Jean-Yves BoulinIRISSO/Université Paris Dauphine
POUR UNE APPROCHE ARTICULEE ET INTEGREE DU TEMPS DE TRAVAIL
ET DES TEMPS SOCIAUXSUR
L’ENSEMBLE DE LA VIE
Centre Pompidou16 décembre
2013
Depuis les débuts de l’industrialisation il y a conflit entre les structures temporelles des individus et celles de la sphère du travail.
Ambiguïté de l’impact de l’automatisation sur la durée du travail
Evolution durée et organisation du temps de travailMilieu XIXème-fin des 1970’s :
Une tendance séculaire à la diminution du temps de travail (1841, 1906,1919,1936,1956,1963,1968), selon des normes stables et homogènes
Luttes sociales, résistance ouvrière aux horaires longs (santé, mais aussi revendication de citoyenneté, 3 temps sociaux)
- jusqu’au début 20ème, positions radicales (aux USA - Knights of work-)
- 1920 ’s :compromis fordiste
- années 30’s, partage du travail, (amendement Black-Connery)
- poursuite en Europe (réduction annuelle et sur l’ensemble de la vie) (Préférence européenne pour le temps libre ?)
Gains de productivité répartis entre pouvoir d’achat, RTT et investissements/profits
Jusque fin des 70’s
- sédimentation d’un modèle standard de la durée du travail (cycle ternaire, division sexuée des tâches, horaires collectifs réguliers)
Fin 1970’s à aujourd’hui (déstandardisation) : moteur RTT est l’emploi et recherche de compétitivité
- la tension entre RTT et flexibilité productive
* 1981/83 : 39h ; 5ème semaine * 1984 : négo flexibilité* lois Delebarre (1986) et ANI 1989* loi Seguin, 1987* loi Quinquennale (1995)* loi Robien (1996)* lois Aubry (1998/2 000)
La flexibilisation des temps travaillés
Depuis les 1980’s, tendance à la flexibilisation des temps travaillés :
- travail du week end
- travail de nuit
- horaires décalés
- journées et semaines irrégulières
- annualisation/modulation
- horaires non prévisibles
- …
Les formes d’emploi non standard (temps partiel, CDD, interim) impliquent souvent des horaires atypiques et irréguliers
FR (DARES, 2009): 37% seulement des salariés ont un horaire standard (ie à horaires fixes, réguliers)
Pour les autres :
- 19% travaillent de façon habituelle en horaires atypiques ou ont des semaines de travail irrégulières (horaires longs sont fréquents pour ce groupe)
- 10% ont les mêmes caractéristiques que le groupe précédent, mais occasionnellement
- 6,7% ont des rythmes irréguliers sur l’année
- 10% ont des horaires longs, flexibles avec de faibles contraintes (cadres autonomes)
- 17,5% travaillent à temps partiel
Impact sur conditions de travail et exercice du travail réel
Tous ces éléments rendent plus difficile l’articulation entre travail et hors-travail (vie familiale, vie sociale, vie de loisir)
Ces impacts sur l’articulation vie professionnelle/vie personnelle accentuent les effets négatifs sur la santé et les conditions de travail des salariés, ainsi que sur la productivité et l’efficience des entreprises
Dans ce contexte, les impacts des horaires atypiques sur la vie familiale et sociale, sur l’accès aux services, deviennent un enjeu politique (cf Politiques temporelles locales et politique du temps de travail)
Le rôle ambigu des TIC sur le temps de travail:
tensions entre contraintes et autonomie
Débordement : 70% des cadres travaillent au domicile (soir, week end, congés) (environ 4h/semaine)
Usages du temps : cadres ont moins de temps pour besoins physiologiques, rencontres, sociabilité (ouvriers ont près 1h de temps libre en plus)
Brouillage frontières vie professionnel/vie personnelle : démultiplication des lieux de travail (transports, lieux de transit etc.)
Impact sur vie familiale et sociale : seulement un peu plus d’un tiers satisfaits de la conciliation vie familiale/personnelle et vie professionnelle (45% pensent que l’équilibre actuel ne convient pas à leurs proches)
Changement de contexte (éco, social, environnemental)
Allongement de l’espérance de vie (en bonne santé)
Maintien des taux de chômage à des niveaux élevés
Le rôle croissant des services : importance de la synchronisation et des savoirs être
Valeur croissante accordée aux activités non rémunérées (vie familiale, sociale, loisirs, temps pour soi…) dans un contexte de croissance des opportunités d’investissement hors travail
rémunéré
Remise en cause du présentéisme/du contrôle à travers la présence physique : travail à distance/télécentres/smartworkcentres (en lien avec collectivités locales, transporteurs, syndicats etc.)
Repenser l’organisation du temps de travail au regard de trois enjeux:
- amélioration de la qualité du travail (et de l’emploi) (retour sur travail réel)
- amélioration de la qualité de vie
- développement soutenable
Principe conducteur
- Droit à son propre temps
Perspectives
- l’organisation du temps sur l’ensemble de la vie (ref : J.Fourastié, G. Rehn…
-politiques temporelles locales
Enquête chronopost (2005)(moins de 30 ans)
- 92% exprimaient le désir de moduler la place du travail dans leur vie-- 71% (79% des femmes) comptaient utiliser le congé parental-- 57% comptaient utiliser le congé formation-- 41% (58% des femmes, 25% des hommes) pensaient passer temporairement du temps plein au temps partiel-- 32% comptaient utiliser le CET (mais 1/4 d’entre eux ne connaissaient pas le dispositif)-- 24% pensaient utiliser des congés sabbatiques ou des congés sans solde
Nécessité d’options de temps de travail permettant :
- de se former tout au long de la vie
- de s’absenter temporairement de l’emploi pour des activités familiales, sociales, d’engagement dans des activités citoyennes, d’essai de réorientation…
- de diminuer temporairement son activité
sans que cela crée des « sentiers de dépendance » ou, pire, des glissements vers la précarité ou une exclusion de l’emploi
Options
* congés longs (parental, formation, sabbatiques etc.)
* temps partiel réversible
Dispositifs ont un triple potentiel :
- impact en matière de redistribution/partage du travail (rotation sur le marché du travail, cf DK dans les 1990’s ou NL)
- rendre le travail soutenable sur long terme (désintensifier le travail entre 30-55 ans afin de permettre de travailler plus avant en âge)
- faire retour sur la dimension temporelle du travail réel (composition organique du temps de travail)
Proposition
CET mutualisé à l’échelon de la branche (dans un premier temps) :
intégration entre une distribution inter temporelle et une distribution interpersonnelle du temps (« from security under shell towards a security by wings » G. Rehn. Droits de tirages sociaux (Supiot)
Pour un temps encore long, même si l’automatisation/numérisation de l’éco génère des pertes d’emplois, le travail, le fait d’avoir un emploi, mais aussi le travail en lui-même continuera de conditionner en partie la citoyenneté. Mais à côté d’autres temporalités, d’autres sphères de la vie des individus (famille, vie sociale, loisirs etc.).
Ce qu’il convient donc de faciliter c’est une articulation des différents temps sociaux favorable à une maîtrise du temps disponible (le droit à son propre temps) selon les différentes périodes de l’ensemble de la vie (life course). C’est la qualité du temps qui fera la qualité des activités (du travail, de la famille, du loisir, de la vie sociale et politique).