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Le cadran solaire de la tour de la Via Duomo affiche 19 heures. Les rues étroites et pavées d’Orvieto, en Italie, s’animent doucement : les magasins sont rou- verts depuis la fin d’après-midi, les serveurs instal- lent les tables des cafés au soleil, des papis assis sur des bancs regardent couler le temps. Dans le dédale des ruelles libérées des files de stationne- ment, le regard s’accroche partout, aux églises, aux arches, aux tours et aux palais. Seuls quelques mini- bus fonctionnant au gaz viennent déranger les mar- cheurs. Nichée au sommet d’un rocher de tuf volca- nique, la cité médiévale d’Orvieto domine l’autoroute et la ligne à grande vitesse reliant Florence à Rome. La sensation d’être dans un îlot de calme au cœur d’un océan de folie affleure par- tout. “La lenteur permet d’être plus efficace” C’est dans cette ville qu’a été signée en 1999 la charte fondatrice de Cittàslow – littéralement “ville lente” en français – par les maires de quatre villes italiennes : Bra, Greve in Chianti, Positano et Orvieto. À l’initiative de cette réunion, on retrouve Carlo Petrini, le fondateur de Slow Food, un mou- vement dans lequel l’art culinaire italien se nourrit de traditions locales, de diversité, de respect de l’en- vironnement et de patience (cf. encadré page sui- vante). Si l’association Cittàslow s’engage dans sa charte à promouvoir les valeurs de Slow Food, elle affiche des objectifs plus audacieux, dépassant la culture de la bonne table. “Les villes qui se sont dis- tinguées dans la recherche de la qualité gustative ont décidé de mutualiser leurs expériences en élar- gissant leur attention à la qualité de l’hébergement, des services et du tissu urbain”, mentionne la charte. Un nouveau réseau est né, celui des Città del buon vivere, autrement dit “des villes où il fait bon vivre”. Ces utopies pratiques ont leur quartier général dans un monastère du XIV e siècle en plein centre histo- C’est à Orvieto qu’a été signée en 1999 la charte fondatrice de Cittàslow – littéralement “ville lente” – par les maires de quatre villes italiennes : Bra, Greve in Chianti, Positano et Orvieto. A ensuite été lancé un deuxième réseau, celui des Città del buon vivere – “villes où il fait bon vivre” –, suivi par d’autres... Pier Giorgio Oliveti, directeur de Cittàslow, s’efforce de briser l’image négative qui colle à l’idée de lenteur, plaidant que l’on gouverne le temps au lieu d’être gouverné par lui. Toute ville du monde de moins de 50 000 habitants peut adhérer à ce réseau, 147 l’ont déjà fait. Enquête de Sophie Chapelle, journaliste. CITTÀSLOW Des villes où il fait bon vivre B international magazine novembre-décembre 2011 - N° 381 / URBANISME / 25 Photos : Sophie Chapelle

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Le cadran solaire de la tour de la Via Duomo affiche19 heures. Les rues étroites et pavées d’Orvieto, enItalie, s’animent doucement : les magasins sont rou-verts depuis la fin d’après-midi, les serveurs instal-lent les tables des cafés au soleil, des papis assissur des bancs regardent couler le temps. Dans ledédale des ruelles libérées des files de stationne-ment, le regard s’accroche partout, aux églises, auxarches, aux tours et aux palais. Seuls quelques mini-bus fonctionnant au gaz viennent déranger les mar-cheurs. Nichée au sommet d’un rocher de tuf volca-nique, la cité médiévale d’Orvieto dominel’autoroute et la ligne à grande vitesse reliantFlorence à Rome. La sensation d’être dans un îlotde calme au cœur d’un océan de folie affleure par-tout.

“La lenteur permet d’être plus efficace”C’est dans cette ville qu’a été signée en 1999 lacharte fondatrice de Cittàslow – littéralement “ville

lente” en français – par les maires de quatre villesitaliennes : Bra, Greve in Chianti, Positano etOrvieto. À l’initiative de cette réunion, on retrouveCarlo Petrini, le fondateur de Slow Food, un mou-vement dans lequel l’art culinaire italien se nourritde traditions locales, de diversité, de respect de l’en-vironnement et de patience (cf. encadré page sui-vante). Si l’association Cittàslow s’engage dans sacharte à promouvoir les valeurs de Slow Food, elleaffiche des objectifs plus audacieux, dépassant laculture de la bonne table. “Les villes qui se sont dis-tinguées dans la recherche de la qualité gustativeont décidé de mutualiser leurs expériences en élar-gissant leur attention à la qualité de l’hébergement,des services et du tissu urbain”, mentionne lacharte. Un nouveau réseau est né, celui des Cittàdel buon vivere, autrement dit “des villes où il faitbon vivre”.Ces utopies pratiques ont leur quartier général dansun monastère du XIVe siècle en plein centre histo-

C’est à Orvieto qu’a été signée en 1999 la charte fondatrice de Cittàslow – littéralement“ville lente” – par les maires de quatre villes italiennes : Bra, Greve in Chianti, Positano etOrvieto. A ensuite été lancé un deuxième réseau, celui des Città del buon vivere – “villes où il fait bon vivre” –, suivi par d’autres... Pier Giorgio Oliveti, directeur de Cittàslow, s’efforce de briser l’image négative qui colle à l’idée de lenteur, plaidant que l’on gouverne le tempsau lieu d’être gouverné par lui. Toute ville du monde de moins de 50 000 habitants peutadhérer à ce réseau, 147 l’ont déjà fait. Enquête de Sophie Chapelle, journaliste.

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rique d’Orvieto. Cet ancien couvent est aussi lesiège du Palais du goût et de l’œnothèque régio-nale, signe manifeste de liens étroits avec SlowFood. C’est entre deux salles de cours de cuisineque s’ouvre le bureau de PierGiorgio Oliveti, directeur du réseauinternational des Cittàslow. Derrièreson bureau flotte le logo du réseau,un escargot portant une ville sur sacoquille. Dans un monde dominépar le culte de la vitesse, l’un despremiers défis, pour Pier Giorgio,est de briser l’image négative quicolle à l’idée de “lenteur”. Soncredo : “Vivre lentement, c’est vivremieux et plus heureux.” À ses yeux,vitesse et lenteur désignent plusqu’un changement de rythme, ilsincarnent des styles et des philoso-phies de vie. Une manière d’ap-prendre à gouverner le temps et àne plus être gouverné par lui.À ceux qui assimilent le mouve-ment à un réseau d’amorphes et deparesseux, Pier Giorgio rétorque que “la lenteurpermet d’être plus efficace”. Elle serait même deve-nue “une obligation”. “Nous n’avons pas d’autreschoix que de ralentir, analyse-t-il. Ce n’est pas seu-lement le pic de pétrole qui est en cause, ce sonttoutes les ressources naturelles, qu’elles soienténergétiques, minérales ou agricoles, qui montrentune limite et nous contraignent à réduire notre

empreinte écologique excessive.” Plusieurs rap-ports révèlent que si l’ensemble de la populationmondiale consommait autant de ressources natu-relles que les Européens, son empreinte écologique

serait trois fois supérieure à ce que la planète peutsupporter. Convaincu qu’il est possible d’anticiperpour éviter d’atteindre le point de rupture, PierGiorgio présente les Cittàslow comme desexemples très concrets d’utopies où sont mis enpratique “un nouveau style de vie pour les habi-tants et des projets durables pour les générationsfutures”.

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Le mouvement Slow Food aux origines des CittàslowTout a commencé en 1986, lorsque McDonald’s ouvrit à Rome une succursale à deux pas de la placed’Espagne. Pour contrer la déferlante du fast-food qui gagnait la planète, Carlo Petrini, un critiquegastronomique charismatique, lança le mouvement Slow Food. Comme le suggère son nom, Slow Foodallait promouvoir tout ce qui est introuvable chez l’enseigne McDonald’s : des produits frais, locaux et desaison s’opposant à la standardisation des goûts ; des recettes transmises de génération en générationen vue de créer une conscience publique des traditions culinaires ; une forme d’agriculture viablepromouvant la biodiversité alimentaire ; un soutien à la production artisanale ; des dîners tranquillesentre amis ou en famille aux antipodes de la culture de la restauration rapide. Slow Food prône égalementl’éco-gastronomie – notion selon laquelle manger bien peut et doit aller de pair avec la protection del’environnement. La motivation profonde de ce mouvement reste cependant le plaisir, excellent point dedépart, selon Petrini, pour combattre notre obsession de gagner du temps dans chaque activité de la vie.Comme le clame son manifeste, “une défense sans faille des plaisirs terrestres est la seule façon des’opposer à la folie universelle de la vitesse à tout prix... Notre action devrait commencer à table, enredonnant du temps au goût”. D’emblée, la charte des Cittàslow rédigée en 1999 va marquer unengagement actif dans le respect et la promotion des valeurs de Slow Food. Mais elle affiche égalementla volonté de s’en distinguer, en élargissant la culture de la bonne table à la qualité de l’hébergement,des services et du tissu urbain. Les liens demeurent très étroits entre les deux mouvements, à l’instar ducomité de coordination des Cittàslow, composé de représentants de Slow Food. Reconnu par l’Organisationdes Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, le mouvement Slow Food possède son siège à Bra,au sud de Turin. Présente dans une centaine de pays, l’association compte plus de 80 000 adhérents.Déclinée nationalement, l’association Slow Food France a été fondée en 2003 et rassemble aujourd’huienviron 2 000 adhérents.

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Orvieto : la citadelle, la rue Michelangelo, la place.

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de ses remparts, ses falaises n’ont pas résisté à l’in-vasion des voitures dès les années 1950. “Nousavons organisé plusieurs réunions consultativesavec les résidents et nous sommes parvenus à un

accord autour d’un système multimodal”, expliqueRocco. Pour effacer l’empreinte de la voiture et retrouverla qualité de vie qui caractérisait la cité, les possibili-tés de gagner le centre historique par des transportspublics ont été multipliées. Au bas de la citadelle, unfuniculaire est relié à la gare ferroviaire qui dessertla vallée raccordant Rome à Florence. “Nous avonsdans le même temps procédé à la densification duréseau de bus”, poursuit Rocco. Aujourd’hui, enhaut de la colline, deux lignes permettent de gagnerle quartier médiéval, redevenu presque exclusive-ment piétonnier. L’accès en voiture est pour lemoment restreint aux riverains et aux commerçants.Du fait d’une armada de panneaux de signalisation,l’automobiliste non initié se voit condamné à erreren boucles irrationnelles sur les pavés sonores.Dissuadé par les sens interdits parsemant lesruelles, le conducteur a tout intérêt à gagner les par-kings souterrains construits aux extrémités de lacitadelle. Sur place, il trouvera un ascenseur ou desescaliers mécaniques qui suivent le tracé desconduites d’eau douce édifiées au temps desÉtrusques. “Ce plan alternatif revient à 400 eurospar an pour les résidents, précise Rocco, et tousmanifestent leur satisfaction.” En l’espace de dixans, le cœur historique d’Orvieto est redevenu pié-ton, côtoyant plusieurs pistes cyclables et renouantavec la dolce vita.

Micro-économie et nouvelles solidaritésÀ la sortie du Palazzo Comunale, Pier Giorgi Olivetidésigne un panneau “pedibus” rappelant que les

L’ensemble de ces expériences sont menées à depetites échelles. Pour adhérer au réseau des Cittàslow,les villes doivent compter moins de 50 000 habitants.“Nous refusons les grandes villes dont l’échelle est

sans mesure avec les capacités humaines de per-ception, de dialogue et de déplacement”, expliquePier Giorgio. La critique de la vitesse est doncconsubstantielle à celle du gigantisme et des villestentaculaires et fragmentées. À l’inverse, l’amourporté à la petite échelle se veut sans limites : lesvilles lentes affichent un soutien vigoureux aux pro-ductions locales, aux circuits courts, aux petits com-merces et à la redistribution locale de l’énergie.Autant d’éléments faisant figure d’ennemi natureldu capitalisme mondial. Mais, pour les tenants dumouvement, l’enjeu n’est pas d’être contre la mon-dialisation mais d’être pour “une globalisation ver-tueuse”. “Nous ne sommes pas hostiles au capita-lisme vert, précise Pier Giorgio. Mais, en nousopposant au fast-living, nous nous inscrivons dansun mouvement de contre-culture.”La lenteur urbaine qui règne à Orvieto résulte d’unevraie politique, comme en témoigne RoccoOlivadese, architecte de la municipalité. Ce derniernous reçoit dans son bureau du Palazzo Comunale,un monument de style roman du XIIIe siècle devenule siège du conseil municipal. Cet architecte estconvaincu de la priorité à accorder à la densifica-tion urbaine face à l’étalement. “L’enjeu est de revi-taliser le centre historique, relate Rocco, d’en faireun centre vivant pas seulement pour les touristesmais où les habitants puissent vivre.” D’après lui,près de 13 000 personnes pourraient habiter dansle centre de la cité médiévale. Aujourd’hui, ellessont à peine 6 000. Le premier champ d’action pourl’architecte a consisté en la mise en place d’un sys-tème de mobilité alternative. Car, si Orvieto a béné-ficié pendant des siècles de la protection naturelle

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circuits courts est une approche typiquement slow”,se réjouit Pier Giorgio. Il nous conduit chez Walter Ambrosini, un anciensalarié d’une compagnie d’assurances devenu arti-san. Avec sa compagne, ils se sont lancés il y a dixans dans la fabrication de céramiques de typemédiéval. La boutique est emplie de poteries auxcouleurs vertes et brunes, respectivement dérivéesde l’oxyde de cuivre et du manganèse. “Je m’ins-pire de pièces anciennes, je les étudie avec rigueur,mais je crée des céramiques uniques et différentes”,explique Walter avec enthousiasme. “Ce travail meprocure plus de calme et de tranquillité, il me per-met d’avoir une vie moins mouvementée et au finalplus respectueuse.” Récemment, un revendeur luia proposé de fabriquer une cinquantaine de lampes.“J’ai décliné son offre en lui expliquant que, si j’ac-ceptais, je ne travaillerais que pour lui.” Et pour

cause, quinze jours lui sont nécessaires pour réali-ser une seule de ses lampes. Walter n’a pour lemoment aucune envie d’agrandir son commerce.“Ce travail est suffisant pour faire vivre ma famille,j’ai décidé de privilégier le bien-vivre”, assure t-ilavec confiance. Et de se contenter désormais d’uneseule voiture et d’un seul téléphone portable pourtoute la famille.Si le “made in Orvieto” est un élément fort de lamunicipalité, cette dernière le doit notamment autravail accompli par les ateliers Michelangeli. En sepromenant dans le centre historique, on tombeimmanquablement sur l’une des œuvres provenantde cette entreprise familiale installée à Orvietodepuis 1789. Ses sculptures, créatures légendaireset bancs en bois très reconnaissables, élégantes etstylisées, parsèment le centre historique. C’est dansun ancien théâtre, devenu le lieu de fabrication deces pièces uniques, que nous retrouvons SimonettaMichelangeli. Avec l’aide de cinq employés, elle

enfants aussi bénéficient de ce nouvel art de vivre.Selon une étude rapportée par le journaliste CarlHonoré /1, moins il y a de circulation dans un quar-tier, plus elle se fait lente et plus le lien social estfort entre les résidents. Orvieto donne effectivementl’impression d’un grand village. En cette fin d’après-midi où l’on remonte le Corso Cavour, l’une des ave-nues principales d’Orvieto, Pier Giorgio enchaîneles poignées de main. “À cette heure-ci, mieux vautprendre les rues adjacentes si l’on n’a pas envie deparler”, conseille-t-il en souriant. Une façon derépondre aux critiques qui assimilent les Cittàslowà des “villes-musées”, regorgeant de joyaux archi-tecturaux et destinées uniquement aux plaisirs desvacanciers. “Une ville lente ne doit pas rentrer danssa coquille, avertit Pier Giorgio, elle doit travaillerà l’émergence de nouvelles solidarités au seinmême de ses quartiers mais aussi avec les autres

territoires.”Ces nouvelles solidarités se traduisent par un appuiconséquent apporté par la municipalité aux artisansde la ville. “Créer la transition suppose d’être créa-tif en utilisant notre héritage, explique Pier Giorgio.Le problème, dans les pays occidentaux en parti-culier, est que l’on pense que la modernité revientà détruire l’ancien pour réinventer une nouvelleperspective. C’est en partie vrai, mais pas totale-ment. Nous avons besoin de préserver l’identité etl’esprit de chaque territoire, et de joindre le meilleurdu passé au présent.” Forte d’une tradition artisa-nale dans les domaines de la céramique, desmétaux, du cuir, du bois et des dentelles, la villed’Orvieto mise sur le retour en force de cette micro-économie. Elle refuse en revanche l’ouverture decommerces excédant 2 000 m2. Depuis l’entrée dansle processus Cittàslow, plusieurs artisans ont ouvertun commerce dans les artères du centre historique.“La valorisation de savoir-faire ancestraux dans des

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Brisighella : vue générale, le marché fermier, la tour de l’horloge.

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Carl Honoré, Éloge de la lenteur. Et si nous ralentissions ?Marabout, 2007.

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Routes en graviers.

ouvert ce bar-restaurant en 2008, non loin desartères touristiques. Elle recommande ce jour-làdes pâtes “faites maison” avec des asperges et destomates récoltées à quelques kilomètres, dans laferme de sa famille. “Ce qui est vraiment slow àmes yeux est ce qui est produit localement et demanière biologique. Il est essentiel d’être à l’écoutede la nature et de suivre le rythme des saisons, c’estla chose la plus importante que nous puissionsfaire.” La recherche du tempo giusto est une quêteinhérente à chaque Cittàslow. Signe que le mouve-ment inspire, 68 villes italiennes ont adhéré auréseau depuis 1999.

Entretenir les différencesÉvidemment, toutes les Cittàslow ne se donnentpas les mêmes priorités pour atteindre la “justecadence”. Impossible par exemple de gagner

Castelnuovo Berardenga, dans leChianti, sans la sacro-sainte voiture.Le maire de cette commune toscanede 2 000 habitants, Roberto Bozzi,considère que ce champ ne relèvepas de sa compétence mais duSyndicat des transports de la com-munauté de Sienne. Il a en revanchedécidé de “maintenir la qualité duterritoire et d’éviter la constructionde nouveaux bâtiments”. “Le déve-loppement, c’est entretenir les dif-férences et éviter toute homogénéi-sation”, assure-t-il. Avec l’aide dePaola Dainelli, responsable du ser-vice Urbanisme et de la gestion duterritoire communal, il a donné lapriorité à la densification urbaine, àl’usage durable des sols, à la réha-bilitation de l’existant et à l’effica-

cité énergétique. Le visage de Roberto Bozzi dévoileune once de fierté lorsqu’est évoquée la PiazzaMarconi, une place publique autosuffisante en éner-gie pour son éclairage et sa fontaine qui lui a valule prix de l’initiative décerné par le réseau desCittàslow. Le développement de politiques visantl’efficacité énergétique est un des points clés de lacharte du réseau. “Le bien-vivre, c’est aussi ne pasasphalter partout, poursuit Paola Dainelli. Regardezces strade bianchi /2, les maintenir fait partie denotre histoire au même titre que nos forêts, nos oli-viers et nos vignes.”Cette préoccupation de préservation du patrimoineest commune à l’ensemble des municipalités béné-ficiant de la certification Cittàslow. À Brisighella,dans la région Émilie-Romagne, Filippo, respon-sable d’une agence de tourisme, a participé à larédaction du dossier de labellisation. Dans cettecommune ceinte de murailles du XIVe siècle, on s’op-pose aussi au développement de grandes zones

poursuit le travail de menuiserie artisanale entamésept générations plus tôt, en perpétuant l’universfantaisiste et enchanté développé par ses ancêtres.“Bien que nous ayons beaucoup de demandes,nous vendons uniquement à Orvieto, nous refu-sons le marché mondial et la standardisation.”L’enjeu est de garder intactes leurs normes de hautequalité et l’originalité des créations. Entrant dansl’une des arrière-salles, Simonetta montre quelquesmodèles de marionnettes de son grand-père.“Notre travail est difficile mais, en même temps, ilest très relaxant. Les nouvelles générations aimentce mode de vie lent, loin des grandes villes souspression.” Le plus difficile, pour Simonetta, a étéd’accepter que le manque d’emplois à Orvietopousse ses sœurs, Donatella et Raffaella, à partir.“Le problème de cette ville est que c’est un peu troplent, il n’y a pas assez de travail et ce n’est pas assez

jeune.” Sur le chemin qui nous mène à la boutiquede vente située via Gualverio Michelangeli, du nomde son père, Simonetta désigne des maisons, descafés, des vitrines de magasins, des jardins où lescréations Michelangeli ont désormais leur place.“J’ai grandi ici, c’est ma vie. Et puis, c’est un beaucadre, vous ne trouvez pas ?”Ce “beau cadre de vie” attirerait chaque année descentaines de milliers de visiteurs, d’après le direc-teur des Cittàslow. “Mais nous refusons l’implan-tation de grandes chaînes hôtelières, précise PierGiorgio. Le réseau des villes lentes préfère lespetites structures d’hébergement, ainsi que les res-taurants locaux, de manière à véritablement inté-grer les touristes dans le territoire.” Il Saltapicchiofait partie de ces restaurants emblématiques àOrvieto qui, sans bénéficier du label Slow Food, pro-posent des menus de saison basés pour l’essentielsur des produits frais de la ferme accompagnés devins locaux. Valentina, jeune cheffe de 28 ans, a

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résidentielles ou industrielles. “Nous préférons res-taurer et réhabiliter, même si c’est difficile en Italiepuisque les finances de la mairie dépendent desnouvelles mises en chantier”, témoigne le maire,Davide Missiroli. Dominée par trois pics rocheux – surlesquels s’élèvent la tour de l’Horloge, la forteresseRocca Manfrediana et le sanctuaire Monticino –,Brisighella est un labyrinthe d’anciennes ruelles tra-versées d’escaliers sculptés dans le gypse. Lesfaçades des maisons sont habillées aux couleursde la terre, délicat mélange d’ocre sèche, de jauneterne, de rose poussiéreux. “Ce sont des couleurstypiques du début du XXe siècle que nous avonscherché à préserver”, explique le maire. La Via del Borgo, également appelée “route desânes”, est un passage immanquable du centre his-torique de Brisighella. Surélevée et couverte, rece-vant la lumière du jour grâce à ses nombreusespetites fenêtres en forme de demi-arche, cette routeconstituait au XIIIe siècle un rempart de défense pourla citadelle médiévale. Par la suite, elle fut à la foisl’abri et le chemin de passage des ânes qui trans-

portaient des charrettes de pierres de gypse.“Aujourd’hui, cette route que nous veillons à pré-server longe des magasins de services avant dedéboucher sur une demeure complètement aty-pique”, dit mystérieusement Davide Missiroli. Creusée dans la roche, la maison Boschi se déploiesur sept étages. Du sous-sol, où l’on découvre unegrotte dans laquelle était conservée la glace, jus-qu’à la terrasse sur le toit, chaque étage a été res-tauré avec d’anciennes techniques artisanales. “Lacommune de Brisighella mise depuis des décen-nies sur la rénovation du patrimoine historique àl’aide de mesures structurelles, confirme le maire.Pour mettre en avant ces efforts, nous organisonsune fête médiévale annuelle qui réunit les habitantset de nombreux visiteurs.” D’après l’enquête réali-

sée par la Fondation Censis et rendue publique enjuin 2011, les projets considérés comme les plusréussis par les Cittàslow concernent les manifesta-tions culturelles locales, mises en œuvre par envi-ron 70 % des villes adhérentes.“Vivre lentement, pour nous, c’est aussi produirenos propres produits, là où l’on vit”, commenteFilippo en passant devant la Copaf, une coopéra-tive où sont valorisés les produits locaux typiquescomme la viande de bœuf et de porc, la confiture,mais aussi le ragoût. L’huile d’olive de Brisighella,très réputée dans la région et bénéficiant d’une cer-tification européenne, est transformée à la sortiede la ville. Un musée à ciel ouvert est dédié à cettehuile dont les procédés d’extraction sont extrême-ment soignés. “Cette tradition remonte à plus d’unmillénaire, commente Filippo. La productionactuelle est limitée et très contrôlée, toute la récoltese fait à la main à l’aide de peignes.” Aux différentesintersections de la ville sont affichées les cinq cer-tifications de Brisighella, parmi lesquelles les labels“Ville de l’huile” et Cittàslow. Pas de doute pour

Filippo, “le mouvement slow est quelque chose devraiment intéressant pour développer le tourisme”.Nombreux sont pourtant les touristes qui n’en ontjamais entendu parler. “Ceux qui connaissentCittàslow sont ceux qui ont une activité en lien avecle tourisme, les restaurateurs et les aubergistesnotamment”, nuance une résidente de Brisighella.

Nettoyer le mondeBien que la conscience d’être slow soit un despoints de la certification, tous les habitants nesavent pas nécessairement qu’ils font partie d’uneville lente. À Abbiategrasso, dans la province deMilan, le maire Valter Bertani a donc décidé d’orga-niser un Cittàslow Day, “une journée entièrementconsacrée à des événements dans la philosophie

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Abbiategrasso : signalisation de circulation limitée et police locale à vélo.

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allons par exemple construire une école maternelledébut 2012 totalement autosuffisante. Nous cher-chons à ne pas rentrer dans notre coquille mais àrester ouvert sur le monde.”Une chose est sûre pour Pier Giorgio Oliveti,“Cittàslow ne se veut ni de droite ni de gauche”.“Tous les maires membres du réseau sont engagésdans la même direction, ce qui est important, c’estde faire preuve d’efficacité et de mettre en pratiquela qualité de vie au quotidien.” La démarche pourobtenir la certification Cittàslow part donc de l’ini-tiative du maire. Et c’est là une des différences fon-damentales avec le réseau des villes en transition,qui se caractérise par une approche bottom up,c’est-à-dire de bas en haut. Pier Giorgio assumetotalement son travail aux côtés des maires, aux-quels revient, d’après lui, “la nécessité de prendredes décisions jour après jour et de les rendre opé-rationnelles”. À l’heure actuelle, il n’existe pas decomité local Cittàslow à Orvieto, ce qui pourrait jus-tement favoriser la réappropriation de la ville par lescitoyens. Mais d’autres communes en ont développé

et travaillent avec les habitants surles transports ou sur l’éducation à l’alimentation. ÀCastelnuovo Berardenga, parexemple, la planification urbainea fait l’objet d’une large consulta-tion. D’après Paola Dainelli, “celanous a permis de mieux com-prendre les exigences et attentesdes habitants sur le futur de lacommune”. Un premier pas...Conjuguer le social à unemeilleure qualité de la vie serévèle également difficile, l’aug-mentation du prix des loyersaccompagnant quasiment tou-jours l’amélioration du cadre devie. “L’intégration sociale est undéfi que nous cherchons à rele-ver”, assure Pier Giorgio Oliveti.

Avec d’autres membres du réseau, il a participé cesderniers mois à la rédaction de la Charte euro-péenne des responsabilités sociales partagées.“L’enjeu est de réduire les inégalités de pouvoir etde soumettre les initiatives à des objectifs de jus-tice sociale, environnementale et intergénération-nelle.” Des écrits qui passent encore difficilementl’épreuve des faits. Mais quelques exemples concrets viennentjoindre culture et social. Ainsi, la municipalitéd’Abbiategrasso co-finance les voyages du troi-sième âge et des repas dansants dans le centre his-torique offrant la possibilité de déjeuner pour cinqeuros. “Notre défi, c’est de parvenir à protéger lesCittàslow tout en leur permettant d’être ouvertes àtout le monde, et pas seulement à l’élite”, rappelle

de Cittàslow”, précise-t-il. Le thème de l’an dernier ?“Nettoyer le monde.” “Concrètement, nous avonsrassemblé des étudiants, des habitants, des tou-ristes, pour nettoyer Abbiategrasso. Nous en avonsprofité pour fermer la circulation en ville et organi-ser des jeux pour les enfants dans le centre histo-rique”, explique-t-il. Autre exemple ? Au niveaunational, le réseau a organisé à Milan Vélo slow,une promenade cyclable d’environ 40 km ponctuéed’arrêts pour goûter des produits régionaux. La par-ticipation ponctuelle à des événements peut-ellesuffire à changer les consciences ? En réalité, pourla plupart des personnes rencontrées qui promeu-vent ce réseau, les habitants des Cittàslow feraientdu slow sans le savoir. “C’est dans l’esprit que c’esttrès lent, explique-t-on. Continuer à être commenous étions avant, préserver, transmettre les savoir-faire, fait partie de la qualité de vie.” “On ne devientpas Cittàslow, résume Pier Giorgio Oliveti, on l’estdans l’esprit et on le valorise.”“Une Cittàslow, c’est une municipalité rurale dontle maire s’engage en fin de compte à ne rien faire

de plus que ce qui existe déjà”, commentent lesdétracteurs. La critique est aisée. En pratique, il estvrai que les villes lentes sont loin de révolutionnerl’univers italien des municipalités rurales, avec sesmagasins fermant leurs portes depuis des décen-nies entre midi et 16 heures, ses restaurants fami-liaux et ses vignobles à perte de vue. Plusieursjeunes adultes interrogés confient ressentir “unementalité très fermée et trop conservatrice”. “Cequi compte c’est d’être du coin, de vendre ses pro-duits et de ne pas changer ses habitudes même sicela doit se faire au détriment de l’environnement”,explique ainsi Andreu, un jeune père de famille.Valter Bertani, le maire d’Abbiategrasso, s’endéfend. “Nous travaillons énormément avec lesnouvelles technologies environnementales, nous

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Pier Giorgio. Face aux défis économiques, financiers, sociaux,environnementaux et démocratiques, Pier GiorgioOliveti estime que les Cittàslow sont dans “un pro-cessus de transition vers un monde plus soutenablepour les générations futures”. “Bien sûr, ajoute-t-il,nous ne sommes pas parfaits, chaque initiativeconnaît des contradictions. Mais nous prenons lemodèle imparfait actuel pour le modifier à sa basede la meilleure façon possible, en partant de ques-

tions pratiques.” L’idée fait des émules, puisque147 villes dans 24 pays ont rejoint le mouvementdepuis douze ans, des États-Unis à la Corée du Sud.En France, trois villes ont récemment adhéré :Segonzac en Charente, Labastide-d’Armagnac dansles Landes et Mirande dans le Gers (cf. entretien p. 30).Une révolution tranquille qui compte de plus enplus de partisans. l Sophie Chapelle

32 / URBANISME / novembre-décembre 2011 - N° 381

CITTÀSLOW - DES VILLES OÙ IL FAIT BON VIVRE

Cittàslow gagne le Gers

Après Segonzac en Charente et Labastide-d’Armagnac dans les Landes, c’est Mirande, une commune d’un peu plus de 4 000 habitants située dans le département du Gers, qui sera certifiée Cittàslow en décembre 2011. Pierre Beaudan, le maire de Mirande, revientsur cette adhésion.

Comment avez-vous découvert le mouvement Cittàslow ?

Depuis 1991, Mirande est jumelée avec San Mauro Torinese en Italie. J’ai eu la chance d’aller visiter l’unede ses villes amies, Orsara di Puglia, près de Naples. Cette commune de 3 500 habitants a un caractèremédiéval extraordinaire et bénéficie du label Cittàslow. En me renseignant sur cette certification, l’idéem’est venue qu’elle collerait bien à ma commune de 4 000 habitants, où la qualité de vie, au cœur duGers et loin des grands centres, est exceptionnelle.

Quel est le but de votre démarche ?

Soyons clairs, la traduction littérale de Cittàslow par “ville lente” ne me convient absolument pas. Adhérerau réseau des Cittàslow, c’est pour Mirande rejoindre les villes de la convivialité, de la qualité de vie,sans souci de déplacement, avec une bonne qualité de l’air, du caractère et des relations fortes entre lesconcitoyens. Être Cittàslow va être l’occasion pour nous de mettre en avant nos produits locaux et arti-sanaux, de développer le tourisme. C’est vraiment une démarche qui apporte à notre région un label dequalité.

Qu’allez-vous réaliser concrètement dans le cadre de Cittàslow ?

Nous allons faire un maximum de choses prévues par la charte, en matière notamment de préservationdu bâti, de gastronomie, de respect des paysages. Nous sommes en train de développer les cheminspiétonniers et cavaliers, qui sont des liens dans notre communauté de communes. Nous prévoyons éga-lement de mettre en exergue les volailles dites “festives” afin d’aider les éleveurs traditionnels. Nousprêtons attention à la biodiversité animale, avec la protection de la Mirandaise, une vache gasconne envoie de disparition. Il nous semble également important de créer des moments de convivialité en pro-grammant des fêtes de village où sont mis à l’honneur des travaux autrefois réalisés collectivement,comme les moissons. Dans le même temps, nous construisons un Sun Park, recouvert par 35 000 m2 depanneaux photovoltaïques. Vous le voyez, c’est une dynamique écologique alliant tradition et moder-nité.

Est-ce une adhésion qui fait l’unanimité au conseil municipal ?

Le manque de notoriété de ce label a fait douter des conseillers de la pertinence d’y adhérer, avec lacrainte que l’image véhiculée soit un peu passéiste. Six personnes de l’opposition ont voté contre. Pourmoi, cette adhésion relève d’une démarche apolitique qui vise à valoriser le patrimoine de la région, àlui donner une image de marque favorisant son développement. Nous avons porté le dossier au nomde Mirande car, d’après la charte, seules les communes peuvent adhérer. Mais notre projet est de nousdonner les moyens de communiquer à l’échelle de la communauté de communes. J’espère que les vil-lages alentour nous rejoindront progressivement dans cette démarche. lPropos recueillis par S. C.

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