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Des yeux pour voir Des yeux pour voir Le jour, le soir, Le petit loir, Les raisins noirs, Les raisins verts Et les éclairs Dans le miroir. Des yeux pour voir Le ciel du soir, La lune rouge Un arbre noir… Des yeux pour voir Les cheveux blonds Les cheveux noirs Les cheveux blancs, L’ombre du soir. Des yeux pour voir Un cœur qui tremble, Une main tendre. Pierre Gamarra C'est demain dimanche Il faut apprendre à sourire Même quand le temps est gris Pourquoi pleurer aujourd'hui Quand le soleil brille C'est demain la fête des amis Des grenouilles et des oiseaux Des champignons des escargots N'oublions pas les insectes Les mouches et les coccinelles Et tout à l'heure à midi J'attendrai l'arc-en-ciel Violet indigo bleu vert Jaune orange et rouge Et nous jouerons à la marelle Philippe Soupault

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Des yeux pour voir

Des yeux pour voirLe jour, le soir,Le petit loir,Les raisins noirs,Les raisins vertsEt les éclairsDans le miroir.

Des yeux pour voirLe ciel du soir,La lune rougeUn arbre noir…

Des yeux pour voirLes cheveux blondsLes cheveux noirsLes cheveux blancs,L’ombre du soir.

Des yeux pour voirUn cœur qui tremble,Une main tendre.

Pierre Gamarra

C'est demain dimanche

Il faut apprendre à sourireMême quand le temps est grisPourquoi pleurer aujourd'huiQuand le soleil brilleC'est demain la fête des amisDes grenouilles et des oiseauxDes champignons des escargotsN'oublions pas les insectesLes mouches et les coccinellesEt tout à l'heure à midiJ'attendrai l'arc-en-cielViolet indigo bleu vertJaune orange et rougeEt nous jouerons à la marelle

Philippe Soupault

Est-ce vous ?

Qui est fouEst-ce moi est-ce vousEst-ce le temps avec sa faux

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Ou la cloche qui sonne fauxEst-ce le père est-ce l’enfantEst-ce le cerf ou bien le faonLa nuit et tous ses parfumsLe rêveur et ses songes sans finCelui qui mange sans avoir faimEst-ce vous est-ce moi enfinC’est moi c’est vousIl faut aimer à la folieCroire au songe et à l’oubliBien sage est qui l’avoue.

Philippe Soupault

Les larmes quelquefois…

Les larmes quelquefois montent aux yeuxComme d'une source,Elles sont de la brume sur des lacs,Un trouble du jour intérieur,Une eau que la peine a salée. La seule grâce à demander aux dieux lointains,Aux dieux muets, aveugles, détournés,

A ces fuyards,Ne serait-elle pas que toute larme répandueSur le visage procheDans l'invisible terre fît germerUn blé inépuisable?

Philippe Jaccottet

Soleils couchants

Une aube affaiblieVerse par les champsLa mélancolieDes soleils couchants.La mélancolieBerce de doux chantsMon cœur qui s'oublieAux soleils couchants.Et d'étranges rêvesComme des soleilsCouchants sur les grèves,Fantômes vermeils,

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Défilent sans trêves,Défilent, pareilsÀ des grands soleilsCouchants sur les grèves.

Paul Verlaine

Toi, dit l’enfant blanc

Toi, dit l’enfant blancA l’enfant noirTu te fondsDans la nuit noire Toi, dit l’enfant jauneA l’enfant blancTu te fondsDans l’aube blanche Toi, dit l’enfant rougeA l’enfant jauneTu te fondsDans le midi du jour Et toi, dit l’enfant noirA l’enfant rougeTu te fondsDans le cuivre du couchant 

Mais alors, mais alorsDirent les quatre enfantsNous sommes les heures vivesDe la vie.

Yves Yaneck

Pour Alice

Est-ce un oiseau qui aboieUne lampe qui fumeUn enfant qui verdoieC’est un lapin qui chanteUn homme qui ritUn prêté pour un renduAlice ma fille ma plumeJouons enfin au plus finAu jugé à la tarteletteIl faut nous donner la mainLes lunettes sur nos cheveuxEt les cheveux sur nos lunettes

Philippe Soupault

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Les bécasses

Sur la terrasseLes bécassesJacassent, jacassentEt font des grâces

Mais BonifaceLe garde-chassePassant par làLes prend en nasseEt les cadenasseDans sa besace

« C’est pas finasseUne bécasse ! »Chante BonifaceDe sa voix de basse

Andrée Chedid

Tu dis

Tu dis sable

Et déjàLa mer est à tes pieds

Tu dis forêtEt déjàLes arbres te tendent les bras

Tu dis collineEt déjàLe sentier court avec toi vers le sommet

Tu dis nuageEt déjàUn cumulus t’offre la promesse du voyage

Tu dis poèmeEt déjàLes mots volent et dansentComme des étincelles dans ta cheminée 

Joseph-Paul Schneider

Et demain ?

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Hier, je fus chevalAvant-hier oiseauEncore avant poisson

J’ai galopé dans la prairieJ’ai volé dans le cielJ’ai nagé dans la mer

Aujourd’hui, je marche sur la terreJe regarde le mondeEt je reconnaisL’herbe de la prairieLes nuages du cielLes vagues de la mer

Je rêve et je me souviensDe ce que je suis

Jacques Charpentreau

Lumières

La ville qui s’endort

Garde les yeux ouvertsEt demeure agitéeSon immense décorDe théâtre en plein airConcurrence la nuit,Défie l’obscurité.

Cependant, d’où je suis,Aucun bruitNe semble s’échapperDes milliers de lumières.

Et là-bas les dernièresFenêtres éclairéesOnt l’air de côtoyerLes lueurs éternellesDes fenêtres du ciel.

Roland Viard

Cadran solaire

Sous la pluieSous la neigeSous le soleil

Une petite ville s’éveille

HierAujourd’hui

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DemainLa ville m’appelle et me tend la main

Dans ma paumeDans mon œilDans mon cœur

Elle me souhaite du bonheur

Je ne sais plusSi c’est du Nord au sudOu d’Ouest en Est

Mais je suis sûr et certain

Que j’y retrouve mon cheminEt que ma ville resteDu soir au matin

La boussole et la bougieDe ma plus tendre vie

Claude HallerCasida de la rose

La roseNe cherchait pas l’aurore :Presque éternelle sur sa branche,Elle cherchait autre chose.

La roseNe cherchait ni science ni ombre :Confins de chair et de songe,Elle cherchait autre chose.

La rose

Ne cherchait pas la rose.Immobile dans le cielElle cherchait autre chose.

Federico Garcia Lorca

Les ruisseaux…

Les ruisseaux suivent mes routesPour consoler les pieds du voyageurL’oiseau sautillant d’arbre en arbreMange le mil de mes pensées

Tout à l’heureLe vrai cheminLes lèvres rêchesLes pieds ensanglantésEt les pensées trop sèchesQui s’éboulent dans les ravins

Là-haut le ventSera ma récompense

Pierre Emmanuel

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La chanson de la noix

J'ai pelé la petite noixDont j'ai cassé la coque blancheEntre deux pierres,La curieuse coque de bois.

J'ai pelé la petite noix;On dirait un jouet d'ivoire,Un curieux jouet chinois.

L'odeur fraîche et un peu amèreDe ces grands boisM'a parfumé la bouche entière !J'ai croqué la petite noix,Ce curieux jouet chinois.

Louis Codet

Ni l’un ni l’autre

Quoi dire, quoi penser ? Le jourPar son insistance à paraître,Avouons-le, avouons-le,Fatigue ses meilleurs amis.

La nuit par contre, sournoise,A tous nos instants se mélange,Elle bat sous nos paupièresElle rampe autour des objets :Inquiétante ! Inquiétante !

Quant à cette chose sans nomQui n’est ni le jour ni la nuit,Baissez la voix je vous la conseilleMieux vaut n’en point parler ici !

Jean Tardieu

Petit printemps

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 Petit printemps fantasque,Qui lance avec humeurDe violentes bourrasquesSur les arbres en fleur ;

Petit printemps sauvageComme un chat hérissé,Qui nous crache au visageDe gros flocons glacés ;

Petit printemps boudeur,Pourquoi faire la moue ?Laisse tes douces fleursRefleurir sur ta joue. Albert Atzenwiler

Le tigre silencieux    

Je me couleet je me faufile,et je me dérouleet je me défile,

entre les herbesde la jungle. Sur mes pattes veloutées,personnene m’entend marcher,personnene m’entend approcher. Ni le buffleni la gazellequi viennent le soirboire l’eau calme de la mare,et que je dévorerai…… si j’arrive à les attraper !

Anne-Marie Chapouton

Quand on est tortue Quand on est tortue,On peut rentrer la têteSous sa carapaceQuand vient la pluie.

Alors on peut rêverÀ l'abri,Et repartir

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À petits pasJusqu'à l'herbe prochaineQu'on atteindraCe soir...Demain...Ou même un peu plus tard...

Pas de problèmeDe retard !Quand on est tortue,On a toujours le tempsDe vivre lentement !

Anne-Marie Chapouton

Dans le regard d’un enfant

J'ai vu des continentsDes îles lointaines De fabuleux océans Des rives incertaines Dans le regard d'un enfant.

J'ai vu des châteauxDes jardins à la française Des bois de coteaux De blancs rochers sous la falaiseDans le regard 'un enfant.

 J'ai vu les Champs Elysées L'arc de Triomphe, la Tour EiffelLe Louvre et la Seine iriséesComme un arc-en-ciel.Dans le regard d'un enfant 

Claude Haller

Le cerf-volant  Soulevé par le vent Jusqu’au plus haut des cieux,Un cerf-volant plein de superbeVit, qui dansait au ras de l’herbe,Un petit papillon, tout vif et tout joyeux.  Holà, minable animalcule,Cria du zénith l’orgueilleux,Ne crains-tu pas le ridicule ?Pour te voir, il faut de bons yeux :Tu rampes comme un ver...Moi je grimpe, je grimpeJusqu’à l’Olympe,Séjour des dieux. C’est vrai, dit l’autre avec souplesse,Mais moi, libre, à mon gré, Je peux voler partout,Tandis que toi, pauvre toutou,

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Un enfant te promène en laisse. Jean-Luc Moreau

Naissances

Le ciel retient son souffle à chaque vie qui prend. Pour lui, toute naissance est un évènement: Une étoile, un enfant, un faon, un éléphant, Baleine, écureuil, fleur, girafe ou froment.

Tout retentit, sans fin dans l'univers immense, Et l'agneau étonné qui sur la paille danse, S'essayant à marcher pour la première fois, Compte autant que l'ainé dans le berceau des bois.

Les anges, ce matin, comme des chats ronronnent, Se racontant, joyeux, la belle information: Sur la Terre, là-bas, pareille à une pomme, Près d'un ruisseau sans nom est né un hanneton.

Marc Alyn

L’enfant et l’étoile

Un astre luit au ciel et dans l’eau se reflète.

Un homme qui passait dit à l’enfant-poète : « Toi qui rêves avec des roses dans les mains Et qui chantes, docile au hasard des chemins, Tes vains bonheurs et ta chimérique souffrance, Dis, entre nous et toi, quelle est la différence ?

— Voici, répond l’enfant. Levez la tête un peu ; Voyez-vous cette étoile, au lointain du soir bleu ?

— Sans doute ! — Fermez l’œil. La voyez-vous, l’étoile ? — Non, certes. »

Alors l’enfant pour qui tout se dévoile Dit en baissant son front doucement soucieux : « Moi, je la vois encor quand j’ai fermé les yeux. »

Catulle Mendès

Temps des contes

S'il était encore une fois Nous partirions à l'aventure,

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Moi, je serais Robin des Bois, Et toi, tu mettrais ton armure. Nous irions sur nos alezans Animaux de belle prestance, Nous serions armés jusqu'aux dents Parcourant les forêts immenses.

S'il était encore une fois Vers le château des contes bleus Je serais le beau-fils du roi Et toi tu cracherais le feu. Nous irions trouver Blanche-neige Dormant dans son cercueil de verre, Nous pourrions croiser le cortège De Malbrough revenant de guerre. S'il était encore une fois Au balcon de Monsieur Perrault, Nous irions voir ma Mère l'Oye Qui me prendrait pour un héros. Et je dirais à ces gens-là : Moi qui suis allé dans la lune, Moi qui vois ce qu'on ne voit pas Quand la télé le soir s'allume ; Je vous le dis, vos fées, vos bêtes, Font encore rêver mes copains Et mon grand-père le poète Quand nous marchons main dans la main. Mes poésies préférées Georges JeanLa guenon, le singe et la noix Une jeune guenon cueillit Une noix dans sa coque verte ; Elle y porte la dent, fait la grimace... ah ! Certes,Dit-elle, ma mère mentit Quand elle m'assura que les noix étaient bonnes. Puis, croyez aux discours de ces vieilles personnes

Qui trompent la jeunesse ! Au diable soit le fruit ! Elle jette la noix. Un singe la ramasse, Vite entre deux cailloux la casse, L'épluche, la mange, et lui dit : Votre mère eut raison, ma mie : Les noix ont fort bon goût, mais il faut les ouvrir. Souvenez-vous que, dans la vie, Sans un peu de travail on n'a point de plaisir.

Jean-Pierre Claris de Florian

L’éléphant raciste

Un jour un éléphant d’AsieRencontra un autre éléphantDe grandes oreilles muniIl s’en moqua fort méchamment.

Quelque temps après il partitEn Afrique et vit sur le champQue ce que lui avait petitChez tous les autres était fort grand.

Là-bas, les éléphants sont sages :

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Aucun ne lui fit remarquerQu’il était le seul des paragesAvec des oreilles tronquées

MoralitéRaces et gens sont dissemblablesMais tous ont le droit au respect !Si le mépris est exécrablePratiquons amour et bonté

Yvon Danet

J’écris J’écris des mots bizarres J’écris des longues histoires J’écris juste pour rire Des choses qui ne veulent rien dire

Écrire c’est jouer

J’écris le soleil J’écris les étoiles J’invente des merveilles Et des bateaux à voiles

Écrire c’est rêver

J’écris pour toi J’écris pour moi J’écris pour ceux qui liront Et pour ceux qui ne liront pas

Écrire c’est aimer

J’écris pour ceux d’ici Ou pour ceux qui sont loin Pour les gens d’aujourd’hui Et pour ceux de demain Écrire c’est vivre.

Geneviève Rousseau

Contes et légendes

Nos vieilles cantilènesNos légendes d’autrefoisEn déroulant la laineAu coin du feu benoît

Nos livres de sorcièresNos contes de lutinsEn allumant torchèreTout au fond du jardin

Nos baisers à la reineNos volées aux félonsAu doux chant des sirènesLe matelot répond

Et si le feu déclineSache le ranimerPour que rêve chemineEn nos têtes charmées

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Claude Haller

Bonjour !

Comme un diable au fond de sa boîte, le bourgeon s'est tenu caché... mais dans sa prison trop étroite il baille et voudrait respirer. 

Il entend des chants, des bruits d'ailes, il a soif de grand jour et d'air... il voudrait savoir les nouvelles, il fait craquer son corset vert. 

Puis, d'un geste brusque, il déchire son habit étroit et trop court "enfin, se dit-il, je respire, je vis, je suis libre... bonjour !" 

Paul Géraldy

PRINTEMPS

 Le chaume et la mousseVerdissent les toits ;La colombe y glousse,L'hirondelle y boit ; Le bras d'un plataneEt le lierre épaisCouvrent la cabaneD'une ombre de paix. La rosée en pluieBrille à tout rameau ;Le rayon essuieLa poussière d'eau ; Le vent qui secoueLes vergers flottants,Fait sur notre joueNeiger le printemps. Alphonse de Lamartine

Une graine voyageait

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Une graine voyageait toute seule pour voir le pays. Elle jugeait les hommes et les choses. Un jour elle trouva joli le vallon Et agréables quelques cabanes. Elle s'est endormie. Pendant qu'elle rêvait elle est devenue brindille Et la brindille a grandi, Puis elle s'est couverte de bourgeons. Les bourgeons ont donné des branches. Tu vois ce chêne puissant C'est lui, si beau, si majestueux, Cette graine, Oui mais le chêne ne peut pas voyager.

Alain Bosquet

Collages

Le petit garçon avait dessiné une maison ;

La première partie, faite au printemps, en était très bleue avec un nuage bien blanc ;

La seconde, dessinée en été, éclatait de soleil ;

La troisième, conçue en automne, était couverte de feuilles d’arbre mortes ; et la dernière partie était tout enneigée.

Le petit garçon, dans son tableau, avait aussi collé du jour, de la nuit noire ou étoilée, des semailles et des moissons.

Il y avait également une mère, un père, des enfants, un chien et des oiseaux.

Enfin, il avait ajouté du bonheur et des larmes.

Jean Rivet

Mon hiverMon hiver est parfumé De cendres, de feux de cheminées. D’encens et de lavande, pour tous mes enrhumés...Mon hiver est beau De blanc et de glace De givre sur les arbres, De palais transparents.

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Mon hiver je l’entends Grincer dans les branches, Craquer sous mes pas Souffler dans les ruelles...Je colle mon nez à la vitre Mon hiver est buée A nouveau il m’invite, à me recroqueviller.Veronik Leray

Le centenaire

C'était un arbre centenaireQui ne comptait plus les années :Il disait : " A quoi bon s'en faire,Je suis mûr pour la cheminée !Des feuilles, j'en ai bien trop lu,Que pourrais-je savoir de plus,Si je passe un printemps encoreAuprès des autres sycomores ? "

Alors il a laissé le froidEngourdir lentement ses veinesEt mettre à vif toutes ses peinesEt clouer ses branches en croix ;

Heureux d'aimer, mais las de vivre, Pour la toute dernière foisIl a fleuri dans le grand boisDes milliers de perles de givre.

Louis Delorme

Marine

L’Océan sonorePalpite sous l’œilDe la lune en deuilEt palpite encore,

Tandis qu’un éclairBrutal et sinistreFend le ciel de bistreD’un long zigzag clair,

Et que chaque lame,En bonds convulsifs,Le long des récifsVa, vient, luit et clame,

Et qu’au firmament,Où l’ouragan erre,

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Rugit le tonnerreFormidablement.

Paul Verlaine

La lune blanche

La lune blancheLuit dans les bois;De chaque branchePart une voixSous la ramée...

Ô bien-aimée.

L'étang reflète,Profond miroir,La silhouetteDu saule noirOù le vent pleure...

Rêvons, c'est l'heure.

Un vaste et tendreApaisementSemble descendreDu firmamentQue l'astre irise...

C'est l'heure exquise.

Paul VerlaineCavalier à la fontaine

A la fraîche fontaineSous le grand peuplier,A la fraîche fontaineS'arrête un cavalier

Son noir cheval est blancD'écume et de poussière,Il est blanc de la queueJusque à la crinière.

A la fraîche fontaineSous le grand peuplier,A la fraîche fontaineS'arrête un cavalier

Jean Moréas

Bonjour la vie

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Bonjour la vie, bonjourJe frappe à ta porte, m’entends-tuJe frappe à ta porte, m’ouvres-tuJe frappe à ta porte, me réponds-tuBonjour la vie, ma mère est morte, le sais-tuBonjour la vie, j’ai vingt ans, comprends-tuBonjour la vie, je frappe aux portes, à tellement de portesEt personne, personne, jamais personne ne répond, le sais-tuBonjour la vie, j’ai faim de justice, l’admets-tuBonjour la vie, j’ai soif de vivre, t’en occupes-tu

Lucien Gerville-Réache

Saltimbanques                                   

Dans la plaine les baladinsS'éloignent au long des jardinsDevant l'huis des auberges grises

Par les villages sans églises

Et les enfants s'en vont devantLes autres suivent en rêvantChaque arbre fruitier se résigneQuand de très loin ils lui font signe

Ils ont des poids ronds ou carrésDes tambours des cerceaux dorésL'ours et le singe animaux sagesQuêtent des sous sur leur passage

Guillaume Apollinaire

Heureux qui, comme Ulysse…

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage, Ou comme cestuy là qui conquit la toison, Et puis est retourné, plein d’usage et raison, Vivre entre ses parents le reste de son âge !

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Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village Fumer la cheminée, et en quelle saison, Reverrai-je le clos de ma pauvre maison, Qui m’est une province, et beaucoup davantage ?

Plus me plaît le séjour qu’on bâti mes aïeux, Que des palais Romains le front audacieux, Plus que le marbre dur me plaît l’ardoise fine :

Plus mon Loire Gaulois, que le Tibre Latin, Plus mon petit Liré, que le mont Palatin, Et plus que l’air marin la douceur Angevine.

Joachim du Bellay

Les deux voyageurs

Le compère Thomas et son ami LubinAllaient à pied tous deux à la ville prochaine.Thomas trouve sur son cheminUne bourse de louis pleine ;Il l'empoche aussitôt. Lubin, d'un air content,Lui dit : "Pour nous la bonne aubaine !- Non, répond Thomas froidement,Pour nous n'est pas bien dit ; pour moi : c'est différent."Lubin ne souffle mot ; mais en quittant la plaine,Ils trouvent des voleurs cachés au bois voisin.Thomas tremblant, et non sans cause,Dit : "Nous sommes perdus ! - Non, lui répond Lubin,Nous n'est pas le vrai mot ; mais toi c'est autre chose."Cela dit, il s'échappe à travers le taillis.Immobile de peur, Thomas est bientôt pris ;Il tire la bourse et la donne.

Qui ne songe qu'à soi quand la fortune est bonne,Dans le malheur n'a point d'amis.

Jean-Pierre Claris de Florian

L’enfant et le miroir

Un enfant élevé dans un pauvre village,Revint chez ses parents, et fut surpris d’y voir un miroir.D’abord il aima son image ;

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Et puis, par un travers bien digne d’un enfant,Et même d’un être plus grand, Il veut outrager ce qu’il aime,Lui fait une grimace, et le miroir la rend.Alors son dépit est extrême ;Il lui montre un poing menaçant.Il se voit menacé de même.Notre marmot fâché s’en vient, en frémissant,Battre cette image insolente ;Il se fait mal aux mains. Sa colère en augmente ;Et, furieux, au désespoir,Le voilà devant ce miroir,Criant, pleurant, frappant la glace.Sa mère, qui survient, le console, l’embrasse,Tarit ses pleurs, et doucement lui dit :N’as-tu pas commencé par faire la grimaceA ce méchant enfant qui cause ton dépit ?-Oui –Regarde à présent : tu souris, il sourit ;Tu tends vers lui les bras, il te les tend de même ;Tu n’es plus en colère, il ne se fâche plus :De la société tu vois ici l’emblème ;Le bien, le mal, nous sont rendus.

Jean-Pierre Claris de Florian

Le secret

Sur le chemin près du boisJ’ai trouvé tout un trésorUne coquille de noixUne sauterelle en orUn arc en ciel qu’était mort.

A personne je n’ai rien ditDans ma main je les ai prisEt je l’ai tenue fermée

Fermée jusqu’à l’étranglerDu lundi au samedi.

Le dimanche l’ai rouverteMais il n’y avait plus rienEt j’ai raconté au chienCouché dans sa niche verteComme j’avais du chagrin.

Il m’a dit dans aboyer :« Cette nuit, tu vas rêver. »La nuit, il faisait si noirQue j’ai cru à une histoireEt que tout était perdu.

Mais d’un seul coup j’ai bien vuUn navire dans le cielTraîné par une sauterelleSur des vagues d’arc-en-ciel !

René de Obaldia.Le chat

De sa fourrure blonde et brune Sort un parfum si doux, qu'un soirJ'en fus embaumé, pour l'avoirCaressée une fois, rien qu'une.

C'est l'esprit familier du lieu ;Il juge, il préside, il inspireToutes choses dans son empire ;Peut-être est-il fée, est-il dieu ?

Quand mes yeux, vers ce chat que j'aimeTirés comme par un aimant

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Se retournent docilementEt que je regarde en moi-même

Je vois avec étonnementLe feu de ses prunelles pâles,Clairs fanaux, vivantes opales,Qui me contemplent fixement.

Charles Baudelaire

En hiver la terre pleure

En hiver la terre pleure ; Le soleil froid, pâle et doux, Vient tard, et part de bonne heure, Ennuyé du rendez-vous. 

Leurs idylles sont moroses. - Soleil ! Aimons ! - Essayons. O terre, où donc sont tes roses ? - Astre, où donc sont tes rayons ?

Il prend un prétexte, grêle, Vent, nuage noir ou blanc,Et dit : - C'est la nuit, ma belle ! - Et la fait en s'en allant ;

Comme un amant qui retireChaque jour son cœur du nœud, Et, ne sachant plus que dire, S'en va le plus tôt qu'il peut.

Victor Hugo

Demain dès l’aube

Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne, Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends.J'irai par la forêt, j'irai par la montagne. Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées, Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit, Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit. 

Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe, Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombeUn bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.

Victor Hugo

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La nuit

Elle est venue la nuit de plus loin que la nuitA pas de vent de loup de fougère et de mentheVoleuse de parfum impure fausse nuitFille aux cheveux d'écume issus de l'eau dormante

Après l'aube la nuit tisseuse de chansonsS'endort d'un songe lourd d'astres et de médusesEt les jambes mêlées au fuseau des saisonsVeille sur le repos des étoiles confuses

Sa main laisse glisser les constellationsLe sable fabuleux des mondes solitairesLa poussière de Dieu et de sa créationLa semence de feu qui féconde les terres

Mais elle vient la nuit de plus loin que la nuitA pas de vent de mer de feu de loup de piègeBergère sans troupeau glaneuse sans épisAveugle aux lèvres d'or qui marche sur la neige

Claude Roy

Les juments blanches

En breton, pour dire « la jument blanche », on dit : « Ar gazeg wenn ». En arabe, on dit : « El fâras lè bêda ». En anglais, on dit : « The white mare”. En esquimau, on ne dit rien parce que chez eux il n’y a pas de juments blanches. En espagnol, on dit : « La yegua blanca ». En flamand, on dit : « De witte merrie ».

Comme vous pouvez le voir toutes ces juments sont très différentes

Mais ce sont toutes des juments blanches.

Paul André

Le paon

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Quand on possède un arc-en-cielQu’on le porte sur sa personneOn parle en marquant ses consonnesÇa fait briller mieux les voyelles

Toutes vos phrases sont éternellesOn les distribue en aumônesAux pauvres, ceux qui ont le bec jauneLes pattes noires, la plume pas belle

On passe à pas lents et certainsEn ponctuant l’air de la têteParmi toutes les autres bêtes

Mais sans trop montrer de dédainEt pour les charmer tout à coup Par bonté d’âme on fait la roue

Jacques Roubeaud

Perdue et retrouvée

Si vous me dites ce que je peuxEt que le temps est perduJe croirai que vous oubliezLa chance et la vérité

Perdue dans la forêtDes vérités éclatantesLa lune se taitEt vous dormez

Mes rêves ne sont pas à vendreEt je ne donne que le refletDe ce qui brûle et dévoreL’angoisse et l’amour mêlés

Philippe Soupault

L’avenir

Soulevons la paille Regardons la neige Écrivons des lettres Attendons des ordres

    Fumons la pipe    En songeant à l'amour    Les gabions sont là    Regardons la rose

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    La fontaine n'a pas tari    Pas plus que l'or de la paille ne s'est terni    Regardons l'abeille    Et ne songeons pas à l'avenir

    Regardons nos mains    Qui sont la neige    La rose et l'abeille    Ainsi que l'avenir

Guillaume Apollinaire

C’est la fin de la journée…

C’est la fin de la journéele poisson est rentréla barque est repartieles petits soleils s’éloignentun grand verre de thépour réchauffer les mains et le frontla parole nueon regarde la meret l’on parle de l’aveniron joue aux carteson fume quelque penséeles chats tirent l’azuron ne regarde plus la meron regarde la télévision

Tahar Ben Jelloun

L’heure qu’il est

L’horloge marche. Mais sans aiguilles. Elle m’avance ni ne retarde. Temps fractionné, mais à l’insu.Découpé mais dans l’inconnu. Dépisté mais insaisissable. Juste mais injustifié. Les battements si réguliers du balancier font dire : « C’est l’heure. » C’est toujours l’heure. Mais l’heure de quoi ?

Ainsi mon corps, ma mécanique, mon ressort, mon remontoir, mon cadran blanc, mes chiffres noirs n’ont pas d’aiguilles. Et je ne sais, fabriquant l’heure, quelle heure il est.

Robert Mallet

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Le petit ramoneur

Le petit ramoneur vous salue bienEt tout bas vous chuchote à l’oreillePlein de douces choses des petits riensQui ne coûtent guère et font merveille

Le petit ramoneur s’en va comme un lutinMarchand de labeur marchand de bonheurToujours sifflotant vrai diablotinIl dira – des cheminées – les secrets du cœur

Le petit ramoneur fait signe aux enfants« Suivez-moi sur le rose chemin des rêves »Et chaque soir c’est l’enchantementDormeurs des songes rien ne s’achève

Le petit ramoneur a disparu en coulisseReviendra-t-il ne reviendra-t-il pasJe le vois dans le ciel qui se hisseJusqu’aux étoiles sur son échelle de soie

Claude Haller

Le cosmonaute et son hôte

Sur une planète inconnue,un cosmonaute rencontraun étrange animal :il avait le poil ras,une tête trois fois cornue,trois yeux, trois pattes et trois bras!« Est-il vilain ! pensa le cosmonauteen s’approchant prudemment de son hôte.Son teint a la couleur d’une vieille échalote,son nez a l’air d’une carotte.Est-ce un ruminant ? Un rongeur ? »Soudain, une vive rougeurcolora plus encor le visage tricorne.Une surprise sans bornesfit chavirer ses trois yeux.« Quoi! Rêvé-je ? dit-il. D’où nous vient, justes cieux,ce personnage si bizarre sans crier gare !Il n’a que deux mains et deux pieds,il n’est pas tout à fait entier.Regardez comme il a l’air bête, il n’a que deux yeux dans la tête !Sans cornes, comme il a l’air sot ! »C’était du voyageur arrivé de la terreque parlait l’être planétaire.Se croyant seul parfait et digne du pinceau,il trouvait au Terrien un bien vilain museau.Nous croyons trop souvent que, seule, notre têteest de toutes la plus parfaite !

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Pierre GAMARRAL’écureuil peu soigneux

Un écureuil prit pour peindreSa jolie queue panachéePuis, il lui fallut s’astreindre,Bien sûr, à la nettoyer.

Je ferai cela plus tardDit l’animal peu soigneuxEt il fila sans retardPrendre part à d’autres jeux

La peinture ayant durciDans les poils resta colléeL’écureuil vécut, contrit,Avec la queue bariolée

MoralitéNe remets pas à plus tardCe qu’il faut faire au présentMieux vaut agir sans retardQue risquer d’être perdant

Yvon Danet

Automne malade

Automne malade et adoréTu mourras quand l’ouragan soufflera dans les roseraies

Quand il aura neigéDans les vergers

Pauvre automneMeurs en blancheur et en richesseDe neige et de fruits mûrsAu fond du cielDes éperviers planentSur les nixes nicettes aux cheveux verts et nainesQui n’ont jamais aimé

Aux lisières lointainesLes cerfs ont bramé

Et que j’aime ô saison que j’aime tes rumeursLes fruits tombant sans qu’on les cueilleLe vent et la forêt qui pleurentToutes leurs larmes en automne feuille à feuilleLes feuillesQu’on fouleUn trainQui rouleLa vieS’écoule

Guillaume Apollinaire

La nuit longe les murs…

La nuit longe les murs

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Un silence la suitEt cherche à s’endormir

Une lumièreRevient de loinEt cherche une maisonQu’elle a connue

La nuit reprend son souffleLe silence la rejointLa lumière cherche encore

La nuit s’arrêteLe silence s’endortLa lumière s’éteint

Hubert Mingarelli

Ecoute

Ecoute les bruits de la nuitDerrière les fenêtres closesOn dirait que c'est peu de choses,Un pas s'en vient, un pas s'enfuit. Le dernier autobus qui passe,Quelqu'un qui chante quelque part,

Un avion au fond de l'espace,Un voisin qui rentre bien tard. Un chien aboie. Un matou miaule.On entend glisser un vélo.La nuit est pleine de parolesQui viennent de l'air et de l'eau.

Pierre Gamarra

Un homme est mort

Un homme est mort Un homme est mort qui n’avait pour défense Que ses bras ouverts à la vie Un homme est mort qui n’avait d’autre route Que celle où l’on hait les fusils Un homme est mort qui continue la lutte Contre la mort contre l’oubli.

Car tout ce qu’il voulait Nous le voulions aussi Nous le voulons aujourd’hui Que le bonheur soit la lumière

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Au fond des yeux au fond du cœur Et la justice sur la terre. (…)

Paul Eluard

Conseils donné par une sorcière

(A voix basse, avec un air épouvanté, à l'oreille du lecteur.)

Retenez-vous de rire Dans le petit matin ! N'écoutez pas les arbres Qui gardent les chemins ! Ne dites votre nom A la terre endormie Qu'après minuit sonné ! A la neige, à la pluie Ne tendez pas la main ! N'ouvrez votre fenêtre Qu'aux petites planètes Que vous connaissez bien ! Confidence pour confidence ! Vous qui me consulter,

Méfiance, méfiance ! On ne sait pas ce qui peut arriver.

Jean Tardieu

Le globe

Offrons le globe aux enfants Offrons le globe aux enfants, au moins pour une journée. Donnons-leur afin qu’ils en jouent comme d’un ballon multicolorePour qu’ils jouent en chantant parmi les étoiles.Offrons le globe aux enfants,Donnons-leur comme une pomme énorme, Comme une boule de pain tout chaude,Qu’une journée au moins ils puissent manger à leur faim.Offrons le globe aux enfants,Qu’une journée au moins le globe apprenne la camaraderie,Les enfants prendront de nos mains le globe Ils y planteront des arbres immortels.

Nazim Hikmet

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Pour devenir une sorcière

À l’école des sorcièresOn apprend les mauvaises manièresD’abord ne jamais dire pardonÊtre méchant et polissonS’amuser de la peur des gensPuis détester tous les enfants

À l’école des sorcièresOn joue dehors dans les cimetièresD’abord à saute-crapaudOu bien au jeu des gros motsPuis on s’habille de noirEt l’on ne sort que le soir

À l’école des sorcièresOn retient des formules entièresD’abord des mots très rigolosComme "chilbernique" et "carlingot"Puis de vraies formules magiquesEt là il faut que l’on s’applique.

Jacqueline MOREAU

L’homme qui a oublié

J’ai rencontré l’hommeQui a oubliéQu’il a été un enfant

OubliéLes larmes et les jubilationsLes désespoirs et les folies

OubliéLa cabane de RobinsonLa fugue rageuse

OubliéLe rêve insolentOu la bouche gourmande

N’y a-t-il plus de déesseDans le cielPour semer en sa tête nocturneL’éblouissant parapheD’une étoile filante

Claude Haller

La biche

La biche brame au clair de luneEt pleure à se fondre les yeux :Son petit faon délicieux

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A disparu dans la nuit brune.

Pour raconter son infortuneA la forêt de ses aïeux,La biche brame au clair de luneEt pleure à se fondre les yeux.

Mais aucune réponse, aucune,A ses longs appels anxieux !Et, le cou tendu vers les cieux,Folle d'amour et de rancune,La biche brame au clair de lune.

Maurice Rollinat

Écolier dans la lune

À l’école des nuages On découvre des pays Où nul n’est jamais parti Pas même les enfants sages.

Le soleil avec la pluie L’orage avec l’accalmie La météorologie

Bouscule le temps Les visages Et les couleurs de nos cris Dans la cour des éclaircies.

Les oiseaux n’ont pas d’histoires Les arbres n’ont pas d’ennuis À l’école des nuages Aucun enfant n’est puni Les rêves tournent les pages Aucune leçon ne t’ennuie C’est l’école des nuages Elle t’ouvre sur la vie.

Alain Boudet

LE JARDIN MOUILLÉ La croisée est ouverte, il pleutComme minutieusement,A petit bruit et peu à peuSur le jardin frais et dormant.

Feuille à feuille la pluie éveilleL'arbre poudreux qu'elle verdit ;Au mur, on dirait que la treilleS'étire d'un geste engourdi.

L'herbe frémit, le gravier tièdeCrépite et l'on croirait là-basEntendre sur le sable et l'herbeComme d'imperceptibles pas.

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Le jardin chuchote et tressaille,Furtif et confidentiel ;L'averse semble maille à mailleTisser la terre avec le ciel.

Il pleut, et, les yeux clos, j’écoute,De toute sa pluie à la fois,Le jardin mouillé qui s’égoutteDans l’ombre que j’ai faite en moi.

Henri de Régnier

Le relais

En voyage, on s’arrête, on descend de voiture ;Puis entre deux maisons on passe à l’aventure,Des chevaux, de la route et des fouets étourdi,L’œil fatigué de voir et le corps engourdi.

Et voici tout à coup, silencieuse et verte,Une vallée humide et de lilas couverte,Un ruisseau qui murmure entre les peupliers, Et la route et le bruit sont bien vite oubliés !

On se couche dans l’herbe et l’on s’écoute vivre,De l’odeur du foin vert à loisir on s’enivre,Et sans penser à rien on regarde les cieux…Hélas ! une voix crie : “En voiture, messieurs !”

Gérard de Nerval

Le caméléon

Quand je serai caméléonJe prendrai la couleur d’érableEn automne ou celle de sableAux plages de l’île d’Oléron

Je serai lampe de néonPour éclairer ma propre tableJe serai couleur de cartableA l’automne ou jaune crayon

Et le jour des compositionsNoir sur blanc en belle écritureJe copierai les solutions

Mais j’aurai la conscience pureAgissant selon la natureQuand je serai caméléon.

Jacques Roubaud

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Cités-dortoirs

Cages à lapins, à poulesHLM, cités-dortoirs.Chacun dit bonjour, bonsoir.

Chacun porte seul sa peineFace à face, dos à dos.Chacun parmi tous se traineAu métro, boulot, dodo.

Puis le soir, dedans les cages,Chacun devant sa télé,Mange le même potage,Le même plat surgelé.

Et les enfants, aux fenêtres,Rêvent de jardins profonds.« Sœur Anne, vois-tu paraîtreUn peu d’herbe à l’horizon ? »

Liliane Wouters

Qu’y a-t-il au dessus de l’oiseau ?

Qu'y a-t-il au-dessus de l'oiseau? Demande l'enfant Il y a le ciel Répond l' aviateur 

Et au-dessous de l' oiseau? Demande l'enfant Il y a la mer Dit le marin 

Qu'y a-t-il dans l'oiseau? Demande l'enfant Il y a le cœur Dit le savant 

Et dans le cœur? La liberté Répond le prince Derrière les grilles de son palais.

Hubert Mingarelli

LES ÉCOLIERS 

Sur la route couleur de sable,En capuchon noir et pointu,

Le 'moyen', le 'bon', le 'passable'Vont à galoches que veux-tuVers leur école intarissable.

 

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Ils ont dans leurs plumiers des gommesEt des hannetons du matin,

Dans leurs poches du pain, des pommes,Des billes, ô précieux butin

Gagné sur d'autres petits hommes. 

Ils ont la ruse et la paresseMais l'innocence et la fraîcheur

Près d'eux les filles ont des tressesEt des yeux bleus couleur de fleur,

Et des vraies fleurs pour leur maîtresse. 

Puis les voilà tous à s'asseoir.Dans l'école crépie de lune

On les enferme jusqu'au soir,Jusqu'à ce qu'il leur pousse plume

Pour s'envoler. Après, bonsoir ! 

Maurice Fombeure

Automne

Odeur des pluies de mon enfanceDerniers soleils de la saison !À sept ans comme il faisait bon,Après d'ennuyeuses vacances,Se retrouver à la maison !

La vieille classe de mon père,Pleine de guêpes écraséesSentait l'encre, le bois, la craieEt ces merveilleuses poussières

Amassées par tout un été.

Ô temps charmant des brumes douces,Des gibiers, des longs vols d'oiseaux,Le vent souffle sous le préau,Mais je tiens entre paume et pouceUne rouge pomme à couteau.

René-Guy Cadou

LITANIE DES ÉCOLIERS

Saint-Anatole,Que légers soient les jours d'école !Saint Amalfait,Ah ! Que nos devoirs soient bien faits !Sainte Cordule,N'oubliez ni point ni virgule.Saint Nicodème,Donnez-nous la clef des problèmesSainte Tirelire,Que Grammaire nous fasse rire !Saint-Siméon,Allongez les récréations !Saint Espongien,Effacez tous les mauvais points.Sainte Clémence,Que viennent vite les vacances !

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Sainte Marie,Faites qu'elles soient infinies !

Maurice CARÊME

LE CANCRE

Il dit non avec la têteMais il dit oui avec le cœurIl dit oui à ce qu'il aimeIl dit non au professeurIl est deboutOn le questionneEt tous les problèmes sont posésSoudain le fou rire le prendEt il efface toutLes chiffres et les motsLes dates et les nomsLes phrases et les piègesEt malgré les menaces du maître

Sous les huées des enfants prodigesAvec des craies de toutes les couleursSur le tableau noir du malheurIl dessine le visage du bonheur.

Jacques PRÉVERT

L'enfant précoce 

Une lampe naquit sous la merUn oiseau chantaAlors dans un village reculéUne petite fille se mit à écrirePour elle seuleLe plus beau poèmeElle n'avait pas appris l'orthographeElle dessinait dans le sableDes locomotivesEt des wagons pleins de soleilElle affrontait les arbres gauchementAvec des majuscules enlacées et des cœursElle ne disait rien de l'amourPour ne pas mentirEt quand le soir descendait en ellePar ses jouesElle appelait son chien doucementEt disait

« Et maintenant cherche ta vie ».

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René Guy Cadou

Chanson d'automne

Les sanglots longsDes violonsDe l'automneBlessent mon cœurD'une langueurMonotone.

Tout suffocantEt blême, quandSonne l'heure,Je me souviensDes jours anciensEt je pleure

Et je m'en vaisAu vent mauvaisQui m'emporteDeçà, delà,Pareil à laFeuille morte.

Paul Verlaine

L’averse

Un arbre tremble sous le ventLes volets claquent.Comme il a plu, l’eau fait des flaques.

Des feuilles volent sous le ventQui les disperse.Et, brusquement, il pleut à verse.

Le jour décroît.Sur l’horizon qui diminue je vois la silhouette nueD’un clocher mince avec sa croix.

Dans le silence,J’entends la cloche d’un couvent.Elle s’élève, elle s’élanceEt puis retombe avec le vent.

Un arbre que le vent traverseGeint doucementComme une floue et molle averseQui s’enfle et tombe à tout moment.

Francis Carco

L'arbre

Perdu au milieu de la ville,L'arbre tout seul, à quoi sert-il ?

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Les parkings, c'est pour stationner,Les camions pour embouteiller,Les motos pour pétarader,Les vélos pour se faufiler.

L'arbre tout seul, à quoi sert-il ?

Les télés, c'est pour regarder,Les transistors pour écouter,Les murs pour la publicité,Les magasins pour acheter.

L'arbre tout seul, à quoi sert-il ?

Les maisons, c'est pour habiter,Les bétons pour embétonner,Les néons pour illuminer,Les feux rouges pour traverser.

L'arbre tout seul, à quoi sert-il ?

Les ascenseurs, c'est pour grimper,Les Présidents, pour présider,Les montres pour se dépêcher,Les mercredis pour s'amuser.

L'arbre tout seul, à quoi sert-il ?

Il suffit de le demanderA l'oiseau qui chante à la cime.

Jacques Charpentreau

MON ÉCOLE

Mon école est pleine d'images,Pleine de fleurs et d'animaux,Mon école est pleine de motsQue l'on voit s'échapper des pages,Pleine d'avions, de paysages,De trains qui glissent tout là-bas

Où nous attendent les visagesDes amis qu'on ne connaît pas.Mon école est pleine de lettres,Pleine de chiffres qui s'en vontGrimper du plancher au plafondPuis s'envolent par les fenêtres,Pleine de jacinthes, d'œillets,Pleine de haricots qu'on sème ;Ils fleurissent chaque semaineDans un pot et dans nos cahiers.Ma classe est pleine de problèmesGentils ou coquins quelquefois,De chansons, de poèmes,Dont on aime la jolie voixPleine de contes et de rêves,Blancs ou rouges, jaunes ou verts,De bateaux voguant sur la merQuand une brise les soulève.

Pierre GAMARRA

Bien placés bien choisis …

Bien placés bien choisisquelques mots font une poésieles mots il suffit qu’on les aimepour écrire un poème on ne sait pas toujours ce qu’on ditlorsque naît la poésie faut ensuite rechercher le thèmepour intituler le poème mais d’autres fois on pleure on rit

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en écrivant la poésieça a toujours kékchose d’extrêmeun poème

Raymond Queneau

Si mon stylo

Si mon stylo était magiqueAvec des mots en herbe,J'écrirais des poèmes superbes,Avec des mots en cage,J'écrirais des poèmes sauvages.

Si mon stylo était artiste,Avec les mots les plus bêtes,J'écrirais des poèmes en fête,Avec des mots de tous les joursJ'écrirais des poèmes d'amour.

Mais mon stylo est un farceurQui n'en fait qu'à sa tête,Et mes poèmes sur mon coeurFont des pirouettes.

Robert Gélis

Il était une feuille

Il était une feuille avec ses lignesLigne de vieLigne de chanceLigne de cœurIl était une branche au bout de la feuilleLigne fourchue signe de vieSigne de chanceSigne de cœurIl était un arbre au bout de la brancheUn arbre digne de vieDigne de chanceDigne de cœurCœur gravé, percé, transpercé,Un arbre que nul jamais ne vit.Il était des racines au bout de l’arbreRacines vignes de vie

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Vignes de chanceVignes de cœurAu bout des racines il était la terreLa terre tout courtLa terre toute rondeLa terre toute seule au travers du cielLa terre.

Robert Desnos

Un enfant a dit

Un enfant a ditje sais des poèmesun enfant a ditchsais des poésies

Un enfant a ditmon coeur est plein d'ellesun enfant a ditpar coeur ça suffit

Un enfant a ditils en savent des choses un enfant a dit et tout par écrit

Si l'poète pouvait s'enfuir à tire-d'aile les enfants voudraient partir avec lui

Raymond Queneau

L’illisible

C’est folichon Que tu m’écrives, Mais quels torchons Que tes missives !

Ton écriture N’est que fouillis, N’est que ratures Et gribouillis.

Je vocifère, J’en perds les yeux : Je n’ai que faire D’un cafouilleux.

Dénes Kiss

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Supposons le problème résolu ou la ruse philosophique

Du Dimanche au Samediles jours les saisons la viela mort tout le tremblement,j'ai cru que je comprenais!...

Et tant pis s'il n'en est riencar si nous sommes trop bêtesfaisons semblant de comprendrepour faire peur à l'Espace :

peut-être est-il comme nousfameusement embarrasséquand il cligne des étoilescomme s'il avait compris.

Jean Tardieu

Le plus important dans la vie

Le plus important dans la vie,Mon garçon,C'est l'air pour respirer,C'est l'eau pure pour boire,C'est le lait pour se nourrir,C'est le temps pour bien le remplir.Mon garçon, parfoisL'air s'appelle Liberté,L'eau pure est synonyme d'Amitié,Le lait est tous ceux qu'on aime,La terre est un devoir,Le temps est une conscience

Alain Bosquet

La cigale et la fourmi

La Cigale, ayant chantéTout l'été,Se trouva fort dépourvueQuand la bise fut venue :Pas un seul petit morceauDe mouche ou de vermisseau.Elle alla crier famine

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Chez la Fourmi sa voisine,La priant de lui prêterQuelque grain pour subsisterJusqu'à la saison nouvelle."Je vous paierai, lui dit-elle,Avant l'Oût, foi d'animal,Intérêt et principal. "La Fourmi n'est pas prêteuse :C'est là son moindre défaut.Que faisiez-vous au temps chaud ?Dit-elle à cette emprunteuse.- Nuit et jour à tout venantJe chantais, ne vous déplaise.- Vous chantiez ? j'en suis fort aise.Eh bien! dansez maintenant.

Jean de la Fontaine

Le corbeau et le renard

Maître Corbeau, sur un arbre perché,Tenait en son bec un fromage.Maître Renard, par l'odeur alléché,Lui tint à peu près ce langage :"Hé ! bonjour, Monsieur du Corbeau.Que vous êtes joli ! que vous me semblez beau !Sans mentir, si votre ramageSe rapporte à votre plumage,Vous êtes le Phénix des hôtes de ces bois."

A ces mots le Corbeau ne se sent pas de joie ;Et pour montrer sa belle voix,Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie.Le Renard s'en saisit, et dit : "Mon bon Monsieur,Apprenez que tout flatteurVit aux dépens de celui qui l'écoute :Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute. "Le Corbeau, honteux et confus,Jura, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus.

Jean de la Fontaine

Le loup et l’agneau

La raison du plus fort est toujours la meilleure : Nous l'allons montrer tout à l'heure. Un Agneau se désaltérait Dans le courant d'une onde pure. Un Loup survient à jeun qui cherchait aventure, Et que la faim en ces lieux attirait. Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ? Dit cet animal plein de rage : Tu seras châtié de ta témérité. - Sire, répond l'Agneau, que votre Majesté Ne se mette pas en colère ; Mais plutôt qu'elle considère 

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Que je me vas désaltérant Dans le courant, Plus de vingt pas au-dessous d'Elle, Et que par conséquent, en aucune façon, Je ne puis troubler sa boisson. - Tu la troubles, reprit cette bête cruelle, Et je sais que de moi tu médis l'an passé. - Comment l'aurais-je fait si je n'étais pas né ? Reprit l'Agneau, je tette encor ma mère. - Si ce n'est toi, c'est donc ton frère. - Je n'en ai point. - C'est donc quelqu'un des tiens : Car vous ne m'épargnez guère, Vous, vos bergers, et vos chiens. On me l'a dit : il faut que je me venge. Là-dessus, au fond des forêts Le Loup l'emporte, et puis le mange, Sans autre forme de procès.

Jean de la Fontaine

Le lion et le rat

Il faut, autant qu'on peut, obliger tout le monde : On a souvent besoin d'un plus petit que soi. De cette vérité deux Fables feront foi, Tant la chose en preuves abonde. Entre les pattes d'un Lion Un Rat sortit de terre assez à l'étourdie. Le Roi des animaux, en cette occasion, Montra ce qu'il était, et lui donna la vie. Ce bienfait ne fut pas perdu. Quelqu'un aurait-il jamais cru Qu'un Lion d'un Rat eût affaire ? Cependant il advint qu'au sortir des forêts Ce Lion fut pris dans des rets, Dont ses rugissements ne le purent défaire. 

Sire Rat accourut, et fit tant par ses dents Qu'une maille rongée emporta tout l'ouvrage. Patience et longueur de temps Font plus que force ni que rage. 

Jean de la Fontaine

Le laboureur et ses enfants

Travaillez, prenez de la peine : C'est le fonds qui manque le moins. Un riche Laboureur, sentant sa mort prochaine, Fit venir ses enfants, leur parla sans témoins. Gardez-vous, leur dit-il, de vendre l'héritage Que nous ont laissé nos parents. Un trésor est caché dedans. Je ne sais pas l'endroit ; mais un peu de courage Vous le fera trouver, vous en viendrez à bout. Remuez votre champ dès qu'on aura fait l'Oût. Creusez, fouiller, bêchez ; ne laissez nulle place Où la main ne passe et repasse. Le père mort, les fils vous retournent le champ Deçà, delà, partout ; si bien qu'au bout de l'an Il en rapporta davantage. D'argent, point de caché. Mais le père fut sage De leur montrer avant sa mort Que le travail est un trésor.

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Jean de la Fontaine

Avez-vous vu ?

Avez-vous vu le dromadaireDont les pieds ne touchent pas terre ? 

Avez-vous vu le léopardQui aime loger dans les gares ? 

Avez-vous vu le vieux lionQui joue si bien du violon ? 

Avez-vous vu le kangourouQui chante et n'a jamais le sou ? 

Avez-vous vu l'hippopotameQui minaude comme une femme ? 

Avez-vous vu le perroquetLançant très haut son bilboquet ? 

Avez-vous vu la poule au potVoler en rassemblant ses os ? 

Mais moi, m'avez-vous bien vu, moi,Que personne jamais ne croit ?

Maurice Carême

L’heure du crime

Minuit. Voici l'heure du crime.Sortant d'une chambre voisine,Un homme surgit dans le noir.Il ôte ses souliers,S'approche de l'armoireSur la pointe des piedsEt saisit un couteauDont l'acier luit, bine aiguisé.Puis masquant ses yeux de fouineAvec un pan de son manteau,Il pénètre dans la cuisineEt, d'un seul coup, comme un bourreauAvant que ne crie la victime,Ouvre le cœur d'un artichaut.

Maurice Carême

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L’écolière

Bon Dieu ! que de choses à faire !Enlève tes souliers crottés,Pends donc ton écharpe au vestiaire,Lave tes mains pour le goûter,

Revois tes règles de grammaire.Ton problème, est-il résolu ?Et la carte de l'Angleterre,Dis, quand la, dessineras-tu ?

Aurai-je le temps de bercerUn tout petit peu ma poupée,De rêver, assise par terre,Devant mes châteaux de nuées ?Bon Dieu ! que de choses à faire

Maurice Carême

Le bouleau

Chaque nuit, le bouleauDu fond de mon jardin

Devient un long bateauQui descend ou l'EscautOu la Meuse ou le Rhin.Il court à l'OcéanQu'il traverse en jouantAvec les albatros,Salue Valparaiso,Crie bonjour à TokyoEt sourit à Formose.Puis, dans le matin roseAyant longé le Pôle,Des rades et des môles,Lentement redevientBouleau de mon jardin.

Maurice Carême

Le brouillard Le brouillard a tout misDans son sac de coton ;Le brouillard a tout prisAutour de ma maison. Plus de fleur au jardin,Plus d’arbre dans l’allée ;

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La serre du voisinSemble s’être envolée. Et je ne sais vraimentOù peut s’être poséLe moineau que j’entendsSi tristement crier. Maurice Carême

Gare isolée On allume les lampes.Un dernier pinson chante.La gare est émouvanteEn ce soir de septembre. Elle reste seuleÀ l’écart des maisons,Si seule à regarderL’étoile du bergerQui pleure à l’horizonEntre deux vieux tilleuls. Parfois un voyageurS’arrête sur le quai,Mais si las, si distrait,

 Qu’il ne voit ni les lampes,Ni le pinson qui chante,Ni l’étoile qui pleureEn ce soir de septembre. Et la banlieue le cueille,Morne comme le ventQui disperse les feuillesSur la gare émouvanteEt plus seule qu’avant. Maurice Carême

Liberté

Prenez du soleilDans le creux des mains,Un peu de soleilEt partez au loin !

Partez dans le vent,Suivez votre rêve;Partez à l'instant,la jeunesse est brève !

Il est des cheminsInconnus des hommes,Il est des cheminsSi aériens !

Ne regrettez pasCe que vous quittez.Regardez, là-bas,L'horizon briller.

Loin, toujours plus loin,

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Partez en chantant !Le monde appartientA ceux qui n'ont rien.

Maurice Carême

Il a neigé

Il a neigé dans l’aube rose,Si doucement neigé,Que le chaton noir croit rêver.C’est à peine s’il oseMarcher.

Il a neigé dans l’aube rose,Si doucement neigé,Que les chosesSemblent avoir changé.

Et le chaton noir n’oseS’aventurer dans le verger,Se sentant soudain étrangerA cette blancheur où se posent,Comme pour le narguer,Des moineaux effrontés.

Maurice Carême

La rentrée (extrait)

Je vais vous dire ce que me rappellent tous les ans, le ciel agité de l’automne […] et les feuilles qui jaunissent dans les arbres qui frissonnent. Je vais vous dire ce que je vois quand je traverse le Luxembourg dans les premiers jours d’octobre, alors qu’il est un peu triste et plus beau que jamais ; car c’est le temps où les feuilles tombent une à une sur les blanches épaules des statues. Ce que je vois alors dans ce jardin, c’est un petit bonhomme qui, les mains dans les poches et sa gibecière au dos, s’en va au collège en sautillant comme un moineau.Ma pensée seule le voit ; car ce petit bonhomme est une ombre ; c’est l’ombre du moi que j’étais il y a vingt-cinq ans. Il y a vingt-cinq ans, à pareille époque, il traversait, avant huit heures, ce beau jardin pour aller en classe.Il avait le cœur un peu serré : c’était la rentrée.

Anatole France

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La Différence

Pour chacun une bouche deux yeuxdeux mains deux jambes

Rien ne ressemble plus à un hommequ’un autre homme

Alorsentre la bouche qui blesseet la bouche qui console

entre les yeux qui condamnentet les yeux qui éclairent

entre les mains qui donnentet les mains qui dépouillent

entre le pas sans traceet les pas qui nous guident

où est la différencela mystérieuse différence ?

Jean-Pierre Siméon

Un sourire Un sourire ne coûte rienet produit beaucoup,Il enrichit celui qui le reçoitsans appauvrir celui qui le donne,Il ne dure qu'un instant,mais son souvenir est parfois éternel,Personne n'est assez riche pour s'en passer,Personne n'est assez pauvre pour ne pas le mériter,Il crée le bonheur au foyer,il réchauffe les cœurs,Il est le signe sensible de l'amitié,Un sourire donne du repos à l'être fatigué,Donne du courage au plus découragé,Il ne peut ni s'acheter, ni se prêter, ni se voler,Car c'est une chose qui n'a de valeurqu'à partir du moment où il se donne.Et si toutefois, vous rencontrez quelqu'un qui ne sait plus sourire, soyez généreux, donnez-lui le vôtre,Car nul n'a autant besoin d'un sourireque celui qui ne peut en donner aux autres.

 

Raoul Follereau

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Portrait de l’autreL’Autre :Celui d’en face, ou d’à côté,Qui parle une autre langueQui a une autre couleur,Et même une autre odeurSi on cherche bien …

L’Autre :Celui qui ne porte pas l’uniformeDes bien-élevés,Ni les idéesDes bien-pensants,Qui n’a pas peur d’avouerQu’il a peur …

L’Autre :Celui à qui tu ne donnerais pas trois sousDes-fois-qu’il-irait-les-boire,Celui qui ne lit pas les mêmes bibles,Qui n’apprend pas les mêmes refrains …

L’Autre :N’est pas nécessairement menteur, hypocrite,vaniteux, égoïste, ambitieux, jaloux, lâche,cynique, grossier, sale, cruel…Puisque, pour Lui, l’AUTRE …C’est Toi

Robert Gélis

Le dormeur du val

C'est un trou de verdure où chante une rivière,Accrochant follement aux herbes des haillonsD'argent ; où le soleil, de la montagne fière,Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant commeSourirait un enfant malade, il fait un somme :Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

Arthur Rimbaud

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L'enfant qui criait au loup A trop crier au loup, on en voit le museau. Un enfant baillait comme un poutout en gardant son troupeau. Il décide de s’amuser."Au loup ! hurle-t-il. Au loup !Vos troupeaux sont en grand danger ! "  Et il crie si fort qu’il s’enroue.  Pour chasser l’animal maudit,les villageois courent, ventre à terre,trouvent les moutons bien en vie,le loup, ma foi, imaginaire Le lendemain, même refrain. Les villageois y croient encore.Troisième jour, un vrai loup vintet était un fin carnivore. "Au loup ! cria l’enfant.Un loup attaque vos troupeaux ! ""Ah! Le petit impertinent !Mais il nous prend pour des nigauds! "S’écrièrent les villageois. Le loup fit un festin de roi. Esope