7/21/2019 La Licorne
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7/21/2019 La Licorne
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L LICORNE
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C HIERS TRIMESTRIELS
DE LITTÉRATURE PUBLIÉS
SOUS L
DIRECTION
DE
SUS N SOCA
TEXTES RÉUNIS PAR
ROGER CAILLOIS PIERRE D VID
PIERRE
LEYRIS
BT SHBRB N
SIDBRY
L
LI ORNE
III. utomne 1948
r
I bis,
rue de Beaujolais
P RIS
- l
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ommaire
JORGE GUILLEN: POEMES
ROBERT MUSIL: L E
MERLE
SOR JUANA INES
DE
LA
CRUZ:
LETTRE
AUTOBIOGRAPHIQ
UE
présentée par
SUSANA SOCA
ROGER CAILLOIS: lli PACE
AMERICAIN
JORGE ROJAS: SONNETS
ALEXIS REMIZOV:
LETTRE
A DOSTOIEV SKI
PIERRE JEAN JOUVE: CHEMIN
Dlli
ARTISTES
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oèmes
par
JORG GUILL N
T
radtuliofl
de l IPII 'OI dt
Jules upervielle
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EL IRE
Aire : nada, casi nada,
0 con un ser muy secreto,
0 sin materia tal vez,
Nada, casi
fda
: cielo.
Con sigilo
se
difunde.
Nadie puede ver su cuerpo.
He aru su misma Idea.
Aire claro, buen silencio .
Hasta el espiritu el aire,
Que es ya brisa, va ascendiendo
Mientras una claridad
Traspasa
l
brisa al vuelo.
Un frescor de trasparencias
Se desliza como un témpano
De
luz que fuese cristal
Adelgazandose en céfiro
Qué celeste levedad,
Un aire apenas terreno,
Apenas une blancura
Donde lo mas puro es cierto
1
L AIR
L air n'est rien ou
presque
rien,
A
moins qu
il ne se
dérobe
,
Sans matière,
en
tm secret.
Rien ou presque rien
, le
ciel.
Cauteleux
il se répand
Nul ne
peul
lui voir
le
corps.
Ces/ ainsi qu il s'es/
voulu
De l air
clair, un bon
si/mee.
Jusqu'à devenir esprit,
Se faisant
brise,
il s'élève
Cependant qu'une clarté
Traverse la brise
au vol.
La
raîcheur
des transparences
Gliss
e comme d ut
glacier
De lumière, son cristal
S
ajftne
jusqu'au
zéphyre.
Céleste légèreté,
Un air
à
peine
Je eslre
Ces/ à
peine
une blancheur
Où
s'ajftrme le plus pur.
l
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Aire noble, que sc otorga
Distancias, alejamientos.
Ocultando su belleza
No
quiere parecer nuevo.
Aire que respiro a fondo,
De
muchos soles muy denso,
Para mi avidez actual
Aire en que respiro tiempo.
Aquellos dias de entonces
V agan ahora disueltos
En
este esplendor que impulsa
Lomas leve hacia lo eterno.
Muros y cerca del campo
Guardan ocres con reflejos
De tardes entemecidas
En
los altos del recuerdo.
Cômo yerra
por
la atmôsfera
Su dulzura, conduciendo
Los pasos y las palabras
Adonde van sin saberio
Algo cristalino en vias
Quiza de enamoramiento
Busca en un aura dorada
Sendas para el embeleso.
2
ir seigneur, lui qui
s adjuge
Des distances, des lointains,
Dissimulant sa
beauté
Pour
ne pas paraître
neuf.
ir
que je
respire
à fond
Tanf de soleils l ont fait
dense
Et, pour
plus
d avidit
é,
ir
où le
temps
se
respire.
Et tous es
jeux
d autrefois
Rôdent
maintenant dissous
Dans
cette
splendeur
que
pousse
Un soujjle vers l éternel.
Des murs près de la
campagne
Gardiens des ocres reflètent
De
tendres
après-midis
ux
cimes du souvenir.
Comme
elle erre
sa douceur
Dans l atmosphère elle guide
Les pas comme
les paroles
Qui
vont
l air sans
savoir.
C
est du
cristal
mais en voie
De
devenir amoureux.
Il
cherche
une aura
dorée
Et
des sentiers
pour
l extase.
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Respirando, respirando
Tanto a mis anchas entiendo
Que gozo del paraiso
Mas embriagador:
l
nuestro.
Y la vida, sin cesar
Humildemente valiendo,
Callada
va
·
por
él aire,
Es aire, simple portento.
Vida, vida, nada mas
Este soplo que da aliento,
Aliento con una f :
Si, lo extraordinario es esto.
Esto : la luz en
l
aire,
Y con l aire
un
anhelo.
i Anhelo de tras·parencia,
Sumo bien Respiro, creo.
Mas alla del soliloquio,
odo
·
m
amor dirigiendo,
Se abalanzan los balcones
Al aire del universo.
i
Balcones como vigias
Rasta de los mas extremos
Puntos que la tarde ofrece
Posibles, amarillentos
14
Je
respire,
je
respire
Si àfond
que
je me
vois
Jouissant
du paradis
Par excellence
, le
nôtre
.
Et la
vie,
la
vie
sans cesse
Qui
vaut
par
l humilité
Va
taciturne
dans
l air,
Cet air,
e
prodige
simple.
C est de
la vie, rien
de
plus.
Ce souffle où naît
notre
souffle ,
Un souffle
avec
une
foi,
Oui, et
voilà la
metveille.
Voilà :
lumière
dans l air
Et
avec / air un
déSir
,
Un soupir de transparence
Suprêm
e.
Je crois,
je
respire
.
u delà
du
soliloque
Et
dirigeant mon amour
S élancent tous
les balc
ons
Dans les airs de l
univers
.
Des balcons ou des vigies
Venant
même
de
ces
points
Extrêmes
à
peine
possibles
Et dans
le
soir, jaunissants.
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Mis ojos van abarcando
La ordenacion de lo inmenso.
Me la entrega
el
panorama
Profundo cristal de espejo.
Entre
el
chopo
y
la ribera,
Entre
el
rio y el remero
Sirve, transicion de gris,
Un aire que nunca es término.
i
Margenes de la hermosura
A través de su despejo,
El trope de pormenores
No
es trope . ;Qué bien sujeto
Profundizando en
el
aire
No estan solos, estan dentro
Los jardinillos, las verjas,
Las esquinas, los aleros
En
el
contorno del limite
e complacen los objetos,
Y su propia desnudez
Los redondea: son ellos.
j
Islote primaveral,
Tan verdes los grises Fresnos,
Aguzando sus ramillas,
Tienden un aire mis tierno.
16
Et mes
yeux
vont contenant
L'ordonnancement immense,
Panorama
retrouvé
ux prifondeurs du
miroir.
Entre /'arbre
et
le miroir,
La
rivière et le rameur
L air
qui
n'est jamais
un
terme
,
Sert
de transition en gris.
marges
de
la beauté
A
travers
son
éclaircie
La
oule
de cent détails
N est point foule.
Nul
désordre
S'approfondissent dans
l air
Pour mieux se
sentir dedans
Les jardinets
et
les grilles,
Les
coins
de
rue, les auvents.
Contournés par
leurs limites,
Se complaisent
les
objets
Et
leur propre nudité
Les parachève: ils
sont
eux,
C'est
un îlot
de
printemps
Si
verts, les
gris/
Et des
frênes
En
aiguisant
leurs
branchettes
Nous
tendent
un air plus
tendre.
17
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El soto.
La
fronda. Limpidos,
Son esos huecos aéreos
Quienes mejor
me
serenan,
Si a contemplarlos acierto.
Feliz el afan, se colma
La tension de un dia pleno.
Volfunenes de follajes
Alzan
un
solo sosiego.
Torres
se
doran amigas
e las mieses y los cerros,
Y entre la luz y las piedras
Hay retozos de aleteos.
En bandadas remontandose
Juegan los pajaros. Vedlos.
Todos van, retornan, giran,
Contribuyen
al gran juego.
Juego tal vez de una fuerza
No
muy solemne, tanteo,
De formas que sî consiguen
La perfecci6n del momento
Esta perfecci6n, tan viva
Que se extiende al centelleo
Mas distante, me presenta
Como una red cuanto espero.
8
Bois,fiuillages, si limpides
Sont ces
cre11x
aériens
Et comme ils
me rassérènent
Lorsque je
sais
les aimer.
Hetmux
l'élan,
comme il
comble
La
tension d'tm jour
trop
plein/
Des volumes de feuillages
Se haussent
en
un seul calme.
Les tours
se
dorent, amies
Des moissons
et des
coteaux,
Pierres,
lumière Entre
vous,
Des halètements s'ébrouent.
En
bandes qtJi
se dépassetJ/
]o11ent
les
oiseaux. V oyez-les.
Tous vont, viennent
ou
bien virent,
Collaborent
atl grand jeu.
Jeu
peut-
être
d'une force
Sans solennité, ébauche,
Mais
des formes qui
atteignent
La perfection
de l instant/
Cette
perfection
si
vive
Qr
elle
atteint
e qui scintille
Tout au loin,
et me présente
Comme
un ftlet mon attente.
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j Aquel desgarron de sol
Arden nubes
y no
lejos.
Mientras sin saber por qué
Se ilumina
mi
deseo.
Arbolados horizontes
- Verdor imperecedero
an
sus cimas al dominio
Celeste gloria en efecto.
.Gloria de blancos y azules
Purisimos violentas
Algazaras de celajes
Que anuncian dioses
y
fuegos.
La realidad por de pronto
Sobrepasa anuncio
y sueô o
Bajo el aire por el aire
Ceiiido de firmamento.
El aire clara es quien sueiïa
Mejor.
j
Solar de misterio
Con su creacion el aire
Me cerca. iDivino cerco
A una creacion continua
- Soy del aire - me someto.
j
Aire en trasparencia Sea
Su sefiorio supremo.
1
Ce
grand
lambeau de soleil,
Des
nuages
flambent,
là/
t
sans
trop
savoir pourquoi
S illumine mon désir.
Des bosquets, des horizons,
- Impérissable verdeur -
Donnent
cimes au domaine
Céleste, lui donnent gloire/
Gloire
de
blancs et
de bleus
Les plus p
urs, les
plus violents,
Réjouissance de nuages
Prémrsmrs de dieux,
de
feux.
La réalité soudain
Passe l annonce et
le
rêve
Sous
les
airs comme da
ns
l air
Que
cerne
le
firmament.
L air
est
clair pour mieux rêver
Territoire
du mystère
t l air, de sa
création
M encercle. Oh le clos divin/
La création
contintte
Fils de l air, je m y soumets
L air, transparence/ Que soit
Sa
suprême seignetlriel
2.1
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LOS
AIRES
D amas altas, calandrias
Junt en su elevaci6n
Algazara y montana,
Todavia crecientes
Gracias a la maiiana
Trémula del rocio,
Tan candida
y
sin tasa,
Bajo el cielo inventor
De distancias, de fabulas.
Libertad de la luz,
Damas altas, calandrias,
Lo
ru bio, lo ascendente
Sean asi la traza
Tan
simple aun, clarisima,
De
las profundas Nadas
Gozosas de los aires,
Con un alma inmediata,
Si visible, total
Ah para la mirada
De los siempre amadores.
Damas altas, calandrias
LES AIRS
D ames hautes, calandres/
Mêlez
votre
altitude/
Ramages et
montagnes
S associent
pour grandir
Dans
le
matin qui tremble
D une
immense
rosée,
Candide et sans mesure
Sous
le
ciel
inventeur
De distances, de
Jables.
Libres
dans la
lumière,
Dames hautes, calandres,
Air
doré,
ascendant/
Suivez ainsi la trace
Si
simple
encor si
claire
De
ces
riens
si
profonds
Et si
friands de l air.
Lmr
âme est immédiate,
Oui,
visible,
totale,
Ab pour le seul
regard
Des
toujours
amoureux.
Dam es
hautes, calandres/
3
7/21/2019 La Licorne
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e
Merle
p r
ROBERT V MUSIL
Tradtution de l allemand dt
Philippe Jacottet
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NOTE
Robert Mu
sil est né en
18
So à Klagenfurt
(Autriche)
et mort à
Genève en 194> . Son œuvre
principale,en trol s volumes , intitulée Der Ma tn ohne
i genuhaflt
n
a tenu une audience européenne
t s est vue souvent citer à côté des œuvres de
Proust et de Joyce pour sa hardiesse et sa nouveauté.
Il est encore impossible aujourd'hui d 'en mesurer
l'inlluence. Elle unit
à
une surprenante indépen-
dance dans l pensée
et
la critique de la civilisation
une
tr
ès gra
nd
e force de création
po
étique e t repré
sente, de l'avis unanime des connaisseu
rs
, une œuvre
clef dans la sit uation de l'esprit européen.
u Merlt a paru pour la première fo is en 9z8 à
la • Neue Rundscluu S Fischer, Berün ' ·
L Sdeux hommes dont l faut bien que je commence par faire mention (s
voir relater
tr
ois petites histoires dont il importe de conna tre le nar
amis d'enfance; appelons-les
Aun et
Adeux. Car,
au
fond, une amitié d'enfa
mesure
qu'on
vieillit, chose plus singulière: les années ont beau vous cha
à la tête,
et
le moindre poil comme le
fond
du cœur, les-relations réciproque
pas moins remarquablement égales
à
elles-mêmes, pareilles en cela aux rapp
tient chacun de nous avec les messieurs successifs auxquels il donne
tour
Sans doute n'est-il pas question
de
vouloir
qu'on
ait gardé les réactions du
à grosse tête
et
à
cheveux blonds qui fut photographié jadis, non; on ne p
dire, au fond, qu'on tienne beaucoup à cette petite hottent stupide qui fu
va
pa
s autrement avec les meilleurs amis
du
monde :
qui ne
s'entenden
déçoivent mutuellement,
et dont
beaucoup
ne
peuvent même pas se sou
certain sens, •Ce sont même là, quand l'élément mystérieux se garde pur d
les amitiés les meilleures et les plus profondes.
La jeunesse qui avait fait d'Aun et d'Adeuxdes amis n'avait tien eu de très
qu'ils eussent été élevés tous les deux dans un institut
où
l'
on
se flattait
d
principes religieux l'importance convenable; mais les élèves mettaient toute
à n
'en pas tenir compte. Un exemple: l'Institut avait son église, une belle
comme il faut, avec
une tout de
piètre,
et
.
qui
était réservée exclusivemen
de
'.éco
le
. Aussi, comme jamais étranger n
'y
mettait les pieds, était-il tou
à quelques acolytes - tandis
qu
e les autres aux premiers bancs s'agenouillai
vaient tour
à
tour, selon que l'exigeaient les rites - de jouer ailx cartes derr
confessionnaux, de fumer des cigarettes sur l'escalier de l'orgue
ou
de file
1
7/21/2019 La Licorne
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q ~ i poruit sous son toit pointu, à la man.ihe d un dessous de bougeoir,
un
balcon de
pterz:e
sur la balusttade .duquel, à une hauteur vertigineuse,
e x ~ c u t a i e n t
des acrobaties qui
a u N ~ e n t pu
cofiter
la
vte
de
moindres pécheurs.
L un
de ces à Dieu consistait:\ se dresser,
par
une lente tension des muscles, sur
la balusuade en regardant en bas, et à
se
balancer un moment de bout sur les mains· tous
ceux qui ont e x ~ t ~ cette acrobatie à terre mesureront combien il faut d a s s u r a n ~ e de
t ~ m é r i t é et de chance pour la rééditer sur un rebord de pierre large d'un pied, r o u ~ au
haut d'une t ~ u r .
n a ~ t ~ a i l l e ~ r s
ajouter que bien des gars,
parmi
les plus turbulents
et
les
plu
s adroits, ne s y n s q u ~ e n t pas, alors
que
c'efit ~ t ~ une simple promenade
pour
eux q ~ e de
a r c h e r
sur les mams à terre. Aun , par exemple, ne le faisait pas. Par contre
v ~ d à
qu1
peut nous servir
pour
la
pré
sentation du narrateur),
c ~ t a i t
Adeux qui avait
tmagmé, dans son adolescence, cette épreuve de caractère. Il
t a i t
difficile de trouver deux
corps comme le sien. Ce n ~ t a i t pas tellement le sport, comme à tant d 'autres, qui lui avait
donné des muscle
s
que la nature qui paraissait l 'en avoir to
ut
tressé, sans autre effort.
Li dessus venait une tête étroite, plutôt petite, avec des yeux qui étaient des éclairs
enrobés de velours, et des dents qui évoquaient, plus que la
s u a v i t ~
mystique, l'éclat
dur
de la bête en chasse.
P l ~ s tard, u n ~ fois étudiants, les deux amis se prirent d'enthousiasme
pour un
de ces
m a t ~ i a l i s m e s qw, en renonçant à l'âme et à Dieu, considèrent l'homme comme une
simple
m a ~ b i n e
phys ologique ou économique, ce que, d'ailleurs, il est peut-être réel
lement; s de .cela, ils se souciaient pas le moins
du
monde, parce que le charme de
telles ~ h i l o s o p h i e s .és1de pas tant dans leur v ~ r i t é que
dan
s
un
quelque chose de
é m ~ > n u q u e , de s l l D l s t e qu'elles ont, attristé d'intellectualisme. Les re.ations qu'ils entre
tenaient alors
~ t a l e n t
déjà devenues une amitié d'enfance. En effet, .Adeux était étudiant
en
a g ~ n o ~ et
parlait de partir \ l'étranger, en Russie
ou
en Asie, c o=e ingénieur
fores.uer, Sltot .ses études terminées; tandis
que
son :tmi,
s ~ t a n t
déjà choisi de moins
puérils enthousiasmes, se dépensait au service d un mouvement OIIVrier assez ambitieux
Lorsqu'ils r e t r ~ u ~ è r e n t , peu avant la Grande Guerre, Adeux avait déjà ses e x p é r i e n ~
russes
den:he
lut; il en _Parlait peu, avait trouvé un emploi dans les bureaux de quelque
~ r a ~ d e s o c 1 é t ~ et e ~ b l r u ~ avoir essuyé
de
sérieux déboire
s
encore que sa situation suffit
:t lw assuree une pettte v1e bourgeoise. Mais son ami d'enfance, entre temps, avait lâché
la lutte des classespour publier un journal où l on ne parlait que de paix sociale
et
qui était
entre les.mains d 'un homme d'argen t. Dès lors, ces inséparables n'éprouvèrent plus que
du mépr1s l'
un
pour l 'autre, mais se perdirent de
vue
encore une o s et lorsqu'enfin ils
se r e t r u ~ è r e n t ensemble
pour un
peu de temps, Adeux fit le r ~ c i t qui suit
à
la man.ière
dont
on vtde devant un amiun sac de souvenirs pour ne pas se remettre en route avec sa
besace pleine. Dans ces.circonstances, les répliques de l'autre n'importent guère,
et on
peu.t relater leur. entreuen presque
en
monologue. D serait plus important d':trri
ver
à dire avec exaeutude de quoi Adeux avait l'air à ce m o m e n t - ~ car, si l'on veut bien
28
comprendre
ses
paroles, une impression directe est presque indispensable. Mais c
pas facile. Tout
au
plus p o u t t a i t ~ n hasa.rder qu'il rappelait une de ces minces b
nerveuses qui, posée sur sa poin te flexible, serait appuyée à une paroi;
d ns
cett
tion mi-dressée, mi-affaissée, il paraissait se sentir bien.
- Parmi les lieux les plus singuliers du monde, dit Adeux, il faut compter ces
de
Berlin
où deux, trois, quatre maisons se montrent leur derrière, et des cuis
chantent, assises au milieu d un trou carré, entre quatre murs. Rien qu'à voir les ba
de cuisine en cuivre rouge sur les rayons, on devine le vacarme qu'elles doivent
Tout au fond, une voix d'homme braille des injures à une des filles d'en haut, o
il y a
de
lourds sabots qui arpentent le carrelage sonore. Lentement. Rudement
repos. Sans raison. Sans cesse. N'est-ce pas bien
ça?
Les cuisines
et
les chambres à coucher donnent donc sur ce trou; toutes proch
unes des autres, comme l amour et la digestion dans Je corps humain. Etage par
les lits nuptiaux sont posés les uns au-dessus des autres; car toutes l
es
cham
coucher de l 'immeuble ont la même situation, et la paroi de la fenêtre, celle de
de bains, celle de l'armoire, déterminent la place du lit à un demi-mètre près. De
étage
par
étage, les salles à manger s'entassent les unes s ur les autres, les sal
bains avec leurs carreaux blancs et les balcons avec l'abat-jour rouge. L'amour, le
meil,
la
naissance,
la
digestion, les revoirs inattendus, les nuits de souci et les nu
fête, s'empilent dans ces maisons comme les petits pains en colonnes dans les
i s t r
automatiques. Chacun, dans ces appartements pour
c l a s s ~
m o y e r m ~ t r o ~ ~ e son
tout fait quand il emménage. Tu m'accorderas que la liberté humrune
r e s 1 d ~
pn
lement dans le où et le quand
d un
acte car leur matière même est presque touJour
tique; alors, quand on uniformise jusqu'au plan même de tout, cela a sacrée
tance. Je
suis
grimpé
une
fois sur une armoire, uniquement pour expl01tcr la ve
et
je t'assure que,
de
là-haut,
la
conversation désagréable
que j
avais à tenir se pré
tout
autrement.
A
ce souvenir, Adeux se mit à rire et se versa à boire; Aun pensait qu'ils
installés sur un balcon avec un abat-jour rouge qui faisait partie de son appart
mais
il
ne dit rien, parce qu'il savait trop bien ce qu'il aurait
pu
objecter.
J e econnais d'ailleurs aujourd'hui encore q u'il y a dans cette régularité quelque
de puissant, concéda Adeux spontanément, et je croyais alors retrouver dans ce
go
grandes masses nues quelque chose comme le gollt du désert ou de la mer; un a
de Chicago, bien que l'idée seule m en soulève le cœur, c'est tout de même autre
qu'un petit pot de lieurs Mais l
é
tonnant était que dans le temps même où
j ~ v
appartement, je pensais plus souvent que de coutume
à
mes parents.
Tu
te souvte
j'avais autant dire perdu tout contact avec eux; mais il y eut alors tout à coup da
tête une phrase : lis t ont
dt nné
l vie
et
cette phrase comique me revenait de tem
temps comme une mouche qn'on n'arrive pas à chasser. Il n
y
a rien
de
bien par
7/21/2019 La Licorne
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à remarquer dans cette formule papelarde qu on nous inculque dès l'enfance. Mais, quand
je considérais mon appartement, je disais alors
tout
de même :
Eh
bien 1 voilà que
tu
as
acheté ta vie, pour
tant
et
tant de lo
yer annuell Peut-être disais-je aussi, quelquefois:
Maintenant, tu t'es créé une vie par tes propres forces 1 Cela tenait ainsi le milieu entre
l'épicerie, l'assurance-vie et la fierté. Et pourtant, il me parut alors extrêmement curieux,
mystérieux même,
qu il
y
eût
quelque chose qui m'avait été donné, que je le voulusse ou
non, et que ce quel
que
chose
fût
encore,
par
dessus le marché, le fondement de
tout
le
reste. Je crois
que
cette phrase recélait
un
trésor irréductible à
tout calcul,
à toute règle,
que
j'avais enfoui.
Et
c'est alors qu'il y eut l'histoire du rossignol.
Elle commença
par
un
soir
comme beaucoup d'autres.
J
étais resté
à la
maison et
m'étais assis, après qu e
ma
femme
fût
allée se coucher, dans la grande chambre; la seule
différence qu'il y
eût
avec d'autres soirs semblables, c'est
peut
-être
que
je
ne
touchai
à
rien, pas même à
un
livre; mais
cela
aussi était déjà arrivé. A partir
d une
heure, la rue
commence à devenir plus tranquille, l
es
conversations se font rares; c'est joli de
suivre
d un
e oreille les progrès
de
la nuit. A deux heures, du bruit
ou
des
rir
es en bas,
signifient déjà ivresses ou rentrées tardives.
Je me
rendis compte que j
a
ttendais quelque
chose, mais je ne pressentais pas quoi. Vers trois heures, on était en mai, le ciel commença
à s'éclaircir; je traversai à tâtons l'appartement
obscur
jusqu'à la chambre à coucher et
m'étendis sans faire de
bruit
.
Je
n'attendais plus maintenant
que
le sommeil,
et
dans
le matin
tout
proche,
un
jour comme les autres jours. Bientôt je
ne
sus plus si je veillais
ou si je dormais. Entre les rideaux et les fentes des persiennes, une ombre verte en.fia
l'écu
me du
matin laissa glisser ses minces torsades blanches au travers. Il est possible que
ç'ait été là ma dernière impression
de
veille ou déjà une paisible vision de rêve. Alors, je
fus réveillé par quelque chose qui approchait; c'étaient des sons.
Encore
saoul
de
sommeil,
je le constatai une première fois, une deuxième. Ils étaient posés sur le faîte de la maison
voisine et jouaient dans l'air comme des dauphins. J'aurais pu dire aussi : comme des
fusées dans un feu d'artifice; l'impression de fusées, en effet, se prolongeait; dans leur
chute, ils éclataient doucement contre les vitres
et
se noyaient dans la profondeur
comme des étoiles d'argent. Je me sentais maintenant dans un état magique; j'étais couché
dans mon lit comme un personnage sur la dalle de son tombeau,
tout
éveillé, mais autre
ment
qu on
ne
l est
en plein jour.
C est t ès
difficile à décrire, mais,
quand
j'y pense, c'est
comme si quelqu'un m'avait mis sens dessus desso
us; au
lieu d 'être en relief, j'étais comme
quelque chose d'enfoncé.
Et la chambre elle-même n'était pas creuse, mais faite d une
matière qui n'existe pas parmi les matières du jour, une matière noire à la vue et noire au
toucher dont j'étais fait moi aussi. Le temps battait à petits coups rapides comme le pouls
d un
fiévreux. Po urquoi n'arriverait-il pas main tenant ce qui, sinon, n'arriv e jamais? -
C'est un rossignol, ce qui chante là, me dis-je à demi-voix.
Eh
bien continua Adeux, il y a peut-être à Berlin plus de rossignols
que
je ne pensais.
Je crus alors
qu il
n'y en avait
point
dans ces montagnes de pierre, et que celui-ci était
JO
venu de très loin vers moi. V ers moi 1 e le sentais,et je me dressai sur mon lit
-
Un
oiseau
du
ciel Il y en a
donc
vraiment Danc ces moments-là, vois-tu
naturellement
prêt
à croire au surnaturel; c'est comme
si
l'on avait passé
so
pays des contes de fées. Immédiatement, je pensai: je suivrai le rossignol. A
pensai-je, adieu, aimée, maison, ville Mais je ne m'étais pas encore levé de
je ne savais pas enco.re très bien si j'allais rejoindre le rossignol en montan
ou
le suivre en bas dans les rues, que l'oiseau s'était
tu
et, sans
doute
envo
Maintenant, il chantait
sur un
autre toit,
pour un
autre dormeur. Adeux
Tu vas croire que l'histoire finit là?
Or
c'est maintenant seulement qu'elle
et j'ignore comment elle doit finir
J en étais resté comme orphelin, le découragement m 'accablait. Ce n'étai
un rossignol, c'était
un
merle;
me
disais-je;
tout
comme tu brûles
de
le
dire
tout
le monde le sait, imitent les autres oiseaux. J'étais maintenant complètem
le silence m'ennuyait. J'allumai une bougie et considérai la femme qui éta
côté de moi. Son corps avait
une
couleur
de
brique pâle.
Le
bord blanc de l
était sur la peau comme
une
bande
de
neige.
De
larges lignes d'ombres
autour de son corps et
on
ne comprenait pas bien d où elles venaient, en
dussent
dép
endre, naturellement, de la bougie et de la position de mon bras.
que cela peut
bien fai.re pensai-je en la regardant, que ce
n ait
été
v ~ e n t
Au
contraire,
qu il ait
suffi d un simple merle
pour
me rendre à ce
pomt
fou,
bien plus grave Tu sais bien qu on ne pleure qu'à une simple déception
double, on réussit toujours à resourire. Et cependant je ne cessais de regarde
Tout cela tenait ensemble
tout
seul, mais je ne sais comment. Pendant
pensais-je, je t'ai
aimée
plus que
tout
au monde, et maintenant
tu es c o u c h
une cartouche brûlée de l'amour. Maintenant, tu m'es devenue tout à fa
maintenant, je suis ressorti à l'autre extrémité de l'amour. Etait-ce du dégo
rappelle pas avoir jamais ressenti de dégoût.
Et
je te décris ça
o ~ ~
si
pouvait percer
le cœur
comme
on
perce
une
montagne;
de
1autre cote de
a un autre mond e avec la même vallée; les mêmes maisons, les mêmes petits
au fond, je ne savais tout simplement pas ce que c'était. Aujourd'hui même
pas encore. Peu t-être ai-je tort de rattacher cette histoire à deux autres qui
Tout
ce
que
je puis
te
dire, c'est l'impressi
on que
je ressentis quand je la
comme si
un
signal m'avait atteint, lancé
je ne
sais
d où
..
Je posai ma tête à côté de son corps qui dormait sans se douter de den
Alors sa poitrine sembla se soulever et s'abaisser comme une masse énorme
de
la
chambre émergeaient et replongeaient le l
ong
de ce corps endormi co.m
mer autour d un
bateau
qui
est
d é j ~
loin au large.
Je
n'aurais probablemen
sur moi de m en aller; mais si je m'esquive maintenant, me sembla-t-il, je .
barque abandonnée dans la solitude qu un grand bateau
stlr
de
lui
a dépassé
31
7/21/2019 La Licorne
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y prendre garde. J'embrassai la donneuse, elle ne le sentit pas. Je lui murmurai quelque
chose à l'oreille, avec tant de prudence peut-être qu'elle ne l'entendit pas . Alors, je ris de
moi-même et
me
moquai
du
rossignol; mais, discrètement, je m'habillai. Je crois que
j'ai sangloté, mais je partis vraiment. Je me sentais d une légèreté folle, bien que j'es
sayasse de me dire qu'aucun
homme
comme il faut n'avait
le
droit d 'agir ainsi; je me
souviens, j'étais comme un
homme ivre qui
se querelle avec la rue où il passe pour
s'assurer
qu il est
de sang-froid.
Naturcllement, j'ai souvent pensé à revenir; quelquefois, j'aurais traversé la moitié
du monde pour revenir; m is je ne l ai pas fait. Elle était devenue intouchable
pour
moi;
en
bref, je ne sais si tu me
comprends:
quiconqu e ressent très profondément un tort ne
peut plus rien y changer. D'ailleurs, je
ne
te demande pas l'absolution. Je veux te raconter
mes histoires
pour
éprouver
l
eur
vérité;
pendant
des années je
n ai pu
parler à personne,
et si je m'entendais en parler tout haut avec moi-même, j avoue que je
ne
serais pas
tranquille.
Sois
donc
bien persuadé que
ma
raison ne songe pas
à
rien sacrifier à tes
lumi
ères.
Deux
ans plus tard, je me trouvai dans
une poche
à
l an
gle mort
d un front
du
sud
du Tyrol qui dessinait, des tranchées sanglantes de Cima di V ezzena aux rives du lac de
Caldonazzo, une longue courbe. Par delà deux collines aux beaux noms, elle s'enfonçait
dans
la
vallée comme une
vague
sous le soleil, puis remontait sur l au
tre versant
pour se
perdre enfin dans
la
tranquillité des montagnes. On
était
en
octobre;
les tranchées, faible
ment défendues, étaient noyées de feuillage, le lac brûlait bleu dans Je silence, les collines
ressemblaient à de grandes couronnes anées; des couronnes mortuaires, pensais-je souvent ,
sans
m en
effrayer. Avec des hésitations, la vallée se partageait autour d 'elles en
plu
sieurs
bras; mais,
au
delà de la ligne que
nous
occupions, elle échappait à cette
douceur
distraite
et
partait comme un coup de trompette, brune, large, héroïque, vers l espace ennemi.
La nuit, nous allions occuper une position avancée établie au centre de cette région.
Elle
était
A dans la vallée, si bien exposée que,
d en
haut, on aurait pu nous lapider sans
peine; mais on se contentait de
nous
rôtir
à petit
feu d 'artillerie. Néanmoins, le matin
qui
suivait ces nuits-là, tous avaient un drôle d air qu'ils ne perdaient qu au bout de quelques
heures : les yeux agrandis, et toutes ces têtes dressées irrégulièrement sur les épaules
comme une pelouse foulée. Néanmoins, l n est : ~ s une de ces nuits où je
n ai
e souvent
levé la tête au-àessus
du
parapet pout la
retourner
ensuite avec prudence, comme
un
amoureux; alors je voyais se dresser dans la nuit le massif de la Brenta, bleu clair, avec
des plis raides, comme: en verre. Et c est justement dans ces nuits-là que les étoiles
étaient grandes, elles avaient l air découpées dans du papier
doré
ou, à
cause:
de leur
scintillement gras, dans
de: la pâte
cuite, le: ciel restait bleu jusque dans
la
nuit et
le
mince,
le virgi.nal croissant de lune, tout en
ar
gent
ou tout
en or, était couché sur le dos au
nùlieu d'elles et se ondait en délices. Tâche
de
te représenter combien c'était beau. Il n y a
rien d'aussi beau dans la vie à couvert. Alors, quelquefois, je n y tenais plus, le
bonheur
et
31·
un
vague et violent
désir
me fais a.ient sortir.
en
rampant dans. la
nuit;
jusqu'aux ar
noirs
et
vert-or panni lesquels je: me dressats c ~ m m e ~ n e
pente plw_ne b . ~ u n - v e r t
d
le plumage
du
tranquille oiseau
Mon
au bec pomtu qUJ est, par mag1e, no1r et de to
les couleurs, comme tu n en as jamais vu.
Le jour, au contraire, quand
nous
occupions les positions, a ~ a n c é c : s , ~ o ~ s pouvi
sans
nous
gêner faire une sortie à cheval.
Dans
ces p o s ~ ~ s
ou
on a auss
b1en le
te
de: la réflexion que de la peut,
on
apprend pour la prem.1ere fols à c o ~ t r e le dan
Chaque jour il vien t chercher ses victimes, une n o e moyenne ~ e ~ o m a d a i r e tant et
de cc:ntaines, et déjà les officiers de l'Etat-maJor général de
div
1s1on en f ~ n t com
aussi abstraitement
qu une
société d'assurances. D'ailleurs, on ne fait pas s o J - m e m e ~ u
mc:ot:
on
connalt d'instinct sa chance
et l on
se sent assuré, encore
que
ce
ne
solt
dans des conditions particulièrement favorables. Tel est Je calme étrange qu on épro
quand on vit longtemps au front. Il fallait que je t e x p l i ~ e pout que tu
te fasses pas une fausse idée de mon état. Sans doute:, il arnve
qu on.
se sente sou
le désir de rechercher
un
visage précis, connu, encore aperçu
peu
de
JOUIS
u ~ v a
mais l n est plus là.
Un
tel visage peut alors vous o u l e v e r s ~ t
p l ~ s
que de ~ a t s o n , il
longtemps dans l'air à trembler comme la lueur d une bougte. S1 on a moms peur d
mort
que d'habitude:, on est ainsi
plus
accessible
à
toutes sortes d 'excitations. C'est com
si l'angoisse
de
la fin qui visiblement
ne
cesse de peser
sut
le:' .hommes comme
une d
avait été roulée loin de vous
c:t
qu'alors, dans le vague vo1smage de la mort, fleu
une singulière liberté intérieure.
Une
fois, c'était en plein jour, un avion ennemi arriva au-dessus de
notre
pos
d'ordinaire si paisible. Cela n'arrivait pas souvent, parce
que
la montag ne, avec
brèches étroites entre des sommets fortifiés, les obligeait à voler très haut. Nous é
justement
sut
une des couronnes mortuaires, et un n s t a n ~ l,e ciel fi:tt m o ~ c h e t é . pa
petits nuages blancs des shrapnells de nos battenes comme
SI
on ava.tt.marué
h a ~ i l
quelque h o u p e t t ~ . Ç'avait un petit
air
gai et
p r e s ~ e
cha.m:ant.
Et pws,
le soleil
b ~
à travers les plans tricolores de l'avion, quand l passait JUste au-dessus. de nos
comme à travers des vitraux
ou
du papier de soie de toutes les couleurs, et il m a n
plus à la f ~ t e qu un peu de Mozart.
L idée
me passa bien par la
tête que:
nous étions ré
là comme
un groupe
de spectateurs aux courses et que
nous
offrions une
b l e
.e:'cel
L un d entre nous dit même: Vous feriez mieux de vous planquer Ma1s, vlSlblem
personne n'avait envie de se terrer dans un trou c o m m ~ une souris. des c h ~ p s .
moment j en
tendis un l
éger
tintement qui se rapprocha.tt de mon v1sage rav1, les
au ciel.
Na
turellement, il se
peut que:
ç'ait été l
inve
rse, que j'aie
d abord
enten
tintement
et
seulement après compris l 'approche d un danger; mais, à l instant m
je me dis: une jll hette1C'était des barres de fer pointues
•
pas plus épaisses qu un ;r
de charpentier,
que
les avions lâchaient alors sur l'ennelDI, e.t' :oucha ent-elles le cran
pouvait
compter
ne les voir ressortir
qu aux
pieds, mats JUStement elles touch
7/21/2019 La Licorne
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rarement, et on a eu vite fait d y renoncer par la suite. Aussi était-<:e ma première fiée
h
mais, les bombes
et
les balles de mitrailleuse ayant un tout autre son, je sus tout de suite
à quoi j'avais affaire.
Tout
mon être était tendu, et l'instant d'après j'avais déjà lesentiment
singulier, sans fondement dans la réalité probable, qu'elle f{)UÇberait
Et sais-tu ce que j'éprouvais? Non pas d'effroyables pressentiments, mais un bonheur
encore jamais espéré D abord, je m'étonnai d'être apparemment le seul à entendre le
tintement. Puis ie pensai que le bruit allait de nouveau disparaître. Mais il ne disparaissait
pas. Il se rapprochait de moi, bien que très lointain encore, et grandissait à vue d'œil.
J'observai prudemment les visages, mais personne ne s'apercevait de rien. Et, dans le
moment où j'eus conscience d'être
le
seul à entendre ce chant ténu, quelque chose hors
de moi monta à sa rencontre: un rayon de vie; aussi infini que celui de la
mort
qui descen
dait.
Je
n'invente rien, je cherche
à
décrire le plus simplement possible; j'ai la conviction
de m'être exprimé aussi prosaïquementqu un physicien; mais je sais bien que c'est jusqu'à
un certain point comme dans un rêve
où l on
s'imagine parler très clairement alors que
les mots, hors de vous,
sont
confus.
Cela dura
un
long temps, pendant lequel je fus seul à entendre approcher l'événement.
C'était une seule note haute, ténue, chantante, comme quand on fait vibrer le bord d'un
verre; mais il y avait quelque chose d'irréel là-dedans; jamais encore
tu
n'as entendu ça,
me disais-je. Et ce son était dirigé contre moi; j'étais
en
liaison avec lui et je ne doutai pas
un instant que quelque chose de décisif pour moi dût avoir lieu.
ll
n y avait pas en moi
une seule des pensées qui sont censées se présenter au moment où
l on
,quitte la vie,
tout
ce que je ressentais était au contraire tourné vers l'avenir; et, je dois
le
dire en toute
simplicité, j'étais persuadé que dans la minute qui venait, j'allais sentir la présence de Dieu
dans le voisinage de mon corps. C'est tout de même quelque chose pour un homme qui
a cessé de croire en Dieu
à
l'âge de huit ans.
Entre temps,
le
son là-haut avait pris corps,
enB.ait,
menaçait.
Je
m'étais demandé une
ou
deux fois s'il fallait do nner l'alarme, mais, dussé-je être touché,
ou
un
autre, je ne le
voulais pas l'Peut-être se cachait-il une sacrée vanité dans cette idée que là-haut, au-dessus
d un champ de bataille, une voix chantait pour moi. Peut-être Dieu
n'es -il
rien d'autre,
en somme, que le plaisir
pour
nous autres pauvres hères, dans l'exiguïté de notre existence,
de nous rengorger vaniteusement d'avoir au ciel un parent riche.
Je
n en sais rien. Mais,
maintenant, sans doute, l'air s'était mis à tinter aussi pour les autres; je remarquai que
des taches d'inquiétudes couraient sur leurs visages et, vois-tu, aucun d'eux ne laissait
non plus échapper un seul mot
Je
-regardai encore une fois ces visages: des gars dont
rien n'était plus éloigné que de telles pensées étaient là debout, sans s'en douter, comme
un groupe de disciples dans l'attente de la Nouvelle Et soudain Je chant devint
un
son terrestre, dix, à cent pieds au-dessus de nous,
et
expira. Il était là, c'était là. Parmi
nous, mais tout près de moi, il avait été un peu assourdi
et
mangé
par
la terre, avait volé
en éclats d'irréel silence. Mon cœur battait à grands coups tranquilles; je n'ai même pas
34
pu avoir peur un fragment de seconde; il ne manquait pas
la
moindre parae
à ma vie. Mais la première chose que je perçus de nouveau fut que tous me
J'étais debout à la même place, mais mon corps avait été sauvagement arr
et avait exécuté une profonde révérence en forme de demi-<:ercle.
Je
sent
réveillais d'une espèce d'ivresse, et je ne savais pas combien de temps j'avai
Personne ne m'adressait la parole; enfin, quelqu'un
dit:
une
flécbettei et
tou
la chercher, mais elle était enfoncée à plusieurs mètres ,
de
profondeur dans, l
moment, un sentiment de reconnaissance m'envahit comme
un
feu, et je
rougis de tout le corps. Si quelqu'un m'avait dit alors que Dieu était entr
n'aurais pas ri. Mais je ne l'aurais pas cru non plus. Je n'aurais même pas
gardasse
un
seul éclat. Et pourtant, chaque fois que j'y repense, je 'Vou
encore
une
fois,
en
plus clair, une expérience de ce genre
Je
l'ai d'ailleurs revécue, mais
ce
ne fut pas plus clair, dit Adeux en com
dernière histoire. Il semblait avoir perdu de l'assurance, mais on pouvait voir
pour
cette raison même, l brûlait de se l'entendre raconter.
Cette histoire évoquait le souvenir de
sa
mère, qui n'avait jamais reçu
preuves de son amour, bien qu'il affirmât
le
contraire.
- Nous nous sommes, supecliciellement, mal. convenu, et, en somme,
là que de naturel, quand une vieille femme vit depuis des dizaines d'années d
petite ville
et
que son fils,
à
courir le monde, n'est arrivé, selon elle, à rien.
me troublait comme celle d un miroir qui déforme imperceptiblement votre
la blessai en ne revenant pas à la maison pendant des années. Elle m'écriva
chaque mois, une lettre soucieuse, toute en questions, et bien que d'habi
répondisse pas, il y avait là néanmoins quelque chose de très singulier,
et
m
gardai avec elle de profondes attaches, comme on l'a
vu
pour finir.
Peut-être s'ébrit-il passionnément imprimé en elle, depuis des dizaines
et
d'années, l'image d'un petit garçon en qui elle avait mis Dieu sait quels espo
ne pouvait éteindre; et parce que j'étais ce garçon depuis longtemps
d i s p a t : ~ : ~
restait attaché à moi, comme si tous les soleils qui s'étaient couchés depu
encore quelque part entre lumière et ténèbres.
Tu
aurais là un autre exem
mystérieuse vanité
quin enestpas
une. Car je peux bien dire
que
je n'aime
sur moi-même, et le plaisir que tant de gens prennent à contempler des ph
qui les représentent à des époques antérieures de leur vie ou à se remémorer
fait en
tel
endroit, à telle date, tout ce système.
de
Caisse d'épargne .du M
absolument incompréhensible.
Non
que je sois spécialement capricieux ou
qu
que pour l'instant; mais quand quelque chose est passé, l'liomme d'alors est
et
lorsque, dans une rue, je me souviens d'avoir souvent fait ce chemin autre
je revois mon ancienne demeure, je me contente de ressentir, sans tant de p
3l
7/21/2019 La Licorne
http://slidepdf.com/reader/full/la-licorne 19/120
espèce de douleur,
une
violente aversion envers moi-meme, comme si
on
me t:appelait
q u ~ q u e
chose de
n t e u x .
Le passé
fuit
.comme
une
cw
i
m ~ r e
qu on se
mnsforme;
et il me sem?le qu on ne se transfotmer.ut p:I.S de quelque maruère qu on le fasse, si celui
que . l on ~ W t t ~ ~ t a i t si ~ p r o c h a b l e . Mais, justement parce
que
c'est
a
mon sentiment
~ b J t u e l , il l ~ t
merveilleux de constater qu un ette avait
c o n s e r v ~
de moi,
to
ute ma
v t ~ la ~ è m e t.mage; une image i quoi je
ne
correspondis vraisemblablement jamais et
~ v a n pourtant, dans un certain sena, p r é s i d ~ l ma ~ t i o n qui ~ t a i t au fond mon
ongme. Me comprendr:I.S-tu
si
je te dis,
en
image que ma mère une nature de lionne
a i l ~
dans l'existence réelle d une femme en bien des sens b o m ~ e ? Elle
n avait pas
ce que
nous
avons
l habitude
d'appeler intelligence: incapable
de faire
abstraction
de
rien comme
d'aller chercher
très
l
oin
ses taisons;
et
me
remémonnt mon
enfance, je
ne
peux
pas
dire
non
plus qu'elle fUt bonne, c r elle
était
vjolente et
trop
soumise i ses nerfs; et tu
peux
r e p ~ s e n t
ce que ~ o 1 1 n e Fo i s
' a l l i a n ~ de
la
passion avec des vues b o r o ~ e s . Mais
Je
soutiendrais volontiers qu l
est de
certaines valeurs de certains templ raments qui
aujourd'hui .encore se composent avec la forme corporelle où un être se présente ~ o u s
dans l'expénence r d i n a i r e , de façon tout aussi incompréhensible que les dieux, au temps
des fables, ont
p11s
la fomte de
serpents
ou de poissons.
Peu
2p.œs
l hl
stoire de la flkhttte
je
fus
Wt
prisonnier 2u cours
d une
rencontre en
Russie; plus tard, participai au gnnd bouleversement et
ne
me pressai p:I S de
ren:ru,
~ ~ t t c nouvelle VIC m 2 longtemps plu. Je m en éto11ne aujourd'hui encore. Mais, un
J O ~ ,
Je
d ~ u v t ; i a qu'il m'était devenu impossible ~ o n c e r sans bâiller quelques-uns des
UJomes
qw ~ 1 ~ t 2lors li-b:I.S pour indispensables, et je me dérobai au danger de
~ r r . q u e cela Signifiaiten filant en Allemagneoù l'individualjsme était justement en pleine
~ ~ a ~ o n . Je fis toutes sortes d'affaires ~ u t e partie par n ê c e s s i t ~ . partie parce que
J
c o ~ t e n t
de me retrouver a n ~ un VIeux pays où on
peut
mal 2gir sans erre obligé
d
en avou
_honte.
me
réussJt guère,
et
parfois même je
me
trouvai terriblement
mal
en potnt
. La SJtuatJon de mes parents
n était pas
non plus bien brillante. Alors, de
temps.
en t e m ~
ma. mère m'écrivait: • Nous
ne
pouvons héw t'aider; mais, si je
p o u ~ s te en atde avec le peu dont tu héritCI:I.S un jour, je souhaiterais presque
mo= :
•
V o ~
ce .qu'elle m'écrivait, quand je n
é
tais plus a l i ~ la
voir
depuis des artnées
et que JC ne
lw
v a a
pas do11nê
le moindre
signe d'affection. Je dois avouer que
je
pris
~ d a
pour
une stmple formule, tant soit peu hyperbolique, à lllquelle je n'attachais aucune
~ ~ p o r t a n c e , ~ u t
en
n'ayant
aucun doute
sur ' a u t h e n t i c i t ~ d un sentiment dont l'expres
sion seule
était
fausse. Mais
c est
alors que le très ~ t n n g e se
prodwsit
: ma mère
tomba
réellement malade, et
on
pourrait croire qu'elle entr2lna aussi mon père qui lui était tout
dl voué,
à
sa suite. '
Adeux nt une pause. El l e mourut d une maladie qu'elle devait
llVO
ir ponée
en
elle
S DS que personne
s en doutât. On pourrait donner
de cette coïncidence t outes sottes
d'explications nllturclles,
et je
crains bien que tu
ne
m'en veuilles si je ne le
fais pas. Mais
36
l ' ~ t t a n g e , c ' ~ t a i t encore une fuis les circonstances accessoires. Elle ne voulait nulle
mourir; j sais qu'elle s'est défendue eontte cette
mon
prématurée, qu'elle
s en
est pl
:lvec violence. Sa
o l o n ~
de vivre, ses résolutions et ses vœux s'élevaient
çontre
l
nement. On
ne peut
pas dire non plus
que
ce soit
une
~ c i s i o de carac
tère qui
empom
sur sa volonré d un moment; car, sinon, elle efit pu songer avant au su
ou à
la
pauvreté volontaire, ce qui ne fut nullement le C:I.S. Elle fut elle-même, dan
perso11ne
tout
entière, une victime. Mais n'as-tu jamais r e m a r q u ~ que ton
corps
a en
une
autte volonœ qu
e t
oi?
Je crois
que tout
ce
qui nous
semble
notre
volonté ou
sentiments, nos sensations, nos pensl es,
et
paraît avoir barre sur nous,
ne
le peut q
ve. ru d une procuration spéciale, et qu'il y a
dans
les graves maladies, les guéri
inespl des, les luttes indécises
et
à
to u
s les toumants
du
destin,
une sone
de • déc
première • de tout
le
corps où réside
Je
derruer
mot
de 12 puissance et de la v ê
Mais, quoi
qu
' il
en
soit,
il
reste certain que la maladie de
ma
mère me fit dès l'l
l'impression
de
quelque chose d'absolument volontaire, et n y verrais-tu même qu
gination, il
n en
resterait pas moins qu'11l'insrant où je reçus
lll
nouvelle de sa ma
et bien qu'il n y eilt
Il
aucune raison de s ' i n q ~ t e r , je fus complètement et visible
t n n s f o r m ~ ; une
certaine dureté
dont
j'étais
entouté
fondit dans l'espace
d un
instan
tout ce que je puis dire, c'est que l état où je me trouvai dès lors rappelait beaucoup
réveil cette nuit où je quittai la maison et l 2ttente de
la
flèche qui fondll.it du h2u
airs
en
chantant. Je voulus tout de swte aller rejoindre
ma
mère, mais elle
me
tint à
rance sous toutes sortes
de
prétextes. D 'abo
rd
elle ~ c r i v i t qu'elle se
djouissait
de
voir, mais qu'il me f21Wt attendre la fin de cette maladie, d'ailleurs bénigne, pour qu
pOt me recevoi r en pufaite santé; plus t2rd, elle me fit dire que ma visite risquait, s
moment, de lui
procurer
une émotion uop vive; enfin, lorsque je
me
fis pressan
ruieux décisif était imminent,
me
d i s a i t ~ n , et je n'avais
qu
' t patienter encore un pe
semble qu'elle
ait
r e d o u ~
un
revoir qui etlt
pu
troubler
son
2ssurance;
et
puis,
to
d ~ c i c h sj vite que je réussis tout juste être
là
pour l'enterrement.
Je uouvai mon
père
malade lui 2ussi et, comme je le disais, je ne pus
bientôt
plus
1'2ider2 mourir. ' a v a i
t é t ~ a u t r e f o i s u n e x c e l l e n t h o m m e , m a i s p e n d a n t c e s
semaines-I
montra o:ttao.rdinairement têtu
et
capricieux, comme s'il 2Vait beaucoup de choses
reproche.r et que ma présence lui fût désllgréable. Après son enterrement, l me f
mettre en
o
rdre
les affaires de
la
maison, et cela
prit bien
quelques semaines; je n'étai
s s ~ . D e temps
en
temps, par une vieille habitude, les gens de la petite ville ven
vers moi
et
me racontaient i quel endroit de la chaiiJbre mon père s'l tait tenu,
et
ma m
et eux-memes. Ds soumettaient tout à une inspection ~ t i c u l e u s e et s'offraient à me rac
tclle ou tclle pièce. lls fon t les choses tellement fond, ces gens de province Et l un d
me
dit une foi
s, après llvoir tout
e n m i n ~ en
détail: c C'est tout de même terrible,
famille entière qui s ' ~ t c i n t en l'espace d une ou deux semaines • Moi, perso11ne n
comptait. Quand j'étais seul, je restais assis tnnquillement à lire des livres d 'enfants;
7/21/2019 La Licorne
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avais trou au grenier toute une caisse. Ils étaient pleins
de
poussière
et
de suie,
i m o i t i ~
racomis, ;. moitié pow::tis par l'humiditl , et chaque fois qu'on en battait les feuillets, des
nuages de noirceur tendre s'en é c h 2 . ~ p a i e n t ; ~ les v o l ~ m e s c a t t ~ n n é s , il ne restait.,du
papier madré que des archipels d é c h i q ~ e t é s . Mais q u a n ~
Je
p é ? ~ t t a l s dans es pages, Jen
c o n q u ~ t a i s
le contenu comme un mann entre
ces
écueils,
et
Je
fis
une f01s une éttange
d ~ c o u v e r t e . Je q u a i que le noir en haut des pages, i l'endroit où on l
es
tourne, et
en bas au bord, était, presque imperceptiblement, différent de celui que provoque la
simple moisissure,
et
je trouni ensuite toutes sortes de.
a g u e s
t a c h ~ et, f i o a l e m e ~ t ,
sur
les pages de titre, de farouches traces
de
crayon un peu palies; et tout
dun
coup, subJUgué,
je reconnus que cette usure passionnée, ces égratignures
de
crayon, ces taches laissées der
rière moi
à
la hâte, ~ t a i e n t des traces de doigts d'enfant, de mes doigts, conservées trente
ans et plus dans une caisse sous un toit et oubliées du monde entier Eh bien comme je
te
le disais, si
se
souvenir
de
soi-même peut être tout
i
fait banal pour beaucoup d'autres,
pour
moi, c'était comme le monde r e n v e ~ J'avais aussi retrouvé la chambre qui
était, trente ans
et
plus auparavant, ma chambre d'enfant; on y avait mis ensuite les
armoires
à
linge et d'autres choses de ce geru:e , mais au fond on l'avait laissée
telle qu'elle était lorsque j'étais assis
à
la table de sapin sous la lampe à pétrole dont
trois dauphins tenaient les chalnettes dans l
eur
gueule. Maintenant j'y restais de nou
veau assis une bonne partie de la j o u m ~ e et je lisais, comme un enfant dont les
jambes n'arrivent pas jusqu'à terre. Car, vois-tu, nous sommes habitués à ce que
notre tête tienne
m l ou
ne touche
à
rien de fixe, parce que nous avons quelque
chose
de solide sous les pieds; mais être enfant, c'est n'être
tout
à fait sûr ni à un
bout ni à l'autre, n'avoir encore, au lieu des tenailles de plus tard, que de molles
mains de flanelle et être assis devant un livre comme si l'on cinglait
à
travers l'espace
sur une petite feuille par dessus des abimes.
Je
t'assure, mes jambes sous la table
n'arrivaient pas jusqu'à terre.
Je m'étais aussi installé
un
lit dans cette chambre, et j'y dormais. Alors, le merle revint.
Une fois, p a s ~ minuit, je fus réveillé
par
un chant splendide, merveilleux.
Je
ne m'éveillai
pas tout de suite, mais, d'abord, j'écoutai longuement du fond de mon sommeil. C'était
le chant d'un rossignol; seulement, il n'était pas sur les arbustes du jardin,
mais
sur le
toit d une maison voisine. Je commençai à dormir les yeux ouverts. n y a pas de ros
signols ici, pensai-je, c'est un merle.
Ne
va pas croire que je recommence mon histoire Mais au moment même où je
pensais:
l
n y a pas de rossignols ici, c'est un merle,
i e ~ é v e i l l a i ; c : é t ~ t
quatre
heures du matin, le jour m'entrait dans les yeux,
Je
sommell dtsparut
auss1
VIte que la
trace d'une vague est bue par Je sable sec de la rive, et, devant la lumière pareille ~ u n
tendre drap de laine blanche, un oiseau noir était posé
sur
la fenêtre ouverte Il était là,
aussi vrai que je suis ici.
- Je suis ton merle, dit-il, tu ne me reconnais pas?
,s
En r ~ t é , je ne me suis pas souvenu tout de suite, mais, quand l'oise
je me sentais extrêmement heureux.
-
Je
me suis déjà posé une fois sur le bord de cette fenêtre, tu ne t'e n
continua-t-il, et alors je lui répondis: Oui,
un
jour tu t'es p o ~ là où tu
et je me suis dépêché de fermer la fenêtre.
-
Je
suis ta mère, dit-il.
Cela, vois-tu, je dois l'avoir rêvé. Mais l'oiseau, non; il était posé
là,
il
chambre, et je me dépêchai
de
fermer la fenêtre. J'aUai chercher au greni
cage de bois dont je me souvenais, parce que le merle était d ~ j à venu
moi, dans mon
enfance
tout comme je venais de le dire. n s'était
p o ~
puis il était entré dans
la
chambre,
et
j'avais employé une cage, mais
bientôt, et je ne le tenais pas enfermé, il vivait librement dans ma cham
rentrait. Un jour il n'était pas revenu, et voici qu'il était là de nouvea
aucune envie de me casser la tête pour savoir si c'était le même merle; je t
et
une nouvell e caisse de livres,
et
si je peux te dire une chose, c'est que de
été un si brave homme
que
du jour où je possédai le merle; mais te dire
qu'un brave homme, cela m'est sans doute impossible.
- A-t-il souvent reparlé? demanda, non sans malice, Aun.
- Non, il n a pas reparlé. Mais il m'a fallu lui proc urer sa nourriture de
vers. Tu vois bien, cela crée déjà une petite difficulté, qu'il se nourrisse d
je dois le tenir pour ma propre mère Mais on s'y fait, tu sais, ce n'est
d'habitude, et à quoi ne faut-il pas s'habituer, même pour des choses plu
Depuis je ne l'ai plus quitté,
et
je n'ai rien d'autre à te dire; voilà ma troisi
CÔmment elle finira, je l'ignore.
- Mais tu donnes pourtant à entendre, dit A
un
cherchantprudemment à
que tout cela a une signification commune?
- Mon Dieu, répliqua
Adeu.. <,
tout s'est p s s ~ exactement comme je
j'en savais le sens, je n'aurais sans doute pas besoin de te raconter l'histoir
comme quand tu entends
un
murmure, ou ne serait-œ qu'un simple bruisse
7/21/2019 La Licorne
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ettre
autobiographique
par
SOR JU N INES
DE
L CRUZ
prlsenllepar
SUS N
SOC
t
tr duite dt l esp gnol par
Yve t te Bi
llo
d
7/21/2019 La Licorne
http://slidepdf.com/reader/full/la-licorne 22/120
SOR JU N
C ERTAINES
vies que
le
xvn siècle a produites panl.lèlement
en grand
n
proposent dans leurs seules années terrestres
un
cycle complet
où
l nous e
voir
les recherches de l
humain
les plus anciennes
et
les plus nouvelles
recherche du divin.
Sor
Juana
Inès
de la
roix
est
l une des dernières grandes figures de l uni
du monde latin, ce
globe
téléologique tenu par une main invisible et corre
globe visible que les peinttes plaçaient dans la main fermée des rois de la ter
Mais aussi, la religieuse mexicaine appartie nt essentiellement
l
ce monde du
le dernier
de toute
une civilisation à ressembler admirablement à lui-même.
C est
une
joie
pour moi que
de parler de
Sor
Juana
en
français à cause de
dances que je vois en elle
non
seulement avec l esprit
et
le monde français du G
mais, plus particulièrement, avec certains aspects
de
Port-Royal.
Dans
une colonie fermée comme une ile se forment par opposition des
ouvertes
au
monde extérieur
que
la métropole elle-même. Le
monde
de
l
Espagne sur lequel Sor Juana rayonna, ressemble
à
une petite cour lettr
autant qu à la grande métropole écrasée sous l étiquette autrichienne qu
épe.rdument d imiter.
Héritière des scolastiques
et
des grands humanistes, située (en
toute
ortho
les encyclopédies jésuites
et
les encyclopédistes, nous voyons dans cet esp
l un
des plus caractéristiques de son siècle; comme nous voyons dans cette fil
- d origine basque par son pè r une des plus vivantes créatures du mond
et
américain.
Nous
ne pouvons faire sa connaissance à travers les siècles san
ment juvénile qui vient d elle plus que de
nous:
l étonnement qu elle montrai
43
7/21/2019 La Licorne
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r.ueurs d Europe quand elle leur ~ c r i v a i t qu'ils aimaient peut-être ses vers parce qu'elle
l
es
avait
p r ~ t é s
avec l
es t pices
de
sa
terre maic:Une.
Le besoin de
connaltte
apparalt chez Sor JIW a comme une
pan
de son immense
v i t a l i t •
Forli
de srimct
s SlltS et jamais
ap
prists
•, dle allait de l'une sl l'autre et seul ce
changement lui servait de repos. Cet &re d ~ v o r t d ' u n i v e r : s a H t ~ est do
ue
d'une si tenace
H b e r t ~ nature.lle que ni le confoonisme écrasant de son milieu et de son temps,
ni
l
o l o n t ~
«:cl6iastique,
ni
son propre
et
constant d6 ir
o ~ s s a n c e
ne parviendront sl
l
en frustrer.
Tout en
dle
est impttvu, envahissant :
dle
brille, dle règne,
dle
plonge dans l stupeur
cette colonie espagnole où les pttjugt s contre ~ r u d i t i o n se confondent parfois avec la
terreur raciale de l'hérbie.
11
fut dit de
So
r
Ju
ana dans son siècle: •
P o ~ ~ r s u i v i t
pam que belle, pane fJ' sagr,
inforflmlt
». Nous savons seulement que, pousst e par son confesseur inquiet de son trop
grand succès à la cour du vice-roi, elle entra à dix-sept ans au Carmel.
Mais elle n'en supporta pas l règle, tomba malade et n'y put rester.
L a n n ~ e
suivante, dle entra au couvent de S a i n t ô m e ,
à
Mexico, qui suivait
l
règle
d
es
Augustines.
Elle y apportait
sa
raison naturelle c i p H n ~ e et la o n t ~ de bien remplir les devoirs
de son ~ t a t .
Si la vie
a p p : ~ . r a i s s a i t à
cette jeune fille, belle
parmi
les plus belles, comme faite par
d'autres et pour d'autres, dle lui opposait un refus qui avait l'attrait de la grandeur en
recourant à la noble retraite que son siècle offrait à un renon.cement imparfait.
Elle nous dit que son manque d'inclination au mariage
l
droda à entrer en reHgion.
Cette grande a s s i o n n ~
maait
trop
~ t r a t e m e n t
le particulier
et
le pour que
no
us
puissions distingue.r dans son afli.rmation
ce
qui ressortit au p.rincipe lui-m
âne.
Quoi
qu'il en soit, Juana de Asbage fut ~ par cer aspect de l vie reHgieuse qui pe.rrnctta.it
de poursuivre l'existence du clerc m ~ ~ v a l , de l'homme à
l
fois retranche et libre, tout
a b s o ~
en dehors de certains devoirs
~ s e ,
par l
es
travaux de l 'esprit.
S
es
vers gardent une apparence ci.rconstancielle (ils lui furent toujours decnand6) et
elle
se
dt robe sous la redoutable babilm de leur construction, mais leu.r unite ~ t i q
nous laisse entrevoir Sor JIW a dle-même, et toute son a n x i t t ~ maltrist e.
ertains
quatrains nous demeun:nt, très purs,
pa.rm
i l
es
voix
de l
grande pot sie
espagnole du xvn• siècle :
Je
froltVI diamat1tni i
fJII
j
imt
Comme moi-m
llltt
}0111
q11i m aime sllis
dilliiJanl.
Sur un ton plus grave où passent des réminiscences amères, dle
v i t :
Ce toNI mtlll
d amo lli
Dans mon
ctzNT
apwf11
Je
sai
s fJII je k
sms
tl
ll sais
pas
a cd/Ise qlli me ft fait smtir.
Je
s
olfjf
re mortelle
agoni.
Polll obtmir ljlltlfjlll songtrie
QNi comm
ençe
111
désir
t
1 «bèvr 111 mlla11tr1lie.
Par
pt11
de çJxm
offmsle,
nplein amolli , il m arrive
De rejNJer jaw
lll
llgirt
A
qu
i je
do
nnerais ma
vil.
Si par hasard mt contredis
n
nfft
çonjNJe
trrtlll ,
Ct/IIi
qlli Amo
lif
sentira
CD111prmd
ra n
t p ~ ~ j t dis.
Comme ses grands contemporains Gongora
et < ? r a ~ i , .Sor.
J ~ a s'adonna a
recherches verbales du baroque avec les déments de v i t a l i ~
qw
lut t t ~ e n t propr : et
ressources que lui offrait une langue inépuisable .jeux m o ~ qw sont les )Cwt
l'âme, en antinomies aux identités secrètes,
en
opposltlons
qu1
c.qmment mouv
emc
successifs de l'esprit, en possibilit6 qui ont l'air de fuser au hasard des
~ e s et
qu
tiennent entre dles comme l
es
membres d un corps in
vi
sible. Sor Juana SWVlt ces maî
de l'obscur qui, au renouvdlement de l an de la parole, apportaient le souffle d
immense civilisation à la veille du déclin.
Conceptiste et gongorienne, dle l
es
suivit en
e s ~ t
tertiblcmen.t
m ~ ~ ·
pr
fut claire comme celle de Graciân pouvait l'être et,
SI
elle nous a J S S ~ une mutauon
Soledadu
elle c r i v i t sur des motifs moins tcanspost s des vers qui, sous l'dt gance sav
de leur ::Omposition, rejoignent par instant d'anciennes ~ ~ l o d i e s ~ p u l a i r e s . .
Le confesseur qui avait
p r e s
Juana de Asbage de
qwtt
er la
m ~ n du
v J ~ - r o J
put empêcher la cour coloniale qui avait
assiste à sa
prise d'habit de lw e n ~ viSite
d
un
parloir qui devait deveni.r
dlèbre
sl travers le monde espagnol tout entter .
Dans ce parloir dont la mondani
té
inquit tait son comme elle e ~ t m q w
Bossuet, l
o
n jouait l
c o m ~ e ,
l
o
n faisait de
l
musique et l
on
rencontrait tous
4)
7/21/2019 La Licorne
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bommes
d
esprit qui partaient pour la Nouvelle-Espagne. En ce siècle de con
ver.;
aùon,
Sor Juana rayonnait. Elle
ri
ait, ver.;ilia.it
et
philosophait rout en parlant. Son œuvre a
l air de s o
rùr
comme par enchantement d un discours imprévu.
D isciple de saint Jérôme t de Gongora tout ensemble, elle donna une grande part
de son temps
à
des ouvrages de haute dévotion : commentaires
de
l Ec riture, poésie reli
gieuse, alllos saçranJmlalu. Elle n entreprit jamais de traité d ascèse, comme si elle fût
restée
à
l affût du seul monde auquel elle n eût point accès, se contentant de ramener toutes
les sciences, ainsi qu eUe nous le dit elle-même,
à
la divine théologie. En
1690,
on imprime
ses
Objutùms
a
sermon
sur les
i r o ~ s u s tk I An10t1r
t u Chrirt
prononcé à Lisbonne par le
jésuite Antonio Vieyra; les deux pays s indignèrent de la présomption d une religieuse
q
ui
s opposait à un grand théologien, ses amis
et
ses ennemis se divisèr
ent
et elle subit
plus d attaques qu
el
le ne reçut de louanges. L évêque de
Pu
ebla, qui avait fait imprimer
la
llre
Atblnagorique,
ou
critique au Sermon s
ur
le
Co=dement
de Sor Juana, lui
écrivit une lettre à laquelle nous devons la réponse qu on lira ici: eUe est comme un miroir
de la vi e e t d e l esprit d e la religieuse mexicaine.
Nous pensons avec mélancolie
à
la théol
og
ienne
et à
l exégète qu aurait été cette grande
sty liste si ses supérieur.; lui avaient ordonné de travailler avec des érudits
ct
de p roduire
une œ
uvr
e continue. l\1ais la réponse
à
la lettre de l évêque nous empêche de regretter
tout à fai t les conjonctures qui donnèrent naissance à ce document singulier dans l histoire
de toutes les langues et de to utes les littératures. Est-ce le privilège de l injustice ou celui
de
la
sagesse des civilisations qui empêchaient les femmes de s o.-prime
r, qu
e de permettre
de siècle en siècle
à
une femme de dire l essentiel? Nous devons
à
la longue contrainte
qui pèse sur la vie de Sor Juana l étonnante liberté avec laquelle s affirme cet esprit conforme
aux principes
de sa
foi et qui, par un jeu
qui
lui est naturel, allie la retenue i la plus
pla.ismte ga.ité.
Produit
t
synthèse de toutes les circonstances adver.;es à l esprit
t à
la vie de la
reli-
gieuse, Sor Juana nous impose la présence de cet esprit
et
de cette vie avec une force qui
ne se peut oublier. Or par sa bouche s apriment des générations entières de femmes qui
ne connurent qu un usage restreint de la parole.
Cette lettre ne nous apparalt pas seulement comme un traité en fa
ve
ur de l éducation
des
6.ll
es habilement construit avec tous les arguments que les habitudes
t
les traditions
de son siècle lui prêra.ient. semble qu il ait trait aussi
à
la condition humaine et
à
la
défense d un cerrain accord de l êrre a:vec sa nature
pr
opre. Quand Sor Juana eut éprouvé
que la sienne comp
ortai
t le besoin de savoir comme part de son destin, le contact avec
les choses
pro
duisant l étincelle qui déterminait la recherche, elle arreignit l argument
décisif de sa letrre qui est aussi celui de sa vie. Sommée de renoncer
à
ses livres, elle s aper
çut de l inutil.ité de cet ordre, parce que son esprit livré
à
lui-même travaillait sans instru
ments avec plus d ardeur que jamais, ct sa fatigue était plus grande aptts un quart d
h
eure
de
concentration me ntale qu après quatre jours
d
étu
de
. Les travaux féminins qu elle
accomplit de
la
meilleure
gr
âce du monde l incitent
à
méditer autant
et
d
traité de science;
la
cuisson d un
œuf
la fait songer à
ce
qu Aristote eût gag
de cette tkhe; malade,
à
l infirmerie, a position de
deu. {
pourres l amèn
nouveau problème
d
architecture ; et l image channante de deux petites
6
bague qu eUe surveille
de sa
fenêrre lui fait retrouver les raisons qui avai
anciens de croire à la sphéricité de la terre.
Apr
ès
la
publication(en
1690)
de cette letrre qui est comme la somme
de tout ce qu eUe accomplit, mais de tout ce qu elle efit pu accomplir, Sor
J
de
moins en moins avec les hommes. Aucun confesseur ne lui ordonna d
se passait dans son âme quand elle eut rendu ses quatre mille volumes et
ments de
sci
ence et de m u
siqu
e, po
ur
ne garder que trois petits livres de
nombreux cilices et disciplines.
Bi
en
qu il lui eût été demandé de
ne
pas
parler,
cc q
u
elle 6t en eff
lllll
nières,
il nous semble que cette 6.lle qui avait eu le goût de la parole, ch
de se taire à l heure d un détachement qui nous fait voir en eUe comme un
~ p u i s é
par les pénitences et par les soins qu elle avait donnés à ses
la peste, en
169l
elle alla
à
la rencontre de la mort sans avoir rompu
le
donnait tout entière à l seule tâche qu elle n efit pas encore accomplie et,
première fois de sa vie, c était une tâche e.<tclusive, elle n admettait po int de
Su
7/21/2019 La Licorne
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LETTRE AUTOBIOGRAPHIQUE
J n avais pas encore: trois ans accomplis que: ma mère: envoyant une
mes sœurs, plus âgée que moi, chez une de ces personnes que l on app
« Amies » pour qu elle apprît à lire, l affection et l espièglerie me la fi
suivre; et, voyant qu on lui donnait leçon, je m enB.ammaî pou r ma part d
si vif désir de savoir lire que, pensant tromper la maîtresse je lui dis «
ma mère ordonnait qu on me donnât leçon. »E lle ne le crut point, car ce n é
point
à
croire; mais, amusée de cette saillie, elle accéda à
mon
désir. Je co
nuai mes visites, et elle ses leçons, mais
non
plus par jeu, car l expérienc
détrompa,
et
je
sus lire en un temps si bre f que je savais déjà lorsque ma m
l apprit; la maîtresse le lui avait caché pour lui donner un plaisir plus en
et recevoir une récompense plus considérable; je m étais tu, croyant qu on
fouetterait pour l avoir fait sans qu on l eût commandé. Celle qui m instru
vit encore, Dieu l ait en sa garde, t peut en témoigner.
Je
me rappelle qu en ce temps-là, bien que ma gourmandise fût ce qu
est d ordinaire à cet âge, je m abstenais de manger du fromage, car j av
oui dire qu il rendait sot; or, le désir de savoir était plus puissant chez m
qu
e celui de manger, qui est pourtant bien fort chez les enfants. Plus ta
j avais alors
six
ou sept ans
et je
savais lire
et
écrire, outre les autres tale
et ouvrages de couture
qu
on a coutume d enseigner aux femmes, j enten
dire qu il y avait à Mexico une Université t des Écoles où l on étudiait
sciences; je ne l avais pas plus tôt appris que je me mis à tourmenter ma m
9
7/21/2019 La Licorne
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de prières instantes et importunes, pour qu'elle me donnât d'autres vêtements
et m'envoyât
à
Mexico, chez des parents qu'elle avait, afin
d é t u ~ i e r et
d.e
suivre les cours de l'Université: elle ne le voulut pas (et fit fort bten), mats
je
donnai le change à mon désir en lisant beaucoup
de
livres divers qu'avait
mon grand-père, sans que ni punitions ni exhortations parvinssent à m'en
détourner : de sorte que, lorsque je vins à Mexico,
on
s'étonna
non
pas tant
de mon intelligence que de ma mémoire et de mes connaissances dans un âge
où il semblait que j'avais à peine eu le temps d a p p r e n ~ e à p ~ r l e r . .Je c?m
mençai par m'appliquer à la grammaire, dont je ne
pns
pa
s
Je crms,
v ~ g t
leçons; et mon zèle était si
vif
que, bien que chez les .femmes (et.
~ r t o ~ t
a ,un
âge si tendre), les grâces naturelles de la chevelure so1ent très
p n ~ e e ~ , Je rn
en
coupais quatre
ou
six doigts, mesurant jusqu'où mes. cheveux
a r n v ~ e n t
a ~ p a -
ravant,
et
m'imposant pour règle que, si je ne sava1s pas, quand ils auratent
repoussé, telle ou telle chose que je m
é
tais proposé d apprendre d a n ~ le temps
qu'ils repousseraient, je devais me les couper de nou':eau pour .Peme de ma
sottise. Il arrivait que mes cheveux poussatent et que Je ne sava1s pas ce q ~ e
je m
é
tais fixé, parce qu'ils poussaient vite et que j'apprenais lentement;
Je
les coupais donc pour peine de ma sottise; l ne me
se
mblait pas juste qu'une
tête soit parée de cheveux alors qu'elle était dénuée de connaissances, orne
ment bien plus désirable. J'entrai en religion, car, bien. que je susse que
c ~ t
état
comportait
de
nombreuses choses
Ge
parle des accesso.
ue
s, non
d e ~
essentielles)
qui répugnaientà mon caractère, malgré tout, comme
Je
me refusatsabsolument
au
mariage, cet état était le moins disproportionné
et
le plus convenable que
je pusse choisir sous le rapport de l'assurance, que je désirais, de mon sa:ut :
à cette considération (comme à la fin la plus importante) cédèrent et se o u ~ e n t
toutes les petites impertinences de
mon
caractère, qui étaient de vouloir vtvre
seule, de refuser toute occupation forcée qui gênât la liberté de ~ e s é t u d e s ~
ou bruit de communauté qui troublât le silence paisible de mes livres. c l
mc fit hésiter quelque peu dans ma
.d
étermination, jusqu'à ce
~ u e
de doctes
personnes m'ayant avertie que c'était
là
tentation, j'en triomphat par le
s e c o u ~ s
de
la
grâce divine,
et
pris l
état
que j'occupe si indignement. Je p e n s ~ me
fuir
moi-même, mais pauvre de moi Je m'emp?rtai
m ~ m e ~ v : c
mol,
m ~ n
plus grand ennemi : cette inclination, dont Je ne sats pomt distinguer
s1
le etel
me l 'a envoyée comme faveur ou châtiment, car étouffée et e ~ ~ ê c h . é e par t?us
les exercices de la religion, elle éclatait com me la foudre, et fatsatt bten parattre
en moi le :
privalio
est ca
u
sa
appetitus.
Je repris (c'est mal dit, car je ne cessai jamais), je poursuivis,
labeur appliqué (pour moi c'était un délassement qui occupait tous
que je ne consacrais pas à
mes
obligations) : lire
et
lire encore, étu
encore, sans autre maître que les livres eux-mêmes.
On
sait combi
d'étudier dans ces caractères sans âme, sans le secours de la voix
de l'explication d'un maître: eh bien, je supportais avec plaisir
peine,
pour
l'amour des lettres: ob si ç'eût été pour l'amour de D
cela aurait dû être, combien n'eussè-je p s acquis de mérite Ce
tâchais de l'élever autant que je le pouvais, ct de le diriger à son
la lin où j'aspirais était l'étude de la théologie; il me semblait que
bien indigne de ne pas savoir, étant catholique, tout ce que, dan
on
peut saisir des divins mystères
par
les moyens naturels;
et
que
couvent
et
non dans le siècle, l'état ecclésiastique me faisait
un
m'adonner aux lettres;
et
plus encore, qu'étant
fille
d'un Saint
d'une Sainte Paule, rester inculte était indigne de parents si docte
que je me disais à moi-mêm e, et l me paraissait raisonnable, mêm
l'était pas (ce qui est bien probable), de louer et d'applaudir ma p
nation, en lui présentant son désir comme une obligation : je
donc, dirigeant toujours mes études, comme je l'ai dit, vers les som
Sainte Théologie ; et il me parut bon, pour arriver jusqu
à
elle
les degrés des divers arts
et
des sciences humaines; car, comment
style de la Reine des Sciences si l'on ne pénètre pas celui de
ses
s
Et
enfin, le livrè qui contient tous l
es
livres,
et
la science qui renferm
sciences, à l'intelligence de laquelle elles servent toutes : et lo
sait toutes (on voit bien que ce
n est
pas facile,
ni
même possi
une condition plus importante que
tout
le reste, l'oraison constante,
de vie, pour obtenir de Dieu cette purgation de l'esprit et illum
l'âme nécessaires à l'intelligence de choses si élevées : si l on n a
tout le reste ne sert de rien.
L'Église dit du docteur angélique Saint Thomas : in
locomm Sacrae Scripturae ad orationem ieiunum adbibebat. Quin eliam
fratri Reginaldo dkere solebal qtlidquid sdrel
non
lam studio au
peperisse quam ditmitus lradilttm accepisse.
Mais moi, si éloignée
d
comme des Lettres, comment pouvais-je prétendre à écrire? Au
m'assurer quelques principes, je m'appliqua i constamment à des étud
sans avoir
pour
aucune d'inclination particulière; en effet, ce n'es
7/21/2019 La Licorne
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choix que j'en ai é t u c l i ~ certaines plus que d'autres, mais par
Je
hasard qui
t o ~ b e r entre ~ e s mams certains livres, et leur donna (sans que
mon
choix
tntervmt) la préference : et
c ~ m m e
je n'étais pas menée par l'intérêt, ni limitée
dans_ le temps par la nécesstte des degrés qui eût pu mc resserrer dans l'étude
c ~ n ~ u e
d'une chose, j'étudiais presque en même temps diverses choses, ou
laiss.ats
les pour les autres; en cela cependant j'observais un certain ordre,
car
Jc n o ~ m a t s
les unes
«
étude ,. t les autres
«
récréation ,. · ces dernières
me
_ o s ~
des p ~ e m i è r e s : il s'ensuit que j'ai étudié bien
d;s
choses, sans
pan:erur
nen
savou,
parce
9ue les unes ont gêné les autres. Il est vrai que
Jc clis
c e ~ pou.r la p a r ~ e prattque des sciences qui en ont une, car il est clair
que, tandis
qu
mante la. plume, le compas reste en repos;
et
tandis que la
h ~ p e ~ é s o n n e , 1 r g u ~ chome; et sic
de
celeris; car, comme il faut beaucoup
d excretee pour a ~ q u é n r u ne h ~ b i t u d e , ~ e l l e c i ne peut être parfaite lorsqu'on
se
p a r ~ a g e
entre diverses d i s ~ p l i n e s ;_mats c'es; le contraire qui arrive dans tout
ce relève de la spéculatton, et Jc voudrats persuader l
es
autres, par mon
e x ~ _ e n e ~ c ~ que ~ o n . seulement des exercices variés ne
se
gênent pas, mais
qu
ils s atdent. s cclatrcnt et s'ouvrent des chemins les uns aux autres
par
des dét?urs,et des rapports c:chés,. car la sagesse de leur auteur les a placés
de mantère_ former cette chatnc uruverselle; il semble qu'ils se correspondent
et sont par un concours et un agencement admirables. C'est
la
chaîne
que les anetens ont représentée sortant de
la
bouche de Jupiter,
où
étaient
suspendues toutes les choses, se tenant les unes aux autres ..
~ u s s _ i n e s t ~ c e point une ~ c u s e , mais je ne la donne pas
pour
telle,
q ~ e ~ avou étudié _des choses différentes, car celles-ci s'aident plutôt; mais
n
avou
pas su en ttrer profit est
dû
à
l'insuffisance
et
à
la faiblesse de mon
~ n t e n d e m e n t , ce n'est pas. la faute de la diversité : ce que je pourrais alléguer
a ma. décharge,_c'est la ~ e m e
~ ê m e q ~ e
j'ai
dû
prendre,
non
seulement parce
que
Je
manquats de maJtres, mats
auss1
de condisciples avec qui m'entretenir
et . e x ~ r c e r a ~ r è s a v o ~ é ~ d i é ; n'ai eu pour maître qu
un
livre muet,
pour
c ~ n d i s c t p l e un encncr tnscnstble, et, au lieu d'explications et d'exercices,
bten
~ e s
e m p e c h e m ~ n t s , non seulement ceux de mes obligations religieuses
on. satt assez combten celles-ci passent Je temps de façon utile t profitable)
mats
~ e s .
choses . ~ c c e s s o i r e s d'une communauté, par exemple, que je sois
o ~ c u p e e
a lire qu il prenne fantaisie aux religieuses de la cellule voisine de
f a u ~ de la m u ~ t q u e ct de c ~ a n ~ e r ; en train d'étudier,
et
que deux servant
es
qui
se disputent vtennent me fatre Juge de leur différend; en train d'écrire et
qu une
amie s'avise de mc faire visite, me rendant un bien mauvais service dan
meilleure intention; en
ce
cas, outre l'obligation d'accepter le contre-tem
il faut encore être reconnaissante du préjudice ; et cela, continuellement, p
que les moments que je c o n s a c r ~ à l é ~ d . e étant ceux q u ~ me 1 a i ~ s e la règl
la communauté, les autres auss1 ont
lo1S1r,
alors, de
venu
me deranger;
p
savoir combien cela est vrai, il faut avoir l'expérience de la vie en comm
seule la force de
la
vocation peut faire que je me trouve contente, et le g
amour qu'il a entre mes chères sœurs et moi : comme l'amour est unio
n'est pas
pour
lui d'extrêmes inconciliables. . . .
En cela oui, je l'avoue, ma peine a été grande :
auss1
ne pws-Je p
répéter ce que j'entends dire
à
d'autres avec envie, que le savoir ne le
point coûté d'effort: ils sont bien heu.rcux. . . . .
Quant à moi, non point le savotr (car
Je
ne sats nen encore) mats le
de savoir m'a coûté tant d'efforts que je pourrais dire avec mon Père S
Jérôme (bien que je n'aie pas su en profiter comme _ui) : f -uid ibi
la
iwumpserim quid sustinuerim dijftcultalis,
qu
oies d e s p e r a : e r ~ m j Omque c e s ~ a
el conlentione
dùendi
ru u
incoeperim
testis est
cowctenlla lam ffua
qut
p
sum,
quam eorum, fJUÎ
mecum
duxemnt
tJilam.
• . ., .
Sauf pour
ce
qui est des compagnons et des temoms (car J at ma
de ce secours), je peux bien attester l vérité de ces paroles. Et penser
ma noire inclination a pu être assez forte pour triompher de tout
Je
dois
à
Di
eu, entre autres bienfaits, un naturel si facile ct si af
que les religieuses m'aiment beaucoup pour.cela (elles sont s s e z bonnes
ne point s'arrêter
à
mes défauts) et platscnt ~ u c o u p a
_ma c o m p a
et moi,
à
cause du grand amour que
Je
leur porte,
Je
me plats beaucoup
leur, ct avec plus de raison; donc j'avais coutume d'aller,
p e n ~ a n t
nos mom
de loisirs aux unes et aux autres, les récréer ct me clistratrc en conve
avec elles. Je me rendis compte que, pendant
ce
temps, je ~ a n q u a i ~
étude, et je
fis
vœu de
n
entrer dans aucune cellule sans
y
erre oblige
l'obéissance ou
la
charité : à défaut
d un
frein si dur, l'amour aurait bri
qui n'eût été que résolution. . . .
Connaissant ma fragilité, je faisais ce vœu pour un mots ou qumze Jo
quand il était accompli, je me donnais, avant de le r e n o u v ~ l e r , . un ?u.
jours de trêve, ce jour servant non tant
à
mon repos (ne pas ctudter n a J
été du repos pour moi) mais plutôt
à
cc qu on ne me jugeât pas dure, se
ou
ingrate envers la tendresse imméritée de mes très chères sœurs.
7/21/2019 La Licorne
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On peut bien voir par là quelle est la force de mon inclination. Béni
soit Dieu, qui a permis que ce fût pour l
es
lettres, et non pour un vice quel
conque qu'elle fût en moi presque insurmontable; on peut imaginer aussi
combien mes pauvr
es
études
ont
dû naviguer contre le courant, ou plutôt
comme elles ont fait naufrage. Je n'ai pas encore dit les difficultés les plus
rudes : jusqu'ici,
il
ne s'agissait que de contre-temps, que le hasard fait naître,
et
qui ne le sont qu'indirectement, mais il en eut de positifs qui, directement,
ont tendu à empêcher et à interdire mes exercices. Qui ne croirait, me voyant
si gtnéralement applaudie, que j'ai navigut vent en poupe sur une mer d'huile,
portée par les acclamations générales? Dieu sait pourtant qu'il n'en a guère
été ainsi car entre les fleurs de ces mêm
es
acclamations,
se
sont élevées, comme
autant de serpents, tant de rivalités
et
de persécutions, que je ne saurais l
es
compter; ceux
qui m ont
fait le plus de mal, ceux qui
m ont
le plus touchée, ne
sont cependant pas ceux qui m'ont poursuivie de leur haine déclarée
et
de leur
malveillance, mais bien plutôt ceux qui, tout en m'aimant et désirant mon bien
e
t qui peut-être se sont acquis des mérites auprès de Dieu par leur bonne
intention) m ont mortifiée et tourmentée plus que les autres avec leur: «il
ne
convient
point
à la sainte ignorance d'étudier ainsi; elle va se perdre, s'évanouir,
en montant si haut par l'effet même de sa pénétration et de sa finesse »
Comme il m en a coûté de résister à cela Étrange supplice, où j'étais
à la fois le martyr et mon propre bourreau Car, à cause de mon tale
nt
(deux
fois malheureux en moi) pour faire des vers, ils avaient beau être sacrés, quels
ennuis n'ai-je pas éprouvés? ll est vrai, Madame, que je me prends parfois
à
considtrer que celui qui
se
signale, ou que Dieu signale, car lui seul le peut
faire, est considéré comme
un
ennemi commun, parce qu'il semble
à
quel
ques-uns qu'il usurpe les applaudissements qu'eux-mêmes méritent;
ou
qu'il
accapare les admirations auxquelles ils aspiraient, de sorte qu'ils le poursuivent.
Cette loi barbare de la police d Athènes dure encore, qui exilait de la République
celui qui se signalait par ses mérites et ses vertus, afin qu'i l ne s'en servît point
pour tyranniser la liberté publique; e
ll
e s'observe à notre époque, bien que
le motif des Athéniens ait disparu; c'est qu'il en est un autre, aussi puissant,
s' il n'est pas aussi bien fondé,
et
qui
se
mble une maxime de l'impie Machiavel:
on doit détester celui qui se signale, car il ôte de l'éclat aux autres. Il en est,
l
en a toujours été ainsi. Toute éminence, qu'elle soit en dignité, en noblesse,
en richesse,
en
beauté, ou en savoir, est
en
butte aux préventions, mais celle
qui les éprouve avec le plus de rigueur est celle de l'entendement : d'abord,
parce qu'elle est sans défense, tandis que richesse et pouvoir châ
défie; plus l
ent
endement est grand, plus il est modeste et résigné
se défend. Ensuite, comme le dit le docte Gradin, l'emporter
d
deme
nt
c'est l
em
porter dans l'être. L'ange est plus que l'hom
seule raison qu'il comprend davantage : comprendre est ce q
l'homme de la brute; aussi, comme personne ne veut être moins
personne ne confesse qu'un autre comprend
mieux:
c'est-à-dire est
un homme souffrira er confessera
qu un
autre est plus noble que
l
plus riche, plus beau; même qu'il est plus savane; mais plus int
trouvera difficilement qui en convienne: nms est qui velit çedere i
ce qui rend si efficaces les coups portés à cette qualité.
J'avoue que je me trouve bien loin de parvenir à la sagesse, m
désiré la suivre, fût-ce
a
o t ~ Mais je n y ai gagné que d'approc
tage du feu de la persécution, du creuset des supplices : on en est v
demander qu:on m'interdît l'étude.
On
l
a
obtenu une fois d'une supérieure très sainte
et
très c
crut
que l'étude était objet d'Inqu isition et m'ordonna de
ne
poin
lui obéis (pendant les trois mois environ que dura son pouvoir),
est de ne pas ouvrir de livre; quant à
ne
pas trudier du tout, com
pas en mon
pou
voir, je ne pus le faire, car, j'avais beau ne pas étud
livres, j'étudiais dans toutes les choses que Dieu a créées, m'en serv
de lettres,
et
prenant pour livre toute cette machine universelle.
J
rien que je
n y
réfléchisse, je n'entendais rien que je ne le considér
les choses les plus minces
et
matérielles; comme il n'y a pas de
basse qu'elle soit,
en
laquelle on ne reconnaisse le
me feal Deus
point qui ne saisisse l'entendement, si
on
la considère comme il
je le répète, je les regardais toutes et m'en étonnais; les personnes m
qui je parlais, et ce qu'elles me disaient, faisaient rebondir mes cons
d'oit pouvait bien venir cette diversité de natures et de caractères
n y a qu'une seule espèce? Quels pouvaient être les tempéraments
cularités cachées qui en étaient cause? Si je voyais une figure, je
à
combiner les proportions de
ses
lignes,
à
les mesurer avec l'en
et à la réduire
à
d
a
utres différentes.
Je
me promenais parfois dans
dortoirs (une très grande pièce) et j'observais que les lignes de ses
parallèles, et son toit au même niveau, la vue faisait s'incliner ses l
vers l'autre, et son toit était plus bas loin que près ; d où je tirais qu
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visuelles sont droites, mais
non
parallèles,
et
vont former une figure pyrami
dale. Je me demandais si ce ne serait pas
là
la raison qui obligea les Anciens
à
douter que le monde fût sphérique. Car, bien que cela semble vrai, ce po
uv
ait
être une illusion de la vue, qui montrait des courbes où il pouvait ne
point
y en avoir.
II m arrivait - et m arrive toujours - de tout remarquer ainsi, sans
que j y puisse rien, bien que cela me fâche, car
ma
tête. se fatigue; je croyais
que cela arrivait
à tout
le monde, comme de faire des vers, jusqu
à
ce que
l expérience m ait montré le contraire :
et
cette nature ou coutume, est telle
que je ne vois rien sans me reprendre
à
le considérer. Deux fillettes jouaient
devant moi
à
la toupi
e;
à peine eus-je
vu
le mouvement et
sa
figure qu e je me
mis, avec ma passion habituelle,
à
considérer le mouvement facile de la forme
sphérique; et comme l impulsion imprimée durait indépendamment de sa
cause, qui était la main de la . illette;
non
contente de cela, je fis apporter et
éparpiller de la farine, pour qu on pût constater si la toupie décrivaü, en
dansant au-dessus, des cercles parfaits ou non;
et
je trouvai que c étaient des
lignes en spirales, qui perdaient leur forme circulaire à mesure que diminuait
la force
de
rotation. D
a
utres enfants jouaient aux épingles (le je u
le
plus frivole
de l enfance),
et
je m approchais
pour
contempler les figur
es
qu elles formaient;
et
voyant qu il s en était placé trois en triangle, je me mettais
à
enlacer au hasard
un
triangle avec
un
autre, me souvenant que c était
là
la forme que
l on
attribue
au
mystérieux anneau de Salomon, qui possédait un lointain reflet et représen
tation de la Très Sainte Trinité, en vertu de quoi il opérait
tant
de prodiges
et de miracles; c est aussi la forme qu avait, dit-on, la harpe de David, c est
pourquoi elle guérissait Saül lorsqu
on
en
jouait:
c est presque la même forme
que conservent les harpes de nos jours.
Mais que ne vous conterais-je pas, Madame; d
es
secrets naturels que
j ai découverts en cuisinant?
Qu un
œuf reste entier quand on le fait frire
dans le beurre ou l huile, et
au contnire se
défait dans le sirop; que, pour que
le sucre reste fondu, il suffit de lui ajouter trè s peu d eau où aient trempé des
coings ou d autres fruits acides : que le jaune
et
le blanc
d un
même
œuf
sont
choses si contraires que, lorsqu
on
s en sert pour des sucreries,
on
peut les
travailler séparément, mais
non
en les mêlant. Mais je ne devrais pas vous
lasser par de telles vétilles, que je ne vous rapporte que pour vous donner
entière connaissance de mon caractère, et je crois bien que cela vous feia rire;
mais, Madame, que pouvons-nous savoir, nous autres femm
es
, que philosophie
de cuisine? Lupercius Leonard a fort bien dit
que l on
peul
bien
philoso
etpréparer
les
repas. Et
je
is
d ordinaire, voyant
ces
petites choses : Si Ari
avait fait la cuisine, il aurait écrit bien davantage. Pour en revenir à ma fa
de raisonner, cela se fait si constamment en moi, que je n ai pas besoin de liv
une fois que, à cause d un sérieux dérangement d estomac, les méde
m avaient interdit les livres, je passai quelques jours de la sorte; ensuite, je
montrai qu il était moins dangereux de me les permettre, parce que mes pen
étaient si fortes et si véhémentes qu elles exigeaient une dépense d esprit
grande en
un
quart d heure que quatre jours d étude dans les livres; et a
ils
se
résignèrent à m accorder la lecture; mon sommeil même ne s est ja
délivré de ce continuel mouvement
de
mon imagination; au contraire, ell
meut
en
lui plus libre et plus aisée, comparant avec plus de clarté et de ca
les apparences qu elle a retenues du jour; elle discute, compose des v
dont je pourrais vous dresser un long catalogue, de même que de quel
idées particulièrement subtiles, que j ai saisies plus facilement endor
qu éveillée; je vou s en fais grâce, car je crains de vous fatiguer.
Si c était là des mérites (je
le
s vois célébrer
pour
tels chez les homm
ce ne le serait pas en moi car le labeur m est nécessaire; si cela est coupa
l
même raison m absout; cependant, je manque toujours à tel point de
fiance en moi, que je ne me fie pas à mon propre jugement, ni po ur cela, n
p
le reste : c est pourquoi j en remets
la
décision
à
votre souveraine auto
et
me soumettrai
à
ce qu elle décidera, sans protestation ni murmure, car
n est autre chose qu une simple narration de mon inclination vers les let
Je
conf
esse aussi que bien que je n aie pas eu besoin d exemples, ceux que
pu
lire, aussi bien dans l
es
lettr
es
divines que dans les humaines,
n ont
laissé de m aider; je vois une Déborah, donnant d
es
lois militaires ou politiq
et gouvernant le Peuple, où se trouvaient cependant tant d hommes sa
Je vois une très sage reine de Saba, si savante qu elle osa mettre
à
l épre
par ses énigmes, la sagesse
du
plus grand des sages, sans qu on eût
à
l
reproch
er;
la faisant au contraire
pour
cela juge des incrédules. Je vois
et de si remarquables femmes : les unes douées du don de prophétie, com
Abigail, les autres comme Esther, de persu asion; d autres de piété, com
Raab ; d autres, de persévérance, comme Anne, mère de Samuel ; et une
nité d autres, en
d
autres sortes de qualités et de vertus ..
Le vénérable Docteur Arce (digne professeur d Écritu re par sa v
et
sa
science) soulève cette question dans son savant Bibliorum:
an
liceat fn
7/21/2019 La Licorne
http://slidepdf.com/reader/full/la-licorne 30/120
sac
rorum Bibliorum s
tudio
incumbere
taque
ittlerpr
etari? Et il cite à l
a
ppui du
contraire de nombreuses maximes des Saints, en particulier
cc
que dit l'apôtre :
Mulieres in
Ecdesiis
taceant, non enim permittitur eis loqui,
etc... Il cite ensuite
d'autres maximes, et du même apôtre : Anus simili/er
itt
habitu sattcfo bme
docentes, jointes à des interprétations des Saints Pè:cs; ct ,il c o n ~ l u t
e n f i ~ ,
dans sa sagesse, que lire publiquement en chaire et prechee _n est potnt permis
aux femmes; mais qu'étudier, écrire et enseigner dans le pnvé,
non
seulement
leur est permis, mais très utile et profitable; naturellement, cela
ne
peut s'en
tendre de toutes les femmes, mais de celles que Dieu a pu doter de vertu et de
sagesse exceptionnelles, qui seraient très
c u l t i v é
_et
~ r u d i t e et
q u ~
aur_ient
l'humeur et
le
s qualités requises pour un
l 0 1
s1 samt : cela ~ s t s1 vra1 que
ce n'est pas se ulement aux femmes (que
l on
nent
po
ur
so
tt
es) mals aux hommes
égaiement (qui, rien que parce qu'ils sont hommes n s e n ~ être s ~ g e s que l'
on
devait interdire l' interprétation des Textes Sacrés, a moms qu'ils ne fussent
très savants et très vertueux et de nature docile et portée au bien : c'est parce
qu' il n'en a pas toujours été ainsi qu'il s'est trouvé, je crois, tan_t de sectaires,
et que tant d'hérésies ont pris racine; car bien des gens n'étudient
q u ~
pour
ignorer, spécialement les esprits arrogants, inquiets et s u p ~ r b c s ,
am1
s des
nouveautés dans
la
Loi (qui, justement, les refuse) ; ct ceux-a ne se trouvent
satisfaits que pour dire ce que nul n'a dit avant eux. C'est d'eux que parle
Saint-Esprit : 11
malevolam animam non introibit safienlia.
A c e ~ - l à sa:ou
fait plus de
mal
que l' ignorance. Un sage a dit: « 11n s
ot
qu: t1e :mt pomt
latin
nest
pas
1111
sol complet;
mais
celui qui
le
sail
est 1111
sot
pat
en
té». J aJOUte,
mo1,
qu'il est parfait (si la sottise u p p o perfection) lor_squ'il a étudié un peu de
philosophie ct de théologie, et qu'il a quelque n ~ n o n des langues, de sorte
qu'avec cela il est
un
sot en bien des sciences
et
b1en
des langages : un grand
sot n a pas assez de place dans sa seule langue maternelle... .
Pour en revenir à notre Arce, il cite en confirmation de son sentrmcnt
ces paroles de mon père Saint Jérôme, dans d laetam de in titutione filiae, où
il
dit:
d
huc
/entra lingua Psalmis dulcibus imbuatur. Ipsa nomma
per q t t ~ e c o n s ~ e -
esdt paulatim
verba contexere
non sint fortuila
sed cerla
et e r v a ~ a
de
t n d u s t r ~ a ,
Propbeltlmm viddicet, atque Aposto
arum
et
omnis
ad dam Patrrarc
haru
m senes,
de Ma
thè
o
Lucaque
descendat, 111
dum
aliud agit,
futttrae memoriae
praeparetur.
Reddat tibi pensum quoh'die de scriptortlm
ftoribus carptum
. .
Eh bien, si c'est ainsi que le Saint désirait
qu on
formât une enfant
qu1
commençait
à
peine à parler, que voudra-t-il pour ses nonnes et ses filles
spirituelles?
On
le voit
bi
en par Eustoquia et Fabiola, et Marcell
Pacatule, et par d autres que le Saint honore de ses lettres, les exhorta
exercice; comme
on
le voit aussi par la lettre que je cite,
où
j'ai
ce
reddat
tibi
pensum,
qui se réclame du bme docentes de Saint P
confirme : le reddat ti Ji de mon Père donne à entendre que la m
l'enfant doit être sa mère elle-même, Uta.
Combien d'accidents n'éviterait-
on
pas dans notre Républi
femmes d' âge étaient cultivées comme Léta, et savaient enseigner
l'ordonnent Saint Paul et mon père Saint Jérôme Au lieu que,
à
cela, et à cause de l'extrême liberté
où on
laisse les pau
vr
es femm
des pères désirent instruire leurs
filles
plus qu à l'ordinaire, le be
manque de femmes instruites les force
à
introduire des hommes
pou
à
à
écrire et à compter, à jouer d'un instrument et autres talen
qw en .résulte n'est pas négligeable, comme on le vérifie chaque
jo
exemples lamentables d'unions mal assorties : les rapports directs e
passé ensemble ont coutume de rendre facile ce qu on n'aurait pas cr
C'est pour cette raison que bien des gens préfèrent laisser leurs fill
et barbares, plutôt que de les exposer
à
un danger aussi évident qu
liarité avec les hommes; cela ne serait pas à craindre s'il y avait,
veut Saint Paul, des femmes cultivées, qui se transmissent l'une à
magistère, ainsi que cela se fait pour les travaux manuels. Quel inc
y aurait-il qu'une femme d'âge, instruite, d'entretien et de ma:urs
eût
à sa charge l'éducation des jeunes filles? Au lieu que celles-ci,
perdent par manque de religion, ou parce qu'elles s'y appliquen
moyens aussi dangereux que le sont des maîtres de J'autre sexe, san
l'indécence de voir, assis à côté d'une femme vertueuse (qui rougi
c'est son père qui la regarde en face),
un
homme étranger la traiter av
liarité d un parent et d
un
maître; la réserve qui s'impose dans le
avec les hommes et dans leur entretien suffit pour qu on ne le perm
Je ne
trouve pas, pour ma parr, que cette façon de faire instruire des fe
des hommes puisse être sans danger, hors du sévère tribunal du con
ou
dans le chaste éloignement de la chaire, ou encore dans la loin
naissance par les livres; il ne peut en être ainsi dans un commerc
et immédiat; tout le monde sait que cela est vrai; cependant, on le
l seule raison qu on manque de femmes âgées qui soient instruite
donc pas un grand malheur qu'il n y en ait pas? C'est ce que devrai
59
7/21/2019 La Licorne
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dérer ceux qui, s'en tenant au M11litrts it Ecdesia tauatJI, se fâchent parce
q ~ e
l ~ s
f ~ s s_'instrnisent et enseignent, comme si ce n'était pas l'apôtre
lw -meme qut a
dit
:
Bme docmles.
Du reste, cette interdiction fut faite dans
les circonstances que rapporte Eusèbe : dans l'Église Primitive, les femmes
s é ~ i e n t
mises à s'instruire les unes les autres dans l
es
temples; et cene rumeur
étatt gênante quand les apôtres prêchaient; c'est pourquoi
on
ordonna aux
femmes de
se
taire, de
la
même façon que maintenant, pendant le
pr
êche, il
n 'est pas permis de prier à haute voix.
Il est hors de doute que, pour l
in
telligence de bien des endroits, il faut
connaître l histoire, les coutumes, cérémonies, proverbes, ainsi que les manières
de parler du temps
où
furent écrites les Saintes Écritures,
à
quoi elles
se
rapportent et à quoi font allusion certaines locution
s.
Cela demande plus
d in
struction que ne pens
ent
certains, et il y faut plus que de simples grammai
riens, qui croient avoir beaucoup fait lorsqu'ils veulent interpréter les Écri
tures avec quatre termes de logique élémentaire et s'emparent du
Mulieres in
Bçdesia
lac
eanl,
sans savoir comment il faut l'entendre,
ou
encore du
Mulier
in silmtio
discal,
alors que cette citation favorise davantage l
es
femmes qu'elle
ne leur est opposée, puisqu'on veut qu 'elles s'instruisent; et l est clair que,
lorsqu'elles étudient, il leur faut se taire. Il est écrit aussi:
.Audi Is
ra
è l
el/ace
où l est question des hommes et des femmes, tout ensemble, à qui on o;donne
de se
t ~ i r e
; car qui écoute et apprend doit faire attention et se taire; sinon, je
~ o u d r a t que ces interprètes et citateurs de Saint Paul m'expliquent comment
ils entendent ce pas
sa
ge :
Mltlieres
in
Ecdesia
taceanl
.
Car,
ou ls
l'entendent au
sens matériel, des pupitres et des chaires, ou, au sens spirituel, de la Réunion
des
i d è l ~
qui est
~ ~ l i s e
: s'ils l'entendent de la première façon, qui est
à
mon sennment) son verttable sens, nou s voyons bien qu'en effet on ne permet
pas que les femmes lisent publiquement ni prêchent dans l
É
glise; pourquoi
donc reprendre celles qui étudient dans le secret? Et s'ils l'entendent de la
seconde, et veulent que l'interdiction de l apôtre soit formelle, qu on ne per
mette pas même aux femmes d'écrire ni d étudier en secret, comment se fait-il
que l Eg lise ait permis d'écrire à une Gertrude, à une Thérèse, à une Brigitte,
à la nonne d'Agreda et à beaucoup d'autres? Et s ils me disent que celles-ci
llaitnt
des
Saintu,
c'est vrai, mais cela ne s'oppose pas
à
mon argument :
d'abord, parce que
la
proposition de Saint Paul est absolue et comprend
toutes les femmes, sans faire exception
pour
les Saintes, car il y en avait aussi
en
son temps : Marthe
et
Marie, Marcelle, Marie mère de Jacob,
et
Salomé,
6o
et bien d autres qui se sont trouvées dans la ferveur de l ég lise primitive
il ne fait pas d'exception pour elles; et nous voyons que maintenant l'Ég
permet aux femmes d écrire- Saintes ou non, car Mme d'Agreda et M
d'Antigua ne sont pas canonisées, or on fait courir leurs écrits. Sainte Thé
et les autres ne l'étaient pas quand elles ont écrit. La défense de Saint P
regardait donc seulement
la
publicité de la chaire, car, si l'apôtre avait inte
d'écrire, l'Église
ne
le permettrait pas. Pour ma part, je ne prétends pas en
gner, ce serait en moi une présomption bien extrême : quant
à
écrire, il y
plus
de
tal
ent
que je n'en
ai et
une bien gra
nd
e méditation; c'est ce que
Saint Cyprien :
gravi
consideralione indigent ljtlat
uribimus.
La seule c
que j'ai désirée, c'est d
é
tudier pour être moins ignorante : car, selon S
Augustin, on apprend certaines choses pour agir et d'autres seulement p
s'instruire :
disdmus
fjflaedam
ut
sciamus, quaedam
faâamu
s. Où donc est
faute, puisque je ne fais même pas ce qui est licite chez l
es
femmes,
e n s e i
en écrivant, ayant reconnu que je n'ai pas qualité pour cela, suivan t le con
de Quintilien : Nosca
t fJIIÙfjllt,
et non
la
nl m
ex alimis praeceptis sed x na
s a
çapia
t Onsilium?
Si ma faute est dans la
Le/Ire athlnagorique,
cel
a-t-elle fait autre chose que rapporter simplement mon senriment, avec t
la révérence que je dois
à
notre Sainre Mère
l É
glise? Mais si Elle-mê
avec Sa très Sainte autorité, ne me l'interdit pas, pourquoi faut-il que d'au
me l'interdisent? .. Si j'avais cru qu'elle dût être publiée, je ne l'aurais
laissée dans un état si négligé. Si, comme le prétend le Censeur, elle esr h
tique, pourquoi ne la dénonce-t-il pas? De la sorte, il serait vengé, et
contente, car, comme c'est mon devoir, j'apprécie davantage le nom de ca
lique
et
de
fille
obéissante de ma Sainte Mère l'Église que tous les applau
sements adressés à mon savoir. Si elle est
barbare
(et il a raison de le pen
qu'il rie donc, fût-ce d'un rire forcé; je ne lui demande pas de m'applau
j'étais libre d'être
d un
autre senriment que Vierra, n 'importe
qui
le sera a
bien
de
s'écarter de
mon
opinion.
Mais où vais-je me perdre, Madame? Cela ne convient pas ici, et n
pas destiné à vos oreilles; mais comme je parlais de ceux qui m'attaquen
me suis souvenue des formules de l'un d'eux, qui s'est récemment déc
et, insensiblement, ma plume s'est laissée entraîner à lui répondre à lu
particulier, alors que mon propos était de parler en termes généraux.
Pou
revenir
à
notre Arce, il dit qu'il a connu dans cene ville deux nonnes; l'
au couvent de Regina, qui gardait le Bréviaire en mémoire de telle sorte
6
7/21/2019 La Licorne
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dans les conversations, elle appliquait avec la plus grande promptitude et
propriété, les vers, l
es
psaumes et les maximes des Homéli
es
des Saints. L'autre,
dans le couvent de la Conception, avait si bien accoutumé de lire les Épîtres
de mon Père Saint Jérôme
et
l
es
expressions du Saint que, nous dit Arce :
H i e r o ~ m u m ipsum hisparll loquefJfeln
audire me
existimarem
Il dit u s ~
de
cette
dernière qu'il s
ut,
après
sa
mort, qu'elle avait traduit l
es
dites Epîtres en
langue vulgaire;
et l
se lamente que de tels talents ne
se
soient pas employés
à de plus grandes études, et sur des principes scientifiques; il ne dit pas les
noms de l'une ni de l'autre, mais il
les
cire en confirmation de son opinion :
qu'il
es
t non seulement permis, mais très utile et très nécessaire aux femmes
d'étudier les Saintes Écritures, et plus encore aux nonnes; c'est à cela même
que m'exhorte Votre Sagesse, et
à
quoi concourent tant de raisons.
Mais lorsque je considère le talent si combattu d'écrire
en
vers, il est
en moi
si
naturel que je dois même me faire violence pour que cette lettre ne
soit pas
ve
rsifiée, et que je pourrais dire moi aussi :
Quidquid c o r ~ a b a r .dicere
versus
erat; je l'ai tant vu condamner
et
incriminer par tant de gens que
Je
me
suis proposé de chercher quel mal il peut causer, et ne l'ai pas trouvé ..
Le mauvais usage n'est pas la faute de l'Art, mais de celui qui l'exerce
mal et parvient à faire de ses vers les pièges du démon; mais cela se produit
dans tous les domaines, et dans toutes
le
s sciences : si
le
mal réside dans le fait
que c'est une femme qui
le
s compose, on
sa
it assez combien en
ont
usé de
façon digne de louange Mais quel mal y a-t-il dans
le
fait que je sois une
femme? Je confesse sans ambages que je ne vaux pas grand'chose et même
rien du
tout;
mais je ne crois pas
qu on
ait vu de moi
un
poème indécent.
D'ailleurs je n'ai jamais rien écrit de ma propre volonté, mais sur les instances
et
à
l'instigation des autres; de sorte que je ne me souviens pas d'avoir rien
écrit par plaisir, excepté quelques pages intitulées Le songe»
Je puis assurer pour ma part que
les
calomnies
m ont
quelquefois mor
tifiée; mais elles ne m ont jamais fait de mal, ca r je tiens pour bien sot celui
qui, ayant l'occasion d'acqu érir des mérites, esquive la peine et perde le mérite;
c'est comme ceux qui ne peuvent
se
résoudre à mourir et meurent enfin, sans
que leur r
és
istance puisse leur éviter de mourir mais elle ne fait que leur ôter le
mérite de
la
résignation, en rendant mauvaise une mort qui pouvait être
belle.
De
sorte que,
à
mon avi
s
ces choses sont plus profitables que nuisibles.
E t je tiens pour plus grave le péril que font courir les applaudissements à la
6z
faiblesse humaine, qui a coutume de s'approprier ce qui n'est
aussi faut-il s'armer de la plus grande vigilance
ct
garder grav
cœur ces paroles de l apôtre:
Quid
autem
habes quod non accepisli,
pisH, quid gloriaris quasi non acceperis
pour
s'en faire un bouclie
aux pointes des lances que sont
les
louanges; car, si nous ne
le
s
pas à Dieu, à qui elles appartiennent, elles nous ôtent la vie et nous
de l'honneur de Dieu, usurpateurs des talents qu'il nous a confié
qu'il nous a prêtés, dont nous lui devons rendre compte au p
crains donc plus ceci que cela : cela, par un simple acte de patien
en profit tandis que ceci exige bien des réflexions d'humilité
et
de
de soi pour
ne
pas être funeste.
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Espace méricain
p r
ROGER C ILLOIS
7/21/2019 La Licorne
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J
NOUVEAU MONDE
I
soLÉ par
d'immenses étendues d'eau que l homme n'apprit pas vite à
continent demeura longtemps inconnu
du
reste du monde. Et le jour,
loin, où le monde eut l révélation qu'il existait une terre nouvelle au delà d
était lui-même
vieu. <
et tigué, en proie à ces difficultés inextricables qui s'a
long
de
l'histoire, qui
ne
se simplifient jamais
et
qui découragent à
l
fin
impatientes. Toutes sortes de traditions
y
étaient puissantes,
qui
étaient a
les unes aux autres ou mal composées entre elles; on ne pouvait concevoir
précaire et comme miraculeuse entre une multitude de fidélités exigeantes
timents tenaces,
de
nations rivales, de partis
et de
croyances qui
ne se
support
lement qu'avec peine. Quelle fmkheur, quelle aisance demeuraient permise
de querelles d'idées, d'intérêts
et
de prestiges? De ces querelles les unes étaien
Des autres, on cherchait en vain l'origine. Nées d un accident oublié ·ou pe
elles n en continuaientpas moins
à
provoquerdes heurts absurdes sans doute,
les plus durables et les plus cruels, soutenus comme ils étaient par des hain
rissait le souvenir des anciens chocs.
f
7/21/2019 La Licorne
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nregard
d un
monde neuf
et
tout offen à l espérance, s était ainsi ~ s é
d âge
en
âge un limon à la fois fertile t empoisonné, toujours plus lourd de rancune,
de
sagesse
et
de méfiance, parfait lieu de guerre et de fermentation, univers riche, encombré, presque
étouffant: l Europe, comme elle était déjà et comme elle est restée.
L Europe peupla l Amérique de tout ce qui la fuyait: persécutés et aventuriers, cher
cheurs d or, missionnaires, mélange inaccoutumé de fripons audacieux et d apôtres témé
raires, qui réunissait des désespérés, des saints, des avides, anxieux également
de
se trouver
au large
et
d avoir les coudées franches. Ces âmes ombrageuses et indépendantes aimaient,
j imagine, l espace et la liberté. L effort ni le danger ne leur faisaient peur. f.ttange et
décisif destin que celui d une terre
où ne
vécurent longtemps que des hommes qui
avaient dû
pou
r elle quitter l a leur. Voilà qui marque singulièrement cette contrée parmi
les autres : ceux quidevinrent Américains le fure nt à l origine de chaque lignée
pa
r l eur
volonté et non par la naissance, formant une race inédite et diverse d hommes qui
avaient un jour rompu avec leur héritage pour s en remettre
à
leur étoile. Et comme
on se trouve ailleurs
par
hasard, on se trouvait là
pour
avoir accepté
un
pari avec soi
même : celui de défier l avenir n ne comptant que
sur
ses
prop
res forces.
Passé
le
temps d une conquête brutale
et
souvent exterminatrice, le continent demeura
entre les mains des nouveaux-venus, comme une récompense inépuisable qu il leur fallait
reconnaltre avant d en jouir. Mais il
n y
eut pas de
fin
à cette exploration nécessaire. Car
cette longue terre a presque la mesure du globe: de part
et
d autre de l f.q uateur, elle
étend deux fois la gamme des climats jusqu aux abords des fxoides et brumeuses solitudes
où
passe l axe de la planète.
Celui qui posait le pied sur ce sol acceptait que
tout
y commenç
ât
avec lui. T pouvait
assurément gaxder
pour
sa terre natale une secrète nostalgie, mais
qu
i appartenait déjà
à
la douceur du rêve et des contes de la veillée. Sa patrie véritable était désormais dans
l avenir: il cessait de la recevoir, glorieuse
et
accomplie comme un don du passé, il
avait à la fonder par son adl:esse
et
par sa vaillance.
Voici que sans même qu il y pensât, elle prenait forme et figure, profitant d efforts
accomplis pour de plus humbles triomphes et surgissant de surcroît. l ne soupçonnait
pas ce
qu
elle serait un j
our,
mais devinait confusément que cette splendeur lointaine
dépendait un peu de ses vertus personnelles. Ainsi chacun travaillait à une pattie toute
incertaine et future, sans autre bord que la ligne mouvante qui sépare la terre aménagée
par
les hommes de l étendue louche où ils n ont pas encore d établissement fixe.
l
ne
connaissait guère
d auue
sens au mot frontièxe, limite pour lui de l empire humain dans
la nature et non pas limite d une nation
que
pressent des voisines ennemies et fra
temelles, qu elle repousse
à
son tour.
68
La nature contraint i i chacun d apprendre ce q u elle est dans sa vraie puissa
dans sa pleine çigueur. L émigré se souvient avec étonnement que, là-bas,
dans la
sule restreinte qu il abandonna, il n est pas de campagne qui ne
lui
apparaltrait aujou
• jardin bien dessiné, diligetnment entretenu, peigné
et
ratissé avec soin par
un
a
attentif; jusqu aux gorges que les poètes prétendent sauvages et lugubres, jusq
forêts qu ils disent impénétrables, lui semblent
par
comparaison recéler quelque:
de familier, d apprivoisé, qui rappelle
un
bibelot poli et travaillé par une savante
citude. Elles ne lui offrent plus rien de déconcertant ni de démesuré. l admet sans
que des chasseurs s y soient égarés, des bannis réfugiés, des amants abrités. Mais l
plus
ign
o
rer
que ces sites revêches sont i
solt s
dans
un
paysage riant
et
fertile,
quitte pour y pénétreret qu on retrouve aussitôt. Libr e à un cœur appliqué de les déc
pittoresques, mélancoliques ou consolants. L imagination peut
à
son aise leur prêt
charmes : il n e filudrait pas qu ils fussent des Uots prêts de disparaltrc
à
leur tour
bien la mer qui les environne
et
qui menace
de
les engloutir,
pour
que le ruoit le
conservé
de
signifier à l homme comme à
un
intrUs insolent qu il lui conviendrait
de fuir et de se cacher. Que lui sert d insister comme l fait poux imposer sa prés
un univers complet sans elle, et harmonieux et éclatant, qui la refuse avec plus d in
rence encore que de haine?
Tout est faiblesse chez cet animal médiocre, dont la prétention seule semble i
l parvient cependant à ses fins. Son énergie est à la mesure de sa prétention. Qu
discrète que demeure son empreinte, sa volon
té
emporte
le
dernier mot. Dans les ho
nouveaux où l espèce impérieuse reste clairsemée, là où la plaine ressemble à la m
n ose irrulginer qu il existe, invisibles
et
épars dans l immensité nue, des êtres q
vouent leux labeur et qui en attendent leur nourriture. lls y sont pourtant et ils y rè
La plaine n oppose: encore que peu
d
obstacles
à
l installation des homme
forêt ne se montre pas si traitable. A la première distraction, elle résorbe le dom
qu on lui inB igea
Sa
patience, sa puissance sont inexorables. Que l ouvrier se dé
un instant
ct
voilà son œuvre folle reconquise par un
néant
vorace.
Des
explorateurs se
ni
les plantes
ne
parviennent à subsister,
tant
ils y sont rares.
Le
voyageur
pe
7/21/2019 La Licorne
http://slidepdf.com/reader/full/la-licorne 36/120
fraient un sentier à travers les lianes, ils trébuchent à l improviste contre des ruines qui
avertissent qu ici des hommes implantèrent
un
e fois leurs règles et usages, - et qu ils
ne
surent pas les maintenir.
Pourtant ces monuments n attestent pas
l
existence d une de ces civilisations millé
nai
res qu exhument les soins de l archéologie. Ils
sont
d hier. Poudre et débris d une
entreprise récente, leurs épaisses parois que disloque lentement une sève irrésistible, la
veille encore proclamaient l orgueil et la foi
de
ceux qui les élevè.reot; et déjà les petits-
6.ls
de
ces architectes présomptueux remercient
le
hasard qui
leur
livre des édifices perdus
pour la mémoire même. •
Le
s habitants
d une
ville surgie au cœur des ténèbres humides de l Amazonie, exploi
tant, il y a moins d un siècle, les richesses de la forêt, en retirèrent une fabuleuse fortune.
Ils firent venir l o r et le porphyre de leurs retraites lointaines et construisirent pour la cité
presque inaccessible
un
théâtre comme
l Europ
e en connalt peu. Les frontons, les colon
nades, les cscaliets, les vestibules, les galeries, tout étonnait
par
le luxe
et par
les dimen
sions. Les artistes les plus réputés de l ancien monde, r emontant le fleuve interminable,
venaient distraire à grands frais
un
public fruste. Puis la prospérité
s en alla
aussi brus
quem
ent
qu elle était venue: on avait découvert
au.
antipodes le moyen de produire la
gomme à meilleur marché. Sans hâte, la végétation reprit possession de la clairière
d un
jour. On vit les arbres, source de cette opulence fugitive, soulever les dalles de leurs
racines, contourner, écarter ou renverser de leurs branches les murs aux revêtements de
pierres rares, ombrager les péristyles clairs de
leur
feuillage luisant et sombre, montrant
vite comment l empire
de
la nature prévaut
sur
l œuvre bu.maine. Sur le marbre disjoint
apparut la mousse et, victorieuse
à
la 6.n, s ouvrit la frêle corolle du parasite. Ainsi, là
bas, nomme-t-on l orchidée.
Courant le long du continent, de l une
à
l autre banquise, une arête minérale étire à
l est une barrière gigantesque et désolée. Sur sa surface lunaire, il semble
que ni
les animaux
longtemps sans distinguer nulle part la moindre trace d humanité et le viva
bientôt de n y apercevoir aucun vestige de vie.
n
dirait la peau rude e
planète refroidie depuis peu, à qui n a pas encore
été
confié comme un
précieux frémissement.
Le
désert même
provoque
moins
de
surprise
et
monotonie du paysage, la répétition des dunes, des épines ou des cailloux y
d une solennelle unité où l esprit trouve son compte. Mais là tout est c
changeant, plissé et tourmenté à l extrême. Mille structures disparates s a
cesse
en un
désordre coloré.
u le
soleil qui,
du
haut
d un
ciel inaltérable,
univ
ers mon une égale clarté, y éveille par larges plages des couleurs qui f
instant que ces rocs retiennent en eux quelque chose d animé, qui respire,
qui reconnait au moins, comme sait faire le moindre brin d herbe,
où
se tr
se tourner vers elles, la chaleur et la lumière. Mais tout est de pierre et
qui, sur ces plateaux mornes, arbore des teintes trompeuses. Mieux ornée
accaparant pour elle l éclat des autres règnes, on la voit si puissante en cette
semble réussir à en défendre l accès à
tout
ce qui
n est
pas comme elle inerte
vainement immonel.
Pourtant la mer bat inlassablement ce socle impassible, et avec elle l
poissons se meuvent sous ses vagues impénétrables; dans ses profondeurs
monstres hérissés, mais vivants; la transparence hideuse
de l
méduse
frissonne du moins; le corail s y dével
oppe;
l iode s accumule dans l algu
panout en suspension dans le liquide ensemencé, grouille indistincte la fou
élémentaires de la
vie,
soudain parentes
et
fraternelles. Là-haut, dans l az
retourne à tire-d aile aux iles plus clémentes d où
l
est venu.
Sur
le riva
vie n a
jamais
pu
s accrocher. L
homme
cependant
y
a déjà tracé des piste
Plus bas, rompue par
un
large détroit, l Amérique pousse encore com
appendice la
Terre
de Feu, to
ute de
vide,
de
glace et
de
brouillards. Les mon
enfin dans l Océan. Les sommets de leurs chatnes noyées émergent en chape
péninsules tortueuses qui découpent dans la mer un labyrinthe de cana
semb
le avoir empli
de
merveilles cette contrée reculée. On dirait qu elle s
poser ses tableaux l
es
plus majestueux là
où
personne ne parais
sait
destiné
à
l
et la solitude augmente encore leur majesté.
La
nomenclature de la région dit assez combien l homme souffrit de sa
71
7/21/2019 La Licorne
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de la tempérer par de précaires installarions, Pott Fllmine,
Baie
Inutile, Ile Désollltion, et
mnt de noms qui inscrivent dans la géographie une tecrible histoire. P e u t ~ t r e le pire
est-il celui du fjord profond, qui servit à baptiser la province
entihe: Ulcima
Espera=.
A quels désespérés cette sinistre impasse parut-elle la dernière espérance? Aujourd'hui
encore le dépanement est quasi-désert: il ne compte qu'un village qui fait office de capi
tale. Les glaciers descendent jusqu'à
lll
mer; sonant des
eaux
sws intermédiaire, une forêt
obstinée ou des prairies chauves montent à l'inverse jusqu'aux altitudes pures où
se
forme la glllce.
e long du rivage, les vagues sont rouges du sang des moutons égorgés dans les
abattoirs du frigorifique. Une odeur âcre emplit l'atmosphère. D
es
oiseaux au
cr
i strident
tourbillonnent, po
rt
ant
au bec
un
lambeau de viscère qu'ils laissent choir po
ur
le ramasser
vire, ivr
es
et joyeux plut ôt qu'affamés. L'industrie, qui dédaigne ces déchets ct qui néglige
de les détruire, les abwdonne à l'avidité des rapaces. La fumée de l'us ine s'élève péni
blement dans le ciel. Quelques bommes sont r assemblés dws la bourgad
e
d'autres dis
persés dans l
es
exploitations voisines.
Il
s font rarement de vieux os.
So
us une latitude où
déjà le soleil éclllire plus qu'il ne réchauffe, d'un bout à l'autre de l'année l'humidité e
st
pénétrante et la pluie comme éternelle.
A l'horizon
d un
e ha
ut
e terrasse, l
es
derniers con
tr
e forts de massifs monstrueux
dessinent les différents plans
d un
décor grandiose. Ils
enf
erment dans leurs parois
nues
d
es.
lacs bleus .et tranquilles : ceux-ci d'une forme simple, ceux-là sinueux et découpés,
feuilles de lunuère, acanthes de fraîcheur à la surface d un monde aride r menaçant. Que
le voyageur pounant ne se
fie
pas trop à leur apparence: telle lagune dont la teinte et le
dessin ravissent les yeux,
qu
elque chose enfin d'amical, quelque chose de caressant, cette
l a g u n ~
est saturée de soude œustique: l'eau en serait dangereuse,
si
son amertume n'em
pêchaJt
~ l l S
de lll b o ~ e
~ e l
l i b e ~ é est vaine, où la distance elle-même emprisonne
Tout
pr
es, semble-t-il,
maJs
en réalité seul de sa hauteur au milieu des lointains som
mets, se dresse, imposant, étincelant de
la
neige qui le recouvre,
un
verrou gigan
tesque qui l
wce
contre le ciel trois dents de
pi
erre comme l
es
tours d'une cathédrale
naturelle. Et ce mont compliqué, abrupt, illuminé de toute part, semble l énorme archi
tecture ~ a n c r u a i r e q.u'au bout .du. monde construisit un peuple de
Cycl
opes pour de
fières dtvlrUt
és
qut, retirées aux limites d
es
te
rr
es, évitent les hommages ordinair
es
d
es
homm
es.
Voici t e ~ e
diffic
ile.où, sc;ouant la poussière de.ses s ~ u v e n i : s et disposé à de pénibles
travaux, vmt
JOur
après JOur s mstaller
un
peuple qut fuyaJt la rrusère ou l'oppression. Les
72
uns cherchaient
l or
ct le bien-être, d'autres la liberté ct l'aventure,
il
en était d'autres
avaient dessein d'édifier une sone de cité sainte aux mœurs enfin conformes à la loi div
tous persuadés également qu'ils seraient affranchis à jamais de l'esclavage dont
ils
ven
de secouer le
jo
ug: la pauvreté, l'intolérance ou la corruption. Hélas, il n'est pas de s
rudes plus tenaces que celles.O, qui accompagnent l'homme partout où
l
s'exile po
échapper. Bientôt leur malfaisance reparaît, hypocrite ou violente ~ o m m e au dépa
cene fois le globe n'offre plus de nouveau monde pour un autre e s s ~ g e o u r t a n ~
dilués sur une étendue plus vaste, les maux n'y
ont
point repris leur vtrulence anCi
Une grâce continue d'avantager les descendants de ceux qui jlldis débarquèrent a:
de richesse, d'indépendance ou de loyauté. Un sang plus abondant coule plus
~ d
les
veines des fils comme s'il gardait quelque chose, non point des fautes ou des t ~ ~
des pères, mais de l'audace de leur décision confiante;
il
semble que
la
?énérostté
instant continue de marquer, mais dont s'évapore la puissance, la sepuème et la
septième génération de la lignée nouvelle. .
Livré aux dimensions véritables de la terre, par force plus attentifà la nature et m
pressé par ses semblables, l'homme, à son insu,
se
trouve subtilement dégagé.
gagné une première noblesse
et
un ~ g e
élargisse.men t
de l'être. Ce sont les
P r ~ e
l'espace qu'ici personne ne semble avol reçus en VaJn: 1
bab1rude
de lom 1ho
et l'avenir, et l n'est rien qui purifie mieux le regard; autour de sot la ~ s t a n c e de
pan
comme un domaine inaliénable, c'est le secret peut-être d'une drotture essen
et la jeunesse du monde chaque matin, l'eau vive de l'aurore pour laver l'âme et
la rafraîchir.
l accompagne pour le protéger. Ces avantages dont il jouit au cœur des
7/21/2019 La Licorne
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L li\lfPOSTEUR
Qmegarde
sur
la mappemonde les taches éparses qui désignent l univers habité
s étonne déjà qu elles soient si rares et si distantes imaginait naïvement ce globe uni
formément peuplé
et
voici que les places
où
la tribu est rassemblée presque entière lui
révèlent leur petit nombre
et
leur isolement. Il croit voit de larges oasis perdues dans un
dése.rt démesuré. Mais sur la planche de l adas, su la sphère coloriée que la main caresse
et prend plaisir
à
faite tourner autour de son axe, ces proportions n effraient pas: to
ut
tient dans la chambre. Au contraire, celui qui survole
d un
coup d aile l immensité
d un
continent, suivant au cours d une longue étape
la
succession des cliroats
sur
le sol où elle
s inscrit, connaît que
son
sort dépend de l appareil qui le porte
t
par
quoi
le
soutient
une inconcevable somme de travaux heureux. Déposé indemne en quelque point du
parcours, sa perte n est pas moins fatale, elle est seulement plus lente
et
plus douloureuse
que si la machine en
s
abattant l avait tué
d un
coup. L insecte conquérant ne reste
puissant, il n est même assuré de survivre qu aux environs des vastes fourmilières éclliiées
de loin en loin par son industrie et que son industrie seule a lentement rapprochées.
L homme ignore
sa
misère tant qu il ne s est pas trop écarté des territoires qu il
occupe à demeure,
en
force,
et
muni des divers recours qu une patience plus ancienne
qu
e
sa mémoire lui légua. Dès qu il s en trouvè privé, que lui reste-t-il pour se mesurer à une
nature qui l écrase par
son
étendue, par sa pérennité,
par
la réserve inépuisable
de
ses
énergies
in
différentes?n ui semble
qu
e partout
où
il peut s aventurer, le génie des siens
74
bien qu ils se dégra
dent
t se raréfient à mesure qu il s éloigne des établiss
où tout concourt à sa sécurité et à son agrément. est convaincu toutefois
pas d échapper complètement à leur influence tutélaire. Accoutumé dès
une existence privilégiée dont la douceur le Batte, il se persuade volontier
soi, qu elle
ne
renferme rien d étrange
ni
d admil:able, qu elle est enfin
con
des choses. la croit presque naturelle à l égal de la nature; de fait, il en reço
si continus et si nécessaires q u il oublie de les distinguer
du
don de vivr
en profite comme à son insu et ne remarque pas plus leurs présents innomb
s étonne d être né.
c
Aussi, de tout ce qu ajoutèrent à la nature sa science
et
son adresse, retie
ce qui l importune et qui n est rien auprès de ce qui l aide. Il médit bi
condition
où il
s est haussé.
ll
y découvre l origine de ses mau: < et, ce qui
grave encore, celle de son ennui. aspire à retrouver son premier état
et
dévoyé. TI envie la bête innocente qui bondit au soleil
et
qui assouvit jo
simples
in
stincts.
Mais il tient ses discours dans sa chambre, sous
la
lampe, là où il est le p
trouver, son vœu exaucé, avec les seules ressources de l animal t sans per
secourir. Il reste alors si parfaitement abrité que son imagination lui refus
représenter aux prises avec la planète, telle qu elle se montre en
son
entière d
repoussant encore un maître mal installé, elle semble attendre qu il se lasse
en
vain.
L être chétif,
en
ces conditions sévères, sent vice sa faiblesse et s
défriche un nouvel arpent,
il
peine, il s obstine, le succès récompense so
victoite. contemple avec fierté l enclos qu il s est réservé au sein d un mon
sa défaillance. Et la moindre secousse emporte tout, qui était infiniment
nulle secousse n est nécessaire. Sécheresses, inondations, incendies, tor
d accidents superflus, inutiles à la ruine
d une
entreprise déjà condamnée
p
même.
La
nature efface sans colère Je fruit d un labeur opiniâtre. fau
contre elle et la gagner de vitesse. Que l imposteur ralentisse seulement so
souffle
un
instant
t
elle reprend en se jouant ce qu elle avait
dû
céd
er
à
s
a peine à déceler ensuite les traces de l injure légère que lui lit le caprice
_ C ~ prodige que l homme prenne ied
7/21/2019 La Licorne
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m:untlenne, miracle qu il y é-'' d d p b sur cette écorce rebelle, merveille qu il s y
ume e um les empir Pui é . .
neur dema mee sur e sol
qu'- e
• es.
55
·Je continuer à lire l hon-
=
n a pas encore conquis en • ,
reste hasardeuse et son triomphe é J • ces apres contrées ou sa présence
frayer.plus avant la voie difficile
D m ~ ~
. e mesure le chemin. parcouru
et
voudr.tis
· n .unporte guère d ·
en route, se moquant d une arde r .
1
que . es êt res comblés s amusent
tout, et jusqu au loisir de s en m o ~ u ; : J eur parait sans ObJet Je sais qu ils lui doivent
r
HERlTAGE INDIVISIBLE
1 ~ ) . 1 4 l ; à
TH U YD
T
OUT la terre fut une fois
la
sauvage planète qu elle demeure encore presque
aujourd hui. L'hommealors n était rien qu'un animal inquiet de sa subsistance et crai
pour
sa vie. Il abattait des arbres, en équarissait les troncs, qu il enfonçait dans le so
de se ménager
un
mauvais refuge contre l intempérie,les autres bêtes
et
les autres hom
Maintenant le plus difficile est accompli, qui fut de fonder les premiers établissemen
désormais se mttache l effort humain
et
d'où il se répand. Au
ssi
loin que s écarte au
d'hu
i le plus rnisémble, il
ne
s aventure plus seul. Quelque démuni
qu'on
l imag
reste cependant pourvu d un irremplaçable viatique par où l industrie de l espèce con
de le secourir. Des outils, une arme, une boussole, des boites de conserve, et serait
d es souvenirs, peut-être font tout son bagage. Mais c est assez pour Je relier aux cap
où s accumulent la science et le pouvoir des siens .
Là s élèvent les ateliers, les labomtoires et les usines qui soumettent la nature
fantaisie; là, dans des palais désaffectés de leur destination première,
ils
ajoutent les c
d œuvre sortis la veille de leurs mains aux épaves retirées de l abime de l histoire, o
rares collections iront à leur tour s engloutir avec les murs qui les abritent; là son
semblés les bâtiments où tr.tvaille le peuple des scribes
et
des comptables préposé
régulation
de
la justice,
du
commerce, des finances
et
de
l'ord
re public; là se dre
enfin les temples que l homme construit
pour
témoigner aux Dieux qu il a foi dan
77
éternité. Et l
es
Dieux morts, qui passent plus vite que lui, ces habitats ruinés ne témoignent
plus que la grandeur de leur architecte.
mauv
ai
se grâce
à
la foule de ses déshérités. Une féerie m'attend où je croya
7/21/2019 La Licorne
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, Tout ce qui me. pesait _me comble d o rgueil.
Je
regarde comme un don éblouissant
1œuvre de 1
s p è c e
1ndust:1euse. Devant elle, je ne suis qu assentiment. Sans doute; dans
un
o r n e n t
e.
o n n a l ~
les r a ; e ~ _ l e n t r ~ p r i s e tâtonnante.
Je
me rappellerai ce qu'elle
t l e n t de lesme,
de
sottise et d Jruqulté, maJs du moins sans me voiler la face et sans crier
qu'il est
e m p s de_
revenir en arrière. Je saurai que la même force qui, rétive et divisée
contre
so1
sut
e m m e ~ é ~ i 6 v r a g e
fragile, peut d'un coup Je dévaster. Sous tant
de :alculs, de mallce et d hés1taoon,
Je
percevrai, couvant comme
un
e braise mal éteinte
et
tOUJOurs menaçan te, la violence native du seul fauve qui s'est dompté
lu
i-même et qui
perd tout s il oublie d opprimer sa férocité originelle.
. Mais, pour a n t encore,_ e n ~ p e r ç que les fruits m p l a ç a b l e d'une vigilance
m i l l ~ n ~ t r
ser
ruen
t-ils pourns, qu il me resterait de faire con6ance
à
l'arbre · et J'arbre
s e ~ l t - moubond, qu'
il
me reviendrait d 'en couper le seul rameau
en
core vivace pour
la sève
à
quelque souche plus vigoureuse et plus
rud
e. D 'innombrables victoires
ou_ .n a pas combattu me rendent invincible. Et il n'est personne qui ne partage et ce
pnv ile
ge
et cette charge.
n
même
t e m p s ~
je retrouve lavé de faciles mépris. Je ne dédaigne plus les
c h r o ~ o s des
c a l ~ n d r i e r s
ru les c o l o m ~ c : s en pouss
iè
re de marbre, je n 'a.i plus envie de
so
uru
e des refrains des carrefours . N1 Je ne
m e
n moque, ni je ne feins de les
pr
éférer
aux grand
es u v r e
Brusquement
Je
l
es se
ns solidaires d
es
fresques, d
es
symphonies, des
sommets a t t e m ~ p a ~ les ma1trc:s les plus puissants ou les plus subùls. Distinguant bien
la et
la
moue, Je me souv1ens en même temps qu'il a fallu tisser l'une
et
l'autre et
p o ~ r
le
m a r b ~ e
et ~ i r e
la
glaise. Il n est rien de vulgaire ni de grossier qui n''ait
couté la peme
et JU
stement cette même peine qui aboutit
à
la fin aux plus délicates
merveilles.
Je
me prends à chérir jusqu'aux plus fades richesses d'une civilisation je recueille
comme une manne
ess
entielle cette menue monnaie de ses trésors, qu'elle abandonne de
78
décor odieux. Rien n'est pourtant changé dans
le
spectacle banal : une rue
les enfants qui vont à l'école,
la
voiture aux primeurs
et
le camion de démé
bureau
de
poste et le café avec l écusson d 'une société sportive, des affiche
le remblai d une ligne de chemin de fer, toutes choses soudain déconcertantes
En
ce faubourg paisible
et
morne, où il n'est rien que de sordide, l œuvre de
révèle pas moins sa force et sa présence qu'aux lieux illustres où les voyage
toute part po
ur
admirer se laissent emplir d'une émotion solennelle . Ici et là,
que prodiges et je ne me lasse pas de les
int
erroger.
e
les dénombre, je les
n'ose m'en a
ppr
ocher, je crains de les perdre. Je suis deva.ot eux comme un
l'on vient d'offrir un jouet inoui, plus complet
et
plus beau qu'il n'aurait
Comment porter la main sur un cadeau qui déro
ute
à ce point mon inexpérie
Cette maison que j'habite,
je
sens qu'une vie
ne
suffirait pas
à
m
en appre
si je n'avais pas grandi en cette science accoutumée. Rien de plus simpl
ordinaire que
es
murs et ce toit, qui n'abritent
à
leur tour que choses or
meubles et du linge, de la vaisselle et des livres, les accessoires habituels
de tous les jours et de tout le monde, mais miracles aussi qu 'il a fall
fabriquer et conduire à cette ultime
et
décisive simplicité, qui ne laisse
désirer,
à
retrancher
ou à
reprendre.
Je
suis tenté de m'extasier sur une c
découvrir une beauté suprême qui manque, dans leur splendeur, aux p
cathédrales, une forme si claire que l objet le plus humble en reçoit comme
d ét
ernité.
Quel changement apporter à
la
cuillère qu on achète au bazar, qui ne
sur-le-champ moins commode et moins élégante? Elle n'est qu'
un
instrum
main se sert pour porter
un
liquide à la bouche. lü.en ne l empêchait de p
aspects infiniment divers. Je songe qu'il dut y avoir des cuillères plus bom
plates, plus courtes, plus épaisses ou plus rondes. J en imagine d'autrem
d'autrement courbées,
d autr
ement proportionnées.
Et
toutes aboutissent
à
Je dessin semble accomplir le leur et qui, mi eux qu elles, remplit son rôle.
Cet ustensile dérisoire, à l'égal des joyaux des musées, m'enseigne en que
efficace la perfection réside. Obtenue par l'effort d une avarice obstinée, par el
chose comme la plus rare devient immuable et triomphante . L'objet famil
chef-d
œ
uvre dans
un
e indivisible splendeur. Une secrète synta.xe les sit
hiérarchie sans coupure. Si l 'un d'eux disparalt, l'autre témoigne à sa pla
tessons gravés suffise
nt
à donner l'image d'un style; ils manifestent l'exc
culière que la patie
nc
e de générations relayées sur la même aire, regarda co
lisible des vertus de son choix.
79
7/21/2019 La Licorne
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·
nn existe qu un monument plus duntble que l airain,
et
il est impalpable.L acquisition
pour
toujours que chaque auteur éphémère rêve de pantchever dans son œuvre passerait
à
peine moins vite que lui, si par mintcle elle devait tout
à
ce créateur
solit:ai re
Comme le
corps de l homme se dissout dans la terre et, cessant d être personnel, restitue ses sucs
à
la nature,
ses
plus hautes réussites ne survivent que rendues
à
l existence
o ~ s e
d où
elles sont
un
jour sorties et où elles sont bientôt dissipées.
Le
souci qui les évoqua du
néant trouve cependant sa récompense
et
sa gloire. De leur éclat passager subsiste une
trace anonyme
et
immortelle, cette fois VnlÎrnent
une
acquisition
pour
toujours : quelque
adresse héréditaire, un souvenir, un désir; une dou
ceur
insidieuse, une langueur, jusqu au
goût de cendre et à l amère jubilation d avoir trahi qui restent au cœur du traître après
la trahison
le
regret de loyauté. Tout demeure, tout se fond dans l héritage commun à
travers mille déchb.nces sans cesse plus vagues
et
sans cesse avilissantes, cac to
ut
finit dans
la boue, tout coule vers le plus bas niveau. Mais il n est de boues fécondes que celles qui
ne furent pas poussière dès l origine.
Elles déposent alors un sédiment d une étrange espèce. Avec le temps, la couche en
devient si P.rofonde
et si
gntsse que l
es
imprudents qui l épaissirent de leur labeur aveugle,
n auraient plus la force de s en dégager
si
la fantaisie l
es
en prenait. Ces alluvions nou
velles, qu ils ont ajoutées
à
la nature, partagent bientôt la puissance de ses lois.
Le
limon
où se diluent les chefs-d œuvre, une tempête de hasard n en disperse pas aux vents
l
poudre desséchée: il s étend, se glisse
et
recouvre le globe, seul patrimoine inaliénable
qu un intrus sans
forces
ni titres ait su
se
ménager sur la surface évasive.
onnets
par
JORGE ROJ S
Traduction de l espagnol p r
Ro g
e r Caillois
7/21/2019 La Licorne
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Momentos de
la
Doncella
L
SUENO
Dormida asi desnuda no estuviera
mas pura bajo
el
lino. La guarece
ese mismo abandono que la ofrece
en la red de su sangre prisionera.
Y ese espasmo fugaz de la cadera
y esa curva del sena que se mece
con
el
vaivén del sueiio
y
que parece
que una miel tibia y tacita
lo
hinchiera.
Y esa pulpa del labio que podria
nombrar un fruto con
la
voz callada
pues su propia dulzura lo diria.
Y esa sombra de
ala
aprisionada
que de sus muslos claros volaria
si
fue
se la
doncella despertada.
8
Moments de
la
Jeune
Fille
LE
SOMMEIL
Nue , elle dort. Son corps ne serait
pas
Plus
pur
sous
le
lin. Le
même abandon
Qui la propose, la
défend,
captive
Du frêle
rés
eau
de son sang
-
Et ce sursaut rapide de la hanche
Et
la courbe du sein qui
se soulève
u rythme du sommeil
et
fait qu il semble
Gonflé
d un
miel secret
et
tiède.
Et
la pulp
e des
lèvr
es
qui pourraient
Sans rien dire
nommer
quelque doux fruit
Que déjà nomme leur
douceur
;
Et l ombre d aile prisonnière
Qui s envol
erait
des
cuisses
claires,
La jeune fille s éveillant.
7/21/2019 La Licorne
http://slidepdf.com/reader/full/la-licorne 43/120
EL ESPEJO
Retrata
el
agua dura su indolencia
en la quietud sin peces ni sonidos ;
y copian los arroyos detenidos
sus rodillas sin mancha de violencia.
Sumida en
es
facil transparencia
ve sus frutos apenas florecidos
y encima de su alma endurecidos
por curva miel y d.lida presencia.
Con un afan de olas blandamente
cada rayo de luz quiere primero
reflejarla en
l
estatica corriente.
Y
el
pulso entre sus venas prisionero
desata su rumor y ella se siente
a la orilla de
u
rio verdadero.
LE
MIROIR
V
eau
dure reflèt
e
son
ind
olence
En un
calme
sans
poissons
et sans
bru
it
un ruisseau arrêté reproduit
Ses g
enoux
vierges de toute
vio
len
ce
.
Plongée en la
facile
transp
are
nce
Elle
voit
ses Jntils peine fl
euris
Qui, par- dessus s
on âme, sont
d trcis
En courbe
de miel
et
chaude presence.
S élanfa lt mollemmt, telle une vague,
Chaqu
e rayon désire le premier
La
réfléchir dans
le
st
able
cou
r
1
So
pouls
,
en/re
les
veines prisonnier,
Délivre sa rumeur. t
la
voici
Qui se
sent
au
bord d'un
vrai
fleu
ve.
7/21/2019 La Licorne
http://slidepdf.com/reader/full/la-licorne 44/120
L
MUERTE
Igual que
por
un
ambito cerrado
donde faltara el aire de repente
volaba una paloma por su frente
y por su sexo apenas sombreado.
Y
por su vientre de cristal curvado
camo un vasa de lampara caliente
el éleo de su sangre dulcemente
quedé de su blancura congelado.
Sus claras redondeces abolidas
bajo la tierra al paladar del suelo
entregaron sus mieles escondidas.
Y alas y velas sin l amplio cielo
de su mirada azul destituidas
fueron del aire y fueron de su vuelo.
8
III
L MORT
Comme
à
l intérieur
d rme chambre
close
Où l air ferait défaut subitement
Il volait par son front une colombe
t par son sexe
peine
ombré.
Et par son ventre de cristal, courbé
Comme le
globe
d une
lampe,
l huile
Chaude de son sang doucement se ftgea ,
Par celte blancheur, congelée.
Abolies,
ses
formes pleines
et
claires,
Som le
sol,
aux papilles de la
terre
Ont
livré
les miels q11 elles cachaient.
Ailes el voiles, sous le vaste ciel
De son regard bleu, furent aussitôt
Privées
de l air et de leur vol.
S onetos Element ales
Sonnets Elémentaires
7/21/2019 La Licorne
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L
AIRE
Tunica de los arboles ligera
como
un
lino de agua contra el viento
cada hoja que
c e un
movimiento
te imprime suavemente de bandera.
Numero de l fior. La luz primera
tras l viaje nocturno en seguimiento
de
tu
eterno llamado su recuento
inicia de la gracil primavera.
Sitio del arpa musica callada ;
l
de la paloma que ha existido
sôlo bajo l frente de l amada.
Bosque invisible donde tiene
l
nido
la tarde a cuya sombra iluminada
l alma cruza con su dulce ruido.
88
L AIR
Tunique
des arbres, légère
Contre
le
vent
comme
toile
liquide
Cbaque feuille
qui
tombe doucement
T imprime
un mouvement de drapeart.
Chiffre de la fleur. La
prime
lumière
Après le trajet
nocturne, obéissant
A fa voix
ét
ernelle,
commence
L
inventaire
du fragile
printemps
.
Lieu
de harpe, mttSÙJtle
tue
,
Aile de la colombe qui n exista jamais
Que
sous le
front
de
l ai
mée.
Invisible
forêt où
le
soir
A son nid. Dans son
ombre illuminée
L âme croise avec son faible brui
t.
7/21/2019 La Licorne
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EL
FUEGO
Rosa de vientos locos. Tempestades
crecen en tus corolas repentinas
en
ceniza de turbias golondrinas
dùsporrotean tus altas claridades.
Del viento agua subito te evades
Cuando a su hoz parece que te inclinas
de repente
en
furiosas serpentinas
el enemigo a tu materia afiades.
Iluminada mies de aullantes oros
sonambula gavilla cabellera
dando al viento sus rutilos tesoros.
El suplicio de un martir no tuviera
mas circulos de ângeles ni coros
de rubias salamandras
en
la hoguera.
L F U
Rose
de
vents
fous.
D
es
tempêtes
S élèvent
dans
tes
subites corolles
t tes
hautes
clartés crépitent
En cendres d hirondelles troubles.
De l eatl
et
du vent,
tu t évades soudain.
Quand sous
la
faucille,
tu
parais t incliner
D un coup,
tes serpents
furimx
Ajoutent l ennemi ta substance.
Moisson
illuminée
d ors hurlants
Gerbe
somnambule, chevelure
Qui livre au vent d éclatants trésors.
Lors du supplice, un martyr au bûcher
Ne compterait
pas plus
de
cercles
d anges
Ni de chœurs de blondes
Salamandres.
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EL GU
Beso sin labio novia en tu desvelo
esperando una boca que
te
beba ;
niiia aun si
un
cantaro te lleva
arrullada en los brazos bajo el cielo.
Llueve el mundo goza de tu vuelo ;
danza la espiga abrese la gleba
es
mas duke cantar cuando se prueba
tu liquido que sabe a nuestro suelo.
Saltando entre los juncos extraviada
en busca de la sed corza ligera
has quedado en mi mano aprisionada.
No importe que quien te haga prisionera
te dé su forma corre alborozada
persiguiendo
tu
forma verdadera.
L EAU
Baiser sans lèvres, fiancée sans voile
Tu
attends
une
bouche
qui
te boive;
t encore
enfant,
si
t emporte une
jarre,
Sous
le ciel, entre dettx bras bercée.
Il
pleut,
el le monde
jouit
de
ton vol;
Les
épis dansent,
la glèbe
s entr ou
vre.
Il
fait plus
dot
tx
chanter quand ot
goûte
Ta
liqueur qui
a le
goût
de
notre
sol.
Sautant
entre
les jonc
s,
égarée
dans ta
Recherche de la
soif,
chèvre légère
Qui
dans
mes
mains
demeures emprisonnée
Il
n
importe que t impose sa
forme
Qui te
tient prisonnière, cours réjouie
A
la poursuite de la vraie forme.
9
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Lettre ostoïevski
pat
LEXIS REMIZOV
r
du tion du m
sse p
r
lexandre Bachiach
7/21/2019 La Licorne
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C
EST
avec peine et amertume que j écris ces lignes- condam
car elles ne mènent
à
rien. Oui,
l es
t douloureux
et
amer
vaine. Aussi me dis-je : ô,
ma vi
ratée ..
« Et
pourtant j ai
év
it
er
la souffran
ce J
en eus pourtant le présage -
je
n en tins a
j avais une voie de rédemption - je lui ai tourné le dos
».
Ces pa
avez dites, Fédor Mikhaïlovitch, so
nt
une condamnation d
expliquent bien des choses
à
beaucoup d entre nous : ce n est
que j ai compris ce que signitie la loi
du
talion, ou le« pressing»
voudrez. Mais j ne puis l accepter pour moi.
Et que
je me
trouve
à
l étranger, que depuis plus de vingt ans
de la Russie, vivant« sous la protection de
Di
eu
»,
c est-à-dire com
sauvage, mais jouissant
du
gaz, de
l
électricité, de
l a
scenseur, li
être astreint à nulle corvée, nullement obligé de rendre compte
d
car je pense ce que je veux -
tout
cela ne change
en
rien mon de
Pour moi,
je
n ai rien
pu
éviter -
et
je n ai pas besoin de réde
ma
vie antérieure en Russi
e,
n ma vie présente ne peuvent, certe
de personnel
Et
je n ai jamais redouté aucune souffrance « bi
innombrable
».
Mais toujours je fus pusillanime et mal endurant:
çan t des dents et avec désespoir que je supporte la douleur phys
souffre du froid. Ces réactions s
ont
pe
ut
-être l effet d un défaut
de la faiblesse de
mes
nerf
s. Au
moindre attouchement
je
surs
97
soudain me jette dans des transes et
u un
é ,
comme paralysé ,··en deviens tdi t q .
f:vend
ement grave survienne :je reste Je n
e
nvie personne et je n'ai jamais aspiré à devenir célèbre.
e
n'
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. , o , un vrat ar eau pour t 1 d 1
qw e ~ t plus terrible encore, c'est mon infaillible mém .
o ~ t
e m o ~ e
Et,
ce
de vou une fois pour ne pius jamais bli .
ou
e VlSuelle : l me suffit
pleurs
muets des bêtes. Par dessus
le
a r c ~ ~ nt les souffrances humaines, n les
la misère - mais
ce
qui m'a.flli 1 1 . e a toutes entraves vient s'ajouter
abandonné et que tout espoir t ~ ; s fst ~ e i s e n ~ que l esprit de lutte m a
Et
. ., . , a a vte ummeuse est perdu.
r o m p r , o ; a ~ t ~ .. e ~ : ~ : : ~ s s ~ r e at ces.instants que rien ne viendrait inter
déchéance. J aime encore lire à
h a u ~ o
n e ~ q ~ ces quelques p e n s ~ e s
sur
ma
par moi-même que je sais : qu'il ea ~ : e · · ~ ce n : sr_Pas
parles
livres, mais
souifrance
l
n y
a pas
de
vie -
,Y
t
ou rance a
~ t v r e ,
et que sans cette. . c es
un
e espèce de musrq e E
il
.
une
)Ole
de vivre, et sans cette joie l n' d . , u · t qu y a aussr
y a l'allégresse qui donne la plénitud , ~ a s evre - c est l amour. Et puis
l
de peine mais d'amour , de a avre :
ce
sont es larmes soudaines
non
' - quan es ang ,. ·
c'est ce doux pardon de Jhomm . .fines se reJourssent dans es cieux ».
e au cœur m i · ' · '
pardonn
é?
répond .: «
Pour
l'e't . él . , qw a ma u e s t w n « Me sera-t-il
c
· . errut ·
»,
c est une vou: do · . · · .
nante qw un )Our se nt entend ' I'h mmatrJce t V Vl -
« Lève-toi et marche » re a omme au plus profond de
sa
chute :
Voilà
Je
pius clair de ma conception de 1 . . .
toujours joie et, pour grâce particulière - llaé vte, qw est t ~ U J o u r s souffrance,
suprême - la douleur seule... a gresse. Ce qur me reste, mon lot
Feuilletant un
jour
des illust é · .
célèbres et je me suis demandé r. s, Jclme s ts penché
sur
les photos d'hommes
l
s rendent donc célèbres? Et . . q ue .est e
s e c : ~ t
de ces visages? quels traits
é1
' b . Je me sws compare a eux Et ., · ,
ces c e rltés ne
sont
que des
e'ph
, , d
1
. ·
J
at pense que toutes
E
. em eres ont •
CX sten
• ch, .
t Je me suis clis : non, jamais je n fi . . d
ce
s a eve avec
Je
Jour.
musée. A moins que je ne devieO: ~ r ~
parue,
e leur
a n t
mais périssable
implique en premier lieu et obli e eros d un • falt divers » - mais cela
· , . ga
tou
ement
«
l'actio T cli
untque desu
c e
st d'être tran uill T , , . n ». an s gue
mon
paro e; fai peine à me b a i s s U : · t r é ~ : :
; r s t
~ r u b i e : chaq_ue chaque
q ~ ~
Je reve avec rage de trouver quel ue h
es
pteds ne m_e
d w ~ a t t pa
s, bien
J at de Ia peine à répondre au « b . q c ~ s e ... pas un ~ o n bten entendu
paisible qu'aujourd'hui Non, . OnJou: », m:me par une Journée aussi neutre et
1
. ·
Je ne
sws vratment pas · , f:
.
d
es Journaux ne s'enrichiront pas d f: . , .suJet a atts- 1vers et
rien à y faire. e mon att. C est amst que je suis, l n y a
qu'observer, c'est même drôle de dire dans quel but - simplem
ent
pour e
de cesser d
ê
tre
ce
que je sui
s.
Er nui n'est responsable de ma déchéanc
général, je pense qu'il est toujours vain de cherch
er
es responsables d
propre destin. J e suis né ainsi, tout simplement.
Je suis né dans Ia richesse, richesse qui n'a servi qu
à mon
entrée dans
et puis ce fur fini. A peine commençai-je à marcher que je me suis trouvé
les pauvres et
j'y
suis demeuré.
Même enfant, je n'eus jamais rien de
re
marquable. Mais aux premières a
de mon existence on parla beaucoup
de
ma veine : j'étais né « coiffé » et
que l'on sût que la sage
-f
emme avait volé ma
«
coiffe
,
j'étais, même
preuves, différent des autres, marqué par la Providence. Mes premiers souv
sont peuplés d'innombrables visages et de mains sur lesquelles j'impos
main pour porter chance > : car je portais chance aux gens - réuss
succès dans les affaires venaient de moi Soudain - je ne s
ai
s pourquoi
fus oublié : j'avais peut-être perdu mon pouvoir bénéfique, on s'en aperçu
cessa d'avoir foi en moi. Et depuis lors je ne vis plus de mains tendues v
mienne.
Je
n'ai évidemment pas su ce qui était arrivé et personne ne m
parlé. Mais to ut cela m faisait bouillir.
Je ne me souviens plus de
ce
qui m'avait particu
li
èrement blessé, ce qu
ce tte dernière goutte qui
nt
déborder ma rancœur, mais je décidai de b
tout
ce
qui m'appartenait. De mes petits cubes de construction je
fi
s un p
dans ce poêle j'amassai
tou
tes sortes de saletés et j'y mis
le
feu.
J y
mis
l
f
et je ne m'enfuis pas.
En
généra
l,
les enfants, lorsqu'ils
ont
mis le feu
à
quelque chose
pr
e
aussitôt la fuite. Il n y a pas longtemps encore, un soir, j ai vu près de
nous dans un terrain vague, parmi les décombres où pousse la barda
ne
(u
ces « terrains
à
vendre
»
, une bande de gosses d'une douzaine d'an
mettre le feu et s'envoler dans toutes l
es
directions, exactement comme
le décrivez dans vos « Frèr
es
Karamazov ». Et moi, je n avais mêm
cinq ans.
Mon feu ava
it
bien pris et, le regardant flamber, je n'éprouvais aucune
Je sentais se ulement dans le tréfonds de mon
cœ
ur comment, sous l'effet
flamme, fondait ma rancœur, une rancœur innée, informulée encore par des m
On aperçut mon brasier
à
temps et on vint l'éteindre. On ne me punit
pa
m
dit
seulement« qu il ne falla it pas jouer avec le feu ». A partir de ce jo
99
délaissai tous mes jouets. Mais mon propre abandon, je n'en pris conscience que
plus
tud.
J'avais six ans. L'été, par un soir gris, je me suis faufilé sous la véranda. La
Mais je fus absolument assommé quand. i. la vue de
mon
d'étudiant sur
utre
par/i(fl/aritl u nfusoires,
on
n'a rien trouvé
dire que cette question outrageante : « C'est bien
_vous
qui a
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maison que nous habitions se trouvait dans un faubourg. Sous cette véranda
on empilait des planches; et li, dans les ténèbres et l'humidité douce, j'ai sou
dain tout compris et j en suis sorti comme
on
revient après un enterrement.
Personne ne m'avait vu, seul
notr
e chien de garde qui passait devant
la
véranda
en
remuant la queue avait paru m'approuver.
J en suis sorti complètement changé: li, assis dans l
es
ténèbres, je m'étais
juré de retrouver mon don de chance. J en suis sorti replié sur moi-même
et
aux aguets.
Et pourtant rien
n a
changé,
pis:
je remarquai bientôt que j'étais marqué du
sceau de « mé
fi
an
ce>>
. Comme si, i cause de la chance qui m'avait trahi,
on
avait
cessé d'avoir confiance en moi.. .
De toute mon enfance, je me souviens d'un seul être qui m'ait traité comme
tous les autres. Une ancienne amie de
ma
mère, Frau Bertha, u
ne
institutrice,
venait parfois en visite. Avec son arrivée la maison me semblait s illuminer. On
ne sait pourquoi, de tous l
s
enfants c'est moi qu'e
ll
e avait remarqué et elle
s'occupait beaucoup de moi, m'interrogeant sur les livres que je lisais au hasard.
Car, les livres, je les lisais
non
par curiosité, mais pour essayer de changer- me
métamorphoser-
cesser d'être moi-même et, devenu un autre, me faire remar
quer.
A certe Frau Bertha qui, semblait-il, me faisait confiance, est associée une
image vivace encore auj
our
d hui : quelque chose de vitreux et brillant, comme
si cette Allemande fadasse, tou jours modestement vêtue, était tapissée de bre
loques et de colifichets. Et tout cela brimbalait, y compris ses paroles
à
la pro
nonciation incorrecte
et
sa bizarre façon de tourner les phrases.
Après ses visites je me sentais transporté et ne cessais de répéter des mots
allemands t
ou
t en m' imaginant être Français comme notre maître d'étude,
gaillard extraordinairement vivant et toujours gai. Et moi, ni gai, ni vivant de
mon
naturel, mais au contraire par trop lymphatique, je parafai mes cahiers
scolaires en français :
«
Chantecleroff >> Plus tard je devien
dr
ai Anglais .. e
comprends maintenant: mes métamorphoses n étaie
nt
qu un
désir d'évasion
surtout ne plus être moi-même.
J étais bon élève. Il ne pouvait en être autrement : car c'était mon unique
voie de salut.
l OO
Et puis, une autre fois: j'aimais i.lire des heures n t t è à_baute
appris i lire très distinctement, et voili. une sou:ée Je fus
public. Ma lecture plut. Savez-v
ou
s ce que J'al entendu?« u ~ l l e
quable, fit un des organisateurs de la soirée, c'est vraiment 1 0 a
quoi donc « inattendu
»?
Avant j'avais déji bonte de moi-même,
je commençai de me haïr.
c Que se passe-t-il, pensais-je, pourquoi personne
ne
p
confiance? Que dois-je faire pour être comme tout le monde
vivre avec ses semblables, marqué du sceau de Cain? •
Et
je m'efforçai de singer ceux que
l on
prenait au
s é r i , e ~ ,
leur voix et même leurs pensées - en dissimulant mon vemab
leur personnalité indiscutable et reconnue - devenir quelqu'u
Tout cela tourna mal : ma propre nature fut si profondéme
n
eût été impossible de la retrouver
et
celle des autres n a fait qu
voies.
Je parlais - sans croire à mes paroles empruntées, j'agissais
mes fausses imitations.
Et
si dans le passé personne ne me fa
maintenant c'est moi-même qui n'avais plus foi en moi. Ains
cercle.
Et durant cette époque de ma vie j'ai commis des fautes i t
je n ai guère honte, mais dont, jusqu'au dernier
jour
, je porte
je comprends : ce que je suis - ce
à
quoi en
fin
de compte
c'est ce qui devait être.
Pourtant comme
l
est merveilleux le monde avec toutes ses •
-
dit
es-vous avec juste raison - l'homme ne peut être rendu re
on
ne peut accuser que soi-même et rendre compte qu i sa pro
Comme elle est belle, la vie avec sa douleur, sa joie, et s
on
allé
• Seul l'homme pauvre, dites-v
ou
s, peut savoir combie
mauvais .. Mais permettez-moi d'ajouter : « et combien l esc
suis prêt à le répéter des milliers de fois. Jugez-en donc vous-m
mortels auraient-ils pu supporter la vie en Russie durant les an
munisme de guerre si les hommes ne s'étaient entraidés? Q
de citer ce seul exemple de l'histoire vécue.
1 1
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7/21/2019 La Licorne
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bemin
des r t i s t e s
par
PIERRE
JE N JOUVE
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Eaux vertes Si les rocs tombent en tragédie
D'harmonie avec le retour des baisers
De l'ombre et si le temps chagrine un léger bois
De plumes et d'acide; et l'antique lumière
Aux cumulus errants sans aucun poids se
rit
Par le vent irritant perpétuel surgi
Si l'herbe est relevée au marécage et nue .
»
Et
la nymphe aux yeux de paradis solitaire :
Vois au contraire ici dans l'abîme distant
L'énorme et l'argenté sur les arbres; le sang
De
l
vallée ombreuse et déchir
ée
du peintre,
La chute tourmentant l'éventail du pierrier
Et dans l'âme les plaintes des guerriers blessés :
L antique amour mourant sur une beauté nue.
Que ton chagrin de toutes âmes, disait-elle,
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Perdues, que ton tremblement d univers
En
ruine, ici désarment mieux pour ton salut,
Comme à
l herbe et
au
bois vieillard et toujours belle
Le corps de ton Hélène ombreux de fausseté. ))
e
tremblais,
je
mourais de chagrin, j allais vers
Le jour bleuâtre plus que dans le temps orné
e la peinture sur fond or.
Et
le vent erre
Et
les monts font
le
bruit muet de
mon
tonnerre.
{
Si/s-
Maria
} pouvantail
EL ADEFESIO)
a
ble de
l Am
o
ur
et d
es
Vieilles
AC
TE
I - SCÈNE U
par
RAFAEL
ALBERTI
T
ra
duçfion de
l espag
nol par
Yvette Billod
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GORGO, UVA, AULAGA
trois vieilles filles.
ALTEA, leur nièce.
ANIMAS, la servante.
ACTE 1
ALTEA
(s'agenouillan
t devant Gor
go).
- Pardon, tante, si par ma jeunesse je t'a
quelque souffrance, en manquant
à
l'obéissance, à l'amour, au respect que j'ai to
eus pour toi.
GORGO (aveç
do11mn ).
- Lève-toi,
ma
fille. A l reine de la beauté une viei
rien
à
pardonner.
ALTEA. - Merci, tante.
GORGO
(aprè
s
avoir
fait signe
A11im
as de s tn a
lle
r .
- Tu
es be
ll
e
Altea.
regardée au miroir? T'es-tu regardée en déesse des champs?
AL1EA (im11e et diconterJie). - Tan te
GORGO. - Allons, regarde-toi,
ma
fille. Nous autres vieilles, nous voulon
avec toi
de
ta jeunesse. Cette glace sera
fière
de te recevoir.
AL1EA
(indiâse, çonfuse).
Je ne veux que
te
faire plais
ir
..
GORGO. - Uva, Aulaga, .. Calm.e-toi, Altea .. emmenez-la jusqu
a
u miroi
qu'elle se réjouisse.
UV
A
(la p rma11t par la main).
- Petite
AULAGA. - Quelle femme déjà
UV
A.
- ... Elle qui était si menue ..
ALTEA. - Je sais bien que vous m'aimez .. presque autant que tante Gorgo
UVA. - Tu es bien faite, ma
fille.
AULAGA. - Ronde et fralche
c o e
une cruche d'or.
Altea
solirit tlowemmt.
GORGO. - Ne te fais pas humble,
ma
nièce, surtout avec cet air
d
arbre ro
II
I
vigoureu.'l:. Sois joyeuse et fière, comme je le suis de toi. Ris donc. (Se levant et allant à
e/14:) Non, tu n'es pas triste. Jouis de
ta
beauté, glorifie-toi de la fleur de tes ans. ( Allea
r
if doucement.)
Plus fort, plus fort Tu n'offenses personne te réjouir de ta beauté.
Regarde-toi bien au miroir. Tu vois? Qu'y a-t-il de plus soumis, de plus obéissant, de
ALTEA. Je n'ai jamais voulu te fiùre de mal, tante Gorgo.
GORGO.- Mefaire
du
malt Et pourquoi penses-tu ça, ma fille? J'a
Assieds-toi. (Altea s assied.
Elle
la
çontemple un
instant
.)
Dommage que
ttônel Ce que tu mérites réellement. Mais je vais m'asseoir, moi aussi. M
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plus fidèle? Il ne t'ajoute rien, et ne te retire rien non plus. Il ne te rend que ce qui est à
toi. (Ltii levant lu bras:) Regarde
ces
bras, ma fille. Crois-tu que la glace mente? Regarde
quels yeu. l: .. quelles joues .. quelle bouche .. quelle grappe de cheveux. Elle
les
dénoue).
Touchez-les, Aulaga, Uva.
AULAGA
soupirant).-
Oh
UVA
nostalgique).-
Quelle douceur Quel brillant
GORGO. - Tu peux te vanter de tes épaules ..
Et
quelle gorge, petite As-tu vu un
cou comme le tien dans nos villages de la montagne? Non , non, ne me baisse pas les yeux ..
Je te le répète, ne sois pas modeste. Est-ce que je t'ai élevée ainsi? Toi seule est a maîtresse
de ce qu'il
y
a là-dedans.
ALTEA. - Je n'ai jamais pris le temps de me regarder, tante.
GORGO. - Petite menteuse. Tu veux me tromper maintenant? Allons
ALTEA. - Je suis contente de te plaire.
GORGO. - Me plaire .. Me plaire .. A qui donc sinon à moi, ma jolie? Si
tu
avais
quelqu'un d'autre que moi... Mais il a fermé les yeux,
l
nous a quittés un jour, quand
la fleur pointait à peine sur la branche. Tu t'es ouverte maintenant, ma fille. Et je suis
là
pour
te donner mes soins. Je suis un peu comme ta jardinière. Je suis la s u l ~ qui tu
dois plaire.
ALTEA. - Oui, oui, tante.
GORGO. - Mais touche, Aulaga, quelle taillet
UVA. - Et quel dos Ma
main
s'engourdit ..
GORGO. Eh bien,
et
ce buste, mes amies? J'ai lu une fois que les magnolias ..
Mais pas ici ... Des citrons de lunel... Quel parfum C'est tout un jardin
ALTEA
ta11dis
qu Uva la flaire) . -
C'est la lavande fraiche que met Animas dans
mon linge.
GORGO. - La lavande d'Animas C'est l'arôme de ton sang, de ta chair en fleur.
Et si cette glace pouvait voir ..
l
Iais
ça
, ma nièce, ce sont des secrets réservés
à
des
miroirs plus intimes.
ALTEA. - Tante, je t'en prie, devant Aulaga etUva ..
UV
A.
- Garde pour toi ta petitevanité. Nous aussi nous avons eu notre mois de Mai.
GORGO. - Regarde, la voilà comme un coquelicot.
ALTEA
. - Je mourrai, si je n.obtiens pas ton pardon.
GORGO. - Allons, sois contente, Al.tea. Puisque je ne suis pas fâchée. Ce qui
arrive .. bien sÛI... être ton père sans l'être .. t'élever .. te soigner .. Tâcher que tu fa sses
seulement ce qui l'aurait rendu heureux, lui,
et
fier ..
1 I
Au/aga
etUva
s assoient avtç elle.) Bien sûr que si les jalousies ne don
rue, tu n'aurais pas pensé, ma nièce, à ce que
tu
viens de me dire. Me fair
pt111se). Qu'est-ce
qu'on
voit, petite,
de
la tea:asse?
Tu
l 'as bien
vu?
Rép
ALTEA
(surprise). L a campagne, tante .. le calvaire.
GORGO. Et quoi encore?
AL
TEA. - Le ciel, tante.
GORGO. Et qu'est-ce qu'on voit
de
la galerie du jardin?
ALTEA. - Les arbres .. les fleurs .. les murs ..
GORGO. - Rien de plus?
ALTEA. - Les oiseaux, le ciel ..
GORGO. - Et derrière les jalousies du salon bas,
Al.tea?
ALTEA. - La rue ..
GORGO. - La rue, rien de plus? (
Alte
agarde
le
si/en e.
Gorgo
se live
C'est peu de chose, ma nièce. Tu es bien sûre? Rien de plus que la ru.e?
ALTEA. - La place ..
et
la fontaine ..
GORGO. - Rien de plus?
ALTEA . - L'église ..
GOR
GO. - Rien que ça? Parce que la rue, c'est fait pour qu'on y
les gens montent et descendent par
là. Ce
n'est pas vrai, ma nièce?
ALTEA. - Tante, je t ai toujours aimée, mais moi .. Quelle peine t
GORGO. - Et les jalousies, pour voir sahs être vue ce qui passe
la rue.
ALTEA. - Tante, tante, je t'en supplie ..
GORGO. - Et pour parler aussi avec celui qui passe et repasse da
AL
TEA
( o
tn
1 à genoux).
-
Pardon, pardon 1
GORGO. - Me faire
du
malt Et celui qui passe
et
repasse dans
rôde la nuit, n'est-ce pas, Al.tea, qu'il doit être grand,
mince,
brun,
et
se
jettent des flammes? ..
ALTEA. - Tu ne m'as jamais fait pleurer, tante.
GORGO. - Mais je ne veux pas que
tu
pleures. Je ne suis pas une ha
féroce à l'affût de ta gorge. Ne crains rien, ma fille. La relevant:) Calme
UVA. - Devant nous, tu peux parler tranquille, en toute confiance
GORGO. - Tu l'entends? Aulaga, où es-tu partie?
AULAGA (qui
étaitdistraile).-
Oui oui, nous sommes comme Go
sans crainte.
113
GORGO.
-Ainsi, il
est bron .. olivàae ..
Et
les
yeux
.. De quelle couleur avons-nous
dit qu'étaient
ses
yeux?
(Alita
se
lait. Gorgo,
œu
111 amnt piNS
dHr:) Noirs .. Mais comme
AULAGA. - Il est répugnant, petite Avec un pareil métier
GORGO
. -
Eh
bien oui, oui, de celui-là 1
7/21/2019 La Licorne
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des charbons ardents .. Non?
(Alita
fait
oMi dt
la Ille). Et il est svelte, comme un jonc,
un homme de cheval .. Bon cavalier natu.relle.ment. Le plus gaillard de par ici (elle la
J t f o ~ P,ar
les
i p t J / J i t ~
Jandis
IJH'
l t a
G O ~ I I I I / 1 1 1 1 1 pantin, sem11 denoii1Jt JJJ la litt ajftmJativtnJtnt).
Et il s appelle? C est ce que
Je
ne saJs
pas,
ce que
tu
ne m'as pas encore dit,
ma
nièce.
UV A. - Mais elle va le dire, j'en suis sG.re .
AULAGA. - Ta tante Gorgo doit le savoir. C'est pour ton bien, ma fille. Pourquoi
la martyriser?
UV A. Et quelle raison pour le cacher? Moi je t'aide, petite étoile. Aulaga aussi.
Tu v
as
votr comme à nous deux, nous l'amenons à t
es
lèvres. C'est peut-être Lino, le
fils de Doila Margara, du • Champ d
es
Citronniers a?
GORGO
. - C'est lui?
Ali ta,
l
cMjc
iiTJ
••« lo l i f t , t l it
• ibûlfmll :
lfiJII.
AULAGA. - C'est Uonce, le plus jeune d
es
Olmedo?
GORGO. - C'est lui?
UVA. - Bias, le plus beau garçon du • Grand Pin a?
GORGO. - C'est lui ?
Al i ta tlil11011
tif 1iÛIItt.
AULAGA. - Femwd, des Rossignols? Bomos, de la Belle Vigne?
GORGO (nten11fant de
son
b4Jon). - C'est lui, c'est lui, c'est
lu
i?
ALTEA
Tante, tante, je t'en priel
UVA. - Mais
ce
sont les plus riches, ma fille, ce qu'il y a de rniew: à vingt lieues
à
la ronde.
GORG:O (
dlboNtonnant
.la}at]Nlte d Alita d Nm
JtfONJSt).
-C est quelque pouilleux,
q ~ e l q u e teigneux quarner d
es
va-nu-pieds? Allons, petite, réponds,oumon bâton
te
dira ce que tu méctes depuis un bon moment.
UVA Elle doit avoi r honte, Gorgo; qui sait
si
ce n'est pas le barbier du coin.
AULAGA (riant .-... ou Frasco
,l
e tondeur, qui n'a plus de sourcils?
, GORGO. - Le tondeur?
e s ~ r
trop beau pour elle, pour ce lézard mort Trop
d honneur pour elle Savez-vous
de
qut elle est amoureuse? Je vais vous le dire en secret.
T w 1 1 ~ Ûl t rnJ ''o.uiu, lt v11tm
1
rt if"'
ltJtT
t eor ;. t1 l<lolml tû drt
11
Nwhtl•l
/rs
ururu t i' lllllf#'"' IJDm. '
UVA. - Ouf Est-ce possible, Gorgotine?
114
UVA. - Je ne serai pas marraine de ta noce Pouah
AULAGA. - M o i , je ne lui donnerais pas un baiser sans me boucher l
es
na
LES TROIS. - Ah , Ah, Ah, Ah 1
YMi f l t troiJ
1111
brl
1
n ~ • • • lnJÜ ••JI{WIJÎtul lr tJ.
tllll
r i t•l ,
l f l fJ9"l l f l l l ,
bkua f l t t , t
tl VÎitiiJIIIIUIDNT
tf'
Al i ta lf"Î
pkllrt
/Dili
;01,
la l i f t
nl l l l t r l t tit
ltl
MtiiX.
GORGO. -
Je
te le répète, ne pleure pas, bahi. Découvre-toi la figure,
ou
ve
balayer le plancher avec
ta
tignasse.
UVA. - On dirait un crapaud de mer.
AULAGA. - La reine de la vidange
GORGO. -
La
reine? du
fu
mier de la poubelle finies les déesses de la b
Plus de parures, plus de pendentifs, plus de jolies c o u l e ~ (elle
ltti amuhe
IIJ ~ t
p
ar
à <o
11
p
1
. Qu'est-ce que
tu
t'étais imaginé? La retnel
Tu
vas porter ~ m t e
la robe que ru mérites. Apporte-la, Uva. Dans le.pb:card de ma ~ a m b r e . I : a relDe
des pages secrets qui tou.ment autour d'elle,. à m m ~ t l AYoue qw c'est ou
1e te
me
et te
fais sauter
le
smg
avec mes ongles. Dt
s-le
, clis-le. .
ALTEA. - Je ne
peux
pas, tante, je ne peux pas. Tue-mot . . Suce mes ve
Traîne-moi par les cheveux... .
GORGO. - Non 1
Je
t'enterrerai vivante entre quatre murs, et ru ne sorura
jamais, même pour la messe de l aube. .
ALTEA. - Enfouis-moi dans la terre .. vivante . . les yeux ouverts .. Mats ne
demande pas . . Je ne peux pas .. C'est impossible .. Ma gorge se noue....
GORGO. - Tu ne peux pas? Tu
n
as pas Je courage? Tu vas vo1r Tu vas v
c'est vrai, ma nièce
r•
tJI
r t J . I ~ N I
tzpporla/11
11111
rtN
IHÎrt
IÛ
PÎti
lu
j tMtl l t ,
lllllf W
ln l / t ,
r i t ~ J n t û
GORGO. - Aulaga, aide UV:l. Accrochez-lui,
à
vous deux, ces n o u v ~ u x h
de déesse. Enfermez-moi-la bien
là-dedans.
(Se
dirigeant
pour rortir ven
la
dr fJttt :)
sonnez-la bien. Dieu Dieu du ciel
(Pendant
fJ ' lu
dmx viti/ln babil/tnt Alita
en
da111 la toNiiue, awt de ç o ~ ~ r t n paHus
on
entend
e-ritr Gorgo :) Ou i Oui me voilà
t' obéis .. Tout de suite .. Oui 1Je suis prête1
LA f i g ~ ~ r t <Dwtr t t
t l ~ m t ll•ff•
IIOÎrt lf"Î 111
1or11bt} ',qrt'à
la lo il lt
IDNJ
D
If' l t liJtt
Jo <ann
. ; t l lcNNU
Ûlf
l
l l m l t l ln t l t t l lt l f f
61/IDIIT
tl Alita
.
Ame qui veilles là-haut
Ta main soutienne mon fardeau.
ll
Ame qui souffres là-haut
Ne me laisse poin t en repos.
Ame qui brilles là-haut
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Ton rayon soit le plus beau.
S 'arrêtant en fa<e tl Alita, le MJ 11 publit, elle Jou/he at·tt prétalltion le voile qui la touvr•.
ALTEA
(avec
1111 ri
d
'ho
rreur,
elle
tontbe
à genoux, cont
nJe
ha/Juciné
e
). - Castor . c'est
Castor ..
GOR O (
olfiours voil
ée, die
m/ève
sa barbe qu'e
lle conl
t nple rm instant, avant
de
la j eter
sur
la
table. D
écouvert
e
alor
s, le
vant les
y
mx atl ciel,
avec
an
goisse et
comme
pour
elk-f Jêm
e).
-
Non Vois l'abîme où u nous plonges, frère.
Uva rit t l o ~ ~ n u n f tl
i rMi
quemmf .
AULAGA (angoiss
ée, voixd extase). -
Castor .. mon neveu .
l
ne m'a jamais rien dit .
OR O
(avec
un air
dur
,
mais abat
tu,
relève Ai tea
et lui ·
couvre le visage de son voile.
Puis
elle rie :)
-
Animas Animas Animas
ANIMAS (a"ivant).
-
Madame ..
GORGO. - Ote-moi cet épouvantail de devant les yeux.
ANIMAS. - Hélas ma pauvre hirondelle, ma petite étoile
OR O
(lui
mo11frant
la
porte
de
sa canne). - Silence
Animar
t l
Altta
s
en
v t
OR O
(après
une pause
) .
- Ainsi, c'était Castor, le petit neveu de tes rêves,
Aulaga ...
(pour
elle
-
même) mon cœur me l'avait dit.
AULAGA (se mettant à plermr).
-
Gorgo .. Gorgo .. Gorgo ..
GORGO
(co
mme illunJinée
, s'adressant
au
ei
el
).
- Lumière .. Ta lumière seule, mon
frère ..
Uva
r
t
de
n
oiiJ ta
u
aux
étiaU
fanais
que
le
ritl
1a
1ombe.
p
ar
R M FORST R
Tradu
ctio
n de / anglais par
Charles Mauron
7/21/2019 La Licorne
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1
LES NEUF GEMMES D UJJAIN
ll A le vieux palais, dit-il et son doigt pointa vers un palais neuf.
- Mais non, je veux voir les ruines dont parlait
l
chef de gar
palais que
l
Roi Vikramaditya a bâti et où
l
mit pour
orn
ements Kalid
ses huit compagnons. Où est-il? Où sont-ils?
l répéta : Vieux palais », sur un
ton
plus dubitatif et arrêta le cheval.
loin à gauche, derrière un petit bois, une masse blanche t fantastique se pro
contre l horizon poussiéreux. Panout ailleurs l Inde régnait.
- Vous m avez fait prendre la mauvaise route, prononçai-je et comm
n arrivait, j ajoutai: Très bien, continuez par là». Le cheval quitta donc la
et d un pas h
és
itant s engagea au travers des terres.
Ujjain, fameuse dans la légende
ct
l histoire, est aussi sacrée que Bé
n
l aurait dû avoir, évidemment, des escaliers des temples et le fleuve
Sipra. Où étaient-ils?
No
us n avions vu, depuis la gare, que des champs cul
des oiseaux, des hommes, des chevaux, frères de misère du nôtre. La piste
flot tait vaguement, se brouillait, offrait des alternatives diverses; rien du sé
vers
le
but
qu offrent les pistes d Angleterre. Les champs cultivés sans
d ordonnance, jetés deçà delà jonchaient l énorme terre, séparés par des t
brunes. l n y avait une place pour rien, rien n était à sa place. Ni en son t
d a
illeur
s.
La petite monnaie du nord sonnant faux, il n était plus de va
certaines que le d ôme du ciel et le disque solaire.
Au point
où
la piste élimée disparaissait dans le chaos le cheval .fit
119
mais le conducteur répéta : << Vieux, très vieux •> en désignant le palais neuf.
Nous abandonnâmes le cheval à son rêve.
<<
Retournez près de lui •> ordonnai-je,
mais je vis, en jetant un regard en arrière, que l homme aussi rêvait, assis sur les
talons,
à
l'ombre des ricins. Je répétai mon ordre
et
cette fois l'homme s'éloigna,
Caressant leurs corps avec amour, ils murmuraient que la sainteté p
pagner de grâce, que la vie n'est pas toute illusion et qu'il n'existe p
interminable. L'eau chantonnait des certitudes plus proches que
ayant chantonné s'y évanouissait.
En
la considérant, je vis que la
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mais pas dans
la
direction du cheva
l.
« Attention, nous allons tous nous perdre
»
criai-je. Mais la désintégration était à l'œuvre : mon expédition s'élimait comme
la piste, comme
le
s champs.
Sans char, sans suite, j'atteignis les arbres
pour
découvrir, comme partout,
à leurs pieds, quelques hommes. Le charme de
la
solitude manque à cette plaine.
Désolée à première vue, elle cache quelques hommes dans tous les coins en
nombre incalculable. Les hauts épis et les herbes s'agitent, une ondulation au
loin saisit le sentier, hachuré de corps bruns, piqué de safran ou de pourpre.
Les villages, le soir, détachés
d un
fond vide, se hèlent
à
travers l'espace avec
des tambours et des feux. Ce boqueteau devait être un village,
en
effet, puisque
à côté des quelques hommes se dressait un enclos autour d'une sorte de
rue
et
de dieux multipliés. Sur quelques mètres, une litière de huttes et de détritus
couvrait
le
sol. Puis
la
plaine reprenait, étendant aussi loin que l'œil pouvait
voir son doux désordre.
Par quelque escamotage cependant, la plaine présentait soudain une colline.
Du sommet, on voyait des ruines - les ruines. Leur apparition confondait.
Elles bordaient l'autre rive
d un fleuve rapide, qui, dans sa gorge profondément
creusée, roulai t avec une violence incroyable dans ce paysage assoupi.
On
voyait
là des chutes, des gués babillards, des eaux basses, enfin à droite une faille
profonde
où
le courant, unissant tous ses nœuds, forçait des mâchoires de pierre.
Aucun don
du
fleuve à
la
plaine; nulle prairie, nulle frange d'herbe à ses bords.
Comme le Gange de la légende, il jaillissait
du
ciel et, traversant la terre en
hâte, courait sous l'océan purifier l'enfer.
Dressé sur cette rive, le palais moderne prenait,
vu
d'ici, de vagues airs de
château sur la Loire. Les ruines touchaient le fleuve - un donjon de pierre
grise avec une écluse et des marches. Des blocs avaient roulé, quelques-uns
sculptés; ayant franchi le gué, j'en
fis
l'ascension. Au-delà, de nouvelles ruines
surgirent et
un
second fleuve.
Celui-là avait été
ci
vilis
é. Né du
premier, il retournait à lui par des chicanes
et des barrages murmurants. Sur ce cours si bref,
on
avait bâti un château
aquatique. Ses eaux coulaient dans des réservoirs sculptés, reflétant pavillons
et chaussées détruits, d'où quelques hommes descendaient
pour
se baigner.
12
faisait partie
du
palais en ruine
et
que les hommes l'avaient sculp
avaient sculpté les blocs.
De retour, je manquai le gué, il fallut patauger dans le coura
profondes
pour
des alligators, les basses eaux parlaient de sangsu
se passa bien; dans la plaine, là-bas, une tonga errait sans but. C'ét
ct son conducteur n'éprouva aucune surprise à nous retrouve
nouve
au
sain et sauf sur la grand-route, je m'aperçus que pas
n'avais songé au passé. Vraiment, était-ce là le palais
de
Vikramad
et
ses
huit
compagnons avaient-ils jamais prié dans ces eaux
Kalidas décrit Ujjain. Dans son poème e Nuage messager aussi m
aussi charmant que ma propre expédition - il loue la cité bien-aimé
un demi-dieu, leque
l
éloigné de sa belle, se sert d'une nuée pour lu
un message. Un nuage anglais irait droit, celui-ci est hindou. Ai
décrit les lieux où il pourrait passer s'il s'écartait suffisamment de
de ces lieux, le plus aberrant est Ujjain. Le nuage, s'il vagabondai
entrerait dans la ville avec Sipra, le fleuve sacré, il pourrait enten
paysans chanter dans ses rues des chants de liesse. Les jeunes filles b
mains, les paons des ailes : lui cependant pourrait, averse, mouille
odorants ou, rayon
du
soleil couchant, se suspendre au bras
de
Sh
quand les femmes se glissent vers leurs amants « dans une ombre
où
qu'une aiguille
»,
le nuage, de ses éclairs silencieux, pourrait leu
chemin et, las de leur bonheur comme
du
sien, dormir enfin parmi d
de colombes et jusqu'à l'aube. Ainsi parlait Kalidas
de
sa ville; le
(n'y avait-il pas un lexicographe parmi eux ?)
s y
sont peut-être div
Les bosquets voisins évoquaient sans doute
pour
le poète ce bois
Saktmtala
où
les nymphes cachées poussaient,
au
travers des feuillag
de noces. «
D où
viennent ces parures?
>>
demande l'
une
des prome
saint ermite les a-t-il créées par un effort
de
son esprit?
»
Conclusi
mais fausse.
« e
n'est pas
tout
à fait
exac:t
répond une autre. Les
pour
les porter, n ont eu besoin d'aucun secours. Pendant que no
des fleurs, des mains de fées se sont tendues •> Une troisième cri
sommes que de pauvres filles. Qui nous dira comment disposer
U I
Pourtant, nous avons vu des images. Nous pouvons les imiter. Elles ornent
la fiancée ..
Mais le passé ne luit que dans les livres et Kalidas s'était évanoui sitôt que
loin, étaient face au public, la maison derrière; ce qu'il
y
avait de moins
naliste dans la famille y était demeuré à l'abri de la purdah et assista au m
au travers des persiennes. Tel était le décor.
7/21/2019 La Licorne
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j'avais senti l'eau de Sipra gagner mes chevilles. Oubliant les atours
de
Sakun
tala, je n'avais plus pensé qu'aux miens: étendus maintenant sur
le
marchepied
de la tonga, allaient-ils sécher avant que nous atteignions la gare
?
Un seul
chaos enveloppait Ujjain et tout le reste. Pourquoi faire des différences?
Je
demandai au conducteur de quelle espèce étaient
ce
s
arbr
es, il répondit : « Des
arbres »; et quel nom portait cet oiseau : « Oiseau »; et l'interminable plaine
murmurait : « Les palais sont des palais; les ruines des ruines.
2.
INDE, EN MARCHE
La famille rationaliste (mahométane) habitait un peu plus bas que mes amis
(anglais). Nous pouvions, à travers les cèdres,
voir
les murs rouges et le toit
en tôle ondulée de leur maison, dont la masse se profilait sur un demi-lointain,
sans toutefois troubler la ligne des neiges. La maison était grande, mais je ne
crois pas que
ses
habitants aient occupé dans leur communauté une place
éminente : ils ne connurent soudain la gloire qu 'à l 'occasion de ce mariage, le
premier de son genre dans la province. Nous ne les connai
ss
ions
pas;
invités
cependant avec toute
la
société
du
lieu, nous
dé
valâmes, quand le soleil tomba,
pour
nous mêler
à
la foule dans leur jardin.
Un mariage public D allait être vraiment célébré ici. Sur
un
e estrade, au
centre de la pelouse, se dressaient
un
sopha, un fauteuil et une table aux franges
déchirées; autour de l'estrade environ deux cents invités faisaient cercle. Les
riches étaient assis sur des chaises, les pauvres sur un tapis le long du mur.
Di.fférents par la race et par la religion - Mahométans, Hindous, Sikhs,
Eurasiens, Anglais - ils appartenaientà des couches sociales diverses,
bi
en que
la plupartfussent des fonctionnaires subalternes, et ils avaient accepté l'invitation
pour des motifs mêlés : amitié, curiosité
ou
haine (la cérémonie faillit mal finir,
mais nous ne le sûmes que le lendemain). Les neiges, soixante-dix milles plus
IZZ.
Après une longue attente, les personnages apparurent. Le Mulvi
fauteuil-
belle allure, âge mûr, robe de velours noir et d'or. li fut rejoi
le marié, apparemment maître de soi, et la mariée sans son voile. lis s'a
côte
à
côte sur le sopha, cependant que les hôtes murmuraient : « Voilà
absolument contraire à la Loi islamique» et
qu un
enfant disposait des vas
bouquets congestionnés. Puis arriva le frère du marié pour une longue c
sation avec le Mulvi. Dans une excitation croissante, ils gesticulaient, se
paient la poitrine, échangeant avec véhémence des murmures et des so
Une d.iJiiculté avait surgi, mais laquelle? Personne ne pouvait le dir
e.
Un
fut enfin conclu puisque le frère, se retournant vers l'auditoire, annon
anglais que la cérémonie allait commencer par des versets du Coran. On l
" Le numéro suivant, dit le frère, sera un poème sur la Conscience. Un
éminent va déclamer ses vers sur la Conscience en urdu, mais son text
traduit. » Le poète et son interprète prirent donc place sur l'estrade
pou
récitation alternée mais non poi nt parfaitement claire : car le poète, qui co
nait l'anglais, voulut corriger l'interprète et tenta même de lui arrach
papier. D'arides vérités s'élevèrent dans l'air du soir, rendues un pe
déprimantes par les haillons orientaux dont
on
les avait revêtues. La Cons
était ceci, était cela : quelle que fût l'image, on ne lui échapperait pas. « Le
sur le monde répand les flots de sa lumière. Bénis soient
le
soleil, la lune
étoiles, sans qui les astres de nos yeux ne sauraient voir. Mais l e
autre lumière, celle de la Conscience... La conscience alors deven
jardin
où
chantaient éternellement les rossignols de l
é
loquence,
où
éternellement la rosée de la rhétorique et
où
ceux qui n'écoutaient pas é
«
roulés sur des épines ». Quand la conscience eut bien pris son vol,
on
d
le couple mari et femme. Des invités chuchotèrent : Le Mulvi saute t
telle exhortation; c'est un scandale Mais déjà
le
Mu vi, s'adressant à
tance et particulièrement au public du tapis, déclarait les formes du m
moins importantes que la conduite après le mariage. Ce fut son thème esse
tandis qu ille développait, on nous
se
rvit des rafraîchi
sse
ments et
la
céré
atteignit plus ou moins son terme.
Spectacle déprimant, désolant presque - tout le problème de l'aven
Indes s'en trouvait posé. Comment pouvait
hoir
un tel méli-mélo? Le
n'avait pas achevé
qu un
gramophone commença et le gramoph?ne ne s é t ~ t
pas ru
qu un
acte mémorable se produisit soudain .Comme le soleil se couchait,
les orthodoxes se retirèr
ent
pour leur prière du sotr. Groupés sur la terrasse de
derrière, une vingtaine, ils se prosternèrent vers la e q u ~ Là é t a i ~ n t u n i ~ é ,
et ces montagnes, au surplus, ne sont pas la région de Bom
mariages sont moins rares. Eniin, ayant accompli notre devoi
satisfaits Les grands mots ruisselaient de ses lèvres ; la conscien
fleurissait, chantait, fulgurait, et pourtant, de quelque façon, l'
7/21/2019 La Licorne
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la dignité,
la
grandeur d'une tradition que le
jug
ement pnvé lalSSe rntacte; ils
n'avaient pas gardé ceci et rejeté cela; ils avaient accepté l'Islam sans
é s ~ r v e
et la beauté les en récompensait. Il y eut une fois, en Angleterre, un manage
où une dame talentueuse, d'esprit avancé, mais pas trop, réécrivit
pour
sa fille
le texte de l' office. L'essai s'avéra malheureux, il fut bien pire aux Indes, où
s'offrent de plus vastes chances de désastre.
Au
beau milieu des dévotions ortho
doxes, un disque crachota et - vlan
Ça s'rait bien plus choue
e vec ma p'tite L ise/le
Par un hasard diabolique, prière et chanson finirent ensemble. Les
ortho
doxes revinrent vers nous sans raideur gênée, mais les neiges et le soleil
étaient à eux plutôt qu'à nous; ils avaient obéi ; nous avions pénétré dans ce
chaos désagréable, ni obéissance ni liberté, qui paraît être, hélas, l'avenir immé
diat des Indes. Peu amène, la discussion s'engagea entre les hôtes : la famille
rationaliste était-elle allée trop loin? Ne pouvait-elle aller plus loin encore? La
mariée, en tout cas, aurait pu garder le voile; elle aurait pu, en tout cas, s'habiller
à l'européenne. Des bébés eurasiens avec de petits cris, voletaient dans le cré
puscule ainsi que des chauves-souris, les coupes tintaient, on ~ e m i t en marche
le gramophone - un disque indien cette fois - et aux premtères notes d'un
ballet nous partîmes.
Le lendemain matin, un ami (sikh) nous apprit, au petit déjeuner, qu 'un
certain nombre d' hôtes avaient voulu protester contre de telles innovations, le
Mulvi avait insisté pour
se
justifier, voilà pourquoi il avait discuté sur l'estrade
et parlé après la cérémonie. Un grand trouble régnait maintenant chez les Maho
métans du lieu,
dont
beaucoup prétendaient qu il n'y avait pas eu mariage. A
notre ami succéda le frère du marié, qui nous remercia d
êtr
e venus, nia l exis
tence du moindre trouble dans la communauté et
nou
s montra les versets du
mariage. Quelques messieurs vieux-jeu, dit-il, n ont pas saisi ~ m m é d i a t e m e ~ t
- l'idée était nouvelle. Nous avons donc expliqué
la
chose et ils ont compns
to
ut
de suite. La jeune dame
es
t avancée, très avancée .. >> Elle allait même plus
loin que son mari, apparut-il : le frère se félicita qu on eût évité un
s c ~ n d a l e
«
C'était difficile, s'écria-t-il.
No
us autres musulmans retardons s
ur
les Hindous
en dignité. Sortir de l'ornière, en
tout
cas, n'avait pas été chos
deux familles bourgeoises et ce sont des actions comme la leu
pensées d'un philosophe ou l'exemple des princes, qui font
nation. L'Inde venait de s ébranler, tel était bien le sentiment
les paroles de ce petit employé plutôt servile.
Pour
le bien
o
quittait les neiges immuables, descendait dans une vallée do
demeurait encore invisible.
«
Je vous prie, écrivez sur tout cela, dit-il en nous qu
prie, donnez-en
un
compte-rendu dans les journaux angla
grand pas en avant contre la superstition, et nous avons b
le sachent. »
3·
JODHPUR
Une erreur, à coup sûr Il est manifestement impossible
vienne, en battant de sa queue de pierre, s'accroupir parmi les m
flancs élevés à une hauteur incroyable, se transmuent en maçon
parapets, écailleux de canons ;
et
qu
e plus haut encore
un
palais
ronnant le dragon et, comme lui, couleur de perle. Ceci était à l'a
écharpe de brouillard isolait le mont de la terre inférieure. Pl
jour, l'ombre et le soleil s'opposèrent. Au crépuscule, la visio
teinte unique - olive sombre - la base plongeant dans la nuit
du dragon posée au milieu des étoiles.
Cette vision, la communauté anglaise, postée à trois milles
plaine, ne l'avait jamais quittée du regard. Rien de cette indiffér
jugée ailleurs de si bon ton. On aimait la ville ainsi que son peu
siasme d un hôte de passage, loin d'ennuyer, semblait accueil
Hommes et femmes partageaient leur club avec les Indiens; ainsi, sous son roit
gncieux, le • problème des races • se trouvait rtsolu, non point par des réfor
mateurs qui accentuent
cc:
qu ils dénoncent, mais par le génie de la ville, don
Des transepts en nids d abeille lui répondirent, puis, resserrée mais magnif
la cour du palais apparut.
Nous fûmes accueillis par
le
gardien de la cassette :
les
joyaux étaient, co
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nant
à
chacun une tâche
à
faire et de quoi penser. A l autre bout de
la
ptninsule,
on
m avait parlé de
cc:
loyalisme-
fort rare, de l aveu commun. Nul cependant
ne m avait décrit la gta.ndeur qui l inspire
l e
vent qui souffle du désert, le sable
et la pourpre des roches, les collines aux pieds creusés de carrières et
de
réser
voirs
et,
sur la plus haute d entre elles, le palais-forteresse, tternel émerveille
ment, couronne de dragon.
«
J aime ces Radjpoutes, s écriait un fonctionnaire
a n g l ~ s
ont
leurs défauts et l on prend ses mesures en conséquence:, mais je
les
a1me
Je les respecte et ne cesserai jamais de le faire. •
On
eûr dit que chaque
race avait fait des concessions. La nôtre semblait plus sensible, celle des Indiens
pl
us
solide. Un terra
in
commun d amitit avait été découvert •
mais
si nous étions
tous ailleurs, poursuivait mon fonctionnaire, le résultat,
je
crois, ne sera
it
pas
le même
».
Le matin suivant,
je
gagnai le fon. Mon compagnon était un jardinier
paysagiste de Bombay, nommé par le chef dc l Etat pour aménager en parc
quelques-unes des terres basses. Secouant la tête, il remarqua : • Un endroit
pareil n a pas besoin d un parc. • Nous dûmes faire un grand détour, un seul
sentier reliant la montagne 2 la ville La citadelle débouchait sur une région
sauvage, où, pour
des
milles,
un
rempart suivait
la
crête des collines. Au-dessus
s étageaient, plus petits, de nombreux
fons
- l un d entre eux débordait son
pitdestal - avec,
2
mi-côte, un petit lac vert
et
le tombeau en marbre d un
prince. La forteresse sc confondait avec le mont -
la
distinction entre nature
et an,
toujours faible dans l
Ind
e, étant ici devenue ntgligeable. La première
entrée-
il
y avait cinq ou six lignes de
défense-
s ouvrait entre deux falaises
de maçonnerie, au flanc desquelles avaient été creustes
des
grottes pour les
gardes. Chaque tournant de
la
rampe était commandé par une ouverture avec
d innombrables embuscades. A Daulatabad, dans le Deccan, les défenses durent
être encore plus fortes, puisque l ennemi devait nécessairement y passer par un
tunnel creusé dans la roche vive et fermé à son extrémité supérieure par le rideau
de feu d
u
n bûcher. Mais Daulatabad n a pas, comme cette ville, une couronne
légend
e.
Soudain le grain du rocher s affina
et
nous passâmes au pied d à
pi
cs
dont le bord supérieur avait été sculpté.
«
Il faut
bi
en de quelque façon que
cette rampe s insinue dans le palais, dit mon compagnon. Je suis resté des années
sans savoir qu i l exisrait pareille chose aux Indes, même
au
monde. • Et ensuite?
u6
presque toujours, bêtes
et
laids.
Une
dame ne porte
pas
les bijoux d au
on avait donc retaillé
et
resserti les pierres au goût de Regent Street.
Un
c
d émeraudes - butin volé aux
Musulmarls-
avait échappé
à
la casuation. A
le Trésor, nous visitâmes d autres salles pour admirer enfin les plafonds p
ct
les glaces du grand salon de Durbar. Mais ce n était
pas
le plus beau.
Virlrent des murs de plus en plus compliqués (pas
le
moindre parfum
qu ils cachaient, l appartement des femmes) d où nous émergeâmes soudai
une plate-forme de plusieurs acres, balayée par
le
vent et rôrie de soleil. Le s
ment de l espace nous repr
it
.
D un
côté, très au-dessous de nous, des vauto
de l autre, plus lointain encore, le royaume des homm
es.
Nous pouvions p
trer leurs secrets avec une arrogance
princière-
un cortège nuptial, une fa
endormie, des troupes
de
police à l entraînement dans un cimetière clos
chameaux, deux femmes
se
querellant au sommet d une maison. Le plan
temples trait devenu clair : nous pouvions en saisir les dimensions, les s
tries, la position par rapport aux réservoirs. Notre regard, fatigué de dé
pouvait courir sur la brousse gris-vert, ou, sautant par-dessus la civilisa
se reposer sur le grand cercle du désert et sur les forts qu avait détru
nôtre. Sur la plate-forme, une garnison radjpoute, désœuvrée, jeune, p
d insolence, jouait au milieu des canons.
Ces
derniers, chargés d ans, holla
ou hindous, avaient été coulés
2
l image de poissons, de dragons ou d alliga
Les plus sûrs d entre eux, utilisés pour des salves officielles, explosaien
temps
à
autre, rejetant dans le fort les cadavres de leurs servants. Etant d
tout ce qui restait encore de canons
t
de Radjpoutes, aucun changement n
envisagé, bien qu une réforme pût un jour surgir sous les espèces d un bo
électrique
et
d un Babou. Au-delà de la troupe, sur la pente, nous trouv
l autel d une déesse.
Bi
en qu elle porte un nom commun - Chamundi
vit là et non ailleurs, étant
fill
e du roc, sinon le roc lui-même. Derrière
Chamundi apparaissait
la
ville occidentale, que la queue du dragon, batta
beau milieu, divisait en quartiers;
les
replis de la queue cachaient des l
acs
fonds, dont les Brahmanes couvraient les eaux de fleurs ou nourrissaien
poissons.
C est ici terre d héroïsme : une touche de gloire y a rehaussé des action
eussent été brutales ailleurs. L héroïsme en Europe est devenu morn
a fait retraite dans
les
musées :
on
perçoit
ici
sa vic magique La civilisation de
Jodhpur, quoique restreinte, n'a jamais cessé de fleurir. Elle ne s'est pas étendue
au loin, elle
n a
pas excellé dans
le
s
arcs,
pourtant elle demeure aussi sûrement
vivante que la civilisation d'Agra est moree. e n'est pas comme souvenir poi
Abdullah. répondit que le fait était exact; il arrivait i peine d'
- Je crots que vous avez besoin d un secrétaire.
- Non, je n'ai pas besoin d'un secrétaire. Encore sans relat
ville, je peux suffire i mon travail. Comme vous le voyez
nou
s
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gnant qu 'elle touche le cœur du @se t de l'étranger. Quand elle mourra vraiment,
puisse sa more être totale et définitive, puisse Jodhpur ne jamais se survivre
en archéologie, ni entendre, comme Dehli, retentir les trompettes d uneofficielle
résurrection. On souhaiterait voir l é treinte du sable
se
resserrer sur la ville et
se multiplier l
é
mergence des cailloux pourpres afin que le désert, reprenant
la
vie autrefois donnée, un jour, loin du regard des hommes, ravisse la couronne
du dragon. Ce souhait peut être exaucé. L'Etat frère de Jaisalmer, pris i
la
gorge, se débat contre cette mort et « ne sera sauvé que par l'établissement d une
voie ferrée
»
Les voies ferrées peuvent créer. Sauver, non. Pour moi, j'abandon
nerais les héros aux tombes héroïques pour réserver toutes les bénédictions du
progrès aux Colonies du Canal, dans le Pendjab.
Midi. Une explosion bruyante ct peu scientifique. Tout le monde reste vivant.
Lessoldatscourenten riantvers l'ombrefraîchedu couloir ct y tombent endormi
s.
1914.
4·
LE
SUPPLIANT
C'est une histoire que lui-même (appelons-le Abdullah), dans un état d'agita
tion extrême, a commencé de nous conter en un Bot de paroles sur la terrasse
de sa maison : notre ami, donc, était assis avec son frère da
ns
la véranda à débal
ler des livres quand un vieillard
s
avan
ça
. l avait l'air d un bandit.
- Bonsoir, Messieurs, dit-il. Aurez-vous la bonté de souscrire à un billet
de chemin de fer pour que mon
@s
puisse se rendre à Calcutta?
La liste de souscription qu'il présenta était fausse. Mais lui était un suppliant,
un musulman et un vieillard.
- Je suis pauvre moi-même, dit not re ami. Pourtant si
votr
e fils veut bien
accepter deux roupies .. Et
il
donna la somme.
- Vous venez, je crois, vous installer ici comme avocat, remarqua l'homme
en s'asseyant.
u 8
simplement. '
- Vous avez besoin d un secrétaire. Je serai votre secrétaire.
- Vous êtes trop bon, mais pour l'instant je n'ai pas bes
taire.
- A quelle heure est le dîner?
. Une théorie veut qu'un suppliant s'en aille après un repas ; e
JUSte et les deux frères classèr
ent
leurs livres toute
la
soirée, avec
portier, impératif gamin de dix ans. Ils avaient agi avec courtois
heureux. Mais vers minuit,
on
entendit des roues : c'était un
gh
ari
de bagages. Un tur ban jadis blanc parut à la portière.
- Je suis votre secrétaire, dit le vieillard.
Où
est ma chambre:
laissa payer le cocher.
« ~ a ~ s q ~ e pouvais-je faire?
prot
esta Abdullah en réponse
à
n
v . a t ~ J e fatre d'autre?
On
ne peut manquer i l'hospitalité et il est
n ~ ~ il a t e ~ u ~ e b o u t ~ e s domestiques pour
lui
nettoyer sa hook
d bu1 il se plamt a leur sujet. »Il soupira, puis dit en riant: « Hélas P
Quoi encore? •
Nous
a r p e n t i ~ n s
la terrasse, parlant t antôt pour le gro nder, tantô
lamenter :tvec lut Cette terrasse était vraiment exquise. Au-dessus
poussière, elle s'élevait dans un monde
de
verdure. Manguie
Jaillissant alentour de cent petits jardins ou cours intérieurs s '
nive:'-u où
nous nous
tr
ouvions, en une ville pour oiseaux. e o l ~ l a
une mcroyable pourpre fleurissait dans le
id
orangé
à
l
ouest. Mêm
pourtant
?"o
us n'étions pas libres. Quelques pas trop à gauche, nou
notre vo1sm le commerçant, un Hirldou gras, qui aussitôt nous criai
Gentlemen Gentlemen Reculez s'il vous plaît Appartement de
Quelques pas trop à droite, par contre, nous apparaissions à d
a
utre
m ~ i n s surveillées
ou
surveiilables, et q
ui
, au plus haut de leur toit
agitant de
~ c h a r p e ~
« Une maison de deux étages est dang
un débutant »,
disa1t
elliptiquement Abdullah. Nous nous déplacio
c e ~ t r e Au fond de notre propre
cour
, cependant,
le
suppliant gro
étatt gros, par la grâce de Dieu, et l'escalier étroit.
Nous prîmes un morne congé : d'abord notre ami n'avait pas insisté pour
que nous restions jusqu'au thé.
Or
le thé, chez lui. était délicieux- on y servait
des
po
is au beurre ainsi que des mandarines, ainsi que des goyaves, coupés en
nique. l l l'écouta en silence, l
es
yeux fichés au sol. Quand nous eûmes
f
releva son regard vers le mien et dit :
- Que vous rüez de moi, c'est naturel. Vous êtes Anglais et
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tranche et poivrés, et quelquefois ses amis mariés avaient envoyé des pâtisseries.
Notre ami ne pouvait nous prier de grand cœur : le suppliant se tenait mal à
table; il ne pouvait sortir pour prendre le thé avec nous : il laisserait son frère
seul; il
ne
pouvait sortir avec son frère et nous : la maison demeurerait seule.
Un regard jeté sur le vieux nous rendit plus mornes encore. Son salam (me dit
on) impliquait mille insultes.
Et
une enquête dans le bazar nous révéla qu'il ne
valait vraiment pas cher. l n y avait rien à faire, Abdullah, malgré
sa
douce
bonne humeur, n'admettant pas la moindre intervention contraire
à l ho
spitalité.
Nous n'avions plus
qu
à
nous demander combien de temps il sacrifierait ses
amis, sa liberté et sa carrière,
t à
réfléchir sur les inconvénients d'une conduite
domestique dans le style moyenâgeux.
Le lendemain matin, le suppliant vint nous voir. ll fut mis
à
la porte avant
d
avo
ir pu parler. Quelques instants plus tard, Abdullah arrivait et sautait de
sa bicyclette, rayonnant de joie.
- Quelle chance s'écria-t-il. ll a volé une roupie, six annas, quatre pies
dans la poche de mon domestique et il est parti.
Après l'avoir félicité, nous demandâmes quelques détails.
- Ah Ah Nous revoilà heureux enfin. Maintenant je peux vous dire. Quand
le gamin
l a
surpris, je
n ai
su que faire.
On
ne peut pas être impoli.
e
me suis
contenté de dire :
«
Nous
nou
s trouvons devant une méprise, apparemment.
»
Puis j'ai
~ t t e n d u
TI a dit : c
Je
ne reste jamais dans une maison
où
l'on
n a
pas
confiance en moi. » J ai répondu : « Je regrette d'entendre une chose pareille,
je n'ai jamais
dit
que je n'avais pas confian
ce
en
vous. - Non, mais
ce
sont
vos domestiques. Suffit Suffit Je
ne
suis plus votre secrétaire. Je m'en vais.
»
Je lui
is
alors que je regrettais
sa
décision, mais qu'elle était peut-être sage. n
est donc venu droi t chez vous, ayant tiré
e
nous tout ce qu'il pouvait Oh, le
vieux gredin Le monstre De pareils hommes sont une honte
pour
l'Inde
Mais on
n y peut
rien, j'imagine.
- Et l'argent?
- Oh, il
l a
emporté, naturellement. Naturellement. Mais j'aurais pu être
dans l'obligatioç. de rembourser jusqu'à cinquante roupies. Bon, c
e
st fini.
Viendrez-vous aujourd'hui prendre le thé tous les deux?
l ét?.Ït vraiment trop niais t nous lui assénâmes un bon sermon britan-
suivez d'autres coutumes. J aurais agi moi-même différemment en A
terre. Tout cela est grotesque, admettons-le. Puis
sc
tournant
son second critique - un Indien, lui - il ajouta
voU:
plus sév
Mais vous - je suis honteux
pour
vous.
Vou
s aunez du compre
Tant
que nous possédons de
l a
rgent, une table, une m a i s o ~ , nous de
partager, si
l on
nous en pri
e,
avec les ~ ~ u v r e s et v t e ~ . N a ~ r
Vous avez le cœur froid. Vous avez oublie nos tradiuons d hosptt
Vou
s
ave><
oublié l'Orient . Je suis vraiment honteux pour vous,
honteux.
•
5
PAN
Dan
s le silence de la chaude mi-journée , je gagnai, comme bien souve
retraite d'une clairière au cœu r de collines basses et broussailleuses. Rien d'i
main dans les collines et la clairière avait reçu ce strict minimum de cu
indispensable
à
la manifestation des forces cosmiques. Quand l'univers fa
gros yeux, il lui faut aussi des orbites . La nature outragée doit flanquer son
quelque part. Ces clayonnag
es
,
pour
un tel rôle, paraissaient assez indi
simpl
es
treillis en osier peut-être, à coup s
ûr
de mauvais augure; ce trem
village, à l'horizon, pouvait être l'asile
où
chercheraient refuge pâtres et v
geurs terrifiés. Les claies avaient sept pieds de haut. Reliées par des cord
tendues de nattes, elles ceignaient d'une palissade impénétrable une aire
ou
deux acres . Du point dominant où je me trouvais, je pouvais, par-dessu
faîte voir l'entrelacs confus de cordes et de tentes, toile d'araignée
sur
piq
Un r v a t e u r vulgaire
eût
pu se croire dans le Kent. Nous sommes m
naïf
s.
Un tout autre mystère fermente ici. Le houblon d e ~ n d e à être p ~
du ve
nt
mais non pas du soleil ; il ne va pas chercher retratte dans des clam
au cœur de collines broussailleuses et s'y réfugier derrière un système com
131
de portes capitonnées de paille et battant sur
le
dos des voyageurs comme celles
des cathédrales en Occident.
Me voici
à
l' intérieur. Ah
Tout
un univers de chaleur et de fumure; sans
air, sous une tente immense cependant, dont les piliers et les cordages symé
triques sont mouchetés d'ors verts. Des avenues noyées dans une exhalaison.
« salutaire » et l'a peut-être recommandé à Dante, à son retour.
colique et les
m ~ u x
de tête de Duarte Barbosa, un contemporain d
Huygen van Lmschoten en prit aussi. Ce produit d'une terre a
plus fameuse contrée du monde, l'Inde ample et vaste », mêlé a
d un
peuple anci:n - Brahmanes, ~ a r s i ~ , Maures, Gentous, Bania
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Autour de chaque mât, un
lis
e
ron
s'enroule, aromatique et pois
se
ux : ses
feuilles en forme de cœur, tendues vers le soleil
et
plantureuses dans leurs aspi
rations crépusculaire
s,
courent le long de portées latérales pour u ne symphonie
subtile et compliquée. Et
ces
apparitions, oh sont-ce
là
des hommes? Des
hommes nus et couleur de fumier- est-ce possible? Glissant entre les liserons
sans rompre la plus délicate des vrilles, ils s'accroupissent sur le sol et de l'eau
en sort doucement, qui va imbiber les racines. Quels acolytes, servant quelle
divinité sans nom? Je demeure perplexe. Et un passage du Dr John Fryer
(r65o-1733) me vient
à
l'esprit :
Ces Plantes, alignées, composent un Bosquet dont l'Apparence, flattant
les Y eux des Peuples Fanatiques, le ferait aisément passer pou r sacré; car si l
Foi Chrétienne, partout où elle s'est portée, n'avait Hermétiqueme
nt
clos la
Bouche du Grand Imposteur, ces Végétaux pourraient encore, comme ils firent
jadis si je m'en crois, servir de vraies Officines pour la Distillation de ses Oracles
Fallacieux; en masquant la lumière du Jour, ils engendrent comme un Saisisse
ment solennel et mélancolique, qui paraît habiter en eux et qu'ils répandent
alentour; représentant ainsi le Lieu le plus propre à Séduire une Ame Dévote,
avec les Pilas tres, Piliers, Nefs et Chœurs d'une Cathédrale - et selon une Dispo
sition très-ingénieuse offrant aux Yeux, de
tout
e part, une parfaite Egalité de
Perspective ».
C'est cela; je sais maintenant; mais pour plus d'assurance encore, j'étends la
main, j'arrache une feuille et la mange. Ma langue perçoit des coups d'aiguillon
- dards d'orange irrascible
et
de poivre alliés. C'est bien cela; je suis en pré
sence de
Pan.
Pan; pan-supari; beetle, bittle, bettle, betl, bétel : quelle impression sur les
premiers voyageurs Avec quel soin, revenus d'Orient, ils le décrivent à leurs
amis Le Dr Fryer s'y efforce le plus vivement. C'est qu'avant son départ, il a
lu Sir Thomas Browne, comme le
prou
ve l'ignorance où nous demeurons des
véritables végétaux auxquels fait allusion le passage
pr
écédent -
l
peut fort
bien a
vo
ir voulu évoquer l
es
palmiers. C'est à mon convolvulus que pensait
Marco Polo. Moins grand prosateur, sans détour, il dit de son Pan qu'il est
x;z
apparut a nos peres comme un objet digne de leur curiosité
et
m
sympathie. Nous lui portons un plus pauvre intérêt.
La
gent ang
r e ~ s a n t a v ~ c ~ a n tout o m ~ e r c e c o n d a ~ e sans appel« la malpro
qu_o,nt les
t n d i g è ~ e s
de m a ; h ~ r ~ e s notx de bétel » encore que
preferent
ne
pas etre appeles mdigènes et que ce qu'ils mâchent
bétel, ni malpropre, ni même une noix. Quelques-uns de nos f
s é t ~ n t : pour
_des
fins d étiquette, qualifiés techniquement, plonge
attristes
et t e ~ t s
les plateaux où sont empilés les petits paque
A ~ e r
plus lom
s ~ r a t t
m ~ n q u e r
à la dignité britannique. Quel d
~ d a n g e
a bon gout en falt, et
sa
consommation, inoffensive
et
légèr
d_un s ~ c r e m e n t .
Les premiers voyageurs l ont aussi compris :
«
C
divertissement aux I n d ~ s :
on
l'appelle communément
« Pan
». D
que tourmente le souci de la nourriture, ce qui n'est point alim
m a n ~ e ?evient esJ?èce c o . m ~ ~ i ~ n . A proprem ent parler, le Pan
que 1bote admtrustre a ses mv1tes a la fin de leur entretien · adoucis
on l'offre donc souvent en même temps que l'externe, l'e;sence
de
en fait un noyau d'hospitalité,
et
un importan t commerce a lieu,
s o u ~ sa
petite égide. On
peut«
aller à
un
Pan » « donner
un
Pan
moms compromettant qu'une réception; au Patl d'ailleurs, peuven t
thé, café, glaces, sandwiches, pâtisseries, whisky-sodas : l'invit
aperçus par hasard, pour ra les consommer incidemment. J ai assis
ce f u t ~ pour moi du moins, un énorme repas. Mais l'étiquette n y v
nournture.
Il
y a d'autres avantages. Un
crédit<<
pour le
Pan
sert
d
'exç:us
e à certaine b i e n ~ e i l l a n ~ : Il donne
à
cette femme cinq r
le Par nous poum?ns ?lle comme argent de poche (pin-m
nouveau Jeu de mots
qu1,
soigneusement expliqué, provoque le ri
Cependant, cette feuille verte - la feuille de bétel
pour
parler e
Cueillie, elle perd
sa
virulence
pour
ne plus être, au bout
d un
tem
que parfumée, agréable et rafraîchissante. Une fois apprêtée,
on
la
de chaux. Peut-être fut -ce jadis un mode de conservation, deven
raffinement -
on trou
verait un analogue dans la térébenthine, ingré
tiel aujourd'hui des vins grecs. Sur la chaux,
le
s autorités diffèrent ; certains
docteurs, croyant qu 'elle peut causer le cancer, en désapprouvent l'emploi et
l'opinion générale y voit le moins honorable élément du mélange, si utile qu'il
soit pour en lier les autres. La demeure originelle de ce Pa fut l'Inde méridio
. , , , d nt leur bénédiction sur ce qui les a p r é
sont simplement
miS
a 1œuvre, eten a . la gent anglo-indienne a por
dés. Incroyable, vraiment, la c ~ n d a m n ~ ; l O ~ qque'au prochain miroir. Un nouve
sur cette pratique innocente, m ~ r o y a e
JU
S u 1 Pourquoi rouge quand
d b
0
·
Je sms tout rouge. '
choc nous y a ~ e n : on eUh, blanche
J
e ne sais; les auteurs disent qu
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nale, comme le montre l'étymologie, t la première chaux fut empruntée
à
la
coquille des huîtres perlières. La chaux enrobe un élément très important : la
graine déchiquetée du palmier arec, communément appelée noix, bien qu'elle
n'ait pas de coquille. La graine d'arec, qui par la grosseur ressemble à l'œuf du
petit déjeuner, rappelle plutôt, par ailleurs, ces pyrites de fer qu'
on
nous faisait
ramasser sur les plages à l'école: d'une incro
ya
ble dureté, elle darde
à
J'intérieur
ses rayons, l'extérieur demeurant nocturne. Se sentir même un petit morceau
d'arec dans la bouche est alarmant :
on
s y fait plus tard et l on apprend à le
mâchonner convenablement. Bétel, 'chaux, arec forment la trinité du
Pan;
mais
de nouveaux ingrédients peuvent être ajoutés, par exemple la graine de carda
mome. Quand tout est au point, la feuille flexible est pliée sur elle-même jusqu'à
ressembler
à
un mille-feuilles
ou
au nid des guêpes mégachiles. y a bien des
façons de plier les feuilles ; les unes sont reployées, style
billet-dor1x
d'autres
agrafées à l'extrémité par un clou de girofle.
n
existe tant de manières de faire
n'importe quoi, d un bout à l'autre des Indes, que toute description s'y mue vite
en erreur. Mon propre bétel poussait à Garhi, Bundelkhand, mais
on
peut bien
le cultiver différemment en tournant le coin.
L'opération, maintenant. Déplier un Pan
ou
le mordre
à
un bout serait
déplacé. TI doit pénétrer entier dans la bouche, avec les conséquences que le fait
y comporte. La feuille elle-même est assez clémente, mais la crise survient au
moment où, les fibres s'étant déchirées, les pyrites de fer
en
tombent et
vont
deçà delà se loger sous la langue. Le
no
vice alors, dans un grand désordre, se
lève, vole épouvanté vers la cour et
y
arrose de shrapnels les spectateurs, avec
le sentiment de succomber, sous couvert végétal,
à
l'invasion d'une armée
minérale, car c'est l'instant précis où la chaux commence à piquer. Si l'on peut
traverser assis cette épreuve, une paix céleste s'ensuit; les ingrédients se saluent,
une sensation unique se forme, et sans cesser d'être un problème, notre
Pan
devient un plaisir. Le cardamome craque, l'arec formidable cède, se rompt,
cherche vainement un refuge dans les défilés des gencives et s'enfuit.
On
sent la
chaleur de sa bouche propre battre selon les pulsations de l'infini, en une harmo
nie qui, gagnant vers l'intérieur, établit peu à peu son règne sur les régions que
nomma Barbosa.
On n a
rien avalé d'enivrant ; les doux anges de l'eupepsie se
bétel est vert, arec brun et la c aux . ' sang » pourquoi rien d'autre
é ét d' e salive rouge- •
bétel « favorise la s cr
100
un
h ffi ais
un
oubli est toujours p
la favorise-t-elle? Un rinçage de
b o ~ c e s ~
h ~ i r ~ s vermillon et l'on est à jam
siblc: l'on va
br
idger au .club
v ~ c
e s m a ~ mâchent du bétel pendant
déshonoré. Chez les Indiens, qm, nmt et Jour , en effet et les dents n
années san s se brosser ensuite, le rouge ~ m l ~ u r e s
h a b i t u
cc qu'évidemm
hid
· u'au moment ou
on
'
cissent. Ils sont eux JUSq
1
d rt mais leur haleine est douce
d
f
Leur apparence es esse ' .
f
l'In
on a tort e alfe. · . r ul pour foule
1
e pre cre
. · ent aux Italiens et,
10
e '
d
s'opposent amst exactem . . t l'Inde manque tragiquement
Servir le Pan est un peut art en sol, e entée ne connaît presque rien
· choses . cette terre
tourm
consacrés aux petltes , .' . ,
1
éant et la société des bommes en sou
comble l' intervalle entre
1
llimite et e n l d, cence ce qui n'est pa s méta
Où la
piété s'arrête commence p r e s q u ~ m .e 1
é;asif
qui coquetant ave
· · 0 doit beaucoup a ce ntue ' '
sique est mmgu e. n il d et sait éluder les tabous sans c
r
mais son v e maussa e,
relig1on, ne eve la . . . . d 'oli service apporte au cœur un
dans la grossièreté : amsl l'appa:ltlon J d parce qu'il es t
le
salut à
choc - ce petit choc plus humatn que _es g;an lateau recouvert, l'hô
joie terrestre.
En
général le Pan arrivde prepare.surs o offre d'abord un par
. , · d s les gran es occas10n ,
invisible
1
env01e; et an .
1
.
Les communions sans ap
b
l moucholi
ou
pour a mam. bl , 1
épais et run, pour e . • . rédients . elle ressem e a a
peuvent laisser paraî·tr·e la b o ~ ~ ~ s a ~ x
:Or
ins que notre boîte aux épic
aux épices de nos cu smes occtdent . Circulaire parfois avec les
b Ell divise en compartunents . '
lui ressem e. . e
se
1
d.
e.
elle est parfois rectangu
partiments en rayons et
le
c o _ u ~ e r c e
e ~ i l o ~ o ~ m e
le plateau d'une mal
parfois à deux étages, le supeneur mo ehl d'arec Les boîtes mod
l inférieur sans cloison pour le,s g r o s s e ~ c ~ e : m s o ~ v e n très belles.
sont d'ordinaire faiblement ornees, pu s n : , ~ boîtes
à
Pan en allia
. . d D prodmt de magmuques .
une c1té oubliee u eccan, a . , l' ir d en voir fabnquer
, d' t J y suiS alle avec espo
1
plomb incruste argen . . lie
>>
le travail de toutes
es
. l
d . t reçu là une vie nouve '
malS
m ustne ayan . t 1 du Prince de Galles.
y
était en conséquence au
me
; 'est pourtant pas tout à fait. Q
L'hôtesse hindoue, presque mv1S1 e, ne
13l
vue préparer un
Pa
ne parle jamais plus d u • bétel malpropre.
»
L'acte est d'une
exquise délicatesse, le cérémonial du thé en Extrême-Orient, autour duquel on
a fait si grand bruit, ne saurait avoir plus de charme. D'abord il faut découvrir
la feuille parfaite. L'hôtesse, avec un dédain fantastique, commence par tout
rejeter,
à
la recherche de l'Unique, poussée sur quelque tige étrangère
à
ce monde.
7/21/2019 La Licorne
http://slidepdf.com/reader/full/la-licorne 69/120
Elle choisit enfin la meilleure, en cisèle l
es
bords, la pose sur la paume d'une
main
trop
petite. Songeuse la considère « Triste feuille, feuille humiliante;
vaut-il la peine d'aller plus loin?
»
a décision est prise : saisissant une grosse
plume ou une petite cuiller, elle la plonge dans le compartiment qui contient
le lait de chaux. Viennent ensuite l'arec, déchiqueté déjà avec des pinces ouvra
gées, le cardamome et
tout
ce que l'hôtesse juge bon. Peu à peu, ses mouvements
s'accélèrent, son courage s'affermit, oubliant son désappointement, elle n'est
plus qu'anticipation; hôtesse jusqu'au bout des ongles, elle accomplit le dernier
agrafage avec la rapidité de
l
éclair, se penche et présente le don. Petits gestes,
petit don. Evoquer, à propos du
Pan
le grand Mystère Oriental, fausserait tout.
L'Orient est assez mystérieux déjà, mystérieux jusqu'à l'ennui.
Çà
et là cepen
dant, du
Tout
Eternel un détail menu se détache et notre humanité commune
nous revient en mémoire.
Telles sont les grandes lignes
d un
sujet négligé. D'autres aspects existent.
Il a le Pan
Comique
où l'on met du sel.
On
l'offre aux bouffons. Oh comme
ils crachent - parfois jusqu'à de vraies nausées Un jeu de mots n'est pas plus
drôle. Enfin, il a le Pan Tragique où l'on met du verre pilé et que l on offre
à ses ennemis.
oèmes
par
RENÉ
CHAR
7/21/2019 La Licorne
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L SORGUE
CH SON POUR YVO ·r .;E
Rivière trop tôt partie,
d une
traite,
sans
compagnon
Donm atiX
enfants de mon
pays
le
visage de
ta passion
.
Rivière où
l éclair
finit el où commence ma maison,
Qui roule aux marches
d
ouhli la roc
aille
de ma raison.
Rivière, en toi
terre est
frisson soleil anxiété.
Que
chaque pauvre dans
sa nuit fasse son pain de
ta moisson
Rivière
souvent
p nie
rivière / abandon.
Rivière
des
apprentis à la calleuse condition,
Il n est vent qui ne jllchisse
à
la crête de
tes
sillons.
7/21/2019 La Licorne
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Rivière
de
l âme vide, de la grtenille et drt souPfon,
Du vieux malheur qui se dévide,
de
l ormeau,
de
la compassion.
Rivière
des
farfilrts, des fiévreux, des équarrisseurs,
u soleil lâchant sa charrue pour s acoquiner au menteur.
Rivière des meilleurs
qu
e soi, rivière des brouillards
éclos,
De la lampe qui désaltère l angoisse autour
de
son chapeau.
Rivière
des
égards au songe, rivière qui rouille le f er,
Où les étoiles
ont
ce
tte ombre qu elles refusent
à
la mer.
Rivière des pouvoirs transmis et du cri embouquant les eaux,
De l ouragan qui mord la vigne et
annonce
le vù nouveau.
Rivière au cœur jamais détmil dans
ce
monde fou de prison,
Garde-nous violmt et ami des abeilles de l horizon.
SUR
LA
NAPPE
D UN ÉTANG
G
Je t aime,
Hiver
aux
graines belliqueuses .
Maintenant,
lon image
luit
Là où
son cœur
s est penché.
7/21/2019 La Licorne
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CR YON DU PRISONNIER
Un amour dont
la bor1cbe est
un bouquet
de brumes,
Eclôt
et disparaît.
Un chasseur
va
le suivre,
un
guetteur l apprendra,
Et ils se
haïront
tous deux, puis, ils se maudiront tous trois,
Il gèle au dehors,
la feuille
passe
travers l arbre.
4Z
LOY L
V E C
L
VIE
Dis ce
que le
feu hésite à
dire
Soleil
de l air,
clarté qui ose
s,
Et meurs de l avoir dit po tr
tous.
7/21/2019 La Licorne
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remiersang
par
EDU RDO
Z L ME BORD
Traduttion de
l espagnol
p r
Yvette
Billod
7/21/2019 La Licorne
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T ous les sentiers de la Guajira sont bordés de nopals et de cactus. Sab
neux. couvens de coquillages et d épines. L un d eux conduit au ran
de Pablo. Cdui-ci, comme presque tous ceux de la Guajira, est en torchis g
couleur étrange dans ce pays où tout est rouge vif bleu fulgurant,
ven
viol
doré, mai s jamais gris. l est réduit aux quatre mur
s Ce
rectangle renferm
salle à manger, la salle et l alcôve.
On
cuisine dehors, sur un foyer primitif
de trois grosses pierres.
Nous nous assîmes. Le poisson n était pas encore 2 point et le riz sc de
chait à petit feu. Un hamac tout neuf, mélancolique et distendu.
Je
pus
r e n ~ ~ o m p t e alors _ que
la
joie de Pablo, lorsque Anashka était près
se fatsatt préoccupation. Elle ne paraissait pas le remarquer. Comme ste
une grande malle de CUir et trois gros bidons
d e
ssence « Troco ». Sur
table, six assiettes de fer blanc émaillé, une tasse
à
bouillon et un grand cout
Dans un coin une belle carabine
«
Winchester propre et brillante.
Cc jour-là, qui restera longtemps dans mon souvenir, nous bavardâ
longuement Manuel ct moi, mais de cette
fa
çon timide et balbutiante des
qui se connaiss
ent
depuis peu. Il y entre une teinte de respect, pour l inte
t e u ~ La familiarité n est autre chose qu un manque de respect
mutud
ne sats pas pourquoi chacun de ceux que j ai rencontrés à
la
Guajira prof
de toutes les occasions qui se présentent
pour
me raconter leur vie. Il y
eux un étrange besoin de se confier. Ils racontent comment ils sont
ve
nus, de
147
combien de temps ils sont
là,
et bien d autres choses encore. Ils désiren
_t tout
savoir des lieu
:<
qu ils
ont
oubliés. Ils interrogent, questionnent, s en
qw
èrent.
La
fl
amme
de
l espéra nce frustrée brille sur leurs visages, dans leu;:s yeux. Ils
voudraient aller ailleurs, mais ne le peuvent pas. Quelque
c h ? s ~
d mconn : _
t
de terrible les retient attachés, enracinés,
et
les empêche de realiser le
ur
destr.
presque invisible. Je courus à côté de lui Trois coups rapproché
en siffiant devant mes yeux. Le premier arrêta
l
cheval, comme s
terrible l eût engourdi inopinément. e cavalier, je pus m en rend
alors était un Indien. Un Indien de haute taille, avec des dents brilla
bouche étonnée.
Il se tourna vers nous, plaça upidement la flèche
au moment où son bras
se
recourbait pour la décocher, il
se
ntit la b
7/21/2019 La Licorne
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Les choses se passe
nt
ain
si
là-bas.
On
y souffre
et n
y a
du p l a i s ~
comme
partout, mais les plaisirs sont aigris, les douleurs
av1v
ées par la cerutude que
tout
es
t, mystérieusement, inévitable, qu il n y a pas de force, de
~ a g e s s ~
ni
de volonté capables
d wnuler
les capricieuses arabesques du destln,
qw
entrelacent leurs nœuds
et
finissent par étrangler l
es
gorges, par
tout
rendre sanglant
et
fumant, de cette fumée
vo
race des
~ c ~ n d i e s
intér
_ieurs.
Les nopals, la saline avec la régularité sans fin de
ses
rrurous
P ~ l s m a t l ~
les Indiennes, les disputes, les crim
es
tout cela, avec ses obsc
un t
es, ses t1èdes
tén
èb
res
et
son éclat, captive
et
charme com
me
les jardins de lotus dans les
voyages d Ulysse. .
Je ne sais pourquoi je pressentais quelque chose de dur, .de tnste
et
pénible. Je n ava
is
pas remarqué jusqu alors que s
ur
tous l
es v1sages
des habi
tants de ce miséra
bl
e village
se li
sait la certitude
~ r r i b l e u n e
attente pr
?lon
gée
et constante. Mais aucun autre visage ne montrait une mqwétude ausst tenace
que celui de Manuel.
Anashka était dehors communiquant à to
ut
ce qu elle touchait
un
halo de
nudité primitive. Elle faisait la cuisine
et
j éprouvais un s e n ~ e n t d étrangeté
à
la voir demi-nue, le corps si proche de la
fla
mme
et
des aliments. Son corps
n était-il pas flamme, lui aussi, et sa nudité un aliment pour la luxure? Ses bras
sont longs, fins, ronds; la couleur de l acajou y court, et sa rencontre ~ v e c
l éclat délicat de l or des bijoux produit de tièdes contrastes, des lurruères
inconnues. Pablo marche de côté
et
d autre, inquiet.
T
cherche, regarde,
sort
sur le
pas de
la porte.
En parlant avec mon nouvel ami,
je
sentais la venue ce que nous atten
dions tous. Nous nous assîmes pour manger.
Et
soudam, comme Manuel
était sorti chercher de l eau - l eau était dehors, dans
un
baquet, sous
toit de torchis - nous entendîmes un cri. Le galop l
our
d d un cheval
qw
s éloignait : Pablo sortit, la carabine à la main, et moi derrière. Manuel gisait
sur le sable, un coup de couteau dans le dos. Pablo le regarda à peine et e n ~
en courant vers la plage, par laquelle s éloignait, rapide,
un
ch
ev
al au cavalier
front. Il fit
un
g
es
te brusque, comme pour chas
se
r une mouche,
se contractèrent, se durcire
nt
comme des boules; il tendit les bras po
ser la vie qui Je fuyait
et
fit
un
saut terrible, les yeux grands ouvert
soleil. Il tomba à côté du cheval blessé qui regardait la
mort
ave
tendres
.
. L eau de la mer mouillait ses cheveux. Nous approchâmes
yeux rouges à cause du Bot de sang qui coulait de la blessure. Ceu
aussi étaient rouges, sombres, brillants pleins de colère.
Tout
s étai
un
mot
. Muets, nous nous regardâmes, saisis de crainte. J étais si
que je lus sur son visage d homme qui vena
it
de tuer l éclat de la
la plus pure
et l ass
urance
qu
il
se
défendrait désespéréme
nt
à n im
moment. Quand nous so
ul
evâmes le cadavre pour
le
sortir de la m
déjà froid. Et quelle
se
nsation de froid donnait ce corps
au
milieu
lumière et de soleil.
Le
sang er l eau de mer s étaient mêlés sur sa
membres étaient forts, raidis,
et
le poil rare, hérissé. Pablo le soul
pieds, et, soudain, lâcha le cadavre et partit en courant vers Je villag
sachant que faire, je regardai la figure qui souriait de sa bouche enco
qui renfermait encore le dernier souffle,
et
je me mis
à
courir derr
comme si la mort était contagieuse, comme si les balles couraient a
les couteaux déchiraient l air. Le cadavre de l Indien resta seul, so
indifférent qui jouait sur le corps,
et Jui
donnait des ombres violettes
bée vert courait sur la main droite, la main qu habitait encore la
laquelle il avait placé la flèche sur l arc. Un filet d eau sanguinolen
la joue et tomba sur
le
sable, il continua de goutter lentement; le s
l absorbait, assoiffé, et l lumière brillait sur le rouge à reBets ve
j arrivai au rancho de Pablo, habité d une peur qui devenait à cha
plus intense, tout Je village était réuni. Tout me paraissa
it
si
distant, si terriblement éloigné de moi, ·et, pourtant, si actuel.
Il
m
que
l Indi
en était mort depuis très longtemps déjà, que tout cela n
souvenir de la première période de ma vie. La vision du cadavre
celle du premier mort que j avais contemplé dans mon enfance,
et
49
s faisait vague de la même façon.
Tout
paraissait si distant que c'était plutôt
comme le souvenir d'une vie antérieure.
On
avait couché Manuel à plat ventre, sur une natte. Une vieille
inconnue, au visage ridé
et
jauni, plaça sur la blessure un emplâtre d'herbes
n'en avait qu'une. La baine, la colère, l'amour, la douceur,
er
le mépris j
sent, dans ces paroles, comme des fontaines de feu .
- Tu ne peux pas savoir ce que c'est .. Ici,
on
a la mort à deux pouces
poitrine
.
.
Et
si
on
ne
se
méfie pas, on est roulé par l'Indien ou le blanc, o
7/21/2019 La Licorne
http://slidepdf.com/reader/full/la-licorne 76/120
humides. Les commentaires
se
croisaient au-dessus de
ma
peur, la rendant
plus aiguë.
- Maintenant, les Indiens
vont
venir
et
nous tuer ,tous
»,
disait Rosa, en
s'approchant d'Augusto, qui regardait avec des yeux absents.
- T faudra payer, sinon ..
»,
murmurait-elle encore, tremblante.
Payer? Qu'est-ce que ça voulait dire? Pablo, près de la natte où reposait
le blessé, pâle
et
frissonnant, tenait encore la carabine dans ses mains.
- Payer? putain
» On
aurait dit qu'ils reprochaient à Pablo ses paroles.
La
tr
istesse bougeait dans les yeux d'Anashka. Accroupie, elle regardait
Manuel, l
es
yeux pleins d'une immense tendresse. C'étai t une tendresse craintive,
incertaine, qui ne savait où
se
poser. Pleine de pressentiments funestes, elle
paraissait sentir
à
côté de lui le souffle de la mort.
Tout
le monde s'en alla, sauf Pablo
et
Anashka. Nous nous regardions
en silence, assis sur le plancher tiède. Quel regret de ne pouvoir parler, de ne
pouvoir dire des choses douces, tranquillisantes, à cette femme si éloignée de
moi par son langage.
Il fait nuit déjà. Une nui t polie, nette, avec des étoiles fourbies et nettoyées
par le vent. Tous les bruits deviennent intenses et tout le village se remplit de
ténèbres encore plus profondes, avec ce grognement qui accorde le silence sur
des rythmes aigus, sonores
et
rudes.
-
Tu as
sommeil? me demande Pablo.
Si tu
veux, à côté il y a l'autre
hamac.
- No n, pas e.ncore. Dis-moi, comment
tout
ça s'est-il fait? ..
-
Tout
ça .. quoi? - répond-il,
et sa
voix
se
trouble. Il sait de quoi
je
parle.
Et je
n'aurais pas
dû
parler.
- L'histoire de l'Indien
et
.. Manuel... et .. et .. toi ..
- Qu'est-ce que ça peut bien te foutre, à toi?»
me
répond-il d'une voix
rauque, grave et angoissée comme son silence d'après la mort. Je me tais,
quelques minutes passent. A la porte
un
chien jaune, maigre, regarde avec
méfiance. Il s'approche, renifle. Le chien, que Pablo est resté
à
regarder sans le
voir, s'en va.
Et
Pablo
se
met
à
parler, nerveusement, avec une rapidité verti
gineuse, et
sa
voix s'infléchit soudain
en
mille nuances, elle, qui, auparavant,
J O
noir, ou n 'importe qui... C'est tous les mêmes. Celui-ci - il montre Manu
est venu ici sans rien savoir, comme toi. Et, comme toi, avec quelques
Au
bout de deux mois, Anashka est venue un jour vendre du lait.. . Ils
entrés dans le rancho,
ill
a prise .. T est resté avec elle jusqu'au soir .. Le le
main, elle est revenue avec le père, er l
o
ncle
et
le frère .. qu'il fallait la p
et ci, et
ça,
et
patati et patata
ll
a dû leur donner
tout
ce qu'il avait,
et
co
il ne lui restait plus rien, ils sont partis furieux,
et
ils lui
ont
pris, à la pa
tout
ce
qu
e
lle avait de chèvres et de brebis, parce qu'ici, quand on se met
une Indienne,
et
qu'elle s'en va le raconter,
il
faut la payer.
Et
si
on
ne la
pas, il faut au moins payer pour avoir couché avec .. sinon, on vous tue
bien, les Indiens, qui étaient partis fâchés, avaient juré qu'ils auraient sa
Mais ces Ind iennes, c'est plus putain que nature
.
. elles écartent les jambes
le premier venu dès qu'elles voient un bout d'étoffe ou
un
pot
de
maïs
elles croient qu'avec les civilisés elles vont mener une vie de riches, mais
se
mettent bien dedans. Putain de sort, celui qui a de l argent à l'ombre ne
pas se faire ..
ici J ai
tué ce salaud d'Indien parce que je ne peux pas supp
qu on Banque un coup de poignard
à
un type par derrière. Putain qu'on s'é
face à face comme des hommes, mais dans le dos, ça, ça n'est plus de
Moi, je m'en fous .. Un beau jour je m'en irai sans avoir rien à empo
c'est pour
s;a
que
je
me tiens bien tranquille ..
Que
moi j
a
ille payer po
mort? ha h ha ... lls seront riches avec ce que je leur donnerai .. ha ha ha h
- Comme si j'étais assez con ha ha ha
e
rire,
s:a
le mettait comme hors de lui.. Les yeux rouges, con
tionnés,
et
une figure terrible
de
possédé.
Ha
ba
ba
Cette voix résonne en
à
mes oreilles. Il reprit son sérieux, resta silencieux,.avec les muscles qui
saillaient encore sur sa figure. Anashka s'était caché l figure entre les jam
Pleurait-elle? Riait-elle comme lui? La peur se mit à grincer entre mes
pénétrer dans mon sang, à saturer ma chair. Mes yeux s'ouvraient pour
tout à
la fois, mais j'avais peur de ce visage
à
la bouche ouverte dans
grimace sinistre, aux lèvres bavantes et tendues .. Je me levai sans faire de
et
allai dans
la
chambre voisine.
où
je me couchai dans
un
hamac. Je tou
et retournais dans ma tête tout ce qui s'était passé, sans pouvoir trouv
I J
bout du fil Tout craquait autour de moi. Je croyais entendre des sanglots, des
cris, des soupirs, des baisers.
Je
me rappelais les lèvres d'Anashka, fraîches
et
rouges comme la pulpe de certains fruits, ces lèvres couvertes de petites rides,
qui se croisent et s'entremêlent sur toute la bouche, comme les traces des
baisers qu' elle a donnés. Anashka, ronde, ronde, ronde comme une mauvaise
pensée .. De sorte que moi aussi je peux acheter une Indienne? une Indienne
l
es
bracelets
qui
lèchent, avec les langues de leur musique, le ryt
sa
sauvage inquiétude. Puis la nudité s'empare des pieds qui s'ou
chemins
.
. dix chemins pour aller vers la vie .. dix chemins pour
sa bouche. Pieds qui dérobent
à
la stable mobilité du sable cha
fortes et massives de ses pas, qui se prolongenten des stries concent
cieuses, absurdes. Pieds à la poursuite de l'amour et du repos, clair
7/21/2019 La Licorne
http://slidepdf.com/reader/full/la-licorne 77/120
pour moi seul? Oh la douleur terrible d un coup de poignard, d'un e flèche
dans le ventre .. ou d'une balle dans la tête .. Mais, qu'est-ce que ça veut dire?
on peut acheter une, deux, trois femmes? .. est-ce
un
mariage? Est-ce une indem
nisation pour la valeur que représente une femme, comme élément retiré au
travail, donc à la fortune? Peut-être. Ça doit être
ça. En tout
cas, c'est étrange.
L'Indien, là-bas, près des vagues, doit avoir les oreilles frappées par
le
bruit
du ressac. Il doit sentir encore la balle casser l'o s frontal comme un coup de
marteau .. Peut-être
qu
'il
n a
rien senti. Sauf que sa vie s'en allait, que
le
monde
s'effaçait devant ses yeux, qu'il cessait de se souvenir .. que ses doigts ne lui
obéissaient plus et que son corps s'évanouissait dans
un
spasme inconnu ..
Nudité d' Anashka... nudité qui court
tout
le long
de
son corps comme un
ruisseau fertilisant, qui s'assombrit dans les creux
et
s ouvre, clair, sur l
es
parties
lisses .. De la tête aux cheveux emmêlés qui s'arrêtent sur la nuque bombée,
jusqu'à la taille cambrée, creusée par la rondeur continue des perles de verre
qui forment le lourd
t
drape
»
•. Ce
drape trop
lourd pour son corps fragile.
Il pèse peut-être ro, 15, 2 livres .. Le cirape de verre qui donne à son corps
une souplesse étonnante. Oh sa peau coule ur de cacahuète Sa peau qui s'assom
brit dans les creux, comme la lumière pénétrant dans une alcôve, sa peau qui
l'inonde de nuances, la couvre de teintes diverses, la fait étrangement chan
geante. Mais le guayuco, comme du coton
qui
aurait poussé des graines du drap e,
naît près de la taille. Le guayuco, en d'audacieuses incursions, cou vre les zones
défendues, amplifie les courbes qui s'avancent
et
met les cuisses
en
relief,
cuisses couleur d'acajou .. Alors la nudité renaît, plus fluide maintenant, de
l'union des jambes étroites et
exactes. Nudité croissante, qui pousse vers le
monde par les deux rondeurs jumelles des genoux, à la peau luisante t tendue.
Cette nudité se gonfle dans l art iculation et descend le long des jambes fines,
longues, s cache dans les lignes fuyantes, pour renaître
sur
l os alimenté
pendant tant d'années de la farine jaune du mais et du sang rouge des ygua
rayas .. Après ce long parcours, la nudité rencontre de nouveaux obstacles :
une ligne de petites sphères d'or, les bracelets
qui
rendent la marche sonore,
qui définissent la vie... Pieds d Anashka qui mènent à toutes les
tous les chemins ignorés ..
Je. ne peux pas dormir.
Le
sommeil silencieux ne vient pas à m
ses
pteds d'ombre. La nuit claire entre par les fentes du bois et p
grande ouverte qui donne sur la mer. Je vois
un
petit morceau
d éto iles languissantes
et
comme
effacées.
Le vent e st frais, salé, il
aussi clair qu'en plein jour. D'ici j'arrive à voir la figure de Pablo;
courent des larmes qui commencent déjà à sécher, laissant ces pe
de saleté que déposent les pleurs en passant sur le visage. Peut-être
entraînent les scories de l'âme. Je regarde vers ma droite, et me rep
même, surpris et inquiet. Qu'est-ce que cela? Il y a dans le coin un tro
b l a n c h e ~ brillante, phosphorescente. Un trou rond. Qu est-ce que ç
mon Dteu Je n'ose pas me lever. Si c'était une hallucination ca
émotions de la journée?
On
dirait une pupille ronde, gigantesqu
~ e s c e n t et
bl.anche comme l
es
yeux de l'Indien mort. J'hésite long
Je me leve, pteds nus, supportant la douleur que causent à mes pi
ments de coquillage.
Je
m'approche, cela disparaît au moment même
La peur fait ,trembler mes membres, ma langue devient sèche comm
buvard, et mes yeux doivent être en ce moment démesurément
retourne au hamac et voici qu'apparaît de nouveau le rond blanc p
cent. Alors, poussé
par
on ne sait quel ressort caché, je m'incline,
plonge dans
un
liquide froid, visqueux, qui me donne à réfléchir e
le calme. Quelles craintes futiles, ridicules C'était la marmite con
mêlée au sang du m ulet qu'a pêché Pablo. Le phosphore, à la lumièr
lui donnait cet aspect effrayant de feu follet.
Je
vais au hamac et m
Mes regards ne peuvent s'arracher à ce coin, où tout maintenant es
peu mystérieux. J 'ai mis mes mains dans l'inconnu, et elles m'ont ré
était caché. Les aboiements des chiens trouen t la nuit, minces
au tranchant, au contour de douleur. Un coq chante dans une cour,
la paresse de son gosier matinal. Une heure? deux? trois? Impos
savoir. La lumière des étoiles grimpe sur b charpente, se suspend aux nœuds
de mon hamac, passe sur mon cœur, le léchant comme une langue affectueuse,
une langue de chien malheureux.
e
continue à regarder, les yeux grands
ouverts les cils collés à la naissance des sourcils et aux orbites, qui doivent être
d un bleu plus profond, plus épais, avec cette alternance de lumières
ct
d ombres
7/21/2019 La Licorne
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et
cette obsession du regard,
fixé
dans le coin où l eau montre toujours son œil
de feu follet. Je dois avoir
un
aspect grotesque d halluciné, avec de tels yeux
et la bouche ouverte pour donner passage à ma respiration dillicile. Celle
d Anashka arrive jusqu à moi. Cest, comme la mienne la respiration d une
personne éveillée, qui veille ct attend quelque c
ho
se, comme moi. Mais qu est-ce
que j attends? Je retarde un moment la marche de me s poumons, pour l accor
der à la sienne, pour marcher dans b vie avec les mêmes coups dans le cœur
et dans les artères, dans les tempes, dans les poignets, dans le cou, dans tous ces
endroits
où
la vie est plus proche du monde, de l air, de tout ce qui existe;
où
nous touchons
la
fragilité de la vie, et pen
so
ns qu
e
si ces artères se rompaient,
par là couleraient, lentement, notre vue notre ouïe, notre goût, notre tact,
notr
e odorat, la mémoire
et
l intelligence. e cœur continue à battre
sa
télégra
phie dans l
es
tempes.
Et
nous marchons maintenant ensemble par les chemins
de la respiration et du pouls. Sentiers des palpitations égales invariables. Nous
partirons, nous partirons
.
. Manuel, l œillet de sa blessure dans le dos
.
. Anashka
avec son rire éventré sur les lèvres, ce
ri r
e qui, à force d être à l air libre, semble
corrompu . . Et Rosa ... Rosa les mains toujours sur les hanches comme si elle
avait mal aux reins. Enceinte, Rosa est destinée à être toujours enceinte ..
Toujours .. Enceinte encore après la mon d Augusto, et sans avoir commerce
avec aucun autre homme .. Enceinte, enceinte. Rosa
et Augusto .. Un canoë
avec une voile en forme de trapèze .. Partir ..
Tandis
qu
e je dormais, le hamac
se
balançait lentement, pour que
tout
ne fût
pas
mon
à l entour, et l eau de la marmite montrait son œil de phosphore.
rois sonnets scotistes
par
GERARD MANLEY HOPKINS
présmtls el traduits de / ngl is
p r
Pierre Leyris
7/21/2019 La Licorne
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HOPKINS
Q U ND
il
entra dans la Compagnie de Jésus (il avait vingt-trois ans)
poète, cessa d écrire. ll ne s y hasarda de nouveau qu au bou t de
detllllnde de son supérieur. La première œuvre qui éclate après ce long sile
o
the Dmtstblafld
1
,
témoigne d une profonde maturation : auparavant.
sa
d un jeune poète merveilleusement doué
et déjà
rigoureu. {
qui exorcisa
l adolescence, l esthétisme de Keats et de William Morris, et qui avait d
quoi prolonger la lignée «métaphysique» de Crashaw; mals à présent
qui parle, avec une singulière autorité, dans un langage de l avenir.
Avec Je sonnet à Henry Purcell, écrit trois ans plus tard (1879), Ho
plus loin encore dans sa technique propr
e.
Mais les innovations rythmiques
il brise ici
la
monotonie du sonnet alexandrin (rare en anglais) l obligen
système de notation pour permettre aux deux amis qui composèrent ju
le plus clair de son public de scander et d entendre correctement son
poè
les hardiesses de syncaxe
et
de
vocabulaire, le caractère abrupt, immédiat
en tous lieux, l extrême densité du discours le contraignent à des explicat
«Le sixain .du sonnet à Purcell
n est pas élaboré aussi clairement
souhaité.
En
voici l idée: de même que l oiseau de mer qui ouvre ses
envoyant une bouffée de vent au visage signilie la rafale du mouvement, m
do
nn
e à son insu une bouffée de savoir quant
à
son plumage, dont les m
risent son espèce - ainsi
Purcell,
bien qu il ne
se
soucie apparemment q
1.
Gerard Manlcy Hopkins: P mi (Oxford University Press).
1 . a
Thl Lttûr1
of
G M
Hopleùu to
Roblrl Bridger
(Oxford University Press). C
Ij
ou du sentiment qu'il veut exprimer ou évoquer, nous permet incidemment d'observer
l
es
marques spécifiques de son propre génie.
«Saki
est.
un mot dont je trouve l'usage commode. Quand j'ai commencé à l'employer,
Je ne le savats pas
si
commun en allemand sous la forme
satht.
C'est le sa
lee
de
for t
he
sah of f orsakt names
ake, ke
epsake . J'entends par là l'existence qu'une chose peut avoir
que d'être entendu. Les m
oonmar
ks [lunules]
.ne
.se r a p p o ~ m m ~ t qu'.à l'i
m
non
à son application;
du
moins pas
en
détail: Je s o n g e a ~ aux pennes d
o1sea
u.
a une cho
se
qui m'inquiè
te: parfair a/1 j e n t e n
f a i r
fortune he) fall;
il ve
l'esprit depuis lors que
f air
est peut-être un adJectif propre an d i c a t et qu il ne
être employé que dans des cas comme fair jal/ day u z y :m day [ali
7/21/2019 La Licorne
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en dehors d'elle-même comme une voix par son écho, un visage par son reflet, un corps
par
son ombre, un homme par son nom, son renom ou
sa
mémoire, el t ss
i
cela au
dedans de h o s e qui lui permet spécialement d'avoir cette existence extérieure: quelque
chose dtstJnct, de marqué, spécifiquement ou individuellement parlant, comme pour
une VO X et écho la netteté; pour un corps jetant une ombre, le volume; pour un
homme, le gérue, les grands accomplissements, J'amabilité et ainsi de suite. Dans le
ca
s
présent, c'est, comme le dit Je sonnet, la qualité distinctive du génie.
«
W11thtrin
g
est un mot du nord pour le bruît et la
ru.ée
du vent: d'où
« lf? theriJJg
Heights
» d'Emily Brontë.
« ~ a r
mo
onmarks,
j'entends les motifs en forme
de
croissant d
es
pennes, dus soit au
colorts de
la
plume, soit
à
l'empiètement d'une plume sur l'autre.
»
Quatr.e a n ~ plus tard, Hopkins devra revenir à la charge, Robert Bridges achoppant
e n ~ r e
aux difficultés
du
poème (que notre traduction aplanit, hélas,
pour
une part,
au heu de
se
bomer à les proposer) :
• Le ~ n n e t sur Purcell signifie ceci: Vers 1-4: J'espère que Purcell n'est pas damné
pour v ~ 1 r été protestant, parce que j'aime son génie.
1-8:
Et cela non pas tant pour
les
d o n ~
~ u i l
partage et quand bien même il les partagerait au plus haut degré, avec d'autres
m u s i C i e n s ~
q u ~ pour son ~ d i v i d u a l i t é propre. 9-14: En sorte que, alors qu'il vise seu
lement à 1mpnmer en mot, son auditeur, ce qu'il veut dire, je recherche cependant ses
~ a r q u e s
~ e s
mouchetures individuelles et spécifiques, ses
sakes.
C'est comme lorsqu'un
otseau
qu1
songe qu'à prendre son essor ouvre ses ailes: l'attention du spectateur
peut ê:re .atttrée pa: son geste sur le plumage qu'il déploie. - En particulier, les premie
rs
vers stgnifient: Puisse Purcell, ô puisse-t-il avoir eu une bonne mort et cette que
j'aime tant et,qui respire ou. frémit manifestement dans ses œ u v r ~ s'être séparée de
son coi?s
et
s en être allée, bten que Je ne forme ce vœu que des siècles plus tard, en p ix
avec Dteu. En sorte que la lourde condamnation qui pèse extérieurement ou nomi
nalemen.t sur pour v o i r été ho
rs
de la véritable Eglise puisse, en conséquence de ses
"?nnes mtenttons,
avou
été rapportée.
Low
lays him
est simplement
lays him ff1»1,
c'est-à
due
le frappe u r d e m ~ t pèse sur lui
(ceci
vous
paraltra
sans doute plus professionnel
que V . o ~
ne.
y éoez attendu).
Il
est un peu déconcertant de constater que je suis
lnlntelligtble, surtout dans l'une de mes meilleures pièces. A propos,
listed
[rôlé]
es
t
enlzsted [enrôlé]. Sakes est hasardeux; j'étais ici plus soucieux de dire ce que j'avais à dire
o
uf fai
r.
Mon vers aurait bien
al
ors ~ . s e n m,ats un
1
sens que Je n aurais p mats vo
Connaissez-vous quelque passage d
éCi
sif à cet egard? •
Dans le recue-il des PottiS, Hm ry Plffce/1 vient immédiatement après Duns c ~
OxfortP
ce sonn
et
où le do
ct
eur franciscain est exalté comme u le plus rare débrow
du réel •, comme celui
• Qui entre tous berce le
mieu.x
mon âme en paix. •
A
propos de Purcell, Duos Scot est encore - quoique impli
ci
tement - célébré :
gument liminaire (où l'on reconnaît nettement la distinction
r m e ~ e ~ t r e
la n
individuelle et la nature spécifique) fait délibérément éta t de ses categ
oo
es, et to
poème est imprégné de sa pensée. ,. . . . .
Hopkins avait rencontré l'œuvre de Scot alors qu il fatsatt sa philosophie au
naire:
« C'est à cette époque, écrit-il
3
, que j'eus pour la première fois l'e
xe
:nplaire
sur les Sentenc
es
[de Pierre Lombard] à la bibliothèque de Baddely, et Je
fu
s S
ai
SI
accès d'enthousiasme to
ut
neuf. Peut-être n'en sortira-t-il rien, pe
ut
-ê
tr
e est-<:e
l
trait de la miséricorde divine.
Mais
en ce temps là, chaque fois que je percevais un
in
[motif intime] du ciel et de la terre, je pensais à Scot. •
n dira de même quelques années plus tard:
«
Je puis
lire,
du moins quelque
Duns Scot, et je me soucie davantage de lui que d
'A r
istote et, p t
e ftla
d'une dou
de Hegel
4
,,
, • . • • •
Le mot i
ns
tape que nous avons traduit provJsoltement par mo if mtzm
t,
est
forgé par Hopkins
et
dont
il
use constamment, avec
nu
ances diver
ses. l
écr
exemple, en cherchant à
ju
stifier la bizarrerie de sa poésie:
C'est
1a
le
rue
X
CV
ll
à Ro
bert Bridges. - L'équivoque qui inquiétait Ho
pkin
s (ses
d'
ailleurs balayés pa un é c é d p e . a r ~ e n _ i s t e , qu
ique w.nsposee g r a m m a u c
daru la traduction : c so
it
bten échu, ô bten, bten it echu
à
1 ame • ou le lecteur fnnçats nsque (tan
de prendce
pou
r
un
ad le s
ub
stantif • bien •· .
z.
Tr
aduit par A. Rodttt daru M.e
s
lll l
s 1 j 1anv1er '9
l· . .
3
.
No
te-Books and Papers
of
G. M. H o p ~ (Oxford Uruvermy Press).
4· Cf. Lettres
XX
Vlll et LUI
à
Robert
Bndge
s.
1
« Comme l'air, la mélodie est
ce
qui me frappe Je plus en musique, et le modelé en
peinture, ainsi le dessin, le patton ou ce que j'ai coutume d'appeler i n s ~ p e est ce
à
quoi
je vise par dessus
tout
en poésie. Or, c'est la vertu du dessin, du patron ou de
l'ins
cape
que
d'être distinctif ..
Dans ses Note-Books, remplis de la contemplation minutieuse et passionnée de
la
l'analogie des Idées divines, et il.&it œuvre de prédication et de louange en
associés à leur fin sacramentelle, dans les
inscapes
de
sa poésie.
ll
y a une union si intime entre l'intuition de Hopkins et la pensée de
l
es
poèmes scotistes
de
Hopkins serait citer la plus grande
part de
son œ
deux sonnets qu'on lira i i :1lla suite de
H
enry Purcell portent plus claire
autre le sceau du grand Franciscain. Le sonnet qui va du martin-pêcheur
7/21/2019 La Licorne
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nature, et des chiffres de la nature, Hopkins emploie inscape chaque fois qu'il saisit quelque
schème spécifique du monde:
«
Le monde entier, dit-il, est plein
d inscape. »
Ajoutons
que, pour lui,
tout ins
cap
e
est objet de beauté,
de
beauté naturelle, mais signi.6ant ana
logiquement le divin :
«
Je
ne crois pas avoir jamais vu rien de plus beau que la jacinthe des bois que je
viens de regarder: je connais par elle la beauté
de-
Notre-Seigneur.
»
Aussi bien, pour lui, comme écrit le Dr. Pick
2
, «
inscape » signifie beaucoup plus que
le dessin extérieur ou le patron, comme il ressort clairement des passages où cette expres
sion est associée au noyau intime de
l
être .. Hopkins définit la chute de Lucifer comme
«
un appesantissement sur sa propre beauté, une intensification de son propre inscape,
une mélodie jouée sur l'orgue et le registre
de
son propre être ».
En
ce
cas,
il ne s'agit
plus de la configuration externe
d une
chose ou d'un être, mais de son « secret omo
logique », de sa « forme interne ».
Po
ur
en revenir à Duns S
co
t, s'il ne fut
p s
à la source
de
cette chasse spontanée
aux
inscapes
du monde (le mot
Îlurape
et par conséquent l'expérience qu'il traduit sont
bien antérieurs, chez Hopkins, à
l
lecture de Scot),
il
la justifia métaphysiquement,
aidant le poète-prêtre à la mener
d un
cœur entier et à l transmuer en quête de
Djeu:
«
Duns Scot » dit Gilson • situe le principe d'individuation à
l int
é
ri
e
ur de
la forme
même .. L'essence
de
l'individu contient donc un principe
de
contraction et
de
limitation
qui restreint son universalité .. L'individualité ne s'ajoute plus à la forme comme un
accident extérieur matériel et accidente
l;
elle esr au contraire ce qui confère
à
l être réel
sa perfection dernière
et
comme son ultime achèvement.
»
Toutes les substances créé
es
sont
immédiatement actives,
par l
vertu de ce principe d'individuation
(Haemitas} au
dedans de la forme qui constitue la relation réelle entre
l
créarure
et
Dieu.
Tou t cela, Hopkins assurément l'avait senti avant que
de
le voir ordonnancé chez
Scot.
Ma
is
Scot
«berce son âme en paix • parce qu'il corrobore son intuition prophétique
du monde et qu'il
l
précise philosophiquement. Le monde est une théophanie. Non
se
ulement le jeune prêtre n'est
pas
tenu de
se
détourner ascétiquement de la nature, mais
encore il
s
élance v
er
s son Créateur en cherchant à saisir dans les
inscapts
du monde créé
1 Œ. Lettres
XXVIU
et LID
à
Robert Bridges.
2 . GerardM ey Hop
t
n;, by Jo hn Pick
O:r.fot<l
University Press). A cette
étudequi
analyse
si linement
la fus i
on
du ~ t r e
et
du
poète
en
Hopkins, comme à "admirable travail d'
en
semble de W.
H
Gardner
(Gerard anuy Hop ns, Édition Sccker and Wa.rburg), ces quelques lignes d'introduction sont constam
menr redevables.
I6o
à
son parangon le Christ montre le jeu de l'eccéité en toute créature selo
de
l'univers; et
A
quoi
urt la Beautl
Mo
rt
elle désigne
la
beauté corporelle au
révélatrice de
la
beauté secrète du self
de
l'homme qui trouve son ac
ultime dans
«La meilleure beauté de Dieu, laquelle est grâce •·
PIERR
161
HEN RY PURCELL
The poet
wishe1
JIJel/ fo lbt
divin
e gtnit11
of
P11mll and
praim hi111
thal,
wberetu olbtr mtllicianJ bave given 111/trantt to the
mood
1 of '' '' mind,
HENRY
PURCELL
t
poète
souhait
e
till
bien li
divin gl
nù dt Pllrftll tl le l
o11t
de çe que, alorJ
qm d'aJtlrn IIIIIIÎfÎml ont donnl expreuion
a11x
modu de l uprit h1111
1aÎ
,
7/21/2019 La Licorne
http://slidepdf.com/reader/full/la-licorne 82/120
be
ha
l, ty
ond
thal; llfttrtd in J 11 lht very mala
and
Jpt iu
of man
al
rreated hoth in bim and in ali men gtntrai J.
Have fair fallen, 0 fair, fair have fallen, so dear
To me, so arch-especial a spirit as heaves in Henry Purcell,
An
age
is
now since passed, since parted ; with the reversai
Of the outward sentence low lays
him,
listed to a heresy, here.
Not mood in him nor meaning, proud
fire
or sacred fear,
Or
love or pity or ali that sweet notes not his might nursie :
It
is the forgèd feature finds me ;
it
is the rehearsal
Of
own, of abrupt self there so thrusts on, so throngs the ear.
Let him oh with his air of angels then
lift
me, lay me only l I l
Have an eye
to
the sakes
of
him, quaint moonmarks, to his
pelted plumage under
Wings: so sorne great stormfowl, whenever he haswalked hiswhile
The thunder-purple seabeach plumèd purple-of-thunder,
If a wuthering
of
his palmy snow-pinions scatter a colossal
smile
Off him, but meaning motion fans fresh
our
wits with wonder.
161
il
a
en
011/rt expriml par
du
notu
la
ja(fllrt
mi111e
tf
l upitt
dt l'hol/lmt
telles q t ~ frites
en
lui tl
en
tous les hommu glnlralmmtl.
Soit bien écbtJ, ô bien, bien soit
écbtl
à
l'âme
Si chère et
si
archi-spéciale' qui palpite chez
Henri
Purcell,
Voici
des
âges
défunte
el
dès
lors
séparée;
-
soit
rapportee
La
sentenc
e nominale qui pèse l
our
d sur
lui
, en /
'hérésie
rô1
Honneur chez lui ni signifiance, feu fier
non
plus que crainte sain
Amour, pitié,
ni tout
ce
que douces
notes
non
siennes
pourraient
nou
Ne me touche,
mais
le trait
forgé, mais
le régal
Du moi propre,
du
moi abrupt quiforce et qui p
euple
l'oreille.
Qu'il, oh/ qu'avec
son
air
des
anges
il
m'élève, me dépose, pourv
Que j'entrevoie ses
marqu
es , ses bizarres lunules , son plumage dé
sous
les
ailes:
T
el,
un
grand
oiseau des
tempêtes
,
après
avoir
marché
un
t
em
ps
Sur
la
grève
pourpre-
tonnerre
,
emplumé
de
tonnerre pourpre,
Qu'une brusque bourrasque de ses rémiges neigeuses éparpille alen
un sourire
colossal,
Voulant le
seul
envol, nous évente d'émerveillement.
1 Les
lettres imprimées en romain sont élidées (N. o.
T.)
163
sking(isbers
catch t
re...
e
martin pêcheur flambe ...
7/21/2019 La Licorne
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As kingfishers catch fire, dragonB ies drâw flame;
As tumbled over
r m
in roundy wells
Stones ring; like each tucked string tells, each hung bell's
Bow swung finds tongue
to
fling out broad its name ;
Each morta
thing
does one thing and the same
Deals out that being indoors each one dwells ;
Selves - goes itself;
myself it
speaks and spells,
Crying
What I
do
is me: for that I came .
t
say more : the just man justices;
Kéeps grace : thlt keeps
ali
his goings graces ;
Acts n God's eye what in God's
eye
he is
Christ
fo r
Christ plays
in
ten thousand
p l a c e ~
Lovely
n
limbs, and lovely in
eyes
not his
o
the Father through the features
of
men's faces
r882
Le martin-pêcheur
ftambe et
la
libellule
arde;
Précipitée
par dessus
bord
dans
le
puits
rond
La
pierre
sonne; émue, la
corde chante;
en branle
La
cloche arquée ,
trouvant langue, clame
son
nom
;
Tottle chose
ici-bas fait
une et mêm
e
chose
:
Divulgue
e secret habitant de chacun ;
S avère,
persévère;
épelle et
dit
moi-même,
Criant
Ce que je fais est moi: pour
ce
je vins.
Je dirai
plus
encor:
le juste
au
v
re
justice;
Garde grâce,
par
là
gardant ses voies en
graêe
;
Agit aux
yeux de
Dieu
e qu il
est
à
Ses
yeux
Christ -
car
le
Christ
se
joue
en
mille
et mille places,
Pour
complaire m
des
yeux, en
des membres
non
sien
u Père sur les traits
des visages
humains.
t6s
T o wbat serves morta/ beauty
...
A quoi sert la beauté mortelle ..
7/21/2019 La Licorne
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To what serves mortal beauty dangerous; does set danc
ing blood - the 0-seal-that-so / feature, flung prouder form
Than Purcell tune lets tread
to?
See : it does this : keeps warm
Men s wits to the things that are; / what good means - where
a glanee
Master more may than gaze, gaze out of countenance.
Those lovely lads once, wet-fresh f windfalls
of
war s storm,
How should Gregory, a father, have gleanèd else from swarm
ed Rome? But God to a nation / dealt that day s dear chance.
To
man, that needs would worship black ? or barren stone,
Our law says : Love what are Jlove s worthiest, were ali known ;
World s loveliest- men s selves. Self lashes off frame and face.
What
do then?
how
meet beauty? Merely meet
it;
own,
Home at heart, heaven s sweet gift; / then leave, let that alone.
Yea, wish that though, wish ali,
God s
better beauty, grace.
A quoi sert
la beauté
mortelle
(elle
a ses dattgers, fait
danser
Le sang) les
traits
- ô quel camée - projetant plus fière figu
u
'aucun menttet
de
Purcell
? A
ceci
q
u'e
lle a
ttise
en
l'homme
Un zèle ardent portr ce qui est/ l instruit du bien quand un coup
En apprend plus
que longs regards qui feraient
perdre cotJtenanc
Ces beaux gar
fons
chus frais-mottillés naguère d'tm atttan de guer
Commen
t,
sinon, Grégoire,
un
père,
eût-il pu l
es
glaner
dans
Ro
Pullulante ? A notre pays Dieu donna cette chère chance.
A l'homme féru d'adorer la
pierre
stérile
ou
le bois,
Aime le plus digtze d'amour en ce monde, dit
notre loi
:
Le self des hommes/ le self sourd de la
membrure
ott de la face
Mais quel
accueil
faire
à beauté?
Tout
simple
:
reconnais,
recueil
En ton cœur ce dot X don du ciel/ puis
laiss
e, laisse-le tranquille,
Sa
uf
à lui
souhaiter
de
Dieu la beauté stiprême,
la
grâce.
7/21/2019 La Licorne
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es
derniers
sept
sage
par
LFONSO REYES
Traduction de l espagnol p r
Yvette Billod
7/21/2019 La Licorne
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J.-C.,
la démonologie et les hiérarchies du bien et du ml tourmentaient les esprits d une
inquiétude maladive. La vie et la mentalité athéniennes
ont
moins souffen des incursions
des bacbares que des sièges
de
la foi naissante, qui avançait sur les peuples au milieu de
tragiques fluctuations. Justinien estima opportun de fermer les écoles d Athènes par un
édit en l année
.19
·
Une telle dédsion ne fut point fille de la réflexion
et
de la prudence. C était une
nouvelle extravagance de cette administration hystérique, au compte de laquelle on
neveu
Ju
stinien apparalt aux crédules
de
son époque, dans les mémoir
Procope, comme un vampire revêtu de forme humaine, obtenu par l union
et
de
quelque étrange démon.
Et
les serviteurs u palais voyaient errer la
salles immenses un corps fantomatique décapité, qui
ne
recouvrait qu au
rence de Justinien, quand
la
tête revenait
d on
ne sait où
se
placer
sur
ses é
avec
une
diablesse, il n avait pu engendrer d enfants, hormis une fille m
l impératrice Théodora, la fille du gardien
d ours
du drque, qui exhibait s
7/21/2019 La Licorne
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peut
inscrire tant de choses bonnes
et
mauvaises.
n
n était pas possible à des esprits
form
és
par
la philosophie de se rappeler sans
horreur
comment les subtiles disputes théologiques
sur la nature du Père et du Fils se résolvaient à coups d épée, et en ao:osant de sang les
temples et les rues de Constantinople, comme si
l on
remettait
à
la force ce
qui
n incombait
qu à la
raison.
Et on
ne
peut
évoquer sans indignation la longue
et
cruelle obstination
de
l empereur Constance et même
de
l empereur Julien contre l évêque d Alexandrie.
Athanase, qui avait consacré tous ses efforts à
ép
urer, face à l hérésie des ariens,
la
notion de Trinité, dut fuir dw:ant plusieurs années. de refuge
en
refuge, parmi les
farouches et fidèles ascètes africains. Ceux-ci tendaient docilement le
cou
aux soldats
impériaux,
plutôt
que de
tomber
dans
la
tentation de
le
dénoncer. Et Athanase s enfonçait
toujour s davantage jusqu à ces régions que l on imaginait peuplées d andtiagues
et
de monstres. Certain
jour
, il dut
son
salut à l alcôve d
une
jeune fille aussi chaste que
belle. Son existence mouvementée porte l accusation
la plu
s véhémente
contre
les erreurs
d une époque
qui
vit la folie s emparer
du
trône.
Constantinople pesait sur le
monde
comme un po u
voir
sans équilibre. Enveloppée
dans sa
pourpre
impériale, elle offrait le spectacle inconfortable de l intrigue de palais
oscillant entre la faveur exorbitante
et
l assassinat arbitraire, d un empereur qui demande
pardon à
son peuple puis l envoie se faire égorger au milieu des émeutes du drque entre
blancs, rouges, verts et bleus.
l répandait
le
luxe
de
la
soie, dont il arrachait peu
à
peu
le
secret aux lointaines
industries de
la
Chine. ll souffrait le joug des eunuques énormes, tressaillait d adu
lation et de crainte, se faisant la femelle des armées.
En
même temps, il rebâtissait, pour
l étonnement de tous les siècles, les muts de Sainte-Sophie, l rédigeait le code en sage,
s inspirant du Questeur Tribonien,
il
cMtiait le Perse, arrêtait avec l épée
de
Bélisaire le
passage des Vandales et des Goths.
Rude pasteur dardanien, l empereu.t Justin ne sut jamais
ni
lire
ni
écrire, et, pour
signer ses décrets, il passait gauchement sa plume par les rainures d une planchette. Son
lescente,
le
corps couvert de graines .
que
venaient picorer les colombes, c
tard, consumait de
son
feu l
asdf
les marchands de l Asie et de l Afrique,
dont la sensualité s é
leva
du tréfonds de
la
luxure jusqu au mystidsme
de l
universelle
et dont
les yeux immobiles avaient
la
fasdnation
du
diamant, vi
les imaginati.ons de
la
luxure
et
de la peur, transfigurée en
un
exemple d
h
beauté.
C est ainsi
que
se présentait
aux
hommes
le pouvoir
qui lança l anathè
philosophie athénienne,
rompant
la tradition des études platoniciennes, la«
dont
nous
parlent les Annales contemporaines. C est ainsi
que
s éteigp.it p
la torche de l Acadétnie, dont les étincelles mourantes n éclairaient plus qu
fantômes.
Sous ces arbres vénérables,
qu Horace avait
trouvés reverdis après les
de Sylla, reposaient les cendres de
l auteur
de
Phèdre
et du Bantplet pretni
occidental de l extase.
C est
là
que
s étaient dressées les tentes des adeptes
qui,
la
nuit même ne ,consentaient pas à s éloigner de lui. Là,
à l aube
d
Acadétnie, comme s ils avaient cherché un refuge
contre la
tempête de co
déchainée par les conquêtes d Alexandre, les Platonidens, déjà déconcerté
sceptiques, avaient commencé cette vie en commun, symbole de l époque
autre jardin athénien, réunissait aussi les épicuriens, leu r inspirantune véritab
de l amitié.
Les vents chauds
de
l Afrique
souffièrent ensuite d Alexandrie. Dans
fondaient activement les métaux
de
l hellénisme et du judaïsme. Philon avai
préparé le terrain, interprétant la Bible comme un voyage allégorique de
matière à Dieu. La secte de Plotin, de Porphyre et de
Ja
mblique poussa com
magnétique, pour se dessécher ensuite sur le sein de la douce Hypathie,
foules furieuses. Nestor avait
appom
à Athènes les derniers pollens
de
l aven
de Byzance en cultiva les dernières pousses.
173
Et
maintenant la grille s'est f
ennée sur ordre de
l'Empereur.
Et sept
autres sages
de
la Gœce, non plus les
grands
hommes que l'Antiqui té identifiait difficilement, les
confondant les uns avec les autres comme des
d i v i n i t
mythologiques, mais sept mortels
de
taille moyenne et d'aspect nullement remarquable, restaient en
t t ~
perplexes, devant
le portique fermé. Isidore
de Gaza
les Phéniciens Diogène et Hermias, Eulalius le
Pluygien, Priscien de Lydie, Simplice de Cilicie et I>am:ucius le Syrien -
demier
scho
comme Deuxippe, historien et maitre d'école, qui parvint à réunir une poignée de b
Pire encore était le sort des citoyens de la Thrace, de la Macédoine, de l'Asie et d
de l ggée, victimes d innombnbles pillages. Le tr6or public fondait, et les partic
enterraient leur or
et
leur argent. es salaires des Sophistes étaient
mal
payés,
vement ou parfois jamais. Avec Claude D et ses successeurs on vit une prospérité re
Les études doivent beaucoup, en particulier, à la protection de Dioclétien. Notre Aca
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liuque
de
l'Aeadémie - se contemplaient en silence, se demandant à part soi comment
allait se manifester la colère des dieux offensés. Isidore, qui était vieux, se mit
à
parler
posément:
• U y a dea siècles, dit-il, que la catastrophe est annoncée. Depuis la mort de Marc
Aurèle, la philosophie est en butte aux persécutions, et tOUtes les protections qu on lui a
ensuite accordées ne sont que velléités ou allégements passagers .
Et
il ne serait certes
pas juste d'accuse r toujours le caprice des empereurs. Les temps ont cessé d ê
tr
e pro-
pices. Des guerres civiles et des revolutions militaires ont distrait l'attention royale. On
a parfois entendu gronder aux frontières le tumulte des hordes barbares.
• Les B.éau.x les tremblements de terre, ont annoncé une ère de souffrances. Le mons
trueux Commode sut encore honorer Adrien de Tyr et Polydeuce de Naucratis. Les
Sévères, sans être patrons déclarés d
es
lettres,
p r o t é ~ r e n t
encore Philostrate,
et
les p.res-
criptions d'Antonin le Pieux et
de
Marc-AULèleen veur des Sophistes furent maintenues
et
respectées.
Il
est vrai
que
Septime Sévère retira
l i m m u n i t ~
au Lycien Héraclide,
mais
c'est parce
que
celui-ci avait lamentablement échoué dans un discours public. Julia
Donna,
épouse de Septime Sévère, poursuivait assidûment ses études et insista
de
son
fils,
Canealla,
pour
qu'il
fit venir à Athmes
Le
Sophiste macédonien Pbiliscos . Mais
Caraealla manqua
de
respect
à
ce demi
er
et menaça même
de
retirer sa veur
à
tous les
malttes.
Il
annonça qu'il ferait brûler les livres d 'Aristote et de ses disciples,
à
cause
d'imaginaires complicités dans la mo
rt
d'Alexandre,
que
Caracalla prétendait venger
à
tant de siècles
de
distance.
Il
n'alla pas jusqu'à brûler leurs livres, mais il supprima les
émoluments des sages d 'Alexandrie. Alexandre Sévère
vo
ulut effacer ce souvenir fun este
en protégeant à
Rom
e les grammairiens et les astronomes ct en sc montrant g énéreux
à
l'égard d
es
rhéteurs des provinces. Malgré tout, l
im
portance accordée aux philosophes
ne redevint jamais ce qu'elle était auparavant. Les empereurs, qui écoutaient naguère le
conseil des Stolciens, étaient maintenant des capitaines élevés au trône u l'acclamation
de
la soldatesque. Entre temps, les Goths passaient
l l
ster; les Hérules de I
Euxin
arrivaient
jusqu à nos portes, et
ce
n'étaient pas des guerriers qui les amtaient, mais des hommes
174
eut, en somme, assez
de
chance et put respirer.
Les
dieux sourirent
un
instant, ava
portet leur condamnation délin.itive. C'est alors le temps du Sophiste Julien, de Per
d'H.imerius,
de
Thémiste, D
iop
hante, Hephestion ct autres
de
moindre importan
surtout
du
malheu.reux Libani
us
,
que vint
broyer, en tournant, la roue des dest
M e ~ l g r é
les centres f
on
dés
à
Constantinople, une lar
ge
marge restait enc
ore à
nos tr
ici , à Athènes. Mais les nouvelles écoles imposèrent le
ur
d
oc
trine
à
l'Empire,
et
c
le commencement de noue ruine.
Les sages se
turent
un instant.
Le di
scours
du
vénérable Isidore n'était pas précisé
réconfortant. Ils s'éloignèrent
par
les rues d'Athènes, ombres
d un
âge déjà ré
Hennias se risqua à observer :
- Pourquoi devons-nous croire, comme Libanius,
que
l'antique sagesse est in
patible avec les nouvelles croyances? Basile et Grégoire de Naziance n'ont-ils pa
leurs études à Athènes?
T
est vrai
que Le
second demeure irréconciliable,
si
le pr
est conciliant. Mais Proclus ne se considérait-il pas comme l'biérophante de tou
dieux
de
l'univers? Ne nous a-t-il pas tracé
un
chemin?
Simplicius expliqua :
- Proclus ' int au monde alors que la düfusion de croyances nouvelles était inévi
Libanius croyait encore à la perpéru.a.tion
de l
ordre antique, particulièrement d
l'attitude adoptée
par
l'empereur Julien.
ll
comparait la conduite
de
ce dernier avec
de Constantin et de Constance D, qui, selon Libanius lui-même, s'étaient livrés
« adorateurs de tombes
».
Libanius éprouva une jouissance enivrante à croire res
pour toujours l'Olympe de ses aïeux, b ien qu il f \.t déjQ évident que l 'attitude de J
rencontrait à chaque pas des résistances : à Antioche, ou même dans le temple d 'Ap
et D aphné; à Alexandrie, à Pesinus, à Césarée et à Naziance.
Priscien ajouta:
- La satisfaction de Libanius
ne
dura pas plus de trois ans. Une flèche perse m
à la vie de Julien.
T
s'en
.f.ill
ut de peu
que
Libanius transi de douleu.r, ne se jetât
su
épée,
à
la
mort de
celui qui
fut
plus
venueux
qu'Hippolyte, plus sage
que
Rhadam
17J
plus sagace que Thémistocle et plus valeureux: que Brasidas.
T
ne
vécut plus ensuite que
pour incriminer les cieu x
Damascius intervint alors, continuant la revue des infortunes commencée
pat
Isidore :
- Depuis lors on vit se précipiter la décadence d'Athènes, Constantinople emporter
la faveur des Princes. Le pillage des te
rr
es, sous prétexte qu'il s'agissait de propriétés
consacrées
à
des cultes antiques, se fit fréquent. C'est ce que nous conte Libanius. Le latin
et le droit se substituèrent au grec
et à
la philosophie. Puis vint le partage de Théodose.
qu'elle avait conservé plusieurs siècles encore après avoir perdu son itn
et militaire. Athènes s'était érigée en musée de l'esprit humain dès l'
tombée sous le joug macédonien.
Et
ses conquérants eux-mêmes, Macéd
rivalisaient pour lui plaite, autant du moins que les citconstances le pe
en ces jours funestes où Athènes prit position contre Rome dans .guer
comme s'ils avaient eu conscience de
leur
grave responsabilité.
Mais tout était changé maintenant. La magnificence d'Athènes se r
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Honorius gouverna l'Occident, Arcadius l'Orient. Et la vertueuse fille de Léonce, élevée
par un père disert et assidue
à
nos leçons eut beau, quand elle
fut
devenue, pour notre
gloire, l'épouse de l'empereur Théodose II , protéger de loin Athènes, comme une divinité
tutélaire, son étoile déclina vite et elle mourut, oubliée, dans un couvent de Palestine. Nos
œuvres d art émigrèrent dans la capitale du Bosphore. Sinesius, après son voyage, et
cachant
mal
sa rancœur et sa complaisance envieuse, confesse qu 'Athènes l a déçu. Il ne
reste plus
à
Athènes, dit-il, que les noms
de
-quelques sites mémorables, comme le pelage
de la
bête sacrifiée.
Diogène objecta doucement:
- Sinésius avoue cependant qu'Athènes conserve quelque chose de bon: le miel
Nousavons eu encore Proclus, notre bon t t r e ~ la cité a connu encore des jours de gloire.
Le souvenir des gloites passées eût suffit à consoler un vieil épicurien, mais non les
derniers platoniciens.
-
Où
trouver - s'écria Eulalius, comme se parlant à lui-même, mais formulant la
pensée de tous
où
trouver le pays du roi philosophe, qui fit toujours rêver Platon?
Et les sages se dispersèrent mélancoliquement.
Pendant trois ans ils supportèrent une vie d'humiliation et de silence. n tolérait
encore
à
Athènes quelques enseignements mineurs : grammaite, rhétorique
et
ceci sous
l étroite surveillance officielle. On ne pouvait satisfaire à si peu de frais ceux qu'Agathias
a appelés «
la
Beur des philosophes »
Tis se réunissaient
pour
se réconforter
et
se
l m e n t e r ~
se promerumt aux alentours
de la ville, ils se montraient parfois devant le temple de Socrate, où
Pr
oclus s'était
reposé.
La ville se transformait en une bourgade. La fermeture des écoles ralentissait l'affiux
d'Egyptiens, de Syriens, d'Arméniens, fils de famille aisée qui, en d'autres temps, accou
raient en quête de la philosophie hellénique. Athènes avait perdu cette animation de ville
universitaire et de lieu de pélerinage pour hommes de lettres méditerranéens, caractère
q6
les édifices publics, car, comme le remarquait déjà le vieux Dicéarque
maisons particulières accusait la condition semblable des libertés civiqu
précisément par suite de la prostration politique, les édifices publics
incurie manifeste.
es peintures de Poligno
te
n'étaient plus admirées désormais da
Pécile, où le roi Antigone Gonatas avait un jour écouté avec respect l
stoïque Zénon.
L
Athéné Promachos - la science qui protège la pa
sculptures de Phidias se trouvaient depuis des années à Constantinople
détruit. Les édifices montraient des mutilatiôns: leurs marbres et leurs
contribué au.x constructions de Sainte-Sophie. L'Acropole, bien qu'ell
destruction, était couverte de mousse et d'herbes folles.
Tout
ce
qui
y
portait les marques de l'abandon.
De
nouvelles images remplaçaient les images palennes. Sainte S
Parthénon,
à la
place d'Athéna. Dans l'Erechteion
on
vénérait la vier
et
le t emple de la Victoite Aptère étaient transformés en églises.
Le
co
occupait l'antique sanctuaire d'Apollon. Sans.doute les bonnes gens con
peu:
dans
le
Thésélon, sous la figure de Saint Georges, tueur du dra
encore adorer Héraclès Théséos; les saints médecins,
ou «
analgites •,
leur paraissaient être les noms nouveaux des Dioscures, Castor et Pollux
leur rappelait
de
très près
Dém
éter, Saint Denis leur faisait l'effet
d u
moniel différent pour
i o n y s o s ~
Héli
os
au char de flamme se nomm
prophète Elie, qui lui aussi descend au milieu des flammes; et a Vierge
d Athènes, était la Panagia Athéné. Les coutumes rituelles n
o
ffraie
nt
gu
Les malades continuaient
à
interroger leurs songes dans les sanctuaire
processions étaient toujours les mêmes. La semaine Sainte évoquait les m
Si la Chrétienté m it cilement en fuite les divinités majeures, les dieux
populaires
et
rustiques, plus proches de la terre, se glissaient subrepti
I77
7/21/2019 La Licorne
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vastée, Ctésiphon se releva si bien que, dès la
fin
du même siècle, elle résistait aux assauts
de Sévère, et
put
encore se remettre des coups qu'il lui avait portés. C est
là
que, au
m• siècle Odenatus de Palmyre, époux de l'illustre Cénobie, avait humilié l superbe du
terrible Sapor, lui arrachant son trésor et ses femmes. Peu après, Ctésiphon n'échappa à
la rigueur de Carus qu en se livrant à lui sans combat.
Au xv•
siècle, Julien l'Apostat y
apporta l guerre, traversant l'Asie Mineure de Constantinople à Antioche,
et
pénétrant
de Syrie en Mésopotamie
par
la zone
de
l'Euphrate.
ll
faut supposer que les sages firent
maintenant
en
quête
d un
refuge, les représentants de la culture méditerran
antique et authentique.
Les Sept s'attendaient
à une
réception chaleureuse
et
comptaient s'ét
terre étrangère pour
le
reste
de
leurs jours. Mais le destin en avait décidé
première impression dut être
un
émerveillement. La cour des empereur
Constantinople n'était qu'une imitation de
la
magnifique cour
du
Grand
passage de l'Asie Mineure à l Orient mystérieux, Ctésiphon héritait du
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par mer la route d'Athènes à Antioche,
la
plus directe et
la
plus facile,
et
de là suivirent
par
terre à peu près la route
de
Julien: trois jours pénibles jusqu'à Alep,
au
milieu des
sables
et
des pierrailles; ensuite, autre étape à Batna et aux ruines
du
temple d'Hiérapcilis,
déjà proche
de
l'Euphrate. Le ·fleuve passé en bateau,
on
pouvait monter jusqu'au cirque
de
Samosate,
ou
visiter les temples d'Edesse, mais,
s l on
était pressé, mieux valait
pousser jusqu'à Carra (Haran)
où
l on admirait le temple de la Lune et
où
les chemins se
divisaient, l un vers le Tigre, l'autre vers l'Euphrate. Ces campagnes avaient vu les
combats de Galère, dont Dioclétien attendait l'issue à Antioche. Avant de passer ce
u v e on
touchait Nisibis, où les chefs romains avaient reçu Apharban, empereur des
Perses défaits. Plus tard, Constance
l l
et Sapor y combattirent furieusement. En incli
nant vers la droite, on pouvait longer la Mésopotamie jusqu'à Nicéphore et passerensuite
le Caboras, affiuent de l'Euphrate, à Circesius. Les troupes de Julien 6 ooo hommes -
en un mois se transportèrent d'Antioche à Circesius. Sept hommes seuls
ont
pu mettre
le même temps. Le Cabotas séparait la Syrie de la Perse. C'est là que commençait cette
région désertique, appartenant en ttalité au désert d'Arabie, exposée aux: attaques des
brigands, qui est décrite dans Xénophon, et qu il ne fut jamais possible de fertiliser. Elle
n'était rendue plus aimable que par l'odeur de ses arbustes épineux, ·et les ressources
qu'elle offrait pour la chasse aux antilopes, aux autruches et aux onagres, ce qui, certai
nement, ne tentait guère nos voyageurs. Les vents qui la balaient soulèvent des tempêtes
de sable. Ensuite, apparaissent les tettes cultivées de l'antique Assyrie et quelques villes
comme Anatos, la forteresse de Tiluta, les murailles en ruines de Macep:racta, par·où l on
arrive aux vallées des deux grands fleuves; Babylone
et
Ctésiphon s'y regardent face
à face, et
un
système de multiples canaux facilite les communications. Les voyageurs
purent y parvenir au bout de quinze jours de voyage à partir de Circesius. Nous voici
enfin au paradis des palmiers, dont les trois cent soixante vertus différentes ont été chan
tées par les poètes.
Quel meilleur tribut pour le Grand Roi
D où
venait autrefois la guerre venaient
r8o
vétustes cités d'Acad, Babylone et Séleucie; elle était le centre de gravitati
monde inconnu. Pour comprendre Constantinople il fallait venir à Ctés
partaient ces courants d'orientalisme qui donnaient une physionomie si étran
et avaient imprégné la cour de Dioclétien de despotisme asiatique. Ce der
déjà pass'er la plus grande partie
de
ses loisirs à Nicomède, sinon à Milan, e
en tout cas, que les empereurs se détachaient de Rome, où le Sénat, bien
déjà plus qu'une ombre, les importunait par le souvenir des institutions o
tépubliéaines, lointaine origine de leur pouvoir. e transfert de
l
capitale
Bosphore paraissait un effet de l'inclinaison de la balance, provoquée pa
Ctésiphon.
Passé le premier ·moment d'étonnement, les inquiétudes commencèren
Les voyageurs se rendirent bientôt compte - dit Agatias - que les f
étaient incroyablement tyranniques et arrogants. Les voyageurs les ·détest
appliquèrent les pires qualificatifs. Puis ils observèrent que le pays était infesté
et de voleurs, ·qui restaient souvent impunis, tandis que l on châtiait des in
philosophes commencèrent alors à se repentitet à maudire le jour où ils avaie
leur foyer.
Ils purent enfin parler au Monarque. Grande fut alors leur déconven
affectait un certaiD intérêt
pour
les choses de la p h i l o ~ o p h i e mais qui resta
et l était imbu de superstitions extravagantes qu'ils ne pouvaient partager
avec une déférence de grand seigneur,.
eur
témoigna son admiration, les invit
à sa cour, les tenta par des promesses. l était évident qu'il désirait leur plai
pas par sa faute que les malheureux: sortirent de sa présence, convaincus
que
régions ne leur convenait pas,
et
que,
pour
eux,·il était mille fois préférable
vivants dans quelque coin paisible de l'Empire.
lls
parlaient peu, se regardaient
l un
l'autre
et
se comprenaient
du
regard
se considérant, sans raison, responsable, et bien que personne ne le lui rep
181
tombé dans un mutisme traversé
de
honte et de colère. Après tout,
il
n y avait aucun
motif pour
imaginer que
la
Perse fût différente des autres pays. Cosroes, comme tous les
puissants, était ambitieux
et
cruel. Les mages se révélaient plus incommodes
et
plus
intolérants que les chrétiens,
et
ne paraissaientpas voir les Sept d un bon œil. Les nobles
étaient vicieux comme dans toutes les cours. es courtisans, serviles selon la loi de leur
état. Les.magistnts, prévaricateurs et vénaux. es coutumes étrangères scandalisaient les
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philosophes athéniens. Voyager par curiosité et voyager en quête d une résidence défi
nitive sont deux choses clliférentes. Cette foule
d
épouses et de concubines, la tolérance
de l inceste, l exposition des cadavres livrés à l appétit des chiens et des vautours, tout
paraissait calculé pour les remplir d horreur.
Cosroes, cependant, ne manquait pas de grandeur, et sa conduite à
l
égard des philo
sophes le rend sympathique. Il est certain
qu
il
sut l
es
comprendr
e
Il
ne se laissa pas
aveugler par l orgueil, et ne
se
crut pas offensé. Au début de l année lH• l fit la paix avec
l Empire Romain d Orient, et exigea qu on insérât dans le traité une clause permettant
à
ses hôtes de retourner dans leur patrie, et les protégeant contre les mesures qu édictait
Justinien pour en finir avec les Gentils. Ce privilègefut spécialement confié à la vigi
lance d un puissant médiateur.
Et
l
es
philosophes s en retournèrent, instruitS par l expérience. Ils choisirent tou
tef
ois
une résidence plus éloignée de Corrstantinople et s établirent à Alexandrie. He.rmias eut
encore assez d ardeur pour continuer
à
commenter le Phèdre
et
légua
sa
chaire l son fils
Amonius. Simplice mettait la dernière main
à
ses interprétations d Epictète, qui sont un
répenoire
de
l antique philosophie hellénique. Mais pouvaient-ils se sentir heu reu x dans
cene bouillonnante cité, où voisinaient bruyamment toutes les nees
et
toutes les
natiorrs, les nouv;eautés et
les
ruines, l ascétisme et la licence, le luxe
et
les haillons,
l hérésie
et
l onhodoxie, l extravagance
et
le bon sens, dans un incompréhensible enche
vêtrement de subtilité t de paradoxe?La vérité est que les Sages ponaient la m ort dans
l
âme, et, comme l
es
bons capitain
es
, montaient la garde sur le
pont
, tandis qu achevait
de s engloutir, ouvert par Je flanc,
Je
navire de la Grèce. ,
•
Le
uai
par
MARCEL
BIZIA
UX
7/21/2019 La Licorne
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se
déformer. Cependant elle n allait pas toujours comme je voulais.
De my
sté
rieux attraits l obligeaient parfois à s éloigner, à s étendre loin de moi au voisi
nage des réverbères, tantôt à droite, tantôt à gauche; mais
si
je ne la voyais
plus pendant un long moment, je ne m inquiétais pas. Elle avait un léger poids
que je connaissais bien, une sorte de système ou plutôt de convention entre
nous qui m assurait de sa présence derrière moi, et quand par hasard je meretour
long
des
cheminées, à quelque distance dans l air, une mince ligne blanch
fidèle, mais une ligne
fixe
dont tous les points étaient nés en même temps
n avait pas été tracée
d un
commencement vers
un
e
fin
une ligne qui ex
dans l espace seulement, et hors du temps. Elle ne scintillait pas, et ne pro
geait ni n enfermait rien. On aurait dit une attention générale considérable,
sorte de recueillement intense et universel enface d une perspective d événem
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nais, c était pl utôt par amitié que par suspicion.
Parfoi
s
j oubliais la nuit. Je me croyais dans
un
e de ces clartés légendaires
où je marchais savamment, presque religieusement, avec
un
souvenir de cierge
à
la main. De très courts instants, je m attardais à regarder les gros anneaux
lisses et noirs au bord du quai, mais sans m arrêter vraiment, trop seul, trop
monotone, pour ajouter encore l immobilité à cette absence de pensées qui, à
la
fin
m accablait. Je m efforçais de préciser, sans goût, la silhouette des gens
qui passaie
nt
loin, là-bas, sur le pont
tout
blanc.
Et
je demeurais toujours sans
réponse.
Une image de la journée passée surgissait sans cesse devant moi: trois petits
enfants, d une même taille rigoureuse, traversant,
l un
derrière l autre, également
distants et
du
même pas, une large rue. Mais chacun, sous le bras droit, portait
objet différent.
Le mot suicide passait quelquefois sans me surprendre, mais c était le mot
dont on parle, celui
qu on
prononce lorsqu on a peur d être seul et
qu
alors on
s occupe des autres. Je n y attachais pas d importance. D autres mots passaient
aussi.
Les bruits s éteignaient de plus en plus alentour. Les plus proches, ceux de
l immédiat voisinage avaient d abord disparu. Puis,
en
progressant,
tout
s en
était allé.
n
ne restait alors que les derniers échos très diminués de rumeurs
lointaines. Et soudain, le silence fut total : je ne le remarquais plus, je ne pou
vais plus y penser; je n arrivais à percevoir de ce fait, de
ce
moment, qu une
possibilité de souvenir prochain. Aucune comparaison ne pouvait plus exister,
n était plus nécessaire. Tou s les passants s étaient arrêtés, les souffies suspendus,
la direction des regards figée. A force de solitude je parvenais à ne plus être seul.
Peut-être à me retrouver. Je voyais partou t, aut our des immeubles
et
jusqu au
186
Je m étais moi aussi arrêté. Immobile
à ce
moment, j étais persuadé q
je le voulais, je pouvais faire un geste, lever la main, avancer un pied. Je
sentais, je me savais absolument indépendant de cene immense et insolite a
tation. En moi?
Ni
orgueil ni étonnement exagéré. Bien sûr, j étais cepen
un peu intrigué par ce chat en arrêt devant moi depuis cinq minutes, comp
ment immobile sur ses pattes de derrière, et semblant de celles de de
jouer d un tambour imaginaire. C était peut-être moi qui l étonnais. Le
ne devait plus avoir son va-et-vient car je ne voyais plus dans l eau toute pr
de la Seine qu un reflet plaqué, surface
fixe
qui me faisait songer à du ca
Puis, tout à coup, il me sembla que tout reprenait,
se
remettait à vivre
garde l impression d
un
immen
se
ballon blanc qui
se
serait soudain go
lentement, lentement, jusqu à son maximum, suivi parallèlement du lent mo
ment des corps muets s animant
à
nouveau. Jusqu à l éclatement. Et tou
remit
en
route.
Avant le bruit, j avais juste eu le temps d apercevoir devant moi, une om
rapide,
un
corps aux yeux fermés qui s élançait. Mais lorsque j e
us
essuyé
qui venait de m éclabousser le corps et le visage en m aveuglant, lorsque je
regarder, la Seine continuait à couler, aussi calme qu auparavant.
J eus un frisson : derrière les grands arbres noirs du quai, passant, recu
de l un à l autre, précédant silencieux ma promenade, il y avait plus d une h
que l homme m épiait, indécis. Nous venions d arriver à l extrémité
du
q
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ariationssur le
temps
par
JE N GROSJE N
RUTH
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Trame
de
rêve suspendue par
l
'émoi.
L'histoire
qui
s'était mise
aux
rames
n'a
soudain plus
de voyage.
L'abeille
m'éveille
à
la
douleur.
Appt JéS
tour
à
tour
11 sép
arés comme mes
deux lèvres.
Quelle
promesse
plus que
frémir?
Il n'est
de
sens
qu'ailleurs
toujours.
T
ambottrins et
frelon s.
L al
véo
le
est
vide d'o
ù j'entendais
bourdonner
la
cité.
Je
ne
plus
que
le
vent
de
ta
route
et
je dialogtte
avec ton cœur
.
L'ombre
te
passe sur
l
'épau
le. Le
chat tigré
tefixe. Des
étam
font
jauni
le
z.
Tel
est mon nom.
Regarde,
éblouie, les
genêts
sont en fleurs
mais
la maison
du
est
si
loin/ Supplice incorruptible
d'avoir
su
véritable
mon désir
.
TR NSE
Qtlà nouveau existe la distance successive est mourir. N être plus
idiot parmi les
bommes
est impossible. L'étor1rneau oblique son bec.
RUTH
:
Je
me
lève, amazone
solaire,
sur la forêt. Tant d'arb
Je vois chacun. Il me
faut
ces
inextricables
pour une seule
fla
présence.
7/21/2019 La Licorne
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P
uisque
la main de l'orage, avant de gifler, caresse les têtes
pressées des arbres, il te
faudra
laisser l'averse s esstf)'er.
Les roches noires
me
ceinturent. La pluie s'approfondit. Je
t
'entends gémir.
Quel
sage
palmier agiterait ses mains
éloquentes?
Chant
er seule-
ment qui
est émanation
et non attitude.
Ton
absence par
mon
refus.
Comme
le
selfait
la
mer
en
allée.
Chamelles de sables si vaines
et
que
je ne puis dépasser. e scorpion
dtt
moins me guette
sous
la pierre.
Vais-je, fou,
dessiner
les cotlstel-
lations?
Je saurai
coucher
mon cadavre
comme
une flèche
vers
l Est. Ils
verront bien. Toul mon corps {index co11pé trop court} comme
Pespoir
de l'aurore. Si
le
soleil buvait l'eau de
mes
jointures
el
que mort au
moins je sois vrai/
Ignore l'humus
elle
muguet.
Devine la
pott/re
ella br
referai
patiemment
le
désert. Voici des stères
déjà
. Je réunis
en fagots.
Seul bûcheron dans
tant de feuilles
mortes.
Une solitude
à
ta gloire. Mes
étriers
Ce silence abso
question.
Voici,
po11ry
répotldre, l'éternité où
la
lumière pre
un
incendie.
*
Le paradis
n est-il pas simplement
un enfer tttile
et
l'a
solitude
significative?Qu est/a oie que le
confort
d'être perdtt
sinon
la
connivence de lottles les
restitutions?
. o u ~ n'est que mouvement. Les
plaies
étincellent comme
knes.
Nt
rem
ords,
ni ra11cune ni r
egret.
L élan.
Et
la
m
la
roue.
Et quels autres
qtte
toujours,
lampadaire dans les
b
anciens,
le
seul Autre?
L'aveugle chante chaque nervure du pré et dtt boi
s. Q
uelqu'un
qui écoute en
voit
une.
Le
soleil passe dans le vent. .
BOOZ:
Ce
ne
peril
être pire ailleur
s. j i r
ai
seul
sous les arceaux
noirs.
reviendrai
avec
les
grappes de g Jcines cerner ton plaisir de ma joie
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Tt
es
venue
Sagesse. Je suis
lotJ
ombre exacte. Je
détruis
chaque
chose en la disant. Vidée de
son
essence elle cesse d'exister.
De nouveaux tas
de
feuilles
de
platanes s'allument
jusqu'à
ce
que
les arbres soient
purs.
Odeur
du feu.
ESTHER:
Chape
de pierreries, je n'ose. Découds
mes
lèvres dans
la
ténèbre.
La profondeur des cuivres noie
ma
clameur.
j ai pleuré comme une prisonnière, tu
sais
. Si je
me
, cachais Ce
serait pire. La déroute de
la steppe galope devant ta colere,
Ange de
Dieu.
Comparaître au
moins
. Les
ta
ureaux
immobiles enténèbrent
ton
seuil. Je vais sur un ft/ d'or
à la
rencontre
de t'aimer.
Tu es toute couchée dans le tombeau de la
montagne.
Ton gémis
ment ineffable m'assaille
à
travers ton bâillon d'aromates
el je
me hâ
Traqué
par
les
granits. Sans sali
ve
.
Je
suis
parti si tard
et
lassé/ Mon
cœur
m'escalade
à
ta rencon
tre. Retiens ton soujjle jusqu a
hirondelles.
RUTH:
Le profil
du
silence
masqrte
un mystère de
bronze
. L e
cimete
de
la
Jouve/le
lune tranche
le seringa par
J
oder r de la mort.
Je ne savais pas que je n'existais pas
avant
d'ê
tre la
plaie de
flanc
.
Souffrance d'être
qui
m'empoignes au ventre sans un geste, lâc
moi/
Non, rien
que n'être que
toi,
l
emps.
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aux moments de son plus grand éclat, il a toujours manqué que
chose à la philosophie. Chaque culture signifie une certaine nécessité
des
im
qui orientent pour chacun l effort d être homme. Celle-ci a engendré le m
et le genre très ambigu qu on appelle roman, et qui en
es
_ la décadence. Sou
formes font leur apparition des images de la vie qui, au-delà du t emps rég
dominent le passé le plus lointain
et l
futur inaccessible. Elles domi
définissent et même justifient l agir et le pâtir qui forment l histoire d un pe
Entre toutes les images créées par la littérature espagnole, Don Quic
de la Manche est, on n en peut douter, celle qui atteint e lieu définitif po
conscience espagnole. Qu il soit également le symbole accepté par la consc
universelle en donne confirmation, puisqu un peuple, pour définis que s
sa
personnalité
et
son destin, ne laisse pas de s intégrer à l Histoire Unive
en
fonction de laquelle il atteint son rang effectif. Mais
e
n est pas seule
devant l Histoire Universelle - la véritable - que l figure du Chevalier
Manche représente l incarnation des aspirations profondes
d un
peuple.
apercevoir clairement cette valeur, ou
ce
projet, il faut au préalable dégag
problème qui paraît affecter les Espagnols, mais qui, on s en rend vite com
affecte également la culture occidentale : c est le problème de son ambig
Or
toute ambiguïté requiert une libération.
Si l on considère la figure de
Don
Quichotte dégagée de son entou
elle ne paraît pas ambiguë
Ma
is
on
ne peut la considérerisolément; elle dem
1
99
toujours liée
à
un
autre,
à
quelqu'un qui est un autre. Vivant dans cette solitude
intime de tous les héros, sa vie est t
ou
jours convivance. Si l'action qu'il réalise
est pleinement choisie par lui, il doit compter, pour la réaliser, avec son écuyer,
son serviteur Sancho; impossible de les séparer. Or, il se trouve que Sancho n'est
pas seulement un serviteur fidèle de Don Quichotte, mais encore quelque chose
de contradictoire en apparence : un juge. La présence de Sancho est en réalité
un miroir, le miroir de la conscience qui considère le génial Chevalier
pour
en
prendre la mesure. Aussi, orque nous, Espagnols, nous regardons dans
le miroir que nous tend Cervantès, nous nous
tr
ouvons devant deux images
la libération, de la liberté. La Liberté est sa passion, elle se mêle
à
la justice, mais justice, pour lui, sera toujours liberté, liberté et
n
liberté et
non
pas égalité. Et la plus grande ambiguïté de l'œuvre
est que le héros qui consacre l'effort de son bras et son inflexibl
libération de tous ceux qu'il rencontre sur son chemin, soit celui q
plus que quiconque, plus que les galériens et les criminels, plus q
de joie » - qu'il appelle, lui, « demoiselles • - que quelqu'un
que tous accourent à
sa
rescousse, à
sa
libération. Telle est l'ironi
sans se lasser Cervantès
à
chaque page de son livre, et qui en fa
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indissoluble
ment
liées : l'image de Don Quichotte, véritablement sacrée, sym
bole de nos plus intimes aspirations, et l'image de Sancho, à son
tour
miroir de
Don Quichotte; jeu de miroirs et d'images qui, dans leur excès de clarté,
conduisent
à
l'ambiguïté. Avec laquelle de ces images nous identifier? Si nous
nous tournons vers la première image, celle du chevalier, première par le rang
et l'originalité,
l
autre image se montre bien vite, celle de l'homme
du
commun,
qui
se
rt et soutient Don Quichotte, et sans lequel il n'aurait rien fait. Mais bien
plus : Cervantès, qui
ne
se confesse jamais, qui ne parle jamais
à
la première
personne, ne
hi
sse pas d'être présent en toute occasion, et il nous regarde, lui
aussi. Jeu de miroirs et d'images, réglé par un regard et un sourire. Et nous en
venons ainsi à éprouver le même sentiment que dans la vie réelle : nous
no u
s
sen
ton
s indécis sous le regard omniprésent d'un Auteur qui, tout en se mani
festant avec la plus grande cb.rté, a laissé intact le mystère.
Le mystère qui circule par tout le livre, dans lequel se concentre l'ambiguïté,
c'est que Don Quichotte soit fou, et plus que fou, aliéné, enchanté. Ce n'est pas
simplement un fou, mais l'individu exemplaire d'une sorte de folie qui s'est
manifestée et a circulé par toute l'Histoire, bien qu'elle n'ait pas eu toujours
cette netteté et
ce
caractère bien défini : la sorte de folie qui demande
à
grands
cris
qu on
la rachète,
qu on
la libère. Un fou est toujours un être ambigu;
on
sa
it
le respect
dont
on
l'entoure encore, dans les milieux nettement populaires.
Pour les gens simples, un fou est un
t
innocent », un être inspiré, grâce auquel
s'ouvre parfois la vérité, un être sacré, en somme. Don Quichotte
n e
st peut
être pas un fou particulier, mais le fou tel que l
a
vu et senti la conscience
originelle des hommes qui subsiste encore dans le peuple. Quelle que soit l'ori
gine de la conception de Cervantès Don Quichotte est un fou sacré,
un «
inno
cent > qui crie pour qu' on le libère des enchantements
du
monde.
L'ambiguïté s'accentue parce que Don Quichotte est possédé par la folie de
2
livre, une blessure.
Une blessure parce que la folie de
Don
Quichotte pose de
problème, aujourd'hui plus pressant que jamais, de la liberté de
on sait que ce dont souffre le héros n'est pas autre chose que le c
un
jour
la passion inéludable de tous les hommes. Nous voyons
Don
Quichotte est
un
livre classique,
un
livre actuel en ce mome
cience, c'est simplement parce que, comme tou s les classiques véri
présente notre propre conilit, et, lorsque nous avons recours à
faisons que nous regarder nous-mêmes.
l n est
pas étonnant qu'e n présence de cette ambiguïté multip
Cervantès, ambiguïté de plans qui se croisent dans le foyer centra
de sa folie, aient surgi, dans la dernière période de la pensée esp
commentaires d'égale qualité, deux livres qui nous ont présenté,
gnols, deux h e m i n ~ ou deux moyens de dissiper l'ambiguïté d
c est·à-dire, de le racheter de sa folie, de détruire les enchantemen
et annulent finalement sa claire volonté et son action innocente
réalité deux guides- genre si espagnol-
pour
sortir du conilit q
fait d'être Espagnol. Mais si celui-ci est
le
conBit de l'aliénation, d
ment
du
monde en face de la liberté, il se trouve être ainsi le conflit l
tiquement universel
et
actuel, le conilit de l 'Histoire toute entière
critique
da
.ns l'ère que nous traversons actuellement.
Rien d'étonnant à cela; lorsque l'Espagne a pleinement réa
grande aventure, cela n a pas été seulement pour elle-même, ma
avant tout pour quelque chose d'universel; s'ilnous était permis d
définition de l 'Espagnol, nous oserions
propo
ser celle-ci : est auth
Espagnol celui
qui,
comme Don Quichotte, vit et souffre pour ob
chose d'universel.
%01
es tentatives de libération de Don Quichotte dont nous parlons ont été
réalisées par les deux hommes
de
plus haute valeur intellectuelle des derni ers
temps :
don
Miguel
de
Unamuno
et
le philosophe Ortega
y
G.lsset. e livre
du
premier a
vie
de Don
u
cho
lle
et
at Çho
fut écrit à
l o
ccasion
du
centenaire de
la publication du Quichotte. Celui d Ortega U s
mlditatjons su
r le Quicholle
marque la première étape d une pensée philosophique longuem
ent
mûrie, qui
a abouti à
un
e philosophie de la Raison Historiqu
e.
challe est aussi contradictoire
qu il
est possible avec
l
ave
nture
d'Unam
premier lieu, il
ne
considère pas
Don Qui
chotte, mais le livre
tout
enti
travers lui, Cervantès. C est Cervantès qu il préten d déchiffrer. Ortéga d
ainsi l'ambiguïté
du
Quichotte, son ambivalence, la perplexité qu'
devant lé livre sans égal la conscienceespagnole. Qui était Cervantès, et
voulu nous dire, se demande-t-il? Son interrogation se charge de la plu
angoisse philosophique
pour
le destin d'
un
peuple si singulier, d' une
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Unamuno, dans sa Vie de DonQukho
lle
et Sancho se lance au secours de Don
Quichotte enfermé dans l'enceinte
du
roman de Cervantès avec la passion insa
tisfaite de l 'auteur qui n'a pas trouvé son personnage ; ille délivre en transfor
mant Don
Quichott
e en un personnage de tragédie. C'est ainsi qu 'ille sauve de
l'ambiguïté. Sancho est simplement le serviteur incrédule.
Le
:
« Je
crois,
Seigneur,
vi
ens
en
aide à
mon
incrédulité
»
n
es
t autre cho
se
que la nature
humaine que
n a
pas entièrement gagnée la foi, la matière qui résiste
à
la flamme
de l'espérance; le bon sens qui ne se laisse pas pénétrer par la folie de la charité.
Et
la survivance même de
Don
Quichotte change de genre, car, s'il a reçu de
Cervantès l immortalité, il atteint, entraîné par la passion d'Unamuno, à
la
vie
« éternelle ». A ce point, l'ambiguïté se dissipe complètement, car être immortel
c'est simplement survivre dans la mémoire des hommes, aller au-delà des
frontières de la mort, mais, en échange, abandonner la vie. Tandis que la vie
• éternelle t est au contraire
l absorption
totale de la mort dans la vie, la destruc
tion de la mort. Résultat en accord
av
ec l aven
ture
unamunesque, qui vise à la
libération
de
Don Quichotte,et, puisque
la vi
e éternelle se présente aux hommes
seulement dans la Religion
qui
fit de la liberté sa révélation fondamentale, en
accord avec le christianisme. Unamuno délivre
Don
Quichotte de l ambiguïté
du
roman, du jeu de miroirs équivoque
et
, e baptise chrétien; son histoire est
une
forme
de
la pass
ion
tragique, des souffrances
de
la liberté s
ur
la
terre,
et
elle s'achève par l'introduction du héros à la vie éternelle.
Unamuno propose ainsi aux Espagnols et à tous ceux qui s'approchent du
miroir qu est l'a:uvre de Cerv antès avec le désir de déchiffrer son énigme, une
aventure entièrement quichottesque : s'identifier avec le héros et, ce faisant , le
délivrer d es contingences
du
monde
où
sa
vie
se déroule. Mais quelles so
nt
ces
contingences? On le sait ; on sait
que
le
monde pour
le héros, et plus
qu
e pour
personne, pour Don Quichotte, est « enchanté ». Unamuno nous ordonne
de
négliger 1 • enchantement
et
de poursuivre.
Cc qu Ortéga y G.lsset essaie de réaliser dans son livre Mlditations sur leQui
2.
02.
qui pose tant de problèmes fondamentaux. Ce qui est essentiellement e
en arrive-t-il à dire, est
quelqu
e chose d'aussi rare dans le
monde
que les q
gouttes
de
sang
grec
qui subsistent actuellement. Ce caractère espa
s'est réalisé aus toute sa pureté
que
dans
un
édifice: I
Es
curial,
et
dans
u
Le Quichotte. Or le livre - monument de
mot
s - est terriblement
Ce
n'est pas
Don
Quichotte
qu
'
Ortega
pr
étend délivr
er
mais le d
l E
spagne retenu pri
so
nnier en lui, enchanté avec lui
et
par lui.
En
consé
ce que fait Ortega, ce qu il nous propose, ce n est pas de délivrer le pers
mais de nous approcher
du
regard de l'Auteur
et
plus encore que du
du lieu où naît ce regard. L ambiguïté se résoudra - on le déduit d
l'a:uvre philosophique d Ortega - par la connaissance. C est la pensé
sophique qui résout l'ambiguïté essentielle de toute révélation mytho
figurative : la pensée
détruit
les enchantements du monde qui entoure
parce qu'elle détruit les enchantemen
ts don t souffre le héros lui-même,
de son image la pensée qui y est cachée.
Car toute révélation poétique est ambiguë, dira plusieurs années p
O rtega au commencement
de
son cours
Thèse ml
taphysique sur
la Raiso
Et si la claire interrogation philosophique sur l'essence des choses a
Grèce, cc fut parce que ses dieux, façonnés par la poésie, étaient de
ambiguë. Cette proposition éclaire po
ur
nous définitivement son livr
Quichotte. Devant
la
révélation poétique du Quichotte, il nous pro
dissoudre dans la conscience cette figure quasi mythologique, d éclair
pensée
philo
sophique le rêve qu'elle porte en elle, de déchiffrer son énig
en tirer un dessein de vie.
Nou
s voyons maintenant plus netteme
nt
en quoi consiste l'ambig
miroir que nou s offre Cervantès : Don Quichotte, le protagoniste, est
d un long rêve ancestral, il est parvenu au rang de héros simplement po
obéi, comme tous les protagonistes de tragédie,
à un
cauchemar ances
ceux-ci sont les victimes au sens sacré et au sens humain. Toute tr:tg
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lisme, Raison
Hi
storique, essaie d embrasser la totalité de la vie
humaine:
vie
et conscience, et elle contemple au-delà encore l existence de l homme entre
• l être
et
le néant
»
Pourra-t-elle vraiment annuler la
tngédie
d exister, c est-à
dire la tragéclie de la liberté? La conscience philosophique, retranchée jusque
sur ses d e r n i ~ r e s positions, puviendra-t-elle à annuler les figurations poétiques,
les mythes, les personnages ambigus porteurs des plus profondes et indéchif
frables espérances? Vivrons-nous, dans l ère qui vient e s ouvrir, de connais
sance philosophique ou de symbolisme poétique? de quoi vivront ceux qui
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nous suivent?
u
peut-être se prépare-t-il enfin
une union
entre Philosophie
et Poé
sie,
un
mode de connaissance
et
une sorte
de
raison qui, sans détruire les
images des héros, parviendraient à
li
ssiper leurs enchantements.
Nous ne
savons pas s il en sera ainsi. Mais c est seulement dans ce cas,
par
l union de la
philosophie
et
e
la poésie,
qu
e
notre Don
Quichotte trouvera sa
libération, la libération des enchantements
du
monde
en
meme temps que de
sa folie; et aveclui toutes les figures nées des reves fantastiques de l espérance.
Mais l espérance supreme pour les occidentaux, a toujours été, sous clivers noms
et livers signes, celle qui se pare du nom de Liberté.
On n a peut-être jamais écrit d œuvre plus près d
être
la Tragéclie dela Liberté
-
notre
Tragédie - que l histoire ambiguë du Chevalier de la Manche.
Mais son
~ m b i g u ï t é
pourrait peut-être
se
résoudre ainsi : sans alliance 2vec
la poésie, la pensée philosophique ne pourra 2tteindre le secret suprême de la
liberté terrestre, la fusion de la liberté avec ce qui paraît être son contraire :
amour, obéissance.
ils
u
Pays
par
GEORGES BEMBERG
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r
E
N NT
,
je retournai au pa
ys
où m a
tt
endait
un
sol dém
es
u
même
ma
ville par le réseau de l estu:lire - au petit
yacht
b
ni
ca
l dans d étroits canaux bourbeux,
où
l
es
saules déposaie
nt
s
u
minuscules chenilles. Après m être grat té jusqu au sang, j arrach
les branches coupables que je foulais.
L eau baissait; la banquise entamée, le navire penchait pour
de haleurs dans la saussaie. J oublie quelles étaient les manœuvres
Au terme de quelques heures enlin, la quille se redre
ss
ait. L
o
assez vite dans un
eu
ve qui n était bientôt qu un afBuent, puis
La côte verte ajourée de minces cours d eau qui se ramifiaient à
ruissea
ux, semblait l ancêtre même de cette eau, non marine, m
libre que l océan, et dont la couleur, plus claire que le ciel, crée l
image renversée.
A cet effet, souvent,
je
mets ma
tê t
e
en bas
, afin que la rivière
le
ciel
rivière,
et
je
n ai
de
esse
qu elle ne m ait enduit
de
son lait ro
de
l
encre tiède qui me glue les pieds.
C est cette eau, je crois,
qu
e dans ma ville, je hume
et
dans ses
elle guette sous forme d arbres noirs. Rien, pourtant, de plus sec
qu
rose sous le pigeon dormeur, ses feuilles plates et courbes dans la
parcs, i une contre l autre. M
ais
bientôt l écorce ébénacée d
un
pa
Beurs mauves, le tronc saurien de l arbre
à
kapok évoquent cette m
souvent j'allais regarder aux heures de marée basse, lorsqu
e
lle découvrait avec
honte la vase noire où gonflaient ses poissons. Les rares pataugeurs sur le rivage
avaient des voix lointaines qu'on entendait bien. Je révérais l'indécence d'une
côte sans eau, ce retrait d'une chose ess
en t
ielle, l'abandon d'un sol mou prêt à
pourrir pour peu qu'à l'air libre il demeure trop longtemps.
Mais la rivière reviendra comme
un
accès de fièvre. Elle cachera sa lie, et la
côte diminuera. Les jardins et les arbres s'apprivoisent sous la menace de l'eau
qui monte.
mais nul ne se suffisait plus durant cet instant de rareté.
l i
fallait affronter le
ensemble.
L'aboi des chiens ne portait plus. Les arbres autour de la maison nous a
daient. Je sautais à terre. La voix des miens avait perdu relief. Je rem
engourdi, étonné de mes mouvements. La lampe à l'entrée
me
faisait sign
J'entrais dans la maison comme dans une châsse où se fussent conservé
dimensions humaines.
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Cette rivière, pourtant, dont on parle comme d'une mer, échappe à toute
définition. Fleuves soumis d'Europe, mers alpestres,
lacs
d'Asie, plus que jamais
domptés
en
regard de ma rivière Que rares sont ceux qui connaissent le mystère
de l'eau; qu'innombrables ceux qui n'en peuvent parler qu'en fonction de
ses
reflets.
Notre eau est sans reflets. Rien ne s'y baigne que le ciel, dont elle tient des
couleurs qu'il n'a pas.
n
Mon enfance s'est fixée à des bruits d'arbres, vers midi, lorsque
je
ne dormais
point la sieste, ·et qu'à la croisée, où filtrait un silence de cretonnes, la mouche
enfin se taisait.;
Notre maison s'abritait d eucalyptus parallèles auxfûts souples, dressés conrre
la plaine. J'avais l'illusion de la forêt. Mais toujours, je redoutai le pays béant
avec l'herbe des animaux sous le cid entier.
Retranché derrière les troncs pelés, le rêve s'alliait aux bouquets jaunes,
m'entraînait dans l'allée de poussière
où
voletait une plume.
Au seuil du verger qu'ardoisait une lavande à l usage de mes draps, c'étaient
chaque fois la menthe, et l'enclos de baies tièdes, au soir transparentes.
A peine attelée, la voiture roulait s
ur
une piste noire
à
travers l'air apprivoisé
de l'après-midi. C'étaient des échantillons d'eau, sous forme de
B.aques
perdues,
qui s'annonçaient au loin par des coulées bleues.
Jamais la terre ne m'avait paru si basse. Je
m y
sentais peu de chose. Nous
étions six dans la voiture. Cependant que nous rentrions le soir, fuyant l'espace
qui reculait dans tous les sens, on se blottissait les
un
s contre les autres, car pour
chacun l'abri d'un corps voisin devenait nécessaire. Nous n'avions pas froid,
21
m.
C'est aux bords d'une marc, à l'heure où disparaît très vite le dernier seg
du
soleil, qu'aux approches de l'automne j'allais visiter les oiseaux. J'avais
le jour à cheval en quête d un gibier d'eau, canard, ibis ou sarcelle, sans po
jamais l'approcher. Averti de ma présence par le cri du tero, je voyais s'en
le i f f i . e ~ au bec
c r ê ~ é
de rouge, l'aile courte et prompte dans l'air mince. L
temps, Je le regardats tournoyer aut our de cette mare en cette époque un
~ n s
le voisinage, dans l'espoir qu'à nouveau il viendrait s'y poser, pourvu
Je restasse immobile et accroupi, déjà tout frissonnant, derrière les joncs.
Certains soirs, après m'être séparé de la mare, lorsqu'on s'apprêtait à d
l envie
e p r e n i t
d
y
retourner comme rappelé soudain par le mystère qu
dégagea1t. Pendu au bras de mon père
à
qui je dois une telle découverte,
l'eau noire, qui m'attendait par delà le bois d'eucalyptus, je l'entraînais. La
m ~ v e s t . i s s a i ~ de. grâce. Je v o y i ~ nager l siffi.eur. Mon père charge
peut fusd
et Je
vJsats en tremblant. J attendais ensuite que le faible couran
ramenât l'oiseau magique dont tout à l'heure j'avais ta
nt
admiré le sillag
Encore chaud dans mes mains
où
caillait
un
sang plumeux, il n'était pl
même; j'ouvrais son aile lisérée, déjà roidie, acquise
à
l'immobilité et au si
qui m'entouraient, et je m'acheminais vers la maison, portant l'oiseau mo
dont la tête lourde d'un sommeil inespéré retombait sur sa gorge blanche
A l'aube souvent levé,
je
croyais devoir devancer le jour. D'épars voil
brume s'étageaient peu à peu sur l'herbe, à cette heure muette, que devait bi
animer u11 e industrie d'insectes.
Je revoyais la mare de la veille, mais toute une plaine devant moi fin
par m'en distraire, une plaine où l'homme à cheval se confond au loin
l'arbre qu'il désire.
Il
Terre ou ciel? Force m était de choisir laquelle de ces deux moitiés, si parfai
tement définies, allait l emporter sur l autre. J étais en contradiction avec le
continent puisque je restais debout, dénoncé par une inexorable loi que je sem
blais défier. Une force mienne m empêchait de tomber, qui me séparait
du
monde
où
je vivais. Ma solitude se définissait dans l autonomie de mon être. Je devais
triompher, mais j avais peur, soudain, de
me
découvrir à ce point moi-même
devant l accusation muette
du
pays.
Quel relief prenaient alors le terrier à peine exhaussé du loir,
et
celui entre
les pierres des civettes, que seul passaiten hauteur le chardon sec aux dards bleus.
d eau.
Je
me souviens comme lui de
tout
e une généalogie
de
gr
perdus, divisé
s
ramifié
s
aux berges silencieuses.
Nous reviendrons liquides et suivant que nous mourrons près
ou dans la steppe, nous serons eau ou vapeur. Chez nous, la po
pas humaine.
v
Un
soir, qu il avait fait beau, un cygne
bl
essé
me
revint
u ~ c i e l
dans un vacarme de plume
s.
Son aile brisée s était prise dans
u
7/21/2019 La Licorne
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IV.
Trois plumets fument
à l horizon. C est le gnandou, fidèle aux nuages dont il
tient sa couleur. Il était là, soudain,
à
quelques mètres, gêné dans sa course par
un bagage d ailes
sa
les, habitées
de
poux, le jarret puissant, l œil démesuré dans
la tête plate.
Du
haut de la Ford que soulevaient d innombrables fourmilières je
visai. La balle vrillait l air. J entendais le son de sa trajectoire. Le bruit sourd
dans l aile. L oiseau tombait,
se
levait, retombait, fuyait sa propre douleur qui
l étonnait bien plus que le bruit du moteur derrière lui. Bientôt, accroupi, le
cou sinueux, il haletait dans
un
creux de paille, prêt à cingler
d un
coup de patte
qui s en fût approché. L homme à cheval qui a nom Monsalvo, serre son couteau
sous le bec de l animal, dont l œil resté ouvert semble ignorer le torrent violent
qui l imbibe tel un suaire à l heure de la soif. .
C
est
mon second crime
en
moins d
un
jour. L oiseau
sè
che
un
sang
rap1de
au son d une mouche. Monsalvo essuie dans l
he
rbe sa lame blanche. l n a rien
vu.
Son cheval broute
le
mors. Nous partons.
Cependant que la plaine s aplatit sous le jour,
se
tend, se détend comme une
peau transparente de lumière, je songe au sang fait terre, à la bourbe ralentie
au sein de l aile,
et
déjà
mon
cœur se lève, car j ai attenté
au
continent, l
eq
uel, à
présent, va m obséder,
du
rant
un
temps, de cette saveur qui lui est propre, et
que je dois endurer chaque fois qu au travers
d un
homme,
d un
animal, d une
plante, il lui arrive de mourir.
Insigne alliance que celle du l imon de mes euves avec
le
sang lourd de mes
oiseaux. Je me sais les veines nourries
d un
fluide végétal qui me lie à l aguaribay
que
je
vois ombré de ses cheveux verts au bord
du
delta. Son écorce noire,
humide sous la feuille, m est proche. Nous sommes issus de l eau. Nous sommes
D autres cygnes le survolèrent.
J
enviai cette fière agonie que p
présence je craignais d importuner. Du ciel, de l eau, et
du
cri de
lointaine, se dégageait un mépris qui passait de beaucoup celui q
signifier un de mes semblables. Ma place n était pas là. Qu étais-je v
Ma primauté d homme semblait révoquée. J avais beau me sentir ra
même, je ne comptais pas. Les oiseaux passaient d abord.
Le cygne vêtait de blanc cc coin de nuit. Je décidai de le cherch
fonçai dans la mare. Mais l eau croissait à chacun
de
mes pas et
couvrir
ma
taille d enfant.
Je dus regagner
la
voiture. Vaincu et transi, deux jours plus
malade.
La nuit, dans le lit sec où m anéantissait la fièvre, les heures oisive
s
ur
mon front comme si le temps se fût clos sur moi. Je me représen
dans l obscurité. Les cygnes étaient partis. L eau ne faisait qu y cr
eau qui m avait donné la fièvre. Cette première amante,
tout
e fémi
et
désireuse de châtier tous ceux qui ne pouvaient lui résister. C
mal d eau.
Cygnes, canards et sarcelles s étaient vengés sur moi. J imaginais
striant le ciel.
e
cri des oies très haut.
Le
plongeon imprévu d une
plainte qui naît du seul espace déroulé, à laquelle répondent
tou
s le
la création.
Je
me
sentais renié par ma terre, non pas que
je
m y trouvasse ét
le seul fait d
êt
re humain m en rendait indigne. L eau m avait cul
si je l
e
us
se
trahie
en
devenant chair. Elle me serrait à peine,
et
la
son étreinte m alarmait d autant plus que
je
la savais fatale.
Par le mal consumé,
je
grandissais,
mes
membr
es
s étendaient à p
~ 1 3
j
me sentais redevenir terre et eau. Le pays me taisait sien. Atteint comme lui,
je
n'avais mal qu'au travers de la vision que
je
m'étais faite de lui. Nous n 'étions
plus qu'un.
Le
front illuminé
de
ma mère,
fille du
pays, sur mon bras la main loyale de
mon
père,
cet
ami de l'eau, près de moi, lors même que dans mon délire, je
célébrais les veillées rosies du premier frisson de mars,
et
qu'une larme de rage
coulait
le
long de mes tempes.
Le cygne s'est envolé. L
es
flamants grimpent. Tous les oiseaux
me
quittent.
VII.
Le pied enfoncé dans un tertre chenu,
je
vois
nu
chair s'obscurcir de
mis, comme
un
monde voué au mal. Leur besogne trop prompte pou
enrayée récolte une moisson d'enfer, qui point à ma cheville tuméfiée, a
luisante de chaleur et prête à couver l'œuf tendre
où
sc condense ma fiè
Tard ce matin, mon cheval entame une bouse croulière non loin de l'a
voir visité d' une soif de bétail, qui m'obsède plus que celle qui blanch
du ces fixe
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Voilà qu'esseulé dans l
es
joncs, le soir peu à peu s'empare de moi.
Qu
e n'ai-je su m'attarder auprès de cette eau Je n'eusse plus
vo
ulu
guérir ..
VI
.
Le sol m'a transmis
un
mal qui remue dans les feuilles.
Qui
saura, que l'ar bre,
m'
en
parler? Je laisse bruire jusqu'à moi toute la voix d'une terre qui se plaint
d'être habitée. Avec
ses
gestes de longues plaines, et ses fleuves, elle
se
cherche
encore. Elle voudrait n'être que seule.
L'hiver, dans l'allée
sa
upoudrée de mimosas, je foulais d
es
pelures d euca
lyptus, et j 'entrai dans la plaine. C'est encore Monsalvo à cheval qui me salue,
retour
des
mondes dans sa poussière. Mon père m'a dit que tout l'océan n'a pas
suffi à le garder. T est rentré de voyage, l'œil las, la mine fautive, en quête d un
arbre,
ce
mât de nos plain
es
.
Saura-t-il m'instruire
un
jour du silence qui émane de sa personne comme
de
choses qui l'entourent ?
Je
n'ai rien à
dire
Je n'ajoute rien
au
râle que fait
la plaine dans la distance.
Je
ne fais rien. Je ne
sais
qu'incliner contre l'arbre
qui chante ma paresse horizontale. ·
Monsalvo
Nom
que semble énoncer toute une terre à cheval parcourue, à
l'image de laquelle
Dieu
daigna te créer. Sont-ce là-bas tes pensées que
tu
vois
défiler dans les nuages? Le duvet rose me colle au creux des paumes et
ton
poignard luit à ta ceinture, dans l air avarié d'un relent de carcasse.
Ce soir,
des
visages reflètent l'âtre,
où
va se fondre
tout cc
que l'horizon a
déposé au fond des cœurs.
Un
r
ôt
fumant meuble ce coin d'hommes pensifs.
Je vois suer la pierre rougie
et
Monsalvo contre
un
mur avec autour de lui
l'odeur d'une journée que j'ai vécue.
salive. Le poing soleil sur terres écachées à tout jamais leur dime
unique, où
je
lutte contre le grain d'air qui lève dans m
es
tempes. V
saigner du nez? Le pays tout entier est bandé sous l'arche de lumièr
e.
narines s'allument. Ma tête
se
fêle. Je m'agrippe au crin qui frémit de taons
mais le bassin de zinc au pied du moulin augure une trêve à mon usage.
Qui dira ce goût d'eau, lieu d'une transparence
qu
'àppelle
la
plaie du
ce contact advenu, ces recels ..
Sitôt que mon visage s'inonde sous la jatte inclinée, j'essaie de m'in
à la grotte bulleuse - dont
je
vois s'ouvrir ve
rs
moi la nuit - avant que
boue de mes lèvres
sc
remette à fumer.
Là-bas,
ce
crâne de vache s'ébranle, qui émerge d'une flaque au bord
rout
e où chaque jour
j
passe venant de l'épicerie ro
se.
Les cornes maud
le ciel dans le repos de ces quelques débris d'os blancs qui ne tiennent p
rien.
Défaits, purs d'une odeur distribuée par les champs, à présent initié
ressemblance
des
pierres, ils sombrent calcinés dans de nouvelles espèces
vm.
C'est encore la terre qui l'emporte en ce continent où
je
me sens rav
rang d'homme. La terre premièrement.
uis
les plantes
et
les animaux.
l homme ne les suit pas.
T
s'est importé. Arrivé d'Europe, pour peu q
boive l'eau du fleuve et que la poussière fasse crier mes dents,
je
fléchis de
veau à la manière de cet homme vertical qui descend du Nord, avec sa vie r
à
fleur de peau,
fin
de nous instruire de méthodes qui valent seulement
qu'elles mènent
à
bien
u e
entreprise. Mais bientôt il ralentit lui aussi
fils
déjà tient
de
l'eau.
C'est cette saveur de fleuve que dans mes veines je goûte avec la do
21)
tiède des fruits
et
le sucre des femmes, qui m'alanguit aux yeux de cet homme
tard venu-
comme qui serait exclu d' un commun secret,
-dont
je vois clignoter
une paupière mince et rougeâtre qui vient d
a
illeurs.
e Nord,
mon salut, est de sel. Là-haut, dorment les sols d'hiver, comme des
loirs blottis, et l'homme, de
tout
temps libre, est
un
fauve. Sa raison canine
quête
la
mesure, mais il n 'avale point ce qu'il mord,
ille
garde. Sa faim ne vient
qu apr
ès. l peut toujours l'ajourner.
Chez nous, au fond
du
Sud, ses barèmes s'invalident, ct son métier d'Europe,
ct sa faim prévue.
Il
lui faut une fille crue
pour
lui apprendre à marcher sans
compter ses pas.
humide,
et
le marbre
du
soir fond comme un sorbet.
Et
dans le ci
une démangeaison
qui
lui prend sa coule
ur
.
Au
seuil
d Orion
éc
pan de nuit, une bête quelque part
va
se plaindre, près
ou
loin, da
rien jamais
ne
finit. Pas
de
froissure d'air. Dans les feuilles
tout
est no
seule habite. Seul l'espace est là incertain.
J ai pu voir la lune mouiller l'herbe des prés, puis mont
er
comm
après elle afin d'aviver ce masque qui pend mollement à l'exempl
visages d'ici sur le
point
de fondre. Le monde qu'elle rend visib
prend un relief sidéral qui lui sied. l
est
une absence en quête
d
dans la nuit pâle, la chaleur retranchée du jour laisse un vide qui n
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Je
laisse ceux
du Nord
se partager le butin de la certitude. Que ne viennent
ils fondre le sel de leur race
au
creuset
d un
jour vif, au gré des vents immenses
qui bordent le vide, à
l ombr
e
d un
chant
e
feuilles, au fond
d une
citerne que
visite, la nuit, un blanc poignet de femm
e?
IX.
Cette façon qu ont les sols d'engloutir leurs morts Ici, la terre a faim de
l'homme qu'elle fait croître tel
qu
'une herbe
dont
elle garde jalousement les
racines, tel
qu un fil
s,
qui
sait remonter
une
lignée de sexes différents, sous forme
de fleuves ou
de
plantes, jusqu'à sa première matrice.
Nous retournerons tous à la t erre par un vertige de la naissance. La mort
n'est pas, chez
nou
s, autre chose. Les éléments
dont
je procède aiguillent vers
eux ma vie. C'est penché vers la
mort
qu'avec l'arbre chanteur et de tant
cerné j'attends d
éc
happer
pour
un instant à ce vers quoi je suis fatalement voué.
Non
tant la mort, qu un retour au sol avide qui m'a fait.
L'homme d'ailleurs connaît-il ce vertige, cette plaine que de tout côté je vois
finir où je me sens posé par un hasard que j'ignore? Comment rachetçr cette
fonction verticale qui se nomme vie?
Pèse
nt
des paresses à l'image
de
l'eau oisive
qui
s'étire là-bas comme
un
geste.
Heureux l'oiseau tendu dans le sens du pays. Heureux son cri
bref
qui annule
les distance
s.
x.
Lor
s même qu'applaudit l oiseau qui détale, j'avise la soie d un pluvier se
foncer sous l'aile chaude de soleil. Pensif, les pieds dans l'eau, il hoche une tête
u6
vrai froid. Une excessive fraîcheur qui
ti
ent
du
marbre immobili
touche et devient elle-même plus calme
qu
e le silence qu'elle emp
Toujours c'est dans la
nuit
que je me sens
peu vraisemblable-
ciel ne font alors plus
qu un
abîme qui permet aux choses vivantes d
- droit, oblique
ou
couché. La terre est seule ici. L'homme pr
conscience de son intrusion. Qu 'y fait-il? Rien n' indique son
rô
l
qu
e l'éclairage où baigne la plaine, semble m'exclure des éléments
vois surl'her bele reprochede mon ombre géanteet seule
dont
je veux
Suis-je seul d
ê
tre seul ou d être non précédé? Ce
n
es
t pas un s
que
d
errer dessus la pla
in
e, quêtant refuge auprès
d un
sol qui m
Rien, autour de moi, n'annonce que lors d'
un
lendemain d'hommes
mûries, soit reconnue ma présence, qu'enfin, tel un
.fil
s de ce
Nord,
terre à
mon
échelle,
où
je puisse m'introniser.
Mais mon sort n'est
point
d'être homme.
J ai
beau m é n o n c ~
rien ne m'autorise à répondre à ce nom qui me fut donné au matin
sance comme un désaveu de cette terre d'où je procède.
Je
ne me sa
J ai
soudain peur
d êtr
e moi. Une impénétrable hiérarchie m'aboli
dans sa fidélité, m'accorde un rayon de mémoire,
où
je me souvie
XI.
Une mare
vit
en moi depuis qu'elle disparut lors d'un trop lon
ne sera plus comme cette vie d'automne où je la vis naître, car c'est
nant, le seul é
té
toujours, vorace et sans oiseaux.
Il
court qu
'un roi
d Europe
vint y prendre un gibier. Il
y
a d
longtemps que ne le fait croire la légende. e monarque précéda l
l'tvaporation d'ailes qui désola nos steppes roussies par l'herbe drue des ciels
blancs.
Ah que viennent les soirs d'ailes
ct
de cris qui blessent le
cid
de douleur,
ces remous, ces retours au pays
Survit une eau d'averses
en
attendant que montent les fieuvcs. La bouc sc
fend. Le
ro
seau casse. Une étoffe de feu volète devant moi dans l'air cuit.
Tout
e
trace d'oiseau, toute plume, toute transparence s'égarent. Le jonc sèche vite, sc
dore et devient un faux signe car il continue d'annoncer l'eau.
suffoque avec l'oiseau, m
es
mains
se
taisent .qui
é p e ~ a i e ~ t ,
et celles que) a
sur une robe prêtes à dormir. l est des fnssons
qw
déferlent sur la nve
choses. Une ;au d'herbe
se
dépose sur le navire, telle une neige d'été, plus c
que la fleur cachée qui vient à
p ~ é s e n t s ~ c r a s e r
contre.la joue.
. ~ n e
Elle
Heure féminine, d'argent mouillée et dun chant magtque,
qUI
s egoutte
les plus noirs retraits des berges, parmi les s a u l e ~ . V ais-je encore r ~ m o n t
long de
ces
fleuves qui entr 'ouvrent leurs bras attlédts par le sommet
des
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Que ne suis-je parti avec la migration Vienne l'hiver, l'eau fieurira de
ces
cris qui peuplent mon espoir. C'est promis chaque année. Mais la mare n'est
plus fidèle à ce qu'elle fut. J'irai ce juin quérir la plume sous l'oie pure et fidèle
qui m'annonce la saison.
xn
La mort est le retour au continent. La vie n'est qu'une suite de migrations
semblables à celles des oies de Maipo, lesquelles reviennent au sommeil dans
les eaux.
Que me sert de lutter? J'appartiens à cette mort comme un fils
à sa mère.
Après tant de caresses d'eau, de lumière et de plaines, que je savourais chaque
fois que, retour d Europe, elle m'enlaçait, je n'ai
pu
l'oublier. Me fût-il donné de
pouvoir mourir comme un homme de pays mûr, je n'aurais point connu de
vertige. J'eusse cru en
un
vtritable réveil dans l'authentique. Je me fusse adonné
à la vie, cette offrande .
Mais que me sctt de prier Dieu quand l e pays me réclame avec une impa
tience de femme? Je n'ai plus devant moi qu'un
infini
sommeil qui s't rend par
delà
les
plaines en d'heureuses coulées, résorbées chaque nuit en un cri d'oiseau.
Je n'ai plus que ma terre, patrie natale, invaincue, défiante devant un Dieu
impuissant qu'elle prive de son Els
Je
n'ai plus dans ma main qu'un or
fin
de
poussière qui s'tlève dans l'allée où la brise démêle l'écheveau de feuilles
mortes.
Retourne au delta, crie .en moi une voix d'eau. Va, va, vers ce dont
tu
es
C'est là qu'est l'être que
tu
dois vivre. Vois comme déjà l'arbre te ressemble ..
Au
sexe feuillu de l'estuaire j'appose une lèvre verdie de baisers à la
~ v u r
des eaux lentes. Par tant de ficurs liquéfiées dans la nuit qui mc noie, où je
2.18
7/21/2019 La Licorne
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Cherchez l Art seul
par
WL DIMIR
WEI LÊ
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Û egarde, on toume la tête et l on ne se rappelle rien de ce qu on a vu. Nul fan
qui vous obsède et qui vous suive. » Ainsi écrivait Diderot,
à
une époque o
visite annuelle du Salon était forcément moins pénible qu aujourd hui;
il ne
se p
que de la médiocrité: de son temps
il
y avait encore du style. N est-ce
pa
s
no
us p
qui aurions dro
it
de prononcer ces
par
oles à la sortie d une
de
nos solennelles foire
croûtes, ou simplement après
un
coup d œil rétrospectif sur la
pr
oduction pictura
notre temps? Voici un de ces grands bazars où les gens circulent par désœuvremen
en vertu d un devoir imaginaire, se repaissent d inepties et déchiffrent des rébu
s.
trouve
de
tout : de la géométrie appliquée et
de
la photographie coloriée,
de
s inven
saugrenues et des pastiches bien sages, des portraits qui ne le sont pas et qui le sont
de la fausse gaucherie et de la vaine virtuosité, tout, sauf une œuvre cohérente et pou
d une existence inaliénable. On en so
rt
comme de ces immenses cimetières urbains
les monuments prétentieux
t
criards s affirment chacun c ontre tous, s affronten
livrent bataille
et
finissent
par
ajout
er
à
la mort un autre genre
de
néant.
On regatde, on tourne
la
tête .. Mais dirons nous qu aucun fantôme ne nous
Ces milliers de toiles qui insistent tellement pour être quelque chose
et
qui ne sont
n ont-elles pas été couvertes
de
couleurs
par
des bommes souvent intelli
ge
nts, dévo
leur métier, lui ayant sacrifié parfois leur bien-être personnel ou celui de leurs pro
des bommes
pout
lesquels ce genre d occupation représente tout le sens que peut
une vie?
Tant de
peine, de privations, un aussi
dur
labeur pour rien?
Du
temps de Di
la question ne se posait
pas
encore ainsi. ll y avait moins de peintres, et ces peintres é
des artisans; l
eut
travail répondait
à
une demande réelle; leur savoir-faire, aussi,
une réalité. Décoration, portraiture, divertissement, illustration - chacun d eux po
préte.Ddre y pourvoir b o n n ê ~ e n : ~ t et cbns .ta
~ e : s u r e
_de ses ~ o y e n s p ~ p r e s .
~
~ u i l s
produisaient pouvait paraître
UlSlplde, mal
reuss•, inféceur _•dée que 1on se ~ s a l t
de
l'art mais n'arrivait jamais provoquer cette profonde répulsion que nous font eprouver
i n v ~ c i b l e m e n t
de si nombreux tableaux modernes. Meme
si
l'on avait voulu aboutir
un résultat
pueil.
on n'aurait pas su comment s'y prendre. Aucune époque antérieure au
siècle dernier
n a
même conçu l'idée d'une floraison aussi énorme d'impostures, de
mensonges, d'absurdités
et
de &ux-semblants. . . .
Aujourd'hui on s'y est fait. Nombre de gens semblent en avoLr pcs leur paru
et
ne
s'imaginent même pas un autre état de choses. Et pourtant, quel effet stupéfiant, 1expo
sition italienne de Londres, en 1930, lorsque, courbé quelque peu sous l'avalanche des
français a eu pour effet
de
désencombrer la composition, d'éclaircir la p
la touche des praticiens même les plus rœdiocres d'aujourd hui et contri
les affranchlr du 6gnolage
de
l'exécution et du goût
de
l'anecdote.
En
de
piétisme évident et désuet, tous l
es
peintres français
et
étrangers se réclam
de la seule w.dition stylistique encoie viVllDte et dont les variations
d'une
bçon
organique
et
continue; seulement sa dilfusioo même n a pas
sa "ital.ité; elle suscite des échos un peu partout, mais son renouvellem
propulsion vers l'avenir n ont plus leur puissance ancienne. Elle ne repré
que e dernier aboutissement du style baroque ou c pictural • déjà plusieur
et potte en soi,
de
ce
wr
malgré le génie
de
ceux qui l'illustrèrent si
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chefs-d'œuvre, on passait des salles du xv-, xW, •.xvrn- s i è c l e , ~ celle, ~ i g n e u -
scment aménagée elle aussi, du XIX". Après avolt priS pan au magnifi_ue festl.n tenu
dans la demeure des dieux, on regagnait to ut penaud u loge de coooerge natale.
Et
l'impression n'était pas due à la se
ul
e a m b i ~ s o c i a l ~ de
l
époque, car ce o:est pas le
sujet, c'est la forme même de ces nouvelles
1mages qu1
parut tant
ôt
gonflée a
o u t r ~ c e
comme le ventre du nouveau riche et tantôt étriquée comme le veston du prolétal.te.
11
est vrai que la peinture française du même siècle
ne
saurait ?roduire pareille
i ~ p r e s -
sion, - ooo que la moyenne en soit supécieure
d a u ~ ~ malS
parce qu'une_ p w s s a n ~
wditio
n srylistique s'y est maintenue plus longtemps. qu
a i l l ~ r s ,
sans t o ~ t e f ~ 1 s
v o 1 r
aJfumer son emprise, comme jadis, sur rous les doma10es.de l art à la
ls ru_
meme .sur
l an pictural considéré dans son ensemble. La gr ule pe10ture fraoça1se d hler .et d au
jourd'hui n'est pas un fleuve majestueux qui s'écoule libretnent dans une plaine.
entraves; elle est un chemin de crète semé d'embûches de route sorte, bordé de préop
1ces
et dont l acds ne s'est ouvett ceux qui surent abandonner dans
la
~ tous leurs
anciens compagnons de route. Rien de semblable, hors de France, depots cent ans et
plus, à
cette
lignée de peintres qui dans leur propre pays s ~ e n t d'une _ çon que
personne n'aurait pu imaginer autrefois de tous les autres barbouilleurs de t o i l ~ obscurs
ou même célèbres. Que
fon
en
fasse
absw.ctioo et l'on obtiendra, la petnture_ du
Second Empire et de la Troisième République, une vue d'ensemble parbit ement plausible
et
qui ressemble comme deux gouttes d'eau à celles
q u o f f ~ e n t ,
dans les
m e m ~
années,
d'autres pays d'Europe. Nous voici débarrassés
de
cette
~ t g n é ~
de
n o v a t e u ~ m ~ l e n t s
que leurs contemporains considéraient comme
tels
parce qu'ils étruent les
s e u ~ s
a
o n ~ u e r
te grand passé de la peinture européenne. ll n'y a
p l u ~
devant oous_(comme s1_nous avtons
quitté Paris pour une autre capitale) que le menu frenn
?e ~ x . q u t
ont fourru au: Salons,
aux amateurs, aux critiques
et
aux marchands la monnrue art.Jsuque
c o u ~ a n t
1époque.
Les autres
n ont
pas réussi à faire la règl
e;
ils furent
et
restent en;ore 1exceptt?n.
Or, s'il est vrai que le royaume des poufs et des peluches n est plus. celw où _nous
vivons la différence qui n'est pas niable entre la peinture moyenne du s1ècle detolet et
celle nôtre n'est pas non plus extrêmement profonde. L'influence des grands maltres
l
une detoière fois, les gettnes naturels du vieillissement et
de
la dissol
~ o ~ t plutôt la nourrir de soi; et voici que l on rejoint insensibl
l ava.Lent autrefots méconnue ou récusée. Comparés à eux, nos contemp
d un horiz
on
historique et géographlque plus vaste (ce qui souvent ne s
les frontières du pastiche); ils
se
fo
ot
surtout beaucoup plus volontiers e
et. formaljstes que leurs
de
vanders (ce qui, non plus, n'est pas toujour
S'Ils _Prétendent é tonner
là où ceux-ci s'empressaient de plaire, cela ne su
en différencier profondémen t, et s'ils cultivent laJormt ~ ~ r e plutôt que
l i
slljtt
intlrru111tt
le
résultat qu'ils obtiennent est autre quant à. l'effet, mais
à
la valeur, car la forme sans contenu est tout aussi absurde, au point de
absurde enctement dans la meme mesure que le contenu satlS forme. L'
est celui qui sépare la peinture possédant encore un sryle de celle qui l
p o s ~ e
plus aucun;
et
rien n'empêche d en manquer ég2lement, que l
carrelages comme feu M Mondrian ou des cardinam: comme feu M. Roy
Plus ça
change
et plus c'est la même chose; ce sera un jour l'épitaphe
d
Tout y est agité et stagnant i la fois, varié à l'infini et tristement uniform
l an de l'Antiquité linissante, les variations, les engouements successifs
pas
dans une suite intelligible, et le même déséquilibre intime .bit échoue
plus divers. L'artiste et son public sont tous deux omniscients
et
omnivo
Y regarder de près chacun
bsse
son choix et prétende à l'originalité la pl
peu loin c'est
la
monotonie du n'importe comment à propos
de
n'imp
p r ~ s
se contredisent, les esthétiques s'affrontent, les grands noms
du
de féuches ou de repoussoirs, mais tout cela ne tire pas à conséquences,
s ~ l e
conséquence grave s'ensuit: l'artiste finit justement par ne se souc
u q u ~ et de p ~ d é s , il applique des recettes, il e s p ~ r e arciver à la forme
D
sut
trop b1eo que telle Madone nous plaisait parce que les couleurs
~ u n e
certaine façon et que 13 construction pyramidale y était d une réus
il
nous ressert la pyramide et l'accord, dûment encadrés, quitte à n ous trai
si nous lw demandons des nouvelles
de
la Madone. Maltte, rassurez-vou
j
la Fomarina en ch2ir et en os, que nous réclamons, c'est seulement ce petit obstacle entre
la
petfection et vous-m me que
yous
avez aiminé et sans lequel vos o r m ~ et vos couleurs
ne
nous
émeuvent pas et ne peuvent
plus
que
nous
plaire ou
nous
déplaire. Croyez-
voos
que l'on puisse sans dommage abstraire de l'œuvre
d'art
tout ce qui est
art et
jeter par
dessus bord le reste? C'est l e
vrai
problème de l'art absw.it.
Ce problème est posé de travers par
la
critique actuelle et
le
terme
m ~ m e
d'abstrait
n'est
pas heureusement choisi s'il
doit
désigner
tout an
qui s'abstient de teprésenter
les objets
du monde
visible.
Dans
le passé, lorsqu'on
s'en
est abstenu,
ce
n'était jamais
par désir d'abstraire quoi que ce soit de quelque chose d'autte; on
l 'a
fait en dehors de
toute
analyse esthétique. L'abstention, en soi, n'est pas
un
vice, mais elle
peut
resulter
~ b r e s
ou des fruits,
c'est en
les dévêtant de
tout
ce qu'ils
peuvent
représente
1 o ~ e en tant qu'éléments d 'un monde qui est aussi le sien; et quant aux form
ne i figurer aucun objet, elles ne
sont
pas
non
plus, chez eux, symboliq
expresstves. Toute
forme
acoeptée par eux
ne
l
'est qu
'
en
vertu de sa valeur d'ag
ou
~ e m e n t
Et e
ne
parle
pas
des pires
d'entre
eux,
mais
des meilleurs. Henri ·
avatt éC:Ot en ~ 9 0 8 • ~ s t ~ d o i ~ se
~ d r e
compte, quand il raisonne, que son
est a c ~ c e , mru s quand il petnt il don avotr
ce
sentiment qu'il a copié
la
nature. Et
quand
s'en
est écarté il
doit lui
rester cette conviction
que
ce n'a
été
que pour
la
plus complètement. • Le
r é ~ t e
es_ sage, mais quarante ans plus tard
ce
n'est pas
sagesse-là que semble a ~ u t 1 r M a t i S ~ . Des photographies exposées récemment
7/21/2019 La Licorne
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en un
grand
appauvrissement. Veut-on des
arts putement
ornementaux, comme ceux de
l 'Islam, et
une peinture
confinée à l'arabesque? Ce serait désavouer trois mille ans d'art
européen, car celui du moyen âge (l'a-t-on oublié?) n'a été nullement i c o n o c l a s t ~ (ou
bien est-on allé jusqu'à confondre absence de « réalisme » et manque de représentatio
n?)
Mais
il
ne
s'agit pas
de
cela.
Nos
peinttes
ne
s'interdisent pas
de
représenter
le monde;
ils s'en désintéressent,
mème
lorsqu'ils le représentent, - ce
qui ne
re
vient
point
du
tout au mème - et
ne
se préoccupent jamais que
de
leur tableau. C'est pourquoi il n'y a
aucu ne <illférence de principe
entre
les œuvres peintes ou sculptées de cotte
tetnps
censées
devoir
représenter ceci ou cela et celles qui se targuent de ne représenter rien du tout;
les premières devraient s'appeler comme s'appellent souvent les secondes : • Etude de
volumes • ou c Composition colorée n°
»,
car c'est bien
cela
le vrai titre
de
ce
qu
'on a
intitulé p r habitude • Porw.it de M. Durand ,. ou « Vue de Venise"· Un vrai porw.it,
un
paysage véritable demandent
une
affection,
une
humilité, dont l'art d'aujourd'hui,
absw.it
ou
non,
a fait abstraction depuis longtemps. Et lorsque
cet art
•
ret
ourne à
l'objet •, comme il
l 'a
fait vers 1930 avec la « Neue Sachlichkeit • en Allemagne, ou dans
cert in courant de peinture internationale patronné plus
ou
moins par les surréalistes,
c'est pour
ptendre
cet
objet en
haine et en décision, poursouligner d'une façon sarCISti
que
son objectivité même (c'est-à-dire
son
inéductibilité à un simple
état
de conscience) et,
si possible,
le rendre par l
rréel, factice, fantomatique. Le mariage
de la
forme
et de
l'objet
n'
est, dans
ce
cas,
qu'un
mariage
de
raison,
et
malheureux
par
surcrott;
on
ne voit
donc pas
pourquoi
il ne serait pas permis d'opter pour l
eur
divorce pur et simple.
«
Pour plaire et charmer, il ne faut pas seulement
qu
'il y ait de
la
chose, il faut encore
qu'il
y
ait
de l'homme.
Nous
dirions plutôt: pour émouvoir,
pour SÎflÙJitr
pour accéder
à la plénitude de ce que peut être l'œuvre d'art; mais dans l'essentiel il faut convenir que
Joubert a vu juste, à condition de ne pas l'interpréter d'une manière
trop
étroite. n y a
de l'
homme
dans
une p&he de
Chardin, dans
un arbre
de Corot, et aussi dans
un
chapiteau
ionien
ou
dans
une page
omemenréedu ook
o Kt/IJ
Par
contre il n'y
a que
de la
chose
dans l'image même de l'homme, telle que nous l'off:rent la plupart des sculpteurs et des
peintres
d'aujourd
'hui. Si ces derniers condescendent à faire figurer su:r leurs toiles des
u 6
montrent les étatS successifs de cenatns de ses tableaux indiquent
non
p s
le
d
• rendre
plu
s complètement • quoi que ce soit, mais
plutôt une
série de
d ~ m a r c
s ~ s
c ~ n t r a i r e ,
un
e volonté d'extraire de l'objet telle arabesque liné:lire, tel éclat
qw,_om de le
~ r é e r , _
se substituent à lui et é ~ t i s s e n t . l est vrai qu'un anéantiss
~ ~ e l
s:
r ~ u 1 t
tOU o u r ~ ,
m ê ~ e
dans l'œu;re la plus « réaliste,, mai s ici il est co
l'obJet n d autre se_ns
qu
esthénque, son existence
est
lpuùlt par le tableau. Et cepe
art de
ce pemtrc se
rattache encore i
la
tradition stylistique française
don
l'un des derruers représentants. A l'intérieur même
de
celle-ci Manet et Degas fai
déjA l'abstraction
par
rapport
à
Corot ou à Courbet;
seul;ment
ils
en
étaient
~ o n s c e n ~ s
que l'est
~ i a t i s s e _ a u j o ~ d b u i , _
et
~ ê m e qu'il ne l'était en 1908. L'esp
b s t r a e t l o ~ a v a ~ t
été déJà celw
de
liDlpressJo
nmsme;
ce qui
est
nouveau chez les cu
et leurs
~ o u ~ r s
direct
s,
c'est qu'il a fait,
un
e fois de plus,
retour sur
soi-même
et
s'e
désomws moms sur les éléments de
la
nature (comme chez Matisse) que sur les pro
de l'a .tt.
Cette
a ~ s t r a c t i o n
r e d ~ u b l é e , son résultat est-il
un
art spiritualiste (dans le sens
du
de Baudelaue:
~ e s ~ m ~ b e s q u e
est le plus ~ i t i t u
a l i s t e
d C:S dessins •)?
Null
e
croyons-nous, s1 1 adJectif n est pas conçu comme 1dennque
i
• mtellecruel o
ou
à , d
carné •. l n
art
au_thentiquement
voué
au culte de l'Esprit, comme celui du moyen
ren_once,
il
est vr:u, à teprésenter la w r e à la manière de l'
art
moderneou de l'art an
m a ~ s
ne renonce aucunement
à expnmer
un contenu humain,
ni à
utiliser i
cene
f
f o r ~ e s naturelles dûment transposées dans un registre supérieur et puriliées de
c o n u n ~ e n c terrestres. La signification , pour lui, prime l'apparence, mais il est bien
de
s a c r ~ e r
les deux à
c e r ~ i n :
rapports. purement formels.
N'est
abstrait
que
l'art
qu
a c n o ~
de t
out
cc qu• n est pas 1art,
ct
c'est
pr
écisément
à qu
oi tend la pei
m o d e ~ e , m d ~ d a m m e n t de ce q u ~ U e s'abstient ou non de représenter une orang
une ~ t a r e
_
S•
elle ou la sculpture
reoent
la forme humaine, c'est seulement parce qu
en
_me parti ( ~ t h é t i ~ e m e n 9 .
Or,
croyez:vous que les sculpteurs de Chartres
n
v n u m e n ~ que
ltrl p rtt
des
SUJetS
de l'Ecriture,
ou
Rembrandt -
et Rou
ault -
de
la
du Crucifié; ou Vermeer de ce vase
de
Delft et de cette écorce de citron, ou Cézann
21 7
la montagne Sainte-Victoire? T n en est rien, et les docteurs qui vous l ont enseigné
n ont pas saisi
~ a n d c h o s e
du mystère de
l
creation. S il est vrai que l artiste doit se
détacher de l objet au cours de son travail, fin de ne pas laisser s y engluer son œuvre,
il est vrai aussi qu il
ne
produira rien qui vaille, si tout d abord l
ne s y
attache, non pas
seulement avec tel instinct,
tel
don spécialisé, m is avec son humanité entière: de toutes
ses forces et même de tou te sa faiblesse.
T est une vérité qu il aura été réservé
à
notre temps de rendre évidente : cherchez
l art seul, et vous n aurez pas d art.
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Tbéopbi e
p r
HENRI THOM S
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L
condamnation
du
poète p r l vie, le guignon au '' rire inouï (Mallarm
comme chacun sait, d'invention assez récente. l ne convient pas de les évoquer à
de
Théophile de Viau. Son talent ne réclamait pas les difficultés pour mûrir, et
trouvaient pas dans son caractère les profondes complicités qui transforment
l
m
en destin. Son heureux naturel reprend le dessus dès que l'existence pourchassée
rompt un peu, et malgré les plaintes et les cris de détresse, l'œuvre reste assez indép
des tribulations de l'homme. C'est pour s'être senti trop à son aise dans la vie,
e
dit, et avoir tenté, par une gértérosité spontanée, de communiquer à d'autres son
tement,
Comme u cœurs
se
plaisent l amour,
Con11ne
lesyeux sont
aisés
d un be
ar
jour,
Comm
e
l l
printemps tout l Univers
recrée,
que Théophile a choqué la société qui l'entourait et effarouché jusqu'à ses partisan
La société le met machinalement en prison, et voici se dérouler
l énorme mite
de
malheurs
qui
l
poussera de refuge en refuge, usera
sa
santé
et
donnera à la
fin
de sa court
caractère hagard et miteux particulièrement inadmissible dans le monde auquel
attaché, auquel l demandera obstinément son pardon et son retour
en
grâce.
es
et ses lettresde prisonnier sont souvent d un style admirable;
ils
ont la fermeté de Malherbe
et un frémissement que ce dernier n a pas :
Mail,
l'heure,
qui la ltl l l savoir?
Nos m a l b e ~ ~ r s
ont
certaines co11rses
Et des
flots
dont
11
ne pmt voir
Ni les limites
ni
les sottrces.
Die11
se11l connall
changement,
Car
l'esprit ni
le
j
gement
Dont
nous a
po11r11111 la natrm
Quoi que
l'on
vmille
prémr11er
Son cœur
se
soulève de dégoût
à
la laide
ur de
ce qui ·
l
environne : •
J
le respect
queje dois
à Votre
Mf iesté,
l11i
d peindre lu
saletls
et l
orre11r
ni d111ie
dont
j'étais
gardé
:je n'y
avais de la
c/artl
que d'une
petite
chandelle
à chaque
repa
..si ptu t ~ o n ne s a ~ ~ r a i i d ù c e r n e r la voiite d'avec le plancbtr, ni la jenttre d'ave> l
iamais eu de jt11: aussi
la
vapt11r d11 111oindre charbon, ll't Jant là"dedans .de quo
étlun poison . Mon lit liait de t
elle
disposition que
l
11miditl de l
ssielle
et
la
paille
y engendraient du vers et
autres
animtJHX qu'il me fallait éçraser à
toNte
h
ton des épîtres et suppliques où il tente de
se
justifier. e danger qu il c
et ptessant; il n évita sans doute que de justesse le b(lcbe.r. Villon lui-mê
être pas été serré de si près par la justice humaine, et l
es
geôles de Verla
attestent l adoucissement des mœurs, comparées aux ténèbres de la grosse t
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N'tl/fend pas piNs notre aventure
Qtlt le seçret
j/11x
de
la 111er.
(à
son frère.)
Il ne fait
pas bon visi
ter
Ce/11i rpi
sait
si bim chanter,
Car
l'artifiçe
de
l e1111it
Ne salirait
tro1111er
tm to1nbea11
D o t ~ son esprit totfiortrs pl11s beau
Nt rttJitlll/e encore à
la
vie.
(Ode VIII.)
On songe parfois à une navrante complainte populaire :
Tout
mt
quitte, la lvhue
est
prise
Et
le bruit
de
tant de verrorts
Me choqt1e la
voix
et la brise.
Ailleurs, son lyrisme s altère d une note étrange:
Dim,
q11e
c'eslutl tontentemmt
Bien do11x
à la
r
aison
lmtnaine
Qrte d'exhaler si
doucrnmtl
La Wuleur que nous fait
la baille
1
Cependant les divertissements tristes de Villon, les méditations familiè
ont un accent de vérité qui manque bien souvent à Théophile. Il ferait p
poèmes de prison d
A
pollinaire.
On
a bien l impression
qu
une bonne pa
Théophile et
de
s
es
écrits sont
le
résultat d une sorte de mimétisme v
vaguement voulu, compliqué de dégoih.
Il
est certain qu illui fallait grim
ses
sentiments, sous peine des plus grands châtiments. e souci de justif
pour
se
défendre jette son esprit dans une confusion dont il ne peut se gu
donnant la. ustification pour s amuser à cette
Histoire
Comique où
se
révè
l
i
rinocence que
les
juges ne savent voir :
« J'aime un bea11 jour,
des
fontaines claires,
l'aspect
des monlaflles, l'étem
plaine, de
belles
Jor ts; l'Océan, ses vagues, son calme, ses rivages; j'aime encort
pl11s partiCIIIiirenJent
lu
sms; la musique,
les / e ~ ~ r s ,
les
bea/IX
habits, la
chasse, l
les·
bon1us
o d e ~ ~ r s , la bonne chère;
mais
à tout ct/a mon disir ne s'attache
q t ~ e pou
point
po11r
se travailler .. »
La véritable défense de Théophile est dans ces lignes et d autres sem
les
juges, ni Théophile lui-même, n estiment ce plaidoyer suffisant.
L'A
par lui-même u
se
d autr
es
arguments :
«
JeJais projmion
partiCIIIitre
et
p11bliqllt
de
chrétien catholique
r
omai
n;
e
je
tomm
tmie,je
me
confesse; le ptre S
lgNira
n, le père A thanase elle père AubitP.
i e ~ 1 1 e aux
o11rs
maigres et, le dernier
carime,
pressé d' me maladie où les
mlderins
donner pour l'opiniâtreté
qu
e 'avais à
ne
point manger de viandes,je j11s
contrain
dispense,
de
peur
d'itre coupable de
ma
m
ort
.. Je n'allègue point ceti par une
vafl
par
la
nlmsitl d
'un pauvre
accNsi
qui
ne
publie
sa dévotion
q t ~ e
p o ~ ~ r dklarer son
S il y a là duplicité, il serait injuste d en rendre Théophile entièrem
Il
est plus probable que l angoisse rendait,
à de
tels moments, son chris
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pas moins gagné
la
partie; Théophile dépérit physiquement
et
sa renommée s éteint. La
Société élimine celui qui la prend à
la
légère, y circule sans se fixer, met dans les esprits
des pensées - ou des absences de pensées - qui n ont que faire de l ordre raisonnable.
Théophile est de ceux-là : peut-être le seul esprit vraiment
/Iger
de son siècle, par lui
le mot grâce désigne autre chose qu une opération de Dieu
en
l homme, une qualité du
cœur
et
de l esprit, sensible dans le langage. L ordre des Cours
et
des Tribunaux, les Cou
rumes, les Credos, perdent de leur importance dans la lumière
où le
poète les aperçoit;
ils ne cessent pas d exister, la scène qui est partout n est jamais vide, mais ce qui s y passe
ne provoque plus que de la galté, ou une mélancolie un peu folle: impossible d y croire
tout
à
fait. l existe autre chose, un autre monde plus libre derrière tout cela. Théophile
y a son vrai séjour, et si la machine sociale l arrache à cette liberté, il ne cesse malgré tout,
t la gr e a rendu la
terre
Pl
ei
ne
e
palmes et de lys.
Cette tentative sans cesse reprise, qui rend au langage pouvoir
et
ryth
de toutes les facultés, la plus fine raison, la perception des rapports que
grossièrement. Converti en observation psychologique, ce discernemen
il entretient une sensibilité toujours à vif. Si Thoophile a les yeux ouverts
aspects changeants,
l
est capable aussi de percevoir la vie invisible des
doute, dit-il,
Je
n'entends pqint
les lois
ni la f4fon d aimer,
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malgré lui-même, de témoigner pour elle. Dans l intervalle des plaintes et des angoisses,
les visions reparaissent, les mots qui les disen t ne sont plus ceux qui servent à se défendre
et
à attaquer; ils n obéissent plus
qu à
la beauté sans
but
, mais
non
sans
loi:
US
'{/phyrs
Se donntnt
aux flots,
Les flots se
do1111enl à la
ltmt
Les
navires
aux
matelots,
Les
mate/Qts
à
la jorl1111e
(Au duc de Bouquinquant.)
Le
pri paraît
en
ses
fouleurs,
La btrglre OHX bamps
r t v e n ~ ~ t
Mouillant
sa
jambe
toute
nllt
Foule
les
herbes
et lts
fleurs.
(Le matin.)
Beaucoup de poèmes de Théophile offrent çà et là de ces haltes magiques devant des
paysages éternellement jeunes :
Les roses, les rofhers, les
ombres,
les rttiueaux ,
Le n u r m u r ~ des vents et
le
bmit d
es
oiseaux.
Le monde qu il décrit alors n est plus
l'ici-bas
du christianisme, mais
l Eden
reconstitué,
brillant dans les interstices des barrières que les hommes
ont
aveuglément dressées.
mais l sait indiquer les zigzags singuliers
de
la vie morale. Ses lettre
c o 1 n i q t ~ t sont semées d observations qui vont loin,
et
il nous a laissé
du
bien curieux portrait. Par certains points, Théophile fait songer à B
certainement goûté. C est bien la même humeur hautaine, l attaque incis
délicatesse la plus rare avec les êtres aimés; ses contemporains nous le m
ment généreux, d une gentillesse presque enfantine. es auteurs du sièc
(pas si vite ni si complètement qu il semble) nous apparaissent, de Boile
curieusement étrangers, lointains,
un
peu mannequins, comparés à cette
vivante, avide de toutes choses exquises ou singulières dans l existen
no
cturne.
Les piedsfailknt
à mon
heval,
Mon laquais tombe du
haut mal,
J'entends
c r a q t ~ t t t r le
tonntrn,
u
arbre
est sorti de sa place
.
Qu il nomme, sel
on
les modes opposées, Natur e
ou
Dieu ces appar
le terme revient avec insistance chez lui), c est bien, à travers ces mots, l
qui s
ur
git, à la fois insolite
et
rassurant, brisant les conventions de l espr
la poésie ne· inira jamais d explorer
et
de nommer. Théophile est
l un
de cette entreprise; il n a pu surprendre, durant sa courte existence, que
la grande image; mais il est le seul à l avoir fait, de son siècle.
On ne
peut guère irnaginer d époque plus propice que la nôtre
à
d autew:s tels que Théophile Certains siècles se charge nt de pousser
nombre plus ou moins grand d auteur
s;
d autres se sentent le besoin de l
es
remettre
en
lumière. Les premiers sont les siècles où se forment l
es
écol
es,
où l
es
esthétiqu
es
cristal
lisent autour d exemples sévèrement choisis, tout ce qui gênerait leur avènement est
condamné. e xvrn• siède fut résolument oublieux; au point de vue de la doctrine, Boileau
valait mieux que Théophile, et l fallait que la doctrine fût-
On peut imaginer aussi un siède qui ne réhabiliterait que certains aute urs , dont les
œuvres illustrent la
th
éorie dominante; ce fut le cas du premier romantisme: Théophile
reparalt en qualité de grotesque et de pittoresque, image très incomplète.
Notre époque est juste envers for/ln les œuvres, - de
la Chanson dt
Roland à U co p
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de dis tout
reçoit la même lumière, to
ut
gagne sa place dans l
es
musées de l esprit. C est
qu en effet notre époque ne possède pas une doctrine, une école, mais toutes l
es
écoles;
l
faculté d oubli a fait place à une monstrueuse mémoire.
En
attendant quelque sursa
ut
de la conscience esthétique qui secoue l encombrement
et
permette
l
avènement d
une
beauté au visage neuf, puisse Théophile appotter son appoint à la délectable confusion,
car « la ro
ut
e de l excès conduit au palais de la Sagesse.
CE TROISIEME CAHIER DE
L LI
CORNE A
ETE
ACI-IEVE D IMPRIMER LE 25
OCTOBR
E
1948,
SUR
LES PRESSES
DE
L IMPRIMERIE
UNI
ON ,
A PARIS.
LE TIRAGE EFFECfUE
SUR
PAPIER
ALMA
DU
MARAI
S,
A E
TE
LL11TE A 1 . 1
00
EXEMPLAIRES,
NUMEROTES DE
r
A
1. 1
00
EXEMPLAIR
E
58