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Gertrude Bell, the shaping of modern Iraq 1915 1922.British diplomacy and Imperial strategy. Dr Yves Brillet Text in French.
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Gertrude Bell et la création de l’Irak moderne : 1915-1921.
Dr Yves Brillet
Pour qui s’intéresse au rapport que la Grande-Bretagne entretient avec le Proche-Orient
au dix-neuvième siècle et au début du vingtième siècle, la figure de Gertrude Lowthian Bell est
incontournable. Elle fait en effet partie du cercle restreint de voyageurs qui vont parcourir la
région comprise entre la Méditerranée et le golfe Persique et en rapporter les informations
d’ordre géographique, historique et politique dans lesquelles la Grande-Bretagne va puiser pour
mener sa politique vis à vis de la région. Avant le déclenchement de la première guerre
mondiale, G.Bell est une figure connue et respectée de cet univers de géographes, d’historiens,
d’archéologues et de diplomates pour qui la connaissance de l’Orient contribue à l ‘élaboration
de la politique britannique et à sa mise en forme dans des régions qui jouent un rôle de première
importance dans le système impérial.
Gertrude. Bell a beaucoup écrit. Ses témoignages nous sont parvenus sous la forme d’articles, de
livres tels que The Desert and the Sown 1, From Amurath to Amurath, 2 des contributions au
Journal de la Royal Geographical Society ; récemment Rosemary O’Brien a publié ses carnets
rédigés lors du grand voyage en Arabie en 1913 et 1914 3.
Le propos des pages qui suivent n’est pas bien évidemment de retracer l’ensemble de la carrière
de Gertrude.Bell. Parmi ses biographes, Elisabeth Burgoyne, H. V. F. Winstone 4 ou plus
récemment Janet Wallach 5 nous font pénétrer dans son univers et nous livrent certaines clés
1 Gertrude Lowthian Bell, The Desert and the Sown, Londres, 1907.2 Gertrude Lowthian Bell, From Amurath to Amurath, Londres, 1911.3 Rosemary O’Brien, Gertrude Bell, the Arabian Diaries, 1913-1914. Syracuse University Press, 2000.4 Elisabeth Burgoyne, Gertrude Bell, from Her personal papers, 1914-1926, Londres 1961. H. V. F. Winstone, Gertrude Bell, New York, Quartet Books, 1978.5 Janet Wallach, Desert Queen, the Extraodinary Life of Gertrude Bell, Doubleday, New York, 1995.
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permettant demieux comprendre un personnage éminemment complexe, mélange d’arrogance
sociale et de détresse psychologique.
Lors de ses périples, elle est restée constamment en contact avec sa proche famille et ses amis à
qui elle rapportait par le menu le détail de ses activités dans les régions lointaines de la Perse, de
la Syrie et de l’Arabie. Après sa mort, sa belle-mère, Lady Florence Bell, édita une sélection de
la correspondance de Gertrude. Bell publiée sous le titre de The Letters of Gertrude Bell. 6.
L’Université de Newcastle fut le dépositaire d’un grand nombre des écrits non publiés de G. Bell
et a mis à la disposition de chercheurs une version électronique de sa correspondance ; le présent
article se propose de considérer cette correspondance dans la perspective de la création après la
première guerre mondiale d’un Etat à la place de l’ancienne Mésopotamie ottomane et d’évaluer
cette entreprise dans le cadre des différents problèmes politiques et diplomatiques auxquels la
Grande-Bretagne doit faire face.
Il ne s’agit bien sûr pas ici d’une approche exhaustive de l’instauration de cet Etat. Si d’aucuns
ont pu parfois qualifier Gertrude. Bell de ‘Uncrowned Queen of Iraq’, il ne faut pas voir en elle
le ‘deus ex machina’ qui a permis la naissance de l’Irak moderne. Il n’en demeure pas moins que
sa fonction de ‘Secrétaire orientale’ auprès du Haut Commissaire en Mésopotamie et que ses
exceptionnelles facultés d’analyse et d’observation en font un témoin remarquable des
évènements qui de 1915 à 1921 vont déterminer pour de longues années le développement
politique de la région.
Gertrude Bell en Egypte.
6 Florence Bell, The Letters of Gertrude Bell, 2 vols, Londres 1927.
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Après avoir passé le début de la guerre à Boulogne comme auxiliaire de la Croix Rouge,
Gertrude Bell est invitée par Hogarth7 à rejoindre au Caire l’équipe du ‘Arab Bureau’
nouvellement formée et dirigée par Clayton8. Elle y retrouve, entre autres T.E Lawrence,
occupé à des travaux de cartographie, Philip Graves, ancien correspondant du Times à
Constantinople, Mark Sykes et Ronald Storrs 9.
Arrivée au Caire le 25 novembre 1915, elle est chargée par Hogarth, qui estime que sa
connaissance des tribus du nord de l’Arabie peut être utile, de mettre à jour les informations
concernant les chefs des tribus, leurs territoires, leurs forces et leurs degrés d’allégeance vis à
vis des Turcs 10. Dès le 30 novembre, elle se rend à Port-Saïd où elle rencontre Woolley
responsable du service des renseignements ainsi que T.E Lawrence.
Gertrude Bell mentionne dès le 1er janvier 1916 à Valentine Chirol 11 le projet de se rendre en
Inde à l’invitation du Vice-roi. Cette invitation témoigne du désir exprimé par les autorités
britanniques en Inde de se concerter avec le Caire et d’obtenir des informations quant à la
stratégie mise en place ainsi qu’aux initiatives en matière militaires. Gertrude Bell obtient pour
cela le soutien de ses supérieurs au Caire. L’objet de la mission de Gertrude Bell en Inde sera
de vaincre la réticence marquée des autorités britanniques vis à vis des initiatives du Caire et
d’établir des relations directes et amicales. Les frictions portent principalement sur une
appréciation divergente de l’importance à accorder à la Révolte arabe et sont considérées
7 David George Hogarth (1862-1929). Il fut l’ami et le mentor de G. Bell et de T.E Lawrence. Son ouvrage de référence, The Penetration of Arabia, témoigne de sa connaissance encyclopédique des récits de voyageurs dans la péninsule arabique. Il occupe une place centrale dans le processus politico-militaire britannique au Caire ; en 1915, il organisa le Bureau Arabe au Caire et fut responsable du recrutement de T.E Lawrence.8 Gilbert Clayton, Lieutenant-colonel, chef du renseignement militaire au Caire.9 Gertrude Bell, Letters, vol 1, p 361: ‘Now you know my circle, it’s friendly and pleasant.’ Mark Sykes négocia les accords Sykes-Picot. De R. Storrs, on peut lire Orientations ,Londres, 1937.1010 Tout ceci s’inscrit dans la préparation, par les autorités militaires britanniques en Egypte, de la Révolte arabe. Après l’expédition malheureuse de Gallipoli, l’attention se porte en effet sur l’Arabie, la Mésopotamie et le Golfe comme étant susceptibles de fournir un théâtre d’opérations de diversion permettant de soulager l’effort militaire dans les Dardanelles. Voir à ce sujet, Elie Kedourie, Cairo and Khartoum on the Arab Question, The Historical Journal , vol v ii, 1, 1964, pp 280-297. Kedourie rapporte les commentaires de Mac Mahon, Haut Commissaire en Egypte au sujet de la révolte arabe :’It is a purely military business. It began at the urgent request of Ian Hamilton at Gallipoli. It was begged by the Foreign Office to take the Arabs out of the war.’11 Sir Valentine Chirol, Directeur du service diplomatique du Times jusqu’en 1912 ; il est le fidèle de la correspondance de Gertrude Bell.
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comme étant dues à l’absence de coopération entre les services de renseignements du
Government of India en Mésopotamie et les autorités britanniques en Egypte12, entraînant de ce
fait une perception différente de la valeur stratégiques de la péninsule arabique selon que l’on se
trouve à l’ouest (en Egypte) ou a l’est (en Mésopotamie).
Gertrude Bell à Delhi
Après une première rencontre, le Vice-roi, Hardinge, lui fait part de son souhait de la
voir rejoindre ses ‘old hunting grounds’ (la Mésopotamie et l’Arabie). Il désire aussi qu’elle
s’arrête à Bassorah pour aider à la mise en place d’un service de renseignement ( Intelligence
Department). Gertrude Bell agit ainsi comme un intermédiaire entre Delhi et le Caire. Tout en
critiquant les procédures bureaucratiques consistant à isoler les services et en insistant sur la
nécessité de décloisonner les différentes structures s’occupant de renseignements, elle estime
avoir contribué à rapprocher les points de vue13.
Gertrude Bell à Bassorah.
Gertrude. Bell arrive à Bassorah le 3 mars 1916. Elle identifie sans tarder les problèmes
qui se posent aux forces britanniques dans les zones occupées, plus particulièrement en ce qui
concerne l’établissement d’une administration civile dans une région où le départ des Turcs
implique la disparition de tout pouvoir organisé. A Bassorah, elle est principalement occupée à
continuer ses travaux de compilation sur les tribus du nord de l’Arabie et de la
12 Lettre du 24 janvier 1916 : ‘the longer it goes on the worse it gets and meantime we are losing invaluable opportunities for information by the fact that Basrah thinks us fools if not knaves and we reciprocate at any rate in the first item.13 ‘I have seen all people concerned with Indian Foreign Affairs and talked to them about Arabia till I am weary of the very word – they must be too, I think. But they have been curiously eager to talk, much more than I expected, and I think I have pulled things straight a little between Delhi and Cairo.’
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Mésopotamie. Elle note l’arrivée de T.E Lawrence le 9 avril 1916 comme officier de liaison
dépêché par le Caire14 . Dans ses différentes correspondances Gertrude. Bell mentionne les
problèmes occasionnés par le siège de Kut et réfute la propension du gouvernement à en faire
peser la responsabilité sur les généraux en charge des opérations en Mésopotamie. Elle
souligne le manque d’effectifs et de ressources pour mener à bien l’ensemble de la campagne.
La critique de Gertrude. Bell porte sur le fait que les opérations militaires y sont traitées de
façon autonome, qu’elles ne s’insèrent pas dans la perspective plus vaste des opérations
concernant l’ensemble de l’Arabie. Elle regrette enfin que la formulation d’une politique arabe
n’ait pas été conduite sous la responsabilité exclusive de Londres15.
C’est en mai 1916 que sur l’initiative de Sir Percy Cox16 échoie à Gertrude Bell sa
première mission proprement politique. Elle est en effet chargée d’entrer en contact avec Ibn
Rashid, émir de Hail, dans le but de tenter de préserver sa neutralité dans le conflit. Elle ne sait
pas encore à ce moment si les autorités ont déterminé de la maintenir sur place ou au contraire
vont la renvoyer au Caire. Elle estime cependant qu’elle sera plus utile en Mésopotamie où sa
connaissance des Arabes lui permet de gagner leur confiance et leur amitié, ce que nulle
personne investie d’une autorité officielle, ne saurait convenablement faire, tout en continuant
d’être le lien nécessaire avec les services du Bureau arabe au Caire17.
Le 25 juin G. Bell note qu’elle est officiellement intégrée au Political Department du
corps expéditionnaire. La même lettre fait mention de la révolte contre les Turcs déclenchée par
14 Lettre du 9 avril : ‘ He (Lawrence) goes up river tomorrow’. En fait Lawrence était envoyé par le Caire pour soudoyer les Turcs assiégeant Kut el Amara et délivrer ainsi les troupes britanniques qui s’y étaient réfugiées. La tentative fut un échec cuisant et entraîna la colère des responsables du corps expéditionnaire en Mésopotamie qui avaient été tenus dans l’ignorance du projet.15 Lettre du 16 avril 1916:’ The coordination of Arabian politics and creation of an Arabian policy should have been done at home (...). There was no-one to do it, and no-one who ever had thought of it, and it was left to our people in Egypt, to trash out, in the face of strenuous opposition, from India and from London, some sort of wied scheme, whiwh will, I am persuaded, ultimately form the basis of our relation with the Arabs.’16 Sir Percy Cox, ancien Résident général dans le golfe Persique, responsable du Political Department à Bassorah pendant la campagne de Mésopotamie, puis à Bagdad. Voir à son sujet Philip Graves, The life of Sir Percy Cox, Londres, 1941.17 Lettre du 14 mai 1916.
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le chérif Hussein ; elle estime que s’il ne faut pas en attendre des résultats très importants au
plan militaire, elle n’en constitue pas moins un événement d’une grande portée morale et
politique18.
Au cours de l’été 1916, Gertrude Bell, après l’échec de la tentative de rapprochement
ou de neutralisation d’Ibn Rashid, effectue plusieurs déplacements dans la zone contrôlée par
les forces britanniques, à Mohammerah sur le golfe Persique où elle visite les installations de la
Persian Oil Company qui fournissent le combustible nécessaire à la marine19. En novembre,
elle se rend en train puis en voiture depuis Bassorah jusque Khamisiyah, ville-marché située en
plein désert20. L’ensemble de la zone constitue le territoire de la famille Sadun, une des
principales familles du sud de la Mésopotamie. La contribution de Gertrude Bell à la bonne
marche des opérations britanniques est d’entrer en contact avec les principales autorités tribales
et d’utiliser les tribus ralliées pour surveiller les installations ferroviaires et les voies de
communication.
Tout en continuant son travail de compilation, elle ne cache pas les difficultés
rencontrées par le corps expéditionnaire, ainsi que la lenteur de leur progression vers Kut et
Bagdad en raison du mauvais état des lignes de communication. Elle s’interroge aussi sur la
nature des difficultés rencontrées par les forces britanniques en Mésopotamie, difficultés dues à
l’absence de projet défini par l’avenir21.
Gertrude Bell estime que les problèmes réels sont moins ceux que posent les opérations
militaires en tant que telles que ceux induits par la nécessité de reconstruire le pays et de le
pacifier, au moment où se pose de façon de plus en plus criante la question du maintien de 18 Lettre du 25 juin 1916 : ‘the revolt of the Holy Places is an immense moral and political asset.’19 Lettre du 2 septembre 1916.20 Lettre du 23 novembre 1916. Khasimiyah est un des principaux sites d’échanges des tribus bédouines de l’Arabie. Son importance stratégique ne doit ainsi pas être négligée. Ainsi que le note G. Bell, ‘he who hold these holds the tribes, as Ibn Rashid found to his cost and perhaps has related by now in Hail.’ Accueillie par le commandant de la place, le général Tidswell, elle y rencontre le cheikh ainsi qu’un autre hôte, le cheikh Hamad de la tribu des Dhafir.21 La lettre du 15 juillet 1916 est édifiante à cet égard: ‘The real difficulty under which we labour here is that we don’t know, and I suppose can’t know till the end of the war exactly what we intend to do of this country. You are continually confronted with that uncertainty. Can you persuade people to take your side when you are not sure in the end whether you’ll be there to take theirs?’
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l’ordre public dans des régions où le départ des Turcs et la disparition progressive de leur
administration laissent les tribus livrées à elles-mêmes et leur permet d’installer un état proche de
l’anarchie22. Le 10 mars 1917 Gertrude Bell annonce la notification imminente de l’arrivée des
troupes britanniques à Bagdad. Elle conclut par ces mots: ‘We shall, I trust, make it a great
centre of Arab civilisation and prosperity ; that will be my job partly, I hope and I never lose
sight of it’.
Gertrude Bell à Bagdad : de l’occupation de Bagdad à la signature de l’armistice.
L’arrivée des troupes britanniques à Bagdad marque un tournant qualitatif et quantitatif
des responsabilités auxquelles le corps expéditionnaire doit faire face.
La prise de la ville constitue un évènement de première importance. Cox note que la brillante
campagne du général Maude a permis de faire oublier l’échec de Kut, que dans l’opinion
publique, l’enthousiasme a pris le pas sur l’amertume et que la perte de Bagdad enfin prive les
Turcs de leur base d’opérations sur l’ensemble de la Mésopotamie tout en permettant aux forces
combinées russes et britanniques de lancer une offensive sur la province de Mossoul. Il note
aussi qu’il lui faut créer à partir de rien un service politique pour l’ensemble du vilayet (unité
administrative correspondant à une province) de Bagdad 23.
La correspondance de Gertrude Bell permet de cerner de façon relativement précise le
détail de son activité à Bagdad ainsi que l’évolution de la situation militaire et politique. Dès le
début de son séjour, elle est occupée à recevoir les chefs tribaux et les représentants des
22 Lettre du 11 août 1916.23 Voir The Letters of Gertrude Bell, vol 2 p 513. Un chapitre entier de ce second volume de la correspondance de G. Bell est consacré au récit par Cox de son action politique en Mésopotamie. Il rappelle ainsi que dès son arrivée à Bagdad, il fut ‘overwhelmed with visitors ; first the notables of bagdad and then the tribal sheihks from near and far, many of them had never submitted to the Turkish Government.’ C’est alors, continue-t-il qu’il ressent ‘ the want of Gertrude Bell’s indefatigable assistance and decided to bring her and one or two others up from the Basrah office to form a nucleus for my Bagdad secretariat.’
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différentes confessions de l’islam en lieu et place de Cox. Elle continue aussi de recevoir et
classer les renseignements en provenance des provinces occupées dans le but de les publier
sous la forme d’un bulletin d’informations à destinations des officiers en poste dans les villes
de province et dans les territoires tribaux.
Le 26 mai 1917, elle note l’arrivée à Bagdad de Fahad Beg, chef suprême des Anazeh, dont les
Britanniques recherchent l’alliance en raison de l’importance stratégique que représente la
position géographique du territoire de sa tribu permettant de sécuriser les voies de
communication dans les zones désertiques à l’ouest de Bagdad.
Les premières semaines de l’occupation sont consacrées à l’élaboration d’un système
politico-administratif sur lequel pourront s’appuyer les forces britanniques. Dès le mois de juin
1917, elle participe au lancement d’un journal The Arab dont le responsable de la publication
est H. St. J. R. Philby. Le 27, dans le cadre de la constitution d’un parti pro-anglais, elle
rencontre le Naqib ( chef des nobles ou descendants du Prophète)en compagnie de Cox24.
Si elle considère en décembre 1917 que les choses s’annoncent sous un jour plutôt favorable, il
n’en demeure pas moins que des difficultés subsistent, liées pour une part à l’évolution de la
situation militaire : la progression des troupes est irrégulière et rendue plus malaisée encore par
l’inorganisation des supports logistiques et la difficulté à entrer en contact avec un ennemi qui
se dérobe25.
En second lieu, s’il apparaît nécessaire de s’assurer le soutien ou la neutralité des tribus, rien
ne peut jamais être considéré comme certain ou définitif. Le traité passé avec Fahad Beg
24 Cox remarque qu’un de ses premiers déplacements officiels fut de rendre une visite de courtoisie au Naqib, ‘Saiyid Abdurraham Effendi, the Chief Noble, of Bagdad ; head of the Sunni community and custodian of shrine of Abdul Qadir Gilani, upon whose attitude towards and influence with the people of Bagdad a good deal depended.’ Letters, vol 2, p.513.25 Letters, vol 2, p.434.
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n’empêche pas les intrigues turques et allemandes. Des agents sillonnent le désert et
distribuent de grandes quantités d’or pour acheter les tribus26.
Gertrude Bell insiste sur l’importance des relations personnelles dans le fonctionnement
de la société arabe ; soulignant que cela conditionne la nature des rapports que les forces
d’occupation peuvent entretenir avec les principaux notables. Dans une note du 8 février 1918,
elle mentionne une visite des Jamil Zadah, appartenant à l’une des très riches familles de
grands propriétaires terriens établies au nord-ouest de Bagdad. Aristocrates de vieille race, ils
ont des relations familiales avec Damas et Mossoul. Elle remarque que de nombreux notables
de Bagdad sont en réalité des ‘tribesmen’ installés en ville depuis une ou deux générations et
que les liens tribaux ne sont pas rompus, ce qui pour la force d’occupation constitue un facteur
à ne pas négliger dans la gestion de ses rapports avec ces populations 27.
Elle estime que le nouveau régime fonctionne bien, malgré les problèmes sur la frontière avec
la Perse dans la région de Khanikin en raison de l’opposition du chef kurde Mustapha Pacha et
du retrait des troupes russes, ce qui laisse présager un retour des intrigues menées par les
agents allemands stationnés en Perse. Elle note le 19 mai 1918 l’arrivée des troupes
britanniques à Kirkuk.
Durant toute cette période du printemps 1918, elle parcourt les différentes régions de la
Mésopotamie sous contrôle britannique. En mars, elle se rend dans la zone de l’Euphrate
comprise entre Samawah, Nadjaf et Nasiriyah où elle s’intéresse à la complexité de la société
chiite 28.
26 Lettre du 6 juillet 1917.27 Lettre du 8 février 1918. Elle note ainsi que lorsqu’une personnalité a des ennuis, elle peut chercher refuge dans sa tribu, ‘safe in the assurance that he would never be given up.’ Elle remarque en outre que ‘several men I know fled to their tribe during the year before the Occupation […]. Most of these are now in our service and their tribal connection makes them all the more useful.’28 Dans cette région, G. Bell aborde le problème posé par l’administration de ces populations chiites dirigées par leurs cheikhs et leur ‘saiyids’ ou descendants du Prophète. Elle souligne l’importance de ces derniers : ‘the landowning saiyids of the Euphrates are an asset to us. They are nearly all of them Shi’ahs and having no love for a Sunni government, they have great influence with the tribes. Durant ce même séjour, elle note le meurtre du capitaine Marshall,Political Officer à Najaf. Pour elle cet évènement n’a pas de caractère politique,il est le fait de
10
Les mois de septembre et octobre 1918 voient l’achèvement de la conquête du territoire
mésopotamien par les troupes britanniques. Elle mentionne les attaques combinées sur Mossoul
et la frontière perse en soulignant les difficultés provoquées par l’absence d’infrastructures
permettant des déplacements rapides et l’importance stratégique de la région de Mossoul pour
le ravitaillement des armées en campagne ainsi que l’alimentation des populations 29.
Les attaques simultanées des généraux Allenby et Marshall permettent aux troupes britanniques
de prendre Damas et Alep d’une part, d’arriver à proximité de Mossoul d’autre part avant la
signature de l’armistice avec la Turquie et la fin des combats30, ceci après avoir mis en déroute
l’armée turque.
Auparavant, le 19 septembre, dans le but d’affirmer la prise du pouvoir par les forces
britanniques, un ‘durbar’ avait réuni tous les chefs tribaux ainsi que les ‘saiyids’ (nobles,
descendants du Prophète)inexpliqués) depuis Samawah jusqu’à Tikrit. La même cérémonie
s’était déroulée à Bagdad la semaine précédente. Etaient présents les principaux notables de
Bagdad ainsi que les représentants consulaires français et américains. L’objectif affiché était de
manifester la puissance britannique par une démonstration de force militaire comprenant
exercices d’artillerie et de bombardement, d’afficher l’efficacité de l’organisation mise en place,
les chefs tribaux étant tour à tour présentés au Commandant en chef par leurs officiers traitants
et la bienveillance de la tutelle britannique 31.
29brigands (rogues) qui s’abritent derrière la dimension sacrée de la ville : ‘They know this well their boldness in evil doing is rooted in the conviction that they are safe from an attack which would imply outrage to the shrines of Najaf.’ Lettre du 28 mars 1918.? Mossoul est ‘the great wheat bearing area […] without the provisioning of our big towns must still be a problem. I suppose in the end we could grow enough wheat lower down, but that kind of agricultural change takes time and Bagdad has always looked to Mosul for wheat.’30 Voir le commentaire de Cox dans le volume 2 de la Correspondance de Gertrude Bell : ‘During the 20 odd months that I spent as British representative in Teheran, events had continued to move apace in Mesopotamia. In fact at the time I left Bagdad, both General Allenby and General Marshall were on the point of launching their respective autumn campaigns. In Palestine the former’s forces were concentrating in the coastal palin and on Sept 19th commenced those brilliant operations which resulted in the destruction of the Turkish army and the occupation of Damascus and Aleppo.[…] In Iraq, Sir William Marshall opened his campaign on the 23 rd October, determining to combine a frontal attack on the Turkish position across the Tigris at the Fatha gorge, with the advance of a column simultaneously from Kifri, with the object of threatening the Turkish communications.’ p 52131 Lettre du 19 septembre 1918.
11
Le 1er novembre, elle annonce la signature de l’armistice avec la Turquie en espérant que
les troupes britanniques ont réussi à occuper Mossoul, permettant ainsi d’éviter que des
éléments incontrôlés ne prennent possession de la ville. Elle réfléchit à la nécessité de travailler
à la popularisation des actions britanniques sous la forme d’une brochure retraçant tout ce qui a
été mis en place par l’administration d’occupation au cours des années de guerre. Ces actions de
propagande se font en direction de la Grande-Bretagne mais aussi des Etats-Unis d’Amérique 32.
Gertrude Bell à Bagdad : des débuts de l’administration britannique à la grande rébellion.
La lecture de la correspondance donne une indication claire de la situation à Bagdad
après la signature de l’armistice et la proclamation de la déclaration anglo-française du 8
novembre 1918 33. Selon Gertrude Bell, cette déclaration est prématurée. Les notables dans leur
ensemble désirent que les autorités britanniques continuent de gérer et d’administrer les affaires
de la région et que Cox soit nommé Haut-Commissaire. Au-delà de cet accord a minima, elle
montre que les avis divergent : la préférence des grands notables urbains (en particulier de
Bagdad) va vers un prince (émir) arabe, sans qu’il leur soit possible de se mettre d’accord sur le
choix d’un individu. Dans les zones rurales, les tribus ne veulent pas d’un prince arabe. Elle ne
se montre personnellement pas favorable à la création d’un tel régime 34.
32 Lettre du 1 novembre 1918 : ‘ It will be very useful in America […] I have jsut finished the chapter on the pacification of the tribes and Col. Wilson and I agree that it might make as it stands a separate article for publication. I shall sen dit to you next week, typewritten, and ask you to send it to Blackwood and to correct the proofs for me […] I know Blackwood will jump at it. He likes things from the East. Domnul will like to hear that we are doing this, for he knows that the U.S.A are very eager about information about Mesopotamia. We are sending copies of the Arab in Mesop. to the American market. You see we must not keep our light under a bushel. What our work has been like ought to be made public.’33 Anglo-French Joint Statement ot Aims in Syria and Mesopotamia. Par cette déclaration les gouvernements français et britannique déclaraient leur intention de permettre la libération complète des peuples si longtemps opprimés par les Turcs et l’établissement de gouvernements et d’administrations tenant leur autorité de l’initiative et du libre choix des populations locales. Dans ce but, les gouvernements français et britannique s’entendaient pour encourager l’établissement de gouvernements et d’administrations indigènes en Syrie et en Mésopotamie libérées par les Alliés, et de les reconnaître dès qu’ils seraient effectivement installés.34 Letters, vol 2, p. 464 : ‘In Mesopotamia they want us and no-one else, because they know that we’ll govern in accordance with the custom of the country.They realise an Arab Emir is impossible because, though they like theidea in theory, in practice they could never agree on the individual.’ Elle explique aussi que les grands notables et les grands propriétaires sont opposés à un gouvernement arabe car ils craignent l’émergence d’un système despotique semblable à ce qu’ils ont connu avec les Turcs. (lettre du 13 décembre 1918)
12
Sa fonction la conduit à rencontrer les différents éléments de la société ; elle remarque que ce
sont les plus jeunes qui souhaitent voir arriver à la tête du futur Etat dont elle est occupée avec
A.T. Wilson à tracer les frontières, un des fils du Chérif Hussein. En fait, elle estime que la
majorité en Irak est favorable au maintien d’une administration britannique sous la houlette de
Cox et que l’agitation nationaliste n’est que le fait d’une minorité bruyante qui ne désire le
pouvoir que pour elle-même35. Elle ne pense cependant pas qu’une force permanente de
gouvernement civil puisse être établie avant le début de l’année 1920. Jusqu’à cette date, elle
estime que c’est au Commandant en chef des forces militaires qu’il appartiendra de diriger
l’administration 36.
Dès le mois de janvier 1919, Gertrude Bell indique dans sa correspondance qu’A.T.
Wilson désire qu’elle se rende à Londres pour suivre l’évolution des évènements et expliquer
aux autorités gouvernementales le point de vue des acteurs sur le terrain 37.
Elle assiste à Paris à la Conférence de la Paix et relate la formation à son initiative d’un bloc
pro-oriental déterminé d’une part à défendre sa conception des intérêts britanniques dans la
région, ainsi qu’à promouvoir le point de vue des ‘Mésopotamiens’38. Elle y inclut T. E.
Lawrence , Hogarth, elle rencontre Milner, qui lui paraît intéressé, Balfour, qui lui semble
35 Lettre du 10 janvier 1919.36 Lettre du 31 janvier 1919.‘ it is an immense job, the conversion of a military organisation into a civil administration; all the technical part of it is so overwhelming, posts telephones, medical and sanitary organisation etc.., and it means that you cannot demobilize wholesale, as if you did there would be a sudden breakdown i all the functions of Governement.’37 Ce souhait de Wilson s’explique aussi par la dégradation de leurs rapports, tant sur le plan personnel, où leurs personnalités n’étaient guère conciliables, que sur le plan professionnel, où des divergences profondes apparaissent concernant la nature du régime que la Grande-Bretagne doit mettre en place. A ce sujet, voir Janet Wallach, Desert Queen, the Extraordinary Life Of Gertrude Bell. Doubleday, New York, 1996.38 Lettre du 7 mars 1919: ‘Our Eastern affairs are complex beyond all words, and until I came, there was no-one to put the Mesopotamian side of the question at first hand.’
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indifférent ; elle projette de rencontrer Lloyd George. Elle souligne l’interpénétration des
problèmes posés par les situations syrienne et mésopotamienne39.
A Paris, Gertrude Bell se trouve au centre de l’activité diplomatique. Sans être à aucun moment
investie d’un mandat ou d’une autorité quelconque, elle se met en situation d’influer, par ses
connaissances et son entregent sur l’élaboration des politiques britanniques concernant la
région. Elle a des contacts, en compagnie de Lawrence, avec des représentants du Quai
d’Orsay et de la Chambre de commerce de Marseille et se lance dans un travail de propagande
auprès des Américains qu’il s’agit d’amener à partager le point de vue des Britanniques40.
Après son séjour à Paris, Gertrude Bell se rend à Damas où elle doit se rendre compte
de la situation en Syrie. Elle note les piètres qualités gouvernementales des sympathisants de
Faysal dans la zone qui échappe à la tutelle française. En revanche, elle remarque que les
officiers qui l’entourent sont majoritairement d’origine mésopotamienne et d’ardents
nationalistes. En octobre 1919, elle se rend au Caire et à Jérusalem où elle rencontre les
principaux notables de la communauté juive, mécontents du peu d’enthousiasme manifesté par
les Britanniques envers la cause sioniste, ainsi que les principaux représentants des musulmans
farouchement opposés à cette dernière41.
La fin du mois de novembre 1919 voit le retour de Gertrude Bell à Bagdad. Ses
correspondances montrent l’évolution de la situation ainsi que la montée de difficultés
auxquelles vont être confrontées les forces d’occupation. Elle mentionne tout d’abord le retour
progressif à Bagdad des éléments qui avaient fuit après la chute de la ville et l’arrivée des
Britanniques. Ceux-ci comptent d’anciens députés, d’anciens soldats et officiers de l’armée
turque, qui professent des sentiments pro-turcs ou nationalistes. Elle estime qu’il est impossible
39 Lettre du 9 mars 1919 : ‘The Mesop. Settlement is so closely linked with the Syrian that we can’t consider one without the other ; and in the case of Syria it’s the French attitude that count’s.’40 Lettre du 16 mars 1919: ‘But for the moment there’s nothing to be done except educate the Americans, who seen to be very willing to accept the information we have to give.’41 Ce séjour fera l’objet d’un rapport intitulé The situation in Syria. G. Bell avait déjà dans sa Correspondance indiqué sa réticence par rapport à la Déclaration Balfour et aux promesses faites concernant l’établissement d’un foyer national juif en Palestine.
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de s’entendre avec eux tant qu’un gouvernement et une administration civile n’auront pas été
mis en place, et que tout cela dépend finalement de la signature du traité de paix avec la
Turquie. La situation est rendue plus difficile par la prise de Deir ez Zor sur l’Euphrate par une
force militaire dont elle ne sait si elle agit au nom de la Syrie, de la Turquie ou de façon
autonome.
Le 12 janvier 1920, Gertrude Bell décrit de manière détaillée la situation à Bagdad ; ainsi au
nord se trouvent les Turcs, influencés par la propagande bolchevique ; les Kurdes prêts à s’allier
avec tous ceux leur promettant l’impunité dans les massacres perpétrés contre les chrétiens. Elle
note que la Syrie lui semble trop faible pour survivre dans les conditions présentes et que la
Mésopotamie s’apprête à subir des secousses telles que l’issue ne lui semble que de trouver le
plus rapidement possible une solution politique intégrant les élites arabes. Elle regrette
cependant de n’avoir qu’une voix minoritaire et ajoute avoir écrit dans ce sens à Edwin Montagu
et Sir A. Hirtzel. 42
En mars 1920, elle mentionne les problèmes engendrés par les rapports difficiles avec les
chiites, moins en ce qui concerne les tribus qu’en ce qui concerne l’importance pour la
communauté chiite des religieux résidant dans les villes saintes et plus particulièrement les
mujtahids dont la parole et les décisions ont force de loi pour leurs coreligionnaires.
Elle rend ainsi visite à Khadimain, la ville sainte située à 10 kilomètres de Bagdad, à un de ces
clans de religieux farouchement pan-islamiques, et anti-britanniques. La famille al Sadr compte
parmi les plus respectées, qui commande de façon absolue à plusieurs dizaines de milliers
d’hommes 43. Sur le chemin du retour elle apprend que Faysal a été proclamé roi de Syrie et son
frère Abdallâh roi d’Iraq par les partisans chérifiens.
42 Lettre du 12 janvier 1920 : ‘I wish I carried more weight [...] The truth is I’m in a minority of one in the political service, or nearly, and yet I’m sure I’m right that I would go to the stake for it [...]. But they must see, they must know at home. They can’t be so blind as not to read such gigantic writing on the wall.’43 Lettre du 14 mars 1920: ‘Chief among these are a family called Sadr, possibly more distinguished for religious learning than any other family in the whole Ch’iah world.’
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Semaine après semaine monte dans tout le pays l’agitation nationaliste. Elle en rend
partiellement responsable le gouvernement à Londres qui malgré les demandes pressantes
d’A.T. Wilson refuse de rendre public le projet de Constitution qu’il a rédigé. Les soupçons
envers la Grande-Bretagne causés par ce refus sont relayés par la propagande en provenance de
Syrie et renforcés par les effets créés dans l’opinion par les termes du traité de paix avec la
Turquie. Gertrude Bell mentionne des assemblées dans les mosquées et des tentatives pour
mettre en place une union des chiites et des sunnites. L’émoi est renforcé par l’arrestation de
quelques meneurs dans les rues de Bagdad, par des tirs sur la foule et nourrit, selon elle les
rumeurs les plus folles, parmi lesquelles l’attaque par Abdallah en personne de Mossoul alors
que ce dernier se trouverait à la Mecque 44. Début juin 1920, elle note à quel point la situation
continue d’évoluer rapidement, tout en restant extrêmement contrastée. Si à Bagdad et Karbala
l’agitation semble se calmer, les tribus montrent des signes grandissants de nervosité. Elle
rapporte ainsi que les Shammar se sont révoltés sous l’influence de la propagande chérifienne et
que conduits par des officiers de Faysal et d’Abdallah, ils ont pris la ville de Tell’Afar située à
près de 50 kilomètres à l’ouest de Mossoul 45. Après le meurtre d’un officier et de deux
employés britanniques, la décision est prise de punir les habitants de Tell’Afar en rasant la ville.
Le mois de juin voit ainsi croître l’agitation nationaliste. Les plus extrémistes demandent
l’indépendance immédiate et l’abandon pur et simple d’un mandat exercé sur la Mésopotamie.
Selon Gertrude Bell, cette radicalité masque difficilement la conscience qu’ils ont de
l’impossibilité pratique de mener à bien un tel projet, leur appel aux tribus ne rencontrant pas
l’effet escompté et la position attentiste des grands notables ne leur permettant pas de
compter sur leur soutien effectif 46. Devant l’ampleur des périls, la gravité de la situation et son
44 Lettre du 1 juin 1920.45 Les Shammar constituent une des grandes confédérations tribales présentes en Mésopotamie. Originaires de l’Arabie, alliés aux Shammar du Nedj, ils nomadisent dans la partie de Mésopotamie appelée al irak al Arabi ainsi que dans la zone située entre Mossoul et les collines du Sinjar.46 Lettre du 14 juin 1920 : ‘The Naqib help out as long as he could ; he hates the whole bussiness, but at least his hand was forced and he was obliged to let them hold a meeting in his mosque. He was not himself present.’ G. Bell note en outre que les Britanniques peuvent compter sur le soutien du maire de Bagdad, ‘Abdul Majid Shawi.
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caractère imprévisible, elle évoque un scénario qui lui semble à même de ramener le calme et de
sortir le pays de l’impasse : encourager la candidature d’Abdallah, frère de Faysal, à la tête de
l’Etat mésopotamien 47.
Cette crise voit en outre s’élargir le fossé entre A.T. Wilson et Gertrude Bell. Les
difficultés relationnelles et les tensions existant entre deux personnalités opposées sont
exacerbées par sa propension à utiliser le réseau politico-mondain auquel elle appartenait de par
son origine sociale et à communiquer avec les plus hautes autorités gouvernementales sans en
référer à ses supérieurs hiérarchiques directs48 .L’opposition entre Gertrude Bell et A.T. Wilson
va au-delà des querelles de personnes et révèle l’importance du débat sur la nature du régime à
mettre en place en Mésopotamie ainsi que sur les modalités du contrôle que la Grande-Bretagne
peut et entend exercer. Selon Gertrude. Bell, la Grande-Bretagne aurait dû adopter une telle
politique de contrôle indirect huit mois auparavant et pense que A.T. Wilson devrait quitter ses
fonctions en raison de son opposition à la politique définie depuis 1918 visant à l’établissement
d’un gouvernement arabe indépendant en Mésopotamie.
Avant que cette question ne soit résolue par le retour définitif de Cox et le départ de A.T.
Wilson 49, l’agitation continue de grandir dans l’ensemble du pays. Le blocage des voies de
communication par les tribus insurgées entraîne l’arrêt des relations commerciales avec la
Perse. Les tribus voisines de l’Euphrate se rebellent à leur tour et les forces militaires
britanniques répliquent en bombardant les villages rebelles et tentent de dégager les grands axes
de communication. Les 11 et 12 juillet 1920, elle indique que les liaisons ferroviaires sont
coupées à différents endroits. L’agitation continuant tout au long de mois de juillet, elle propose 47 Lettre du 14 juin 1920 : ‘What would really simplify matters would be if they could ask for Abdullah, Faisal’s brother, for Amir. Abdullah is a gentleman who likes a copy of the Figaro every morning at breakfast time. I haven’t any doubt that we should get on with him famously. Then recall the Mesopotamians, from Syria and set up your national governments quick as you can.[...] If we meet then on equal terms, there won’t be any difficulty in getting them to act with wisdom.’48 Lettre du 14 juin 1920 : ‘I had an appalling scene last week with A.T. We had been having a sort of honeymoon and then unfortunately I gave one of our Arab friends here a bit of information I ought not technically to have given. It was not of much importance, and it didn’t seem to me I had done wrong.’ 49 Pour ce qui concerne la position défendue par A. T. Wilson, voir A.T. Wilson, Mesopotamia 1914-1917, Loyalties, Londres, 1930 et Mesopotamia 1917-1920, A clash of Loyalties, Londres, 1931. On peut aussi consulter, A. Wilson, Mesopotamia, 1914-1920, Journal of the Central Asian Society, vol III (III), 1921.
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enfin de tenter de négocier avec les tribus par le truchement d’un ‘native committee’ tout en
déplorant l’ignorance de A.T. Wilson en matière de géographie humaine. Le 26 juillet elle
rapporte que les autorités britanniques manquent de troupes et que des régions entières
échappent totalement à son contrôle 50.
L’intensité de la rébellion rend toute répression purement militaire totalement inefficace,
à supposer que les Britanniques disposent des forces suffisantes. La nécessité d’une solution
politique semble alors s’imposer. Dans ses différentes correspondances, G.ertrude Bell détaille
et analyse avec minutie les arcanes et les forces traversant le champ politique mésopotamien.
Dès 1920, la situation à Bagdad semble se stabiliser avec le début des préparatifs de la mise en
place d’une assemblée constituante. Les ex-députés, élus avant la guerre sous le régime
ottoman, sont réunis pour discuter de l’élaboration de la loi électorale. Parmi eux siègent Abdul
Majid Shawi, maire de Bagdad, ainsi que Saiyid Talib, représentant les intérêts des notables de
Bassorah , qui ne désirent pas l’indépendance de la Mésopotamie . Les leaders de l’agitation
nationaliste, dont Saiyid Mohammed al Sadr n’y siègent pas car ils n’étaient pas députés avant
1914. G. Bell insiste sur la nécessité de faire revenir, afin de les faire siéger, certains
‘Mésopotamiens’ de Damas. Malgré le soutien d’Allenby, Londres refuse mais accepte
cependant le retour de Jafar Pacha.
La constitution de cette assemblée n’échappe pas aux intrigues des nationalistes. Ceux-ci
veulent en effet procéder directement à la mise en place d’une assemblée composée à leur
convenance et expurgée des ex-députés nommés au temps des Turcs par le Comité d’Union et
Progrès et considérés comme trop modérés 51. L’assemblée apparaît bien vite comme le lieu de 50 Lettre du 16 août 1920 : ‘All the tribes are out ; we’ve evacuated the Barrage and are evacuating Diwaniyah. Whether we can hold Hillah or not I don’t know.[...] The military authorities seem to me all through to have been more inept than it’s possible the conceive.[...] Once the tribes get on the warpath it takes all the King’s horses and all the King’s men to bring them out to order. In fact I don’t know What’s going to happen. We may presently have the Tigris tribes out too and them HMG may say that they’ve had enough of Mesopotamia.[...] You realize we may at any moment be cut off from the universe if the Tigris tribes rise. It doesn’t semm to matter, in fact I don’t mind at all. One just accepts what happens, from day to day, without any amazement.’51 Lettre du 16 août 1920 : ‘The town has returned to its normal life, and I think there isn’t scarcely one who doen’t breathe a sigh of relief. Most of them asked why it wasn’t done sooner vut I think that A.T. has behaved with great wisdom in the matter. He has waited until it was clear that if the agitation was allowed to continue, the town would be given over the rioters.’
18
la confrontation de toutes les ambitions dont celle de Saiyid Talib qui ne semble vouloir s’allier
avec les Britanniques que pour accéder à un pouvoir qu’il estime devoir lui revenir.
Gertrude Bell considère cependant que les intrigues des notables de Bagdad sont responsables
de toute l’agitation qui menace de plonger le pays dans le chaos et que ces derniers tentent de
rendre les chiites responsables d’une situation qu’ils ont contribué à créer. L’opposition entre
modérés et nationalistes conduit ces derniers à tenter un coup de main. Malgré la cooptation par
l’assemblée de quatre dirigeants nationalistes, ceux-ci refusent d’intégrer le processus
institutionnel. La création d’un parti nationaliste modéré les contraint à en appeler au peuple de
la rue. Un leader nationaliste est arrêté, les autres se réfugient à Khadimain et à Nadjaf. La
gestion de l’événement par A.T. Wilson lui vaut pour une fois les félicitations de G. Bell 52.
Pendant ce temps, la révolte des tribus n’est pas apaisée. Le meurtre du Lieutenant –colonel
Leachman entre Bagdad et Ramadi témoigne de la violence de la situation et de la précarité
de la position des Britanniques qui ne peuvent compter sur leurs seules troupes pour tenir un
terrain qui leur échappe presque complètement 53.
Gertrude Bell en vient à s’interroger sur les causes de l’échec britannique en Mésopotamie, dont
l’une tient à l’inadaptation du système administratif et politique que la Grande-Bretagne a tenté
d’imposer à un pays qui n’est en fin de compte qu’un agrégat de tribus et de communautés
ingouvernables selon les canons de la raison occidentale. En second lieu se pose le problème du
rapport des grands notables avec la rébellion ; ceux-ci peuvent en effet encourager en sous-main
une révolte des campagnes tant que les troubles favorisent leurs entreprises politiques et ne
mettent pas en péril leurs intérêts économiques en tant que grands propriétaires terriens. Ils
disposent ainsi d’une arme redoutable. Les nationalistes extrémistes ne sont pas plus heureux
52 Lettre du 16 août 1920 : ‘The town has returned to its normal life, and I think there isn’t scarcely one who doesn’t breathe a sigh of relief. Most of them asked why it wasn’t done sooner but I think that A.T. has behaved with great wisdom in the matter. He has waited until it was clear that if the agitation was allowed to continue, the town would be given over to rioters.’53 Leachman est connu avant-guerre pour avoir voyagé dans la péninsule arabique et relaté ses aventures dans des articles paru de la Royal Geographical Society. Voir à son sujet V H F Winstone, Leachman, O.C. Desert, Londres, 1982 et Yves Brillet, L’élaboration de la politique étrangère britannique au Proche-Orient dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle et au début du vingtième, Lille, 2003.
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qui échouent dans leur tentative d’entraîner les tribus qui refusent toute idée de gouvernement
afin de continuer à échapper à l’impôt. En dernier lieu, la nature même de la guérilla rend
illusoire toute solution militaire.
Pour Gertrude Bell, fin août, la seule lueur d’espoir réside dans la signature d’un accord entre la
Grande-Bretagne et l’Egypte qui proclame dans tout le monde arabe la volonté britannique
d’instaurer des relations harmonieuses 54.
La prolongation de la crise conduit l’ensemble des acteurs à s’interroger sur l’avenir de
la présence britannique en Mésopotamie. Les contradictions de la société mésopotamienne,
l’opposition entre l’élément tribal qui refuse l’existence d’un Etat unifié et les élites urbaines
pour lesquelles l’existence même d’un Etat est le gage de leur sécurité politique et de leur survie
économique , la nécessité de garantir la sécurité sur un vaste territoire tout en prenant en
compte les demandes croissantes de réduction des dépenses engendrées par les opérations de
pacification et d’occupation rendent indispensable la recherche d’une issue rapide au conflit.
Une campagne de presse et d’opinion se développe en effet en Grande-Bretagne pour critiquer
la façon dont sont conduites les affaires en Mésopotamie. Une des prises de position les plus
virulentes est celle de T.E. Lawrence dans un article du Sunday Times du 22 août 1920 dans
lequel il se livre à une critique impitoyable de la gestion de la crise politique en Mésopotamie.
Il accuse les autorités civiles et militaires d’y avoir entraîner la Grande-Bretagne dans un piège
dont il lui sera difficile de sortir dans l’honneur et la dignité. Il les accuse de tronquer et
manipuler l’information pour cacher la vérité sur la gravité de la situation, il les accuse enfin
d’incompétence. Il considère que le régime mis en place est pire que le régime hamidien et que
s’il n’est plus possible de dégarnir la frontière du Nord-Ouest pour permettre la relève des
troupes en Mésopotamie se posera le problème de l’insuffisance des effectifs terrestres55.
54 Lettre du 30 août 1920 : ‘It’s the recognition of the principle of co-operation versus domination which I welcome.’55 Ex.-Lieut.-Col. T.E. Lawrence, The Sunday Times, 22 August 1920 : ‘We said we went to Mesopotamia to defeat Turkey.[...] We spent nearly a million men and nearly a thousand million of money to these ends. This year we are spending ninety-two thousand men and fifty millions of money on the same objects.
20
Lawrence avait quelque temps auparavant proposé la création d’une armée arabe forte de deux
divisions, idée qui paraît à G.Bell proprement irréalisable. Considérant cependant l’évolution de
la situation en Egypte, Syrie et Mésopotamie et prévoyant l’impossibilité d’échapper à un
soulèvement en Syrie, elle imagine l’éventualité d’une solution où la Syrie et la Mésopotamie
seraient placées sous l’autorité du sultan égyptien, avec une large autonomie. La Grande-
Bretagne aurait un rôle de conseiller , et non de puissance mandataire. On obtiendrait ainsi une
fédération arabe sous l’égide de l’Egypte, avec un régime judiciaire, monétaire et éducatif
commun. Les vice-rois en Syrie et en Mésopotamie pourraient être Faysal et Abdallah 56 .
Quoi qu’il en soit, la mise en place d’une solution politique passe tout d’abord par la
pacification du pays. Il faudra, une fois obtenue la reddition des tribus, s’assurer qu’elles sont
totalement désarmées et promulguer une loi sur les armes qui aura le soutien de la population
urbaine. Pour Gertrude Bell, ce désarmement pourrait être accompli en 6 mois. Il faudra ensuite
ramener les forces britanniques de 3 à 1 division à mesure de la montée en puissance de le
gendarmerie et de l’armée arabe. Elle concède des erreurs dans l’administration des territoires ;
elle admet aussi que sans la révolte l’idée d’une large dévolution du pouvoir aux Arabes
n’aurait pas progressé. Il reste, selon elle, à savoir si la mise en place d’un gouvernement arabe
constituera un avantage pour les populations, ce dont, personnellement, elle doute. Il n’en
demeure pas moins que les manquements britanniques ne justifient pas l’attitude et les critiques
de T.E. Lawrence 57.
Our government is worse than the old Turkish system. They kept fourteen thousand local conscripts embodied, and killed a yearly average of two hundred Arabs in maintaining peace. We keep ninety thousand men, with aeroplanes, armoured cars, gunboats, and armoured trains. We have killed about ten thousand Arabs in this rising this summer.[...] Cromer controlled Egypt’s six million people with five thousand British troops; Colonel Wilson fails to control Mesopotamia with ninety thousand troops.[...] We have not reached the limit of our military commitment. Four weeks ago the staff in Mesopotamia drew up a memorandum asking for four more divisions. I believe it was forwarded to the War Office, which has now sent three brigades from India if the North-west frontier cannot be further denuded, where is the balance to come from?’56 Lettre du 12 septembre 1920 : ‘An Egyptian Government might be a reasonable way of ejecting the French, which is a preliminary essential to any permanent solution. And the same treatment could be applied to Mesopotamia.[...] It seems to me the best solution.’ 57 Lettre du 19 septembre: ‘I can’t believe that T.E.L. is in ignorance, and therefore I hold him to bre guilty of the unpardonable sin of wilfully darkening councel.’
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Dans la perspective de mise en place d’une solution politique, le problème selon
Gertrude Bell est de faire co-exister une population tribale dont les conceptions n’ont que peu
évolué depuis des siècles et les attentes des élites urbaines. L’instauration d’un Etat moderne
passe aussi par la mise en œuvre d’un système de taxation efficace et une représentation
politique équitable de l’ensemble de la population. La difficile élaboration d’une loi électorale
est exacerbée par la coupure de la population en deux éléments distincts et souvent
antagonistes : les sunnites et les chiites. Pour le maire de Bagdad, la solution pourrait
éventuellement passer par la création d’une province autonome de l’Euphrate, mais une
province entièrement chiite accepterait-elle un gouverneur sunnite ?A son avis, la question
chiite est le défi le plus grand auquel doit faire face le futur Etat : il faut concilier en effet le
caractère représentatif des institutions et sauvegarder l’équilibre confessionnel entre les
communautés. Dans cette optique, Gertrude Bell estime nécessaire de garder la région de
Mossoul dans le cadre du nouvel Etat. Elle pense enfin que le pouvoir doit revenir aux sunnites
qui, en dépit de leur infériorité numérique, constituent un rempart contre l’émergence d’un Etat
théocratique contrôlé par le clergé chiite 58.
Pour incarner les nouvelles institutions, il convient de trouver un individu acceptable pour tous,
de préférence originaire du pays. Le seul homme capable de remplir cette fonction, Saiyid
Talib, lui paraît disqualifié. Il ne reste alors pas d’autre choix qu’un des fils du Chérif ;
Abdallah n’a pas les faveurs des ‘jeunes Arabes’ de Bagdad, tandis que l’avenir de Faysal
semble compromis en raison des susceptibilités françaises. En dernier lieu, il est essentiel de ne
pas se couper des tribus qui ne se sont pas rebellées et de prendre en considération leurs points
de vue lors des négociations à venir : ceci concerne les Anazeh de Fahad Beg, les Duleim, les
58 Lettre du 3 octobre 1920 : ‘If you are going to have anythong like really representative institutions, always remember that the Turks hadn’t – there wasn’t a single Shi’ah deputy – you would have a majority of Shi’ahs.’ Elle se demande ce qui se produira quand ‘The Chief mujtahid, whose voice is the voice of God issues a fatwah that no Shi’ah is to sit in the legislative assembly’ et qu’un haut dignitaire déclarera qu’une loi votée au Parlement est contraire au droit musulman.
22
Shammar de la région de Mossoul ainsi que les grandes confédérations installées le long du
Tigre.
Le retour de Cox : la constitution du Conseil d’Etat et la mise en place des institutions.
Octobre 1920 marque un tournant dans la situation. Après une période de flottement
causée par la rébellion, on assiste à une reprise des négociations à l’initiative par la Grande-
Bretagne. Cox revient avec un mandat clair : instaurer un gouvernement provisoire. Dans un
premier temps, il met en place un Conseil d’Etat présidé par le Naqib et comportant 18
personnalités. Sa composition est rendue difficile par le jeu des ambitions qui se déchaînent.
Ainsi Sayid Talib
refuse-t-il dans un premier temps d’en être car n’accepte pas d’être placé sous l’autorité du
Naqib. Jafar Pacha est nommé à la tête du ministère de la Guerre afin de surveiller et
contrebalancer l’influence de Talib. La composition du Conseil veille à refléter les différentes
communautés ; c’est ainsi que Sassoon Effendi, principal représentant des Juifs de Bagdad,
devient responsable des Finances. Le premier travail du Conseil sera d’achever la pacification ;
s’il n’est pas question de faire venir les principaux leaders de la rébellion tant qu’un
gouvernement n’est pas fermement installé, G. Bell indique qu’il serait souhaitable d’intégrer
les chefs religieux de Najaf et de Karbala, la principale difficulté étant qu’ils sont pratiquement
tous de nationalité perse. Enfin, elle attire l’attention sur l’existence d’un parti pro-turc constitué
d’ex-fonctionnaires et militaires hostiles à un gouvernement arabe qui oeuvrent pour le retour
des Turcs en Mésopotamie. Elle estime que le chaos qui règne en Turquie est à l’origine de tous
ces problèmes qui mettent l’Asie toute entière en ébullition et qu’il est illusoire de penser
23
pouvoir préserver la Mésopotamie. Dans ce contexte, elle réaffirme l’urgence de faire revenir
d’exil les officiers d’origine irakienne qui ont servi Faysal59.
Le 29 novembre, elle annonce la fin prochaine de la rébellion. Cox considère qu’une amnistie
des meneurs et des chefs tribaux qui se sont révoltés ne peut avoir lieu qu’après leur soumission
totale. Il refuse aussi d’accepter que les autorités religieuses servent d’intermédiaires avec les
tribus 60. Cet épisode entraîne aussi une crise au Conseil : se saisissant de la question de
l’amnistie et des déportés, Saiyid Talib démissionne. Selon Gertrude Bell, il espère récupérer le
soutien des éléments les plus extrémistes et nationalistes car il se rend compte que les
Britanniques n’ont aucunement l’intention de l’installer à la tête de l’Etat. Afin de le faire
revenir sur sa décision, le Naqib conseille d’accéder à certaines de ses demandes avec quelques
modifications dans le but de le circonvenir. Au même moment, il faut décourager les velléités
séparatistes des notables de Bassorah qui verraient sans déplaisir leur région érigée en unité
autonome tout en continuant de bénéficier de la protection britannique. Tout est fait pour
renforcer la cohésion du Conseil et son empire sur l’ensemble de la situation afin de pouvoir
déferrer à la demande pressante du War Office : pouvoir se désengager militairement de la
Mésopotamie.
La hâte du War Office se trouve confirmée le 18 décembre 1920. Gertrude Bell aborde
la question des coûts induits par l’occupation militaire de la Mésopotamie. Londres demande en
effet un plan de réduction des dépenses 61. Elle pense qu’il est possible de parvenir à une
autonomie financière concernant les dépenses civiles du gouvernement et leur prise en charge
59 Lettre du 14 novembre 1920: ‘It is of vital importance to get back the Mesopotamians from Syria who have the real spirit of Arab nationalism in them. It’s a delicate matter because so many of them have been involved against the British military Govt on the Euphrates. Our policy should be, I think to regard that as a closed chapter and let all come back who will be of value to native institutions.’60 Lettre du 29 novembre 1920: ‘Sir Percy has help strictly to his doctrine that a general amnesty must wait on submission. The ‘ulama have done their best to make him accept them as intermediaries; the tribes have repeatedly asked that negociations should be conducted through the premier mujtahid, at whose order they would lay down arms.. Sir Percy has stoutly refused-more power to him! The claim of the ‘ulama to loose and bind is one of the most formidable problem of the Arab state. The refusal to recognize their political authority is unmitigatedly to the good and I hope it may clip their wings.’61Lettre du 18 décembre 1920 : ‘Last Week, Sir Percy was asked to give some possible data as to a possible decrease of our expenditure here.’
24
progressive par le nouveau gouvernement. En ce qui concerne les dépenses militaires, elle
rapporte que Cox presse le Conseil de mettre en place une force armée arabe permettant de
réduire le contingent britannique en Mésopotamie. Selon Jafar Pacha, il faudrait pour cela avoir
recours à la conscription, décision qui ne pourrait être prise que par une assemblée élue. Il serait
alors possible de disposer d’une brigade à l’automne 1921 et d’une division à l’automne 1922 ;
la Grande-Bretagne serait ainsi obligée de maintenir 2 divisions jusqu’à cette date. En raison
des impératifs d’économies budgétaires, le War Office se verrait contraint de retirer ses troupes
en deçà d’une ligne an-Nassiryiah-Qurnah et de se replier sur Bassorah tout en continuant
d’exercer le mandat sur l’ensemble du territoire jusqu’à Mossoul. Pour elle, ce projet est
totalement irréalisable par G. Bell ; Cox y est aussi totalement opposé ; il estime qu’il est
impossible d’exercer le mandat sans le soutien d’une force militaire suffisante et de faire payer
le gouvernement arabe pour l’entretien du contingent britannique 62. Le problème de la sécurité
est conditionné par la structure sociale et politique du pays, composé pour une large part des
tribus qui n’ont aucune envie de payer le prix de l’accès à la citoyenneté. Un Etat arabe
moderne installé par la Grande-Bretagne devra agir principalement dans l’intérêt des villes et
des villages pour contrebalancer leur influence. Se pose enfin le problème de la sécurité
extérieure du nouvel ensemble, la présence des troupes pro-turques sur la frontière du nord,
financées par des fonds bolcheviques et formant une ‘Armée de l’Irak’ auto-proclamée constitue
une menace de reconquête non négligeable 63. Pour toutes ces raisons il est impossible d’honorer
les clauses du mandat depuis Bassorah. Si une division britannique (ou les deux) est retirée du
pays parce que la Grande-Bretagne ne veut pas (ou ne peut pas) payer, Gertrude Bell estime
qu’il ne restera plus qu’à renoncer au mandat et à rappeler les Turcs. Cela signifie aussi pour
62 Lettre du 18 décembre 1920: ‘You can’t withdraw troops to Basrah and carry out mandate. No Govt in this country, whether ours or an Arab administration, can carry out without force behind it. The Arab Govt has no force till its army is organized therefore it can’t exist unless we lend it troops. I think myself, (but I don’t know professional opinion on this subject) that the Arab Govt could not afford, even if it wished to, to pay for our troops ? The Arab exchequer would not run the expense of a British army of defense – much more costly, you must remember, than a native army when the latter is formed.’63 Lettre du 18 décembre 1920: ‘The Arab nationalists don’t wish to be reunited with Turkey, but if we retire to Basrah, they are powerless to prevent it.’
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elle qu’il faudra évacuer Bassorah puisqu’il est inconcevable qu’une puissance étrangère puisse
contrôler le seul débouché maritime du pays.
C’est dans ce contexte de grande complexité, dans lequel tous les problèmes sont
inextricablement imbriqués que les autorités britanniques doivent tenter d’élaborer une loi
électorale, prélude à l’installation d’une assemblée élue et gage de légitimité du nouvel Etat.
La loi électorale doit permettre une représentation fidèle de la diversité du pays tout en
empêchant la domination des éléments chiites sur la minorité sunnite. La position initiale du
Conseil d’Etat était d’établir un système ne prévoyant pas de représentation spéciale pour les
tribus, ce qui, à l’instar de ce qui se passait sous le régime ottoman, aurait eu pour effet de
priver les chiites de tout accès aux instances législatives. Gertrude Bell admet que la loi doit
s’assurer que les sunnites des villes ne sont pas écrasés par le nombre, elle considère cependant
qu’il faut veiller à ce que les tribus, et par conséquent les chiites, soient associées au processus
législatif64. Pour Cox, toutes les sections de la population doivent être représentées à
l’Assemblée. Dans l’accord final, malgré les réticences du Naqib qui aurait préféré que les
tribus fussent marginalisées le plus possible, deux représentants des tribus siègeront par
Division électorale, donc 20 au total, les membres des tribus pouvant éventuellement s’inscrire
à titre individuel.
La crise de janvier 1921.
Au début de l’année 1921, la situation évolue peu. Gertrude Bell mentionne l’opposition
renouvelée des chefs des grandes tribus à l’établissement d’un Etat arabe et la continuation des
64 Lettre du 18 décembre 1920 : ‘We were all agreed that I would be disastrous if the tribesmen were to swanp the townsmen but I pressed upon their consideration that whatever had happened in Turkish times, an Arab national Govt could not hope to succeed unless it ultimately contrived to associate the tribesman in its endeavour. They raised good objections against providing for representatives from selected big tribes but we also agreed that it might be got over by providing for a fixed number of tribal representatives for each division to be elected by all the tribes of the division, i.e. by the Shaikhs. The ordinary tribesman won’t take part.’
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troubles et de l’insécurité dans les campagnes. Ainsi note-elle que la région au nord de Ramadi
et Hit est devenue un véritable no man’s land depuis le retrait des forces britanniques : les
émissaires de Mustapha Kemal infestent la contrée, alors que pendant deux ans depuis le début
de l’occupation, les habitants avaient bénéficié d’une relative tranquillité. Gertrude Bell
considère que la question des dépenses militaires pourrait être résolue par une utilisation plus
rationnelle des ressources financières65. Au milieu de cela, le War Office ne propose qu’un
retrait pur et simple dans un pays où toute administration a disparu66.
Le 10 janvier, elle rapporte que la responsabilité des affaires du Proche-Orient échoit à
Winston Churchill. Sous la mention ‘Extrêmement Confidentiel’, elle indique que Cox a reçu
dans la matinée un télégramme de Churchill l’informant, ainsi que le Commandant en Chef, de
la décision de ne pas financer le projet d’installer Faysal comme chef de l’Etat et de réduire les
forces britanniques à une brigade et une division à l’horizon 1922. Churchill propose de retirer
les troupes du vilayet de Mossoul dès que le général Ironside aura évacué la Perse (juin 1921) et
d’exercer le mandat avec l’appui d’une force de police et de volontaires indiens, l’alternative
étant de se retirer immédiatement sur Bassorah. Pour Cox et Gertrude Bell, ce projet est insensé.
Dès que les forces britanniques l’auront évacuée, les Turcs reprendront la région de Mossoul.
Parler de continuer à exercer le mandat dans ces conditions est illusoire. Cox rappelle qu’il est
revenu après qu’un débat approfondi au gouvernement, a abouti à la décision du maintien de
forces en Mésopotamie le temps nécessaire à la mise en place d’un Etat arabe. A ce moment, il
envisage de démissionner ; s’interrogeant néanmoins sue la possibilité de continuer à exercer le
mandat selon les conditions énoncées par Churchill, il conclut par la négative et évoque la
démission possible d’une grande partie des officiers britanniques 67.65 Lettre du 3 janvier 1921 : ‘I feel convinced (this is all private) that if our military people would drop their extravagant war standard of expenditure we could keep the necessary troops for a smaller cost. We are still keeping up military labour corps for road mending and street watering which is all paid for by the British tax-payer when it ought to be done, if they can afford to do it by Mesopotamia municipalities – if they can’t afford it, they can’t have it. Our electricity, even our milk and butter are provided by the British army, I’ve no doubt at a loss. They ought to be provided by private entreprize.’66 Lettre du 3 janvier 1921.67 Lettre du 10 janvier 1921 : ‘The conditions being now wholly changed he didn’t think he was called upon to remain, as he had no belief that the programme outlined by Wilson could be worked. I agree that under the conditions proposed he was under no obligation to HMG to remain but I added that he was under deep obligation
27
A la suite de cet entretien avec Cox, elle rejoint Clayton 68 pour discuter de la situation. Ils en
viennent à la conclusion qu’il est impossible d’exercer le mandat selon les conditions stipulées
par le télégramme de Churchill. Ils sont d’accord pour estimer nécessaire de rappeler les Turcs
en cas de retrait des Britanniques afin d’éviter que le pays ne sombre dans le chaos et
l’anarchie.
L’après-midi, elle retrouve Cox pour lui faire part de leurs réflexions. Elle est d’avis que par
télégramme Cox propose une révision des clauses du Traité de Sèvres, demande d’inviter la
Turquie à accepter le mandat sur la Mésopotamie et à mettre à la tête de l’Etat un prince turc.
G. Bell répète qu’elle a toujours pensé que la seule solution alternative au mandat britannique
était un retour de la Turquie, tant il lui paraît inconcevable que les Arabes puissent mettre en
place un gouvernement sans un soutien extérieur. Les Turcs, selon elle, ont pour eux de
disposer d’une armée et d’un cadre administratif et d’être acceptables pour une part non
négligeable de la population. Enfin, pour Gertrude Bell, il vaut mieux les inviter à venir en
Mésopotamie plutôt que de les y voir venir sans les avoir invités. En dernier lieu, elle ne pense
pas que dans telles conditions, les Britanniques puissent continuer à occuper Bassorah. Tout au
long de cette journée, elle témoigne d’une très forte hostilité à l’encontre de Churchill et de
Lloyd George qu’elle qualifie de voyous. Elle regrette aussi que les sommes dépensées en
Palestine ne soient pas mieux employées en Mésopotamie 69.
to the people of this country whom unwittingly he and all of had mislead (sic), trusting to the assurance given him by HMG, and it therefore behoved us to consider carefully whether it was conceivably possible to exercise the mandate in the manner laid down by Winston, for if we thought we could do so we were bound to try, in order to save the country from anarchy and bloodshed. We examined the matter in all its aspects and came to the conclusion that the scheme xas no scheme at all, but merely a prolongation of deception; that it was therefore necessary that he should repudiate it and that he could only do so by resignation. We agreed on the part of British officers in this country.’68 Frère de Gilbert Clayton.69 Lettre du 10 janvier 1921 : ‘But what makes me also pretty rabid is that we are cheerfully paying for two divisions in Palestine. That tiny country, with its comparatively high stage of civilization, could be help by a few thousand gendarmes under British officers. We keep two Divisions there in order to carry out our iniquitous policy of making it a home for the Jews. If they withdrew the two Divisions from Palestine we could keep them here for a couple of years where they’re so urgently needed. But no, there’s the Jewish interest to reckon with. The Jews can buy silence on the subject of expenditure.’
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Deux jours plus tard, avant qu’il n’ait reçu le télégramme de Cox, un second télégramme de
Churchill parvient à Bagdad, qui annule les dispositions énoncées dans le premier, ainsi qu’un
message privé de Hirtzel 70, indiquant que la Cabinet n’avait pris aucune décision concernant
l’avenir du mandat britannique en mésopotamie. Gertrude Bell précise que Churchill annonce sa
visite pour le mois de mars et qu’il a été nommé, bien que cela ne soit pas encore rendu public,
à la tête du Colonial Office.
La situation évolue peu au cours des jours suivants et les supputations continuent d’aller bon
train. G. Bell mentionne le 22 janvier 1921 que sous l’effet de la propagande pro-turque, des
troupes arabes occupent la localité de Deir ez Zor, renforçant ainsi la position de Mustapha
Kemal. Elle évoque la possibilité d’une guérilla au printemps sur la frontière du nord sur
l’initiative de tribus kurdes payées par les Turcs et qui pourrait menacer la ligne de
communications entre Bagdad et Mossoul.
Les notables de Bagdad de leur côté sont favorables à la solution d’un prince turc qui
serait mieux à même de les défendre en tant que sunnites qu’un des fils du Chérif. Gertrude Bell
note, pour sa part, que rien n’est fait pour tenter de se concilier les chiites et qu’à la tête de
toutes les provinces, à l’exception de Nadjaf et de Karbala, les fonctionnaires nommés sont
sunnites. Sous les Ottomans, les chiites n’avaient aucune part au pouvoir ; c’est pourquoi un
certain nombre de notables de la région de l’Euphrate préfèreraient une administration directe
britannique à une administration arabe sunnite ou turque sunnite. En fait, elle estime que la
meilleure solution serait d’installer rapidement un des fils du Chérif à la tête de l’Etat 71. Elle
regrette que la Grande-Bretagne n’ait pas favorisé la candidature d’Abdallah lorsque l’occasion
s’était présentée.
70 Sir Arthur Hirtzel, Directeur du Political and Secret department à l’India Office.71 Lettre du 22 janvier 1921: ‘I believe if we could put up a son of the Sharif at once he might yet sweep the board ; if we hesitate, wait for Cabinet decisions and consultations with the French, the side of public opinion may turn overwhelmingly to the Turks.’
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Le 7 février 1920 Gertrude Bell fait part d’une Conférence prochaine à Paris ou à
Londres pour décider d’une révision du Traité de Sèvres. Pour amadouer la Turquie sans trop
ennuyer la Grèce (qui serait autorisée à conserver Smyrne [Izmir] ), le trône de Mésopotamie
serait offert à un prince turc. Elle annonce en outre que Churchill ne se rendra finalement pas en
Mésopotamie en mars mais qu’il rencontrera probablement Cox, Allenby et Samuel quelque
part en Egypte. Elle ajoute qu’il pense pouvoir obtenir cinq millions de livres par an pendant
deux ans tout au plus pour financer le mandat britannique. Gertrude Bell estime qu’il est
illusoire d’imaginer que la Turquie renoncera à Smyrne ; contrairement à ce qu’elle avait laissé
croire en janvier, elle ne pense plus qu’un mandat turc sur la Mésopotamie soit une solution
viable, ni que la Grande-Bretagne puisse être la puissance mandataire avec un prince turc à la
tête de l’Etat. Néanmoins, elle souligne que l’évolution de la situation peut encore conduire à un
scénario de ce type. Si la situation est incertaine dans les provinces, à Bagdad le Conseil d’Etat
semble en mesure d’imposer sa marque ; le rôle de Sayid Talib est de plus en plus affirmé et
Gertrude Bell est parfois surprise de la vivacité du sentiment anti-turc qu’elle rencontre parfois.
Il lui faut aussi admettre que le choix d’un des fils du Chérif comme chef de l’Etat ne serait pas
forcément le bienvenu 72. Quoi qu’il en soit, il lui semble impossible de rien prévoir avant la
publication officielle du mandat, les résultats de la Conférence de Paris et la réunion de la
Conférence du Caire.
G. Bell est invitée par Cox à se joindre à la délégation dont font partie Sassoon Effendi, Jafar
Pacha, le général Atkinson, le général Ironside, commandant en chef des troupes britanniques
en Perse. Sayid Talib quant à lui est vexé de ne pas en être.
Elle indique qu’une semaine auparavant les officiers qui ont constitué l’entourage de Faysal en
Syrie ont commencé à revenir en Mésopotamie. Elle note surtout la présence parmi eux du
beau-frère de Jafar, Nuri Said. Lors d’un premier entretien avec Cox et Clayton, il expose un
72 Lettre du 13 février 1921 : ‘One and all to whom I’ve talked dismiss a son of the Sharif as a back number. I’m personally sorry, but if it’so, it’s so and I can’t alter it.’
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programme de gouvernement ; après la convocation d’une assemblée constituante, il s’agira de
mener à bien quatre missions essentielles : la formation d’un Cabinet, la désignation d’un Chef
de l’Etat, le vote d’une loi autorisant une certaine dose de conscription pour la constitution de la
future armée arabe, le choix d’un drapeau. Lorsqu’elle l’interroge sur l’identité du futur chef de
l’Etat, Nuri Said hésite et répond qu’il s’agit là du ressort de l’assemblée. Il finit cependant par
admettre que Faysal lui semble être la meilleure solution. Elle ne lui cache pas l’existence d’un
vaste gouvernement d’opinion favorable à la nomination d’un prince turc régnant sous le
mandat de la Grande-Bretagne. Elle répète cependant que, selon elle, la meilleure solution serait
d’instituer le plus rapidement possible un gouvernement arabe sous la conduite d’un des fils du
Chérif. Cox demande à Nuri d’attendre son retour du Caire pour se prononcer en public et de ne
rien précipiter. Celui-ci est d’accord pour calmer les ardeurs des ‘Jeunes Arabes’ et pour
suspendre toute activité politique durant la Conférence.
La Conférence du Caire
Il ne peut être question ici d’examiner dans le détail de ce que fut la Conférence du
Caire. La question principale qui y fut débattue concerne les dépenses liées à l’occupation
militaire et à l’accroissement des responsabilités de la Grande-Bretagne au Proche-Orient, le
choix d’un candidat pour le trône d’Irak, le sort des provinces kurdes ainsi que la composition
de le future armée arabe73. Le but principal de cette réunion fut de trouver une solution
permettant d’assurer le maintien de l’ordre dans les territoires dont la Grande-Bretagne avait la
responsabilité et qui revêtaient une importance stratégique en ce qu’ils constituaient des
73 Pour plus de détails sur la Conférence, on se reportera à Aaron S. Klieman, Foundations of British Policy in the Arab World: The Cairo Conference of 1921, The John Hopkins Press, Baltimore and London, 1970.
31
éléments fondamentaux dans le dispositif de sécurité de l’Empire britannique, tout en réalisant
des économies les plus drastiques dans les budgets de fonctionnement 74.
La réponse à ce dilemme fut fournie par la Royal Air Force, les forces aériennes permettant de
combiner la mobilité, la puissance de feu et de bombardement, ainsi que les éléments propres à
la dissuasion, tout en étant assistées au sol par des troupes indigènes et de véhicules motorisés
blindés75. Les participants approuvent donc le projet de contrôle aérien et le transfert de la
mission de maintien de l’ordre aux forces aériennes. S’agissant du volet proprement politique
de la question mésopotamienne, les débats portèrent sur le choix du candidat et son mode de
désignation 76. Appelé à donner son opinion, Cox fait savoir qu’à son avis aucun candidat
acceptable ne pouvait provenir des rangs des Mésopotamiens, que l’option turque n’était pas
viable et que seule la candidature d’un membre de la famille chérifienne pouvait convenir77.
Klieman indique que pour la commission chargée de décider du candidat le plus acceptable pour
le gouvernement de Londres, le choix de Faysal se fit relativement rapidement et que
l’important était désormais de le faire accepter par la population de l’Irak en évitant qu’il
n’apparaisse trop clairement comme le candidat des Britanniques78. Churchill pouvait conclure
74 Voir à ce sujet la confidence de Churchill, le 1 avril 1920 : ‘The fate of Mesopotamia depends, as I told you, entirely upon whether a reasonable scheme for maintaining order can be designed at a cost which is not ruinous.’75 Randall T. Wakeham, Air Substitution and the RAF, Air Power / History, Fall 1996.76 Klieman donne l’ordre du jour de la commission chargée de débattre de l’avenir de la Mésopotamie :
a) Whether there was to be an Arab ruler or not.b) If yes, whether he should be a member of the Sharif of Mecca.c) If so, whether they are any member of that family who was clearly preferable to all others, both from
the British point of view and from that of the people of Mesopotamia.d) Whether the Arab ruler should be selected by the British Governement or by the Arab Council of
State in Bagdad.e) Whether it was desirable or necessary that the National Assembly should meet before the ruler
assumes office.f) Whether the ruler should offer himself as a candidate or be invited by Mesopotamia to accept office.g) At what stage the offer or invitation should be made.h) On what date the ruler should proceed to Bagdad to take up his position.
77 Cox rappelle cet épisode dans le second volume de The letters of Gertrude Bell, en exagérant sans doute le soutien dont pouvait se prévaloir l’un ou l’autre des fils du Chérif : ‘Among the local candidates whose names had been suggested from time to time, there was no individual who could be accepted or even tolmerated by all parties in Iraq,,while among the non-Iraqi possibilities there was no doubt whatever that one of the family of the Sharif of Mecca (King Hussein of the Hejaz) would command the most general if not the universal support of the inhabitants.’ Letters, vol. 2, p.32178 Klieman, Foundations of British Policy in the Arabworld, pp 107-110.
32
que la seule alternative à la politique décidée au Caire était l’évacuation totale de la
Mésopotamie et l’abandon du mandat.
De la Conférence du Caire à l’accession de Faysal : avril 1921-août 1921.
Cox et Gertrude Bell reviennent en Irak avec un mandat clair : installer le plus
rapidement possible Faysal sur le trône en évitant que des difficultés politiques de tous ordres
ne viennent ralentir le processus décidé au Caire , en faisant comprendre aux prétendants
possibles que leur heure est passée79. Dès leur arrivée à Bassorah, Cox rencontre le cheikh de
Mohammerah80 qui désire savoir s’il a une chance de devenir ‘Emir’ de la Mésopotamie,
pendant que G. Bell reçoit une députation des notables de Bassorah qui lui font part de leur
souhait de voir la ville traitée différemment du reste du pays et maintenue sous souveraineté
britannique.
Une fois rentrée à Bagdad, Gertrude Bell est de nouveau confrontée à la complexité de
la situation politique. Sayid Talib, sentant qu’il n’a que peu de chances d’accéder directement
au pouvoir est désormais décidé à soutenir les prétentions du Naqib dans l’espoir d’en recueillir
l’héritage.
Les notables de Bagdad et les représentants des grandes familles sont pour leur part opposés
aux officiers de l’entourage de Faysal qu’ils considèrent comme des parvenus et dont ils
n’apprécient guère le discours tonitruant en faveur du ‘changement’. Pour toutes ces raisons, un
mouvement en faveur du Naqib se fait jour, elle souligne cependant que l’attentisme prévaut et
79 Lettre du 25 mars 1921 : ‘The general line adopted is, I am convinced, the only right one, the only line which gives real hope of success. We are now going to find Bagdad, I expect, at a fever pitch of excitement, to square the Naqib and to convince Saiyid Talib, if he is convinceable, that his hopes are doomed to disappointmt – it’s a disappointment that will be confined to himself. But I feel certain that she shall have the current Nationalists opinion in our favour and I’ve no doubt of success.’80 L’importance du Cheikh de Mohammerah ne doit pas être sous-estimée. Sa principauté abritait les principales installations de stockage et de raffinage de l’Anglo-Persian Oil Company. De par son appartenance à la Franc-Maçonnerie, il était considéré comme ‘the grand old man of the Persian Gulf’.
33
que chacun attend un signal clair des Britanniques pour se déterminer81. Le Naqib quant à lui se
montre intransigeant et fermement opposé à une candidature de Faysal et revendique l’Irak aux
Irakiens. Elle souligne qu’il lui faut réfuter la rumeur selon laquelle l’objet de la Conférence du
Caire était de pousser la candidature de Faysal et admet la nécessité de faire preuve de prudence
en ne disqualifiant aucun des candidats par avance.
Dans ces conditions, il s’agit donc pour les Britanniques d’amener la candidature de
Faysal sans paraître l’imposer. Le 13 avril, elle avait annoncé l’arrivée de Faysal à Suez et
calculé qu’il faudrait une dizaine de jours avant que le télégramme annonçant sa candidature ne
parvienne à Bagdad. Le 17 avril, Cox attend toujours le message de Churchill l’autorisant à
faire savoir publiquement que le gouvernement britannique s’est prononcé en faveur de Faysal ;
sous la pression des évènements et à l’instigation de Gertrude Bell, il déclare une amnistie
générale dont l’objet principal sera de faire libérer ou de ramener en Irak des officiers et
sympathisants de la cause chérifienne. Le contrôle du principal organe d’information permet
aux Britanniques de préparer un mouvement d’opinion en faveur de leur candidat et les
télégrammes à destination du Chérif sont traités directement par Cox de manière à circonvenir
Sayid Talib au ministère de l’Intérieur. Gertrude Bell conclut de tout cela qu’il est impossible
de tenir une élection ‘libre’ tant qu’une faction contrôle l’appareil administratif et politique et
qu’il faudra donc suspendre le gouvernement dès l’arrivée de Faysal en Iraq 82.
Si la candidature possible de Talib inquiète les Britanniques qui voient en lui une menace pour
Faysal ; son attitude et les propos séditieux qu’il tient lors d’un dîner permettront cependant à
Cox de le faire arrêter, déporter et ainsi de débarrasser Faysal d’un dangereux rival 83.81 Lettre du 12 avril 1921 : ‘The Naqib’s party which didn’t exist when we left has a real existence now. Nevertheless the majority of people even in Bagdad are waiting to see what indications we give before they declare themselves, all except the group of younger enthusiasts who plumb for a Sharif whatever happens.’82 Lettre du 17 avril 1921 : ‘All this shows how impossible it is to conduct a ‘free election’ while one party is in possession of High office and I am firmly convinced that it will be necessary to suspend the Arab Govt as soon as Faisal comes into the field and until the elections are over. Sir Percy also inclines to this view; no one can say at present that the protagonists have equal chance. Talib will be furious but the country as a whole will I feel sure think the measure just. The functions of the arab ministers will be carried on by the Advisors (British).83 Lettre du 17 avril 1921. Il met en cause des personnalités proches de Cox et fait peser la menace d’un recours à la rébellion des tribus s’il constatait une tentative d’influencer sur le résultat final. ‘The Naqib will appeal to Islam, to India, Egypt, Constantinople ans Paris. It was an incitement to rebellion as bad as anything which was
34
Fin mai 1921, tout en admettant que la situation n’a pas évolué aussi vite qu’elle aurait
pu l’imaginer, Gertrude Bell constate que les télégrammes en provenance de la Mecque
commencent à produire leur effet. Elle croit pouvoir discerner un changement d’attitude parmi
les notables et les nobles (Ashraf) de Bagdad, qui commencent à transférer leur allégeance du
Naqib à Faysal et participent à la création d’un parti pro-chérifien modéré.
La nécessité d’aller vite et d’établir sans tarder un gouvernement arabe légitime auprès de
l’opinion tient pour une part au regain d’agitation sur les frontières du nord liée à
l’effervescence nationaliste à Ankara 84. Cependant, la déclaration que Churchill doit faire au
Parlement pour annoncer publiquement et officiellement le choix de la Grande-Bretagne est
retardée et les autorités britanniques à Bagdad sont dans l’obligation de temporiser. Il leur faut
prendre en compte les réticences de certains éléments de la population. C’est ainsi que le district
kurde de Suleimaniah déclare-t-il refuser de faire partie du futur Etat irakien 85. L’unanimité
n’est pas non plus totale dans les rangs des autorités britanniques. Certains officiers seraient en
effet favorables à une prolongation de l’administration directe en attendant la mise en place
d’une république. Parmi ceux-ci Philby, adversaire déclaré de la candidature de Faysal et
conseiller au ministère de l’Intérieur met à profit un pouvoir d’obstruction non négligeable pour
retarder l’enregistrement du parti chérifien et l’autorisation des journaux qui lui sont favorables.
Dans ce contexte Gertrude Bell estime qu’il est souhaitable de ne pas s’aliéner les élites
traditionnelles 86 et de faire un geste significatif en direction de l’opinion publique. Cox avait
said by the men who roused the country last year.’84 Un officier et 13 soldats turcs avaient pénétré jusqu’à la ville de Rawandiz au nord de Mossoul. Les nationalistes de Bagdad s’inquiétaient de la recrudescence du sentiment pro-turc chez certains éléments de la population. La Grande-Bretagne quant à elle savait qu’elle ne pouvait pas militairement assurer la défense de la région nord contre une attaque turque. Toute la stratégie décidée au Caire reposait sur l’hypothèse de relations pacifiques avec la Turquie.85 Letters, vol. 2, p. 599.86 Lettre du 19 juin : ‘The point of view of the Naqib and his group must be sympathetically considered. Their argument is that they witnesses the young extremists made a mess in Syria and they don’t want a repetition of thise events here. They disapproved of the rebellion last year and now they see the very men who organized it pardoned under the amnesty and presumably coming back with Faisal to boast that in the end they have won and to take the pop places.’
35
déjà lors de la Conférence du Caire plaidé pour que la Grande-Bretagne renonce au mandat et
signe un traité avec l’Etat arabe une fois constitué, ce que G. Bell qualifie de ‘beau geste’ 87.
L’arrivée de Faysal à Bassorah étant prévue pour le 23 juin, sans attendre le
communiqué officiel de Londres , Cox prend l’initiative de convoquer une assemblée de
notables pour organiser son entrée et son installation à Bagdad. Le Naqib prend alors la
décision d’informer formellement le Conseil de sa venue au moment où le télégramme tant
attendu parvient enfin de Londres 88.
Si les obstacles à l’accession de Faysal à la tête de l’Etat semblent peu à peu franchis, toutes les
composantes de la population ne sont pas encore ralliées. Outre les Kurdes dont il a été fait
mention précédemment, les tribus de la région de l’Euphrate sont toujours nombreuses à
demander une république ; quant aux habitants de Bassorah, s’ils acceptent l’idée d’un roi pour
l’ensemble de l’Irak, ils revendiquent pour leur province une assemblée séparée, une police
autonome et le droit, tout en contribuant au fonctionnement de l’administration centrale, de
continuer à lever des impôts. La réaction britannique, qu’elle soit formulée par Cox ou par
Gertrude Bell, est claire : Londres désire l’établissement d’un Irak unitaire, sans que l’on puisse
toutefois exclure un certain degré d’autonomie interne dans certains domaines.
De retour de Bassorah où il a participé au comité chargé de l’accueillir, Nuri Said est
enthousiaste et décrit la ferveur de la foule venue saluer Faysal et demande à Gertrude Bell si le
gouvernement britannique accepterait de le voir élevé au trône par acclamation 89.
La tâche qui incombe maintenant à Gertrude Bell et à ses collègues est de construire la
légitimité de Faysal qui entre dans Bagdad le 29 juin ; le problème qui se pose alors est de
87 Lettre du 5 juin : ‘Sir Percy has urged that we should drop the mandate altogether and go for a treaty with the Arab state when it is constituted. It would be a magnificent move if we’re bold enough to do it. It isn’t the mandate which bothers us – no Nationalist wants to shake loose from British help and control. But the word Mandate isn’t popular and a freely negotiated treaty would be infinitely better liked, besides giving us a much freer hand. We have always known that Faisal would ultimately insist on a treaty in place of the mandate – now we have the opportunity of making a beau geste and giving of our own accord what we certainly have had to give later at his request.’88 Lettre du 19 juin 1921.89 Lettre du 23 juin 1921 : I answered in suitable terms that we only wanted to know the opinion of the country and didn’t mention how very well such a term of affairs would suit us.’
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savoir que faire de Faysal avant la tenue d’élections et d’éviter un coup de main de la part des
éléments les plus extrémistes, d’autant plus que les rapports faits après l’arrivée de Faysal à
Bassorah souligne le manque d’enthousiasme d’un grand nombre de participants 90.
Le 2 juillet, Philby rentre à Bagdad ; le 3 juillet, après un entretien avec Cox, il est démis de ses
fonctions. Au même moment, Gertrude Bell rencontre les représentants des différentes
communautés, dont les Chrétiens, qui lui font savoir qu’il est dangereux d’attendre et
demandent le recours au référendum pour installer Faysal sur le trône. Selon elle, il s’agit
principalement d’agir de la manière la plus constitutionnelle qui soit et d’éviter de donner
l’impression d’un coup de force. Cox et G. Bell entendent utiliser le Conseil d’Etat et le Naqib
pour parvenir à leur fin. Il s’agit d’amener le Naqib (et le Conseil) à demander officiellement à
Cox à quelle date les élections ont été prévues. Les inscriptions sur les listes électorales ne
pouvant être effectuées dans le délai imparti (deux mois), il reviendra à Cox de demander au
Conseil s’il approuve la tenue d’un référendum. Gertrude Bell confesse qu’elle aurait préféré la
tenue d’élections mais ajoute qu’il est essentiel de profiter de leur popularité actuelle auprès de
l’opinion publique, au moment où le contrôle sur la presse semble plus efficace que jamais 91 et
où les leaders de la rébellion se rallient les uns après les autres.
Le lundi 11 juillet le Conseil, à l’instigation du Naqib proclame à l’unanimité Faysal roi d’Irak
et charge le ministère de l’Intérieur des démarches préalables à son installation. Cox insiste
cependant sur la nécessité de procéder à un référendum de manière à asseoir la légitimité de
Faysal, préoccupation partagée par l’entourage de ce dernier92. C’est dans ce but qu’il s’emploie
à mettre en place un parti modéré sur lequel Faysal peut s’appuyer pour installer son pouvoir, au
90 Lettre du 30 juin 1921 : ‘The High Commissioner is neutral, the Khatun (G. Bell) wants Faisal and Mr Philby wants a republic, nor apparently had Mr Philby been at any special pains to conceal from Faisal an opinion which is at variance from what he knows to be the policy of H.M.G. Naturally Faisal was bewildered – was the High Commissioner with him, and if so why did his officers adopt a different attitude?’91 Lettre du 7 juillet 1921 : ‘The local press has already begun to talk about a referendum, without any inspiration. I really do believe – I hope without exaggeration – that I have in the hollow of my hand. I read the 4 local papers every morning and if there’s anything I think unsuitable, I intimate the fact to the editors, either directly or indirectly and they come to heel at once.’92 Lettre du 16 juillet 1921.
37
détriment des éléments les plus radicaux qui l’ont accompagné jusque là 93. Au même moment
les éléments les plus opposés à la candidature de Faysal demandent la constitution d’un Etat
arabe totalement libre et indépendant 94.
Pour Faysal, la construction d’une légitimation politique passe également par l’allégeance des
tribus qu’il rencontre à Ramadi à la fin du mois de juillet. Il s’agit là d’un processus de
reconnaissance par lequel les éléments sunnites et bédouins font alliance 95.
La reconnaissance de Faysal par les grandes tribus bédouines à l’ouest de Bagdad et de Fallouja
lève le dernier obstacle à son élévation au trône d’Irak. Malgré l’opposition des provinces
kurdes de Kirkuk et de Suleimaniyeh, Gertrude Bell peut écrire le 28 août 1921 : ‘ We’ve got
our King crowned.’ 96
Conclusion.
L’accession au pouvoir de Faysal marque l’avènement de la monarchie irakienne. Avec elle
accèdent au pouvoir des hommes tels Jafar Pacha et Nuri Said qui vont l’accompagner pendant
plusieurs décennies. Gertrude. Bell, dans sa correspondance, montre à quel point le processus
qui mène Faysal au pouvoir est fragile. L’installation d’un pouvoir arabe à Bagdad résulte
essentiellement d’une adaptation pragmatique aux circonstances. L’installation de Faysal n’est
qu’une première étape dans le long travail de construction de la nation irakienne.
93 Lettre du 16 juillet 1921 : ‘Sir Percy and Faisal between them are making a new Sharifian party composed of all the solid moderate people, and the old Sharifian party which raised the revolt is sinking into an obscurity not even decent.’94 Lettre du 24 juillet 1921. G. Bell indique que les éléments chiites les plus radicaux, dont Mohammed al Sadr intriguent auprès des éléments les plus radicaux pour qu’ils n’acceptent pas le serment d’allégeance à Faysal : ‘Most of the Shamas, it was said, had refused to swear to Mhd Sadr’s scheme, but the tribal shaikhs had been packed off to get a fatwah, an order from the Shia’h divines of Najaf.’95 Letters, vol 2, p. 614. ‘He was supremely happy, a great tribesman amongst famous tribes and, as I couldn’t help feeling, a great Sunni among Sunnis...Faysal was in his own country with the people he knew.’96 Lettre du 21 août 1921. Malgré l’optimisme de façade, les relations entre Faysal et les autorités britanniques ne sont pas dénuées d’ambiguïté. ‘The Col. Office has sent us a most red-tapy cable saying that Faisal in his coronation speech must announce that the ultimate authority in the land is the High Commissioner Faisal refuses and he is quite right. We are going, as you know, to drop the mandate and enter into treaty relations with Mesopotamia. Faisal says from the first that we must recognize that he is an independent sovereign in treaty with us otherwise he can’t hold his extremists.’
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Yves Brillet