Waldstein Arnold - John Dee Le Sorcier de La Reine Elisabeth

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    JOHN DEELE SORG! ERBEMREINEEL[SABETHPAR ARNOLD WALDSTEIN

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    TES ESBUSEGMET

    l\v/ ,A\l Dn

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    TABLE DES CHAPITRES

    I

    IIIIIryvVIVIIvllIxxXI

    LES SABLES DE LA RIVIERE DEELE SCAMBE IUCANIQUEPROSPEROL'II\4PMTRICE DE LA ]VIERLA MONADE HIROGLYPHIQUEL'OISEAU NOIR DANS LE SOLEIL LEVANTL'ORGUE DE CRISTALLE JEU D'CHECS AVEC L'ANGELE VOYAGE D'HIVERCRACOVIELE LIOI..I DE N,IER AIL

    Page 9Pa,ge 25Page 43Page 59

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    Les sablesde la riuire Dee

    r trs catholique John Dee naquit en 7527, l'anne dusac de Rome par les armes de I'Empereur, o les protes-tants virent le signe de la chute de Babylone,

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    sur le lieu de leur supplice, disait en manire de plaisanterieAndrew Boore, l'un des mdecins du roi. Mais aussitt, ils'empressait d'aiouter que, par sa splendeur, .Londres, c'est Ia Babylone noire. Lugubte le jour, splendideet dbauche la nuit : Hillbrough est illustre par ses revenantset Bidford par ses ivrognes. Un garon boucher devientpote, un pote entre dans la compagnie des mendiants : unsirnple change.Londres, un chaos en ordre, aime dire le roi. La peste y est demeure comme Constantinople, car Henry VIII vaut bienun sultan. Les quartiers populaires, btis tout en bois, brlentrgulirement.La duchesse de Sufiolk soigne elle-mme son poulailler, trous-se jusqu' mi-iambe ; elle djeune d'une livre de lard et d'unpot de bite. Le soir, elle rejoint Anne Boleyn, la Viprerousse >>, chez Lord Leicester ; on y joue la main chaude,ces dames agenouilles, les yeux bands. A ce jeu-l, lesfemmes les plus froides se rchauffent, mme Lady GeraldineKildare, qui adore se tricoter des mitaines en grosse lainerouge, les soirs o son palefrenier lui prfre les fillesd'auberge.Au cceur de la Cit, la Tour, trnent les marques de la ven-geance d'Henry, les crnes des traires embrochs sur despiques. Dans les immenses faubourgs, Henslowe, Horn-book, rde Messire des Os desschs , certe syphilis quidpasse la lpre en homeur. Et dans son clbre Dialogue surla peste, Bullein crit :

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    malandrins en haillons torture un ours aveugle attach unpoteau. Aux pieds de la bte rendue folle par la douleur, gisentun chien mort et un homme agonisant, le crne fendu par lagriffe du pitoyable monsme. Assis en rond devant des chopesde bire, les mendiants font leurs paris, indifirents aux hurle-ments de l'animal.Mais le pire chancre du moment, celui qui autorise tous lesdbordements et qui consterne les puritains, c'est le thtre.Conre lui, un prdicateur, ami de Lord Ascham, dclate :

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    Vore Cochonnerie ! >, en direction de Sir Talter Raleigh,ivrogne, bel esprit, pilier de la taverne la Sirne et futur amiet protecteur de John Dee. Le noble sire se lve et rend leshommages.C'est au bord de la rivire, non loin de l, Mortlake, prsdu palais de Greenwich fait de briques couleur de pche etrestaur par Henry VIII I'archiphnix, que John Dee vientau monde. A moins d'un mille de ce lieu rose et vert, noydans une brume moelleuse, o natra, six ans aprs, sa mal-tresse royale, l'Impratrice de la Mer , Elisabeth d'Angle-terre. Les matres invisibles d'un destin qui, toujours, dnierale hasard, font s'incarner les deux personnages indissoluble-ment lis avec un infime dcalage de temps et d'espace, commepour souligner encore que les abmes les plus uoits sont lesplus profonds.Trs tt, lorsqu'il se distancera de l'humanisme officiel pourtudier l'astrologie - cette science suprme, magie asmale quimet les tres leur vraie place dans l'univers -, John Deeapprendra que dans son horoscope de naissance le Soleil setrouve au 21" degr du Cancer, ce qui, d'aprs les symbolesgyptiens du zodiaque transmis par l'asuologue HiramHayden, correspond cette image :

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    ouvert, les pages couvertes d'hiroglyphes. Sur une table, desappareils scientifiques. >>Trs vite, le jeune svant apprend reconnare dans cesdeux images complmentaires les deux tendances opposes desa nature, propres la constellation du Cancer: errance etvie d'tudes, bohme et sagesse saturnienne, aventure et claus-tration, gloire et renoncement. Toute son existence va oscillerentre ces deux extrmes dominante vert-de-gris, comme lesdeux plateaux d'une balance dont le flau serait sa conscience,cette conscience vertigineuse de thaumaturge qui lui permet-tra d'accder des plans de alit suprieurs : du haut dumt de misaine invisible d'un vaisseau pourtant dmt, ilpouma regarder maintes fois le char vide >> s'enfoncer dansles sables gristres de rives par rop relles. Et la fin de sonexistence bouclera hermtiquement la boucle : parti de la soli-tude studieuse de son cabinet de travail, il la rerouvera l'heure des adieux ce monde auquel il n'appartient plus,depuis longtemps, que par son corps et une infime partie deson esprit.La conjonction de Saturne avec le Soleil dans le signe duCancer, proximit de l'toile Sirius, indice de puissance dan-gereuse et de contact avec le divin, confre nore jeunesavant une gravit parfois pesnte dont il ne se dpartiraiamais au cours de son long sjour sur cette plante. Lors deson admission au collge de Cambridge, il surprend un jourson pre, homme fruste et fort en gueule, dclarer, non sansquelque inquitude, son pouse : Peut-tre le devint-il la fin de sa vie, mais personnen'tait plus l pour s'en apercevoir.Selon les traits d'asuologie - notamment celui de RobertFludd, qu'il dvore trs tt en cachette tandis que ses condis-ciples vont se dbaucher dans les faubourgs, se conduisant,pense le jeune Dee,

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    le niveau des tudes officielles ou, encore, par les frivolesmusements d'une socit qui s'imagine merger de son carcande putitanisme hypocrite en courtisnt le Diable tout en printDieu de lui pardonner.Saturne, plante lourde et temesffe, ne prsente aucune affi-nit avec l'lment aqueux : selon l'astrologue hollandaisSimon Grynaeus, elle confre au sujet marqu par une telleconfiguration

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    d'aspects plus clments que font les plantes entre elles :Mercure n'est-il pas dignifi dans le signe solaire du Lion,Jupiter, le bnfique, dans le signe fougueux du Blier, etl'Ascendant dans le signe du Sagittaire, en afrnit avec lesgrands voyages et les hautes tudes spirituelles ? Situe enCapricorne, la Lune, enfin, accentue la frugalit et la sagesseun peu triste du futur malre de Mortlake. Mais surtout,Neptune exalt dans les Poissons fera de John Dee le grandmatre de la marine anglaise.Pour l'instnt, notre Faust en puissance se borne confirmerinconsciemment les aphorismes des matres de l'asuologie ensurprenant, en inquitant mme, par sa nature exceptionnelle-ment studieuse o perce dj le gnie. Port par le flot de ladouce rivire Dee, dans cette bourgade de Mortlake o lacabale phontique discerne volontiers un >, lejeune savant crit, l'ge de dix-huit ans, dans son journal :C'est avec maestria que John Dee remporte toutes les palmesdu collge dont il suit les cours pourtant fastidieux. A l'opini-tret du crabe qui figure son signe asrologique et qui approchedu but obliquement et avec lenteur, il ajoute celle, lgendaire,du Gallois. Fils de Rowland Dee, malre des cuisines du roiHenri VIII, et de Jane, fille de Tilliam 'ild, il appartient cette tace faite de familles pauvres qui se sont iur d'envoyerleurs fils aux charges administratives les plus hautes duroyaume. Le pre de John n'est, comme tous les courtisans,qu'un mendiant de grande classe, mais il se rattrape en invo-quant sans cesse ses nobles origines. John Dee seta lev dansle culte presque religieux de ses ancres dont il deviendra le

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    Rowland Dee aime ajouter ceux des nombreuses gnrationssuivantes ayant vcu Nant-yr-Groes, dans le Radnorshire.Dee n'est d'ailleurs qu'une version anglicise du vritable nomde famille du terroir gallois, Du ou, encore, Ddu, qui signifiele Noir. Le grand-pre de notre magicien, ,Bedo Dee ou Bedo Ddu, avait t porte-drapeau de Lord deFerrars au sige de Tournai en 1513 et avait combattu sousles ordres de l'empereur Maximilien.Selon les archives gnalogiques que John Dee devait dpouil-ler avec l'aide de l'historiographe et cosmographe HumphreyLhuyd, son arrire-grand-pre tait Dafydd Ddu, n en 1412,lui-mme descendant de Llewelyn Crugeryr, fils de Rhys apTewdr, prince du pays de Galles en 1077. Par cette branche,les Dee se rattachaient la maison des Tudor.John ne se lassera jamais d'entendte son pre ouvrir cesvertigineuses perspectives sur le pass d'une famille qui des-cend d'une race de rois ; vec le gnie d'un lu naissant,marqu par la face de lumire de Satutne, il essaie d'y discernerla mame secrte du destin. Ds sa prime enfance, il est per-suad d'me l'aboutissement d'une ligne royale qui, tombedans les limbes de la matire et de l'Histoire, l'a choisi pourincarner un ultime sursaut hors du temps, comme si une suitede gnrations n'avait pour fin secrte que de produire unhomme digne de ce nom. Il apprendra bientt que, selon lesadeptes ignors ou dtests par les tenants du savoir officiel,les mtaux vils - fer, cuivre, tain, plomb - ne sont queles stades intermdiaires utiliss par dame Nature pour pro-duire ie mtal royal, i'or. John Dee aimait penser que, demme, la ligne des Ddu, inaugure par un roi en ce monde,devait mener, aprs bien des vicissitudes et une apparentedgradation, l'apothose invisible d'un roi hermtique, d'untoi couronn simultanment dans ce monde et dans I'auffe.Ce fut son pre qui, malgr son ivrognerie et son caractreboumu, lui insuffla jamais l'amour du pays de Galles, avec

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    Ia cour : le roi Henri VIII le taita toujours vec mpris etindiffrence.Bien loin de le dcourager, cette ingratitude de la patt d'HenryTudor, qui avait pourtant du sang gallois dans les veines, nefit qu'accentuer le raidissement pauiotique de Rowland Dee.II se consola en reportant toute sa fiert sur son fils dont laprcocit et les dons exceptionnels l'enchantrent, avant del'inquiter. Quant Jane Dee, sa nature renferme, trs pieuseet humble, la fit se fliciter d'avoir enfant un phnix unepoque qu'elle jugeait dprave, sans me et voue l'emprisedu Malin.De surcrot, l'lve John Dee tait un excellent enfant dechur, chri par son matre ptincipal, Peter flilegh, unprtre ; l'cole de Chelmsfotd,dans le comt d'Essex, o John tait, de plus, premier engrammaire, en grec et en latin, ilegh Ie dclara solennelle-ment

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    en crant des chaires de droit civil, de physique et d'hbreu.Paralllement, la dissolution des monastres amena un grandnombre de nouveaux tudiants dans cette universit presti-gieuse qu'attirait, de plus, la perspective d'une vie brillante etanime.John, que sa profonde religiosit loignait de ces ttoubles desurface, ne se laissa pas emporter par la tourmente quis'annonait. Convaincu la fois de l'orthodoxie spirituelle dupape en tant que principe divin et du caractre iniuctabie duprotestantisme comme signe des temps, il se promit secrte-ment de poursuivre ses tudes sur le continent ds qu'il enautait termin avec l'universit. En attendant, il s'inscrivit autriuium scolastique, un cours de grammaire, de logique et dethtorique s'tendant sur rois ans, suivi par le quadriaium,quaffe annes consacres aux mathmatiques, l'asffonomie, la gographie et la musique.Le jeune savant n'ignorait pas que, dans l'Angleteme o iltait n,le type d'tudes qui procurait de I'avancement et deshonneurs tait de type humaniste, incarn par Erasme.Un jour que John Dee s'tait hasard aborder d'auresdomaines, citant Pic de La Mirandole et Cornelius Agrippa son mate de rhtorique, Sir Arthur Pet, celui-ci lui rtorquaavec une raideur o perait l'efiroi devant des mondes incon-nus :

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    l'hermtisme, l'astrologie et la kabbale, en particulier le De artecabalistica, de John Reuchlin. Mais il n'avait pas encore vuclairement les liens roits qui unissaient ces diffrentessciences hernrtiques, Cornelius Agrippa lui apprit qu'elles serattachaient toutes ux mathmatiques, dont les scolastiquescommenaient d'ailleurs, par crainte de cette connexion, dnoncer la pernicieuse influence. Dans sa prface, Agrippan'allait-il pas jusqu' affirmer : . Citant Pythagore comme un mage de la religion,Agrippa pensait galement que la numrologie mystique duphilosophe grec oprait, avec la kabbale, dans le monde super-clestiel. John Dee trouva dans ce livre la confirmation de cequ'il pensait sourdement depuis quelques annes : la concen-trtion sur l'tude des mathmatiques, clefs de toutes lessciences, incluait ncessairement l'opration grce aux nombresdans la conjuration des anges et des dmons. Ainsi, toutmathmaticien tait un magicien en puissance, pour la mmeraison qu'il n'y a pas d'astrologie sans stronomie. La scolas-tique enseigne dans les coles et les universits n'tait que lersidu de la sagesse aristotlicienne, elle-mme une branchedvie de la connaissance universelle. L'astrologie, l'alchimieet la magie taient, u contraire, les vritables sciences formantune trinit sacre hrite des anciens mysttes ; les math-matiques taient la clef d'or de ces trois sciences, clef quiouvre au thaumaturge la porte du monde invisible dont les

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    chimie, l'optique -, toutes mtires destines, pour lui, occulter aux yeux de l'tudiant profane la vritable essencedu monde et de la nature : le mystre.Cette mme anne, I'automne de 7546, la prescience del'Invisible fit tenir John Dee, magicien naissant, le discoursqui suit, devant un auditoire de jeunes tudiants berlus :

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    tion, un jour, dans un drame appel Faust. Mais, humiliation!le matre se contenta de confesser que l'lve Dee avait, certes,ses crises de folie, mais qu'il n'en tait pas moins le plus doude la classe. Ce cours paralile improvis sous les marronniersn'tait rien de plus qu'une supercherie concocte par un tu-diant las de certaines humanits classiques, avec peut-tre -ieu seul le savait -,lu complicit d'un printemps dguisen automne. Les meilleurs amis de John Dee chuchotaient eneffet que, ces temps derniers, notre jeune scolaste avait t vuhantant les berges de la Tamise, du ct de Hewington Butts,l o les putains sont aussi accortes que Vnus dans le signede la Balance, ou plutt que Proserpine pendant la moiti deI'anne... Enfin, le Diable seui savait ce qu'il tait advenu John Dee, par ailleurs excellent lve, si travailleur er sidiscret. A coup srir, cette pidmie magico-pubertaire luipasserait bientt, avec l'aide de saint Jean et de tous lessaints...Cette incartade fut effectivement Ia seule que se permit nottejeune tudiant : face f indifirence et mme l'hostilitrenconues chez ses condisciples bahis de sophismes, le crabes'enfouit nouveau sous le sable et reprit le cours rgulier deson ascension universitaire. A la fin de l'anne, John Dee futpromu bachelier du St.-John's College, surpassant de us loinses camrades par l'envergure de son esprit et l'originalit deses connaissances. Dsormais, il se promit de concilier, toutesa vie, la rentable banalit des tudes oficielles vec sesrecherches secrtes qui en seraient le soubassement indispen-sable, de mme que les fondations des palais vnitiens, immer-ges dans l'eu, la magnificence terrestre etarienne de ces difices. C'est ce moment que fut fond, parHenry VIII, le Trinity College, dont John fut nomm d'officel'un des premiers lves, en mme temps que second lecteurde grec, le lecteut principal tant l'un de ses amis, RobertPember.

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    de aita, de Marcile Ficin, le Pimandet et l'Asclepius, deMercurius Trismgiste, des ouvrages de Paracelse, de RaymondLulle et de Jrme Cardan, Guillaume Postel, et, mme, laMantice, de Pontus de Tyard, figurrent dsormais son menunocturne. Tout cela, ml avec les livres de magie kabbalis-tique, innombrables sous le manteau, entre tous, ceux de Picde La Mirandole ; mais sa plus grande dcouverte fut cellede |'Harmonia mundl, de Francesco Giorgi, livre majeur surl'harmonie cosmique, ignore et bafoue par cet enseignementoficiel rserv, selon Paracelse,

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    beaucoup qui n'auraient jamais quitt l'Angleterre, sinon pourservir des Circs en Italie [...]. Ainsi, ceux qui sont partismulets et chevaux sont revenus ayant l'aspect d'nes et depourceaux, avec en plus l'esprit agile et rus du renard, et,chaque fois qu'il se peut, le cur du loup pour la cruaut etla malignit... Inglese italianato e un diaaolo incarnato. >> Un diable incarn >>, voici donc ce qu'tait devenu John Deeaux yeux d'un homme de loi, thologien et prcepteur denombreux nobles protestants du royaume. Inexorablement, lejeune thaumaturge allait s'attirer les foudres des deux partisteligieux complmentaires et antagonistes. Dans son Harnzoniamundi, pru pour la premire fois en 1525, Francesco Giorgi,frre franciscain de Venise, tablissait les rapports de la

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    s'taient mietts en tant que microcosmes, ou raidis dans uneposture artificielle, pr peur d'tre le reflet d'un macrocosmequ'ils comprenaient mal, mais qui pourtant les comprenait.Inconscients de n'tre toujours qu'un reflet, rien qu'un reflet,comme l'enseignait l'ancestrale astrologie, ils taient incapablesd'humilit, la premire vertu religieuse, et prfraient metuesur le compte du Diable la lucidit de quelques hommes plusavancs qu'eux sut la voie de la connaissance.En pensant ses futurs censeurs, John Dee, le diableincarn )>, se rappela ce passge du mdecin-mage, le grandParacelse, mort cinq ans auparvant : Les prophtes ont putre considrs comme des fous ; ils avaient un corps animalfou pour pouvoir exprimer la vrit sans y faire obstacle. Enefiet, l'esprit (ou intuition suprieure) de l'homme ne peuts'exprimer directement que lorsque la nature animale, en lui,renonce intervenir. Cette forme animale, en voulant donnerune forme la production de l'esprit suprieur, risque de ladformer. I1 faut donc couter la parole des fous qui ontfranchi ce barrage. ,Eux qui ne franchiraient jamais ce barage, parce qu'ils taient,de toute ternit, en de, taient bien faits pour juger ceuxqui l'avaient franchi, par la folie ou par la connaissance, aupril de leur vie et de leur scurit dans un monde forcmentimparfait : ceux qui participaient la connaissance de l'medu monde et taient capables d'entrer en rapport avec lesanges, les esprits naturels ou lmentux et les essences deschoses.A prsent qu'il avait assimil leur savoir vec une aisance quiles confondait, et non sans une secrte jouissance qui confinait la drision, John Dee se promit d'avancer sur les mmesvoies que les mares hermtiques qu'il admirait tant, et mmede les dpasser si Dieu, ou Herms, lui en donnait la force.Mais auparavant, iI se jura de frapper un grand coup pour

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    Le scarabemecarutqae

    I Ia lin de l'anne scolaite, le lecteur ptincipal de grec,I Rob.rt Pember, demanda au young lellou John Dee deI lmettre en scne, pour le petit thtre du collge,la Paix,d'Aristophane. Cette fois, le jeune savant, qui mditait de fairequelques voyages l'tranger, dcida de passer l'action enmonant ouvertement ses dons de >. Lecteurenthousiaste des thories sur l'architecture et la musique expo-ses par le Romain Viuuve dans De Arcbitecturo, un ouvrageconsacr aussi l'art militaire, la gographie, aux machine-ries thtrales et aux jouets mcaniques, il dcouvrit la mmepoque l'histoire de l'aigle construit par Archimde ; selon cesdeux auteurs cits par Cornelius Agrippa,l'art mathmatiquepermettait de combiner harmonieusement la science et lamagie. Ne uouvait-on pas, dansl'Asclepius d'Herms Trism-giste, la description de statues animes par la thaumaturgiedes prtres gyptiens ? John Dee avait galement appris que

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    artificielle en mtal qui avait rellement vol lors d'un banquet.Tout cela inquitait fort les thologiens et les scolastes, enAngleterre plus qu'ailleurs, o le dveloppement des scienceshermtiques tait frein par le fanatisme protestanr ; de cejour, John Dee se jura que, si un prodige mcanique devait seproduire dans l'le de ses anctres, il en serait coup srf instigateur, pour l'honneur de la magie er du pays de Galles.Pourtnt, il n'ignorait pas les dangers lis une telle ente-prise ; en 1541, un haut dignitaire galloi avait t dnonccomme et condamn mort ; la mme anneavait t promulgu un nouvel dit conre la sorcellerie, dontle pays de Galles tait considr, avec l'Ecosse, comme lebastion principal.Mais John avait dj de nombreux amis au collge et la courdu roi ; quant la reprsentation, elle devait avoir lieu devantun public resteint compos uniquement d'tudiants. S'il par-venait construire une merveille mcanique, elle serait lapremire apparatre en Angleterre sur une scne de thtre.Et le prodige eut lieu : un norme scarabe argent, m parun fil invisible et un mcanisme secret dont personfle ne trouudiamais la clef , s'envola majestueusement vers le palais de Zeus,perdu dans les nuages qui couvraient le toit du proscenium.Cet insecte hallucinant emportait de plus, sur sa carapace, unhomme en chair et en os porteur d'un panier de victuailles.Le scandale fut rs russi ; la rumeur parvint jusqu'auxoreilles de l'vque John Fisher, titulaire de la chaire dethologie, et seule l'intervention de Robert Pember pargna John Dee la redoutable accusation de sorcellerie.Tels furent les adieux du jeune et gnial savnt avec l'ensei-gnement officiel ; le vol du scarabe inaugura son orientationdfinitive vers les sciences hermtiques. I1 en profita pourapprofondir sa connaissance de I'astronomie et de l'astrologiejudiciaire dont il devint bientt l'un des meilleurs tenants. Ilconsigna dans ses cahiers des milliers d'obervations quoti-

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    conclusions en un gros volume intitul Ephmrides. Il semit aussi tudier l'art de la navigation, frapp par les grandesdcouvertes faites dans ce domaine en Italie et aux Pays-Bas.Erasme l'encouragea, pat ailleurs, metue profit son excel-lente connaissance du grec et du latin en se rendant sur lecontinent o il pourrait visiter quelques universits euro-pennes. Enfin, John Dee se plongea dans l'tude de l'anciennecivilisation galloise qui remontait aux druides, prenantconscience de la ncessit de remonter aux sources des grandesthaumaturgies oublies en cette fin de l'Age noir qui s'annon-ait dj par la multiplication des schismes.Cette anne L547 oit il ftait sa vingtime anne marqua untournant dcisif de son existence : il ralisa soudain qu'il avaitpass la plus grande partie de sa jeunesse dans l'tude desciences qui taient, au mieux, le reflet lointain d'une connais-sance gare dans les labyrinthes de I'esprit aristotlicien.L'lite de l'esprit europen, laquelle il appartenait, se devait,au contraire, de dchirer le voile et de remonter aux sourcesmystrieuses d'une pense cosmique qui s'tait fragmenteavec la dcadence lie au temps. Il comprit qu'avec la magie,l'astrologie et l'alchimie, l'tude de la navigation, dans sesaspects les plus pratiques, lui permettrait d'unir son got desvoyages et de l'exploration celui de la plus exigeante spiri-tualit.C'est ainsi qu'en mai de l'anne 1547, peu aprs l'accessionau rne du roi Edward VI, le magister Dee quitta pour lapremire fois sa chre le, rpondant la lettre du gographeet astronome Gerard Mercator, qui I'invitait l'universit deLouvain, >. Aprs un voyagede quelques jours en bateau, sur lequel il exhiba malicieuse-ment son scarabe aux yeux des marins peu rassurs, il s'inscri-vit aux cours de Gemma Phrysius, dont la premire carte dumonde avait t publie deux dcades auparavnt ; rcem-ment, le grand cosmogrphe avait confectionn, avec l'aide de

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    Europe, et la renomme des ois savants tait devenue inter-nationale.A l'universit de Louvain, l'enseignement, dispens unique-ment en latin, attirait des tudiants de tous les pays, John Deey frtlaconnaissance de Johannes Caspar Myricaeus, orientalisteclbre, et de son ami et collgue Antonius Gogava. Dans celieu d'tudes vritablement universel, o Cornelius Agrippatait mort douze ans plus tt, le jeune et enthousiaste savantput enfin donner sa mesure et complter son savoir dj forttendu. Il s'inscrivit galement au Collegium trilingue, qticomprenait l'tude du grec, du latin et de l'hbreu ; celui qu'onappela bientt

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    desschs. Lamagie noire, elle, utilise des forces dmoniaques,et ceci des fins mauvaises ; elle repose, de plus, sur lasuperstition. Noue magie blanche, comme l'a dit mon illustreprdcesseur Cornelius Agrippa de Nettesheim, repose sur lescorrespondances invisibles entre le macrocosme et le micro-cosme. Mon ami Benedict Pererius, jsuite Valencia, vientde publier un livre sur la divination par les rves et par lascience des asres, o il soutient que la magie naturelle estla partie la plus noble des sciences physiques, de la mdecineet des mathmatiques. Nore grand Paracelse aurait-il parlautrement ? J'affirme, quant moi, qu'un chrtien a le droit,devant Dieu, de sonder ses rves et de pratiquer la magienaturelle, pourvu qu'il ait tudi ces sciences. >>John Dee fut agrablement surpris par ce discouts qui, enAngleterre, l'aurait assurment envoy finir ses jours la Tourde Londres, voire sous la hache du bourreau. D'ailleurs, l'Eglisecatholique, bien que condamnant la magie noire et la sorcelle-rie des campagnes, s'intressait vivement la magie naturelle :le magicien Pomponazzi, de Florence, expliquait ainsi tous lesphnomnes religieux, mme les miracles, par des efiets impu-tables ses influx, o les astres jouaient d'ailleurs un rleessentiel. Autour de lui, certains magiciens catholiques necraignaient pas d'identifier les prtiques religieuses aux pra-tiques magiques, s'appuyant sur la thaumaturgie de l'Egypteancienne ; on ssurait galement que de grands mystiquesmusulmans rvraient les femmes des pharaons l'gal desaintes catholiques.Paralllement ses tudes thoriques, Dee se mit pratiquerardemment l'alchimie, se fondant sur les crits des mareshermtiques fort nombreux la bibliothque de Louvain ;ce lui fut l'occasion de prendre conscience que s bibliothquepersonnelle reste Mortlake prsentait de nombreuseslacunes, bien qu'elle ft dj l'une des plus riches d'Angleterre,surtout dans le domaine de l'hermtisme. En plus de ces

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    dit-il, le droit civil dont il fut diplm, et d'oire un grosouvrage d'astrologie intitul Mercurius coelestis; enfin, deservir de tuteur Sir illiam Pickering qui il enseigna lalogique, l'arithmtique, la rhtorique et la gographie. Enmars 1550, il uivit dans son journal cette phrase qui devintpour lui la rgle d'or de sa vie : Il y avait maintenant deux ans que John Dee sjournait Louvain ; il y avait acquis une culture universelle et avaitprogress trs avant dans l'tude des sciences hermtiques guitaient devenues, pour lui, l'objet essentiel de sa qute : lesautres sciences n'avaient d'intrt que mises au service de laphilosophie, non celle d'Aristote, mais celle que l'on nommeaussi alchimie. La sagesse et la Pierre philosophale n'taientqu'une seule et mme chose. Comment un vrai savant aurait-ilpu se consacrer autre chose, ds lors qu'il avait compris cettesimple vrit ?Les amis, maffes ou disciples du ne s'ytaient pas tromps, qui lui avaient spontanment attribu cetitre, frapps par l'tendue de son savoir, mais surtout par laprofondeur de sa connaissance ; celle-ci, malgr sa ieunesse,lui donnait une maturit bien suprieure maints

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    comme une maffesse jalouse vous en veut d'ffe devenu plusgrand sans y avoir jou quelque rle. Pourtant, il rsolut decontinuer son priple de noble voygeur et magicien )>, aveccette opinitret mle de lenteur saturnienne qui caractrisaitsa nature de crabe cancrien.Tout naturellement, il fixa son choix sur Paris, sur le conseilde plusieurs de ses mames : l'universit )/ comprenait, luidit-on, quelque cinq milliers d'tudiants venus de toute lachrtient, et les cours, bien qu'un peu plus classiques, ytaient tout aussi brillants qu' Louvain. Peut-me mme, quisait, lui proposerait-on un poste intressant : les savantsanglais, gnralement si enracins dans leur le, taient fortpeu nombreux rendre hommage leurs collgues d'oure-Manche, et nul doute que le y seraitaccueilli avec enthousiasme.Quelques jouts aprs son vingt-roisime anniversaire, le jeuneDee quitta Louvain pour Paris en compagnie d'un jeunekabbaliste de Padoue, Flavio Biondo, et de sa sur, une beautbrune qui agrmenta fort le voyage en chaise de poste. Le20 juillet 1550, Dee arriva sur les bords de la Seine et, lemme jour, rendit visite Orontius Finaeus ou Oronce Fin,titulaite de la chaire de mathmatiques du Collge de France.Il put constater avec fiert que sa renomme l'avait prcden France, puisque, d'emble, le grand asmonome lui proposade faire une lecture libre et publique des Elments gom-triques, Mathmatic, Pbysic et Pythagoric d'Euclide, chosequi, souligna-t-il, n'avait encore t f.aite dans aucune univer-sit du monde chrtien.La confrence devait avoir lieu rois jours plus tard, au collgede Rheims, ptoche de la place Maubert. Dee mit profit cetemps libre pour se reposer des mois d'tudes ininterrompuesqu'il s'tait imposs Louvain, flnant dans Paris et rencon-trant quelques nouvelles connaissances dont ses mares luiavaient donn les adresses. I1 fut surpris par la libert de

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    les villes les plus dpraves de la Babylone italienne sonpeu de chose en regard de la pestilence de Paris, o NotreDame est devenue une putain de la pire espce : celle poulaquelle on ne peut gure employer que des no-r dpoissons >.John put vrifier, non sns quelque petit frisson secret, quedans cette ville o un noble comme le comte de Montautanvenait de fonder une tverne l'enseigne du Tpot des onzemille diables, les dames n'attendaient pas d'te seules avecvous dans un couloir pour velouter leurs regards ou remonterngligemment leur jrp. ; plus d'une fois, le timide er tacirurnejeune homme dut rsister la tentarion d'aborder une de cescharmantes cratures pour qui, semblait-il, les joies de l'amoun'taient pas ncessairement lies la monnaie sonnante etrbuchante. I1 se promit de remercier Vnus de ses bontsds qu'il en aurait termin avec cette lecture publique quipour l'instant, occupait tous ses esprits et lui donnait quelqueapprhension : comment allait agh ce public chevronn la rvlation d'Euclide, manigance, de surcrot, par un uan-ger qu'il n'avait encore jamais rru ? Certes, Oronce FinL'avait assur de sa protection et lui avait mme prdit unsuccs sans prcdent, une sorte de conscration. Mais JohnDee ne s'en sentait pas moins inquiet et, pour la premire foisdepuis des annes, doutait de lui avant de monter cette nou-velle marche vers la gloire et la renomme.Les acclamtions qui l'accueillirent ds son entre dans f im-mense amphithtre du collge de Rheims dissiprent imm-diatement son inquitude. Les auditeurs, pour la plupartbeaucoup plus gs que le jeune gnie, taient si nombreuxque toute l'cole ne pouvait les contenir et que des grappesentires d'tudiants de tous ges taient accroches auxfentres, dans l'espoir de voir tout au moins celui qu'ils nepourraient entendre. Cette fois, nul scarabe - une telleexhibition n'aurait d'ailleurs pas tonn un auditoire de cette

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    un discours de son cru. Ce fut, pour le mare de Mordake, unsecond baptme : pour la premire fois de sa carrire, il putdvoiler, en latin, devant un auditoire suspendu ses lvres,sa vision de la grandiose unit des sciences. 11 le fit avec unehardiesse et une grandeur de conception dignes de son mareCornelius Agrippa :

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    tution harmonieuse et microcosmique. Quant aux imagesextrieures, elles sont le sujet de la Zographie et de la Pein-ture, de Ia Sculpture et de l'Architecture (pour les glises, lesmaisons, les forts ou les navires). Pour ces dernires matires,minemment profitables au microcosme humain, lisez Viuuve,etle De Synzetria humani corporis, d'Albertus Durerus ; mais,avant tout, reportez-vous aux chapitres 27 et 28 du secondlivre de De occulta pbilosopbia. >>John Dee termina son discours pr un hommage la pense deCornelius Agrippa, qui fut accueilli par un concert d'applau-dissements dlirants, ponctu par les cris de >La confrence improvise, plus encore que la lecture d'Euclide,eut un retentissement sans prcdent Paris et, quelques joursplus tard, ie recteur de I'universit proposa au magister galloisle poste de lecteur du roi en mathmatiques, assomi d'unebourse mensuelle de deux cents couronnes. Malgr f impor-tance de l'ofire, John Dee refusa, en mme temps, d'ailleurs,qu'une proposition de servir M. de Monlac, ambassadeurfranais auprs du Grand Turc ; le renom du magicien enFrance tait devenu tel qu'on ne tarda pas l'appeler lenouvel Agrippa >> ; sa premire confrence fut suivie de plu-sieurs uffes, qui attirrent des matres de grand renom, pourla plupart effrays par les doctrines platoniciennes et herm-tiques telles qu'elles taient exposes en filigrane dans Deocculta pbilosophia, mais conquis par la synthse harmonieuseet grandiose que John Dee avait ralise entre les sciencesscolastiques et les rvlations venues en droite ligne desanciens mystres. C'est ainsi que John Dee rencontra Rancone-tus, clbre homme de loi, prsident du parlement de Paris ;Turnebus et Peter Ramus, son ennemi, un anti-aristotlicienfarouche. Mais surtout Guillaume Postel, professeur de math-matiques et de philosophie, orientaliste clbre, kabbaliste eteirnciste, qui rvait, comme John Dee dj, d'une religion

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    sciences et d'tudes analytiques qui recherchaient en vain leurunit. Un soir, Guillaume Postel dit John Dee une phrasequi devait jamais rester grave dans sa mmoire, dj, combien surcharge de dtails I mais prte l'illuminationsalvatrice : Les hommes serofit gaux lorsqu'ils seront irnrnor-tels. Autant dire jamais, pensa John Dee avec nostalgie, mais, un aure point de vue, ds maintenant, encore que la plupartd'entre eux ne le sauront jamais. Tout homme touche un jour l'ternit, ne serait-ce qu'au moment de sa mort, mais, ennos temps irrligieux, tout est fait pour qu'il n'en prenne pasconscience. Seul un eflort dmesur vers le haut, ou une grceprdestine, lui donnera cette facult de dpasser les appa-rences, d'unir ce que Dieu a uni, savoir la matire et I'esprit,artificieusement diviss par une pense sparauice influencepar le Diable et ses innombrables cohortes. , lui dclara Guillaume Postel.

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    divin macrocosme. Par leur nature mme, ils sont condamns la dgnrescence. Je vais vous confier une vrit capitaie:tous les palais sont de futures ruines. A rigoureusement par-ler, seul l'ermite est absolument lgitime, car il est au-dessusde la dchance du temps. L'homme a t cr seul, et il meurtseul. Il ne choisit ni I'instant de son incarnation en ce monde,ncessairement imparf ait, ni f instant o il le quitte. Entre lesdeux, il ne fait gure que traverser un certain nombre d'illu-sions. Son agitation est fonde sur l'oubli. Lorsque l'homme sesouvient, il meurt. C'est ce que les musulmans appellent ledikbr.' ce sont eux qui nous ont lgu ces sciences sublimesfaites pour que l'Homme, reflet du macrocosme, communieavec lui ; l'Homme n'est fait que pour se rappeler, se souve-nir, se rappeler ce qu'il fut lorsqu'il tait vraiment lemicrocosme du macrocosme. Mfiez-vous, Matre Dee.L'Homme est maintenant fier d'tre impuissant, de devenirl'instrument du Diable : il lui plat de prendre les sages pourdes fous et de se mettre ainsi, par un orgueil insens, laplace des dieux. Ecoutez-moi, Mare Dee, vous gui connaissezl'asmologie, la magie et I'alchimie, ces mois sciences vritablessans lesquelles il ne saurait y avoir d'homme en notre sicle :c'est l'oubli de la solitude en Dieu - Allah pour nos frresmusulmans .-, d. cette communion selon la Terre avec lesmesures selon le Ciel, qui entrane toutes les dchanceshumaines ainsi que toutes les calamits terresues. Rejeterles cadres traditionnels cause des abus humains revient admettre que les fondateurs de religions ne savaient ps cequ'ils faisaient. Peut-me ne le savaient-ils pas, mais alors ilstaient d'autant plus un insrument des dieux, ces dieux quinous ont abandonns parce que nous prfrons couper unefleur en morceaux plutt que de la regarder [...]. Matre Dee,je vous admire, i'ai foi en vous : r{ugiez-vous en Dieu avant

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    catholiques, gu le Mare tait devenu secrtement infi-dle >>, c'est--dire musulman : rcontr qui faisait sourirecet esprit suprieur toutes les divisions artificielles d'unepense sclrose. Convaincu de l'unit profonde des religions,il n'avait cure qu'on lui appost telle ou telle tiquette ext-rieure. Form, comme John Dee, l'cole parallle et secrtede la connaissance hermtique. Guillaume Postel faisaitpartie, ainsi que quelques alltres esprits europens qui par-laient dj d'unir la rose et la croix, de cette lite trop peunombreuse, hlas I singulirement en Angleteme o lesschismes inspirs par le Diable commenaient leurs ravges...C'est essentiellement pour cette raison que John avait dcidde refuser le poste de lecteur lui propos par Oronce Fin :dj bien affaiblie par les malfices d'une pense basse etmesquine, l'Angleterre avait besoin d'un esprit tel que lesien, d'un aigle capable de survoler un paysage dchir par lestaupes et les loups. Aussi tait-ce sans hsiter qu'il avaitdcid de renoncer aux attraits d'une existence assure mat-riellement ; loin de son cher pays o l'attendaient peut-trede dures preuves - car il n'en avait gure reu beaucoupd'encouragements depuis son dpart -, il avait toujours eul'impression d'tre un exil. Cet exil frit-il dor, il lui prf-rait dcidment le courage de rester un Gallois fier de sesancres et de lui-mme : n'tait-il pas devenu, aprs sesnombreux succs acadmiques, le plus grand hermtisted'Angleterre ? Certes, il aurait compter, ds son retour,avec l'hostilit plus ou moins franche de courtisans servilesagglutins autour d'un toi qu'on lui avait dpeint commestupide et mchant. Mais quoi qu'il en frit prsentementde 1'1e Britannique, de cette Impratrice de la Mer dont iIavait j:;r de devenir le timonier secret, son devoir tait dela rejoindre, mme et surtout lorsque la tempte s'annonait.

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    Montpellier, de Cologne, d'Heidelberg, de Strasbourg, deVrone, de Padoue, de Bologne, d'Urbino, de Rome, enfin.Il n'avait que vingt-quatre ans et parlait d'gal gal avec lesplus grands esprits du monde occidental ; dans son Mercuriuscoelestis, il avait expos que Mercure tait Ie divin messager, lesymbole de la divine raison des choses : il lui restait mainte-nant en tmoigner dans le pays qui en tait le plus loign :le sien.Dans l'intervalle, John avait crit quatre autres livres : TheArt ol Logic, paru en 1547, Tbe Thirteen Sophisticall Falla-cies, part en 1548, tous deux en anglais i puis, en 1550, deuxlivres en latin qu'il avait prudemment ddicacs au jeune roiCharles YI: De usi globi coelestis et nubiuru, solis, lunaeac reliquorilrn planetarilm, etc., envoys Sir John Cheke,tuteur du roi et ancien professeur au collge de Cambridge.Le rsultat fut immdiat : ds son retour Londres, John futinform par Sir Cecil, seotaire du roi, que lui tait alloueune pension annuelle de cent couronnes, accorde par SaMajest. Ce n'tait 1 que la moiti de la somme qu'on luiavait propose Paris, mais iI avait prvu cette lgre dcep-tion qui ne l'affecta gure : de plus, on lui octroyait les recto-rats d'Upton-upon-Severn, dans le comt du '\X/orcester, et deLong Leadenham, dans le comt de Lincoln. Ce dernier, nonIoin du camp antique de Caractacus, d'o la tour rose d'Upton,environne par les marais de Beacon Hill, tait visible quandles brouillards ne nimbaient pas I'ensemble du comt de leurhalo verdue, englobait Ia magnifique cathdrale gothiquede l/orcester, dont les deux flches fantomatiques mergeaientdes miasmes marcageux comme, dans une chasse, les per-viers jaillissent d'une clameur sourde de chiens et de rompes,mouills par la rose du matin. Malgr l'humeur morose duroi Edward, la vie de la campagne tait fort gaie, plus que les

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    quoi l'on dnait devant des tables charges de venaisons, devins dlicats, des fruits les plus rares. Ensuite, les couplesamoureux dansaient aux flambeaux ou s'garaient sous la ver-dure o il sacrifiaient un dieu antique qui n'tait ni catho-lique ni protestant.On y mouvait volontiers des tableaux champtres dignes decelui peint par le Titien, Vnus se rcrant par la musique, ois,Vnus reprsente l'me encore occupe par la teme, et que lamusique sacre, peut-tre la prire, tente de ravir au Ciel.Vnus y est tendue sur une de ces couches dsordonnes quePtrarque appelle un champ de bataille. Un petit chien appuieses pattes conme elle. Il vient de la rveiller. I1 lui rappelle lesplaisirs de la gourmandise, de la promenade et diverses aurresjouissances. Par une baie grande ouverte, on voit un parc l'anglaise, en quinconces, et une ville, au loin, sur une mon-tagne borde d'un fleuve ; plus prs, au milieu d'une pelouse,est un jet d'eau lanc par un satyre. A la vasque de la fon-taine s'accroche un paon qui vient s'y dsaltrer. Peut-rereprsentait-il la vanit du sicle qui s'abreuve la luxure, sedit John.C'est la requte de la duchesse de Northumberland qu'ilavait dig ses deux derniers raits, dont l'un tait consacrau flux et au reflux, considrs d'un point de vue astrologique ;Dee, en mme temps, essaya de sparer l'enseignement libredes mathmatiques des associations diaboliques qui avaientcours chez les rudits anglais empreints de puritanisme. C'estainsi que, peu peu, il acquit une influence dterminante ausein de la famille ducale. C'est pour cette raison qu'il refusale poste de lecteur en sciences mathmatiques qui lui fut pro-pos l'universit d'Oxford.Le mari de la duchesse, beau-pre de Lady Jane Grey, n'taitpas seulement un politicien ambitieux, mais aussi un hommetrs cultiv, ami de Lord Ascham. Particulirement intress

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    Philosopbical and Political Occasions and Names ol theHeaaenly Asterisrnes. Certes, John discernait dj, derrirel'enthousiasme superficiel de son lve, une attitude mentaletrs diffrente de la sienne, plus attache aux faits scientifiquesen tant que tels. Conmairement Lord Ascham, scolastiqueenrag et grand ami de Dudley, John Dee se sentait beaucoupplus proche de Pic de La Mirandole, qui avait rpondu unechatge similaire du scolaste Ermolao Barbo en ces termes:>Pareil en cela Pic de La Mirandole, Dee tait alors arriv un palier important de son existence : la vadt et l'enver-gure de son ceuvre taient uniques en son pays. En plus desdiverses mtires dont il s'tait imprgn l'universit de Lou-vain, il tait devenu le meilleur gographe et thoticien de lanavigation dans son pays : non seulement il avait fait progres-ser d'un bond prodigieux les recherches concernant la route duple par le mystrieux pays de Cathay, la Chine lointaine, maisil avait invent, avec l'aide d'Humphrey Cole, plusieurs ins-truments de mathmatiques et de navigation qui rendaient degrands services aux savants et aux artisans anglais. I1 avaitrectifi les etreurs des scolastes et crit, en marge du clbrelivre de navigation de Peter Peregrinius : Il a tort de sup-poser que l'aiguille cherche le ple clestiel ; en fait, ellecherche le ple magntique. >> Aucun domaine n'avait chapp ses investigations et la prolixit de sa plume qui allaient dela consuuction des bateaux jusqu' l'optique et la mdecine.En L552, John Dee, grand lecteur de Paracelse, fit Iaconnaissance de Jrme Cardan, le clbre physicien de

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    dont la sant ne laissait pas d'inquiter ; il falait bien l'in-conscience d'un puritain pour s'enqurir des prdictionsasrologiques d'un ncromancien, mais John Dee s'tait accou-tum ces mariages d'irraison : doutant de soi, chacuncherchait chez l'autre ce qui lui manquait. .|ohn dut d'ailleursreconnatre que l'horoscope dress par Cardan rvlait unmare de l'art : son jugement fut la fois nuanc et vri-dique, et son verdict sans dtour : la sant du jeune roi taitfort menace et, moins d'une intervention divine, le pire tait craindre.En priv, Jrme Cardan avoua au matre de Mortlake qu'iltait bien d'accord avec ses prvisions les plus sombres : vrai dire, les jours du roi taient compts. Mais le grandhermtiste italien n'ignorait pas les dangers d'une trop grandefranchise, mme venant de la part d'un hte tranger.Dee et Cardan devinrent trs vite d'excellents amis : ce dernierencouragea le descendant de Roderick le Grand persisterdans ses tudes d'occultisme malgr les rumeurs qui commen-aient grandir la cour. Le mdecin de Padoue tait aussiun clairvoyant qui pratiquait la divination et avait des rvesprophtiques, et il prdit John une priode d'affrontementavec le pouvoir officiel : le jeune roi allait mourir et, la suitede troubles politiques, John aurait subir des revers.Profitant de son influence croissante la cour, le jeune Dees'tait mis dresser les horoscopes des personnages les plusimportants. Le L2 octobre L952, il civit dans son d'asmologue : Puis, >Cardan avait quitt l'Angleterre depuis deux semaines et ils'avra bientt que, comme d'habitude, cet ange de la mortavait f.ait son office : le l) octobre, le jeune roi mourut dans

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    par les ennemis des Northumberland, de loin suprieurs ennombre. Le duc de Northumberland, grand ami de John Dee,fut mis mort r en coupant la tte de ce protestant fantique,Mary Tudor mettait la couronne sur ia sienne.Au dbut de l'anne L553,la nouvelle reine, que les protes-tants appelaient la Mduse aux cheveux roux )>, fit savoirau premier astologue du royaume qu'elle >.John Dee pens un instant que sa dernire heure tait venue.Puis, soudain, il se rappela qu' \X/oodstock tait demiemprisonne une rs pure licorne qui, peut-tre, dtenait laclef de son salut : c'tait la sur de la reine Mary,la princesseElisabeth.

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    G-\Prospero e,uR le conseil prudent de son ami Sir Tilliam Cecil, Johnaccepta l'honneur que lui {aisait la nouvelle reine auxcheveux roux, bien qu'il n'prouvt pour elle que rpul-sion et mpris : n'avait-elle pas proclam rageusement, dsson accession au trne, que, chaque anne, quaffe-vingt-dixpersonnes choisies au hasard seraient excutes, simplementpour leurs convictions protestantes ? John Dee pensa qu'ilvalait mieux endormir la mfiance de cette Gorgone ux yeuxverts et la face mange pat la petite vrole, ce Scorpion mar-qu par de trs nfastes configurations asuales ; il prouvamme un plaisir trouble lui prdire un long et glorieux rgne,sous la houlette de Jupiter, alors qu'un terrible car de Mars,avec une conjonction de la Lune et de Saturne) ne laissaientgure prsager que des vnements sinisues ; vec un hotos-cope aussi mauvais, il tait permis d'esprer que le jour o la

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    semaine, comme il l'avait touiours fait depuis son enfanceil lui faudrait aussi surueiller ses propos ; pour lui, les protes-tants n'taient que des chrtiens gars. Mais, pour la reineet pour la cour, ils taient des ., suppts du Diable > et deshrtiques bons pour le bricher.Les astrologues, songea-t-il, avaient dcidment une grandesupriorit sur les illusues personnages dont ils tudiaienl'horoscope : ils en savaient plus qu'eux sur eux-mmes et surleur propre destin. Encore fallait-il le leur cacher avec art ene leur dvoiler la vrit qu' ravers un prisme de mensonges,de mme qu'un peintre voit son tableau achev, l o lesspectateurs ne voient encore qu'une suite de petites touches.Ce prodigieux sens de l'Invisible, qui permettit au magiciende sonder la vie et l're profond des plus grands personnages partir d'un simple dessin o figurait une dizaine de plantes,tait un grand atout, mais aussi un grand poids. Que desecrets garder, de vrits dguiser ! Il tait prfrabled'avoir l'air moins bon astrologue et moins bon devin qu'onne l'tait. Mais cette facult, que I'Eglise avait avec quelqueraison stigmatise comme diabolique, n'tait pas sans grandsavantages condition que le devin st demeurer un matre dusecret. Elle lui vitait de perdre du temps. Au vu du thmeastral de la reine Mary, John sut immdiatement qu'il n'auraitpas en perdre beaucoup avec elle.I1 semblait en e tout aurrement de sa sur, la princesseElisabeth. L'horoscope de la jeune femme, que Sir \X/illiamCecil avait communiqu secrtement au matre de Mortlake,rvlait un personnage promis un grand destin ; John futpersuad qu'Elisabeth tait la future reine qui arracheraitl'Angleterre la nuit o elle baignait prsent. Celle qu'onappelait la Vierge de Toodstock >> tait ne sous le signequi porte ce nom ; son scendant dans le signe du Sagittaire,de feu exalt par la conjonction avec Jupiter, tait le signe

  • 7/22/2019 Waldstein Arnold - John Dee Le Sorcier de La Reine Elisabeth

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    mire nation en Europe. Son Soleil, pour couronner cethoroscope prdestin, se mouvait sur l'image gyptienne duzodiaque traduite en ces termes : Jupiter,quant lui, trnait sur le degr suivant :

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    phnomnes dans le ciel : mtores, toiles filantes, et descascades tombant d'un rocher. >> En L533,l'anne de la nais-sance d'Elisabeth, une comte avait fendu le ciel de Londres,attira.nt les prdictions apocalyptiques de nombreux mages ;quelques-uns seulement y avaient vu un signe bnfique, li la naissance d'une future grande reine.Iohn Dee fut submerg de joie par l'tude de cet horoscopeexceptionnel, o il discernait vritablement l'incarnation d'uninstant du ciel dans un principe royal destin donner l'An-gleteme une grandeur sns prcdent dans son histoire. Dslors, il n'eut de cesse de rencontrer celle que dj, en son forintrieur, il appelait avec ferveur

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    Et le vieux libertin, qui se moquait en priv de la religion,ajouta, pour calmer l'agitation croissante de son jeune ami :.. Croyez-moi, magister Dee, Elisabeth est vierge comme jesuis catholique. >>Sir Cecil raconta John ce que plus personne n'ignorait lacour, mais que lui, jeune savant l'cart des inrigues et despassions, ne savait pas encore: l'ge de quinze ans, alorsqu'il tait Louvain, la princesse Elisabeth avait eu une liaisonavec un homme indigne, son oncle Thomas Seymour; sonvoyage travers la vie avait commenc, comme bien desvoyages, par de violentes secousses la sortie du port.Henri VIII, son pre, morr quand elle avait treize ans, avaittoujours t domin par quelque personnalit plus forte etplus quilibre que la sienne. Tout d'abord, pendant lespremires annes heureuses de sa vie, il avait t soutenu parson admirable femme, Catherine d'Aragon, belle Flamande etvraie fille de la maison de Bourgogne. Puis i7 avait subi l'in-fluence autoritaire de olsey, aprs le despotisme mprisantd'Anne Boleyn.Si Henry avait toujours t en tutelle, Elisabeth, au contraire,ne supportait pas d'tre gouverne. Elle avait peine rois ansquand son pre fit dcapiter sa mre Anne. Ds qu'elle avaitt en ge de penser et de sentit, ce fut dans une atmosphrede meuttre et de ragdie. Femme quinze ans pr les grcesde son oncle, elle fit montre, trs ieune, d'une grande habiletpolitique ; elle poussait l'hypocrisie, dclarait Sir Cecil, jusqu'jouer le rle de puritaine malgr son mpris pour ceux qu'ellenommait sarcstiquement

  • 7/22/2019 Waldstein Arnold - John Dee Le Sorcier de La Reine Elisabeth

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    vibrant. Elle parlait couramment plusieurs langues europennes, plus le grec, le latin, et mme l'hbreu. Dans unlette au savant allemand Sturm, connu sous le nom de Sturmius, son prcepteur principal, Lord Roger Ascham, avaappel la princesse

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    appui la cour. John n'ignorait pas que Sir 7illiam Ceciltait toujours prt abandonner ceux qui tombent, aussiavait-il dcid de ne pas tomber. L o la malice et le manquede scrupules portaient leuts fruits, il esprait que la probit,le mpris pour les intrigues politiques et l'attachement desvaleurs spirituelles suprieures aux affaires du monde lui assu-reraient une position inbranlable ; alors que les courtisanshabiles taient en de de la mle, il se considrait au-dessusd'elle : un thaumaturge n'avait pas se fourvoyer dans desmandres et choisir entre plusieurs emeurs qui, mmeadditionnes, ne faisaient pas une vrit. Il avait toujours l'esprit la mise en garde du grand Oronce Fin conte lescompromissions avec un monde dchu dans un dcor de faade,dans une architecture qui se vantait avec inconscience d'tre en

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    resplendissante entoure d'un halo vert, Elle tait accompagneede deux nymphes et s'appelait elle-mme la Dame du Lac.Elle tavetsa un pont au-dessus de l'eau, orn de sept piliersde chaque ct, montrant leur sommet des oiseaux en cage,des fruits dans des vases d'argent, du vin dans des vases d'or,des poissons dans des boules de crital creuses. et des instru-ments de musique varis. De l'autre ct se mouvait le chteaufort de la Beaut, constuit en bois comme un thtre demarionnettes et assig par les quatre Enfants du Dsir, deschevaliers arms de canons de bois. Auprs des chevaliers taient deux artilleurs habills decramoisi et un enseigne dployant un drapeau porteur d'uneinscription en une criture mystrieuse. Dans une trancheroulante tait camoufl un orchestre de merveilleux musiciensqui assigeaient la Beaut de leurs accords. Venait ensuite le comte d'Arundel, dans une armure orne-mente, avec des carapaons richement brods, suivi de quatrepages cheval et de vingt gentilshommes. Tous portaient desmanteaux courts et des culottes de velours pourpre, des pour-points de satin blanc, des chapeaux de velours carlate avecdes bandes d'or, des plumes d'or, et des bas de soie jaune. Puisun jeune page s'approcha du balcon o la reine tait assise etlui fit savoir qu'un assaut allait tre donn par les Enfants duDsir au chteau fort de la Beaut. De la musique fut joue, etdeux pomes furent chants par les pages, l'un priant Elisabethde se rendre, l'autre excitant les chevaliers la bravoure.>> Puis les deux canons retentirent. L'un tait charg de poudresuave, l'autre d'eau parfume, et les dtonations eurent uncho dans la mlodie qui sortait de la ranche. On mit alorsdes chelles pour monter l'assaut, et les valets de piedenvoyrent des fleurs contre les murs. Un feu d'artificecommena, illuminant la scne de couleurs semblables ce quenos matres hermtiques appellent la "Queue du Paon".>> Interdit, j'tais rest au milieu du pont. De l'aume ct du

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    bleutre, surnaturelle. Je traversai le pont, et les fantmesvinrent ma rencontre. Mais je n'prouvai aucune frayeur ; lesignorant, je montai dans une barque choue au milieu desroseaux et, contournant le chteau, je me dirigeai vers lalumire bleue, voguant parmi des cygnes. Les bruits de iafte s'estomprent ; bientt un silence absolu rgna utour demoi. Je n'entendais plus que la musique des sphres. Au fil duruisseau qui longeait un chemin, apparut une conue dsole,inhospitalire, sns ge. A ma droite, une paisse fort ; magauche, un haut talus sillonn de sentiers abrupts et couvertdes ruines fumantes de demeures aux formes les plus uanges :rotondes, parvis efiondrs, temples ventrs d'o mergeaientdes colonnes surmontes de statues l'aspect inquitant : onet dit des mes humains soudain ptifis par quelquedmiurge fou. Sur une des places, qui figurait un gigantesquechiquier de marbre dont chaque dalle tait une case, despersonnages irrels, vtus de loques qui avaient t autrefoisde splendides habits, erraient, les yeux vides, s'ignorant lesuns les auffes, marchant sans but, dans un silence o vibraientsourdement d'invisibles influx. Je fus saisi d'une terreur sansnom. Je voulus faire demi-tour et me retournai, mais le feud'artifice ainsi que le chteau avaient disparu. Soudain, je vis apparatre en haut de la coiline un personngequi semblait uiaant; il descendait lentement vers le chemin.Son apparence contrastait avec celle des demi-spectres qui han-taient la ville morte : de haute stature, 11 tait vtu d'unelongue robe noire et portait un chapeau en forme de cne,galement noir. Son visage tait noble, gtave, avec des yeuxd'aigle sous des sourcils pais. Il avait une longue barbeblanche. Derrire lui apparut un aure homme, plus jeune, d'ap-parence plus joviale, portant le mme habit et le mme chapeaude magicien, et en outre, sur sa poitrine, une grosse chanedore, laquelle pendait un norme mdaillon. Suivaient deux

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    La lune fut masque par un nuage, et une obscurit presquetotale s'ajouta as silence qui planait ; seule, la lumirebleuue qui manait de l'horizon clairait la progression dupetit groupe. Enfin, le vieil homme fut prs de moi, sa suiterestant quelque distance. Je fus surpris par la beaut et lanoblesse de son visage : il semblait, en vrit, comme le dcorqui l'avait vu surgir, tre au-del du temps. Je lui demandaiqui il tait, d'o il venait. D'une voix sans ge, un peu voile,il me rpondit : "Je viens du royaume d'Hcate, situ au-deldes mers, l o les hommes jouent aux checs avec l'Ange. Mamamesse est la lumire noire. Je suis un homme libre. -ais quel est votre nom ?", lui dis-je alors. I1 me rpondit:"Mon nom est John Dee." John ajouta en marge de son rcit : >Ce songe prophtique, par lequel John avait pass la barriredu temps et communiqu avec son double, dissipa ses dernireshsitations ; malgr le risque que reprsentait une renconreavec Elisabeth, il irait voir cet stre naissant : s'il avait putraverser les mailles du filet dans l'Invisible, tell'alchimiste quiatteint l'essentiel travers la matire, il pourrait sans nul doutechapper au rseau d'espions qui entourait la princesse dans sarsidence de oodstock. D'ailleurs, le Ciel lui accorda unsigne supplmentaire. Sa cousine, Blanche Parry, qui avait tenuElisabeth dans ses bras, tait prsentement la dame d'honneuret la confidente de la princesse ; John connaissait depuislongtemps son mari, le chasseur royal James Parry. Grce cesbraves gens, il put envoyer plusieurs messges la jeunelicorne prisonnire : il lui dit qu'il craignait pour sa vie,qu'elle devait re trs prudente et qu'elle rgnerait un joursur l'Angleterre. Il encouragea son intrt pour l'astrologie et

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    John prescrivit aussi sa jeune lve, que son signe astrolo-gique prdisposait une sant dlicate - elle soufirait dj degraves troubles du foie -, l'ulili5ation d'herbes mdicinalesplantes aurefois par les Romains et qui poussaient encore lelong des murailles d'Hadrian. Mais, surtout, il veilla chezElisabeth une passion pour I'asmonomie en lui faisant parvenirdeux prsents vritablement royaux : un astrolabe pour lanavigation consruit par le grand Germinius de Leyde, avec unecarte mobile de vingt-neuf toiles en or fin ; et un astrolabeasmologique - o les plantes taient diverses pieres pr.cieuses - que le magicien avait rapport de Louvain en mmetemps que deux magnifiques globes terrestres, les plus beauxd'Europe, confectionns par son ami Mercator. John y joignitune longue lettre se terminant pr ces mots :

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    envoyer l'horoscope de sa rivale politique, avec ses proprescommentaires et d'abondantes comparaisons entre les cartes duciel des deux surs ennemies.C'tait la premire fois que norre magicien, si prudent etsi secret d'ordinaire toutes ses tudes hermtiquesn'taient-elles pas rdiges en langage cryptogrphique, et laplupart non publieS -, prenait des risques ; il jugea que,mme si cet acte de foi pouvait lui nuire dans l'immdiat, ilne manquerait pas de lui valoir de la reconnaissance le jour ola princesse deviendrait la reine Elisabeth ; contrairement Sir illiam Cecil, vieux sceptique qui se contentait de jouersur tous les tableaux, John tait persuad de l'avnementproche de la princesse : non seulement les astres l'indiquaientclairement, mais, pour John Dee le magicien, il ne pouvait entre autrement dans l'aume monde : il tait impossible que leroyaume de l'Engelland - de la Terre des Anges - restt auxmains d'une sorcire fanatique et dprave, empoisonne len-tement par sa propre bile, alors qu' \X/oodstock, non loin dela rivite Dee, sa jeune sur, incarnation d'un principe divinet dj royal, tremblait pour sa vie et pour l'avenir de l'An-gleterre.Dans quelques jours, le Soleil allait entrer dans le signe duBlier, lequel, selon les alchimistes, concide avec le dbut del'CEuvre, qui libre des forces de cration vulcaniennes ana-logues au rveil de la nature. Pour John, le moment tait venude frapper : l'hermtiste aussi plante son pe en tere, maisdans le domaine du subtil. Il tait temps qu'enue les deuxplateaux d'une balance dsquilibre, qui avaient pour nomsMary et Elisabeth Tudor, le plus grand asrologue de la Terredes Anges dresst le flau qui rtablirait l'quilibre. Les rglesde la science des astres enseignaient que la reine Mary mour-rait au plus tard dans trois ans, quand le Nud Sud de la Lune,ou Queue du Dragon ,balaieruit son Soleil natal dans la MaisonVIII, ou Maison de la mort. Ainsi, les rouages implacables

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    Dee temercia le Ciel qui lui avait donn la facult de lire dansles astres : Dieu veuille qu'il n'erit pas s'en repentir !Sur le jeu d'checs en jaspe orn de pierres prcieuses qu'ilavait rcemment reu en cadeau de Sir Philip Sidney, et quitrnait u centre de la grande salle de l'Ours Noir dans sademeure de Mortlake, John avana la Reine d'une case.Puis il prit sa plume et se mit crire un long commentairedes horoscopes, en omettant, bien srfr, de faire toute prdic-tion : les agents de l'actuelle reine taient partout et la moindreparole contre elle aurait signifi un arrt de mort. Aprs tout,il ne faisait, pour le reste, que jouer le rle attendu du premiersavnt et magicien du royaume, pensionn pat la reine etconseiller des plus grands d'Angleterre.Pourtnt, la fougue juvnile de John Dee lui avait faitcommettre 1 une grave erreur. La reine Mary hassait sa sceuret n'attendait que l'occasion de la mettre en prison. Ce futparadoxalement son nouveu protecteur qui lui donna lesmeilleures armes contre elle. Le jour mme de Ia visite deJohn Dee la princesse Elisabeth, des rumeurs se propa-grent, selon lesquelles le magicien L'avait envoirte. Deuxinformateurs redoutables, Ferry, un espion de Mary, et Pri-deaux, auditeur d'Elisabeth, accusrent aussi John d'avoirvoulu attenter la vie de la reine par le poison et la magienoire. Quelques jours plus tard, le 28 mai de cette anne 1555,le Conseil ptiv ordonna Sir Francis Englefelde, garde desSceaux, de procder I'arrestation d'

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    comte de Leicester, le duc et la duchesse de Northumberland,Sir Philip Sidney et, enfin, Sir Francis \X/alsingham, une nou-velle connaissance trs influente dans les coulisses de l'Etat,dont la demeure de Barn Elms se trouvait dans la lande, unelieue de Mortlake.John se flicita d'avoir pris l'habitude de rdiger toutes sesrecherches secrtes en langage chiffr. Les sbires des jsuites,qui fouillrent ses ppartements de Londres et de Mortlake, nepurent rien trouver de compromettant, en tout cas rien qu'ilsne pussent comprendre. La dcouverte de nombreux horos-copes de grands personnages les incitrent, au contaire, plusde prudence. L'illusre magicien bnficiant de hautes protec-tions, les accusateurs retirrent immdiatement la charge dehaute trahison retenue contre lui. D'autre part, John Dee nenia pas avoir rendu visite la sur de la reine \Toodstock,mais il n'y avait l aucun crime ; rien que matire soupons.L'enqute fut remise entre les mains des thologiens ; John futemprisonn Hampton Court, en compgnie d'un hommeprofondment religieux du nom de Batthlet Green, suspectd'hrsie, qui partagea sa paillasse. II se prit d'amiti pour cemalheureux fru d'hermtisme, et sa captivit lui parut moinslongue. Bientt, il apprit que la princesse Elisabeth avait temprisonne dans le mme btiment, sur l'ordre de la reine.On craignait pour sa vie.John uaversa une priode de dsespoir. Il pensa aux sombresprdictions de Jrme Cardan, le corbeau qui disait vrai. Pourcomble de malheur, Barthlet Green fut brl sur le bricherquelques iours aprs, hurlant dans les flammes que la reineMary tait l'Antchrist et qu'elle mourrait bientt de la peste.Le lendemain, l'vque de Londres, Edmund Bonner, chrtienfanatique, apprut dans sa cellule, ccompagn d'un docteur enthologie. Ils rclamrent John Dee ses secrets, le menaant

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    ring, comte de l7arwick, et Richard Chancellor, astronome etnavigateur . A des mences plus graves, il se contenta derpondre : Je suis hors d'atteinte. Vous n'tes que les chiensde garde du pape ; moi, je suis magicien et catholique. Puis, les jours qui suivirent, l'orthodoxie religieuse de JohnDee fut dbattue devant la Chambre de thologie prside parl'vque Bonner. John avait repris confiance dans son horos-cope de l'heure : Jupiter formait un aspect favorable avec untransit de Mercure dans le signe de la Balance dvolu tradi-tionnellement la Justice. Aprs trois jours de dlibrations huis clos, il fut acquitt et l'vque conclut le jugement parces paroles : >C'est le 29 aot que John fut libr, uois mois aprs sonamestation. La reine Mary elle-mme reconnut qu'aucunecharge prcise ne pouvait tre retenue contre lui et qu'elle tes-tait favorablement dispose son gard. Bien qu'il pt diffi-cilement cacher son aversion pour les perscutions dont elleaccablait les protestants sous f influence de son poux, Phi-lippe II d'Espagne, John Dee informa prudemment la reinede son profond attachement envers la foi catholique et lareligion rvle l'humanit souffrante par Notre SeigneurJsus-Christ. Que Dieu bnisse le royaume de l'Engelland etsa gtacieuse reine... >C'est avec une joie assombrie par l'emprisonnement prolongde la princesse Elisabeth que John rerouva son domaine deMortlake, qui abritait maintenant l'une des plus riches biblio-thques hermtiques d'Europe, ainsi que d'innombrablesinsmuments de navigation et d'astronomie. Sir \Walsingham lerssura bientt : la princesse tait fort bien traite Hampton

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    Age prsent de vingt-deux ans, elle tait doue d'un talenprodigieux de discernement des mes, qu'elle illustrait volon-tiers en dcernant des surnoms ux membres les plus intimesde son entourage. Ainsi, Sir \Walsingham lui-mme tait sa lande - Sir Moor -, Sir Burghley son Au loin, les palais s'taient effacs. Les prisonsaussi.Dsormais, il serait un mate du secret.

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    L'Impratrice fi,de la Mer -Ue iour-l,

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    la veille, Cranmer, l'archevque de Canterbury, tait montsur le bcher pour avoir tent, dans son Common Prayer Book,

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    de Greenwich un lion, un ours et un cheval. Le cheval, aprsavoir considr les deux fauves vec inquitude, se mit brou-ter tranquillement entre eux. Deux chiens furent alors lchs,qui se prcipitrent sur le cheval ; ils l'auraient bientt tu, sides chiens ours n'taient entts et n'avaient secouru le chevalen chassant les chiens ordinaires, tandis que le lion et l'oursles regardaient sans bouger. Mais, quoique l'ours fut tird'afrafte,la reine ordonna qu'il ft offert aux chiens dans unearne. Le pote de cour John Lyly en fit une plaisante fablequi fit bientt le tour du royaume.Elisabeth avait t accoutume voir ces combats d'animauxds son enfance et les aimait utant que sa sur, ce qui nemanquait pas de consterner son digne prcepteur, LordAscham, dont la seule passion tait d'enseigner le grec, le latinet la philosophie d'Aristote ; sir \X/alter en dduisait avecmalice qu'il valait mieux re la victime des ours que celle duvnrable puritain. Mais, pour l'heure, la princesse n'avaitgure beaucoup d'occasions de se divertir ; elle menait une viefort sage la tour d'Hampton Court, partgent son tempsentre l'astronomie, la navigation thorique, l'tude deslangues, le rouet et les tarots de Bologne. Elle recevait denombreuses visites, mais toujours en ptsence d'espions de SaGracieuse Majest ; aussi, John Dee, insruit par l'exprience,avait-il dcid d'attendre des jours meilleurs pour revoir sajeune et brillante lve. Plong, Mortlake, dans l'tude del'alchimie arabe, il lui avait envoy une lettre o il citait delongs extraits de Djabir ibn Hayyn, dit Geber, auteur dutrait L'Aigle des Pbilosopbes par le Feu :

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    dans l'Infini. Mais il faut de longs efforts pour obtenir cetlixir qui transporte subitement de l'occident de l'Ignorance l'orient du Savoir, ransforme la nuit obscure en jour lumi-neux, conduit aux sources de l'Approche et de la Certitudecelui qui est gr dans les dserts de l'loignement et faitentrer les mortiers aux Jardins de l'Immortalit ! O monfrre ! les mystres de la nouvelle Vie, de la Rsurrection, duProphtisme, vous les voyez maintenant sans aucun voile travers ces diffrentes applications, compltes, suffisantes etinattaquables ! Que Dieu, par son invisible confirmation, vousfasse dpouiller l'ancien vtement et vous accorde la nouvelleet immortelle parure I ,John, dans son enthousiasme, avait rajout en bas de la page,mais en un langage secret que seule la princesse comprenait :., Et puisse-t-il, noble er respecte princesse, vous accorder lanouvelle et immortelle parure d'Impratrice du Vaisseau phi-losophal de l'Engelland ! ,,Depuis sa libration, le magicien s'tait rconcili avec l'vqueBonner, qui lui avait demand ses conseils d'astologue etl'avait encoutag publier ses travux sur Copernic et Euclide.Dee, craignant un pige, avait prtext un retard dans sestudes et s'tait content, pour asseoir son rle de savantofficiel de la cour, d'adresser la reine une ptition pour lacration d'une Bibliothque royale. Ses visites sur le conti-nent, o il avait pu admirer de splendides bibliothques,l'avaient persuad de la ncessit de cette cration en Angle-terre ; depuis son retour, 1l avait assist la desruction detrsors sans prix et de milliers de livres et manuscrits imem-plaables, la suite de la dissolution des monastres qu'onavait brls par dizaines. Dans sa ptition, John Dee deman-dait la constitution d'une commission charge de rassemblerles livres et mnuscrits pars ou cachs dans le royaurne, Ies-quels seraient recopis par des clercs ; de plus, il se chargerait

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    Bien qu'il ne ft pas le premier Anglais encourager ia fonda-tion d'une Bibliothque royale - en 1536,I'antiquaire JohnLeland avait fait la mme demande Thomas f,1sm'rsll-,a requte fut repousse pat la reine, les puritains qui l'entou-raient ayat avDc que c'tait un prtexte pour inuoduire desouvrages httiques en Angleterre. John ne fut pas tonn decette rponse ; comme son prdcesseur Leland, il avait djpris ses dispositions en constituant secrtement, grce unrseau d'informateurs efficaces, Ia plus riche bibliothquehermtique d'Europe dans sa proprit de Mortlake. Sa passiondes livres tait telle qu'il fit bien souvent des dettes pour pou-voir s'en procurer, bien que, pendant cette priode de perscu-tions, on pt racheter des bibliothques entires pour unebouche de pain. Il engagea mme un clerc pour recopier sespropres manuscrits qui commenaient se multiplier, sans qu'ilenvisaget toutefois de les publier.Dans la dbcle spirituelle qui accablait l'Angleterre, sa meil-leure consolation restait sa nombreuse correspondance avec

    des savants et des magiciens du continent.En 1557, John Feildpublia des phmrides astrologiques sous le tire A Reuisionof the PruntenicTablets ot' Rheinhold. ; John Dee tdigea pourcet ouvrage une prface o, pour la premire fois, il citait lesastronomes Copernic et Reticus, dclarant que les anciennestables astronomiques n'taient plus valables, ccusant, parexemple, une erreur de douze ou teize degrs pour les posi-tions de Mercure ; il assurait aussi que les comtes rcentes,aperues au dbut du sicle, se trouvaient bien au-del de lalune et non en de.La mme anne, il crivit aussi un trait sur les instrumentsd'astronomie, un trait d'optique et un trait sur les teuils.Dans son Libri mysteriorum, il dmonrait que de puissantsmiroirs, consuuits spcialement sous l'influence de conjonc-tions asrales dtermines par lui, pouvaient tre utiiiss pour

  • 7/22/2019 Waldstein Arnold - John Dee Le Sorcier de La Reine Elisabeth

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    proiet dans l'espace une vitesse suprieure celle de lalumire setait en mesure de rvler l'homme rous les vne-ments du pass par un phnomne de rflexion. Enfin, il yassurait que le monde tait constiru d'une multitude de plansd'existences occupnt le mme espace, mals sans interfrenceentre eux.Ces thories provoqurent dans son propre pays une leve deboucliers de la part des scolastes d'Oxford ; il fut trait de[ou, d'ignorant, et son nom f.tt ruy du livre d'or du collge.Cet accueil rserv son livre dissuada dfinitivement le magis-ter de Mortlake de publier quoi que ce soit tant que MaryTudor serait sur le mne. Paralllement, persuad que Dieuexistait dans .Dans sa Zograpbie, parue galement en 1517, John Deecomparait le monde une lyre dont un dmiurge pouvait ais-ment tirer de nouvelles harmonies. Toutes chose", crit-il, sontlies entre elles par des relations de sympathie et d'antipathie ;des influx spirituels et naturels manent d'elles, impressionnantles sens ainsi que la lumire,

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    mitaculeuse, mais sujette des lois, Dieu et la Cration seulstant miraculeux.Pareil au crabe cancrien dans sa coquille, John s'tait enti-rement retir des affaires publiques, attendant, selon un pro-verbe chinois qu'il aimait tout particulirement, >. Dans les coulisses d'unthtre politique transform pour l'heure en jeu de massacre,il restait nanmoins en contact troit avec les fidles de laprincesse Elisabeth, spcialement Sir Cecil et Blanche Parry. Iln'ignorait pas que, au handicap de sa sant dclinante, la reineMary avait ajout une grave emeur, celle d'avoir pousPhilippe II d'Espagne non par amour, mais par souci d'allianceavec la maison des Habsbourg ; cette manuvre maladroiteavait contraint la France se mettre dans le clan des ennemisdes Tudor. La reine n'tait plus qu'un pion secondaire surI'chiquier de la dynastie des empereurs allemands. Le peuplegrondait sourdement contre la double domination de Rome etde l'Espagne.Sentant sa fin approcher, la

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    je suis compltement innocente et tout fait sincre t...l.Jene sollicite qu'un seul mot de rponse de Votre Majest. Votresujette la plus fidle, qui l'a touiours t et le sera jusqu' smort. Elisabeth.La reine Mary ne rpondit pas. Trois jours avant Nol, par untriste et pluvieux dimanche, deux lords vinrent chercher Elisabeth Hampton Court. Du moins avait-elle gagn quelquetemps. La princesse fut loge dans la partie appele la Tour dla Cloche qui, d'un ct, donnait pic sur la rivire et, dl'autre, s'ouvrait sur le pr o Anne Boleyn avait t dcapitePlusieurs personnes de sa suite se logrent tout prs de l'enceinte de la Tour , prparunt ses repas et les lui faisant porte leurs propres frais, Les membres de la famille Dudley qun'avaient pas pri avec la malheureuse Lady Jane Gtey - donle rgne avait dur cinq jours - taient toujours prisonniersdans un donjon adjacent. Parmi eux figurait Robert Dudleylve brillant de John Dee ; le magicien lui-mme, mort d'inquitude, s'tait install dans ses appartements de Londtes,deux pas de Hampton Court, au bord de la Tamise. De l, ipouvait atteindre la Tour de'Testminster en bateau. L'emprisonnement de la princesse fut aggtav par une srie de mesurevexatoires et d'accusations injustes qui assombrirent son sjoudans cette sinistre gele ; elle eut mme subir plusieursintemogatoires destins l'intimider, mais elle subit les assautdes juges sans faiblir. Depuis l'instant o elle avait franchi lafameuse Grille des Tratres > qui donnait accs la terrifiante fortefesse, elle avait jur de se venger de sa sceur. Dureste) les tracasseries dont elle fut l'objet lui valurent deupartisans de plus : le vieux comte d'Arundel, qui la dfendiavec acharnement, et le comte de Sussex, qui avait port sletue la reine.

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    fut trs en colre quand elle apprit cet incident. A l'tonne-ment gnral, elle rsolut alors de protger Elisabeth conteses ennemis et lui fit quitter immdiatement la Tour.La princesse crut que sa dernire heure tait venue lorsqu'unchevalier jeune et beau qu'elle ne connaissait pas, Sir HenryBedingfield, vint la chercher pour l'emmener, dit-il, , ccompagn d'une dizaine de soldats. Mais cen'tait pas l'Ange de la Mort. On la conduisit, de nuir, enbarque, jusqu' Toodstock. C'est avec soulagement que lajeune fille, puise, remouva le vieux manoir abandonn,quelque peu tomb en dcrpitude. Dans ce lieu mlancoliqueo son pre Henry VIII avait abrit ses amours de jeunesse,elle ne se sentait plus prisonnire, mais simplement l'cart.Pourtant, elle craignait toujours pour sa vie, sursautant augalop d'un cheval ; et avec raison, car Mary la Sanglante,qui avait maintenant sombr dans une demi-folie, venait defaire brler vifs les aumniers Latimer et Ridley, huit milles peine de Toodstock. De plus, la reine se coyait toujoursenceinte, alors que les mdecins l'avaient depuis longtempsdclare strile ; bientt, Philippe II lui-mme rendit visite Elisabeth et il s'efiora de rconcilier les deux suts.Mary Tudor entra en enfer le 17 novembre 1558, aprs s'rerconcilie in extrentis avec Ia future reine et murmur sondernier : Dona nobis pacem. A l'annonce de la nouvelle, lespremiers mots d'Elisabeth furent galement en latin : A Domi-no lactunt est istud, dit-elle, debout, telle une druidesse sousun chne anglais, et est mirabile oculis nostris. Elle venaitd'avoir vingt-cinq ans et resplendissait d'une beaut fire deVierge du Moyen Age. Ds l'instant o elle se sentit reine, elleabandonna ses vtements de nonne et apparut au mondecomme un papillon sortant d'un cocon. Sept annes de ciliceset de cendres, qui avaient suivi une enfance dchire et soli-taire, lui avaient forg une me d'airain. Dsormais, elle se

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    longue attente, fut aussitt appel la Tour, o Elisabeth, reve-nue en grande pompe sur un navire pavois dont la proue figu-rait un norme monsffe marin, avait proclam : .Enfin, son plus grand vu tait d'tre, paralllement, le prin-cipal instigateur des conqutes de la Couronne outre-mer ; lejeune marin et asmonome Richard Chancellor venait d'trenomm chef d'une expdition polaire dont le but secret taitd'ordre mystique ; pour son collgue et ami, John Dee avaitconstruit spcialement un quadrant gant, capable de capterdes vues du soleil pour de nouvelles tables de dclinaison

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    il mditait aussi d'organiser d'autres voyages la dcouvertede nouvelles temes, surtout des les susceptibles d'acqurir uneimportance smatgique. Ainsi deviendrait-il, dans l'Invisible,l'Empereur de la Mer,le Matre de la Teme Vette, complmentmystique d'une reine appele un si grand destin : leurs pla-ntes conjointes dans les signes du Cancer et des Poissons, enmigone mutuel, ne rvlaient-elles pas qu'Elisabeth et luiaccompliraient de grandes choses dans ce domaine et dansd'autres, parallles, marqus en commun par la mystrieuseplante Neptune ?Ce fut un grand jour pour John Dee. Aprs des annes de luttedans l'obscurit, l'avnement d'une reine qui l'honorait de sonamiti et de sa protection lui permettait enfin de raliser sesplus grands tves et d'accder au rle de conseiller secretauquel il se savait prdestin ; ds ce jour, il devenait le plemystique du royaume, la boussole du vaisseau de l'Engellanddont l'Angleterre n'tait que le reflet dans le monde visible ;certes, il n'ignorait pas que ses ennemis, des courtisans jalouxpour la plupart, essaieraient de minimiser l'importance de sonrle sous prtexte qu'il agissait dans l'Invisible. Mais de cetteapprente faiblesse, il ferait sa force : ignorant les plans sup-rieurs du macrocosme, ces gens en taient d'autant plus lesmarionnettes. Leur stupidit ne faisait que confirmer l'exis-tence de sphres qui se protgeaient ainsi conre toute inmu-sion malsaine. Simplement, John arrait se mfier desintigues de ces aveugles sur le plan o ils s'agitaient.Il eut s'en rendre compte plus tt qu'il ne pensait. Un matin,toute la cour et le Conseil priv furent mis en moi par ladcouverte, dans le quartier de Lincoln's Inn Fields, d'uneimage de cire l'effigie de la reine, perce d'une aiguille depin ; Ia veille, Elisabeth s'tait justement alite, atteinte d'unefluxion de poiuine. Le docteur Dee fut mand immdiatement

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    Anthony Fortescue, membre d'une illustre famille catholiqueet ennemi farouche du favori de la reine, le comte de Leicester.Robert Dudley tait, par malheur, un ancien lve et un excel-lent ami de John Dee, et le magicien fut accus d'avoir perp-u cet acte de magie noire. Ne l'avait-on pas aperu rcem-ment, par une nuit de pleine lune, procder des rituels dencromancie sous les arbres centenaires de Mortlake ? Quant Leicester, nombreux taient les ennemis de cet homme soli-taire, mystrieux et d'une ambition sans bornes, que le nragis-ter Dee tenait pourtant en haute estime. Dans ses fameusesLettres, le puritain Howell l'avait accus

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    royaume d'Angleterre en ravaillant dns votre demeure deMortlake qu'en vous mlant ces gentilshommes fats et vani-teux qui ne rvent que de ma mort pour prendre lna place.Allez, mon ami, et dites-moi si je vivrai longtemps. Scrutezles astres, voquez les morts, appelez les anges, dcouvrezde nouvelles terres, consmuisez de nouvelles merveilles pournos marins, mais, de par Dieu, dfiez-vous des faquins de macour ! Bientt, j'espre vous rendre visite pour admirer votrebibliothque et votre cabinet de curiosits Mortlake.Prparcz l'Impratice de la Mer, enferme vie dans son Palais desMirages, une sutprise digne de ses rves d'enfant. Et sachezqu'elle n'oubliera jamais l'asrologue qui lui apprit son des-tin de reine. >>De ce jour, John comprit que la reine dsirait qu'il restt ptoximit d'elle, mais l'cart des inrigues des courtisans.A la suite de cette entrevue qui le remplit de ristesse, il dlais-sa ses apprtements de Londres, qu'il n'avait plus quittsdepuis l'emprisonnement d'Elisabeth, pour retourner Mort-lake. Une fois de plus, il quittait les remous de la scnepublique pour se retirer dans le calme studieux de sa demeure ;au village de Mortlake, situ une demi-lieue de son manoir,il descendit du carrosse, que la reine avait mis sa disposition,pour se restaurer ; l'aubergiste, un gros homme qui avait serviThomas Cranmer avant qu'il ne montt sur le bcher, apprit John que, pendant sa longue absence, Ia population, excitepar quelques agents la solde de ses ennemis, avait tentd'entrer dans le parc de sa ptoprit pour la saccager et larduire en cendres, aux cris de : Seule, f intervention de la milice, envoye en hte par LordKendrick, ancien lord-maire de Greenwich et ami de John,avait pu viter le pire. Quand John atteignit la haute grille

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    la Nature et de la magie, prparant ainsi sa prochaine appari-tion sur la scne du monde. Rassur de voir son matre deretour, le jardinier, un vieil homme au visage parchemin quavait aid John dans ses expriences de spagyrie, ouvrit la grilleen l'accueillant d'un profond salut. Sur le perron de sdemeure, John mit pied terre sous le regard attentif des deuxlions de pieme couronns de mousse. La vitre jaune et vio-lette de l'entre, aux petits carreaux bords de plomb, avaitt brise, mais tout taitintact l'intrieur.

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    retable et son dais seigneurial aux armes de l'ancien mamede Mortlake - une tte d'ours surmonte d'une hache, surfond de gueules. La chemine tait orne d'une iconostasepermettant de circuler, invisible, derrire elle. Le logis dumatre de maison tait situ l'est ; l'ouest taient lesserviteurs et les offices, cuisine, celliers, boulangerie et curies.Contrairement la plupart des demeures du comt, la porterien'tait pas rige dans 1'avant-cour, mais faisait partie int-grante du corps principal, se projetant en saillie de manireoriginale.Cette architecture en trompe-l'il confrait au manoir deMortlake un calme quilibre, un air de certitude et de majest,auquel s'ajoutait le mystre apport par les pports italiensintroduits pat John et qui avaient provoqu la vertueuseindignation de Sir Roger Ascham : larmiers pour souli-gner la division en tages, corniches en encorbellement sousle toit, pilasres encadrant les baies principales.Dans cette demeure fruste l'otigine, o matres et domes-tiques avaient cohabit sur le jonc, non loin des btes, Johns'tait ingni multiplier Ie mystre : niches, recoins d'ombre,lourdes tentures, couloirs labyrinthiques doubls pfi unegalerie balustres faisant le tour de presque toute la maison,avaient fait s'exclamer Sir Ascham :

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    chambres contigus situes sous le toit, tait inaccessible auxprofanes. Du reste, il l'appelait sa ou,encore, son . Le plafond tant assez bas, Johnl'