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1
UNIVERSITE DE PARIS – SORBONNE (PARIS IV)
ENA
École des hautes études en sciences de l’information
et de la communication
École nationale d’administration
Master Professionnel 2 ème année
Option : COMMUNICATION DES INSTITUTIONS PUBLIQUES
Le recours aux émotions dans une campagne de communication publique sécuritaire :
Analyse sémiologique des spots Stop-Djihad du SIG
Sous la direction de :
Madame Françoise Boursin, Professeur des Universités
Au CELSA Paris-Sorbonne
Et
Monsieur Jean-Emmanuel Paillon
Délégué général à l’administration des ressources et des services, INRIA
2015-2016
Nom et Prénom: Kharrat Driss Ines
Promotion : Georges Orwell
Option : COMMUNICATION DES INSTITUTIONS PUBLIQUES
Soutenu le : Mention :
Note du mémoire :
2
Remerciements
Je remercie Madame Françoise Boursin, Professeur des Universités au CELSA
Paris- Sorbonne, pour le temps précieux qu’elle m’a consacré.
Je remercie Monsieur Jean-Emmanuel Paillon, Délégué général de l’INRIA, qui m’a
pleinement fait profiter de son dynamise et ses qualités professionnelles.
Je remercie toutes les personnes qui ont accepté de me recevoir et de me consacrer
une partie de leur temps.
3
Sommaire
Introduction générale……………………………………………………………. 7
La problématique………………………………………………………………… 10 les hypothèses……………………………………………………………………. 11 plan du mémoire ………………………………………………………………… 12 Partie I- La prédisposition de communication publique à l’usage des
émotions……………………………………………………………….................
14
Introduction Partie I……………………………………………………………… 15 Chapitre I- La communication publique : De l’intérêt général au changement comportemental de la société…………………………………
17
Section I – La communication publique entre enjeux et définitions…… 18 I.1. les enjeux de la communication publique …….……………………….. 20
1. Enjeu réglementaire ……...……………………………………………... 22
2. Enjeu économique ………………………………………………………. 22
3. Enjeu social ……. ……………………………………………………….. 23
4. Enjeu politique ……. ……………………………………………………. 23
5. Enjeu technologique ……..…………………………………………….. 24
I.2. la définition de la communication publique ……..…………………….. 24
1. Communication politique et communication publique …….… 25
2. Communication sociétale et communication publique …….... 26
Section II – Une lecture dans différentes campagnes de communication
publique nationale visant la modification des comportements…………..
28
II.1. La campagne de la sécurité routière (2016) .………………………….. 28
II.2. La campagne de prévention du Sida Inpes (2015) .………………….. 33
Chapitre II- Les émotions : axe de communication publique
De l’émotion à la création attitudinale et comportementale………...........
36
Section I – Rôle des émotions dans l’efficacité des campagnes de
communication publique ……………………………………………………….
37
I.1. Définitions des émotions …………………………………………........... 37
I.2. La classification des émotions ………………………………………….. 38
I.3.Différence entre émotion et attitude ……………………………………… 40
I.4. La communication publique et la communication persuasive……… 41
Section II – Les mécanismes et outils de la communication persuasive
basées sur les émotions…………………………………………………………
43
4
II.1. Les mécanismes de la communication persuasive …………………. 43
1.1 La persuasion informative ……………………………………………….. 43
1.2 La persuasion mécaniste …………………………………………........... 44
1.3 La persuasion intégrative ……………………………………………….. 44
1.4 La persuasion suggestive ……………………………………………….. 45
II.2. Les outils de la communication persuasive basée sur les
émotions : ………………………………………………………………………….
46
1. Image …………………………………………………………………........ 46
2. Imagerie mentale………………………………………………………….. 47
3. La communication narrative (le storytelling)………………………… 47
4. L’effet de cadrage des conséquences………………………………… 48
Section III – Le cadre résumant le processus de communication axé
sur les émotions dans le cadre de notre étude ………………………......
49
Conclusion partie I ……………………………………………………………... 50
Partie II- La prévention de la radicalisation entre communication
sociale et politique sécuritaire…………………………………………………
51
Introduction Partie II…………………………………………………………….. 52
Chapitre III- Le contexte de la radicalisation en France………………….. 54
Section I – L’évolution de la radicalisation en France et la diversité des
profils des radicalisés …………………………………………………………..
55
I.1. Les indicateurs de la radicalisation …………………………………….. 55
I.2. Le dispositif de lutte contre la radicalisation en France …………….. 57
I.3. Le profil des jeunes radicalisés…………………………………………… 58
a. Les femmes : nouvelle cible des recruteurs radicaux……………….. 58
b. Des jeunes entre 15-21 ans ……………………………………………… 58
c. Toutes les classes socioprofessionnelles sont touchées ………… 59
d. Des familles de cultures diverses ……………………………………… 59
I.4. Le processus de radicalisation ………………………………………….. 60
Section II – La campagne de communication publique « stop
djihadisme » …………………………………………..…………………………..
61
II.1. Campagne janvier 2015 …………………………………………………… 61
II.2. Campagne octobre 2015 ………………………………………………….. 63
Chapitre IV- Etude de la campagne Stop djihadisme……………………… 65
5
Section I - Méthodologie de recherche ………………………………………. 65
I.I. : Recherche qualitative..…………………………………………………….. 65
I-1- Choix de la méthode de recherche .……………………………… 65
I-2- Méthode de collecte des données ..……………………………… 66
I-3- Choix des répondants ……………………………………………… 67
I-4- Guide d’entretien …………………………………………………… 67
I-5- Administration des entretiens……………………………………. 68
I-6- Méthode d’analyse…………………………………………………. 68
I.II. Analyse sémiologique ……………………………………………………… 70
Section II - Analyse des résultats …………………………………………….. 71
II.I. Phase 1 : focus group………………………………………………………. 71
II.II. Phase 2 : analyse sémiologique …………………………………………. 76
1. Spot 1 de la campagne de janvier 2015……………………………… 76
2. Spots de la campagne d’octobre 2015 ……………………………… 82
II. III. Interprétation des résultats ……………………………………………… 84
Conclusion partie II ……………………………………………………………… 86
Conclusion Générale……………………………………………………………... 87
Bibliographie……………………………………………………………………..... 90
Annexe A………………………………………………………………………….... 95
Annexe B………………………………………………………………………….... 97
Annexe C………………………………………………………………………….... 100
Annexe D………………………………………………………………………….... 101
Annexe E…………………………………………………………………………..... 102
Résumé…………………………………………………………………………....... 109
Mots clés…………………………………………………………………………..... 110
6
Liste des images
Image 1 : Le choc de l’accident et le nombre de victime induite 32
Image 2 : La victime de la sécurité routière 32
Image 3 : Une proche de la victime 32
Image 4 : Signature du spot de la prévention du sida 35
Image 5 : Affiches déclinées des spots de la prévention du sida 35
Image 6 : Affiche sécurité routière – Alcool 43
Image 7 : Affiche sécurité routière – ceinture de sécurité 44
Image 8 : Affiche protection de l’environnement – gestion des déchets 45
Image 9 : Affiche sécurité routière – ceinture de sécurité 45
Image 10 : Affiche sécurité routière – Le danger des téléphones en conduisant 47
Image 11 : Affiche sécurité routière – Le danger des téléphones en conduisant 47
Image 12 : Affiche sécurité routière – l’alcool au volant 48
Image 13, 14 et 15: Images véhiculées par les réseaux terroristes 58
Image 16 et 17 : Images véhiculées par les réseaux terroristes 59
Image 18 : Capture écran du film de prévention de la radicalisation 61
Image 19: Capture écran sur la signature de la campagne de la prévention de la radicalisation 62
Image 20 : Capture écran du spot montrant la prise de contact (le jeune - le groupe terroriste) 77
Image 21, 22 et 23 : Capture écran des séquences du plan 1 du spot 77-78
Image 24 : Captures écran sur la signature du spot des témoignages 83
Liste des figures
Figure 0 : Schéma de la communication verbale Jakobson 15
Figure1 : Le cadre de l’étude 49
Figure 2 : Profil des cas signalés 56
Figure 3 : Profil par tranche d’âge 57
Figure 4: Les canaux de la propagande terroristes pour le recrutement 60
Liste des tableaux
Tableau 1: Classement des émotions (Shaver et al. 1987) 40
Tableau 2 : Méthodes d’analyse de contenu 70
7
Introduction générale
Au cours de ces dernières années, la radicalisation est devenue une
préoccupation internationale. La prévention de la radicalisation conduisant à la
violence et au terrorisme est un défi permanent portant sur des enjeux sécuritaires et
de cohésion sociale.
Les termes « radicalisation », « prévention », « désengagement » et « dé-
radicalisation » se sont largement répandus depuis les attentats du 11 Septembre,
notamment aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Allemagne et dans les pays du
Nord de l’Europe. Ces concepts sont liés et connaissent un regain d’intérêt en
France depuis les attentats de janvier 2015.1
En France, 8 2502 signalements destinés à prévenir des cas de radicalisation
violente ont été effectués depuis la mise en place d’une plate-forme téléphonique en
2014 par le ministère de l’Intérieur pour leur signalement des cas de radicalisation.
Selon certains analystes3, la hausse des signalements en 2015 est liée au contexte
particulier, de deux attentats majeurs ayant ensanglanté Paris conduisant à
l’instauration d’un État d’urgence.
A la suite des attentats de Charlie Hebdo, le SIG, Service d’information du
gouvernement, a lancé une campagne de communication « anti-jihad » dans le cadre
d’une stratégie nationale de lutte contre le terrorisme. La campagne médiatique, une
des actions du plan d’action gouvernemental, est marquée par le lancement d’un clip
via les réseaux sociaux en janvier 2015 et la diffusion de spots télévisés dans une
vingtaine de média en octobre 2015.
Dans l’ère de l’image et de l’immédiateté, au moment où se démocratisent les
nouvelles technologies de l’information et de la communication, les messages de la
communication publique empruntent les codes de la communication publicitaire
dans un objectif de plus grande d’efficacité et d’impact sur les cibles.
1 Asiem el Difraoui, Milena Uhlmann, (2015) « Prévention de la radicalisation et dé-radicalisation : les modèles allemand, britannique et danois, Politique étrangère » 2015/4 (Hiver)
2http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2016/02/03/que-disent-les-chiffres-sur-la-radicalisation-en france_4858633_4355770.html 3 Id.
8
La communication publique est souvent définie comme un processus à sens
unique, avec d’un côté, des gouvernants et de l’autre des gouvernés. Les
contributions académiques concernant la communication publique demeurent faibles
comparées à d’autres formes de communication. Avec l’évolution des rapports entre
les citoyens et la sphère publique et le passage de la réception de l’information à la
communication, le souci de bien communiquer est devenu un enjeu majeur du
secteur public.
La sphère politique se sépare rarement des émotions, des passions et de la
communication selon Max Weber4. L’action gouvernementale actuelle,
particulièrement dans cette période de violence, de crise et d’incertitude, appelle un
certain type de discours fortement émotionnel.
On observe la place occupée par les émotions dans la confiscation de
l’espace politique et son inscription à un rang élevé dans l’agenda national des
questions sécuritaires. D’où le fait qu’une communication publique pourrait avoir tout
à gagner de l’instrumentalisation des émotions.
Les peurs, les angoisses, les menaces ont toujours été utilisées par les
politiciens, dans certains contextes et événements d’actualité, pour s’ériger comme
rempart ou garant contre l’insécurité ou le danger.
A ce stade, les questions suivantes doivent être posées: Est ce que les
pouvoirs publics peuvent mobiliser toutes les émotions ? L’émotion suscitée conduit-
elle à la transformation de l’état affectif à un état incitant à l’action ? Quelles sont les
techniques adoptées pour provoquer les émotions souhaitées ? Les émotions ne
varient-elle pas en fonction des cibles ce qui suppose une étude de marché
préalable? Comment évaluer l’efficacité de l’emploi des émotions dans une
campagne de communication publique ?
Dans ce travail, nous avons choisi de nous restreindre à l’étude des
émotions dans le message véhiculé par la sphère publique par le biais d’un
canal de communication au récepteur. L’objectif de l’institution publique est de
provoquer une réaction chez le récepteur par le changement de ses attitudes et/ ou
4 Citée par Cynthia Fleury (2008) ; « La passion de la communication », http://www.humanite.fr/node/384913
9
une prise de conscience d’un phénomène (objectif cognitif), par le développement
d’un état émotionnel (objectif affectif) et/ou le pousser à l’action (objectif conatif).
Pour atteindre ces objectifs, les institutions publiques ont emprunté les
méthodes du secteur privé. Zemor5 (1992) parle des moyens dont dispose une
organisation de services publics pour influencer, dans un sens favorable à la
réalisation de ses objectifs, les attitudes et les comportements des publics auxquels
elle s’intéresse.
Notre objectif principal est de mettre en évidence les techniques de
persuasion empruntées à la publicité marchande, dans la conception des spots
mêlant image et discours pour atteindre les objectifs de la campagne de prévention
de la radicalisation, basées sur les émotions.
Outre le défi sécuritaire que provoque la montée de la radicalisation, le
traitement du sujet sur la communication de la prévention de la radicalisation nous
semble nécessaire pour deux raisons principales.
La première provient d’un constat : la France fait face à une montée
croissante des actes violents issus de la radicalisation. Les budgets alloués à la
communication pour lutter contre la radicalisation étaient, avant les attentats, très
restreints et se limitaient à des actions ponctuelles sur le terrain (subvention des
associations, accompagnement des collectivités territoriales, etc.). En conséquence,
les campagnes de communication sont rares et seuls les discours des politiciens
relayent l’ampleur du phénomène auprès des citoyens.
La deuxième raison qui a motivé cette étude repose sur la nécessité de mener
des travaux dans le domaine de la communication destinée à la lutte contre la
radicalisation, qui, pour l’instant ne suscite que l’intérêt des politologues, sociologues
et anthropologues. Or, le challenge est de développer des argumentaires et des
contre-discours à la propagande extrémiste à l’attention des cibles. Ces contre-
discours élaborés pour le gouvernement reposent sur les conclusions et
recommandations des experts de différents domaines, mais ne peuvent être traduit
aux récepteurs qu’à travers des spécialistes en communication publique.
5 Pierre Zemor ; (1992) « L’information pour les usagers : les sens de la relation », Rapport officiel de la documentation française, p.8
10
Une question centrale se pose alors, celle de l’efficacité de la communication
de prévention de la radicalisation menée par le Service de l’information du
gouvernement.
Cependant, les études comparatives et les articles académiques manquent
dans ce domaine étant donné que le sujet est très récent. La problématique
générale de ce travail va se concentrer sur le décryptage des techniques persuasives
basées sur les émotions dans la mesure où l’on peut vérifier l’utilisation de ces
techniques par l’analyse des messages réalisés par le SIG.
La problématique de notre recherche est la suivante :
Comment le recours aux émotions dans la communication publique
sécuritaire, dans la conception des messages transmis par les Institutions
publiques à travers les images et les messages verbaux, se manifeste-il à
différents moments des discours, dans son contenu et dans l’adéquation entre
l’image/le contenu?
L’objectif est de démontrer le recours aux émotions pour la formation des
réponses attitudinales et comportementales à travers une analyse sémiologique du
message et un décryptage des spots et non par l’évaluation des effets sur les
récepteurs.
D’un point de vue théorique, l’intérêt de cette étude est de montrer que le
recours aux émotions dans la conception des messages émis par une institution
publique ne se limite pas aux campagnes sociales, mais peut, aussi s’étendre au
domaine sécuritaire. Dans ce travail, nous présenterons les techniques
émotionnelles, au lieu des habituels arguments informatifs auxquelles le
gouvernement peut avoir recours dans la création des messages verbaux et visuels
pour atteindre des réponses comportementales de la part de sa cible dans le
domaine sécuritaire.
En plus de cet intérêt théorique, ce mémoire peut mieux éclairer les
professionnels sur certains aspects managériaux. Le choix des axes de
communication et du message à concevoir pour le récepteur sont primordiaux pour la
réussite d’une campagne de communication sécuritaire. Les institutions publiques ne
disposent pas de budgets suffisants pour lancer plusieurs campagnes par an. Elles
11
doivent donc optimiser l’allocation de ces budgets et opter pour des choix judicieux et
délicats pour la création des visuels, la conception des spots, le contenu des
messages et le choix des médias. Avec les émotions, la communication sécuritaire
pourrait constituer un facteur clé de succès dans la stratégie nationale de lutte contre
la radicalisation.
La communication publique ne peut se réduire à une simple information ni à
une propagande. Le citoyen n’est plus un récepteur passif, c’est un partenaire actif et
exigeant, qui éprouve le besoin de réagir et de s’exprimer d’où la nécessité que le
message émis capte une motivation ou un frein pour agir du récepteur.
Dans le cadre de la communication de prévention de la radicalisation adoptée
par le SIG, le message est une combinaison entre des éléments visuels et verbaux.
Il est destiné à éveiller la conscience du récepteur par rapport au phénomène de la
violence terroriste en vue de le persuader d’agir dans un sens bien déterminé.
Pour répondre à notre problématique, nous avons formulé les hypothèses
suivantes :
H1 - Le cadrage des conséquences de la non adoption du comportement
préconisé par la communication étatique met en évidence les axes de
communication choisis par l’émetteur.
H2 – Le récit narratif des expériences vécues par les personnages des
spots (storytelling) évoque les émotions de la peur, d’indignation et de la
surprise.
H3 – l’iconographie à travers les signes et les symboles traduit les
émotions véhiculées par le message.
H4 – L’imagerie mentale amplifie les émotions évoquées par le message.
La méthodologie du mémoire :
Pour ce travail, nous avons adopté une démarche qualitative en nous
appuyant sur des données et des rapports sur la prévention de la radicalisation. Ces
informations ont été complétées par des ressources documentaires composées
12
d’ouvrages, articles spécialisés, articles de presse et sites internet pour un apport
théorique sur les techniques de communication utilisées.
La partie empirique du mémoire comporte deux phases. Dans une première
étape, à travers des entretiens de groupe, nous essayerons d’identifier la panoplie
des émotions suscitées dans la campagne stop djihads et de recueillir la perception
des participants quant à l’opportunité de les utiliser dans ce contexte particulier.
Les principales conclusions issues des analyses des entretiens de groupe
permettront, dans une deuxième étape, de procéder à une analyse sémantique des
spots diffusés (analyse des images, bandes sons et discours). Le champ d’étude
comporte deux catégories de spots diffusés :
- La première comporte le spot diffusé par le gouvernement via les réseaux
sociaux qui cible les jeunes en voie de radicalisation diffusé après les attentats
de janvier 2015.
- La deuxième catégorie comporte quatre spots diffusés de témoignages à
l’initiative des familles des victimes avec l’appui du ministère de l’intérieur. Ces
spots ont été diffusés sur les chaînes publiques à partir d’octobre 2015 pour
sensibiliser l’opinion publique au phénomène de radicalisation des jeunes qui
partent dans les zones de conflits.
Le plan du mémoire :
Afin de répondre à la problématique précitée, nous consacrerons la première
partie de ce travail à présenter les émotions, l’évolution de leur utilisation dans la
communication publique et son apport. Nous ferons, aussi, une présentation des
techniques de persuasion et des items développés par l’étude à savoir : l’image,
l’attitude, le storytelling (le récit narratif), la technique de cadrage du message et
l’imagerie mentale. D’autre part, la communication des organisations publiques fait
face à des contraintes qui lui sont spécifiques que nous essayerons d’exposer. Dans
une optique de benchmarking/ parangonnage (étude d’expériences similaires), nous
présenterons quelques expériences de communication publiques nationales ou
internationales ayant eu recours aux émotions pour induire un changement d’attitude
ou de comportement.
13
Dans une deuxième partie, nous avons choisi de présenter la campagne de
communication de prévention de la radicalisation dans le cadre de la stratégie
instaurée par le gouvernement dans sa lutte contre le Djihad. Nous justifierons notre
choix et nous présenterons les spécificités et le contexte de cette campagne. Nous
évoquerons la nécessité ou la justification du recours aux émotions à travers
l’analyse sémiotique des messages et un décryptage des vidéos diffusées. Cette
investigation permet, aussi, d’identifier les techniques de persuasion basées sur les
émotions utilisées par le gouvernement dans ce contexte particulier.
14
Partie I-
La prédisposition de
communication publique
à l’usage des émotions
--------------------------------------------------------
Dominique Wolton « La communication n’est pas la perversion de la démocratie, elle
en est plutôt la condition de fonctionnement » Libération du 18 juin 2002
15
Introduction Partie I
Dans une démocratie, le gouvernement est tenu d’informer, en temps réel, les
citoyens de ses politiques et de ses actions. La communication constitue un élément
fondamental du bon fonctionnement de la démocratie et s’inscrit dans la politique
publique du gouvernement. L’adhésion des citoyens et la crédibilité des institutions
publiques dépendent de l’efficacité de l’information et de sa diffusion.
L’une des principales missions de la communication publique est de modifier
des comportements et attitudes collectifs des citoyens en empruntant au genre
publicitaire les techniques de persuasion afin d’appuyer et accompagner l’action de
l’institution publique. On peut citer les campagnes de la sécurité routière, de
prévention du sida, les campagnes sur le tabac et autres qui accompagnent des
politiques publiques mises en œuvre pour réduire, prévenir les comportements à
risque, éveiller la conscience collective et faire accepter les mesures prises ou à
prendre.
Dans la persuasion publicitaire, l’émotion joue un rôle important (Alex
Mucchieli6 2005). Les émotions occupent une place de plus en plus importante dans
nos sociétés : elles suscitent l’intérêt, s’étalent dans les médias et envahissent
l’espace public.
La première partie de ce mémoire présente ainsi, l’évolution de la
communication publique ayant pour objectif la prescription de nouveaux
comportements et/ou des attitudes ainsi que le rôle de la persuasion émotionnelle
dans sa conduite.
Lors du premier chapitre, nous exposerons, d’abord, les caractéristiques de la
communication publique et en particulier la communication à vocation sociale en
soulignant sa distinction de la communication sociétale et de la communication
politique. Ensuite, un benchmarking/ parangonnage (étude d’expériences similaires)
de communication publique fera l’objet d’une section de ce chapitre, à partir d’une
revue de la littérature focalisée sur des campagnes nationales afin de dégager
quelques techniques de persuasion émotionnelle utilisées.
6 Alex Mucchieli, (2005) « Place des émotions et des normes sociales dans la communication persuasive publicitaire », Market Management, 2005/1 (Vol. 5), 128 pages
16
Le deuxième chapitre portera sur le rôle des émotions dans la sphère publique
et tout particulièrement dans la conception des messages et l’élaboration des axes
de communication émis des différentes institutions publiques. Nous présenterons,
aussi, un aperçu des différents items en rapport avec les émotions dégagés du
chapitre précédant à savoir les attitudes, les images, l’imagerie mentale, la
victimisation et le storytelling (le récit narratif). A la fin de ce chapitre, nous
essayerons de dresser un modèle résumant le processus communicationnel d’une
campagne à vocation sociale.
17
Chapitre I-
La communication publique :
De l’intérêt général au changement comportemental de la
société
De la propagande, en passant par l’information ascendante pour se
transformer en une boucle d’échanges permanent entre citoyens et institutions, la
communication publique ne cesse et ne cessera d’évoluer à la lumière des progrès
technologiques.
Cette évolution perpétuelle exige un professionnalisme et une expertise qui
puisent leurs sources dans la communication marchande qui a fait ses preuves.
Entre études, sondages et médias, les budgets alloués à la communication publique
augmentent considérablement.
Le Ministre de la Fonction publique et de la Réforme de l’Etat en 1996,
Dominique Perben7, avançait : « La communication institutionnelle publique a évolué.
Après des emballements, parfois des illusions, ayant pu faire l’objet de jugements
pas toujours positifs quant au gaspillage de fonds publics, [cette communication] est
entrée dans une phase plus sérieuse, plus approfondie. Une certaine sérénité
permet le tri. Quels messages ? Quels publics ? Comment favoriser l’échange ? … »
Cette nouvelle exigence explique la préoccupation des institutions dans la
conception de messages pertinents à véhiculer.
La communication publique dont le principe est d’établir un rapport entre les
citoyens et les institutions publiques en rendant compréhensible leurs actions, et qui
s’inscrit dans une démarche globale de gouvernance publique fera l’objet de ce
chapitre.
7 Marc Thébault (2011), « Evolution historique de la communication publique : les 6 grandes étapes », le 14 février 2011, http://thebaultmarc.expertpublic.fr/2011/02/14/evolution-historique-de-la-communication-publique-les-6-grandes-etapes/
18
Section I – La communication publique entre enjeux et
définitions
La communication a deux racines. La première lie communication et partage,
compréhension et respect d’autrui. C’est l’idéal de la communication au niveau
individuel ou collectif. C’est la dimension normative qui sert de référence aussi bien
sur le plan de la communication inter-subjectible qu’à celui des techniques, ou des
sociétés. La deuxième racine, plus récente, est renforcée par les techniques de
communication, dont la première d’entre elles l’imprimerie, insiste sur l’idée de
transmission. (Dominique Wolton, 2001)8
Elle constitue le moyen avec lequel deux entités entrent en contact. C’est une
forme de relation qui vise la diffusion d’un message d’un émetteur vers un récepteur
dans le but de lui transmettre une information ou modifier ses dispositions mentales
et attitudinales et/ ou de l’inciter à adopter ou changer un comportement. Les
modèles des processus de communication ont évolué avec les avancées
académiques et l’introduction de nouveaux champs d’études à savoir la psychologie,
les neurosciences, les sciences de l’information, les technologies, etc. Le modèle de
Jakobson résume schématiquement les principales fonctions à retenir du processus.
Figure 0 : Schéma de la communication verbale Jakobson9
8 Wolton Dominique, (2001) « La communication, un enjeu scientifique et politique majeur du XXIe siècle. », L'Année sociologique 2/2001 (Vol.51), p. 309-326, www.cairn.info/revue-l-annee-sociologique-2001-2-page-309.html 9 Dominique Picard de la communication à l'interaction (1993): « l'évolution des modèles, Communication et langages » Année 1992 Volume 93 Numéro 1 pp. 69-83, http://www.persee.fr/doc/colan_0336-1500_1992_num_93_1_2380
19
Le modèle de Jakobson saisit la communication humaine avec ses trois
éléments de bases en y ajoutant trois facteurs importants afin de leurs conférer les
six fonctions communicatives à savoir :
La fonction expressive (expression de l’émetteur)
La fonction conative (fonction du récepteur)
La fonction phatique (mise en place de la communication)
La fonction métalinguistique (le code est l’objet du message)
La fonction référentielle (le message renvoie à l’environnement extérieur)
La fonction poétique (la forme du texte devient l'essentiel du message)
Les organisations évoluent, aujourd’hui, dans un environnement incertain, de
plus en plus complexe et imprévisible. Héraclite (philosophe grec, 540 av J-C – 475
av J-C) affirme que « rien n’est permanent sauf le changement ». Cette évolution
perpétuelle oblige les organisations à communiquer d’avantage et mieux.
A l’inverse des entreprises du secteur privé, les institutions publiques ne
peuvent pas disposer librement des budgets alloués à la communication.
L’application des principes de la bonne gouvernance oblige à une utilisation efficace
et responsable des deniers publics.
Dans ses usages courants, le terme de « communication publique » sert à
nommer des pratiques aussi diverses que faire connaître une information utile à la
vie quotidienne des citoyens, promouvoir un acte de gouvernement avec des arrières
pensées électoralistes, fabriquer l’opinion en vue de préparer la population à une
décision dramatique, instiller de nouvelles croyances ou de nouvelles conceptions de
sens commun en « normalisant » certaines conduites ou encore propager une
idéologie afin de s’assurer une adhésion totale (Albert Ogien,10 2009).
La communication publique est transversale, elle s’intègre à l’ensemble des
départements et missions de l’entité publique. Ceci nécessite d’énormes
investissements matériels et surtout humains avec l’instauration d’une culture de
transparence et de responsabilité à travers tous les échelons de l’organisation. Elle
10 OGIEN Albert,(2009) « La perfection gestionnaire. Rhétorique de l’efficacité et démocratie », in C. Olivier-Yaniv et M. Rinn (dir.), Communication publique et gouvernement du social, Grenoble, PUG, 2009, p. 49-66.
20
fait partie intégrante d’une stratégie globale qui nécessite la cohésion de l’ensemble
des agents pour sa mise en œuvre et sa réussite.
Pour une entité publique, communiquer n’est pas un acte anodin. C’est, en
effet, un devoir qui lui incombe vis-à-vis de ses parties prenantes à savoir les
citoyens, les institutions de contrôle, les médias, la société civile, les syndicats, etc.
L’information doit être compréhensible et accessible. Elle se construit à travers
des enquêtes, des observations et des choix et s’adapte en permanence au
contexte. Ceci sous-entend une veille permanente, des études continues et un suivi
quotidien.
I.1. les enjeux de la communication publique :
La communication publique couvre plusieurs domaines :
La communication des institutions publiques ;
La communication des organismes assurant une mission des services
publics ;
La communication des collectivités territoriale.
L’article 1er de la charte de communicants publics, adoptée en 2002, dispose :
« devant le déploiement croissant de la société de l’information, la communication
publique s’affirme aujourd’hui comme une nécessité incontournable des institutions
et États démocratiques. De ce point de vue, elle s’apparente, non à un simple outil
technique de mise en forme des politiques publiques, mais à une démarche globale
inscrite dans l’exercice même de la gouvernance publique ».
Cet article met en évidence, les enjeux auxquels fait face la communication
publique avec le développement des moyens de communication et d’information et la
demande croissante en information de la part des citoyens.
Ces enjeux ont évolué à travers l’histoire de la communication publique lors de six
grandes phases :
a. La propagande : cette forme est perçue comme une modalité de
communication à sens unique qui n’implique pas de dialogue entre l’émetteur
et le récepteur. Cette forme vise à manipuler les opinions et les façonner.
21
b. L’information ascendante : cette forme se limite à l’émission de l’information
aux citoyens. Cette forme linéaire néglige la perception du récepteur et se
limite à une fonction informative.
c. Les années 80 et la découverte de la publicité publique : les années 80 furent
caractérisées par l’émergence d’une nouvelle classe politique soutenue par
des professionnels de la communication marchande qui ont vu dans ce
nouveau segment une augmentation de leur chiffre d’affaire et de leur part de
marché. Cette phase est marquée par l’accroissement des budgets consacrés
à la publicité publique en ayant recours à des experts non sensibilisés aux
spécificités de la sphère publique. Ces dépenses disproportionnées
provoquent un désintéressement des citoyens pour les affaires publiques.
d. Le minitel et internet : les technologies envahissent les espaces. Les
institutions publiques découvrent la communication high-tech. Cette phase a
vu le rôle des communicants se développer. L’attention est plus portée sur le
vecteur du message que sur le message lui-même.
e. Le récepteur au cœur de la communication : les organismes publics prennent
conscience de l’importance des récepteurs dans leurs stratégies de
communication. Cette nouvelle relation, inspirée des sciences humaines et
sociales, marque le développement de la communication ciblée et
interpersonnelle. L’évolution du modèle linéaire en cycle d’échanges
caractérise cette phase importante. Les citoyens exigent et exercent leur droit
d’accès à l’information.
f. De la communication publique au marketing public : la nouvelle orientation
gouvernementale, au début des années 2000, favorise la mise en place des
pôles de compétitivité pour impulser les territoires. Cette orientation fait
basculer les méthodes de communication en introduisant des techniques
d’études de marché et de recherche d’argument unique de différenciation.
Ces phases s’articulent autour des enjeux de la communication publique qui ne
cessent d’évoluer.
22
6. Enjeu réglementaire :
L’Article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme garantit à tous «
le droit de chercher, de recevoir et de répandre les informations et les idées par
quelque moyen que ce soit ».
L’accès à l’information publique constitue un élément fondamental de la bonne
gouvernance. Cet aspect permet l’instauration d’un débat et d’un échange avec les
différentes composantes sociales autour des affaires publiques.
La Déclaration française des droits de l’homme et du citoyen de 1789 a affirmé
dans son article 15 que « la société a le droit de demander compte à tout agent
public de son administration », mais ce principe prometteur est resté longtemps
théorique11.
En 1974, l’accès aux archives devient un droit civique pour tout citoyen. La
Déclaration Universelle des Droits de l’Homme oblige les gouvernements à
communiquer et diffuser les informations relatives aux entités publiques et de
répondre aux sollicitations des citoyens et des parties prenantes en demande
d’information.
Ces textes accentuent le rôle important de la communication publique dans
l’instauration de l’État de droit.
7. Enjeu économique :
En ce contexte de restriction budgétaire, les communicants publics sont tenus de
faire mieux avec moins de dépenses. A une époque où la demande en information
ne cesse de croître, le choix des axes des stratégies de communication est fortement
tributaire des montants consacrés à la communication.
L’enjeu économique pèse sur les moyens aussi matériels qu’humains. La
formation continue des agents du service ou de la direction de la communication,
l’adaptation des nouveaux moyens de communication, l’étendue des activités de la
communication font de l’arbitrage et l’allocation des moyens une problématique
11 La Constitution de 1958 fait référence à la Déclaration dans son préambule dont le Conseil Constitutionnel a reconnu la valeur constitutionnelle par sa décision du 16 juillet 1971 (Décision Liberté d’association). « VERS UN DROIT D'ACCES A L'INFORMATION PUBLIQUE LES AVANCEES RECENTES DES NORMES ET DES PRATIQUES » Par Perrine Canavaggio 2013, l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture http://unesdoc.unesco.org/images/0022/002268/226875f.pdf
23
surtout dans les structures dans lesquelles la communication est perçue comme un
accessoire et non comme une partie intégrante de la politique publique.
8. Enjeu social :
Michel Le Net12 justifie la communication sociale comme une communication
publique « centrée sur les effets, nécessaire aux progrès individuel et collectif et
s’adressant aux citoyens en tant qu’individus autonomes, responsables de leurs
propres comportements ».
Les institutions publiques visent dans certaines campagnes à modifier les
dispositions mentales des citoyens, à éveiller leur conscience à des phénomènes et/
ou les inciter à adopter un comportement, agir ou réaliser une action déterminée.
L’État a un rôle important dans l’accompagnement des citoyens par des
programmes de prévention et qui touchent à la santé et la sécurité de la société.
L’émetteur public doit veiller à ce qu’il n’y ait pas d’inégalité d’accès à
l’information et prévoir des dispositions pour accéder aux populations défavorisées. Il
doit s’assurer que ses messages ne portent aucune ambiguïté et traitent les sujets
sans discrimination ou ton culpabilisateur.
9. Enjeu politique :
Le citoyen est de plus en plus instruit et il a accès en quelques secondes à toutes
les informations instantanément. Le discours public doit de ce fait être crédible et
compréhensible. Il doit répondre à trois fonctions :
Une fonction informative (faire connaître)
Une fonction éducative (faire comprendre)
Une fonction affective (faire adhérer)
Le gouvernement doit maintenir sa crédibilité en délivrant des messages exempts
de toute ambiguïté qui pourrait induire les citoyens à l’erreur.
12 LE NET Michel (1993), « Pratique des campagnes d’information, notes et études », Paris, La documentation française, 1993 http://www.cairn.info/revue-les-cahiers-dynamiques-2005-3-page-26.htm#no3
24
10. Enjeu technologique :
La révolution numérique a bouleversé les pratiques habituelles des
communicants publics. Ils doivent s’assurer de l’accessibilité de l’information sur tous
les supports pour assurer une meilleure couverture. L’adaptation à ces nouveaux
supports nécessite des moyens humains qualifiés et un travail continu afin de
répondre aux besoins du citoyen.
I.2. la définition de la communication publique :
La communication publique est un échange intermittent entre une logique
unilatérale hiérarchique institutionnellement dominante et un contact des usagers
avec l’administration. Ainsi, la communication publique est très majoritairement à
sens unique, avec d’un côté des gouvernants qui disposent en permanence de
moyens d’actions communicationnelles institutionnelles et d’un autre côté des
gouvernés qui n’expriment leur volonté que sporadiquement (élections,
consultations). (Dominique Bessières13 2009)
Cette définition souligne l’aspect pyramidal dans la transmission de
l’information entre les « gouvernants » et les « gouvernés ». Elle fait référence à une
organisation hiérarchisée en minimisant le rôle des citoyens et le contexte. Elle
suggère que la communication publique est une pratique et non un concept propre.
Les professionnels de la communication publique perçoivent cette dernière
comme un pilote du rapport entre les institutions publiques et les citoyens et un
facteur important pour garantir la démocratie.
Pour Pierre Zemor, la communication publique trouve sa légitimité dans
l'intérêt général. C’est le résultat d'un accord entre les intérêts individuels et ceux
collectifs. La communication publique a pour principale mission la rencontre entre
l'État et les citoyens dans un but partagé.
13 Dominique Bessières,(2009) ; « La définition de la communication publique : des enjeux disciplinaires aux changements de paradigmes organisationnels », Communication et organisation, http://communicationorganisation.revues.org/686
25
Zemor14 définit la communication publique comme l’ensemble des messages
émis par les pouvoirs publics et les services publics qui ont pour objectifs d’améliorer
la connaissance civique, de faciliter l’action publique et de garantir le débat politique.
Pour Martial Pasquier15 (2012), il est possible de distinguer les fonctions
centrales des fonctions complémentaires sur la base du critère légal :
Les fonctions centrales : l'information du public, l'explication et
l'accompagnement de décisions, la défense des valeurs et la promotion des
comportements responsables, le dialogue entre les institutions et les citoyens
Les fonctions complémentaires : l'accueil des citoyens et des résidents,
l'écoute des besoins, notamment par le truchement de sondages, la promotion de la
légitimité des organisations et des actions publiques, la contribution au maintien du
lien social.
La clarification des missions de la communication publique permet de mieux
cerner les frontières de ce concept généralement confondu ou assimilé à la
communication politique et la communication sociétale.
1. Communication politique et communication publique :
L’amalgame avec la communication politique réside dans le fait que les
acteurs publics, généralement les ministres, le président, les gouvernements qui
mettent en œuvre les politiques publiques sont issus des élections suite à des
campagnes électorales à vocation partisane. Cette fine frontière rend la distinction
entre les deux concepts assez floue.
La communication politique selon Jacques Gerstlé16 se présente « comme un
ensemble disparate de théories et de techniques, mais elle désigne aussi des
pratiques directement politiques. Elle inspire […] des stratégies et des conduites qui
varient selon les positions de pouvoir occupées et les situations vécues par les
acteurs de la vie politique. »
14 Pierre Zémor, (1995), « La communication publique, Que sais-je ? », Paris, 1995 15 Pasquier, M. (2012). « Communication publique », dans L. Côté et J.-F. Savard (dir.), Le Dictionnaire encyclopédique de l’administration publique, www.dictionnaire.enap.ca 16 Jacques Gerstlé (2008) « la communication politique »Armand Colin, 256 pages
26
Cette définition souligne le caractère politique et partisan de ce concept de
communication qui vise à influencer les opinions et les électeurs dans un sens
prédéfini. La persuasion peut se faire à travers des arguments, des émotions, la
mobilisation dans le but de minimiser les chances de ses adversaires.
1er distinction : la communication publique cherche l’adhésion et le compromis
au nom de l’intérêt général tandis que la communication politique cherche à créer
des clivages et accentuer les différences entre les publics cibles.
2éme distinction : la communication publique émane des autorités publiques,
des institutions étatiques et suivant une stratégie prédéfinie. La communication
politique peut être spontanée, émane d’une personnalité ou d’un groupe d’individus
pour des intérêts individuels.
3éme distinction : la communication publique facilite la compréhension des
politiques publiques prises et leur mise en œuvre alors que la communication
politique vise le choix d’un parti ou d’une personne à la lumière des programmes
électoraux ou promesses annoncées.
2. Communication sociétale et communication publique :
Le terme communication sociétale désigne l’ensemble des activités de
communication, quel qu’en soit le support, délivrant un message au sujet des
engagements environnementaux, sociaux ou sociétaux d’une organisation
(entreprise, marque, etc.). (Benoit-Moreau, Larceneux, Parguel17 2010)
A travers la communication sociétale, une organisation cherche à améliorer sa
réputation, à légitimer ses actions et à fidéliser ses parties prenantes
(consommateur, fournisseur, pouvoir public, salariés, etc.). La pression des
consommateurs et des associations pour consommer des produits respectueux de
l’environnement, de l’éthique, des conditions de travail humaines et dignes et autres,
a poussé les organisations à s’orienter vers ce type de communication.
On remarque que les champs de communication portent sur des questions
sociales qui, généralement, relèvent de la responsabilité des acteurs publics dans
l’éveil de la conscience du citoyen. Les principales communications sociétales
portent sur la protection de l’environnement, le respect des écosystèmes, le non
17 Florence Benoit-Moreau, Fabrice Larceneux et Béatrice Parguel, (2010), « La communication sociétale : entre opportunités et risques d’opportunisme», https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00634442/document
27
recours à des animaux pour le test des produits, la lutte contre le travail des mineurs,
etc. Les organisations cherchent à montrer par leurs communications qu’elles
servent une cause qu’elles soutiennent et non un intérêt lucratif. D’une manière
générale, elles ont intérêt à choisir des causes appropriées avec leurs activités.
1er distinction : la communication publique cherche à sensibiliser les citoyens
sur un phénomène particulier qui émane d’une politique publique et qui nécessite
des actions auprès des citoyens afin de la mettre en œuvre tandis que la
communication sociétale cherche à se créer une image en instrumentalisant une
cause pour séduire plus de consommateurs et répondre à leurs besoins de produits
plus responsables.
2éme distinction : la communication publique émane des autorités publiques,
des institutions étatiques et suit une stratégie prédéfinie. La communication sociétale
émane d’une organisation du secteur privé dans le cadre d’une stratégie globale de
communication en parfaite cohérence avec les autres actions communicationnelles
et élaborée dans le but d’accroître sa notoriété et ses parts de marché.
3éme distinction : la communication publique sociale ne comporte aucun risque
pour la crédibilité de la parole publique alors que les entreprises privées courent un
risque en cas de non-respect de leurs engagements. En effet il faut associer les
messages aux actions pour se construire une légitimité aux yeux des
consommateurs. Les collectifs de citoyens, les associations et les journalistes
traquent les écarts entre les messages émis et les actions entreprises sur terrain.
Pour les entreprises privées, la communication sociétale risque de se transformer en
piège.
28
Section II – Une lecture dans différentes campagnes de
communication publique nationale visant la modification des
comportements
Les campagnes de communication gouvernementale en matière de prévention
sont une technologie politique, au sens où elles constituent un outil de régulation des
individus, de la population et du social. (Caroline Ollivier Yaniv18, 2009)
Les campagnes de prévention mettent l’accent sur la responsabilité
individuelle du citoyen dans la prévention de l’alcoolisme, du sida, des accidents
routiers. Cette responsabilisation se manifeste par la prescription de comportements
à adopter ou les attitudes à développer à l’encontre du phénomène en question.
Dans cette section, on examinera deux séries de campagnes
gouvernementales destinées au grand public et qui ont pour objet la prévention dans
le cadre de la sécurité en France. Une campagne sur la sécurité routière diffusée en
2016 et une campagne de L'Institut national de prévention et d'éducation pour la
santé (INPES) qui incite au dépistage du sida diffusée en 2015.
II.1. La campagne de la sécurité routière (2016) :
La sécurité routière s’apparente depuis au moins trois décennies à une cause
nationale dans laquelle l’État et ses structures jouent un rôle déterminant. (Isabelle
Pailliart, Cécile Poncin, Géraldine Strappazzon 200819).
La stratégie nationale de communication de prévention des accidents de la
route s’appuie sur des campagnes médiatiques à l’échelle nationale et à l’échelle
locale afin d’atteindre des publics plus précis en adaptant le message à des cibles
identifiées pour une meilleure efficacité de l’action de communication de l’État.
18 Ollivier-Yanniv Caroline et Rinn Michael ; (2009) « Communication de l’État et gouvernement du social » Presses Universitaires de Grenoble, pp 88
19 Isabelle Pailliartt, Cécile Poncin, Géraldine Strappazzon ; (2008) « entre État et acteurs locaux, les enjeux communicationnels de la sécurité routière » cité dans Marchetti Dominique ; « communication et Médiatisation de l’État, la politique invisible », Presses Universitaires de Grenoble, pp 73
29
Pour réduire le nombre des accidents routiers, les institutions publiques
déploient des actions nationales et locales par des aménagements spécifiques
(routes, radars, contrôle, etc.) complétées par une formation et/ou une information
qui influencent les comportements par l’apprentissage du récepteur (le citoyen).
En 2007, les arguments statistiques inondaient les messages émis. Dans le cadre de
la campagne « sortez-revenez », un des spots radiophoniques montre un groupe de
jeunes en fin de soirée évoquent des indicateurs statistiques de consommation
d’alcool et de stupéfiants faisant d’eux des conducteurs dangereux. Ces statistiques
décrivent l’ampleur du phénomène ou son évolution tout en justifiant les actions
répressives conduites par l’État et les sanctions encourues.
L’utilisation d’un contenu dramatique, plutôt que symbolique, exerce une
influence souvent directe sur les réponses cognitives, attitudinales et conatives à
vocation adaptative chez les récepteurs (Lavoisier-Mérieux, 2002 ; Paquette et
Daignault, 2005)20
La pertinence de la menace comme stratégie persuasive a été démontrée
dans plusieurs études relatives à la sécurité routière (Pénélope Daignault et
Guy Paquette21 2012).
Selon l’Observatoire national interministériel de sécurité routière22, en 2015,
les routes ont été particulièrement meurtrières. 3 464 personnes ont perdu la vie lors
d’un accident de la route cette année. Un chiffre en hausse de 2,4% par rapport à
2014.
Une étude23 menée par l’Institut français de l’opinion publique (IFOP) concernant
l’impact des accidents de la route sur la population a mis en avant les conséquences
sociales et/ou psychologiques qu’un accident engendre sur l’entourage, et ce, même
dans la durée. Près d’un français sur deux affirme connaître une proche victime
d’accident de la route – 56% d’entre eux gardent celui-ci à l’esprit lorsque l’accident a
lieu deux ans auparavant et 48% lorsque cela remonte à plus de dix ans.
20 Houria Bencherif, Farès Boubakour et Naima Belkacem, (2012) Les accidents de la route dans les médias de masse en Algérie Du traitement de l’information à sa diffusion ?, Communication, volume 30/1 / 2012 https://communication.revues.org/2967 21 Pénélope Daignault et Guy Paquette (2012), « Quelle efficacité de la menace dans les campagnes de sécurité routière ? Une évaluation tridimensionnelle », Communiquer http://communiquer.revues.org/367 22 http://www.preventionroutiere.asso.fr/Nos-publications/Statistiques-d-accidents 23 http://www.cer.asso.fr/actualite-details/162-onde-choc-nouvelle-campagne-securite-routiere
30
Se basant sur les résultats de cette enquête, la sécurité routière (acteur public
chargé de la communication sur la prévention routière) lance une campagne de
communication qui prend comme axe les répercussions des accidents de la route sur
les proches de la victime.
Cette campagne s’articule autour d’un spot TV de 45 secondes qui est diffusé
dans les chaînes TV et au cinéma, deux spots radio et un site internet
www.routeplussure.fr avec l’activation du (# Tous touchés) pour les réseaux sociaux.
Cette nouvelle campagne intitulée « onde de choc » met en avant la peine, la
tristesse et les conséquences dramatiques supportées par les familles et proches
des victimes sur les plans personnels et professionnels. Ce spot utilise les
manifestations des émotions de tristesse et de souffrance.
Les slogans de la campagne « Derrière chaque victime de la route il y a des
victimes dans la vie » et « Tous touchés- tous concernés- tous responsables » jouent
sur le sentiment de culpabilité des citoyens pour les inciter à prendre leur précaution
afin d’éviter de telles souffrances à leur proche.
Fiche technique du spot :
Durée du film : 45 secondes
Axe de communication : l’onde de choc de l’accident sur les proches de la
victime
Slogans de la campagne :
« Derrière chaque victime de la route il y a des victimes dans la vie »
« Tous touchés- tous concernés- tous responsables »
Fond sonore : une composition musicale dramatique avec une voix décrivant
l’ampleur de la tristesse et des conséquences.
Traitement visuel : des images traitées sur un ton monochrome tournées au
ralenti où chaque séquence est détaillée pour créer plus d’impact et de
profondeur
Signature : Le logo de la sécurité routière
La Marianne (logo du gouvernement)
31
Analyse du spot:
Ce spot s’adresse à tous les conducteurs (jeunes, adultes, professionnels,
hommes, femmes, etc.). Il vise à heurter la sensibilité des récepteurs en exposant le
drame vécu par les proches des victimes, assimilé à une onde qui se propage à court
et long terme pour provoquer une prise de conscience de l’ampleur du drame.
Au moment du choc entre la voiture d’Étienne (personnage 1) et de Sophie
(personnage 2), deux citoyens normaux (pas de consommation d’alcool, pas de
sortie de boîte de nuit, pas de jeunes adolescents passionnés par la vitesse, mais
des profils auxquels chacun peut s’identifier), les destins basculent. L’accident
dévaste bien au-delà des seules personnes accidentées, mortes ou blessées mais
impacte durablement par cette onde les proches : père, mère, enfant, grand-père et
amis.
A travers le slogan « Tous concernés – Tous responsables », l’émetteur
souhaite éveiller la responsabilité de chaque conducteur en lui exposant les
conséquences sur la famille et sa part de responsabilité.
Les conducteurs ne sont pas interpellés par les conséquences physiques et
psychologiques qui peuvent être endurées mais sont interpellés par le malheur et la
tristesse qu’ils ont engendrés à leurs proches.
L’utilisation des émotions de tristesse et de culpabilité dans ce spot en misant
sur les effets techniques des images sans montrer des scènes de sang ou de
cadavres affectent plus les récepteurs en jouant sur la victimisation et l’imagerie
mentale induites par les images.
32
Image 1 : le choc de l’accident et le nombre de victime induite
Image 2 : la victime de la sécurité routière
Image 3 : une proche de la victime
33
II.2. La campagne de prévention du Sida Inpes (2015) :
La santé et le bien-être des individus occupent une place de plus en plus
grande dans les politiques publiques conduites par l’État. Les organismes publics,
chargés d’introduire une prise de conscience et instaurer et/ou modifier des
comportements jugés risqués, agissent par la production de textes réglementaires et
l’élaboration de campagnes de communication de santé publique.
L’objectif de la communication de la santé publique est de diffuser des
informations au grand public afin qu’ils adoptent des comportements bénéfiques
pour la santé. Ces campagnes sont nombreuses en France : tabac, alcool,
dépendance aux jeux, cancer, sida, etc.
L’épidémie du Sida est toujours très active malgré les avancées scientifiques
et la prise de conscience élevée auprès des citoyens. En 2014, 660024 personnes
ont encore découvert leur séropositivité et 5,325 millions de tests de dépistage au VIH
ont été réalisés dans les laboratoires d’analyse médicale. Après avoir augmenté en
2011, l’activité de dépistage marque un temps d’arrêt depuis trois ans. L’institut de
veille sanitaire (InVS) remarque que le dépistage généralisé du VIH montre ses
limites.
La première campagne nationale date de 1987 avec la ministre de la Santé
Michèle Barzach qui introduit la cause de prévention du Sida comme grande cause
nationale. Puis les campagnes se sont succédées, à raison de deux ou trois par an,
avec des budgets importants.
En 2015 et en s’appuyant sur les résultats des rapport de InVS, l’Inpes a lancé
une une campagne, avec l’appui du ministère chargé de la santé à l’occasion de la
journée mondiale contre le sida. L’axe de la campagne s’articule autour de la
responsabilisation et la confiance envers les autres et envers soi-même. La nouvelle
campagne incite au dépistage de la maladie ce qui permet de se protéger, protéger
les autres et procéder à une prise en charge médicale rapide.
24 https://www.sidaction.org/donnees-epidemiologiques-vihsida-france-2014 25 Ibid.
34
Le slogan de la campagne « Se faire dépister, c’est prendre soin de son
avenir » tente d’inscrire le dépistage comme un réflexe responsable pour toute
personne qui se projette à construire un projet de vie quels que soient sa situation,
son âge ou son origine.
Fiche technique des spots :
Durée du film : un spot de 40 secondes et 5 spots de 20 secondes chacun
Axe de communication : le dépistage un comportement responsable
Slogans de la campagne :
« Se faire dépister, c’est prendre soin de son avenir »
« Mon avenir, c’est aussi ma santé »
Fond sonore : des voix exprimant les avantages de procéder au dépistage
pour construire un projet
Traitement visuel :
Signature : Le logo de l’Insep
La Marianne (logo du gouvernement) avec la signature du
ministère des affaires sociales et de la santé.
Analyse du spot:
Les spots montrent des situations de vie mettant en scène des hommes et des
femmes de tous âges (jeunes et moins jeunes), à toutes étapes de la vie
(indépendance, situation amoureuse, devenir parent, engagement, etc) sans
discrimination en incluant des couples homosexuels et des couples de différentes
origines.
Ces situations ne sont pas des situations à risque, le but étant d’inscrire le
dépistage comme un comportement conscient de protection.
L’usage des termes « amoureux », « engagés », « prêts », « dignes de
confiance », « décidés », « indépendants », « responsables » renvoient à l’estime de
soi et au sentiment de confiance et de responsabilité.
35
Le cadrage sur les gains perçus du dépistage (stabilité, confiance,
responsabilité, etc) souligne l’importance de les mettre en avant dans le cadre d’une
communication persuasive. Le cadrage empreint d’émotions de confiance et de
bonheur (le bonheur de construire dans la durabilité) distingue cette campagne des
émotions de peur et des images chocs pour tenter d’instaurer des comportements
bénéfiques pour la santé comme les relations protégées.
Image 4 : signature du spot de la prévention du sida
Image 5 : affiches déclinées des spots de la prévention du sida
36
Chapitre II-
Les émotions : axe de communication publique
De l’émotion à la création attitudinale et comportementale
Une émotion renvoie à ce qu'elle signifie. Et ce qu'elle signifie, c'est la totalité
des rapports de la réalité humaine au monde. Le passage à l'émotion est une
modification totale de «l'être-dans-le-monde». Sartre, 1963
Les campagnes de communication publique à vocation sociale et préventive
cherchent à modifier les attitudes envers les sujets traités et visent également à agir
sur les comportements.
Lors de l’élaboration des stratégies de communication, les acteurs publics
concernés élaborent les arguments de leurs messages en fonction de leur cible afin
de garantir l’effet escompté en s’appuyant sur des études comportementales,
rapports de spécialistes et recommandations des professionnels des domaines
concernés. Ces arguments, constituant l’essentiel du discours des acteurs, visent à
persuader le citoyen en combinant ou privilégiant l’un ou l’ensemble des trois
registres de persuasion définis par Aristote: l’Ethos (la crédibilité). Le Pathos
(l’émotionnel) et le Logos (la logique). Le Pathos constitue une technique
argumentative faisant appel au côté émotif du récepteur.
Les campagnes de prévention ont évolué. L'information et les statistiques ne
suffisent plus à entraîner un changement d'attitude ou de comportement. Les
analyses de la section 2 du chapitre précédant illustrent le basculement des
campagnes vers une argumentation avec des mises en scène basées sur la peur
afin de susciter des émotions chez les récepteurs. La majorité des campagnes de
prévention observées, de nos jours, exploite la persuasion basée sur les émotions
pour atteindre leurs objectifs.
37
Section I – Rôle des émotions dans l’efficacité des campagnes
de communication publique
« Sans émotions, pas de communication et sans communication, pas de
société. » Jacques Cosnier, 1994.
Aujourd’hui, les émotions sont partout. Elles envahissent l’espace public et
jouent un rôle important dans la scène politique. Elles sont de plus en plus
présentent dans les médias, les discours, les débats et les campagnes électorales.
Les émotions se sont inscrites dans le paysage public et l’intérêt de leur usage
ne cessera d’évoluer au cours des prochaines décennies. Les communicants ont
recours aux émotions pour attirer l’attention, entraîner l’implication ou suggérer un
comportement. De nombreuses études s’intéressent au rôle des émotions dans le
message public et à son influence sur le comportement du récepteur.
La question qui se pose, à ce stade, est relative à l’apport de la dimension
émotionnelle dans un message de communication publique à vocation sociale et
préventive. En effet, les émotions, comme supplément de sens, exercent une
influence sur la pensée et la prise de décision sur le récepteur. De ce fait, elles sont
considérées comme un moyen à disposition de l’émetteur (l’acteur public dans notre
étude) pour persuader les citoyens cibles.
Après la seconde guerre mondiale, l’école de Yale avait tenté de répondre aux
questions complexes posées par la persuasion en politique, en publicité et dans les
campagnes de prévention26. La persuasion, étant perçue comme un moyen efficace
pour produire des changements attitudinales et comportementales de la société, est
un processus complexe qui dépend de plusieurs variables.
I.1. Définitions des émotions :
Bloch27 (1985) présente l’émotion comme un état fonctionnel de l’organisme
qui implique une activation physiologique (réaction neuro-endocrine), un
comportement expressif (réactions neuromusculaires posturales et faciales) et une
expression subjective (sentiment). 26 Claude Chabrol,Miruna Radu « Psychologie de la communication et de la persuasion: Théories et applications » pp 14 27 Bloch, S., (1985) « Approches pluridisciplinaires de l’émotion, modèles effecteurs des émotions fondamentales : relations entre rythmes respiratoires, postures, expressions faciales et expressions subjectives », Bulletin de Psychologie, vol.39, N°377, pp 843- 846
38
Gouteron28 (1995) définit l’émotion comme une réaction passagère
désorganisant un état durable et soumise à des facteurs exogènes constituant une
réponse affective, momentanée, multiforme et plus au moins intense qui est due à un
facteur perturbateur et externe à l’individu.
Les émotions représentent un phénomène motivationnel avec des
caractéristiques neurophysiologiques et des composantes expressives et
d’expérience. Elles incluent des sentiments comme la joie, la jalousie, la peur, la rage
et l’enchantement (Hirschman et Holbrook29, 1982).
Patrick Charaudeau30 distingue entre la notion de « sentiment » et celle
d’émotion dans la mesure où la première semble davantage liée à l’ordre de la
morale, alors que la seconde serait plutôt liée à l’ordre du sensible. Pour cet auteur,
les émotions émanent d’un sujet, orientées vers un objet « imaginé » parce que cet
objet est arraché à la réalité pour devenir un « réel » signifiant, le rapport entre ce
sujet et cet objet se fait par la médiation de représentations.
I.2. La classification des émotions :
Shaver et al31. (1987) identifient six émotions primaires : l’amour, la joie, la
surprise, la colère, la tristesse et la peur. Ce classement est issu d’une étude portant
sur un questionnaire administré à 112 étudiants en psychologie en notant sur une
échelle de 1 à 4 les connotations émotionnelles. Cosnier32, en 1994, a proposé un
modèle hiérarchique des émotions. Les six classes d’émotions sont composées
d’une émotion principale et d’émotions secondaires
Classe1 : l’amour
L'amour désigne une émotion d'affection et d'attachement envers un être, un
animal ou une chose qui pousse ceux qui le ressentent à rechercher une proximité
avec l'objet de cet amour et à adopter un comportement particulier (Wikipédia).
28 Gouteron, J., (1995) : « vers une connaissance des émotions en situations d’achat, application au marché du disque », Revue Française de Marketing, N° 152.pp 35- 48 29 Holbrook, MB. et Hirschman, E.C., (1982) ; « The Experiential Aspects of Consumption : Consumer Fantasies, Feelings and Fun », Journal of Consumer Research, Vol.9, N°2, pp 132- 140 30 Patrick Charaudeau,(2016) "Pathos et discours politique", in Rinn M. (coord.), Émotions et discours. L’usage des passions dans la langue, Presses universitaires de Rennes, Rennes, http://www.patrick-charaudeau.com/Pathos-et-discours-politique.html 31 Shaver, P., Schwartz, J., Kirson, D. et Cary, O., (1987) : « Emotion Knowledge : Further Exploration of a Prototype Approach » Journal of Personnality and Social Psychlogy, Vol 52, N°6, 1061- 1086 32 Cosnier Jacques, (1994), « Psycholgie des émotions et des sentiments » Paris, Retz, 175 p.
39
Intérêt, goût très vif manifesté par quelqu'un pour une catégorie de choses,
pour telle source de plaisir ou de satisfaction. (Larousse)
A cette classe, on peut ajouter les émotions de passion, compassion,
affection, attachement, etc.
Classe 2 : la joie
La joie est une émotion ou un sentiment de satisfaction spirituelle, plus ou
moins durable, qui emplit la totalité de la conscience. Elle se rapproche de ce qui
forme le bonheur. Elle se distingue des satisfactions liées au corps (les plaisirs), qui
n'affectent qu'une partie de la conscience. (Wikipédia)
Sentiment de plaisir, de bonheur intense, caractérisé par sa plénitude et sa
durée limitée, et éprouvé par quelqu'un dont une aspiration, un désir est satisfait ou
en voie de l'être. (Larousse)
Classe 3 : la surprise
La surprise est un état émotionnel provoqué par un événement inattendu ou
par une révélation allant à l'encontre de l'image qu'on se faisait d'une situation. Elle
est généralement brève, puis s'estompe ou laisse place à une autre émotion.
(Wikipédia).
État de quelqu'un qui est frappé par quelque chose d'inattendu. (Larousse)
Classe 4 : la colère
La colère est une émotion simple qui traduit l'insatisfaction. Elle est vécue à
l'égard de ce qu'on identifie, à tort ou à raison, comme étant "responsable" de notre
frustration. On éprouve donc de la colère envers "l'obstacle" à notre satisfaction.
(Wikipédia).
État affectif violent et passager, résultant du sentiment d'une agression, d'un
désagrément, traduisant un vif mécontentement et accompagné de réactions
brutales. (Larousse)
40
Classe 5 : la tristesse
La tristesse est une douleur émotionnelle associée, ou caractérisée par des
sentiments de désavantages, à une perte, au désespoir ou au chagrin. Un individu
triste fait face à un état léthargique et se replie face aux autres. Le pleur est souvent
une indication de la tristesse. (Wikipédia).
État de quelqu'un qui éprouve du chagrin, de la mélancolie ; affliction.
(Larousse)
Classe 6 : la peur
La peur est une émotion ressentie généralement en présence ou dans la
perspective d'un danger ou d'une menace. En d'autres termes, la peur est une
conséquence de l'analyse du danger et permet au sujet de le fuir ou de le combattre,
également connue sous le terme « réponse combat-fuite ». (Wikipédia).
Sentiment d'angoisse éprouvé en présence ou à la pensée d'un danger, réel
ou supposé, d'une menace (souvent dans avoir, faire peur) ; cette émotion éprouvée
dans certaines situations. (Larousse)
Amour Joie Surprise Colère Tristesse Peur
Aspiration Satisfaction Etonnement Irritation Désespoir Terreur
Affection Euphorie stupéfaction Exaspération Souffrance Panique
Compassion Fierté Frustration Honte Anxiété
Tendresse Espoir Jalousie Culpabilité Malaise
Passion Amusement Indignation Sympathie Frayeur
Désir Contentement Haine Pitié Crainte
Tableau 1: Classement des émotions (Shaver et al. 1987)
I.3.Différence entre émotion et attitude :
La communication publique préventive vise à modifier l’attitude ou/et le
comportement du récepteur. Elle concerne l’aspect cognitif et affectif de l’individu.
L’aspect affectif regroupe les émotions de différentes polarités (positives ou
négatives) et d’intensité variable (faible ou forte).
41
Les attitudes résument les évaluations (positives ou négatives), les réactions
émotionnelles et les prédispositions à agir vis-à-vis d’un objet ou d’une idée. Elles
sont forgées à partir des croyances de l’individu et peuvent s’accompagner d’une
émotion. Elles représentent des prédispositions plus ou moins favorables envers des
objets, phénomènes ou idées.
Les attitudes se forment à partir de plusieurs facteurs à savoir : la culture qui
est le résultat d’un processus de socialisation, la famille, la personnalité, l’expérience
et les sources d’information
Ce qui distingue les émotions des attitudes est le fait que les attitudes sont
une combinaison de plusieurs variables qui forment une prédisposition envers un
objet ou une idée alors que les émotions sont des résultats instantanés face à un
stimulus qui provoque une tension psychologique et physiologique.
Les attitudes se forment sur un long processus et sont mémorisées pour une
longue durée tandis que les émotions sont immédiates mais aussi mémorisables.
I.4. La communication publique et la communication persuasive :
L’intérêt de l’emploi des émotions dans la communication publique sociale
peut se justifier par sa valeur ajoutée au processus de mémorisation et surtout par
l’attention portée par les récepteurs lors de l’exposition aux messages.
L’efficacité de l’action publique dans le domaine de la communication pose un
réel enjeu surtout lorsqu’il s’agit de campagne d’intérêt général et d’ordre social et
préventif. L’absence d’indicateur d’évaluation fragilise la légitimité de la campagne.
Cette dernière vise à mettre en évidence la complexité des problèmes et tente
d’inciter l’adoption de comportements et d’attitudes qui semblent parfois
contraignants (limiter la vitesse, manger équilibré et sain, privilégier les transports en
commun, etc).
Pour des campagnes efficaces, les communicants publics empruntent les
méthodes de la communication marchande. Les messages publics sont censés agir
sur la formation des attitudes et des croyances, influencer les mécanismes de
décisions, former des représentations sociales et modifier les comportements.
42
La communication persuasive représente le système à travers lequel l’acteur
public tente d’orienter les comportements des citoyens de manière à ce que
l’émetteur public réalise ses objectifs (réduire la mortalité dans les routes, augmenter
la consommation des produits recyclables, stabiliser les contaminations de la grippe
aviaire, etc). Grâce au développement des moyens de communication, les citoyens
sont exposés aux dispositifs persuasifs élaborés par les acteurs publics.
Plusieurs variables influencent le mécanisme de la persuasion. Les études
académiques mettent en avant la motivation du récepteur à l’exposition au message,
son degré d’implication et son niveau de connaissance. Par exemple, dans le cadre
d’une campagne sur la prévention du cancer du sein, les caractéristiques
individuelles des récepteurs (cadre socioprofessionnel, ville, âge, etc), le niveau des
risques perçus (antécédents médicaux, cas dans la famille, etc) et l’effet affectif
produit par la campagne générant des émotions négatifs ou positifs (la peur et/ou
espoir) jouent un rôle déterminant dans la réceptivité du message par le récepteur.
Le niveau d’implication du récepteur déterminera son intention à adopter le
comportement préconisé (dépistage du cancer, visite chez le médecin, etc).
Ces variables sont essentielles à prendre en considération lors de
l’élaboration de la stratégie de la communication. Les études et enquêtent préalables
conditionnent le choix des axes de communication.
Les campagnes de communication publique à vocation sociale et préventive
visent les mêmes objectifs que la communication persuasive : agir sur les
dispositions attitudinales du récepteur en vue de produire un changement de
croyances, d’attitudes et de comportements. Les communicants publics peuvent
augmenter l’efficacité de leur campagne en s’inspirant des modèles de
communication persuasive.
43
Section II – Les mécanismes et outils de la communication
persuasive basées sur les émotions
Le principe de la communication persuasive dans le domaine public est d’agir
durablement sur les attitudes et les comportements des citoyens par leur adhésion
aux causes suite à différentes opérations et actions de communication ciblées et
continues.
II.1. Les mécanismes de la communication persuasive
Les acteurs publics peuvent recourir à l’un ou à plusieurs mécanismes de persuasion
suivants :
1.1 La persuasion informative :
Pour une meilleure compréhension du message, l’émetteur public essayera de
convaincre le citoyen avec des arguments rationnels et un message informatif. L’axe
de la communication se basera sur des résultats d’enquêtes et d’observations. On
peut citer l’exemple de la sécurité routière :
« En France, chaque année, plus de 1 000 personnes sont tuées dans des accidents
avec alcool »
« Une personne qui a bu, a 8.5 fois plus de risque d’être responsable d’un accident
mortel »
Image 6 : affiche sécurité routière – Alcool
Arguments citoyen informé message informatif
44
1.2 La persuasion mécaniste
Ce mécanisme de persuasion cherche à conditionner le comportement du
citoyen. Elle se base sur la répétition d’un message simple. C’est le phénomène du
matraquage qui influencera le processus d’adoption du comportement. L’exemple du
port de la ceinture de sécurité illustre parfaitement ce mécanisme. La répétition du
message dans les radios, les TV, les journaux TV et les affiches a facilité la
mémorisation de ce message.
« La ceinture sauve des vies »
« Tout le monde a mis sa ceinture ?»
Image 7 : affiche sécurité routière – ceinture de sécurité
Répétition citoyen conditionné message mécaniste
1.3 La persuasion intégrative
Le citoyen évolue dans un groupe social. Cet ensemble de personnes partage
des valeurs, des normes et des croyances auxquelles s’identifie chaque membre.
L’acteur public peut jouer sur ces valeurs pour introduire un comportement ou le
modifier en le conformant à l’une des valeurs partagées. Les campagnes pour des
villes propres tentent d’accentuer la norme de la préservation de la nature et le
respect de l’écologie.
La valeur de la conscience écologique influence considérablement une grande
partie des citoyens comme le démontre plusieurs sondages
45
Image 8 : affiche protection de l’environnement – gestion des déchets
Valeur citoyen conforme persuasion intégrative
1.4 La persuasion suggestive :
Ce mécanisme se base sur la dimension symbolique et émotionnelle du
récepteur. Il fait appel à la psychologie de l’individu en créant une tension, un
déséquilibre inconscient suite à l’exposition au message. Ce message peut
comporter des images, des discours ou des vidéos qui interpellent l’inconscient et
suscitent un désir de réduire cette tension. Le comportement préconisé par le
message apporte la solution pour le récepteur qui en l’adoptant retrouve son état
d’équilibre.
Image 9 : affiche sécurité routière – ceinture de sécurité
Emotion citoyen affectif persuasion suggestive
46
II.2. Les outils de la communication persuasive basée sur les émotions :
1. Image
L’image est définie comme une représentation bidimensionnelle comme la
photographie, l’illustration et les dessins.
L’image en tant qu’information visuelle facilite la mémorisation du message et
de l’information verbale. Elle peut être classée de la plus abstraite à la plus réelle.
Selon Barthes33, dans l'image proprement dite, la distinction du message
littéral et du message symbolique était opératoire ; on ne rencontre jamais (du moins
en publicité) une image littérale à l'état pur ; quand bien même accomplirait-on une
image entièrement « naïve », elle rejoindrait aussitôt le signe de la naïveté et se
compléterait d'un troisième message, symbolique.
Les images sont un outil mis à la disposition des communicants pour
accentuer la portée du message en véhiculant une représentation mémorisable et
visuelle. Les nouvelles technologies ont participé à la diversité et la multiplicité des
images : images synthétiques, naturelles, retouchées et imaginaires. On assiste à la
création de plusieurs univers.
Les images sont capables d’entraîner les gens dans une voie émotive, tandis
que le matériel textuel ou verbal les maintient dans une voie de pensée plus
rationnelle, plus logique et plus linéaire (Joffe Helene 34 2007).
Les campagnes de prévention se focalisaient au début sur des messages
textuels qui ont été remplacées par des messages visuels sociaux. Ceci prouve que
le volet informatif ne suffit pas pour attirer du public. Celui-ci cherche à être interpellé
par un message visuel et captif qui le capte devant l’avalanche des messages
auxquels fait face le citoyen.
33 Barthes Roland (1964), « Rhétorique de l'image » In: Communications, 4, 1964. pp. 40-51. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1964_num_4_1_1027 34 Joffe Helene, (2007) « Le pouvoir de l'image : persuasion, émotion et identification. », Diogène 1/2007 (n° 217) , p. 102-115 www.cairn.info/revue-diogene-2007-1-page-102.html
47
Images 10 et 11 : affiche sécurité routière – Le danger des téléphones en conduisant
2. Imagerie mentale
L’imagerie mentale est définie comme l’apparition en mémoire de travail d’une
ou de plusieurs entités ayant une réalité propre, résultant de l’activation, sous
l’impulsion d’un stimulus, d’un ou de plusieurs éléments d’information multi
sensorielle préalablement stockés en mémoire à long terme, et éventuellement de
leur combinaison les uns aux autres ou de leur intégration au stimulus. (Helme-
Guizon35, 1998).
L’imagerie mentale suscitée par un stimulus émotionnel ou symbolique peut
améliorer l’impact du message sur le récepteur. L’impact de l’imagerie mentale lors
de la mémorisation d’un message dépend de l’émotion contenue.
3. La communication narrative (le storytelling)
Le cerveau humain intègre mieux les histoires que l’exposé d’arguments
scientifiques. Les communicants l’avaient redécouvert au début des années 2000
avec la campagne de George Bush qui racontait le récit d’une fille d’une des victimes
du 11 septembre. Ce nouvel outil influe sur les croyances et agit sur les
comportements. Il est basé sur la narration qui joue sur les émotions des récepteurs
sans qu’ils ne s’en rendent compte.
Cet outil de communication est souvent assimilé à la sphère politique. Les
grands leaders de l’Histoire étaient d’excellents conteurs.
35 Marie-Laure Gavard-Perret et Agnès Helme-Guizon (2003) « L'imagerie mentale : Un concept à (re)découvrir pour ses apports en marketing », Recherche et Applications en Marketing, December 2003 http://ram.sagepub.com/content/18/4/59.short
48
Le storytelling, explique Salmon36, met en place des engrenages narratifs,
suivant lesquels les individus sont conduits à s’identifier à des modèles et à se
conformer à des protocoles.
L’identification aux personnages utilisés lors des campagnes de prévention
pourrait, par le mécanisme d’assimilation, accroître l’efficacité de la campagne et
induire les changements attitudinales et comportementales souhaités.
4. L’effet de cadrage des conséquences
Le concept de « l’effet de cadrage » trouve son origine dans le domaine de la
psychologie. On distingue trois types de cadrage dans la littérature : le cadrage des
attributs, le cadrage des situations de choix risqués et le cadrage d’une
conséquence.
Dans les campagnes de communication préventive, le message émis peut choisir
comme axe de communication les gains tirés en cas d’adoption du comportement
préconisé par l’émetteur public. Les conséquences du comportement peuvent
s’exprimer positivement (gain) ou négativement (risque). Prenant le cas d’une
campagne pour la sécurité routière :
Image 12 : affiche sécurité routière – l’alcool au volant
Une conséquence désirable pourra donc être le fait « de rentrer en vie », de «
vivre plus longtemps ». Une conséquence indésirable sera quant à elle le fait « de
perdre un membre », de « voir son corps changer », de « mourir plus jeune ». 36 Christian Salmon (2007), « Storytelling, la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits », Paris, La Découverte, p 17
49
Section III – Le cadre résumant le processus de
communication axé sur les émotions dans le cadre de notre étude :
Figure1 : le cadre de l’étude
50
Conclusion partie I :
Le pouvoir persuasif d’un message est déterminé par la stratégie et les techniques
communicationnelles déployées par l’émetteur.
La première partie de ce travail souligne le rôle de la communication publique sociale
et préventive dans l’éducation des citoyens par :
- L’éveil de la conscience collective envers un phénomène ou un enjeu d’ordre
social, sanitaire, économique ou sécuritaire (l’exemple de la sécurité routière)
- La conduite de changement attitudinal et comportemental de la société à
moyen et long terme comme l’adoption de réflexes écologiques et
environnementaux.
L’influence des campagnes de communication publique dépend de plusieurs
variables : culture, réglementation, environnement socio-économique, etc.
Le message de la communication est issu de l’étude des analyses, rapports et
statistiques. Le communicant public opte pour la stratégie en fonction de son objectif
et de l’étude des prédispositions du citoyen à la réception de la nature de
l’argumentation affective ou informative ou mécaniste (adoption du comportement
par le matraquage du message).
Les différents cas analysés dans le chapitre I soulignent l’importance de la nature
émotionnelle dans les campagnes publiques. La réaction émotionnelle déclenchée
par l’annonce (réaction aux images, la peur, le risque, etc) influence
considérablement la réponse des récepteurs.
Durant cette partie, une présentation théorique des concepts à travers une revue de
littérature met en exergue la complexité de la conception d’une campagne de
communication publique du fait que cette dernière fait appel à plusieurs théories et
écoles sociales, psychologiques, comportementales, économiques, politiques et
autres.
Le cadre présenté à la fin tente de résumer les principaux concepts étudiés ainsi que
les hypothèses d’étude.
51
Partie II-
La prévention de la radicalisation
entre communication sociale
et politique sécuritaire
--------------------------------------------------------
« Le terrorisme ne détruira pas la République française car c’est la République qui le
détruira. »
François Hollande s'exprime devant le Congrès
réuni à Versailles le 16 novembre 2015
52
Introduction Partie II
L’évolution de la stratégie de communication et de recrutement des réseaux
terroristes, qui mènent un djihad médiatique, a contraint les pouvoirs publics à
déployer des plans et des stratégies pour prévenir la radicalisation.
La propagande djihadiste s’est adaptée à l’ère du web 2.0. Elle investit les forums,
les réseaux sociaux et les applications de la téléphonie mobile, tout en s’appuyant
sur les canaux de diffusions traditionnelles. Les statistiques des jeunes radicalisés
soulignent l’ampleur du phénomène auquel fait face le gouvernement et la société et
l’efficacité de l’arsenal médiatique des réseaux terroristes.
En avril 2014, le gouvernement a adopté un plan national de lutte contre la
radicalisation violente et les filières djihadistes. Ce dispositif s’articule autour de 24
mesures entre renforcement des moyens et révision des textes législatifs et
réglementaires. Ce plan comporte, également, un volet sur la prévention de la
radicalisation et l’accompagnement des familles par l’information et la communication
des dangers de l’embrigadement.
A la suite des événements tragiques du début de l’année 2015, le
gouvernement a diffusé une campagne de communication visant à apporter un
contre discours aux messages des groupes terroristes pour dissuader les jeunes de
les rejoindre. Une deuxième campagne est lancée, en octobre 2015, ciblant les
parents, les proches et les amis des jeunes radicalisés afin de les inciter à les
signaler et éviter leur enrôlement dans la spirale du djihad.
Le chapitre 3 de ce mémoire, sera consacré à l’exposé du contexte de la
stratégie nationale du gouvernement dans sa lutte contre la radicalisation, ainsi
qu’aux principales conclusions des rapports d’experts ou d’organismes concernant le
phénomène et les profils des jeunes radicalisés. Ensuite, une présentation de la
campagne de communication du ministère de l’intérieur, dans ses deux phases, fera
l’objet d’une section de ce chapitre en essayant de définir les cibles, les axes de
communication et le plan média.
53
Le quatrième chapitre portera sur la recherche empirique menée dans le
cadre de ce mémoire. Il s’agira de déterminer les émotions déployées dans les
messages émis ainsi que les techniques de persuasion privilégiées dans la
conception de la campagne de communication. Deux entretiens de groupe effectués
avec une douzaine de personnes et une analyse sémantique des discours des
messages publicitaires permettront de faire un diagnostic de la prédisposition de la
communication de la prévention du ministère de l’intérieur à l’usage des émotions
dans un volet sécuritaire et confirmeront ou infirmeront les hypothèses issues de la
problématique du mémoire.
54
Chapitre III-
Le contexte de la radicalisation en France
Le terrorisme représente une menace permanente en Europe et en France tout
particulièrement. Les attentats perpétrés à Copenhague et Paris, en 2015, et tout
récemment à Bruxelles en 2016, soulignent l’ampleur de la menace. La radicalisation
apparaît comme le facteur commun dans les attaques terroristes commises à Paris.
Le Premier ministre Manuel Valls, dans son discours le 13 janvier 2015 devant
l’Assemblée nationale, annonce que « […] Les phénomènes de radicalisation sont
présents sur l'ensemble du territoire. Il faut donc agir partout ».
Le Parlement européen dans sa résolution du 25 novembre 2015 sur la
prévention de la radicalisation et du traitement et du recrutement de citoyens de
l’Union par les organisations terroristes :
- […] estime que la Commission européenne devrait appuyer et soutenir le
développement, par les États membres, d'une stratégie de communication
efficace et intensive sur la prévention de la radicalisation et du recrutement de
citoyens européens et de ressortissants de pays extérieurs à l'Union qui
résident dans l'Union par des organisations terroristes. (article4)
- […] demande à la Commission d'encourager les États membres à
entreprendre une campagne de communication pour sensibiliser les jeunes,
mais également le personnel encadrant, aux questions de radicalisation;
souligne que les formations ou les campagnes de sensibilisation doivent être
axées en priorité sur une intervention précoce, afin de protéger les individus et
de les détourner de tout risque de radicalisation. (article 31)
Ces positions gouvernementales et européennes prouvent que la prévention de
la radicalisation constitue un axe important dans la lutte contre les phénomènes de
radicalités et montrent que le volet de la communication joue un rôle important dans
la sensibilisation de la société.
55
Section I – L’évolution de la radicalisation en France et la
diversité des profils des radicalisés
La France est confrontée au basculement des jeunes dans l’engagement
radical. Le processus de la radicalisation n’est pas bien déterminé et analysé car il
dépend de plusieurs facteurs : économiques, sociaux, culturels et psychologiques. Il
se construit suivant des étapes pouvant conduire à la violence et touche, souvent
des jeunes vulnérables au phénomène de l’emprise mentale.
Le parcours de la radicalisation de ces jeunes est un drame pour les familles
et proches. Ces derniers sont pris sous l’influence de la propagande djihadiste qui
s’appuie sur des réseaux de communication répandus auprès des jeunes.
Les services des renseignements estiment que le nombre de Français partis
faire le djihad en Syrie s’élève à 1800 dont 126 morts sur place (soit un djihadiste
français sur 7 est décédé). Ils signalent que 290 jeunes sont revenus dont certains
sont incarcérés. Le nombre de Français partis en Syrie a augmenté de 74% en 2014
et ce chiffre ne cesse de croître.
I.1. Les indicateurs de la radicalisation
La radicalisation est un processus progressif qui requiert une adhésion à une
idéologie extrémiste et l’adoption d’attitudes et de comportements violents.
La radicalisation ne peut se manifester que sur un faisceau d’indicateurs. Ces
derniers peuvent être de plusieurs natures : apparences physiques, tenues
vestimentaires, attitudes agressives envers les autres, propos antisémites, ruptures
avec les amis et la famille, pratiques religieuses très ritualisées, etc.
Un groupe de travail interministériel piloté par le Secrétariat général du Comité
interministériel de prévention de la délinquance et constitué par des services des
ministères de l’intérieur, de la justice, de l’éducation nationale, des affaires sociales
et de la santé, de la ville, de la jeunesse et des sports et de la Mission
interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES) a
dressé un ensemble d’indicateurs de basculement divisé entre indicateurs forts et
indicateurs faibles.
56
Les indicateurs de la radicalisation ont à la fois trait à la personnalité de
l’individu, son milieu de vie, son rapport et sa place avec la société, son parcours de
vie (études, travail, relations, etc.) et ses antécédents juridiques. L’annexe A résume
les indicateurs recensés par le groupe de travail en fonction de leur nature et de
leurs degrés.
L’usage de ces indicateurs doit être maîtrisé afin d’éviter les amalgames et de
confondre les pratiques cultuelles et les cas d’enrôlement. La présence d’un
indicateur ne signifie pas que la personne est en cours de radicalisation. La présence
de plusieurs indicateurs peut indiquer, qu’éventuellement, l’individu est en cours
d’embrigadement.
I.2. Le dispositif de lutte contre la radicalisation en France
Le plan national de lutte contre la radicalisation lancé par la circulaire du
29/04/2014 a définit les missions du centre national d’assistance et de prévention de
la radicalisation (numéro vert) afin d’endiguer le départ des jeunes en Syrie. Ce
centre s’articule autour d’une plate forme téléphonique permettant de signaler des
cas de jeunes non détectés par les services de renseignement. Ce centre s’appuie
sur les préfectures de département qui sont appelées à constituer des cellules
d’accompagnement des familles. Selon les derniers chiffres officiels, 3 14237
personnes ont fait l’objet d’un signalement par leurs proches ou par les services
publics. Les figures ci-dessous résument les caractéristiques des individus signalés.
Figure 2 : Profil des cas signalés38
37http://www.lemonde.fr/police-justice/article/2015/03/26/les-nouveaux-chiffres-de-la radicalisation_4602011_1653578.html 38http://www.lemonde.fr/police-justice/article/2015/03/26/les-nouveaux-chiffres-de-la radicalisation_4602011_1653578.html
57
Figure 3 : Profil par tranche d’âge39
La circulaire du 25/06/2014 est axée sur la coopération des services de l’État
(Intérieur et Justice notamment) pour renforcer les échanges de données
La Loi du 13/11/14 renforce les dispositions de lutte contre le terrorisme
(interdiction de sortie de territoire pour les majeurs notamment).
Le 28 janvier 2015, le gouvernement lance le site internet: Stop-
djihadisme.gouv.fr et entame une campagne de communication avec un spot vidéo
diffusé sur les réseaux sociaux et sur internet avec une campagne d’affichage en
préfecture et dans les services de l’État pour l’information des usagers dans le but de
faire connaître le numéro vert de signalement.
Le 24 juin 2015, le Parlement adopte la loi sur les renseignements qui permet
de renforcer les moyens d’action des services de renseignement tout en protégeant
les Français dans le respect des libertés.
Le 7 octobre 2015, le gouvernement lance une nouvelle campagne de
communication ciblant les proches des jeunes radicalisés et vise à les sensibiliser au
départ des jeunes en Syrie.
39 http://www.lemonde.fr/police-justice/article/2015/03/26/les-nouveaux-chiffres-de-la-radicalisation_4602011_1653578.html
58
I.3. Le profil des jeunes radicalisés
L’idée répandue et véhiculée par les médias est que le portrait de jeunes
Français candidats à la radicalisation est souvent celui de jeunes issus d’un
environnement social et familial fragile. Alors que les derniers rapports établis à partir
des signalements et entretiens avec les familles des jeunes victimes d’enrôlement
montrent qu’ils proviennent de milieux divers.
Le rapport de Donia Bouzzar permet de dresser les caractéristiques des
profils ciblés par le message djihadiste :
a. Les femmes : nouvelle cible des recruteurs radicaux
« Entre octobre 2013 et octobre 2015, la proportion de femmes parmi les
Français ayant rejoint la Syrie est passée de 12 % à 35 %, tandis que le flux de
départs des hommes fléchissait légèrement » (le Figaro40 2016).
Le nombre de jeunes filles radicalisées signalées en France représente 850
personnes alors que les statistiques parlent de 53 adolescentes françaises en Syrie.
Le discours des groupes radicaux est axé sur les causes humanitaires et sur
le rêve de fonder une famille avec un prince courageux et juste.
Image 13, 14 et 15 : Images véhiculées par les réseaux terroristes
b. Des jeunes entre 15-21 ans :
C'est la tranche la plus touchée: 63% des candidats au djihad recensés dans
les familles interviewées. Les jeunes entre 21-28 ans représentent 37%. Les
rapports pointent, aussi, que : 5% des jeunes radicalisés seulement ont commis des
petites délinquances et que 40% d'entre eux ont connu la dépression.
40 http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2016/03/05/01016-20160305ARTFIG00121-deux-mineures-radicalisees-activement-recherchees-par-la-gendarmerie.php
59
La fragilité psychologique des jeunes en voie de radicalisation facilite leur
endoctrinement ce qui les présentent comme une cible privilégiée des recruteurs.
Ces jeunes, en perte de repères et de sens de vie sont fascinés par les
messages du «chevalier héroïque», du « sauveur » au nom d' «une cause
humanitaire», du «commandant» pour ceux qui rêvent de diriger des groupes, « du
jeu virtuel en dimension réelle » comme dans les jeux vidéos de guerre «Call of
duty», «Assassin's Creed» et autres.
Image 16 et 17 : Images véhiculées par les réseaux terroristes
c. Toutes les classes socioprofessionnelles sont touchées :
Le discours d’embrigadement touche toutes les classes sociales. Le rapport
montre que 67 % des jeunes interrogés sont issus des classes moyennes, 17%
appartiennent à la classe supérieure alors que seulement 16% sont issus du milieu
populaire. Le processus de radicalisation peut concerner des jeunes scolarisés dans
des grandes écoles ou des jeunes en pleine réussite et ascension sociale.
d. Des familles de cultures diverses :
Dans le rapport de l’anthropologue Donia Bouzzar, on peut noter que 80 %
des familles interrogées sont de référence athée, 20 % sont bouddhiste, juive,
catholique ou musulmane. Des faits dramatiques ont touché les jeunes au cours de
leur enfance ou ont grandi avec des éléments historiques handicapants ou honteux.
Le discours d’enrôlement vise cette fragilité en véhiculant l’image d’un
marginal de la société qui est différent car il était un « élu de dieu pour sauver le
monde ».
60
Le rapport de la chercheuse est important pour identifier toutes les cibles du
discours d’endoctrinement afin de préparer les contre-discours adéquats.
Néanmoins, ce rapport présente une limite considérable à savoir que les résultats ne
peuvent être généralisés. En effet, les signalements des cas d’embrigadement ne
sont pas systématiques et concernèrent, souvent, des familles des classes
moyennes et des supérieures qui se préoccupent plus de leurs proches alors que les
jeunes radicalisés des milieux populaires sont difficilement repérables.
I.4. Le processus de radicalisation :
La radicalisation relève d’un processus d’emprise mentale. L’espace virtuel et
Internet ont permis un accès direct aux jeunes, en quelques clics, tout en effaçant les
barrières des langues, de l’espace et du temps. Ils représentent un moyen de
communication privilégié pour accéder aux subconscients des victimes tout en
personnalisant l’offre de la radicalisation.
Les réseaux terroristes adaptent leurs messages d’embrigadement en fonction
de la victime en face de son ordinateur sans le moindre soupçon de ses proches. Sur
Facebook, Youtube, Twitter et autres applications, les recruteurs des jeunes usent
des meilleures techniques visuelles pour attirer, séduire et persuader les victimes de
les rejoindre en déployant des arguments personnalisés.
Le processus de radicalisation se poursuit par une rupture rapide avec le
milieu familier et s’accompagne rapidement d’un changement de comportement.
Figure 4: Les canaux de la propagande terroristes pour le recrutement41
41 Courrier international « hors-série » (octobre 2015) : « Daech : la menace planétaire »
61
Section II – La campagne de communication publique « stop
djihadisme »
II.1. Campagne janvier 2015
Le 28 janvier 2015, trois semaines après l’attaque de Charlie Hebdo, le
gouvernement a mis en ligne une plateforme « stop-djihadisme » comprenant des
vidéos et des articles en vue d’apporter un contre discours à la propagande
terroriste.
La vidéo diffusée sur Youtube, Dailymotion et autres réseaux sociaux cible les
jeunes qui sont en voie de radicalisation sur internet. Cette vidéo de deux minutes,
interdite au moins de 12 ans, reprend les codes de la propagande du groupe
terroriste.
Image 18 : capture écran du film de prévention de la radicalisation
Le film débute avec la prise de contact sur Facebook entre le jeune et le
groupe terroriste et ce qui s’ensuit d’échanges et de l’enrôlement dans un espace
virtuel en décrivant les techniques utilisées par le groupe terroriste comme les
images, les jeux vidéo et le discours.
Une série d’images en couleurs défile ensuite avec les arguments et discours
des groupes terroristes en fonction des cibles (aide humanitaire, cause juste, fonder
une famille, vivre en héros et sauver des enfants). Ces images en couleurs sont
extraites des vidéos de propagandes diffusées par les groupes terroristes pour
recruter des jeunes djihadistes. Elles sont entrecoupées par des images en noir et
blanc reflétant la réalité en Syrie (massacres, chaos, crimes, guerres, misère, etc.)
avec un discours décrivant la situation réelle qui attendrait les jeunes. Chaque
62
argument utilisé par les terroristes est démenti un par un à travers les vérités
dévoilées.
Le film se termine par le slogan de la campagne ainsi que le mot-dièse qui se
réfère au site gouvernemental #stop-djihadisme et le logo du gouvernement.
Image 19: capture écran sur la signature de la campagne de la prévention de la radicalisation
Fiche technique du spot :
Durée du film : 1 minute et 55 secondes
Axe de communication : le contre-discours
Annonceur : le gouvernement français
Slogans de la campagne :
"Les discours d'embrigadement djihadistes font chaque jour de nouvelles
victimes"
Fond sonore : une composition musicale pour chaque univers d’image.
Pour la phase de recrutement, on entend les cliques.
Pour les images en couleur, un fond de musique de guerre médiévale.
Pour les images en noir et blanc, un fond de musique de désastre.
Traitement visuel : alternances d’images en couleur et autres en noir et blanc
avec des messages écrits sur chaque séquence.
Signature : La Marianne (logo du gouvernement)
Canaux de diffusion : les réseaux sociaux et internet
Cible du film : les jeunes devant leurs écrans mais aussi les proches pour
prendre conscience du processus de radicalisation.
63
Synopsis :
Plan 0 :
Plan 1 : "Ils te disent: Sacrifie-toi à nos côtés, tu défendras une cause juste"
"En réalité, tu découvriras l'enfer sur terre et mourras seul, loin de chez toi"
Plan 2 : "Ils te disent: Viens fonder une famille avec l'un de nos héros.
"En réalité, tu élèveras tes enfants dans la guerre et la terreur"
Plan 3 : "Ils te disent: Rejoins-nous et viens aider les enfants syriens.
"En réalité, tu seras complice de massacres de civils"
Plan 4 : "Ils te disent: tu vis dans un monde de mécréants impurs, la vérité est ici.
"En réalité, comme seule vérité, tu découvriras l’horreur et la tromperie"
"Les discours d'embrigadement djihadistes font chaque jour de nouvelles
victimes",
#stopdjihadisme.
II.2. Campagne octobre 2015:
Suite aux attentats de novembre 2015, le gouvernement lance le 7 octobre
une nouvelle campagne de communication qui vise les parents et les proches des
jeunes en voie de radicalisation afin de les sensibiliser au phénomène qui peut
toucher toutes les familles. Cette campagne comporte 4 spots diffusés sur les
chaînes TV.
Les spots représentent un témoignage de proches de jeunes victimes
radicalisées parties faire le djihad en Syrie. Les proches sont issus de milieux
sociaux différents et variés (Véronique et son fils joyeux, Sahila et son petit Sabri,
Baptiste et sa fille chérie et enfin Jonathan et sa petite sœur). Chaque victime
raconte son drame et ce qui l’avait marqué afin de sensibiliser l’opinion publique et
64
de les inciter à signaler leurs proches pour leur épargner les drames de la guerre et
les aider.
Fiche technique du spot :
Durée du film : 4 spots d’une minute et 30 secondes chacun.
Annonceur : le ministère de l’Intérieur français
Axe de communication : ce drame peut arriver à tout le monde
Slogans de la campagne : « Vous êtes touchés par ce drame, vous n’êtes
plus seul. Appelez le 0800 005 696 »
Fond sonore : un témoignage sobre et direct sans retouche
Traitement visuel : vidéo sans retouche
Signature : La Marianne (logo du gouvernement)
Canaux de diffusion : les chaînes TV et les réseaux sociaux
Cible du film : les proches et familles des jeunes
Synopsis : Voir annexe B
65
Chapitre IV-
Etude de la campagne Stop djihadisme
Section I - Méthodologie de recherche
I.I. : Recherche qualitative :
Cette section explique le choix méthodologique de notre recherche. Nous
présenterons la méthode de recherche, la méthode de collecte des informations, le
choix de l’échantillon, la préparation du guide d’entretien, l’administration des
entrevues et les techniques d’analyse.
I-1- Choix de la méthode de recherche
Dans notre recherche, après avoir présenté l’usage des émotions dans les
campagnes de communication publique dans les précédents chapitres, nous
tenterons d’identifier la nature des émotions utilisées dans la campagne de
prévention de la radicalisation et les techniques de persuasion déployées par les
communicants. Pour ce faire, nous avons opté pour une recherche qualitative.
Contrairement à la recherche quantitative qui cherche souvent à tout résumer en
chiffres, la recherche qualitative permet de répondre à des questions d’un autre
ordre, comme le pourquoi et le comment des choses (Duhaime et Landry, 1995)42.
Donc, la recherche qualitative permet l’étude en profondeur d’un phénomène par la
collecte de données permettant la compréhension des attitudes et des motivations
des individus. Les techniques les plus répandues pour la recherche qualitative sont
les entretiens individuels ou les entretiens de groupes (focus group).
La définition de l’analyse qualitative donnée par Kirk et Miller43 (1986) permet de
justifier en partie le choix de cette méthode pour notre étude : « techniquement, une
observation qualitative identifie la présence ou l’absence de quelque chose
contrairement à l’observation quantitative qui implique de mesurer le degré de
présence d’une caractéristique ».
42 DUHAIME, C.P, LANDRY S. (1995) « Quand les ciseaux font place à l’ordinateur », Revue de Gestion, vol 20, N° 4
43 Kirk Jerome et Miller Marc L. (1986), « Reliability and Validity in Qualitative Research », SAGE Publications, 1986 - 87 pages
66
I-2- Méthode de collecte des données :
Les entretiens de groupe représentent la technique la plus répandue dans les
études qualitatives. Ils permettent de collecter des données tout en écoutant un
groupe d’individus échanger librement. L’intérêt majeur de cette technique est de
dégager des résultats non observables ou de faire émerger des informations
nouvelles. Le groupe est dirigé par un animateur qui veille à la bonne conduite de la
séance en établissant une bonne communication entre les participants et faire
progresser la discussion suivant les objectifs poursuivis.
Un groupe est généralement composé de huit à douze personnes appartenant à
la cible et présentant une expérience intéressante par rapport à la question à étudier.
Un nombre inférieur à huit personnes est insuffisant pour créer une dynamique de
groupe ; supérieur à douze personnes, il risque d’empêcher une discussion
cohérente et naturelle44.
L’avantage majeur de cette méthode réside dans l’interaction du groupe qui
permet de favoriser l’émergence des opinions, attitudes et avis comme une réaction
en chaîne.
Les avantages de cette méthode sont :
- Gain de temps : réunir 8 à 10 individus permet de réduire la durée du
temps à consacrer aux entrevues et observations ;
- Échange dynamique : les discussions de groupe favorisent les débats sur
des opinions contradictoires et l’approfondissement des idées exprimées et
dépasser les tabous ;
- La représentativité des individus ne répond à aucun critère scientifique
contraignant ce qui accélère la collecte des données.
-
Néanmoins comme toute technique de collecte de données, les entretiens de
groupes ont des limites à savoir :
44 Ebenkamp B.,(2001) « The Focus Group Has Spoken », Brand Week, 42, p. 17, 23 avril 2001. Fern E.F., Advanced Focus Group Research, Sage Publications, 2001.
67
- L’analyse des données est plus complexe que l’analyse des données
quantitatives ;
- Risque de blocage ou de domination de certains participants ;
- Les résultats ne peuvent pas être généralisés.
I-3- Choix des répondants
Pour avoir les réponses sur les questions de recherche les plus pertinentes
possibles, il faudrait interroger deux groupes d’individus de milieux divers.
Comme il s’agit d’une recherche qualitative, il n’y a pas de règles strictes
concernant la taille des groupes. Le but des entretiens est de collecter le maximum
d’information et d’opinions. Vu le temps qui nous a été imparti, notre échantillon sera
composé de 2 groupes comprenant chacun 8 individus.
La composition des groupes : (voir annexe C)
Pour le groupe 1 : le choix s’est porté sur huit jeunes volontaires entre 15 ans
et 22 ans issus de la banlieue parisienne car ils représentent le cœur de cible
directement concernées par la problématique de notre recherche et que les
messages de prévention de la radicalisation leurs sont destinés. Ils sont la première
cible des groupes terroristes, ils peuvent nous fournir les informations nécessaires
pour dégager la nature des émotions dégagées par les spots vidéo et les confronter
aux techniques utilisées lors de la deuxième phase de l’étude empirique.
Pour le groupe 2 : le choix s’est porté sur huit élèves du cycle international
long et master de communication des institutions publiques volontaires vu que leurs
profils correspondent aux décideurs et concepteurs de la campagne de
communication publique. Ils peuvent nous fournir les informations nécessaires pour
dégager la nature des émotions dégagées et analyser les techniques utilisées.
I-4- Guide d’entretien
Le guide d’entretien 45 se compose de questions liées aux thèmes abordés par la
problématique de ce mémoire.
45 Le guide d’entretien est disponible en annexe D
68
Les questions ont été structurées de manière à convenir à tous les participants.
Ces derniers peuvent aller au-delà des questions principales qui servent de grands
points de repères.
I-5- Administration des entretiens
Les entretiens de groupe ont été réalisés le 3 mai 2016 pour le groupe 1 à Paris
et le 15 avril 2016 à Strasbourg pour le groupe 2.
Les entretiens de groupe ont duré entre 1 heure et 1 heure 30 minutes
chacun. Dans un premier temps, nous avons opté pour une présentation du sujet,
son importance et son apport à la lutte contre la radicalisation avec une projection
des deux campagnes de communication (spots publicitaires).
Dans un deuxième temps, le déroulement des réunions de groupe s’est basé
sur la grille d’entretien dans un style interactif qui favorise la discussion et les
échanges entre les participants et la collecte des informations pour traiter tous les
aspects du sujet et s’assurer que les objectifs poursuivis ont été atteint.
Les propos ont été retranscrits dans un bloc note, le recours à l’enregistrement
vidéo a été évité pour éviter les réticences qu’auraient pu exprimer les participants.
Notre objectif est de vérifier la nature des émotions dégagées par le message
visuel et par le discours utilisé ainsi que de déterminer les techniques utilisées.
I-6- Méthode d’analyse
Les réunions accomplis, les entretiens ont été retranscrits. Les propos des
participants ont été rapportés parfois textuellement, parfois en enlevant ceux qui sont
jugés inutiles pour ne conserver que l’essentiel.
La lecture des entretiens va être décrite et expliquée la construction de la grille
d’analyse46. Elle a été construite après avoir élaboré une première grille trop
générale, traduisant tous les détails issus des entretiens et rendant difficile le
passage à un travail analytique. Sa mise en place a facilité le dégagement des
grands volets faisant l’objet de l’interprétation et de l’analyse.
46 La grille d’analyse générale est disponible en annexe E
69
L’interprétation des résultats se décompose en 3 grands volets :
Volet 1 : La nature des émotions
Pour dégager la nature des émotions des récepteurs, on a eu recours aux questions
suivantes :
Que ressentez vous en regardant ces vidéos ?
Quels sont les objectifs de la diffusion de ces vidéos à votre avis ?
Comment expliquez-vous l’usage de la peur et de la surprise dans ces
messages ?
Volet 2 : Les techniques de persuasion utilisées
Est-ce que la présentation des conséquences du départ des jeunes en Syrie
décrites par les parents vous paraît pertinente et pourquoi?
Qu’est ce que les récits des parents suscitent en vous ?
Comment jugez-vous les images utilisées pour contredire la communication de
recrutement des djihadistes ?
Volet 3 : Impact des discours
Qu’est ce qui vous a marqué dans le discours du spot de recrutement ?
Pensez vous que les individus exposés à ces vidéos seront plus attentifs au
phénomène de la radicalisation ?
Quelle campagne vous a le plus marqué et pourquoi ?
La grille d’analyse établie résume les réponses et propositions des répondants
aux principaux thèmes du guide d’entretien.
Concernant l’interprétation des réponses, nous avons opté pour la méthode
d’analyse de contenu. Cette méthode est généralement utilisée pour analyser les
discours, les articles de presse et les entretiens. Il existe trois méthodes utilisées en
analyse de contenu47 :
47 EVARD, Y ; PRAS, B ; ROUX, E ; (1997) « Market, Etudes et recherches en marketing », Fondement, Méthode, 2éme édition Nathan
70
Types d’analyse Exemple d’indicateur
Analyse Syntaxique Structure de discours
Exp : temps et mode des verbes
Analyse Lexicale Nature et richesse des verbes
Exp : fréquence d’apparition des mots
Analyse thématique Découpage par thème et fréquence
d’apparition
Tableau 2 : méthodes d’analyse de contenu
Dans notre recherche, on a opté pour l’analyse thématique, puisqu’elle est la
plus appropriée à ses objectifs. En effet, on a découpé les entretiens en thèmes.
I.II. Analyse sémiologique
La sémiologie est une discipline mixte, elle englobe la philosophie, la
linguistique, la sociologie, la psychologie cognitive, l’anthropologie et les sciences de
communication. Il n’existe pas une seule école en sémiologie. En fait, plusieurs
auteurs se complètent par leurs approches de la discipline dont on peut citer: Eco,
Lévi-Strauss, Barthes, Metz et autres. Roland Barthes est l’initiateur de la sémiologie
de la publicité.
Pour mieux répondre à la problématique de la recherche, on va procéder à une
confrontation des résultats des entretiens de groupes et de l’analyse sémiologique.
La sémiologie est la science qui étudie les signes à la fois verbaux et non verbaux.
Ferdinand de Saussure48 l’avait définie comme : « une science qui étudie la vie des
signes au sein de la vie sociale (…) nous la nommerons sémiologie ».
48 https://fr.wikipedia.org/wiki/S%C3%A9miologie
71
Section II - Analyse des résultats
II.I. Phase 1 : focus group
Cette section présente les résultats de la recherche pour chacun des volets
cités ci-dessus, chaque volet sera divisé en un ensemble de thèmes.
a. le volet 1 : la nature des émotions
Thème 1 : Les ressentis de l’exposition aux spots
Les répondants sont unanimes sur le danger de la radicalisation. Ces spots
déclenchent chez eux une crainte et une peur de se retrouver un jour victime de ce
fléau. À travers la grille d’analyse, on remarque la convergence des réponses
concernant les vidéos des familles des jeunes radicalisés. Ils sont frappés par le
malheur et la tristesse des proches et ne souhaitent pas voir leurs parents dans des
situations pareilles. Dans plusieurs cas, on fait face à l’utilisation des mêmes termes
pour exprimer les émotions ressenties.
Les principales émotions évoquées par l’ensemble des participants sont les
suivantes :
- La peur : à l’analyse des propos des participants, on peut déduire que la
peur ressentie est plus intense par rapport aux vidéos des témoignages des
familles que celle destinée à dissuader les jeunes de ne pas sombrer dans
le discours d’endoctrinement. Ils sont unanimes sur le fait que la peur induite
par les propos de familles est plus réelle et plus touchante que le montage
des images des zones de guerre.
Les jeunes du groupe 1 expriment leur peur par rapport aux spots des
familles car ils ne savent pas si leurs proches (frères, cousins, amis et
autres) sont exposés ou pas à ces dangers et ils craignent que même ceux
qui sont considérés comme épargnés puissent être la cible de ces groupes.
Le spot des scènes de chaos n’a pas soulevé la peur auprès des deux
groupes qui le considèrent comme une compilation d’images diffusées lors
des journaux télévisés ;
- La tristesse : la majorité des participants étaient tristes de voir des vies et
des familles détruites par ce phénomène. Les spots des familles ont
72
provoqué une atmosphère emplie de peine et de compassion alors que
l’autre spot n’a suscité que peu de réaction de peine ;
- La colère : la majorité des répondants assure que les propos des familles
des jeunes partis au djihad les ont mis en colère envers ce fléau et envers
les institutions publiques qui n’arrivent pas à empêcher de tels drames.
Suite des échanges, ils révisent leur colère et partagent que ni la famille ni
les organismes publics ne peuvent prévenir le départ de ces jeunes.
La colère s’estompe avec les échanges et se limitent à une colère envers
les jeunes partis qui ne réalisent pas la peine qu’ils causent à leurs proches.
Le groupe 2 des élèves du Cil est mitigé entre une colère envers les parents
qui ne surveillent pas de près leurs enfants et une incompréhension de ces
jeunes partis faire le djihad. Ils n’arrivent pas à cerner leurs motivations.
Quelques participants du groupe 1 (des jeunes franciliens) maintiennent la
responsabilité de l’État concernant ces drames et ne comprennent pas
comment les autorités n’avaient pas pu observer les prémices ;
- La surprise : les répondants sont surpris de découvrir le processus rapide
et discret de la radicalisation décrit par les témoignages des proches ainsi
que la facilité d’aborder les jeunes via les réseaux sociaux exposée par le
spot d’endoctrinement. Le groupe 2 (des Cils) exprime un choc ressenti par
ce processus. Ils ont souvent suivi les affaires de radicalisation dans les
médias mais n’ont jamais été exposé au processus d’endoctrinement qu’ils
décrivent comme dangereux car les jeunes de nos jours sont constamment
connectés à leur ordinateurs et aux espaces virtuels.
Le groupe 1 (des jeunes de la banlieue) est plutôt surpris de l’impact des
départs sur les parents et de la diversité des profils des jeunes partis au
djihad. Ils pensaient que le phénomène ne concernait que les familles de
confession musulmane ou issues de l’immigration.
La majorité d’entre eux déclarent ne pas être surprise par les méthodes de
recrutement décrites dans les spots ni par la discrétion des jeunes qui usent
de méthodes de dissimulation bien connues induisant leurs proches en
erreur ;
73
- Un étonnement : le groupe 1 était dans son ensemble étonné par le spot
de recrutement réalisé pour dissuader les jeunes de partir. Ils affirment que
les images ne choquent pas et que les réseaux sociaux abondent d’images
plus atroces de guerre. Ils s’interrogent sur le degré de conscience des
autorités émettrices de la vidéo concernant les contenus partagés sur la
toile (internet).
Ils ajoutent aussi que les arguments avancés pour contredire le discours
d’embrigadement sont creux et vides et n’ont aucun effet sur les jeunes en
voie de radicalisation car selon eux : qui garantit la véracité des arguments
des institutions publiques sachant que les sources d’information sont
diverses et que la confiance accordée à la parole étatique est fortement
contestée par les jeunes de 15 à 22 ans.
Thème 2 : Les objectifs des spots
Les deux groupes sont unanimes sur la portée et l’objectif des spots diffusés. Ils
pensent que l’opinion publique est très peu alertée sur la gravité du phénomène.
Même si les médias et les émissions TV traitent de ces sujets à longueur de journée
surtout après les attentats, le profil des victimes ainsi que le processus restent
méconnus par la plupart.
- Une prise de conscience: Les répondants voient que ces spots aident les
citoyens à mieux cerner les contours de la radicalisation en exposant le profil
des jeunes en proie à la radicalisation, les arguments déployés (même si la
majorité partagent que les contre-arguments ne sont pas valables pour les
jeunes en voie d’enrôlement) ainsi que le processus de radicalisation qui
débute dans la chambre même du jeune et dans son environnement le plus
proche (ordinateur, téléphone et réseaux virtuels)
- Un changement d’attitude : le groupe 1 exprime un léger soulagement car il
pensait que la radicalisation se limitait aux jeunes des cités quand même ceux
appartenant aux classes moyennes et aisées peuvent succomber à
l’extrémisme religieux. Quelques uns du groupe 2 précisent que ces spots leur
ont donnée d’autres idées concernant le phénomène.
74
- Une incitation à agir : les jeunes du groupe 1 déclarent que ce qu’ils ont
sentis durant les spots les incitera à faire plus attention autour d’eux pour venir
en aide à des amis qui pourraient être victimes de radicalisation et de
surveiller de plus près les comportements suspects et alerter l’école ou la
famille du concerné en cas de doute. Les participants du groupe 2 voient qu’il
est plutôt urgent de surveiller le temps passé par les jeunes sur les réseaux
sociaux car c’est la porte d’entrée de la radicalisation.
Thème 3 : L’usage des émotions :
Les deux groupes sont conscients que les deux campagnes ont suscité en eux
plusieurs émotions. Ils voient que c’est le meilleur moyen de les toucher et d’attirer
leur attention. Ils sont unanimes que seuls la peur et la tristesse sont capables de les
pousser à réfléchir. Quelques uns ont été surpris de la qualité médiocre, selon eux,
du spot gouvernemental qui emprunte les codes des vidéos des terroristes sans
pour autant réussir à les contredire.
b. le volet 2 : les techniques de persuasion utilisées
Thème 4: Le cadrage des conséquences
Le groupe de jeunes de la banlieue se rend compte du fait que montrer la tristesse
des parents et leur désarroi pourraient avoir un impact sur la décision des jeunes qui
souhaiteraient partir en Syrie. Ils affirment tous que le malheur des parents est un
argument fort pour les dissuader surtout quand ils ont été témoins de la tristesse de
vrais parents et face à des témoignages réels.
Le groupe 2 est aussi unanime sur l’importance d’axer la campagne sur les
conséquences des départs sur les proches car d’une part cela pousse les parents à
agir et surveiller leurs enfants de très près et d’autre part peut dissuader les jeunes
de causer de pareilles tristesses à leurs proches.
Thème 5 : Le récit narratif :
Les deux groupes sont d’accord quand à la pertinence des récits des proches des
jeunes partis en Syrie. Ils remarquent les petits détails : faire des crêpes, prendre son
écharpe, le papa content que son fils l’appelle, la maman qui sourit en se rappelant
le sourire de son fils, etc. ont marqué leurs esprits. Un participant du groupe 1 se dit
étonné de la mémoire des parents qui n’oublient aucun détail de leurs enfants et qu’il
75
est ému de penser que sa maman le regarde chaque jour attentivement non par
critique mais par amour. Le groupe 2 ajoute que ces détails plongent le récepteur
dans l’ambiance de la famille pour après mieux ressentir l’impact du départ ce qui
distingue les deux campagnes de prévention et leur impact.
Thème 6 : Les images utilisées lors des deux campagnes :
Le groupe des jeunes issus de la banlieue parisienne ne comprend pas l’utilisation
des images de guerre partagées sur les réseaux sociaux. Ils disent que la
provenance de ces images n’est pas certain ; même si elles se réfèrent à la réalité
syrienne rien ne prouvent qu’elles sont les conséquences des groupes djihadistes
qui combattent le régime sur place. Ils sont unanimes sur les représentations
correspondant au recrutement sur Facebook car les réseaux sociaux facilitent le
contact entre les jeunes du monde entier.
Le groupe des élèves du Cil sont unanimes quant à la pertinence de la première
séquence du spot de recrutement et déplorent le manque de créativité lors de la
phase du contre discours qui se limitent à reprendre des images véhiculées par les
chaînes télé ou les réseaux sociaux. Ils disent que les jeunes sont suffisamment
intelligents pour contredire les contre-discours des autorités en usant des mêmes
techniques.
c. le volet 2 : L’impact des discours des spots
Thème 7 : Le discours du spot de recrutement
Concernant le discours du spot de recrutement djihadiste, l’unanimité est
frappante entre les deux groupes. Ils partagent tous l’opinion que le discours
employé est contre-productif car il n’apporte que la vérité présentée par les autorités
et que les jeunes tentés par l’obscurantisme n’ont aucune confiance dans l’appareil
étatique et ressentent une méfiance envers les représentants de l’État. L’un des
participants dit que « cette vidéo va encourager les "candidats" à aller vérifier sur
place si ce que prétend l’État est vrai ou pas ».
Les élèves du groupe 2 constatent que les concepteurs du spot n’ont pas
réellement compris le phénomène de la radicalisation et que cette campagne a été
76
faite à la hâte pour apporter une première réponse aux contestations après les
attentats de janvier pour calmer les opinions.
Thème 8 : Impact sur l’attention face au phénomène
Les deux groupes déclarent que les deux campagnes leur ont permis de mieux
comprendre certains aspects de la radicalisation sans pour autant leurs porter des
réponses et des contre-arguments. Mais, elles ont réussi à décrire le phénomène de
la radicalisation en France (profils des jeunes, processus et conséquences) et que
cela est suffisant pour être plus vigilants et attentifs. Ils regrettent que les vidéos de
témoignages des familles ne soient pas diffusées dans les canaux les plus consultés
par les jeunes car ils n’en ont jamais eu connaissance avant cette réunion de groupe.
Thème 9 : la campagne qui résume le mieux l’ampleur du phénomène
Une unanimité se dégage sur la réussite de la deuxième campagne. Cela prouve
que les participants ont été marqués par les témoignages des proches plutôt que par
les images des scènes de terreur. Ils avancent que la deuxième campagne a eu un
impact considérable sur leur perception du phénomène de la radicalisation.
II.II. Phase 2 : analyse sémiologique
1. Spot 1 de la campagne de janvier 2015:
Le spot vidéo de 1 minute et 55 secondes se compose de 5 plans. Il a été lancé
par le gouvernement français en janvier 2015 sur les réseaux sociaux.
Intitulé « Stop-djihadisme », ce spot met en scène le processus de recrutement des
jeunes sur internet et précisément sur les réseaux sociaux.
Plan 0 :
Le spot commence par un échange virtuel. On a l’impression d’être devant un
écran d’ordinateur, on entend les clics du clavier et de la souris dans un silence
rappelant la solitude du jeune devant son écran dans sa chambre. Les images
défilent avec les clics et on lit un message de « I am back… kuffar » (je suis de
retour… mécréants) lancé par un homme en tenue de guerre avec un visage caché,
une image du drapeau de groupe islamiste, des jeunes brandissant des armes en
tenues de guerres sombres, ils paraissent contents et unis dans un grand combat,
77
une autre image de mains entrelacées comme symbole d’unité et brusquement un
premier échange et la fenêtre de discussion de Facebook s’ouvre sur un message :
Image 20 : capture écran du spot montrant la prise de contact entre le jeune et le groupe terroriste
Un seul message et la vie du jeune adolescent bascule avec l’enchaînement
des séquences vidéo sur un fond de musique alternant drame et hymne de guerre
orientaliste.
Les 4 prochains plans sont en totale rupture visuelle avec le plan 0. Deux
compositions musicales accompagneront le défilé des plans et leurs séquences.
Elles seront des actrices principales du film publicitaire qui annoncent les
rebondissements et le choc de discours de radicalisation.
Plan 1 :
Image 21 : capture écran des séquences du plan 1 du spot
78
Images 22 et 23 : captures écran des séquences du plan 1 du spot
La première séquence du plan met en scène un groupe de jeunes gens
brandissant des armes et habillés en guérillas avec des enfants. La présence de ces
derniers symbolise que leur combat est contre un supposé tyran et qu’ils essayent de
protéger ces innocents. L’image est traversée par un film jaunâtre comme pour
annoncer l’effet des temps révolus d’une ancienne époque. La séquence est
accompagnée par une musique des anciens temps de guerre orientalistes et un sous
fond de rassemblement de troupe.
Un texte en police jaune sur un fond noir apparaît au dessus de l’image avec
une annonce au ton fort et direct avec un impératif d’ordre: « ils te disent … » en
utilisant aussi des mots assez symboliques relevant d’un champ lexical religieux et
héroïque (sacrifice, cause, juste, et défendre). L’utilisation des couleurs ne semble
pas anodine. En effet, dans l’imaginaire collectif le noir symbolise la mort, le deuil et
la tristesse (on se limitera aux significations négatives des couleurs) alors que le
jaune annonce la jalousie, l’avarie et la tromperie. Il est assez souvent associé à
Judas comme un symbole de trahison.
79
Soudainement, un effet de brouillage estompe petit à petit la séquence pour
laisser place à une autre séquence. Cette technique d’estompage trouble la vue
comme pour dévoiler une vérité cachée sous une image perfide.
La séquence dévoilée s’ouvre sur une image en noir et blanc avec un
nouveau fond sonore triste, mélancolique et évoquant la mort et la désolation. Une
séquence à moitié cachée par un texte en police noire et un fond blanc pour laisser
libre court au récepteur d’imaginer l’horreur dissimulée par le texte. Cette vidéo
monochromatique en noir et blanc illustre la réalité morte et désolante. Le texte
annonce directement la tromperie de la séquence précédente en évoquant « En
réalité… ». L’annonce renvoie à la mort, la solitude et l’enfer afin de remplacer le
champ lexical du discours des djihadistes.
Ce plan vise à dévoiler la vérité sur les réelles intentions des recruteurs qui
ciblent les jeunes gens désireux de donner un sens à leur vie en défendant des
causes humaines et de se comporter comme des héros en sauvant des civils.
La symbolique des images, des couleurs et la signification des mots utilisés
montrent bien le recours aux symbolismes dans le spot.
Le plan 2 :
Le plan 2 reprend les mêmes codes que le plan précédent : alternance de la
musique de fond avec l’alternance des séquences vidéos la première jaunie et la
deuxième en tons monochromatiques. Seuls les textes changent et les visuels des
séquences.
Ils te disent: Viens fonder une famille avec l'un de nos héros.
"En réalité, tu élèveras tes enfants dans la guerre et la terreur"
Le discours des djihadistes sur le même ton direct et impératif, cible dans ce
plan, les jeunes filles qui rêvent de fonder et construire une famille faisant miroiter
une vie idyllique auprès des héros (des gens supérieurs aux gens ordinaires) et en
montrant des enfants heureux et joyeux symbolisant la joie de vie.
Le brouillage de la réalité annoncée par le contre-discours révèle la vérité de
la guerre et de la terreur avec des enfants en sanglots et des familles dispersées.
80
Plan 3 :
En reprenant les mêmes codes que les deux plans précédents : alternance de
la musique et des séquences avec les mêmes effets visuels de brouillage et les
mêmes couleurs et leurs significations, le plan 3 s’adresse aux jeunes qui sont
animés par le désir d’accomplir des missions humanitaires pour venir en aide aux
sinistrés. Le discours djihadiste les incite à venir les aider à secourir les enfants
syriens en utilisant des mots appartenant au champ lexical de l’aide (rejoindre, aider
et enfants).
Le brouillage lève le voile sur une vérité noire, le champ lexical s’apparente à
celui du meurtre en soulignant les mots complice, massacre et civils.
"Ils te disent: Rejoins-nous et viens aider les enfants syriens.
"En réalité, tu seras complice de massacres de civils"
Plan 4 :
Le dernier plan fidèle au rythme utilisé durant les 3 plans précédents avec les
mêmes compositions musicales et le même traitement visuel des images. Des
séquences mettent en évidence le discours des terroristes pour cibler les individus
en recherche de vérité et de quête existentielle et spirituelle en utilisant des mots qui
appartiennent à un lexique religieux : mécréant, impur et vérité. La nouvelle
séquence qui dévoile la réalité du terrain est très désolante et terrifiante avec des
images choquantes et un texte qui renvoie à l’horreur et la tromperie.
"Ils te disent: tu vis dans un monde de mécréants impurs, la vérité est ici.
"En réalité, comme seule vérité, tu découvriras l’horreur et la tromperie"
Le Slogan du spot :
"Les discours d'embrigadement djihadistes font chaque jour de nouvelles victimes"
Le slogan identifie clairement les auteurs des discours de radicalisation, il est
sous la forme d’une phrase complète avec sujet, verbe et complément d’objet direct
tout en précisant le cadre temporel en utilisant le présent simple qui signifie que le
phénomène est toujours d’actualité.
81
L’annonceur assimile les recrues des discours djihadistes comme victimes afin
de ne pas les stigmatiser et de sensibiliser leurs proches à leur venir en aide.
La clôture du spot :
Le film vidéo se termine sur le logo du gouvernement avec la Marianne
« symbole de la République ». Ce qui confère au message une valeur institutionnelle
et prouve que la cause représente un défi national.
La signature gouvernementale est un gage de confiance pour les récepteurs
afin de crédibiliser les arguments avancés dans le discours du spot.
Le logo est inséré sur un fond noir. Ce fond rappelle inconsciemment la terreur
du phénomène. La symbolique de la couleur noire renvoie à la mort et au deuil qui
caractérisent la radicalisation.
L’insertion de l’adresse web du site gouvernemental « stop-djihadisme » à la
fin du spot invite le récepteur à se rendre sur le site pour se renseigner sur le
phénomène et pour s’informer sur les efforts déployés par les institutions publiques
pour prévenir ce fléau.
Le fond noir de l’écran, le fond blanc de l’insertion du texte et la police noire du
message renvoient à la charte graphique du site web susmentionné afin de ne pas
rompre l’effet visuel de la campagne de communication.
La corrélation images, effets visuels et compositions musicales renforce
l’implication du récepteur envers le message. La musique joue un rôle important
dans l’accompagnement du message.
Les champs lexicaux employés plongent le récepteur dans l’univers de la lutte
contre l’endoctrinement.
La mise en situation : à partir de la prise en contact sur le réseau social jusqu’à
l’immersion dans les terreurs de la guerre transporte l’imaginaire du récepteur dans
le champ réel en stimulant ses sens.
82
2. Spots de la campagne d’octobre 2015:
Analyse des images et des sons :
Les 4 spots d’une minute 30 secondes chacun, se ressemblent dans le
traitement cinématographique. Dès les premiers plans, l’ambiance et le ton sont
donnés. On sait et on s’attend à écouter des confidences ou un récit de vie touchant.
L’ambiance est narrative et le récepteur se sent en confiance.
Les gros plans sur les visages et les yeux des personnages rendent la
proximité inévitable entre les récepteurs et ces témoins. Un lien se crée à travers le
regard.
Et quelques secondes plus tard, les personnages s’expriment sans se
présenter comme s’ils se confiaient à des amis. Seul le texte en bas, les présente en
donnant leur prénom du proche et le prénom et l’âge de leur enfant.
La diversité des profils des personnages symbolise la diversité de la nation
dans sa cohésion et rend plus accessible le message pour toutes les classes
sociales.
La caméra s’attarde sur les expressions faciales des témoins pour donner du
poids à leur silence et rendre pesant l’aspect non verbal de l’émotion (la photo de
l’enfant tenue par la maman, des yeux emplis de larmes, un sourire crispé, un soupir,
un regard perdu dans les souvenirs du passé, etc.).
Les spots ne sont pas accompagnés de compositions musicales pour
accentuer l’aspect de la proximité et de la confidence d’un cadre réel.
Analyse du discours :
Les quatre discours ont eu recours à deux champs lexicaux antagonistes qui
renvoient à l’avant et l’après départ de l’enfant dans le théâtre de guerre.
L’avant départ se caractérise par la joie de vie, des moments de partage, des
rires et des gestes routiniers d’une vie ordinaire (belle journée, faire des crêpes,
aimer les sketchs, humeur joviale et joyeuse, etc.).
83
L’après départ se définit par la douleur, la mort et la surprise (mort, terreur,
douleur, enfer, guerre, bombardements, etc.).
Les proches ont recours à des négations répétitives pour accentuer leur refus
et leur incompréhension de ce qui s’est passé (je ne peux pas, je ne veux pas, je ne
crois pas).
La fin du discours se transforme en une demande ou une requête envers le
récepteur de ne pas les juger et de les comprendre.
« Nous ne sommes pas des parents de terroriste, nous sommes des victimes. »
« On a besoin d’aide parce que c’est douloureux. »
Le slogan de la campagne :
« Vous êtes touchés par ce drame, vous n’êtes plus seul.
Appelez le 0800 005 696 »
Ce slogan s’adresse aux récepteurs dans un ton direct et rassurant en
soulignant le fait qu’ils ne sont pas seuls.
Le numéro annoncé est en quelque sorte une perche aux téléspectateurs
concernés pour prendre contact avec les personnes qui peuvent les aider et les
écouter.
La clôture du spot :
Image 24 : captures écran sur la signature du spot des témoignages
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Les quatre spots se terminent sur un fond flouté de la scène de confidence
pour demeurer dans la même ambiance et ne pas changer de cadre visuel qui
pourrait couper avec l’effet d’entraînement psychologique.
Le numéro vert est placé au centre de l’écran pour capter le regard
directement.
Le logo du ministère de l’Intérieur avec la Marianne souligne
l’accompagnement du gouvernement dans le soutien des familles touchées par ce
drame et ceci est bien mentionné avec le titre « avec le soutien du ministère de
l’Intérieur »
La mention « témoignages réalisées à l’initiative des familles » montre la
volonté de ces familles de partager leur douleur et à inviter ceux qui hésitent encore
à s’exprimer de crainte d’être rejetés.
II. III. Interprétation des résultats
Nous avons entrepris ces analyses afin d’apporter une confirmation des
hypothèses formulées au début de ce mémoire.
H1 - Le cadrage des conséquences de la non adoption du comportement
préconisé par la communication étatique met en évidence les axes de
communication choisis par l’émetteur.
Les interprétations des entretiens des groupes dans les thèmes 1, 2 et 4
confirment que le cadrage des conséquences négatives du phénomène impactent la
perception du récepteur et que la campagne stop-djihad a eu recours à cette
technique afin de sensibiliser l’opinion publique.
H2 – Le récit narratif des expériences vécues par les personnages des
spots (storytelling) évoque les émotions de la peur, d’indignation et de la
surprise.
Les résultats de l’analyse des thèmes 1, 2 et 5 ainsi que l’analyse
sémiologique confirment l’énoncé de l’hypothèse en montrant que les récits narratifs
(le storytelling) jouent un rôle important dans la persuasion par les émotions. Les
85
récits des parents des victimes illustrent bien les émotions de la peur et de la
tristesse à travers les détails de leurs histoires personnelles.
H3 – l’iconographie à travers les signes et les symboles traduit les
émotions véhiculées par le message.
L’analyse sémiologique des spots des deux campagnes confirme que le
recours aux signes et symboles linguistiques, auditifs et visuels en fait des variables
qui impactent considérablement les émotions contenues dans le message. Les
couleurs, les musiques et le choix de mots reflètent l’univers créé par l’émetteur en
accentuant la peur et le deuil.
H4 – L’imagerie mentale amplifie les émotions évoquées par le message.
L’analyse des thèmes 1, 3 et 6 ainsi que l’analyse sémiologique des spots prouvent
que le recours à l’imagerie mentale dans les deux campagnes stimule l’imaginaire du
récepteur en recréant dans son inconscient le contexte de la séquence de
recrutement et les univers des familles touchées par la radicalisation.
86
Conclusion partie II :
Notre travail empirique illustre la manière donts= les institutions publiques,
dans une situation de défis majeurs et divers à savoir un défi sécuritaire, social,
identitaire et économique, peuvent utiliser la communication persuasive basée sur
les émotions comme une partie intégrante dans leur stratégie de prévention de la
radicalisation.
Le cas de la campagne «stop-djihadisme » renseigne sur les techniques
persuasives (cadrage, images, sons, symbolique, storytelling et autres) et la
meilleure façon de les adopter afin de maximiser les effets du message audio-visuel
sur les récepteurs par la mémorisation du spot et par la formation de l’opinion.
La dimension émotionnelle de la campagne joue un rôle important dans la
formation attitudinale des récepteurs face au fléau de la radicalisation.
Les objectifs de cette campagne sont multiples. D’une part, le gouvernement
souhaite rassurer les citoyens dans sa gestion du phénomène par la compréhension
des différentes étapes du processus de la radicalisation et l’identification des cibles
potentiellement fragiles aux discours d’embrigadement. D’autre part, le
gouvernement veut accompagner les proches des victimes pour leur apporter le
soutien nécessaire et pour les inciter à être vigilants, attentifs et alerter les autorités
en cas de doute ce qui facilitera le travail des services concernés par la
radicalisation. Et enfin, le gouvernement tente à travers ces spots d’expliquer la
légitimité de certaines actions entreprises comme les contrôles sur les réseaux
sociaux jugés comme une atteinte à la liberté individuelle mais justifiée par la
sauvegarde de l’ordre public.
87
Conclusion Générale
Le recours aux émotions dans la communication publique s’est développé
avec les campagnes de communication sociale et préventives conduites par les
gouvernements afin de sensibiliser les citoyens sur certains dangers d’ordre sanitaire
ou sécuritaire. Les campagnes de sécurité routière et de prévention de certaines
maladies comme le cancer et le sida ou de certaines addictions comme l’alcool ou le
tabac ont largement contribué dans le rapprochement des techniques
communicationnelles des secteurs privé et public.
Même si les finalités des deux secteurs différent, le secteur marchand tente
d’augmenter ses bénéfices et d’accroître sa notoriété alors que le secteur public
tente d’instaurer un climat social, économique et sécuritaire adéquat au bien être de
ses citoyens à travers l’adoption de politiques publiques qu’il se doit de les lui
expliquer, les actions de communication sont quasi similaires. La communication
publique ne s’improvise pas, c’est une démarche qui nécessite beaucoup de
professionnalisme pour aboutir à remplir ses objectifs.
La communication persuasive conduite par les institutions publiques est
perçue comme une communication intentionnelle, verbale et visuelle, dans le but de
faire changer les attitudes et les comportements. Les techniques de persuasion sont
diverses et s’appuient soit sur le logos (raison) ou le pathos (émotion) pour influencer
le récepteur.
Dans notre cas d’étude, la communication persuasive permet aux citoyens
d’adhérer volontairement dans une démarche de changement pour la prévention de
la radicalisation et de comprendre que l’État ait restreint certaines libertés en
l’instaurant l’état d’urgence pour assurer la sécurité du territoire.
Les émotions ne se limitent pas à susciter la peur ou l’angoisse dans cette
campagne, elles servent aussi à faciliter la prise de conscience collective de
l’ampleur du fléau et provoquer une implication émotionnelle de la part des citoyens
qui seront plus réceptifs aux arguments et prescriptions des autorités publiques.
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Recommandation 1 : le recours aux émotions pour susciter l’intérêt envers la
communication s’accompagne d’une proposition de solution ou de comportement à
suivre. Susciter la peur sans proposer une alternative pour l’atténuer peut provoquer
une frustration chez le récepteur qui n’accordera plus d’attention aux messages émis
concernant ce sujet.
La communication « stop-djihadisme » utilise les émotions de la peur et de la
tristesse pour atteindre les récepteurs exposés aux messages. La peur est
représentée par des images et des menaces réelles auxquelles peuvent être soumis
des individus vulnérables aux discours des terroristes. L’intensité de la peur peut
générer une réaction attendue par les pouvoirs publics c'est-à-dire un citoyen plus
averti qui alertera les autorités en cas de doute, comme elle peut générer une
réaction de fuite et d’esquive si la peur est ressentie de façon trop brutale ou non
réaliste. Les émotions sont un vecteur de messages dont l’usage doit être étudié
avec soin
Recommandation 2 : le recours à la peur ne doit être ni excessif ni en totale
rupture avec le thème à communiquer. L’usage de la peur doit être étudié et justifié
par des rapports et des tests. Une peur trop exagérée peut conduire le récepteur à
fuir le message et une peur non adéquate au sujet décrédibilise l’émetteur et le
message.
Le recours aux émotions et à la persuasion dans la communication publique
peut provoquer des contestations de certains groupes ou d’associations qui
dénoncent ces manières d’instrumentalisation des publics pour des motifs électoraux
ou personnels. La frontière entre la communication publique et politique est très
floue, d’où les suspicions de calculs stratégiques pour le maintien ou la conquête des
mandants. Le traitement médiatique de la radicalisation dans l’espace public, a été la
cible de plusieurs critiques de la part des partis politiques et des associations en
dénonçaient l’usage par l’exécutif. La nuance entre manipulation et l’obligation
d’informer les citoyens porte à confusion si elle ne s’insère pas dans une stratégie
globale.
Recommandation 3 : le média planning des actions communicationnelles doit
être bien établi pour éviter la congruence des messages ou la confusion des
intentions et motivations de la campagne.
89
Les mécanismes qui agissent sur les récepteurs afin qu’ils modifient leurs
attitudes ou leurs comportements sont complexes et relèvent de plusieurs domaines
de recherche ce qui rend l’évaluation de l’efficacité de la campagne de
communication assez difficile. Les changements constatés peuvent être le produit
d’un ensemble de facteurs exogènes à l’action publique ce qui empêche de vérifier
l’atteinte des objectifs poursuivis par la communication et la pertinence des
ressources financières et humaines allouées à cette action. Dans notre étude de cas
sur la radicalisation, le coordinateur européen pour la lutte anti-terroriste, Gilles de
Kerchove49 annonce le 11 mai dans une interview sur France info que le nombre de
candidats au djihad a chuté au cours des derniers mois en Europe. L’atteinte de ce
résultat ne peut être expliquée par l’unique action de la communication. C’est la
conjonction de plusieurs politiques publiques qui a permis ce résultat. L’effet de la
communication publique est tributaire du contexte dans lequel elle est insérée sans
pouvoir l’évaluer quantitativement.
Recommandation 4 : l’évaluation des campagnes de communication
publique suscite le débat. Identifier certains indicateurs pour la mesure des résultats
en amont du projet peut répondre à cette contrainte.
Cette recherche a réussi à identifier plusieurs autres pistes de recherches à
mener au niveau de la communication publique pour la prévention de la
radicalisation. Il sera intéressant d’étudier l’apport des études comportementales et
sociales menées par les cercles de réflexion dans l’élaboration de la stratégie de
communication de proximité auprès des cibles vulnérables.
De même, la conception d’une stratégie de communication européenne et
régionale (la rive sud et la rive nord de la méditerranée) commune peut faciliter la
compréhension de certains facteurs méconnus par un pays ou une communauté ce
qui permet de mieux concevoir les axes de communication.
Enfin, l’étude de l’efficacité des canaux de diffusion des messages ne doit être
oubliée étant donné la diversité des profils des cibles à atteindre et l’évolution des
techniques de communication.
49 http://www.franceinfo.fr/fil-info/article/terrorisme-le-nombre-de-candidats-au-djihad-litteralement-chute-coordinateur-europeen-788865
90
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Internet :
http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2016/02/03/que-disent-les-chiffres-sur-la-radicalisation-en-france_4858633_4355770.html https://communication.revues.org/2967 http://www.preventionroutiere.asso.fr/Nos-publications/Statistiques-d-accidents http://www.cer.asso.fr/actualite-details/162-onde-choc-nouvelle-campagne-securite-routiere
https://www.sidaction.org/donnees-epidemiologiques-vihsida-france-2014 http://www.lemonde.fr/police-justice/article/2015/03/26/les-nouveaux-chiffres-de-la radicalisation_4602011_1653578.html http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2016/03/05/01016-20160305ARTFIG00121-deux-mineures-radicalisees-activement-recherchees-par-la-gendarmerie.php https://fr.wikipedia.org/wiki/S%C3%A9miologie http://www.franceinfo.fr/fil-info/article/terrorisme-le-nombre-de-candidats-au-djihad-litteralement-chute-coordinateur-europeen-788865
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Annexe A : Indicateurs de la radicalisation
Domaines Indicateurs Indices repérables
Rup
ture
s
Comportement de rupture avec
l’environnement
habituel
Signaux forts
Rupture avec la famille et les amis
Absences prolongées et inexpliquées du domicile avec un intérêt soudain aux armes et clivage exacerbé entre les hommes et les femmes
Signaux faibles
Déscolarisation soudaine
Financement d’activités humanitaires et caritatives
Changement d’apparence (physique,
vestimentaire)
Signaux forts
Modification soudaine et non cohérente pour l’entourage (barbe, voile intégral, djellabas ou volonté de dissimulation)
Pratique religieuse hyper ritualisée
Signaux forts
Participation à des groupes de prières et cercles de réflexion radicaux
Signaux faibles
Changement de décoration au domicile habituel (réorganisation de la chambre, retrait de toute représentation humaine)
Mimétisme culturel et religieux
Environnem
ent
pers
onnel de l’in
div
idu
Image paternelle et/ou parentale défaillante
voire dégradée
Signaux faibles
Absence ou rejet du père et recherche d’identité
Environnement familial fragilisé
Signaux forts
Immersion dans une famille radicalisée
Signaux faibles
Traumatismes personnels ou dont l’individu a été témoin
Environnement social Signaux faibles
Fragilité sociale
Traits de personnalité
Signaux forts
Dépendance à une personne, un groupe ou sites internet
Signaux faibles
Absence d’affect, hypersensibilité, anesthésie affective, dogmatisme, refus du compromis
Recherche de reconnaissance et de valorisation
Réseaux relationnels Signaux forts
Contact avec des réseaux réputés pour leur radicalisme
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Thé
orie
s et
dis
cour
s
Théories complotistes et conspirationniste
Signaux forts
Allusion à la fin des temps et du monde ou développement d’une vision paranoïaque du monde
Double discours, admiration, vénération des terroristes
Signaux faibles
Allusion à un complot judéo-maçonnique
Changement de vocabulaire
Changements de comportements
identitaires
Signaux forts
Menace de l’Etat français et soutien aux djihadistes
distinctions entre les bons et les mauvais musulmans (imis, takfir..)
Signaux faibles
Attitude discriminatoire vis-à-vis des femmes et critique de l’Etat français
Propos asociaux
Prosélytisme
Signaux forts
Activité prosélyte en vue de radicaliser son entourage voire d’un recrutement
Signaux faibles
Conversion soudaine
Tec
hniq
ues
Usage des réseaux virtuels ou humains
Signaux forts
Changement régulier des puces téléphoniques
Fréquentation des sites internet et des réseaux sociaux à caractère radicale ou extrémiste
Fréquentation de lieux de culte ou tout autre lieux connus pour des tendances radicales exprimées ou sous-jacentes
Signaux faibles
Comptes facebook ouverts sous de nouvelles identités
Utilisation du téléphone et d’internet de manière excessive et intense
Stratégie de dissimulation/duplicité
Signaux forts
Découverte de caret de voyage et des brochures de voyage vers la Turquie et Syrie
Historique de consultation de sites internet radicaux
Voyages touristiques ou projets humanitaires en Turquie
Attitude conformiste
Pratique du double discours
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Annexe B : Synopsis des spots de témoignages
Véronique, Ile-de-France
Notre fils vivait dans un univers plutôt privilégié
Il aimait la musique, le sport, il faisait des sketchs
Et c’est ça, aussi, qui est dur
C'est-à-dire que ça laisse beaucoup de désarroi
C'est-à-dire qu’on passe un weekend magnifique
On fait des crêpes, c’est la fête
Il y a la famille, son frère, on fait plein d’activité
Et puis, le lendemain matin, il part en Allemagne, et puis de l’Allemagne, il ne revient pas
[silence]
Et on a su qu’un mois après où il était, ….. et il est en Syrie
On ne sait pas précisément où il est, ce qu’il fait
On ne peut pas aller le chercher
On ne peut pas le ramener
C’est horrible parce que moi
Je voudrai le prendre dans mes bras, je ne peux plus (sourire nerveux)
Je ne peux plus l’embrasser
Je ne peux plus le serrer dans mes bras
[silence]
C’est très difficile de raconter ce que l’on vit,
Parce que c’est mal vu, c’est mal compris
Il y a beaucoup d’amalgames
Il ne faut pas rester seule parce que le pire c’est de ne pas parler
On a besoin d’aide parce que c’est douloureux
« Vous êtes touchés par ce drame, vous n’êtes plus seul. Appelez le 0800 005 696 »
Sahila, Belgique
Mon fils Sabri est parti en août 2013 pour la Syrie
Quand je lisais cette phrase « Maman, je suis en Syrie »
Mon cerveau me disait « Maman, je suis mort »
Et, je disais à mon mari « Ecoute, Sabri est mort »
Il me dit « Mais non, Sabri est en Syrie »
98
Je lui dis « Non, il est mort »
Parce que, pour moi, dans ma tête, il était mort
[Yeux remplis de larmes]
Il a côtoyé, des gens qu’il n’aurait jamais dû côtoyer
Donc, des gens qui sont comme ça à l’affût et qui guettent les nouveaux venus on va dire
Il allait fêter ses 19 ans, mon mari était parti se promener et il reçoit un appel de Syrie
Il se dit « Ah ! Mon fils m’appelle. Enfin, je vais entendre mon fils »
Il décroche le téléphone et c’était un syrien qui le félicitait parce que son fils était tombé martyre.
Et quand on vous annonce la mort de votre enfant, on ne vous donne pas son nom véritable, on vous donne son nom de combattant.
C’est comme si vous, vous n’étiez plus le parent de cet enfant là
[Image de la maman tenant le portrait de son fils les yeux larmoyant]
Peu importe les origines, peu importe la religion au départ, ça peut arriver à tout le monde.
« Vous êtes touchés par ce drame, vous n’êtes plus seul. Appelez le 0800 005 696 »
Baptiste, Île-de-France
Le départ de Léa s’est passé une belle journée.
Elle a pris un sac à dos, une écharpe.
Et depuis ce jour là, Léa a disparu.
On n’a rien vu, on n’a rien compris.
C’est elle qui nous a appelés, qui nous a dit :
« Papa, Maman, je vais vous faire du mal… je suis partie….je suis partie en Syrie pour faire le Djihad ».
Et là, vous avez toute la terre qui vous tombe dessus.
Léa a eu un enfant, elle a construit sa vie dans un monde en guerre.
Quelque part, elle a voulu trouver un monde meilleur, mais, je pense qu’elle a trouvé l’enfer.
On nous a volé notre enfant.
Léa, qui est partie, cette personne joviale, joyeuse…
Est pour nous…est morte.
Nous ne sommes pas des parents de terroriste nous sommes des victimes.
« Vous êtes touchés par ce drame, vous n’êtes plus seul. Appelez le 0800 005 696 »
99
Jonathan, Picardie
Sarah la veille de son départ encore en rigolait ensemble.
Elle avait 17 ans.
Et normalement, quand elle quittait l’école, elle appelait mon père. A 17h, toujours pas d’appel. Mon père est parti à la gare, pas de Sarah.
Et en fait, le vendredi elle a téléphoné, je lui ai dit « t’es où ? Dis-moi ! T’inquiète. Je ne le dirai pas, ça reste entre nous ». Et elle m’a dit « Je suis en Syrie »
[Silence]
On se l’est pris en pleine gueule, quoi
Tout était calculé. Elle appelle ma mère en Skype.
Ça fait un an que c’est toujours les mêmes discours : faut pas s’inquiéter, qu’il faut venir !
Maintenant, c’est « il faut y aller ! », « C’est le paradis là bas ! »
On a envie de la secouer de lui dire « ouvre les yeux !... c’est pas ça la vie, c’est ce que tu veux ? vivre là dedans, les bombardements… »
Je pense que même un an après, on a encore du mal à…c’est coincé là [geste d’auto étranglement]
C’est…de vivre tous les jours avant de dormir ou en se levant en se demandant si elle est encore en vie
Si j’avais connu certaines personnes avant que ma sœur parte, bien sûr, elle ne serait jamais partie. Ça m’aurait aidé à empêché tout ça quoi !
« Vous êtes touchés par ce drame, vous n’êtes plus seul. Appelez le 0800 005 696 »
100
Annexe C : Composition des groupes
Groupe 1 Groupe 1 3 mai 2016 15 avril 2016
Île-de-France (Haut de Seine) Bas Rhin (Strasbourg) sexe âge Niveau
d’étude sexe âge Pays
M 22 lycée M 28 Cameroun F 20 Terminal M 30 Inde M 18 Collège F 32 Colombie M 21 Lycée M 37 Madagascar F 22 Lycée M 30 Turquie M 18 Lycée M 35 Maroc M 18 Lycée F 26 Moldavie M 21 BTS M 30 Côte d’Ivoire
101
Annexe D : Guide d’entretien
Introduction (10 à 15 minutes)
Annonce du contexte et des objectifs poursuivis par la réunion
Présentation du déroulement
Tour de table
Phase 1 : Projection du spot « stop-djihad » (30 minutes)
Volet 1 : La nature des émotions
Que ressentez vous en regardant ces vidéos ? Quels sont les objectifs de la diffusion de ces vidéos à votre avis ? Comment expliquez-vous l’usage de la peur et de la surprise dans ces messages ?
Volet 2 : Les techniques de persuasion utilisées
Est-ce que la présentation des conséquences du départ des jeunes en Syrie décrites par les parents vous paraît pertinente et pourquoi?
Comment jugez-vous les images utilisées pour contredire la communication de recrutement des djihadistes ?
Volet 3 : Impact des discours
Qu’est ce qui vous a marqué dans le discours du spot de recrutement ? Pensez vous que les individus exposés à ces vidéos seront plus attentifs au phénomène
de la radicalisation ?
Phase 2 : Projection des spots des témoignages des parents (30 minutes)
Volet 1 : La nature des émotions
Que ressentez vous en regardant ces vidéos ? Quels sont les objectifs de la diffusion de ces vidéos à votre avis ? Comment expliquez-vous l’usage de la peur et de la surprise dans ces messages ?
Volet 2 : Les techniques de persuasion utilisées
Qu’est ce que les récits des parents suscitent en vous ?
Volet 3 : Impact des discours
Pensez vous que les individus exposés à ces vidéos seront plus attentifs au phénomène de la radicalisation ?
Conclusion (15 minutes) Quelle campagne vous a le plus marqué et pourquoi ? Remerciement des participants
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Annexe E : Grille d’analyse
Groupe 1
Spot 1
Volet 1 la nature des émotions Que ressentez vous en regardant ces vidéos
Des vies gâchées (une fille) C’est angoissant de voir cette facilité de prise de contact
entre les jeunes et les terroristes On voit des images plus atroces sur internet, est ce que
le gouvernement est conscient de ça ? Est-ce qu’ils pensent vraiment que ces images nous
choquent ?? c’est pathétique de voir à quel point ils ne savent rien de
la toile c’est comme même terrifiant la vue des cadavres (une
des filles) Ca ne me fait ni chaud ni froid C’est triste de finir de cette manière, j’ai de la peine pour
ces jeunes C’est comme même marrant que l’État reprend le style
de Daesh, si les messages n’étaient pas écris, j’aurais pensé que c’est la publicité de Daesh
Malheureusement, ces images ne nous font rien, tous les jours on voit la misère dans le monde partout
Quels sont les objectifs de la diffusion de ces vidéos à votre avis
Je pense que le gouvernement veut nous conseiller pour ne pas tomber dans le piège des terroristes
Nous faire changer d’avis ou nous faire comprendre les messages cachés par le groupe terroriste
J’ai du mal à comprendre la finalité de cette pub Nous faire connaître les dangers d’aller en Syrie Ah ! ils pensent qu’ils changeront la perception des
jeunes de la cité avec ces arguments envers les présumés terroristes
Alerter les gens et les citoyens sur les dangers de la guerre en Syrie
Nous montrer comment les jeunes sont pris au piège Comprendre la naïveté des jeunes qui partent faire le
djihad Comment expliquez-vous l’usage de la peur et de la surprise dans ces messages
elle est nécessaire, même si je ne vois pas la peur dans cette pub
c’est essentiel pour nous toucher (fille) plus c’est terrifiant, plus ça attire le regard c’est difficile de sentir la peur, on dirait qu’on regarde les
infos du soir je suis surpris qu’ils veuillent nous faire peur avec ça ??
ont-ils déjà vu les vidéos sur Youtube ça ne fait même pas peur à ma petite sœur c’est horrible ce que j’entends de la bouche des mecs,
pour moi ceci est terrifiant je suis surprise par la réaction des garçons mais j’ai les
103
même à la maison, les mecs regardent pire sur internet ce qui me fait flipper c’est le fait que ça ne fait pas peur
Volet 2 : Les techniques de persuasion utilisées Comment jugez-vous les images utilisées pour contredire la communication de recrutement des djihadistes ?
ces messages sont nuls car qui nous prouvent que c’est la vérité
ils nous prennent pour des cons ?? depuis quand les jeunes de la cité font confiance aux flics (dans la tête du jeune, c’est le ministère de l’intérieur qui a conçu le film)
ils utilisent les mêmes images que les terroristes ? c’est marrant, ils sont en manque d’imagination
moi je trouve que c’est bien car ils essayent de nous montrer les nuances des images, ça me choque qu’il y a tant de drames
il y a d’autres images plus choquantes à exploiter j’ai apprécié le déroulement des images : derrière chaque
image présentée par les terroristes il y a une image dans le même cadre mais vu sous un autre angle
les images nous parlent plus que les conseils, moi je n’écoute pas ce qui se dit je ne fait confiance qu’à ce que je vois
Volet 3 : Impact des discours
Qu’est ce qui vous a marqué dans le discours du spot de recrutement ?
moi ce qui m’a frappé c’est le vocabulaire de la mort comme si c’était un cadeau, il nous dit sacrifie toi ?! et pourquoi je le ferai est ce que ma vie n’a pas de sens ?
c’est vrai que l’argument de la belle histoire d’amour me parle (une fille) on rêve toutes d’avoir une maison, c’est difficile de nos jours les hommes ici sont très ordinaires, mais je ne me vois pas suivre un terroriste
moi je suis choquée de l’utilisation des enfants comme un argument, les pauvres ils sont déjà tout perdu, ça nous donne envie de les aider. Mais on sait que c’est une manipulation
je connais un voisin d’un ami qui est parti en Syrie, il est parti pour assister les blessés, c’est méchant d’utiliser la bonne foi des gens
Pensez vous que les individus exposés à ces vidéos seront plus attentifs au phénomène de la radicalisation
je ne crois pas car les terroristes ont plus d’un argument, il parle un autre langage celui de la religion
ça peut pousser les jeunes à chercher encore la vérité, mais je doute qu’un jeune qui commence à se radicaliser sera séduit par ces arguments
moi (une fille) je vais en parler à mes parents, j’ai peur pour mon petit frère, je vais le surveiller surtout quand il est sur son ordinateur
oui et non car on oublie vite cette pub au bout de quelques jours
104
Spot 2 : les témoignages des parents
Volet 1 la nature des émotions Que ressentez vous en regardant ces vidéos
quel malheur de voir des parents si triste, ça me brise le cœur
j’ai eu les larmes aux yeux surtout quand la maman racontait la joie du père qui espérait entendre la voix de son fils
comment peut-on faire un tel chagrin à sa maman, c’est incompréhensible
c’est une honte de faire ça à ses proches je suis en colère contre le gouvernement qui n’empêche
pas ses jeunes de partir, il sait ce qui attend ces pauvres gamins pourquoi il les laisse faire
je suis effrayée par la facilité que trouvent ces jeunes de disparaitre sans rien laissé voir
je suis très ému de voir les larmes de ces parents qui sont abattus, on sait leur tristesse et ça fait de la peine
Quels sont les objectifs de la diffusion de ces vidéos à votre avis
nous pousser à faire attention aux agissements de nos proches
convaincre les jeunes de ne pas partir pour ne pas faire du mal à leur famille
nous obliger à surveiller nos amis, et notre famille, on ne veut pas que ça nous arrive
changer nos comportements envers nos parents, je pensais qu’ils me harcelaient en me surveillant mais en fait ils craignent qu’il m’arrive un malheur (une fille)
je vais montrer ça à ma famille comme ça on sera tous avertis
Comment expliquez-vous l’usage de la peur et de la surprise dans ces messages
il faut utiliser la peur si c’est le moyen d’arrêter le mal les parents ne comprennent pas ce qui s’est passé, eux
qui étaient en contact avec leur enfants, c’est étonnant comment on peut être à côté de la plaque avec nos familles
la peur nous oblige à réfléchir, c’est bien de l’utiliser dans ce cas
la peur vient des petits détails de ce que raconte les proches, c’est quand on pense que tout va bien alors que le mal est là, c’est ce qui est effrayant !
la peur pousse à prendre des résolutions c’est bien de la montrer
la peur ici est psychologique c’est ce qui touche le plus je suis surprise que même les blancs qui ne sont pas
comme nous originaires d’Afrique soient touchés aussi c’est choquant que ces terroristes ciblent de très jeunes
gens je suis étonné de voir que même un jeune en bonne
famille soit pris dans le piège Volet 2 : Les techniques de persuasion utilisées
Qu’est ce que les récits des parents suscitent en vous
ça provoque en moi une colère envers le système qui a poussé les jeunes dans les griffes du mal
je suis pleine de tristesse, ça me fond le cœur, ils racontent les départs comme si c’était hier limite on les
105
voyait la pauvre maman qui veut embrasser son enfant que lui
reste il de son fils même pas une tombe pour la consoler que des souvenirs (une écharpe, un crêpe) j’ai l’impression de les voir
je suis en rage contre ces imbéciles de jeunes comment peuvent-ils faire ça à leur maman
je suis toute en larme face à ces drames c’est comme si j’étais avec eux
je ne comprends rien, ça me dépasse
Volet 3 : Impact des discours Pensez vous que les individus exposés à ces vidéos seront plus attentifs au phénomène de la radicalisation ?
oui, certainement, voir la douleur des parents qui ont réellement perdu leur enfants ça pousse à être attentif
oui bien sûr car personne ne veut faire ça à sa famille c’est sûr que ça change de voir ça, on sait que toute
personne peut être une cible fille garçon blanc ou rebeu il faut faire attention ça c’est sûr car ils sont partout il faut agir et parler plus en famille pour que les secrets
ne trouvent pas de place
Conclusion Quelle campagne vous a le plus marqué et pourquoi ?
sans aucun doute celle des parents elle est plus touchante
de loin je préfère celle qui raconte le malheur des parents car elle me parle plus
celle des témoignages car elle est vraie et sincère celle des parents car ils sont des vrais victimes et nous
racontent leur malheur malgré la douleur celle des parents car elle est claire et directe on se sent
pris dans l’histoire
Groupe 2
Spot 1
Volet 1 la nature des émotions Que ressentez vous en regardant ces vidéos
Ça fait mal au cœur de voir des jeunes partir dans ces zones
Ça m’angoisse de voir le processus de radicalisation sur internet, je pense à tous ces jeunes sur les réseaux sociaux, ils sont tous susceptibles d’être pris au piège
Ça ne fait peur de voir la facilité d’approche C’est triste de voir des jeunes aimer ce genre de
messages, que cherchent-ils ? C’est terrifiant, ça fait peur, j’ai peur pour mes proches,
on est aussi en danger Je ne pensais pas qu’il est si facile de contacter les
terroristes, c’est grave
Quels sont les objectifs Le gouvernement cherche à nous avertir du danger de la
106
de la diffusion de ces vidéos à votre avis
radicalisation L’objectif est clair que nous prenons conscience de la
gravité du phénomène Nous informer sur la dangerosité de la menace Nous prévenir que le terrorisme est partout même dans
nos maisons Faire attention à ce que nos enfants regardent sur
internet Trouver les bons arguments pour dissuader les jeunes de
partir Nous sensibiliser à la cause de la lutte contre la
radicalisation Nous convaincre de son action de lutte contre le
terrorisme
Comment expliquez-vous l’usage de la peur et de la surprise dans ces messages
C’est assez convaincant comme axe de persuasion mais dans ce film, la peur n’est pas trop visible
Les images font un peu peur mais on sait bien que sur la toile il y a pire
Je pense que les images sont moins choquantes, les reportages à la télé montrent des atrocités plus choquantes
La surprise provient du moyen de recrutement, je n’ai jamais pensé qu’il était aussi facile de capter les jeunes sur internet
Ça fait peur car nos enfants sont constamment connectés aux réseaux sociaux
C’est bien d’utiliser la peur car ça attire l’attention La peur capte les sentiments des parents ça les rend
plus vigilants Volet 2 : Les techniques de persuasion utilisées
Comment jugez-vous les images utilisées pour contredire la communication de recrutement des djihadistes ?
Les images ne sont pas aussi choquantes Les images sont plus pertinentes que les discours, ça
impacte plus la mémoire et ont un effet plus durable Ça donne une idée sur ce qui se passe sur les terrains
de guerre Les images ont un impact plus puissant que les conseils
ou les chiffres On oublie souvent ce qui se dit mais rarement ce qu’on
voit Je suis surpris que c’est diffusé sur internet seulement,
ils peuvent passer ça à la télé Volet 3 : Impact des discours
Qu’est ce qui vous a marqué dans le discours du spot de recrutement ?
La diversité des arguments avancés par les terroristes, ils ont un discours spécifique à chaque cible
Le vocabulaire de la mort et du chaos, c’est très frappant Le discours spirituel des groupes terroristes ils touchent
vraiment des aspirations de générosité et spirituelle, le contre discours n’apporte pas de réponse à l’aspect religieux sur les mécréants, c’est une limite très frappante mais c’est compréhensible
L’absence d’argument religieux dans le discours de l’État, ces jeunes sont attirés par la religion et non pour des
107
motifs nobles Les arguments des djihadistes sont plus percutants Il ya une certain oublie de certains motifs, il y a des
jeunes en perte d’espoir et d’identité, le contre discours est assez creux
Je ne pense pas que le contre discours est efficace, il est loin de la vérité
Pensez vous que les individus exposés à ces vidéos seront plus attentifs au phénomène de la radicalisation
C’est un peu difficile, les jeunes attirés par la radicalisation ne font pas accorder de l’attention à ce film
Je pense que ça aura un effet sur les proches de jeunes en voie de radicalisation et non sur la cible
Ils seront peut être plus avertis mais pas plus
Spot 2 : les témoignages des parents
Volet 1 la nature des émotions Que ressentez vous en regardant ces vidéos
Une colère immense envers ses jeunes qui font du mal à leur proche par leur égoïsme et insouciance
J’ai le cœur brisé par cette peine qui se voit sur les parents, ça fait mal de voir que les parents souffrent et qu’on leur a volé leurs enfants
Je suis en rage car on est incapable d’empêcher le départ de ces jeunes et de les voir à jamais perdus
Je suis triste et en même temps en colère J’ai peur que ça m’arrive, c’est effrayant de voir que des
jeunes normaux peuvent basculer si vite J’ai peur car je ne saisie pas ce qui se produit Je me mets à la place de ces proches soit doit être dur à
supporter et à vivre de tels drames Quels sont les objectifs de la diffusion de ces vidéos à votre avis
nous montrer que personne n’est à l’abri, toutes les classes sociales sont concernés, même les plus insoupçonnées
que le drame nous concerne tous, et qu’on doit agir faire attention à nos familles et proches, on doit être
vigilants pour remarquer tous les changements Faire attention à nos enfants Agir avant qu’il ne soit trop tard Nous sensibiliser au drame de ces parents et de ne pas
les juger Éviter de jeter la responsabilité sur les parents, c’est
difficile à croire qu’ils n’ont pas pu prévenir ça, mais il semble que c’est le cas et c’est ce qui me fait peur
A aider ses pauvres parents dans leur combat Comment expliquez-vous l’usage de la peur et de la surprise dans ces messages
La peur est implicite ici, elle touche notre imagination car ce sont les récits qui te poussent à recréer les émotions, et c’est qui est très percutant
La peur est un argument essentiel pour nous toucher, autrement on oublie
La surprise provient du fait qu’on ne s’attend pas à écouter de tels récits. Une vie ordinaire qui bascule d’une minute à une autre c’est terrifiant
La peur est inévitable dans ce cas car ce phénomène est
108
difficile à cerner Je ne vois pas comment on ne peut pas avoir peur, ça
peut nous arriver à nous, personne n’est à l’abri
Volet 2 : Les techniques de persuasion utilisées Qu’est ce que les récits des parents suscitent en vous
Quand ils parlaient avec tous les détails je voyais les scènes qu’ils décrivaient, j’étais avec eux et ça fait comme un choc de ressenti leur perte et leur douleur après
On vit avec eux leur drame, c’est difficile à expliquer mais on a l’impression de voir leur cadre
La tristesse, car ils vivaient normalement avec une vie ordinaire, je me voyais avec mes enfants entrain de rigoler et imaginer leur départ de cette manière me terrifie
C’est difficile à décrire, on a vécu avec eux tout au long du récit, c’était vivant et la douleur est plus intense
C’est dur de ne pas sentir la peine des témoins, ils expriment leurs malheurs avec tant d’émotions retenues, ils ont peur qu’on les juge, et ça fait mal de penser qu’il y a des amalgames encore
Volet 3 : Impact des discours Pensez vous que les individus exposés à ces vidéos seront plus attentifs au phénomène de la radicalisation ?
Certainement, ça pousse à l’action, déjà on devient moins moralisateur envers les proches
Bien sûr, on est plus conscient de la complexité du phénomène et forcément on sera plus attentif
Ça pousse les jeunes à réfléchir avant de partir, je ne pense pas qu’ils supporteront de voir leurs parents dans cet état
Oui les jeunes seront conscients de l’impact de leurs actes avant d’agir, montrer les conséquences est très pertinent comme stratégie
En tout cas ça ne laisse pas indifférent Oui il faut le diffuser assez souvent pour rappeler les
conséquences causées aux proches C’est très efficace pour nous inciter à faire attention et
surtout à faire attention à ce qui nous entoure Conclusion
Quelle campagne vous a le plus marqué et pourquoi ?
Le film des témoignages est meilleur car il étale bien les conséquences
Le spot des parents, c’est très percutant on sent la douleur et c’est très fort
Le témoignage des familles est meilleur que le spot de recrutement, les messages des parents sont plus touchants
Le spot des familles provoque plus d’émotion que le précédent
Pour convaincre les jeunes il faut les toucher directement et il n’y a pas mieux que les parents qui peuvent les faire changer d’avis
Je préfère le spot des familles c’est plus réel, on sent qu’il est plus spontané
Les familles m’ont touché avec leur récit l’autre est resté sans impact majeur on l’oublie assez vite
109
Le résumé
Est ce que les pouvoirs publics peuvent mobiliser toutes les émotions ?
L’émotion suscitée conduit-elle à la transformation de l’état affectif à un état incitant à
l’action ? Quelles sont les techniques adoptées pour provoquer les émotions
souhaitées ? Les émotions ne varient-elle pas en fonction des cibles ce qui suppose
une étude de marché préalable? Comment évaluer l’efficacité de l’usage des
émotions dans une campagne de communication publique ?
En France, la radicalisation représente un défi majeur d’ordre sécuritaire et
identitaire qui menace la cohésion sociale. Le gouvernement a opté pour une
stratégie nationale pour prévenir la radicalisation. La communication publique
représente un axe important de cette stratégie afin de sensibiliser l’opinion publique
et créer des réflexes comportementaux chez les citoyens.
L’objectif principal de ce mémoire est de mettre en évidence les techniques de
persuasion empruntées à la publicité marchande, dans la conception des spots
mêlant image et discours pour atteindre les objectifs d’une campagne de prévention
de la radicalisation en se basant sur les émotions comme axe de communication.
La première partie du mémoire présente les enjeux de la communication
publique, le rôle des émotions dans la persuasion à travers une analyse des
campagnes de communication de la sécurité routière et de la prévention du Sida.
La deuxième partie est dédiée à l’étude empirique du mémoire. A travers une
recherche qualitative en deux temps à savoir par la conduite d’entretiens de groupe
et une analyse sémiologique, les hypothèses formulées seront confrontées aux
résultats et interprétations empiriques.
110
Mots clés
Comportement
Communication publique
Communication préventive
Djihadisme
Émotion
Image
Persuasion
Radicalisation
Recherche qualitative
Sémiologie