Anesthésie du patient transplanté en dehors de la transplantation
Alice QuinartService de transplantation hépatique et rénaleChirurgie vasculaire, digestive et urologique
CHU Bordeaux PellegrinCours DESAR, 16 Octobre 2014
• Epidémiologie de la transplantation
• Traitement immunosuppresseurs - classes- principaux effets secondaires- interactions
• Prise en charge anesthésique générale• Règle de transfusion • Antibioprophylaxie
• Particularités selon l’organe greffé : - rein- foie- coeur- poumon
Plan
La transplantation en France
Plus de 5000 patients greffés en 2013 en FranceDont 220 enfants
Transplantation et chirurgie
• Plus de 20% des patients greffés auront une chirurgie non spécifique suite à leur greffe
• Certaines pathologies sont des causes fréquentes d’intervention : éventration, abcès, nécrose de hanche, FAV …
• Au cours des premiers mois suivant la greffe, le traitement immunosuppresseur (IS) est « intense » et les infections fréquentes
• Dans les premières années suivant la greffe les causes les plus importantes de morbidité sont le rejet et l’infection
• Plus tardivement, les causes de morbidité et de mortalité sont les maladies cardio-vasculaires et les cancers
Le transplanté
Une prise en charge spécifique ?
• Bien que le management soit le même que pour un patient non greffé, garder à l’esprit :
- le traitement immunosuppresseur (effets secondaires)
- le risque d’infection- le risque de rejet- les modifications physiologiques dues à la
dénervation de l’organe transplanté
Traitement immunosuppresseur
• Plusieurs classes d’immunosuppresseurs
• Association pour limiter le risque de rejet et pour une épargne des effets secondaires :
- Stéroïdes - Inhibiteurs de calcineurines- Inhibiteurs de m-tor- Inhibiteurs de la synthèse nucléotidique : mycophénolate
mofétil (Cellcept®), l’acide mycophénolique (Myfortic®) et azathioprine (Imurel®)
- Antilymphocytes- Antagonistes des récepteurs à l’IL2
• Induction de l’immunosuppression et/ou traitement du rejet :
- Basiliximab (Simulect®) - Antilymphocytes (Thymoglobulines®)- Corticostéroïdes : méthylprednisolone
• Entretien : Tacrolimus (Prograf®, Advagraf®) ou ciclosporine (Néoral®,Sandimmun®)
ou Sirolimus (Rapamune®) et évérolimus (Certican®)
Et Mycophénolate Mofétil (Cellcept®, Myfortic®)ou Azathioprine (Imurel®)
Et Corticostéroïdes : prednisone
Traitement immunosuppresseur
Immunosupresseurs : principaux effets secondaires
• Les corticostéroïdes :- HTA- Diabète- Dyslipidémie- Ostéoporose- Rétention hydro-sodée- Ulcère gastrique
Immunosupresseurs : principaux effets secondaires
• Anticalcineurines :
Tacrolimus (Prograf®, Advagraf®) et ciclosporine A (Sandimmun®, Néoral®)
- Insuffisance rénale- HTA - Diabète - Dyslipidémie - Lymphômes, cancers cutanés et tumeurs solides (x20)- Tremblements, polynévrites, baisse du seuil
épileptogène
Immunosupresseurs : principaux effets secondaires
• Inhibiteurs de m-tor
Everolimus (Certican®), sirolimus (Rapamune®)
- Retard de cicatrisation- Œdème des membres inférieurs- Protéinurie- Hypertriglycéridémie- Thrombopénie, anémie
Discuter un « switch » vers un inhibiteur de calcineurine en cas de chirurgie majeure et donc se mettre en relation avec le centre de transplantation qui suit le malade
Immunosupresseurs : principaux effets secondaires
• Inhibiteurs de la synthèse nucléotidique :Cellcept ®, Myfortic ®- Anémie- Leucopénie - Thrombopénie- Diarrhée
Imurel®- Pancytopénie
Immunosupresseurs : principaux effets secondaires
• Thymoglobulines :Prescrites à le phase d’induction de l’immunosuppression chez le patient immunisé (seconde greffe) ou en cas de rejet
- Allergie- Réaction anaphylactoïde à l’injection- Immunodépression profonde persistant 6 à 9 mois (lymphopénie)
Principaux effets secondaires
Ciclo Tacro Ster MMF In mTor Aza TG
Hypertension ++ + + - - - -
Diabète + ++ ++ - - - -
Insuffisance rénale + ++ - - - - -
Neurotoxicité + + + - - - -
Anémie - - - + + + -
Leucopénie - - - + + + +
Fièvre - - - - - - +
Ciclo = ciclosporine, Tacro = tacrolimus, Ster = corticostéroïdes,MMF = mycophénolate mofétil,In mTor = inhibiteurs de m-Tor,
Aza = azathioprine, TG = thymoglobulines
Immunosupresseurs : principaux effets secondaires
Dans tous les cas :
SENSIBILITE AUX INFECTIONS
Communautaires et opportunistes
NOMBREUSES INTERACTIONS MEDICAMENTEUSES
(avec risque d’augmentation des taux d’IS donc de toxicité ou de baisse des taux donc de rejet)
Immunosupresseurs : principaux effets secondaires
• Il n’y a pas lieu d’augmenter la posologie des stéroïdes en péri-opératoire (Bromberg JS, Transplantation ; 1991 : 51 ; Glowniak JV et col. Surgery 1997 : 121; Kehlet H et col; BMJ 1973; 2)
• Nombreuses interactions médicamenteuses avec les anticalcinaurines (tacrolimus, ciclosporine) et les agents métabolisés par le cytochrome p450
Gestion des IS en péri-opératoire
Gestion des IS en péri-opératoire• L’immunosuppression doit être poursuivie en per-
opératoire et adaptée à la fonction rénale et hépatiqueLes IS sont donnés le matin de la chirurgie, si possible au moins 4 heures avant l’anesthésie …
• Monitorage quotidien des taux sériques de tacrolimus ou de ciclosporine en péri-opératoire (taux résiduel juste avant la prise suivante)
• Relais IV si la voie orale n’est pas disponible :- Cellcept à dose identique- Ciclosporine et tacrolimus : dose divisée par trois- Pour les corticoïdes, dose de méthylprednisolone à peu près
équivalente à la dose de prednisone- Azathioprine IV et per os équivalent- Pas de relais IV pour les inhibiteurs de m-tor
Gestion des IS en péri-opératoireMédicaments modifiants les taux sanguins de ciclosporine et de tacrolimus
et régulièrement utilisés en péri-opératoire
Augmentation des taux sanguins Diminution des taux sanguins
Cimétidine Carbamézépine
Clarythromycine Octréotide
Diltiazem Phénobarbital
Erythromycine Phénytoïne
Fluconazole Rifampicyne
Itraconazole Ticlopidine
Kétokonazole
Métoclopramide
Nicardipine
Vérapamil
Gestion des IS en péri-opératoireMédicaments pouvant induire une dysfonction rénale en association avec la ciclosporine ou le tacrolimus
Amphotéricine,CimétidineRanitidineAnti-inflammatoire non stéroïdiens
CotrimoxazoleVancomycineTobramycineAminosides
Interaction des immunosuppresseurs avec les agents de l’anesthésie
• Le plus étudié : la ciclosporine
Durée d’action augmentée des barbituriques et du fentanyl chez le rat (Cirella et col.; Anesth Analg 1987; 66:703)
Allongement de la durée d’action des curares dépolarisants(Sidi A et col. Can J Anesth 1990; 37:543)
Augmentation de la MAC de l’isoflurane(Niemann CU et col.; Anesth Analg 1991; 72:801)
Le propofol ne modifie pas les concentrations sériques de la ciclosporine chez l’homme (Pertek JP et col. ; Ann Fr Anesth Reanim 1996; 15:589)
• Augmentation des doses de myorelaxant avec l’azathioprine(Gramstad L. Br J Anaesth 1987; 59:995)
Prise en charge péri-opératoire
Patient transplanté : prise en charge anesthésique
• Le patient transplanté est un « malade » chronique, qui a beaucoup fréquenté les hôpitaux
• C’est un patient éduqué à sa maladie et surtout à son traitement : l’écouter
Evaluation pré-opératoire
• Evaluation de la fonction de l’organe greffé
• Existence d’un rejet (détérioration des tests fonctionnels de l’organe transplanté)
• Existence d’une infection
• Fonction des autres organes (effets secondaires de immunosuppresseurs : rein +++, coronaires +++)
• Mise en relation avec le centre de transplantation qui suit le patient au moindre doute
• Evaluation de la fonction cardio-vasculaire :- risque coronarien- risque de dysfonction ventriculaire gauche
- Rechercher les facteurs de risque (HTA, diabète, dyslipidémie, obésité, tabac)
- Evaluation fonctionnelle- Score de Lee- Récupérer les dernières évaluations
En particulier chez le greffé rénal et rein-pancréas, même jeune
Evaluation pré-opératoire
• Evaluation du risque infectieux :
- plus élevé dans la première année après la transplantation et après les traitements des rejets
- infections communautaires et opportunistes
- pas de test prédictifs du niveau d’immunosuppression
- un épisode récent d’infection doit faire retarder une chirurgie réglée fonctionnelle
Evaluation pré-opératoire
Per-opératoire
• Choix de la technique et des agents :Pas de contre-indication à un agent ou une technique, évaluation selon les dysfonctions de chaque organe (insuffisance rénale, hépatique, coronarienne, sepsis …)
• Pas de monitorage particulier, il faut s’adapter au type de chirurgie et au terrain
• Le monitorage invasif est à discuter au cas par cas en gardant à l’esprit le risque infectieux
• Eviter l’hyperventilation (risque d’épilepsie)
• Eviter les médicaments néphrotoxiques chez ces patients à la fonction rénale fragile
Per-opératoire
• Antibioprophylaxie :Pas de règle spécifique au patient transplanté
• Précautions d’asepsie rigoureuse
• Au moindre doute d’infection, faire de multiples prélèvements ; rechercher les infections opportunistes et en particulier l’infection à CMV
Per-opératoire
• Eviter les épisodes d’hypotension qui peuvent avoir des conséquences sur la fonction de l’organe transplanté (« réserve diminuée »)
• Remplissage par cristalloïdes (ou colloïdes)
• Pour maintenir une précharge correctepour la perfusion de l’organe transplanté
Post-opératoire
- Surveillance de la fonction du greffon
- Déséquipement rapide (risque septique)
- Surveillance de l’immunosuppression (dosages des taux résiduels)
- Cicatrisation pas toujours facile du fait des corticoïdes en particulier
Transfusion du patient transplanté
Les règles de transfusion sont particulières chez le patient greffé
Recommandations de l’AFSSAPS
http://afssaps.sante.fr
Transfusion du patient transplanté
• Globules rouges homologues:
-CMV négatifs :- receveurs de greffe de poumon- pas d’indication pour les receveurs de greffe CMV
négatifs autres que poumon
- Irradiés : - pas d’indication sauf si immunosuppression
sévère
Transfusion du patient transplanté
• Concentrés de plaquettes:-irradié:
- uniquement si immunodépression sévère
-CMV négatif:- greffe pulmonaire
-phénotypé:-pas d’indication
Transfusion du patient transplanté
• Plasma frais congelé :Pas de règle particulière dans ce cadre
Particularités selon l’organe greffé
Particularités selon l’organe transplanté : rein
Le transplanté rénal
• Evaluation de la clairance de la créatinine en pré-opératoire (le plus souvent aux alentours de 50 mL/min)
• Risque coronarien élevé du fait :- Des antécédents d’insuffisance rénale- Des facteurs de risques- De l’âge des receveurs qui augmente
• Protection rénale +++ (éviter les collapsus prolongés et les hypovolémies)
• Eviter les médicaments néphrotoxiques (AINS, aminosides)
• Attention aux FAV et autres abords de dialyse même si le greffon est fonctionnel
Le transplanté rénal
Particularités selon l’organe transplanté : foie
Particularités selon l’organe transplanté : foie
• Interventions biliaires et éventrations fréquentes
• Bilan hépatique pré-opératoire
• Atteinte rénale possible (immunosuppresseurs)
• Atteinte pulmonaire possibleSyndrome hépato-pulmonaire, shunts intra-pulmonaires
mettent parfois plusieurs mois à régresser mais régressentdans la plupart des cas
En revanche l’HTAP ne régresse pas toujours
Le transplanté hépatique
• La transplantation hépatique permet la régression de l’état hyperdynamique du cirrhotique
• Effet de la dénervation hépatique: disparition de la vasoconstriction hépatique donc pas de régulation du débitsanguin hépatique en cas d’hypotensionEn cas de choc : vol vasculaire → foie de choc
• On évitera tout ce qui peut augmenter les résistances splanchniques : l’hypoxie, l’hypercapnie, la PEEP > 10 cm d’eau
Particularités selon l’organe transplanté : coeur
Particularités selon l’organe transplanté : coeur
• L’age moyen de la greffe est compris entre 34 et 55 ans
• 60 à 70% de survie à 1 an
• Après la greffe ces patients reviennent en NYHA 1
• Les coronarographies ou les poses de pace-maker sont fréquentes chez ces patients
Le transplanté cardiaque
• Evaluation pré-opératoire : NYHA, ECG pré-opératoire, résultats des dernières explorations (ETT), BNP
• Absence d’innervation par le système nerveux autonome(dénervation sympathique et parasympathique, pas de sensibilité) : perte du baro-réflexe et de la réponse sympathique à l’intubationLa fréquence cardiaque de base est de 90-100 bpm du fait de l’absence de tonus vagal Toutefois, avec le temps (plusieurs années), une réinnervation peut exister
• Le densité des recépteurs est augmentée et le myocyte est plus sensible à la concentration de catécholamines circulantes
• Les troubles de la conduction sont fréquents (70 % des patients) : hémiblocs (20%), bloc de branche droit (40-50%) et bloc de branche gauche (5%). 5% des patients ont besoin d’un pace-maker dans les mois qui suivent la transplantation
• Ischémie silencieuse très fréquente • Les effets pharmacodynamiques des catécholamines
sont modifiés sur le cœur transplanté : l’adrénaline et la noradrénaline ont un effet inotrope augmenté tandis que la dopamine est moins efficace. Les effets de la dobutamine et de l’isoprénaline ne sont pas modifiés
• Les anticholinergiques et anti-cholinestérasiques ont un effet diminué
Le transplanté cardiaque
• La tachycardie en réponse au stress est très diminuée et dépend des hormones circulantes
• L’adaptation du transplanté cardiaque est uniquement précharge-dépendant : monitorage hémodynamique facile !
Le transplanté cardiaque
Particularités selon l’organe transplanté : coeur
• Adaptation aux variations de volémie:
Augmentation du volume d’éjection systolique
Tachycardie réflexe
Particularités selon l’organe transplanté : coeur
• Il n’y a plus d’innervation sensitive, sympathique et parasympathique : on ne surveille pas l’anesthésie avec la fréquence cardiaque (intérêt du BIS), ni un syndrômecoronarien sur la douleur
• Le cœur greffé ne répond pas aux stimulations nécessitant l’intégrité de l’innervation (Valsalva, baroréflexe, massage sinus carotidien)
Particularités selon l’organe transplanté : coeur
• Il peut y avoir 2 ondes P à l’ECG (dépend de la technique de greffe)
• Si bradycardie per-opératoire : l’atropine ne marche pas
• Si tachycardie: le massage sino-carotidien ne marche pas
Particularités selon l’organe transplanté : coeur
DONC:- éviter les molécules fortement inotropes
négatives- prévenir la vasodilatation chimio-induite- éviter les blocs centraux- préférer les blocs périphériques
Particularités selon l’organe transplanté : poumon
Le transplanté pulmonaire
• Anesthésie spécifiques dans ce cas: bronchoscopies, lavages, biopsies, stents endobronchiques
• Greffe bi ou uni-pulmonaire ou association cœur-poumon
• Evaluation pré-opératoire : importance de l’interrogatoire pour l’évaluation des capacités fonctionnelles. Rechercher : dyspnée, asthénie, fièvre, expectorations (bronchiolite oblitérante, rejet) ; gaz du sang et résultats des dernières EFR ; radio pulmonaire
• Plus d’innervation, plus de circulation lymphatique et plus de vascularisation bronchique
• Abolition du réflexe de toux si anastomose trachéale, altération du transport muco-ciliaire : importance de la kiné péri-opératoire
Le transplanté pulmonaire
• Perte de la circulation lymphatique pulmonaire et de la circulation bronchique : risque augmenté d’œdème pulmonaireD’où un remplissage péri-opératoire prudent et un usage facile des diurétiques
• Attention à l’usage des dépresseurs respiratoires en pré et post-opératoire
• La vasoconstriction pulmonaire hypoxique n’est pas altérée
• Préférer l’ALR à l’AG lorsque cela est possible
Conclusion
• Terrain particulier
• Plus on est proche de la greffe, plus le greffon sera « fragile »
• Plus on est loin de la greffe, plus le risque cardio-vasculaire est important
• Précaution d’asepsie +++
• Pas d’interruption des immuno-supresseurs
Merci de votre attention !