30
EHESS Une Église nationale pour les Santal: Du romantisme scandinave àl'orthodoxie luthérienne Author(s): Marine Carrin and Harald Tambs-Lyche Source: Archives de sciences sociales des religions, 43e Année, No. 103 (Jul. - Sep., 1998), pp. 99-127 Published by: EHESS Stable URL: http://www.jstor.org/stable/30114758 . Accessed: 13/06/2014 21:45 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . EHESS is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Archives de sciences sociales des religions. http://www.jstor.org This content downloaded from 195.78.109.119 on Fri, 13 Jun 2014 21:45:31 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Une Église nationale pour les Santal: Du romantisme scandinave à l'orthodoxie luthérienne

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Une Église nationale pour les Santal: Du romantisme scandinave à l'orthodoxie luthérienne

EHESS

Une Église nationale pour les Santal: Du romantisme scandinave àl'orthodoxie luthérienneAuthor(s): Marine Carrin and Harald Tambs-LycheSource: Archives de sciences sociales des religions, 43e Année, No. 103 (Jul. - Sep., 1998), pp.99-127Published by: EHESSStable URL: http://www.jstor.org/stable/30114758 .

Accessed: 13/06/2014 21:45

Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at .http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp

.JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range ofcontent in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new formsof scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected].

.

EHESS is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Archives de sciences socialesdes religions.

http://www.jstor.org

This content downloaded from 195.78.109.119 on Fri, 13 Jun 2014 21:45:31 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 2: Une Église nationale pour les Santal: Du romantisme scandinave à l'orthodoxie luthérienne

Arch. de Sc. soc. des Rel., 1998, 103 (juillet-septembre) 99-127 Marine CARRIN, Harald TAMBS-LYCHE

UNE EGLISE NATIONALE POUR LES SANTAL : DU ROMANTISME SCANDINAVE

A L'ORTHODOXIE LUTHERIENNE

INTRODUCTION

Quand l'Eglise catholique envoie ses missionnaires fonder de nouvelles commu- naut6s chr6tiennes, elle choisit parfois d'ajuster les normes de ses institutions t la culture a laquelle elle s'adresse. C'est ce processus qu'on d6crit par le terme d'indi- g6nisation. En principe, cette probl6matique ne s'applique pas aux Eglises protestan- tes, qui, de par leur tradition, sont nationales, voire indighnes.

L'individualisme protestant, on le sait depuis Weber, fait de l'homme le cr6ateur responsable du monde social et moral, tandis que la conscience collective durkhei- mienne restitue a l'individu, libre de cette responsabilit6, sa propre libert6. Or, cette opposition s'avyre simpliste par rapport au pi6tisme, oi l'individu n'agit qu'en 6tant un instrument de Dieu. Dieu, sans doute, cr6e des cultures et des Eglises diff6rentes, mais peut-il aussi leur inspirer des normes particularistes ? (1).

La contradiction entre institutionalisation et croyance, comme celle entre univer- sel et particulier, existe chez les missionnaires comme dans les sectes et Eglises protestantes. Mais cette conception se heurte a une contradiction qui lui est inh6rente, car toute Eglise protestante doit r6pondre a certaines normes essentiellement univer- salistes, et occidentales.

Pourtant, nous nous proposons de montrer que c'est a ce problbme que se heurtent les missionnaires scandinaves, Skrefsrud et Birresen - arriv6s en Inde en 1863 et 1865 - quand ils fondent leur mission chez les Santal, a deux cents kilomitres de Calcutta, quelques ann6es plus tard. Le cas que nous d6crivons est a cet 6gard un peu atypique,

(1) Nous utilisons ici les termes << universalisme >> et << particularisme > au sens de T. PARSONS (1937, 1966). Il y a 6videmment un problme quand on applique ces termes i la nation, car on sous-entend normalement que l'ltat-nation institue des normes universalistes i l'int6rieur d'une soci6t6, mime si celles-ci deviennent particularistes aux yeux des 6trangers. Dans le cas de cet article, les normes protestantes sont universalistes tandis que chaque soci6t6 revendique ses particularismes.

99

This content downloaded from 195.78.109.119 on Fri, 13 Jun 2014 21:45:31 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 3: Une Église nationale pour les Santal: Du romantisme scandinave à l'orthodoxie luthérienne

ARCHIVES DE SCIENCES SOCIALES DES RELIGIONS

car il s'agit d'une mission ind6pendante de toute Eglise, vou6e i la cr6ation d'une Eglise nationale pour les Santal, qui peu t peu perd son ind6pendance pour devenir une mission luth6rienne plus orthodoxe.

A cette 6poque, oti on commence t sentir, i Calcutta, capitale de la Renaissance bengalie (2) le premier 6veil national en Inde (Ray 1984), les Scandinaves chez les Santal, tribu de langue austro-asiatique, parlent de la nation dans un autre sens. Pour eux, la tribu est une nation et quand ils veulent doter les Santal d'une Eglise nationale, ils n'impliquent en rien l'id6e d'un Itat ind6pendant. I1 s'agit simplement de recon- naitre, chez les indighnes, les caract6ristiques d'un dpeuple >, conscient de sa sp6ci- ficit6 culturelle - qui pourrait ainsi avoir, dans le sens de Herder (3), son propre < esprit national >>.

d Toute l'humanit6 >>, affirme en 1869 le r6formateur bengali Keshub Chunder Sen, soucieux de lier les influences hindoues et chr6tiennes, d va s'unir dans une Eglise universelle; mais en m~me temps (cette Eglise) adapt6e aux besoins de chaque nation, doit assumer une forme nationale. (...). Chaque future Eglise se d6veloppera naturel- lement au sein de sa nation >> (Kuriakose, 1982, p. 211). Les missionnaires scandina- ves, Skrefsrud et Bi$rresen, sont du m~me avis, mais leur sens de la nation ne concerne pas l'Inde, de plus, ils sont loin de partager les id6es syncr6tiques de Sen (Kopf, 1975, pp. 53-56). Pour les fondateurs de cette mission, issus d'un milieu pi6tiste et protes- tant, les croyants eux-m~mes constituent la v6ritable Eglise, et les fiddles des diff6- rentes cultures sont libres de modeler leurs pratiques religieuses sur leur propre fond culturel.

En fait le projet des missionnaires scandinaves diffbre de celui de l'Eglise baptiste, dont W. Carey est le premier repr6sentant en Inde (Potts, 1967; Forrester, 1980), qui vise surtout le monde des castes (Kopf, 1975, p. 45), auquel la plupart des mission- naires protestants s'opposent avec v6h6mence (Dirks, 1996; Metcalf, 1990, p. 100). La mission est mal vue par la Compagnie des Indes a l'6poque, et Carey s'installe chez les Danois, dans leur colonie de Serampur (4). Or, depuis 1828, les missionnaires se

(2) Sur le climat intellectuel de Calcutta et du Bengale a l'6poque, voir CRAWFORD, 1987 ; KOPF, 1969, 1975; PODDAR, 1970.

(3) La conception du nationalisme du philosophe allemand Herder (1744-1803) est marqu6e par le mouvement romantique dont il est un des repr6sentants. Herder s'oppose aux id6es frangaises de l'ttat-na- tion, issu des Lumiares. Pour Herder, l'ethnie, auquel il attribue l'<< esprit du peuple >>, est le fondement de la nation. Cette conception li6e au romantisme, est aussi radicale et libertaire, car elle oppose le peuple a l'Etat (HERDER, 1964; CAISSON, 1991), une dimension qui semble avoir 6chapp6 a l'attention de DUMONT (1979, 1991). Si la position de Herder s'oppose a celle de RENAN (1992), il faut cependant souligner la diff6rence par rapport aux 6crits de FICHTE (1992) qui, lui, 6voque l'esprit national pour 16gitimer la primaut6 de la culture allemande sur les autres. Cette sup6riorit6 est absente chez Herder, pour qui les nations sont diff6rentes mais 6gales. Le nationalisme norv6gien continue de s'inspirer des id6es de Herder, par l'inter- m6diaire notamment de H. WERGELAND (1843-1844) (BEYER, 1961 : pp. 83-88 et 126-147), tandis que la conception de Fichte y est peu repr6sent6e; l'id6e d'une telle < sup6riorit6 culturelle >> parait ridicule aux Norv6giens (TAMBS-LYCHE, 1992).

(4) Le roi danois Fredrik IV avait envoy6 les premiers missionnaires protestants, Ziegenbalg et Plutschau, en Inde (1705). Cette mission, 6tablie a Tranquebar, est encore tras active en 1787 mais perd de sa vitalit6 a la mort du missionnaire Swartz en 1798. Or, quand Carey arrive a Serampore en 1793, le gouverneur norv6gien Ole Bie soutient les activit6s missionnaires et le roi danois fonde en 1827 le college de Serampur, premiere universit6 occidentale en Inde. (KURIAKOSE, 1982, pp. 57-60, 65-67, 69-70, 82- 84,109-110; FENGER, 1863; PEARSON, 1835; HOWELLS, 1927).

100

This content downloaded from 195.78.109.119 on Fri, 13 Jun 2014 21:45:31 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 4: Une Église nationale pour les Santal: Du romantisme scandinave à l'orthodoxie luthérienne

UNE EGLISE NATIONALE POUR LES SANTAL

font les alli6s des utilitaristes en apportant le <<progrs>> (5), et l'universalisme qu'inspire leurs r6formes implique souvent un m6pris pour la culture indigene. Suite t la << grande mutinerie >> en 1857-1858, la tendance r6formiste, devenue minoritaire, est toujours soutenue par les <<6vangl61istes >> (Metcalf, 1990, pp. 92-121, Oddie, 1995) (6). Ceux-ci s'opposent pr6cis6ment t l'l61ite hindoue de Calcutta, parmi la- quelle le courant national se fait sentir. Mais les missionnaires scandinaves ne se pr6occupent ni de la soci6t6 des castes, ni de l'l61ite bengalie, ils choisissent une tribu tout en 6tant conscients de sa position marginale. Or, en d6fendant cette tribu, ils acceptent n6cessairement un certain particularisme...

Quand il entend fonder une Eglise nationale, Skrefsrud trace une limite symboli- que entre les Santal et les autres tribus du m~me groupe linguistique, sans parler des hindous des castes. L'activit6 missionnaire va done renforcer la conscience de la

sp6cificit6 culturelle du Santalistan (pays qui ne figure que dans la vocabulaire de la mission), m~me si l'6vangl61isation ne touchera qu'une faible minorit6 (10%) des Santal. Cette affirmation symbolique aidera les Santal i faire prfvaloir leurs droits aupris des Britanniques et A d6velopper une l61ite tribale qui, plus tard, deviendra

politis6e (Carrin, 1996, pp. 430-432).

LES SANTAL AVANT L'ARRIVEiE DES MISSIONNAIRES

Dans un premier temps, la colonisation britannique a favoris6 la p6n6tration de l'6conomie de march6 qui a multipli6 les contacts des tribus avec le monde ext6- rieur (7). Ces grands changements 6conomiques contribuent A l'effondrement du mode de production traditionnel, n6anmoins la p6riode d'expansion coloniale est souvent marqu6e par une politique protectionniste visant t empacher les non-tribaux d' acqudrir des terres dans les r6gions tribales. Or, les lois protectionnistes ne sont pas respect6es. On assiste t l'6mergence d'un prol6tariat tribal et l'exploitation que subit cette nouvelle classe explique bien les r6voltes qui 6clatent dans de nombreuses r6gions de 1860 t 1920 et font 6cho aux premiers mouvements de r6bellion des ann6es 1820, (Singh, 1978).

En 1855, l'insurrection santal (8), men6e par deux chefs charismatiques, Sidhu et Kanhu, a mobilis6 l'ensemble de la population tribale contre les < diku >, les <6tran-

(5) Pour les utilitaristes de cette 6poque, tels J.S. Mill et J. Bentham, il s'agit de faire des r6formes en appliquant la rationalit6 de l'6conomie libdrale. Cet esprit caract6rise surtout la carribre du Gouverneur G6n6ral Bentinck (1828-1835) mais aussi celles de ces successeurs jusqu'd 1857 (METCALF, 1990).

(6) La < grande mutinerie > a pour cons6quence non seulement de mettre fin au r6gime de la Compagnie des Indes quand l'Inde devient propri6t6 de la couronne mais suscite 6galement la crainte de toute r6forme pouvant provoquer la susceptibilit6 hindoue.

(7) Certaines tribus puissantes de l'Inde centrale, comme les Gond dont les chefs imitaient les raja hindous, avaient 6t6 reconnues par les Moghols auxquels elles payaient un tribut annuel.

(8) Jusqu'en 1855, les Santal ont 6t6 exploit6s par les hindous, propridtaires terriens, pr&teurs sur gages, collecteurs d'imp6t et patrons de plantations. En juin de la mime ann6e, des milliers de Santal se r6voltent i l'appel de deux chefs charismatiques Sidhu et Kanhu qui affirment avoir requ du dieu Thakur l'ordre de les dl61ivrer de leurs oppresseurs. En juillet, les Anglais votent la loi martiale pour r6primer la r6bellion (CARRIN, 1976; RAY, 1983).

101

This content downloaded from 195.78.109.119 on Fri, 13 Jun 2014 21:45:31 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 5: Une Église nationale pour les Santal: Du romantisme scandinave à l'orthodoxie luthérienne

ARCHIVES DE SCIENCES SOCIALES DES RELIGIONS

gers >>, pour la plupart des policiers et des percepteurs. La r6volte vise les marchands et les planteurs et sera finalement durement r6prim6e. N6anmoins, cette r6bellion a pour consdquence de placer les Santal sous une forme d'administration indirecte oi leurs chefs gardent des responsabilit6s traditionnelles. Un Deputy Commissioner repr6sente l'administration coloniale dans le district et fait office de m6diateur entre les chefs tribaux et le gouvernement de la Compagnie (9).

A l'arriv6e de Skrefsrud, les Santal sont encore sous le choc d'avoir manqu6 leur r6bellion et se sont mis t douter, pour cette raison, des pouvoirs religieux qui avaient inspir6 leurs leaders. Accusant les bonga - divinit6s tribales - de s'~tre laiss6es corrompre par des sorcibres ou des dieux ennemis, ils soupgonnent 6galement les Blancs de leur avoir envoy6 secrktement un leader qui aurait influenc6 a tort leurs chefs, leur faisant croire que les fusils des Britanniques ne les atteindraient pas. Ce Blanc qui 6tait apparu dans les visions de Sidhu et Kanhu avait dix doigts a chacune de ses mains, symbole de pouvoir, et il tenait une Bible. Ne repr6sentait-il pas, d'ailleurs, un des premiers baptistes qui avait parcouru les villages du pays santal ?

Dbs le milieu de la p6riode coloniale, la n6cessit6 de s'embaucher dans les grands chantiers coloniaux, la construction des routes, des voies de chemin de fer et le travail dans les plantations d'indigo (10) ont provoqu6, suite aux migrations accl66r6es, la segmentation des douze clans santal en plus de cent soixante sous-clans. N6anmoins, aprbs 1855, les Santal Parganas sont devenus un district dnon r6gul6 >, un territoire oi l'administration s'adapte a la dimension culturelle de la soci6t6 qu'elle doit administrer. Malgr6 ces r6solutions, en 1863, l'administrateur en place d6clare qu'il n'y a aucune raison d'exempter les Santal des lois qui pr6valent dans le reste du Bengale. De nouveau, les tribunaux bengalis sont r6introduits et on ne tient plus aucun compte de la loi coutumibre. Les Santal, profond6ment 6galitaires au d6part, vivent la segmentation comme un d effritement d (11) de leur soci6t6 qui produit des diff6rences de statut entre les sous-clans.

Il ne faut cependant pas confondre cet 6galitarisme avec l'universalisme. L'6galit6 entre Santal s'oppose au monde ext6rieur; il ne s'agit pas d'une 6galit6 des hommes en gdn6ral (12).

L'influence hindoue qui en r6sulte, provoque le mouvement qui prend le nom de Kherwar - un ancien nom qui d6signe les Santal et est associ6 a leur age d'or. L'hiver 1871-1872, le mouvement Kherwar s'affirme puis, se manifeste avec force de 1876 a 1879. Les Kherwar sont composds de trois sectes revendiquant chacune un plus grand degr6 de puret6 pour ses membres que ses voisines. En 1874, le chef des Kherwar,

(9) En 1851, on comptait 80 000 Santal r6partis dans les 1444 villages du Damin-i koh, le district qui appartenait i la Compagnie des Indes. Les Santal devaient payer des redevances foncibres aux percepteurs de la Compagnie, qu'ils appelaient le dieu Cupni.

(10) Les planteurs d'indigo, nombreux dans les Santal Parganas, sont attaqu6s par les Santal pendant la r6bellion. La culture de l'indigo est une des pires entreprises coloniales jusqu'd son interdiction en 1861

(RAO et RAO, 1992). (11) Les r6cits santal de l'6poque d6plorent les luttes qui opposent les clans entre eux et poussent

certains << traitres>> suivre un h6ros hindou, Mandho Singh, un prince n6 d'une mbre santal et d'un pare hindou (CARRIN, 1985).

(12) Il s'agit ici d'une 6galit6 de statut et non d'opportunit6, <cnatural equality>> et non <(social equality >, d'apr~s JAYAWARDENA (1967). GULLESTAD (1992, pp. 93-112, 183-200) caractdrise l'6galitarisme norv6gien dans le m~me sens.

102

This content downloaded from 195.78.109.119 on Fri, 13 Jun 2014 21:45:31 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 6: Une Église nationale pour les Santal: Du romantisme scandinave à l'orthodoxie luthérienne

UNE EGLISE NATIONALE POUR LES SANTAL

Bhagrit, est intronis6 comme un raja hindou et se d6clare le chef de tous les Santal qu'il veut lib6rer des colons et des missionnaires, en r6tablissant leur royaume perdu (13). Les troupes affrontent les Kherwar et Bhagrit est emprisonn6, puis lib6r6 sous promesse de ne plus exercer d'activit6s politiques. Mais le mouvement Kherwar continuera d'exister secrbtement. Quand les missionnaires scandinaves arrivent chez les Santal, I'iddologie coloniale une fois de plus a chang6 de discours et Campbell, qui sera Deputy Commissioner du temps de l'6dification de l'Eglise santal, se montre pr~t t prendre en compte la sp6cificit6 culturelle.

LES FONDATEURS DE LA MISSION

Lars Skrefsrud, fils d'un m6tayer et artisan (14) n6 pros de Lillehammer en Norvyge en 1840, est le v6ritable fondateur de la mission santal.

Le phre de Skrefsrud est travailleur mais alcoolique et sa famille pauvre. Sa mbre, originaire d'une famille paysanne ais6e, s'int6resse t l'6veil religieux et Skrefsrud gardera un souvenir trbs vif des r6unions des Haug6ens (15), puritains convaincus, auxquelles il a assist6 dans son enfance. Apprenti forgeron a Lillehammer, Skrefsrud commence a lire de la litt6rature religieuse mais n'h6site pas a sortir avec ses compagnons. Quand il revient au village pour l'enterrement de son phre, ses amis le poussent a boire. Il commence alors a voler avec son frbre et finit en prison en 1861. N6anmoins, il met a profit son incarc6ration pour d6vorer les oeuvres de Novalis, Kierkegaard, Swedenborg et celles d'autres penseurs religieux. II 6tudie 6galement l'allemand, I'anglais et le latin. C'est en prison que Skrefsrud regoit les visions divines qui vont d6cider de sa vocation de missionnaire. Une femme lui rend visite, c'est Anne Onsum qui deviendra plus tard son 6pouse. Lib6r6 de prison, Skrefsrud se rend a Stavanger oi il pose sa candidature pour l'6cole des missions sans y 8tre admis en raison de son pass6. Sa d6ception est grande mais un de ses amis, un ancien du milieu

(13) Ce royaume < perdu > plus ou moins mythique est situ6 dans la r6gion de Campa B l'est de l'Inde. I1 s'agit d'une allusion aux affinit6s linguistiques qui, selon la tradition, lient les Santal aux autres groupes austro-asiatiques d'Asie du Sud-Est.

(14) Dans les campagnes de l'est de la Norvyge, le milieu artisan constitue une minorit6 libre des liens qui attachent les m6tayers et les ouvriers agricoles aux grands propridtaires terriens. Au XIXe sidcle, ce milieu produit toute une sdrie de personnalit6s originales (ODNER, 1996); citons le cas de T. Veblen, lui aussi fils d'un menuisier, et M. Thrane, le premier agitateur socialiste de la Norvyge, qui, 6migr6 plus tard g Chicago, s'oppose avec v6h6mence aux id6es de Skrefsrud dans la presse norv6gienne de cette ville. I1 est important de r6aliser que l'illettrisme est en train de disparaitre en Norvyge B cette 6poque, oii il ne concerne probablement que quelque 5 % des recrues militaires (La Suede, 1%, le Danemark, 3 %). En France, en 1875, ce chiffre s'61~ve encore i 18 % (HOBSBAWM, 1978).

(15) Ce mouvement religieux, issu des paysans et des immigr6s de la campagne dans les villes (MOLLAND, 1969d), a contribu6 i cr6er une opposition, lettr6e mais populaire, i la classe dominante des bureaucrates. Le d6fi que repr6sente le haugianisme pour l'61ite norv6gienne apparait trbs bien dans deux romans de Alexander KIELLAND - chefs-d'oeuvre de la littdrature norv6gienne : Skipper Worse (le capitaine Worse) et, pour le mouvement puritain qui succhde i Hauge, Sankthansfest (fete de St. Jean). Cet auteur naturaliste s'est inspird de Zola (STORSTEIN, 1949, pp. 22-27 et 44-50).

103

This content downloaded from 195.78.109.119 on Fri, 13 Jun 2014 21:45:31 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 7: Une Église nationale pour les Santal: Du romantisme scandinave à l'orthodoxie luthérienne

ARCHIVES DE SCIENCES SOCIALES DES RELIGIONS

pidtiste (16) de la ville, lui conseille d'aller i Berlin, en lui donnant une lettre de recommandation adress6e t un certain Danois, Borresen (17).

C'est done i Berlin que Skrefsrud rencontre le couple avec lequel il partagera ses projets le restant de ses jours, les Borresen. N6 i Copenhague en 1825, Birresen est un maitre m6canicien, venu travailler i Berlin. Influenc6 par le milieu pi6tiste de la capitale prussienne, il ddcide de se consacrer i la mission. C'est dans ce milieu qu'il rencontre sa femme, Caroline Hempel, n6e en 1832 dans le Brandenbourg, fille d'un industriel pi6tiste qui, aprds avoir fait faillite, travaille pour une compagnie i Berlin. Les Scandinaves pi6tistes qui viennent suivre des 6tudes thdologiques visitent rdgu- librement la maison du couple. Skrefsrud, qui arrive en 1862, rejoint l'6cole de thdologie de Gossner (18) et il va frdquenter l'Eglise de Bethl6em, oii Gossner lui-m~me avait prichd. A Berlin, Skrefsrud loge chez les Boirresen et ils font le projet de partir ensemble en Inde et de s'dtablir au Bengale. Avant de partir pour l'Inde, Skrefsrud retourne en Norvyge oii il 6pouse Anne Onsum qui partage son d6sir de devenir missionnaire.

LES INFLUENCES QUI MARQUENT SKREFSRUD

Les deux fondateurs sont originaires d'un milieu pidtiste et le mot Eglise d6signe, pour eux, avant tout la communaut6 des croyants. Sous l'inspiration de sectes comme les Herrnhutistes, la vdritable Eglise n'est pas celle de l'Etat mais le noyau des adeptes de l'6veil religieux, administr6e par un conseil des anciens - sur le moddle de l'Eglise primitive (19).

(16) En Norvyge, au d6but du XIXe sidcle dans les milieux du christianisme populaire, les Haug6ens et les Herrnhutistes - puritains et pi6tistes - s'opposent fortement. Parmi les meilleures sources, citons les romans de Kielland, qui d6crit pr6cis6ment sa ville natale de Stavanger. Le romancier fait preuve d'une certaine sympathie pour les < anciens croyants >>, les Herrnhutistes, dont il reconna"it la sinc6rit6 religieuse. En revanche, Kielland n'a que du m6pris pour les Haug6ens, opportunistes incarn6s. Son d6dain pour leurs successeurs, les puritains des ann6es 1870-1880, se manifeste dans l'appellation qu'il utilise pour eux, < les lapins >> (STORSTEIN, 1949, pp. 22, 44-47).

(17) Il existe plusieurs biographies de Skrefsrud. La meilleure est celle de HODNE, 1966, mais on peut citer aussi: HALL, 1922; RONNING, 1940; DOHL, 1944. Pour H.P. Birresen, citons trois biographies: BIRKELAND, 1901; LUDVIGSEN, 1952; GJESING, 1961.

(18) Gossner est nd d'une famille catholique en Bavibre en 1773. I1 poursuit ses 6tudes & Augsburg et devient pr~tre en 1796. I1 s'dloignera du catholicisme pour pracher dans un esprit protestant, ce qui lui vaudra d'&tre d6mis de ses fonctions de pr&re en 1817. Aprbs avoir s6journ6 en Russie i la cour du tsar Alexandre ler, Gossner devient en 1829, pr0tre de l'Eglise de Bethl6em i Berlin, un des centres de l'6veil religieux (MOLLAND, 1969c; HOLSTEN, 1949; LOKIES, 1956).

(19) Les Herrnhutistes utopistes, d'aprbs le nom m~me de leur colonie, Herrnhut, install6e sur la

propri6t6 de Zinzendorf en Saxonie se sont plac6s < sous la protection de Dieu >>. Ils se d6tachent graduelle- ment de l'Eglise de l'Etat de Saxonie. La secte se distingue par certaines pratiques, tel le mariage par tirage au sort, coutume qui garantit aux yeux des adeptes de cette communaut6 que la volont6 divine peut s'accomplir. Les Herrnhutistes s'illustrent par leurs activit6s missionnaires chez les paiens aux Caraibes (1732), au Groenland (1733), et chez les Indiens d'Amdrique (1734) - pour ne citer que quelques-unes de leurs missions. En Europe, la secte trouve des adeptes en Norvyge i partir de 1737. Le r61e de cette communaut6 dans les activit6s missionnaires est unique : les 25 000 membres que compte la secte en Europe et les 46000 regroup6s aux Jdtats-Unis s'opposent aux 210000 membres convertis dans les missions (MOLLAND, 1969a et b). L'influence herrnhutiste a inspir6 le zble missionnaire qui caract6rise encore aujourd'hui les milieux chr6tiens de Norvyge.

104

This content downloaded from 195.78.109.119 on Fri, 13 Jun 2014 21:45:31 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 8: Une Église nationale pour les Santal: Du romantisme scandinave à l'orthodoxie luthérienne

UNE EGLISE NATIONALE POUR LES SANTAL

Nous avons 6voqu6 les r6unions des Haug6ens auxquelles Skrefsrud avait assist6 dans son enfance. N6 au sud-est de la Norvige, Hans Nielsen Hauge (20) s'inspire de Luther et de Seeberg, un pasteur marqu6 par le courant Herrnhutiste. Certes, Hauge trouve les id6es de Seeberg trop sentimentales, car il lit les grands auteurs du Luthdranisme orthodoxe danois, Arndt et Pontopiddan. Hauge d6crit plus tard le d6chirement qu'il a v6cu, pris entre sa vocation religieuse et le d6sir qu'il a de s'enrichir dans le commerce. Or, en 1796, alors qu'il travaille dans les champs en chantant un psaume, il 6prouve une joie indescriptible : il << est stir que Dieu l'a appel6 pour t6moigner de son existence et pour convertir les hommes >>. D~s 1797, il voyage dans toute la Norvyge, jusqu'a Tromsi dans le nord, tout en prechant malgr6 sa qualit6 de lai'c. Ses livres remportent un succ~s consid6rable mais il passe plusieurs ann6es en prison pour avoir pr~ch6 sans l'autorisation de l'Eglise et meurt en 1824.

Si Hauge critique certaines pratiques de l'Eglise, il ne la quitte jamais, se consid6rant toujours comme un Luth6rien orthodoxe. Hauge se distingue des Herrnhuttistes par l'importance qu'il accorde aux bonnes actions et au don de grace. La position religieuse de Hauge se situe au confluent des courants pi6tistes et puritains, et rappelle certainement l'esprit protestant chez Weber (1964). Les id6es de Hauge animent les d6bats de la vie chr6tienne tout au long du XIXe sidcle - et bien apr~s (21). On dit de lui qu'il est l'homme qui a le plus marqu6 l'Eglise norv6gienne depuis Luther. L'opposition de Hauge t l'Eglise officielle d6finit bien l'axe du d6bat : ,quel r81e doit-on attribuer aux institutions cr66es par l'homme (Eglise, 6ducation, Etat) dans la vie chr6tienne ? C'est bien dans ce contexte, que Gisle Johnson, professeur de th6ologie i Christiania depuis 1849, devient l'architecte de l'Eglise norv6gienne. Dans le contexte plus large du luth6ranisme, Johnson, qui an6antit les derniers vestiges du rationalisme au sein de cette Eglise d'Etat, repr6sente le c6t6 pi6tiste et populaire. Se d6marquant des tendances haugiennes, ce th6ologien pr~che l' orthodoxie, n' admettant pas que la confession d' Augsburg permette aux laics de pracher - sauf en situation de p6ril (Hamre, 1986, pp. 13-17).

Skrefsrud, bien sfr, se situe aux antipodes de cette conception ; que son ami Georg Sverdrup, professeur au s6minaire norv6gien d'Augsburg au Minnesota, exprime assez bien (22). Ce courant nie, en effet, la m6diation individuelle (<< agency >>), qui, pour

(20) Le proph~te norv6gien considbre que l'inactivit6 est le pire des p6ch6s. Quand il voyage i pied, il tricote toujours. De mime, il n'accepte jamais l'hospitalit6 d'une famille sans travailler pour elle. Il fait du commerce comme ses disciples et i partir de 1801, dirige i Bergen, une firme exportant du poisson. Cette entreprise est, comme d'autres de la secte, organis6e sur le modble d'une coop6rative religieuse, mime si un individu y figure comme propri6taire. Cependant, cette forme d'organisation suscite les critiques de ses adversaires qui l'accusent de vouloir s'enrichir aux d6pens des autres (BANG, 1924; MOLLAND, 1951; KULLERUD, 1996).

(21) Cf. HEGGTVEIT, 1905/1920; MOLLAND, 1951; AARFLOT, 1967. (22) Quand Skrefsrud visite l'Am6rique en 1894-1895, le milieu luth6rien norv6gien est divis6 en six

congr6gations diff6rentes. Skrefsrud est pris dans les conflits qui opposent le d synode norv6gien > - plus proche de l'Eglise d'Etat de ce pays - et la < conf6rence norv6go-danoise > h laquelle appartient Sverdrup, et qui revendique les id6es cit6es ici. Le s6minaire d'Augsburg appartient i la < conf6rence >, mais le synode norv6gien essaie de s'emparer de l'institution, voulant faire de leur < Luther College d (aujourd'hui d St Olav College >) le seul s6minaire norv6gien en Amdrique. Malgr6 ses efforts pour rester neutre, Skrefsrud n'6vite pas de s'identifier i ce dernier mouvement, car sa visite en Am6rique est organis6e par le collbgue de Sverdrup, S. Oftedal, frbre de L. Oftedal, chef des d Lapins > critiquis par Alexander Kielland (HAMRE, 1986; NYHAGEN, 1990, II, pp. 223-225). Sverdrup devient, pour Skrefsrud, un ami proche, et on a l'impression qu'il trouve enfin, dans le milieu religieux de la conf6rence, une communaut6 chritienne qui correspond i ses propres id6aux (NYHAGEN, op. cit, pp. 220-229).

105

This content downloaded from 195.78.109.119 on Fri, 13 Jun 2014 21:45:31 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 9: Une Église nationale pour les Santal: Du romantisme scandinave à l'orthodoxie luthérienne

ARCHIVES DE SCIENCES SOCIALES DES RELIGIONS

certains auteurs, incarne la doctrine protestante de la responsabilit6 humaine (Asad, 1996, pp. 271). Pour Sverdrup, l'Esprit Saint s'exprime par les membres de la congr6- gation qu'il inspire, et le salut r6sulte de la foi que Dieu cr6e chez l'homme. <L'Eglise >, affirme-t-il <est un royaume terrestre fond6 sur la foi et l'amour. Elle exige sa libert6, pour que ses membres puissent librement d6clarer leur foi >... et, cette position implique n6cessairement la libert6 doctrinale de toute Eglise - car Dieu peut donner h chacun des visions assez diff6rentes, mais qui toutes sont vraies.

Plus tard, la mission trouve son premier soutien en Scandinavie non en Norvyge, mais au Danemark, dans la personne d'un jeune pasteur, Ludvig Hertel. Ce dernier, fils d'un pasteur qui s'est r6fugi6 devant l'occupation allemande de Schleswig-Hols- tein depuis 1864, est Grundtvigien.

Ii n'est pas facile de caract6riser le point de vue thdologique de NFS Grundtvig. Certainement, le pasteur danois souligne l'importance du << Verbe vivant> qui s'est manifest6, selon lui, dans l'Eglise chr6tienne dds ses d6buts, et surtout dans la d6claration du baptime. Mais avant tout, Grundtvig incarne l'id6e m~me d'Eglise nationale. Au d6but, le mouvement Grundtvigien est 6troitement li6 a la d6fense (parfois reli6 au dscandinavismed) de la frontibre vers le sud. De plus, pour lui l'ancienne litt6rature nordique, pr6-chr6tienne, incarne les valeurs humanistes du christianisme. La po6sie de Grundtvig ophre une synthdse entre le panthdon nordique et I'dloge de la nature et de la jeunesse pour produire un nationalisme d6mocratique et un christianisme libdral qui s'opposent au puritanisme. Par exemple, le mouvement Grundtvigien au sein duquel Skrefsrud compte des amis est a l'origine de colldges populaires - les < folkehijskoler > - dont le programme assez libre intdgre surtout des traditions nationales et chr6tiennes, dans un esprit non l61itiste (23). En effet, on peut voir en Grundtvig le fondateur de la culture lib6rale de la Norvdge et, surtout, du Danemark.

L'ARRIViE DES MISSIONNAIRES EN INDE

Envoy6s par la soci6t6 de Gossner (24), Skrefsrud, les Borresen et Anne Onsum arrivent en Inde. Sur le terrain, les missionnaires de cette soci6t6 s'organisent assez librement en assurant, autant que possible, leur subsistance. Ils tentent de s'6tablir parmi diff6rentes communaut6s (25) sans toujours remporter les succds escompt6s.

(23) Grundtvig et ses disciples veulent cr6er, avec les < folkehijskoler >, une alternative aux 6coles et aux universit6s d'Etat mais proposent aussi une culture diff6rente. Ces <hautes 6coles populaires >> ne dispensent pas de formation professionnelle, mais une <bildung> (formation de l'esprit) fond6e sur les traditions populaires et les valeurs indighnes. Pour la France, on trouve peut-&tre dans l'Emile de ROUSSEAU, le parallble le plus proche de la conception de l'6ducation de Grundtvig.

(24) Gossner fonde sa soci6t6 missionnaire en 1836 et envoie ses premiers missionnaires en Inde en 1839, dans la plaine gang6tique puis parmi les Gond du Madhya Pradesh. Par la suite, la mission poursuit ses activit6s au Chotanagpur oi leurs premiers convertis sont des Oraon.

(25) Notamment chez les Kol du Bihar qu'ils voient travailler comme coolies sur les chantiers de Calcutta, au bord de la rivibre Hooghly.

106

This content downloaded from 195.78.109.119 on Fri, 13 Jun 2014 21:45:31 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 10: Une Église nationale pour les Santal: Du romantisme scandinave à l'orthodoxie luthérienne

UNE EGLISE NATIONALE POUR LES SANTAL

Depuis 1850, les Gossndriens ont tent6 de convertir des Oraon (26) au Chotanagpur. C'est dans cette r6gion que Skrefsrud et ses amis tenteront de s'dtablir mais aprbs quelques ddconvenues, qui ne sont pas sans lien avec la guerre qui oppose la Prusse au Danemark (27), ils d~cideront de gagner le Bengale.

La famille bengalie qui a pr&t6 une maison & Skrefsrud et t ses amis est baptiste, ce qui leur permet d'6tablir des liens avec cette communaut6 (28) qui va les soutenir financiarement et moralement. Citons parmi ces derniers, le missionnaire R. Leslie, qui avait parcouru le pays santal en 1834, et J. Phillips, 6galement missionnaire, qui avait deja effectu6 des travaux linguistiques sur la langue santal et entrepris l'6vang6- lisation de cette population.

En 1867, les Scandinaves arrivent & Rampur Hat, t la frontibre des Santal Parganas. Leur collaborateur est le missionnaire R. Johnson qui s'est r6cemment converti au baptisme. Skrefsrud, lui-m~me, accepte un deuxitme baptime en 1868, mais redevient Luth6rien plus tard, quand il cherche le soutien des Scandinaves. Ces diffdrences thdologiques, qui lui paraissent mineures t cette 6poque, prennent plus d'ampleur quand les Scandinaves, cherchant leur ind6pendance, provoquent la rupture avec les baptistes vers 1870 (29).

LES STRATEGIES DES MISSIONNAIRES

Johnson et ses compagnons scandinaves fondent ensemble une station <<Ebene- zer>> b Benagaria, t 12 miles de Rampur Hat, oi ils installeront les premieres presses chr6tiennes, pour imprimer, d~s 1874, des journaux en santali. C'est & Ebenezer qu'on 6tablit les pensionnats; la mission gbre aussi, de sa propre initiative, mais pour le

(26) La mission avait progress6 et comptait 700 convertis en 1857. Plus tard, l'Eglise des Gossn6riens devient la plus grande des Eglises parmi les tribus au centre de l'Inde. Les Oraon, tribu dravidienne du Chotanagpur se sont davantage convertis au christianisme que les Santal.

(27) Le Schleswig-Holstein a connu de nombreux conflits frontaliers au moins depuis le IXe sidcle. Le conflit entre la Prusse et le Danemark 6clate en 1848, quand la population allemande des duch6s de Slesvig et de Holsten, demande une constitution lib6rale. Le roi danois, titulaire des duch6s, refuse, et les Danois repoussent l'attaque des forces allemandes venues A l'aide des rebelles. Or, en 1863, la lign6e royale danoise s'6teint et les Allemands font valoir que le nouveau roi, Christian IX, n'a aucun droit sur le Slesvig et le Holsten. L'arm6e de la conf6d6ration allemande, essentiellement prussienne, envahit les duch6s en f6vrier 1864, et en juin les Danois sont battus. Les deux duch6s deviennent allemands, jusqu'en 1920, quand le nord de Slesvig est restitu6 au Danemark. Cette guerre a profond6ment marqu6 la conscience nationale au Danemark.

(28) Depuis la r6forme, on rencontre des communaut6s anabaptistes en Europe. Ces communaut6s, on le sait, s'opposent au bapt~me des enfants. Depuis 1643, cette secte 6tablie en Angleterre d~s 1609, a pratiqu6 le baptime par immersion et a gard6 pour cette raison le nom de d baptistes >. Les baptistes se sont intdressds aux missions vers la fin du XVIIIe sidcle. Citons parmi leurs pionniers, J. Bunyan, Spurgeon et, surtout, W. Carey (1761-1834) qui - en Inde - devient une des figures 6minentes du christianisme du XIXe sitcle.

(29) Cette rupture entre la mission scandinave et les baptistes introduit une sdrie de complications que nous n'abordons pas ici. Ainsi l'ann6e de fondation de la mission, du point de vue scandinave, est 1867, mais cette ann6e la mission 6tait encore baptiste : la rupture d6finitive n'aura lieu qu'en 1874 (HODNE, 1966, pp. 71-122). La position de Skrefsrud concernant le baptime n'est jamais trbs claire; il parait sceptique au sujet du baptime des enfants toute sa vie (cf. note 34).

107

This content downloaded from 195.78.109.119 on Fri, 13 Jun 2014 21:45:31 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 11: Une Église nationale pour les Santal: Du romantisme scandinave à l'orthodoxie luthérienne

ARCHIVES DE SCIENCES SOCIALES DES RELIGIONS

gouvernement, un grand nombre d'dcoles de village - Borresen parle d'une centaine A la fin de 1'annde 1883. Dans ces 6coles, pourtant, les instituteurs sont pour la plupart paiens (30).

Au d6but de 1872, les missionnaires se sentent davantage admis par les Santal. Dbs les quatre premieres anndes, certains convertis, une femme du nom de Hinduma et un homme, Hatia, se montrent trbs z61ds i propager la foi chrdtienne (Hodne, 1966, p. 168). Les premiers catdchistes santal Siram et Hindu sont nomm6s en 1870 (4th Annual Report). En 1873, on compte 275 convertis organis6s en sept petites commu- nautds.

Jusqu'en 1874 le travail des missionnaires se heurte pourtant t la rumeur villa- geoise. Les chefs santal s'inquidtent craignant qu'en introduisant une nouvelle reli- gion, les protestants ne d6truisent le caractbre distinctif des Santal que ces derniers d6finissent comme leur coutume, colon.

Convertir les chefs, telle 6tait la strat6gie de Skrefsrud qui, d'ailleurs, s'identifiait complktement t cette image des chefs, dont il essayait d'imiter en santal, I'art oratoire. Matru pargana (31), un chef de district trbs influent qui exerce son autorit6 sur trente six manjhi, chefs de village, mbne l'opposition, second6 par son frbre Naran qui, lui, est pargana t Benagaria. Matru convoque les chefs et ddcide qu'ils chasseront les missionnaires, en ddclarant que les Santal convertis ne font plus partie de la tribu (samaj). Sur ces entrefaites, on arr~te Matru qui, aprbs huit mois de prison, est lib6r6. I1 est trbs faible quand Skrefsrud parvient i le gudrir, non sans l'avoir baptis6, en janvier 1873. Cette conversion marque le d6veloppement du christianisme dans le district.

Dans le cinquibme rapport annuel (1872-1873), Skrefsrud fait 6tat de deux grandes assembl6es de chefs qu'il organise et oi il est d6clar6 que les Santal convertis ne perdront aucun de leurs droits. En 1873, Skrefsrud obtient un statut juridique pour le mariage des convertis mais d6cide d'6viter toute coupure radicale entre chr6tiens et non-chr6tiens, m~me si les relations deviennent parfois hostiles entre les deux com- munaut6s.

En 1874, on assiste au progrbs spectaculaire de la mission dfi i la famine qui s6vit au Bengale. Biirresen demande au Deputy Commissioner l'autorisation de superviser des travaux d'irrigation dans le district afin de pr6venir la s6cheresse, cause de la famine. I1 profite de l'occasion pour adresser de grands sermons aux milliers de travailleurs santal embauch6s pour ces chantiers. Ce travail de precheur porte ses fruits et Birresen baptise un grand nombre de nouveaux convertis. Cette situation d'urgence permet aux Santal convertis de pricher les non-chr6tiens qui se pressent pour en savoir plus. Grace au zble des premiers chr6tiens, on d6nombre 1 600 conversions en 1874 (32).

(30) La Church Missionary Society (anglicane) a d6ji requ des subventions pour ses coles en pays santal depuis 1861. Ce cas 6tablit un pr6c6dent : la mission paie la moiti6 des frais de ses propres fonds, et les 6coles ne doivent en aucune fagon propager la religion chr6tienne (METCALF, 1990, pp. 94-95).

(31) Le pargana est le chef traditionnel de douze villages qui rbgle les conflits inter-villageois qui lui sont soumis lors de la chasse annuelle. Le manjhi ou chef d'un village santal est le descendant des anc~tres qui ont fond6 le village et sont honor6s publiquement.

(32) 8th Annual Report : 18. Le Indian Evangelical Review, juillet 1875, p. 95, parle de 1650 convertis, le chiffre le plus l61ev6 de toutes les missions en Inde cette ann6e-li.

108

This content downloaded from 195.78.109.119 on Fri, 13 Jun 2014 21:45:31 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 12: Une Église nationale pour les Santal: Du romantisme scandinave à l'orthodoxie luthérienne

UNE EGLISE NATIONALE POUR LES SANTAL

N6anmoins, ce succbs provoque l'animosit6 de l'opinion publique et plusieurs journaux (Times, The Englishman) critiquent les missionnaires scandinaves qui pro- fitent de la ddtresse des villageois pour les convertir. L'Iglise catholique en Inde, bien stir, r6agit dans le m~me sens. P.O. Bodding s'explique bien plus tard sur ce point (dans le 52nd Annual Report) et d6clare que les Santal attribuent la famine A la colbre de Dieu et qu'ils ont done voulu changer de religion, car ils ont pris conscience de vivre dans l'erreur en ignorant Dieu.

En 1874, l'Eglise compte deux mille adultes et quatre mille enfants et forme une communaut6 influente bien qu'essentiellement localis6e. Les missionnaires divisent la r6gion i 6vangl61iser en des congr6gations ayant chacune d'elles un d pasteur d santal t sa tate (33). Mais, aprbits la croissance qui marque les dix premibres ann6es, on note une baisse sensible du nombre des conversions, i laquelle s'ajoute la tiddeur de certains convertis.

De 1867 i 1877, la mission santal est baptiste et il n'apparait pas n6cessaire de red6finir son cadre thdologique puisque chaque fiddle doit 8tre gagn6 par la grace du baptime. Dans les premibres ann6es, on pratique le baptime par immersion des adultes et ce n'est que plus tard, et apris beaucoup d'h6sitations (34) qu'on y ajoute le baptime des enfants.

LE TRAVAIL LITTERAIRE DE SKREFSRUD

Bon phon6ticien, passionn6 de grammaire, Skrefsrud est un linguiste hors pair dont les travaux ont fortement contribu6 i sauvegarder la richesse de la langue santal. Au d6but de son sdjour, Skrefsrud lorsqu'il preche, utilise syst6matiquement des m6taphores pour faire comprendre la port6e symbolique de son message. Ainsi, dit-il i un homme - qui se plaint que sa femme l'a quitt6 - qu'il a trouv6 dans l'Eglise une seconde 6pouse. Plus encore, il chasse avec les Santal et n'h6site pas i transposer les paraboles des Evangiles dans des images emprunt6es i la vie quotidienne : ainsi, I'ours blessd qui se retranche dans sa tanibre repr6sente celui qui r6siste i l'appel du Christ qui, tel un pr~tre de la chasse, da lev6 la branched (35) en signe de ralliement pour appeler i lui les fiddles. Toutefois, le missionnaire n'h6site pas non plus i rabaisser les bonga, les divinit6s tribales, dbs qu'il en a la possibilit6, leur d6montrant qu'elles volent l'ame des Santal et la d6tournent de Dieu (36).

(33) Les d pasteurs ,> sont des Santal convertis mais pas encore ordonn6s; I'ordination formelle des pr~tres ne commence qu'en 1874.

(34) C'est surtout Skrefsrud qui h6site i adopter le bapteme des enfants. Dans sa correspondance on retrouve, d'abord, la conviction que seul l'adulte, conscient de son choix, doit 8tre converti et baptis6. C'est surtout i L. Hertel qu'il communique ses doutes concernant le baptime, et il est fort probable que c'est la r6action de ce dernier qui finit par convaincre le Norv6gien qu'il doit se soumettre aux dogmes luth6riens s'il souhaite trouver du soutien en Scandinavie (voir aussi HODNE, 1966).

(35) << Lever la branche >> signifie brandir en l'air une branche de sarjom (Shorea robusta, L.) arbre symbolisant les anc&tres. Pour fixer une date, un chef plante la branche et le nombre de feuilles qu'elle porte doit indiquer le nombre de jours devant s'6couler avant le rendez-vous.

(36) Dans sa correspondance Skrefsrud affirme que le culte des divinit6s tribales est une pratique idolatre, dict6e par la peur.

109

This content downloaded from 195.78.109.119 on Fri, 13 Jun 2014 21:45:31 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 13: Une Église nationale pour les Santal: Du romantisme scandinave à l'orthodoxie luthérienne

ARCHIVES DE SCIENCES SOCIALES DES RELIGIONS

D~s son arriv6e en Inde, Skrefsrud avait approfondi ses connaissances des langues classiques en 6tudiant le persan, le sanscrit, I'arabe et l'h6breu avant d'entreprendre d'6crire des grammaires compar6es des langues tribales. L'oeuvre, rest6e inachev6e, ne sera jamais publi6e. N6anmoins, d~s 1869, Skrefsrud 6crit une grammaire de la langue santal, et son travail linguistique lui vaut un doctorat honoraire de l'universit6 d'Oslo.

Skrefsrud avait collect6 plus de 12000 mots pour la pr6paration du dictionnaire de caractbre encyclop6dique en cinq volumes, qui sera publi6 soixante ans plus tard par son successeur, P.O. Bodding. Skrefsrud veut pr6server les coutumes santal en supprimant, toutefois, la signification religieuse des bonga. C'est ainsi qu'aid6 d'un guru santal, Kolean, il publie une sorte d'inventaire des traditions tribales, Horkoren Mare Hapram Ko (1887), destin6 aux futures g6n6rations chr6tiennes, lesquelles ne doivent pas oublier leur h6ritage culturel. Plus tard, Bodding retire le livre de l'ensei- gnement des 6coles chr6tiennes, le jugeant pernicieux.

Le travail de traduction des Ecritures, d'une qualit6 rare, suscite parfois des pol6miques entre le missionnaire norv6gien et les lettr6s des autres congr6gations (37). La premiere traduction, termin6e en 1885 par Skrefsrud, est celle du cat6chisme de Luther. La traduction de l'Ancien Testament en santali commenc6e par Skrefsrud est achev6e par Bodding en 1910 et le Nouveau Testament en 1927 (38). Skrefsrud traduit des hymnes scandinaves mais pr6fbre bient6t composer des hymnes directement en santal. Il est second6 dans cette tache par un porte santal, Sibu Besra et tous deux r6introduisent dans ces compositions les douze tons des chants traditionnels.

N6anmoins l'oeuvre la plus originale de Skrefsrud est de fonder en 1890 un p6riodique chr6tien Hor hoponren Pera (l'ami des Santal) qui est encore publi6 de nos jours, sous un titre diff6rent. Ce mensuel, r6dig6 par Skrefsrud, contient des articles 6ducatifs concernant l'histoire et la religion et destin6 h pr6senter le monde ext6rieur notamment la Norvyge (39) aux lecteurs santal. Le contenu 6ducatif de ce p6riodique est simple, car il s'agit autant d'affermir la foi que d'instruire les esprits qui avant tout doivent t6moigner de leur joie int6rieure.

(37) Avant que Skrefsrud ne commence son travail linguistique, J. PHILLIPS de L'American Free Baptist Mission Society a publi6 en 1852 une grammaire de santali accompagn6e de quelques textes et d'un vocabulaire. Au nord des Santal Parganas, un autre religieux de confession anglicane, avait publi6, un livre de priares et des psaumes vers 1868, pr6f6rant, lui, utiliser l'alphabet roman pour ses transcriptions. Les difficult6s pos6es par la traduction des Ecritures suscitent des diff6rends entre les missionnaires mais ils finissent par tomber d'accord. Traduire Dieu par Thakur (Seigneur), comme le fait Skrefsrud, nous semble difficile en d6pit de ses affirmations. La Free Will Baptist Mission, amdricaine, choisit le terme sanscrit Ishvar (Maitre), pour traduire Dieu. N6anmoins, ces diff6rentes traductions font problbme, car i l'6poque des Santal hindouis6s, membres de la secte des Kherwar, rendent un culte au dieu hindou Shiva, sous les diffdrentes appellations de Thakur et d'Ishvar. Les pol6miques autour de la traduction du nom de Dieu se retrouvent dans la presse chrdtienne de Calcutta et dans celle de Londres, et d'autres capitales d'Europe, telles Stockholm ou Copenhague.

(38) Skrefsrud commence t traduire la Bible dis le d6but. Sa traduction du Nouveau Testament est

prate en 1880, mais elle n'est publi6e que plus tard par Bodding. L'Ancien Testament, que Skrefsrud commence i traduire en 1890, est publi6 en 1914 (HODNE, 1966, pp. 223-231).

(39) C'est surtout une Norvbge rurale, peupl6e de croyants vertueux qui est d6crite dans le p6riodique santal. Le prophite Hauge est un des premiers noms occidentaux qui figurent dans le journal apras les noms bibliques et celui de Luther. Le courrier des lecteurs permet aux convertis de s'exprimer et leurs lettres sont reproduites dans les mensuels europ6ens 6dit6s par les comit6s de soutien scandinaves.

110

This content downloaded from 195.78.109.119 on Fri, 13 Jun 2014 21:45:31 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 14: Une Église nationale pour les Santal: Du romantisme scandinave à l'orthodoxie luthérienne

UNE EGLISE NATIONALE POUR LES SANTAL

UNE MISSION INDEPENDANTE : LE PROJET D'UNE EGLISE NATIONALE

Dbs le d6but, I'oeuvre de Skrefsrud et de Bdrresen est marqude par leur souci de respecter la culture tribale. Leur but principal est d'6tablir une Eglise santal ind6pen- dante, non subordonn6e aux baptistes, ou i l'Eglise norv6gienne ou danoise et que les Santal pourront un jour diriger (40). Le module que les fondateurs ont en tete est celui de dla premiere Eglise >>, <<l'Eglise originelle d, ou <l'Eglise apostolique >, sans que l'on trouve, chez eux, de prdcision concernant le fondement thdologique d'une telle institution. Il s'agit, d'apr~s A. Malme (cit6 par Hodne, 1966, p. 195), d'6tablir dune sorte d'oecum6nisme du caractbre indigene plut8t qu'une d6nomination stricte >>. dNous n'avons pas commenc6 , dit Skrefsrud lors d'une visite en Suede, <par enseigner le cat6chisme de Luther ou quelque autre, mais nous avons essay6 de les mettre B genoux, en pribre.... C'est seulement quand ils ont senti la vie spirituelle dans leurs coeurs, que nous leur avons prodigu6 notre enseignement.. (41). En effet, la liturgie pratiqu6e chez les Santal reste simple et assez originale jusqu'en 1894 et on d6clare t la fin de la messe l'adh6sion aux croyances apostoliques, sans pour autant pr6ciser cette thdologie.

Une telle Eglise n'a gu~re besoin de thdologiens pour pracher l'Evangile. d Je suis convaincu >, 6crit Bdrresen en 1883, dque la pratique de pracher, de diriger l'Eglise et la capacit6 de s'associer avec les chr6tiens aussi bien qu'avec les paiens, en se laissant diriger par l'Esprit Saint, sont bien plus importantes que l'examen - sec et rigide - d'une universit6 >~. Dans la m~me lettre, adress6e a Dr. Graham a Edinbourg, l'un des principaux soutiens de la mission santal au Royaume-Uni, Bdirresen assure son interlocuteur qu'il ne manque pas de jeunes Santal prets a assumer les responsa- bilit6s de pasteur (42). Cette absence de dogmatisme implique bien l'ind6pendance de leur Eglise qui n'existe encore qu'en projet. C'est encore cette ind6pendance que les deux fondateurs de l'Indian Home Mission to the Santals cherchent a pr6server avec jalousie en finangant leur mission par des contributions volontaires, qu'ils regoivent des communaut6s chr6tiennes en Inde. Or, ayant requ l'aide des baptistes anglais au d6but de leur carribre, les deux luth6riens craignent le conflit qui surgit quand la Baptist Mission Society les accuse d'avoir vol6 leur terrain et leurs batiments. On peut soupponner que l'arrangement juridique conclu, qui fait d'eux les gardiens (trustee) de la propri6t6 d'une Eglise nationale pour les Santal (43), repr6sente un moyen

(40) En 1889-1890, on compte cinq pasteurs santal, quatre-vingts anciens <itindrants charg6s de pricher, cinq cat6chistes, dix-huit diaconesses, plus le personnel enseignant qui compte aussi des Bengalis. Cette ann6e, neuf Occidentaux font partie de la mission, dont six missionnaires (23rd Annual Report). En 1947, on compte plus de cent missionnaires occidentaux (Annual Report, 1947, p. 3; HODNE, 1992, p. 437) : le nombre de Santal actifs dans la mission est loin d'avoir augments en proportion.

(41) HODNE, 1966, p. 193, cit6 de Goteborgs Weckoblad, 18 octobre 1883. (42) Lettre de Borresen & Graham, 10 mars 1883 (Dahkwala no 7, juillet 1883, p. 102). (43) Un <<trustee deedd implique, dans le droit britannique, qu'une ou plusieurs personnes sont

nommdes gardiennes d'une propri6t6 qui appartient i un tiers incapable, pour quelque raison, d'en prendre charge lui-m~me. Dans ce cas, Skrefsrud et Birresen administrent ainsi des biens qui appartiennent, juridiquement b cette entit6 encore n6buleuse, l'Eglise nationale santal. En d'autres mots, tous les biens de la mission appartiennent aux Santal, et aucune alteration de ce document ne peut se faire sans leur accord, sauf pour la nomination des gardiens. Ce document va cr6er bien des problbmes, car les successeurs de Skrefsrud et Bodding n'en comprennent pas toujours les implications, qui ne leur conchdent qu'une libert6 r6duite. Or, les Santal n'ont aucun droit de devenir leurs propres <( trustees >.

111

This content downloaded from 195.78.109.119 on Fri, 13 Jun 2014 21:45:31 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 15: Une Église nationale pour les Santal: Du romantisme scandinave à l'orthodoxie luthérienne

ARCHIVES DE SCIENCES SOCIALES DES RELIGIONS

d'6chapper aux demandes des baptistes qui voudraient soit exercer une certaine autorit6 sur la mission santal, soit reprendre les biens qui servent de base aux missionnaires scandinaves. En effet, l'accord juridique ne mentionne meme pas l'organisation baptiste.

Skrefsrud entend donner une forme santal t l'Eglise qu'il veut fonder en d6fendant deux grandes id6es : organiser simplement une Eglise destin6e i des gens <<primitifs >> et non 6duqu6s. Cette Eglise doit done 8tre conque sur le module d'une communaut6 apostolique et entretenir des rapports harmonieux avec les institutions santal. Pour r6aliser cette entreprise, Skrefsrud est convaincu qu'il doit souligner le caractbre national des coutumes santal et d6fendre l'6galit6 des chr6tiens et des non-chr6tiens.

Skrefsrud participe t la pr6paration des r6formes foncibres en collaborant avec H. MacPherson (1872) au Regulation Land Settlement. Plus tard, en 1880, il pr6sente dans des articles destin6s A la presse anglaise en Inde (Statesman, Friend of India) les demandes que les Santal eux-m~mes ont formul6es h l'6gard du Gouvernement. II

r6dige, en outre, un m6moire comprenant une description du coutumier de justice, adapt6 pour les tribunaux, t l'intention du Gouvernement du Bengale. Ce texte est pris en consid6ration pour pr6parer les r6formes du systhme juridique mis en vigueur dans les Santal Parganas, mais il faudra attendre le Bengal Tenancy Act de 1919 pour prot6ger les Santal des usuriers qui, bien souvent, parviennent i les spolier de leurs terres. De plus, en d6crivant la coutume santal en termes juridiques (droits fonciers, de chasse et de peche, r6gime matrimonial), Skrefsrud incite les Britanniques h reconnaitre la sp6cificit6 culturelle de certains droits et usages qui s'appliquent aussi bien aux Santal traditionnels qu'aux convertis en 6vitant d'avantager trop les chr6tiens aux d6pens des pa'ens (Hodne, 1966, Carrin,1996). Une telle politique est destin6e h pr6venir les conflits qui pourraient opposer les deux communautds. Skrefsrud est devenu un homme d'influence en Inde qui sait aussi convaincre les milieux radicaux en Europe ou au Minnesota parmi la communaut6 norvdgienne.

LE ROLE DES SANTAL DANS LEUR FUTURE EGLISE

L'indig6nisation des d6buts est pensde par les fondateurs de la mission et se traduit par la substitution d'l616ments chr6tiens aux paradigmes de la religion tribale. On d6cble cependant, i partir des ann6es 1880, une 6volution des rapports de pouvoir qui vont conditionner l'histoire de la mission et la faire 6chapper finalement au contr8le de Skrefsrud et de Birresen et t celui des Santal.

De 1874 h 1881, les missionnaires enregistrent leurs premiers succbs. Ayant cherch6 h influencer d'abord les chefs santal, Skrefsrud obtient un certain nombre de conversions. On d6nombre environ deux mille baptimes de 1874 t 1878 puis, 2500 & 3000 bapt~mes par an de 1878 h 1882. Notons que les baptimes d'enfants ne figurent dans ces chiffres qu'h partir de 1878. Le territoire d'activit6 des missionnaires s'agrandit 6galement. Jusqu'en 1876, on appelle pasteurs les leaders des communaut6s qui n'ont pas dt6 ordonn6s. En 1876, Birressen ordonne pour la premibre fois deux pasteurs santal, Siram Soren et Birju.

112

This content downloaded from 195.78.109.119 on Fri, 13 Jun 2014 21:45:31 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 16: Une Église nationale pour les Santal: Du romantisme scandinave à l'orthodoxie luthérienne

UNE EGLISE NATIONALE POUR LES SANTAL

Skrefsrud met en place la premiere organisation rudimentaire de l'Eglise santal composde d'anciens, qui pr~chent de village en village, et de pasteurs (non ordonnds), qui s'occupent du bien-8tre des gens et les guident dans la vie religieuse. On fonde de nouvelles stations. Ainsi, Asanbani - t 13 miles d'Ebenezer - est prise en charge par un Danois, Jensen, de 1878 jusqu'en 1881. Or, quand Jensen rentre, malade, en Europe, le Santal Suna le remplace. Le rapport de 1881-1882 parle de sept stations de la mission. Seul Ebenezer, leur premiere base, est toujours dirigde par un Europden - Birresen; les autres ont toutes des Santal i leur tite (44). La confiance que les missionnaires leur font est illustrde par un exemple : le pasteur Surju ddcide seul de ddplacer sa station i cause de l'humiditd de climat et il batit une nouvelle rdsidence sur une colline dans le voisinage (45). Tandis qu'au ddbut, Skrefsrud et Birresen baptisent eux-m~mes les nouveaux convertis, t partir de 1880, on entend souvent parler de nombre de conversions obtenues par les pasteurs santal.

Dans sa lettre t Dr. Graham, d6j~i citde, Birresen souligne l'importance de ses collaborateurs indigines : << Si nous avions maintenant plus d'Europdens, je ne saurais qu'en faire. Mais si nous obtenons l'aide de missionnaires tels que nous les souhaitons, Dieu les emploiera bien... Je suis absolument certain que nous ne devons compter que sur un nombre tr~s restreint d'Europdens, et que nous devons dlever les Santal i la hauteur de leur tache, comme nous l'avons ddji fait et continuerons ~ le faire. Nous devons 8tre leurs enseignants, leurs conseillers et leurs tuteurs, mais il faut que les Santal soient convertis par les hommes de leur propre pays, en tant que nation ils doivent entendre le Verbe du Dieu de la bouche de leurs propres interprites... (46)>>.

LES PRATIQUES RELIGIEUSES ET LA CULTURE INDIGENE

A leur arrivde, les missionnaires sont frappds par le caractbre ddmocratique des institutions santal qui s'opposent t la hidrarchie qui prdvaut dans le monde des castes. La communautd santal, mende par ses chefs, posside des institutions qui permettent i chacun de s'exprimer et de participer aux ddcisions concernant le village et mdme,

dans certains cas, les affaires claniques. La propension qu'ont les Santal i rdgler leurs problbmes par le discours fascine Skrefsrud. Dbs lors, le fondateur s'applique t faire de la communautd chrdtienne l'expression d'un consensus moral, celui de la commu- nautd 6vang6lique. Cette compatibilitd de structure, exploitde par les missionnaires, permet d'emblde & Skrefsrud d'introduire des substitutions d'dldments t l'int6rieur de la culture santal qui, insidieusement, vont pourtant trahir la coutume aux yeux des convertis.

Certes, certaines institutions mises en place par les missionnaires s'inspirent directement des coutumes santal. Par exemple, Skrefsrud met i l'honneur le kulhi

(44) Cette information se trouve dans le 15 de Aarsberetning for Indisk Hjemmemisjon blandt Santhalernefor Aaret 1881-1882 (traduction danoise du rapport annuel par L. Hertel), Copenhague, 1882, pp. 12-18.

(45) Lettre de Borresen h Graham, 10 mars 1883, Dahkwala, no 7, juillet 1883, p. 102. (46) Lettre, op. cit., p. 103.

113

This content downloaded from 195.78.109.119 on Fri, 13 Jun 2014 21:45:31 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 17: Une Église nationale pour les Santal: Du romantisme scandinave à l'orthodoxie luthérienne

ARCHIVES DE SCIENCES SOCIALES DES RELIGIONS

durup', le rassemblement des Santal au cours duquel tout un chacun - i l'exception des femmes - a le droit de prendre la parole et de mettre en cause les d6cisions des chefs de village ou des pargana, chefs dont I'autorit6, surtout juridique, s'6tend sur douze villages. Skrefsrud transforme le kulhi durup' en une rdunion mensuelle des convertis au cours de laquelle les nouveaux chrdtiens discutent des ddcisions A prendre. Toutefois, pour respecter la coutume, des chefs appartenant aux deux cat6gories cit6es sibgent a la tite de ce conseil. Cette initiative, qui s'inscrit bien dans le cadre de l'indig6nisation des pratiques, n'a plus qu'un lien tres t6nu avec le kulhi durup d'origine qui permet t chacun de contester le pouvoir local. En effet, le rassemblement chr6tien devient davantage une consultation relativement hi6rarchis6e qui permet aux convertis d'une localit6 de soumettre leurs initiatives - la construction de leur Eglise ou de leur 6cole, par exemple - aux dirigeants de la mission, ce qui retarde 6videmment l'ex6cution des projets locaux.

D'autres pratiques visent a affirmer le caractbre santal de l'Eglise : par exemple, les convertis gardent des noms santal pour ne pas se sentir coupds de leur soci6t6. Skrefsrud s'dvertue a 6tablir une continuit6 entre les sacrements chrdtiens et les rites de passage santal : ainsi, d6cide-t-il de faire ondoyer les nouveau-nds, dans l'Eglise, le cinquibme jour de leur naissance, une c6rdmonie qui s'inscrit en parallkle avec la dation du nom (janam chatiar) chez les Santal. De plus, les missionnaires d6cident d'utiliser le tambour, instrument voud a exprimer la solidaritd dans la soci6td tribale, et non la cloche, pour appeler les fiddles. Mais surtout, Skrefsrud dvite d'introduire des diffdrences vestimentaires ou gestuelles entre les Santal traditionnels et les convertis, c'est dans cet esprit qu'il refuse d'imposer le port de vetements occidentaux aux convertis et celui des v~tements sacerdotaux aux pasteurs. Ces ddtails traduisent bien son d6sir de comprendre l'identit6 santal qu'il cherche a saisir dans les moindres nuances.

En de nombreuses occasions, Skrefsrud qui chasse avec les Santal et manie l'art oratoire avec aisance, agit comme un chef, et ses compagnons - reconnaissant son rave - lui d6cernent le titre de pargana. Dans certains cas, il se prend lui-m~me au jeu, se ravisant au dernier moment pour d6nier sa propre fascination et rappeler a chacun le devoir religieux.

Il arrive qu'on pr&te au missionnaire norv6gien des pouvoirs qui l'assimilent, malgr6 lui, a un contre-sorcier santal,jan guru. La rumeur veut que Kerap (nom santal de Skrefsrud) protege les sorcibres et connaisse leur art, une interpr6tation de l'effi- cacit6 du missionnaire qui mbne a bien ses projets. Une rumeur dit que les sorcibres ont commenc6 a dmangerd le b6tail qui d6p6rit. Certains des chefs, prenant cet incident au s6rieux, menacent les suspectes d'un chitiment que leur r6serve Kerap qui - connaissant la magie des sorcibres - peut aussi la contr81er. Les chefs d6clarent aux femmes qu'ils soupponnent que Skrefsrud va les d6porter dans une ile peupl6e de terribles cannibales unijambistes, les ekagudia, si elles persistent a dmangerd (jom) les animaux. Cette menace ophre avec succbs et le b6tail gudrit (47).

Skrefsrud a beau protester qu'il n'a rien a voir avec les sorcibres, les villageois restent convaincus que le missionnaire a utilis6 sa c<magied pour combattre la sorcellerie. A un niveau plus profond, les Santal attribuent ce type de pouvoirs a

(47) Lettre de Skrefsrud i Hertel, le 9 octobre 1879, Dahkwala no 1, 1880, pp. 15-16.

114

This content downloaded from 195.78.109.119 on Fri, 13 Jun 2014 21:45:31 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 18: Une Église nationale pour les Santal: Du romantisme scandinave à l'orthodoxie luthérienne

UNE EGLISE NATIONALE POUR LES SANTAL

Skrefsrud qui, selon eux, connait intimement Satan dont il menace parfois ses ouailles. Si le missionnaire a voulu accentuer le caractbre d6moniaque du culte des bonga, les Santal, en l'apparentant & Satan qu'il connaft si bien, tentent de lui rendre la monnaie de sa piece.

Skrefsrud lui-m~me s'indig6nise sans oublier pourtant de lutter contre les bonga, les divinit6s tribales, dont il cherche sans relache t rabaisser le pouvoir (48). De plus, on sait de source sore que Birresen reste trbs vigilant contre la tentation de s'adresser aux bonga. I1 mentionne lui-mdme dans une lettre (49) comment il a fait d6truire un autel drig6 en l'honneur de ces divinit6s, qu'un chef, pourtant converti, a autoris6 dans son village.

LA COLONIE D'ASSAM, UNE COMMUNAUTE EVANGELIQUE IDEALE

En 1880, Skrefsrud et Btirresen entreprennent de partir avec un groupe de Santal et d'aller fonder en Assam, dans la r6gion de Lakhimpur au pied des collines du Bhutan, une communaut6 6vangl61ique. Ce projet fait suite i une autre tentative t

laquelle les missionnaires ont finalement renonc6 en raison de son coot l6ev6 et qui consistait i 6tablir une colonie au nord de l'Australie vers 1874.

Certes, I'id6e de l'6migration 6tait courante A l'6poque et Skrefsrud cherche consciemment de nouvelles terres pour les Santal. Le projet assami semble offrir des conditions tout t fait avantageuses aux Santal qui doivent b6n6ficier de vastes terres fertiles. Skrefsrud visite l'emplacement de la future colonie avec six chefs santal en 1880. Ils ont requ l'assurance dejouir t perp6tuit6 de ces terres inexploit6es en 6change de quoi, ils se sont engag6s A payer un loyer faible. De plus, ils sont autoris6s t

reproduire - en Assam - leurs villages traditionnels et t y faire pr6valoir leurs droits coutumiers par l'interm6diaire de leurs chefs, les manjhi.

Le voyage vers la nouvelle colonie et les d6buts de la mission sont 6prouvants pour les Santal. En janvier 1882, ils ont 6tabli cinq villages et en 1910, on y compte un peu plus de trois mille six cents Santal mais aussi des Malhe et des Bodo qui, eux, sont moins christianis6s (50).

Les missionnaires voient dans cette communaut6 la preuve que les Santal peuvent, sous leur contr81e, maintenir et d6velopper leur Eglise (51). Mais, la colonie d'Assam sera ultimement un 6chec. Profond6ment d69us, les fondateurs accusent le Gouverne-

(48) Lettre de Skrefsrud a Hertel, le 16 novembre 1879 : <I put my fingers into everything that can bring down the bongas, and raise Thakur in every consciousness... >.

(49) Lettre de Borresen a Hertel, 15 d6cembre 1879, Dahkwala, no 1, 1880, pp. 61-62. (50) Les Malhe sont une basse caste d'origine tribale qui vit au contact des Santal au Bengale et en

Assam. Les Bodo, qui font partie de l'ensemble linguistique tibeto-birman, incluent de nombreux groupes tribaux vivant en Assam. Siram, le pasteur santal, avait d6ja travaill6 sporadiquement chez les Bodo depuis l'6tablissement de la colonie d'Assam, mais ce n'est qu'en 1934 qu'un missionnaire norv6gien prendra en charge l'6vangl61isation de cette communautd.

(51) Lettre de Skrefsrud a Hertel, le 15 mai 1883, Dahkwala, no 6; 1883, p. 96. Skrefsrud 6crit de Londres et fait r6fdrence a sa correspondance avec Birresen.

115

This content downloaded from 195.78.109.119 on Fri, 13 Jun 2014 21:45:31 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 19: Une Église nationale pour les Santal: Du romantisme scandinave à l'orthodoxie luthérienne

ARCHIVES DE SCIENCES SOCIALES DES RELIGIONS

ment de l'Assam de n'avoir pas tenu ses promesses et d'avoir voulu restreindre le territoire de la colonie. Les autorit6s ont aussi accord6 t des planteurs britanniques un droit d'exploitation sur des plantations de th6 situ6es prbs de la colonie, exposant ainsi les Santal i devenir les proies d'employeurs qui cherchent une main-d'oeuvre bon march6. Skrefsrud doit lutter i plusieurs reprises contre le Gouvernement pour sauvegarder les droits minimaux des Santal (52).

L'autobiographie d'un chef santal, Chotrae Desmanjhi, nous fait comprendre pourquoi ce projet 6tait d'avance condamnd. Outre la description de l'exp6dition en Assam, qui causa de nombreuses pertes humaines, Chotrae accuse les missionnaires d'avoir manipuld les Santal. En tdmoigne ce rite que Skrefsrud avait voulu fondateur et qui consistait pour les chefs arrivds les premiers A ml61anger la terre de l'ancien pays au nouveau. Pour les Santal cependant, ce rite ne pouvait sacraliser le nouveau territoire, car on avait omis de consulter les pr6sages et, surtout, on n'avait pas eu le droit d'offrir des libations de bibre de riz aux anc~tres. En lisant I'autobiographie de Chotrae, on comprend que les missionnaires avaient n6glig6 un point important. Traditionnellement les Santal, bannis de la communaut6 pour avoir outrag6 la cou- tume, s'enfuyaient en Assam oii ils survivaient difficilement en travaillant dans les plantations de th6. De plus, les pr~tres-devins santal (ojha) consid6raient encore cette r6gion comme le pays des yogi, <<magiciens > auxquels ils pretent toujours, dans leurs r6cits, des pouvoirs n6gatifs et ambigus (Carrin, 1986) (53).

Ces facteurs, ainsi que les manipulations de l'administration, viennent contrecar- rer le projet de Skrefsrud. Celui-ci avait voulu ancrer sur un territoire vierge quelques milliers de Santal chr6tiens, loin des tentations de leur vieux pays afin qu'ils devien- nent des chr6tiens exemplaires. La colonie repr6sente done la projection sur un territoire dl61imit6 d'une communaut6 6vangl61ique id6ale, coup6e de ses racines historiques.

Du point de vue sdculier, la colonie est administr6e par des Europ6ens, et, dbs 1889, c'est un botaniste norv6gien, Bahr, qui en a la charge. Mais Siram, le pasteur santal, garde ses responsabilit6s spirituelles jusqu'i sa mort en 1894. Bahr, lui, meurt en 1896, mais tandis que le missionnaire Bunkholdt lui succhde, Siram n'a pas de v6ritable successeur : l'autoritd religieuse passe aux Occidentaux.

(52) Notamment pour que les Santal conservent le droit de rester sur les terres qui leur avaient 6tC allou6es lors de la fondation de la colonie. Skrefsrud lutte pour que les deux plantations de th6 voisines de la colonie deviennent propri6t6 de la mission. Mais i la mort du missionnaire, le gouvernement d'Assam oublie ses engagements.

(53) Dans certains r6cits santal, les ojha voyagent jusqu'en Assam guid6s par leurs bonga, divinit6s tutl61aires. Ce voyage initiatique leur permet d'obtenir des pouvoirs surnaturels siddhi comparables a ceux des yogi. Mais ces narrations tournent en d6rision le personnage du yogi qui oblige ses disciples i faire des tours dans des foires. Las de subir les mauvais traitements du yogi, ses disciples santal 6chappent t la mort en tuant leur maitre par la ruse (P.O. BODDING, 1927).

116

This content downloaded from 195.78.109.119 on Fri, 13 Jun 2014 21:45:31 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 20: Une Église nationale pour les Santal: Du romantisme scandinave à l'orthodoxie luthérienne

UNE EGLISE NATIONALE POUR LES SANTAL

LA MISE EN PLACE DE COMITES DE SOUTIEN EN SCANDINAVIE

Aprbs la rupture avec les baptistes en 1877, on observe une transition jusqu'en 1881. La coupure avec les baptistes libbre la mission d'une surveillance venue d'une autre congr6gation, mais cette ind6pendance pose des problbmes d'ordre 6conomique.

Les membres de l'Eglise font de modestes donations, mais la mission ne parvient pas h survivre par ses propres moyens. Comme en t6moigne leur correspondance, les missionnaires auront toujours besoin des subsides des comitis de soutien 6tablis B l'6tranger, principalement en Norvige, au Danemark, et en Subde et, plus tard, en Am6rique.

En effet, les rumeurs de l'activit6 de Skrefsrud et de Borresen ont couru en Scandinavie et ils deviennent, chacun dans son propre pays, des h6ros. Mais Skrefsrud ressent toujours une certaine amertume envers l'Eglise norv6gienne dont les repr6sen- tants l'ont rejet6 lorsqu'il voulait devenir missionnaire. En Norvige, il est toutefois soutenu par des radicaux comme le Dr. Nissen d'Oslo - qui devient plus tard l'un des fondateurs du parti socio-d6mocrate - et par le comit6 de Lillehammer (54). En Suede, oii Skrefsrud s'est rendu en 1883 et a prech6 dans la cath6drale de Gotenborg, certains personnages, tel le professeur de thdologie h l'universit6 d'Uppsala, W. Rudin (55), deviennent centraux pour le soutien de la mission santal. Le Danemark enfin, dont l'Eglise est divis6e en trois tendances - la Haute Eglise, les chr6tiens lib6raux grundtvigiens, et les pi6tistes - font de ce pays un lieu de d6bats autour des themes chr6tiens mais aussi des id6es sociales nouvelles.

Si Borresen est li6 aux pi6tistes danois, Skrefsrud, lui, trouve en Hertel, un jeune thdologien Grundtvigien, un soutien ardent. Hertel 6crit un petit livre (1877) sur la mission santal et publie h partir de 1880 un journal danois Dahkwala qui apporte des nouvelles du terrain des missions et qui contribue A trouver parmi ses lecteurs radicaux des donateurs susceptibles d'aider la mission santal.

(54) Le comit6 de soutien de sa ville d'origine, Lillehammer, reste pour Skrefsrud son appui le plus stir en Norvbge. On note, particulibrement, l'influence de Thorstein Lunde, qui partage le scepticisme qu'entretient Skrefsrud envers l'Eglise d'Etat et ses pr~tres. Son 6pouse, Karen, 6tait la sceur d'Anne Onsum (NYHAGEN, 1990, I, pp. 318-319). La secr6taire de Lunde, Klara Fagstad 6tait, elle, la fille de O. Fagstad, le marchand que Skrefsrud avait vol6, avant d'8tre emprisonn6. Klara est parmi les plus fascinantes personna- lit6s de l'histoire de cette mission : c'est peut-8tre elle qui, inspir6e par sa correspondance avec le pasteur danois L. Hertel, avait incit6 son phre et Lunde h fonder un comit6 de soutien. On sait que T. Lunde et K. Fagstad sont les premiers Norv6giens h recevoir des lettres de Hertel, qui, lui, voulait renforcer le soutien apport6 h la mission de Norvyge (op. cit., p. 251). Notre 6tude de la correspondance nous permet d'affirmer que Klara reste l'interlocutrice norv6gienne pr6f6r6e de Hertel et une m6diatrice pr6cieuse pour Skrefsrud. L'importance de Klara para"it avoir 6chapp6 h HODNE (1966). Nyhagen dit d'elle qu'elle est l'h6g6rie (primus motor) de la mission santal h Lillehammer (1990, II, p. 330). N6anmoins, il ne lui consacre pas de note biographique, comme il le fait pour les acteurs masculins.

(55) Dans sajeunesse, W. Rudin a 6t6 profond6ment marqu6 par l'6veil pi6tiste. Plus tard, il ddveloppe ses propres m6ditations et ses sermons t6moignent d'une vie int6rieure. Ce thdologien propose h la fois une critique du moralisme des pi6tistes et du formalisme de la Haute Eglise. Son influence est importante pour I'archev~que Nathan Soderblom, connu pour son r61e d'interm6diaire pendant la Premiere Guerre mondiale. Ce dernier 6crit plus tard la biographie de Rudin (SODERBLOM, 1923).

117

This content downloaded from 195.78.109.119 on Fri, 13 Jun 2014 21:45:31 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 21: Une Église nationale pour les Santal: Du romantisme scandinave à l'orthodoxie luthérienne

ARCHIVES DE SCIENCES SOCIALES DES RELIGIONS

N6anmoins, un scandale, I'affaire Pahle, va compromettre la situation. Pahle est un missionnaire repr6sentant la tendance officielle de l'Eglise norv6gienne, qui arrive en Inde en 1883. Il travaille quelques mois avec les missionnaires mais ne peut s'entendre avec ces derniers, qui le renvoient en Europe. Pahle, humili6, publie de graves critiques contre les fondateurs dans la presse norv6gienne, les soupponnant d'immoralit6, une allusion aux voyages que Skrefsrud fait seul en Europe en compa- gnie de Caroline Btirresen (56). En outre, Pahle accuse les missionnaires de dilapider pour leur propre compte l'argent de la mission. Cette campagne suscite, on s'en doute, un certain nombre de pol6miques dans la presse chr6tienne en Europe et en Inde, et provoque le remaniement du comit6 de soutien i Oslo.

En Norvyge, oii les partisans de 1'Elglise officielle tolbrent tout juste la mission santal, Skrefsrud subit un certain nombre d'attaques dont il se d6fend en s'appuyant sur le comit6 de Lillehammer et sur ses amis danois, mais en y laissant une partie de son 6nergie. En 1884, la victoire du parlementarisme en Norvyge, oii le parti lib6ral prend le pouvoir, va produire un schisme fondamental entre les deux milieux qui avaient soutenu la mission de Skrefsrud : les lib6raux de gauche tel que le Dr. Nissen, et la Basse Eglise (57). Dis lors, seulement ces derniers s'occupent de la mission santal.

Ce conflit implique un changement plus fondamental. L'alliance entre les radi- caux et les chr6tiens se nourrit des id6aux communs du progrbs de l'humanit6; d~s lors, le pi6tisme norv6gien va se dissocier de l'humanisme utilitariste (58).

(56) On fait souvent allusion h ces accusations, impliquant une liaison entre Skrefsrud et Caroline Borresen. On entend pour la premihre fois parler de ce lien quand Skrefsrud et Birresen quittent la mission de Gossner. Les accusations de Pahle sont probablement les plus sdrieuses pour la mission. HODNE (1966, pp. 56-63) analyse les accusations et en d6duit que les relations que Skrefsrud entretient avec les Borresen sont plut6t celles d'un fils envers ses parents adoptifs, qu'il appelle toujours dPapad et dMama d.

(57) L'introduction du parlementarisme, en 1884, repr6sente un d6fi lanc6 au roi su6dois et inaugure ainsi le prochs qui d6bouche en 1905 sur l'ind6pendance de la Norvyge. Le gouvernement de droite, issu de la classe des bureaucrates, est remplac6 par la gauche, qui r6unit deux 616lments: l'l61ite radicale et les mouvements issus de l'6veil haug6en et de l'opposition des classes rurales. Cette alliance s'avyre fragile; la victoire gagn6e, on assiste bient8t h un schisme. Parmi les conflits, notons la question d'un salaire honorifique pour le romancier Alexander Kielland, un honneur que Ibsen et B. Bjornson avaient d6jh requ. C'est particulihrement l'ath6isme de Kielland et sa critique amhre des milieux puritains qui provoquent la gauche populaire (J. Oftedal, chef des d lapins d, est lui-mame membre du parlement), et Kielland n'aura jamais l'honneur de devenir d pohte national d (STORSTEIN, 1949, pp. 119). Le Dr. Nissen repr6sente ici les radicaux tandis que la majorit6 des gens qui soutiennent la mission santal sont issus des couches populaires.

(58) Storstein, par exemple, souligne la diff6rence entre les d lapins d de Oftedal et les Haug6ens : les derniers ne partagent pas l'esprit capitaliste et l'essor 6conomique des premiers. Le romancier et essayiste Arne Garborg fait r6f6rence h cette diff6rence quand il 6crit que la Norvyge a besoin d'un Oftedal qui s'int6resserait h l'6conomie (STORSTEIN, 1949, p. 47). Or, c'6tait pr6cis6ment cette croyance en l'essor 6conomique, lid h l'id6e de progrds, qui avait r6uni les puritains et les lib6raux.

118

This content downloaded from 195.78.109.119 on Fri, 13 Jun 2014 21:45:31 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 22: Une Église nationale pour les Santal: Du romantisme scandinave à l'orthodoxie luthérienne

UNE EGLISE NATIONALE POUR LES SANTAL

LES CONTRADICTIONS D'UN CHRISTIANISME SANTAL

Skrefsrud a voulu conserver le plus possible la culture indigene de fagon i ce que les chr6tiens soient encore Santal. Au d6but, il refuse d'6tablir trop de diff6rences entre chr6tiens et non-chr6tiens mais peu a peu, seuls les chr6tiens sont favoris6s par la mission, sauf, peut-8tre, en ce qui concerne l'6ducation des enfants. S'opposant Ba ce que les chr6tiens soient exclus de la communaut6 santal, Skrefsrud manipule les ragles de commensalit6 en invitant des Santal traditionnels et des <nouveaux >> convertis a partager un repas sans avertir les non-chr6tiens du changement intervenu chez leurs commensaux.

De telles strat6gies suscitent la critique des chefs mais remportent n6anmoins un certain succbs meme si les Santal rejet6s de leur communaut6 conservent des liens affectifs avec celle-ci, une contradiction que S. Dube (1995) souligne aussi a propos des pratiques de la mission 6vang61ique allemande a Chattisgarh.

Le rave d'harmonie du fondateur de la mission sera a plusieurs reprises remis en question par les Santal traditionnels comme par les convertis. La force qui s'oppose le plus durablement aux efforts d'6vangl61isation est sans aucun doute le mouvement Kherwar. Dis 1874, les Kherwar insistent sur le concept de puret6 et, revendiquant le titre de saph hor, dhommes purs >>, refusent de partager les repas des autres Santal. Sur le plan religieux, ils n6gligent le culte des bonga pour offrir des sacrifices sanglants a la d6esse Kali. Le mouvement redouble d'intensit6 de 1874 a 1879, quand les Kherwar deviennent une v6ritable secte r6formatrice et n'h6sitent pas a reprendre des femmes issues de familles touch6es par leurs revendications et mari6es entre temps a des convertis.

N6anmoins de 1872 a 1875, Skrefsrud mbne une campagne 6nergique contre la consommation de bibre de riz et d'alcool de mohua, des pratiques li6es aux rites et qui, en raison de cet ancrage symbolique, sont particulibrement difficiles a inter- dire (59). Aux yeux de Skrefsrud, cependant, s'adonner a la boisson revient a pactiser avec le diable dont il menace les Santal.

Si dSaitan >> apparait dans les r6cits 6crits (60) par les Santal de cette 6poque, il ressemble au planteur anglais, car aux yeux des indigines, c'est l'introduction du travail colonial et de la monnaie qui ont instaur6 pour toujours 1' age de fer (Kali yuga) produisant une rupture d6cisive avec l'&ge d'or, I'6poque oh les ancitres chassaient et ramassaient des tubercules en for&t. Les r6cits, qui traduisent une influence chr6- tienne, parlent du s6jour des morts (61) et d6crivent l'enfer comme un p6nitencier oii les gens des tribus s'6puisent a travailler sous l'oeil f6roce de contremaitres occiden-

(59) C'est aprbs avoir consomm6 de la bitre de riz que le premier couple de germains a commis l'inceste (CARRIN, 1986). Bibre de riz et alcool de fleurs de mohua (Bassia latifolia, L.) sont offerts en libation aux anc&tres et aux divinit6s, bonga.

(60) Encourag6s par Skrefsrud quelques anciens parcourent les villages 6crivant les histoires qu'ils recueillent. il s'agit de d6crire la coutume et de la 16gitimer aux yeux des missionnaires (CARRIN, 1985).

(61) Hanapuri rean katha, rfcit santal, archives de manuscrits de la Bibliothbque Universitaire d'Oslo; ref. Ms 80, P 1469 (Santalia).

119

This content downloaded from 195.78.109.119 on Fri, 13 Jun 2014 21:45:31 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 23: Une Église nationale pour les Santal: Du romantisme scandinave à l'orthodoxie luthérienne

ARCHIVES DE SCIENCES SOCIALES DES RELIGIONS

taux. Se soucient-ils du paradis ou de l'enfer? Passant sous silence les destins d'emprunts que leur propose la thdologie protestante, ils insistent sur un seul point :

<d6sormais, les ouvriers de ce camp n'ont plus la force de procr6er et ils s'6vertuent i fabriquer de nouveaux 8tres avec les d6bris des pr6c6dents >. Faut-il y voir une int6riorisation du p6ch6 de la chair ou plut8t l'angoisse de sentir un monde tellement 6branl6 que l'id6e m~me de sa reproduction fait problbme ?

Si Saitan se confond avec l'image du colon, qu'en est-il de Dieu ? En traduisant les Ecritures, Skrefsrud, on l'a vu, traduit Dieu par Thakur, un terme qui signifie <Seigneur>> mais aussi <propridtaire terrien >>. Pour les Santal qui s'opposent au gouvernement colonial, Thakur reprdsente encore l'apparition divine que les chefs ont vue dans le ciel, un homme blanc, muni de dix doigts t chaque main, et qui portait une Bible. Une image toute puissante du colon devenue le symbole du pouvoir, car la force de Thakur ne tarda pas h inspirer la possession des leaders. Quant h J6sus devenu Isor Baba, les Santal sollicitent en vain son apparition. Dans les r6cits qui mettent en schne J6sus et diff6rents personnages, notamment une vieille femme (62), J6sus apparait pourvu de pouvoirs thaumaturgiques ou dispensateur d'un < Hanapuri >>, sdjour apris la mort, qui semble merveilleux mais qui ressemble a s'y m6prendre a Kamarupa, le pays des yogi hindous, d6jh pr6sent dans l'univers santal. Dans un autre r6cit, J6sus rencontre un musulman et lui raconte qu'il a voulu parler de la promesse du paradis aux Santal mais que ceux-ci lui ont r6torqu6 : <tu promets comme les usuriers sans mime compter les ann6es ! >>. On peut voir dans cette remarque ironique l'expression d'un refus de comptabiliser le temps qu'il s'agisse de finances ou de marchandage des ames. Les Santal en parodiant l'usurier refusent de s'engager sur un temps li- n6aire (63), li6 a l'introduction du travail, et qui s'oppose au temps cyclique des mythes (Carrin, a paraftre).

M~me si les missionnaires veulent pr6server la culture tribale, ils n'en pergoivent pas toujours les fondements symboliques. Skrefsrud croit qu'il peut interdire une pratique et en conserver une autre, sans comprendre qu'en supprimant un 616ment il produit un effet de non sens dans tout un pan de vie sociale. C'est ainsi qu'il interdit les danses tribales mais garde les douze tons des chants traditionnels en les transposant dans ses hymnes chant6s au cours du service religieux. Mieux encore, il recommande qu'on parle des bonga aux enfants dans les 6coles chr6tiennes mais il espbre que pour les chr6tiens, les divinit6s deviendront des 8tres mythologiques comparables en ce sens aux troll norv6giens, qui sont devenus des figures de contes populaires, d6pour- vues de leur sacralit6. Remarquons, toutefois, que ce processus a pris des centaines d'ann6es en Norvbge tandis que Skrefsrud et Bbrresen espbrent na'vement qu'il s'achivera en une g6n6ration. Tout en restant le successeur fidbile de Skrefsrud, Bodding se souciera d'exclure les mythes pa'ens pour introduire chez les Santal des pratiques plus orthodoxes du point de vue luth6rien. Par ailleurs, Skrefsrud s'6vertue a d6montrer que les bonga ont abandonn6 les Santal en cas de maladie et, surtout, il

(62) Isor ar Budhi, rean ganmarao katha, r6cit santal, archives des manuscrits de la Bibliothbque Universitaire d'Oslo; r6f. Ms 80, P 1469 (Santalia).

(63) Lettre de Skrefsrud a Hertel, 22 juillet 1879 (cit6e par Hertel, Dahkwala, no 1, 1880, p. 8) : d Les Santal ne se soucient pas du lendemain, et ne comprennent pas l'int6rht de ce qui ne rapporte pas de fruit imm6diat >.

120

This content downloaded from 195.78.109.119 on Fri, 13 Jun 2014 21:45:31 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 24: Une Église nationale pour les Santal: Du romantisme scandinave à l'orthodoxie luthérienne

UNE IAGLISE NATIONALE POUR LES SANTAL

ne comprend pas que pour un Santal devenir chr6tien c'est se priver de tout destin d' ancitre.

Les efforts des fondateurs pour doter les Santal d'une Eglise nationale 6chouent et ceci pour plusieurs raisons. Tout d'abord, les missionnaires en t6moignent dans leur correspondance et meme dans leurs rapports officiels, le nombre des conversions baisse. Mais surtout, les fondateurs sont d69us de l'indiff6rence qui suit, chez les convertis, l'enthousiasme initial. On a vu que la position importante qu'occupait Siram Soren, dans la colonie d'Assam, n'avait pas eu de suite.

M~me si Siram n'est jamais critiqu6, les missionnaires reprochent a leurs cat6- chistes ou pasteurs santal de trahir leur confiance. Le cas de Sibu Besra est r6v61ateur t cet 6gard. Ordonn6 pasteur en 1884, il prend en charge, vers 1892, l'6vang61isation des environs de Sultanabad et r6ussit t convertir deux mille pai'ens en peu de temps. Skrefsrud et Bodding proposent de lui adjoindre un missionnaire occidental, mais Bibrresen d6cide de laisser le maximum d'initiative aux Santal. Or, on dit plus tard que Sibu ne supporte pas le succbs. Les sources sont peu explicites sur ce point, mais on comprend que Sibu <<prend des airs >> et affiche un r61e social que les fondateurs de la mission pr6fbrent se r6server. Il est mut6, et la plupart de ses convertis retournent au paganisme. Son cas explique probablement les changements d'attitude envers l'indi- g6nisation des acteurs, qui marquent le milieu des ann6es 1890.

Du point de vue santal, les critiques ne manquent pas. D~s 1879, les fondateurs doivent r6pondre aux reproches des chefs qui les accusent de s'enrichir aux d6pens des Santal (64). Par ailleurs, les nouveaux convertis doivent faire face i l'intol6rance des pa'ens qui les accusent de trahir les traditions. L'6chec de la colonie d'Assam et la mont6e du mouvement Kherwar montrent par ailleurs que l'imaginaire Santal s'est nourri du contact des hindous meme si les Santal rejettent la soci6t6 des castes (Carrin, 1988).

L'INSTITUTIONALISATION CONTRE LES INSTITUTIONS

Skrefsrud ne r6ussit pas a crier une Eglise ind~pendante sur le plan 6conomique. Il lui faut chercher des fonds a l'ext6rieur et done s'appuyer sur les comitds de soutien. Cette d6marche implique une rdorientation de l'Eglise, car la confiance des milieux chr6tiens en Scandinavie d6pend de l'appartenance de la mission au luth6ranisme.

I1 s'agit a la fois pour les missionnaires de 16gitimer leur position et de pr6server l'inddpendance de l'Eglise santal. Tandis que Skrefsrud congoit l'Eglise des d6buts comme une communaut6 de fiddles, la n6cessitd de structurer cette meme Eglise s'affirme graduellement. L'Eglise santal doit avoir un 6veque a sa tate qui lui confere un statut officiel et puisse ordonner des pasteurs; or, il est pr6f6rable que celui-ci soit lui-m~me missionnaire, pour se garantir une certaine autonomie envers les Eglises

(64) Dahkwala, no 1,1880, pp. 3-18, oih Hertel se fonde sur la correspondance de Skrefsrud.

121

This content downloaded from 195.78.109.119 on Fri, 13 Jun 2014 21:45:31 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 25: Une Église nationale pour les Santal: Du romantisme scandinave à l'orthodoxie luthérienne

ARCHIVES DE SCIENCES SOCIALES DES RELIGIONS

scandinaves. Malgr6 l'opposition de la Haute Eglise danoise (65), Skrefsrud arrive g n6gocier l'ordination de Barresen, comme pasteur, en 1877, au Danemark. En 1882, Skrefsrud est lui-m~me ordonn6 pasteur par les Norv6giens (Hodne, 1992, p. 7). Dis lors la mission subit une certaine pression vers la conformit6, liturgique et thdologique, aux dogmes d'Augsburg.

Aprbs l'affaire Pahle, Skrefsrud est davantage sceptique envers les missionnaires venus d'Europe; n6anmoins, il se montre moins actif pour precher, car il lui faut se justifier dans la presse et vis-a-vis des comit6s de soutien scandinaves. Bdrresen, qui reste proche des villageois, pourrait &tre l'agent d'une indig6nisation plus large mais il est d69u par les pasteurs santal, qu'il trouve trop critiques. A toutes ces raisons s'ajoutent les difficult6s financibres auxquelles les fondateurs doivent faire face et qui les conduisent & envoyer Borresen au Danemark, pour y trouver des appuis. Le succbs de son voyage contribue i garantir l'ind6pendance financibre de la mission. La

popularit6 de Birresen paraft confirmer l'espoir de le voir devenir 6v~que, et quand Skrefsrud menace de se tourner vers d'autres Eglises pour l'ordination d'un 6v~que, il finit par fl6chir l'Eglise officielle danoise. Mais les amis de la mission en Suede et, surtout, en Norvige, s'opposent t l'6piscopat, car l'arrogance qu'on attribue aux 6v~ques suddois et norv6giens, va t l'encontre de l'id6al congrdgationniste. Face i ces r6ticences, Skrefsrud abandonne la lutte.

Certes le projet d'6difier une Eglise nationale est en contradiction avec l'id6e d'avoir un 6veque danois pour la 16gitimer. En fait, la pol6mique autour de l'ordination de l'6v~que fait 6cho t celle qui marque le double bapteme de Skrefsrud qui devient baptiste lorsqu'il travaille avec les membres de cette congr6gation et redevient luth6rien aprbs avoir consomm6 sa rupture avec les baptistes. Pour Skrefsrud, la fin justifie les moyens quand il s'agit de faire des Santal un dpeuple chr6tien >.

Borresen meurt en 1901, Skrefsrud en 1910, et Caroline Birresen en 1914. Avant la mort de Skrefsrud, les comit6s de soutien craignent de se trouver face & Caroline Birresen, seule survivante des <trustees . Skrefsrud r6siste i l'id6e de nommer Bodding son propre successeur, mais se laisse finalement convaincre. D~s la mort de Caroline, Bodding devient seul dtrustee des biens de la mission santal.

A l'6poque de Bodding, il n'est plus question d'une Eglise indigene. Aprbs la mort de BSrresen, l'Eglise danoise retire, peu t peu, son soutien. De plus, la d6mission en 1899 d'Ernst Heuman, un missionnaire su6dois, qui devient plus tard l'6veque de Tranquebar, avait d6ji mis fin i l'appui suddois. Les liens avec la Norvyge se resserrent, mais l'aide efficace de ce pays, qui se renforce i l'approche de la Premiere Guerre mondiale, contient en germe la fin de l'Eglise santal dont le caractbre indigene est de plus en plus menac6. En effet, on commence i exiger des missionnaires une adh6sion plus claire aux dogmes luth6riens. Les missionnaires de la nouvelle g6n6ra- tion organisent, d~s 1911, des assembl6es annuelles et insistent pour exercer leur influence sur les affaires de la mission. En 1913, on introduit en pays santal la liturgie de l'Eglise norv6gienne.

(65) Ce sont surtout les partisans de la Haute Eglise, qui s'opposent B I'ordination de Barresen mais il faut souligner que l'extr~me simplicit6 de l'homme suscite le scepticisme, car on dit de lui, non sans raison, qu'il ne connait rien de la th6ologie, g laquelle il oppose la sinc6rit6 des sentiments. Sur ce point, le titre de l'une de ses biographies, <De tout coeur ,>, (LUDVIGSEN, 1952) est assez parlant.

122

This content downloaded from 195.78.109.119 on Fri, 13 Jun 2014 21:45:31 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 26: Une Église nationale pour les Santal: Du romantisme scandinave à l'orthodoxie luthérienne

UNE EGLISE NATIONALE POUR LES SANTAL

Quant t Bodding, s'il a juridiquement le droit de s'opposer a l'assembl6e de missionnaires, il est contraint par le besoin d'argent de solliciter le soutien de la Norvyge. Suite a une malencontreuse affaire de bigamie (66), Bodding est oblig6 de signer sa d6mission en 1922. Dbs lors, ce sont les comit6s de soutien norv6giens qui prennent le contr81e de la mission. Malgr6 les efforts de fonder, sous la tutelle des missionnaires, une v6ritable Eglise, on n'assiste qu'a une progression trbs lente dans cette direction depuis 1927 (67). Et ce n'est qu'aprbs l'Ind6pendance, en 1950 que l'Eglise indigene deviendra une r6alit6 et en 1958 qu'elle sera dirig6e par un Santal.

Marine CARRIN Centre d'Anthropologie

CNRS-Toulouse

Harald TAMBS-LYCHE Universitd de Picardie - Jules Verne

Amiens

(66) L'histoire de Bodding est assez tragique. Sa premiere femme, Clara, arriv6e en Inde en d6cembre 1891, meurt en avril 1892. I16pouse ensuite Ingeborg Bahr, I'ain6e des filles des Birresen, veuve du botaniste H. Bahr, un Norv6gien devenu le directeur du jardin botanique de Calcutta. Ce dernier dirige pour la mission la colonie d'Assam et meurt en 1896. Bodding 6pouse Ingeborg en 1897 mais deux ans plus tard, celle-ci s'enfuit avec le cocher musulman de la mission. Elle ne reviendra jamais, et on ignore si Bodding la crut morte; on sait qu'elle v6cut avec son mari musulman et leurs enfants prbs de la frontibre n6palaise, d'oii elle correspondit toujours avec sa soeur Katharina, 6pouse d'Ernst Heuman, 6v~que de Tranquebar. Le t6moi- gnage de cette dernibre confirma le soupqon de bigamie quand Bodding 6pousa le m6decin Christine Larsen en 1922 (HODNE, 1992, pp. 89-103).

(67) Le missionnaire J. Gausdal, consid6rant que << le temps est mfir d, propose une esquisse de la constitution d'une v6ritable Eglise Santal en 1927. Mais il se heurte i l'opposition de ses collbgues, notamment R. Rosenlund, qui 6voquant la <<nature pudrile et le <<manque de d6veloppement des Santal maintient qu'ils ne sont pas pr&ts i assumer de lourdes responsabilit6s. Dans les ann6es 1930, on assiste n6anmoins i la mise en place des comit6s, au niveau local et r6gional, au sein desquels les Santal participent i l'administration de leur future Eglise. Mais ce progrbs est lent, et I'opposition des Santal plus radicaux produit un schisme plus tard, lorsque Nunku Soren, qui avait provoqu6 des 6meutes violentes contre les missionnaires en 1954, fonde sa propre Eglise en 1970 (HODNE, 1992, pp. 414-439).

123

This content downloaded from 195.78.109.119 on Fri, 13 Jun 2014 21:45:31 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 27: Une Église nationale pour les Santal: Du romantisme scandinave à l'orthodoxie luthérienne

ARCHIVES DE SCIENCES SOCIALES DES RELIGIONS

BIBLIOGRAPHIE

AARFLOT Andreas, Norsk Kirkehistorie, II. Oslo, Lutherstiftelsen, 1967.

ANNUAL REPORTS, Fourth Annual Report of the Indian Home Mission. Auxiliary to the Baptist Mission to the Sonthals for the Year 1870, Benares, 1871. - Annual Reports of the Indian Home Mission to the Santals (div: 1872-1910), Benares-Calcutta, Benagaria. - Annual Reports of the Santal Mission of the Northern Churches, 1911-1930, 1947, Benagaria.

ASAD Talal, < Comments on Conversion d, in P. VAN DER VEER, ed, 1996.

BANERJEE Prajnananda, Calcutta and its Hinterland: A Study in Economic History of India, 1833-1900, Calcutta, Progressive Publishers, 1975.

BANG Anton Christian, Hans Nielsen Hauge og hans Samtid, (IVe edition) Christiania, Cappelen, 1924. (lre 6dition 1874), 6d. am6ricaine Minneapolis, 1900.

BEYER Edvard, Utsyn over norsk litteratur, Oslo, Cappelen, 1971.

BEYER Harald, Norsk og Fremmed, Oslo, Aschehoug, 1961.

BIRKELAND Knut Bergesen, En Menneskeven. Hans Peter Borresens Liv og Arbeide, Minneapolis, Minnehaha, 1902; (6dition r6vis6e), Kristiania, 1905.

BODDING Paul Olaf, Lidt om Santalbibelens tilblivelse, Kristiania, Den Norske Santalmisjon, 1915.

BODDING Paul Olaf, Santal Folk Tales, III, Oslo, Aschehoug, 1927.

BROOMFIELD John H., Elite Conflict in a Plural Society, Berkeley, University of California Press, 1968.

BUCKLAND Charles Edward, Bengal under the Lieutenant-Governors. Vol. I-II, Calcutta, S.K. Lahiri & Co, 1902.

CAISSON Max, < Lumibre de Herder >>. Terrain 17, d En Europe, les nations >, 1991, pp. 17-28.

CAMPBELL Sir George, Memoirs of my Indian Career, Londres, Macmillan, 1893.

CARRIN Marine, <Les tribus de l'Inde: repli identitaire et mouvements insurrectionnels > in Christophe JAFFRELOT, 6d, L'Inde contemporaine de 1950 c nos jours, Paris, Fayard, 1996.

CARRIN Marine, Le Parler des bonga, genres et arguments du discours rituel santal, i paraitre. CARRIN-BOUEZ Marine, < L'in6galit6 bien partag6e, ou l'impuret6 comme mythe chez les Santal > Cahiers de

Littirature Orale, 3, 1985, pp. 74-104.

CARRIN-BOUEZ Marine, La Fleur et l'os : symbolisme et rituel chez les Santal. Paris, Editions de I'EHESS, 1986.

CARRIN-BOUEZ Marine, < La bibre de riz santal : ferment et monnaie du rite >>, Information sur les Sciences Sociales, 26 (3),1987, pp. 611-632.

CARRIN-BOUEZ Marine, < Le Paradis dans les jardins du th6 >, L'Homme, XXVIII (2-3), 1988, pp. 199-212.

CARRIN-BOUEZ Marine, << Rethinking Female Participation in Tribal Labour in Chotanagpur and Bengal d, in P. ROBB, ed, Dalit Movements and the Meanings of Labour in India, Delhi, Oxford University Press, 1992.

CRAWFORD S. Cromwell, Ram Mohan Roy: Social, Political and Religious Reform in 19th Century India, New York, Paragon, 1987.

DAHKWALA, Tidsskrift for indisk hjemmemisjon blandt Santhalerne, Div. no., 1880-1884. DATTA Kalinkar, The Santal Insurrection, 1855-1857, Calcutta, Calcutta University Press, 1940.

DESMANJHI Chotrae, Chotrae Desmanjhi Reak' Katha (en santal), Benagaria, Mission Press, 1938.

DIRKS Nicholas B., < The Conversion of Caste: Location, Translation and Appropriation d in P. VAN DER VEER, ed, 1996.

DUBE Saurabh, < Paternalism and Freedom: The Evangelical Encouter in Colonial Chattisgarh, Central India d,

Modern Asian Studies 29, 1, 1995, pp. 171-200.

DUMONT Louis, < Peuple et nation chez Herder et Fichte d, Libre, no. 6, 1979, pp. 233-250 (repris dans : Essai sur l'individualisme, Paris, Seuil, 1983).

DUMONT Louis, Homo Aequalis, II. L'lddologie Allemande : France-Allemagne et retour. Paris, Gallimard, 1991.

DOHL Einar, Lars Skrefsrud, Oslo, Fonna forlag, 1944.

FENGER Fred J., History of the Tranquebar Mission, Tranquebar, Evangelical Lutheran Mission Press, 1863.

124

This content downloaded from 195.78.109.119 on Fri, 13 Jun 2014 21:45:31 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 28: Une Église nationale pour les Santal: Du romantisme scandinave à l'orthodoxie luthérienne

UNE EGLISE NATIONALE POUR LES SANTAL

FICHTE Johann Gottlieb, Discours g la nation allemande, Paris, Imprimerie nationale, 6ditions la Salamandre, 1992 (premibre 6dition allemande, 1807).

FORRESTER Duncan B., Caste and Christianity: Attitudes and Policies on Caste of Anglo-Saxon Protestant Missionaries in India, Londres, Curzon Press, 1980.

GAUSDAL Johannes, Tre Mindekranse, Oslo, Den Norske Santalmisjon, 1929.

GAUSDAL Johannes, Santalmisjonens historie paa misjonsmarken, Oslo, Den Norske Santalmisjon, 1937. GJESING Knud, En Missionspioner. H.P. Bbrresens liv med saerlig henblik paa hans missionsvirksomhed,

Copenhague, G.E.C. Gad, 1961. GULLESTAD Marianne, The Art of Social Relations. Oslo, Scandinavian University Press, 1992. HALL Birger A., Lars Skrefsud. En Folkebog, Kristiania, J. Bjdrnstads forlag, 1922. HAMRE James S., Georg Sverdrup. Educator, Theologian, Churchman, Northfield, Minn., The Norwegian-

American Historical Association, 1986.

HEGGTVEIT Hallvard G., Den norske Kirke i det nittende Aarhundrede, vols. I-II. Christiania, Cammermeyer Boghandel, 1905/1920.

HERDER Johann Gottfried v., Une autre philosophie de l'histoire, Paris, Aubier, 1964 (premibre 6dition allemande, 1774).

HERTEL Ludvig, Indisk Hjemmemisjon blandt Santalerne, Kolding, l'auteur, 1877. HERTEL Ludvig, Den nordiske Santhalmission, Copenhague, Lehmann & Stage, 1884. HERTEL Ludvig, For og nu. Guds Gjerninger i Santhalistan i 25 aar, Copenhague, Foreningen for Gudelige

Smaaskrifters Udbredelse, 1892. HODNE Olav, L.O. Skrefsrud: Missionary and Social Reformer among the Santals of Santal Parganas, Oslo,

Forlaget Land og Kirke, 1966. HODNE Olav, Santalmisjonens Historie, III, Oslo, Santalmisjonens forlag, 1992.

HOLMQUIST Hjalmar, NORREGAARD Jens, Kristendommens Historie i Romantikens, Liberalismens og Rea- lismens Tidsalder, vol. I-II, Copenhague, J.H. Schultz, 1939.

HOLSTEN W., Johannes Evangelista Gossner: Glaube und Gemeinde, G6ttingen, Bandenhoeck und Ruprecht, 1949.

HOWELLS George, The Story of Serampore and its College, Serampore, Serampore College, 1927. JAYAWARDENA Chandra, d<Ideology and Conflict in Lower Class Communities >>, Comparative Studies in

Society and History, 10, 1968, pp. 413-446. KOPF David, British Orientalism and the Bengal Renaissance, Berkeley, University of California Press, 1969. KOPF David, d The Universal Man and the Yellow Dog: The Orientalist Legacy and the Problem of Brahmo

Identity in the Bengal Renaissance >, in R. VAN, M. BAUMER, ed, Aspects of Bengali History and Society, Honolulu, University Press of Hawaii, 1975.

KULLERUD Dag, Hans Nielsen Hauge: Mannen som vekket Norge, Oslo, Aschehoug, 1996. KURIAKOSE, Mgr. M.K., History of Christianity in India: Source Materials, Madras, The Christian Literature

Society, 1982.

LOKIES P.H., Johannes Gossner, Giessen et Bale, Brunner, 1956.

LUDVIGSEN Helena Gebuhr, All Heart. Life Story ofH.P. Bbrresen, Blair, Nebraska, l'auteur, 1952. METCALF Thomas R., The Aftermath of Revolt: India, 1857-1870, 2e 6dition, Princeton, University Press, et

Delhi, Manohar, 1990. MOLLAND Einar, Fra Hans Nielsen Hauge til Eivind Berggrav, Oslo, Gyldendal, 1951. MOLLAND Einar, < Br6dremenigheten >, in Aschehougs Konversasjonsleksikon, vol. 3, Oslo, Aschehoug, 1969

(a), pp. 456-457. MOLLAND Einar, <<Herrnhutd>>, in Aschehougs Konversasjonsleksikon, vol. 8, Oslo, Aschehoug, 1969 (b),

p. 979. MOLLAND Einar, <<Gossner, Johannes Evangelista , in Aschehougs Konversasjonsleksikon, vol. 7, Oslo,

Aschehoug, 1969 (c), pp. 967-968. MOLLAND Einar, ( Haugianere >>, in Aschehougs Konversasjonsleksikon, vol. 8, Oslo, Aschehoug, 1969 (d),

p. 672.

MOORHOUSE Geoffrey, Calcutta, Harmondsworth, Penguin, 1974. MORGENSTIERNE Georg V. von Munthe af, et MYKLEBUST O.G., d<Lars Skrefsrud >>, in Norsk Biografisk

Leksikon, fasc. 66, Oslo, 1958.

125

This content downloaded from 195.78.109.119 on Fri, 13 Jun 2014 21:45:31 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 29: Une Église nationale pour les Santal: Du romantisme scandinave à l'orthodoxie luthérienne

ARCHIVES DE SCIENCES SOCIALES DES RELIGIONS

MUKHOPADHYAY Amal Kumar, The Bengali Intellectual Tradition, Calcutta, K.P. Bagchi, 1979. NYHAGEN Johan, Santalmisjonens Historie, vol. I: 1867-1881; vol. II: 1882-1910, Oslo, Santalmisjonens

Forlag, 1990. ODDIE Geoff A., Popular Religion, Elites and Reform: Hook-Swinging and its Prohibition in Colonial India,

1800-1894, Delhi, Manohar, 1995. PARSONS Talcott, The Structure of Social Action, Glencoe, Ill., Free Press, 1937. PARSONS Talcott, Societies, New York, Holt, Rinehart & Winston, 1966. PEARSON Hugh, Memoirs of the Life and Correspondence of the Rev. Christian Schwartz, Londres, J. Hatchard

& Sons,1835. PODDAR Arabinda, Renaissance in Bengal, Simla, Indian Institute for Advanced Studies, 1970.

POTTS E. Daniel, British Baptist Missionaries in India, 1793-1837, Cambridge, Cambridge University Press, 1967.

ODNER Knut, < Norsk makt, likhet og moral. Eksempler fra Hedmarken > Norsk Antropologisk Tidsskrift, no 2, 1996, pp. 149-159.

RAO Amiya et RAO B.G., The Blue Devil: Indigo and Colonial Bengal, Delhi, Oxford University Press, 1992.

RAY Rajat Kanta, Social Conflict and Political Unrest in Bengal, 1875-1927, Delhi, Oxford University Press, 1984.

RAY Tarapada, Santal Rebellion: Documents, Calcutta, Subarnarekha, 1983. RENAN Ernest, Qu'est-ce qu'une nation ? et autres essais politiques. Paris, Presses Pocket (coll. d Agora >),

1992.

RONNING Nils Nilsen, Lars Skrefsrud. An Apostle to the Santals, Minneapolis, Santal Mission in America, 1940.

SINGH K.S., d Colonial Transformation of Tribal Society in Middle India >, Economic and Political Weekly, 29, 1978, pp. 1221-1231.

SKREFSRUD Lars Olsen, A Grammar of the Santhal Language, Benares, Medical Hall Press, 1873. SKREFSRUD Lars Olsen, What is the Correct Term for God in Santali?, Benares, Medical Hall Press, 1876. SKREFSRUD Lars Olsen, Horkoren Mar Hapramko reak' Katha, Benagaria, Mission Press, 1887 (edition

bilingue avec la traduction anglaise de P.O. Bodding, Oslo, 1942). SKREFSRUD Lars Olsen, En kort beretning om santalmisjonen og dens grunnleggere, Minneapolis, Hermansen

& Jacobsen, 1892. SKREFSRUD Lars Olsen, Praedikener og Foredrag, I-II, Minneapolis, Ungdommens Ven, 1897. STORSTEIN Olav, Kielland paa ny, Oslo, Gyldendal, 1949. SODERBLOM Nathan, Waldemar Rudins inre liv, Stockholm, P.A. Norstedt & Sbner, 1923. TAMBS-LYCHE Harald, d La Norvyge: l'idral de l'ethnologie appliqute h l'6preuve du parti >>, in Usages

sociaux de l'ethnologie, journres du Creusot 30 juin-3 juillet 1992, Paris, Mission du Patrimoine Ethnologique, 1992, pp. 315-340.

VAN DER VEER Peter, ed, Conversion to Modernities. The Globalization of Christianity, Londres, Routledge, 1996.

WEBER Max, L'tthique protestante et l'esprit du capitalisme, Paris, Plon, 1964. WERGELAND Henrik, Historiens Resultat, Christiania, Guldberg & Dzswonkowski, 1843-1844. WISLOFF Carl Fr., Norsk Kirkehistorie, III, Oslo, Lutherstiftelsen, 1971.

126

This content downloaded from 195.78.109.119 on Fri, 13 Jun 2014 21:45:31 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 30: Une Église nationale pour les Santal: Du romantisme scandinave à l'orthodoxie luthérienne

UNE IGLISE NATIONALE POUR LES SANTAL

Risumd

D~s 1867, deux missionnaires scandinaves, issus d'un milieu pidtiste, ddcident de fonder une Eglise < nationale > santal adaptie aux normes culturelles de cette tribu du Nord-Est de l'Inde. Loin de partager les idiaux de penseurs hindous de l'dpoque, partisans d'une < religion universelle n, les missionnaires s'affirment les ddfenseurs des Santal et deviennent des rdfor- mateurs sociaux.

Mais les missionnaires s'avPrent impuissants ct protiger les Santal contre les intermidiai- res hindous qui les exploitent. De plus, lesfondateurs perdent peu Lt peu leur pouvoir vis-ca-vis des comitis de soutien itablis en Scandinavie. La mission se soumet de plus en plus aux exigences des Eglises luth~riennes perdant ainsi son caract~re national.

Abstract

Two Scandinavian missionaries from a pietist background decide, from 1867 onwards, to establish a < national > Church for the Santals, adapted to the cultural norms of this north east Indian tribe. Unlike the Hindu partisans of ( universal religion >, the missionaries become social reformers, defending the rights of the Santals.

But the missionaries are, finally, unable to protect the Santals against the Hindu middle- men who exploit them. Moreover, the founders gradually have to cede theirpower to the support committees established in Scandinavia, so that the mission becomes subservient to the Lutheran Churches, losing its national character.

Resumen

Desde 1867, los misioneros escandinavos originarios del contexto pietista, decidenformar una Iglesia <nacional santal adaptada alas normas culturales de esta tribu del nor-este de la India. En vez de compartir los ideales de los pensadores hindties de la epoca, partidarios de una < religidn universal >, los misioneros se afirman como los defensores de los Santal y se convierten en reformadores sociales.

Pero los misioneros se encuentran ante la imposibilidad de proteger a los Santal contra los intermediarios hindaes que los explotan. Por otra parte, los fundadores pierden poco a poco sus poderes frente a los comitis de apoyo creados en Escandinavia. La misi6n se somete, cada vez mds, alas exigencias de las Iglesias luteranas con lo que pierden su cardrcter nacional.

127

This content downloaded from 195.78.109.119 on Fri, 13 Jun 2014 21:45:31 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions