7/26/2019 Joseph Moreau - Remarques Sur l'Ontologie Aristotlicienne
1/36
Revue Philosophique de Louvain
Remarques sur l'ontologie aristotlicienneJoseph Moreau
Rsum
L'tude de l'tre en tant qu'tre repose sur la dialectique et, par la recherche des conditions d'exercice du langage, met en relief
la priorit de la substance l'gard des autres catgories. Mais l'analyse de la substance sensible dcouvre une aporie qui, parla distinction de la puissance et de l'acte, conduit la conception de la substance immatrielle ou Acte pur. Ainsi la thologie se
relie l'ontologie par l'intermdiaire de l' ousiologie ; et la considration de la hirarchie des substances, des degrs de la
puissance et de l'acte, permet de comprendre la fonction de la connaissance dans une ontologie raliste.
Abstract
The science of being qua being dwells on dialectic and from the examination of the conditions of speaking draws the priority of
substance towards other categories. Then the analysis of sensible substance exhibits an aporia which, through the distinction of
act and potency, leads to the concept of immaterial substance or pure Act. Theology is connected with ontology by means of
ousiology, and the consideration of hierarchised substances, according with degrees of act and potency, is a way for
understanding the role of cognition within realistic ontology.
Citer ce document Cite this document :
Moreau Joseph. Remarques sur l'ontologie aristotlicienne. In: Revue Philosophique de Louvain. Quatrime srie, tome 75,
n28, 1977. pp. 577-611;
doi : 10.3406/phlou.1977.5952
http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1977_num_75_28_5952
Document gnr le 24/05/2016
http://www.persee.fr/collection/phlouhttp://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1977_num_75_28_5952http://www.persee.fr/author/auteur_phlou_175http://dx.doi.org/10.3406/phlou.1977.5952http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1977_num_75_28_5952http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1977_num_75_28_5952http://dx.doi.org/10.3406/phlou.1977.5952http://www.persee.fr/author/auteur_phlou_175http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1977_num_75_28_5952http://www.persee.fr/collection/phlouhttp://www.persee.fr/7/26/2019 Joseph Moreau - Remarques Sur l'Ontologie Aristotlicienne
2/36
Remarques
sur
l ontologie
aristotlicienne
i
De
Parmnide
et Aristote
Heidegger,
le
problme
de
l'tre
est
au centre de la
philosophie
occidentale. Mais faut-il suivre ceux
qui
nous suggrent que cette
prminence de
l'tre dans la mtaphysique
rsulte
d'une
particularit
des
langues
indo-europennes,
notamment
de la langue grecque, qui dispose d'un verbe capable de se relier
n'importe quel sujet,
exprimant
ainsi l'attribut
le plus gnral,
et
permettant aussi de ramener
une
relation predicative
non
seulement la
phrase
verbale
(le cheval
court
= le cheval est courant), mais toute
connexion de mots,
toute
liaison de
termes
dans une phrase nominale :
le
verbe
tre s'introduit
comme
copule
entre
le
nom
qui dsigne
un
sujet (l homme) et tout nom qui s'y ajoute, tout adjectif qui le
caractrise sous quelque rapport que ce
soit
(grand ou
petit,
assis ou debout,
vieux ou jeune, etc.)1.
Mais si
cette
fonction universelle du
verbe
tre
est
propre
aux
langues indo-europennes,
elle n'est
pas
lie
un
phonme unique, par une chance
qui aurait
donn
lieu
la
mtaphysique de
l'tre.
S il en tait ainsi, la mtaphysique de
l'tre
ne
rpondrait pas une exigence fondamentale de la pense; elle
correspondrait
seulement
des
contingences linguistiques; Aristote,
a-t-on
dit, n'aurait
pu tablir sa doctrine de
l'tre et
des catgories
s'il
et
parl une
langue
comme celle des Chinois ou des Arabes2.
Mais
il
1 Cf. J. Vendrys, Le langage, p. 144, apud L. Brunschvicg,
Les
ges de
l'intelligence, p. 68, n. 1 ; la p. 58, celui-ci
avait crit
:
II
(Aristote)
ne
demande
la
connaissance
des
choses
qu'
la perception sensible, apportant
avec
elle
la
certitude
immdiate de son objet, et au langage, c'est--dire plus
exactement
la langue qu'il
parlait
et dont inconsciemment
il
rige
les
particularits
en
conditions ncessaires et
universelles
de la
pense.
2
A.
Sthr,
Lehrbuch der
Logik in
psychologisierender Darstellung, p. 171, apud
F. M. Cleve, The Giants of Presophistic Greek Philosophy, p. 558, n. 1
:
Man sieht
...
dass Aristoteles seine
(indogermanische)
Kategorienlehre nicht htte
aufstellen
knnen,
wenn er als Araber
oder
als Chinese
bei
sonst gleicher Intelligenz
zur
Welt gekommen
wre.
La facilit avec laquelle les Arabes
ont assimil
la
philosophie
d' Aristote
et
l'ont transmise l'Occident suffirait
rendre
douteuse une telle assertion.
7/26/2019 Joseph Moreau - Remarques Sur l'Ontologie Aristotlicienne
3/36
578
Joseph M r eau
n'est pas ncessaire d'tre initi aux arcanes de la
linguistique,
il
suffit
d'avoir
quelque exprience du
grec et
du
latin et
des
langues
qui en
drivent,
pour
constater
que
dans
ces
langues
le
verbe
tre,
considr
dans sa
fonction
universelle, emprunte les
divers temps de
sa
conjugaison
des radicaux diffrents, apparents sedere, stare,
yevaOai,
(pvai; d o il appert que la
notion
de l'tre
dans sa gnralit
ne
correspond pas
un
vocable particulier de la
langue grecque, mais
qu'elle
rsulte
d'un effort d'abstraction,
qu'elle
suppose une
laboration
intellectuelle
laquelle les donnes
du
langage
ne prtaient pas un appui
immdiat.
La
mtaphysique
de
l'tre est une conqute
du gnie grec,
non
un reflet
des
structures spontanes
de la
langue
grecque.
Il
n'en
demeure pas moins
qu'elle
se constitue chez Aristote
par
une
rflexion
sur
la
fonction du
langage
et
les
conditions qui
en
rendent
possible
l'utilisation. Le
langage a pour fonction
de
dsigner
les choses; mais une chose ne peut tre dsigne par un nom que si
elle est
quelque
chose de stable,
si
elle a une essence dfinie,
correspondant
la
signification
d'un nom. Car
un
nom
a une signification
unique (ar|umvi v), ou s'il arrive qu'un
mot
ait
plusieurs
sens,
qu un mme nom dsigne
des
choses diverses, telles que la clef de la
serrure et
l'os
que nous appelons clavicule, ces significations multiples
doivent tre soigneusement distingues. Chaque objet
dfini
doit
avoir
une dsignation propre;
autrement
le langage
deviendrait
impossible.
Si
les
mots
de
la langue courante
peuvent
tre
quivoques,
les termes
dfinis qu on y substitue en vue d'un usage mthodique doivent tre
parfaitement
univoques3.
Ces remarques, qui
prcisent
les conditions de la mise en
uvre
du langage, se relient dans leur expression mme aux considrations
que
Platon
opposait
au
mobilisme des hraclitens et
au
phnomnisme
de Protagoras. Si tout ce qui est
prsent
notre
pense
se rduit aux
apparences mouvantes
offertes
par
les sens, si
la
sensation
est toujours
vraie
en ce
sens
qu'elle
pouse
la mobilit perptuelle du
sensible,
non seulement
il
ne
saurait
y
avoir
de
science,
de
vrit
immuable
accessible
notre connaissance, mais aucune apparence ne pourra tre
saisie
avant qu'elle ne
disparaisse,
n'attendra
d'tre dsigne par un
nom,
aussi indfini
qu on le suppose. On ne saurait dire de l'apparence
fugitive qu il en est, ni mme qu il en va ainsi, car une
telle
dtermi-
3
Aristote, Mtaphysique, F 4, 1006a
31
-b 7.
7/26/2019 Joseph Moreau - Remarques Sur l'Ontologie Aristotlicienne
4/36
Remarques sur l'ontologie aristotlicienne 579
nation
immobiliserait encore
le
devenir;
tout ce qu on
pourra
dire,
c'est
pas
mme
ainsi4.
L cho
de ce
passage
du Thtte
se
retrouve
dans
les
explications
d'Aristote :
on ne
peut
faire usage
d'un
nom
sans signifier
qu il y
a ou
qu'il n'y a pas ceci ou cela, que telle chose est ou n'est pas, ce
qui
exclut
la possibilit
que
tout
soit ainsi et
pas ainsi5.
Il
faut que toute
chose soit ce qu'elle est, qu'elle ait
une essence
dfinie; sans quoi elle
ne pourra tre dsigne
par
un nom, correspondre
une signification
unique. Si
en effet le nom (ou chacun des
termes
affects
l'lucidation
des
homonymes) n'avait une
signification unique, autrement dit si
une
fois distingues les diverses acceptions d'un mme mot, chaque
terme dfini
ne correspondait une
seule chose,
un objet toujours
identique,
le
nom
ne
signifierait
rien;
et
si les
mots
n'avaient aucune
signification,
c'en serait fait du discours
:
il n'y aurait pas de dialogue
avec autrui ni, vrai
dire,
avec soi-mme6. Car il est
impossible
non seulement de
nommer, mais
de concevoir (voev)
un objet
qui ne
soit
un, qui ne
soit
dfini dans son unit, qui ne corresponde une
dfinition
distincte; c'est
pour
cette raison qu il doit
recevoir
un nom
unique7.
En conclusion, estime Aristote, il
faut
admettre
que le nom
signifie quelque
chose
(armavv xi) et qu il signifie
un
objet
un
4
Platon,
Thtte,
183aA:
Dans
l'hypothse
mobiliste,
il
sera galement
vrai
de dire
: ouxco x'
/ew
. . .
kc
jj.fi ofjxco, e 5
po.ei yiyvEuQm, va \u\
axf|acu|aev
aoxo xcp yc ... Mais
c'est
encore trop dire: e - o xoxo ouxco ^yeiv
(cet
adverbe
lui-mme exclurait la mobilit) ... o' au
ufi
ooxco (qui
aurait
le mme
inconvnient);
on ne
peut user que d'une formule insolite
:
ei uf]
pa
x
o' ouxco).
Cf.
notre
article : Platon
et le
phnomnisme,
in
Revue
internationale de
philosophie,
n 32 (1955), recueilli dans Le sens du
platonisme,
et particulirement, pp. 298-299.
5 Metaph.,
Y
4, 1006a 28-31: Une premire vidence (jtpcxov ...
8fjx>v),
une
vrit indniable, c'est que le nom signifie x
esse
vel
non esse
hoc (xi ar||iaivei xo
voua x
evai
r\
ut| evai
xoSi). C'est faute d'avoir pris garde l'expression suivante
(wax' ook v
Ttv
oCxco kc ox ouxco),
qui
reproduit celle
du Thtte,
que la plupart
des interprtes entendent la phrase comme si c'tait seulement le mot tre (x voua
x elvat) qui
ait
un sens dtermin (armaivei
...
xoi);
mais
c'est tout nom qu'il faut
reconnatre
l'univocit.
C'est
la
fonction
du
nom
en
gnral
de dcrire
un
tat de
fait
(Sachverhalt),
le
fait que ceci est ou n'est pas (x evai f| uf] etvai
xoi), et
on
n'en
saurait faire usage si tout tait
dans l'indtermination,
la fois ainsi et pas ainsi.
Une
interprtation
correcte de
cette phrase est donne par
E.
Berti, Studi
aristotelici,
p.
81.
6
Ibid., 10066
6-7
:
si
uf| xeGevn (si on n'appliquait chaque objet dfini un
nom distinct), XK rceipa ar|uaiveiv (pair), (pavepv xi
ouk
v evrj yo.
Ibid., b
8-9 :
uf|
ar|umvvxcov
xcov vouxcov vrjprixai x Oia^syeaOai Ttp aK\f[-
Xou, Kax xf)v ^f]0eiav Kai Ttp
axv.
7
Ibid., b 10-11
:
o yp vxexai
voev ut]
voovxa ev, et
S'
vxexai, xeeir)
v
voua xoxcp xcp rcpyuaxi v.
7/26/2019 Joseph Moreau - Remarques Sur l'Ontologie Aristotlicienne
5/36
580 Joseph Moreau
(anfiavov v)8; il ne
peut
signifier quelque chose qui n'ait pas
d'unit, ni d'unit qui ne
soit
celle de quelque chose. Aristote reprend
ainsi
une
remarque fondamentale
de
la
gnosologie
platonicienne
:
celui qui connat, connat quelque chose, et quelque chose qui est
(v
xi); mais
ce
qui est connu ne peut l'tre que dans
l'unit d'une
forme, comme
un objet un
(v
xi).
Ce qui
n'est
pas
sv
xi, quelque
chose d'un, n'est aucune chose (|xn8sv), autrement
dit
n'est rien9.
Mais cette quivalence de
ce
qui est
(v
xi) avec l'objet
dfini
de la
connaissance (v xi) ne
s'entend
pas de la
mme faon chez
Aristote
et dans l'idalisme platonicien. Pour Platon, l'exigence de dtermination
objective
conduit retirer aux choses
sensibles,
toujours changeantes,
la plnitude de l'tre;
l'tre
ne convient
qu aux
objets
parfaitement
dfinis,
aux
essences
intelligibles;
les
choses
sensibles
ne
sont
que
des
phnomnes. L'tre vritable, celui
qui
est l'objet de la connaissance,
n'est
pas
donn
en
dehors
d elle;
il
se
dtermine en elle
ncessairement,
en
rponse
des exigences qui
intrieurement
lui
commandent;
il en
est
le
corrlatif transcendental10.
Pour
Aristote, au contraire, la
relation
de la connaissance avec son
objet
n'est pas saisie dans une rflexion
transcendentale, sur les conditions a priori de
l'objectivit,
sur la
distinction de la
science
et de
l opinion;
elle est conue
travers
une
recherche
des
conditions d'exercice
du langage;
et pour
lui
l'objet
connu se distingue de la connaissance comme la chose est distincte
du
nom qui la dsigne. L objet connu a une
ralit
en dehors de la
connaissance; ce
sont
les
choses
sensibles
elles-mmes qui sont l'objet
de la science, et c'est en elles qu il faut dcouvrir les caractres d'unit,
de stabilit, sans lesquels la connaissance serait impossible.
L quivalence
de Y
un et
de
Ytre, proclame par Aristote la
suite
de Platon, ne le conduit donc pas ramener la
ralit
l'essence,
8
Ibid., b 11-13 : scttco f] ... or\\iavv xi x voua
mi
ar|u.avov v.Platon,
Rpublique V, 477a,
478/) : 'AXA.' v y xi
o^si
o^cov; Nai.
'AA.,
ur|v
[ix]
v
je
oi>x
v
xi,
XX
|in5v pOxax'
dv
rcpoaayopeoixo.
Cf.
Parm-nide,
1326c;
Thtte,
188?-
18%;
quoi
fait
cho
cette remarque
d'
Aristote, 10066
7:
t yp (if) v ar|uaivew ouGv ariucveiv axiv.
10 La vrit
se
dcouvre
dans
l'intriorit, travers des concepts a
priori, en
vertu de la rminiscence, parce que notre me,
bien
qu'elle soit engage
dans
l'existence
empirique, est par
sa nature
en communaut (auyyveia)
avec
l'absolu. Cf. Le
sens du
platonisme,
pp. 56-57,
97-102, 106-110. Plotin
mettra
vigoureusement en lumire que les
intelligibles ne sont pas en dehors de l'intellect, mais qu'ils ne
se
forment en
lui
qu'en
raison
de sa conversion vers
l'Un,
le principe absolu.
Cf.
notre ouvrage
: Plotin
ou
la gloire de la philosophie antique,
pp. 68-71,
99-102.
7/26/2019 Joseph Moreau - Remarques Sur l'Ontologie Aristotlicienne
6/36
Remarques
sur l'ontologie
aristotlicienne
581
l'objet dfini de la connaissance, mais au contraire investir
l'essence
dans l'tre donn, dans
la chose,
raliser
les
objets
en
dehors
de la
connaissance.
Si
Ytre
et
Y
un
sont
considrs comme quivalents,
ce
n'est pas qu'ils
soient
synonymes; c'est qu'ils
vont toujours
ensemble
(x KO,oi)9ev
ahXr\koiq); ils
ne trouvent pas
s appliquer
l'un sans
l'autre. Tout ce qui est dit
un
est dit
aussi
tre,
et
vice
versa :
pas
d'tre qui ne
soit
un, pas d'un qui ne
soit
tre; tre et un sont des
attributs rciproques, et il n'est aucun
sujet
qui
ils
ne s appliquent;
c'est en ce
sens qu'ils
sont
quivalents, qu'ils
reviennent
au mme
(xaxv Kai
(lia cpuai), et ils n'ajoutent
rien
l'objet dsign, puisqu'ils
s'appliquent
galement tous11. Ce
sont
de purs
transcendentaux,
qui
n'entrent dans
la
dfinition d aucun
objet, qui
n'appartiennent
l'essence
d aucune
chose12;
mais
leur rciprocit
dnote
l'insparabilit
de
l'essence
et de la chose. S'il est vrai que tout objet dfini est un
essentiellement, si chaque chose a
une essence,
rciproquement, il
n'est
pas d'essence
qui
ne
soit
celle
d'une
chose, pas d'objet dfini dans son
unit qui
ne
soit prcisment une ralit,
quelque
chose
qui
est
(Tiep
v
xi)13.
Il n'est
pas possible, objecte Aristote l'idalisme
platonicien, que
l'essence soit spare
de la chose dont elle est
l'essence :
vaxov
evai xcopi xf|v oucriav
Kai
o f) ouaia14.
Ce
n'est
donc pas simplement la fonction gnrale du
verbe
tre
qui conduit Aristote sa
conception
de
Yousia,
dans laquelle concident
l'unit du
dfini et la
ralit
de la
chose,
l'ousia
tant
pour lui la fois
l'essence et
la substance; c'est
aussi
la
considration
des rapports
de Ytre et de Y un aperus
travers
les conditions
d'application
du
langage, dans la
relation
de la chose et
du
nom
qui
la dsigne. En
tant
qu'elle
procde
d'une
rflexion
sur le langage,
l'ontologie
aristotlicienne offre
un aspect
idaliste;
elle
apparat comme
une
thorie de
l'objet en gnral, de
l'tre
comme horizon de la connaissance, et
s'apparente une
logique transcendentale
; mais en
tant qu elle oppose
la fonction du nom,
instrument
de la connaissance, la
ralit
de la
chose, elle
tend
vers
un
ralisme
qui repousse l'idalisme
platonicien.
Pour Aristote, en effet, l'objet
d'une
dnomination n'est pas par
lui-
mme un
tre;
un
nom
peut
recevoir
une signification sans
qu il
existe
11 Metaph., Y 2, 1003*22-30.
12 Cf. Anal, post., II 7,
92b 13-14:
x 8'
etvai ok
oaia ooevi.
13
Metaph., Y 2, 10036 32-34: exi '
f| Kaxou
oaia v
axiv
o Kax
au|a(3e-
Pr|K,
|ioico
Kai nep v
xt.
14 Metaph., A 9, 99\b
1.
7/26/2019 Joseph Moreau - Remarques Sur l'Ontologie Aristotlicienne
7/36
582
Joseph M or
eau
une chose
qui y corresponde. Je puis expliquer ce que signifie le nom
hircocerf;
mais cette explication n'est
qu une
dfinition
nominale;
elle
n'atteint
pas
une
essence
(ousia);
elle
ne fait
pas
connatre
ce
qu'est
l'hircocerf,
car cet animal n'existe pas. Or, ce qui n'est pas, nul ne
saurait dire ce que c est.15 Le c'est qui introduit une dfinition
vritable,
celle qui saisit
une essence,
suppose
l'existence de l'objet
dfini, la
ralit
de la
chose. Dans
l'ontologie aristotlicienne, pas
d'essence qui ne suppose la
ralit
d'une
substance; pour tre quelque
chose
(evai xi), il faut d abord tre
;
tel est le prsuppos
raliste
de
cette
ontologie16; mais,
inversement,
rien
ne saurait tre sans
tre
quelque chose. Ce
qui
n'est pas une chose dfinie
(sv
xi), ce
qui
ne
rpond
pas
un
nom qui le dsigne, ce qui n a pas l'unit d'une
signification,
d'une
essence,
proprement
parler
n'est
pas.
Du
moins
n'en
saurait-on
rien
dire, ni aux autres, ni
soi-mme; cela chappe
au discours et la connaissance, et est exclu de l'tre
considr
comme
horizon
du
discours.
II
Le caractre ambivalent de l'ontologie
d'Aristote
se marque
notamment quand il traite du principe de
contradiction. Un
tel principe
exprime
une
vrit
aperue par
tous, qu il
n'est
pas
ncessaire
d'avoir
apprise
pour
la connatre17, et dont la certitude est indubitable18;
ce
principe est absolument
premier
et indmontrable;
c'est le
signe
d'une intelligence
mal
cultive (aTraieoaia)
que
d'en rclamer
une
dmonstration.
Il rsulte, en effet, de la structure mme de la
dmonstrat ion
qu il est
impossible
de tout dmontrer;
et s'il est un
principe
qui n'ait pas
besoin d'tre
dmontr, c'est
bien
celui
sans
lequel il
n'y aurait pas de dmonstration,
celui sur
lequel repose la liaison
des
15 Anal, post., II 6, 92b 5-7: t
yp
\if\ v oei oSev
xi axiv, kX xi
ar|(iaivei
^.yo f\ x
voua,
16 Ibid.,
et
Topiques IX (Rf. Soph.) 5,
167a 2.
Cf. S.
Mansion, Le
jugement
d'existence chez Aristote,
p.
257.
17 Au contraire, il faut
le
connatre
d'avance
si l'on veut apprendre quoi que
ce soit: f|v
8'
vctyKT|
xeiv
xov xiov ua9r|auvov. Anal, post., I 2, 72a
16-17;
cf.
Metaph.
Y
3, 1005A 15: f\v yp
vcryKaov
^siv
xv
xioOv
^uvivxa xv
vxcov.
18
Metaph.,
F 3,
1005& 11-12:
(3ePaixaxr|
S'
p%r\
Ttaarv
Tiepi iv iaysu-
a9fjvai Svaxov.
7/26/2019 Joseph Moreau - Remarques Sur l'Ontologie Aristotlicienne
8/36
Remarques sur l'ontologie aristotlicienne 583
consquences aux prmisses dans la dmonstration19.
Mais
s'il ne
peut
tre tabli analytiquement,
par
dmonstration, il peut tre prouv
dialectiquement,
par
rfutation
(^eyKxiKc)20;
celui,
en
effet,
qui
le
rejette se met
par
l-mme en dehors de la discussion,
s'interdit
lui-
mme tout discours, ne pouvant accorder de valeur ce qu il dit21;
voire,
ce qu il dit
est dmenti par
l'acte
mme
de
dire22.
Si
ce
que
j'affirme, je crois
que cela
peut aussi
bien tre
ni,
quoi
bon l'affirmer?
Une
telle
rfutation peut
tre
dite dialectique, en ce sens
qu'elle
oppose des
assertions entre elles,
qu'elle met
l'adversaire en
contradiction avec lui-mme.
Mais
peut-on faire grief
de contradiction
qui
nie le principe de
contradiction?
Ne commet-on pas ainsi, se demande
Aristote, une ptition de
principe23?
C'est pour
dissiper ce
scrupule
que
les
interprtes
relvent
que
la contradiction
dnonce
n'est
pas
proprement dans
les
assertions de l'adversaire, mais entre ses
assert ions
et
son
intention24;
ainsi, c'est
lui que
doit tre
impute la
ptition de principe25.
Il
n'en demeure pas
moins
qu en toute
cette
argumentation le principe de contradiction est regard seulement
comme une rgle
logique,
o s'exprime l'exigence primordiale de la
pense; mais Aristote veut qu il soit une loi fondamentale de l'tre,
19
Ibid.,
4, 1006a
5-11.
Cf. Anal, post., I 3, 12b 18-22.
20 Ibid., 1006a
11.
21
Ces
remarques
seront
dveloppes
dans la
suite
du
chapitre,
1008a
28-30:
Si
l'on nie
le
principe de contradiction, il
s'ensuit
que l'affirmation et la
ngation
sont d'gale valeur, de sorte que tous diraient vrai et tous diraient
faux,
et celui
qui
nie ce principe
doit
convenir
lui
mme qu'il dit faux
(Tcdvxe v ^neoiev
kc
nvxsq
av
yeoivxo, kc ax omxv uo^oye v|/eea9ai. Il n'y a donc pas lieu de
discuter avec lui
(cf.
1006a 13-15).
22 Ce point
avait
t relev par Platon, Sophiste, 252c, et illustr par l'exemple
burlesque d'Eurycle,
le
ventriloque.
23 Metaph.,
F
4
:
II y
aurait ptition
de principe
(aixeaGcu
x
v
p/rj)
non
seulement
si l'on
prtendait dmontrer
le principe de contradiction
(1006a
16-17),
mais si
on l'invoquait
contre celui qui le nie (Ibid., a
20-21).
24
Cf. P. Aubenque, Le problme de l'tre chez Aristote, p. 126, qui
voit
l
un conflit
plus
profond
que celui qui s'exprime
dans des mots,
un
conflit
qu'on
pourrait
dire
...
en
quelque
sorte
'antprdicatif,
puisqu'il
n'oppose
pas
telle
proposition
telle autre, mais 'ce qu'on
pense'
'ce qu'on dit' .
25 Cf.
H.
Bonitz, in Arist.
Metaph.
commentarius,
pp. 188-189
:
Qui vero refutare
alium suscipit, initium capit
ab
iis propositionibus, quas adversarius libens volens
conce-
dit,
et vel inesse in his vel ex his consequi id,
quod
erat demonstrandum, comprobat;
qua
in argumentatione
si tecte
id
ipsum
pro fundamento ponit quod
est comprobandum,
non
ipsi
potest objici petitio principii, sed
potius
adversarius ejus petitionis principii
auctor
est.
Atque
ad refutandos inftiatores principii contradictionis,
nihil
requiritur
aliud,
nisi
id quod adversarius, cum
disputt,
eo ipso quod disputt concedit,
se
dicendo
aliquid significare.
7/26/2019 Joseph Moreau - Remarques Sur l'Ontologie Aristotlicienne
9/36
584 Joseph M oreau
s appliquant universellement
toutes choses, inscrite
dans leur
nature
mme. C est une
impossibilit, dit-il, que le mme attribut appartienne
et
n'appartienne
pas
la
fois
une mme
chose
et
sous
le
mme
rapport26;
...
il
ne se
peut qu une mme chose appartiennent la fois
des attributs
contraires27;
et c'est de cette impossibilit de fait que
rsulte pour lui l'impossibilit logique d'admettre que la mme chose
soit et
ne
soit pas28.
Or comment tablir
cette
impossibilit de fait? Non
certes
par une
argumentation purement
dialectique,
mais
par une
considration,
pourrait-on
dire,
smantique. Ce qu il faut considrer avant tout, ce n'est pas
si
l'adversaire,
celui qui
nie
le principe
de contradiction, peut valablement
affirmer ou
nier une proposition, dire
cela est ou cela n'est pas (etvai xi
Xysiv
f\
^f|
eivai),
mais
seulement
s'il
peut
signifier
quelque
chose
(ariuxxiveiv y xi), la dsigner par un nom29. Or, nous avons
vu
qu on
ne saurait faire usage des noms
pour
dsigner des choses,
moins
que
chacune
n'ait une
essence
stable,
correspondant
un
nom univoque,
la signification unique d'un nom. Les choses ne peuvent
recevoir
un
nom que si
elles sont constitues comme
des
objets dfinis
de pense.
Si cette condition est remplie, le principe de contradiction,
qui
est la
rgle
du
discours, s appliquera aux choses
en
gnral, pourra tre
tenu pour
la loi
fondamentale
de
l'tre.
On
remarquera
qu un tel
raisonnement quivaut une dduction transcendentale de la loi
de
non-contradiction
;
il
montre
que
l'exigence
exprime
dans l'axiome
logique s applique
tous
les
objets
de discours
et
d'exprience possibles.
Mais cette conclusion
transcendentale se
convertit pour Aristote
en
une
26 Metaph., Y 3, 10056 19-20: t yp abxb
ua
impxew xe ko \xr\ bnp%eiv
vaxov x axr ko
Kax
x ax.
27
Ibid., b 26-27 : ei \xr\
evSe^exai
\x.a rcpxeiv x> axr xvavxia.
28
Ibid.,
b
29-32 :
(pavspov xi vaxov
ua
vnoXanfivsiv xv axv (le mme
sujet
pensant) elvcu kc uf| evcu x ax. Cette prsence
dans
un mme esprit de deux
opinions
opposes
est
impossible
en
application
du
principe
de
contradiction.
Cf.
O.
Hamelin,
Le
systme d'
Aristote,
pp. 92-93 :
La
loi
de non-contradiction
est pour
lui
une
ncessit,
non
de la pense,
mais
des essences mmes, un principe
qui
est
l'uvre dans les choses .
29
Metaph.,
F 4, 1006a 18-21. Ce
sens
restrictif
de l'expression
ar|uovgiv xi
semble
avoir
chapp la plupart des interprtes,
qui
l'entendent
comme
si elle
voulait
dire
: noncer
une
proposition qui
ait
un
sens, et
non pas avant
tout
:
dsigner une
chose
par un
nom.
L'argumentation dialectique veut montrer que celui qui nie le principe de
contradiction
ne peut
avoir un discours cohrent; l'argumentation smantique s'attache
montrer
qu'il
ne peut rien
dire qui
se rapporte des
objets.
7/26/2019 Joseph Moreau - Remarques Sur l'Ontologie Aristotlicienne
10/36
Remarques
sur
l'ontologie aristotlicienne 585
position
raliste; les
objets dfinis
du
langage
sont
tenus par lui pour
des substances; les conditions de l'objectivit de la connaissance
concident
pour
lui
avec la
ralit
des
choses.
Mais
ce rquisit de l'ontologie
raliste peut-il trouver
sa
justification?
Dans
un
idalisme
transcendental comme celui qui est envisag
dans la
sixime
hypothse
du
Parmnide,
les
objets
se
dterminent
dans le champ de la
reprsentation au
moyen de
relations
spatiotemporelles. S'il n'est pas d'un, c'est--dire de dterminations
absolues,
il
y
a
du
moins
des
dterminations
relatives,
qui suffisent
la
constitution
de l'objet scientifique30. Pour
Platon, un
tel relativisme, propre
la physique mathmatique, doit tre surmont dans une
cosmologie
rationnelle,
dans laquelle toutes
les dterminations des tres
naturels
tirent
leur
raison de
l'exigence
absolue
du
Bien.
Mais
Aristote
rpugne
s'engager dans la voie de l'idalisme ;
et,
pour
chapper au relativisme,
il cherche la
dtermination absolue non
dans un ordre
intelligible
transcendant, mais
au niveau
des phnomnes;
et pour
y
parvenir,
il
examine de plus
prs
la fonction du langage; aprs les
conditions
d'application du
nom, il considre la structure de la phrase.
On
ne saurait dire
cependant
que l'ontologie aristotlicienne repose
entirement
sur
l'analyse de la proposition attributive
ceux qui le
soutiennent
n'ont
sans
doute
pas
pris
garde
la
distinction,
sur
laquelle
insiste Aristote,
entre l'acte de signifier une chose
(x
v armai
veiv),
en lui attribuant un nom, et
celui
de signifier en
rapport
une chose
(to Ka6
svo se. armaiveiv) des
attributs
divers31.
Une chose ne peut
recevoir
qu un seul
nom; plusieurs
attributs peuvent tre rapports
une mme chose. Un
homme peut tre
qualifi
la
fois
de
blanc et
de
savant, sans que
ces attributs s'identifient
entre eux, pas plus qu'ils
ne s'identifient avec le sujet; or, nous avons reconnu, au contraire, que
l'essence, dsigne par
le
nom, est
insparable de la
chose dont elle est
l'essence
; si
l'homme
est
dfini
animal
bipde , si
telle
est la
signification
du nom homme,
l'tre
qui ce nom convient est prcisment un
homme32.
Cet homme peut
tre
en
outre
blanc ou
savant,
mais
il
n'est pas ce que
signifie
l'adjectif blanc ou savant33. Blanc et savant
30
Platon, Parmnide, 1606 sq. Cf. notre ouvrage : Le sens du platonisme, pp.
241-
242 sq.
31
Aristote,
Mtaphysique,
Y
4,
1006e
15-16.
32 Ibid., b
28-34.
33 Ibid., 1007a 31-33
:
xouxcp yp uopiaxai oaia icai x aunPeprtK- x y>
xcp vOpwrcq) aunPePrjKev xi axi |av ,ei)K X o% rcep
7/26/2019 Joseph Moreau - Remarques Sur l'Ontologie Aristotlicienne
11/36
586
Joseph
Moreau
sont des prdicats qui se
disent
relativement lui et doivent tre
regards comme
des
accidents,
qui
ne
sont
pas de son
essence; ils
sont,
dirions-nous, des
adjectifs,
tandis
que
le
nom
homme
est
un
substantif34.
On
peut
dire, certes, qu un savant est blanc et qu un
blanc est savant; mais cela n'est
possible
que parce que blanc et savant
se
disent d'un homme35.
Le
discours
ne peut
tre
constitu seulement
d'adjectifs, il
y
faut
des
substantifs, et cela non en raison d'une
particularit de la
langue
grecque, mais parce que l'univers du discours,
les objets de la connaissance, ne peuvent se rsoudre
entirement
en
relations. S'il n'y avait dans les
donnes
mmes de nos sens des
dterminations
absolues, notre reprsentation ne
se
rapporterait pas
des
objets: il n'y aurait que des
noncs
flottants36. L'objectivit
mme
de
la
connaissance
requiert
la
ralit
des
substances.
De ces considrations
sur les
conditions d'exercice
du
langage,
il
rsulte
donc que les
qualits
sensibles, dans
leur diversit changeante,
doivent tre
regardes
comme des accidents se rapportant des
substances,
des
choses
qui sont
absolument, et dfinies chacune en son
essence 36 ;
c'est
par
l
qu'Aristote entend viter
le mobilisme
hracliten,
le phnomnisme de
Protagoras,
qui dj
au
regard de Platon devaient
tre
dpasss,
s'il fallait la
science
trouver
un objet stable. Platon,
cependant, concdait
la mobilit universelle et la phnomnalit du
sensible37, et c'est en dehors du sensible qu il fallait,
selon
lui,
poser
ces natures
stables
capables
de
founir
un
objet
la
science,
la
connaissance vraie et
immuable38.
Aristote
rejette
cette solution qui
ses
yeux
n'en
est pas une; en posant
autant
de formes intelligibles ou
Ides qu il y a
d'espces
visibles, on n'explique pas la
diversit
des
phnomnes
on
ne rend pas compte de
l'existence
des choses sensibles,
on
en apporte seulement une rduplication inutile39. De l'avis d'Aris-
34
Ibid., a 33-34 : e nvxa rax ao(iPePr|Ko ^yexcu, oOv eaxai Ttpxov
x Ka9' ou.
35
Ibid.,
1007e
2-5 :
x yp ai>(iPePr|Ko o
aunPePriKOxi
au^PsPriK, e (if|
on
(i(poc>
au(iPpr|K8
xax, iyco
oov
l
ta:KOV
jiouctikv
mi
toOto
A-eukv
ti
|icpa>
xr
vOpnq) aufippr|Kev.
36 Ibid.,
1007a 29-31
: coax'
vayraov
axo
A,yeiv xi
oOev
axai xoioxo
yo, Xk nvxa Kax
au^PaPriK.
37 Mtaphysique, A 6,
987a 32-6
1
: k
vou xe yp auvf]6r)
yevfievo jrpcxov
Kpaxtap kc
xa
'Hpaicixeioi ^ai,
dnvxcov
xv ao0r)x>v ei
pevxcov
rai
87iiaxfmr|
7iepi axrv
ok
ouarj,
xaOxa (iv
rai
ucrxepov oixco
7t,aPcv. Cf.
M
4,
10786 12-17.
38 Ibid.,
10786 15-16
: xpa ev xw
cpaei
stvai nap
x
aicrOrii
(levoaa.
39 Ibid., A 9,
9906
1-4.
7/26/2019 Joseph Moreau - Remarques Sur l'Ontologie Aristotlicienne
12/36
Remarques
sur l'ontologie aristotlicienne 587
tote,
l'tre
vritable ne
doit
pas tre
cherch au-del
des
phnomnes
sensibles, dans
une
sphre intelligible; il leur est
au
contraire
sous-
jacent.
Aristote conteste
le
mobilisme
universel,
l'instabilit
radicale
et la fluidit perptuelle
du sensible
; il n'est pas vrai, selon lui,
que le
sensible ne
soit
dans sa
totalit
qu apparence fuyante, suite de
changements sans lien,
diversit
incohrente d'accidents; le changement n'est
saisi qu en
contraste
avec quelque chose de
permanent,
de mme que
l'accident
ne se conoit que
par
opposition
l'essence40; et s'il
n'y
avait pas des
substances,
des
choses
qui sont absolument et dfinies
par une essence, il n'y aurait
non
plus
rien
de ncessaire41; nous
serions plongs
dans
un
chaos
d'impressions dont
nous ne
saurions
rien
dire
et
parmi
lesquelles
nous
ne
saurions
nous
orienter42.
En mettant ainsi en relief la ncessit de
l'essence,
Aristote se
montre en accord
fondamental
avec Platon ; il est
si
loign de
rpudier
l'intelligible
qu
ceux qui nient le principe de contradiction, non d'un
point de vue purement dialectique (^you
%>\v), pour
des motifs
ristiques, mais parce qu il
semble dmenti
par l'exprience (sk xo
Tiopfjcjai), il reproche de n'avoir
recours qu une
exprience
sommaire, limite la considration du sensible43. Car le sensible, il faut
l'avouer, comporte beaucoup d'indtermination,
de
contradiction
apparente 44
; mais elle
se
rsout par l'analyse, par
la
distinction de l'essence
et
de
l'accident
;
et
encore
l'accident
pur,
la
contingence,
ne rgne-t-elle
que dans la rgion qui nous environne
:
au-del de
l'orbe
lunaire,
dans le
monde sidral,
qui occupe
la
plus
grande partie de l'Univers
visible,
on
n'observe
que des
mouvements
d'une
parfaite
rgularit45.
Or, dans le
monde d'ici-bas
se
dcouvrent, de l'avis d'
Aristote,
des
40 Ibid.
Y
5,
1010a
18-25. S.
Thomas
mettra particulirement en relief cet
aspect
de l'aristotlisme
; voir, par exemple, Summa theologica,
I
84, 1 : ad 3um dicendum
quod omnis motus
supponit
aliquid
immobile
...
Rerum
etiam
mutabilium
sunt
immobiles
habitudines ... Et
propter
hoc nihil
prohibet
de rebus mutabilibus immobilem
scientiam habere.
41 Metaph.,
Y
5, 10106 27-28: cocmep
ko
oaiav
ut) etvai ur|ev, ouxco ut|8'
^
vyKri ur|0v.
Cf.
S.
Thomas,
op.
cit.,
I
86,
3
in
corp.
:
nihil est
adeo
contingens
quin in
se
aliquid necessarium habeat;
...
necessarium enim
est
Socratem moveri, si
currit.
42
Metaph.,
Y
4, 10086 7-27.
43 Ibid.,
Y
5,
1009a 18-24:
...
Xf^uGe
xo
Siarcopomv auxr) f| S,a
ek
xrv
aiar|Tc5v, f\ uv to ua
x vxicpaei kc
xvavxia impxew
pmv K
xaxoO
yvyvueva xvavxia.
44
Ibid.,
1010a 2-4: x
8' vxa im,apov
evai x aar|x
(ivov v
8
xoxoi
noXXi] x]
xo opicrxoi)
cpai vimpxei
...
45 Ibid., 1010a 25-32.
7/26/2019 Joseph Moreau - Remarques Sur l'Ontologie Aristotlicienne
13/36
588 Joseph M oreau
traces
d'une pareille
uniformit : les choses sensibles se distinguent
entre elles
selon
une
diversit
d'essences rigoureusement
dfinies,
se
traduisant
en
des
lois
ncessaires,
dont
nous
n'apercevons
que
les
effets
brouills. La complexit des causes donne lieu des rencontres
accidentelles; c'est ainsi que dans la physique terrestre la ncessit
se dissimule sous une contingence apparente, et que la rgularit
approximative des effets se
substitue par dfaut
l'ordre immuable
des
rvolutions clestes46.
Mais
cette
rgularit suffit
pour attester
aux
yeux
d'Aristote la
ralit de l'essence sous-jacente aux
apparences sensibles,
aux phnomnes.
Aristote ne
rejette
pas Yeidos platonicien, il refuse
seulement
de le
raliser en dehors du sensible
:
l'objet intelligible n'est pas
pour
lui
une
ralit
absolue,
spare, dont
la
chose
sensible
ne serait qu une
image; il est la forme, la dtermination sans laquelle une
diversit
d apparences ne pourrait tre saisie comme un
objet,
connue dans une
essence; Yeidos, c'est la forme, l'essence intelligible elle-mme
entrant
en
composition
avec une matire, une
diversit d'impressions
sensibles,
pour
constituer
une chose dfinie, une substance.
Et
si Aristote refuse
les
Ides spares
du
platonisme,
c'est non seulement
parce
qu'elles
supposent
une dualit inutile et inadmissible, celle de
l'essence
et de la
chose qui n'est
connue
que par elle; c'est que posant l Ide comme
tre
absolu,
cette
hypothse
rduit
la
chose
sensible une
apparence
et
lui dnie la pleine
ralit.
L idalisme platonicien ne
rpudie
pas
radicalement le
phnomnisme :
si
l'tre
n'appartient
qu aux
purs
intelligibles,
aux objets
idaux de la
pense mathmatique,
les
objets
de
notre
exprience n'auront qu un tre diminu, un tre
travers
de
non-tre
ils se
caractriseront comme
des
dterminations
intellectuelles
du
devenir47. Ainsi l'idalisme
platonicien
non
seulement n'limine pas
46 Physique,
II
5,
1966
10-11: pc&nev x (xv ei dxraxco yivuva, x 8 eb
rci koXv. L'uniformit
est
l'expression de
la
ncessit
(xoO
vyicn
ko ei. Ibid.,
12-13), tandis
que
la
rgularit
n'exclut pas
absolument
la
contingence (De gen.
anim.,
IV
4,
7706
12:
v
to
ni
x
noXb
usv
oixco
yvvo|ivoi,
vexonevoi
kc
aklxaq);
si elle contraste avec
l'indtermination
du fortuit (f| x/ri
xoO
opioroo evai
oKe.
197a
9-10),
elle n'en
est
pas moins sujette des dfaillances.
Dans
la physique
terrestre,
et
particulirement dans la
physiologie,
il peut arriver que la
forme ou essence n'impose
pas
son
ordre la matire (xav uf| Kpaxf|crn
xr\v Kax
xiv u,r|v f\
Kax
x eo
cpcri.
7706 16-17).
47
Toute
impression
sensible
oscille
entre
deux opposs (le
chaud
et le
froid,
le dur et le mou, le lourd et le lger,
etc.), varie
selon le plus ou le
moins;
elle
ne se
dtermine
objectivement
que par la mesure (Rpublique VII, 523e-5256);
c'est
en ce
sens
que
tout objet
est compos
d'infini (rceipov) et
de
limite
(npa Philbe, 16c, 23a/).
Or l'indtermination
est
la marque du non-tre.
7/26/2019 Joseph Moreau - Remarques Sur l'Ontologie Aristotlicienne
14/36
Remarques sur l'ontologie aristotlicienne 589
le phnomnisme, mais il reste prisonnier de l'antithse de
l'tre
et du
non-tre,
hritage
troublant de l'latisme48.
III
De mme qu il s oppose ceux
qui nient le
principe de
contradiction
et
acquiescent
au
mobilisme
universel, au phnomnisme pur,
Aristote rejette le paradoxe
late
qui
affirme
l'unit et l'immobilit
de
l'tre
: opinion inverse de la
prcdente,
mais
qui
aboutit aux
mmes consquences absurdes, l'indistinction
du vrai
et
du
faux,
l'impossibilit
d'un
discours
se
rapportant
des
objets49.
Aristote
repousse
vigoureusement la
thse
qui identifie l Un et l'tre poss dans leur
essence
absolue, o est absorbe la totalit des choses50. Uun et Ytre,
ses yeux, sont les attributs les plus gnraux, des prdicats
universels51; il n'est point d'tre
particulier
qui ils
ne s'appliquent. Toute
chose
qui est est
une
chose;
elle
est
une aussi bien
qu elle est. On
peut dire que toute chose est une, et aussi bien que toute chose est,
par consquent que
toutes
choses sont ; mais
on
ne doit pas dire :
toutes choses
sont
une,
tous
les tres ne font qu un
(v
nvxa). La doctrine
qui unifie tous les tres identifie Y tre avec Yun; de ce que ces
deux
prdicats
sont coextensifs,
qu'ils
sont
interchangeables,
elle
veut
conclure qu'ils ont mme signification, qu'ils
dsignent
une mme
essence,
qui
serait la substance de
toutes
choses52. Cependant,
si
chaque chose
48 Metaph.,
N 2,
1089a
1 :
le
dfaut
de
la
discussion sur
l'tre
engage
dans
le
Sophiste contre l'latisme,
c'est
d'avoir
pos le problme
en
termes
dpasss : t rcopfj-
ctcu pxaKK;.
49
Physique, I 2,
185Z? 19-25:
e xcp
^yco
v x vxa nvxa ..., xv
'HpaK-eixoo
Xyov
au^Paivet A,yeiv
axo ...
Cf. Metaph., T 7, 1012a
24-26: oiice
' uv
'HpaK^eixou Xyo,
^ycov nvxa
elvai ko \ir\ elvav,
navxa
^nfi ttoiev.
Sur
ces
consquences communes de deux doctrines opposes,
voir
nos tudes
:
Ralisme et
idalisme
chez
Platon, pp.
30-31
;
Le sens du platonisme,
p.
215.
50 Cf.
Metaph.,
B 4, 1001a 5-12: Si Yun
et
Ytre sont
poss
respectivement
comme
des
entits
absolues
(oaiai),
des essences
pures,
subsistant
en
elles-mmes
(sicxepov
axrv
ox xepv xi
v), et
non comme des
prdicats
de
choses distinctes
d'eux, leur servant de
sujet
(
7/26/2019 Joseph Moreau - Remarques Sur l'Ontologie Aristotlicienne
15/36
590
Joseph Moreau
est 8V xi,
un
objet dfini,
cette unit
qui la
dtermine
comme
essence
n'est pas une proprit intrinsque de la chose, comprise dans son
essence,
et
commune
toutes
les
essences;
l'unit
requise
par la
dfinition
de chaque
objet
n'implique pas l'unit de
tous
les
objets
; la
dfinition
d'objets
distincts
n'quivaut
pas leur
unification
:
Y
un n'est pas
leur essence commune.
On en dirait
autant
de
Ytre53. Il
y
a une
diversit
d'objets
connus, de choses dfinies respectivement par leur
essence;
mais une chose ne
saurait
tre dfinie
si
elle
n'tait
pas : ce
qui
n'est pas, nul
ne saurait
dire
ce
que
c est5*. Les
objets connus
sont
donc des choses qui sont.
L'tre ainsi
entendu, Y esse simpliciter, est
un
prdicat
commun
toutes choses; mais
par
l-mme il
n'est
pas
une
proprit incluse dans
l'essence
de chacune; prsuppos
par
toute
dfinition
d'une
essence, l'tre
est
extrieur
l'essence
et
semble
chapper
la
connaissance55. De
toute chose
connue
on
peut dire
ce
qu'elle
est, et cela suppose qu'elle est; mais que veut-on dire en
disant
qu elle
est1.
L'tre
n'est
affirm
de chaque chose
qu'en tant
qu il
est requis pour
qu elle
ait une essence, comme la condition
qui
permet
de
dire
ce quelle est.
L'tre
des
choses
en gnral ne se conoit
donc que par rfrence ce qu on peut dire
d'elles ;
il est ce sans
quoi
le
discours n'aurait
pas
d'objet, de
corrlatif
dans la ralit, ou comme
on dit
de rfrentiel.
Sans
l'tre
des choses, le discours
s'exercerait
vide.
Si donc on
veut
saisir la
signification
de ce
prdicat universel,
il
faut examiner de quelle manire nous l'employons en parlant des
choses c'est en rflchissant
sur
la fonction
du langage, sur
ses
conditions d'exercice et
d'application, en
analysant
les
relations
qu il met
en uvre, que l'on parviendra
clairer le sens du
mot
tre. Une
telle
analyse relve
de la
dialectique, entendue comme
l'art du discours,
de la
discussion
en gnral,
dont
la
pratique
ne
requiert
la
connais-
53
Metaph., I
2,
1055&
16-20. Aristote
ayant montr
d'abord
que
Ytre, en
raison
de son
universalit, ne saurait
tre
ousia
(e f)
ur|8v xv
ica0Xou uvaxv
oaiav
elvai),
ajoute : fj^ov
o x
v. Nous essayons
ici de
mettre
en lumire les
mmes conclusions en
partant
de nos analyses prcdentes et des considrations de
Metaph.,
Y
2, 1003ft 22-30 (ci-dessus, p.
581).
54 Voir ci-dessus, n. 15.
55
Une
telle
vue n'a qu'une
ressemblance superficielle avec celle
de Kant,
pour
qui
galement l'existence d'une
chose
n'est pas comprise dans son
essence et
n'ajoute
rien son concept : mais, pour Aristote, d'une
chose qui
n'existe pas il ne peut mme
pas y avoir un concept. Cf. notre ouvrage
:
Le Dieu des
philosophes,
pp. 26-31.
7/26/2019 Joseph Moreau - Remarques Sur l'Ontologie Aristotlicienne
16/36
Remarques
sur l'ontologie
aristotlicienne
591
sance d aucun objet
particulier56.
Un
tel art se
prtait
donc la
spculation
sur l'tre en gnral57 et avait
t
mis en uvre
par
les
lates58
en
vue d'difier
une reprsentation de
l'Univers,
de
la
totalit
des choses, l aide de purs concepts.
Un
exemple de
ces
tentatives nous est offert
dans le
dveloppement
des
hypothses de la
seconde partie
du
Parmnide; elles
envisagent
tour tour
les diverses
faons de concevoir l'unit de toutes choses, en
essayant
de
marquer
les
rapports
de
Y
un et de Ytre, de
voir
comment
ils
se relient
travers
les
oppositions
de
l'un et
du multiple, du
mme et
de
l'autre,
du
tout
et
de la
partie.
Mais la
dialectique
late,
telle
qu'elle est
illustre
dans
le Parmnide, suivant
l'exemple
de
Zenon, aboutit
seulement
des
antinomies,
que
Platon
s'efforcera
de surmonter dans
le Sophiste,
o
la
dialectique
de
l'opposition
des
concepts
est
subordonne
une
rflexion
qui remonte aux conditions de possibilit du discours et
qui
assigne pour objet la dialectique les
lois
de la communication
des genres59.
C'est
en
montrant
comment dans l'tre, considr
comme
l'attribut
le plus
gnral,
comme l'objet universel de la pense,
s'introduit par l'exercice mme de la pense la
relation du
mme et de
l'autre,
que sera tabli le sens du jugement
d'attribution60.
C'est dans le prolongement de ces
analyses
que s'inscrit
manifestement l'effort d'Aristote pour
saisir la
signification
de
l'tre
en gnral,
de
l'tre
en
tant
qu'tre;
et
s'il
affecte
de
ddaigner la
contribution
de son matre l'tude de ce problme, s'il lui reproche de l'avoir
pos
en termes dsuets61, hrits
de l'latisme,
c'est
qu il se
flatte
d'avoir
fait avancer,
pour
sa part, l'art de la
discussion,
d'avoir
perfectionn la dialectique62. En examinant
mthodiquement
les
argu-
56 Le
caractre
universel de la dialectique
est
indiqu ds les premires lignes
des
Topiques,
I 1, 100a
18-20
(rcepi iravx
xo
rcpoxeOvxo 7tpop >Juaxo), et il
est
prcis dans
les
Rfutations
sophistiques
{Top., IX
11,
172a 27-31) que l'usage de la
dialectique (ou de
la
peir
astique, qui en est une application : /pcovxai xfj iaXeKxiicfj
Kai
TiEipaatiKfj)
comme celui de
la
rhtorique
(Rhet., I 1-2,
1355/)
8-9,
33-34)
ne
suppose
pas
la
connaissance
d'un
objet dtermin
(oev
obpiauvou
...
ncrtf|ur|).
57 Metaph., Y 2, 10046 19-20
:
Kai oi 5iaXeKxiKoi ia^yovxai
Ttepi
rcvxcov,
Koivv
5
Tiai x v axiv.
58
Une
tradition rapporte
par
Diog.
Laert.,
IX 25 (cf. VIII 57 et Sext. Emp.
adv. math.,
VII
6) regardait Zenon d'Ele comme
l'inventeur
de la dialectique (Diels-
Kranz,
Vorsokratiker, 29 [19] A, 1 et 10).
59 Platon, Sophiste, 253
a-e.
60 Ibid., 25Sd-259b.
61 Voir ci-dessus, n. 48.
62 Topiques
IX
(Rf. Soph.)
34, 183/>
34
adfinem.
7/26/2019 Joseph Moreau - Remarques Sur l'Ontologie Aristotlicienne
17/36
592
Joseph Moreau
ments sophistiques, il a dcouvert qu'ils mettaient
profit des
ambiguts du langage;
et
c'est en dnonant
ces
ambiguts,
en
mettant en
lumire
la
diversit
des
acceptions
du mot
tre
ainsi
que
leurs
rapports,
qu il prtend rsoudre les difficults de l'ontologie63.
La distinction des
sens
de
l'tre permet d'difier une ontologie
qui
chappe
au phnomnisme
sans recourir
une dialectique d'inspiration
latique ; elle vite de verser dans l'idalisme et veut assurer la ralit
des objets
perus,
des
choses
sensibles, autrement
qu en
les regardant
comme
des
mlanges
d'infini
et
de limite, des intermdiaires
entre
l'tre
et le non-tre64.
L'tre
se dit
en plusieurs
sens
65. Telle est
la
proposition capitale
de
l'ontologie
aristotlicienne; mais
pour
en
apprcier
exactement
la
signification et la
porte,
il convient d'en dtacher une distinction
pralable, qui
apparat
dj
dans
le Sophiste de Platon,
entre l'tre
comme attribut le plus gnral
et
le
est,
signe de l'attribution. L usage
du verbe tre dans ce rle de copule s'explique, du point de vue de
Platon, parce
que
tout
sujet qui
reoit un prdicat appartient
un
genre
qui est compris dans l'tre,
l'attribut
le plus gnral.
C'est parce
que
tous
les
genres
sont
compris dans
le
genre
suprme
de
l'tre,
autrement
dit
parce
que
tous
les tres particuliers participent
l'tre
en gnral, que la prdication est possible.
Un
prdicat ne
peut
tre
attribu un
sujet
que
si
ce sujet, distinct de
lui,
a cependant quelque
communaut
avec
lui;
or, les
genres
se
distinguent entre
eux,
parce
que chacun d'eux
n'est
pas
l'autre;
il
n'est
aucun des autres; ils sont
tous
affects
d'altrit; mais il ne pourrait
y avoir
de communaut
entre
eux
s'ils
n'taient,
d'autre part, tous
compris
dans
l'tre,
leur
genre
commun66.
Or
cette conception
de
l'tre
comme genre commun est
formellement rejete
par Aristote67; elle
fait de
l'tre un
universel,
une
notion
63
Ibid.,
10,
170/)
19-24: Un
nom
peut
avoir plusieurs
sens
(Ti^eic
anuaivovxo
xot> vuttio), et parfois ceux qui discutent s'imaginent qu'il n'en a qu'un
(ooivxo
v anuaiveiv). Par exemple, Y un ou Y tre ont
sans
doute
plusieurs
sens (oov
aco
x v r\ x v noXX crnuaivei); mais
dans
l'ignorance de
ces
distinctions,
on
arrive
la thse de l'unit de toutes choses
(cm
v
Ttvxa).
64 Voir ci-dessus, n. 47.
65 Metaph.,
Y
2, 1003a
33; E
4, 1028a 5; Z 1, 1028a 10
:
x v A.yexai noXXa%&q.
66 Cf.
Ralisme et
idalisme
chez
Platon,
pp. 38-51
; Le
sens du
platonisme, pp. 217-
225.
67 Anal, post.,
II
7, 92b
14
:
o yp yvo x v.
7/26/2019 Joseph Moreau - Remarques Sur l'Ontologie Aristotlicienne
18/36
Remarques sur l'ontologie aristotlicienne 593
abstraite, alors
qu il est le fondement de toute ralit68; c'est donc
d'une autre faon que doit
s'expliquer
l'usage du verbe tre comme
signe de
l'attribution.
Quand
il
dclare que la proposition
:
l'homme
marche, est quivalente
: l'homme est
marchant69 Aristote n'entend
pas
imposer un
formalisme
logico-grammatical
dans lequel tous les
jugements se
ramneraient
l'nonc d'une
relation
uniforme, Ce
n'est
pas
d'un
point de
vue formel, pour mettre
en
lumire la
signification gnrale du
verbe
tre, qu il
montre
que tout
nonc peut
recevoir
la forme predicative ; s'il
traduit :
l'homme marche par
:
l'homme est
marchant,
c'est
pour souligner que tout
ce
qu on
dit
d'un sujet, tout
prdicat
qu on
lui attribue,
suppose d abord que ce sujet
est, au
sens
absolu (elvai nX(bq, esse simpliciter)10. Dire qu un homme marche,
c'est
dire
implicitement
que
cet
homme
est;
par l
se
justifie
l expression l'homme
est marchant,
et
s'explique
l'usage
du
verbe
tre
comme signe de
l'attribution.
Mais cette rduction de tout nonc la forme attributive est
si
loin
de dnoter dans
la
pense
d'Aristote un assujettissement aux structures
du
langage, de reflter
seulement
la
fonction
gnrale
du
verbe tre dans
la langue grecque,
qu il s applique
au
contraire
distinguer
les diverses
acceptions
de Y esse
impliqu
dans le jugement d'attribution. Tout ce
qui se
dit
d'un sujet, tout prdicat qui lui est rapport
au
moyen de la
copule est, exprime ou ce qu il est essentiellement (koiG'
aux), ou
ce qui lui advient
titre d'accident (Korea auu$ePr|K;).
Il
y a donc
lieu de distinguer entre la prdication selon
l'essence
et la
prdication
selon l'accident71
:
quand
je
dis que
Socrate
est homme, ou quand
je dis
qu il est sage, la
copule
est n a pas dans les
deux cas
la
mme
valeur; elle
implique toujours
que
Socrate
est, mais ce n'est pas
sous
le mme
rapport
que son tre est envisag chaque fois.
On
peut
poursuivre
cette analyse
en
comparant deux
jugements
prdicatifs,
tels
que
Socrate
est sage et
Socrate
est
assis. Dans ces deux
cas, le prdicat
exprime seulement
un accident
:
il ne
dit
pas du sujet ce qu il est
68 Cf. Metaph., Z
13,
10386 8-9: vaxov ...
oaiav
evai uov xrv
^eyo(ivcov. De mme, b 35 : ov xmv
Ka8A.ou
Ttapxvxcov ouata ctt. Pour
l'application
de
ce
principe
au cas
de l'tre
en gnral,
voir I
2, 10536
16-20 (ci-dessus, n. 53).
69
Ibid.,
7, 1017a 27-30 : ouQv yp iacppei ... x dvOpomo paicov
crciv
...
xoO v0pamo paiev.
70 Cf. Top.,
IX
5, 167a 2,
et
Anal, post., II 1, 896 32, o evai nl&q est
oppos
d'une
part
Evai xi, d'autre part
tre blanc ou non.
71 Metaph.,
A
7, 1017a 7-8: T v X.yexai x |av Kax ai)|apePr|K x
s
KctO' ax.
7/26/2019 Joseph Moreau - Remarques Sur l'Ontologie Aristotlicienne
19/36
594
Joseph Moreau
(un
homme),
il dsigne une
manire d'tre.
Or sage et assis sont des
manires
d'tre
qui
se rapportent diversement au sujet Socrate, bien
que
ce
rapport soit exprim
dans
les
deux
cas
par
le
petit
mot
est;
aussi bien
l'tre
ou esse de Socrate, prsuppos par
cet
emploi, n'est-il
pas envisag dans les
deux cas sous
le
mme rapport,
considr sous
le mme aspect;
Y
esse
n'est
pas
pris
dans la mme
acception
ou le
mme sens.
Parmi
les prdicats, nous
dit
Aristote,
les uns signifient
ce
qu'est un sujet;
les
autres signifient
qui
une qualit,
qui
une quantit,
qui
une
relation, qui
un agir,
qui
un ptir,
qui
un lieu,
qui
un
temps72.
On
reconnat ici une liste des catgories, c'est--dire des figures de la
prdication (
7/26/2019 Joseph Moreau - Remarques Sur l'Ontologie Aristotlicienne
20/36
Remarques
sur l'ontologie aristotlicienne
595
blanche, d action de marcher sans un homme ou un animal qui marche
(x
Paiov)76.
C'est parce
que des
hommes,
des
animaux,
des
pierres
sont,
en un
sens
primordial,
que
des
couleurs,
des
grandeurs,
ou
encore
le repos ou la marche, sont en
un
sens driv (7tO|avGx;)77, titre
de
qualit,
de
quantit, d'tat
ou d'action,
etc. Il
en
va
du mot tre
comme du mot yieivv, qui
signifie
tout ce qui a rapport la sant
et
qui se dit
d'un
remde
(s'il la rtablit), d'un symptme (s'il la dnote),
d'un rgime (s'il l'entretient); mais
toutes
ces
acceptions n'auraient
aucun
sens
si
ce
mot ne
caractrisait d abord
un homme en bonne
sant78. Une
urine n'est
pas dite saine dans le sens
o l'on
dit d'une
boisson qu elle est saine;
ces deux
acceptions du mot sont irrductibles,
ne
peuvent
tre
ramenes
l'identit,
une
signification
univoque;
mais elles
ne sont pas
totalement quivoques; elles
sont relies
entre
elles
par leur
rfrence
un
cas unique79, celui de
l'homme
en bonne
sant.
Ces
considrations
se rapportent des faons de
dire
; elles ne
requirent pas la connaissance de ce
qui
est sain ou nuisible la
sant;
elles
ne
relvent
pas de
la
mdecine, qui
est la science d'un objet dtermin,
mais de la
dialectique,
de l'analyse du langage. Or, si c'est
sur
de
pareilles considrations
que doit reposer la thorie de
l'tre
en
tant
qu'tre ou ontologie, il s'ensuit
que
cette tude, qu'Aristote appelle la
science
de
l'tre
en
tant
qu'tre, n'est
pas
une
science
proprement
dite.
Une
science concerne un objet dtermin, un
domaine particulier
de
l'tre, dfini
comme
un genre
parmi d autres80; mais
l'tre
en
gnral
n'est pas un genre, et ne peut donc tre objet de
science.
Le discours
sur
l'tre
est toujours ouvert la discussion,
travers la rflexion sur
ce qu on dit; il
relve
de la dialectique,
non
de la
science.
La science
de l'tre en tant qu'tre est pour Aristote perptuellement recherche
,
mais demeure
introuvable81.
76
Ibid.,
Z
1,
1028a 20-29.
77 Ibid., Z 4, 1030a
21-23.
78
Ibid.,
T
2,
1003a
34-6
6;
Z
4,
1030a
32-6
3.
79 Les catgories sont comme les cas (nxaEi) de la dclinaison de l'tre (Eth.
Eud., I 8, 12176
30;
Metaph., N 2,
1089a
27);
mais
il y a un cas sujet, un nominatif:
c'est
celui de Yousia.
80 Metaph.,
E 1,
10256
7-10 : Tik
naai aurai Ttepi v
ti
kc yvo xi Ttepi-
ypa\|/uvat Ttepi toutou rcpayumeovTai,
XX'
o>xi Ttepi
vto
nX&q ou ^ v.
Cf. Anal, post., I 7,
o
est releve
l'impossibilit pour
la science
dmonstrative
de
conclure d'un genre un autre, de l'arithmtique la gomtrie
par
exemple (,
yvou UETaPvTa Se^at. 75a 38).
81 'Cf.
P. Aubenque, Le
problme
de l'tre chez Aristote,
pp.
298-300.
7/26/2019 Joseph Moreau - Remarques Sur l'Ontologie Aristotlicienne
21/36
596 Joseph Moreau
IV
Ces
conclusions,
brillamment
exposes
par
M.
Aubenque,
mettent
en question, au-del de la consistance scientifique de l'ontologie, sa
relation
avec l'objet
suprme de
la Mtaphysique d'Aristote. Celle-ci
est
caractrise
en premier lieu comme la recherche des
premiers
principes, des causes suprmes82,
et l'ontologie, dfinie comme la
science
de l'tre en
tant qu'tre, n'en
peut obtenir la parfaite
connaissance
sans
le rattacher
ses
causes premires83;
l'ontologie, l'tude
de
l'tre
en gnral, ne trouve son principe et son fondement que
dans la considration de
l'tre
absolu,
c'est--dire dans la thologie.
La
mtaphysique d'Aristote
prsenterait
ainsi un
double
objet : l'tre
en
gnral,
ou
les
proprits
communes
tous
les
tres84,
auxquelles
correspondent
les principes gnraux de la connaissance85,
et l'tre
divin, principe absolu de
l'tre.
L'ontologie, la connaissance la plus
gnrale, se relie ainsi
la science
suprme,
la thologie ou
philosophie
premire, dont la
porte
est
universelle en raison de
son caractre
premier : Ka9,ou
... cm
7tpcQTn86.
Or, cette unit interne
de
la mtaphysique, reposant
sur
la
relation
de son objet gnral son
objet suprme,
peut-elle
tre maintenue
quand on
a reconnu avec M.
Aubenque
le caractre ncessairement
inachev
de
l ontologie?
Si
l'tre
en
tant
qu'tre,
objet
du
discours
humain, est
effectivement
disloqu,
s'il
ne se prsente
qu travers
des
catgories disjointes, comment pourrons-nous le relier un principe
transcendant
d o
il recevrait son
unit
systmatique?
Au
regard de
M.
Aubenque,
la thologie, loin de pouvoir rtablir en la fondant
l'unit
de
l'tre,
ne peut qu accuser, par
opposition
l'tre
absolu,
objet
seulement
pour
nous de dterminations
ngatives (indivisible,
immuable, etc.), le caractre
dficient
de la connaissance humaine,
ncessairement
discursive,
et incapable d'unifier totalement son objet.
82 Metaph., A
1,
98 l
28-29; 2,
9826
9-10 :
e yp
axf|v
xrv
7rpdbxcov
p/cv Kai
axirv evai GecoprjtiKfiv.
Cf. Y
1, 1003a 26-27 :
Trei Se x p%q Kai x
Kpoxxa
axia r|xo0^8V,
...
83
Ibid.,
1003a
31-32
:
Si Kai fmv xoO vxo f\ v x rapcoxa
axi
A.r|7txov.
84
Ibid., a 21-22
:
Eaxiv 87ucrxf)nr| xi
fi
ecopet x v fj v Kai x xoxq) mrp-
Xovxa
Ka9'
aux.
85
Ibid., F 3,
1005a
19-25: ... gxtx'...
xoO rcepi
xoO
vxo fj v
yvcopiovxo
Kai
rcepi
xoxcov (se.
xcv ...
KaA,ou(iv(ov ^ico^xcov)
axiv f|
Gecopia.
86 Ibid., E 1, 1026a 29-32.
7/26/2019 Joseph Moreau - Remarques Sur l'Ontologie Aristotlicienne
22/36
Remarques
sur l'ontologie aristotlicienne 597
La thologie aristotlicienne implique,
suivant
M.
Aubenque,
un aveu
de la
transcendance,
la reconnaissance d'un absolu tellement spar
que
tout
effort
pour
l'atteindre
ne
peut
que
nous
confirmer
l'impuissance du discours, nous
vouant ainsi
l'agnosticisme87.
Or cet
inachvement de l'ontologie, mis en
lumire
par M.
Aubenque,
cette
impossibilit de ramener
l'tre
un genre unique, imposent-ils
la mtaphysique aristotlicienne
un
caractre finalement aportique?
Incapable de s'lever au-dessus de la discussion dialectique, doit-elle
se
contenter
d'une
thologie ngative?
Ces
consquences
ne
s'imposent
pas
ncessairement
ceux-l
mmes qui acquiescent aux
analyses
de
M.
Aubenque
et rejettent une interprtation systmatique de la
Mtaphysique
d'Aristote. Suivant M.
Berti,
notamment, la diversit
des
genres
de l'tre
correspond
la
distinction irrductible
des
sciences
particulires (les mathmatiques, la physique et ses diverses
branches),
ayant chacune leurs
principes propres, qui
ne sauraient se dduire
d'une
science suprme, unique et universelle88.
Il
n'appartient pas,
selon
lui,
la science de l'tre en
tant
qu'tre de dfinir l'objet de
chaque science, de le saisir dans son
essence et
d'en
montrer
l'existence89 ; chaque science particulire a son
autonomie;
mais
cela n'exclut
pas qu il
y
ait
des principes
communs
toutes
les sciences, et dont
l'tude
revient
l'ontologie. Encore
que de tels principes ne puissent tre
dmontrs
apodictiquement,
qu'ils
ne
puissent
tre
prouvs
que
dialec-
tiquement, par voie de
rfutation,
ils
ne s'en imposent pas moins
inconditionnellement90,
par une
ncessit qui
ne
le
cde en
rien
celle
de
la dmonstration, puisque
au
contraire ils la
fondent.
La manire dont
Aristote tablit le principe de contradiction dnote,
au
regard de M.
Berti, que la
dialectique,
dans son usage philosophique,
peut aboutir
une certitude
non moindre que celle de la
science
9 1
;
son rle ne
se
rduit
pas
la discussion
des apories;
sa fonction n'est pas
seulement critique,
peirastique
; elle peut
conduire
la connaissance92.
87
P.
Aubenque,
op.
cit.,
pp.
368
sq., 372-373,
376, 380,
487-488
et
pass.
88 E. Berti,
L'unit del
saper in Aristotele,
p.
36.
89
Ibid.,
p. 152, o
est
conteste
une
interprtation couramment reue
(cf.
V. Dcarie, L'objet de la
mtaphysique
selon Aristote, pp. 111-113) de Metaph.,
E 1,
10056
10-18.
90 Metaph., T 3, 10056 14.
91
E. Berti,
//
principio di non
contraddizione come criterio
supremo di signifi-
canza
nella
metafisica aristotelica,
in
Studi
aristotelici,
p.
79.
92 Cf. le texte
souvent cit
de
Metaph., Y
2, 10046 25-26 :
ecm Se
f)
7tsipaaxiKf| Ttepi &v r\ cpi^oaocpia
7/26/2019 Joseph Moreau - Remarques Sur l'Ontologie Aristotlicienne
23/36
598 Joseph Moreau
C'est
par
ce moyen que notre pense
s'lve au concept
de
l'tre
absolu,
la ncessit de la
cause
premire,
au lieu de s'en tenir
un
sentiment
de
transcendance,
obscurment
prouv
en
contraste
notre
fnitude.
Ce qui toutefois nous
chappe,
c'est la
manire
dont tous les tres
finis,
les
choses
particulires,
drivent
du principe
absolu; et c'est en
cela,
estime
M. Berti, que l'aristotlisme se distingue des
systmes
d'inspiration
platonicienne et sauve
l'autonomie
des sciences
particulires,
l'indpendance
de la science positive
l'gard
de la
mtaphysique93.
L'interprtation
systmatique
de la Mtaphysique d'Aristote est
combattue
d'un autre point de vue par M. Leszl, dont les
analyses
s'inspirent du no-positivisme. L ontologie ne saurait,
selon
lui, tre
subordonne
la
thologie,
cat
elle
est
le
savoir
le
plus
gnral,
ayant
pour
tche de dgager,
par l'analyse
de la
fonction et
des
structures
du
langage,
un concept
de
l'tre
capable de s'tendre
tous
les
objets
de
la
connaissance. Son
rle est celui
d'une
science
universelle, qui
dtermine les
relations entre
les diverses
parties
du
savoir,
qui assigne
chaque
science
particulire sa place, mais sans
porter atteinte
son
autonomie, sans prtendre
fonder
les
diverses
sciences positives dans un
savoir
suprme, sur
la connaissance d'un objet transcendant la thologie
elle-mme
ne peut recevoir son statut que de l'ontologie94. La
division
de
l'tre
en genres
distincts, correspondant
aux catgories, n'est pas,
au regard de M. Leszl, un obstacle la
constitution
de l'ontologie
comme science dfaut
d'une
unit
essentielle, les diverses
acceptions
de
l'tre
trouvent dans
leur
rfrence commune Yousia un foyer
d'unification, qui permettrait
mme,
contrairement
l'opinion
ordinairement
reue, de dresser d'une faon
mthodique
et
complte
la
table
des
catgories95, sans accorder pour autant Yousia une
primaut
relle. L tude
des
conditions
du
discours nous
fait voir
dans
la
93
E. Berti,
Studi
aristotelici,
p.
206-207.
94
W. Leszl, Aristotle's Conception
of Ontology, Part x,
1 :
Ontology
and theology,
pp.
527 sq.
95
Ibid.,
pp. 366 et 442-450,
en
opposition P.
Aubenque.
La possibilit d'unifier
l'ontologie, de la
constituer
comme science sur la base des catgories considres
dans
leur relation avec Yousia, ressort
clairement
de
F2,
1003& 12-15
:
o yp |avov
tcv KaG' v eyouvcov & iaxr\\y\\q axi Oecopfjaai ui, akX
ko
trv 7tp uiav ^eyo-
uvcov cpaiv
ko
yp xpnov
uv
A.yexai
kccO'
v. (La rfrence commune un terme
unique
quivaut,
dans
une
certaine mesure,
l'unit
gnrique).
7/26/2019 Joseph Moreau - Remarques Sur l'Ontologie Aristotlicienne
24/36
Remarques
sur l'ontologie
aristotlicienne
599
catgorie de Yousia un centre de coordination
des
divers aspects de
l'tre; mais cette priorit d'ordre conceptuel
n'implique
aucune
prminence
mtaphysique96.
Nous retiendrons des
analyses
de M. Leszl que Yousia est au centre
de l'ontologie; mais on ne saurait lui refuser
une priorit
relle
l'gard
des autres catgories,
qui
reprsentent
des accidents97.
On
conviendra
toutefois
que les
accidents
ne
dpendent
pas de
la
substance de la
mme
manire que les
choses
cres dpendent de
leur
principe; admettons donc qu il s'agit
d'une
dpendance
conceptuelle
et
non
d'une drivation
mtaphysique. Il n'en demeure pas moins
que
le
rang premier,
la
position
centrale de Yousia, tient en chec
l'inachvement reproch l'ontologie; elle lui fournit de toute faon
un
poids
par
o
elle
devient
capable
de
prter
appui
et
de
fournir
un
nouveau
dpart
la
recherche
des premires causes.
Celle-ci s'tait
tourne d abord
vers la considration
de
l'tre
en
tant qu'tre : l'aitio-
logie
(pour emprunter la
terminologie
de M. Reale, dont la clart
rehausse l'intrt de
l'interprtation
traditionnelle)98, s'appuyait au
dpart sur Y
ontologie,
qui trouve son expression la plus nette dans la
doctrine des catgories. Or, le rsultat
positif
de cette tude,
juge
parfois dcevante, c'est qu elle
aboutit
ramener
Y
ontologie Yousio-
logie, l'tude de l'tre
en gnral
celle de
Yousia. C'est
ce que parat
souligner cette rflexion
souvent
cite d' Aristote :
Cette
vieille
question, cet
ternel problme : qu'est-ce que l'tre1},
se
ramne
celle-ci
qu'est-ce
que l ousiai99. C'est
en approfondissant
l'tude
de
Yousia
qu on s'lvera la connaissance de la cause
premire;
le passage de
Y
ontologie
la thologie,
qui
seule
rpond
la question
suprme,
la
demande
ultime
de
Yaitiologie,
ne
s'effectue
que
par
l'intermdiaire
de Yousiologie.
96
W.
Leszl, op. cit., p.
539
:
7/26/2019 Joseph Moreau - Remarques Sur l'Ontologie Aristotlicienne
25/36
600 Joseph Moreau
V
II
convient
de
marquer
l'importance
de
cette
tape,
car