12
REVUE DES RTUDES ETHNOGRAPHIQUES ET SOCIOLOGIQUES PUBLI~E SOUS LA DIRECTION DE ARNOLD VAN GENNEP No8 6-7 : SOMMAIRE page8 F. GAUD : Organisation politique des Manüj (Congo) ... 321 A. VAN GENNEP : Linguistique et sociologie. a, Essai d'une thhxie des langues spéciale ......... 327 . . A.4. REINACH : La luttà de ~ihvà avec Jacob et avec Moïset .......... l'origine de la circoncision 338 Anaiyses : A. LOISY, Les Evangilt?s8gnoptique,y (V. ERMONI) ; . cG.-A. RESNER, Fhe ZwZv~ dyaa8tfc cemetm.es of .. Nagaed-B& (A.-,J. REIN~CH~ ......... 33 ~o~ices bibiiopaphigqqs par : G. C~D&S% A. v. G6, M. DELA- ...... R~SSE, Ad. F~E~A~I, TH. S~EN$KI 374 SomaiPe8 de& Wm& ................ 383 - \ LIBRAIR~E PAUL GEUTENER ' a, RUE MAZAR~, rn 1 - \ Juin-Juillet 1908 , .

VanGennep_1908_LanguesSpeciales

Embed Size (px)

DESCRIPTION

Langues speciales

Citation preview

  • REVUE DES RTUDES ETHNOGRAPHIQUES

    ET SOCIOLOGIQUES P U B L I ~ E SOUS LA DIRECTION DE

    ARNOLD VAN GENNEP

    No8 6-7 : S O M M A I R E page8

    F. GAUD : Organisation politique des Manj (Congo) . . . 321 A. VAN GENNEP : Linguistique et sociologie. a, Essai d'une

    thhxie des langues spciale . . . . . . . . . 327 . . A.4. REINACH : La lutt de ~ i h v avec Jacob et avec Mos et

    . . . . . . . . . . l'origine de la circoncision 338 Anaiyses : A. LOISY, Les Evangilt?s8gnoptique,y (V. ERMONI) ; .

    cG.-A. RESNER, Fhe ZwZv~ dyaa8tfc cemetm.es of . . Nagaed-B& (A.-,J. R E I N ~ C H ~ . . . . . . . . . 3 3

    ~ o ~ i c e s bibiiopaphigqqs par : G. C ~ D & S % A. v. G6, M. DELA- . . . . . . R~SSE, A d . F ~ E ~ A ~ I , TH. S ~ E N $ K I 374

    SomaiPe8 de& Wm& . . . . . . . . . . . . . . . . 383

    -

    \

    L I B R A I R ~ E P A U L GEUTENER ' a, RUE M A Z A R ~ , rn 1

    -

    \ Juin-Juillet 1908

    ,

    .

    v

  • - " ................................ .......................... " . . . ~~

    GENNEP : LES LANGUES SPCIALES [P. 327. ..................................................................................................................................................................................

    LINGUISTIQUE ET SOCIOLOGIE. II

    Essai d'une thori des l angues spciale par A. VAN GENNEP.

    Le problm des langues spciale n'a t envisag jusqu'ici que sous des points de vue troits partiellement par suite de la prdominanc accord l'tud des argots europens D'o l'on avait t conduit A ces conclusions, gnraleme admises encore, que les langues spciale sont des formations aberrantes, des cas tratologiques devant leur formation des circonstances exceptionnelles. C'est ainsi entre autres que M. Sainan semble l'expliquer par une sorte de gnrati spon- tan lorsqu'il dit u Aucun argot europe ne remonte au-del du XVe sicl ,,, alors que le fait est seulement, qu'aucun des documents actuellement connus ne remonte au-del de cette date. Mais comme dans les Serees de Guillaume Bouchet on voit rang dans une mm catgori les argots des merciers, des mendiants et des voleurs, et que ces groupements sociaux secondaires ne datent videmmen pas

    re que ces argots existren aussi antrieure

    C'est ce que vient dmontre ce fait que dans toutes les civilisations, les corpo- rations des mtier et surtout les marchands possden des langues spciale qui leur servent en dfinitiv de moyen de dfens contre l'acheteur. Ainsi l'examen du problm dans toute sa gnralit c'est- -dir par utilisation de la mthod ethno- graphique, s'impose galemen sur ce domaine. Il est remarquable que Max Mller qui s'intress aux tabous linguistiques, n'ait pas song faire des recherches gnral dans ce sens. Et comme les travaux synthtique de Fr. Mller Wundt, Van Ginneken, etc. ne mentionnent pas le phnomn les ethnographes spcialis bien que frapp maintes reprises par l'universalit et l'importance des langues spciales n'ont pu le catgorise leur tour linguistiquement.

    Pour une thori des langues spciales il faut se rappeler qu'il existe dans la vie sociale des conditions spciales plus exactement des besoins collectifs sp ciaux auxquels rponden des institutions dtermine Ces besoins peuvent demcu- rer latents quelque temps, et jusqu'au moment o ils mergen dans les consciences individuelles leur satisfaction demeure potentielle. Mais du jour o l'mergenc se produit souvent, plus de reprises, et chez des individus plus nombreux, et de plus en plus rapproch par de mme besoins, la tendance se manifeste, d'abord spora- diquement et timidement, puis avec une puissance peu peu accrue, A l'unification des efforts en vue de la cratio d'institutions nouvelles ncessaires

    C'est ici que sera d'un grand secours l'ethnographie exprimentale J e ne donne pas & ce mot un sens aussi absolu que dans les sciences naturelles en gnra mais le sens restreint qu'il a dans certaines exprience de biologie, par exemple lors- qu'on tudi l'volutio et la manir de se comporter des tre dans des milieux artificiels, eau sale bouillons de culture, etc. C'est un tort de croire que l'eth-

    L. Samean, L'wgot ancien, Paris; 1907, pp. 11 et 5.

  • nographie n'est qu'une science d'observation apr coup : en fait, quelqu'un qui dsir observer un phnom dtermin peut agir sur les groupes ou les individus sujets de l'observation en variant les conditions de Inobservation, conditions psycho- logiques (par des questions ; par un choc l'imitation, etc.) ou matrielle (par introduction d'lmen nouveaux de la civilisation matrielle) C'est ainsi que les missionnaires font inconsciemment de l'exprimentatio ethnographique lorsqu'ils- introduisent chez des peuples nus ou demi-nus nos vtement et notre conception de la pudeur, introduction dont les effets sociaux se marquent de proche en proche. C'est ainsi, encore, que l'apport de l'critur arabe et de l'critur europenn au Kamerun allemand a permis de suivre en dtai la gens de l'critur de Njoya, roi du Bamum.

    Pour le problm des langues spciales le fait dont il faut partir, et qui a t bien constat maintes reprises par les smasiologues c'est qu'un mm mot appartenant la langue gnra n'a pas le mm sens pour chacun des groupe- ments restreints qui existent l'intrieu de la socit C'est ainsi que le mot opration comme l'a remarqu M. Bral change de sens selon qu'il est employ par un chirurgien, un militaire, un financier, un matr de calcul1 ou un marchand de vin2. Il existe donc h l'intrieu de chaque langue commune autant de langues spciale qu'il y a de mtiers de professions, de classes, bref de socit restreintes l'intrieu de la socit gnral La situation linguistique de chaque languc dpendr de la situation sociale du groupement qui la parle. Rapproch par sa. conformation de la langue gnra s'il s'agit d'une profession reconnue, elle s'en loigner plus ou moins selon que le groupement se trouvera en ta d'antagonisme plus ou moins marqu vis- -vi de la socit gnral C'est pourquoi le langage spcia des voleurs diffrer le plus possible de la langue gnral C'est l dans nos socites le cas extrm de foute une sri de tangues spciales

    Le problm se trouve donc pos sur ses vraies bases d'ordre sociologique : il s'agit de rechercher quelles sont, dans chaque socit gnral les socit sp ciales, et de dtermine la situation qu'elles occupent entre elles d'une part et vis -vi de la socit commune de l'autre. C'est cette situation qui conditionnera le caractr plus ou moins secret, plus ou moins spcia de chaque langue restreinte.

    L'enqut n'a de chances de conduire A des rsultat valables que si elle porte non pas seulement sur nos socit modernes, o nombre de diffrence se sont attnu ou ont fait place d'autres, mais elle doit tr largement comparative.

    En outre toute classification des langues spciale indpendammen des langues- gnral avec lesquelles elles coexistent risque de fausser les ides La limitation de l'horizon constitue prcisme le grave dfau la fois, comme je l'ai dit, des travaux parus jusqu' ce jour sur l'argot mais aussi de l'enqut entreprise autre- fois sur les langues secrte par la revue Am Urpell (vol. II V) et de l'essai de systmatisatio de Richard LaschS.

    1 M. Breal, Essai dest?mantique, 20 6d. p. 285 et suiv. 2 A. Meillet, Comment les noms changent de sens, Ann Sociologique, T . IX, p. 14, ou l'on

    trouvera encore cit : Duvau, Mkm. Soc. de Ling. XIII, 234 et suiv. ; Meringer, Indog. Forsch., -XVII; Roques, Journal des Savants, 1905 ; etc.

    3 R. Lasch, Ueber Sondersprachen und ihre Entstehung, Extrait (36 pages) des Mitteilunqem d e la Socit Anthropologique de Vienne, 1907. Voici, en outre de la plupart des travaux cith dans les notes du prsen Essai, quelques indications bibliographiques compl6mentaires i'int6- ressant memoire de M. Lasch :

    V. 1. Iochelson, Po rika Iasa&o i Korkodonu, Izv. de la Soc. Russe de g6ogr. 1898..

  • Bien mieux, cet ethnographe semble mm s'opposer (p. 14) toute tentative d'explication des langues spciale par leur rattachement h des catgorie sociales dtermin : On rencontre, dit-il, dans les sphre d'activit des hommes [oppos aux femmes] un grand nombre d'occupations au cours desquelles sont utilise des formes de langage spciales Mais il serait prmatur de drive leur existence uniquement des besoins spciau des mtier et occupations mme en question ; au contraire, ces motifs sont de beaucoup infrieur en importance par rapport aux tabous linguistiques qui se basent sur les influences religieuses n. Prise au pied de la lettre, cette opinion est exacte en ce sens que les mtier et profes? sions ne sont pas en effet, chez ces demi-civiliss la condition suffisante pour la formation des langues spciale ; mai? elle est inexacte en ceci, que l'on n'a pas le

    - - droit de donner aux mots occupation, mtie et activit quand il s'agit des demi- civilis le sens uniquement profane qu'ils ont dans nos socit modernes.

    Chez nous, les socit secondaires ou restreintes sont d'ordinaire constitue par des individus ayant mm activit conomiqu ; dans ce cas les langues spcia les prennent chez nous le caractr de simples terminologies. Mais dj le langage

    -- 8 4 " ,du prtr prsent un caractr plus complexe. Et si de proche en proche on

    ,- , remonte aux socit demi-civilises on constate une prdominanc de plus en ,+

    plus grande du caractr sacr de la plupart des langues spciales Ce mot de sacr est pris ici dans le sens prci que lui a donn ces anne

    dernire la science des religions ; il signifie la fois : dou de puissance surnatu- ,

    relle, impur, et mis part (tabou, interdit). 11 n'existe aucune diffrenc de prin- - . z , , , ~ - mv

    ,

    cipe entre la langue de mtie moderne et telle langue sacr demi-civilis : seule- h-,h;q;: - , ~. ment le caractr spcia linpistiLque n'affecte pas les mme catgorie sociales '

    a- 7 - ..i$ .- . ez ,

    Autrement dit, les soczte restremtes qui ex1 intrieu de nos socit 'z- gnral ne se rencontrent pas ncessairemen es demi-civiliss dont les

    les, en revanche, contiennent des socit restreintes que nous.~'avons - . ;' . 8 , ou que nous n'avons que partiellement et un degr moindre.

    A. La~gues spciale sacrkes. - On constatc dans toutes les civiIisations la coexistence d'une langue sacr et d'une langue profane. Il va de soi que plus la socit restreinte qui a pour spcialit l'activit sacr est organise plus sa langue spdiale l'est aussi, au point d'tr parfois une vritabl langue tomb hori de l'usage gnr : c'est le cas du sanskrit dans l'Inde, du latin en pays catho- liques, du vieux-slave en Russie, etc. et peut-tr du sumrie dans l7Assyro-Baby-

    'immobilisation d'une langue entir est le cas extrm moins, toutes les langues sacres Toute la langue

    tr sacr d'autant plus facile lui conserver que la liv. 3, p. 258 (Youkagbires : tabous linguistiques en relation avec le systhme classificatoire; * langue des hommes et langue des femmes).

    Sieroszewski, Le chamanisme chex les Yakoutes. Revue de l'Histoire des Religions, 1902, T. II, p. 219-220 (tabous linguistiques intressants du cbamane, etc.).

    chuana, Paris 1841, p. 49 u eupbmisme n. e Basuto, Folk-Lore, 1904, p. 258 (tabous linguistiques relatifs

    Dawson, Austvalian Aborigines, Melbourne, 1881, p. 29-20 (tabou linguistique entre belle- :,- - 2 . * mhre et gendre).

    P. S6billot, Le Polk-Love des Pdcheurs, Paris 1903, passim (tabous linguistiques des pcheurs surtout de France et d'Angleterre) ; Le FOU&-Lore de F~ance , (index, S. v. mots et nom).

    - - - , % - - - < .

    . A. von Kremer, Bgypten, Leipzig, 1863, T. I., p. 163 (langage de voleurs arabes). *w-cak,, +{ -- - . - :. . 7

    c .

    -=%g$x. - , + + 4

    . - a . . , , . - - s a

    . - > -

    , -.-,- ' , . .

    . - :+:-. - * .- #*'- . .% L - -

    , -< - .. - - - . ' : >

    .

    - - , '

    . , >-- z - -

    - * .- *.

    - * < * L ..A. . - "-

    "-

  • A, . .. ... ,"."... .. . ..,. "... ... . . - . . . ... ... .. .. . . .. .. . .. . . .. . . , .. ... ..... ..... . . .. ... .. .. ... .. .. .

    Pm 33 0 .] - R 0 E * E * S * --. ....... . . ..... " .. - . . .. ,. .. .. .., . . . . . . . . .. . . . . . . . .. . . ... ... . . . . . .. .

    visibles dans les incantations, les formules magiques, etc. Ainsi, d'un bout l'autre de l'humanit on trouve des langages sacrb $UR

    emploi rserv aux prtres aux magiciens ou des individus quelconques pourvu qye? au mo~tfint de'l1m@g&, extraits par des rites appropris du monde profane et muais de 1% puissance magieo-religieuse nkcessaire quiconque veut faire partie te~i~va,a?eiaeri du mbde sacr

    On arrive ainsi chercher quelles sont les autres activit et les situations qui peuvent prsenter un moment donn ce caractr sacr Cette recherche est facilit par les travaux parus en grand nombre ces dernire anne sur les divers rites magico-religieux, d'oii ressort que chez les demi-civilis le domaine du sacrh

    ,

    est beaucoup plus vaste que chez nous, au point qu'il n'est gur d'activit sociale qui ne participe un moment ou un autre du rite magico-religieux. Et chaque fois que ce fait se prsente il doit y avoir emploi, en thorie d'un langage^ spbcial, hypoths .que les donne actuelles permettent de regarder comme exacte dans un tr grand nombre de cas. Ces langages spciau usits'temporairemen prsenten le plus souvent un caractr fragmentaire : ou du moins, sauf sporadiquement, ils ne sont constitu que par un nombre plus ou moins considrabl de termes d'usage interdit, c'est- -dir par des tabous linguistiques.

    Le tabou peut frapper non seulement le nom des divinit proprement dites, mais aussi celui des divinit de toutes catgorie : dmon bienfaisants ou malfai-

    -

    sants, hhros civilisateurs, et en gnr les divinit qui prsiden aux diverses activit spciale : accouchement, naissance, initiation, sacrifice, etc. Il atteint aussi les divinit zoomorphiques, phytomorphiques ou astrologiques ; et enfin les totem (dirinit@ de clan}, les protecteurs d'individus et de toutes sortes de groupe- .men&. Partout a+ le chef est regard comme saint, et c'est l un fait dont la vaste ; diffusion a 6t6- dmantri5 par J.4. Frazer, il existe un langage spcia quand on parle au chef ou aux membres 3e sa famille, ou quand on en parle. I l en est de mme comme je l'ai dmontr & dtai pour Madagascar, quaud il s'agit des morts ou de la mort. De mm encore on emploie un langage sp&dal propos de plantes, comme le riz en Indonsie dont la culture prsent un caractr sacr

    Nous arrivons ainsi au second domaine, celui des activit : il en est dans chaque socit un certain nombre qui portent avec nettet un caractr sacr Telles la pch et la chasse un peu partout, notamment les chasses rituelles totmiques Dans l'Indonsi on trouve le langage sacr des chercheurs de camphre ou de bois d'aigle ; ailleurs on rencontre un langage de guerre spcial Enfin dans cette mm catgori rentrent les langues des forgerons, qui occupent dans nombre de socit une position intermdiair entre le monde profane et le mwde sacr

    On peut en dire autant du lapgage des femmes, celui d'entre les langages sp ciaux qui a le plus frapp6 les observateurs et leur suite les thoriciens En fait ' l'kxistence d'une langue spcial aux femmes s'explique normalement par la situa-, , - tion mm de la femme dans les socit demi-civilises En principe, elle n'appar- --< tient paq la soci$gnr + . -. . - . laquelle -- . n'est constitu que par . - les hommes .ayant ;* pass par Iles rites-d'agrgatio la c~mmqnaut

    * i

  • Elle rentre ainsi dans la mm catgori que l'tranger Or l'&ranger e t l a mme possden intrinsquemen une qualit magico-religieuse spciale toujours

    considr comme malficiente ainsi qu'il a t dmontr par J . - G . Frazer, H. Grierson, moi-mme Crawley, etc. Les raisons de dtai de ce point de vue n'importent pas ici, mais seulement ce fait qu'elles sont d'ordre magico-religieux e t que, tan donn un groupement homogn form d'hommes adultes, il est normal que les individus non agrg ce groupement parlent une langue diffrent de la langue du groupement en question.

    +-, En rgl gnral tout groupement form d'individus ayant mme intr et mme activit tend demeurer homogn et se protge contre l'intrusion d'lmen htrogn Or un clan est par essence un tel groupement, et tendra par suite s'isoler par tous les moyens possibles, le moyen linguistique tan l'un des plus puissants. Cette tendance se rencontre ensuite dans la tribu, puis dans le conglomra de tribus et de proche en proche jusque dans le peuple et la nation.

    Paralllemen se marque la tendance de ceux qui demeurent en dehors for- mer eux aussi un groupement arm pour son propre maintien.

    Le mcanism et les raisons d'tr de la formation des langues spciale sacre se marque surtout avec nettet dans celle des langues dites secrhtes ou u d'ini- tiation ,,. Ces langues ont t l'objet de recherches assez tendues surtout quant A leur vocabulaire, mais on ne semble pas avoir jusqu'ici compris leur place logique dans l'ensembl-e des rites d'initiation. Par ce terme on entend les rites qui accom- pagnent, sanctifient et lgalisen le passage d'une classe d'g une autre, ou d'une classe mystique une autre (mystres) Or ces rites ont pour objet : l0 de spare le novice de son milieu antrieu ; 2 O de l'agrge un milieu nouveau ; 3 O de le rintgr dans le milieu gnra Au point de vue linguistique le processus se dbcompose ainsi : l0 oubli de la langue ankrieur (langage enfantin, langue des femmes, langue gnra vulgaire) ; 2 O assimilation de la langue du milieu nouveau (langue secrte langage mystique, langue thologique ; 3 O retour la langue vul- gaire et gnral avec conservation un certain nombre de mots vulgaires d'un sens spcial ou conservation .de tout un langage spcia utiliser seulement dans des circonstances donne et avec des individus donns On verra, en appliquant ce schm aux cas spciaux par exemple aux langues secrte du Bas-Congol, qu'il rend intelligible le fait linguistique en lui donnant sa vraie place parmi tout un ensemble complexe de faits d'un caractr social gnr et magico-religieux sp cial. Dans ce cas encore la langue secrt est, non pas un produit aberrant, mais une rsultant normale de ncessit sociales gnrale

    Il en est de mm encore de la langue des enfants. Les enfants forment, mm dans nos socit o il n'y a plus de classes d'g hirarchise une socit sphciale, ayant ses tendances propres qui sont nettement individualistes. Le langage des enfants est sans doute soumis des facteurs physiologiques ; mais on verra souvent les enfants conserver entre eux un langage propre (fait frappant surtout dans les familles nombreuses, dans les coles qui n'est autre qu'un moyen de dfens l'gar des adultes, considr comme oppresseurs, ou en tout cas comme personnes viter Dans les socit demi-civilises les enfants rentrent dans la mm cat gorie que les femmes et emploient leur langage spcial qu'ils doivent ensuite dsapprendr lors des rites de passage la premir classe d'ge Dans certains

    1 E. de Jonghe, Les socidtds secr&tes a u Bas-Congo, Bruxelles, 1907. Ces faits n90r.t pas 6t compris par Webster, Secret Societies, New-York, 1908, p. 42.

  • cas, les enfants demi-civilis possden encore un langage propre coexistant avec. celui des femmes : il rentre alors dans la catgori suivante, celle des langues profanes.

    B. Langues spciale profanes. - Le point extrm de dveloppemen de la langue des enfants, c'est la langue spcial des tudiants qu'on peut regarder comme une survivance d'une classe d'g et des langues secrte d'initiation, en tenant compte de ce fait fondamental que ces langues spciale modernes n'ont aucun caractr sacr non plus que les expressions du passage de l'adolescence l'g mr

    Les langues enfantines des demi-civilis n'ont gur t tudi encore. En tout cas on doit rejeter absolument la thori de M. Lasch, qui, d'accord avec Hale, regarde le langage des enfants comme le rsulta d'un instinct de jeu identifie, suivant un clich vraiment trop us le sauvage Zi l'enfant et regarde en dfinitiv ce mm a instinct de jeu comme la force interne qui a amen la formation de toutes les langues spciales1

    Ce n'est pas le lieu de dmontre que le clb instinct de jeu de l'enfant et du sauvage n'est qu'une invention des psychologues introspectifs. Depuis les travaux des biologistes sur l'instinct, et -de ceux de Karl Groos sur les Jeux des animaux2 et les jeux des hommes, fond sur des documents bien critiqu et sur des connaissances approfondies en biologie, on sait que les actes animaux, enfan- tins et humains qu'on regardait comme une dpens dsintress d'activit ne sont que des adaptations pralable une fin utile ultrieure des pr-exercices Or c'est bien cet lme d'utilit que j'espr avoir fait ressortir au cours de cet expos et qui est leur vrai but. M. R. Lasch prten que les langues des enfants ne sont que des u amusements ; et c'est dans cette mm catgori qu'il classe une langue spcial des Maori dont cependant Taylor prcis le but : u They have another amusement, which consists in rendering their conversation unintelligib to stran- gers n .

    Ce mm caractr d'utilit se marque dans les langues de mtiers sur les- quelles il n'est pas ncessair d'insister longuement. Quelques unes d'entre elles participent du caractr sacr du mtie et des gens qui s'y adonnent, ainsi qu'il a t dit ci-dessus (pcheurs chercheurs de camphre, forgerons). L'une des plus connues est celle des maon et tailleurs de pierres, qui constituaient d l'poqu grecque une corporation tr ferm6e et tr individualise Ces langues de mtie prennent, au fur et mesure du dveloppemen culturel, le caractr de simples terminologies.

    Lh a les mtier et les professions constituent des socit spciale bien dli mite Fintrieu de la socit gnral le langage spcia prend au contraire un caractr tr accus Tel est le cas partout o existe le systm des castes (Inde, Afrique Occidentale). E t ceci nous conduit rechercher le lien qui peut exister entre la race, la profession et la langue. Les forgerons fournissent, pour plusieurs rgion de l'Afrique un cas typique ; c'est ainsi que les Wandorobbo, qui vivent au milieu des Masai, sont forgerons, parlent leur langue propre, ce qu'il semble non hamitique, et sont d'une autre race que les Masa Ce cas- montre donc la combinai- son de trois lmen dont l'ai parl : caractr sacr spcialisatio de mtier sparatio de l'tranger On comparera encore le cas des Tsiganes, spcialemen

    Zoc. cit. pp. 3, 12, 35. 2 Trad. franaise Paris 1902.

  • ,. ,, ,, , . , . . . . . .. .. ,. ... .,..... .... .... A.... .. ... .. ...... .. ... . . . . . . . . . , . . ............ ." ........... . . .. .."

    VAN GENNEP : LES LANGUES SP~CIALES. . .. . .. . .. . .. . .. .. .

    [P. 333. . . . . .... . .................... .-

    adonn la chaudronnerie et gardant, par procd de dfense leurs dialectes composites au milieu des autres 'langues gnrale A l'intrieu mme de toute la collectivit tsigaue prise en bloc 'on note des @cialisations linguistiques, cause d'une part par la pression des langues gn6rale ambiantes et de l'autre par l'intro- duction dans la collectivit d'lmen htrog (voleurs, assassins, out~laws de toute sorte). Ainsi le tsigane primitif s'est en diverses rgion d'Europe transform en cette sorte de langue spcial qu'on qualifiera plus troitemen u d'argot n. La constitution, avec le dveloppemen actuel de notre civilisation, de toute une cat gorie de femmes spciale celle des prostitues a galemen entran la formation d'un argot spcial

    * * *

    Je passe l'examen de l'aspect proprement linguistique du problme Comment, au point de vue linguistique strict, les langues spciale sont-elles

    constitue ? A cette question M. Lasch ne rpon que comme suit : Il distingue quatre procd : l0 La priphras : au lieu de u soleil on dira u le brillant ; au lieu de bois,

    u ce qui se porte sur l'paul S . 2 O L'emprunt des langues trangr : la langue des femmes carabe contient

    des lmen arawak. 3 O Les archasme (langue des prtre dajak, etc.). 4 O La modification par mtaths incorporation ou redoublement de sons et

    de syllabes (javanais des prostitue ; langue des enfants, etc.). Ce classement est certes exact mais ne me semble pas d'une grande utilit

    pour le problm mm des langues spciales Il n'est pas un seul de ces procd en effet qui ne soit appliqu galemen dans la formation des langues ordinaires : le grec ou le franai par exemple font usage de la priphrase de l'emprunt aux angues trangre des archasmes des mtathse des redoublements, etc. ; ce

    En tout cas, tan donn que spcia s'oppose A gnra il s'agit de classer les fait? conformmen aux termes du problhme. Il me semble donc plus rationnel de distinguer dans chaque langue spcial :

    a) Les mots qui se rattachent un radical non en usage dans la langue gn rale du moment considr ; dans cette catgori rentrent les mots trangers les mots archaques les mots invent de toutes pieces (d'ordinaire par formation ana-

    dinaire des qualificatifs, ou encore des mots communs transform par mtaths .insertion de syllabes ad libitum, redoublement.

    Il est souvent difficile de discerner premir vue dans laquelle de ces deux catgorie rentre un mot spcia donn ; j'ai tch nagur de le faire pour les vocabulaires malgaches relatifs auxchefs et aux morts, sans y russir C'est donc affaire chaque spcialist de dresser la liste des mots d'apr leur appartenance ou non la langue commune.

    - Cependant chacun, mm avec les documents si souvent insuffisants qu'on pos- sur les langues non indo-europenne ni smitique peut arriver assez ais

  • 2 Cf. mon Tdazb et Totdmisme Madagascar, Paris, 1904, pp. 112-113.

  • . - - ""..':":

    VAN GENNEP : LES LANGUES SP~CIALES. [B. 38G . x.. .,..."a

    - Ici le genre est encore subjectif. Mais peu peu on aurait adopt un systm transactionnel, la ncessit des doublets cessant d'tr vidente On en serait alors

    des bre et des choses et dont il faut

    l'ait not tan celui de mon fils (ten skoza) et ma fille (tin skika), o le genre se marquepar un changement de voyelle dans le pronom possessif2.

    Mm possibilit d'action pour la formation du pluriel : 6 Les seuls noms hupa [Californie] qui changent de forme pour indiquer le pluriel sont ceux qui classent"

    la Revue des Idbes, 1904, n pro'ceksus de changement : Qoaad te^ Ro~iains oat a m & d'un ar&.trt sbus

  • tribus. ou d'autres races, ou aux animaux n. Autrement dit : cette forme spcial s'emploie lorsqu'il s'agit d'tre n'apparten ommunaut adulte, cen- trale, de la tribu.

    Ce dernier fait est tr instructif: sur la langue hupa gn rale prsent un caractr typique des langues dites secrhtes et parle en rgl gnra par un groupe spcia l'intrieu d'un groupe gnra Il y a donc lieu de se demander si le fait linguistique relev dans le hupa n'est pas l'indice d'un point de vue normalement rpand chez les demi-civilis se trouvant un stade social et linguistique moins avanc

    J e fais allusion h l a multiplicit des dialectes chez certains peuples, multipli- cit proprement tonnant parfois. Ainsi le moindre groupement australien possd son dialecte propre, parle parfois par une vingtaine de personnes seulement. J'ignore le nombre exact de ces dialectes australiens, mais il dpass certainement 200 pour quelques milliers d'individus en toutl. De mm Timor, Crawfurd comptait 40 dialectes pour 100.000 individus, et en Nouvelle-Guine Erdweg trouvait 4 dialectes pour 294 habitants rparti en 4 villages2. Des langages non fix par l'critur sont comme de juste sujets une plus grande variabilitb : mais si l'on ne se contente pas de cette constatation d'ordre vague, si on examine d'un peu pr par exemple le maintien du dialecte arunta ct du dialecte urabunna et du dialecte dieri dans l'Australie centrale on s'tonn qu'il n'y ait pas fusion tan donne les relations constantes entre les membres de ces tr petits groupements. E t ceci vaut pour tous les dialectes australiens de proche en proche. Le fait hupa suggr alors l'interprtatio suivante : chaque dialecte n'assumerait-il pas la fonc-

    ttion d'une langue spcial vis- -vi de tous les autres, malgr l'absence d'une langue gnra proprement dite, langue spcial consciemment voulue telle en tant que facteur vital du maintien et de l'autonemie du groupement parlant ce dialecte3 ? Ce caractr serait la forme de dbu d'une volutio qui atteint sa forme dfinitiv avec nos langues u nationales d'Europe (cf. le polonais, le ruthne etc., comme lmen vitaux des nationalit polonaise et ruthne)

    En ce sens la notion de 11 langue spcial n ne devient plus, quand il s'agit de demi-civiliss qu'une notion relative. E t nous obtenons ainsi comme une gradation partant de la langue spcial d'un tout petit groupement d'apparent localis la langue-gnra de toute une nation et passant par : a) le langage des sexes ; 6) le langage des ges c) le langage des occupations, tous ces langages pouvant soit appartenir strictement A la catgori sacr ou la catgori profane, ou appar- tenir aux deux la fois.

    .Le langage spcia perd ainsi dfinitivemen sou caractr de jeu ,, et de phnom anormal mais vient au contraire prendre place dans le dveloppc

    ment liuguistique normal, comme corollaire du sectionnement, lui aussi normal, des socit gnral en socit6 secondaires. Or, de mm que ces socit ont pour rgle internes des rgle qui valent pour la socit entir (sinon elles s'en dtacheraien pour former des socit autonomes), de mm les- langues spciale suivent les rgle fondamentales de la langue gknral A laquelle elles sont Mes.

    1 Cf. entre autres les listes de CUIT, The Azistralian Race, 3 vol., 1886. 2 Cit&s par Lasch, Zoc. cit. p. 2; du tir. part, note 2.

    Je rappelle que chaque fraternit [socibtb magico-religieuse] Zuni emploie un dialecte diffren de celui des autres Mrs Stevenson, 24th Ann. Rep. Bur. Ethnol. Wash., p. XV. Mais je ne sais s'il s'agit d'un dialecte proprement dit ou d'une langue seccete de soci6t.3 d'initi du type ordinaire, c'est-A-dire syntaxe conforme A celle de la langue gbnrale

    . S .

  • . .. -

    VAN GENNEP : LES LANGUES SPCIALES ~ , " d .

    [P. 337.

    Aussi voibon le caractr de spcialit ne porter que sur des lment termin soit sur une partie du vocabulaire gnra soit sur certains lmen (pronom, ou conjonction ou formes verbales, ou manque du genre ou du nombre, etc.), mais non sur les caractre fondamentaux. Du moins je ne connais pas de cas prci o la langue spciale (des femmes, des inities, des professions, etc.), possderai une

    rs un cas d'intro-

    en l'ktat actuel de nos connaissances, toute affir- sez recommander

    r universelle des

    collectivit de tout e l'extrieur Elles

    leur de peau, du facies, du costume : la langue.

    on remarquera que cette interprtatio d'un phnom limit (limit