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LES INVESTISSEMENTS DE LA BNS DANS L’INDUSTRIE FOSSILE AUX ETATS-UNIS : UNE CATASTROPHE FINANCIÈRE ET POUR LE CLIMAT ArtisansdelaTransition Une étude des

Une étude des Artisans Transition...©Artisans de la transition, Fribourg, décembre 2016 Ce rapport repose sur une recherche menée par South Pole Group La version allemande est

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Page 1: Une étude des Artisans Transition...©Artisans de la transition, Fribourg, décembre 2016 Ce rapport repose sur une recherche menée par South Pole Group La version allemande est

LES INVESTISSEMENTS DE LA BNS DANS L’INDUSTRIE FOSSILE AUX ETATS-UNIS : UNE CATASTROPHE FINANCIÈRE ET POUR LE CLIMAT

ArtisansdelaTransitionUne étude des

Page 2: Une étude des Artisans Transition...©Artisans de la transition, Fribourg, décembre 2016 Ce rapport repose sur une recherche menée par South Pole Group La version allemande est

© Artisans de la transition, Fribourg, décembre 2016www.artisansdelatransition.org

Ce rapport repose sur une recherche menée par South Pole Groupwww.thesouthpolegroup.com

La version allemande est publiée en collaboration avec Fossil Free Suisse www.fossil-free.chLa version en français fait foi Graphisme : www.page17.chPhotos : p.1, JohnNorth/istock ; p.4, Tar Sands Mine in Alberta, Jiri Rezac/Greenpeace ;p.9, MartinLisner/istock ; p.12, EvgenyMiroshnichenko/istock

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Résultats essentiels

1) Le portefeuille d’actions de la BNS d’entreprises cotées en Bourse aux Etats-Unis est investi à 10,8 % dans l’industrie fossile. Ce qui engendre des émissions à hauteur de 46,5 millions de tonnes de CO2eq par année. Ce portefeuille, qui représente 9 % de la fortune de la BNS, fait doubler les émissions de CO2 de la Suisse.

2) En trois ans, de 2013 à 2015, la BNS a perdu 4 milliards de dollars/francs à cause de ses placements dans le Carbon Underground 200 (CU200 : les 200 entreprises cotées en Bourse qui détiennent les plus grandes réserves de charbon, de gaz et de pétrole), les entreprises actives dans l’extraction de gaz de schiste et/ou très actives dans le charbon.

3) Il existe aujourd’hui une panoplie de services financiers qui permet tent d’investir en phase avec les objectifs de l’accord de Paris qui demande de contenir la hausse de la température moyenne sur Terre en dessous de 2°C.

Recommandations essentielles

1) Le Conseil fédéral et le Parlement fédéral doivent demander à la BNS de modifier sa politique de placements qui, de toute évidence, ne respecte pour le moment pas l’intérêt général du pays comme le demande la loi sur la BNS.

2) Tous les gestionnaires d’actifs, en particulier les responsables des pla cements des caisses de prévoyance, doivent évaluer leur exposi-tion à l’industrie fossile et les pertes que cette exposition engendre. L’exemple de la BNS montre que ces pertes sont déjà très importantes.

3) La priorité est de désinvestir du CU200, qui inclut les 200 entreprises les plus lourdement impliquées dans l’industrie fossile avec pas ou peu de chances de se reconvertir.

Les investissements de la BNS dans l’industrie fossile aux Etats-Unis : une catastrophe financière et pour le climat

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* Susana jourdan et Jacques Mirenowicz sont codirecteurs de l’association Artisans de la transition www.artisansdelatransition.org

Avec près de 10 % de sa fortune placée à la Bourse des Etats-Unis, soit 61,5 milliards de dollars (ou de francs)1, la Banque nationale suisse (BNS) contribue à placer le monde sur une trajectoire de +4°C à +6°C de hausse de la température. Très loin, donc, de l’objectif de l’accord de Paris qui vise à limiter l’élévation bien en dessous de 2°C. Officiellement, la BNS privilégie des rendements financiers jugés standards, et gérerait son argent de façon « neutre » ou « passive ».

En réalité, l’analyse présentée ici que les Artisans de la transition ont demandée à South Pole Group démontre que cette gestion n’est ni neutre ni passive vis-à-vis du climat : elle le sacrifie. Et au lieu d’obtenir les solides rendements financiers que ce choix est censé lui permettre, la BNS a perdu, avec ses placements dans l’industrie fossile réalisés aux Etats-Unis, 4 milliards de dollars entre le 1er jan-vier 2013 et le 31 décembre 2015.

Le but de ce rapport n’est pas de stigmatiser la BNS. Mais d’attirer, avec cet exemple, l’attention de tous les investisseurs, c’est-à-dire de tout le monde, sur le fait que la place financière helvétique ignore la bulle carbone et que cela est néfaste tant au climat qu’à ses ren -de ments financiers. Cette bulle déploie des effets de plus en plus tangibles2 et il est urgent que les investisseurs, les investisseurs institutionnels en particulier, en tiennent compte. Dans le sillage de l’accord de Paris, tout doit être fait pour qu’elle dégonfle le plus possible et le plus vite possible. Dans toutes les démocraties, de plus en plus d’acteurs s’y emploient.

La politique d’investissement de la BNS dans l’industrie fossile aux Etats-Unis favorise une trajectoire de +6°C et lui a fait perdre 4 milliards de francs en trois ans

Susana Jourdan et Jacques Mirenowicz*

Avec l’accord de Paris et son objectif de contenir la hausse de la tempéra-ture bien en dessous de 2°C, la cam - pagne internationale de désinvestis-sement des énergies fossiles a acquis une énorme légitimité3. Entré en vi-gueur le 4 novembre 2016, cet accord engage, dans son article 2c, les pays signataires à rendre « les flux

finan ciers compatibles avec un profil d’évolution vers un développement à faible émission de gaz à effet de serre et résilient aux changements climatiques ».

Pour satisfaire cette exigence, plusieurs pays européens ont pris les devants. En France en particulier,

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l’article 173 de la Loi sur la transition énergétique et pour la croissance verte demande aux investisseurs institutionnels, banques et gestion-naires de fortune de communiquer sur les risques climatiques des actifs financiers qu’ils gèrent, d’évaluer la part des actifs verts de leurs inves-tissements et de définir leur stratégie de réduction de l’impact carbone de leurs actifs.

Un autre bon exemple est la Suède. Ce pays n’a pas introduit une telle obligation légale, mais son Ministère des marchés financiers a engagé une démarche très volontariste pour adapter les investissements du pays au plafond des 2°C. Sur le Vieux-Conti-nent toujours, le Parlement européen, le Conseil européen et la Commission européenne ont adopté en novembre la révision de la directive dite IRP, qui régit les activités des institutions de retraite professionnelle dans tous les pays de l’Union. Cette directive introduit l’obligation d’informer les bénéficiaires des retraites des risques liés au changement climatique.

Zéro intérêtEn Suisse aussi, l’intérêt est là. Cinq interpellations au Parlement national, neuf dans les parlements de sept cantons et cinq dans les législatifs communaux de six villes ont réclamé le désinvestissement des énergies fossiles ou, au moins, la transparence

sur les placements d’argent public dans des entreprises qui réchauffent la Terre. Au total, dix-neuf initiatives politiques se sont saisies du sujet depuis mars 2014, dont huit en Suisse romande.

Le 1er septembre 2016, Doris Leu-thard, directrice du Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la com-munication, présentait la révision de la Loi sur le CO2 mise en consultation. A cette occasion, elle a demandé aux investisseurs d’avoir conscience du CO2 et de connaître « combien de CO2 leurs placements génèrent ». A propos des caisses de prévoyance, elle a déclaré : « Chaque assuré aime-rait savoir ce qui se passe avec son argent et comment il peut avoir une influence [sur le climat]. »

Cette volonté du Conseil fédéral d’accroître la transparence des pla-cements financiers dans l’industrie fossile et d’avoir à l’esprit leurs effets sur le climat fait écho aux dix-neuf interpellations parlementaires préci-tées. Mais la place financière suisse, elle, reste de marbre : sauf exception, elle montre une superbe indifférence.

Selon le registre que l’organisation 350 tient à jour4, trois institutions helvétiques figurent parmi les 688 qui, dans le monde, au 13 décembre 2016, s’étaient engagées à désin-vestir : la fondation de prévoyance

Nest, qui n’a de toute façon jamais investi dans l’industrie fossile, la fondation de prévoyance Abendrot (désinvestissement total) et la caisse de prévoyance des employés de la Confédération Publica (désinvestisse-ment du charbon). Deux institutions religieuses internationales basées à Genève, la Fédération mondiale des Eglises luthériennes et le Conseil œcuménique des Eglises, ont égale-ment annoncé désinvestir totalement de l’industrie fossile.

Par ailleurs, seules trois institutions financières suisses – la fondation Nest encore et les banques cantona- les de Zurich et de Bâle-Campagne – figurent sur la liste de l’Engagement de Montréal, groupe d’investisseurs qui s’engagent à lutter contre le chan-gement climatique. Et une étude du WWF Suisse et de ShareAction5 con firme que la plupart des caisses de pension ne font rien pour connaître leurs émissions. Encore moins pour les diminuer.

Exemple illustratifPour sortir de cet immobilisme, les Artisans de la transition ont voulu savoir combien d’argent la Banque nationale suisse (BNS), première ins-titution financière du pays, possède en placements fossiles aux Etats-Unis et ce qui se serait passé si elle avait pris l’excellente décision de les désin-vestir le 1er janvier 2013, lorsque

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Portefeuille de la BNS

Indice Msci Acwi(portefeuille théorique) Différence

Emissions totales de CO2 (en millions de tonnes de CO2eq)*

46,5 42,5 + 9 %

Exposition aux énergies fossiles

10,8 % 9,5 % + 1,3 %

Exposition au Carbon Underground 200

6,2 % 6,1 % + 0,1 %

* Sont considérées ici les émissions sur la totalité du cycle de vie du bien ou du service que fournit l’entreprise. Ce que les spécialistes appellent les Scope 1, 2 et 3.

TABLEAU 1 :

Le portefeuille de la BNS aux Etats-Unis comparé à un portefeuille théorique moyen

la campagne pour le désinvestisse-ment démarrait aux Etats-Unis.

Outre l’intérêt et la légitimité de choisir la BNS – en plus d’être l’unique institution financière qui concerne chaque habitant du pays, elle brasse des fonds considérables, 640 milliards de francs au total –, ce choix s’imposait pour une raison pratique. En attendant que la législa-tion helvétique oblige les institutions financières à communiquer sur l’im-pact climatique de leurs placements, le portefeuille d’actions en dollars de la BNS est en effet public.

La SEC, autorité de contrôle des mar-chés financiers états-uniens, publie la liste des avoirs de la BNS chaque trimestre. L’étude présentée ici, que

South Pole Group a réalisée à la de-mande des Artisans de la transition, se limite donc au portefeuille d’ac-tions d’entreprises cotées en Bourse aux Etats-Unis que détient la BNS.

Elle porte sur les actions de plus de 2500 entreprises qui représentent un montant total de 61,5 milliards de dollars, soit 9 % des 640 milliards de francs de la fortune totale de la BNS. Cela suffit néanmoins très largement pour livrer un lot d’enseignements particulièrement édifiants.

Dix fois les émissions du paysPour effectuer cette étude, South Pole Group a passé en revue 2535 titres, évalué les émissions de CO2 dont ils sont responsables et l’évolu-

tion de leur valeur du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015, date du dernier exercice pour lequel les émissions de CO2 des entreprises sont connues. En outre, une analyse sur trois ans donne une excellente idée de la ten-dance générale.

Pour bien comprendre les résultats de cette analyse, South Pole Group les a comparés à un portefeuille théorique composé d’actions de 46 pays, l’indice Msci Acwi.

En résumé, la BNS investit plus de 6,6 milliards de dollars dans l’indus-trie fossile, dont 3,8 milliards dans des entreprises de la liste des 200 entreprises que vise la campagne mondiale de désinvestissement6. Et les émissions dues à ses actions en dollars sont proches des émissions globales de la Suisse : le pays émet 49 millions de tonnes de CO2eq par an, la BNS en émet plus de 46,5 avec ses « seuls » titres à la Bourse des Etats-Unis. Le tableau 1 montre que ces 9 % d’avoirs font quasiment dou-bler les émissions de la Suisse.

Si le reste des placements financiers de la BNS a une intensité carbone comparable, « la banque de tous les Suisses » serait responsable de dix fois les émissions du pays ! De par ses placements aux Etats-Unis, la BNS favorise un réchauffe-ment catastrophique de 4°C à 6°C à l’échelle internationale.

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Entreprise

Part des émissions du portefeuille*

Part du portefeuille

Signes particuliers

The Southern Company

9,56 % 0,37 % Entreprise électrique basée au sud-est des Etats-Unis, dont le courant est à 80 % fossile. Finançait le chercheur climato-sceptique Willi Soon jusqu’en 2015.

Duke Energy 8,2 % 0,34 % Entreprise électrique et distributeur de gaz basé en Caroline du Nord actif dans le pays et à l’étranger. Fait un lobbying intense contre le courant solaire décentralisé.

American Electric Power

4,78 % 0,15 % Entreprise électrique active dans onze Etats des Etats-Unis. Premier consommateur de charbon du pays, génère à lui seul 2 % de ses émissions de CO2.

Nextera Energy

3,73 % 0,31 % Entreprise électrique basée en Floride, 57 % de son courant est d’origine fossile, 17 % d’origine éolienne.

Dominion Resources

3,51 % 0,31 % Fournisseur d’électricité et de gaz basé en Virginie. Planifie la cons - truction d’un gazoduc à 5 milliards pour acheminer du gaz de schiste. Resterait membre d’Alec, un des plus puissants lobbys climato- sceptiques que la plupart des entreprises de ce tableau ont quitté.

Xcel Energy 3,51 % 0,17 % Fournisseur d’électricité et de gaz basé dans le Minnesota.

WEC Energy Group

2,82 % 0,14 % Fournisseur d’électricité et de gaz basé dans le Wisconsin.

Exxon Mobil 2,64 % 1,87 % Plus grande entreprise pétrolière cotée en Bourse. Soupçonnée d’avoir su avant tout le monde les risques du changement climatique et d’avoir sciemment menti à ses investisseurs, est sous investigation dans quatre Etats des Etats-Unis.

PPL 2,21 % 0,11 % Entreprise électrique basée en Pennsylvanie, active aux Etats-Unis et au Royaume-Uni.

Transcanada 1,85 % 0,32 % Entreprise qui détient 90 000 kilomètres de gazoducs, 4300 kilomètres d’oléoducs,17 centrales électriques et au moins autant de projets pour continuer sur cette lancée. Ses émissions ont augmenté de 20 % depuis cinq ans.

Total 42,82 % 4,09 %* Sont considérées ici les émissions directes de l’entreprise et les émissions indirectes liées aux consommations énergétiques, notamment à la consommation d’électricité. Soit les Scope 1 et 2.

TABLEAU 2 :

Les dix principaux émetteurs de CO2 du portefeuille de la BNS aux Etats-Unis

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Le tableau 2 montre les dix plus gros contributeurs aux émissions de CO2 du portefeuille d’actions en dollars de la BNS. Ces dix entreprises repré-sentent 4 % des actifs et génèrent 43 % des émissions du portefeuille. Il serait donc extrêmement simple pour la BNS de faire infiniment mieux pour préserver le climat.

Il ne faut pas confondre décarboni-sation et désinvestissement. La campagne internationale de dé-sinvestissement ne demande pas aux investisseurs de supprimer tous les actifs fossiles de leurs portefeuilles. Elle demande de ne plus investir dans les 200 entreprises cotées en Bourse qui détiennent les plus grandes réser-ves de charbon, de gaz et de pétrole : le Carbon Underground 200 (CU200).

Ces entreprises détiennent dans leurs réserves au moins 745 gigatonnes

de CO2. Or, pour contenir le réchauf-fement en deçà de 2°C, le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (Giec) estime le budget de l’humanité à 1000 giga-tonnes de CO2 entre 2000 et 21007. Chaque année, la planète émet 40 gigatonnes. Soit, depuis seize ans, 640 gigatonnes. Il ne resterait donc que 360 gigatonnes d’émissions de CO2 disponibles à l’horizon du siècle. Et les entreprises du CU200 posséderaient plus de deux fois le budget carbone compatible avec un réchauffement limité à 2°C.

Les entreprises de la liste CU200 représentent 6,2 % du portefeuille en dollars de la BNS. Le tableau 3 détaille les dix plus grandes posi-tions de la BNS parmi cette liste. Là encore, il serait très facile de faire beaucoup mieux puisque à elles seules, ces dix entreprises repré-

sentent 77 % des avoirs de la BNS que la campagne de désinvestisse-ment vise.

Portefeuille nettoyéFin 2015, dans le cadre de la cam-pagne Mon argent zéro fossile, près de 4000 personnes ont envoyé un courriel à la BNS pour lui demander d’expliquer sa stratégie climatique. La responsable communication de la BNS leur avait alors notamment répondu : « La Banque nationale estime qu’il est dans l’intérêt de son mandat légal et constitutionnel d’obtenir des rendements solides sur ses placements grâce à une diversifi-cation aussi large que possible. »

Il ressort de l’analyse de South Pole Group que la part des placements en dollars de la BNS dans l’industrie fossile est excessive sur le strict plan de la diversification : 10,8 % de son

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portefeuille d’actions, cela revient à mettre trop d’œufs dans le panier très risqué de cette industrie. Qui, loin de lui obtenir de « solides rende-ments », lui garantissent plutôt en ce moment de très solides pertes.

Pour estimer ces pertes, South Pole Group a, en collaboration avec son partenaire canadien Corporate Knights, simulé l’évolution de la valeur du portefeuille de la BNS si elle avait désinvesti le 1er janvier 2013. Corporate Knights détient une base de données avec des informations de marché qui couvre 7000 entreprises cotées en Bourse, soit 85 % de la capitalisation boursière mondiale.

Pour effectuer ce calcul, South Pole Group a retiré du portefeuille toutes les entreprises de la liste CU200. A cela, les Artisans de la transition ont ajouté deux autres critères d’exclu-sion : les entreprises actives dans le gaz de schiste, soit treize entreprises qui figurent sur l’Oil Sands Index, et celles qui obtiennent 30 % ou plus de leur chiffre d’affaires de l’extraction ou de l’utilisation de charbon.

On arrive alors à un portefeuille « nettoyé ». L’argent théoriquement désinvesti des entreprises retirées du portefeuille est ensuite réinvesti de manière neutre, c’est-à-dire dans les mêmes proportions sectorielles que la composition du portefeuille nettoyé.

La base de données de Corporate Knights permet de calculer l’évolution de la valeur du portefeuille « assaini » du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015. Résultat : la différence entre les deux portefeuilles est de 4 milliards de dollars. Autrement dit, la BNS a perdu 4 milliards de francs en misant sur les entreprises les plus fortement engagées dans l’extraction d’énergies fossiles, y compris de gaz de schiste, et les entreprises très ac-tives dans l’exploitation du charbon.

En plus d’éviter ces pertes financières si elle avait retiré son argent de ces entreprises, la BNS aurait réduit de 56 % les émissions de CO2 liées à son portefeuille et se serait rapproché du respect de l’accord de Paris.

Résultats éloquentsLe premier enseignement de cette étude concerne tous les investisseurs : le risque carbone exerce déjà ses ef-fets et engendre de très importantes pertes financières. En l’occurrence, 4 milliards de francs, c’est 6,5 % de la valeur du portefeuille que la BNS

investit aux Etats-Unis et quatre ans de dividendes que la banque distribue aux cantons et à la Confédération. Or, les pertes de la BNS dues aux mauvais résultats de l’industrie fos-sile pourraient être plus lourdes.

D’une part parce que depuis le 31 dé-cembre 2015, les entreprises actives dans le charbon ont continué d’es-suyer des pertes. D’autre part parce que la BNS a sûrement fait des choix d’investissements comparables avec une partie au moins des 90 % de sa fortune qui ne sont pas analysés ici.

En 2015, la Confédération publiait un rapport sur l’impact carbone de la place financière suisse8. Sa principale conclusion : la place financière suisse ignore largement les risques liés aux investissements dans l’industrie fos-sile – la bulle carbone. Ce rapport des Artisans de la transition chiffre ces risques pour la première fois, dans le cas d’une partie du portefeuille de la BNS. Et le résultat est éloquent.

Plus d’excusesLe deuxième enseignement très important que délivre cette étude est que, contrairement à l’idée qui circule un peu partout sur les difficultés qu’implique une analyse de l’impact climatique des portefeuilles d’inves-tissement, elle a été très facile à réaliser. Quelques jours de travail ont suffi à South Pole Group pour

Le risque carbone exerce déjà ses effets et engendre de très importantes pertes financières

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EntreprisePart du portefeuille

Signes particuliers

Exxon Mobil 1,87 % Gaz de schiste, sables bitumineux, offshore profond et arctique.

Chevron Corporation

0,93 % De tous les majors du pétrole, il est le plus ré- calcitrant à intégrer le changement climatique.

Suncor Energy

0,48 % Les sables bitumineux du Canada sont la troisième plus grande réserve mondiale de pétrole. Première entreprise à l’exploiter, Suncor Energy y garde sa position dominante.

Canadian Natural

Resources

0,33 % Producteur de gaz naturel et surtout de pétrole issu des sables bitumineux et offshore.

Conoco Philipps

0,26 % Pétrole, gaz, sables bitumineux, gaz de schiste. Cette entreprise très présente en Alaska s’est aussi installée au Groenland.

Occidental Petroleum

0,25 % Tire la moitié de sa production de pétrole et de gaz de ses puits au Moyen Orient.

EOG Res 0,24 % Issue de la débâcle d’Enron, leader de l’extraction de gaz et de pétrole de schiste.

Anadarko Petroleum

0,15 % Acteur majeur du pétrole et du gaz de schiste aux Etats-Unis, détenait 25 % de la plate- forme Deepwater qui a explosé dans le golfe du Mexique en 2010.

Pioneer Natural

Resources

0,14 % Exploite le pétrole et le gaz de schiste aux Etats-Unis.

Teck Resources

0,12 % Détient de vastes mines de charbon au Canada.

Total 4,77 %

passer au crible 2535 positions, évaluer leurs émissions, puis simuler l’évolution de la valeur du porte-feuille si la BNS avait désinvesti de l’industrie fossile.

Un tout nouveau rapport de la Confé-dération9 renforce cette conclusion : il est désormais très simple de dres-ser un bilan des effets sur le climat des placements financiers. D’autant qu’en parallèle, l’offre en stratégies d’investissement alignées sur le pla-fond des 2°C, y compris en stratégies dites « passives », c’est-à-dire qui se contentent de suivre un indice, s’est elle aussi grandement étoffée. Et leurs performances financières sont meilleures que leurs pendants conventionnels à +4°C/+6°C.

Dès lors, plus personne, plus aucun fonds, plus aucune caisse de pré-voyance, plus aucune institution qui place et/ou gère un capital n’a d’excuse pour continuer à traîner les pieds au lieu de faire ce qui est de toute évidence à faire : libérer son portefeuille de ses pires actions dans l’industrie fossile et favoriser ainsi, de manière très concrète, un monde en partie expurgé des éner-gies fossiles et mieux susceptible de respecter l’accord de Paris qui fixe le plafond du réchauffement à 2°C.

Paraphraser ChurchillBien entendu, ici, une objection pour-rait survenir : et si la valeur boursière

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TABLEAU 3 : Les dix plus grandes positions parmi les 200 entreprises du Carbon Underground

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et de leur dire : « Vous voulez obtenir des gains financiers au prix d’une planète ravagée. Vous avez déjà une planète extrêmement dégra-dée, vous aurez en plus d’immenses pertes financières. » ❙

1) Le franc suisse et le dollar états-unien sont à parité.

2) LaRevueDurable. Histoire de la bulle carbone,

LaRevue-Durable n°55, août-septembre-octobre 2015,

pp. 36-39.

3) LaRevueDurable. Libérons-nous des énergies fossile!,

LaRevueDurable n°55, août-septembre-octobre 2015,

pp. 12-57.

4) http://gofossilfree.org/commitments

5) Caisses de pension suisses et l’investissement respon-

sable, WWF et ShareAction, rapport 2015/2016.

6) Idem note 2).

7) LaRevueDurable. Indicateurs sur la contribution de

l’industrie fossile au changement climatique, LaRevue-

Durable n°55, août-septembre-octobre 2015, pp. 14-16.

8) Office fédéral de l’environnement. Risque carbone

pour la place financière suisse, Berne, 2015.

9) Office fédéral de l’environnement. Stratégies

d’investissement respectueuses du climat et perfor-

mance, Berne, 2016

Si le monde ne devient pas fou, la valeur des entreprises fossiles poursuivra sa descente aux enfers

de l’industrie fossile allait remonter ? Et si, par malheur, le monde, à cause d’une manœuvre de l’Opec, de l’in-fluence de Donald Trump ou de tout autre événement imprévisible, allait renier l’accord de Paris et impulser une nouvelle vigueur au cours des actions de cette industrie ? Bref, et si, sur le strict plan financier, la BNS et d’autres investisseurs sourds au problème du climat avaient raison d’attendre que le vent tourne en faveur de leurs placements dans l’industrie fossile ?

Il est probable – et ô combien souhaitable – que cette hypothèse restera une fiction parce que le fait que la bulle carbone se dégonfle est une question de survie pour les civilisations humaines. Si le monde ne devient pas fou, la valeur des entreprises fossiles ne peut que poursuivre sa descente aux enfers. De très nombreux acteurs financiers l’ont compris. Mais d’autres, notam-ment en Suisse, en sont encore à attendre – voire à espérer – que cela passera, que la tendance s’inversera et que cette valeur remontera.

Le responsable financier de la Caisse de prévoyance des employés du canton de Genève, par exemple, affirmait fin août 2016, dans le cadre d’une audition publique sur un projet de loi sur le désinvestissement dans ce canton : « Ces valeurs ont un rendement très faible, mais si vous les comparez à leur performance sur dix ans, de 2005 à 2015, elles surper-forment. »

Il est à espérer qu’elles ne surperfor-meront plus jamais. Mais quoi qu’il arrive, ce gestionnaire de fonds pu-blics et certains de ses pairs doivent comprendre qu’ils font désormais face au choix suivant : désinvestir pour préserver le climat et garder son capital ou attendre de voir si la tendance s’inverse et risquer son ca-pital tout en rendant la planète trop chaude et largement inhabitable.

En septembre 1938, à la Chambre des communes, à Londres, Winston Churchill s’adressait en ces termes très célèbres au premier ministre Neville Chamberlain, à propos des accords de Munich qui avaient livré la Tchécoslovaquie à Hitler : « Vous avez voulu éviter la guerre au prix du déshonneur. Vous avez le déshon-neur et vous aurez la guerre. »

Aujourd’hui, trop d’investisseurs persistent à ignorer l’impératif clima-tique et la bulle carbone. Aussi est-il tentant de paraphraser Churchill

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Les investissements fossiles de la BNS placent la Confédération et les cantons face à un choix d’éthique majeur. L’exemple de Transcanada illustre pourquoi. Cette entreprise canadienne prévoit de construire Keystone XL, oléoduc de près de 3500 kilomètres destiné à acheminer le pétrole issu des sables bitumineux de l’Alberta, au Canada, pour être raf-finé sur la côte du golfe du Mexique. Keystone XL fait l’objet d’une résis-tance sans faille – et jusqu’à présent victorieuse – des défenseurs du climat aux Etats-Unis.

De rassemblements en marches, de 2012 à 2015, le mouvement de résistance aux énergies fossiles en Amérique du Nord a fait de l’oppo-sition à cet oléoduc une priorité1. James Hansen, le climatologue qui a systématiquement raison avant tout le monde, a prévenu qu’exploiter les sables bitumineux de l’Alberta sifflerait la « fin du jeu » (game over) pour le climat2.

En novembre 2015, le président Oba-ma a mis son veto sur Keystone XL. Mais Donald Trump a promis de le dé-bloquer. S’il prend la funeste décision de donner le feu vert à cet oléoduc, la valeur de l’action de Transcanada pourrait monter en flèche. Ce retour-nement de situation, fatal pour le climat, serait donc très profitable à la BNS qui détient pour 200 millions de dollars d’actions de Transcanada.

Selon sa chargée de communication, il n’y a là aucun mal : « Il n’appartient pas à la BNS de fixer des normes éthiques au moyen de sa politique de placement », expliquait-elle fin 2015. Dont acte. En revanche, il incombe aux instances politiques, en Suisse à la Confédération et aux cantons, de faire des choix qui, à tout le moins, préservent l’habitabilité de la Terre. Connaissant désormais les consé-quences climatiques désastreuses de la stratégie d’investissement de la BNS, peuvent-ils fermer les yeux et la laisser faire ?

La BNS donne chaque année un mil-liard de francs (un tiers à la Confédé-ration, deux tiers aux cantons) : le Gouvernement fédéral et les gou-vernements cantonaux peuvent-ils la laisser mener tranquillement sa barque et encaisser son argent gagné sur le dos du climat ou devraient-ils lever la voix pour que la plus haute institution financière suisse tienne compte, au minimum, de la politique climatique du pays ? Y a-t-il un quel-conque sens, de la part du Conseil fédéral, à soutenir qu’il faut réduire les émissions de CO2 à l’étranger et à regarder en même temps sans bouger la BNS les faire croître dans des proportions insoutenables ?

Plusieurs cantons, dont ceux de Genève et de Vaud, se sont donné des objectifs de baisse des émissions de gaz à effet de serre au niveau de

leur territoire. Est-il crédible qu’ils demandent aux entreprises et à leurs citoyens de faire des efforts pour ré-duire leur empreinte carbone tout en profitant d’émissions sans commune mesure à l’étranger que la politique financière de la BNS provoque ? ❙

Susana Jourdan et Jacques Mirenowicz

1) McKibben B. Les trois chiffres qui mènent à la catas-

trophe climatique, LaRevueDurable n°48, mars-avril-

mai 2013, pp.18-23.

2) Hansen J. Il est encore temps de stopper la course

à l’abîme, LaRevueDurable n°46, septembre-octobre

2012, pp. 12-16.

La Confédération, les cantons et l’éthique

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Page 15: Une étude des Artisans Transition...©Artisans de la transition, Fribourg, décembre 2016 Ce rapport repose sur une recherche menée par South Pole Group La version allemande est
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