales permettant de dĂ©clencher les actions jugĂ©es pertinentes pour la collectivitĂ©.
La valeur dâune baisse dâune tonne CO2e des Ă©missions est la mĂȘme pour la sociĂ©tĂ© quel que soit le secteur oĂč cette rĂ©duction a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e. Elle donne une mesure de lâampleur du chemin Ă parcourir, mais ne prĂ©juge pas de la maniĂšre dont ce chemin doit ĂȘtre parcouru ni de la maniĂšre dont les efforts, en particulier financiers, doivent ĂȘtre rĂ©partis entre les diffĂ©rents acteurs publics et privĂ©s. Cette rĂ©partition mĂ©rite dâĂȘtre clarifiĂ©e, avec notamment deux objectifs :
âą Ă©valuer par usage les enjeux de redistribution et de compĂ©titivitĂ© associĂ©s Ă la mise en Ćuvre des actions de dĂ©carbonation ;
⹠prendre en compte ces enjeux dans la conception des politiques publiques, en particulier pour aider les acteurs sans alternative immédiate à sortir progressivement des solutions carbonées et pour éviter les « fuites de carbone » dans les secteurs exposés à la concurrence internationale.
5. Calculer une valeur de lâaction pour le climat europĂ©enne, afin de rĂ©vĂ©ler la signification dâun objectif de neutralitĂ© carbone au niveau europĂ©en. Une valeur tutĂ©laire europĂ©enne pourrait notamment servir pour lâĂ©valuation des projets financĂ©s par la BEI ou par des fonds europĂ©ens, pour Ă©valuer les politiques euro-pĂ©ennes, dont le marchĂ© EU-ETS, et renforcer la coopĂ©ration europĂ©enne.
FRANCE STRATĂGIE 31 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
LES CHIFFRES CLĂS
Budget carbone mondial
⹠Permettant de maintenir le réchauffement climatique sous les 2 °C avec une probabilité de 66 % : 1 320 GtCO2e ;
⹠permettant de maintenir le réchauffement climatique sous les 1,5 °C avec une probabilité de 66 % : 570 GtCO2e.
Source : Rapport SR 1,5 °C du GIEC, 2018
Tendances françaises 1990-2017
âą PIB : + 47 %
âą Ămissions de gaz Ă effet de serre : â 15 %
Sources : Banque mondiale (PIB en volume) ; Inventaire des Ă©missions de gaz Ă effet de serre â United Nations Framework Convention on Climate Change
Ămissions françaises de gaz Ă effet de serre en 2017 (France, tous GES)
âą 466 MtCO2e (millions de tonnes de CO2 Ă©quivalent)
âą Soit 7 tCO2e par habitant
Sources : CITEPA, indicateurs 2018 ; Insee
Les sources dâĂ©missions de gaz Ă effet de serre (tous GES confondus)
âą Ănergie (production et usage) : 69 %
âą Agriculture (hors Ă©nergie) : 17 %
⹠Procédés industriels : 10 %
⹠Traitement des déchets : 4 %
Source : calculs France StratĂ©gie, Ă partir de donnĂ©es de la Direction gĂ©nĂ©rale de lâĂ©nergie et du climat, inventaire 2015 et des donnĂ©es des modĂšles
La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 32 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
La part des secteurs Ă©conomiques dans les Ă©missions de CO2 françaises dâorigine Ă©nergĂ©tique (69 % des Ă©missions de GES)
âą Transport : 38 %
âą BĂątiment : 21 %
âą Industrie : 20 %
âą Production dâĂ©nergie : 18 %
âą Agriculture : 3 %
Source : calculs France StratĂ©gie, Ă partir de donnĂ©es de la Direction gĂ©nĂ©rale de lâĂ©nergie et du climat, inventaire 2015 et des donnĂ©es des modĂšles
Ămissions sous ETS/Ămissions hors ETS
Le marchĂ© de permis dâĂ©missions nĂ©gociables couvre 45 % des Ă©missions totales de gaz Ă effet de serre europĂ©ennes et 23 % des Ă©missions françaises.
Sources : Commission européenne et ministÚre de la Transition écologique et solidaire
Taille des puits de carbone
La taille actuelle des puits de carbone liĂ©s Ă lâutilisation des terres et leur changement et la forĂȘt (UTCF) est Ă©valuĂ©e Ă environ 40 MtCO2e.
Source : Direction gĂ©nĂ©rale de lâĂ©nergie et du climat
La proposition de valeur de lâaction pour le climat
âą 2018 : 54 âŹ2018/tCO2e
âą 2020 : 87 âŹ2018/tCO2e
âą 2030 : 250 âŹ2018/tCO2e
âą 2040 : 500 âŹ2018/tCO2e
âą 2050 : 775 âŹ2018/tCO2e
Source : commission sur la valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 33 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
GLOSSAIRE
Approche coûts-bénéfices
Approche visant Ă dĂ©terminer simultanĂ©ment la trajectoire optimale des rĂ©ductions dâĂ©missions de gaz Ă effet de serre et le coĂ»t de ces abattements dâĂ©missions en Ă©galisant, Ă chaque instant, le coĂ»t marginal dâabattement dâune tonne de gaz Ă effet de serre et valeur actualisĂ©e des dommages marginaux futurs dâune tonne de gaz Ă effet de serre Ă©mise aujourdâhui. La valeur du carbone assurant cette Ă©galitĂ© est appelĂ©e dans la littĂ©rature anglo-saxonne « coĂ»t social du carbone » (social cost of carbon).
Approche coûts-efficacité
Approche visant Ă dĂ©terminer le coĂ»t minimal de rĂ©duction des Ă©missions de gaz Ă effet de serre, pour un objectif de rĂ©duction des Ă©missions fixĂ©. La valeur de lâaction pour le climat ou valeur tutĂ©laire du carbone relĂšve de cette approche.
Calcul socioéconomique
Calcul visant Ă Ă©valuer lâintĂ©rĂȘt dâun projet pour lâensemble de la collectivitĂ© nationale.
CoĂ»t dâabattement
Ăcart de coĂ»t actualisĂ© entre lâaction de dĂ©carbonation et la solution de rĂ©fĂ©rence carbonĂ©e Ă©quivalente, rapportĂ© aux Ă©missions de gaz Ă effet de serre Ă©vitĂ©es par lâaction.
CoĂ»t marginal dâabattement
CoĂ»t de rĂ©duction dâune unitĂ© (tonne) supplĂ©mentaire de gaz Ă effet de serre.
DĂ©carbonation
Actions visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre.
La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 34 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
DĂ©couplage des Ă©missions du PIB
RĂ©duction des Ă©missions qui nâest pas rĂ©alisĂ©e grĂące Ă une rĂ©duction du PIB.
Ămissions anthropiques de gaz Ă effet de serre
Ămissions de gaz Ă effet de serre relatives Ă lâactivitĂ© humaine.
Marché EU-ETS
Marché européen de droits à polluer.
Neutralité carbone ou « zéro émissions nettes »
Les Ă©missions brutes de gaz Ă effet de serre sont parfaitement compensĂ©es par lâabsorption de carbone par les puits.
Rentabilité socioéconomique des investissements
Ăvaluation, en termes monĂ©taires, de la rentabilitĂ© dâun investissement pour lâensemble de la collectivitĂ© nationale. Les gains gĂ©nĂ©rĂ©s par la collectivitĂ© incluent les effets qui ne passent pas par le marchĂ©, notamment les effets sur lâenvironnement pour lesquels il nâexiste pas de prix. Ils excluent les flux financiers qui constituent de simples transferts monĂ©taires entre agents au sein de la collectivitĂ© nationale.
Taux dâactualisation socioĂ©conomique
Taux utilisĂ© dans les Ă©valuations socioĂ©conomiques pour actualiser les gains et coĂ»ts futurs dâun projet. Le taux dâactualisation socioĂ©conomique est gĂ©nĂ©ralement infĂ©rieur au taux dâactualisation dâun investisseur privĂ©.
Valeur de lâaction pour le climat ou valeur tutĂ©laire du carbone
Valeur que la collectivitĂ© donne aux actions permettant dâĂ©viter lâĂ©mission dâune tonne Ă©quivalent CO2e. Cette valeur est aussi appelĂ©e dans la littĂ©rature anglo-saxonne « prix fictif du carbone » (shadow price of carbon).
FRANCE STRATĂGIE 35 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
CHAPITRE 1 LE CONTEXTE MONDIAL :
CE QUI A CHANGĂ DEPUIS DIX ANS
Depuis les travaux de la premiĂšre commission sur la valeur tutĂ©laire du carbone de 20081, le contexte mondial de la lutte contre le changement climatique sâest profondĂ©ment transformĂ©. La toile de fond est celle dâune dĂ©rive continue des Ă©missions mondiales de gaz Ă effet de serre (GES). Le cinquiĂšme rapport du GIEC publiĂ© en 2013 et 2014 a contribuĂ© Ă prĂ©ciser la rĂ©alitĂ© du changement climatique et ses consĂ©quences protĂ©iformes. Ses travaux montrent que le budget carbone Ă la disposition de lâhumanitĂ© â câest-Ă -dire notre marge dâĂ©missions de GES â pour contenir la hausse des tempĂ©ratures Ă 2 °C sera Ă©puisĂ© dâici Ă trois dĂ©cennies, voire avant si on veut contenir la hausse des tempĂ©ratures Ă 1,5 °C2.
Dans cette « course contre la montre », des progrÚs ont été enregistrés sur le front des technologies comme sur celui des politiques environnementales :
â le champ des possibilitĂ©s technologiques de dĂ©carbonation sâest Ă©largi, avec la forte baisse du coĂ»t des Ă©nergies renouvelables Ă©lectriques, lâarrivĂ©e Ă maturitĂ© de technologies telles que la mobilitĂ© Ă©lectrique, les perspectives ouvertes dans les domaines clĂ©s du stockage de lâĂ©nergie, de lâhydrogĂšne, de la capture et stockage du CO2 ;
â les politiques nationales de lutte contre le changement climatique ont progres-sivement gagnĂ© en ampleur et en consistance dans plusieurs rĂ©gions du monde. DâaprĂšs les statistiques de la Banque mondiale, 46 pays et 25 collectivitĂ©s territoriales donnent un prix au carbone, sur une assiette reprĂ©sentant 20 % des Ă©missions mondiales de gaz Ă effet de serre. En relançant le processus de nĂ©gociation enlisĂ©
1 Centre dâanalyse stratĂ©gique (2008), La valeur tutĂ©laire du carbone, rapport de la mission prĂ©sidĂ©e par Alain Quinet, Paris, La Documentation française. 2 GIEC (2018), Global Warming of 1.5 °C, Summary for Policymakers.
La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 36 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
depuis la COP15 Ă Copenhague, lâAccord de Paris de 2015 a Ă©tĂ© lâoccasion de renouveler lâengagement des 196 pays signataires Ă contenir la hausse des tempĂ©ratures Ă moins de 2 °C.
Ce chapitre, sans prĂ©tendre restituer la complexitĂ© des dĂ©bats sur les enjeux scientifiques, technologiques, Ă©conomiques et sociaux du changement climatique, sâattache Ă caractĂ©riser les grandes Ă©volutions internationales quâune dĂ©marche nationale de valorisation du carbone doit nĂ©cessairement prendre en compte.
Le monde nâest pas sur la bonne trajectoire 1.
Les émissions mondiales de GES ont entamé une croissance forte à partir des années 1950 (voir figure 1). Si cette croissance a marqué une pause relative pendant les années 1990, le développement des pays émergents, notamment des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) a depuis entraßné une nouvelle accélération des émissions de GES.
Figure 1 â Ămissions anthropiques mondiales de CO2 par an et Ă©missions de CO2 cumulĂ©es par pĂ©riode
Lecture : en gris sont reprĂ©sentĂ©es les Ă©missions liĂ©es Ă la combustion dâĂ©nergie fossile, aux activitĂ©s de cimenterie et au torchage ; en brun figurent les Ă©missions liĂ©es aux activitĂ©s de foresterie et autres utilisations des sols.
Source : GIEC (2014), Climate Change 2014, Synthesis Report, Summary for Policymakers, p. 3
MalgrĂ© les politiques environnementales mises en Ćuvre, en Europe principalement, les Ă©missions mondiales de GES nâont cessĂ© dâaugmenter, sauf pendant la crise financiĂšre
Chapitre 1 Le contexte mondial : ce qui a changé en dix ans
FRANCE STRATĂGIE 37 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
de 2007-20081. Tous GES confondus et en incluant les secteurs des terres (usage des sols et foresterie), la hausse est proche de 70 % entre 1990 et 2018.
Figure 2 â Croissance annuelle des Ă©missions mondiales de GES (base 100 en 1990)
Sources : Corinne Le Quéré et al. (2018), Global Carbon Project, Earth System Science Data, 10, p. 405-448, (point orange : estimation) ; Canadell P., Le Quéré C. et al. (2018), « Carbon emissions will reach 37 billion tonnes in 2018, a record high », The Conversation, 5 décembre
Des risques de dommages graves et irréversibles 1.1.
La responsabilitĂ© des activitĂ©s humaines dans le rĂ©chauffement global est Ă©tablie de maniĂšre plus rigoureuse. Le dernier rapport du GIEC affirme, plus nettement que les prĂ©cĂ©dents, que le changement climatique a dĂšs aujourdâhui des consĂ©quences observables : « Lâinfluence humaine sur le climat est clairement Ă©tablie et les niveaux atteints par les Ă©missions de gaz Ă effet de serre dâorigine anthropique sont les plus
1 Entre 2008 et 2009, le PIB mondial calculĂ© en dollars constants sâest rĂ©duit de 1,73 % et les Ă©missions mondiales de GES ont baissĂ© de 0,9 % (sources : World Development Indicators et Global Carbon Project).
La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 38 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
hauts jamais constatĂ©s. Les rĂ©centes altĂ©rations du climat ont eu une gamme dâeffets Ă©tendus sur les systĂšmes humains et naturels »1.
Les rapports successifs du GIEC ont Ă©galement documentĂ© de maniĂšre de plus en plus prĂ©cise les risques de dommages graves ou irrĂ©versibles courus par lâhumanitĂ©. « La poursuite des Ă©missions de GES aggravera le rĂ©chauffement et engendrera des changements durables du systĂšme climatique, augmentant la probabilitĂ© dâimpacts graves, rĂ©pandus et irrĂ©versibles sur les personnes et les Ă©cosystĂšmes. »2 Le changement climatique amplifiera les risques existants pour les systĂšmes naturels et humains et en crĂ©era de nouveaux : baisse des rendements agricoles, montĂ©e des eaux, recrudescence des Ă©vĂšnements extrĂȘmes. Naturellement, les seuils Ă partir desquels ces risques pourraient se matĂ©rialiser sont difficiles Ă dĂ©terminer, de mĂȘme que la localisation prĂ©cise des dommages.
EncadrĂ© 1 â Les gaz Ă effet de serre
Les engagements de lâAccord de Paris portent sur sept GES (CO2, CH4, N2O, HFC, PFC, SF6, NF3). Les trois quarts des Ă©missions de GES sont des Ă©missions de CO2.
Ces gaz se distinguent par leur durĂ©e de vie et leur pouvoir de rĂ©chauffement. Le pouvoir de rĂ©chauffement global (PRG) traduit lâimpact dâun gaz donnĂ© sur le rĂ©chauffement climatique relativement au CO2, Ă un horizon temporel donnĂ© (gĂ©nĂ©ralement 100 ans). Cela permet de convertir les masses des diffĂ©rents gaz en une unitĂ© unique, la tonne dâĂ©quivalent CO2 (t CO2e), qui reprĂ©sente la masse de CO2 quâil faudrait pour gĂ©nĂ©rer le mĂȘme impact sur le rĂ©chauffement climatique quâune tonne du gaz considĂ©rĂ©e.
Ainsi, Ă horizon de 100 ans, une tonne de mĂ©thane a un pouvoir rĂ©chauffant global de 25, ce qui signifie quâune tonne de mĂ©thane Ă©mise aujourdâhui contribue autant au rĂ©chauffement climatique mesurĂ© dans 100 ans que 25 tonnes de dioxyde de carbone Ă©mises aujourdâhui. Une tonne de mĂ©thane correspond donc Ă 25 t CO2e.
1 « Human influence on the climate system is clear, and recent anthropogenic emissions of green-house gases are the highest in history. Recent climate changes have had widespread impacts on human and natural systems », GIEC (2014), Climate Change 2014, Synthesis Report, Summary for Policymakers. 2 « Continued emission of greenhouse gases will cause further warming and long-lasting changes in all components of the climate system, increasing the likelihood of severe, pervasive and irreversible impacts for people and ecosystems », ibid.
Chapitre 1 Le contexte mondial : ce qui a changé en dix ans
FRANCE STRATĂGIE 39 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
Tableau 1 â Les gaz Ă effet de serre : durĂ©e de vie, pouvoir de rĂ©chauffement, rĂ©partition et source dâĂ©missions
ppm : partie par million ppb : partie par milliard ppt : partie par trillion.
Remarque : un million de tonnes de carbone (1 MtC) = 3,664 millions de tonnes de CO2.
* La durĂ©e de vie du carbone ne peut pas ĂȘtre reprĂ©sentĂ©e par une seule valeur car ce gaz nâest pas dĂ©truit au fil du temps, il migre entre les ocĂ©ans, lâatmosphĂšre et le systĂšme terrestre. Une part de lâexcĂšs de CO2 est absorbĂ©e rapidement (par la surface des ocĂ©ans, par exemple), mais une autre restera dans lâatmosphĂšre pendant plusieurs milliers dâannĂ©es du fait de la lenteur du processus transfĂ©rant le carbone aux sĂ©diments ocĂ©aniques.
Sources : Chiffres clés du climat, France, Europe et Monde, éditions 2016 et 2018, CGDD et I4CE, Datalab, ministÚre de la Transition écologique et solidaire ; United States Environmental Protection Agency Climate Change Indicators: Greenhouse Gases, www.epa.gov/climate-indicators/greenhouse-gases ; United States Environmental Protection Agency Climate Change Indicators: Global Greenhouse Gas Emissions Data, www.epa.gov/ghgemissions/global-greenhouse-gas-emissions-data ; World Development Indicators, Banque mondiale ; CITEPA, www.citepa.org/fr/air-et-climat/polluants/effet-de-serre/perfluorocarbures
Un budget carbone mondial en Ă©puisement rapide 1.2.
Le budget carbone se dĂ©finit comme la quantitĂ© totale de carbone qui peut ĂȘtre Ă©mise pour une hausse maximale donnĂ©e des tempĂ©ratures (1,5 °C ou 2 °C), afin de rester en-deçà de cette limite avec une probabilitĂ© donnĂ©e. Compte tenu des incertitudes des modĂšles climatiques, pour une cible en tempĂ©rature et une probabilitĂ© donnĂ©es, la mesure du budget carbone reste elle-mĂȘme entourĂ©e dâincertitudes et constitue un objet rĂ©current de dĂ©bats. Ce rapport nâa pas pour objet de rendre compte de ces dĂ©bats ni a fortiori de prendre position, mais de caractĂ©riser les messages gĂ©nĂ©raux qui Ă©manent de lâensemble des travaux rassemblĂ©s et synthĂ©tisĂ©s par le GIEC.
La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 40 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
Le cinquiĂšme rapport dâĂ©valuation du GIEC de 2014 et son rapport spĂ©cial sur la cible 1,5 °C, tout juste paru, explicitent les enjeux d'une limitation de la hausse de la tempĂ©rature moyenne Ă la surface du globe « largement en deçà » de 2 °C par rapport Ă lâĂšre prĂ©industrielle, avec 1,5 °C comme Ă©tant plus souhaitable :
â lâhorizon se compte dĂ©sormais en dĂ©cennies. Une grande partie du budget carbone dont nous disposions au dĂ©but de lâĂšre industrielle a Ă©tĂ© dĂ©jĂ consommĂ©e (voir figures 3 et 4) ; les budgets carbone rĂ©siduels seront Ă©puisĂ©s bien avant la fin de ce siĂšcle, et bien avant que les gisements dâĂ©nergies fossiles soient Ă©puisĂ©s ;
Figure 3 â Budget carbone initial et budgets carbone restants en 2011 et en 2018
Source : calculs de France Stratégie à partir de GIEC (2014), Climate Change 2014. Synthesis report, p. 64
0
500
1000
1500
2000
2500
3000
3500
4000
4500
5000
66% 50% 33% 66% 50% 33% 66% 50% 33%
<1,5°C <2°C <3°C
Budget carbone initial (date de référence : 1870)
Budget carbone restant en 2011 (5e rapport du GIEC, 2014)
Budget carbone restant en 2018
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â le budget carbone, câest-Ă -dire le stock dâĂ©missions de GES Ă ne pas dĂ©passer, sâĂ©puisera dâici deux Ă trois dĂ©cennies au rythme des Ă©missions actuelles, si lâon veut contenir le rĂ©chauffement en-deçà de 2 degrĂ©s1 ;
â la lutte contre le changement climatique et la cible de 2 °C imposent donc de tenir un « zĂ©ro Ă©missions nettes » dâici la seconde moitiĂ© du XXIe siĂšcle, en dâautres termes de contenir les Ă©missions brutes au niveau des puits de carbone ;
â les Ă©conomies doivent converger entre aujourdâhui et la seconde moitiĂ© du XXIe siĂšcle vers un « zĂ©ro Ă©missions nettes » soutenable si la cible est 2 °C. Si lâobjectif est de limiter la hausse des tempĂ©ratures Ă 1,5 °C, la neutralitĂ© doit ĂȘtre atteinte au niveau mondial en 2050.
Si lâon entre dans le dĂ©tail des scĂ©narios du GIEC, le nombre de dĂ©cennies encore disponibles dĂ©pend de lâobjectif de tempĂ©rature, de la probabilitĂ© que lâon se donne de ne pas dĂ©passer cet objectif. Il dĂ©pend aussi de choix mĂ©thodologiques sur la pĂ©riode considĂ©rĂ©e et de la taille estimĂ©e des puits de carbone (ocĂ©ans et forĂȘts, notamment).
Le cinquiĂšme rapport du GIEC de 2013-2014 montre que les budgets carbone compatibles avec une hausse des tempĂ©ratures contenue Ă 2 °C seraient Ă©puisĂ©s dâici trois dĂ©cennies. Ă partir des rĂ©sultats du cinquiĂšme rapport du GIEC portant sur les budgets carbone calculĂ©s en 2011, il est possible dâestimer le budget carbone Ă notre disposition aujourdâhui, selon lâobjectif climatique. Pour mettre Ă jour les estimations de 2011, on intĂšgre au calcul les Ă©missions entre 2011 et 2017 (voir tableau 2).
1 Le rapport 1,5 °C du GIEC prĂ©citĂ© mentionne la possibilitĂ©, avec des risques, de dĂ©passement temporaire du budget carbone puis, grĂące aux technologies de capture et stockage du COÂČ (CSC), de revenir sur des trajectoires compatibles avec les objectifs de lâAccord de Paris.
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Tableau 2 â Budgets carbone
Cible du réchauffement climatique
< 1,5 °C < 2 °C < 3 °C
Probabilité de respect des objectifs de hausse des températures
66 % 50 % 33 % 66 % 50 % 33 % 66 % 50 % 33 %
Budget carbone initial (date de référence 1870)
2 250 2 250 2 550 2 900 3 000 3 300 4 200 4 500 4 800
Budget carbone restant en 2011 (CinquiĂšme rapport du GIEC, 2014)
400 550 850 1 000 1 300 1 500 2 400 2 800 3 250
Budget carbone restant en 2018
153 303 603 753 1 053 1 253 2 153 2 553 3 003
Années restantes avant dépassement du budget au rythme actuel des émissions (hypothÚse de 37 GtCO2/an)
4 8 16 20 28 34 58 69 81
Sources : calculs de France StratĂ©gie Ă partir de GIEC (2014), Climate Change 2014. Synthesis report, p. 64 ; dâune prĂ©sentation de K. Anderson du Tyndall Center for climate change research ; et de Le QuĂ©rĂ© C. et al., Global Carbon Budget 2018, Earth Syst. Sci.
Le rĂ©cent rapport spĂ©cial 1,5 °C du GIEC rĂ©vise Ă la hausse les budgets carbone qui sont allongĂ©s dâune dizaine dâannĂ©es, sur des bases mĂ©thodologiques diffĂ©rentes des prĂ©cĂ©dents rapports1.
Tableau 3 â Budgets carbone AR 5 (cinquiĂšme rapport du GIEC) et SR 1.5 (Rapport spĂ©cial 1,5 °C) restants en 2018
AR5 SR 1.5 Cible du réchauffement anthropique
<1,5 °C <2 °C <1,5 °C <2 °C
Probabilité de respect des objectifs de hausse des températures
66 % 50 % 33 % 66 % 50 % 33 % 66 % 50 % 33 % 66 % 50 % 33 %
Budget carbone restant en 2018 153 303 603 753 1 053 1253 420 580 840 1 170 1 500 2 030
Sources : calculs de France Stratégie à partir de GIEC (2014), Climate Change 2014, Synthesis report, tableau 2.2, p. 64, et GIEC (2018), SR 1.5, chapitre 2, table 2.2, p. 22
1 La rĂ©vision Ă la hausse du budget carbone est Ă considĂ©rer avec prudence, car il existe un grand nombre dâincertitudes.
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Au total, au-delĂ des incertitudes, le message gĂ©nĂ©ral peut ĂȘtre synthĂ©tisĂ© de maniĂšre stylisĂ©e dans le graphique ci-dessous : nous ne sommes pas sur la bonne trajectoire, les Ă©missions mondiales augmentent et le budget carbone se rĂ©duit. Dans un tel contexte, atteindre la neutralitĂ© carbone â zĂ©ro Ă©missions nettes de puits de carbone avant la fin du siĂšcle â devient logiquement le nouvel ancrage des stratĂ©gies de lutte contre le changement climatique.
Figure 4 â Comparaison des objectifs mondiaux avec des trajectoires respectant le budget carbone 2 °C (avec une probabilitĂ© 66 %)
Source : simulations de France Stratégie à partir de United States Environmental Protection Agency Climate Change Indicators: Global Greenhouse Gas Emissions Data
Les scénarios du GIEC pour atteindre la neutralité carbone 1.3.
Dans son rapport spĂ©cial 1,5 °C publiĂ© en octobre 2018, le GIEC considĂšre quâil faudrait atteindre un « bilan nul » des Ă©missions aux alentours de 2050. Cela signifie que les Ă©missions restantes devraient ĂȘtre compensĂ©es en Ă©liminant du CO2 de lâatmosphĂšre. Dans cette perspective, il met en Ă©vidence dans son rĂ©sumĂ© pour dĂ©cideurs quatre scĂ©narios types (de P1 Ă P4) permettant de limiter la hausse des tempĂ©ratures Ă 1,5 °C. Ces scĂ©narios se diffĂ©rencient selon deux critĂšres : la demande dâĂ©nergie et la taille des puits de carbone. Plus la demande dâĂ©nergie est forte, plus il faut augmenter la taille des puits en recourant Ă la capture et la sĂ©questration du carbone, et plus le coĂ»t marginal
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dâabattement des Ă©missions est Ă©levĂ© car les technologies de capture et stockage du CO2 (CSC) sont chĂšres.
âą Dans les scĂ©narios P1 et P2, la demande dâĂ©nergie finale dĂ©croĂźt ou est stable (relativement Ă 2010). Dans ce contexte, la neutralitĂ© carbone peut ĂȘtre obtenue par abattement des Ă©missions brutes et par recours aux puits de carbone naturels que sont notamment les forĂȘts et les prairies permanentes, sans mobilisation significative des technologies CSC. Le scĂ©nario P2 suppose toutefois une coopĂ©ration internationale accrue.
âą Dans les scĂ©narios P3 et P4, la demande finale dâĂ©nergie croĂźt. La baisse des Ă©missions brutes est plus difficile et plus lente et la tempĂ©rature dĂ©passe transitoirement la limite de 1,5 °C (overshoot). La neutralitĂ© carbone nĂ©cessite, outre les puits naturels, de recourir aux puits de carbone artificiels. Parmi les technologies CSC, le GIEC prend comme technologie critique la BioCSC1 qui permet la rĂ©alisation dâĂ©missions nĂ©gatives2 :
â la solution BioCSC permet des Ă©missions nettes nĂ©gatives de CO2. Les Ă©missions de CO2 issues de la combustion de la biomasse sont capturĂ©es et enfouies, tandis que le stock de biomasse se renouvelle (lorsquâon coupe un arbre pour obtenir du bois-Ă©nergie, on en replante un autre) ;
â plus le potentiel de BioCSC est Ă©levĂ©, plus la marge de manĆuvre sur les Ă©missions brutes est grande. Un recours massif Ă la BioCSC est lui-mĂȘme conditionnĂ© Ă une coopĂ©ration internationale accrue.
Seuls les deux premiers scĂ©narios nâimpliquent pas des situations de dĂ©passement temporaire de la cible (« overshooting »), dont la correction ultĂ©rieure est conditionnĂ©e au dĂ©veloppement de technologies CSC.
1 La BioCSC est lâutilisation de la biomasse comme intrant Ă©nergĂ©tique et dont les Ă©missions CO2 sont capturĂ©es et sĂ©questrĂ©es. 2 Les scĂ©narios P2 et P4 soulignent lâimportance de la coopĂ©ration internationale qui permet dâarriver Ă une neutralitĂ© carbone plus rapidement, en 2050. Une coopĂ©ration internationale accrue joue un rĂŽle majeur dans les transferts financiers et technologiques.
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Figure 5 â CaractĂ©ristiques de quatre scĂ©narios types de rĂ©duction des Ă©missions
Lecture : AFOLU signifie agriculture, foresterie et autre utilisation des terres ; BECCS est lâacronyme anglais pour BioCSC. Source : GIEC (2018), Global Warming of 1.5 °C, Summary for Policymakers, p.16
Le champ des opportunitĂ©s technologiques sâest Ă©largi 2.
Le changement climatique appelle un changement des modes de vie, des habitudes et dâune partie des actifs et des technologies que nous utilisons aujourdâhui. Depuis une dizaine dâannĂ©es, le champ des opportunitĂ©s technologiques sâest sensiblement Ă©largi, mĂȘme si les incertitudes restent importantes sur les vitesses de dĂ©ploiement et les coĂ»ts des innovations.
Un avenir technologique plus prometteur 2.1.
LâAgence internationale de lâĂ©nergie (AIE), dans ses travaux pour le secteur de lâĂ©nergie (World Energy Outlook et Energy Technology Perspectives1), met en Ă©vidence le
1 www.iea.org/weo, www.iea.org/etp.
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portefeuille des technologies critiques qui devront ĂȘtre dĂ©ployĂ©es Ă grande Ă©chelle au niveau mondial pour atteindre les objectifs de lâAccord de Paris.
Ce portefeuille se composera dâabord des technologies permettant de gagner en efficacitĂ© Ă©nergĂ©tique dans tous les secteurs de lâĂ©conomie. Les technologies digitales joueront un rĂŽle clĂ©, par exemple, via les capacitĂ©s de gestion en temps rĂ©el et de rĂ©gulation quâelles procurent pour amĂ©liorer lâefficacitĂ© Ă©nergĂ©tique des logements, bĂątiments tertiaires et usines, et pour optimiser lâusage des rĂ©seaux. Lâutilisation des technologies digitales pourrait aussi entraĂźner une augmentation du niveau de consommation de lâĂ©nergie, dans une proportion qui dĂ©pendra de lâutilisation et de la rĂ©glementation de ces usages, pour les vĂ©hicules autonomes par exemple1.
Le portefeuille a ensuite vocation Ă couvrir lâensemble des technologies existantes et futures permettant de dĂ©carboner lâĂ©nergie. Ă ce titre, le rapport de lâAIE Energy Technology Perspectives 2017 prĂ©cise que trois Ă©volutions joueront un rĂŽle critique :
â la dĂ©carbonation de la production dâĂ©lectricitĂ©, avec les progrĂšs conjoints des Ă©nergies renouvelables variables Ă©lectriques (Ă©olien et solaire PV), des moyens pilotables dĂ©carbonĂ©s (hydroĂ©lectricitĂ©, nuclĂ©aire, biomasse) ou bas carbone (fossile avec CSC), et lâamĂ©lioration des capacitĂ©s de stockage de lâĂ©lectricitĂ© ;
â lâĂ©lectrification des usages : soit par un usage direct plus Ă©tendu de l'Ă©lectricitĂ© dĂ©carbonĂ©e dans le transport, le bĂątiment et l'industrie ; soit par un usage indirect via le vecteur hydrogĂšne produit de façon dĂ©carbonĂ©e Ă partir dâĂ©lectricitĂ© et dâĂ©lectrolyse de lâeau. Le vecteur hydrogĂšne peut lui-mĂȘme avoir un usage direct (des piles Ă combustible par exemple) ou un usage indirect dans des carburants et gaz de synthĂšse (« power to liquid » et « power to gas ») ;
â le dĂ©veloppement des bioĂ©nergies, notamment des biocarburants de nouvelle gĂ©nĂ©ration.
Ce portefeuille inclura enfin des technologies de capture et de stockage du CO2, notamment de la BioCSC. La BioCSC permettra potentiellement de générer des émissions négatives, donc de compenser les émissions résiduelles difficiles à abattre de certains procédés industriels et agricoles, ainsi que du transport maritime et aérien.
Quatre enseignements principaux Ă©manent du rapport de lâAIE :
â le champ des technologies de dĂ©carbonation sâĂ©largit, mĂȘme sâil est imprudent aujourdâhui de miser sur lâapparition dâune technologie « backstop » sans contrainte de dĂ©veloppement majeur et permettant de se passer complĂštement des Ă©nergies
1 Agence internationale de lâĂ©nergie (2017), Energy and Digitalization, Publications de lâAIE, octobre.
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fossiles. Certains secteurs seront longs et difficiles Ă dĂ©carboner. Câest le cas du transport aĂ©rien et du transport maritime de marchandises. Câest le cas aussi de certains secteurs industriels comme la cimenterie, la sidĂ©rurgie et la chimie. Dans ces diffĂ©rents secteurs, il faut tabler soit sur des technologies de rupture (comme lâhydrogĂšne) soit sur le dĂ©veloppement des technologies de capture et de stockage du CO2 pour parvenir Ă une dĂ©carbonation significative ;
â en lâĂ©tat actuel des informations disponibles, les coĂ»ts des technologies les plus structurantes pour parvenir Ă une dĂ©carbonation totale en fin de pĂ©riode sont potentiellement Ă©levĂ©s, pouvant atteindre entre 500 ⏠et 800 ⏠la tonne de CO2
Ă©liminĂ©e. Les coĂ»ts des technologies Ă©voquĂ©es ici ne tiennent pas compte des coĂ»ts de dĂ©ploiement et dâajustement du stock de capital, si bien que les coĂ»ts marginaux dâabattement peuvent ĂȘtre plus Ă©levĂ©s que les coĂ»ts des technologies stricto sensu ;
â le rapport Energy Technology Perspectives 2017 (ou rapport ETP) souligne lâimportance qui doit ĂȘtre accordĂ©e Ă la coopĂ©ration internationale. Les innovations ont dâautant plus de chances dâĂ©merger et de diffuser quâun grand nombre de pays et dâentreprises engagent des politiques dâinnovation destinĂ©es à « verdir » leurs activitĂ©s. Des Ă©conomies dâapprentissage et dâĂ©chelle devraient alors permettre des baisses plus rapides et plus importantes du prix des technologies1. La coopĂ©ration multilatĂ©rale peut favoriser ce processus dâinnovation « schumpĂ©tĂ©rien » et permettre aux pays en dĂ©veloppement un accĂšs plus aisĂ© aux technologies vertes ;
â enfin, le rapport ETP souligne lâinterdĂ©pendance des technologies2. « Combiner diffĂ©rentes technologies permettra de fournir des services Ă©nergĂ©tiques fiables et abordables, tout en rĂ©duisant les Ă©missions. »
Ces travaux de lâAIE sont corroborĂ©s par dâautres travaux scientifiques. Ă titre illustratif, un complĂ©ment du rapport rĂ©sume un article rĂ©cent de la revue Science rĂ©alisĂ© par un
1 Voir les ComplĂ©ments au prĂ©sent rapport pour des simulations des effets dâapprentissage et leurs consĂ©quences sur les coĂ»ts de rĂ©duction de la tonne de CO2 : ComplĂ©ment 14, « Valeur tutĂ©laire du carbone : quelques considĂ©rations technico-Ă©conomiques », par François Dassa et Jean-Michel Trochet. 2 Cet argument concerne lâensemble des secteurs : de lâĂ©nergie Ă lâindustrie en passant par le secteur agricole et la foresterie. LâAIE insiste : « Les technologies Ă©nergĂ©tiques sont interdĂ©pendantes et doivent donc ĂȘtre dĂ©veloppĂ©es et dĂ©ployĂ©es en parallĂšle » (Rapport ETP 2017, voir le ComplĂ©ment 12 au prĂ©sent rapport) et « A significantly strengthened and accelerated policy response is required to achieve a low carbon energy future. Early action to reduce emissions and avoid lock-in of emissions intensive infrastructure will be essential if future temperature increases are to be kept to 2 °C or below. The scale of effort needed to achieve carbon neutrality by 2060 in the B2DS highlights that there would be almost no room for delay; all available policy levers would need to be pulled, and soon. » (Rapport ETP 2017, p. 20).
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rĂ©seau dâune trentaine de scientifiques et synthĂ©tisant les marges de progrĂšs technique telles quâon peut les apprĂ©cier aujourdâhui1.
Des incertitudes importantes sur les coĂ»ts des technologies 2.2.Ă lâhorizon 2050
LâĂ©largissement du champ des possibilitĂ©s technologiques constitue une bonne nouvelle potentielle dans la lutte contre le changement climatique, mais celle-ci doit ĂȘtre intĂ©grĂ©e « sans naĂŻvetĂ© » dans un exercice de prospective, pour deux raisons.
En premier lieu, le progrĂšs technique nâest pas spontanĂ©ment « vert » et dĂ©pend pour une large part des signaux de prix â lâincitation Ă rechercher des substitutions aux Ă©nergies fossiles est tributaire de lâĂ©volution constatĂ©e et anticipĂ©e de leur prix2 â ainsi que de lâefficacitĂ© des politiques publiques de soutien au bien public que constitue la R & D. Celles-ci doivent surmonter les effets de « dĂ©pendance au passĂ© » qui poussent les entreprises Ă chercher dans les domaines oĂč elles disposent dĂ©jĂ de connaissances solides.
En second lieu, les incertitudes sur le potentiel de dĂ©veloppement des nouvelles technologies et sur leurs coĂ»ts marginaux restent fortes. Parmi ces incertitudes figure le potentiel de capture et de sĂ©questration du CO2 (CSC) qui dĂ©termine la taille des puits de carbone et donc la marge disponible pour « absorber » les Ă©missions brutes. Le procĂ©dĂ© de CSC consiste Ă piĂ©ger ces molĂ©cules avant, pendant ou aprĂšs lâĂ©tape de combustion afin dâĂ©viter sa libĂ©ration dans lâatmosphĂšre. Les expĂ©rimentations en cours, probantes au plan technique, doivent ĂȘtre poursuivies au niveau des dĂ©monstrateurs, pour atteindre la taille industrielle requise. Par ailleurs, dâautres obstacles restent Ă franchir : il pourrait, par exemple, ĂȘtre nĂ©cessaire de dĂ©ployer un rĂ©seau interconnectĂ© entre les pays europĂ©ens pour acheminer le CO2 vers les zones de sĂ©questration en mer du Nord, oĂč les potentiels de stockage semblent les plus prometteurs. De façon plus gĂ©nĂ©rale, il reste Ă lever l'incertitude des lieux potentiels majeurs de sĂ©questration3.
1 Davis S. J et al. (2018), « Net-zero emissions energy systems », Science, vol. 360, Issue 6396, eaas9793. 2 DechezleprĂȘtre A. (2016), « How to reverse the dangerous decline in low-carbon innovation », The Conversation, 24 octobre. 3 Agence internationale de lâĂ©nergie (2017), Energy Technology Perspectives 2017. Catalysing Energy Technology Transformations, p. 31 et suivantes. Le CSC contribue pour 14 % de la rĂ©duction des Ă©missions pour passer du scĂ©nario RTS (Reference Technology Scenario) au scĂ©nario 2DS (2 °C ScĂ©nario) et pour 32 % lors du passage de 2DS Ă B2DS (Beyond 2 °C ScĂ©nario), soit pour environ 18 % de RTS Ă B2DS.
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Un champ dâincertitudes plus systĂ©mique porte sur le potentiel de dĂ©veloppement de chaque technologie. Chaque solution technique rencontre en effet des limites :
â ces limites peuvent ĂȘtre Ă la fois physiques et Ă©nergĂ©tiques. Les ressources physiques disponibles doivent exister en quantitĂ© suffisante, comme lâeau pour lâhydroĂ©lectricitĂ©, des poches souterraines pour le CSC, les petits mĂ©taux1 pour la fabrication de sources dâĂ©nergie dĂ©carbonĂ©e. LâaccĂšs et la production de ressources nĂ©cessitent en outre une dĂ©pense Ă©nergĂ©tique croissante malgrĂ© les Ă©volutions des techniques de production2. Ce contenu en matiĂšre et en Ă©nergie des nouvelles technologies de lâĂ©nergie est Ă prendre en compte dans lâĂ©valuation carbone des produits technologiques « verts », car leur impact net sur les Ă©missions de GES peut ĂȘtre infĂ©rieur Ă leur impact « brut »3. La comprĂ©hension et lâĂ©valuation de cette boucle Ă©nergie-matiĂšre est essentielle pour considĂ©rer lâapport des technologies et donc la valeur de lâaction pour le climat ;
â les nouvelles technologies, efficaces en matiĂšre Ă©nergĂ©tique, peuvent gĂ©nĂ©rer des « effets rebonds », soit la tendance Ă utiliser davantage des Ă©quipements plus efficaces â effets importants dans le domaine de la mobilitĂ© et, dans une moindre mesure, du logement ;
â les limites peuvent enfin tenir aux conflits dâusage : la biomasse par exemple peut faire lâobjet dâusages multiples (alimentation, sĂ©questration, besoins thermiques, etc.) qui nĂ©cessitent des arbitrages sur lâusage des sols. Les limites peuvent aussi, dans un mĂȘme ordre dâidĂ©es, porter sur lâacceptabilitĂ©, comme en tĂ©moignent certaines oppositions au dĂ©ploiement dâĂ©oliennes terrestres.
Ces incertitudes sont renforcĂ©es par la persistance et mĂȘme le creusement de lâĂ©cart entre les objectifs affichĂ©s des politiques dâattĂ©nuation nationales et internationales,
1 AppelĂ©s Ă©galement mĂ©taux critiques, stratĂ©giques ou encore rares, au prix de quelques nuances. Ces mĂ©taux, contrairement au fer ou Ă la bauxite, sont produits en petites quantitĂ©s et sont moins prĂ©sents dans lâĂ©corce terrestre. Ils sont particuliĂšrement recherchĂ©s pour leurs propriĂ©tĂ©s et leurs applications dans les nouvelles technologies de lâĂ©nergie. 2 Cet effet renvoie au second principe de thermodynamique. Il peut ĂȘtre approchĂ© par le taux de retour sur investissement Ă©nergĂ©tique (ou EROI). LâEROI mesure la quantitĂ© dâĂ©nergie utilisable par unitĂ© dâĂ©nergie dĂ©pensĂ©e pour obtenir cette Ă©nergie. Il calcule la difficultĂ© Ă extraire lâĂ©nergie de lâenvironnement. Il Ă©tablit que lâĂ©nergie nette disponible pour les activitĂ©s humaines dĂ©croĂźt. Il en est de mĂȘme pour les productions des ressources mĂ©talliques : il faut de plus en plus dâĂ©nergie pour produire des ressources mĂ©talliques qui serviront Ă la production dâEnR. Voir Court V. et Fizaine F. (2017), « Long-term estimates of the energyrReturn-on-investment (EROI) of coal, oil, and gas global productions », Ecological Economics, 138 (2017), p. 145-159. 3 Le concept dâĂ©nergie grise peut ĂȘtre mobilisĂ©. Il dĂ©signe lâĂ©nergie incorporĂ©e Ă laquelle on ajoute lâĂ©nergie utilisĂ©e au dĂ©ploiement du bien, Ă son exploitation jusquâau recyclage du bien en fin de vie.
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dâune part, et les rĂ©sultats effectifs de ces politiques, dâautre part. Si cet implementation gap reste encore Ă analyser en dĂ©tail, il traduit clairement la prĂ©sence dâimportantes barriĂšres Ă lâaction â au moins Ă court terme â liĂ©es notamment Ă trois enjeux :
â le traitement des questions redistributives associĂ©es aux politiques climatiques, dans un contexte oĂč les acteurs nâont pas toujours dâalternatives dĂ©carbonĂ©es Ă leur disposition, est soumis Ă des contraintes dâaccĂšs au crĂ©dit ou de compĂ©titivitĂ© ;
â les verrous sociaux et institutionnels au dĂ©ploiement rapide des options « bas carbone », par exemple pour la rĂ©novation Ă©nergĂ©tique du bĂątiment, avec des enjeux de formation professionnelle ou de structuration des filiĂšres au niveau de lâoffre, ou de dilemme locataire/propriĂ©taire au niveau de la demande ;
â le dĂ©ficit de financement, dans un contexte oĂč lâĂ©pargne disponible est abondante mais sâinvestit insuffisamment dans les actions « bas carbone » car les risques perçus restent Ă©levĂ©s ; dans un contexte aussi oĂč les marges de manĆuvre budgĂ©taires sont limitĂ©es. La question est donc de trouver les moyens de mieux orienter lâĂ©pargne privĂ©e vers lâinvestissement « bas carbone ».
LâĂ©conomie du climat fournit le cadre dâune attĂ©nuation 3.efficace du changement climatique
Ce rapport nâa pas la prĂ©tention de dĂ©crire lâensemble du cadre thĂ©orique et les dĂ©bats quâont suscitĂ©s chez les Ă©conomistes lâanalyse des consĂ©quences du changement climatique et les conditions dâune politique dâattĂ©nuation efficace. Il sâagit ici de faire ressortir les progrĂšs rĂ©alisĂ©s depuis une dizaine dâannĂ©es, progrĂšs sur lesquels peut sâappuyer la dĂ©marche de valorisation de lâaction pour le climat.
Lâanalyse Ă©conomique de lâattĂ©nuation dâune externalitĂ© globale 3.1.
LâĂ©conomie de lâenvironnement aborde le climat sous lâangle dâun bien collectif Ă prĂ©server ou sous lâangle dâune externalitĂ© nĂ©gative (Ă©missions de CO2) Ă internaliser dans le fonctionnement des marchĂ©s. Il sâagit dâune externalitĂ© particuliĂšre, car le rĂ©chauffement climatique est provoquĂ© par lâaccumulation de GES dans lâatmosphĂšre. Les dommages sont donc liĂ©s aux stocks de GES et non aux flux dâĂ©missions qui les alimentent (comme dans les externalitĂ©s classiques). CorrĂ©lativement, rĂ©duire la concentration prend beaucoup de temps.
Dans ce contexte, lâapproche coĂ»ts-bĂ©nĂ©fices du problĂšme climatique vise Ă dĂ©terminer la trajectoire socialement optimale dâĂ©missions de GES au niveau mondial, en Ă©galisant Ă tout instant le coĂ»t marginal dâabattement dâune tonne de GES et la somme actualisĂ©e des dommages marginaux futurs dâune tonne de GES Ă©mise aujourdâhui. Lorsque
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lâĂ©galitĂ© est obtenue, on sâassure contre deux risques : celui de faire des efforts dĂ©mesurĂ©s avec un bĂ©nĂ©fice social faible, celui de ne pas faire suffisamment dâeffort alors que le coĂ»t Ă supporter est faible pour un bĂ©nĂ©fice important.
Cependant, lâanalyse coĂ»ts-bĂ©nĂ©fices reste difficile Ă dĂ©cliner de maniĂšre opĂ©rationnelle dans la mesure oĂč le calcul est trĂšs sensible aux choix de certains paramĂštres-clĂ©s (la valorisation des dommages, lâactualisation, les effets de seuil, etc.) encore mal connus ou relevant de la prospective1 :
â la difficultĂ© de ce type dâapproche tient notamment Ă lâestimation de la courbe de dommage marginal, sur laquelle il est difficile dâobtenir un consensus2. Les travaux du GIEC ont largement consolidĂ© des risques catastrophiques3, mais la dĂ©termination prĂ©cise des seuils de concentration au-delĂ desquels il y a rupture (tipping points) reste trĂšs incertaine ;
â les effets des variations de tempĂ©rature sur lâĂ©conomie sont difficiles Ă valoriser. Une partie de ces dommages prĂ©sente un caractĂšre marchand â perte potentielle de PIB en raison de la limitation des ressources naturelles et de la destruction de capital productif en cas de catastrophe. Mais une autre partie, non marchande, concerne la perte de biodiversitĂ© et les risques de destruction de sociĂ©tĂ©s et dâĂ©cosystĂšmes ;
â les consĂ©quences de lâincertitude sont amplifiĂ©es par la prĂ©sence de nombreuses inerties, voire dâirrĂ©versibilitĂ©s, tant dans le systĂšme climatique que dans les systĂšmes techniques, Ă©conomiques et sociaux.
MalgrĂ© ces limitations, les analyses coĂ»ts-bĂ©nĂ©fices les plus dĂ©taillĂ©es, comme celles rĂ©alisĂ©es avec le modĂšle PAGE dĂ©veloppĂ© par Chris Hope et lâuniversitĂ© de Cambridge4, et utilisĂ© notamment pour le rapport Stern5, ou rĂ©alisĂ©es avec des modĂšles simples trĂšs agrĂ©gĂ©s comme le modĂšle DICE dĂ©veloppĂ© par William Nordhaus6 ont jouĂ© un rĂŽle important dans la prise de conscience de lâampleur du problĂšme, et du coĂ»t de lâinaction, dans la dĂ©finition de politiques dâattĂ©nuation efficaces.
1 Voir lâencadrĂ© 2. 2 De façon un peu provocatrice, Robert Pindyck avance que « when it comes to the damage function, we know virtually nothing â there is no theory and are no data that we can draw from » ; Pindyck R. (2017), « The use and misuse of models for climate policy », Review of Environmental Economics and Policy, vol. 11(1), p. 100-114. 3 Voir la contribution du groupe de travail I au cinquiĂšme rapport dâĂ©valuation du GIEC, 2014. 4 Hope C., Anderson J. et Wenman P. (1993), « Policy analysis of the greenhouse effect: An application of the PAGE model », Energy Policy, 21 (3), p. 327-338. 5 Stern N. (2006), Stern review: The Economics of Climate Change, United Kingdom. 6 Nordhaus W. D. (1993), « Reflections on the economics of climate change », Journal of Economic Perspectives, 7(4), p. 11-25.
La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 52 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
Une « boĂźte Ă outils » pour atteindre lâobjectif de dĂ©carbonation 3.2.au meilleur coĂ»t
En complĂ©ment ou en substitution de lâanalyse coĂ»ts-bĂ©nĂ©fices, une seconde dĂ©marche consiste Ă se donner un objectif dâĂ©missions ou de concentration de GES, puis Ă dĂ©terminer la trajectoire dâattĂ©nuation optimale pour atteindre cet objectif au moindre coĂ»t.
Cette dĂ©marche, dite coĂ»ts-efficacitĂ©, permet de sâaffranchir dâun exercice de valorisation et dâactualisation des dommages, dans la mesure oĂč la courbe de dommage marginal est remplacĂ©e par une cible dâĂ©missions. Sa pertinence repose sur une bonne apprĂ©ciation des coĂ»ts marginaux dâabattement, câest-Ă -dire des coĂ»ts de rĂ©duction des Ă©missions de GES liĂ©s notamment au portefeuille de technologies disponibles et prĂ©visibles.
EncadrĂ© 2 â Lâapproche coĂ»ts-bĂ©nĂ©fices et lâapproche coĂ»ts-efficacitĂ©
Lâapproche coĂ»ts-bĂ©nĂ©fices
Dans cette approche, lâefficacitĂ© commande de minimiser le coĂ»t complet du changement climatique â constituĂ© des coĂ»ts dâabattement des Ă©missions et du coĂ»t des dommages rĂ©siduels â et dâen dĂ©duire la trajectoire optimale des Ă©missions. Cette approche conduit Ă assurer Ă tout moment lâĂ©galitĂ© entre le coĂ»t marginal des dommages associĂ©s Ă lâĂ©mission dâune tonne supplĂ©mentaire de CO2 dans lâatmosphĂšre et le coĂ»t marginal de rĂ©duction des Ă©missions de CO2.
Ce principe constitue le socle de lâanalyse coĂ»ts-avantages. Câest ce quâillustre le graphique simplifiĂ© ci-dessous, oĂč sont reprĂ©sentĂ©es la courbe du coĂ»t marginal des dommages et la courbe du coĂ»t marginal dâabattement. Plus la concentration de CO2 est importante, plus le coĂ»t des dommages rĂ©sultant dâune Ă©mission supplĂ©mentaire augmente ; plus on diminue la concentration de CO2, plus le coĂ»t marginal dâabattement augmente. LâĂ©galisation des coĂ»ts marginaux permet de dĂ©gager une quantitĂ© optimale dâĂ©mission Q* et le prix qui lui est liĂ© p*.
Chapitre 1 Le contexte mondial : ce qui a changé en dix ans
FRANCE STRATĂGIE 53 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
Figure 6 â Approche coĂ»ts-bĂ©nĂ©fices
Source : France Stratégie
Lâapproche coĂ»ts-efficacitĂ©
Une seconde approche consiste Ă dĂ©finir ex-ante un objectif de rĂ©duction des Ă©missions situĂ© dans les plages de valeurs raisonnables issues de lâanalyse coĂ»ts-avantages. Lâanalyse Ă©conomique peut, une fois lâobjectif dĂ©fini au niveau politique, prendre en compte cette cible et travailler sur le seul volet coĂ»ts-efficacitĂ©.
Figure 7 â Approche coĂ»ts-efficacitĂ©
Source : France Stratégie
Coût/prix
CO2
Coût marginal des dommages
CoĂ»t marginal dâabattement
P*
Q*
CmdCma
La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 54 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
La valeur dâĂ©quilibre dĂ©pend principalement de deux variables :
â le niveau des objectifs de rĂ©duction des Ă©missions. Plus lâobjectif est ambitieux plus le coĂ»t marginal dâabattement est Ă©levĂ© ;
â les technologies disponibles pour rĂ©duire les Ă©missions. Plus les technologies sont performantes, plus les coĂ»ts marginaux dâabattement sont faibles.
Complémentarité des approches
Chaque approche a ses mérites et ses difficultés :
â lâapproche coĂ»ts-bĂ©nĂ©fices suppose que lâon puisse estimer et actualiser les flux de dommages issus du rĂ©chauffement climatique Ă partir dâhypothĂšses de concentration atmosphĂ©rique de GES et de hausse des tempĂ©ratures. Les controverses qui ont entourĂ© la publication du rapport Stern tĂ©moignent de la sensibilitĂ© des rĂ©sultats aux diffĂ©rents paramĂštres retenus, notamment le calibrage de la relation entre tempĂ©ratures et dommages, et au taux dâactualisation ;
â lâapproche coĂ»ts-efficacitĂ© impose de dĂ©terminer un scĂ©nario-cible de rĂ©duction des Ă©missions et de simuler la chronique de valeurs pour y parvenir. Lâune des difficultĂ©s rĂ©side dans la modĂ©lisation des courbes dâapprentissage sur les technologies et des hypothĂšses sur les innovations futures.
Ces deux approches sont complĂ©mentaires. Lâapproche coĂ»ts-bĂ©nĂ©fices cherche Ă dĂ©finir le niveau optimal de concentration de gaz Ă effet de serre dans lâatmosphĂšre, lâapproche coĂ»ts-efficacitĂ© Ă associer Ă un objectif donnĂ© une valeur carbone reprĂ©sentative des coĂ»ts marginaux d'abattement. In fine, si le niveau de rĂ©duction est fixĂ© au niveau optimal, les valeurs du carbone donnĂ©es par les deux approches doivent converger.
Dans ce cadre, lâanalyse coĂ»ts-efficacitĂ© fournit quelques Ă©lĂ©ments structurants pour dĂ©finir une trajectoire pluriannuelle de valeur du carbone qui soit compatible avec le respect des objectifs climatiques :
â la valeur du carbone dĂ©pend principalement du niveau dâambition fixĂ©, des technologies de dĂ©carbonation accessibles pour atteindre cette ambition, ainsi que du niveau de coopĂ©ration internationale. Toutes choses Ă©gales par ailleurs, un objectif plus exigeant conduit Ă mobiliser des technologies plus chĂšres â ce qui pousse Ă la hausse la valeur du carbone. Ă lâinverse, des anticipations favorables sur le dĂ©ploiement et les coĂ»ts futurs des technologies de dĂ©carbonation conduisent Ă rĂ©duire le besoin dâeffort initial.
Chapitre 1 Le contexte mondial : ce qui a changé en dix ans
FRANCE STRATĂGIE 55 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
â la pente de la trajectoire dâune valeur carbone rĂ©pond Ă une logique dâoptimisation dâune ressource naturelle Ă©puisable. Le prix d'une ressource naturelle Ă©puisable va logiquement croĂźtre au fur et Ă mesure de sa consommation du fait de sa raretĂ© croissante. Plus spĂ©cifiquement le dĂ©tenteur de la ressource va arbitrer Ă chaque pĂ©riode entre laisser la ressource dans le sous-sol ou lâextraire et placer les revenus sur les marchĂ©s financiers. Sâil connaĂźt au dĂ©part les rĂ©serves disponibles et les prix futurs, le propriĂ©taire devrait extraire sa ressource de telle sorte que la rente de la ressource non renouvelable (prix de vente moins coĂ»t dâextraction) augmente au rythme du taux dâintĂ©rĂȘt. De mĂȘme, dans le cas du carbone, le budget fixĂ© sâĂ©puise progressivement, comme une rĂ©serve de matiĂšres premiĂšres. Pour consommer cette marge, il doit ĂȘtre Ă©quivalent dâĂ©mettre ou dâabattre une tonne de CO2 aujourdâhui ou dans un an, ce qui implique que la valeur de la tonne de CO2 progresse comme le taux dâactualisation. Cette rĂšgle, dite de Hotelling, prĂ©serve lâavenir car elle garantit que la valeur actualisĂ©e du carbone reste constante et nâest pas Ă©crasĂ©e par la valeur du temps.
Cependant, la version la plus simple de la rĂšgle de Hotelling nâĂ©puise pas la question du choix de la rĂ©partition des efforts de dĂ©carbonation dans le temps.
Des arguments Ă©conomiques plaident pour un rythme de croissance de la valeur infĂ©rieur au taux dâactualisation et par consĂ©quent, Ă objectif climatique inchangĂ©, pour une valeur initiale plus Ă©levĂ©e :
â la prudence : Ă lâinstar dâun mĂ©nage prudent accumulant une Ă©pargne de prĂ©caution quand ses revenus futurs deviennent plus incertains, il peut ĂȘtre socialement dĂ©sirable dâaugmenter lâeffort initial dâabattement pour sâoffrir une « Ă©pargne de prĂ©caution » dans un contexte de forte incertitude initiale, quelle que soit son origine, pour absorber les mauvaises nouvelles ;
â la dynamique de lâinnovation : le dĂ©ploiement prĂ©coce de technologies matures permet via des effets cumulatifs (de type rendements dâĂ©chelle croissants, learning by doing, etc.) de rĂ©duire dans le futur des coĂ»ts dâabattement.
Dâautres arguments plaident Ă lâinverse pour une plus grande progressivitĂ© des actions :
â une action prĂ©coce peut occasionner des coĂ»ts Ă©levĂ©s en raison des possibilitĂ©s dâadaptation immĂ©diate des acteurs Ă©conomiques. Le capital existant et les investissements dĂ©jĂ engagĂ©s pourraient se trouver en situation dâobsolescence rapide (avec un risque de « coĂ»ts Ă©chouĂ©s »). Les rĂ©allocations d'emplois rendues nĂ©cessaires seraient importantes, avec Ă la clĂ© des enjeux de transition professionnelle. Des solutions de substitution ne seraient pas systĂ©matiquement disponibles ;
La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 56 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
â la maĂźtrise des effets redistributifs entre secteurs et entre acteurs plaide aussi pour une progressivitĂ© des efforts. Il convient en effet de tenir compte de lâexposition de certains secteurs Ă la concurrence internationale, de la vulnĂ©rabilitĂ© spĂ©cifique de certains mĂ©nages et de leur accĂšs inĂ©gal aux alternatives dĂ©carbonĂ©es.
Si ces principes guident la rĂ©flexion, lâĂ©conomie du climat ne fournit pas une recette « clĂ©s en mains » car beaucoup dâincertitudes demeurent. Les progrĂšs de la modĂ©lisation permettent de calibrer des ordres de grandeur raisonnables. Cependant, trois familles de paramĂštres manquent aujourdâhui pour disposer dâune reprĂ©sentation suffisamment fine des interactions entre Ă©conomie et lutte contre le changement climatique :
â la mesure des effets de diffusion internationale (spillovers) des innovations. Un effort mondial coordonnĂ© favoriserait lâĂ©mergence dâune masse critique dâinnovations vertes et, via les effets dâapprentissage et dâĂ©chelle, permettrait Ă chaque pays de bĂ©nĂ©ficier en retour dâun accĂšs plus large et moins coĂ»teux Ă des technologies de dĂ©carbo-nation efficace. Pour autant, on ne dispose pas Ă ce stade dâune reprĂ©sentation bouclĂ©e de ces effets de diffusion permettant de calibrer lâeffet dâun progrĂšs technique mondial sur les coĂ»ts marginaux dâabattement ;
â les enjeux macroĂ©conomiques des politiques climatiques, en particulier dĂšs lors que lâon rĂ©flĂ©chit Ă des efforts de trĂšs grande importance1. La transition vers une Ă©conomie bas carbone implique un effort dâinvestissement important â qui vient soutenir le PIB mais dont il faut assurer le financement. Pour minimiser le coĂ»t Ă©conomique et social des transitions, il convient de quantifier le bouclage Ă©conomique et financier induit par le besoin « dâinvestissements verts », les coĂ»ts potentiellement Ă©chouĂ©s sur les investissements polluants non amortis, lâampleur des rĂ©allocations nĂ©cessaires, les mesures Ă prendre pour limiter les pertes de compĂ©titivitĂ© et/ou les pertes de pouvoir dâachat des acteurs les plus exposĂ©s ;
â le niveau du taux dâactualisation qui gouverne la pente de la trajectoire pluriannuelle de valeur carbone. Au-delĂ du dĂ©bat traditionnel sur les diffĂ©rents paramĂštres qui concourent Ă la formation du taux dâactualisation, la question de la prise en compte du risque, et plus spĂ©cifiquement de la corrĂ©lation entre risque Ă©conomique et risque climatique, reste Ă ce stade non Ă©lucidĂ©e. Le « beta climatique »2 dâun programme de
1 Pour approfondir la rĂ©flexion sur ces enjeux, voir Tirole J. (2009), Politique climatique, une nouvelle architecture internationale, rapport n° 87 pour le Conseil dâanalyse Ă©conomique, et dâAutume A., Schubert K. et Withagen C. (2016), « Should the carbon price be the same in all countries? », Journal of Public Economic Theory, 18(5), p. 709-724. 2 Le beta climatique mesure combien l'attĂ©nuation du changement climatique affecte le risque sur la consommation agrĂ©gĂ©e des gĂ©nĂ©rations futures (voir Dietz S., Gollier C. et Kessler L. (2018), « The climate beta », Journal of Environmental Economics and Management, 87, p. 258-274 ; Centre
Chapitre 1 Le contexte mondial : ce qui a changé en dix ans
FRANCE STRATĂGIE 57 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
lutte contre le changement climatique peut en effet venir augmenter ou minorer le taux dâactualisation selon la nature et le signe de la corrĂ©lation entre risque Ă©conomique et risque climatique.
Le contexte institutionnel est plus porteur, mĂȘme si 4.la coopĂ©ration internationale reste insuffisante
Les derniĂšres annĂ©es ont vu la construction dâoutils opĂ©rationnels de lutte contre le changement climatique : au niveau de lâĂ©valuation, avec lâĂ©laboration de plusieurs rĂ©fĂ©rentiels sur la valeur du carbone ; au niveau des politiques environnementales avec la mise en place de signaux de prix et de rĂ©glementations. Ces outils opĂ©rationnels ont Ă©tĂ© dĂ©veloppĂ©s dans un contexte de renforcement de la coopĂ©ration multilatĂ©rale avec lâAccord de Paris de 2015.
LâAccord de Paris de 2015 4.1.
AprĂšs les Ă©checs successifs des diffĂ©rents accords climatiques comme le non-aboutissement de la dĂ©marche de la rĂ©partition des efforts Ă rĂ©aliser â ou burden sharing, qui revenait Ă se partager le budget carbone et les efforts Ă rĂ©aliser â lors de la ConfĂ©rence de Copenhague, lâAccord de Paris est venu apporter un nouvel Ă©lan en faveur du climat1.
Afin de « contenir lâĂ©lĂ©vation de la tempĂ©rature moyenne de la planĂšte nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux prĂ©industriels et [âŠ] poursuivre lâaction menĂ©e pour limiter lâĂ©lĂ©vation des tempĂ©ratures Ă 1,5 °C par rapport aux niveaux prĂ©industriels », lâAccord de Paris a consacrĂ© lâambition de la neutralitĂ© carbone. Les parties prenantes ont acceptĂ© de se conformer Ă un objectif de zĂ©ro Ă©missions nettes dans le cours de la seconde moitiĂ© du XXIe siĂšcle.
ResponsabilitĂ© commune mais diffĂ©renciĂ©e et neutralitĂ© carbone sont Ă©voquĂ©es dans lâarticle 4 de lâAccord de Paris : « les Parties cherchent Ă parvenir au plafonnement mondial des Ă©missions de gaz Ă effet de serre dans les meilleurs dĂ©lais, Ă©tant entendu que le plafonnement prendra davantage de temps pour les pays en dĂ©veloppement, et Ă opĂ©rer des rĂ©ductions rapidement par la suite conformĂ©ment aux meilleures donnĂ©es scientifiques disponibles de façon Ă parvenir Ă un Ă©quilibre entre les Ă©missions
dâanalyse stratĂ©gique (2011), Le calcul du risque dans les investissements publics, rapport de la mission prĂ©sidĂ©e par Christian Gollier. 1 Le retrait amĂ©ricain qui prendra effet aprĂšs le mandat du prĂ©sident actuel, nâa pas altĂ©rĂ© la volontĂ© des Ătats Ă lutter contre le changement climatique.
La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 58 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
anthropiques par les sources et les absorptions anthropiques par les puits de gaz à effet de serre au cours de la deuxiÚme moitié du siÚcle, sur la base de l'équité, et dans le contexte du développement durable et de la lutte contre la pauvreté. »
Par lâAccord de Paris, les Ătats se sont alors engagĂ©s, Ă travers des contributions volontaires, les « nationally determined contributions » (ou NDC), Ă dĂ©finir des stratĂ©gies climatiques nationales Ă©tablissant un objectif de rĂ©duction de leurs Ă©missions ou, pour certains pays Ă©mergents ou en dĂ©veloppement, de limitation de leur intensitĂ© carbone. Ces NDC permettent de mesurer les contributions des Ătats. Elles doivent ĂȘtre rĂ©guliĂšrement rĂ©visĂ©es « Ă la hausse ». Ă ce jour, les mesures incluses dans les NDC conduiraient Ă une inflexion des Ă©missions mondiales de GES mais ne permettent pas de se mettre sur une trajectoire de neutralitĂ© carbone1 et restent donc insuffisantes.
En outre, lâAccord de Paris encourage les approches coopĂ©ratives internationales (Article 6.4) entre les pays pour parvenir Ă lâobjectif de neutralitĂ© carbone. Car avancer vers un monde avec zĂ©ro Ă©missions nettes nĂ©cessite une coopĂ©ration internationale pour faciliter les transferts de technologies bas carbone, de compĂ©tences, de financements, etc., qui peuvent encourager lâaction pour le climat et la rĂ©duction de son coĂ»t.
LâĂ©laboration de nouveaux rĂ©fĂ©rentiels de valeur du carbone 4.2.
Plusieurs exercices de modĂ©lisation ont Ă©tĂ© conduits Ă lâĂ©chelle internationale et Ă lâĂ©chelle nationale par certains pays pour calculer des valeurs du carbone compatibles avec une ambition climatique dĂ©finie. Ces valeurs relĂšvent soit dâune logique coĂ»ts-bĂ©nĂ©fices â on parle alors de coĂ»t social du carbone (social cost of carbon) â soit dâune logique coĂ»ts-efficacitĂ© â on parle alors de prix fictif du carbone (shadow price of carbon), ou de valeur de lâaction pour le climat.
Les valeurs internationales du carbone : les estimations du GIEC
Dans son cinquiĂšme rapport, publiĂ© en 2014, le GIEC fournit des fourchettes dâestimation de prix du carbone, compris comme les coĂ»ts dâattĂ©nuation agrĂ©gĂ©s, fonction de la taille
1 Voir par exemple la synthĂšse du Groupe interdisciplinaire sur les contributions nationales, publiĂ©e dans Benveniste H. O., Boucher C., Guivarch C., Le Treut H. et Criqui P. (2018), « Impacts of nationally determined contributions on 2030 global greenhouse gas emissions: Uncertainty analysis and distribution of emissions », Environmental Research Letters, 13(1), p. 1-10. Selon lâInstitut Climate Action Tracker (consultĂ© le 15 juillet 2018), le scĂ©nario « engagements » qui inclut les NDC dĂ©posĂ©es entre lâAccord de Paris et novembre 2017 anticipe â moyennant de nombreuses hypothĂšses sur lâĂ©volution des Ă©missions pays par pays post-2030 â un rĂ©chauffement de 3,16 °C ou plus avec une probabilitĂ© de 50 %. Ce scĂ©nario « engagements » anticipe un rĂ©chauffement compris entre 2,6 °C et 4 °C. La moyenne de 3,16 °C est proche des 3,4 °C de moyenne des tendances actuelles hors NDC.
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FRANCE STRATĂGIE 59 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
du budget carbone fixĂ©. Ainsi, la figure 8 montre que la minimisation des coĂ»ts dâabattement conduit Ă un prix du CO2 (en $2010) se situant :
â Ă lâhorizon 2030, autour de 12 $/tCO2e pour un scĂ©nario 650-720ppm1 et de 100 $/tCO2e pour un scĂ©nario 430-480ppm2 ;
â Ă lâhorizon 2050, autour de 15 $/tCO2e pour un scĂ©nario 650-720ppm et de 200 $/tCO2e pour un scĂ©nario 430-480ppm.
Figure 8 â Ăvolution des coĂ»ts globaux de lâattĂ©nuation dans le temps et selon le scĂ©nario dâĂ©missions
Note : le nombre de scénarios considérés est indiqué en bas des barres.
Source : GIEC, CinquiĂšme Rapport, working group III, chapitre 6, p. 450
1 650-720ppm (« parties par million ») CO2e correspondent Ă un rĂ©chauffement improbable de 2 °C et plus probable quâimprobable de 3 °C au-dessus des tempĂ©ratures prĂ©industrielles. 2 430-480ppm (« parties par million ») CO2e correspondent Ă un rĂ©chauffement plus improbable que probable de 1,5 °C et probable de 2 °C au-dessus des tempĂ©ratures prĂ©industrielles.
La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 60 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
Le rapport spĂ©cial sur un rĂ©chauffement climatique global de 1,5 °C publiĂ© en octobre 2018 par le GIEC1 prĂ©sente les rĂ©sultats dâexercices de modĂ©lisation simulant des fourchettes de prix du carbone obtenus dans le cadre dâune analyse coĂ»ts-efficacitĂ©. Ces prix â reprĂ©sentatifs des coĂ»ts marginaux dâabattement â varient substantiellement selon les modĂšles et les scĂ©narios, et augmentent logiquement avec les efforts dâattĂ©nuation du rĂ©chauffement. Les fourchettes obtenues â quâil faut comprendre comme des rĂ©sultats de modĂšles â sont les suivantes :
Tableau 4 â Prix du carbone
Objectif de réchauffement 2030 2050 2070 2100
Inférieur à 2 °C (Higher-2 °C) 15-220 $2010/tCO2e 45-1050 $2010/tCO2e 120-1100 $2010/tCO2e 175-2340 $2010/tCO2e
Inférieur à 1,5 °C (Below-1.5 °C) 135-6500 $2010/tCO2e 245-14300 $2010/tCO2e 420-19300 $2010/tCO2e 690-30100 $2010/tCO2e
Source : GIEC (2018), Special Report on Global Warming of 1.5 °C, chapitre 2, p.152
Les valeurs du carbone utilisées au niveau national
Au Royaume-Uni, le Department of Energy and Climate Change (DECC), devenu depuis Department for Business, Energy and Industrial Strategy (BEIS), a publiĂ© en 2009 une valorisation du carbone, fondĂ©e sur une approche coĂ»ts-efficacitĂ©. La cible de long terme dĂ©finie par le Climate Change Committee (CCC) est une rĂ©duction de 80 % en 2050, par rapport Ă 1990 (lâobjectif Ă©tant cohĂ©rent avec un accroissement des tempĂ©ratures anticipĂ© Ă 2 °C, avec trĂšs peu de risque dâatteindre 4 C2. Elle conduit Ă une valeur carbone de 70 ÂŁ2007/tCO2e en 2030 et de 220 ÂŁ2007/tCO2e en 2050.
Depuis 2012, le BEIS publie son estimation de la valeur du carbone à court terme pour les secteurs couverts par le marché carbone européen (EU-ETS). Le calcul de la valeur du carbone est donc basé sur des estimations des prix futurs et conduit, dans sa derniÚre publication3, à une valeur de 4,56 £2017/tCO2e pour 2020 et de 79,43 £/tCO2e pour 2030.
Aux Ătats-Unis, lâEPA (Environmental Protection Agency), ainsi que dâautres agences fĂ©dĂ©rales, utilisent un coĂ»t social du CO2 pour valoriser les impacts climatiques des
1 GIEC (2018),Special report on Global Warming of 1.5 °C. 2 Le gouvernement du Royaume-Uni a défini en octobre 2015 de nouveaux objectifs (limitant à 1,5 °C et à 2 °C le réchauffement climatique) et a commandé au CCC de nouvelles stratégies pour les atteindre. 3 BEIS (2018), Updated Short-Term Traded Carbon Values, janvier.
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politiques mises en Ćuvre1. Un groupe de travail inter-agences2 est chargĂ© depuis 2009 dâharmoniser cette valeur et, depuis 2016, de lâactualiser en collaboration avec un comitĂ© issu de lâAcadĂ©mie des Sciences3. LâEPA adopte une approche coĂ»ts-bĂ©nĂ©fices, tout en reconnaissant que les modĂšles utilisĂ©s (DICE â Dynamic Integrated Climate Economy â dĂ©veloppĂ© par William Nordhaus, PAGE â Policy Analysis for the Greenhouse Effect â dĂ©veloppĂ© par Chris Hope et FUND â Climate Framework for Uncertainty, Negotiation and Distribution â dĂ©veloppĂ© par Richard Tol4) ne prennent pas en compte tous les impacts physiques, Ă©cologiques et Ă©conomiques du changement climatique qui apparaissent dans la littĂ©rature, en raison du manque dâinformations concernant la nature prĂ©cise de ces dommages, et du retard de la modĂ©lisation par rapport Ă cette littĂ©rature. Lâactualisation joue un rĂŽle extrĂȘmement important dans cette Ă©valuation et les valeurs sont fournies pour diffĂ©rentes valeurs du taux dâactualisation (5 %, 3 % et 2,5 %). Afin dâaccorder une attention particuliĂšre aux Ă©vĂšnements extrĂȘmes Ă faible probabilitĂ©, la valeur (pour un taux dâactualisation de 3 %) du 95e centile de la distribution de la valeur sociale du CO2 est aussi mentionnĂ©e. Les valeurs obtenues sont prĂ©sentĂ©es dans le tableau ci-dessous.
Tableau 5 â CoĂ»t social du carbone, 2015-2050 (en $2007 par tonne de CO2)
Taux dâactualisation et statistiques
Année Moyenne 5 % Moyenne 3 % Moyenne 2,5 % Impact élevé (3 % 95e centile)
2015 11 $ 36 $ 56 $ 105 $
2020 12 $ 42 $ 62 $ 123 $
2025 14 $ 46 $ 68 $ 138 $
2030 16 $ 50 $ 73 $ 152 $
2035 18 $ 55 $ 78 $ 168 $
2040 21 $ 60 $ 84 $ 183 $
2045 23 $ 64 $ 89 $ 197 $
2050 26 $ 69 $ 95 $ 212 $
Source : Technical Update of the Social Cost of Carbon for Regulatory Impact Analysis, Interagency Working Group on Social Cost of Greenhouse Gases, United States Government, août 2016
1 EPA (2017), Regulatory Impact Analysis for the Review of the Clean Power Plan: Proposal, U.S. Environmental Protection Agency.
2 IWG, pour Interagency Working Group. 3 National Academies of Sciences, Engineering and Medicine. 4 Tol R.S.J. (1996), « The Climate Framework for Uncertainty, Negotiation and Distribution », in Miller K. A. et Parkin R. K. (eds.), An Institute on the Economics of the Climate Resource, University Corporation for Atmospheric Research, Boulder, p. 471-496.
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Depuis 2017, le calcul est rĂ©alisĂ© pour deux taux dâactualisation, 3 % et une nouvelle valeur, trĂšs Ă©levĂ©e, de 7 %. Par ailleurs, seuls les dommages nationaux sont pris en compte, et non les dommages mondiaux considĂ©rĂ©s jusquâĂ prĂ©sent. Il en rĂ©sulte alors un coĂ»t social du carbone calculĂ© au pĂ©rimĂštre des Ătats-Unis bien plus faible, allant de moins de 1 $2007 (pour un taux dâactualisation de 7 %) Ă 5,6 $2007 (pour un taux dâactualisation de 3 %) pour 20201.
En Allemagne, une Ă©tude de lâAgence allemande pour lâenvironnement (UBA)2 fournit, dans une approche coĂ»ts-bĂ©nĂ©fices, une Ă©valuation des coĂ»ts sociaux des dommages. Les valeurs recommandĂ©es sont les suivantes.
Tableau 6 â CoĂ»t social du carbone (âŹ20016/tCO2e)
2016 2030 2050
Taux de préférence pure pour le présent de 1 % 180 205 240
Taux de préférence pure pour le présent de 0 % 640 670 730
Source : Matthey A. et BĂŒnger B. (2018), Methodological Convention 3.0 for the Assessment of Environmental Costs, Costs Rates, Agence allemande de lâenvironnement
La mise en place dâoutils de tarification du carbone 4.3.
DâaprĂšs le recensement tenu par la Banque mondiale, 46 pays et 25 collectivitĂ©s territoriales ont mis en place une tarification du carbone3. Cette tarification couvre dĂ©sormais 20 % des Ă©missions mondiales de gaz Ă effet de serre, laissant 80 % des Ă©missions Ă©chapper Ă tout systĂšme de tarification.
âą La plupart des prix actuels du carbone sont nettement infĂ©rieurs aux fourchettes dĂ©finies par la Commission de haut niveau sur les prix du carbone, dite Commission Stern-Stiglitz. Ce rapport Stern-Stiglitz (2017) recommande une tarification du carbone comprise entre 40 et 80 $/tCO2 Ă lâhorizon 2020 et entre 50 et 100 $/tCO2 Ă lâhorizon 2030.
1 Voir table 3-7 p. 44 de EPA (2017), soit 6 $2011 pour un taux dâactualisation de 3 % et 1 $2011 pour un taux dâactualisation de 7 % que nous avons converti en $2007. 2 Matthey A. et BĂŒnger B. (2018), Methodological Convention 3.0 for the Assessment of Environmental Costs, Costs Rates, Agence allemande pour lâenvironnement. 3 La Banque mondiale ne traite ici que de tarification et laisse de cĂŽtĂ© les instruments rĂ©glementaires pourtant nĂ©cessaires Ă toute politique climatique.
Chapitre 1 Le contexte mondial : ce qui a changé en dix ans
FRANCE STRATĂGIE 63 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
âą La deuxiĂšme Ă©dition de lâĂ©tude de lâOCDE1 explique comment 42 pays de lâOCDE et du G20 reprĂ©sentant 80 % des Ă©missions mondiales de carbone tarifient les Ă©missions de carbone imputables Ă lâutilisation dâĂ©nergie. Le « taux effectif sur le carbone » calculĂ©2 correspond Ă la somme de trois Ă©lĂ©ments : les taxes visant spĂ©cifiquement les Ă©nergies fossiles, les taxes sur le carbone et les prix des permis dâĂ©mission Ă©changeables. Si lâon retient la rĂ©fĂ©rence de 30 ⏠par tonne de CO2, le dĂ©ficit de tarification de lâensemble des 42 pays passe de 83 % en 2012 Ă 76,5 % en 2018.
Des valeurs de référence du carbone globalement revues à la hausse 4.4.au niveau mondial
Au total, il existe dĂ©sormais un grand nombre dâĂ©tudes disponibles sur la valorisation du carbone, dont le tableau ci-dessous donne une vue rĂ©sumĂ©e et agrĂ©gĂ©e. Deux grandes tendances ressortent des Ă©valuations rĂ©centes :
â les exercices de valorisation se fondent de plus en plus sur des approches coĂ»ts-efficacitĂ© : il faut y voir Ă la fois lâeffet des difficultĂ©s mĂ©thodologiques inhĂ©rentes Ă lâapproche coĂ»ts-bĂ©nĂ©fices et la nĂ©cessitĂ© de prendre en compte des objectifs plus exigeants sur des horizons plus courts ;
â les exercices conduisent, le temps passant, Ă des valeurs du carbone plus Ă©levĂ©es, celles-ci reflĂ©tant le retard accumulĂ© et le besoin accru dâaction prĂ©coce face aux risques de dommages graves et irrĂ©versibles.
Tableau 7 â Tableau rĂ©capitulatif des prix ou valeurs (en âŹ2017/tCO2e)
Objectif Zone géographique 2010 2015 2020 2030 205
Rapport Quinet (2008), La valeur tutélaire du carbone
Facteur 4 France 61 ⏠109 ⏠163-380 âŹ
Carbon Valuation in UK Policy Appraisal: A Revised Approach, DECC (2009)
2 °C Royaume-Uni
Secteurs ETS : 29 ⏠Secteurs non ETS :
70 âŹ
82 ⏠257 âŹ
1 OCDE (2018), Effective Carbon Rates 2018 : Pricing Carbon Emissions Through Taxes and Emissions Trading, Publications de lâOCDE, Paris. 2 Deux niveaux de rĂ©fĂ©rence sont considĂ©rĂ©s : 30 âŹ/tCO2, ce qui est une estimation basse des coĂ»ts du carbone aujourdâhui ; et 60 âŹ/tCO2, ce qui est une estimation intermĂ©diaire de ces coĂ»ts en 2020 ou une estimation basse en 2030.
La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 64 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
Objectif Zone géographique 2010 2015 2020 2030 205
Agence fĂ©dĂ©rale allemande de lâenvironnement (2012)
Allemagne 640 âŹ
CinquiĂšme Rapport du Groupe intergouvernemental dâexperts sur le climat (GIEC) (2014)
430-480ppm CO2e
(1,5 °C plus improbable que
probable, 2 °C probable)
650-720ppm CO2e (2 °C
improbable, 3 °C plus probable
quâimprobable)
Monde
650-720ppm
11 âŹ
430-480ppm
95 âŹ1
650-720ppm
14 âŹ
430-480ppm 190 âŹ
Norwegian Public Roads Administration (Smith et Braathen, 2015)
NorvĂšge 23 ⏠88 âŹ
Environmental Protection Agency, Interagency Working Group (2016)
Analyse coĂ»ts/ bĂ©nĂ©fices Ătats-Unis
10 âŹ-100 âŹ
15 âŹ-
144 ⏠25 âŹ-201 âŹ
Rapport Stern-Stiglitz de la commission de haut niveau sur les prix du carbone (2017)
2 °C Monde 38-76 ⏠48-95 âŹ
Guivarch et Rogelj, Carbon price variations in 2 °C scenarios explored, document de travail (2017)
2 °C Monde 14 âŹâ 342 âŹ
43 âŹâ 949 âŹ
Rogelj et al., Scenarios towards limiting global mean temperature increase below 1,5 °C, Nature Climate Change (2018)
1,5 °C Monde 47 âŹ-157 ⏠126 âŹ-
416 ⏠334 âŹ-1 102 âŹ
Special Report on Global Warming of 1.5 °C, IPCC (2018)
Inférieur à 1,5 °C (Below 1.5 °C)
Inférieur à 2 °C (Higher 2 °C)
Monde
128 âŹ-5 217 âŹ
10 âŹ-190 âŹ
232 âŹ-12 330 âŹ
43 âŹ-911 âŹ
Note : la conversion en âŹ2017 de monnaies Ă©trangĂšres dâune annĂ©e diffĂ©rente de 2017 a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e via une conversion en monnaie Ă©trangĂšre 2017 puis en âŹ2017. Les donnĂ©es utilisĂ©es ont Ă©tĂ© consultĂ©es le 8 octobre 2018.
Source : France Stratégie
1 Le GIEC met en avant des corridors de prix plutĂŽt quâun niveau moyen.
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CHAPITRE 2 LA DĂMARCHE COĂTS-EFFICACITĂ
En 2008, un travail dâĂ©valuation socioĂ©conomique spĂ©cifique a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ© en France pour valoriser lâaction pour le climat sur un horizon de long terme. Dix ans plus tard, une mise Ă jour de ces travaux sâavĂšre nĂ©cessaire : les objectifs de politique climatique ont Ă©voluĂ© vers une plus grande ambition ; les perspectives de coopĂ©ration internationale se sont prĂ©cisĂ©es et les opportunitĂ©s technologiques se sont Ă©largies.
Pour rĂ©aliser cette mise Ă jour, le prĂ©sent rapport sâappuie sur une dĂ©marche globale intĂ©grant, au-delĂ des dĂ©veloppements thĂ©oriques et empiriques disponibles, des travaux originaux de modĂ©lisation et une analyse prospective des technologies de dĂ©carbonation disponibles.
Ce chapitre prĂ©sente les diffĂ©rentes Ă©tapes de la dĂ©marche : la formulation de lâobjectif français qui fonde lâapproche coĂ»ts-efficacitĂ© (section 1) ; les outils de prospective (section 2) ; le cahier des charges (section 3) et le scĂ©nario de rĂ©fĂ©rence (section 4).
Lâapproche est fondĂ©e sur les engagements climatiques 1.de la France
Le terme de valeur du carbone peut concrĂštement renvoyer Ă plusieurs logiques. La premiĂšre consiste Ă calculer le coĂ»t social des Ă©missions de GES, câest-Ă -dire le coĂ»t liĂ© Ă lâĂ©mission dâune tonne Ă©quivalent CO2. Cette logique, inspirĂ©e des travaux historiques de Pigou sur les externalitĂ©s et formalisĂ©e notamment dans le rapport Stern (2006), conduit Ă calculer le dommage subi par lâhumanitĂ© du fait de lâaugmentation des concentrations de GES, indĂ©pendamment du pays Ă lâorigine de lâĂ©mission et de la localisation des dommages.
Beaucoup dâincertitudes entourent lâĂ©valuation monĂ©taire des dommages nĂ©cessaire Ă lâanalyse coĂ»ts-bĂ©nĂ©fices, comme rappelĂ© au chapitre 1. Sans contester la lĂ©gitimitĂ© dâune approche coĂ»ts-bĂ©nĂ©fices, sa mise en Ćuvre dans le cadre national se heurte Ă deux difficultĂ©s de principe :
La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 66 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
â dâabord les incertitudes sur la valorisation des dommages sont trop fortes pour construire une rĂ©fĂ©rence ayant vocation Ă guider lâaction politique de court-moyen terme ;
â ensuite, il est difficile, sâagissant dâune externalitĂ© globale, dâisoler un bilan coĂ»ts-bĂ©nĂ©fices aux frontiĂšres dâun territoire particulier.
La dĂ©marche de cette commission relĂšve donc dâune logique complĂ©mentaire. Elle ne consiste pas Ă Ă©valuer le coĂ»t social des dommages produits par lâĂ©mission dâune tonne de CO2e sur le territoire français, mais Ă identifier la valeur du carbone cohĂ©rente avec lâobjectif de neutralitĂ© carbone Ă lâhorizon 2050.
Pour conduire cette dĂ©marche coĂ»t-efficacitĂ©, la commission sâest attachĂ©e Ă bien caractĂ©riser la portĂ©e des engagements français, pour en dĂ©duire une trajectoire pluriannuelle pertinente de valeur tutĂ©laire.
Lâobjectif « zĂ©ro Ă©missions nettes » 1.1.
LâexternalitĂ© climatique est une externalitĂ© de stock, liĂ©e au niveau de concentration des GES dans lâatmosphĂšre. Câest pourquoi la prise en compte de cette externalitĂ© sâexprime en budget carbone, câest-Ă -dire en plafond dâĂ©missions cumulĂ©es dans le temps de CO2e Ă ne pas dĂ©passer pour contenir lâĂ©lĂ©vation des tempĂ©ratures en deça dâun certain seuil.
LâĂ©puisement rapide des budgets carbone mondiaux et français conduit aujourdâhui Ă complĂ©ter les objectifs de stock â la gestion prudente dâun budget carbone pluriannuel â par un objectif en flux : un objectif de « zĂ©ro Ă©missions nettes » de GES liĂ©es aux activitĂ©s humaines, les Ă©missions brutes rĂ©siduelles ayant vocation Ă ĂȘtre absorbĂ©es par les puits anthropiques de carbone que sont notamment les forĂȘts, les prairies et, Ă plus long terme, par des dispositifs technologiques de sĂ©questration du carbone.
âą Câest ce que fait lâAccord de Paris de 2015 dont la dĂ©marche se fonde sur les travaux du GIEC. Celui-ci, dans son cinquiĂšme rapport publiĂ© en 2013 et 2014, montrait que le budget carbone mondial permettant de limiter Ă 2 °C ou a fortiori moins de 2 °C la hausse des tempĂ©ratures serait Ă©puisĂ© au milieu du siĂšcle en l'absence de toute rĂ©duction d'Ă©missions.
âą Le rapport spĂ©cial du GIEC 1,5 °C publiĂ© en octobre 2018 met en Ă©vidence la pertinence de cet ancrage « zero Ă©missions nettes » en consĂ©quence logique de lâĂ©puisement du budget carbone.
âą Ce qui vaut au niveau mondial vaut aussi pour la France qui reprĂ©sente environ 1 % des Ă©missions mondiales. Lâobjectif français dâatteindre la neutralitĂ© carbone Ă lâhorizon du milieu du siĂšcle sâinscrit dans lâobjectif mondial de limitation du rĂ©chauffement en dessous de 2 °C, voire 1,5 °C.
Chapitre 2 La démarche coûts-efficacité
FRANCE STRATĂGIE 67 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
De fait, le cumul des Ă©missions françaises en flux jusquâĂ lâobjectif « zĂ©ro Ă©mission » en 2050 conduit Ă la consommation dâun budget carbone cohĂ©rent avec notre part dans les Ă©missions mondiales.
Lâhorizon 2050 1.2.
La France se fixe un objectif de dĂ©carbonation Ă lâhorizon 2050, sans attendre la seconde moitiĂ© du XXIe siĂšcle. Cet horizon est cohĂ©rent avec lâAccord de Paris qui invite les pays dĂ©veloppĂ©s Ă engager des efforts rapides. Il intĂšgre le besoin dâaction prĂ©coce pour prĂ©venir le risque de dommages graves et irrĂ©versibles.
Lâobjectif 2050 doit ĂȘtre compris comme un objectif quâil faut soutenir dans la durĂ©e, tout au long de la seconde moitiĂ© du siĂšcle. En dâautres termes, lâobjectif final nâest pas seulement de viser un point 2050 mais de tenir dans la durĂ©e un flux dâĂ©missions brutes compatible avec la capacitĂ© dâabsorption des puits.
Lâobjectif français reste Ă cet Ă©gard prudent sur la taille des puits et a fortiori sur un recours potentiel en France aux solutions d'Ă©missions nĂ©gatives par stockage gĂ©ologique du carbone1 qui permettrait de lisser les efforts et de sâautoriser Ă court terme un dĂ©passement du plafond dâĂ©missions fixĂ©.
Le découplage entre émissions et activités humaines 1.3.
Lâambition française est de tracer un chemin permettant de rĂ©ussir la transition vers la neutralitĂ© carbone sans peser sur lâactivitĂ© Ă©conomique et le niveau de vie. Chercher Ă atteindre un objectif dâĂ©missions en 2050 par une compression du PIB serait coĂ»teux en termes dâemploi et de pouvoir dâachat et inefficace sur le plan climatique â la rĂ©duction se faisant par des « fuites de carbone », câest-Ă -dire des relocalisations de la production dans des pays moins ambitieux sur le plan climatique, du fait de pertes de compĂ©titivitĂ©.
La démarche répond ainsi à deux exigences :
â dĂ©carboner en rĂ©duisant les Ă©missions de GES par unitĂ© de production plutĂŽt quâen rĂ©duisant la production elle-mĂȘme ;
1 Avec par exemple l'usage énergie de la biomasse renouvelable, accompagnée d'un stockage géologique du carbone émis. Les rapports du GIEC commencent à recourir à cette solution en 2050 et au-delà dans les scénarios 2 °C, et y font largement appel dans les scénarios 1.5° (Special Report on Global Warming of 1.5 °C, octobre 2018).
La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 68 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
â rĂ©duire les Ă©missions par unitĂ© de production en investissant dans lâefficacitĂ© Ă©nergĂ©tique et les technologies dĂ©carbonĂ©es, non en dĂ©localisant les unitĂ©s de production carbonĂ©es.
Un premier dĂ©couplage est dĂ©jĂ Ă lâĆuvre : depuis 1990, les Ă©missions de GES ont diminuĂ© de 16 % tandis que le PIB augmentait de 47 %. MĂȘme si une partie de ce dĂ©couplage est la consĂ©quence de la dĂ©sindustrialisation française, les actions de « verdissement » de notre capital commencent Ă payer. Lâenjeu est dâamplifier ce dĂ©couplage dans les trois prochaines dĂ©cennies, ce qui suppose un effort important dâinvestissements par constitution dâun capital productif « vert ».
EncadrĂ© 3 â Les engagements français, du facteur 4 Ă la neutralitĂ© carbone
Le facteur 4
Le terme « facteur 4 » renvoie Ă lâengagement pris en 2003 par le chef de lâĂtat de diviser par 4 les Ă©missions nationales de gaz Ă effet de serre dâici 2050 par rapport Ă 1990. Le Grenelle de lâenvironnement a confirmĂ© ces objectifs en 2007.
Entre 1990 et 2015, la France a rĂ©duit ses Ă©missions de GES de 15 % et lâUE de presque un quart. Dans le mĂȘme temps, le PIB de la France a crĂ» de 47 %. Cela est bien sĂ»r Ă mettre en regard du phĂ©nomĂšne de dĂ©sindustrialisation et de lâaugmentation du prix des Ă©nergies fossiles, mais câest aussi le tĂ©moignage dâun premier succĂšs dans la lutte contre le changement climatique.
Figure 9 â Ămissions de GES constatĂ©es et facteur 4 de la France (en bleu) et de lâUE (en orange) en millions de tonnes Ă©quivalent CO2 (MtCO2e)
hors utilisation des terres, leur changement et la forĂȘt (UTCF)
Sources : CITEPA (Centre interprofessionnel technique dâĂ©tudes de la pollution atmosphĂ©rique), indicateurs 2018, et European Environment Agency (2018), Annual European Union Greenhouse Gas Inventory 1990-2016 and Inventory Report, Submission to the UNFCCC Secretariat, 27 mai
Chapitre 2 La démarche coûts-efficacité
FRANCE STRATĂGIE 69 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
Figure 10 â Ăvolution des Ă©missions de GES et du PIB en France (base 100 en 1990)
Sources : Banque mondiale (PIB en dollar constant 2010) ; Emissions Greenhouse Gas Inventory â Detailed data by Party â United Nations Framework Convention on Climate Change
Pour autant notre budget carbone sâĂ©puisant rapidement, lâobjectif français a Ă©tĂ© revu en 2017, passant dâune logique « facteur 4 » Ă une logique de neutralitĂ© carbone Ă lâhorizon 2050.
La neutralité carbone
Le Plan Climat de 2017, adoptĂ© dans le sillage de lâAccord de Paris, explicite lâobjectif de la neutralitĂ© carbone Ă lâhorizon 2050. Ă ce jour, un certain nombre de pays dĂ©veloppĂ©s ou en dĂ©veloppement se sont engagĂ©s pour une neutralitĂ© carbone au plus tard en 20501.
La neutralitĂ© carbone relĂšve dâune approche globale. Elle prend en compte tous les GES et sâapplique Ă lâensemble des secteurs.
Câest une approche « nette » des puits carbone. Un secteur dont les Ă©missions seraient infĂ©rieures Ă sa capacitĂ© de sĂ©questration et de captage, comme lâest actuellement et devrait continuer Ă lâĂȘtre le secteur forestier, pourrait Ă terme compenser les Ă©missions non abattues dâautres secteurs. La neutralitĂ© carbone donne la prioritĂ© Ă la rĂ©duction Ă la source des Ă©missions de gaz Ă effet de serre
1 Il existe toutefois des diffĂ©rences dans la maniĂšre dâatteindre la cible de neutralitĂ© carbone. La France attend une contribution significative de ses puits carbone, notamment forestiers et agricoles, tandis que la NorvĂšge nâexclut pas la possibilitĂ© d'avoir recours Ă lâachat de crĂ©dit carbone. Parmi les autres pays ayant annoncĂ© un objectif de neutralitĂ©, on peut citer la SuĂšde, le Portugal, les Ăles Marshall et lâEspagne.
La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 70 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
dans la mesure oĂč le potentiel dâaugmentation des puits de carbone, naturels (forĂȘts, zones humides, usage des sols) et artificiels (CSC, CCU1), reste limitĂ© Ă lâhorizon 2050.
Enfin, la neutralitĂ© carbone est une approche « production » nationale, et non « consommation » ou empreinte carbone qui tient compte du contenu carbone des importations. Ces Ă©missions importĂ©es sont au demeurant difficiles Ă Ă©valuer dans un contexte dâĂ©clatement des chaĂźnes de valeur mondiale.
Dâune ambition Ă lâautre
Diviser par 4 Ă lâhorizon 2050 le niveau dâĂ©missions de 1990, soit une baisse de 75 %, laisse 25 % dâĂ©missions rĂ©siduelles. Ces 25 % doivent ĂȘtre rĂ©duites ou sĂ©questrĂ©es pour atteindre la neutralitĂ© carbone.
Les puits liĂ©s Ă lâutilisation des terres, leur changement et la forĂȘt (UTCF) sont estimĂ©s Ă 40 MtCO2e en 2016 (contre 29 MtCO2e en 1990). Il est retenu comme hypothĂšse que leur capacitĂ© de sĂ©questration pourra atteindre 75 Ă 95 MtCO2e en 2050. Ă ces puits naturels sâajouteraient 20 MtCO2e de capacitĂ©s de sĂ©questration liĂ©es au dĂ©veloppement attendu de la technologie de capture et stockage du carbone. En consĂ©quence, les puits carbone français, CSC compris, pourraient absorber de 95 MtCO2e Ă 115 MtCO2e en 2050.
Au total, le scénario neutralité carbone représente un facteur 6 à 7 selon les potentiels réels de puits.
1 Il sâagit dâune technologie dâattĂ©nuation du changement climatique en captant le CO2 et en lâinjectant Ă grande profondeur dans le sous-sol ; CCU signifie captage et utilisation du carbone. Le CCU est une technique dâattĂ©nuation du changement climatique visant Ă capter puis Ă utiliser dans diffĂ©rents procĂ©dĂ©s industriels le CO2.
Chapitre 2 La démarche coûts-efficacité
FRANCE STRATĂGIE 71 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
Figure 11 â Ămissions françaises et cibles dâĂ©missions
Lecture : le « scĂ©nario 95 » fait rĂ©fĂ©rence Ă un puits agricole et forestier de 95 MtCO2e auquel sâajoutent 20 MtCO2e de CSC. Dans chacun des scĂ©narios, lâhypothĂšse CSC retenue est de 20 MtCO2e.
Source : CITEPA (2018), Rapport national dâinventaire pour la France au titre de la convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques et du protocole de Kyoto, annexe 7, mars
Les budgets carbone français
Les budgets carbone français1, dĂ©terminĂ©s dans le cadre de la StratĂ©gie nationale bas carbone (SNBC), sont des plafonds dâĂ©missions de GES fixĂ©s par pĂ©riodes successives de quatre Ă cinq ans. Il ne faut donc pas les confondre avec ceux estimĂ©s par le GIEC. Ces plafonds dĂ©finissent une trajectoire prĂ©cise de baisse des Ă©missions du pays pour atteindre les cibles de moyen et long termes. Ils dĂ©terminent les limites dâĂ©missions de GES que la France se fixe. Trois premiers budgets carbone ont Ă©tĂ© dĂ©finis en 2015, qui couvrent les pĂ©riodes 2015-2018, 2019-2023 et 2024-2028. Ils sont dĂ©clinĂ©s Ă titre indicatif par grands domaines dâactivitĂ©2. Le premier budget carbone, fixĂ© Ă 442 MtCO2e, est dĂ©clinĂ© de la façon indicative suivante : 127 MtCO2e pour les transports, 76 MtCO2e pour les bĂątiments, 86 MtCO2e pour lâagriculture, 80 MtCO2e pour lâindustrie, 55 MtCO2e pour la production dâĂ©nergie et 18 MtCO2e pour les dĂ©chets.
1 Peu de pays se sont fixĂ©s des budgets carbone. Le Royaume-Uni fut le pionnier en la matiĂšre. 2 Transports, bĂątiments rĂ©sidentiels-tertiaires, industrie, agriculture, production dâĂ©nergie et dĂ©chets.
La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 72 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
Figure 12 â Ăvolution des Ă©missions de GES en France et objectifs de la premiĂšre SNBC
Source : www.ecologique-solidaire.gouv.fr/suivi-strategie-nationale-bas-carbone
La dĂ©marche de la commission sâappuie sur plusieurs 2.instruments de prospective
Force est de constater quâil nâexiste pas dâoutil de simulation « clĂ©s en mains » gĂ©nĂ©rant mĂ©caniquement une trajectoire pluriannuelle de valeur tutĂ©laire du carbone. La commission propose une estimation raisonnable fondĂ©e sur le meilleur Ă©tat de lâart, en intĂ©grant dans un raisonnement global quatre ingrĂ©dients essentiels :
âą Premier ingrĂ©dient : des exercices de simulation et de prospective rĂ©alisĂ©s Ă lâaide de diffĂ©rents modĂšles permettant dâobjectiver la valeur tutĂ©laire carbone en fonction du niveau dâambition fixĂ©, du contexte Ă©conomique, des technologies disponibles et du potentiel des puits. Cette dĂ©marche consiste Ă Ă©valuer, selon des paradigmes propres Ă chaque modĂšle, la trajectoire pluriannuelle de valeur carbone permettant de suivre un chemin de rĂ©duction des Ă©missions cohĂ©rent avec lâobjectif français. Formellement, les modĂšles macroĂ©conomiques sectoriels modĂ©lisent une hausse du prix relatif des options carbonĂ©es et montrent comment les diffĂ©rents secteurs sâadaptent Ă cette hausse de prix relatifs, investissent et se dĂ©carbonent. Les modĂšles technico-Ă©conomiques utilisent quant Ă eux une description fine des technologies pour Ă©valuer le coĂ»t de dĂ©ploiement des technologies nĂ©cessaires.
Chapitre 2 La démarche coûts-efficacité
FRANCE STRATĂGIE 73 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
âą DeuxiĂšme ingrĂ©dient : des exercices de prospective technologique ou technico-Ă©conomique, tels ceux conduits au niveau mondial par lâAgence internationale de lâĂ©nergie (AIE) ou au niveau français dans le cadre de la prĂ©paration de la stratĂ©gie nationale bas carbone (SNBC), permettant dâapprĂ©cier les coĂ»ts des diffĂ©rentes technologies de dĂ©carbonation â et donc les prix de bascule (switching prices) des solutions carbonĂ©es vers des solutions dĂ©carbonĂ©es. Plus lâobjectif est ambitieux plus il faut mobiliser un portefeuille de technologie large comprenant aussi des techno-logies pas encore matures mais qui seront nĂ©cessaires Ă lâatteinte de lâobjectif. Ces exercices de prospective technologique sont entourĂ©s dâincertitudes croissantes Ă mesure que lâhorizon sâallonge. Par ailleurs, cette approche ne permet pas de rendre compte de lâincidence Ă©conomique de ces technologies.
âą TroisiĂšme ingrĂ©dient : une littĂ©rature Ă©conomique et sociale consacrĂ©e Ă la question centrale de la rĂ©partition des efforts de dĂ©carbonation dans le temps. La gestion dâun « budget carbone » conduit Ă recommander, dans sa version Ă©lĂ©mentaire, une valeur actualisĂ©e du carbone Ă la fois calĂ©e sur le coĂ»t dâabattement maximal des Ă©missions et constante dans le temps, ce qui traduit une indiffĂ©rence entre Ă©mettre aujourdâhui et Ă©mettre demain, du moment que le plafond dâĂ©missions est respectĂ©. Cette rĂšgle, dite rĂšgle de Hotelling, garantit en thĂ©orie que la valeur dâune ressource limitĂ©e ne diminue pas au cours du temps sous lâeffet de lâactualisation (puisquâelle croĂźt au taux dâactualisation) et que la rĂ©partition des efforts dans le temps est efficace. De fait, cette rĂšgle est, en information parfaite, celle qui permettrait dâoptimiser le dĂ©ploiement des technologies, le sĂ©quençage des efforts et la trajectoire de rĂ©duction des Ă©missions.
âą QuatriĂšme ingrĂ©dient : des Ă©changes avec des parties prenantes constituĂ©es de chercheurs, dâĂ©conomistes, de reprĂ©sentants des organisations syndicales et patronales, de certaines fĂ©dĂ©rations professionnelles et de reprĂ©sentants des administrations concernĂ©es, afin de juger de la pertinence de la trajectoire et des conditions de mise en Ćuvre.
Le cahier des charges se fonde sur un jeu dâhypothĂšses 3.raisonnables
Les caractéristiques de la neutralité carbone prises en compte 3.1.par la commission
La commission a dĂ©fini un cahier des charges en ligne avec lâobjectif de « zĂ©ro Ă©missions nettes » de gaz Ă effet de serre sur le territoire français Ă horizon 2050 inscrit dans le Plan pour le climat de juillet 2017 :
La valeur de lâaction pour le climat
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â les Ă©missions considĂ©rĂ©es sont lâensemble des Ă©missions ayant lieu sur le territoire français nette des puits disponibles sur le territoire national. ConcrĂštement, lâobjectif inclut les Ă©missions sur le territoire mĂ©tropolitain et en outre-mer mais exclut les Ă©missions liĂ©es Ă la fabrication Ă lâĂ©tranger des produits importĂ©s en France. Corollairement, cet objectif exclut tout transfert de lâeffort climatique vers dâautres pays, par exemple en « compensant » des Ă©missions sur le territoire national par des puits de carbone Ă lâĂ©tranger. Plus gĂ©nĂ©ralement, le rapport ne postule pas la mise en place dâun cadre intĂ©grĂ© â marchĂ© mondial du carbone ou prix mondial du carbone â qui permettrait dâoptimiser les coĂ»ts dâabattement globaux et contribuerait en retour Ă rĂ©duire la valeur carbone requise en France ;
â lâobjectif porte sur lâensemble des secteurs, sans intĂ©grer ex ante dâobjectif sectoriel puisquâune tonne de carbone Ă©mise ou Ă©vitĂ©e est la mĂȘme, quel que soit le secteur dâorigine. Ce choix de mĂ©thode permet de dĂ©terminer la stratĂ©gie la moins coĂ»teuse pour atteindre un objectif donnĂ© de rĂ©duction des Ă©missions, en mobilisant sans a priori sectoriel les gisements dâabattement les moins coĂ»teux ;
â lâobjectif considĂšre lâensemble des gaz Ă effet de serre : dioxyde de carbone (CO2), mĂ©thane (CH4), protoxyde dâazote (N2O), composĂ©s fluorĂ©s (HFC, PFC, SF6, NF3). La dĂ©finition dâune valeur tutĂ©laire du carbone dans ce cadre implique donc de raisonner en Ă©quivalents carbone pour ces GES. Les Ă©quivalents carbone sont dĂ©finis Ă partir du potentiel de rĂ©chauffement global (PRG) du gaz considĂ©rĂ© relatif Ă celui du CO2 (voir tableau 1).
La valeur de lâaction pour le climat Ă©valuĂ©e par la commission est une valorisation brute qui ne tient pas compte des Ă©ventuels cobĂ©nĂ©fices associĂ©s Ă la baisse des Ă©missions de GES. Par exemple, lâamĂ©lioration de la qualitĂ© de lâair suite Ă la baisse des Ă©missions de particules fines permise par la rĂ©duction de la part des vĂ©hicules Ă combustion interne dans le transport routier nâest pas valorisĂ©e dans lâapproche retenue (voir encadrĂ© 4).
EncadrĂ© 4 â CobĂ©nĂ©fices
Les politiques climatiques peuvent avoir des effets positifs au-delà de la limitation du réchauffement climatique, appelés cobénéfices1. Ces derniers sont définis comme les avantages collatéraux en termes économiques, sociaux et
1 Pour une compréhension précise des cobénéfices, se référer à Cassen C., Guivarch C. et Lecocq F. (2015), « Les cobénéfices des politiques climatiques : un concept opérant pour les négociations climat ? », Natures Sciences Sociétés, supplément (Supp. 3), p. 41-51. doi:10.1051/nss/2015017.
Chapitre 2 La démarche coûts-efficacité
FRANCE STRATĂGIE 75 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
environnementaux, de santĂ©, de progrĂšs, de dĂ©veloppement, etc., de la mise en Ćuvre de politiques dâattĂ©nuation.
Les principaux cobénéfices identifiés par la littérature sont :
â la meilleure protection des Ă©cosystĂšmes et de la biodiversitĂ© ;
â lâamĂ©lioration de la santĂ© liĂ©e Ă la baisse des pollutions locales et Ă une meilleure alimentation ;
â une plus grande sĂ©curitĂ© dans lâapprovisionnement Ă©nergĂ©tique ;
â la rĂ©duction des inĂ©galitĂ©s grĂące Ă une meilleure allocation des ressources ;
â les effets dâexternalitĂ©s technologiques.
Au niveau mondial, le principal cobĂ©nĂ©fice associĂ© Ă la lutte contre le changement climatique est lâamĂ©lioration de la qualitĂ© de lâair permise par la rĂ©duction de la production de charbon. Ce cobĂ©nĂ©fice ne concerne pas la France. Au-delĂ de ce constat de premier rang, dâautres raisons ont conduit Ă ne pas prendre en compte les cobĂ©nĂ©fices :
â ils sont difficiles Ă quantifier monĂ©tairement. Certains cobĂ©nĂ©fices ont une traduction financiĂšre directe, dâautres ne peuvent ĂȘtre quâapproximĂ©s, voire ne peuvent ĂȘtre quantifiĂ©s et traduits par un Ă©quivalent monĂ©taire ;
â il nây a pas de rĂšgle gĂ©nĂ©rale permettant de les intĂ©grer dans la valeur carbone. La façon de prendre en compte un cobĂ©nĂ©fice dĂ©pend de sa nature. Parfois, il peut ĂȘtre explicitement sĂ©parĂ© des effets des Ă©missions de GES pour ĂȘtre pris en charge par dâautres politiques (rĂ©glementation sur les pots dâĂ©chappement des vĂ©hicules, par exemple). Parfois, le cobĂ©nĂ©fice ne peut ĂȘtre sĂ©parĂ© des politiques de lutte contre le rĂ©chauffement climatique ;
â il est nĂ©cessaire de considĂ©rer aussi les co-dommages MĂȘme si les cobĂ©nĂ©fices sont supĂ©rieurs aux co-dommages, on ne peut comptabiliser les premiers sans les seconds (les champs dâĂ©oliennes ont un impact sur le paysage, la production de batteries Ă©lectriques gĂ©nĂšre de la pollution, etc.).
Lâhorizon de la simulation 3.2.
Pour atteindre un objectif de flux net dâĂ©missions nul Ă lâhorizon 2050, la commission sâest fixĂ© une trajectoire lissĂ©e de rĂ©duction des Ă©missions, avec un point intermĂ©diaire en 2030 (â 43 % dâĂ©missions brutes par rapport aux Ă©missions de 1990, cohĂ©rent avec lâobjectif officiel français) (voir figure 13).
La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 76 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
Ce lissage de la trajectoire des Ă©missions de GES prend en compte :
⹠Une part française du budget carbone mondial permettant de limiter le réchauffement climatique sous les 2 °C, voire les 1,5 °C, cohérente avec le poids des émissions françaises de GES dans les émissions mondiales.
âą Le fait que lâaction de dĂ©carbonation doit ĂȘtre progressive de sorte Ă minimiser les coĂ»ts dâajustement1 qui peuvent ĂȘtre multiples :
â les dĂ©lais dâinstallation du capital ;
â les effets de saturation ou de goulots dâĂ©tranglement : lorsque la demande pour un bien ou un service (les vĂ©hicules Ă©lectriques, par exemple) augmente fortement, lâoffre peut Ă©prouver des difficultĂ©s Ă rĂ©pondre Ă court terme ;
â les besoins de reconversion et de formation professionnelles : lancer massi-vement des chantiers de rĂ©novation du bĂąti implique des actions de formation et de structuration de lâoffre ;
â les coĂ»ts Ă©chouĂ©s : le changement dâĂ©chelle dans la contrainte des Ă©missions implique de raccourcir la durĂ©e de vie de certaines installations en place. Par exemple, des centrales thermiques devront ĂȘtre fermĂ©es avant leur fin de vie, ce qui nĂ©cessitera de dĂ©classer ces installations et dâinvestir plus rapidement pour les remplacer.
Figure 13 â Trajectoire cible de flux d'Ă©missions
Source : France Stratégie, calculs des auteurs
1 Les modĂšles technico-Ă©conomiques et macroĂ©conomiques utilisĂ©s dans le cadre de cette commission ne permettent pas dâoptimiser une trajectoire de rĂ©duction des Ă©missions de GES et nĂ©cessite de la dĂ©finir ex ante. Le modĂšle thĂ©orique prĂ©sentĂ© dans les ComplĂ©ments au rapport montre en revanche quâavec la prise en compte du coĂ»t dâajustement, la trajectoire dâĂ©missions optimale prend la forme dâune courbe en S relativement proche dâune rĂ©duction linĂ©aire (voir ComplĂ©ment 1, « Un modĂšle avec capital dâabattement pour lâĂ©valuation du carbone », par Boris Le Hir, Aude Pommeret et Mathilde Salin).
0
100
200
300
400
500
2018
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2044
2046
2048
2050
Emiis
ions
de
GES
en
MtC
O2e
Puits de 95MtCO2e Puits de 75MtCO2e
Chapitre 2 La démarche coûts-efficacité
FRANCE STRATĂGIE 77 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
Lâobjectif de zĂ©ro Ă©missions nettes de gaz Ă effet de serre en France, prĂ©sentĂ© dans le Plan Climat, porte sur lâhorizon 2050, mais il devra ĂȘtre tenu dans la durĂ©e. Cela emporte deux consĂ©quences importantes :
â il faut tenir compte du bĂ©nĂ©fice apportĂ© par une technologie sur toute sa durĂ©e de vie afin de juger de sa pertinence. Ainsi, lâidentification des technologies Ă dĂ©ployer Ă lâhorizon 2050 doit intĂ©grer le bĂ©nĂ©fice en termes de tonnes de CO2e Ă©vitĂ©es quâelles peuvent procurer aprĂšs 2050 lorsque leur durĂ©e de vie est suffisamment longue. Si on ne tenait pas compte de la valeur rĂ©siduelle des technologies post-2050, on risquerait soit de considĂ©rer comme non rentables certaines technologies utiles pour atteindre les objectifs 2050, soit de surĂ©valuer la valeur carbone de 2050 ;
â en second lieu, il est probable que les contraintes associĂ©es au maintien de la neutralitĂ© carbone Ă©voluent. En particulier, les puits de carbone associĂ©s Ă lâutilisation des terres et leurs changements et Ă la forĂȘt (puits UTCF) ou Ă la capture et au stockage de CO2e nâoffriront pas nĂ©cessairement les mĂȘmes marges aprĂšs 2050, ce qui peut conduire Ă modifier les Ă©missions brutes cibles. Il est donc probable que le maintien de la neutralitĂ© carbone nette aprĂšs 2050 implique de dĂ©ployer dĂšs en amont des changements technologiques plus ambitieux que ceux permettant de respecter la seule cible 2050.
Le calcul dâune trajectoire pour la valeur du carbone 4.repose sur des travaux originaux de modĂ©lisation
Les grandes catégories de modÚles utilisées 4.1.
Le recours Ă un jeu de simulations constitue lâun des Ă©lĂ©ments clĂ©s pour dĂ©terminer une trajectoire de la valeur carbone. Trois grandes catĂ©gories de modĂšles peuvent ĂȘtre utilisĂ©es pour construire une valeur carbone :
Les modĂšles dâĂ©valuation intĂ©grĂ©e (ou modĂšles IAM) reprĂ©sentent dans un systĂšme numĂ©rique unique le cycle complet des interactions entre les activitĂ©s humaines et la sphĂšre environnementale (cercle bleu sur la figure 14). La conception de ces modĂšles mobilise de multiples champs disciplinaires (climatologie, gĂ©ophysique, biologie, Ă©conomie, ingĂ©nierie, etc.). Les principales relations dĂ©crites sont celles qui lient les activitĂ©s Ă©conomiques, les Ă©missions anthropiques de gaz Ă effet de serre (GES) dans les systĂšmes climatiques et les impacts du changement climatique sur les systĂšmes socioĂ©conomiques. Ces modĂšles permettent de dĂ©finir le type mais aussi la proportion dâactions souhaitables pour attĂ©nuer le rĂ©chauffement climatique et sâinscrivent donc
La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 78 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
dans une logique coûts-bénéfices telle que décrite dans le premier chapitre de ce rapport. Le modÚle DICE de Nordhaus1 est un modÚle emblématique des modÚles IAM.
Lâapproche coĂ»t-efficacitĂ© adoptĂ©e ici ne nĂ©cessite pas de modĂ©liser la sphĂšre environnementale puisque lâobjectif de rĂ©duction des Ă©missions est considĂ©rĂ© comme fixĂ©. Seules les composantes technologiques et macroĂ©conomiques du systĂšme, ainsi que les flux dâĂ©missions de GES, doivent ĂȘtre modĂ©lisĂ©s (partie entourĂ©e par le cercle en pointillĂ©s verts sur la figure 14).
Les modĂšles technico-Ă©conomiques dĂ©crivent de façon dĂ©taillĂ©e les technologies de production dâun ou plusieurs secteurs. Ce sont des modĂšles dit « dâingĂ©nieur ». La plupart dâentre eux se concentrent sur un domaine en particulier. Par exemple, les modĂšles TIMES et POLES utilisĂ©s par la commission visent Ă reprĂ©senter de la façon la plus complĂšte possible le systĂšme Ă©nergĂ©tique. Ce systĂšme inclut Ă la fois les technologies de production et les technologies liĂ©es Ă lâutilisation de lâĂ©nergie, et permet de gĂ©rer avec cohĂ©rence leurs substitutions potentielles. Ils peuvent ainsi fournir des informations Ă un niveau fin sur lâoffre dâĂ©nergie, le mix Ă©nergĂ©tique et les technologies utilisĂ©es, les Ă©missions Ă©mises, etc. Lâobjet principal de tels modĂšles est de dĂ©finir la structure du systĂšme Ă©nergĂ©tique en fonction dâun contexte macroĂ©conomique donnĂ©, de la disponibilitĂ© des ressources, des politiques publiques et dâinformations dĂ©taillĂ©es sur les technologies disponibles. Ces modĂšles ne sont pas « bouclĂ©s » Ă©conomiquement, et ne peuvent donc pas prendre en compte les effets de rĂ©troactions macroĂ©conomiques ou intersectorielles.
Les modĂšles macroĂ©conomiques fournissent, Ă lâinverse, des informations quant aux effets dâune politique environnementale sur lâĂ©conomie, tout en dĂ©crivant de maniĂšre plus sommaire les technologies. Ces modĂšles permettent dâendogĂ©nĂ©iser les effets de rĂ©troaction macroĂ©conomiques, ainsi que des mĂ©canismes de substitution entre facteurs de production et biens de consommation. Ils permettent ainsi de mettre en Ă©vidence lâimpact quâun tel objectif peut avoir sur la compĂ©titivitĂ©, la production et lâemploi. Parmi les modĂšles mobilisĂ©s par la commission, lMACLIM, ThreeME et NEMESIS font partie de cette catĂ©gorie de modĂšles. Les deux premiers intĂ©grant certaines dimensions technico-Ă©conomiques.
LâencadrĂ© 5 page suivante prĂ©sente trĂšs briĂšvement les modĂšles mobilisĂ©s par la commission de façon individuelle, ceux-ci Ă©tant dĂ©crits plus en dĂ©tail dans les ComplĂ©ments au rapport.
1 Nordhaus W. (2017), « DICE/RICE models - William Nordhaus - Yale Economics ».
Chapitre 2 La démarche coûts-efficacité
FRANCE STRATĂGIE 79 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
Figure 14 â SchĂ©ma de modĂ©lisation
Source : France Stratégie, représentation des auteurs
EncadrĂ© 5 â PrĂ©sentation des modĂšles utilisĂ©s1
Les modĂšles technico-Ă©conomiques
TIMES-France2 est un modĂšle dâoptimisation inter-temporelle du systĂšme Ă©nergĂ©tique français pilotĂ© par la demande : Ă partir dâune reprĂ©sentation des secteurs de lâensemble de la filiĂšre Ă©nergĂ©tique, son objectif est de dĂ©terminer un choix de technologies qui satisfasse la demande tout en minimisant le coĂ»t total actualisĂ© du systĂšme Ă©nergĂ©tique français sur un horizon certain tout en prenant en compte la contrainte dâĂ©missions de gaz Ă effet de serre sur le systĂšme Ă©nergĂ©tique. Le coĂ»t total intĂšgre dans ce modĂšle Ă la fois des coĂ»ts dâinvestissement, des coĂ»ts de fonctionnement et dâopĂ©ration et maintenance et la valeur de rachat des Ă©quipements Ă la fin de lâhorizon du modĂšle.
1 Les cinq modĂšles utilisĂ©s dans le cadre de la commission sont dĂ©crits plus en dĂ©tail dans les ComplĂ©ments au rapport, nous rappelons ici uniquement leurs grandes caractĂ©ristiques. 2 Il existe dâautres versions avec des couvertures gĂ©ographiques diffĂ©rentes dont une version mondiale.
La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 80 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
POLES-Enerdata1 est un modĂšle de simulation du systĂšme Ă©nergĂ©tique. Câest un modĂšle dynamique rĂ©cursif qui calcule ses variables annĂ©e aprĂšs annĂ©e avec des anticipations adaptatives. Il couvre un champ gĂ©ographique large puisque câest un modĂšle mondial rĂ©gionalisĂ©. Le monde y est divisĂ© en 54 zones modĂ©lisĂ©es individuellement â dont les 28 pays de lâUE ainsi que quatre pays limitrophes (NorvĂšge, Islande, Suisse, Turquie) â et 12 rĂ©gions reprĂ©sentant le reste des pays non modĂ©lisĂ©s individuellement. POLES a Ă©galement la particularitĂ© de calculer de maniĂšre endogĂšne la demande dâĂ©nergie, lâoffre, les prix des Ă©nergies sur les diffĂ©rents marchĂ©s rĂ©gionaux, ainsi que les Ă©missions sectorielles de six gaz Ă effet de serre.
Les modÚles macroéconomiques
IMACLIM-R France2 est un modĂšle dâĂ©quilibre gĂ©nĂ©ral calculable Ă dynamique rĂ©cursive qui reprĂ©sente lâĂ©conomie française en quinze secteurs Ă©conomiques. Il a la particularitĂ© dâinclure Ă©galement des modules technico-Ă©conomiques endogĂšnes pour reprĂ©senter lâĂ©volution du mix Ă©lectrique, des stocks de bĂątiments rĂ©sidentiels et des flottes de vĂ©hicules (et donc reflĂšte une partie des caractĂ©ristiques des modĂšles technico-Ă©conomiques sur le dĂ©tail technologique et le progrĂšs technique induit). Les anticipations sont globalement adaptatives sauf sur la trajectoire de la valeur carbone pour laquelle les anticipations peuvent ĂȘtre supposĂ©es soit adaptatives/myopes (les agents extrapolent la valeur future Ă la valeur courante) soit parfaites.
ThreeME est un modĂšle macroĂ©conomique dâĂ©quilibre gĂ©nĂ©ral calculable multisectoriel (MEGC) dâinspiration nĂ©o-keynĂ©sienne, conçu pour Ă©valuer les impacts macroĂ©conomiques des politiques publiques, notamment Ă©nergĂ©tiques et environnementales. Il dĂ©crit lâĂ©conomie française en 37 secteurs, dont 17 secteurs Ă©nergĂ©tiques, et intĂšgre aussi des aspects technico-Ă©conomiques. Le modĂšle est Ă dynamique rĂ©cursive et anticipations adaptatives. La consom-mation dâĂ©nergie dĂ©pend notamment de lâĂ©volution du stock de logements, de vĂ©hicules, des biens dâĂ©quipement et de leurs caractĂ©ristiques.
NEMESIS est un systĂšme de modĂšles Ă©conomĂ©triques sectoriels Ă©laborĂ©s pour chacun des 28 pays de lâUnion europĂ©enne. Il est destinĂ© Ă la prospective quantitative et Ă lâanalyse des politiques Ă©conomiques, notamment des politiques dites « structurelles » dont les effets atteignent les
1 Il existe trois versions du modĂšle POLES : POLES-Enerdata, POLES-JRC (Commission euro-pĂ©enne) et POLES-GAEL (universitĂ© de Grenoble). Le modĂšle utilisĂ© par cette commission est le modĂšle POLES-Enerdata qui, par souci de simplicitĂ©, sera rĂ©fĂ©rencĂ© POLES dans la suite du document. 2 Il existe une version monde qui dĂ©crit lâĂ©conomie mondiale en douze rĂ©gions et dâautres versions pays (BrĂ©sil notamment).
Chapitre 2 La démarche coûts-efficacité
FRANCE STRATĂGIE 81 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
moyen et long termes (recherche, environnement, Ă©nergie, fiscalitĂ©, budget, etc.). LâĂ©conomie y est dĂ©sagrĂ©gĂ©e en trente secteurs de production. Câest lĂ encore un modĂšle dynamique rĂ©cursif (rĂ©solution par pas annuels) et Ă anticipations adaptatives.
Des modĂšles qui doivent ĂȘtre complĂ©tĂ©s pour couvrir tous les GES 4.2.
Les modĂšles qui viennent dâĂȘtre dĂ©crits ne prennent en compte, pour la plupart, que les Ă©missions de CO2 dâorigine Ă©nergĂ©tique. Celles-ci ne reprĂ©sentent que 70 % des Ă©missions totales de GES. Or lâobjectif de neutralitĂ© carbone concerne la totalitĂ© de ces GES. Trois « angles morts » des modĂšles doivent donc ĂȘtre couverts : les Ă©missions agricoles non Ă©nergĂ©tiques, les Ă©missions issues des procĂ©dĂ©s industriels et celles liĂ©es au traitement des dĂ©chets. Les possibilitĂ©s de modĂ©lisation Ă©tant limitĂ©es pour les deux derniers types dâĂ©missions1, des hypothĂšses sur les rĂ©ductions possibles ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©es hors modĂšles. Concernant les Ă©missions agricoles non Ă©nergĂ©tiques, les possibilitĂ©s de rĂ©duction ont Ă©tĂ© Ă©tablies sur la base dâun modĂšle technico-Ă©conomique dĂ©veloppĂ© par lâINRA. Le chiffrage des rĂ©ductions dâĂ©missions dans les diffĂ©rents secteurs est prĂ©sentĂ© au chapitre suivant.
Les principes généraux des exercices de simulation et de prospective 4.3.
Ce qui entre et ce qui sort des modĂšles
Un modĂšle, quelle que soit sa nature, intĂšgre un jeu dâĂ©quations permettant de calculer des variables dites endogĂšnes Ă partir de variables dites exogĂšnes qui, par dĂ©finition, ne sont pas calculĂ©es mais imposĂ©es au modĂšle. Il nâest Ă©videmment possible dâinterprĂ©ter les rĂ©sultats dâun modĂšle quâĂ condition de comprendre ce qui « entre » dans le modĂšle (les variables exogĂšnes) et ce qui en « sort » (les variables endogĂšnes). La nature de ces variables entrantes et sortantes est largement liĂ©e Ă la catĂ©gorie de modĂšles.
Dans les modĂšles technico-Ă©conomiques du secteur de lâĂ©nergie la plupart des variables macroĂ©conomiques sont exogĂšnes et sont imposĂ©es en entrĂ©e du modĂšle, sans effet de rĂ©troaction. Ces modĂšles ne permettent donc pas dâanalyser les variations macro-Ă©conomiques. En revanche, ils fournissent une description fine du mix Ă©nergĂ©tique, des
1 Seul le modĂšle ThreeME apporte des informations sur les Ă©missions de procĂ©dĂ©s industriels. Il intĂšgre les Ă©missions liĂ©es Ă la cuisson des produits minĂ©raux non mĂ©talliques qui reprĂ©sente lâessentiel des Ă©missions liĂ©es aux procĂ©dĂ©s industriels.
La valeur de lâaction pour le climat
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investissements en Ă©quipements Ă©nergĂ©tiques, de la production et de lâusage de lâĂ©nergie (la demande de service Ă©nergĂ©tique reste toutefois exogĂšne dans certains modĂšles), du commerce Ă©nergĂ©tique (prix et quantitĂ©s) ou des Ă©missions des GES (sauf dans le cas oĂč celles-ci sont contraintes).
Dans les modÚles macroéconomiques, un grand nombre de variables macro-économiques sont endogÚnes. En revanche, les mix technologiques sont potentiellement exogÚnes et, surtout, la caractérisation de ces technologies est beaucoup moins fine.
Figure 15 â SchĂ©ma indicatif des entrĂ©es-sorties des modĂšles
Note : la liste des exogĂšnes et des endogĂšnes variant de façon importante dâun modĂšle Ă lâautre y compris au sein dâune mĂȘme catĂ©gorie, ce schĂ©ma nâest donnĂ© quâĂ titre indicatif.
Lâanalyse en Ă©cart variantiel
Ces modĂšles ont Ă©tĂ© utilisĂ©s ici pour dĂ©terminer une valeur du carbone associĂ©e au passage dâun scĂ©nario de rĂ©fĂ©rence prĂ©sentant une trajectoire spontanĂ©e dâĂ©missions en lâabsence de nouvelle politique climatique au scĂ©nario « objectif » aboutissant Ă la neutralitĂ© carbone en 2050 (voir figure 16).
EntrĂ©es exogĂšnes Macro : dĂ©mographie, PIB, productivitĂ© globale des facteurs, demande extĂ©rieure Ănergie : demande de services Ă©nergĂ©tiques (selon le modĂšle), ressources en Ă©nergie primaire et de matĂ©riaux, stock initial d'Ă©quipements Ă©nergĂ©tiques, caractĂ©ristiques des technologies prĂ©sentes et futures (coĂ»ts et calendrier de disponibilitĂ©), prix internationaux des combustibles, taux d'actualisation Politiques publiques : taxes, subventions, normes
ModĂšles technico-Ă©conomiques du
secteur de l'Ă©nergie (TIMES,
POLES)
Sorties endogÚnes Energie : offre et demande d'énergie, mix énergétique, investissements en équipements énergétiques, commerce énergétique (prix et quantités), émissions des GES considérés (exogÚnes si contraintes)
EntrĂ©es exogĂšnes Macro : dĂ©mographie, productivitĂ© des facteurs , dĂ©penses publiques, prix importĂ©s (de l'Ă©nergie, des matiĂšres premiĂšres et des biens intermĂ©diaires), taux de change, taux d'actualisation/d'intĂ©rĂȘt Energie : prix internationaux des combustibles, mix Ă©lectrique (en partie endogĂšne suivant le modĂšle) Politiques publiques : taxes, subventions, normes
ModÚles macroéconomiques
(IMACLIM-R, THREEME, NEMESIS)
Sorties endogÚnes Macro : PIB et ses composantes (production, consommation, investissement, export, importation), emploi, chÎmage, salaires, prix domestiques Energie : offre et demande d'énergie (plus ou moins détaillées suivant le modÚle), émissions des GES considérés
Chapitre 2 La démarche coûts-efficacité
FRANCE STRATĂGIE 83 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
Figure 16 â L'analyse en Ă©cart variantiel
Source : France Stratégie, calculs des auteurs
Ce que reflĂšte la valeur carbone dans les modĂšles
La valeur carbone est dĂ©finie de la maniĂšre suivante selon la catĂ©gorie de modĂšles (voir aussi lâencadrĂ© 6) :
â la valeur carbone dĂ©finie par les modĂšles technico-Ă©conomiques est un coĂ»t marginal dâabattement. Elle est dĂ©terminĂ©e par le coĂ»t rĂ©vĂ©lĂ© ex post du respect des contraintes dâĂ©missions de GES sur la trajectoire, en dâautres termes le coĂ»t du systĂšme technologique Ă dĂ©ployer pour abattre la quantitĂ© dâĂ©missions imposĂ©e par la contrainte ;
â la valeur carbone dĂ©finie par les modĂšles macroĂ©conomiques reprĂ©sente le prix relatif des produits carbonĂ©s qui rend compĂ©titives les technologies dĂ©carbonĂ©es.
EncadrĂ© 6 â La valeur carbone selon les diffĂ©rentes spĂ©cifications des modĂšles
Les modĂšles technico-Ă©conomiques utilisent une description fine des techno-logies â leur coĂ»t, leur vitesse de dĂ©veloppement et dâarrivĂ©e Ă maturitĂ©, les contraintes associĂ©es â pour Ă©valuer le coĂ»t de dĂ©ploiement optimal des technologies nĂ©cessaires au respect de la trajectoire de rĂ©duction des Ă©missions imposĂ©e. Les modĂšles macroĂ©conomiques sectoriels modĂ©lisent quant Ă eux un prix implicite sous la forme dâune hausse du prix relatif des produits carbonĂ©s et montrent comment les diffĂ©rents secteurs sâadaptent Ă cette hausse de prix
La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 84 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
relatifs, investissent dans des technologies abattant des Ă©missions et se dĂ©carbonent. La premiĂšre catĂ©gorie de modĂšles dĂ©finit donc la valeur carbone comme le coĂ»t marginal optimal de lâeffort permettant dâabattre une tonne dâĂ©mission supplĂ©mentaire, tandis que les modĂšles macroĂ©conomiques la dĂ©finissent comme le signal-prix permettant de dĂ©centraliser le respect de la contrainte.
La prise en compte des anticipations est un autre élément important de différenciation des modÚles.
Le modĂšle TIMES, qui appartient Ă la catĂ©gorie des modĂšles technico-Ă©conomiques, est un modĂšle dâoptimisation inter-temporelle pilotĂ© par la demande : il fonctionne en anticipations parfaites. Le modĂšle optimise le systĂšme Ă©nergĂ©tique sur lâensemble de la pĂ©riode en minimisant le coĂ»t total actualisĂ© du systĂšme Ă©nergĂ©tique. Par rapport Ă un modĂšle Ă anticipations adaptatives, il peut donc ĂȘtre amenĂ© Ă dĂ©ployer des technologies plus coĂ»teuses Ă court terme qui permettront de rĂ©duire les coĂ»ts futurs en Ă©vitant par exemple des effets de verrouillage technologique ou « lock in ». Les technologies ne sont alors pas nĂ©cessairement dĂ©ployĂ©es individuellement dans un ordre de mĂ©rite. Pour cette raison, la valeur carbone calculĂ©e par ce type de modĂšles technico-Ă©conomiques Ă anticipations parfaites tend Ă ĂȘtre supĂ©rieure Ă celles des modĂšles Ă anticipations adaptatives Ă court terme mais plus modĂ©rĂ©e Ă long terme, lâensemble de la trajectoire de cette valeur Ă©tant davantage optimisĂ©e.
Le modĂšle IMACLIM, qui appartient Ă la catĂ©gorie des modĂšles macro-Ă©conomiques sectoriels dynamiques rĂ©cursifs, repose sur des anticipations adaptatives mais peut faire lâhypothĂšse dâanticipations adaptatives/myopes ou parfaites de la valeur carbone future. Dans le premier cas, les agents extrapolent simplement la valeur courante (qui Ă©volue dans le temps). Dans le deuxiĂšme cas, tout se passe comme si la trajectoire de valeur du carbone Ă©tait connue Ă lâavance par tous les agents Ă©conomiques, les autres indicateurs Ă©conomiques restant imparfaitement anticipĂ©s. Câest la perspective dâune valeur du carbone future Ă©levĂ©e qui conduit les agents Ă agir aujourdâhui. Par exemple, pour un individu devant remplacer un vĂ©hicule dont la durĂ©e de vie est de plusieurs annĂ©es, sâil est prĂ©vu que la valeur carbone augmente rapidement dans les annĂ©es qui suivent, il peut ĂȘtre pertinent dâopter dĂšs Ă prĂ©sent pour un vĂ©hicule Ă©lectrique plutĂŽt que pour un vĂ©hicule Ă essence moins cher, mĂȘme si la valeur carbone prĂ©sente est encore faible (le coĂ»t complet actualisĂ© de la premiĂšre option sur la durĂ©e dâutilisation sera plus faible et lâinvestissement rentable Ă terme). Le modĂšle IMACLIM a Ă©tĂ© utilisĂ© sous ces deux hypothĂšses (anticipations parfaite et adaptative sur la valeur du carbone) de sorte Ă illustrer lâimpact de celles-ci sur la trajectoire de la valeur tutĂ©laire du carbone.
Chapitre 2 La démarche coûts-efficacité
FRANCE STRATĂGIE 85 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
La modélisation du progrÚs technique 4.4.
Il nâexiste que deux possibilitĂ©s pour rĂ©duire les Ă©missions de GES dâune Ă©conomie : soit on rĂ©duit la production, soit on rĂ©duit la quantitĂ© dâĂ©missions de GES par unitĂ© de production. Un objectif de neutralitĂ© visant Ă rĂ©duire les Ă©missions sans compromettre le bien-ĂȘtre, la croissance et la compĂ©titivitĂ© française conduit Ă privilĂ©gier la seconde possibilitĂ©.
Pour dĂ©coupler les Ă©missions de GES et le PIB dâun pays1, lĂ encore deux options sont possibles :
â la diminution, sur le territoire, du poids des activitĂ©s les plus Ă©mettrices en faveur des activitĂ©s les plus propres. LâinconvĂ©nient majeur dâune telle politique est quâelle conduit Ă des « fuites carbone », câest-Ă -dire Ă des dĂ©localisations. Une telle politique aurait potentiellement un effet net nul, voire nĂ©gatif, sur les Ă©missions de GES Ă lâĂ©chelle planĂ©taire, puisque la rĂ©duction des Ă©missions françaises pourrait ĂȘtre compensĂ©e par lâaugmentation de celles des pays exportateurs de produits carbonĂ©s ;
â la constitution dâun stock de capital dĂ©carbonĂ©2 permettant de dĂ©coupler le PIB et les Ă©missions de GES. Câest pourquoi la modĂ©lisation du progrĂšs technique est un Ă©lĂ©ment essentiel pour apprĂ©hender, de la façon la plus pertinente possible, les possibilitĂ©s de dĂ©carbonation de lâĂ©conomie.
Les modĂšles technico-Ă©conomiques et hybrides sont ceux qui modĂ©lisent le plus finement les changements technologiques Ă lâĂ©chelle des diffĂ©rents secteurs. Ce sont prĂ©cisĂ©ment des modĂšles de choix technologiques sous contraintes : ils incorporent une matrice des technologies disponibles prĂ©sentes et futures, la date de disponibilitĂ© de ces technologies, lâĂ©volution de leur coĂ»t au cours du temps et leur gisement potentiel (voir figure 17). Ils prennent par ailleurs en compte un certain nombre de contraintes associĂ©es Ă ces technologies (par exemple, lâadoption massive des vĂ©hicules Ă©lectriques entraĂźne de nouvelles contraintes dans le secteur des transports, notamment sur lâinstallation de bornes et dâinfrastructures, etc.). Cette « topologie » des diffĂ©rentes technologies est Ă©tablie sur la base dâun travail dâexpertise mĂ©ticuleux pour chaque filiĂšre et chaque usage.
1 Dans une approche production et non empreinte carbone. 2 Le terme « vert » est, par abus de langage mais dans un souci de simplification, associĂ© uniquement Ă la dĂ©carbonation de lâĂ©conomie et non Ă dâautres aspects environnementaux.
La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 86 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
Dans ces modĂšles technico-Ă©conomiques ou dans les modĂšles hybrides, une partie du progrĂšs technique peut-ĂȘtre « endogĂ©nĂ©isĂ©e » par des effets dâapprentissage (progrĂšs technique induit) de deux types :
â selon le « learning by researching », investir dans la R & D entraĂźne une baisse des coĂ»ts de la technologie. Les donnĂ©es disponibles ne permettent cependant pas dâintĂ©grer ce vecteur de progrĂšs technique dans les modĂšles technico-Ă©conomiques1 ;
â selon le « learning by doing », plus une technologie est dĂ©ployĂ©e Ă grande Ă©chelle (câest-Ă -dire, plus la puissance installĂ©e cumulĂ©e est importante), plus le coĂ»t de cette technologie diminue. Cette forme de progrĂšs technique est plus facilement intĂ©grĂ©e dans les modĂšles Ă lâaide notamment de « courbes dâapprentissage » qui dĂ©crivent la baisse du coĂ»t de chaque technologie en fonction de son niveau de dĂ©ploiement. Le modĂšle POLES intĂšgre de telles courbes dâapprentissage (voir figure 18) et endogĂ©nĂ©ise ainsi en partie le progrĂšs technique.
Figure 17 â Exemple de prospective technologique fournie en entrĂ©e des modĂšles technico-Ă©conomiques
Source : CMA, modĂšle TIMES
1 Cela nĂ©cessiterait en particulier des donnĂ©es de R & D par technologie, donnĂ©es qui nâexistent pas ou sont trĂšs rares (il existe plutĂŽt des donnĂ©es par activitĂ© Ă©conomique).
Chapitre 2 La démarche coûts-efficacité
FRANCE STRATĂGIE 87 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
Figure 18 â Exemple de courbes dâapprentissage « learning by doing »
Source : Enerdata, modĂšle POLES
Les hypothĂšses sur les anticipations des agents ont une influence importante sur la dynamique dâadoption des technologies. Suivant les modĂšles, les choix technologiques peuvent ĂȘtre effectuĂ©s par des agents Ă anticipation dites « adaptatives » (modĂšles POLES), qui ne possĂšdent que lâinformation prĂ©sente quâils tendent Ă prolonger et nâanticipent quâimparfaitement les Ă©volutions technologiques et leurs coĂ»ts futurs. Ils peuvent, au contraire, ĂȘtre effectuĂ©s par des agents Ă anticipations dites « parfaites » (modĂšle TIMES), qui disposent de toute lâinformation prĂ©sente et future et la traitent de maniĂšre optimale. Des anticipations parfaites conduisent Ă investir dans des technologies plus chĂšres au dĂ©part mais qui permettent dâatteindre lâobjectif final Ă moindre coĂ»t. La commission a utilisĂ© des modĂšles qui prennent en compte ces deux types dâhypothĂšses sur les anticipations : POLES considĂšre des agents Ă anticipations adaptatives tandis que TIMES postule quâils ont des anticipations parfaites1.
Le scénario de référence 5.
Le scénario de référence est celui qui décrit :
â la maniĂšre dont Ă©volueraient spontanĂ©ment lâĂ©conomie, les systĂšmes technologiques et les Ă©missions françaises en lâabsence de nouvelle politique climatique ;
â le contexte dans lequel le scĂ©nario objectif devra ĂȘtre atteint.
1 Des tests de sensibilitĂ© Ă lâhorizon des anticipations ont Ă©tĂ© effectuĂ©s avec TIMES.
La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 88 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
Câest Ă partir de cette rĂ©fĂ©rence que sont Ă©valuĂ©s les changements nĂ©cessaires pour atteindre la neutralitĂ© carbone en 2050.
Cette section dĂ©crit les Ă©lĂ©ments dĂ©terminants du scĂ©nario de rĂ©fĂ©rence, Ă savoir les politiques climatiques prises en compte, la croissance Ă©conomique, lâefficacitĂ© Ă©nergĂ©tique, le mix Ă©nergĂ©tique, ainsi que le contexte international.
Un environnement international « neutre » 5.1.
Lâanalyse rĂ©alisĂ©e ici est une analyse Ă scĂ©nario mondial inchangĂ©. Autrement dit, on ne compare pas une situation oĂč la France et le reste du monde se dĂ©carbonent Ă une situation de rĂ©fĂ©rence oĂč ni lâun ni lâautre ne rĂ©duisent leurs Ă©missions ; mais une situation oĂč la France se dĂ©carbone Ă une situation oĂč elle ne fait pas dâefforts spĂ©cifiques de dĂ©carbonation, Ă contexte international donnĂ©. Le chemin Ă parcourir pour passer du scĂ©nario de rĂ©fĂ©rence au scĂ©nario de dĂ©carbonation nâen reste pas moins dĂ©pendant des hypothĂšses sur ce contexte international.
Dans ce cadre, il a Ă©tĂ© choisi dans cet exercice, premiĂšrement, de prendre un point de vue agnostique sur le contexte international dans le scĂ©nario de rĂ©fĂ©rence, en Ă©cartant les scĂ©narios extrĂȘmes ; et, deuxiĂšmement, de tester la sensibilitĂ© des rĂ©sultats aux diffĂ©rents canaux dâinfluence du contexte international, afin dâĂ©valuer lâordre de grandeur de lâincertitude sous-jacente.
âą Les projections retenues de prix des Ă©nergies fossiles sont issues du scĂ©nario central de lâAIE appelĂ© « New policies scenario »1. Ce scĂ©nario repose sur lâhypothĂšse que les pays respectent les engagements dĂ©finis par les contributions dĂ©terminĂ©es au niveau national (NDC) pris en amont de la COP21. Ces engagements correspondent Ă une mobilisation qui reste insuffisante pour limiter le rĂ©chauffement sous le seuil des 2 °C. Une hypothĂšse alternative a Ă©tĂ© testĂ©e pour Ă©valuer la sensibilitĂ© des rĂ©sultats Ă celle-ci : celle du scĂ©nario de lâAIE appelĂ©e « sustainable development » oĂč la mobilisation mondiale est supposĂ©e permettre la limitation du rĂ©chauffement climatique Ă 2 °C. Dans ce scĂ©nario, la demande pour les Ă©nergies fossiles Ă©tant plus faible, leur prix est rĂ©Ă©valuĂ© Ă la baisse (voir figure 19). Concernant les prix des autres ressources, il nâa pas Ă©tĂ© fait dâhypothĂšses particuliĂšres et lâimpact dâune augmentation Ă©ventuelle du prix des ressources nĂ©cessaires aux technologies de dĂ©carbonation peut se ramener Ă celui dâune augmentation du coĂ»t de ces technologies.
1 Agence internationale de lâĂ©nergie (2017), World Energy Outlook.
Chapitre 2 La démarche coûts-efficacité
FRANCE STRATĂGIE 89 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
Figure 19 â Prix du pĂ©trole brut, scĂ©narios AIE
Source : World Energy Outlook 2017 de l'AIE jusqu'en 2040 ; retraitement : interpolation linéaire entre les prix 2016, 2025 et 2040, prix figés aprÚs 2040
âą Il nâest pas supposĂ© dans ces exercices de simulation quâune technologie de substitution aux technologies carbonĂ©es Ă coĂ»t modĂ©rĂ© et au potentiel illimitĂ© (technologie dite « backstop ») puisse ĂȘtre dĂ©ployĂ©e pour abattre les Ă©missions. Lâimpact de ce choix prudent se justifie aisĂ©ment Ă court ou moyen terme.
LâĂ©valuation de lâincertitude sous-jacente Ă ces Ă©lĂ©ments est dĂ©crite dans le chapitre suivant du rapport.
Une hypothĂšse de croissance de 1,6 % par an en moyenne 5.2.
Les hypothĂšses dĂ©mographiques et macroĂ©conomiques (homogĂ©nĂ©isĂ©es entre les modĂšles) relĂšvent de projections dĂ©finies par des institutions publiques de rĂ©fĂ©rences nationales ou internationales. Les Ă©volutions dĂ©mographiques françaises sont fondĂ©es sur les projections de lâInsee (voir figure 20) ; les hypothĂšses de croissance sur les projections de lâAgeing Report 2015 de la Commission europĂ©enne, soit une croissance annuelle moyenne de 1,6 % sur lâensemble de la pĂ©riode (voir figure 21). Pour les modĂšles macroĂ©conomiques, cette trajectoire est endogĂšne mais compatible avec cet ordre de grandeur.
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New policies scenario
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Figure 20 â Projection dĂ©mographique dans le scĂ©nario de rĂ©fĂ©rence
Figure 21 â Projection du PIB dans le scĂ©nario de rĂ©fĂ©rence
Source : Insee ; le scénario central de projections de population 2013-2070 pour la France
Source : European commission, Ageing working group, Ageing Report 2015
Un scénario de référence sans signaux-prix sur le carbone 5.3.
Le scĂ©nario de rĂ©fĂ©rence nâintĂšgre pas de nouvelles politiques publiques pour lutter contre les Ă©missions de GES au-delĂ de celles en vigueur en 2017. Il a Ă©tĂ© choisi de dĂ©sactiver dans le scĂ©nario de rĂ©fĂ©rence celles correspondant Ă un signal-prix explicite (ce qui sâest traduit en particulier par une mise Ă zĂ©ro de la tarification du carbone et du prix du marchĂ© ETS) mais de maintenir les autres politiques publiques, en particulier des normes de construction des bĂątiments, qui ne reflĂštent pas uniquement des objectifs climatiques. Tous les modĂšles ne dĂ©crivant pas lâensemble des politiques publiques de façon explicite, ce choix a Ă©tĂ© mis en Ćuvre en fonction de leur capacitĂ© Ă identifier ces politiques.
Une tendance favorable de gains dâefficacitĂ© Ă©nergĂ©tique 5.4.
Une partie importante de la dĂ©carbonation de lâĂ©conomie se fera au moyen dâune baisse de lâintensitĂ© Ă©nergĂ©tique de la production, mais lĂ encore, lâaugmentation future de lâefficacitĂ© Ă©nergĂ©tique ne peut ĂȘtre intĂ©gralement attribuĂ©e Ă la transition bas carbone. Seule lâamĂ©lioration tendancielle de lâefficacitĂ© Ă©nergĂ©tique est conservĂ©e dans le scĂ©nario de rĂ©fĂ©rence.
La figure 22 dĂ©crit lâĂ©volution spontanĂ©e de lâintensitĂ© Ă©nergĂ©tique du PIB obtenue par les diffĂ©rents modĂšles pour le scĂ©nario de rĂ©fĂ©rence. Elle montre que les gains anticipĂ©s dâefficacitĂ© Ă©nergĂ©tique de la production nationale sont importants, mĂȘme avant actions climatiques spĂ©cifiques, de 30 % Ă 50 % entre 2015 et 2050 en fonction du modĂšle.
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PIB (Mds ⏠2017) Taux de croissance du PIB
Chapitre 2 La démarche coûts-efficacité
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Figure 22 â Ăvolution de l'intensitĂ© Ă©nergĂ©tique du PIB dans le scĂ©nario de rĂ©fĂ©rence
Note : lâintensitĂ© Ă©nergĂ©tique du PIB est calculĂ©e ici par le ratio consommation totale dâĂ©nergie finale sur PIB, indicĂ© Ă 100 en 2015.
* Le modĂšle TIMES ne permet pas dâendogĂ©nĂ©iser la demande de service Ă©nergĂ©tique. La demande sectorielle de service Ă©nergĂ©tique a Ă©tĂ© calĂ©e sur les simulations de ThreeME avec ajustements Ă©ventuels pour reflĂ©ter des spĂ©cificitĂ©s sectorielles.
Source : calcul des auteurs à partir des résultats de simulation des modÚles
Des émissions de GES calculées par les modÚles 5.5.
Sur la base de leurs paramĂ©trages respectifs et des hypothĂšses dĂ©crites ci-dessus, les modĂšles dĂ©finissent lâĂ©volution tendancielle des Ă©missions de GES dâorigine Ă©nergĂ©tique. La figure 23 dĂ©crit cette Ă©volution spontanĂ©e des Ă©missions de CO2 obtenue par les diffĂ©rents modĂšles dans le scĂ©nario de rĂ©fĂ©rence. Cette figure montre des trajectoires significativement diffĂ©rentes et par consĂ©quent des montants dâĂ©missions Ă abattre dâampleur variable entre les modĂšles.
La figure 24 relie lâĂ©volution spontanĂ©e des Ă©missions Ă celle du PIB. Cette figure montre une tendance significative au dĂ©couplage des Ă©missions au PIB dans le scĂ©nario de rĂ©fĂ©rence pour la plupart des modĂšles, ce dĂ©couplage Ă©tant associĂ© Ă la baisse tendancielle de lâintensitĂ© Ă©nergĂ©tique.
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Figure 23 â Ămissions de CO2 d'origine Ă©nergĂ©tique dans le scĂ©nario de rĂ©fĂ©rence
Figure 24 â Ămissions de CO2 d'origine Ă©nergĂ©tique par unitĂ© de PIB dans le scĂ©nario de rĂ©fĂ©rence
Note : les Ă©missions considĂ©rĂ©es ici sont uniquement les Ă©missions de CO2 dâorigine Ă©nergĂ©tique.
* Le modĂšle TIMES ne permet pas dâendogĂ©nĂ©iser la demande de service Ă©nergĂ©tique, la demande sectorielle de service Ă©nergĂ©tique a Ă©tĂ© calĂ©e sur les simulations de ThreeME avec ajustements Ă©ventuels pour reflĂ©ter des spĂ©cificitĂ©s sectorielles. Le modĂšle TIMES est aussi le modĂšle pour lequel la suppression des politiques carbones a pu ĂȘtre la plus exhaustive, tendant ainsi Ă remonter lâintensitĂ© carbone de lâĂ©conomie dans le scĂ©nario de rĂ©fĂ©rence par rapport aux autres modĂšles.
Source : calcul des auteurs à partir des résultats de simulation des modÚles
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CHAPITRE 3 LES RĂSULTATS DES DIFFĂRENTS
EXERCICES DE PROSPECTIVE
Ce chapitre prĂ©sente les rĂ©sultats « bruts » des diffĂ©rentes dĂ©marches mises en Ćuvre par la commission. Ces rĂ©sultats bruts constituent les « ingrĂ©dients » utiles Ă la construction de la trajectoire de valeur tutĂ©laire du carbone proposĂ©e au chapitre suivant. Les travaux de prospective mobilisĂ©s et conduits de maniĂšre spĂ©cifique sont dĂ©crits en premiĂšre partie, ainsi que la sensibilitĂ© des rĂ©sultats obtenus aux grandes hypothĂšses structurantes : le contexte international, la taille des puits, les comportements et le progrĂšs technique.
La seconde partie dĂ©crit les grands enjeux Ă©conomiques de la transition vers la neutralitĂ© carbone tels quâils ressortent des exercices de prospective. La commission ne prĂ©sente pas les impacts macroĂ©conomiques et sociaux de la transition bas carbone, dans la mesure oĂč ces impacts dĂ©pendent Ă©troitement de la conception prĂ©cise des mesures de politique environnementale. Mais nos travaux permettent dâĂ©clairer les conditions dâune transition rĂ©ussie et la nature des rĂ©allocations sectorielles sous-jacentes.
Toutes les approches convergent vers une revalorisation 1.substantielle de la valeur de lâaction pour le climat
Les modĂšles 1.1.
Les valeurs carbone obtenues par les modĂšles
Le recours aux modĂšles de simulation permet dâintĂ©grer une trajectoire de rĂ©duction des Ă©missions de GES dans notre environnement technologique et Ă©conomique, afin de mieux comprendre comment les comportements et les technologies se transforment pour permettre la rĂ©alisation de cette trajectoire vers lâobjectif ZEN. Ces modĂšles sont largement utilisĂ©s dans les Ă©valuations internationales de valeur carbone. Le GIEC, en
La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 94 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
particulier, fonde en grande partie ses estimations de prix mondiaux du carbone sur des panels de simulations réalisées avec une large gamme de modÚles, selon des méthodologies trÚs proches de celle adoptée par la commission1.
Le tableau 8 ci-dessous rassemble les valeurs carbone obtenues par les différents modÚles utilisés par la commission : les deux modÚles technico-économiques TIMES et POLES et les trois modÚles macroéconomiques sectoriels IMACLIM, ThreeME et NEMESIS.
La commission a tenu Ă recourir Ă une large variĂ©tĂ© de modĂšles, afin de dĂ©finir une plage de valeurs tutĂ©laires du carbone raisonnable, qui ne serait pas dĂ©pendante dâune spĂ©cification particuliĂšre. Les modĂšles utilisĂ©s se diffĂ©rencient principalement sur la base de deux critĂšres : la catĂ©gorie de modĂšles (technico-Ă©conomiques ou macroĂ©conomiques) et la prise en compte dâanticipations parfaites ou adaptatives (de la valeur future du carbone et/ou de lâensemble des signaux Ă©conomiques).
Tableau 8 â Valeurs du carbone dĂ©finies par les modĂšles
Valeur tutĂ©laire du carbone pour des puits compris entre 75 MtCO2e (en orange) et 95 MtCO2e (en bleu) (âŹ2016/tCO2e)
2030 2035 2040 2045 2050
Technico-Ă©conomiques
TIMES 322 288 293 285 375 465 661 1 054 1 365 2 451
POLES 253 351 384 547 575 845 907 1 400 1958 3 513
Macro-Ă©conomiques sectoriels
IMACLIM* 168 168 168 168 168 168 440 489 1 453 3 132
IMACLIM (myope)** 228 -- 288 -- 537 -- 1 337 -- 3 328 --
ThreeME 143 143 226 402 363 1 128 428 1 626 511 2 389
NEMESIS 185 185 360 393 655 784 1 358 1934 -- --
Moyenne 221 319 551 1 058 2 233
Minimum-maximum 143 351 168 547 168 1 128 428 1 934 511 3 513
* ModĂšle ayant tournĂ© sans hypothĂšse dâanticipation parfaite sur la VTC pour des valeurs pour des puits de 95 MtCO2e ** ModĂšle ayant tournĂ© avec une hypothĂšse dâanticipation parfaite sur la VTC pour des valeurs pour des puits compris entre 85 MtCO2e et 95 MtCO2e. Note : pour chaque date, la colonne de gauche correspond Ă lâhypothĂšse de puits la plus favorable (95 MtCO2e) et la colonne de droite Ă lâhypothĂšse de puits la moins favorable (75MtCO2e)2 La moyenne des rĂ©sultats des modĂšles est Ă considĂ©rer avec prĂ©caution au vu des diffĂ©rences structurelles de fonctionnement de ces modĂšles. Source : simulations des modĂšles
1 Voir par exemple le CinquiĂšme Rapport du GIEC (2014) ou le chapitre 2 du dernier rapport Global Warming of 1,5 °C. 2 TIMES attribue une valeur plus faible Ă court terme dans le cas le moins optimiste (288 ⏠contre 322 âŹ) mais lâaugmentation de cette valeur sur la fin de pĂ©riode est nettement plus Ă©levĂ©e que sous lâhypothĂšse optimiste de puits.
Chapitre 3 Résultats des différents exercices de prospective
FRANCE STRATĂGIE 95 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
Sur la base de ces différentes modélisations, le tableau ci-dessus met en évidence deux points saillants.
âą Ă lâhorizon 2030, les modĂšles affichent des valeurs du carbone comprises entre 143 ⏠et 351 âŹ. Les Ă©carts sont dâampleur modĂ©rĂ©e et principalement liĂ©s Ă la catĂ©gorie de modĂšles : les modĂšles technico-Ă©conomiques TIMES et POLES, affichent des valeurs plus Ă©levĂ©es que les modĂšles macroĂ©conomiques IMACLIM, ThreeME et NEMESIS, (moyennes respectives de 300 ⏠et 165 âŹ).
âą Bien quâils soient construits sur des principes totalement diffĂ©rents, tous les modĂšles affichent une trajectoire de valeur carbone croissant tout au long de la pĂ©riode dâaujourdâhui Ă 2050, Ă un rythme largement supĂ©rieur au taux dâactualisation, tel que serait prĂ©conisĂ© par une rĂšgle de Hotelling. Ce taux de croissance reflĂšte deux phĂ©nomĂšnes bien distincts :
â le choix de lisser les efforts de rĂ©duction des Ă©missions de GES sur lâensemble de la pĂ©riode, la trajectoire de la valeur carbone reflĂ©tant alors lâaccroissement des coĂ»ts marginaux dâabattement dans le processus de dĂ©carbonation de lâĂ©conomie ;
â la difficultĂ© de simuler en fin de pĂ©riode un scĂ©nario de dĂ©carbonation profonde, les modĂšles, quelle que soit leur nature, peinant Ă simuler les changements radicaux nĂ©cessaires Ă cette dĂ©carbonation profonde de lâĂ©conomie, si bien que la valeur du carbone obtenue tend à « sâenvoler » pour tenter dâatteindre lâobjectif.
Figure 25 â Valeurs carbone obtenues par les modĂšles jusquâen 2040
Source : simulations des modĂšles
54 âŹ
0 âŹ
200 âŹ
400 âŹ
600 âŹ
800 âŹ
1 000 âŹ
1 200 âŹ
2018
2019
2020
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2023
2024
2025
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2027
2028
2029
2030
2031
2032
2033
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2035
2036
2037
2038
2039
2040
Vale
ur ca
rbon
e en
âŹ/t
CO2e
RĂ©sultats des modĂšles
Moyenne des modĂšles
MĂ©diane des modĂšles
Valeur du carbone en 2018
La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 96 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
Des rĂ©sultats de modĂšles exploitables jusquâau facteur 4
Les modĂšles, au-delĂ de leurs diffĂ©rences de spĂ©cification, donnent des ordres de grandeur raisonnablement convergents et robustes sur la premiĂšre partie de pĂ©riode de projection. Au fur et Ă mesure que lâon sâĂ©loigne dans le temps, ces modĂšles Ă©prouvent en revanche des difficultĂ©s croissantes Ă simuler les rĂ©ductions dâĂ©missions de GES nĂ©cessaires pour atteindre la neutralitĂ© carbone. Cela sâexplique en partie par les limitations intrinsĂšques aux modĂšles :
â certains modĂšles sont par essence « conservateurs » : ils se rĂ©fĂšrent Ă lâobservation des comportements passĂ©s et ne peuvent dĂ©crire des changements de nature plus systĂ©mique. Du cĂŽtĂ© de la demande, cette limitation se traduit dans les modĂšles par des Ă©lasticitĂ©s aux prix relatifs stables et modĂ©rĂ©es, mĂȘme lorsque les modĂšles se rapprochent de la zone « zĂ©ro Ă©missions » ;
â du cĂŽtĂ© de lâoffre, les modĂšles ne peuvent pleinement apprĂ©hender tous les aspects fondamentaux du processus dâinnovation. En particulier, ils nâintĂšgrent que partiellement les effets dâapprentissage liĂ©s Ă la fois au dĂ©ploiement des technologies (learning by doing) et aux investissements en R & D sur ces technologies (learning by researching). Cette limitation rend particuliĂšrement difficile la projection des prix de bascule futurs (switching prices) des technologies aujourdâhui non matures mais qui seront indispensables Ă lâatteinte de la neutralitĂ© carbone. Les modĂšles ne peuvent a fortiori pas anticiper, au-delĂ dâune tendance de progrĂšs incrĂ©mental, les innovations de rupture ;
â enfin, les simulations se faisant Ă politique inchangĂ©e, les modĂšles nâincorporent pas de changements structurels dans lâorganisation de lâespace et lâusage des sols.
Au total, comme le montre la figure 26 qui prĂ©sente les niveaux de valeur carbone en fonction des niveaux dâĂ©missions atteints (en pourcentage des niveaux de 1990) pour les diffĂ©rents modĂšles :
â diviser les Ă©missions par deux par rapport Ă 1990 implique des valeurs carbone trĂšs convergentes entre les modĂšles, comprises entre 175 ⏠et 250 âŹ. Les rĂ©sultats restent convergents jusquâĂ un niveau de rĂ©duction des Ă©missions de lâordre de 60 % par rapport Ă 1990. Les valeurs Ă ce niveau sont comprises entre 300 et 450 âŹ/tCO2e1 ;
1 On exclut ici le modĂšle IMACLIM oĂč la relation valeur carbone-niveau dâĂ©missions atteint est trop dĂ©pendant de la trajectoire du fait des anticipations.
Chapitre 3 Résultats des différents exercices de prospective
FRANCE STRATĂGIE 97 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
â les Ă©carts entre les rĂ©sultats sâaccroissent mais restent en partie explicables jusquâautour de 2040, lorsquâon sâapproche du facteur 4 â câest-Ă -dire la division par quatre des Ă©missions par rapport Ă 1990 ;
â ensuite, la pente de la trajectoire de valeur tutĂ©laire sâaccentue fortement pour tous les modĂšles et les Ă©carts entre modĂšles sâaccroissent sensiblement, traduisant la difficultĂ©, voire lâimpossibilitĂ©, dâatteindre la neutralitĂ© carbone sur la seule base des mĂ©canismes inclus dans ces modĂšles.
Outre la simple observation de la « flambĂ©e » de la valeur carbone simulĂ©e, les modĂšles macroĂ©conomiques dĂ©crivent en fin de pĂ©riode une dĂ©carbonation davantage associĂ©e Ă une baisse de production quâĂ un dĂ©couplage entre la production et les Ă©missions de GES1.
Sur la base de cette analyse des rĂ©sultats, la commission a estimĂ© que les modĂšles donnaient une perspective robuste de la trajectoire de valeur tutĂ©laire du carbone requise jusquâĂ une rĂ©duction dâĂ©missions proche du facteur 4 (division par 4 des Ă©missions de GES par rapport Ă 1990), mais que lâexploitation des rĂ©sultats produits au-delĂ pour lâĂ©valuation de la valeur tutĂ©laire du carbone nâĂ©tait pas pertinente. La capacitĂ© Ă dĂ©carboner en profondeur lâĂ©conomie pour atteindre la neutralitĂ© carbone appelle en effet des politiques structurantes (amĂ©nagement et usage des sols notamment), un besoin dâinnovation et une coordination internationale plus difficiles Ă modĂ©liser.
1 En considĂ©rant lâĂ©quation đž = đž/đ Ă đ, avec E le flux dâĂ©missions de GES et Y le PIB, la contribution du dĂ©couplage correspond Ă la contribution de la variation de E/Y dans la variation de E et celle de la variation de la production Ă la variation de Y.
La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 98 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
Figure 26 â Valeurs carbone des modĂšles en fonction des niveaux dâĂ©missions atteints par rapport Ă 1990
Note : pour des raisons de lisibilitĂ©, les valeurs affichĂ©es ici sont celles obtenues par les simulations sous lâhypothĂšse de puits UTCF de 75 MtCO2e (85 MtCO2e pour IMACLIM) ; les courbes obtenues par les trajectoires sous une hypothĂšse de puits 95 MtCO2e diffĂšrent peu de celles-ci, sauf pour ThreeME.
La courbe correspondant au modĂšle IMACLIM reprĂ©sente la version myope, la version avec anticipations parfaites sur la valeur carbone ne permet pas dâĂ©tablir cette courbe.
* La neutralitĂ© carbone correspond ici Ă lâobjectif de rĂ©duction des Ă©missions dâorigine Ă©nergĂ©tique compatible avec des hypothĂšses de puits comprises entre 75 MtCO2e et 95 MtCO2e.
Source : calcul des auteurs à partir des résultats de simulation des modÚles
La prospective technologique 1.2.
Des exercices de prospective technologique sont conduits Ă lâĂ©chelle mondiale notamment par lâAgence internationale de lâĂ©nergie (AIE), pour ce qui concerne les technologies liĂ©es Ă la production et lâusage de lâĂ©nergie, ou au niveau national dans plusieurs pays, notamment au Royaume-Uni, en Allemagne et en France dans le cadre de la prĂ©paration de la StratĂ©gie nationale bas carbone (SNBC). Les exercices permettent dâapprĂ©cier les dates dâapparition probables des diffĂ©rentes technologies de dĂ©carbonation, leur vitesse de dĂ©ploiement et lâĂ©volution de leurs coĂ»ts â et in fine les
0 âŹ
500 âŹ
1 000 âŹ
1 500 âŹ
2 000 âŹ
2 500 âŹ
3 000 âŹ
0% 20% 40% 60% 80% 100%
Vale
ur c
arbo
ne (e
n âŹ2
016/
tCO
ÂČe)
Emissions brutes d'origine énergétique (en % de leur niveau de 1990) TIMES POLES IMACLIMTRHEEME NEMESIS Facteur 4
Facteur 4 Neutralité*
Chapitre 3 Résultats des différents exercices de prospective
FRANCE STRATĂGIE 99 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
prix de bascule (switching prices) des usages carbonés vers des usages décarbonés (voir encadré 7 ci-dessous).
Ces Ă©tudes prospectives sur les technologies disponibles servent Ă identifier les technologies marginales les plus coĂ»teuses nĂ©cessaires Ă la dĂ©carbonation profonde des activitĂ©s humaines. Ă lâhorizon 2050, la valeur carbone doit logiquement reflĂ©ter le coĂ»t probable des technologies structurantes les plus chĂšres pour atteindre lâambition.
Le tableau ci-dessous prĂ©sente, Ă partir de sources variĂ©es, des coĂ»ts d'abattement associĂ©s Ă quelques technologies structurantes pour les Ă©missions dâorigine Ă©nergĂ©tique. DâaprĂšs ces rĂ©sultats, un nombre important de technologies pourrait ĂȘtre enclenchĂ© Ă moins de 100 âŹ/tCO2e dâici Ă 2050. Les technologies permettant dâĂ©largir de façon significative le potentiel dâabattement, telles que les technologies « power to X », affichent des coĂ»ts plus Ă©levĂ©s, compris entre 300 ⏠et 600 ⏠par tonne de CO2e abattue.
Tableau 9 â CoĂ»ts dâabattement associĂ©s Ă quelques technologies structurantes pour les Ă©missions dâorigine Ă©nergĂ©tique
Technologie Coût par
tCO2 Source
Combustion gaz naturel + CSC Inclut 10 $/t pour transport-stockage 40-73 âŹ/t IEAGHG
2017 Technical Report, Overview Book
ĂlectricitĂ© gaz ou charbon + CSC < 100 âŹ/t AIE 2017 AIE ETP 2017, figure
6.16
Cimenterie = capture CO2
PremiĂšre fourchette avec oxy-combustion Seconde fourchette avec post-combustion
55-70 $/t AIE 2018
Technology Roadmap Low-Carbon Transition in the Cement Industry
90 -150 $/t
Acierie + capture CO2 60-80 $/t AIE 2011 Technology Roadmap CCS in Industrial Applications
ĂlectricitĂ© biomasse + CSC
Centrale Ă©lectrique biomasse = capture CO2, avec Ă©missions nettes nĂ©gatives de â 75 g/kWh 250 $/t AIE 2017 AIE ETP 2017, figure
6.16
H2 + capture HydrogĂšne fabriquĂ© par vapo-reformage = CSC 47-70 âŹ/t IEAGHG 2017
Technical Report février 2017
Power to gas H2 Ă©lectrolytique = capture de CO2 pour formation combustible gazeux ou liquide
307 âŹ/t
DENA 2018
Deutsche Energie Agentur Leitstudie. Impulse fĂŒr die Gestaltung des Energie systems bis 2050 Integrierte Energiewende
Power to liquid 311 âŹ/t
Capture CO2 air Capture du CO2 directe dans lâair (DAC) 85 âŹ/t**
Power to gas H2 par Ă©lectrolyse puis mĂ©thanation pour usage chauffage (substitute gaz naturel) 570 âŹ/t** Agora
Energie-wende
Agora SynKost Study et FVVH1086 Renewables in Transport 2050 â Kraftstoffstudie II
Power to liquid H2 par Ă©lectrolyse puis transformation en carburant pour mobilitĂ© (substitut pĂ©trole) 470 âŹ/t**
* CoĂ»t cible par tonne de CO2 capturĂ©e, accessibles Ă 5-10 ans pour certains, dâici 2040-2050 pour dâautres.
** Calcul Ă partir de donnĂ©es Agora Energiewende et des hypothĂšses sur le coĂ»t de lâĂ©lectricitĂ© (80âŹ/MWh), un Ă©lectrolyseur utilisĂ© 8 000 h/an, absence de stockage de H2.
Source : contribution de F. Dassa et J.-M. Trochet, EDF (voir Compléments)
La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 100 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
RĂ©duire les Ă©missions dâorigine non Ă©nergĂ©tique dans le secteur agricole de 33 % par rapport Ă leur niveau de 1990, câest-Ă -dire atteindre lâobjectif prĂ©vu pour 2030, nĂ©cessiterait de mobiliser des technologies dont les coĂ»ts dâabattement seraient de lâordre de 250 âŹ/tCO2e1 Ă 500 âŹ/tCO2e2. Lâatteinte de lâobjectif â 50 % sur le secteur par rapport aux Ă©missions de 1990 devrait donc impliquer des coĂ»ts encore supĂ©rieurs.
Pour lâensemble des secteurs, les coĂ»ts dâabattement liĂ©s aux technologies ne reprĂ©sentent que des coĂ»ts directs, sous lâhypothĂšse dâune utilisation optimale de ces technologies, et nâintĂšgrent pas les contraintes associĂ©es Ă leur dĂ©ploiement : modification du systĂšme productif, rĂ©allocations sectorielles, reconversions et transitions professionnelles, effets de tension sur ces technologies si elles devaient ĂȘtre utilisĂ©es de façon intensive. La prise en compte de ces contraintes et des coĂ»ts de transition pourrait accroĂźtre, au vu des rĂ©sultats des modĂšles, ces coĂ»ts directs de lâordre de 30 %.
Au total, la commission retient lâhypothĂšse quâavec une plage de valeur tutĂ©laire de 600 Ă 900 âŹ/tCO2e en fin de pĂ©riode, il est possible de rentabiliser un portefeuille de technologies structurantes pour parvenir Ă lâobjectif ZEN. Ces niveaux de coĂ»t sont bien entendu sujets Ă de grandes incertitudes et par prĂ©caution ne supposent pas lâapparition dâune technologie de rupture caractĂ©risĂ©e Ă la fois par un faible coĂ»t et un potentiel Ă©levĂ©.
EncadrĂ© 7 â Certains secteurs sont dĂ©pendants de technologies aujourdâhui non matures
Les exercices de veille technologique font ressortir trois grands enseignements.
PrĂšs de la moitiĂ© des rĂ©ductions dâĂ©missions de GES pourra ĂȘtre rĂ©alisĂ©e en sâappuyant sur des technologies dont le coĂ»t dâabattement associĂ© est infĂ©rieur Ă 250 âŹ/tCO2e.
Un grand nombre de solutions peuvent ĂȘtre dĂ©ployĂ©es dĂšs aujourdâhui Ă des coĂ»ts trĂšs limitĂ©s, notamment dans le secteur du bĂątiment, de la production dâĂ©nergie mais aussi dans lâindustrie et lâagriculture. Pour ces solutions, seule la saturation des filiĂšres pourrait ralentir leur dĂ©ploiement.
1 Technologie 7A : modification de lâalimentation animale par le remplacement des sucres par des graisses insaturĂ©es et utilisation dâadditifs dans lâalimentation des ruminants de sorte Ă rĂ©duire la teneur en protĂ©ines dans les rations. 2 Technologie 4C : introduction de bandes enherbĂ©es qui jouent un rĂŽle de tampon. Voir Pellerin et al. (2017), « Identifying cost-competitive greenhouse gas mitigation potential of French agriculture », Environmental Science & Policy, 77, p.130-139.
Chapitre 3 Résultats des différents exercices de prospective
FRANCE STRATĂGIE 101 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
La dĂ©carbonation en profondeur de certains secteurs dĂ©pend en revanche de technologies aujourdâhui non matures avec des projections de coĂ»t dâabattement associĂ© Ă ces technologies qui restent trĂšs Ă©levĂ©es mĂȘme Ă lâhorizon 2050 (supĂ©rieures Ă 500 âŹ/tCO2e).
Le coĂ»t de dĂ©ploiement des technologies non matures reste aujourdâhui entourĂ© dâincertitudes importantes et varie selon les sources. Le tableau ci-dessous, largement inspirĂ© des travaux de lâAIE, propose quelques ordres de grandeur des coĂ»ts dâabattement directement liĂ©s aux nouvelles technologies de dĂ©carbo-nation. Ces coĂ»ts directs ne tiennent pas compte des coĂ»ts sectoriels et macroĂ©conomiques liĂ©s Ă leur dĂ©ploiement Ă grande Ă©chelle dans lâĂ©conomie.
Figure 27 â CoĂ»ts de dĂ©ploiement de quelques technologies
Sources : ordres de grandeur dĂ©finis par la commission Ă partir de diverses sources : Carbone 4 (2018), « Comment dĂ©carboner en profondeur et sans tarder le bĂątiment, les transports et lâindustrie ? » ; AIE (2017), « Energy Technology Perspectives 2017 » ; Pellerin et al. (2013), « Quelle contribution de l'agriculture française Ă la rĂ©duction des Ă©missions de gaz Ă effet de serre ? Potentiel d'attĂ©nuation et coĂ»t de dix actions techniques », Rapport final, INRA
La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 102 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
La sensibilité des résultats aux puits, aux comportements 1.3.et aux coûts des technologies
Les hypothĂšses structurantes dans lâĂ©valuation de la trajectoire de la valeur carbone ont fait lâobjet de tests de sensibilitĂ© :
â le montant effectif des Ă©missions Ă abattre, liĂ© en particulier aux hypothĂšses de puits UTCF ;
â le contexte international de la lutte contre le changement climatique ;
â les comportements des acteurs ;
â le progrĂšs technique.
Cette section présente les résultats de ces analyses de sensibilité.
La sensibilitĂ© de la valeur Ă lâobjectif dâabattement
La sensibilité aux puits UTCF
Les simulations ont toutes Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©es sous au moins deux hypothĂšses de potentiel de puits UTCF, lâune Ă 95 MtCO2e et lâautre Ă 75 MtCO2e1. Dans chaque scĂ©nario, la capacitĂ© des puits monte progressivement en charge jusquâĂ atteindre son potentiel maximal en 2050. Le tableau 3 reporte les Ă©carts relatifs de valeur carbone obtenus en fonction de ces hypothĂšses de puits. Ă lâhorizon 2030, les Ă©carts de capacitĂ© des puits restent modĂ©rĂ©s entre les scĂ©narios et la variabilitĂ© de la valeur carbone en fonction de cette hypothĂšse reste faible, de lâordre de +/-5 %. Elle augmente ensuite Ă mesure que les Ă©carts de puits se creusent : elle atteindrait un ordre de grandeur moyen de +/- 10 % Ă 20 % en 2040. Au-delĂ de 2040, la dispersion des modĂšles renvoie Ă des Ă©carts trĂšs variables et peu robustes. Toutefois, une sensibilitĂ© de lâordre de +/- 20 %, voire supĂ©rieure, apparaĂźt trĂšs probable.
1 85 MtCO2e pour IMACLIM.
Chapitre 3 Résultats des différents exercices de prospective
FRANCE STRATĂGIE 103 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
Tableau 10 â Variation de la valeur carbone en fonction des potentiels probables de puits
2030 2035 2040
Technico-Ă©conomiques
TIMES 6 % 1 % 11 %
POLES 16 % 17 % 19 %
Macroéconomiques sectoriels
IMACLIM* 0 % 0 % 0 %
ThreeME* 0 % 28 % 51 %
NEMESIS 0 % 4 % 9 %
Lecture : ce tableau donne lâampleur des variations relative de la valeur carbone autour dâune valeur centrale pour des hypothĂšses de puits UTCF allant de 75 MtCO2e Ă 95 MtCO2e. La valeur carbone obtenue par le modĂšle POLES en 2040 peut varier de +/-19 % autour de la valeur centrale (85 MtCO2e) en fonction des potentiels de puits UTCF (de +/-10 MtCO2e autour de 85 MtCO2e). Les rĂ©sultats de modĂšles Ă©tant considĂ©rĂ©s comme pertinents seulement jusquâĂ lâhorizon 2040, les rĂ©sultats pour les dates ultĂ©rieures ne sont pas prĂ©sentĂ©s.
* Les variations nulles affichĂ©es par le modĂšle IMACLIM sont biaisĂ©es par rapport aux autres modĂšles par le mĂ©canisme dâanticipation qui reporte ces variations en fin de pĂ©riode. Lâimportance des Ă©carts de valeurs dĂ©duits des simulations de ThreeME sous diffĂ©rentes hypothĂšses de puits sont par ailleurs difficilement explicables.
La sensibilité des résultats au contexte international de la lutte contre le changement climatique
Le degré de mobilisation et le niveau de coopération internationale dans la lutte contre le réchauffement climatique influence la valeur carbone française via au moins quatre canaux :
â la possibilitĂ© de rĂ©partition des efforts nationaux de maĂźtrise des Ă©missions (via notamment les effets dâun systĂšme international de permis dâĂ©missions et dâexploitation de puits de carbone Ă©trangers) ;
â le prix des ressources et en particulier des Ă©nergies fossiles ;
â les termes de lâĂ©change et la compĂ©titivitĂ© du pays ;
â et lâinnovation.
Lâanalyse de la sensibilitĂ© des rĂ©sultats aux hypothĂšses faites sur ce contexte international a donc Ă©tĂ© dĂ©composĂ©e de sorte Ă identifier la sensibilitĂ© propre Ă chacun de ces canaux.
La possibilité de coopération internationale
Une action coordonnĂ©e des diffĂ©rents pays permet de rĂ©partir de façon efficace les efforts en exploitant en prioritĂ© les gisements Ă faible coĂ»t. Une partie des actions françaises de rĂ©duction des Ă©missions pourrait potentiellement sâappuyer sur des
La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 104 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
gisements Ă©trangers. Il serait dans ce cas possible de compenser certaines Ă©missions de GES sur le sol français par des projets de rĂ©duction dâĂ©missions Ă lâĂ©tranger, plutĂŽt que dâĂ©liminer la totalitĂ© des Ă©missions produites sur notre territoire si le coĂ»t marginal dâabattement sâavĂ©rait trĂšs Ă©levĂ©.
Si un club de pays dĂ©cidait dâorganiser une meilleure intĂ©gration des efforts, la valeur carbone pourrait donc ĂȘtre modĂ©rĂ©e, soit parce quâon pourrait bĂ©nĂ©ficier de puits Ă©trangers, soit parce quâon pourrait acheter des permis plutĂŽt que de rĂ©aliser les efforts les plus coĂ»teux1. Prendre en compte une telle possibilitĂ© revient alors Ă postuler des puits de carbone plus Ă©levĂ©s. Ă titre illustratif, un mĂ©canisme de flexibilitĂ© permettant de recourir Ă des puits Ă©trangers pour 10 MtCO2e rĂ©duirait la valeur de lâordre de 10 %.
Le prix des Ă©nergies fossiles
Un contexte mondial oĂč les efforts pour limiter le rĂ©chauffement climatique seraient plus importants aurait pour consĂ©quence de rĂ©duire la demande pour les Ă©nergies fossiles, donc leur prix. Or, un prix plus faible de ces Ă©nergies accroĂźt les incitations Ă les utiliser davantage. Cet effet rebond nĂ©cessite dâappliquer des actions dâabattement plus importantes en retour. Les hypothĂšses de rĂ©fĂ©rence qui ont Ă©tĂ© retenues sur les prix des Ă©nergies fossiles reposent sur le scĂ©nario central de lâAIE, correspondant au seul respect des engagements nationaux2, engagements insuffisants pour maintenir le rĂ©chauffement climatique sous les 2 °C. Il est donc probable que dans un contexte oĂč le monde intensifierait son action dans la lutte contre le rĂ©chauffement, les prix effectifs des Ă©nergies fossiles seraient maintenus Ă des niveaux plus faibles que ceux envisagĂ©s dans ce scĂ©nario. Des variantes ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©es avec les modĂšles TIMES et NEMESIS en retenant les hypothĂšses de prix des Ă©nergies fossiles du scĂ©nario de lâAIE dans lequel les efforts mondiaux permettent de limiter le rĂ©chauffement sous les 2 °C3.
Le passage dâune hypothĂšse de prix du pĂ©trole Ă 91 ⏠en 2030 et 105 ⏠en 2040 Ă une hypothĂšse de prix Ă 62 ⏠en 2030 et 58 ⏠en 2040 â soit une rĂ©duction de 30 % Ă 45 % â conduirait Ă une hausse de la valeur du carbone de 3 Ă 15 ⏠en 2030 et de 34 Ă 50 ⏠en 2040 (voir tableau 11). La valeur du carbone apparaĂźt donc relativement peu sensible aux incertitudes sur le prix des Ă©nergies fossiles, avec des variations infĂ©rieures Ă 10 %.
Outre la baisse du prix des énergies fossiles, une action mondiale renforcée pourrait aussi entraßner des tensions sur le marché des matiÚres premiÚres nécessaires à la production des technologies bas carbone et enchérir leur prix. Ce second mécanisme
1 Tirole J. (2009), Politique climatique, une nouvelle architecture internationale, rapport n° 87 pour le Conseil dâanalyse Ă©conomique. 2 ScĂ©nario dĂ©nommĂ© « New policies scenario » par lâAIE. 3 ScĂ©nario dĂ©nommĂ© « Sustainable development scenario » par lâAIE.
Chapitre 3 Résultats des différents exercices de prospective
FRANCE STRATĂGIE 105 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
nâest pas Ă©valuĂ© spĂ©cifiquement dans cette analyse et viendrait amplifier la hausse de la valeur du carbone induite par la baisse du prix du pĂ©trole.
Tableau 11 â Augmentation de la valeur carbone suite Ă une prise en compte d'hypothĂšses de prix des Ă©nergies fossiles
2030 2040
TIMES Ăcart en ⏠+ 3 ⏠à 20 ⏠+ 34 âŹ
Ăcart en % + 1 % Ă 7 % + 7 % Ă 9 %
NEMESIS Ăcart en ⏠+ 14 ⏠+ 50 âŹ
Ăcart en % + 7 % Ă 8 % + 6 % Ă 8 %
Prix du pétrole
Prix scĂ©nario New policies 91 ⏠105 âŹ
Prix scĂ©nario Sustainable development 62 ⏠58 âŹ
Ăcart en ⏠â 29 ⏠â 47 âŹ
Ăcart en % â 32 % â 45 %
Note : comparaison de la valeur carbone obtenue selon que les hypothĂšses de prix des Ă©nergies fossiles sont celles du scĂ©nario « New policies » ou celles du scĂ©nario « Sustainable development » de lâAIE. Les Ă©carts prĂ©sentĂ©s sont dĂ©finis de la façon suivante :
Ăcarts en euros : VC (Sustainable development) â VC(New policies)
Ăcarts en pourcentage : [VC (Sustainable development) â VC(New policies)]/ VC(New policies)
Les écarts varient selon les scénarios de puits.
La compétitivité
Le troisiĂšme canal passe par le biais des variations de compĂ©titivitĂ©. Une action internationale renforcĂ©e aurait pour effet de protĂ©ger la compĂ©titivitĂ© des secteurs exposĂ©s français et de rĂ©duire aussi le risque de « fuites » de carbone. Câest un enjeu Ă©conomique essentiel mais qui aurait peu dâincidence sur la valeur tutĂ©laire du carbone, lâeffort pour atteindre le « zĂ©ro Ă©missions nettes » Ă©tant globalement inchangĂ©.
Lâinnovation
Lâinnovation est probablement le vecteur dâinfluence du contexte international sur la valeur tutĂ©laire du carbone le plus important. En effet, une mobilisation mondiale forte permettrait dâĂ©largir la base des efforts de R & D, dâaccroĂźtre la probabilitĂ© de dĂ©couvertes et de dĂ©ployer les innovations Ă grande Ă©chelle, avec Ă la clĂ© des baisses de coĂ»t significatives.
La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 106 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
La sensibilité des résultats aux prospectives technologiques
Dans un scĂ©nario de coopĂ©ration internationale forte permettant de mettre effectivement en Ćuvre lâAccord de Paris avec un objectif de limiter le rĂ©chauffement climatique sous les 2 °C, voire 1,5 °C, les technologies dĂ©carbonĂ©es devraient ĂȘtre dĂ©ployĂ©es Ă grande Ă©chelle et bĂ©nĂ©ficier de baisses de coĂ»ts dâautant plus importantes que le taux dâapprentissage qui leur est associĂ© est Ă©levĂ©. Ce « taux dâapprentissage » ou « learning rate » (LR) traduit la baisse de coĂ»t associĂ©e Ă chaque doublement du nombre cumulĂ© dâĂ©quipements produits. Il est en gĂ©nĂ©ral compris entre 5 % et 25 %1 et reflĂšte simultanĂ©ment un effet dâĂ©chelle (amortissement de coĂ»ts fixes de R & D) et des effets dâapprentissage (plus grande efficacitĂ© de la production).
La valeur tutĂ©laire du carbone dĂ©pend pour une large part du rythme de dĂ©ploiement des technologies â ou plus gĂ©nĂ©ralement des systĂšmes technologiques. La figure 28 dĂ©crit de façon stylisĂ©e la dĂ©termination dâune trajectoire de valeur tutĂ©laire et, corrĂ©lativement, la mobilisation des technologies par ordre de mĂ©rite en fonction des Ă©missions Ă abattre et du coĂ»t des technologies disponibles T1, T2 et T3 (figure de gauche) : lorsque la valeur tutĂ©laire du carbone devient supĂ©rieure au coĂ»t dâabattement liĂ© Ă la technologie Ti, celle-ci peut ĂȘtre dĂ©ployĂ©e. La trajectoire de rĂ©duction des Ă©missions est dĂ©terminĂ©e par le dĂ©ploiement de ces technologies (figure de droite).
Dans ce contexte, une innovation peut avoir deux types dâimpacts :
â elle peut permettre de baisser la trajectoire de valeur tutĂ©laire compatible avec le respect du mĂȘme budget (ou la mĂȘme trajectoire) ;
â elle peut Ă©galement permettre de dĂ©ployer plus tĂŽt la technologie concernĂ©e.
Lâanalyse de sensibilitĂ© prĂ©sentĂ©e ici repose sur deux types dâĂ©tudes de cas : celui des technologies intermĂ©diaires ou de « mi-parcours » ; celui des technologies aujourdâhui non matures dites « ultimes » car elles permettraient de franchir la « derniĂšre marche » vers la dĂ©carbonation de lâĂ©conomie.
Cas des technologies « mi-parcours » ou des innovations incrémentales
La figure 28 illustre lâimpact dâune baisse de coĂ»t sur une technologie qui devra ĂȘtre dĂ©ployĂ©e à « mi-parcours » : la technologie en question (T2) pourrait ĂȘtre dĂ©ployĂ©e plus tĂŽt, et les Ă©missions ĂȘtre rĂ©duites plus prĂ©cocement. De fait les technologies plus
1 Les modules des panneaux photovoltaĂŻques ont bĂ©nĂ©ficiĂ© dâun taux dâapprentissage supĂ©rieur Ă 20 % sur les trente derniĂšres annĂ©es, lâĂ©nergie Ă©olienne dâun taux autour de 15 %. Pour une revue des taux dâapprentissage voir par exemple Rubin et al. (2015), « A review of learning rates for electricity supply technologies », Energy Policy, vol. 86, novembre, p. 198-218..
Chapitre 3 Résultats des différents exercices de prospective
FRANCE STRATĂGIE 107 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
coĂ»teuses (T3) peuvent ĂȘtre dĂ©ployĂ©es plus tardivement, tout en respectant le mĂȘme budget carbone. La trajectoire de valeur tutĂ©laire peut alors ĂȘtre abaissĂ©e en consĂ©quence, lâeffet sur la valeur de fin de pĂ©riode restant dâampleur modĂ©rĂ©e.
LâĂ©tude de cas, dĂ©taillĂ©e dans le ComplĂ©ment 11 au rapport1, porte sur le secteur des transports et prĂ©sente lâimpact de diffĂ©rents scĂ©narios mondiaux sur la rentabilitĂ© relative de trois technologies concurrentes : le vĂ©hicule Ă moteur Ă combustion interne (ICE), le vĂ©hicule Ă©lectrique Ă batterie (BEV) et le vĂ©hicule Ă pile Ă combustible hydrogĂšne (FCEV). Lâanalyse de sensibilitĂ© rĂ©alisĂ©e consiste Ă comparer les valeurs de bascule des technologies dĂ©carbonĂ©es selon les hypothĂšses i) de dĂ©ploiement de ces technologies au niveau mondial et ii) de taux dâapprentissage compris entre 15 % et 25 %. Elle montre que, pour une valeur du carbone donnĂ©e, un scĂ©nario mondial favorable (Beyond 2 °C) combinĂ© Ă un taux dâapprentissage Ă©levĂ© (25 %) conduit Ă rendre les technologies non Ă©mettrices de GES (BEV et FCEV) moins coĂ»teuses que la technologie Ă©mettrice (ICE) bien plus tĂŽt quâun scĂ©nario mondial moins ambitieux (NDC) combinĂ© Ă un taux dâapprentissage modĂ©rĂ© (15 %).
Les effets dâapprentissage peuvent donc conduire, notamment dans le cas dâun scĂ©nario international favorable, Ă rĂ©duire significativement (de plus de moitiĂ© dans cet exemple) la valeur carbone nĂ©cessaire au dĂ©clenchement des technologies propres dans ce secteur.
Cas dâune technologie reprĂ©sentative des coĂ»ts dâabattement « ultimes » ou dâune innovation de rupture
Lâimpact dâune innovation de rupture est dâautant plus important que celle-ci porte sur les technologies les moins matures, les plus coĂ»teuses et recĂ©lant un potentiel dâabattement important.
Son impact sur la valeur tutĂ©laire du carbone dĂ©pend de multiples facteurs : lâampleur de la rĂ©duction des coĂ»ts quâelle permet bien sĂ»r, mais aussi le potentiel de la technologie concernĂ©e et la date Ă laquelle elle apparaĂźt. Lâimpact dâun progrĂšs technique de ce type conduit Ă dĂ©ployer plus tĂŽt la technologie « ultime » (T3) et, si cette baisse de coĂ»t est connue suffisamment tĂŽt, Ă Ă©taler davantage les efforts prĂ©cĂ©dents (T1 et T2) (voir figure 30, gauche), le tout en respectant le mĂȘme budget carbone (figure 30, droite).
Contrairement au cas prĂ©cĂ©dent, lâinnovation sur les technologies ultimes rend possible une baisse beaucoup plus franche de la valeur tutĂ©laire du carbone en fin de pĂ©riode, ces technologies reprĂ©sentant un potentiel dâabattement Ă©levĂ© et un diffĂ©rentiel de prix
1 Voir le Complément 11, « Valeur tutélaire du carbone et environnement international de décarbo-nation » par Patrick Criqui.
La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 108 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
initial important avec les autres technologies. Des baisses dâun quart, voire dâun tiers, de la valeur Ă lâhorizon 2050 seraient ainsi envisageables dans un contexte favorable de coopĂ©ration internationale plus intense de lutte contre le changement climatique.
Lâordre de grandeur possible est illustrĂ© dans lâencadrĂ© ci-dessous. Cette Ă©tude de cas Ă©value le coĂ»t dâabattement associĂ© Ă la technologie « power to gas » permettant le stockage de lâĂ©nergie selon les diffĂ©rents scĂ©narios plausibles de dĂ©ploiement de cette technologie identifiĂ©s par des Ă©tudes de prospective technologique et selon une fourchette de taux dâapprentissage de 5 % Ă 20 %.
EncadrĂ© 8 â Illustration prospective pour une technologie non mature : « power to gas »
Selon des hypothĂšses « de meilleure technologie disponible » actuelles, il est possible de fabriquer aujourd'hui du mĂ©thane Ă partir d'hydrogĂšne Ă©lectrolytique (et d'Ă©lectricitĂ© dĂ©carbonĂ©e) pour 207 âŹ/MWh gaz (ordre de grandeur), soit presque dix fois plus cher que le prix de gros du gaz naturel aujourd'hui.
Le coĂ»t implicite actuel de la tonne de CO2 Ă©vitĂ©e grĂące Ă cette technologie serait donc de 770 âŹ.
En 2050, selon les scĂ©narios de coopĂ©ration internationale (hypothĂšses conjointes de volumes dĂ©ployĂ©s et de taux dâapprentissage) le coĂ»t dâabattement liĂ© Ă cette technologie pourrait ĂȘtre largement rĂ©duit.
Dans le cas dâun scĂ©nario 3 °C insuffisamment coopĂ©ratif et conservateur sur le progrĂšs technique (taux dâapprentissage de 5 %), le coĂ»t associĂ© des Ă©missions de CO2 Ă©vitĂ©es serait proche de 600 âŹ/tCO2e (les Ă©quipements, Ă©lectrolyseur et mĂ©thaneur, seraient 25 % moins chers, avec un coĂ»t total de 170 âŹ/MWh).
Dans un scĂ©nario 2 °C coopĂ©ratif, impliquant un dĂ©ploiement plus large de la technologie, et sous des hypothĂšses optimistes sur le progrĂšs technique (taux dâapprentissage de 20 %), le coĂ»t associĂ© des Ă©missions de CO2 Ă©vitĂ©es pourrait en revanche ĂȘtre abaissĂ© Ă 470 âŹ/tCO2e (le prix des Ă©quipements pouvant ĂȘtre abaissĂ© de 75 %).
Sources : calculs rĂ©alisĂ©s Ă partir de donnĂ©es issues de Frontier Economics Ltd 2018, « The Future Cost of Electricity-Based Synthetic Fuels », commissioned by Agora Energiewende et Agora Verkehrswende ; FVV 2016, « Renewables in Transport 2050 », Forchungsvereinigung Verbrennungskraft-maschinen e. V. ; et dâhypothĂšses pour le coĂ»t de lâĂ©lectricitĂ© et le taux dâactualisation (4,5 %).
Chapitre 3 Résultats des différents exercices de prospective
FRANCE STRATĂGIE 109 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
Figure 28 â DĂ©ploiement des technologies et rĂ©duction des Ă©missions dans le scĂ©nario initial
Ordre de dĂ©ploiement des technologies Ămissions de GES
Source : France Stratégie, les auteurs
Figure 29 â Impact dâune innovation sur une technologie intermĂ©diaire Ordre de dĂ©ploiement des technologies Ămissions de GES
Source : France Stratégie, les auteurs
Figure 30 â Impact dâune innovation sur les technologies « ultimes » Ordre de dĂ©ploiement des technologies Ămissions de GES
Note : E0 + E1 + E2 = B oĂč B est le budget carbone pour la France, identique dans les trois cas.
Source : France Stratégie, les auteurs
La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 110 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
La sensibilité des résultats aux comportements des agents
Les modÚles macroéconomiques utilisés sont des modÚles estimés ou calibrés sur les comportements présents et passés des agents économiques. Ils ne peuvent donc par construction anticiper correctement les changements de comportement des agents face à un défi de grande ampleur. Or, il est possible que par une prise de conscience sociétale des enjeux de la lutte contre le changement climatique et par des actions publiques efficaces de sensibilisation, la sensibilité au prix relatif devienne plus forte.
Des tests de sensibilitĂ© ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©s avec le modĂšle NEMESIS en considĂ©rant une augmentation des Ă©lasticitĂ©s de substitution entre les produits Ă©nergĂ©tiques, câest-Ă -dire une augmentation de la rĂ©activitĂ© des agents Ă©conomiques aux prix relatifs de lâĂ©nergie. Dans ces variantes, les mĂ©nages et les entreprises substituent plus vite des Ă©nergies dĂ©carbonĂ©es aux Ă©nergies fossiles lorsque les prix relatifs se modifient. Des variantes avec un doublement de ces Ă©lasticitĂ©s et avec une augmentation de 50 % de celles-ci sont considĂ©rĂ©es. Pour un doublement :
â au niveau des mĂ©nages, lâĂ©lasticitĂ© de substitution entre sources dâĂ©nergie carbonĂ©es et dĂ©carbonĂ©es au niveau des mĂ©nages est approximativement augmentĂ©e de Ă 0,4 Ă 0,8 ;
â au niveau des entreprises, lâĂ©lasticitĂ© de substitution entre lâĂ©lectricitĂ© et les autres Ă©nergies est augmentĂ©e de 0,7 Ă 1,4 et, au sein des autres Ă©nergies, lâĂ©lasticitĂ© de substitution est accrue de 0,5 Ă 1.
Les tests de sensibilitĂ© suggĂšrent quâune telle augmentation de la sensibilitĂ© au prix des Ă©nergies carbonĂ©es permettrait de rĂ©duire de 20 % Ă 30 % la valeur carbone pour un doublement des Ă©lasticitĂ©s de substitution et de 15 % pour une augmentation de 50 % de ces Ă©lasticitĂ©s (voir tableau 12).
Tableau 12 â SensibilitĂ© de la valeur carbone au changement de comportement des agents
Impact sur la valeur tutélaire
Doublement des Ă©lasticitĂ©s Baisse dâun tiers de la valeur
ĂlasticitĂ©s augmentĂ©es de 50 % Baisse dâenviron 15 % de la valeur
Source : calcul des auteurs Ă partir des simulations du modĂšle NEMESIS. Le changement de comportement considĂ©rĂ© correspond Ă une augmentation de la sensibilitĂ© des agents aux prix de lâĂ©nergie. Sa mise en Ćuvre est traduite par un doublement ou une augmentation de 50 % des Ă©lasticitĂ©s de substitution entre les produits Ă©nergĂ©tiques
Chapitre 3 Résultats des différents exercices de prospective
FRANCE STRATĂGIE 111 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
SynthĂšse du champ des incertitudes
Les sensibilitĂ©s des rĂ©sultats aux diffĂ©rentes sources dâincertitudes analysĂ©es sont rĂ©capitulĂ©es dans le tableau suivant.
Tableau 13 â SynthĂšse des tests de sensibilitĂ©
Variante Impact sur la valeur tutélaire
2030 2040 2050
Puits UTCF / achat de permis Ă lâĂ©tranger
+/- 10 MtCO2e de puits autour de l'hypothĂšse centrale de 85 MtCO2e
Ăcart de lâordre de +/- 5 % autour de la valeur centrale
Ăcart de lâordre de +/- 10 Ă 20 % autour de la valeur centrale
Ăcart probable de +/- 20% autour de la valeur centrale
Prix des Ă©nergies fossiles
Prise en compte du scĂ©nario sustainable development de lâAIE (-47 âŹ, soit une division par deux en 2040 par rapport au scĂ©nario central New policies)
Augmentation de la valeur tutĂ©laire de lâordre de 6 % Ă 8 %
Compétitivité Pas de variante modélisée Impact sur les variables macroéconomiques non sur la valeur tutélaire
ProgrĂšs technologique
Ătudes de cas hors modĂšle. Prise en compte de scĂ©narios alternatifs avec des taux dâapprentissage variant de 5 % Ă 20 % sur les technologies marginales et des dĂ©ploiements technologiques internationaux plus ou moins intensifs
Impact faible Impact modéré
Impact Ă©levĂ© Baisse possible de plus dâun tiers de la valeur tutĂ©laire par rapport aux hypothĂšses centrales
Comportement des agents
Augmentation de 50 % des élasticités de substitution entre les énergies carbonées et décarbonées
La hausse de 50 % des Ă©lasticitĂ©s de substitution entre les Ă©nergies montre une baisse dâenviron 15 % de la valeur tutĂ©laire
Source : France Stratégie, les auteurs
Lâinvestissement constitue lâenjeu principal 2.dâune transition rĂ©ussie vers la neutralitĂ© carbone
Les Ă©volutions sectorielles 2.1.
La structure des rĂ©ductions par source dâĂ©mission
Si la valeur carbone sâapplique Ă lâensemble des Ă©missions de façon uniforme, les rĂ©ductions dâĂ©missions ne sont pas rĂ©parties de façon proportionnelle entre les sources dâĂ©missions, du fait de possibilitĂ©s dâabattement trĂšs diffĂ©rentes. Tandis que les Ă©missions brutes dâorigine Ă©nergĂ©tique peuvent ĂȘtre quasi intĂ©gralement supprimĂ©es, il est peu probable que celles dâorigine agricole puissent ĂȘtre rĂ©duites de plus de moitiĂ©,
La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 112 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
celles issues des procĂ©dĂ©s industriels de plus des trois quarts et celles liĂ©es au traitement des dĂ©chets de plus des quatre cinquiĂšmes par rapport Ă leur niveau de 1990. Sous des hypothĂšses de puits UTCF allant de 75 MtCO2e Ă 95 MtCO2e, la rĂ©duction totale des Ă©missions brutes pour atteindre la neutralitĂ© nette en 2050 correspondrait donc Ă lâatteinte Ă cet horizon dâun facteur 6 Ă plus de 7 par rapport Ă 1990. Le tableau 14 et la figure 31 prĂ©sentent la rĂ©partition supposĂ©e des efforts pour atteindre la neutralitĂ© carbone par source dâĂ©missions de GES.
Tableau 14 â Les rĂ©ductions dâĂ©missions de GES par source dâĂ©missions
Source dâĂ©missions Ămissions 1990 Ămissions 2030 Ămissions 2050
MtCO2e MtCO2e % des
Ă©missions de 1990
MtCO2e % des
Ă©missions de 1990
Agriculture (hors Ă©nergie) 83 56 67 % 43 52 %
Procédés industriels 67 29 43 % 17 26 %
Traitement des déchets 19 12 63 % 4 21 %
Ănergie 377 214 57 % 11-31 selon les puits
3 %-8 % selon les puits
Total 546 311 57 % 75-95 selon les puits
14 %-17 % selon les puits
Note : les puits correspondent aux puits UTCF.
Source : France StratĂ©gie, calcul des auteurs Ă partir dâinformations fournies par la DGEC, le CGDD et lâINRA
Figure 31 â Les flux dâĂ©missions annuelles par source d'Ă©missions* (en MtCO2e)
* Sous lâhypothĂšse de puits UTCF de 95 MtCO2e.
Source : France StratĂ©gie, calcul des auteurs Ă partir dâinformations fournies par la DGEC, le CGDD et lâINRA.
050
100150200250300350400450500
2015 2030 Horizon 2050Energie (production et usage) Agriculture (hors énergie)Procédés industriels Traitement des déchets
Chapitre 3 Résultats des différents exercices de prospective
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La rĂ©partition sectorielle des efforts de rĂ©duction des Ă©missions dâorigine Ă©nergĂ©tique
En 2015, les Ă©missions de GES liĂ©es Ă lâutilisation et la production de lâĂ©nergie reprĂ©sentaient environ 70 % des Ă©missions totales de GES hors UTCF (voir figure 32), soit 317 MtCO2e. Le secteur des transports en est le plus gros Ă©metteur et compte pour 38 % des Ă©missions Ă©nergĂ©tiques, soit plus du quart des Ă©missions totales de GES. Viennent ensuite le bĂątiment (rĂ©sidentiel et tertiaire) et lâindustrie manufacturiĂšre, qui reprĂ©sentent chacun environ 15 % des Ă©missions totales (soit plus de 20 % des Ă©missions Ă©nergĂ©tiques) puis le secteur de production dâĂ©nergie pesant 12 % des Ă©missions totales (18 % des Ă©missions dâorigine Ă©nergĂ©tique).
Atteindre la neutralitĂ© carbone en 2050 impliquerait de rĂ©duire les Ă©missions dâorigine Ă©nergĂ©tique Ă seulement 11 Ă 31 MtCO2 en 2050 selon les hypothĂšses de puits UTCF, soit une diminution de 90 % Ă plus de 97 % par rapport Ă 2016. Cette dĂ©carbonation profonde de lâĂ©nergie, tant au niveau de lâusage que de la production, implique des rĂ©ductions significatives dans tous les secteurs (voir figure 33).
âą Le secteur de production dâĂ©nergie pourrait atteindre des Ă©missions nĂ©gatives, Ă lâaide notamment du dĂ©ploiement de la BioCSC, laquelle permettrait dâabsorber des Ă©missions dâautres secteurs.
⹠Les autres secteurs économiques se décarboneraient tous dans des proportions importantes.
âą En volume, les secteurs du transport et du bĂątiment tertiaire et rĂ©sidentiel concen-treront les plus gros montants dâabattement dâĂ©missions de GES Ă rĂ©aliser.
âą Les dynamiques de dĂ©carbonation sectorielles diffĂšrent fortement selon le modĂšle : certains modĂšles dĂ©carbonent tous les secteurs en parallĂšle, dâautres dĂ©carbonent les secteurs Ă©conomiques successivement (voir figure 34).
La valeur de lâaction pour le climat
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Figure 32 â RĂ©partition des Ă©missions par source en France en 2015
Source : chiffres DGEC, inventaire 2015 et données des modÚles
Figure 33 â La dĂ©carbonation sectorielle des Ă©missions d'origine Ă©nergĂ©tique (moyenne indicative des modĂšles en millions de tonnes de CO2)
Source : calcul des auteurs à partir des données des modÚles
Energie (production
et usage) 69%
Agriculture (hors
Ă©nergie) 17%
Procédés industriels
10%
Traitement des déchets
4%
Transport 38%
BĂątiment 21%
Industrie 20%
Production d'Ă©nergie
18%
Agriculture 3%
-50
0
50
100
150
200
250
300
350
2015 2030 Horizon 2050
Transport BĂątiment Industrie Production d'Ă©nergie Agriculture
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Figure 34 â Contributions sectorielles Ă la rĂ©duction des Ă©missions de CO2 dâorigine Ă©nergĂ©tique (en pourcentage de la rĂ©duction totale)
ModĂšle TIMES ModĂšle POLES
ModĂšle IMACLIM ModĂšle NEMESIS
Source : simulations des modĂšles TIMES, POLES, IMACLIM et NEMESIS
Les grands leviers de convergence vers la neutralité carbone 2.2.
La dĂ©carbonation de lâĂ©conomie française reposera non seulement sur une allocation efficace des actions entre les secteurs mais aussi au sein de chaque secteur :
â sur une combinaison des deux leviers que sont lâamĂ©lioration de lâefficacitĂ© Ă©nergĂ©tique et la dĂ©carbonation de lâĂ©nergie utilisĂ©e ;
â sur des dĂ©penses dâinvestissements permettant de « verdir » le capital dĂ©jĂ en service et de constituer un nouveau capital « vert ».
45% 45% 37%
43% 31%
23%
14%
20%
15% 9% 18%
1% 2%
0%
20%
40%
60%
80%
100%
2030 2040 horizon 2050Transport EnergieRĂ©sidentiel et tertiaire IndustrieAgriculture
37% 38% 39%
19% 15% 14%
30% 30% 29%
13% 17% 17%
0%
20%
40%
60%
80%
100%
2030 2040 horizon 2050Transport Energie
BĂątiment et agriculture Industrie
28% 33% 38%
24% 21% 18%
24% 22% 21%
23% 22% 20%
2% 2% 3%
0%
20%
40%
60%
80%
100%
2030 2040 horizon 2050Transport EnergieRĂ©sidentiel et tertiaire IndustrieAgriculture
20% 32% 35%
15%
21% 24% 38%
28% 23%
22% 15% 15%
5% 3% 3%
0%
20%
40%
60%
80%
100%
2030 2040 horizon 2050Transport EnergieRĂ©sidentiel et tertiaire IndustrieAgriculture
La valeur de lâaction pour le climat
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La neutralitĂ© carbone du systĂšme Ă©nergĂ©tique est rendue possible par les Ă©conomies dâĂ©nergie autant que par la dĂ©carbonation de lâĂ©nergie
Les modĂšles estiment que, pour ĂȘtre efficiente, la baisse des Ă©missions par unitĂ© de PIB Ă lâhorizon 2040 par rapport Ă 2015 devrait ĂȘtre issue (voir figure 35)1 :
â pour moitiĂ© (48 % selon la moyenne des modĂšles) dâune amĂ©lioration de lâefficacitĂ© Ă©nergĂ©tique â dont seulement 20 points appelleraient des mesures additionnelles ;
â et pour lâautre moitiĂ© (52 % sur la moyenne des modĂšles) dâune dĂ©carbonation de lâĂ©nergie â cette dĂ©carbonation Ă©tant presque intĂ©gralement liĂ©e Ă la politique climatique.
Le premier volet, celui de lâefficacitĂ© Ă©nergĂ©tique, se traduit par des changements dâĂ©quipement, de mode de production et de comportements. Le second, celui de la dĂ©carbonation de lâĂ©nergie, se traduit en pratique par un changement du mix Ă©nergĂ©tique rĂ©duisant la part des fossiles en faveur des Ă©nergies renouvelables. Ces deux leviers impliquent lâun et lâautre des investissements importants.
Figure 35 â Part de l'efficacitĂ© Ă©nergĂ©tique et de la dĂ©carbonation de l'Ă©nergie dans le dĂ©couplage des Ă©missions au PIB Ă lâhorizon 2040 par rapport Ă 2015
Lecture : dâaprĂšs le modĂšle IMACLIM, la baisse des Ă©missions par unitĂ© de PIB Ă lâhorizon 2040 par rapport Ă 2015 est issue Ă 61 % dâune dĂ©carbonation de lâĂ©nergie dont 10 points seraient rĂ©alisĂ©s hors politique climatique additionnelle, et Ă 49 % dâune baisse de la consommation dâĂ©nergie. * La demande de services Ă©nergĂ©tiques Ă©tant exogĂšne dans TIMES, la moyenne est calculĂ©e sans prendre en compte ce modĂšle. Source : calcul des auteurs Ă partir des rĂ©sultats de simulation des modĂšles
1 Les rĂ©sultats des modĂšles sont relativement peu dispersĂ©s autour de cette moyenne, Ă lâexclusion du modĂšle TIMES pour lequel cependant la demande de services Ă©nergĂ©tiques est exogĂšne et qui, par consĂ©quent, sous-estime lâimportance de lâefficience Ă©nergĂ©tique.
-23%
17% 10% -2% 0% 6%
91%33% 51%
54% 46% 46%
24%
26%24%
24% 39% 28%
8%
24% 15% 24% 15% 20%
-40%
-20%
0%
20%
40%
60%
80%
100%
120%
140%TIMES POLES IMACLIM THREEME NEMESIS Moyenne*
Décarbonation tendancielle de l'énergie Décarbonation additionnelle de l'énergieEfficacité énergétique tendancielle Efficacité énergétique additionnelle
Chapitre 3 Résultats des différents exercices de prospective
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Des besoins dâinvestissement importants
Les efforts dâinvestissement peuvent ĂȘtre considĂ©rĂ©s Ă plusieurs niveaux.
âą Le premier niveau est celui des investissements bruts, qui reprĂ©sentent lâensemble des investissements rĂ©alisĂ©s dont lâobjet explicite est la dĂ©carbonation. La mise en place dâune ferme Ă©olienne, par exemple, participe de cet investissement brut. Une grande majoritĂ© de cet investissement consiste en rĂ©alitĂ© en une redirection des investissements existants et seule une partie constitue des investissements additionnels Ă rĂ©aliser. Les exercices de modĂ©lisation â dans le cadre de cette commission tout comme dans la plupart des travaux publiĂ©s â ne permettent pas directement dâĂ©valuer le niveau des investissements Ă rediriger et par consĂ©quent de ces investissements bruts. Certains travaux plus approfondis suggĂšrent que les investissements Ă rediriger reprĂ©senteraient environ trois fois le montant des investissements verts. Cette estimation reste nĂ©anmoins sujette Ă beaucoup dâincertitudes1.
âą Le deuxiĂšme niveau est celui des investissements verts nets de ces effets de substitution (hors investissements redirigĂ©s), dans la mesure oĂč les investissements « propres » sont pour partie rĂ©alisĂ©s Ă la place dâinvestissements « Ă©metteurs de GES ». Dans lâexemple prĂ©cĂ©dent, lâinvestissement dans une ferme Ă©olienne peut sâeffectuer Ă la place dâune centrale Ă charbon. Lâinvestissement net est donc mesurĂ©, non pas par le coĂ»t de la ferme Ă©olienne, mais par la diffĂ©rence de coĂ»t entre la ferme Ă©olienne et la centrale Ă charbon Ă©quivalente.
Lâinvestissement net des effets de substitution est le surplus direct dâinvestissement nĂ©cessaire Ă la dĂ©carbonation. Son montant peut ĂȘtre obtenu par les modĂšles technico-Ă©conomiques en comparant le montant des investissements rĂ©alisĂ©s dans le scĂ©nario ZEN Ă ceux rĂ©alisĂ©s dans le scĂ©nario de rĂ©fĂ©rence. La figure 36 prĂ©sente lâampleur des flux dâinvestissements obtenus par le modĂšle TIMES. Le surplus dâinvestissement dans lâensemble du systĂšme Ă©nergĂ©tique (production et usage) sâaccroĂźt progressivement au fur et Ă mesure que la contrainte sâaccentue, cette croissance Ă©tant le reflet dâune trajectoire de rĂ©duction dâĂ©missions linĂ©aire et dâun coĂ»t dâabattement croissant. Selon ce modĂšle, la rĂ©duction des Ă©missions nĂ©cessitera des investissements annuels supplĂ©mentaires dans la production et lâusage de lâĂ©nergie de plus de 1 point de PIB en 2030 et de lâordre de 1,5 point en 2040. Cela reprĂ©senterait un accroissement de lâinvestissement Ă©nergĂ©tique de 25 % en 2030 et de 30 % en 2040. Les secteurs y contribuant le plus sont celui des transports, suivi
1 Dasgupta D., Espagne E., Hourcade J.-C. et al. (2016), « Did the Paris Agreement plant the seeds of a climate consistent international financial regime? », Note di Lavoro, n° 50, FEEM.
La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 118 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
du bĂątiment et de la production dâĂ©nergie, en particulier dâĂ©lectricitĂ©. Ces montants dâinvestissements ne reflĂštent que les investissements dans le systĂšme Ă©nergĂ©tique (production et usage) ; ils nâincluent pas les investissements nĂ©cessaires Ă la dĂ©carbonation de lâagriculture, des procĂ©dĂ©s industriels et du traitement des dĂ©chets. Par ailleurs, le modĂšle nâintĂ©grant pas de dimension spatiale, il ne prend pas en compte ou sous-Ă©value certains investissements, en infrastructures notamment. Sachant que les investissements Ă©nergĂ©tiques ne concernent que les trois quarts des abattements Ă rĂ©aliser et quâils peuvent ĂȘtre sous-estimĂ©s, une hypothĂšse trĂšs approximative dâhomothĂ©tie aux autres secteurs conduit Ă estimer quâau total cet investissement pourrait atteindre les 2 points de PIB Ă lâhorizon 2040 : il reprĂ©senterait alors 10 % de lâinvestissement total en France, soit environ 60 milliards dâeuros par an. Cet ordre de grandeur est comparable aux Ă©valuations rĂ©alisĂ©es au niveau international :
â lâOCDE Ă©value lâinvestissement mondial nĂ©cessaire pour rester sous les 2 °C Ă 6 900 milliards de dollars par an sur les quinze prochaines annĂ©es, soit une majo-ration de 10 % des investissements annuels moyens dans les infrastructures1 ;
â le New Climate Economy Report2, sâappuyant sur diffĂ©rents travaux3, Ă©value le surcroĂźt dâinvestissement mondial en infrastructure Ă 5 % pour rendre ce capital faiblement intensif en carbone ;
â plus rĂ©cemment, le GIEC dans son rapport 1,5 °C estime que dâici Ă 2035, 2,5 % du PIB mondial devront ĂȘtre consacrĂ©s Ă lâinvestissement bas carbone chaque annĂ©e ;
â et la Commission europĂ©enne4 Ă©value jusquâĂ 1,2 % du PIB le surcroĂźt dâinves-tissement annuel entre 2030 et 2050 dans la production et lâusage de lâĂ©nergie permettant dâatteindre lâobjectif de « zĂ©ro Ă©missions nettes » au niveau europĂ©en (entre 175 et 290 milliards dâeuros annuels en moyenne sur la pĂ©riode selon les scĂ©narios). Lâinvestissement monterait progressivement en charge pour atteindre 1 % du PIB en 2035 et un pic Ă 2 % autour de 2040.
1 Voir OCDE (2017), Investing in Climate, Investing in Growth, et New Climate Economy Project (2018), Unlocking The Inclusive Growth Story of the 21st Century. 2 New Climate Economy (2016), The Sustainable Infrastructure Imperative. Financing for better growth and development. 3 Bhattacharya A. et al. (2016), Delivering on Sustainable Infrastructure for Better Development and Better Climate, et Global Commission on the Economy and Climate (2014). 4 Commission européenne (2018), A Clean Planet for All. A European long-term strategic vision for a prosperous, modern, competitive and climate neutral economy.
Chapitre 3 Résultats des différents exercices de prospective
FRANCE STRATĂGIE 119 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
Figure 36 â Surplus d'investissement dans le systĂšme par rapport au scĂ©nario de rĂ©fĂ©rence
Source : simulation du modĂšle TIMES (hypothĂšse de puits UTCF de 85 MtCO2e)
âą Enfin, le troisiĂšme niveau est celui de lâinvestissement total net des effets de bouclage macroĂ©conomique (effets dâĂ©viction, relance keynĂ©sienne, etc.). Celui-ci intĂšgre, en plus du niveau prĂ©cĂ©dent, deux effets distincts :
â lâeffet dâĂ©viction : les investissements supplĂ©mentaires (ou plus coĂ»teux) peuvent, en mobilisant des moyens financiers importants, Ă©vincer des investissements ailleurs dans lâĂ©conomie. Lorsquâun acteur Ă©conomique â mĂ©nage ou entreprise â investit dans une technologie durable, il renonce potentiellement Ă dâautres dĂ©penses dâinvestissement. Une fois pris en compte ces effets dâĂ©viction, seule la moitiĂ© environ des investissements verts constituerait un rĂ©el surcroĂźt dâinves-tissement macroĂ©conomique ;
â les effets de levier Ă©ventuels de la politique mise en Ćuvre : les instruments mobilisĂ©s dans le cadre de la politique de lutte contre les Ă©missions de gaz Ă effet de serre peuvent, Ă court terme, gĂ©nĂ©rer des effets de relance keynĂ©sienne et, Ă plus long terme, permettre de rĂ©duire des imperfections de marchĂ© (par la mise en place de lĂ©gislations plus pertinentes, par un recyclage plus efficient des recettes fiscales, etc.). Ces effets de levier peuvent alors conduire Ă accroĂźtre davantage lâinvestissement macroĂ©conomique. Leur ampleur est entiĂšrement dĂ©pendante de la politique mise en Ćuvre.
Au final, le surplus dâinvestissement rĂ©el au niveau national, rĂ©sultant de lâensemble des effets recensĂ©s, reste intimement liĂ© au contexte macroĂ©conomique et financier, au design des politiques publiques et Ă la chronologie des actions.
La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 120 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
Figure 37 â Les besoins dâinvestissements
Hausse des investissements
bruts liés à la décarbonation
Hausse des investissements
nets des effets de substitution
âąde 1,5 % Ă 2 % du PIB entre 2030 et 2040 âąsoit 7 % Ă 10 % de l'investissement âąsoit 50 Ă 60 milliards d'euros par an
Hausse des investissements aprĂšs bouclage
macroéconomique
âądĂ©pendant du design de la politique mise en Ćuvre
FRANCE STRATĂGIE 121 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
CHAPITRE 4 LA VALEUR DE LâACTION
POUR LE CLIMAT
Sur la base des rĂ©sultats des diffĂ©rentes approches utilisĂ©es, de leurs avantages comparatifs et de leur complĂ©mentaritĂ©, la commission propose une trajectoire pluriannuelle de valeurs Ă lâhorizon 2050. Ce chapitre explicite les choix retenus et sâattache Ă Ă©valuer et Ă encadrer les incertitudes entourant cette trajectoire. Il prĂ©sente enfin quelques Ă©valuations macroĂ©conomiques des actions sous-jacentes Ă la trajectoire proposĂ©e.
La trajectoire proposĂ©e sâancre sur une valeur de 250 ⏠1.en 2030
Une trajectoire unique pour lâensemble de lâĂ©conomie 1.1.
La valeur de lâaction pour le climat a vocation Ă constituer une rĂ©fĂ©rence unique pour lâensemble de lâĂ©conomie, mĂȘme si les gisements dâĂ©conomies et les coĂ»ts dâabattement du carbone diffĂšrent dâun secteur Ă lâautre. Retenir, a priori, des valeurs de « rĂ©fĂ©rence » diffĂ©rentes pour concevoir les politiques de dĂ©carbonation dans les diffĂ©rents secteurs reviendrait en effet Ă admettre que lâon est prĂȘt Ă investir 1 000 ⏠pour obtenir des rĂ©ductions dâĂ©missions dans un secteur qui pourraient lâĂȘtre Ă 250 ⏠ou 100 ⏠dans les secteurs oĂč les coĂ»ts dâabattement sont plus faibles, probablement les secteurs fortement Ă©metteurs et disposant de gisements de rĂ©duction importants. Une rĂ©fĂ©rence unique incite Ă mobiliser les gisements de dĂ©carbonation dont les coĂ»ts dâabattement sont et seront infĂ©rieurs Ă la valeur « tutĂ©laire » et Ă procĂ©der plus gĂ©nĂ©ralement par ordre de mĂ©rite.
La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 122 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
Une trajectoire pluriannuelle ancrĂ©e sur une valeur de 250 âŹ2018/tCO2e 1.2.en 2030
Le point dâancrage 2030
La commission considĂšre que lâhorizon 2030 a vocation Ă constituer le point dâancrage privilĂ©giĂ© dâune trajectoire de valeur tutĂ©laire du carbone, pour trois raisons fonda-mentales :
â lâhorizon 2030 (soit un horizon dâun peu plus de dix ans) est dĂ©cisif pour « ancrer » les anticipations et dĂ©clencher un programme public et privĂ© dâinvestissements « bas carbone » ;
â Ă cet horizon, les travaux de modĂ©lisation peuvent sâadosser Ă des Ă©lĂ©ments de prospective Ă©conomique et technologique raisonnablement solides et fiables, mĂȘme sâils restent naturellement entourĂ©s dâincertitudes ;
â les actions de dĂ©carbonation Ă engager dâici 2030 seront utiles Ă la France, quelle que soit la coopĂ©ration climatique internationale.
Alors que la valeur du carbone dĂ©finie par le rapport de 2008 pour lâannĂ©e 2030 Ă©tait de 100 âŹ2008/tCO2e (110 âŹ2018/tCO2e), la commission propose de la rĂ©viser substantiellement Ă la hausse, en la fixant Ă 250 âŹ2018/tCO2e. Cette valeur Ă©levĂ©e tĂ©moigne de lâampleur du chemin qui reste Ă parcourir ; elle traduit le coĂ»t des technologies nĂ©cessaires pour atteindre lâobjectif.
Un rattrapage linĂ©aire dâaujourdâhui Ă 2030
La commission a choisi de partir de la valeur tutĂ©laire du carbone actuelle (54 âŹ2018/tCO2e, issue du rapport de 2008). Cela ne veut pas dire que cette valeur de dĂ©part est un point « optimal ». Elle reflĂšte la stratĂ©gie de lissage de rĂ©duction des Ă©missions de gaz Ă effet de serre retenue dans le cahier des charges. Dans ce cadre, les modĂšles prennent en compte cette rĂ©duction progressive des Ă©missions Ă travers deux dynamiques :
â la dynamique des anticipations, qui conduit les acteurs Ă dĂ©clencher les investissements et actions sur la base des valeurs futures du carbone ;
â la dynamique dâajustement du capital, qui conduit ces mĂȘmes acteurs Ă prendre en compte les coĂ»ts dâajustement, et donc Ă adapter progressivement les stocks dâactifs aux exigences de rĂ©duction des Ă©missions.
Partant de ce point initial Ă 54 âŹ2018/tCO2e, la valeur de lâaction pour le climat croĂźt donc fortement pour rejoindre les niveaux cible de 2030 et de 2040.
Chapitre 4 La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 123 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
Une trajectoire de la valeur tutélaire du carbone calée sur les coûts des technologies de décarbonation
La trajectoire pluriannuelle de valeur tutélaire du carbone proposée au-delà de 2030 intÚgre le résultat de ces différentes approches :
â les simulations de modĂšles qui restent robustes jusquâautour de 2040, lorsque les niveaux de rĂ©duction sâapprochent du facteur 4 ;
â une prospective sur les coĂ»ts du portefeuille de technologies structurantes pour rĂ©ussir la dĂ©carbonation. La commission ne suppose pas lâarrivĂ©e dâune nouvelle technologie de rupture miracle, parfois appelĂ©e « backstop technology1 », câest-Ă -dire dâune technologie permettant de se passer complĂštement des Ă©nergies fossiles ou dâabattre massivement les Ă©missions de GES pour un coĂ»t modĂ©rĂ©. Elle considĂšre que le portefeuille de technologies structurantes (recours par exemple Ă un usage direct plus Ă©tendu de l'Ă©lectricitĂ© dĂ©carbonĂ©e, ou Ă un usage indirect via le vecteur hydrogĂšne produit de façon dĂ©carbonĂ©e par Ă©lectrolyse de l'eau2) permettrait de parvenir Ă une dĂ©carbonation complĂšte moyennant des prix de bascule relativement Ă©levĂ©s (de lâordre au plus de 600-900 âŹ/t en 2050) ;
â le calage sur une rĂšgle de Hotelling Ă partir de 2040 pour un taux dâactualisation public de 4,5 %, celle-ci garantissant que la valeur des gains climatiques nâest pas « Ă©crasĂ©e » par lâactualisation.
Cette trajectoire aboutit Ă une valeur de 500 âŹ2018/tCO2e en 2040 et Ă 775 âŹ2018/tCO2e en 2050.
1 Une technologie est qualifiĂ©e de backstop lorsquâelle bĂ©nĂ©ficie dâun potentiel quasi illimitĂ© en plus dâun faible coĂ»t. 2 Usage direct ou indirect, i.e. par reconstitution Ă partir d'hydrogĂšne et d'une source de carbone Ă capter de combustibles carbonĂ©s liquides et gazeux (« power to liquid » et « power to gas »).
La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 124 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
Figure 38 â Proposition de trajectoire
Source : France Stratégie
La trajectoire est revue à la hausse, en ligne avec les 2.travaux internationaux de modélisation les plus récents
Une revalorisation de la trajectoire trouvant son origine 2.1.dans lâĂ©puisement du budget carbone mondial et français
La construction de la valeur tutélaire du carbone est réalisée dans un contexte différent de celui de la précédente évaluation, datant de 2008. Plusieurs éléments conduisent en effet à modifier la trajectoire définie il y a dix ans (voir figure 41).
Deux Ă©lĂ©ments jouent dans le sens dâune forte revalorisation de la valeur tutĂ©laire.
âą LâĂ©puisement du budget carbone :
â au niveau mondial, le budget carbone disponible sâest rĂ©duit depuis dix ans, consĂ©quence du retard pris et dâune lecture plus pessimiste par le GIEC des marges de manĆuvre disponibles pour contenir la hausse des tempĂ©ratures ;
â au niveau français, nous avons aussi engrangĂ© un retard important dans lâaction pour le climat depuis 2008 (voir figure 39) alors mĂȘme que la crise Ă©conomique a jouĂ© Ă la baisse sur nos Ă©missions de GES (voir figure 40). Il est donc nĂ©cessaire dâengager une pĂ©riode de rattrapage de la valeur tutĂ©laire du carbone entre
54 âŹ
250 âŹ
500 âŹ
776 âŹ
0 âŹ
200 âŹ
400 âŹ
600 âŹ
800 âŹ
1 000 âŹ
1 200 âŹ
2018 2020 2022 2024 2026 2028 2030 2032 2034 2036 2038 2040 2042 2044 2046 2048 2050
Vale
ur c
arbo
ne e
n âŹ/
tCO
2e
RĂ©sultats des modĂšles
Moyenne des modĂšles
MĂ©diane des modĂšles
Plage de coûts d'abattement maximaux
Trajectoireproposée
Chapitre 4 La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 125 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
aujourdâhui et 2030, afin de rendre possibles et rentables les investissements et les efforts dâinnovation nĂ©cessaires Ă la transition ;
â lâobjectif de neutralitĂ© carbone « nette » en 2050 adoptĂ© rĂ©cemment par la France est plus ambitieux que lâobjectif facteur 4, puisquâil correspond dĂ©sormais Ă un facteur de rĂ©duction compris entre 5 et 7 selon les hypothĂšses de puits retenues.
Figure 39 â Le retard sur les objectifs dĂ©finis par la SNBC en 2015
Figure 40 â La contribution potentielle de la crise Ă la rĂ©duction des Ă©missions
de GES passées
Source : SNBC et CITEPA (avec estimation provisoire pour 2017)
Source : calcul des auteurs à partir de données CITEPA, CCNUCC (2018) et Insee
âą Le caractĂšre trĂšs limitĂ© des mĂ©canismes de flexibilitĂ© internationale (prix du carbone, Ă©change de permis). Contrairement Ă 2008, la commission a jugĂ© prudent de ne pas intĂ©grer dans la construction de la trajectoire future la possibilitĂ© de compenser un surplus dâĂ©missions par des achats de droits Ă Ă©mettre Ă lâĂ©tranger. Les perspectives en matiĂšre de flexibilitĂ© internationale ne se sont en effet pas concrĂ©tisĂ©es, ce qui renforce le besoin dâinvestissement sur le territoire national toutes choses Ă©gales par ailleurs.
Ă lâinverse, dâautres facteurs plus rĂ©cents jouent, dans une moindre mesure, dans le sens de la modĂ©ration de la valeur de lâaction pour le climat :
â lâAccord de Paris de 2015 qui cristallise un objectif commun ainsi que des engagements nationaux, certes encore insuffisants pour y parvenir ;
0
50
100
150
200
250
300
350
400
450
500
2015 2016 2017 2018
MtC
O2e
Emissions observées (tous GES, en MtCO2e, hors UTCF)
Budget annuel (plafond d'Ă©missions) SNBC1
0
100
200
300
400
500
600
Emis
sion
s (en
MtC
O2e
)
Emissions sans crise sous hypothĂšse de croissance du PIB Ă 2%
Emissions sans crise sous hypothĂšse de croissance du PIB Ă 1,6%
Emissions observées (hors puits UTCF)
La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 126 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
â lâĂ©largissement du champ des opportunitĂ©s technologiques, tel que documentĂ© notamment par lâAIE, dont les effets potentiels se feront sentir en fin de pĂ©riode.
Figure 41 â Ce qui a fait Ă©voluer la valeur tutĂ©laire du carbone
Source : France Stratégie
Une trajectoire en cohérence avec les travaux internationaux 2.2.les plus récents
La valeur tutĂ©laire du carbone ici proposĂ©e est dans la plage des valeurs du carbone recensĂ©es dans le dernier rapport spĂ©cial du GIEC dâoctobre 2018, plage elle-mĂȘme sensiblement revue Ă la hausse pour tenir compte des risques dâĂ©puisement rapide des budgets carbone (voir Chapitre 1). Comme le synthĂ©tise le rapport spĂ©cial du GIEC dâoctobre 2018, les Ă©valuations calĂ©es sur un scĂ©nario dont la probabilitĂ© de dĂ©passer les 2 °C est faible sâinscrivent dans une fourchette de 15 Ă 1 300 $2010/tCO2e en 2030, celles calĂ©es sur un scĂ©nario oĂč le rĂ©chauffement serait limitĂ© Ă 1,5 °C avec une probabilitĂ© modĂ©rĂ©e se situent dans une fourchette 40-1 200 $2010/tCO2e (voir tableau 15). LâĂ©tendue de ces plages de valeurs reflĂšte la variĂ©tĂ© des modĂ©lisations, les incertitudes sur le portefeuille prĂ©sent et futur des technologies de dĂ©carbonation, ainsi que les scĂ©narios de rĂ©fĂ©rence considĂ©rĂ©s.
L'Ă©puisement du budget carbone
Des mécanismesde flexibilité
internationale plus faibles qu'anticipé
Cristallisation d'un objectif commun
Ălargissement des opportunitĂ©s
technologiques
Valeur tutélaire du
carbone
Chapitre 4 La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 127 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
Tableau 15 â Valeurs carbone issues du rapport spĂ©cial 1,5 °C du GIEC (Valeurs non actualisĂ©es en $2010/tCO2e)
Ordre de grandeur des plages de valeurs
Valeurs moyennes
Scénario Descriptif 2030 2050 2030 2050
Below 1.5 °C Probabilité de dépasser 1,5 °C inférieure à 34 %
130 - 5 500 240 - 13 000 1 472 3 978
1.5 °C low Probabilité de dépasser 1,5 °C comprise entre 34 % et 50 %
40 - 1 200 120 - 4 000 334 1 026
1.5 °C high Probabilité de dépasser 1,5 °C comprise entre 50 % et 67 %
15 - 700 100 - 3 300 129 586
Lower 2 °C Probabilité de dépasser 2 °C inférieure à 34 %
15 - 1 300 70 - 3 500 164 518
Higher 2 °C Probabilité de dépasser 2 °C comprise entre 34 % et 50 %
15 - 200 45 - 950 56 169
Source : Rapport spĂ©cial du GIEC pour les plages de valeurs et calcul des auteurs Ă partir des donnĂ©es du GIEC (disponible sur le site de lâIIASA) pour les moyennes
Une coopĂ©ration internationale plus intense permettrait 3.de rĂ©duire les coĂ»ts dâabattement
Les incertitudes technologiques et comportementales 3.1.
La trajectoire de rĂ©fĂ©rence proposĂ©e sâinscrit dans le cadre dâune action mondiale permettant de tenir les engagements de lâAccord de Paris, voire de limiter le rĂ©chauffement sous les 2 °C. Dans ce cadre, la trajectoire proposĂ©e est encadrĂ©e Ă compter de 2030 par une fourchette croissante dans le temps, reflĂ©tant les incertitudes sur le coĂ»t des technologies, les puits de carbone et les changements de comportement des acteurs.
La fourchette est dimensionnée par une évaluation des incertitudes présentées au chapitre précédent quant à la taille des puits de carbone et au coût des technologies de décarbonation les plus structurantes identifiées par les travaux de prospective. Elle se fonde également sur la sensibilité des résultats aux hypothÚses sur les comportements des acteurs privés (élasticités conservatrices ou augmentées).
âą Dans ce cadre, la borne haute de la fourchette correspond Ă une situation oĂč les inerties de comportement resteraient fortes et le progrĂšs technique incrĂ©mental.
La valeur de lâaction pour le climat
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âą La borne basse de la fourchette correspondrait Ă une situation oĂč la dĂ©carbonation bĂ©nĂ©ficierait dâun dĂ©ploiement plus rapide de nouvelles technologies et de changements de comportements de tous les acteurs, reflĂ©tant une prise de conscience sociĂ©tale des enjeux de la lutte contre le changement climatique.
La valeur de lâaction internationale 3.2.
Au-delĂ de la fourchette centrale, deux zones dâincertitudes peuvent ĂȘtre explicitĂ©es pour matĂ©rialiser les enjeux de lâintensitĂ© de la coopĂ©ration internationale Ă lâhorizon 2050.
âą La premiĂšre zone dâincertitude, matĂ©rialisĂ©e par lâaire en bleu sur la figure 42, reprĂ©sente lâincidence dâune action internationale plus ambitieuse Ă moyen-long terme sur la valeur tutĂ©laire française du carbone. Dans cette zone, le club des pays signataires de lâAccord de Paris sâengagerait plus fortement dans le respect des objectifs de neutralitĂ© carbone et favoriserait le dĂ©veloppement de technologies de rupture ayant comme caractĂ©ristiques un coĂ»t dâabattement rĂ©duit et un potentiel trĂšs large et pĂ©renne (les technologies du type Power to X ou de capture du CO2 directement dans lâatmosphĂšre pourraient ĂȘtre des candidats). Dans le cas dâun dĂ©veloppement et dâun dĂ©ploiement mondial Ă grande Ă©chelle de ces technologies, le coĂ»t dâabattement marginal pourrait ĂȘtre significativement rĂ©visĂ© Ă la baisse. Sur la base dâhypothĂšses optimistes sur les courbes dâapprentissage, il est estimĂ© que ce coĂ»t pourrait descendre jusquâautour de 450 âŹ/tCO2e.
âą La deuxiĂšme zone dâincertitude est matĂ©rialisĂ©e par lâaire en rouge. Elle est associĂ©e au risque dâun retard dans la mobilisation internationale. Lâoccurrence de ces risques devrait conduire Ă investir plus tĂŽt dans des technologies coĂ»teuses, dâoĂč une hausse plus rapide de la valeur tutĂ©laire. Au-delĂ du seuil correspondant au coĂ»t dâabatte-ment maximal liĂ© Ă des solutions technologiques â incertain, mais estimĂ© ĂȘtre dans la plage 600-900 âŹ/tCO2e â, augmenter davantage la valeur tutĂ©laire du carbone serait sans objet. Cela conduirait Ă mobiliser dans des dĂ©lais trĂšs courts des solutions technologiques ou des changements de comportement trop coĂ»teux, avec Ă la clĂ© des pertes possibles de bien-ĂȘtre, de PIB et de compĂ©titivitĂ©.
Chapitre 4 La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 129 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
Figure 42 â Les incertitudes entourant la trajectoire de la valeur tutĂ©laire du carbone
Source : France Stratégie
La valorisation des actions de décarbonation 4.
La trajectoire de valeur tutĂ©laire du carbone constitue une rĂ©fĂ©rence pour donner de la valeur Ă lâaction pour le climat. Cette valorisation a vocation Ă se dĂ©cliner au niveau microĂ©conomique pour identifier les projets ou les actions utiles Ă la lutte contre le changement climatique, ce que les chapitres suivants consacrĂ©s aux usages explicitent. Cette partie propose, Ă titre illustratif, une valorisation macroĂ©conomique des actions de lutte contre le changement climatique potentiellement rentables, des gains socio-Ă©conomiques associĂ©s Ă ces actions, ainsi que le coĂ»t social des Ă©missions rĂ©siduelles.
Le montant des actions de décarbonation rentables 4.1.
Le couple dĂ©fini par la trajectoire de rĂ©duction des Ă©missions et la trajectoire de valeur tutĂ©laire du carbone (voir figure 43) est le rĂ©sultat dâune masse critique dâactions de dĂ©carbonation.
54 âŹ
250 âŹ
500 âŹ
775 âŹ
0 âŹ
200 âŹ
400 âŹ
600 âŹ
800 âŹ
1 000 âŹ
1 200 âŹ
2018 2020 2022 2024 2026 2028 2030 2032 2034 2036 2038 2040 2042 2044 2046 2048 2050
Risque sur le budget carbone (retard dans l'action mondiale et française)Champ d'incertitude raisonnable lié au contexte international, aux comportements et aux développements technologiquesPossibilité du développement de technologies de rupture grùce à une action internationale renforcée
Limite des possibilitĂ©s de dĂ©couplage des Ă©missions de gaz Ă
effet de serre au PIB
Effet de l'innovation permis par une coopération internationale plus intense
La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 130 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
Figure 43 â Une baisse des Ă©missions concomitante Ă une augmentation de la valeur carbone
Source : France Stratégie, calculs des auteurs
La trajectoire de valeur carbone a pour objectif de donner une valeur socioĂ©conomique aux « actions » visant Ă rĂ©duire les Ă©missions de gaz Ă effet de serre, de sorte Ă constituer un « capital vert » permettant la dĂ©carbonation de lâĂ©conomie. Ces actions conduisant Ă rĂ©duire les Ă©missions peuvent ĂȘtre considĂ©rĂ©es comme capitalisables dans le sens oĂč leurs effets sont durables et augmentent la capacitĂ© future Ă Ă©mettre moins de GES. Changer de mode de transport, procĂ©der Ă la rĂ©novation thermique dâun bĂątiment, changer le mix de production Ă©nergĂ©tique reprĂ©sente un effort initial prenant la forme dâun investissement ou dâun changement de comportement.
Ces actions de dĂ©carbonation sont donc assimilables Ă un investissement Ă©conomique, mĂȘme si certaines dâentre elles dĂ©passent le pĂ©rimĂštre des seuls investissements physiques mesurĂ©s par la comptabilitĂ© nationale.
Le montant de ces actions capitalisables pourrait atteindre de lâordre de 3 % Ă 3,5 % du PIB en 2030, de 5 % en 2040 et de 6 % du PIB en 2050 (voir figure 43 et encadrĂ© 9 pour les calculs). DâaprĂšs les rĂ©sultats de simulation prĂ©sentĂ©s dans le chapitre prĂ©cĂ©dent, seule la moitiĂ© environ constituerait des dĂ©penses dâinvestissement au sens de la comptabilitĂ© nationale (1,5 % Ă 2 % de PIB entre 2030 et 2040).
Ces chiffres donnent des ordres de grandeur du montant des actions que la trajectoire de valeur tutĂ©laire proposĂ©e devrait rentabiliser de sorte Ă constituer un « capital dĂ©carbonĂ© » permettant dâatteindre la neutralitĂ© carbone Ă lâhorizon 2050.
54 âŹ
250 âŹ
500 âŹ
776 âŹ
050100150200250300350400450500
0 ⏠100 ⏠200 ⏠300 ⏠400 ⏠500 ⏠600 ⏠700 ⏠800 ⏠900 âŹ
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Emissions nettes
Emissions brutes pour des puits UTCF compris entre 75 Mt et 95 Mt
Valeur tutélaire du carbone
Chapitre 4 La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 131 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
Figure 44 â Montant des efforts capitalisables ou coĂ»t annuel des efforts Ă fournir (en pourcentage du PIB, selon le taux de dĂ©classement ÎŽ)
Note : le montant des efforts capitalisables est calculĂ© ici sous lâhypothĂšse que lâensemble des efforts dâabattement sont rĂ©alisĂ©s sous forme dâinvestissement, pris au sens large, dont le taux de dĂ©classement serait compris entre 3 % et 5 %.
Le calcul est basĂ© sur une hypothĂšse de puits UTCF de 95 MtCO2e, un taux dâactualisation de 4,5 % et un taux de croissance annuel du PIB de 1,6 %.
Source : France Stratégie, calcul des auteurs
EncadrĂ© 9 â Le calcul de la valeur des abattements et du montant des efforts annuels pour y parvenir
Les calculs de la valeur sociale des abattements et du montant des efforts annuels sont réalisés à partir des hypothÚses suivantes :
â un flux dâĂ©missions brutes (hors puits) constant dans le scĂ©nario de rĂ©fĂ©rence (ce qui est relativement cohĂ©rent avec les rĂ©sultats de modĂšles sur les Ă©missions Ă©nergĂ©tiques) ;
â une rĂ©duction linĂ©aire (avec une lĂ©gĂšre rupture de pente en 2030) des Ă©missions, câest-Ă -dire dâun abattement marginal annuel constant de lâordre de 10 Ă 11 Mt de CO2e par an selon les hypothĂšses de puits (75 MtCO2e ou 95 MtCO2e).
La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 132 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
â une valeur tutĂ©laire du carbone croissante telle que dĂ©crite par la figure 42 : 250 âŹ2018/tCO2e en 2030 ; 500 âŹ2018/tCO2e en 2040 ; 775 âŹ2018/tCO2e en 2050. Post-2050, la valeur tutĂ©laire est ensuite considĂ©rĂ©e comme constante1.
Figure 45 â Les efforts annuels de rĂ©duction dâĂ©missions
Source : France Stratégie, calculs des auteurs
On distingue lâabattement annuel (ou lâabattement annuel total) dĂ©crit par lâĂ©cart du niveau dâĂ©missions entre le scĂ©nario de rĂ©fĂ©rence et le scĂ©nario visant la neutralitĂ© carbone en 2050 (double flĂšche verte sur la figure 45) ; et lâabattement marginal annuel dĂ©fini par lâaccroissement de lâabattement annuel total (double trait rouge sur la figure 45).
Tandis que lâabattement total annuel est continĂ»ment croissant sur la pĂ©riode, lâabattement marginal reste constant puisque la rĂ©duction des Ă©missions est linĂ©aire.
Si les abattements sont entiĂšrement rĂ©alisĂ©s par des efforts capitalisables, ces efforts rĂ©alisĂ©s Ă chaque pĂ©riode doivent permettre dâaccroĂźtre lâabattement des Ă©missions de CO2e de lâabattement marginal annuel.
1 Cette hypothĂšse nâest pas exactement celle retenue dans la partie usage de ce rapport, qui considĂšre que la valeur tutĂ©laire devrait croĂźtre Ă 4,5 % jusquâen 2060, mais elle est utilisĂ©e ici Ă titre illustratif.
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2050
Emis
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tCO
2e)
Emissions brutes (hyp. Puits UTCF 95MtCO2e)
Trajectoire d'émissions brutes de référence (emissions brutesconstantes)
abattement annuel
abattement marginal annuel
Chapitre 4 La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 133 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
Lâinvestissement en T est supposĂ© dimensionnĂ© de sorte Ă accroitre la capacitĂ© dâabattement đžđĄ de đ par rapport Ă la pĂ©riode T-1, cette capacitĂ© se dĂ©classant de đż Ă chaque pĂ©riode. Cet investissement doit donc correspondre Ă une capacitĂ© dâabattement de đ + đż â đžđâ1 = đ Ă [đż(đ â 1) + 1]. Le montant maximal dâinves-tissement rentable associĂ© Ă cette capacitĂ© dâabattement est Ă©gal au gain dĂ©fini par la valeur actualisĂ©e de ces rĂ©ductions dâĂ©missions :
đŒđ = ïżœïżœđ Ă [đż(đ â 1) + 1] Ă đđĄ
(1 + đ)đĄâđ Ă (1 â đż)đĄâđïżœâ
đĄ=đ
= đ Ă [đż(đ â 1) + 1] Ă ïżœïżœïżœ1 â đż1 + đ
ïżœđĄâđ
Ă đđĄïżœâ
đĄ=đ
Les courbes de la figure 44 sont obtenues avec đ = 4,5 % et đż compris entre 3 % et 5 %.
La valeur des émissions évitées par les actions engagées 4.2.
La valeur tutĂ©laire du carbone permet dâĂ©valuer la valeur pour la collectivitĂ© des actions permettant dâĂ©viter lâĂ©mission dâune tonne Ă©quivalent CO2.
La valeur socioĂ©conomique crĂ©Ă©e par les Ă©missions Ă©vitĂ©es lâannĂ©e t peut ĂȘtre mesurĂ©e par le montant des Ă©missions Ă©liminĂ©es durant lâannĂ©e t (les abattements annuels reprĂ©sentĂ©s sur la figure 45) multipliĂ© par la valeur tutĂ©laire du carbone de cette mĂȘme annĂ©e.
Sous les hypothĂšses de calcul dĂ©crites dans lâencadrĂ©, cette valeur sociale des Ă©missions Ă©vitĂ©es lâannĂ©e t serait Ă©quivalente Ă environ 1 % du PIB en 2030, 3,5 % du PIB en 2040 et 7 % du PIB en 2050 (voir figure 46). Cette valeur croĂźt dans le temps car les Ă©missions terminales sont plus difficiles Ă abattre, donnant plus de valeur aux actions engagĂ©es.
La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 134 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
Figure 46 â Valorisation des efforts dâabattement par la trajectoire de valeur tutĂ©laire du carbone (mesurĂ©e en pourcentage de PIB)
Source : France StratĂ©gie, calculs des auteurs Ă partir dâhypothĂšses dĂ©crites dans lâencadrĂ©
Le coût socioéconomique des émissions résiduelles de gaz à effet 4.3.de serre et la valeur des puits
Avec les valeurs de la trajectoire proposĂ©e, la valorisation totale des Ă©missions nettes de GES â qui correspond au coĂ»t socioĂ©conomique des Ă©missions rĂ©siduelles de GES1 â sâĂ©lĂšverait Ă 1,5 % du PIB en 2020. Cette Ă©valuation donne une mesure du coĂ»t de la non-action en 2020.
Dans le mĂȘme temps, du fait Ă la fois de la croissance de la valeur tutĂ©laire du carbone et de lâaugmentation de la capacitĂ© des puits, la valeur socioĂ©conomique des puits permettant dâabsorber les Ă©missions rĂ©siduelles difficiles Ă abattre sâaccroĂźt continĂ»ment sur la pĂ©riode. Elle sâĂ©tablit autour de 0,5 point de PIB en 2030 ; Ă 1,1 point de PIB en 2040 et Ă 1,6 point de PIB en 2050 (voir figure 47 et tableau 16).
1 Nous partons du principe que les budgets carbone ont Ă©tĂ© dĂ©finis de façon cohĂ©rente avec une approche coĂ»ts-bĂ©nĂ©fices et, par consĂ©quent, que lâapproche coĂ»ts-efficacitĂ© utilisĂ©e ici permet bien de dĂ©duire un coĂ»t social des Ă©missions.
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B
Valeur sociale de l'effort marginal (Ă©chelle de gauche)
Valeur sociale des abattements annuels (Ă©chelle de gauche)
Chapitre 4 La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 135 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
Figure 47 â Valorisation des puits par la trajectoire proposĂ©e (en pourcentage du PIB)
Source : France Stratégie, calculs des auteurs
Tableau 16 â CoĂ»t des Ă©missions rĂ©siduelles et valorisation des puits (en pourcentage du PIB)
2020 2050 Valeur tutĂ©laire du carbone 87 ⏠775 ⏠Ămissions dâorigine Ă©nergĂ©tique 1,1 % 0,2 % Ămissions dâorigine agricole (hors Ă©nergie) 0,3 % 1,0 % Ămissions issues des procĂ©dĂ©s industriels 0,2 % 0,4 % Ămissions issues du traitement des dĂ©chets 0,1 % 0,1 % Puits UTCF â 0,2 % â 1,6 %
Total 1,5 % 0,0 %
Valeur des Ă©missions = Valeur carbone (âŹ/tCO2e) * niveau des Ă©missions (tCO2e)/PIBx100.
Source : France Stratégie, calculs des auteurs à partir de la trajectoire de valeur tutélaire du carbone, la trajectoire de réduction des émissions et des projections de PIB1
1 Projections du rapport 2015 du Ageing Working Group de la Commission européenne. Projections sur lesquelles les modÚles sont basés.
1,5%
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0 1 2 3 4
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2020 2050
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B Puits UTCF
Emissions issues dutraitement des déchets
Emissions issues desprocédés industriels
Emissions d'origine agricole(hors Ă©nergie)
Emissions d'origineénergétique
TOTAL
FRANCE STRATĂGIE 137 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
CHAPITRE 5 UN RĂFĂRENTIEL POUR VALORISER
LES IMPACTS CLIMATIQUES DES PROJETS DâINVESTISSEMENT PUBLICS
Il existe en France une longue tradition de calcul Ă©conomique public pour Ă©valuer lâensemble des incidences sur le bien-ĂȘtre quâest susceptible dâapporter un projet dâinvestissement public. Ce calcul Ă©conomique se distingue des calculs financiers habituels sur trois points essentiels : il adopte la conception la plus large possible des gains dâun projet pour la collectivitĂ© (vies sauvĂ©es, temps gagnĂ©, pollution Ă©vitĂ©e) ; il mesure ces gains â et les coĂ»ts â sur un horizon de long terme ; il les actualise Ă un taux plus faible que celui dâun investisseur privĂ©, reflĂ©tant la capacitĂ© de lâĂtat Ă porter et Ă diluer les risques.
Le cadre de lâanalyse socioĂ©conomique sâest enrichi depuis une dizaine dâannĂ©es pour mieux prendre en compte les enjeux environnementaux, et tout particuliĂšrement les enjeux climatiques des projets :
â la contribution des projets dâinvestissement Ă la lutte contre le changement climatique a Ă©tĂ© mieux explicitĂ©e avec la formalisation en 2008 dâune trajectoire de valeur tutĂ©laire du carbone ;
â lâhorizon dâĂ©valuation des projets a Ă©tĂ© allongĂ© pour mieux prendre en compte leurs effets structurants de long terme, voire de trĂšs long terme ;
â lâindexation de la valeur tutĂ©laire du carbone sur le taux dâactualisation public, en application de la rĂšgle de Hotelling, a conduit Ă soutenir la valorisation du carbone Ă des horizons Ă©loignĂ©s, Ă Ă©viter que celle-ci soit Ă©crasĂ©e par la valeur du temps.
La nouvelle trajectoire de valeur tutĂ©laire du carbone proposĂ©e dans ce rapport doit ĂȘtre lâoccasion de franchir un nouveau cap.
La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 138 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
Lâinvestissement public tous projets confondus reprĂ©sentait 76 milliards dâeuros en France en 2016, soit 3,4 % du PIB, rĂ©alisĂ© en majoritĂ© par les collectivitĂ©s territoriales. Les projets dâinvestissement publics nationaux et locaux ont vocation Ă apporter une contribution importante Ă la rĂ©alisation des objectifs de dĂ©carbonation, que ce soit pour optimiser les Ă©missions liĂ©es aux consommations dâĂ©nergie (rĂ©novation thermique dâun patrimoine immobilier trĂšs important parfois vĂ©tuste, etc.), pour faciliter le dĂ©ploiement des Ă©nergies renouvelables dans les villes (rĂ©seaux de chaleur, rĂ©seaux de bornes de recharge pour les vĂ©hicules Ă©lectriques1) ou pour dĂ©carboner la mobilitĂ© (infrastructures de transport, susceptibles de favoriser les reports modaux). Certains investissements publics peuvent ĂȘtre un prĂ©alable Ă la mise en Ćuvre de solutions de dĂ©carbonation par les acteurs privĂ©s (passage dâun chauffage au gaz Ă un chauffage Ă la biomasse via un rĂ©seau de chaleur, passage au vĂ©hicule Ă©lectrique ou Ă des transports en commun). Or, force est de constater quâune majoritĂ© de projets dâinvestissements public « Ă©chappent » encore Ă des processus dâĂ©valuation transparents et contradictoires. Ătendre le champ de lâĂ©valuation, câest se donner les moyens de mieux hiĂ©rarchiser les projets et de cibler lâargent public qui est rare sur les projets les plus pertinents.
La rĂ©vision de la valeur tutĂ©laire du carbone, elle-mĂȘme liĂ©e Ă la rĂ©vision des objectifs, appelle Ă rĂ©nover lâensemble du systĂšme dâĂ©valuation : de nouveaux scĂ©narios de rĂ©fĂ©rence tenant compte de lâobjectif de dĂ©carbonation, de nouvelles valeurs du carbone, un nouveau taux dâactualisation, une prise en compte des Ă©missions de gaz Ă effet de serre tout au long de la vie des projets, de la construction jusquâĂ leur fin de vie, mĂȘme si celle-ci dĂ©passe lâhorizon 2050.
LâĂ©valuation socioĂ©conomique des projets doit ĂȘtre Ă©tendue 1.et renforcĂ©e
Toutes les personnes publiques sont concernées 1.1.
Aujourdâhui, tous les projets dâinvestissement civils financĂ©s par lâĂtat, ses Ă©tablisse-ments publics, les Ă©tablissements publics de santĂ© ou les structures de coopĂ©ration sanitaire doivent faire lâobjet dâune Ă©valuation socioĂ©conomique prĂ©alable. En outre, ceux pour lesquels la contribution des acteurs publics dĂ©passe 100 millions dâeuros et reprĂ©sente plus de 5 % de la valeur hors taxe du projet font lâobjet dâune contre-expertise indĂ©pendante pilotĂ©e par le SecrĂ©tariat gĂ©nĂ©ral pour lâinvestissement (SGPI) (voir encadrĂ© 10).
1 MĂȘme si le dĂ©ploiement de ces rĂ©seaux ne doit pas nĂ©cessairement ĂȘtre pris en charge par la puissance publique et peut Ă©galement relever dâacteurs privĂ©s.
Chapitre 5 Un référentiel pour valoriser les impacts climatiques
des projets dâinvestissement publics
FRANCE STRATĂGIE 139 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
Les projets portĂ©s par les collectivitĂ©s territoriales, pour leur part, ne sont pas obligatoirement soumis Ă Ă©valuation socioĂ©conomique et ne font pas lâobjet dâune contre-expertise. Ătendre le champ de lâanalyse socioĂ©conomique aux grands projets des collectivitĂ©s territoriales, dans le respect du principe de libre administration, permettrait de gagner en transparence et en cohĂ©rence sur la contribution des projets locaux Ă lâatteinte de lâobjectif de dĂ©carbonation national. Les collectivitĂ©s territoriales ont de fait un rĂŽle fondamental Ă jouer dans la rĂ©duction des Ă©missions de GES, notamment en structurant les rĂ©seaux locaux de transport et de chaleur.
EncadrĂ© 10 â Obligations actuelles concernant les Ă©valuations socioĂ©conomiques et aspects mĂ©thodologiques
Aujourdâhui, tous les projets dâinvestissement civils financĂ©s par lâĂtat, ses Ă©tablissements publics, les Ă©tablissements publics de santĂ© ou les structures de coopĂ©ration sanitaire doivent faire lâobjet dâune Ă©valuation socioĂ©conomique prĂ©alable (article 17 de la loi de programmation des finances publiques du 31 dĂ©cembre 2012). Le dĂ©cret 2013-1211 du 23 dĂ©cembre 2013 prĂ©cise que :
- si la contribution des projets publics mentionnĂ©s supra dĂ©passe un seuil de 20 M⏠HT, le projet doit ĂȘtre dĂ©clarĂ© Ă lâinventaire et le dossier dâĂ©valuation socioĂ©conomique doit contenir certains Ă©lĂ©ments spĂ©cifiques ;
- si la contribution des acteurs publics mentionnĂ©s supra dĂ©passe un seuil de 100 M⏠et reprĂ©sente au moins 5 % du montant total hors taxe du projet d'investissement, cette Ă©valuation socioĂ©conomique est soumise Ă une contre-expertise indĂ©pendante pilotĂ©e par le SecrĂ©tariat gĂ©nĂ©ral pour lâinvestissement.
Les Ă©valuations et contre-expertises doivent ĂȘtre transmises au Parlement.
La mĂ©thodologie gĂ©nĂ©rale pour rĂ©aliser les Ă©valuations socioĂ©conomiques est prĂ©sentĂ©e dans le rapport de 2017 du groupe dâexperts sur lâĂ©valuation socioĂ©conomique prĂ©sidĂ© par Roger Guesnerie1, qui sâappuie notamment sur le rapport du groupe prĂ©sidĂ© par Ămile Quinet de 20132. Le rapport de 2017 prĂ©sente en particulier la formule de la valeur actualisĂ©e nette (VAN) socioĂ©conomique dâun investissement.
1 France StratĂ©gie (2017), Guide de lâĂ©valuation socioĂ©conomique des investissements publics, rĂ©digĂ© sous lâautoritĂ© du comitĂ© dâexperts des mĂ©thodes dâĂ©valuation socioĂ©conomique des investissements publics prĂ©sidĂ© par Robert Guesnerie. 2 Commissariat gĂ©nĂ©ral Ă la stratĂ©gie et Ă la prospective (2013), Ăvaluation socioĂ©conomique des investissements publics, rapport de la mission prĂ©sidĂ©e par Ămile Quinet.
La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 140 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
De maniĂšre simplifiĂ©e1 et en isolant la composante « Ă©missions de gaz Ă effet de serre », celle-ci sâĂ©crit :
Avec :
- âĂ©đđđđđđđđđ- âcoĂ»ts marchands lâĂ©cart de coĂ»ts marchands, comparĂ© Ă lâoption de rĂ©fĂ©rence ;
- âĂ©missions les moindres Ă©missions de gaz Ă effet de serre lâannĂ©e i, en diffĂ©rentiel Ă lâoption de rĂ©fĂ©rence ;
- VTi la valeur tutĂ©laire du carbone lâannĂ©e i ;
- a le taux dâactualisation public retenu pour les Ă©valuations socioĂ©conomiques ;
- les sommes portent sur les années de construction et de fonctionnement ;
- les gains et coûts non marchands ne comprennent pas la valorisation des émissions de gaz à effet de serre ;
- les gains et coĂ»ts marchands et non marchands sont en Ă©cart Ă lâoption de rĂ©fĂ©rence.
Cette formule sâĂ©carte dâune Ă©valuation financiĂšre classique car elle se place du point de vue de la collectivitĂ© dans son ensemble et non dâun acteur spĂ©cifique, elle tient compte des externalitĂ©s et se fonde sur le taux dâactualisation socioĂ©conomique et non sur un taux dâactualisation privĂ©.
En outre, certains aspects techniques sectoriels sont prĂ©cisĂ©s dans des textes complĂ©mentaires (notamment les fiches outils de la Direction gĂ©nĂ©rale des transports, des infrastructures et de la mer â DGITM â concernant les infrastructures de transport) ou ont vocation Ă lâĂȘtre progressivement Ă la suite de la publication du rapport de 2017.
1 En particulier, sans tenir compte de la valeur rĂ©siduelle de lâinvestissement et en supposant que lâannĂ©e dâactualisation est lâannĂ©e de dĂ©but des travaux. Les dĂ©penses publiques tiennent compte du coĂ»t dâopportunitĂ© des fonds publics (COFP).
đđđđđ = ïżœâđđđđđđ đđđđđđâđđđđđđ â âđđđĂ»đĄđĄđ đđđđđđâđđđđđđ
(1 + đ)đđ
+ ïżœâđđđđđđ đđđ đđđđđđâđđđđđ đ â âđđđĂ»đĄđĄđ đđđ đđđđđđâđđđđđđ
(1 + đ)đđ
+ ïżœâĂ©đđđđđđđđđ â đđđ
(1 + đ)đđ
Chapitre 5 Un référentiel pour valoriser les impacts climatiques
des projets dâinvestissement publics
FRANCE STRATĂGIE 141 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
Tous les domaines de lâaction publique sont concernĂ©s 1.2.
La sphĂšre traditionnelle dâapplication du calcul socioĂ©conomique est le domaine des transports, qui concentre de nombreux projets publics et mobilise des enveloppes financiĂšres importantes. Depuis quelques annĂ©es, comme lâillustre le tableau ci-dessous, le calcul socioĂ©conomique sâĂ©tend progressivement Ă dâautres champs, notamment les grands bĂątiments publics (universitĂ©s) et certaines autres infrastructures (rĂ©seaux de chaleur). Ces Ă©volutions rĂ©centes doivent ĂȘtre confortĂ©es.
Tableau 17 â Nombre de contre-expertises rĂ©alisĂ©es par le SGPI, montant mĂ©dian des projets concernĂ©s
Projets contre-expertisés 2013 2014 2015 2016 2017
2018
T2 Cumul Montant
mĂ©dian (MâŹ)
HĂŽpitaux 5 2 7 2 2 2 20 193
Transports 1 2 5 4 3 0 15 1 700
Enseignement supérieur et recherche 0 8 2 0 0 0 10 178
Autres 0 1 2 3 4 0 10 311
Total 6 13 16 9 9 2 55 288
Source : SecrĂ©tariat gĂ©nĂ©ral pour lâinvestissement (SGPI)
Lâun des mĂ©rites attendus de lâextension du champ des Ă©valuations socioĂ©conomiques, et tout particuliĂšrement des impacts carbone, est de permettre de mieux hiĂ©rarchiser les projets publics entre eux, pour privilĂ©gier ceux dont les vertus climatiques sont les mieux affirmĂ©es. De fait, on constate, sur la base des Ă©valuations dĂ©jĂ disponibles, que le gain en termes de rĂ©duction des Ă©missions de gaz Ă effet de serre rapportĂ© au coĂ»t du projet est trĂšs discriminant. Ainsi, ces gains sont particuliĂšrement Ă©levĂ©s pour certains projets de transports ferroviaires et collectifs ou de recherche. Ă lâinverse, et sans surprise, la prise en compte des Ă©missions de GES rĂ©duit la valeur des projets autoroutiers prĂ©sentĂ©s ci-dessous (voir tableau 18).
La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 142 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
Tableau 18 â Poids du carbone dans lâĂ©valuation de grands projets dâinvestissement publics
Secteur Investissement Coût VAN1
dont impact carbone sur la base de la
trajectoire de valeur tutélaire de 2009
Carbone/ Coût
(MâŹ2015) (MâŹ2015) (MâŹ2015) %
Ănergie RĂ©seau de chaleur et de froid
avec géothermie sur le plateau de Saclay
47 23 7 15 %
Ferroviaire Modernisation de la ligne Serqueux-Gisors 344 786 472 137 %
GPE Grand Paris Express, programme 21 815 28 449 6 825 31 %
Recherche Microcarb (Ă©quipement de mesures
des Ă©missions de CO2 Ă partir d'un satellite)
142 31 105 74 %
Autoroute Contournement est de Rouen 841 787 -78 -9 %
Ferroviaire Charles de Gaulle Express 1 714 3 056 76 4 %
Autoroute Liaison autoroutiĂšre Castres-Toulouse 275 559 -52 -19 %
BĂątiment Reconstruction du centre
pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan
107 21 1 1 %
Ferroviaire HPGVSE â modernisation de la ligne Paris-Lyon 350 2 156 396 113 %
Source : SecrĂ©tariat gĂ©nĂ©ral pour lâinvestissement (SGP)I2
La trajectoire de valeur tutĂ©laire du carbone proposĂ©e dans ce rapport, fortement revue Ă la hausse, devrait accentuer cette hiĂ©rarchisation des projets : sous lâhypothĂšse forte dâun scĂ©nario de rĂ©fĂ©rence inchangĂ©, la discrimination serait plus forte entre projets Ă©metteurs et non Ă©metteurs de gaz Ă effet de serre, comme lâillustre de maniĂšre purement indicative le tableau ci-dessous. LâĂ©volution ne serait pas homothĂ©tique pour tous les projets dans la mesure oĂč la chronologie des Ă©missions Ă©vitĂ©es ou gĂ©nĂ©rĂ©es joue un rĂŽle important dans le calcul.
1 Y compris le coĂ»t dâopportunitĂ© des fonds publics, reprĂ©sentant le coĂ»t dâopportunitĂ© quâil y a Ă mobiliser lâargent public sur un projet spĂ©cifique. Voir Commissariat gĂ©nĂ©ral Ă la stratĂ©gie et Ă la prospective (2013), Ăvaluation socioĂ©conomique des investissements publics, rapport de la mission prĂ©sidĂ©e par Emile Quinet. 2 Rapports en ligne sur le site du SGPI : www.gouvernement.fr/Rapports_CE.
Chapitre 5 Un référentiel pour valoriser les impacts climatiques
des projets dâinvestissement publics
FRANCE STRATĂGIE 143 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
Tableau 19 â Composante de la VAN liĂ©e Ă la prise en compte des Ă©missions de gaz Ă effet de serre dans lâĂ©valuation de grands projets dâinvestissement publics
(à scénario de référence inchangé)
Investissement
Avec la trajectoire de valeur tutélaire
en vigueur
Avec la trajectoire de valeur tutélaire
proposée *
(MâŹ2015) (MâŹ2015)
Réseau de chaleur et de froid avec géothermie sur le plateau de Saclay 7 14
Modernisation de la ligne Serqueux-Gisors 472 856
Grand Paris Express, programme 6 825 12 599
Microcarb (Ă©quipement de mesures des Ă©missions de CO2 Ă partir d'un satellite) 105 296
Contournement est de Rouen â 78 â 345
Charles de Gaulle Express 76 75
Liaison autoroutiĂšre Castres-Toulouse â 52 â 241
Reconstruction du centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan 1 2
HPGVSE â modernisation de la ligne Paris-Lyon 396 361
* Sans modifier le scénario de référence, à titre illustratif.
Source : calculs SecrĂ©tariat gĂ©nĂ©ral pour lâinvestissement (SGPI)
Lâensemble du cadre dâĂ©valuation doit ĂȘtre rĂ©novĂ© 2.Ă lâaune de lâobjectif de neutralitĂ© carbone
La valeur tutĂ©laire du carbone actuellement utilisĂ©e dans les Ă©valuations socioĂ©cono-miques est celle issue du rapport de 20091, complĂ©tĂ© par le rapport France StratĂ©gie de 2013 sur lâĂ©valuation socioĂ©conomique2. Pour mettre en cohĂ©rence les dĂ©cisions dâinvestissements publics avec le nouvel objectif de neutralitĂ© carbone, nous proposons de mettre Ă jour cette trajectoire sur la base des propositions du prĂ©sent rapport.
Cette rĂ©vision Ă la hausse de la trajectoire de valeur tutĂ©laire du carbone doit sâaccompagner dâune mise Ă jour de la mĂ©thodologie dâĂ©valuation de la valeur des
1 Centre dâanalyse stratĂ©gique (2009), La valeur tutĂ©laire du carbone, rapport de la commission prĂ©sidĂ©e par Alain Quinet. 2 France StratĂ©gie (2017), Guide de lâĂ©valuation socioĂ©conomique des investissements publics, op. cit.
La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 144 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
projets dâĂ©missions, autour de trois questions : le choix du scĂ©nario de rĂ©fĂ©rence et la prise en compte du risque, la valeur du carbone au-delĂ de 2050 et la prise en compte des Ă©missions gĂ©nĂ©rĂ©es en phase de construction.
La valorisation de la contribution des projets Ă la dĂ©carbonation 2.1.de lâĂ©conomie doit intĂ©grer une analyse des risques
Pour Ă©valuer Ă contribution dâun projet Ă la dĂ©carbonation de lâĂ©conomie, il faut tenir compte de trois Ă©lĂ©ments :
â la situation de rĂ©fĂ©rence dans laquelle sâinscrit le projet, et les incertitudes qui lâentourent ;
â la flexibilitĂ© quâapporte le projet pour sâadapter Ă une Ă©volution de la situation de rĂ©fĂ©rence ;
â la corrĂ©lation entre les gains apportĂ©s par le projet et la croissance Ă©conomique.
Situation de référence et incertitude associée
Le calcul socioĂ©conomique nâĂ©value pas la valeur absolue dâun projet mais sa contribution au bien-ĂȘtre collectif par rapport Ă une situation dans laquelle ce projet nâaurait pas Ă©tĂ© entrepris. Cela suppose de disposer, secteur par secteur, dâun scĂ©nario de rĂ©fĂ©rence dĂ©crivant lâĂ©volution des grands paramĂštres dans le secteur considĂ©rĂ© (tendances Ă©conomiques, technologiques et sociales), et dâune option de rĂ©fĂ©rence, câest-Ă -dire dâune description des alternatives en lâabsence de projet. Le gain dâun projet dĂ©pend donc fortement des hypothĂšses retenues pour dĂ©crire cette situation sans projet.
Dans les pratiques socioĂ©conomiques en vigueur, le scĂ©nario et lâoption de rĂ©fĂ©rence ne sont pas construits « au fil de lâeau » : ce sont des scĂ©narios de convergence vers lâobjectif officiel de dĂ©carbonation, sous lâhypothĂšse dâun alignement des politiques publiques vers cet objectif.
EncadrĂ© 11 â La dĂ©carbonation inscrite dans le scĂ©nario de rĂ©fĂ©rence : exemple dâun projet ferroviaire
On peut illustrer lâimportance de la construction du scĂ©nario de rĂ©fĂ©rence avec lâexemple dâun projet ferroviaire pour lequel on cherche Ă valoriser les gains carbone. Ces gains sont essentiellement dus Ă un report modal : lâĂ©valuation valorise les Ă©missions qui ne seront pas Ă©mises par les usagers qui abandonneront la route ou l'avion pour le train. Mais dâaujourdâhui Ă 2050, quel parc automobile considĂšre-t-on pour faire ces calculs ? Si le parc automobile
Chapitre 5 Un référentiel pour valoriser les impacts climatiques
des projets dâinvestissement publics
FRANCE STRATĂGIE 145 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
nâa pas Ă©tĂ© dĂ©carbonĂ©, le projet apporte un gain carbone important via le report modal. Si en revanche le parc automobile devient totalement Ă©lectrifiĂ©, il nây aura en fin de pĂ©riode aucune tonne de carbone Ă valoriser, et ce quelle que soit la valeur tutĂ©laire du carbone Ă cette mĂȘme date (en supposant lâĂ©lectricitĂ© elle-mĂȘme totalement dĂ©carbonĂ©e). Les avantages du projet ferroviaire en matiĂšre de rĂ©duction des effets de serre au titre du report modal de la voiture vers le train deviennent donc nuls au-delĂ de 20501. Seul subsiste le gain liĂ© au report de lâaĂ©rien vers le train. Le rehaussement de la valeur carbone Ă long terme nâimplique donc pas mĂ©caniquement une augmentation de la valorisation des gains carbone dâun projet, notamment pour les horizons lointains. Tout dĂ©pend du scĂ©nario de rĂ©fĂ©rence considĂ©rĂ©, ainsi que de la maniĂšre dont on valorise le risque que lâobjectif de dĂ©carbonation ne soit pas atteint.
Comme le choix du scĂ©nario de rĂ©fĂ©rence revĂȘt une importance cruciale dans le contexte dâune ambition de dĂ©carbonation totale des activitĂ©s humaines en 2050, lâanalyse de la contribution dâun projet Ă la dĂ©carbonation doit prendre en compte les incertitudes associĂ©es Ă lâatteinte de la neutralitĂ© carbone en 2050. En effet, la neutralitĂ© carbone est un objectif ambitieux et non un rĂ©sultat acquis dâavance. Lorsquâon Ă©value un projet dans un environnement de rĂ©fĂ©rence dĂ©carbonĂ©, il est prudent de tenir compte du risque que la dĂ©carbonation soit plus lente quâanticipĂ©2, ce qui rĂ©troagit sur lâintĂ©rĂȘt du projet.
La commission ne formule pas Ă ce stade de recommandation prĂ©cise sur la maniĂšre de prendre en compte cette incertitude et renvoie au groupe dâexperts sur la socioĂ©conomie de France StratĂ©gie le soin de prĂ©ciser le bon cadre de rĂ©fĂ©rence de lâanalyse des projets. Elle considĂšre que ce travail dâexpertise doit prendre en compte trois exigences.
âą Les scĂ©narios de rĂ©fĂ©rence doivent intĂ©grer le nouvel objectif de neutralitĂ© carbone et le fait que les politiques publiques favoriseront la dĂ©carbonation, celle-ci n'ayant pas vocation Ă reposer exclusivement sur des projets dâinvestissement publics. Ă ce titre, le groupe dâexperts pourra sâappuyer sur les scĂ©narios sectoriels de la SNBC.
1 Cela ne signifie pas que la valeur du carbone est nulle Ă cet horizon : si au lieu dâexaminer un projet ferroviaire on examine un projet de centrale Ă charbon, il est important que la valeur du carbone en 2050 ne soit pas nulle pour dĂ©courager lâinvestissement dans la centrale Ă charbon. 2 Cela peut se produire mĂȘme dans le cas oĂč la valeur carbone calculĂ©e pour atteindre cet objectif est internalisĂ©e dans lâensemble des politiques publiques, si la valeur tutĂ©laire calculĂ©e initialement est trop faible.
La valeur de lâaction pour le climat
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âą La valeur « assurantielle » de certains projets structurants doit ĂȘtre monĂ©tarisĂ©e. Tout lâenjeu est dâĂ©viter que des projets utiles Ă la dĂ©carbonation ne se fassent pas au seul motif que lâon tiendrait pour acquis la convergence vers la neutralitĂ© carbone. Cette question est particuliĂšrement prĂ©gnante pour les projets dont la contribution Ă la dĂ©carbonation ne peut ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme marginale (grand projet dâurbanisme, de rĂ©seau de transport) et qui permettent dâoffrir aux acteurs publics et privĂ©s des usages alternatifs Ă ceux reposant sur les Ă©nergies carbonĂ©es.
âą Une dĂ©clinaison cohĂ©rente par secteur de lâobjectif de dĂ©carbonation doit ĂȘtre rĂ©alisĂ©e, ce qui suppose que les scĂ©narios de rĂ©fĂ©rence par grand secteur soient :
â adoptĂ©s en concertation avec tous les acteurs publics concernĂ©s, sous lâĂ©gide dâune coordination assurĂ©e par France StratĂ©gie ;
â explicitĂ©s prĂ©cisĂ©ment dans des documents de rĂ©fĂ©rence publics et utilisables par les maĂźtres dâouvrage ;
â rĂ©visĂ©s rĂ©guliĂšrement pour intĂ©grer des informations nouvelles, relatives notamment aux Ă©volutions des comportements et Ă lâoffre technologique ;
â pris en compte par le SecrĂ©tariat gĂ©nĂ©ral pour lâinvestissement (SGPI) dans son rĂŽle dâinvestisseur ou de coordinateur des investissements publics.
Les questions posĂ©es par lâĂ©valuation des projets et leur confrontation Ă un scĂ©nario de rĂ©fĂ©rence soulĂšvent de maniĂšre plus gĂ©nĂ©rale le sujet de la prise en compte du risque dans la valeur des projets. Nous recommandons que le rapport de France StratĂ©gie prĂ©parĂ© sous la prĂ©sidence de Christian Gollier1 fasse lâobjet de deux types dâapprofondissement : la prise en compte de la valeur dâoption des projets et le taux auquel les bĂ©nĂ©fices et les coĂ»ts des projets de lutte contre le changement climatique doivent ĂȘtre actualisĂ©s.
Mieux intĂ©grer la valeur dâoption dâun projet pour tenir compte de lâirrĂ©versibilitĂ© de certaines dĂ©cisions2
La lutte contre le changement climatique appelle des actions prĂ©coces pour prĂ©venir le risque de dommages graves et irrĂ©versibles. Il est Ă©galement pertinent, sâagissant de projets Ă durĂ©e de vie potentiellement trĂšs longue, de garder une certaine flexibilitĂ©. Il y a en effet un risque Ă qualifier dâ« indispensables » les solutions dĂ©jĂ connues, de les
1 Centre dâanalyse stratĂ©gique (2011), Le calcul du risque dans les investissements publics, rapport de la mission prĂ©sidĂ©e par Christian Gollier. 2 Bureau D. et Gollier C. (2009), « Ăvaluation des projets publics et dĂ©veloppement durable », CEDD, RĂ©fĂ©rences Ă©conomiques pour le dĂ©veloppement durable, n° 8.
Chapitre 5 Un référentiel pour valoriser les impacts climatiques
des projets dâinvestissement publics
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dĂ©ployer massivement sur les bases dâanalyses socioĂ©conomiques trop court-termistes ou mĂ©caniques et de dĂ©courager lâinnovation qui permettrait de faire Ă©merger des solutions potentiellement plus efficaces, crĂ©ant ainsi un verrouillage technologique. Cette flexibilitĂ© peut prendre deux formes :
â favoriser la rĂ©alisation prĂ©coce de projets dont lâutilisation est flexible. Par exemple, un rĂ©seau de chaleur peut ĂȘtre alimentĂ© par diverses sources de chaleur : il nâest donc pas nĂ©cessaire de savoir quelle source de chaleur renouvelable sera privilĂ©giĂ©e dans le futur pour ĂȘtre certain de lâintĂ©rĂȘt de ce type dâinfrastructures ;
â sĂ©quencer dans le temps certaines dĂ©cisions pour mieux tenir compte des nouvelles informations. Par exemple, avant de dĂ©ployer massivement un rĂ©seau de transport donnĂ© (autoroute Ă©lectrique, rĂ©seau de bornes de recharge spĂ©cifique Ă un type de vĂ©hicules, etc.), il peut ĂȘtre utile de vĂ©rifier quâaucune technologie alternative ne permettrait dâobtenir des rĂ©sultats similaires avec une meilleure efficacitĂ©.
Poursuivre le travail pour mieux intégrer les risques dans la définition de la valeur tutélaire du carbone
Le taux dâactualisation utilisĂ© pour Ă©valuer les projets et, plus gĂ©nĂ©ralement, les politiques publiques ayant des consĂ©quences Ă long terme dĂ©pend de diffĂ©rents paramĂštres (prĂ©fĂ©rence pure pour le prĂ©sent, croissance anticipĂ©e du PIB par tĂȘte, gain de bien-ĂȘtre marginal liĂ© Ă une hausse de la consommation, effet de prĂ©caution). Au-delĂ , le taux dâactualisation doit ĂȘtre affinĂ© pour prendre en compte les risques systĂ©miques dont lâĂtat ne peut se prĂ©munir et pour lesquels il nây a pas de mutualisation possible, Ă commencer par le risque macroĂ©conomique.
Comme lâexplicite le complĂ©ment au rapport de Christian Gollier1, cette question de la corrĂ©lation au risque macroĂ©conomique est particuliĂšrement importante dans la dĂ©termination du taux dâactualisation applicable aux projets dĂ©diĂ©s Ă la lutte contre le changement climatique. En pratique, ce taux peut ĂȘtre majorĂ© ou minorĂ© selon la nature des incertitudes :
â si lâincertitude principale sur la croissance porte sur le rythme du progrĂšs technique permettant de dĂ©carboner, il y a un risque quâune forte croissance engendre beaucoup dâĂ©missions. Le bĂ©nĂ©fice marginal dâun projet de lutte contre le change-ment climatique sera alors positivement corrĂ©lĂ© au PIB (« beta climatique » positif) ;
â si lâincertitude principale sur la croissance porte sur lâampleur des dommages causĂ©s par le changement climatique, alors les projets qui luttent contre ce dĂ©rĂšglement
1 Voir Complément 3, « On the efficient growth rate of carbon price under a carbon budget ».
La valeur de lâaction pour le climat
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viennent soutenir la croissance Ă©conomique. Un bĂȘta climatique nĂ©gatif aura pour effet de rĂ©duire le taux dâactualisation et mĂšnera Ă valoriser davantage les investissements permettant de rĂ©duire les Ă©missions de GES.
Mieux Ă©valuer cette corrĂ©lation entre risque climatique et risque macroĂ©conomique, comme le propose le complĂ©ment au rapport de Christian Gollier, conditionne Ă la fois une bonne comprĂ©hension des risques et le choix du taux dâactualisation applicable aux projets de long terme.
Les incidences de long terme des projets de lutte contre 2.2.le changement climatique
LâĂ©valuation socioĂ©conomique sâest enrichie au cours des annĂ©es rĂ©centes pour amĂ©liorer la prise en compte du long terme : les taux dâactualisation ont Ă©tĂ© revus Ă la baisse ; lâhorizon dâĂ©valuation sâest allongĂ© ; dans le domaine de la lutte contre le changement climatique, la rĂšgle de Hotelling apporte la garantie que les bĂ©nĂ©fices de long terme ne sont pas « Ă©crasĂ©s » par lâactualisation.
Dans ce cadre, et mĂȘme si notre proposition de trajectoire est calĂ©e sur lâhorizon 2050, il est nĂ©cessaire, pour les besoins de lâĂ©valuation des projets dont la durĂ©e de vie dĂ©passe cet horizon, de caler une « rĂšgle du jeu » post-2050. MĂȘme dans un environnement qui serait dĂ©carbonĂ©, donner une valeur au carbone restera une exigence pour rendre durable le dĂ©couplage entre PIB et Ă©missions et valoriser les Ă©missions nĂ©gatives.
Dans ce contexte, nous recommandons de prolonger au-delĂ de 2050, pour une dĂ©cennie, la rĂšgle de Hotelling, soit une croissance de la valeur tutĂ©laire maintenue Ă 4,5 % par an. Ă cet horizon, le stock de capital dĂ©carbonĂ© aura Ă©tĂ© constituĂ© et amorti. Au-delĂ , une modĂ©lisation ajustant le cadre de Hotelling pour tenir compte de la constitution dâun capital dĂ©carbonĂ©1 montre quâil suffit de stabiliser la valeur tutĂ©laire du carbone pour prĂ©server les incitations Ă le renouveler dans la durĂ©e.
1 Voir les ComplĂ©ments au rapport, ComplĂ©ment 1, « Un modĂšle avec capital dâabattement pour lâĂ©valuation du carbone », par Boris Le Hir, Aude Pommeret et Mathilde Salin. La stabilisation de la valeur tutĂ©laire est obtenue dans le cas oĂč (i) il nây a pas de progrĂšs technique faisant diminuer le coĂ»t des technologies nĂ©cessaires pour atteindre la dĂ©carbonation en 2050, (ii) le coĂ»t du capital dâabattement nâaugmente pas avec la croissance Ă©conomique et (iii) les puits de carbone sont stables (si les puits de carbone se rĂ©duisent aprĂšs 2050, le maintien de la neutralitĂ© carbone nette impliquera dâaller plus loin sur la rĂ©duction des Ă©missions brutes, ce qui peut nĂ©cessiter de mobiliser des technologies plus coĂ»teuses que celles utilisĂ©es pour atteindre initialement la neutralitĂ© carbone en 2050, et donc la valeur tutĂ©laire pourrait devoir continuer Ă croĂźtre).
Chapitre 5 Un référentiel pour valoriser les impacts climatiques
des projets dâinvestissement publics
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La prise en compte de lâensemble de la vie des projets 2.3.
Il est pertinent de prendre en compte les Ă©missions gĂ©nĂ©rĂ©es et/ou Ă©vitĂ©es tout au long de la vie des projets, dĂšs la phase de construction et le cas Ă©chĂ©ant jusquâĂ la phase de dĂ©mantĂšlement.
LâĂ©valuation carbone se concentre aujourdâhui sur les Ă©missions Ă©vitĂ©es ou gĂ©nĂ©rĂ©es Ă la mise en service de lâinvestissement, mais nâinclut pas les Ă©missions de carbone induites par la rĂ©alisation des travaux dâinfrastructure. Ceux-ci peuvent ĂȘtre importants et participent Ă lâĂ©puisement du budget carbone de la France. Par exemple, les projets de transports souterrains induisent dâimportantes Ă©missions lors du creusement des tunnels, qui sont aujourdâhui rarement prises en compte dans les Ă©valuations socioĂ©conomiques.
La commission recommande que les bilans socioĂ©conomiques intĂšgrent les impacts associĂ©s aux travaux dâinvestissement. Sans entrer dans une analyse en cycle de vie complĂšte, il est utile pour Ă©valuer la rentabilitĂ© carbone des projets de vĂ©rifier que les Ă©missions Ă©mises en phase de construction soient gagĂ©es par les baisses dâĂ©mission attendues Ă la mise en service.
Conclusion
LâĂ©valuation socioĂ©conomique fournit un cadre dâanalyse indispensable pour apprĂ©cier la contribution des projets au bien-ĂȘtre et Ă lutte contre le changement climatique. Utiliser la valeur tutĂ©laire du carbone, câest disposer dâune base objective pour orienter les choix dâinvestissements publics vers lâobjectif ZEN. Bien sĂ»r, ce cadre nĂ©cessite de faire des choix mĂ©thodologiques que lâon peut discuter et comporte des limites importantes, mais câest Ă ce jour la meilleure mĂ©thode permettant dâintĂ©grer dans une mĂȘme analyse les diffĂ©rentes facettes dâun projet, en particulier dâintĂ©grer dans une mĂȘme Ă©valuation les approches Ă©conomiques et sociales et les approches Ă©cologiques.
LâĂ©valuation socioĂ©conomique vise Ă guider les choix publics, non Ă les contraindre. Les Ă©valuations offrent au dĂ©cideur une « matiĂšre Ă penser » indĂ©pendante des positions des lobbies ; elle ne vise en aucun cas Ă automatiser les choix ou Ă se substituer Ă la dĂ©finition des prioritĂ©s stratĂ©giques.
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CHAPITRE 6 UNE BOUSSOLE
POUR LâINVESTISSEMENT ET LâACTION
La valeur de lâaction pour le climat ou valeur tutĂ©laire du carbone constitue lâingrĂ©dient de base dâun cadre dâĂ©valuation qui doit permettre de rĂ©pondre Ă trois questions fondamentales :
â le pays est-il sur la « bonne » trajectoire de dĂ©carbonation, câest-Ă -dire sur le chemin lui permettant dâatteindre in fine lâobjectif ZEN ? La rĂ©ponse relĂšve dâun suivi quantitatif des flux dâĂ©missions par secteur et des puits de carbone ;
â la trajectoire observĂ©e permet-elle dâatteindre lâobjectif fixĂ© au meilleur coĂ»t ? Pour rĂ©pondre Ă cette question, le coĂ»t dâabattement des diffĂ©rentes actions sectorielles de dĂ©carbonation (actions de rĂ©novation thermique des bĂątiments, de dĂ©ploiement des vĂ©hicules dĂ©carbonĂ©s, de rĂ©duction des Ă©missions agricoles, etc.) peut ĂȘtre comparĂ© Ă la trajectoire de valeur tutĂ©laire. Cette comparaison doit aider Ă fixer les prioritĂ©s de politique publique ;
â les actions sont-elles appelĂ©es par ordre de mĂ©rite ? Les gisements de rĂ©duction des Ă©missions de GES Ă bas coĂ»t doivent ĂȘtre mobilisĂ©s en prioritĂ©, avant que ne soient lancĂ©es les actions plus coĂ»teuses. Câest lâintĂ©rĂȘt dâune trajectoire pluriannuelle de valeur tutĂ©laire du carbone de guider le dĂ©clenchement en temps utile â ni trop tĂŽt, ni trop tard â des actions efficaces, en tenant compte des dĂ©lais de rĂ©alisation des investissements et des baisses de coĂ»ts liĂ©s aux effets dâapprentissage.
Ce chapitre propose un cadre gĂ©nĂ©ral pour Ă©valuer les actions sectorielles de dĂ©carbonation, ainsi que les mesures de politique environnementale venant en soutien des actions jugĂ©es pertinentes pour la collectivitĂ©. Il montre le rĂŽle structurant que peut jouer la valeur tutĂ©laire du carbone dans la construction et la mise en Ćuvre de ce cadre dâĂ©valuation.
La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 152 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
La valeur de lâaction pour le climat permet de prĂ©ciser des 1.actions sectorielles de dĂ©carbonation utiles Ă la collectivitĂ©
Pour atteindre lâobjectif ZEN, il faut dâabord dĂ©finir le champ des actions sectorielles pertinentes Ă mobiliser. Câest ensuite que se pose la question des mesures qui peuvent ĂȘtre nĂ©cessaires pour dĂ©clencher les actions jugĂ©es pertinentes.
Une action sectorielle de dĂ©carbonation, quelle que soit sa forme, peut ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme un investissement, car elle reprĂ©sente un effort initial qui permet ensuite de rĂ©duire durablement la quantitĂ© de CO2e Ă©mise. Cet investissement peut ĂȘtre mesurĂ© en euros Ă la tonne de CO2e Ă©vitĂ©e, ce que lâon appelle coĂ»t dâabattement. Câest ce coĂ»t qui doit ĂȘtre comparĂ© Ă la trajectoire de valeur tutĂ©laire du carbone pour Ă©valuer si lâaction de dĂ©carbonation est pertinente du point de vue de la collectivitĂ©. Si une action rĂ©duisant les Ă©missions de 1 tCO2e chaque annĂ©e pendant dix ans reprĂ©sente un coĂ»t de 100 ⏠par tonne de CO2e Ă©vitĂ©e et que la valeur tutĂ©laire actualisĂ©e moyenne est de 150 ⏠par tonne, celle-ci peut ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme pertinente pour la collectivitĂ©. Plus gĂ©nĂ©ralement :
â toutes les actions de dĂ©carbonation dont le coĂ»t dâabattement est infĂ©rieur Ă la moyenne de la valeur tutĂ©laire du carbone actualisĂ©e sur la durĂ©e de lâaction sont pertinentes pour la collectivitĂ© ;
â les autres induisent en premiĂšre approche des surcoĂ»ts par rapport Ă un chemin efficace.
Objectif ZEN
Mesures environnementales utiles pour déclencher les actions
Actions sectorielles socioĂ©conomiquement rentables pour atteindre lâobjectif
Chapitre 6 Une boussole pour lâinvestissement et lâaction
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LâĂ©valuation des coĂ»ts dâabattement socioĂ©conomiques 1.1.
LâĂ©valuation socioĂ©conomique a Ă©tĂ© historiquement Ă©laborĂ©e pour les investissements publics. Mais elle mĂ©rite dâĂȘtre Ă©largie Ă toutes les actions. En effet, les investissements publics ne peuvent porter seuls toute la transition bas carbone et ils interviennent plutĂŽt en facilitateur, en offrant aux acteurs privĂ©s â entreprises et mĂ©nages â des alternatives dĂ©carbonĂ©es.
Lâinstrument de rĂ©fĂ©rence pour Ă©valuer les actions de dĂ©carbonation est le coĂ»t dâabattement. Celui-ci se dĂ©finit comme lâĂ©cart de coĂ»t actualisĂ© entre lâaction de dĂ©carbonation et la solution de rĂ©fĂ©rence carbonĂ©e Ă©quivalente, rapportĂ© aux Ă©missions de gaz Ă effet de serre Ă©vitĂ©es par lâaction. LâĂ©cart de coĂ»t est actualisĂ© car le coĂ»t dâabattement intĂšgre les coĂ»ts liĂ©s Ă lâinvestissement initial, mais aussi les coĂ»ts liĂ©s Ă lâusage de cet investissement tout au long de sa durĂ©e de vie. Ce rapport fait le choix de ne pas actualiser les Ă©missions si bien que le coĂ»t dâabattement ne dĂ©pend que du volume total abattu, non de la chronique prĂ©cise des abattements.
De maniĂšre gĂ©nĂ©rale, la formule de calcul du coĂ»t dâabattement socioĂ©conomique est la suivante :
đ¶đđ = âinvestissement + âfonctionnement â âcobĂ©nĂ©fices
â âĂ©đđđđđđđđđđ
Avec :
â CA : le coĂ»t dâabattement ;
â âinvestissement : le surcoĂ»t potentiel de lâinvestissement, comparĂ© Ă la technologie carbonĂ©e de rĂ©fĂ©rence ;
â âfonctionnement : le surcoĂ»t potentiel de fonctionnement de lâĂ©quipement comparĂ© Ă la technologie carbonĂ©e de rĂ©fĂ©rence, actualisĂ© au taux dâactualisation socioĂ©co-nomique ;
â âcobĂ©nĂ©fices : les cobĂ©nĂ©fices potentiels de la solution dĂ©carbonĂ©e comparĂ© Ă la technologie carbonĂ©e de rĂ©fĂ©rence, actualisĂ©s au taux dâactualisation socioĂ©co-nomique ;
â âĂ©đđđđđđđđđ : les moindres Ă©missions de gaz Ă effet de serre lâannĂ©e i, comparĂ© Ă ce quâelles seraient avec la technologie carbonĂ©e, que lâon somme sur la durĂ©e de vie de lâĂ©quipement.
La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 154 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
De maniĂšre Ă©quivalente, la formule peut sâĂ©crire (en notant a le taux dâactualisation socioĂ©conomique) :
0 = ââinvestissement â âfonctionnement + âcobĂ©nĂ©fices + ïżœâĂ©đđđđđđđđđđ
â đ¶đđ
Cette formule est trĂšs proche de la formule mesurant lâĂ©cart de valeur actuelle nette (VAN) socioĂ©conomique entre lâinvestissement dĂ©carbonĂ© et lâinvestissement carbonĂ© (en notant đđđ la valeur tutĂ©laire du carbone lâannĂ©e i) :
âđđđđđ = ââinvestissement â âfonctionnement + âcobĂ©nĂ©fices + ïżœâĂ©đđđđđđđđđ
(1 + đ)đđ
â đđđ
Qui sâĂ©crit , lorsque la valeur tutĂ©laire croĂźt au taux dâactualisation :
âđđđđđ = ââinvestissement â âfonctionnement + âcobĂ©nĂ©fices + ïżœâĂ©đđđđđđđđđđ
â đđ0
Ainsi, si la valeur tutĂ©laire croĂźt comme le taux dâactualisation socioĂ©conomique, une action sectorielle de dĂ©carbonation est rentable socioĂ©conomiquement lorsque son coĂ»t dâabattement est infĂ©rieur Ă la valeur tutĂ©laire lâannĂ©e de lâinvestissement. Si la valeur tutĂ©laire croĂźt Ă un rythme diffĂ©rent, il faut comparer le coĂ»t dâabattement Ă la moyenne de la valeur tutĂ©laire actualisĂ©e (pondĂ©rĂ©e par les rĂ©ductions annuelles dâĂ©missions).
Pour rendre comparables les coĂ»ts dâabattement des diffĂ©rentes actions sectorielles possibles, il est nĂ©cessaire de dĂ©finir un socle commun de rĂšgles dâĂ©valuation. Dans ce cadre, une attention particuliĂšre doit ĂȘtre donnĂ©e Ă la situation de rĂ©fĂ©rence. Ainsi, lâimpact sur les Ă©missions des Ă©nergies renouvelables Ă©lectriques nâest pas le mĂȘme selon quâelles remplacent des centrales Ă gaz ou Ă charbon Ă©mettrices de GES ou des centrales nuclĂ©aires dĂ©carbonĂ©es. De mĂȘme lâĂ©cart de coĂ»t de production nâest pas le mĂȘme selon que lâon compare la source dâĂ©nergie renouvelable Ă©lectrique Ă une centrale au gaz ou Ă une centrale nuclĂ©aire. Il faut Ă©galement, dans la mesure du possible, tenir compte des Ă©missions sur le cycle de vie complet de lâĂ©quipement (par exemple, il faut tenir compte des Ă©missions lors de la fabrication de la batterie dâun vĂ©hicule Ă©lectrique).
Le coĂ»t dâabattement calculĂ© ici est un coĂ»t dâabattement socioĂ©conomique, en se plaçant du point de vue de lâintĂ©rĂȘt de la collectivitĂ©. Cela entraĂźne trois consĂ©quences importantes :
â les coĂ»ts considĂ©rĂ©s sont hors impacts financiers des taxes et subventions, dans la mesure oĂč celles-ci reprĂ©sentent des transferts monĂ©taires au sein de la collectivitĂ©, sans incidence nette sur le bilan socioĂ©conomique de lâinvestissement ;
â il faut tenir compte des cobĂ©nĂ©fices dâune action de dĂ©carbonation (par exemple la rĂ©duction de la pollution locale et du bruit permise par le dĂ©ploiement du vĂ©hicule Ă©lectrique). Ces cobĂ©nĂ©fices doivent ĂȘtre valorisĂ©s sur la base des valeurs tutĂ©laires dĂ©finies pour ces externalitĂ©s, et dĂ©duits du coĂ»t dâabattement ;
Chapitre 6 Une boussole pour lâinvestissement et lâaction
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â enfin, le taux auquel les coĂ»ts et gains doivent ĂȘtre actualisĂ©s est le taux dâactualisation public et non le taux des marchĂ©s financiers.
Les Ă©valuations de coĂ»ts dâabattement socioĂ©conomiques permettent de fixer les prioritĂ©s sur la base dâune analyse coĂ»ts-efficacitĂ©. On peut ainsi classer les actions sectorielles de dĂ©carbonation en fonction de leur coĂ»t dâabattement:
âą Les actions Ă coĂ»ts dâabattement nuls ou nĂ©gatifs, notamment parce quâelles nâengagent pas dâinvestissement significatif : il sâagit de cas oĂč il nây a pas de surcoĂ»t pour la collectivitĂ© Ă passer Ă la technologie ou au comportement dĂ©carbonĂ©, voire oĂč il y a un gain Ă le faire sans mĂȘme valoriser les Ă©missions Ă©vitĂ©es. Ces actions doivent donc ĂȘtre entreprises immĂ©diatement, sous rĂ©serve, naturellement, de leur faisabilitĂ© opĂ©rationnelle et de la mise en place des Ă©ventuelles mesures dâaccompa-gnement nĂ©cessaires, notamment sur le plan social :
â dans le registre de la sobriĂ©tĂ© : lâachat dâun vĂ©hicule plus adaptĂ© aux besoins en lieu et place dâun vĂ©hicule plus puissant et plus grand Ă lâoccasion dâun renouvellement (car alors le prix dâachat et la facture des carburants sont plus faibles, pour le mĂȘme usage) ou lâoptimisation manuelle du chauffage dâun bĂątiment au cours de la journĂ©e (car alors la facture de chauffage peut ĂȘtre rĂ©duite sans installer de dispositif particulier) ;
â dans le registre du partage : le recours au covoiturage1.
âą Les actions Ă coĂ»t dâabattement positif mais relativement faible, infĂ©rieur Ă 100 âŹ/tCO2e. Câest notamment le cas de certaines actions dâisolation thermique, de lâinstallation de pompes Ă chaleur ou du passage Ă des bus Ă©lectriques en milieu trĂšs dense.
âą Les actions dont le coĂ»t dâabattement se situe autour de 200 âŹ/tCO2e- 250 âŹ/tCO2e. Cela concerne notamment lâadoption de voitures Ă©lectriques au lieu de vĂ©hicules thermiques.
âą Les actions dont le coĂ»t dâabattement reste Ă©levĂ©, en lâĂ©tat actuel des connaissances, comme le recours Ă lâhydrogĂšne dĂ©carbonĂ© dans les transports, lâindustrie ou la production dâĂ©nergie, ou la capture et la sĂ©questration du carbone. Les coĂ»ts dâabattement pourraient ĂȘtre ultĂ©rieurement revus Ă la baisse en cas dâavancĂ©e technologique ou de hausse des prix des Ă©nergies fossiles
LâencadrĂ© 12 ci-dessous prĂ©sente des Ă©valuations de coĂ»ts dâabattement tirĂ©es de quelques Ă©tudes rĂ©centes.
1 Dans le cas oĂč il ne nĂ©cessite pas la mise en place dâinfrastructures spĂ©cifiques.
La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 156 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
EncadrĂ© 12 â Quelques Ă©tudes rĂ©centes relatives au coĂ»t dâabattement
Cet encadrĂ© prĂ©sente des exemples de coĂ»ts dâabattement issus de trois sources : une publication du cabinet Carbone 4 (voir figure 48), une contribution du Commissariat gĂ©nĂ©ral au dĂ©veloppement durable (CGDD, voir figure 49) et un calcul rĂ©alisĂ© sur la base dâune Ă©tude de la Direction gĂ©nĂ©rale du TrĂ©sor (voir figure 50). Le champ des technologies varie, de mĂȘme que certaines hypothĂšses ou le niveau de dĂ©tail retenu, si bien que les rĂ©sultats ne sont pas toujours comparables. En particulier, seule la contribution du CGDD intĂšgre les cobĂ©nĂ©fices des actions de dĂ©carbonation. Par ailleurs, lâĂ©tude de Carbone 4 prĂ©sente des coĂ»ts dâabattement calculĂ©s sans actualiser les Ă©missions Ă©vitĂ©es, contrairement aux deux autres exemples prĂ©sentĂ©s.
LâĂ©tude de Carbone 4
Les Ă©valuations du cabinet Carbone 4 illustrent la grande hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© des coĂ»ts dâabattement entre secteurs et au sein dâun mĂȘme secteur. Elles illustrent Ă©galement lâexistence de coĂ»ts dâabattement nĂ©gatifs (pompe Ă chaleur trĂšs haute tempĂ©rature pour certaines industries).
Figure 48 â CoĂ»t dâabattement publiĂ© par Carbone 4, en âŹ/tCO2e, pour un investissement rĂ©alisĂ© aujourdâhui
Source : Carbone 4, baromĂštre de la dĂ©carbonation, novembre 2018. Orange : logement ; bleu : transport ; vert : industrie. La mĂ©thode utilisĂ©e ne tient pas compte des cobĂ©nĂ©fices mais intĂšgre les Ă©missions liĂ©es Ă la production des batteries pour vĂ©hicules Ă©lectriques. Dans le calcul, les Ă©missions au dĂ©nominateur ne sont pas actualisĂ©es. On peut comparer le coĂ»t d'abattement socio-Ă©conomique calculĂ© pour une pĂ©riode dâinvestissement donnĂ©e Ă la valeur moyenne de la VTC actualisĂ©e sur cette pĂ©riode (pondĂ©rĂ©e par les Ă©missions Ă©vitĂ©es par le projet ou la mesure annĂ©e par annĂ©e), câest-Ă -dire quâon peut comparer le coĂ»t dâabattement Ă la valeur tutĂ©laire du carbone initiale dans le cas oĂč celle-ci croĂźt au taux dâactualisation.
Chapitre 6 Une boussole pour lâinvestissement et lâaction
FRANCE STRATĂGIE 157 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
LâĂ©tude du Commissariat gĂ©nĂ©ral au dĂ©veloppement durable
La contribution du CGDD prĂ©sente des Ă©valuations de coĂ»ts dâabattement nets des cobĂ©nĂ©fices. Ainsi, la prise en compte du coĂ»t de la pollution locale et du bruit permet dâĂ©valuer de maniĂšre plus prĂ©cise le coĂ»t dâabattement des vĂ©hicules Ă©lectriques lorsquâon cible leur usage sur le milieu urbain trĂšs dense, comparĂ© Ă un usage en milieu seulement dense : le coĂ»t dâabattement de la voiture Ă©lectrique passerait ainsi dâenviron 450 âŹ/t en milieu dense Ă 100 âŹ/t en milieu trĂšs dense, et le coĂ»t du bus Ă©lectrique de 170 âŹ/t Ă 30 âŹ/t.
Figure 49 â CoĂ»t dâabattement dâaprĂšs la contribution transmise par le CGDD, en âŹ/tCO2e, pour un investissement rĂ©alisĂ© en 2020
Source : CDGG 2019, contribution au prĂ©sent rapport. Orange : logement ; bleu : transport. Pour le dĂ©tail, voir les ComplĂ©ments au rapport. Certains calculs tiennent compte du coĂ»t dâopportunitĂ© des fonds publics, et certains calculs tiennent compte de la pollution locale. Les Ă©missions liĂ©es Ă la fabrication des batteries pour vĂ©hicules Ă©lectriques sont prises en compte. Dans le calcul, les Ă©missions au dĂ©nominateur sont actualisĂ©es. On peut comparer le coĂ»t dâabattement socio-Ă©conomique calculĂ© pour une pĂ©riode dâinvestissement donnĂ©e Ă la valeur moyenne de la valeur tutĂ©laire du carbone sur cette pĂ©riode (pondĂ©rĂ©e par les Ă©missions Ă©vitĂ©es par le projet ou la mesure annĂ©e par annĂ©e actualisĂ©es).
La contribution du CGDD illustre Ă©galement lâimpact que peuvent avoir le progrĂšs technique et lâĂ©volution du prix des Ă©nergies fossiles sur lâĂ©volution des coĂ»ts dâabattement. Ainsi, le coĂ»t dâabattement du poids lourd Ă©lectrique pourrait ĂȘtre divisĂ© par deux entre 2020 et 2030 (passage de 500 âŹ/t Ă 250 âŹ/t), sous lâeffet combinĂ© de la baisse du coĂ»t de la batterie et de la hausse du prix du baril de pĂ©trole.
La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 158 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
Calculs appliquĂ©s Ă la rĂ©novation des logements, sur la base dâune Ă©tude de la Direction gĂ©nĂ©rale du TrĂ©sor
Les coĂ»ts dâabattement prĂ©sentĂ©s ci-dessous sont calculĂ©s Ă partir dâune Ă©tude portant sur les Ă©conomies dâĂ©nergies actualisĂ©es que permettent de rĂ©aliser certains gestes de rĂ©novations.
Figure 50 â CoĂ»ts dâabattement, calculs sur la base dâun document de travail de la DG TrĂ©sor, en âŹ/tCO2e, pour un investissement rĂ©alisĂ© aujourdâhui
Source : calculs Ă partir de « BarriĂšres Ă lâinvestissement dans lâefficacitĂ© Ă©nergĂ©tique : quels outils pour quelles Ă©conomies ? », Les Cahiers de la DG TrĂ©sor, n° 2017-02, mars, p. 15. Les chiffres en âŹ/MWh cumac du document citĂ© ont Ă©tĂ© ramenĂ©s en âŹ/tCO2 en supposant que lâĂ©quipement de rĂ©fĂ©rence est une chaudiĂšre Ă gaz, que la durĂ©e de vie pour les gestes dâisolation est de trente ans, de vingt ans pour la chaudiĂšre Ă condensation et le chauffe-eau solaire, et de douze ans pour le thermostat. Dans le calcul, les Ă©missions au dĂ©nominateur ne sont pas actualisĂ©es. La mĂ©thode utilisĂ©e ne tient pas compte des cobĂ©nĂ©fices et le taux dâactualisation retenu dans le document initial et pour les calculs prĂ©sentĂ©s ici est de 4 %
Au total, il importe de dĂ©finir et de stabiliser des rĂšgles dâĂ©valuation afin de faciliter les comparaisons, fixer les bonnes prioritĂ©s et dĂ©finir lâordre de mĂ©rite des actions pertinentes.
Chapitre 6 Une boussole pour lâinvestissement et lâaction
FRANCE STRATĂGIE 159 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
Une approche dynamique de lâordre de mĂ©rite 1.2.
Le coĂ»t dâabattement dâune action de dĂ©carbonation peut ĂȘtre comparĂ© Ă la valeur tutĂ©laire du carbone actualisĂ©e moyenne sur la durĂ©e de vie de lâĂ©quipement : sâil est infĂ©rieur Ă la valeur tutĂ©laire, lâaction sectorielle est utile du point de vue de la collectivitĂ© et doit ĂȘtre mise en Ćuvre.
Pour que la stratĂ©gie de dĂ©carbonation soit efficace, la logique gĂ©nĂ©rale du dĂ©ploiement des technologies est de procĂ©der par ordre de mĂ©rite, câest-Ă -dire de mobiliser en prioritĂ© les technologies dont le coĂ»t dâabattement (en âŹ/tCO2e) est infĂ©rieur Ă la valeur tutĂ©laire actualisĂ©e moyenne1 sur la durĂ©e de vie, pour mobiliser ensuite au cours du temps des technologies plus onĂ©reuses. Cet ordre de mĂ©rite peut ĂȘtre reprĂ©sentĂ© par les courbes de coĂ»t marginal dâabattement (voir figure 51), classant les actions de dĂ©carbonation suivant une logique de coĂ»ts croissants (en ordonnĂ©es) tout en indiquant le potentiel dâabattement dâĂ©missions de GES de chaque action (en abscisses)2. Ces courbes reprĂ©sentent un ensemble dâactions Ă mobiliser progressivement, dâaujourdâhui Ă lâannĂ©e cible, dans une logique de minimisation du coĂ»t total dâabattement permettant dâatteindre la neutralitĂ© carbone en 2050.
Figure 51 â CoĂ»t marginal dâabattement
Source : dâaprĂšs Vogt-Schilb A., Hallegatte S. et De Gouvello C. (2014), « Marginal abatement cost curves and quality of emission reductions: A case study on Brazil », Climate Policy, Taylor
1 PondĂ©rĂ©e par les rĂ©ductions dâĂ©missions annuelles. 2 Vogt-Schilb A., Hallegatte S. et de Gouvello C. (2014), « Long-term mitigation strategies and marginal abatement cost curves: A case study on Brazil », Policy Research working paper, n° WPS 6808, Washington DC, World Bank Group.
La valeur de lâaction pour le climat
FRANCE STRATĂGIE 160 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
LâencadrĂ© 13 ci-dessous prĂ©cise graphiquement lâintĂ©rĂȘt dâune telle hiĂ©rarchisation des actions, qui permet de concilier efficacitĂ© Ă©cologique et efficacitĂ© Ă©conomique.
EncadrĂ© 13 â Valeur de lâaction pour le climat et sĂ©lection des actions pertinentes
Comme lâillustre la figure 52 ci-dessous, si la logique de lâordre de mĂ©rite est bien appliquĂ©e pour sĂ©lectionner les actions, la collectivitĂ© rĂ©alise des rĂ©ductions dâĂ©missions pour un volume A1 en mobilisant les actions les moins coĂ»teuses. Le coĂ»t total de mise en Ćuvre est lâaire en bleu.
Figure 52 â Cas dâune mobilisation des actions de dĂ©carbonation par ordre de mĂ©rite
Source : France Stratégie
La figure 53 illustre le cas oĂč les actions de dĂ©carbonation ne seraient pas dĂ©clenchĂ©es par ordre de mĂ©rite, le coĂ»t dâabattement de certaines actions dĂ©passant la valeur tutĂ©laire. Le coĂ»t total des actions de dĂ©carbonation rĂ©alisĂ©es est Ă©gal Ă lâaire sous la droite de coĂ»t marginal dâabattement des technologies effectivement mobilisĂ©es (diagonale orange), alors que le mĂȘme rĂ©sultat en termes dâabattement (A) aurait pu ĂȘtre atteint pour bien moins cher : une approche par ordre de mĂ©rite aurait conduit Ă un coĂ»t Ă©gal Ă lâaire du triangle sous la droite de coĂ»t marginal dâabattement des technologies efficaces (diagonale bleue). Dit autrement, pour un mĂȘme volume dâabattement A, le coĂ»t moyen des actions de dĂ©carbonation effectivement rĂ©alisĂ©es (C) est supĂ©rieur au
1 Pour simplifier et Ă titre illustratif, on suppose dans cet encadrĂ© que lâaction de dĂ©carbonation ne produit ses effets que pendant une annĂ©e, ce qui permet de comparer le coĂ»t dâabattement Ă la valeur tutĂ©laire et non Ă la moyenne de la valeur tutĂ©laire sur plusieurs annĂ©es.
Chapitre 6 Une boussole pour lâinvestissement et lâaction
FRANCE STRATĂGIE 161 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
coĂ»t moyen qui aurait pu ĂȘtre atteint si on avait mobilisĂ© les actions les plus efficaces (C*).
Figure 53 â Cas oĂč les actions ne sont pas mobilisĂ©es par ordre de mĂ©rite
Source : France Stratégie
Cette illustration traditionnelle de lâordre de mĂ©rite doit ĂȘtre affinĂ©e pour tenir compte des dĂ©lais de dĂ©ploiement des diffĂ©rentes actions et des effets dâapprentissage. En effet, il nâest pas toujours pertinent dâattendre dâavoir Ă©puisĂ© lâensemble du potentiel des technologies prĂ©sentant les coĂ»ts dâabattement les plus faibles pour investir dans des technologies plus coĂ»teuses.
âą Il est nĂ©cessaire de tenir compte des contraintes temporelles qui pĂšsent sur le dĂ©ploiement des investissements de dĂ©carbonation, quâil sâagisse de la vitesse dâinstallation de bornes de recharge pour vĂ©hicules Ă©lectriques sur le territoire ou de la vitesse de rĂ©novation du parc de logements, qui dĂ©pend notamment du nombre de personnes formĂ©es dans le domaine, ou encore de la vitesse de renouvellement du parc de vĂ©hicules ou de machines.
âą Il faut aussi tenir compte du potentiel de progrĂšs technique que peut recĂ©ler le dĂ©ploiement prĂ©coce dâune technologie, via des effets dâapprentissage1 et des Ă©conomies dâĂ©chelle.
1 Perissin-Fabert B. et Foussard A. (2016), Trajectoires de transition bas carbone au moindre coĂ»t, Thema Analyse, ministĂšre de lâEnvironnement, de lâĂnergie et de la Mer.
La valeur de lâaction pour le climat
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Cette vision dynamique de lâordre de mĂ©rite conduit en particulier Ă recommander un dĂ©clenchement prĂ©coce dâinvestissements dont les dĂ©lais de rĂ©alisation et les bĂ©nĂ©fices sâĂ©talent sur le temps long. Ă cet Ă©gard, la trajectoire de valeur tutĂ©laire du carbone proposĂ©e, marquĂ©e par une forte croissance de la valeur jusquâaux points dâĂ©quilibre de 2030 et de 2040, ne doit Ă©videmment pas ĂȘtre interprĂ©tĂ©e comme une incitation Ă diffĂ©rer les premiers efforts. Cette commission, comme celle de 2008 avant elle, assume en dĂ©but de pĂ©riode de « dĂ©roger » Ă la rĂšgle de Hotelling sur la base de deux considĂ©rations :
âą il est lĂ©gitime, pour ne pas crĂ©er de « saut » sur le niveau initial de la valeur tutĂ©laire du carbone, dâassumer une pĂ©riode de croissance rapide de cette valeur jusquâaux points dâĂ©quilibre de 2030 et 2040 ;
âą la valeur tutĂ©laire du carbone a vocation Ă servir de « boussole » aux investissements de dĂ©carbonation. Or ces investissements prĂ©sentent deux grandes caractĂ©-ristiques qui les rendent davantage sensibles Ă la valeur future du carbone quâĂ sa valeur immĂ©diate :
â ce sont des dĂ©cisions qui sâĂ©chelonnent dans le temps, au rythme du renou-vellement des bĂątiments, logements, usines, flottes de vĂ©hicules ;
â ce sont des dĂ©cisions de long terme, soit que la durĂ©e de vie des investissements soit longue, soit que lâinvestissement ait vocation Ă ĂȘtre renouvelĂ© en fin de vie pour maintenir lâactif dans la durĂ©e. De ce fait, il faut valoriser les bĂ©nĂ©fices tout au long de la durĂ©e de vie de lâactif, et pas seulement les toutes premiĂšres annĂ©es de mise en service.
Ces deux considĂ©rations vont de pair avec une exigence : que la trajectoire de rĂ©duction des Ă©missions et celle de la valeur qui lui est associĂ©e soient rendues lisibles et crĂ©dibles, pour ĂȘtre anticipĂ©es et prises en compte dans les dĂ©cisions des investisseurs publics et privĂ©s.
Une rĂ©fĂ©rence Ă©tendue Ă lâensemble de lâĂ©conomie 1.3.
La valeur de lâaction pour le climat constitue une rĂ©fĂ©rence unique : la valeur dâune tonne de CO2e non Ă©mise est la mĂȘme pour la sociĂ©tĂ©, quel que soit le secteur Ă lâorigine de cette rĂ©duction.
Dans la perspective dâun objectif « zĂ©ro Ă©missions nettes », la valeur tutĂ©laire du carbone a vocation Ă servir de rĂ©fĂ©rence sur le pĂ©rimĂštre dâactions le plus large possible car toutes les activitĂ©s de la sociĂ©tĂ© sont concernĂ©es.
âą Parvenir Ă une dĂ©carbonation profonde de lâĂ©conomie nĂ©cessite dâĂ©largir le champ des actions publiques et privĂ©es de lutte contre le changement climatique, pour
Chapitre 6 Une boussole pour lâinvestissement et lâaction
FRANCE STRATĂGIE 163 FĂ©vrier 2019 www.strategie.gouv.fr
couvrir lâensemble des Ă©missions liĂ©es aux procĂ©dĂ©s industriels, Ă lâagriculture, Ă lâusage des sols ou au traitement des dĂ©chets, et pour stimuler le dĂ©veloppement des puits de carbone.
âą Lâensemble des gaz Ă effet de serre (dioxyde de carbone, mĂ©thane, protoxyde dâazote, composĂ©s fluorĂ©s) doivent ĂȘtre pris en compte et tous les secteurs de lâĂ©conomie doivent rĂ©duire leurs Ă©missions de gaz Ă effet de serre. Le secteur de lâusage des terres requiert dĂ©sormais une attention particuliĂšre car il peut permettre le dĂ©veloppement de puits de carbone naturels, tout en fournissant de la biomasse Ă usage Ă©nergĂ©tique.
âą Lâensemble des acteurs publics et privĂ©s est concernĂ© :
â lâĂtat, les collectivitĂ©s territoriales, les Ă©tablissements publics ;
â les acteurs privĂ©s : entreprises, acteurs de la finance climat, mĂ©nages. Câest lâaddition dâune multitude de choix individuels, dâinvestissements et de changements dâhabitude qui permettront dâatteindre lâobjectif de neutralitĂ© carbone.
La valeur privĂ©e des actions doit ĂȘtre rapprochĂ©e 2.de leur valeur socioĂ©conomique
Certaines actions de dĂ©carbonation utiles Ă la sociĂ©tĂ© sont spontanĂ©ment rentables du point de vue privĂ©, et peuvent donc ĂȘtre dĂ©clenchĂ©es sans intervention publique particuliĂšre. Ce sont les actions pour lesquelles le bilan financier â en tenant compte des coĂ»ts dâinvestissement et des coĂ»ts dâusage â est favorable Ă la technologie dĂ©carbonĂ©e. Dans ce cas, la rentabilitĂ© privĂ©e rejoint la rentabilitĂ© socioĂ©conomique.
Cependant, les actions de dĂ©carbonation pertinentes du point de vue de la collectivitĂ© ne sont pas toutes rentables financiĂšrement par les acteurs privĂ©s. Câest souvent le cas si aucune politique publique ne permet dâinternaliser lâobjectif de rĂ©duction des Ă©missions. Lâabsence de dĂ©ploiement par les agents privĂ©s peut aussi ĂȘtre liĂ©e Ă un manque dâinformation sur les opportunitĂ©s dâabattement, un accĂšs au crĂ©dit pour investir contraint ou des risques de dĂ©veloppement de nouvelles technologies jugĂ©s trop importants.
Dans ces cas de figure, des mesures publiques sont nĂ©cessaires pour rapprocher les valeurs privĂ©es des actions de dĂ©carbonation de leur valeur pour la collectivitĂ© : un investissement public permet de dĂ©ployer une nouvelle infrastructure bas carbone, une rĂ©glementation peut rendre lâaction obligatoire, une taxe sur les Ă©missions de CO2 peut amĂ©liorer la compĂ©titivitĂ© de la technologie dĂ©carbonĂ©e, une subvention contribue Ă
La valeur de lâaction pour le climat
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financer lâacquisition de cette technologie, une garantie peut permettre de partager les risques de dĂ©veloppement, etc.
Une décarbonation profonde des activités humaines repose 2.1.nécessairement sur un éventail de mesures complémentaires
Lorsque des actions de dĂ©carbonation utiles Ă la sociĂ©tĂ© ne sont pas spontanĂ©ment mises en Ćuvre, il revient Ă lâĂtat dâidentifier les leviers les plus pertinents pour les dĂ©clencher. La question de la panoplie des mesures permettant de favoriser les actions de dĂ©carbonation dĂ©passe le champ de ce rapport, sachant quâelle engage des enjeux redistributifs, sociaux, budgĂ©taires, industriels, etc. La valeur de lâaction pour le climat donne une mesure du chemin Ă parcourir et aide Ă dĂ©finir le pĂ©rimĂštre des actions sectorielles et des investissements rentables pour la collectivitĂ©, sans prĂ©juger des mesures nĂ©cessaires pour dĂ©clencher ces actions et ces investissements. On peut ici illustrer le propos en mettant en Ă©vidence deux logiques possibles de construction de cette panoplie de mesures trĂšs diffĂ©rentes lâune de lâautre.
La premiĂšre consiste Ă donner un rĂŽle central au signal-prix. Si la tarification du carbone est placĂ©e au niveau du coĂ»t marginal dâabattement maximal cohĂ©rent avec lâobjectif de dĂ©carbonation poursuivi, on sâassure que les objectifs climatiques seront atteints dans des conditions Ă©conomiquement efficaces : les acteurs seront incitĂ©s Ă rĂ©aliser toutes les actions de dĂ©carbonation de coĂ»t infĂ©rieur Ă la taxe, et les actions Ă coĂ»t excessif seront Ă©cartĂ©es, sans que lâĂtat ait besoin de connaĂźtre les coĂ»ts dâabattement des acteurs et de piloter finement leurs actions. De plus, les entreprises seront incitĂ©es Ă innover pour proposer des solutions dĂ©carbonĂ©es.
Cette logique est celle dâun monde oĂč toutes les politiques publiques seraient dĂ©jĂ bien alignĂ©es sur lâobjectif de neutralitĂ© carbone. Cela supposerait notamment que :
â des politiques dâurbanisme et de mobilitĂ© soient mises en cohĂ©rence, pour rĂ©duire les besoins de dĂ©placement ;
â les acteurs disposent dâalternatives dĂ©carbonĂ©es (rĂ©seaux dâinfrastructure appropriĂ©s, solutions technologiques) et des moyens de financer des investissements de dĂ©carbonation rentables (accĂšs au crĂ©dit, facilitĂ©, garanties publiques permettant de couvrir certains risques) ;
â lâĂtat est capable de sĂ©parer la question de la mise en place dâune tarification efficace du carbone de celle du traitement de ses effets distributifs ou de ses impacts sur la compĂ©titivitĂ©, en adoptant par exemple des dispositions compensatoires.
La seconde logique consiste Ă considĂ©rer que la transition vers la neutralitĂ© carbone doit reposer sur un alignement de lâensemble des politiques publiques
Chapitre 6 Une boussole pour lâinvestissement et lâaction
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sur lâobjectif ZEN et une agrĂ©gation « intelligente » de mesures complĂ©mentaires. Câest lâapproche retenue par lâOCDE1 et la commission Stern-Stiglitz2.
La commission sâinscrit dans cette seconde logique. La tarification du carbone est indispensable pour Ă©tablir la vĂ©ritĂ© des prix Ă©cologiques, donner de la rentabilitĂ© aux projets de dĂ©carbonation et stimuler la recherche de solutions innovantes. Mais elle fait aussi lâobjet de contraintes car, mĂȘme si son objectif premier est dâĂȘtre incitative, elle peut affecter le pouvoir dâachat des mĂ©nages et la compĂ©titivitĂ© des entreprises dans des conditions que les mĂ©canismes de redistribution en place ne permettent pas toujours de bien compenser. Il faut donc agir sur un front plus large pour parvenir Ă une dĂ©carbo-nation profonde des activitĂ©s humaines et notamment :
â aligner le cadre rĂ©glementaire sur un niveau dâambition climatique plus Ă©levĂ©, dans le domaine notamment de lâurbanisme (pour modĂ©rer les prix fonciers et immobiliers au sein des villes), de la performance Ă©nergĂ©tique et environnementale des bĂątiments, des rejets des installations industrielles, de la construction automobile ;
â stimuler la recherche et dĂ©veloppement ;
â amĂ©liorer la compĂ©titivitĂ© des technologies dĂ©carbonĂ©es par rapport aux technologies carbonĂ©es ;
â partager si nĂ©cessaire les risques de dĂ©veloppement technologique et de dĂ©ploie-ment initial grĂące Ă des mĂ©canismes de garanties, comme proposĂ© par exemple dans le rapport Pour la crĂ©ation de France Transition de Pascal Canfin et Philippe Zaouati3.
LâĂ©valuation par usage de lâensemble des mesures de dĂ©carbonation 2.2.mises en Ćuvre doit ĂȘtre renforcĂ©e
Pour un usage donnĂ© (utilisation dâune voiture, dâun chauffage, dâune installation industrielle ou agricole, etc.) se cumulent souvent un assez grand nombre de mesures incitant Ă la dĂ©carbonation. Par exemple, pour rĂ©duire les Ă©missions des vĂ©hicules particuliers se combinent des normes dâefficacitĂ© Ă©nergĂ©tique et de pollution, le bonus-
1 OCDE (2015), Aligner les politiques publiques au service de la transition vers une Ă©conomie bas carbone, RĂ©union du Conseil au niveau des Ministres, Ăditions OCDE, Paris. 2 Stern N. et Stiglitz J.(2017), Report of the High-Level Commission on Carbon Prices, Carbon Pricing Leadership Coalition. 3 Canfin P. et Zaouati P. (2018), Pour la crĂ©ation de France Transition. Des mĂ©canismes de partage de risques pour mobiliser 10 milliards dâeuros dâinvestissements privĂ©s dans la transition Ă©cologique, rapport au ministre de la Transition Ă©cologique et solidaire et au ministre de lâĂconomie et des Finances, dĂ©cembre.
La valeur de lâaction pour le climat
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malus sur lâacquisition des vĂ©hicules, la prime Ă la conversion, la fiscalitĂ© des carburants, et peut-ĂȘtre Ă lâavenir des zones Ă faibles Ă©missions ou des pĂ©ages urbains. Cette accumulation nâest pas en soi un problĂšme, chaque mesure pouvant cibler une incitation spĂ©cifique au moment de lâacquisition ou de lâusage. Encore faut-il disposer dâune vue agrĂ©gĂ©e des incitations et obligations mises en place pour Ă©valuer si cette agrĂ©gation assure la rentabilitĂ© des actions dont le coĂ»t dâabattement est jugĂ© acceptable par la collectivitĂ©. Il faut sâassurer que le cumul de mesures est suffisant. Il faut Ă©galement sâassurer que le coĂ»t implicite de mise en conformitĂ© induit par les normes, moins transparent que les signaux-prix, nâest pas excessif pour tout ou partie des acteurs. Force est de constater que ces Ă©valuations sont Ă ce stade insuffisamment disponibles. La commission recommande que de telles Ă©valuations soient effectuĂ©es, tout en soulignant que celles-ci ne relĂšvent pas de simples additions mais nĂ©cessitent de dĂ©velopper un cadre dâĂ©valuation rigoureux.
Ăvaluer les incitations
Pour analyser si lâagrĂ©gation des mesures permet de dĂ©clencher les actions dont le coĂ»t dâabattement socioĂ©conomique a Ă©tĂ© jugĂ© pertinent, il nâest pas possible de sommer simplement les signaux-prix envoyĂ©s par les taxes, les marchĂ©s de quotas, les subventions et le coĂ»t implicite des rĂ©glementations. Construire cette analyse agrĂ©gĂ©e demande un travail minutieux. Comme le dĂ©montre lâOCDE1, cela nĂ©cessite en effet de :
â dĂ©terminer usage par usage la rĂ©duction dâĂ©missions permise grĂące aux actions de dĂ©carbonation dĂ©clenchĂ©es par lâensemble des mesures. Dans certains cas, cette Ă©valuation peut ĂȘtre simple (par exemple, obligation de remplacer tel Ă©quipement par tel autre). Dans dâautres cas, le calcul nĂ©cessite de tenir compte des changements de comportement des acteurs (par exemple, une tarification du carbone va rĂ©duire les Ă©missions de GES dans une proportion qui dĂ©pend de lâĂ©lasticitĂ© de la consommation des acteurs au prix de lâĂ©nergie) ou de lâinteraction entre deux actions (par exemple, deux rĂ©glementations permettant chacune de rĂ©duire de 50 % la consommation dâĂ©nergie dâun logement ne conduisent pas Ă une baisse de la consommation de 100 %) ;
â prendre en compte la diffĂ©rence de nature entre les incitations portant sur lâinvestissement dans un nouvel Ă©quipement ou sur lâusage de cet Ă©quipement. Ces deux incitations devraient en thĂ©orie ĂȘtre prises en compte lors dâun choix dâinvestissement car elles conditionnent sa rentabilitĂ© mĂȘme si, en pratique, une subvention ou un systĂšme de bonus/malus Ă lâinvestissement peut ĂȘtre plus visible et incitatif quâune tarification Ă lâusage. Une fois lâachat rĂ©alisĂ©, seules les mesures
1 OCDE (2014), Prix effectifs du carbone, Ăditions OCDE, Paris.
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portant sur lâusage peuvent contribuer Ă rĂ©duire les Ă©missions (par exemple, une fois quâun vĂ©hicule est achetĂ©, seules la fiscalitĂ© sur les carburants et les Ă©ventuelles restrictions dâusage des vĂ©hicules jouent sur les Ă©missions rĂ©siduelles). Les deux mesures ne portent donc pas sur la mĂȘme assiette de rĂ©duction dâĂ©missions, et lâanalyse de leur impact nĂ©cessite de tenir compte dâune Ă©lasticitĂ© Ă lâachat et dâune Ă©lasticitĂ© Ă lâusage.
Ăvaluer les effets redistributifs
Toutes les mesures de politique environnementale ont des effets redistributifs. Ceux qui sont cachĂ©s mĂ©ritent dâĂȘtre explicitĂ©s.
La tarification du carbone oriente lâeffort dâinvestissement vers les acteurs dont les coĂ»ts dâabattement sont infĂ©rieurs au signal-prix. Ces incitations peuvent induire des effets redistributifs non dĂ©sirĂ©s qui doivent ĂȘtre Ă©valuĂ©s pour pouvoir construire les mĂ©canismes de compensation et de construction dâalternatives dĂ©carbonĂ©es les mieux ciblĂ©es.
Les rĂ©glementations imposent des coĂ»ts dâabattement potentiellement trĂšs hĂ©tĂ©rogĂšnes entre acteurs, avec des effets redistributifs cachĂ©s et plus difficiles Ă discerner que dans le cas dâune tarification. Il est essentiel dâexpliciter les effets redistributifs des rĂ©glementations et les coĂ»ts implicites quâelles imposent aux diffĂ©rentes catĂ©gories dâacteurs, comme on le fait pour la fiscalitĂ©.
Les subventions rĂ©duisent lâeffort pesant sur les acteurs qui investissent, car celui-ci est pris en charge par la collectivitĂ©1. NĂ©anmoins, si elles sont mal ciblĂ©es, les subventions peuvent conduire Ă faire supporter par la collectivitĂ© le coĂ»t dâactions qui auraient de toute façon Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©es par les acteurs privĂ©s, ce que lâon dĂ©signe sous le terme dâ« effet dâaubaine ». LĂ aussi, il convient dâexpliciter les effets redistributifs des contribuables vers les bĂ©nĂ©ficiaires de subventions.
Ăvaluer les incidences industrielles
Dans le mĂȘme esprit, lâincidence industrielle des mesures publiques doit ĂȘtre mieux explicitĂ©e. RĂ©aliser des efforts prĂ©coces de dĂ©carbonation peut permettre lâĂ©mergence de nouveaux acteurs sur des filiĂšres encore peu matures (Ă©nergies renouvelables, gestion des dĂ©chets, rĂ©novation thermique). Toutefois, la mise en place dâune tarification du carbone ou de normes peut renchĂ©rir les coĂ»ts de production et faire peser un risque
1 Pour financer une subvention, lâeffort peut porter soit sur la collectivitĂ© actuelle (financement par lâimpĂŽt ou par la baisse dâautres dĂ©penses), soit sur la collectivitĂ© future (emprunt).
La valeur de lâaction pour le climat
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de « fuites de carbone », câest-Ă -dire de dĂ©localisation de la production dans des pays moins impliquĂ©s dans la lutte contre le changement climatique. En outre, la hausse des coĂ»ts de production peut conduire les entreprises Ă rĂ©duire leurs marges et leur capacitĂ© Ă investir.
Cette attention portĂ©e Ă la compĂ©titivitĂ© des entreprises est bien prĂ©sente dans la conception du marchĂ© europĂ©en de permis d'Ă©mission EU ETS, qui couvre les grandes installations industrielles et la production dâĂ©lectricitĂ©. Ce marchĂ© a Ă©tĂ© conçu pour permettre une rĂ©partition efficace de lâeffort entre entreprises soumises Ă lâETS et pour protĂ©ger les entreprises fortement exposĂ©es Ă la concurrence internationale, via le systĂšme des quotas gratuits. Toutefois, ce marchĂ© nâa pas Ă©tĂ© calibrĂ© pour atteindre la neutralitĂ© carbone au niveau de lâUnion europĂ©enne, ce qui contribue Ă expliquer une partie de lâĂ©cart trĂšs important entre la valeur tutĂ©laire du carbone proposĂ©e par cette commission et le prix du quota ETS. Pour clarifier les termes du dĂ©bat, cet Ă©cart appelle des travaux complĂ©mentaires pour :
â Ă©valuer de maniĂšre agrĂ©gĂ©e les incitations et rĂ©glementations auxquelles sont aujourdâhui soumises les entreprises françaises ;
â Ă©valuer au niveau europĂ©en quelle devrait ĂȘtre la valeur du carbone compatible avec une cible de neutralitĂ© carbone en 2050.
Pour les PME exposĂ©es Ă la concurrence internationale mais qui ne sont pas dans le marchĂ© ETS, les dispositifs dâaccompagnement peuvent Ă©galement ĂȘtre pertinents. Il peut sâagir de dispositifs dâaides Ă lâinvestissement, de prĂ©fĂ©rence Ă destination des entreprises qui rencontrent des difficultĂ©s financiĂšres pour sâadapter (subvention, dispositif de suramortissement). Il peut aussi sâagir dâun accompagnement technique pour optimiser les procĂ©dĂ©s de production et rĂ©duire ainsi les Ă©missions (audit Ă©nergĂ©tique, audit matiĂšre). LâencadrĂ© ci-dessous prĂ©sente deux exemples de dispositifs dâaccompagnement.
EncadrĂ© 14 â Deux exemples de dispositifs dâaccompagnement : certificats dâĂ©conomies dâĂ©nergie et dispositif « TPE-PME, gagnantes sur tous les coĂ»ts ! »
Les certificats dâĂ©conomie dâĂ©nergie (CEE), bĂ©nĂ©ficiant aux mĂ©nages comme aux entreprises, permettent de financer des actions dâefficacitĂ© Ă©nergĂ©tique, en limitant le reste Ă charge pour le bĂ©nĂ©ficiaire. Le dispositif consiste Ă imposer aux fournisseurs dâĂ©nergie (Ă©lectricitĂ©, gaz, carburant) de dĂ©tenir un certain nombre de certificats, dĂ©pendant du volume de vente de ce fournisseur. Pour obtenir ces certificats, chaque fournisseur doit financer des actions de rĂ©novation agrĂ©Ă©es chez des tiers (mĂ©nages ou entreprises). Ce dispositif est doublement vertueux : il permet aux entreprises de rĂ©duire le coĂ»t des travaux dâefficacitĂ© Ă©nergĂ©tique
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quâelles entreprennent et qui induiront une baisse de la facture Ă©nergĂ©tique ; il incite les fournisseurs dâĂ©nergie Ă ĂȘtre aussi efficaces que possible pour obtenir des certificats de la maniĂšre la moins coĂ»teuse possible. Cependant, lâappropriation de ce dispositif par les entreprises est encore insuffisante.
Le dispositif « TPE-PME, gagnantes sur tous les coĂ»ts ! », pilotĂ© par lâAdeme, consiste Ă prĂ©financer des audits auprĂšs des entreprises de moins de 250 salariĂ©s des secteurs de lâindustrie, de la distribution, de la restauration et de lâartisanat pour les aider Ă optimiser leurs flux dâĂ©nergie, de matiĂšres, de dĂ©chets et dâeau. Lâentreprise verse une somme forfaitaire Ă lâAdeme uniquement si elle a effectivement bĂ©nĂ©ficiĂ© dâĂ©conomies substantielles Ă lâissue de lâaccompa-gnement. LâefficacitĂ© du dispositif a pu ĂȘtre dĂ©montrĂ©e sur un premier Ă©chantillon en 2016 (en moyenne 50 000 euros Ă©conomisĂ©s par entreprise et par an).
SynthĂšse : le mode dâemploi de la valeur de lâaction 3.pour le climat
Sur la base de ces diffĂ©rents Ă©lĂ©ments, on peut esquisser un mode dâemploi du bon usage de la valeur de lâaction pour le climat, autour de trois grandes Ă©tapes :
â la valeur de lâaction pour le climat doit ĂȘtre mobilisĂ©e en amont, dans lâĂ©laboration de la stratĂ©gie de dĂ©carbonation, pour dĂ©finir le pĂ©rimĂštre des actions rentables et donc les prioritĂ©s de politique publique ;
â une comprĂ©hension suffisamment fine des coĂ»ts dâabattement par usage ou par technologie doit ensuite permettre dâidentifier parmi les actions pertinentes celles qui seront spontanĂ©ment engagĂ©es par les acteurs privĂ©s et celles qui appellent une intervention publique ;
â une combinaison pertinente de mesures publiques doit ensuite ĂȘtre Ă©laborĂ©e pour faire levier de maniĂšre efficace. Au sein de cette panoplie, lâĂtat doit accorder une importance particuliĂšre Ă lâĂ©valuation socioĂ©conomique des projets dâinvestissement publics et veiller Ă ce que le cumul des taxes, subventions et rĂ©glementations sur un mĂȘme usage fournisse une incitation proportionnĂ©e au dĂ©clenchement des actions utiles. Le partage de lâeffort financier entre acteurs, pour sa part, est largement dĂ©pendant du choix des mesures, de leur financement et des dispositifs dâaccompagnement.
Câest ce quâillustre le schĂ©ma ci-dessous.
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SchĂ©ma â Mode dâemploi du bon usage de la valeur de lâaction pour le climat
Ătape 1 â Lâaction de dĂ©carbonation est-elle utile Ă la collectivitĂ© ?
Oui, si le coĂ»t dâabattement de lâaction est infĂ©rieur Ă la valeur tutĂ©laire (prĂ©sente et future) du carbone
Ătape 2 â Lâaction utile Ă la collectivitĂ© est-elle spontanĂ©ment rĂ©alisĂ©e par les acteurs privĂ©s ?
Non, si lâinvestissement nâest pas rentable pour lâacteur privĂ© ou sâil existe des obstacles Ă la rĂ©alisation de lâaction
Ătape 3 â Quels sont les leviers publics
pertinents pour dĂ©clencher lâaction ?
Le secteur public doit-il créer des infrastructures et des équipements?
Le secteur public doit-il prendre des mesures à destination des acteurs privés ?
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CONCLUSION GĂNĂRALE
Les travaux de la commission font ressortir le besoin dâune revalorisation importante de la valeur carbone pour la rĂ©aligner sur un niveau dâambition plus Ă©levĂ©. Cette revalorisation nous apparaĂźt indispensable pour mettre notre pays sur la bonne trajectoire.
Au-delĂ de 2030, Ă mesure que lâhorizon sâallonge, la trajectoire proposĂ©e reste naturellement entourĂ©e dâincertitudes croissantes, portant notamment sur les coĂ»ts marginaux dâabattement des Ă©missions de gaz Ă effet de serre. Ces incertitudes conduisent Ă recommander une rĂ©vision des travaux sur la valeur tutĂ©laire du carbone Ă intervalles rĂ©guliers â a minima tous les dix ans â pour prendre en compte les Ă©volutions du contexte international, Ă©conomique et technologique.
Il nous paraĂźt aussi indispensable, sans attendre la prochaine rĂ©vision, de « muscler » le programme de recherche relatif Ă la socioĂ©conomie de lâexternalitĂ© climatique, dans au moins quatre dimensions.
âą Les modĂ©lisations doivent dĂ©sormais intĂ©grer lâĂ©puisement des budgets carbone Ă notre disposition et lâobjectif mondial et français de neutralitĂ© carbone. Ce nouveau contexte et ces nouveaux objectifs nĂ©cessitent dâenrichir les modĂšles existants en les Ă©largissant Ă lâensemble des secteurs, des usages et des gaz Ă effet de serre, et en affinant lâanalyse des comportements dâinvestissement. Ils nĂ©cessitent Ă©galement de pouvoir dĂ©crire plusieurs futurs technologiques possibles, fondĂ©s sur une description plus fine des effets dâapprentissage et dâĂ©chelle.
âą La trajectoire de valeur tutĂ©laire du carbone dĂ©pend crucialement du taux dâactualisation sous-jacent. Nous avons ici retenu Ă titre conservatoire comme rĂ©fĂ©rence le taux dâactualisation public de 4,5 %, mais la question de la prise en compte du risque, et notamment de la valeur du « beta climatique » â câest-Ă -dire de la corrĂ©lation entre le risque climatique et le risque macroĂ©conomique â mĂ©rite des travaux complĂ©mentaires.
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âą Le cadre dâĂ©valuation des actions sectorielles nâen est quâĂ ses balbutiements. Il est essentiel de poser un cadre mĂ©thodologique clair et partagĂ© pour pouvoir Ă©valuer le coĂ»t dâabattement socioĂ©conomique des diffĂ©rentes actions. Ce travail nĂ©cessite une bonne apprĂ©hension des cobĂ©nĂ©fices (qualitĂ© de lâair notamment), dans la mesure oĂč diffĂ©rents objectifs sont souvent recherchĂ©s simultanĂ©ment.
âą Le cadre dâĂ©valuation des projets dâinvestissement publics mĂ©rite dâĂȘtre substan-tiellement rĂ©novĂ© et Ă©largi. RĂ©novĂ© car lâĂ©valuation des projets dâinvestissement publics utiles Ă la dĂ©carbonation doit sâinscrire dans un contexte radicalement nouveau : celui de la neutralitĂ© carbone post-2050. Une attention particuliĂšre doit ĂȘtre attachĂ©e au scĂ©nario de rĂ©fĂ©rence, car câest ce choix, autant que celui de la revalorisation de la valeur carbone, qui dĂ©terminera la rentabilitĂ© socioĂ©conomique des projets. Ălargi car lâĂ©valuation des projets dâinvestissement reste pour lâessentiel confinĂ©e au domaine des transports et du bĂątiment, elle devrait sâĂ©tendre aux autres grands secteurs, Ă commencer par lâĂ©nergie.
Last but not least, les Ă©valuations de valeur tutĂ©laire du carbone sâenrichiraient de calculs Ă©quivalents faits par nos principaux partenaires europĂ©ens ou par la Commission europĂ©enne. La confrontation de ces valeurs permettrait en effet, au-delĂ des progrĂšs mĂ©thodologiques quâelle favoriserait, de mettre en valeur les gains dâune coopĂ©ration internationale plus forte et pourrait contribuer Ă concevoir la politique climatique de long terme de lâUnion europĂ©enne et les instruments associĂ©s, dans la logique de la neutralitĂ© carbone.
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ANNEXE 1 LETTRE DE MISSION
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ANNEXE 2 MEMBRES DE LA COMMISSION
Ămilie Alberola, responsable Politiques climatiques et mĂ©canismes de marchĂ©, Eco'Act
Luc Baumstark, chargĂ© de mission, SecrĂ©tariat gĂ©nĂ©ral pour lâinvestissement
Dominique Bureau, dĂ©lĂ©guĂ© gĂ©nĂ©ral, Conseil Ă©conomique pour le dĂ©veloppement durable, prĂ©sident du ComitĂ© pour lâĂ©conomie verte
Xavier Bonnet, inspecteur général, Insee
François-Nicolas Boquet, directeur environnement-énergie, AFEP
Stéphane de Cara, directeur de recherche, Inra
Pierre-Yves Chanu, conseiller confédéral de la CGT
Thierry Chapuis, dĂ©lĂ©guĂ© gĂ©nĂ©ral de lâAssociation française du gaz, intervenant au titre du MEDEF
Anne Chassagnette, directrice de la responsabilité environnementale et sociétale, Engie
Mireille Chiroleu-Assouline, professeur dâĂ©conomie, Paris School of Economics
Patrick Criqui, directeur de recherche, CNRS
Gilles Croquette, chef du bureau Ămissions, projections et modĂ©lisations, Direction gĂ©nĂ©rale de lâĂ©nergie et du climat, ministĂšre de la Transition Ă©cologique et solidaire
François Dassa, directeur de la mission Prospective et Relations internationales, EDF
Meike Fink, RĂ©seau Action Climat
Nathalie Girouard, chef de la division Performance et information environnementale, OCDE
Alain Grandjean, associé-cofondateur, Carbone 4
Thibault Guyon, sous-directeur des politiques sectorielles, Direction générale du Trésor
Gilles Lafforgue, professeur dâĂ©conomie, Toulouse Business School
Franck Lecocq, AgroParisTech, directeur du Cired
Benoßt Leguet, directeur général, I4CE
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Vincent Marcus, sous-directeur de lâĂconomie des ressources naturelles et des risques, Commissariat gĂ©nĂ©ral au dĂ©veloppement durable, ministĂšre de la Transition Ă©cologique et solidaire
Florent Masseube, juriste environnement et développement durable, CPME
Andrew Prag, chef dâunitĂ©, Environnement et changement climatique, Agence internatio-nale de lâĂ©nergie
Philippe Quirion, RĂ©seau Action Climat
OphĂ©lie Risler, cheffe du dĂ©partement de lutte contre lâeffet de serre, Direction gĂ©nĂ©rale de lâĂ©nergie et du climat, ministĂšre de la Transition Ă©conomique et solidaire.
Jean-Michel Trochet, Ă©conomiste senior, mission Prospective et Relations interna-tionales, EDF
Claire Tutenuit, dĂ©lĂ©guĂ©e gĂ©nĂ©rale, Entreprises pour lâenvironnement (EpE)
Antonin Vergez, chef du bureau de lâĂconomie des biens communs, Commissariat gĂ©nĂ©ral au dĂ©veloppement durable, ministĂšre de la Transition Ă©cologique et solidaire Dominique Vignon, AcadĂ©mie des technologies
Ăquipes de modĂ©lisation Cired (modĂšle IMACLIM) Meriem Hamdi-ChĂ©rif Julien Lefevre
Seureco (modÚle NEMESIS) Paul Zagamé Baptiste Boitier
ModÚle ThreeME Gael Callonec, Ademe Raphael Cancé, CGDD Aurélien Saussay, OFCE
Enerdata (modĂšle POLES) Sylvain Cail Morgan Crenes Quentin Bchini
Mines ParisTech (modĂšle TIMES) Nadia Maizi Ariane Milliot
Autres personnes ayant contribué aux travaux de la commission
Isabelle Cabanne, DGEC
Stéphane Crémel, CGEDD
Silvano Domergue, CGDD
Mathilde Salin, France Stratégie
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ANNEXE 3 AUDITIONS
Personnes auditionnées
Les personnes suivantes ont Ă©tĂ© auditionnĂ©es au cours des travaux de la commission, lors de rencontres en comitĂ© restreint, lors des plĂ©niĂšres ou lors dâateliers thĂ©matiques spĂ©cifiques.
Boris Bailly, directeur associé et fondateur, I Care & Consult
Emmanuel Combet, Ă©conomiste au service Ăconomie et prospective, Ademe
Jean-Pierre Deflandre, professeur au centre Exploration Production dâIFP School, chercheur chef de projet dans le domaine du stockage du CO2
Quentin Deslot, chargé de mission, département de lutte contre l'effet de serre, ministÚre de la Transition écologique et solidaire
Luisa Dressler, Ă©conomiste travaillant au centre de lâadministration et des politiques fiscales de lâOCDE
Araceli Fernandez, analyste de technologies de l'Ă©nergie, Agence internationale de l'Ă©nergie
GaĂ«l Giraud, Ă©conomiste en chef de lâAgence française de dĂ©veloppement, professeur affiliĂ© Ă ESCP Europe en Ă©conomie et finance, universitĂ© catholique de Louvain, Belgique, et au Tchad
Christian Gollier, professeur de sciences économiques, directeur général de Toulouse School of Economics
Olivier de Guibert, chef adjoint du département de la lutte contre l'effet de serre, ministÚre de la Transition écologique et solidaire
Stéphane Hallegatte, économiste senior à la Banque mondiale, groupe sur le changement climatique
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Yann Kervinio, chargĂ© de mission ForĂȘts et ocĂ©ans, ministĂšre de la Transition Ă©cologique et solidaire
Isabelle Le Nir, directrice du dĂ©partement des techniques dâinterprĂ©tation, Schlumberger, prĂ©sidente du ComitĂ© gĂ©osciences dâEVOLEN
Carole Le Jeune, FNSEA
Cédric Léonard, chef du pÎle ModÚles de marché et études économiques, RTE
ValĂ©rie Quiniou, vice-prĂ©sidente de lâĂ©quipe Climat de Total
Jean Tirole, professeur de sciences Ă©conomiques, directeur de la Toulouse School of Economics, professeur invitĂ© au MIT et directeur dâĂ©tudes cumulant Ă lâĂcole des hautes Ă©tudes en sciences sociales
Présentations des travaux de la commission
âą Conseil national de la transition Ă©cologique, le 12 avril 2018
âą ComitĂ© dâinformation et dâorientation de la SNBC, le 4 mai 2018
âą Rencontre avec les organisations syndicales (CFDT, CFE-CGC, CGT, FO, CFTC), le 19 juin 2018
⹠Colloque annuel de la French Association of Environmental and Resource Economics (FAERE), le 31 août 2018
âą Colloque « Les conditions de lâadhĂ©sion Ă la fiscalitĂ© Ă©cologique », I4CE, AssemblĂ©e nationale, le 2 octobre 2018
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ANNEXE 4 BIBLIOGRAPHIE
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