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 Anne-Marie Loffler-Laurian Vulgarisation scientifique : formulation, reformulation, traduction In: Langue française. N°64, 1984. pp. 109-125. Citer ce document / Cite this document : Loffler-Laurian Anne-Marie. Vulgarisation scientifique : formulation, reformulation, traduction. In: Langue française. N°64, 1984. pp. 109-125. doi : 10.3406/lfr.1984.5208 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lfr_0023-8368_1984_num_64_1_5208

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Anne-Marie Loffler-Laurian

Vulgarisation scientifique : formulation, reformulation, traductionIn: Langue française. N°64, 1984. pp. 109-125.

Citer ce document / Cite this document :

Loffler-Laurian Anne-Marie. Vulgarisation scientifique : formulation, reformulation, traduction. In: Langue française. N°64, 1984.

pp. 109-125.

doi : 10.3406/lfr.1984.5208

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Anne-Marie Loffler-LaurianCNRS, ParisCELDA, Paris XIII

VULGARISATION SCIENTIFIQUE :

FORMULATION, REFORM ULATION, TRADUCTION

(...)La lumière, ce n'est pas de la matière!Mais si , justement ! Pour le physicien c'est de la matière, uneorme de la matière. Et c'est à 1 étude de ces diverses formes quee consacre la physique. Autrefois, le mot « matière » désignait pour'essentiel les substances solides, celles qu'on peut toucher. Maisn a dû étendre le sens du mot pour englober les fluides, y comprises vapeurs et gaz impalpables, lorsque l'investigation physique aévélé leurs transformations mutuelles et montré que c'étaient bienes mêmes atomes et molécules, de la même matière première, queont constitués tous ces corps. (...)

— (...) Si tout ça est aussi élémentaire et peu mystérieux, pourquoidiable utilisez-vous des mots aussi trompeurs? Ce ne sont quandmême pas les journalistes qu i ont inventé le terme ď « antimatière, mais bien les physiciens! Comment vous indigner, après,qu'il soit aussi mal compris? (...) Vous prenez de bons vieux mots,familiers à la bouche et à l'oreille, leur faites subir on ne saitquelles horribles manipulations conceptuelles et quand, les repérant dans votre discours, nous croyons reconnaître de vieux amis,vous vous gaussez de nous ! Mais ayez au moins l'honnêteté de nouslaisser la langue quotidienne, et inventez vos propres mots! S'ilsnous plaisent et nous les comprenons, nous les utiliserons bien.(...)

J.-M. Levy-Lebi.ono, L'esprit de sel,Antimatière à réflexion », pp. 144-145.

Introduction

La démarche de nomination a probablement été Tune des premièresdémarches scientifiques de l'esprit humain. Nommer les objets, c'est lesclasser. Les classer selon des traits distinctifs en groupes ou ensemblesorganisés, cela signifie structurer ces objets, et par voie de conséquencestructurer le monde auquel ils appartiennent et qui entoure l'individu.Toute tentative, réussie ou échouée, de classification et de hiérarchisationest une étape dans la démarche scientifique. L'autre étape essentielle estconstituée par le processus de définition. C'est lu i qui permet le consensuset la diffusion des objets ou notions dénommés.

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Au commencement, le chercheur scientifique n'a pas dit : « que celasoit », mais il a dit : « ceci est ». Il a décrit l'existence d'un objet (cf. valeurde être : exister). Il en a décrit également certaines caractéristiques, etil s'est attaché à étudier les fonctions des objets.

Objet matériel, objet intellectuel, les modalités d'approche sont semblables. Aujourd'hui la science produit des instruments de plus en plussophistiqués, de plus en plus précis vers l'infiniment petit comme versl'infiniment grand. On peut faire de la macrosémantique ou de la macroanalyse des discours en s'aidant d'un télescope. On peut également fairede la microstructure orthographique, componentielle, en s'aidant dumicroscope à balayage électronique ou d'un programme d'indexationautomatique.

Décrire des phénomènes linguistiques en monolinguisme, c'est unpeu comme observer le ciel à travers un prisme à résultante monochromatique. ela fournit des informations, et permet certaines applications.Mais il nous semble qu'on pourrait augmenter l'eflFcacité des analyses

en filtrant non plus en monolinguisme mais en plurilinguisme, à savoiren utilisant une méthode contrastive dans laquelle deux langues interviennent. Le même type d'analyse pourrait être utilisé en contrastantdeux niveaux de langue.

Nous présentons ici quelques traits caractéristiques des discours devulgarisation scientifique français analysés par le filtre de la traduction.Les exemples sont tirés de l'article « The Causes of Color » de Kurt Nassau,paru dans Scientific American en octobre 1980 (pp. 124-154) et en traduction française dans Pour la Science en décembre 1980 (pp. 66-81). Laversion publiée est une traduction humaine, conventionnelle; nous nousréférons aussi à la traduction automatique de ces deux textes effectuée à

titre expérimental sur SYSTRAN, à Luxembourg en 1982 *.

La reformulation comme phénomène conceptuel

et linguistique

Si l'on admet que l'objet de la science est la description aussi justeque possible du monde environnant l'homme, et de l'homme lui-même,alors on conçoit une science descriptive et explicative, qui, par le truchement du langage et du graphisme va transformer, « reformuler », lesobjets matériels en objets langagiers ou picturaux.

Mais on peut fort bien estimer que le monde environnant ne prendsa forme connue de nous que par le biais du langage qui nous sert à ledécrire. Notre « formulation » — mise en formules, qu'elles soient langagières, chimiques ou autrement symboliques — octroie sa « vérité » aufait, à l'objet. Un objet ne pourrait être scientifique s'il n'y avait deschercheurs, des ingénieurs, des techniciens, pour le transformer en objetscientifique.

1. Qu'il nous soit permis de remercier ici les responsables pour le développement et les applicationsde la traduction automatique de la Commission des Communautés Européennes qu i nous ont permiscette expérience.

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En se plaçant dans un cadre plus large que le cadre strict de lalangue — auquel nous reviendrons par la suite — il est possible de penserque toute science est un phénomène du type « traduction ». En effet ils'agit de traduire d'un langage dans un autre.

La reformulation est un processus permanent du cerveau humain.L'homme n'apprend, ne s'exprime, et n'agit que sur la base de quantitésinnombrables de reformulations successives. Celles-ci lui permettent desapproximations successives qui lui permettront à leur tour d'approcherune certaine vérité. C'est une certaine image de « vérité » que donne lascience ou le langage scientifique.

L'enfant qui apprend à parler reformule — en imitant aussi mal quebien — ce que ses parents ou ses éducateurs lu i disent. C'est ainsi qu'ilfonde une vision systématique du monde, un embryon de vision scientifique. La langue qu'il est en train d'apprendre lui permet de structurerles objets qui l'entourent. Un même mot va désigner plusieurs choses ouplusieurs états de la matière, dans une langue (ex. « neige » /v/ { n, n,

n... } en esquimau), et il en faudra plusieurs pour conceptualiser etdésigner ce qui ailleurs ne porte qu'un nom (ex. { crabe, homard, crevette... } /v/1 n en hongrois). C'est lié à la civilisation. C'est aussi lié àla structure que l'on a mentalement incorporée pour décrire les objetsdu monde matériel. Il y a eu reformulation d'un monde matériel en unmonde langagier.

De même, le chercheur scientifique, avant d'acquérir sa propre visiondes objets qui l'entourent, a appris à reconnaître celle des autres, àmanipuler celle de ses maîtres. Il a « fait ses classes » dans la pensée deses prédécesseurs. Même si l'histoire des sciences n'est plus (ou pas encore)enseignée, même si elle est considérée comme une discipline historique

ou philosophique plutôt qu'une discipline scientifique, les sciences, leurenseignement, les méthodes utilisées, sont assises sur les siècles passés.L'héritage est présent, qu'on le veuille ou non. Chacun des maîtres a étélui-même formé par un plus ancien, la chaîne est continue. En sciencescomme ailleurs, le génie s'appuie sur les génies du passé. L'innovateurs'appuie sur les innovations, et les méthodologies d'innovation, du passé,que ce soit par imitation ou par réaction.

La science, alors même qu'elle semble créer son propre langage, esttoujours définissable par rapport à une antériorité. Aussi la formulationn'est-elle, d'une certaine façon, que reformulation. Celle-ci est directe,indirecte, coaxiale, ou inversée; elle est parallèle ou sécante, tangente ou

perpendiculaire..., mais toujours inscrite dans une continuité.La dénomination d'un nouveau minéral découvert se fonde sur descritères ou des moyens préexistants : d'après le nom du découvreur,d'après le lieu de la découverte, d'après la composition chimique, parexemple. La formulation de la structure chimique ou des caractéristiquesoptiques de ce nouveau minéral se fonde sur les acquis de la chimie, del'optique, de la physique. Entre le symbolisme chimique (formule conciseou graphisme à deux dimensions) et le développement linguistique decette même formule, il y a un rapport de traduction entre langage despécialistes et langage destiné à des profanes ou à des apprenants.

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C'est une traduction monolingue du type du passage du texte spécialisé au texte vulgarisé, pour autant que ces deux textes puissent comportera même information, un message identique. A notre sens, entre lespécialisé et le vulgarisé il y a un « traduttore-tradittore » comme il yen a un entre la langue Ll et la langue L2. Tandis qu'entre la formuleet son expression complète, il y a une relation de niveau de langue àniveau de langue (semblable à la relation entre métro et métropolitain,entre ciné et cinéma, ou entre un jambon beurre et un sandwich au jambonsur pain beurré).

Reformuler une donnée, c'est en quelque sorte se l'approprier. Onne connaît bien un objet mécanique que si l'on sait le démonter et leremonter. On ne possède bien que ce que l'on sait exprimer avec sespropres mots, dans son propre langage. C'est ainsi que la vulgarisationscientifique livre à l'appropriation du lecteur des objets de connaissancequ'il lui faut reformuler.

La reformulation manifeste une conceptualisation seconde. En ce

sens, les formulations-reformulations, comme les formulations-traductions,ermettent d'observer un jeu de variations. Les observations linguistiques caractérisent des discours où le factuel domine mais où lelinguistique est obligatoire.

L'article paru dans Scientific American sous le titre « The causes ofcolor » et dans Pour la Science sous le titre « L'origine de la couleur »est exemplaire de la manière dont les thèmes sont abordés. Les différences, qui ne tiennent pas seulement aux contraintes de l'anglais ouaux contraintes du français, manifestent soit une « échappée » du traducteur, soit son obéissance à des règles ou des usages bien ancrés.

Mettre en contraste les deux textes permet d'apporter un éclairage

nouveau sur les particularités du français. De plus, la traduction automatique donne à réfléchir sur le caractère nécessaire ou aléatoire desformulations.

Traduction-reformulation du titre

Le titre anglais et le titre français diffèrent sensiblement : The causesof color /v/ L'origine de la couleur. On voit le lien conceptuel entre origineet causes : un cheminement vers l'antériorité des phénomènes. Mais tandis que causes semble rester très près (temporellement) du phénomène,

origine semble s'en éloigner davantage : on remonte davantage dans letemps avec ce terme. Causes évoque un moteur, un déclencheur, alorsqu'origine renvoie à une chaîne. Le traducteur n'a pas donné causes enfrançais d'une part certainement parce que cela lu i aurait paru un calque- et les calques sont déontologiquement interdits -, et d'autre part sûrement parce que cela aurait semblé un peu léger pour un contenu scientifique. Il est en effet admis qu'on ne cherche pas le « pourquoi » deschoses mais leur « comment ». Or, le « pourquoi » renvoie à la cause, le« comment » renvoie à l'origine. Ainsi le titre français apparaît-il plusprofond que le titre anglais.

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La traduction automatique donne : « Les causes de la couleur. » C'estune traduction exacte et correcte. Mais par la valeur du lexeme, ainsique par le pluriel (qui ôte un effet généralisant et globalisant), elle semblemoins « scientifique » que la traduction humaine.

Formulation de présentation et de définition

En vulgarisation scientifique, peut-être encore plus qu'ailleurs, l'auteur tient compte de son lectorat, et s'il n'en tient pas compte, le rédacteuren chef de la revue où l'article doit paraître en tiendra compte. Cecisignifie que les articles commencent en général par un exposé des notionsfondamentales du domaine scientifique concerné, un rappel des principales définitions de concepts utibs à la compréhension du contenu del'article 2.

Dans les articles d'autres niveaux 3 de spécialité que la vulgarisation

scientifique, en particulier aux niveaux de haute spécialité ou au niveaudidactique, les définitions sont également posées d'entrée de jeu. Dansles discours de type académique, cela est courant aussi, parce qu'il existeune tendance à s'approcher du style spécialisé ou du style didactique. Auniveau des textes de type administratif, il semble, au contraire, que celasoit assez mal compris par le lecteur qui a l'impression qu'on le prendpour un ignorant, ce qu'il ne peut pas être, ne serait-ce que par obligationprofessionnelle.

La présentation des notions ou des termes de spécialité se fait engénéral au moyen de définitions. Nous avons dans notre article typologique paru dans les Études de Linguistique appliqué, n° 51 , dressé untableau des différents types de définitions utilisées dans les discours scientifiques. Nous en rappelons ici les grandes lignes 4.

1. La dénomination est une formulation double où deux élémentssont linguistiquement mis côte à côte et où l'un des éléments apporteun supplément d'information par rapport à l'autre — quel que soit l'ordredans lequel ils apparaissent. La dénomination passe par les verbes de lacatégorie « appeler » : appeler, désigner, dénommer, dire, etc. L'un deséléments est souvent en italiques ou entre guillemets. Des mots d'empruntà d'autres langues que le français peuvent être traduits.

Ex. Cettephase d'initialisation s'appelle

le « bootstrap »(ou

«chausse-pied

»).(dans Les Sciences, encyclopédie alpha, n°" 182-183, sept. 1977.)

Nous tiendrons compte de ces particularités en dénommant l'axe et

2. Compréhension technique bien entendu, et non compréhension idéologique ou politique : onfait comme si l'article scientifique n'avait pour vocation que la transmission ou la diffusion des connaissances t non l'ambition de placer son auteur, ou les théories exposées par l'auteur dans une problématique plus générale, dans un ensemble en lutte, avec des visées précises que seuls ceux qu i connaissentdéjà la question pourront sentir ou saisir.

3. Cf. typologie des niveaux de discours scientifiques dans notre article : * Typologie des discoursscientifiques, deux approches», dans Études de Linguistique appliquée, n° 51, sept. 1983.

4. Notons que cette typologie a été appliquée par Françoise Algardy dans son rapport d'étude« Définitions et problèmes de définitions dans un discours de vulgarisation scientifique » pour le muséedes Sciences et des Techniques de La Villette, mars 1984.

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son plan normal respectivement axe et plan ď « association » (in ClaudeGoux, « Étude de la structure et des propriétés des joints de grains à l'aidedes bicristaux orientés en aluminium pur », dans Mémoires scientifiquesRevue de Métallurgie, LVIII, n° 9, 1961).

2. Inequivalence est établie en général par le verbe dit copule être.Certains signes de ponctuation tels la parenthèse ou les deux pointspeuvent jouer le même rôle.

Ex. Les macles d'indices faibles sont des bicristaux dont aucun angle dedésorientation n'est petit (Cl. Goux, idem).(...)l'union au hasard des individus (panmixie), l'union d'individus apparentés (consanguinité), l'union d'individus qui se ressemblent (homogamie)(dans Jean-Michel Goux, « Gènes et population », Science et Vie, hors série,° 120, sept. 1977).

Unjeu

de verbesest possible, dans la

catégorie de «être

» :

êtreconsidéré comme, consister en/à, sans mentionner sembler et paraître qui,de fait, sont peu employés dans les discours scientifiques. (On affirme desdonnées, des théories, voire des hypothèses qui, le temps de la démonstration, sont considérées comme vérités.)

3. La caractérisation est aussi une forme de description ou de définition. Elle peut apparaître sous la forme d'adjectivations nominales -

adjectifs ou propositions relatives —, parfois sous la forme de complémentations d'énoncé (il y a peu d'adjectivations verbales dans les discoursscientifiques).

Ex. (...) un réseau С (dit à bases centrées) dont la maille définie précédemmentles faces (a, b) centrées. (P. Bariand, F. Cesbron, J. Geoffroy, LesMinéraux, t. 1, éd. Minéraux et Fossiles, 1977).Un axe est d'ordre q si l'angle de rotation est égal à 2 71 /q. (idem).

Les formulations de type « on dit que... si (et seulement si...) » ou« X est dit... si... » sont à la fois définitoires et caractérisantes et l'on peutestimer que la caractéristique attribuée à l'objet fait partie de sa définition.

Ces caractéristiques peuvent également apparaître en phrases isolées,indépendantes : un premier énoncé indique une caractéristique, un second

énoncé indique de quel objet il s'agit.4. L'analyse en éléments plus petits permet aussi la description d'unobjet. Sa présentation, sa définition, passent par sa décomposition enéléments.

Ex. Un bicristal est composé de deux individus cristallins Cl et C2 de mêmenature, accolés suivant une face que nous supposerons toujours plane, (dansCl. Goux, idem).

Ce type de définition analytique peut se présenter de façon inversée :

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Ex. Au total, 5 paramètres sont nécessaires pour définir les positions relativesdes réseaux dans un bicristal. (idem).

Être constitué de, se composer de,... sont les formulations caractéristiques de ce groupe de définitions. Elles se trouvent beaucoup dans les

discours pédagogiques.5. Enfin, dernier cas type, la présentation d'un objet se fait par lemoyen de sa fonction, de la finalité ou de l'usage de l'objet.

Ex. (...) en 1980 Edouard Branly découvre le « cohéreur » permettant dedétecter ces ondes électromagnétiques, (dans Les Sciences, encyclopédie alpha,idem).

Peut-on estimer que la définition participe de la formulation deprésentation ou de la reformulation?

En donnant une définition, on pose une identité entre le défini etle définissant. La différence entre les deux termes est dans l'image quel'auteur se fait du lecteur. Ce que l'on a besoin de définir n'est pas clairou connu pour le lecteur. Celui-ci a besoin d'une définition pour conceptualiser ce qui est défini. Sinon, il se trouve face à un mot vide. Ladéfinition emplit ce vide, comme la présentation d'une personne, endonnant son nom, sa profession, sa fonction, etc., de façon plus ou moinsdétaillée selon qu'on se trouve dans une soirée mondaine ou dans unroman psychologique, permet de préciser l'idée qu'on a de cette personne,ou de combler un manque. Dans cette situation, les mots de présentationtentent de formuler un concentré de caractéristiques utiles. De même,la présentation ou définition de notions ou d'objets en début d'articlescientifique donne ce que l'auteur pense être utile au lecteur pour engagerune « conversation » avec lui. Il s'agit d'établir les bases d'un terraincommun entre les interlocuteurs ou entre l'auteur et le lecteur.

Ce terrain commun, de fait, est fondé sur une illusion : l'illusionqu'on peut, en science, réexprimer les choses de plusieurs façons différentes. Ce n'est pas le cas. Les données scientifiques sont élaborées dansun langage unique, qui leur est adapté, qui souvent est créé pour ledomaine même. Toute reformulation écarte le message de sa significationpremière.

Pourtant ce langage propre n'est pas un code secret. C'est même ce

qui donne l'espoir de pénétrer le code par une traduction en langagecommun. Cette traduction est possible, dans une certaine mesure, envulgarisation, en didactique.

Tout comme la traduction de Proust en anglais n'est pas du Proustet celle de Joyce en français n'est pas du Joyce, la transformation d'unmessage spécialisé en message vulgarisé n'opère pas une transformationd'un objet en lui-même. Cela produit quelque chose d'approchant, deparfois même assez ressemblant, pouvant donner ou fournir des informations ponctuelles identiques (p. ex. les informations chiffrées, en elles-mêmes toujours identiques,... mais au fond, tirées de leur contexte-source),ces informations ont-elles toujours la même portée?

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Dans ces conditions, la traduction de langue à langue produit-elleune information scientifique comparable? identique? équivalente?

Les formulations en langue 1 et en langue 2 s'appuient-elles sur lesmêmes procédés linguistiques dans les mêmes situations? La présentationest-elle analogue en anglais et en français?

Si les procédés linguistiques sont différents, est-ce que cela dénoteune différence profonde dans la manière d'appréhender les objets? oubien est-ce dû à des contraintes linguistiques? Ces contraintes sont-ellesau niveau de la langue ou du discours? au niveau du type de discours?

En paraphrasant notre corpus, disons qu'il ne sera pas répondu àtoutes ces questions. Sera présentée ci-dessous une analyse des premièresphrases d'un article de vulgarisation scientifique, ces phrases portant lecontenu défmitoire de base des concepts sur la couleur des gemmes. Laméthode contrastive fait apparaître des divergences majeures en ce quiconcerne :

— la nominalisation (plus importante en français),

— la dépersonnalisation/repersonnalisation de l'énoncé, (du passif, formenon personnelle, plus important en anglais, aux formes semi-personnellesn on, il c(e) et personnelles avec sujet nous),

— la formulation et l'ordre des constituants dans la phrase (actance oucirconstance, et place des circonstants),

— les relateurs logiques (ajout d'éléments logiques en français), leur position dans la phrase.

Formulation du thème de Particle

Comment commence un article de vulgarisation scientifique?Fondamentalement, les types d'entrées en matière sont :

— la référence à des travaux antérieurs et la situation dans une continuité;— la référence à quelque nouvelle découverte, qui pousse l'auteur à fournir

au lecteur un approfondissement de la matière;— la référence à une situation externe, non scientifique, et à laquelle

l'auteur va fournir un arrière-plan scientifique permettant au lecteurde mieux apprécier cette situation;

— la « question vive » comme disent les promoteurs de la nouvelle Encyclopédie, le thème qui « questionne » le lecteur potentiel.

L'article de Kurt Nassau introduit son sujet par des questions directesau lecteur :

What makes the ruby red? Why is the emerald green?

ce qui dans la version française donne :

Pourquoi le rubis est-il rouge et Témeraude verte?

L'anglais dissocie deux questions, le français les réunit en une seule.La brièveté des questions anglaises rend renonciation plus percutante.

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Il semble que renonciation scientifique française soit incompatible avecdes appels au lecteur trop nets, l'emphase n'est pas du registre de lascience.

Pourtant il est fait un effort en direction du lecteur, ce qui expliquela question introductive du texte français, mais un effort minimal. C'estau lecteur de fournir un effort pour « entrer en science », pour apprendre.

On notera au passage une maladresse dans la formulation françaisepubliée : le second segment « et l'émeraude verte » sous-entend « est-il »copule du premier segment non reprise. Mais « il » ne convient pas àl'émeraude, ce qui crée un effet désagréable 5.

La traduction automatique, dans sa version brute, « colle » au textesource :

Qui rend le rubis rouge? Pourquoi Témeraude est-elle verte?

Il aurait suffi d'ajouter « Qu'est-ce » en début de phrase pour avoir unetraduction correcte. Ici aucune contrainte de langue ou d'usage n'obligeaitle traducteur à donner une seule phrase à partir de deux phrases dutexte source.

Présentation de notions simples

La deuxième phrase du texte inverse l'ordre des énoncés entre l'anglais et le français 6 :

(E) On the most superficial level these questions can be given simple answers.

(F) On peut répondre simplement à cette question en se plaçant au niveaule plus élémentaire : (...).

Ici encore le traducteur français amalgame deux phrases du textede départ pour n'en faire qu'une à l'arrivée, en les coordonnant par unsigne de ponctuation : les deux points.

Pour introduire l'élément « répondre simplement à cette question »,diverses formulations auraient été possibles :

— voix inverse ou passif :

des réponses simples peuvent être données à cette question;

5. On a essayé, dans l'analyse qui suit, de décrire des phénomènes langagiers ou discursifs enévitant de porter des jugements qualitatifs. Il est cependant évident qu'on doit souvent évaluer la qualitéd'une formulation. Afin de ne pas évaluer en fonction de critères subjectifs d'appréciation stylistiques,on s'appuie sur un certain nombre de critères dans lesquels la situation de communication prime. Cescritères ne sont pas explicités ici car ils ont fait l'objet ď tutres exposés. Cf . « Notion de faute et linguistiquecontrastive aujourd'hui », dans Bull, de Terminologie de la CEE, Luxembourg, avril 1983; • Informatique,traduction et enseignement des langues », à paraître « L'anglais une langue de travail parmi d'autres »,coll. GEPE, Strasbourg, mai 1984; «Traduction automatique et périphérique: évaluation, post-éditionattitudes, formation », Contrastes, hors série A4, 1984.

6. On notera par (E ) le texte source, (F ) la traduction en français, (E — F) la traduction brute parSystran de l'anglais en français.

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— inversion sémantique dans un lexeme :

ces questions peuvent recevoir des réponses simples;

— formulation impersonnelle — avec « sujet » morphologique, à séman-tisme quasi nul :

il est possible de répondre simplement à ces questionsil est possible de donner des réponses simples à ces questions

Le traducteur choisit :— formulation semi-dépersonnalisée en « on » 7 :

on peut répondre simplement à cette question.

Le discours français met en tête de phrase Faction de répondre, lediscours anglais met en tête de phrase un modalisateur de cette action :

On the most superficial level. On a l'impression d'un jeu de compensation :— en anglais : l'attaque « droit au but », brutale du texte, dans les deux

questions brèves posées en début de paragraphe, est compensée parl'allongement de la deuxième phrase, ainsi que par sa construction aveccirconstant en tête et noyau en seconde place;

— en français : l'auteur est mis en avant, en tête de phrase, sous la formedéguisée du « on » qui le dépersonnalise, mais sur la signification duquelpersonne ne se méprend. Ce « on » qui va répondre simplement c'est,bien évidemment, formellement, l'auteur. Pourtant ce n'est pas, dupoint de vue du sens, l'auteur. En effet, il va critiquer ou compléterles réponses trop simples, trop superficielles ou élémentaires que les

autres chercheurs ou les autres auteurs ont données par ailleurs. C'estdonc ici un « on » = { les autres + moi }

La complémentation prend un aspect légèrement différent en français et en anglais :

— en anglais : On the most superficial level (...)-en français: (...) en se plaçant au niveau le plus élémentaire (...)

Outre l'ajout du verbe en français, on note la différence lexicale :superficial et « élémentaire ». Est-ce la même notion qui est exprimée parces deux vocables? Alors que le superficiel évoque ce qui est à la surface,

au-dessus, l'élémentaire évoque ce qui est premier, à la base, à la foissimple et fondamental (cf. les notions élémentaires d'électricité parexemple, ou la classe de mathématiques élémentaires). Les éléments sontdes parties constitutives, la superficie c'est un lieu privilégié où s'exercentdes forces, des déformations, etc. En linguistique : l'analyse en élémentsne donne pas la structure de surface... et la grammaire élémentaire donc,n'a rien de superficiel.

7. Pour la notion de dépersonnalisation, voir notre article « L'expression du locuteur dans lesdiscours scientifiques :je, nous et on dans quelques textes de physique et de chimie hautement spécialisés »dans la Revue de Linguistique romane, n°* 173-174, janvier-juin 1980.

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Que donne la traduction automatique?

(E - F) Sur le niveau le plus superficiel, ces questions peuvent être donnéesdes réponses simples.

Une post-édition rapide permettrait de rendre correcte la phrasefrançaise, en ajoutant « à » après la virgule, en changeant sur en au, cequi donnerait :

Au niveau le plus superficiel, à ces questions peuvent être données desréponses simples.

La quatrième phrase du texte original est :

(E) When white light passes through a ruby, it emerges with a disproportionatehare of longer wavelengths, which the eye recognizes as red.

Elle devient, dans la publication française :

(F) (...) lorsque la lumière blanche traverse un rubis, elle en ressort avecune forte proportion d'ondes de grande longueur d'onde, que l'œilperçoit rouge.

Les structures d'ensemble sont ici les mêmes en anglais et en français. On ne relève que l'apparente équivalence posée entre recognizes et« perçoit ». Sur le plan formel, cela ne change rien, mais sur le plansémique, entre « reconnaître » et « percevoir », il nous semble que to

recognize suppose d'avoir déjà vu, pose une référence explicite à un savoirantérieur, alors que « percevoir » se place au niveau le plus immédiat descapacités humaines — sensorielles ou intellectuelles.

Le connu sensoriel (observé) et le connu intellectuel (calculé) sontsouvent dans la problématique du discours scientifique. On en a ici unemanifestation.

La traduction automatique donne :

(E - F) Quand la lumière blanche traverse un rubis, elle émerge avec unepart de disproportionate de plus longues longueurs d'onde, que l'œilreconnaît comme rouge.

En allant de l'anglais vers le français, un mot n'est pas traduit : ilétait absent du dictionnaire. (Cela ne doit pas étonner : il y a des lacunes,il y en aura toujours, au fur et à mesure que le nombre et la variété desdomaines traités par la machine augmenteront, le vocabulaire à la foiss'enrichira et fera apparaître de nouvelles lacunes.)

Si l'on post-édite en remplaçant disproportionate par « importante »,« longues » par « grandes », et si l'on ajoute « ondes » pour la clarté, onobtient :

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Quand la lumière blanche traverse un rubis, elle émerge avec une partimportante d'ondes de plus grandes longueurs d'onde, que l'œil reconnaîtcomme rouge.

Avec ces trois modifications mineures, rapides à effectuer, on obtientune phrase correcte et exacte quant au contenu en français.

Le texte se poursuit ainsi :

(E) Light passing through an emerald acquires a different distribution ofwavelengths, which are perceived as green.

(F) Lorsque la lumière traverse une émeraude, la répartition des longueursd'onde dans la lumière émergente est différente, et l'œil la voit verte.

En anglais « passing... » a une fonction d'adjectivation sur « light »,comme l'aurait en français : « la lumière passant à travers... » et on aune unité jusqu'à wavelength, suivie d'une adjectivation en forme d'énoncé.Le traducteur français a choisi d'en faire trois énoncés : une complé

mentation (conjonctive) dans la première partie, et une coordonnée pourla deuxième partie.

Le français semble répondre à un besoin d'établir des relationshiérarchiques dans la phrase par un jeu de subordonnants et de coordonnants.

(E) This explanation of color is correct as far as it goes, but is hardlysatisfying.

La traduction brute par Systran donne :

(E — F) Cette explication de la couleur est correcte autant qu'elle aille, maiselle satisfait à peine.

Il est évident que c'est la formulation dite idiomatique « as far asit goes » qui fait problème. Le traducteur français l'oublie entièrement :

(F) Cette explication de la couleur est correcte, mais on peut difficilements'en contenter.

Ici encore, le traducteur français rétablit un sujet. Pour dépersonnaliséu'il soit, c'est quand même un sujet qui permet une construction

verbale en voix active. L'anglais ne donne aucune indication sur l'actancede satisfying. On peut supposer que le sujet sémique est l'auteur lui-même, pour introduire son article — et le lecteur, dans son désir depoursuivre sa lecture.

(E) What is missing is some understanding of how matter alters the composition of the light it transmits or reflects.

(F) II faudrait aussi comprendre comment la matière modifie la compositionde la lumière qu'elle transmet ou qu'elle réfléchit.

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A la formulation au sémantisme fortement négatif de l'anglais (missing) correspond dans la traduction française une formulation positive,tournée vers le futur : « II faudrait aussi. » Temporellement, ce qu'il fautdécoule de la constatation de ce qui manque (le manque est antérieurau falloir, même si étymologiquement ces deux lexemes sont synonymes).La réponse fournira de quoi combler le déficit. En ce sens ces deuxphrases sont équivalentes en tant que message-stimulus — et pour untraducteur, c'est ce qui importe. Mais pour le linguiste, ce sont lescontrastes qui informent.

(E) Ruby and emerald both derive their color from the same impurityelement : (...)

(F) Cest la même impureté qui confère au rubis et à l'émeraude leurcouleur : (...)

Ici encore, comme précédemment, l'ordre de présentation de l'information dans la phrase est inversé au passage de l'anglais vers lefrançais. Le français utilise la formulation de présentation par c'estdépersonnalisée, formulation de mise en relief ou d'emphase qui permetd'attirer l'attention sur l'élément premier dans la chaîne. Le traducteurfrançais pose comme information nouvelle l'identité des impuretés, alorsque l'auteur anglais traite de la couleur en apport d'information etl'impureté n'apparaît que comme causalité, en circonstant. Ce phénomènede thématisation du français est caractéristique.

Que donne la traduction automatique?

(E - F) Le rubis et l'émeraude tous les deux dérivent leur couleur du mêmeélément d'impureté (...)

Une légère post-édition aurait permis d'avoir :

Le rubis et l'émeraude tirent tous deux leur couleur du même élémentd'impureté.

(E) Why then do they differ so dramatically in color?(F) (...) pourquoi ces couleurs sont-elles alors si différentes?

Sur le plan de la ponctuation, tandis que l'anglais utilise les deuxpoints dans une phrase, et pourtant commence l'interrogation avec une

majuscule, le français considère que les deux points sont internes à laphrase et poursuit par une minuscule.L'aspect « affectif » — appel au lecteur - est fort en anglais et plus

effacé en français : dramatically / « si ».L'énoncé anglais verbalise : differ, alors que l'énoncé français nomi-

nalise : « sont différentes ».L'effet de ces différences de présentation est un centrage différent

de l'attention du lecteur d'un texte à l'autre : l'anglais attire l'attentiondavantage sur le dynamisme de la différenciation des couleurs, le françaisl'attire davantage sur les résultats en tant qu'éléments statiques.

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Présentation du point de vue de l'auteur

Au deuxième paragraphe du texte, l'auteur se met en scène :

(E) An informai classification I shall adopt here has some 14 categories ofcauses, (...)

(F) Dans la classification informelle que nous adopterons ici, il y a14 catégories de causes premières (...)

On constate immédiatement le passage du / anglais au « nous »français. Contrainte de récriture scientifique française? Depuis quelquetemps les chercheurs français utilisent également le « je » mais il sembled'une part que ce soit sous l'influence anglo-saxonne et d'autre part quece soit seulement à un niveau de spécialisation très avancé. Le traducteura estimé que la vulgarisation scientifique dans cette revue ne supporteraitpas un tel degré de personnalisation.

L'actance est aussi modifiée. Une traduction littérale aurait été possible :

La classification informelle que j'adopterai ici contient (/v/ présente)14 catégories de causes.

Encore une fois il y a thématisation d'un élément en français :« 14 catégories », et le reste apparaît en complémentation : « Dans... ». Lathématisation est particulièrement évidente ici avec l'emploi du présentateur « il y a », tout aussi dépersonnalisé que le présentateur « c'est » vuprécédemment. On a là l'élément minimal qui permet en français deconstruire une phrase non verbale, non active. On n'est pas loin de« voici/voilà », originellement également verbaux (« vois ici/vois là »,impératifs) figés actuellement pour ne servir qu'à introduire des énoncésnominaux.

(E) With one exception, however, the mechanisms have an element incommon : (...)

(F) Cependant tous ces mécanismes, à l'exception d'un seul, ont un élémenten commun : (...)

De nouveau, il y a inversion de l'ordre des informations. Le résultaten est qu'on peut se demander sur quoi porte réellement however/* cependant : son incidence change entre l'anglais et le français. Mais un telchangement est-il une erreur? Est-ce une modification de signification?Dans les discours scientifiques de vulgarisation il est parfois peu adéquatde s'attacher à la lettre...

(E) Such interactions have been a central preoccupation of physics (...)(F) Ces interactions ont été au centre des préoccupations de la physique (...)

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« Au centre » / a central... : ici encore le français place en circonstantce qui est actant en anglais.

(E) (...) these matters will not be taken up in detail here.(F) (...) Nous ne nous attarderons pas ici sur cet aspect du problème.

On remarque immédiatement le passage de la voix inverse ou passivede l'anglais à la voix active en français, avec ajout d'un pronom personnel.Mais la personnalisation du texte n'est pas entière : ce « nous » est d'unecertaine façon une variante d'indéfini, il est ambigu : « nous » = { moiauteur} ou {moi auteur + vous lecteurs} 8.

Par ailleurs le français utilise une formulation dite stéréotypée — enface d'un anglais tout aussi stéréotypé. Ce qui donne à penser que cen'est pas la correspondance énoncé à énoncé qui est importante ici, maisle message véhiculé comme un tout qui se moule dans chaque langueselon les contraintes d'usage de cette langue.

(E) (...) perceived color is merely the eye's measure and the brain's interpretation of the dominant wavelength or frequency or energy of a lightwave.

(F) (...) la couleur perçue résulte d'une « mesure » effectuée par l'œil et del'interprétation par le cerveau de cette mesure : celui-ci ne « retient »que la longueur d'onde dominante ou, ce qu i revient au même, lafréquence ou l'énergie dominante.

Le traducteur rend l'anglais is par « résulte » qui, sémiquement,ajoute un lien logique dans renonciation. L'ajout de « effectuée » apporteune précision que la simple forme possessive de l'anglais n'avait pas 9.

Plus loin, le découpage en deux énoncés par les deux points ajouteaussi un élément logique à la phrase. Au lieu de former un bloc, unensemble, le français dissocie l'information en sous-blocs qui s'articulentles uns sur les autres de façon à donner l'impression d'un enchaînementdéductif.

Le traducteur ajoute un élément d'appréciation par « ou, ce quirevient au même ». L'impression qui en résulte est une plus forte structuration de la phrase.

Un autre ajout du traducteur est plus intéressant pour ce qui concernela présentation des notions : les guillemets sur « mesure » et sur « retient ».Le traducteur français a-t-il craint de choquer le lecteur français? Il

prend en tout cas de la distance par rapport au texte. Avec le deuxièmeterme, il s'agit en fait d'un mot ajouté par lui. Tout se passe comme sile traducteur avait éprouvé une certaine gêne dans cette phrase. Letraducteur allonge, ajoute des vocables, et en même temps hésite à entrervraiment dans le jeu de l'auteur.

Notons encore, pour terminer, une présentation de l'hypothèse théo-

8. Cf . article cité ci-dessus « L'expression du locuteur... »9. Quoique ce verbe soit en français très léger sémiquement, quasi synonyme de « faire », cf . notre

article « Foire et ses quasi-synonymes dans les discours scientifiques », dans Éludes de Linguistiqueappliquée, n° 51, sept. 1983.

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rique avec modalisateur en anglais, et présentation de cette hypothèsecomme un fait en français :

(E) (...) it must emit radiation that will carry off the difference in energybetween the two levels.

(F) (...) il émet un rayonnement qu i transporte exactement l'énergie cor

respondant à la différence d'énergie entre les deux niveaux.

Conclusion

La vulgarisation scientifique est une reformulation par un chercheurou un enseignant scientifique lui-même, ou par un journaliste dit scientifique (l'adjectif n'a pas la même incidence dans les deux cas).

La vulgarisation est un effort pour mettre au maximum en discoursce qui « naturellement » est en chiffres et en symboles. Les encadrés,

dans les articles de revues de vulgarisation de haut niveau, rappellentsouvent ce fait : ce sont des éléments de textes sources, ou des discoursformulés pour ceux qui préfèrent aller droit aux données.

A l'opposé des encadrés, les définitions ou éléments définitionnelscontenus dans les textes rappellent que la vulgarisation est aussi dirigéevers un grand public à qui on doit des explications. Celles-ci ne peuvents'appuyer que sur des notions fondamentales qui ne sont pas toujoursconnues. Les définitions fournissent cette base indispensable à la lectureet à la compréhension des textes par le public visé.

La traduction est une seconde reformulation par rapport à un original. En ce sens elle fonctionne de façon similaire à la vulgarisation.

Dans un cas comme dans l'autre, l'objectif est de permettre à un publicplus vaste d'avoir accès à l'information scientifique. Pour faciliter cetaccès, on doit lever certaines barrières qui sont d'ordre « technique »(intellectuel, barrière des connaissances), ou d'ordre linguistique (langueoriginale inconnue du lecteur potentiel). La reformulation est une méthodeutile pour lever ces barrières : elle adapte le texte au langage ou à lalangue connue du lecteur.

On constate dans la formulation française par rapport à l'anglais :- une tendance à la nominalisation et à la thématisation dans la fo

rmulation de présentation des notions introduites par le texte,- une tendance à repersonnaliser l'énoncé en passant d'une voix inverse

à une voix active, bien que la personnalisation ne soit pas totale enfrançais,

- une tendance à la circonstancialisation qui semble contraire à la thématisation mais qui, en fait, est complémentaire,

- une tendance à ajouter des éléments de type logique (par le choix lexicalou par les relateurs).

Chaque discours s'adapte non seulement aux contraintes mais aussiaux usages et aux modes de pensée de chaque groupe linguistique. Lareformulation, en ce sens, est une nécessité. S'il peut y avoir perte oudéformation d'information dans ce processus, c'est un « mal nécessaire ».

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La traduction rejoint le texte source ou s'en éloigne selon qu'elle « colle »au texte plus ou moins.

Les traducteurs ont des mouvements d'hésitation qui les portentsoit à coller de très près — le contenu est en science en général alorsbien présent, mais la forme risque d'étonner —, soit à s'en éloigner — et

alors tous les risques de déformation par reformulation apparaissent.La traduction automatique est un moyen qui permet de suivre letexte pas à pas. C'est un moyen d'assurer le contenu informationnel, degarantir une exactitude ainsi qu'une conformité à la source.

Personne n'est créateur ex nihilo en science : ni l'auteur de l'articleprimaire qui doit coller à la réalité de l'observation, de l'expérimentation,de la théorie, ni le vulgarisateur, que ce soit le même, un disciple, unadversaire ou un journaliste. Aucun ne peut manipuler le langage à sapropre guise.

La méthode de mise en contraste permet d'éclairer les activités dechacun par les activités de l'autre. C'est un éclairage de biais. Comme

sur les murs mal tapissés, l'éclairage latéral fait ressortir les bosses, lespoches d'air sous le papier, les défauts; l'éclairage latéral donné par latraduction permet de mieux voir les caractéristiques des différents discours.

N.B. Après s'être cantonnée aux revues spécialisées dans le domaine dutraitement de l'information ou dans celui de la traduction, la traductionautomatique devient un thème d'articles de vulgarisation scientifiquedestinée à un très vaste public : la revue Pour la Science publie dans sonn° 80 , juin 1984, pp. 8-9-10 des extraits de la traduction anglais-françaiset français-anglais de l'article « The causes of color »/« L'origine de la

couleur » étudié ci-dessus, traduction brute réalisée par le système Systrandéveloppé à Luxembourg.

Cet ouvrage a été composé et achevé d'imprimerpar Tlmprimerie Floch à Mayenne : 22137.

Dépôt légal : décembre 1984. № d'édition : 12486.imprimé EN FRANCE (Printed in France)

Le directeur-gérant, С Labouret.Commission paritaire n" 47700.

70564-décembre 1984