RAPPORT DE STAGE OBLIGATOIRE
Dynamiques d’une structure innovante de
l’Economie Sociale et Solidaire (SCIC TETRIS-GRASSE)
Stage réalisé du 03 juillet 2017 au 02 septembre 2017
Auprès de Geneviève Fontaine
Déclaration de l’étudiant : J’autorise l’IEP de Rennes à diffuser ce rapport de stage au sein de l’Espace Avenir ou bien par intranet Je n’autorise pas l’IEP de Rennes à diffuser ce rapport de stage au sein de l’Espace Avenir ou bien par intranet (confidentiel) Date et signature de l’étudiant :
Avis de l’enseignant correcteur si l’étudiant autorise la diffusion de son rapport : Ce rapport de stage peut être diffusé à l’Espace Avenir ou sur l’intranet/l’ENT de l’IEP de Rennes. Il ne serait pas souhaitable que ce rapport soit diffusé par l’IEP de Rennes. Nom de l’enseignant : Date et signature de l’enseignant :
Florent STUMM Quatrième année
Economie et finance
2017/2018
Florent STUMM – SCIC TETRIS
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REMERCIEMENTS
Je souhaiterais remercier tout d’abord ma tutrice de stage, Geneviève Fontaine pour m’avoir
permis de réaliser le stage dans une structure comme TETRIS mais aussi pour avoir su
m’écouter et m’apprendre beaucoup sur l’univers de l’économie sociale et solidaire.
C’est plus largement toute l’équipe qui travaille sur le pôle territorial de coopération
économique que je voudrais remercier pour m’avoir accueilli très chaleureusement et m’avoir
permis de me sentir rapidement à l’aise dans mon stage.
Florent STUMM – SCIC TETRIS
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Sommaire
Sommaire ................................................................................................................................... 3
Table des abréviations ................................................................................................................ 4
Propos introductifs ..................................................................................................................... 5
Première partie : La SCIC TETRIS structure novatrice de l’économie sociale et solidaire .. 8
A/ Formation de la structure et présentation ....................................................................... 8
B/ Le substrat théorique .................................................................................................... 10
C/ Fonctionnement effectif du PTCE et de la SCIC TETRIS .......................................... 12
Deuxième partie : les différentes problématiques rencontrées par une structure comme la
SCIC TETRIS ....................................................................................................................... 15
A/ Les difficultés liées aux cadres légaux et méthodologiques ........................................ 15
B/ Le manque de reconnaissance de la part du pouvoir politique .................................... 17
C/ Les contraintes économiques connues par la structure ................................................ 19
Troisième partie : les stratégies développées pour traiter les problématiques ..................... 22
A/ La construction d’une grille analytique propre ............................................................ 22
B/ La recherche de financeurs privés ................................................................................ 24
C/ L’obtention d’une reconnaissance grâce à des acteurs extraterritoriaux...................... 26
Synthèse des enjeux ................................................................................................................. 29
Bilan personnel de l’expérience ............................................................................................... 30
Bibliographie ............................................................................................................................ 31
Annexes .................................................................................................................................... 32
Florent STUMM – SCIC TETRIS
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Table des abréviations
ESS : économie sociale et solidaire
CRESS : chambre régionale de l’économie sociale et solidaire
PTCE : pôle territorial de coopération économique
SCIC TETRIS : société coopérative d’intérêt collectif Transition Ecologique Territoriale par
la Recherche et l’innovation sociale
IRFEDD : institut régional de formation à l’environnement et au développement durable
PACA : Provence-Alpes-Côte d’Azur
CAPG : communauté d’agglomération du pays de grasse
CLDESS : contrat local de développement de l’économie sociale et solidaire
Florent STUMM – SCIC TETRIS
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Propos introductifs Motivations et objectif professionnel
Mon objectif professionnel est depuis longtemps de travailler dans le secteur de
l’économie sociale et solidaire. En effet je ne crois pas au modèle de production et
d’organisation de l’entreprise qui est développé actuellement. Au contraire je souhaite
travailler pour des entreprises, des associations ou des projets ayant un (autre) type de
fonctionnement reposant sur la non lucrativité, la gestion démocratique en faveur du
développement social ou de la transition écologique.
Pour moi, montrer que les organisations respectant ces principes ont une viabilité, quelle soit
économique, sociale, sociétale ou environnementale, permettra de rallier l’adhésion de
beaucoup de personnes et d’ainsi décrédibiliser petit à petit le système actuel. C’est pourquoi
je souhaite travailler pour ces structures.
Cependant il s’agit de préciser mon projet professionnel car la dénomination « économie
social et solidaire » regroupe des organisations ayant des statuts différents et opérant sur des
champs d’activité variés. La première question est de savoir sur quels champs d’activité je
souhaiterais travailler plus précisément, et ensuite quelle forme d’organisation me
conviendrait le mieux pour accomplir cet objet. Il me fallait donc découvrir l’économie
sociale et solidaire dans son ensemble. Pour réaliser cet objectif j’ai pensé à deux types
d’organisation qui centralisent beaucoup d’informations sur des acteurs différents de l’ESS,
les chambres régionales de l’ESS (et leurs observatoires) et les pôles territoriaux de
coopération économique. J’ai donc effectué mes recherches de stage en ciblant les CRESS et
les PTCE.
J’ai appris l’existence de la SCIC Transition Ecologique Territoriale par la Recherche
et l’Innovation dans le magazine de la Ville de Grasse, ma ville d’origine, « Kiosque »1. Le
magazine présentait la SCIC TETRIS à l’occasion du colloque international « Innovation
sociale et Territoires », colloque organisé depuis trois ans par le centre de recherche de la
SCIC et rassemblant des chercheurs venus aussi bien d’Amiens que du Maroc ou du Canada.
Ce colloque a pour objet de développer les interfaces entre l’innovation sociale et les
applications dans l’entreprise c’est-à-dire comment, à partir de besoins concrets du territoire
1 Kiosque Grasse, juillet 2016
Florent STUMM – SCIC TETRIS
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identifiés par la recherche, trouver des applications concrètes locales, génératrices d’un mieux
vivre ensemble et créatrices d’emploi. Cette problématique a immédiatement retenu mon
attention et m’a donné envie de me renseigner sur cette société coopérative d’intérêt collectif
TETRIS.
Au cours de mes recherches j’ai appris que la SCIC TETRIS regroupe une multitude d’acteurs
sur les thèmes de l’économie circulaire, les mobilités cognitives et douces, produire et
échanger autrement et enfin, l’école du numérique. Cette propriété lui procure la qualité de
pôle territorial de coopération économique, organisation que j’avais ciblée dès le début. Je me
suis ensuite penché sur les différents départements de la SCIC qui pourraient m’intéresser : la
SCIC TETRIS intègre un centre de recherche appliquée, un incubateur de projets et des
activités socio-économiques qui correspondent à des projets aboutis. Bien que l’incubateur de
projet et les activités socio-économique m’intéressassent, j’ai porté mon attention sur le centre
de recherche. En effet, le centre de recherche appliquée est destiné à la fois à accompagner les
initiatives d’innovation sociale en s’appuyant sur les acquis de la recherche, mais aussi à faire
remonter des problèmes observés par les acteurs, dans un mouvement constant d’échanges
entre le monde appliqué des acteurs et le monde de la recherche.
J’ai trouvé ce centre de recherche appliquée très opportun pour la précision de mon projet
professionnel. Tout d’abord sur son thème : l’innovation sociale, qui pour moi est un thème
central de l’économie sociale et solidaire et par lequel il serait très intéressant de découvrir ce
secteur. En effet, l’innovation sociale consiste, selon la définition du Conseil Supérieur de
l’Economie Sociale et Solidaire, à élaborer des réponses nouvelles à des besoins sociaux
nouveaux ou mal satisfaits dans les conditions actuelles du marché et des politiques sociales,
en impliquant la participation et la coopération des acteurs concernés, notamment des
utilisateurs et des usagers ; elle constitue donc un pendant indéfectible de l’ESS. De plus le
centre de recherche appliquée est en lien avec de nombreux chercheurs et instituts de
recherche : l’Institut Godin, l’IRFEDD (l’Institut Régional de Formation à l’Environnement et
au Développement Durable), labo de l’ESS, ce qui est utile lorsqu’il s’agit de rassembler
différentes théories sur l’ESS pour mieux en comprendre la portée. Enfin, le centre de
recherche était le département de la SCIC où je pouvais mettre le mieux en pratique ce que
j’avais appris dans la section économie et finance à Sciences Po Rennes, à savoir les
fondamentaux en droit et finances d’entreprise, le traitement de données.
Enfin, une autre qualité du centre de recherche appliquée en science sociale est de se trouver à
Grasse, la ville où j’ai grandi avant de rejoindre Sciences Po Rennes. J’ai quitté les Alpes
Maritimes avec le sentiment que le développement d’initiatives alternatives était impossible,
Florent STUMM – SCIC TETRIS
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cette impression s’est renforcée quand j’ai découvert le dynamisme associatif et politique
breton. J’ai donc été étonné de voir un acteur comme la SCIC TETRIS sur le territoire
grassois, et intéressé de voir comment il pouvait évoluer. J’avais dans l’idée de renouer avec
cette ville en voyant que la SCIC TETRIS faisait partie d’une stratégie plus globale de
promotion de l’Innovation sociale. Enfin il me convenait à la fois d’utiliser ma connaissance
actuelle du territoire et de la compléter grâce aux recherches du centre.
Entre la confirmation de mon stage à TETRIS et la fin du stage je me suis interrogé
sur les compétences que je pourrais mettre au profit de l’économie sociale et solidaire.
N’ayant de connaissances spécifiques sur aucun domaine particulier j’ai pensé que mon futur
est dans la coordination, l’expertise, et le développement de ce secteur. L’objectif est donc
pour moi de travailler à un échelon supérieur, c’est-à-dire davantage dans le but de venir en
aide à des structures de l’ESS pour leur développement par des conseils juridiques,
économiques et stratégiques.
Ainsi je pense plus pertinent d’organiser mon rapport de stage sur les différentes
problématiques rencontrées par la structure et sur les moyens sur lesquels elle s’appuie pour
les résoudre, plutôt que sur une réflexion de parcours professionnel.
La spécificité de la SCIC TETRIS réside dans son caractère innovant. Nous allons donc nous
interroger tout au long de ce rapport sur les difficultés qu’une structure aussi innovante que la
SCIC TETRIS doit surmonter et sur quels moyens elle peut s’appuyer pour y parvenir.
Pour traiter ce sujet nous allons montrer dans une première partie en quoi la SCIC TETRIS est
une structure particulièrement innovante de l’ESS. Du fait de ces particularités, elle doit faire
face à un certain nombre de difficultés que nous allons analyser dans une seconde partie,
difficultés qu’elle cherche à résoudre par différents moyens, comme nous le présenterons dans
une dernière partie.
Florent STUMM – SCIC TETRIS
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Première partie : La SCIC TETRIS structure novatrice de l’économie sociale et solidaire
Le caractère novateur de TETRIS réside dans la dynamique qui a donné naissance à
cette structure, dans le substrat théorique qui la soutient ainsi que dans son fonctionnement
organisationnel.
A/ Formation de la structure et présentation
Au commencement de la formation de la SCIC TETRIS on trouve une association loi
1901, Eval’éco. Cette dernière fut créée par des lycéens du lycée Tocqueville à Grasse. Elle a
pour objet la transition écologique des territoires par l’éducation populaire au développement
durable, à la citoyenneté et aux usages du numérique, dans une démarche d’innovation sociale
en coopération avec l’Institut Godin.
C’est grâce au contrat local de développement de l’ESS que l’association a rencontré des
interlocuteurs pour créer un projet innovant. Le CLDESS est lui-même une initiative
originale. Il a été créé en décembre 2009 par le Conseil Régional PACA. La démarche portée
par une ou plusieurs collectivités locales associe des entreprises de l’ESS, des acteurs
socioéconomiques et des habitants du territoire donné. Les Contrats locaux de développement
de l’ESS sont conclus pour une durée de trois ans et ont pour objectif d’appuyer un
programme d’actions au niveau d’un territoire donné, d’appuyer la mise en œuvre de projets
concrets portant sur l’animation locale et la sensibilisation aux valeurs de l’ESS, l’observation
et la production de connaissances, la mise en cohérence et la mutualisation des ressources et
enfin l’analyse des politiques publiques de soutien à l’ESS.
Le contrat local de développement de l’ESS sur le pays grassois a débuté en 2012 et a permis
aux acteurs de l’ESS de se rencontrer et de se construire une culture commune. La proposition
de co-construire un projet structurant pour le territoire, autour d’un centre de recherche
appliquée et de la démarche d’innovation sociale, soutenue par Eval’éco a été retenue. L’ajout
à ce projet de l’objectif de développement local durable a permis de fédérer de nouveaux
acteurs, d’obtenir le soutien des collectivités locales créant ainsi le pôle territorial de
coopération économique sur le territoire du schéma de cohérence territorial (SCoT) Ouest
Alpes Maritimes.
Florent STUMM – SCIC TETRIS
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Les différents acteurs se sont réunis autour de quatre axes : l’économie circulaire, les
mobilités douces et cognitives, produire et échanger autrement et enfin l’école du numérique.
Cette convergence autour d’objectifs a permis de créer un pôle territorial. Mais les acteurs ont
choisi d’aller plus loin : se doter d’une réelle structure porteuse qui développe le PTCE mais
aussi qui réunisse des moyens d’accompagnement et des structures partenaires afin de faire
émerger et de développer des activités économiques favorisant le développement local et la
transition écologique du territoire, dans une démarche d’innovation sociale.
Pour cela les acteurs ont choisi la forme d’une société coopérative d’intérêt collectif
(SCIC). Ce statut a été créé par la loi du 17 juillet 2001. Cette forme juridique est une société
de personnes de forme commerciale telle qu’une SA ou une SARL. Elle permet la réunion de
différents sociétaires ayant un intérêt commun à coopérer, du fait que le total des parts est
variable, ce qui permet la libre entrée et sortie des sociétaires. Ce caractère coopératif est
renforcé par l’obligation d’affecter au moins 57,7% du résultat aux réserves impartageables.
Ce taux a été porté à 100 % dans le cas de la SCIC TETRIS. Pour se constituer, une SCIC doit
obligatoirement associer des salariés, des bénéficiaires, et un troisième type d’associés
(collectivités locales, entreprises privées etc.).
Les structures faisant partie du PTCE c’est-à-dire étant sociétaires de la SCIC TETRIS se
compte au nombre de sept :TEDEE, une association reconditionnant et recyclant les matériels
informatiques ; Fleur de Batié association de solidarité internationale ; Choisir, une
association comprenant un atelier de réparation de vélos et une vélo-école, Solicités une régie
de quartier en charge de la collecte des encombrants et développant un projet de recyclerie
dans un quartier prioritaire de la ville, un FabLab, Eval’éco, un collectif citoyen portant un
repair café.
La SCIC TETRIS comprise comme structure porteuse comporte un incubateur de
projets socialement innovants qui met en place les conditions nécessaires à l’émergence de
l’intelligence collective au service de besoins non (ou mal) satisfaits sur un territoire, et une
cellule de développement économique des membres, c’est-à-dire un espace de mutualisation
et de coopération pour des entreprises et des structures de l’ESS du territoire, souhaitant
s’impliquer collectivement dans le développement local durable.
J’ai effectué mon stage au sein du centre de recherche qui constitue la troisième partie de la
SCIC TETRIS. Le centre de recherche est composé d’une salariée chargée de recherche
Florent STUMM – SCIC TETRIS
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Geneviève Fontaine, ma tutrice de stage, et d’un comité scientifique composé d’universitaires
venus de l’Institut Godin, de l’IRFEDD et de la SKEMA notamment.
Source :SCIC TETRIS
L’objet du centre de recherche est d’être mobilisé à la demande des acteurs quand ils
ont un problème à résoudre : le centre de recherche transforme les constations et
interrogations d’acteurs en question scientifiques qui sont transférées aux différents acteurs de
la recherche en lien avec le centre de recherche. Quand les réponses reviennent, le centre de
recherche aide l’acteur à la traduire en actions concrètes.
On a donc vu dans cette première partie que la SCIC TETRIS était née grâce à la réunion
atypique d’acteurs de l’ESS lors du CLDESS, autour d’une ambition de progrès
environnemental, social et économique du territoire.
Mais c’est également par son substrat théorique particulièrement développé que la SCIC
TETRIS innove : cela va plus loin qu’un simple projet né de la réunion d’acteurs, c’est aussi
l’application de nouvelles théories de sciences sociales.
B/ Le substrat théorique
La recherche est comme nous l’avons dit précédemment au centre du projet TETRIS ;
on constate un constant va et vient entre le monde académique et le monde pratique des
sciences sociales. Il est intéressant de constater, à ce titre, que TETRIS est construit par le
croisement de plusieurs approches de sciences sociales et que ce PTCE permet de compléter
ces théories par l’expérience. Ce retour sur expérience est analysé et conceptualisé par la
Florent STUMM – SCIC TETRIS
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directrice du centre de recherche de la SCIC Geneviève Fontaine, doctorante à l’université
Paris Est Marne-la Vallée, qui réalise une thèse intitulée « Communs de capabilité : une
analyse des Pôles Territoriaux de Coopération Economique à partir d'Ostrom et de Sen ».
On peut observer que ce socle théorique est particulièrement précurseur, c’est tout un pan de
la littérature des sciences sociales qui a soutenu la création de TETRIS et qui alimente les
réflexions pour son développement. En effet Geneviève Fontaine a remarqué la
complémentarité de la théorie de l’innovation sociale développée par l’Institut Godin avec la
théorie des communs de Ostrom et de l’approche du développement par les capabilités de
Armatya Sen et a entrepris, avec les autres initiateurs de la SCIC, de les croiser en fondant
TETRIS.
Le point de départ ce sont les travaux de l’institut Godin qui ont permis de constituer
une approche transformative de l’innovation sociale. En effet l’innovation sociale est
génériquement motivée par la volonté de répondre à un besoin social par une aspiration
sociale. Cependant la nouveauté de cette théorie réside dans la mise en œuvre de pratiques en
rupture avec les pratiques habituelles dans un milieu donné. La dimension sociale prend
forme dans un processus collectif marqué par des pratiques solidaires constitutives d’un
ancrage territorial fort et de façon concomitante, d’une gouvernance élargie et participative, se
traduisant par un modèle économique pluriel. Le processus aboutit à un résultat se distinguant
par son accessibilité et la logique de service qu’elle sous-tend.
Pour que ce processus d’innovation sociale soit mis en place, il faut tout d’abord une
forme d’organisation qui permette une mutualisation des ressources et un partage de la
gouvernance, afin de créer une dynamique collective. Ce modèle organisationnel est offert par
Elinor Oström, prix Nobel d’économie en 2009 pour son analyse de la gouvernance et en
particulier des biens communs. Sa pensée a en commun avec celle de l’innovation sociale de
Godin, d’appartenir à l’approche institutionnaliste dont l’objectif est de définir un langage
métathéorique, une grammaire des institutions, permettant de croiser les données issues du
terrain en provenance de champs disciplinaires variés, afin d’analyser la diversité des
situations d’interaction humaines.
Dans ses travaux Ostrom cherche à montrer que la gestion des biens communs ne fonctionne
pas forcément selon le dilemme public/privé mais qu’il existe bien une troisième voie
représentée par des collectifs d’individus s’organisant au travers d’arrangements
institutionnels. Dans cette approche les communs sont considérés comme des ensembles de
Florent STUMM – SCIC TETRIS
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moyens collectivement gouvernés, grâce à une structure de gouvernance assurant une
distribution des droits entre les partenaires participant au commun (commoneurs) et visant à
l’exploitation ordonnée d’une ressource, permettant sa reproduction sur le long terme.
Les communs ont ainsi trois caractéristiques. Ils permettent tout d’abord la production et la
gestion d’une ressource (vulnérable ou non) par un groupe. Ensuite ils permettent
l’établissement, par un processus d’apprentissage collectif, de règles définissant des droits
distribués qui régulent notamment l’accès à la ressource. Enfin, les arrangements soutiennent
la gouvernance collective qui inclut la résolution des conflits. Ce sont ces principes que la
SCIC TETRIS cherche à appliquer à travers son fonctionnement (voir infra).
Cependant, dans le cas de la SCIC TETRIS l’objectif du commun en soit n’est pas la
préservation d’une ressource considérée comme menacée ou vulnérable (bien que
l’environnement le soit) mais un outil de transformation sociale. Cette transformation sociale
a une double facette : c’est autant une méthode (l’innovation sociale telle que définie par
l’Institut Godin) qu’un but, et ce dernier est le développement des capabilités des individus à
travers le développement local durable.
Le développement par les capabilités est une théorie d’Armatya Sen, prix Nobel 1998 qu’on
ne présente plus. L’objectif du processus d’innovation sociale mis en œuvre grâce au commun
est donc d’offrir aux individus la possibilité réelle d’accès à une ressource (environnementale,
éducative, économique). En effet le développement local durable -défini comme des actions
ou activités recherchant à la fois à limiter leurs impacts négatifs et à avoir des impacts
positifs, simultanément en termes environnemental, social, culturel et économique tout en
accordant une place centrale à la gouvernance délibérative, à l’échelle des territoires
d’intervention du PTCE TETRIS- va permettre aux individus du territoire de voir développées
ou renforcées leurs libertés effectives.
On a donc vu les principes qui inspirent la SCIC TETRIS. Dans la prochaine sous partie nous
allons voir comment ils sont appliqués concrètement.
C/ Fonctionnement effectif du PTCE et de la SCIC TETRIS
Il est intéressant de montrer comment ces concepts s’appliquent dans le
fonctionnement courant de la SCIC TETRIS en tant que PTCE et structure porteuse. Les
concepts d’innovation sociale ne sont pas seulement brandis par les parties prenantes du
PTCE ils sont aussi appliqués tous les jours.
Florent STUMM – SCIC TETRIS
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Tout d’abord entre les sociétaires du PTCE, les locaux sont conçus comme un
commun. Tous les adhérents ou salariés peuvent normalement circuler dans les différents
locaux. Le but étant de renforcer les coopérations entre les différentes structures du PTCE
dans une perspective d’innovation sociale. Par exemple, il était pensé qu’un salarié en
insertion de Résines puisse profiter de sa proximité avec le centre d’éducation ouvert
permanent de Eval’éco pour acquérir de nouvelles compétences valorisables pour une bonne
insertion sur le marché du travail. De même ce centre d’éducation ouvert permanent en cas de
dysfonctionnement d’un ordinateur peut s’appuyer sur TEDEE qui s’occupe du
reconditionnement ou de la revalorisation des D3E. Ce genre de coopérations crée des
externalités positives nécessaires à la survie d’un PTCE.
Pour que la cohabitation au sein du PTCE fonctionne au mieux, il se tient tous les mois un
comité de pilotage où siègent les gérants des associations du PTCE. Ce n’est pas seulement la
question de la gestion des locaux qui est abordée, mais aussi celle de l’avancement des projets
en cours, la discussion de coopérations futures. Ce fonctionnement permet d’évoquer les
différentes problématiques auxquelles se confrontent les membres du PTCE. Au sein de ce
comité de pilotage tous les sociétaires disposent d’une voix égale dans les délibérations.
La gouvernance formelle du PTCE s’opère lors des assemblées générales de la SCIC où sont
fixées les orientations générales de la coopérative, approuvés ou redressés les comptes, agréés
les nouveaux associés etc. Les collèges de vote sont encore une fois organisés de manière à
donner plus d’importance à ceux qui prennent part activement aux projets. Les « locaux
Moteurs », qui désigne les salariés des diverses structures qui font partie du PTCE, possèdent
25% des voix. De même dans une logique d’ancrage territorial et d’innovation sociale les
chercheurs et collectivités locales et institutionnelles possèdent 20% des votes. Enfin les
structures bénéficiant de certains services offerts par la PTCE mais qui n’en font pas partie,
comme les bénéficiaires incubés et les bénéficiaires externes et partenaires, détiennent
respectivement 10% et 15% du collège de vote.
Maintenant le fonctionnement propre à TETRIS non pas comme PTCE mais comme
structure porteuse du PTCE. Les principes d’organisation de la SCIC sont loin des principes
managériaux développés dans la plupart des entreprises. Tout d’abord c’est le principe
d’horizontalité qui règne, aucune tâche n’est imposée par les deux gérants Phillipe Chemla et
Lucie Lauribe aux salariés. En effet, si un salarié ne se sent pas à l’aise sur un dossier, il
demande à un autre s’il se sent capable d’effectuer cette tâche. Ce credo permet de conserver
Florent STUMM – SCIC TETRIS
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une aspiration sociale forte où chacun est guidé par sa seule volonté de participer, à son
échelle, au bon fonctionnement de la structure.
Ce mode de fonctionnement fut, je l’avoue, déstabilisant pour moi dans les premiers jours de
stage. En effet je ne me suis pas vu imposer des tâches mais bien, vu conseiller des missions
pour lesquelles je n’avais aucune pression de résultat. Selon ma tutrice, Geneviève Fontaine
ma seule présence était bénéfique pour la structure, les objectifs de mon stage étaient que je
participe à mon échelle au fonctionnement de la SCIC TETRIS. De peur que cette trop grande
latitude me pousse à ne pas compléter les tâches pour lesquelles j’étais venu, je m’évertuais à
rester dans mon bureau. Petit à petit voyant que cet isolement ne me conduisait pas du tout à
être productif, j’ai participé à d’autres activités pour lesquelles les sociétaires de TETRIS
avaient besoin d’aide et j’ai remarqué que je n’étais jamais autant productif dans mon bureau
qu’après avoir passé du temps à scier des planches pour les besoins du bar du café asso d’Eval
éco… Finalement, je me suis fait petit à petit au fonctionnement de la SCIC TETRIS où les
tâches sont décloisonnées et où l’on est appelés à travailler sur des activités dont la
collectivité a besoin. Pour autant j’ai mené à bien trois projets présentés dans la troisième
partie.
Le deuxième principe qui domine au sein de la SCIC c’est celui de la transparence : chacun
peut s’informer aussi bien de la situation économique de la SCIC, de l’avancement des
projets, de la stratégie qui sera mise en place pour régler certaines problématiques. C’est donc
sans difficulté aucune que j’ai réuni les différentes informations dont j’avais besoin pour
l’écriture de ce rapport.
Autre caractéristique de la SCIC : la grande liberté laissée aux salariés permet un véritable
foisonnement d’idées et de projets. Ces idées naissent souvent de problèmes concrètement
observés sur le territoire et parfois au sein même du PTCE. Par exemple Bilel, alors en service
civique, remarque que les bâches publicitaires utilisées par Résines pour en faire de la
maroquinerie ne peuvent être utilisées entièrement. Il y a ainsi au sein du PTCE des quantités
importantes de chute de bâche qui ne sont pas valorisées. Les bâches sont faites de PVC et ne
sont donc valorisables par un tiers. Bilel diplômé en ingénierie de gestion de déchet va donc
chercher comment valoriser ces chutes de bâche. L’objectif est donc soit de retirer l’encre et
en remettre ou séparer les matières pour pouvoir les traiter séparément. Un partenariat est
alors établi avec Centrale Marseille qui va transmettre ses connaissances sur ce sujet. Il en
ressort qu’il est impossible de désencrer les bâches, la seule solution étant la séparation.
Seulement la séparation nécessite un produit chimique importé des Etats-Unis qui aurait un
coût trop important étant donné que les pouvoirs publics n’ont donné aucun coût aux bâches.
Florent STUMM – SCIC TETRIS
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Pour partager les informations au sein de la SCIC sont organisées des réunions d’équipe qui
permettent d’échanger sur l’avancement pratique des projets, d’informer sur les projets qui
ont besoin d’être avancés etc. En vérité, les différentes structures étant dépendantes les unes
des autres, ces réunions d’équipe ne concernent pas seulement les salariés, services civiques et
bénévoles de la SCIC TETRIS mais aussi ceux du FabLab, de TEDEE, Eval Eco etc. C’est
dans ces réunions qu’on observe vraiment l’horizontalité, la transparence et le foisonnement
de projets qui font de TETRIS une structure atypique appliquant des principes d’innovation
sociale.
Nous avons donc vu dans cette première partie en quoi la nature même de la SCIC
TETRIS faisait d’elle une structure novatrice. Nous allons donc examiner les difficultés
qu’elle rencontre qui sont liées à ce caractère innovant.
Deuxième partie : les différentes problématiques rencontrées par une structure comme la SCIC TETRIS
Ces problématiques peuvent se décliner en trois points : les barrières institutionnelles
et méthodologiques, les problèmes de reconnaissance par le pouvoir politique, et enfin les
défis économiques. Toutes ces thématiques étant bien évidemment interdépendantes.
A/ Les difficultés liées aux cadres légaux et méthodologiques
Comme toute structure innovante la SCIC TETRIS doit composer avec des cadres
légaux à la fois imprécis et inadaptés et cela même si les récentes loi ESS et loi Nôtre sont
venues préciser les cadres juridiques de l’ESS.
La notion de pôle territorial de coopération économique est relativement récente. Elle est
définie légalement dans l’article 9 de la loi relative à l’économie sociale et solidaire du 31
Juillet 2014 :
« Les pôles territoriaux de coopération économique sont constitués par le regroupement sur
un même territoire d’entreprises de l’économie sociale et solidaire, au sens de l’article 1er de
la présente loi, qui s’associent à des entreprises, en lien avec des collectivités territoriales et
leurs groupements, des centres de recherche, des établissements d’enseignement supérieur et
de recherche, des organismes de formation ou toute autre personne physique ou morale pour
mettre en œuvre une stratégie commune et continue de mutualisation, de coopération ou de
Florent STUMM – SCIC TETRIS
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partenariat au service de projets économiques et sociaux innovants, socialement ou
technologiquement, et porteurs d’un développement local durable. »
On peut remarquer que cette définition est somme toute assez large ce qui laisse une certaine
latitude pour les acteurs. Cependant elle peut aussi être considérée comme imprécise. Tout
d’abord elle n’indique pas la forme juridique que doit prendre le PTCE. En effet
étonnamment tous les PTCE ne prennent pas la forme d’une société coopérative d’intérêt
collectif, certains sont seulement portés par une structure porteuse qui peut être une
association comme c’est le cas pour le PTCE 3EVA. De fait cette loi ne précise pas quelle
forme et quelle intensité doit prendre la coopération entre les structures, combien de structure
cette coopération doit impliquer (un PTCE doit-il comporter toutes les structures citées dans
la loi ?).
De même sur le fond comment caractérise-t-on les projets « économiques et sociaux
innovants, socialement et technologiquement, et porteurs d’un développement durable » ?
Encore une fois cette largesse permet d’intégrer beaucoup de projets aux PTCE mais cela peut
être vu comme un manque de rigueur qui permet parfois d’associer au PTCE des projets peu
exigeants au niveau social et environnemental.
De plus cette loi parle de la recherche au sein du PTCE comme une sorte de coopération avec
des agents extérieurs. Le cas de TETRIS est singulier, car ce PTCE dispose d’un centre de
recherche intégré qui s’occupe de son développement. La loi française semble prévoir la
coopération entre les entreprises de l’ESS et des établissements d’enseignement supérieur et
de recherche mais ne permet pas de reconnaître les centres de recherche privés incorporés au
PTCE comme organisme de recherche à part entière.
Ainsi ce statut de PTCE n’est pas un statut juridique qu’on acquiert au moyen de démarches
administratives faute de caractérisation précise : on se déclare pôle territorial de coopération
économique.
Le PTCE, du fait de l’absence de critère de ce qu’est un PTCE, ne doit pas justifier
qu’il est un PTCE mais qu’il est un bon PTCE. Ceci sous-entend l’établissement de critères
d’évaluation objectifs, compréhensibles par le plus grand nombre. TETRIS dispose de ces
marqueurs d’efficacité. Avec ses quarante-sept sociétaires TETRIS contribue pour soixante-
quinze emplois et 2.7 millions d’euros selon le co-gérant Phillipe Chemla. Cependant son
action ne peut se résumer à son seul impact économique quantitatif, TETRIS produit du
qualitatif sur lequel il est beaucoup plus dur de communiquer. C’est selon moi, une véritable
politique d’acculturation qu’il faut mettre en place pour sensibiliser les populations locales et
Florent STUMM – SCIC TETRIS
17
les élus aux problématiques traitées par TETRIS. Cette stratégie de communication est
beaucoup plus longue que les stratégies traditionnelles et ne permet pas de délivrer des
critères instantanés du bon fonctionnement de ce PTCE.
Par ailleurs au sein même du pôle territorial de coopération économique il peut y avoir des
divergences de projets et d’objectifs comme cela a été le cas dans le PTCE SCIC TETRIS. En
effet une des structures membres, Résines, qui a pour but de réinsérer des personnes éloignées
du marché du travail a très vite montré opposition à la politique développée au sein du PTCE.
Concrètement, la gérante de Résines ne souhaitait pas qu’il y ait une circulation libre des
bénévoles, salariés des autres structures dans leurs locaux et vice versa. Résines réfutait ainsi
le caractère commun des locaux à l’opposé des fondements du PTCE et est donc sorti du
sociétariat de TETRIS. Plus largement Résines faisait figure d’ovni au sein du PTCE, la
question de la conformité de cette structure aux principes de l’ESS se posait sans cesse. Sur le
papier c’est une entreprise qui aide à l’insertion des personnes en difficulté, dans la réalité
c’est plutôt une entreprise grâce à laquelle les gérants gagnent pas mal d’argent. Ainsi la
dernière question qui se pose est celle des critères de convergence que doit construire le
PTCE c’est-à-dire quels critères une structure doit remplir pour pouvoir être intégrée au
PTCE et éviter les erreurs de parcours.
Le PTCE étant une structure nouvelle et son cadre législatif étant peu complet, les
pouvoirs publics montrent parfois peu d’intérêt à l’égard de ce type de structures. En fait c’est
une relation double : la loi ne reconnaissant pas de caractère strict à un PTCE, les pouvoirs
publics leur donnent une crédibilité faible alors que si l’on accordait à ces structures plus de
crédits on pourrait dépasser ces barrières.
B/ Le manque de reconnaissance de la part du pouvoir politique
Le modèle économique de la SCIC TETRIS la rend, pour l’instant, tributaire du bon
vouloir des pouvoirs publics (voir infra). C’est ainsi que j’ai remarqué à de multiples reprises
des réticences et parfois même des décisions néfastes venant du pouvoir politique concernant
l’ESS et la SCIC TETRIS.
Tout d’abord au niveau régional la force politique dominante a changé en 2016 ; au
conseil régional la majorité est devenue les Républicains. Ceux-ci ont démontré leur
opposition à l’économie sociale et solidaire par la suppression des programmes d’aide
Florent STUMM – SCIC TETRIS
18
destinés aux têtes de réseaux de l’ESS en PACA comme la CLAIE. La région PACA qui était
la troisième région la plus dynamique de France s’est retrouvée dépossédée de structures
coordinatrices de l’ESS. Toutes les politiques régionales de soutien de l’économie sociale et
solidaire ont été purement et simplement supprimées au prétexte que le plus important est la
création d’entreprises classiques. On a donc assisté cette année à la destruction de tout un
écosystème d’associations.
Le cas de la région PACA est particulièrement singulier : dans d’autres régions où la majorité
au conseil régional a changé l’ESS est restée bénéficiaire de politique d’aide, on constate
seulement que ce sont les appellations des politiques qui ont changé. Par exemple dans les
Hauts-de-France le poste ESS a été remplacé par économie de proximité. Tout en gardant les
structures existantes on a réorganisé de manière à être en adéquation avec un projet
idéologique différent, ce qui n’a pas été le cas de la région PACA.
Ceci se traduit concrètement par la volonté de la région de mettre fin au contrat local de
développement de l’ESS, signé pour rappel entre la CAPG et la région en 2015. Ce contrat
engage la région à verser des fonds aux différents EPCI pour mettre en œuvre une politique de
favorisation de l’ESS. La région a tenté de mettre un terme au contrat, et la communauté
d’agglomération a dû se défendre devant un tribunal administratif pour conserver ces aides.
Plus localement, le fonctionnement atypique de TETRIS provoque des
incompréhensions et des tensions. Au sein de la CAPG l’utilité de TETRIS ne fait
malheureusement pas l’unanimité. Certains techniciens et élus cherchent à comprendre la
démarche de TETRIS, d’autres sont au contraire dans une posture quasi idéologique où il
n’est pas question d’accorder du temps et de l’argent à la SCIC. Il en résulte des rapports de
force au sein de la CAPG où la position par rapport à TETRIS détermine les affinités.
TETRIS, même localement ne connaît pas une conjoncture très favorable. Le poste de l’ESS
occupé par Valérie Tetu passe du service des Emploi et Solidarité au service développement
économique. C’est un mauvais signal. De plus la CAPG a repoussé le traitement de la
demande de subvention qu’avait déposée TETRIS concernant le financement du colloque
international de chercheurs qui se tient depuis 3 ans en novembre, durant le mois de l’ESS.
Du fait de l’indécision de la CAPG sur la subvention, le colloque n’aura pas lieu en novembre
alors qu’il commençait à prendre de l’ampleur : de plus en plus de chercheurs venus de pays
différents demandaient à venir au colloque cette année.
De la nature innovante de TETRIS naissent des rapports de force politiques qui en ce moment
ne tournent pas en faveur de la SCIC.
Florent STUMM – SCIC TETRIS
19
Ce manque de reconnaissance politique exacerbe les défis économiques qui pèsent sur
la SCIC TETRIS.
C/ Les contraintes économiques connues par la structure
Les contraintes liées aux financements publics
Tout d’abord la SCIC TETRIS doit faire face à une réduction globale des subventions
dans le contexte de réduction des dotations des collectivités territoriales. Les subventions
classiques qui financent le fonctionnement normal de l’association laissent place de plus en
plus à des appels à projet. Un appel à projet est une procédure de sélection pour l’octroi d’une
subvention en l’échange d’une réponse à une problématique remplissant un certain nombre de
critères. Ces appels à projet proviennent de diverses collectivités territoriales (région,
communauté d’agglomération), des établissements publics à caractère industriel et
commercial, des fondations privés etc.
J’ai donc appris au sein de TETRIS à répondre à des appels à projet Ce sont d’ailleurs ces
appels à projet qui financent une grande partie du fonctionnement de la structure en l’absence
de subvention classique et ceci implique un véritable jeu d’équilibriste budgétaire. De
manière plus explicite, lorsque vous financez votre fonctionnement normal avec des appels à
projet vous devez constamment surveiller que les appels à projet se succèdent de manière
harmonieuse pour ne pas vous retrouver dans une période de trésorerie déficitaire, et garantir
que l’affectation des fonds des appels à projet soit conforme avec ce que vous avez inscrit
dans la réponse d’appel à projet. Ce dernier point nécessite de quantifier la quantité de
ressources utilisées (travail et matériel) et cela n’est pas forcément aisé. Surtout, ces charges
présentées au départ dans la réponse d’appel doivent être effectivement dépensées et il faut
apporter des justificatifs pour montrer que vous avez bien dépensé une certaine somme.
Dernière difficulté, si à la fin du projet ce sont les charges qui importent pour rendre des
comptes au financeur, au moment de l’appel à projet ce sont les produits qui sont importants.
Il faut que la structure paraisse avoir des revenus solides qui permettent la mise en place
effective du projet. Cela nécessite qu’il y ait au préalable des sources de financement qui
peuvent être difficiles à trouver.
Certes ce recours aux appels à projet pousse l’organisation à sans cesse développer des
projets, à évoluer dans le sens que l’état souhaite mais cela place les structures dans une
grande fragilité budgétaire.
Florent STUMM – SCIC TETRIS
20
Les contraintes liées à la nature de la SCIC TETRIS
Ensuite les possibilités de faire appel à des investissements sont restreintes. En effet de
par ses statuts TETRIS ne peut reverser un éventuel dividende à des investisseurs entrant au
capital. Etonnamment, même des investisseurs publics tels que la Caisse des Dépôts et des
Consignations demandent à ce qu’il y ait possibilité de rémunération du capital pour investir,
même si dans la pratique ils ne cherchent pas une logique de fructification.
Concernant les frais de recherche et développement de la SCIC TETRIS on pourrait imaginer
qu’ils soient financés par une entreprise privée utilisant les résultats de la recherche pour son
propre compte en déposant un brevet. Cependant, la diffusion des connaissances est un
principe essentiel pour TETRIS qui s’attache à breveter les avancées de la recherche sous la
licence créative « Commons » qui permet la libre utilisation de la propriété intellectuelle à
condition d’en faire un usage non commercial et de breveter sous la même licence d’éventuels
procédés dérivés. De même TETRIS fait de la recherche organisationnelle, sociale et pas de la
recherche technologique, ce qui attire moins le grand public.
Enfin, faire de la recherche appliquée dans une structure privée exclut de certaines
subventions et appels à projet, et la reconnaissance du centre de recherche de TETRIS comme
organisme de recherche n’est pas chose évidente. Elle permettrait dans le cadre de la stratégie
Horizon 2020 de se faire rembourser 80 à 100% des dépenses de recherche engagées contre
50% pour une entreprise classique.
Les contraintes naissant de la réglementation européenne
De même Tetris voit ses financements publics amenuis du fait du règlement sur les
aides de minimis. En effet selon la conception européenne, une aide d’état procure un
avantage à une entreprise ou à une production par rapport aux conditions du marché et est
susceptible de fausser la concurrence et les échanges au sein du marché intérieur, elle est donc
en principe prohibée par le TFUE. Toutefois conformément aux articles 107 et 108 du TFUE
une telle aide peut être considérée comme compatible avec le marché intérieur dans la mesure
où :
-elle a été notifiée et approuvée par la commission européenne
-elle fait l’objet d’une exemption de notification sur la base d’un règlement d’exemption et
d’un enregistrement par la Commission du régime d’aide ou de l’aide ad hoc.
Les aides de minimis sont des aides qui ne nécessitent pas de de déclarations aux autorités
européennes. Comme ces aides ne font pas l’objet de vérification par la Commission
Florent STUMM – SCIC TETRIS
21
Européenne elles peuvent ne pas respecter les règles de la concurrence et sont donc limitées.
Lorsqu’une organisation marchande demandera une aide, la collectivité devra vérifier qu’en
accordant cette aide l’organisation ne dépasse pas les deux cent mille euros d’aides de
minimis.2 Ceci pose problème dans le cas de TETRIS qui s’est vu refuser des aides de la part
de la région PACA par peur de dépassement de ce plafond.
Ces facteurs structurels qui créent des difficultés économiques s’ajoutent à des
facteurs conjoncturels assez défavorables. Tout d’abord une importante subvention d’Eval
éco, au titre de l’espace ouvert d’éducation permanent, a été retirée, ce qui fragilise une
structure clef du PTCE.
De même il faut rappeler que la SCIC est née en 2015 et les projets ne sont pas encore tous
développés. C’est une phase que connait la plupart des starts up qui sont dans le même cas
que TETRIS. Après deux ans d’existence la structure a utilisé son capital initial pour la
recherche et doit maintenant trouver une application adaptée. C’est une phase de fragilisation
due à la transition d’une phase de recherche à une phase de développement. TETRIS est dans
ce cas où la recherche est effectuée, maintenant il s’agit d’évaluer si cela peut déboucher sur
un modèle viable qui permettrait aux structures du PTCE d’envisager des sources de revenus
stables et d’obtenir des financements permettant de se doter des matériels nécessaires. Par
exemple Choisir, une des associations sociétaires de la SCIC TETRIS, a réussi à développer
des partenariats avec la Déchetterie de Cannes et Norauto pour reconditionner les vélos
fournis par la déchetterie en vélo électrique ; ceci étant particulièrement pertinent au vu de la
topographie grassoise. Cependant le problème est que Choisir est une structure trop petite
pour produire en quantité des vélos électriques et ne peut en faire un modèle.
Face à ces difficultés d’ordre légal, politique et économique la SCIC TETRIS
développe des stratégies qui pourraient être appliquées dans d’autres structures innovantes de
l’ESS. Ainsi j’ai pu remarquer que les tâches qui m’ont été confiées participaient à une
tentative plus globale de résolution des problématiques actuelles. On peut présenter ces
actions en trois axes : tout d’abord la construction d’une méthodologie propre au PTCE,
ensuite la recherche de financements privés et enfin la recherche d’une reconnaissance grâce à
des acteurs extraterritoriaux.
2 Voir circulaire relative à l’application du règlement n°1407/2013 de la Commission européenne du 18
décembre 2013
Florent STUMM – SCIC TETRIS
22
Troisième partie : les stratégies développées pour traiter les problématiques
A/ La construction d’une grille analytique propre
Nous avons vu dans la deuxième partie que le PTCE ne pouvait pas compter sur des
cadres légaux précis pour évaluer son action et communiquer vers l’extérieur. Nous allons
voir que le PTCE va développer une politique d’affirmation plutôt qu’une politique de mise
en conformité : au lieu de s’adapter à un cadre légal et à des représentations peu développées
de l’ESS, le PTCE va construire ses propres outils qui lui permettront de conserver son projet.
Cette construction s’est faite sous l’impulsion des travaux de l’Institut Godin3. Celui-ci a
développé pour le PTCE Idesol Pays de Bray des marqueurs d’innovation sociale inspirés des
marqueurs de redéveloppement local qui avait déjà été créés pour le PTCE F2ei. L’objectif
était pour l’Institut Godin de construire des marqueurs d'innovation sociale adaptés au PTCE
Idesol en Pays de Bray et susceptibles de faire l'objet de transfert auprès d'autres PTCE.
L’outil est un document Excel articulé autour de différents onglets4 :
- L’onglet « Notice d’utilisation » concernant un certain nombre d’information sur
l’utilisation de ces marqueurs d’innovation sociale dans le cadre du PTCE
- L’onglet « Def Marqueurs » qui présente les différents marqueurs, leurs définitions et leurs
échelles de grandeur.
- L’onglet « Projet » pour remplir un certain nombre d’informations sur les projets du PTCE
et choisir dans un menu déroulant les différentes échelles de grandeur respectives aux
marqueurs de chaque projet. Une représentation graphique des marqueurs est visible pour
chaque projet au cours de différentes périodes.
- L’onglet « PTCE » pour remplir un certain nombre d’informations sur le PTCE et choisir
dans un menu déroulant les différentes échelles de grandeur respectives aux Marqueurs du
PTCE. Une représentation graphique des marqueurs est visible pour le PTCE au cours de
différentes périodes.
- L’onglet « Marqueurs d’ensemble » permet d’avoir une représentation de l’ensemble des
marqueurs et des graphiques du PTCE et des projets.
3 Voir « Les Marqueurs d’Innovation Sociale » de l’Institut Godin 4 Voir annexe 2
Florent STUMM – SCIC TETRIS
23
- L’onglet « Explication » est utilisé pour justifier et donner un certain nombre d’informations
sur le choix des échelles de grandeur à chaque période et pour les différents Marqueurs du
PTCE et des projets.
Cet outil devait être utilisé dès le départ comme un instrument de délibération
collective permettant une réflexion des différentes parties prenantes du PTCE afin qu’ils
débattent sur leur vision de l’évolution du PTCE. Cette grille de marqueurs ne cherche en rien
à développer un schéma d’évaluation communicable vers l’extérieur : on recherche une
évaluation qualitative, et non quantitative, difficile à traduire en termes communicationnels5.
En effet cet outil permet la délibération collective autour du partage de critères ou marqueurs
et du degré d’achèvement de ces marqueurs. Ceux-ci peuvent s’avérer utiles pour identifier
rapidement les divergences de vision en sein du PTCE. Cette grille aurait peut-être permis
dans le cas de la SCIC TETRIS de mettre en lumière les discordances avec Résines.
Le PTCE TETRIS a poussé plus loin la démarche en établissant collectivement les marqueurs
qui ne seront plus seulement des marqueurs d’innovation sociale mais des marqueurs de
développement local durable. C’est moi qui ai assumé cette tâche d’adaptation des travaux
initiaux de Godin en une méthodologie propre à notre PTCE, adaptation qui a été ensuite
soumise à la délibération des parties prenantes du PTCE lors de réunions de travail.
Tout d’abord il fallait développer une grille propre à TETRIS car les marqueurs tels
qu’ils ont été construits pour le PTCE Idesol Pays de Bray rendaient compte de l’innovation
sociale et nous voulions développer une grille plus englobante qui prenne en compte
l’innovation sociale mais aussi les autres dimensions développées au sein du PTCE. A
l’origine les marqueurs PTCE étaient regroupés en trois catégories suivant l’analyse
institutionnaliste développée par l’Institut Godin : le contexte d’émergence des innovations
sociales (aspiration sociale, besoin social), le processus de mise en œuvre de ces innovations
(gouvernance participative et élargie, modèle économique pluriel, ancrage territorial) et enfin
les résultats, impacts et changements liés à ces innovations (essaimage, finalité sociale,
apprentissage des pratiques). Cette articulation ne convenait pas à une méthodologie plus
générale d’évaluation du PTCE, elle rend compte seulement d’une partie du PTCE, à savoir
l’innovation sociale. Ainsi nous avons donc remplacé le contexte par construction du
territoire, le processus de mise en œuvre par construction des pôles et des coopérations et
5 Voir annexe 1
Florent STUMM – SCIC TETRIS
24
résultats, impacts et changements par diffusion et changement. En conséquence nous avons
changé les marqueurs et leurs échelles afin qu’ils soient cohérents avec ces catégories.
De plus, sur le document Excel étaient intégrés des graphiques radars censés rendre compte de
la progression du PTCE. Etant sur une périodisation en six temps, le radar était tout d’abord
peu lisible et ne permettait de voir si globalement le PTCE avait progressé ou régressé dans
l’accomplissement des marqueurs. On a donc décidé de réaliser plusieurs radars, censés
donner une représentation plus claire des périodes. Ensuite nous avons créé un coefficient de
réalisation : chaque marqueur étant évalué sur une échelle de 0 à 3, et les marqueurs étant au
nombre de dix, on peut dire qu’une réalisation parfaite serait de 30. A partir de là on réalise
un coefficient avec la somme des notes attribués au PTCE.
Ce travail a nécessité tout d’abord l’apprentissage des concepts et des éléments de langage
développés par l’Institut Godin. Ensuite évidemment une observation de l’originalité du
PTCE TETRIS afin d’adapter les marqueurs. Enfin j’ai dû faire appel à mon sens de travail en
équipe pour animer les réunions d’équipe qui avaient pour but de critiquer collectivement
mon travail pour qu’on arrive à une grille acceptée par tous.
La première partie de la stratégie consiste donc pour le PTCE à construire ses propres
outils permettant d’évaluer son action selon ses propres critères. Ensuite nous allons voir que
pour surmonter les difficultés économiques la SCIC TETRIS va développer une politique de
financement par les acteurs privés.
B/ La recherche de financeurs privés
Pour faire face aux difficultés financières la SCIC TETRIS a décidé de se tourner
davantage vers les acteurs privés. En effet à la vue de la diminution des aides de l’Etat il a
fallu trouver des financements avant de trouver un modèle économique auto-suffisant. Un de
mes travaux a encore fait partie d’une stratégie globale du PTCE : l’écriture des statuts d’un
fonds de dotation dédié aux projets de développement local durable. 6
Le fonds de dotation est une personne morale utilisée par un individu ou par un collectif,
comme outil de financement privé et désintéressé d’actions d’intérêt général. Comme pour les
associations loi 1901 le fonds de dotation laisse une grande liberté statutaire.
6 Voir annexe 3
Florent STUMM – SCIC TETRIS
25
La création d’un fonds de dotation paraît stratégiquement pertinente : le fonds de
dotation permet tout d’abord de produire des rescrits fiscaux permettant une réduction
d’impôt sur le revenu à hauteur de 66% du montant des versements, dans la limite de 20% du
revenu imposable ou pour les entreprises une réduction d’impôt sur les sociétés à hauteur de
66% du montant de leurs versements, dans la limite de 5‰ du chiffre d’affaire. Ces
réductions fiscales intéressent en particulier les entreprises dégageant des bénéfices et les
personnes aux revenus élevés. Or Grasse est une ville disposant d’une industrie du parfum
très développée - elle produit 10% du chiffre d’affaire mondial de cette filière - mais aussi très
polluante, qui pourrait être intéressée par le don envers des projets de développement local
durable. De même sur le secteur du schéma de cohérence territoriale nous avons une
concentration assez importante de personnes aisées. Pour ne citer qu’elle, Cannes comptait
1478 redevables de l’impôt sur la fortune en 2014. Il est ainsi utile de nouer des relations avec
des personnalités ou des entreprises locales afin qu’elles appuient ou financent le fonds en
faisant un travail de promotions envers les techniciens, élus et personnalités locales. Cette
proximité avec des personnalités ou entreprises locales s’avère indispensable pour nombre de
fonds de dotation : pour être créé le fonds doit disposer d’une dotation initiale de 15000 euros,
une somme que peu d’associations peuvent se permettre de débourser pour le lancement d’un
fonds.
Enfin compte tenu de la disparition de multiples acteurs de l’ESS sur la région, le fonds de
dotation pourrait tenir lieu de principal receveur de dons pour l’ESS, car un fonds de dotation
permet une diffusion territoriale bien plus large qu’un simple appel au don pour une
association et permettrait donc d’aller chercher des financements en dehors du terrain d’action
du PTCE. Il est en effet plus aisé de communiquer à l’extérieur sur un fonds de dotation, qui
par définition sert l’intérêt général, plutôt que sur une association.
Pour écrire les statuts du fonds nous nous sommes aidés du clausier qui indique les
dispositions obligatoires que doivent contenir les statuts d’un fonds de dotation. Le cadre
règlementaire est assez souple, les statuts doivent seulement contenir :
- la dénomination du fonds, son objet précis, sa durée et son siège social,
- le mode de désignation des administrateurs, la durée de leur mandat, les modalités de leur
remplacement éventuel et la façon dont l'un d'eux devient président du CA,
- la manière dont le fonds pourra être dissout.
La difficulté a résidé dans l’adaptation de ce cadre large pour en faire un objet précis qui soit
en accord avec les objectifs, principes et valeurs de TETRIS. Cette difficulté s’exprimait
Florent STUMM – SCIC TETRIS
26
particulièrement pour la définition de l’objet du fonds : comment expliquer notre vision du
développement local durable dans un document juridique ; pour l’organisation de la
gouvernance : comment impliquer les donateurs, organiser une gouvernance large tout en ne
perdant pas la main sur le fonds ; pour l’utilisation de la dotation du fonds : on ne placera pas
les fonds dans n’importe quel compte d’épargne.
Nous avons donc procédé de la manière suivante : j’ai réalisé une première version que nous
avons discutée soit collectivement, soit Geneviève Fontaine et moi-même, afin de construire
des statuts qui correspondaient à l’idée précise de ce que les membres permanents de TETRIS
voulaient faire du fonds. Par exemple en matière de gouvernance, j’ai pu imaginer des
articulations entre les instances, des durées de mandat qui étaient soumises à discussion.
L’essentiel du travail s’est donc effectué lors des réunions où je jouais le rôle d’animateur
ayant réalisé à la fois un dossier sur le fonds de dotation (statuts et fonctionnement) et la
première version des statuts.
A la fin de mon stage nous sommes arrivés à une version finale mais je n’ai pas pu effectuer
les démarches permettant la création du fonds telles que la déclaration en préfecture, la
demande de publication au journal officiel.
Pour compléter les stratégies de développement d’outils analytiques et de recherche de
financeurs privés, les parties prenantes de la SCIC TETRIS ont décidé de rechercher une
reconnaissance qui dépasse l’échelle locale.
C/ L’obtention d’une reconnaissance grâce à des acteurs extraterritoriaux
Pour obtenir une reconnaissance par les acteurs locaux qui lui permettraient de
surmonter certaines difficultés rencontrées, TETRIS a fait le choix premièrement d’utiliser sa
renommée auprès d’acteurs spécialisés dans le milieu de l’ESS et de l’innovation, et
deuxièmement de recourir aux critères européens pour faire valoir sa qualité.
Tout d’abord pour que les pouvoirs publics locaux se rendent compte du caractère
profondément innovant et ambitieux du projet de TETRIS, le centre de recherche a lancé une
politique d’appel à soutien auprès des acteurs extérieurs au territoire qui pèsent dans l’ESS7.
On peut dire que ce choix s’est révélé payant : en une semaine TETRIS a reçu des lettres de
soutien d’une dizaine d’acteurs de l’ESS, que ce soit du Labo de l’ESS, d’ALISS. La semaine
7 Voir annexe 4 et 5
Florent STUMM – SCIC TETRIS
27
suivante TETRIS a fait l’objet d’un article dans Le Monde.8 Cette stratégie a pour objectif de
montrer que l’expérience de TETRIS est suivie par beaucoup d’acteurs et que TETRIS par sa
notoriété grandissante met sur le devant de la scène le territoire grassois. Ainsi si TETRIS
venait à devoir mettre la clef sous la porte, la communauté d’agglomération en porterait la
responsabilité entière et cette faillite ferait une mauvaise publicité au territoire grassois qui a
laissé tomber une expérience unique comme TETRIS.
Ensuite si les définitions nationales actuelles ne permettent pas de reconnaître TETRIS
comme acteur innovant possédant un centre de recherche, TETRIS peut s’appuyer sur les
critères européens afin de mettre en avant sa qualité. Ma dernière tâche a consisté à rechercher
selon les textes européens comment l’on pouvait caractériser TETRIS.
Cette recherche de définitions européennes a débuté sous le prisme d’un
contournement de la règle des minimis. En effet comme nous l’avons vu, TETRIS ne pouvait
pas toucher plus de deux cent mille euros de subventions du fait de cette règle. Nous avons
remarqué que pour pallier aux défaillances du marché la Commission européenne a créé des
catégories d’aide qui ne doivent pas être notifiées mais enregistrées par la Commission
européenne. Ainsi ne sont pas des aides de minimis et elles échappent au pallier des deux cent
mille euros.
Ces différentes aides sont listées dans le règlement n°651/2014 de la Commission du 17 juin
2014 déclarant certaines catégories d’aides compatibles avec le marché intérieur en
application avec le marché intérieur en application des articles 107 et 108 du TFUE. Parmi
ces différentes dérogations on identifie la dérogation pour les aides en faveur des pôles
d’innovation définie par l’article 27 du présent règlement.
Ces aides aux pôles d’innovation s’inscrivent dans la stratégie Horizon 2020. Les aides en
faveur des pôles d’innovation sont destinées à remédier aux défaillances de marché liées aux
problèmes de coordination qui entravent la création de pôles d’innovation ou qui limitent les
interactions et les flux d’information à l’intérieur des pôles et entre ceux-ci. Ces aides d’état
financent d’abord les investissements dans des infrastructures ouvertes et partagées pour les
pôles d’innovation, ensuite soutiennent, pendant une période maximale de dix ans, le
fonctionnement des pôles, de façon à améliorer la collaboration, la mise en réseau et
l’apprentissage.
Un pôle d’innovation est défini dans la Communication de la Commission Européenne :
Encadrement des aides d’Etat à la recherche, au développement et à l’innovation (2014/C
8 Voir article de David Larousserie « Geneviève Fontaine, la transformation sociale en théorie et en pratique ».
Florent STUMM – SCIC TETRIS
28
198/01) comme une structure ou un groupe organisé de parties interdépendantes (jeunes
pousses innovantes, petites, moyennes ou grandes entreprises, organismes de recherche et de
diffusion de connaissance, organismes sans but lucratif et autres acteurs économiques
apparentés) destinés à stimuler l’activité d’innovation par des actions de promotion, le partage
des équipements et l’échange de connaissances et de savoir-faire ainsi qu’en contribuant de
manière effective au transfert de connaissances, à la mise en réseau et à la diffusion de
l’information ainsi qu’ à la collaboration entre les entreprises et les organismes qui constituent
le pôle.
On remarque que selon cette définition, TETRIS peut être tout à fait défini comme pôle
d’innovation et à ce titre toucher des aides en faveur des pôles d’innovation. J’ai donc réalisé
un document qui sera soumis à la CAPG lors de la prochaine demande de subvention afin de
montrer que cette future subvention peut ne pas être une aide de minimis.
Autre problème de caractérisation, le centre de recherche de TETRIS ne pouvait pas répondre
à des appels à projet de recherche. Le centre de recherche fait donc le pari d’utiliser la
définition posée par l’Union Européenne pour obtenir la reconnaissance d’organisme de
recherche. La même communication de la Commission Européenne (2014/C 198/01) stipule
qu’un organisme de recherche est une entité (telle qu’une université ou un institut de
recherche, une agence de transfert de technologies, un intermédiaire en innovation, une entité
collaborative réelle ou virtuelle axée sur la recherche) quel que soit son statut légal ou son
mode de financement, dont l’objectif premier est d’exercer, en toute indépendance, des
activités de recherche fondamentale, de recherche industrielle ou de développement
expérimental, ou de diffuser largement les résultats de ces activités au moyen d’un
enseignement, de publications, ou de transferts de connaissances.
C’est ainsi que selon les critères européens, le centre de recherche de la SCIC TETRIS est
considéré comme un organisme de recherche. Celui-ci pourra ainsi s’appuyer sur
l’argumentaire que j’ai réalisé afin d’obtenir les avantages accordés à un organisme de
recherche lors des appels à projet.
Florent STUMM – SCIC TETRIS
29
Synthèse des enjeux
La SCIC TETRIS fait figure d’ovni dans le paysage entrepreneurial français. Elle
cumule diverses caractéristiques réunies par des structures innovantes classiques comme
l’importance de la recherche auxquelles s’ajoute des principes de progrès social,
environnemental et sociétal.
Du fait de cette ambition, parfois incomprise par les acteurs publics locaux, la SCIC TETRIS
se confronte à des barrières méthodologiques et légales, politiques et économiques. Une
entreprise disruptive doit toujours faire face à des freins qu’elle doit surmonter. Cependant
j’ai le sentiment qu’ils se posent plus fortement pour TETRIS et suscitent des enjeux
importants.
Tout d’abord la recherche d’un modèle économique doit-elle être la priorité de la
structure ? Comme nous pouvons l’imaginer aisément la bonne santé économique d’une
structure résout la majorité des problèmes : pas besoin de décrocher les soutiens économiques,
d’avoir d’appuis venus de qui que ce soit. La SCIC TETRIS gagnerait ainsi en autonomie.
Cependant rechercher à tout prix un modèle économique n’est-ce pas une mise en conformité
avec le modèle entrepreneurial tel qu’il se développe normalement. De plus cette recherche
constante de soutien, naissant de la contrainte économique, pousse le PTCE à rentrer en
contact avec son environnement, à faire l’effort de propager ses idées, ses ambitions.
Ce qui fait sans aucun doute la différence entre une start up classique et la SCIC
TETRIS est la dimension politique, forte chez TETRIS. C’est celle-ci qui semble incomprise
ou bien combattue par certains, ce qui exacerbe ses défis.
Afin d’emporter le soutien de pouvoirs publics et de la population une structure au projet
politique fort doit-elle passer sous silence cette volonté de changement et la dissimuler
derrière un entrepreneuriat classique ? Comment passer sous silence un projet qui imprime
tant le fonctionnement, l’identité d’une structure ?
Cette solution me paraît difficilement applicable et totalement contraire à la nature de
TETRIS. Si cette structure existe c’est pour convaincre que d’autres modes de travail, de
création de richesse, de distribution de ressources sont possibles.
Mais alors, comment vulgariser un projet de société comme celui de TETRIS pour convaincre
le commun des mortels de l’importance de son action ? Cette question est primordiale car
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c’est sa résolution qui permettra d’emporter le soutien de la population et des élus locaux dont
va découler un soutien moral et économique primordial pour une structure en lancement.
Je pense que pour remporter l’adhésion de la population il faut développer une véritable
politique d’acculturation qui nécessite du temps, au risque de brader une rigueur intellectuelle
dans le but d’obtenir le ralliement du plus grand nombre. En attendant, mieux vaut s’affirmer,
démontrer sa qualité en passant par des acteurs qui sont déjà sensibilisés, qu’ils viennent du
secteur privé, du monde de l’ESS ou de l’Union Européenne. Cette stratégie permet de
survivre économiquement certes, mais aussi de prouver que d’autres reconnaissent l’action
bénéfique de TETRIS comme telle.
Faire autrement signifierait la mort de la structure soit financière soit morale.
Bilan personnel de l’expérience
Cette expérience a renforcé ma volonté de travailler plus tard dans une structure
œuvrant dans le secteur de l’économie sociale et solidaire.
Lors de mon stage j’ai vraiment ressenti un sentiment d’utilité qui m’a permis d’effectuer mes
tâches avec beaucoup d’intérêt. Dans ce genre de structures on a toujours l’impression de faire
quelque chose d’avant-gardiste quelle que soit la tâche effectuée. Par ailleurs la diversité des
travaux est impressionnante : dans une organisation comme TETRIS on est toujours appelé à
apprendre et à se perfectionner sur de nombreux domaines.
De plus j’aime l’atmosphère de travail qui régnait à la SCIC TETRIS, où l’on n’est pas
encadré par les grands principes du management mais plutôt par une ambiance de travail
régnant sur la confiance. J’ai ressenti ce bien être au travail qui n’est plus assimilé à une
contrainte mais bien à une contribution à un ouvrage commun.
Cette expérience m’a aussi démontré la difficile autonomie des structures de l’ESS vis-à-vis
des pouvoirs publics, et a donc développé en moi une volonté de promotion de l’ESS au
niveau politique.
Pour l’instant je vois plutôt mon avenir dans une instance coordinatrice qui pourrait être du
domaine de l’ESS (type CRESS ou autre structure étatique de développement économique,
social ou environnemental), étatique ou non, pour aider ce secteur à se fortifier, pour agir
peut-être politiquement afin de lui donner les moyens dont il a besoin pour se développer.
Lorsque je penserai que les conditions sont réunies, je pense me lancer dans l’entrepreneuriat
selon les opportunités qui s’offriront à moi.
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Bibliographie
Sen Armatya , Un nouveau modèle économique. Développement, justice, liberté, Editions
Odile Jacob, Paris, 2000.
Oström Elinor, Gouvernance des biens communs : pour une nouvelle approche des
ressources naturelles, Bruxelles, De Boeck, 2010, 301 p.
Ostrom Elinor (2011), « Plaidoyer pour la complexité », Ecologie & politique 2011/1, n°41
Besencon E., Chochoy N. et Guyon T., 2013, L’innovation sociale. Du concept aux
pratiques, Paris, Harmattan
Fontaine Geneviève, « Économie sociale et solidaire et éducation populaire au développement
durable : l’expérience du pays de Grasse », Cahiers de l’action, 2016/1 (N° 47), p. 77-80
Fontaine Geneviève, « Les conditions d’émergence de communs porteurs de transformation
sociale », Avril 2017, Montréal, Canada.
Larousserie David, « Geneviève Fontaine, la transformation sociale en théorie et en pratique »
Le Monde
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Annexes
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Annexe 1 : marqueurs projets PTCE. Copyright © Institut Godin, SCIC TETRIS
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Annexe 2 : test marqueurs projets PTCE sur projet « guichet unique ». Copyright © Institut Godin, SCIC
TETRIS
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Annexe 3 : préambule du fonds de dotation
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Annexe 4 : lettre de soutien labo ESS
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Annexe 5 : lettre de soutien ALISS
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Annexe 6 : fiche d'évaluation