Octobre 2013 Clémentine Laratte
FOCUS - Liban : La gestion des déchets
L’accroissement significatif des volumes de déchets solides et leur difficile élimination, compte tenu de la nature du terrain accidenté et de la superficie limitée du pays, ont aggravé les problèmes relatifs à la gestion des déchets solides au point de provoquer une crise nationale.
Quelques chiffres
Total moyen de 1,6 million de tonnes générées par an
Prévisions de 2,3 millions de tonnes vers 2030 (CDR)
90% sont des déchets solides municipaux (DSM)
Taux moyen de production de déchets : 0,95
kg habitant/jour : 1.1 kg/c/d en zone urbaine contre
0,5 à 0,75 kg/c/d en zone rurale (MoE, 2010)
Environ 51 % des DSM ont mis en décharge, 32 % sont
déversés et 17 % récupérés par le tri et le compostage
(SWEEP-NET, 2010).
Le pays dispose de deux lieux d’enfouissement
sanitaires (Naameh et Zahlé) et d’une décharge pour
les matières inertes (Bsalim).
700 décharges sauvages (MoE- PNUD, 2010)
Des ressources municipales limitées
La collecte, le traitement et le stockage des
déchets relève des compétences municipales
(Article 49, loi 1977).
En pratique toutefois, les retards et
irrégularités des versements par l’Etat des
revenus de la Caisse Autonome des
Municipalités (CAM) et les restrictions à
l’autonomie financière des collectivités locales
limitent leur capacité à planifier et investir
pour la mise en place de systèmes intégrés de
gestion de déchets solides.
Un plan d’urgence pour la zone de Beyrouth et
du Mont-Liban (345 municipalités et 2 millions
d’habitants) fut mis en place en 1997 confiant
la collecte, le traitement et l’enfouissement
des déchets solides à des compagnies privées
sous la supervision du Conseil du
Développement et de la Reconstruction (CDR).
Le coût (total de 120 millions de $ en 2010,
selon le CDR) est prélevé en amont dans la
CAM sur la part des municipalités concernées.
Dans le reste du pays les municipalités et
unions assurent le service de collecte en régie
ou le confient à des prestataires privés.
Le soutien technique et financier apporté par
des bailleurs internationaux (Union
Européenne, Coopération italienne, Agence
espagnole, USAID, etc.) a permis la
construction et l’équipement de plusieurs
installations à petite échelle.
Si plusieurs municipalités ou unions telles
qu’Al Fayhaa ou Zahlé ont pu développer des
services opérants, voir rentables, la plupart
d’entre elles manquent des compétences
techniques nécessaires pour mettre en place
des approches intégrées. A la recherche de
solutions rapides à moindre coûts, beaucoup
pratiquent le déversement ou le brûlage dans
la nature.
Un cadre législatif inadapté
Si le Ministère de l’Environnement (MoE) est responsable de
la mise en œuvre de la politique nationale en matière de
gestion des déchets, d’autres institutions centrales
interviennent également : Ministère de l’Intérieur et des
Municipalités (qui gère l’allocation et la distribution des
fonds de la CAM sous le contrôle du Ministère des Finances),
Ministère de la Santé Publique (compétent pour les déchets
hospitaliers), Ministère de l’Agriculture, Ministère des
Travaux Publics, Bureau du ministre d’État pour la réforme
administrative (en charge du programme ARLA financé par
l’Union Européenne à hauteur de 14,2 M d’euros) ainsi que
le CDR (en charge de la mise en œuvre du Plan d’urgence à
Beyrouth et de la gestion des projets d’infrastructures
financés grâce à des accords de prêts internationaux).
Un projet de loi sur la gestion intégrée des déchets solides,
préparé par le MoE en 2005, propose notamment la
clarification du contexte Institutionnel et des responsabilités
en matière de GDS. Celui-ci est toujours en attente
d’approbation par le Parlement.
Les outils en vigueur sont souvent dépassés, contradictoires,
et parfois inopérants.
Octobre 2013 Clémentine Laratte
Références
« Déchets solides », in
Etat de l’environnement
et ses tendances au
Liban, ECODIT, 2010 (38
pages)
« Déchets solides » in Lebanon
Urban profile, UN Habitat,
2011
Dossier « Déchets solides : une
poubelle à ciel ouvert », Le
Commerce du Levant,
Novembre 2010
L’absence de stratégie nationale
opérationnelle
Le plan directeur (2006-2016) pour
la gestion des déchets solides
municipaux, élaboré par le MoE et
le CDR prévoit une approche
intégrée à l’échelle régionale
incluant la collecte et le tri, le
recyclage, le compostage et
l’enfouissement dans (6 ou 7) sites
contrôlés.
Toutefois, faute de fonds publics
et de consensus sur
l’emplacement des installations, il
n’a pas été mis en œuvre.
Face à cette impasse, une décision
du conseil des ministres (2010)
plaide pour la mise à jour de la
stratégie en y intégrant les
technologies de transformation
des déchets en énergie pour les
zones urbaines.
Toutefois, les experts soulignent
qu’afin d’être viable, cette solution
requiert préalablement des
avancées législatives pour
permettre aux municipalités et/ou
aux sociétés exploitant les
installations, de produire et
vendre leur énergie à l’EDL ou à
des entreprises concessionnaires.
Des enjeux financiers, techniques et de gouvernance
Le cas du Cada de Tyr permet d’illustrer certains enjeux parmi les plus
urgents, qui nécessitent tant la mobilisation de moyens financiers que
la coordination et l’engagement des parties concernées :
La mise en œuvre d’une gestion intégrée à l’échelle inter
municipale
L’usine de tri et de compostage d’Ain Baal, construite en 2005 et
équipée grâce à des dons de USAID puis de l’UE-OMSAR dessert 33
municipalités (sur les 62 que compte l’Union), qui assurent elles-
mêmes la collecte des déchets et leur acheminement à l’usine. Les
résidus après traitement (40 tonnes/jour env.) sont jetés dans la
décharge de Ras el Ain. Les autres municipalités déversent y
directement leurs déchets ou le font dans des décharges sauvages.
La maintenance et l’amélioration du rendement des
installations existantes
L’usine est gérée par l’UoTM qui en a confié la gestion à un prestataire
privé. L’amélioration de son fonctionnement se heurte à des difficultés
d’ordre technique et de gestion, et l’arrêt de de la contribution de
l’Etat aux frais de fonctionnement et d’entretien (Engagement du
gouvernement en 2010 pour 3 ans dans le cadre du programme ARLA)
pose la question de son financement après 2013.
La fermeture et la réhabilitation des dépotoirs sauvages
La décharge à ciel ouvert de Ras El Ain qui couvre 12,23m² sur la côte
au Sud de Tyr figure parmi les 27 sites identifiés en 2005 comme
prioritaires à l’échelle nationale. Avec 183,45m³ de déchets, la
décharge, saturée, présente des risques environnementaux et
sanitaires importants. Celle de Saida, largement médiatisée, est en
cours de traitement avec l’appui du PNUD.
L’implantation de nouvelles installations de traitement et de
sites de stockage
Confrontée aux réticences des élus municipaux, l’implantation de
décharges contrôlées requiert un fort engagement politique. Le
système de gratifications financières en contrepartie de l’hébergement
d’installation sur le territoire de compétence municipale, prévu dans
un décret de 2002 (amendement du Décret n° 1917/1979) n’a jamais
été mis en œuvre, et pourrait être remise en cause (Article du 132904
dans l’Orient-le Jour).
La sensibilisation du public au tri des déchets
L’absence de séparation à la source réduit la qualité des produits
recyclables et entraîne des taux de récupération bas (moins de 10 % au
niveau national). L’UoTM a reçu en 2011-2012 l’appui de la
coopération Suisse pour préparer le lancement d’une campagne de
sensibilisation au tri auprès du grand public.
Le nombre croissant d’initiatives au sein de la société civile témoignent
d’une certaine prise de conscience (initiative à Bourj Hammoud,
mobilisation d’ONG contre un projet d’incinérateurs…)