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Un seul monde N o 3 / SEPTEMBRE 2016 LE MAGAZINE DE LA DDC SUR LE DÉVELOPPEMENT ET LA COOPÉRATION www.ddc.admin.ch Jeunes et adolescents Ils sont 1,8 milliard dans le monde – un immense potentiel Égypte La bureaucratie, obstacle au développement Flux financiers illicites Les pays pauvres durement touchés

Un seul monde 3/2016 - dfae.admin.ch · sauf trivial. Il nous pousse inévitablement à nous inter-roger sur les résultats obtenus jusqu’ici grâce aux ... L’incidence du diabète

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Un seul mondeNo3 / SEPTEMBRE 2016LE MAGAZINE DE LA DDCSUR LE DÉVELOPPEMENT ET LA COOPÉRATIONwww.ddc.admin.ch

Jeunes etadolescents Ils sont 1,8 milliard dans le monde – un immense potentiel

ÉgypteLa bureaucratie, obstacle au développement

Flux financiers illicitesLes pays pauvres durement touchés

Un seul monde est édité par la Direction du développement et de la coopération (DDC), agence de coopération internationale intégrée au Département fédéral des affaires étrangères (DFAE). Cette revue n’est cependant pas une publication officielle au sens strict. D’autres opinions y sont également exprimées. C’est pourquoi les articles ne reflètent pas obligatoirement le point de vue de la DDC et des autorités fédérales.

Un seul monde No 3 / Septembre 20162

Sommaire

D D C

F O R U M

3 Éditorial4 Périscope26 DDC interne34 Service35 Coup de cœur avec Omar Ba35 Impressum

H O R I Z O N S

C U L T U R E

D O S S I E R JEUNESSE ET DÉVELOPPEMENT6 Les perspectives d’avenir ne vont pas de soi

Neuf jeunes sur dix vivent dans les pays en développement. Ils représentent un immense potentiel de progrès économique et social.

12 Un problème de qualité dans l’éducationEntretien avec Suzanne Grant Lewis, directrice de l’Institut international de planification de l’éducation

14 Formation pour tous à Kakuma Dans un camp de réfugiés du Kenya, un projet suisse permet à des résidentset à la population locale d’acquérir des compétences professionnelles, sociales et économiques

16 De meilleures perspectives pour ViengsavanhAu Laos, un projet germano-suisse dispense une formation professionnelle à desjeunes défavorisés

17 Faits et chiffres

18 Une armée de fonctionnaires improductifs L’Égypte doit atteindre d’ici 2030 d’ambitieux objectifs de développement. Sa fonction publique pléthorique constitue un obstacle majeur sur cette voie.

21 Sur le terrain avec...Romain Darbellay, chef sortant du bureau de la coopération suisse au Caire

22 «Qui sera le prochain?»Sara Khorshid explique pourquoi elle – comme beaucoup d’autres Égyptiens – n’a pas voté lors des élections présidentielles et parlementaires dans son pays

27 Les 1100 milliards de dollars perdus Les flux financiers illicites affectent tout particulièrement les pays en développement

30 Le réalisme magique du Caño CristalesCarte blanche : la Colombienne Ana María Arango évoque le spectacle fascinant de la plus belle rivière du monde

31 «Seules meurent les cultures qui ne s’ouvrent pas»Entretien avec l’écrivain mauritanien Beyrouk, qui emmène ses lecteurs dans les campements bédouins et les oasis du Sahara

23 De l’eau potable pour tous Dans des régions rurales de Moldavie, un projet de la DDC a raccordé 14000maisons au réseau d’égouts et fourni de l’eau courante à 40000 personnes

24 La Mongolie au chevet de ses animaux de renteLa réforme du système vétérinaire, menée avec l’appui de la DDC, permettra d’améliorerla santé du cheptel mongol et donc d’exporter de la viande

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Éditorial

Un seul monde No 3 / Septembre 2016

Que ce soit à l’occasion des cérémonies de promo-tions scolaires ou dans les plaidoyers en faveur d’unehausse des dépenses allouées à l’éducation, les ora-teurs concluent presque systématiquement leurs pro-pos par cette phrase : « La jeunesse est notre avenir. »De prime abord, l’affirmation paraît banale et un peugalvaudée. Si elle revient pourtant régulièrement dansles discours, c’est qu’elle a un sens profond.

Voilà ce qu’elle signifie : si nous voulons que les res-ponsables et les décideurs de demain soient capablesde venir à bout des difficultés que nous leur léguons etdes problèmes futurs de l’humanité, nous devons pré-parer les jeunes à affronter l’avenir. Ce constat est toutsauf trivial. Il nous pousse inévitablement à nous inter-roger sur les résultats obtenus jusqu’ici grâce auxmoyens investis dans la formation des futurs politi-ciens, scientifiques, responsables économiques, ci-toyens et consommateurs.

Bien entendu, la situation des jeunes dans les pays endéveloppement est particulièrement pertinente pour letravail de la DDC. De ce côté-là, il y a de bonnes nou-velles. Ainsi, au cours des 25 dernières années, lenombre d’enfants qui ne fréquentent pas l’école pri-maire a été divisé par deux en Afrique subsaharienne(cela, admettons-le, ne donne pas encore d’indicationssur la qualité de l’enseignement). Durant la même pé-riode, la mortalité infantile a baissé de moitié au niveaumondial. Dans bien des régions, ce recul résulte direc-tement d’une nette amélioration des soins de santé, undomaine d’intervention important pour la DDC.

D’un autre côté, plus de 70 millions de jeunes de 18 à 24 ans sont sans emploi dans le monde. Nombred’entre eux n’ont guère de chances de voir leur situa-tion de détresse sociale et psychologique s’améliorerà brève échéance. En Afrique subsaharienne, les 300millions d’enfants âgés aujourd’hui de 7 à 12 ans semettront d’ici quelques années en quête d’emplois,mais ceux-ci restent à créer. Parmi la multitude d’en-fants et d’adolescents dépourvus de perspectivesd’avenir, beaucoup sont des réfugiés ou des déplacés

à l’intérieur de leur propre pays. Lors d’un entretienavec des jeunes dans un camp de réfugiés syriens enJordanie, j’ai clairement perçu que l’inactivité et le sen-timent d’un avenir bouché constituent leur principalproblème.

Grâce à l’efficacité de son système de formation (professionnelle) et à sa renommée internationale, laSuisse est en mesure d’apporter une contribution utileen la matière aux pays partenaires de sa coopérationau développement. C’est pourquoi la DDC prévoitd’accroître de 50% son engagement dans ce domaineau cours des quatre années à venir. En visitant des pro-jets au Laos et au Rwanda, j’ai pu constater les bien-faits de notre modèle dual d’apprentissage. Dans biendes cas, il faut toutefois commencer par vaincre lespréjugés dont souffre la formation professionnelle parrapport aux études universitaires. Quand on y parvient,le succès est au rendez-vous.

Nous tenons également à améliorer les perspectivesdes jeunes réfugiés. Ainsi, nous proposons une forma-tion spécifique à ceux qui vivent dans le camp deKakuma, au Kenya. Privilégier les réfugiés n’aurait tou-tefois pas favorisé leur acceptation par la populationlocale. C’est pourquoi l’offre s’adresse également auxhabitants de la région, qui ont le même besoin d’ac-quérir des compétences professionnelles.

Pour la DDC, l’expression «La jeunesse est notre ave-nir » n’est donc pas juste une formule creuse. Il s’agitd’un programme.

Manuel SagerDirecteur de la DDC

(De l’allemand)

La jeunesse est notre avenirDDC

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Patrick Frilet/hemis.fr/laif

The Fred Hollows Foundation

Sven Torfinn/laif

Périscope

Un seul monde No 3 / Septembre 2016

Carburants contre alimentation( jlh) Environ 4% des terres agricoles de la planète sontvouées à la culture de plantes (maïs, soja, etc.) qui seronttransformées en carburants. Si ces sols étaient utiliséspour des cultures vivrières, ils pourraient nourrir 280 mil-lions de personnes supplémentaires, soit plus du tiers decelles qui sont sous-alimentées dans le monde. C’est ceque révèle une étude récente de l’Université de Virginie(États-Unis). «Ces résultats montrent à quel point lesagrocarburants font concurrence à l’alimentation pourl’utilisation des ressources limitées de la planète en terreset en eau», constate Paolo d’Odorico, coauteur del’étude. La situation ne peut qu’empirer avec l’accroisse-ment de la population mondiale qui devrait atteindre 9 milliards d’individus d’ici 2050. Les besoins de nourri-ture et de carburants iront en augmentant. Les conflits risquent de s’exacerber. Il est donc urgent, concluent leschercheurs, de produire des agrocarburants de deuxièmeet troisième générations (issus de déchets biologiques etd’algues), qui ne concurrencent pas les denrées alimen-taires.www.virginia.edu, chercher «Fuel or food»

Un ophtalmoscope pour 8 dollars( jlh) Il est petit, léger, bon mar-ché, efficace et n’a pas besoin decourant électrique pour fonc-tionner. L’Arclight, un appareildestiné à l’examen des yeux etdes oreilles (ophtalmoscope etotoscope), a été conçu spéciale-ment pour les pays en dévelop-pement. Il pèse 18 grammes et coûte 8 dollars. Il a été déve-loppé sur mandat de la fondationaustralienne Fred Hollows qui se consacre à la lutte contre lacécité évitable. Cette ONG l’adéjà testé avec succès en Austra-lie, en Éthiopie, au Kenya et enTanzanie. La construction est trèssimple : une lentille grossissante,une lampe LED, une batterierechargeable à l’énergie solaireou via un câble USB et un em-bout pour l’examen du conduitauditif. L’ophtalmoscope est uninstrument indispensable pourdétecter des affections comme lacataracte ou le glaucome, avantqu’elles n’entraînent une cécité.Vu son prix habituellementélevé, il est rare que le personnelmédical en soit équipé dans lespays pauvres. «Arclight a le po-tentiel d’offrir des examens ocu-laires à des millions de personnesqui, autrement, n’auraient pascette chance», estime le directeur médical de Fred Hollows. www.hollows.org

L’incidence du diabète augmente(bf ) Le nombre de diabétiques a presque quadruplé dans lemonde depuis 1980, passant de108 à 422 millions. Dans son

Un sommet pour lesAfricaines(bf ) L’Afrique compte 1,2 mil-liard d’habitants, dont plus de lamoitié sont des femmes. Assu-mant la responsabilité de la ma-jorité des ménages, celles-ci

jouent un rôle déterminant dansla production des denrées ali-mentaires. Les femmes représen-tent 43% de la main-d’œuvreagricole. Elles sont très activesdans l’aviculture, la productionlaitière, la pêche, l’aquacultureainsi que dans la commercialisa-tion des produits artisanaux etdes denrées alimentaires.Pourtant, on est encore très loind’atteindre l’égalité des sexes. Le 26e sommet de l’Union afri-caine, qui s’est tenu fin janvier àAddis-Abeba et qui a réuni lesreprésentants des 54 pays ducontinent, était placé sous le

signe des droits de l’homme«avec une attention particulièrepour les droits des femmes».Cette conférence a été l’occasiond’aborder les principaux obsta-cles empêchant les Africainesd’accéder à l’égalité des droits :l’exclusion économique, un système financier qui perpétue la discrimination, un manqued’accès à l’éducation, les violen-ces sexuelles, les pratiques cultu-relles dangereuses pour la santéet le fait que les femmes soientexclues des négociations de paix.

Pourquoi pas une aide indivi-duelle en espèces?( jlh) Rejeté en juin dernier parle peuple suisse, le revenu debase inconditionnel reste d’ac-tualité ailleurs dans le monde.L’ONG américaine GiveDirectlycompte y recourir pour éradi-quer la pauvreté extrême. Ellelancera bientôt un projet piloteau Kenya : environ 6000 person-nes particulièrement démuniesrecevront pendant dix ans unesomme suffisante pour subvenir àleurs besoins essentiels. Le trans-fert s’effectuera par téléphoneportable. GiveDirectly prévoitd’engager environ 30 millions dedollars pour financer ce projet.De son point de vue, un soutienen espèces est moins bureaucra-tique et plus digne que l’aidetraditionnelle au développement.Il devrait être au final plus effi-cace, car les bénéficiaires peuventdécider eux-mêmes, en fonctionde leur situation, de quelle ma-nière ils veulent utiliser leur argent. De plus, les fonds allouéscirculent ensuite dans les mar-chés de la région, ce qui renforcel’économie locale. L’ONGprévoit d’analyser en détail leprocessus, afin de vérifier s’il répond à ses attentes. Son projetsuscite un grand intérêt : la Ban-que mondiale et la Commissioneuropéenne examinent ellesaussi le modèle du revenu de base.www.givedirectly.org

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Le Figaro Magazine/laif

Un seul monde No 3 / Septembre 2016

Dessin de Jean Augagneur

premier rapport mondial sur lediabète, publié en avril dernier,l’Organisation mondiale de lasanté constate que cette maladien’est plus depuis longtemps li-mitée aux pays riches. En 2012uniquement, le diabète était àl’origine de 1,5 million de décès,dont 80% dans des États à revenufaible ou intermédiaire. Dans ces

pays, nombre d’habitants n’ontpas les moyens d’acheter des mé-dicaments. De plus, la maladie estsouvent diagnostiquée très tard,voire pas du tout. Les expertsestiment que les principaux facteurs de risque sont une mau-vaise alimentation, le surpoidsqui en résulte et le manque d’exercice physique. Si aucune

mesure efficace n’est prise pourstopper sa recrudescence, lediabète comptera d’ici 2030parmi les sept causes de décès lesplus fréquentes dans le monde. www.who.int, chercher «Global re-port on diabetes »

De l’énergie propre, de jourcomme de nuit(bf ) Le village de pêcheurs deCaleta San Marcos, dans le norddu Chili, est l’épicentre d’unprojet novateur : d’ici 2020, tousles besoins en électricité de la région seront couverts par dessources d’énergie renouvelables.Les promoteurs exploiteront lescaractéristiques géographiquesde cette côte aride et bordée de hautes falaises. Pendant lajournée, un grand parc photo-voltaïque générera du courant.Parallèlement, une centrale hy-draulique fonctionnant à l’éner-

gie solaire pompera l’eau del’océan Pacifique et l’acheminerapar un réseau de tunnels versdeux bassins de rétention natu-rels situés au-dessus des falaises, à 600 mètres d’altitude. De nuit,elle générera de l’électricité enrelâchant cette eau dans les mê-mes tunnels. Ainsi, une énergiepropre sera produite 24 heuressur 24. Ce projet semble faitpour le Chili, avec ses côtes in-terminables, ses falaises et sondésert d’Atacama brûlé par le so-leil. Valhalla, l’entreprise respon-sable des travaux, a récemmentremporté le Prix national del’innovation, décerné par le mi-nistère chilien de l’économie. Sondirecteur Juan Andrés Camus enest convaincu : «Des projetscomme celui-ci peuvent aider le Chili à devenir un pionnierdes technologies vertes. »www.valhalla.cl

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DOSSIER

Les perspectives d’avenir ne vont pas de soiOn compte 1,8 milliard de jeunes âgés de 10 à 24 ans sur laplanète, un nombre record. Environ 90% d’entre eux viventdans les pays en développement. Selon des spécialistes, lemonde ne disposera plus jamais d’un tel potentiel de progrèséconomique et social. Mais la grande question est de savoirquelle vie d’adulte attend ce groupe de population. De JensLundsgaard-Hansen.

Les jeunes représentent presque un quart de la po-pulation mondiale et même un tiers de celle despays en développement. Selon le Fonds des NationsUnies pour l’enfance (Unicef ), c’est maintenantqu’il faut leur donner la chance d’exprimer plei-nement leur potentiel, et pas seulement le jour oùils seront devenus des adultes.

Les défis à relever sont toutefois énormes. Environ90% des jeunes vivent dans les pays en développe-ment. Leur proportion tend d’ailleurs à être plusgrande là où la pauvreté est endémique, où l’Étatinvestit peu dans la formation et la santé et où lesinégalités hommes-femmes sont particulièrementmarquées. « Il est indispensable que les jeunes soient

Les connaissances scolaires ne suffisent pas pour trouver un emploi. Dès l’enfance, il importe de développer des compé-tences comportementales, telles que le travail en équipe et le sens de l’initiative – comme ici, à Kampala (Ouganda).

Barbara Dom

brow

ski/laif

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Tadej Znidarcic/Redux/laif

Un seul monde No 3 / Septembre 2016

Jeunesse et développement

placés au centre de la vision du développement du-rable de l’après-2015», demande Babatunde Oso-timehin, directeur du Fonds des Nations Uniespour la population (UNFPA). L’occasion estunique et il ne faut surtout pas la manquer.

Des défis clairement définisDans les milieux de la coopération au développe-ment, un large consensus règne au sujet des do-maines dans lesquels se situent les principaux dé-fis : la santé et la prévention, la protection sociale,la participation, ainsi que la formation et l’emploi.

Dividende démographiqueSelon la théorie du «divi-dende démographique»,une population très jeuneest une chance pour lespays en développement, àcondition que ceux-ci ap-pliquent la bonne politique :il importe tout d’abord deréduire la mortalité infantile(accès à l’eau, à la nourri-ture et aux soins de santé) ;le taux de natalité diminueensuite (grâce à la contra-ception notamment) ; lapart de la population activeaugmente et il est alorspossible d’exploiter sonpotentiel économique (eninvestissant dans la forma-tion et la santé). Des payscomme la Corée du Sud et Singapour doivent à cemécanisme l’essor écono-mique qu’ils ont connuentre 1965 et 1995. L’Afri-que, surtout au sud duSahara, possède égale-ment un grand potentiel,mais elle n’a pas encorepu mettre en œuvre lespolitiques requises.

Les limites entre ces domaines sont floues et les interactions nombreuses. Prenons par exemple lasanté et la prévention : selon l’Organisation mon-diale de la santé, seuls 10% des jeunes hommes et15% des jeunes femmes savent s’ils sont ou nonporteurs du virus du sida. Nombre d’entre eux nedisposent pas d’informations suffisantes sur cettemaladie. Parmi les femmes de 15 à 22 ans, 22% seu-lement ont accès à des moyens de contraception,alors que cette proportion atteint 60% chez cellesde plus de 30 ans. Par ailleurs, un tiers des femmes de 20 à 24 ans ontété mariées ou ont vécu avec un partenaire avantl’âge de 18 ans, voire plus tôt. Au Népal, au Nigerou au Mali, la proportion atteint 50 à 70%. Celaest dû aux normes culturelles et sociales ainsi qu’à

Environ 250 millions d’enfants dans le monde ne savent ni lire, ni calculer. Pourtant, plus de la moitié d’entre eux ont fréquenté l’école pendant au moins quatre ans.

la situation économique. Les conséquences sontgraves. D’une part, les grossesses et les naissancesprécoces constituent un risque élevé pour la san-té. D’autre part, elles provoquent des ruptures dansle parcours de vie : souvent, les filles ou les jeunesfemmes concernées interrompent leur formationet elles n’auront plus l’occasion de la reprendre. Leconstat inverse vaut pour celles qui ont achevél’école secondaire : il y a dans cette catégorie sixfois moins de mariages précoces et trois fois moinsde grossesses précoces que parmi les jeunes femmesqui n’ont pas atteint le degré secondaire.

Dépouillés de leur enfance et de leursdroitsDiverses formes de discrimination, d’exploitationet de mauvais traitements rejettent nombre d’in-dividus, et notamment des jeunes, en marge de lasociété. Les filles sont particulièrement exposéesaux abus sexuels, tandis que la violence des gangset le recrutement d’enfants-soldats recèlent souventde sérieux risques pour les garçons. Selon l’ONU,environ 170 millions d’enfants travaillent – soit11% de tous les enfants du monde – et 21 millionssont victimes de travail forcé. Environ 12% des mi-grants ont entre 10 et 24 ans. Ces statistiques de ladétresse donnent une idée de ce que signifie pourdes jeunes le fait d’être «marginalisés ». C’est précisément sur ce groupe de la population

Helena Schaetzle/laif

8 Un seul monde No 3 / Septembre 2016

Renforcer différentes formes de participation Protéger les jeunes en danger et victimes de dis-crimination ne suffit pas. Il faut leur permettred’être actifs au sein de la société. Des interventionspar des canaux très différents – comme les droitsde l’homme, la démocratie, l’éducation de base etla formation professionnelle – peuvent favorisercette participation. En Éthiopie, Helvetas organisepar exemple des Parlements des jeunes, où ces der-niers débattent de sujets politiques. « Ils acquièrentainsi des connaissances pratiques du système poli-tique et se préparent à assumer des responsabilitéspar la suite », résume Ben Blumenthal, chef del’équipe Gouvernance et paix chez Helvetas. Ceprojet permet d’ailleurs aussi à la génération plusâgée de comprendre le fonctionnement d’un Par-lement.L’informatisation et Internet constituent égale-ment de nouvelles formes de participation. Lesnouvelles technologies ne sont toutefois pas à laportée de tous : dans les pays européens, environ90% des jeunes de 15 à 24 ans connaissent bien lesappareils et outils informatiques ; en revanche, laproportion n’est que de 30% à l’échelle mondialeet chute même à 10% en Afrique subsaharienne.Or, Internet donne accès à toutes sortes d’infor-mations, que ce soit sur des programmes de for-

que l’œuvre d’entraide Terre des Hommes Suisseconcentre ses activités. Filip Zirin, membre del’équipe de communication, dresse le constat sui-vant : «La pauvreté, la discrimination et la guerreaffectent tout particulièrement les jeunes. Ces der-niers deviennent vulnérables dans un environne-ment marqué par la violence. Nos projets misentdès lors sur le soutien psychosocial pour les aiderà surmonter leurs traumatismes. »Les victimes ont ceci en commun : dépouillées deleur enfance et de leurs droits, elles perdent touteperspective de mener l’existence de leur choix.Beaucoup sombrent dans la criminalité. Un projetde la DDC prévient cette dérive dans de grandesvilles du Honduras. Il offre aux jeunes des quar-tiers populaires la possibilité de suivre des forma-tions brèves – pour devenir par exemple mécani-cien sur moto, menuisier ou coiffeur. L’objectif estclair : il s’agit de renforcer les systèmes éducatifs et d’accroître les chances des jeunes d’obtenir untravail décent et un revenu, pour éviter qu’ils nerejoignent des gangs et se laissent happer par la spi-rale de la violence. Ailleurs, les activités ciblentd’autres groupes défavorisés : un projet de la DDCvise à améliorer les perspectives des réfugiés dansle camp de Kakuma, au nord-ouest du Kenya, maiségalement celles d’habitants très démunis vivant àproximité (voir page 14).

Pour que les adolescents aient une chance de s’insérer sur le marché du travail, le système éducatif doit coopérer avecl’économie et la société. Ici, un stage de formation dans un hôpital du Sri Lanka.

Ni au travail, ni à l’école,ni en formationL’acronyme anglais NEET(not in employment, edu-cation or training) désigneles jeunes qui n’ont pasd’emploi, ne sont pas sco-larisés et ne suivent pas deformation. Ils sont donc inactifs et souvent sansperspectives. Le Rapportsur le développement dansle monde 2013 estime leurnombre à 620 millions. Le taux de NEET tend àêtre plus élevé en ville quedans les zones rurales. Au Pakistan, en Inde et en Turquie notamment, oncompte parmi eux plus defemmes que d’hommes.Dans d’autres pays, com-me au Ghana, au Chili ouen Ukraine, la différenceentre les sexes est nette-ment moins marquée. Demanière générale, le tauxde chômage est beaucoupplus élevé chez les jeunesque dans le reste de la population.

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P. Crooker/Archivolatino/laif

Pieter Ten Hoopen/VU/laif

Holland. Hoogte/laif

Un seul monde No 3 / Septembre 2016

L’exploitation et les abus dont sont victimes les jeunes prennent diverses formes. Exemples : travail d’enfants (commeces vendeurs de journaux en Bolivie), mariage précoce (ici en Inde) ou enfants-soldats (ici en Indonésie).

Il y a travail et travailSur la planète, environ 1,6milliard de personnes sontsalariées ; presque autantsont actives dans l’agri-culture ou exercent uneactivité indépendante. En-viron 1,5 milliard d’indivi-dus travaillent dans desconditions précaires (sanscontrat ni protection so-ciale, bas salaires). Quel-que 820 millions de travail-leurs gagnent moins de 2 dollars par jour. Dans lespays en développement, la formation et l’économieinformelles (où il n’y a parexemple ni contrat ni su-pervision étatique) sontplutôt la règle que l’excep-tion. Au niveau mondial,près de 80% des hommesont un emploi, alors quece taux est de moins de50% chez les femmes.

mation, des offres d’emploi ou des questions liéesà la santé.Selon le Rapport sur le développement humain 2015,publié par le Programme des Nations Unies pourle développement, plus de 3 milliards d’individusont accès à Internet. Si cet accès était aussi géné-ralisé dans les pays en développement qu’il l’estdans les pays riches, 140 millions d’emplois sup-plémentaires pourraient être créés, dont 40 millionsen Afrique et 65 millions en Inde. Suzanne GrantLewis, directrice de l’Institut international de pla-nification de l’éducation, fondé par l’Unesco, estclaire à ce sujet : «Lorsqu’ils quittent l’école, lesjeunes doivent savoir où obtenir ou trouver des informations, mais aussi être capables de distinguerle vrai du faux. » Pour cela, Internet et le savoir numérique sont indispensables.

Il faut 600 millions de nouveaux emploisLe plus grand défi à relever pour satisfaire ces jeu-nes tient en deux mots : formation et emploi. Dansson Rapport sur l’état de la population mondiale 2014,l’UNFPA estime qu’il faudra créer quelque 600millions d’emplois au cours de la décennie à venirsi l’on veut réduire le chômage des jeunes et ab-sorber tous ceux qui arriveront sur le marché dutravail.Actuellement, les jeunes représentent près de 40%des chômeurs officiellement enregistrés sur la pla-nète. Dans les pays en développement, environ60% d’entre eux n’ont ni travail ni formation, ouoccupent des emplois précaires – c’est-à-dire trèsmal rémunérés et n’offrant pratiquement aucuneprotection sociale. Leur fournir du travail ne suffitdonc pas. Il faut que les emplois soient productifs

Jeunesse et développement

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Sven Torfinn/laif

Swisscontact

Un seul monde No 3 / Septembre 2016

Accent sur la formationChaque année, le budgetde la DDC alloue 40 à 50millions à la formation professionnelle et 60 à 70 millions à l’éducation debase. Ces montants com-prennent également unecontribution au Partenariatmondial pour l’éducation.La DDC met l’accent surl’accès des groupes défa-vorisés (les femmes, lesplus démunis, les person-nes marginalisées, etc.) àdes formations qui s’inspi-rent des avantages com-paratifs de la Suisse (for-mation plurilingue, systèmedécentralisé). Le Conseilfédéral prévoit d’accroîtred’environ 50% les fondsdestinés à l’éducation debase et à la formation professionnelle durant lapériode 2017-2020.

et décents. Dans son rapport Emploi et questions so-ciales dans le monde – Tendances 2016, l’Organisationinternationale du travail (OIT) appelle à redou-bler d’efforts pour « lutter contre les inégalités encréant des emplois en plus grand nombre et de meil-leure qualité ».En d’autres termes, le travail revêt bien plus qu’unedimension économique. Il peut renforcer l’égalitédes sexes. Il facilite la participation au sein de la so-ciété. En outre, il fait naître un sentiment de di-gnité et accroît l’estime de soi. « Le travail confèreaux jeunes un statut et leur garantit une existencedigne. C’est la condition indispensable pour fon-der une famille et avoir son propre chez-soi », re-marque Philip Puyo, responsable pour l’Unicef ausein de la DDC. De l’enfance à l’exercice d’un métier valorisant, leparcours passe par la case « formation». Les jeunesle savent parfaitement. Selon une enquête mondialeréalisée par l’ONU, une bonne formation est poureux la priorité absolue. Elle précède la santé et lasécurité alimentaire dans la liste de leurs préoccu-pations. C’est pourquoi l’Agenda 2030 pour le développement durable inclut expressément non seulement les enfants, mais tous les jeunes, dans ses objectifs en matière de formation.

Le savoir numérique ainsi que l’accès à Internet, et donc aux informations, revêtent une importance croissante pour lesjeunes dans le monde entier – ici à Nairobi, au Kenya.

Des passerelles entre les niveaux de formationDes progrès notables ont été enregistrés concernantl’accès des filles et des garçons à l’école primaire.Toutefois, la qualité de l’éducation laisse à désirer.D’une part, environ 250 millions d’enfants dans lemonde ne savent ni lire ni compter – alors que 130millions d’entre eux sont allés à l’école pendantquatre ans au moins. Souvent, le système éducatifmanque d’infrastructures, de matériel scolaire etd’enseignants compétents. D’autre part, beaucoup d’enfants et de jeunes aban-donnent leur scolarité un jour ou l’autre pour di-verses raisons : l’école coûte trop cher, le trajet pours’y rendre est trop long ou alors ils doivent travaillerpour contribuer au revenu familial. « Le passaged’un niveau d’éducation à un autre constitue tou-jours un moment critique, c’est là qu’il fautconstruire des ponts », relève Philip Puyo. Dans cedomaine, la Suisse apporte son expérience parti-culière, comme le souligneValérie Liechti, spécia-liste de l’éducation au sein de la DDC: «Nous pos-sédons un système éducatif souple, plurilingue, quioffre des passerelles et des liens entre les différentsniveaux. Nous faisons valoir ces atouts dans le dia-logue politique avec nos pays partenaires. » La DDC

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Johann Rousselot/laif

Un seul monde No 3 / Septembre 2016

Les Parlements des jeunes, comme celui-ci en Éthiopie,permettent d’acquérir des connaissances politiques et dese préparer à assumer des responsabilités dans la société.

redéfinit actuellement sa stratégie en matière édu-cative. «L’un des objectifs consiste à établir un lienplus étroit entre l’éducation de base et la formationprofessionnelle. Aujourd’hui, nous avons encoretrop tendance à séparer des éléments qui doiventconstituer un tout », constate Mme Liechti.

Enseigner les connaissances appropriéesL’école et la formation ne sont cependant pas unegarantie de succès. Il arrive fréquemment que laformation ne transmette pas les compétences quisont demandées sur le marché du travail. «Dans l’es-prit de la formation professionnelle duale pratiquéeen Suisse, nous essayons toujours de faire le lienentre système éducatif, économie et société », noteBrigitte Colarte-Dürr, spécialiste de la formationprofessionnelle à la DDC. Le projet Vela, au Laos,en est un exemple (voir page 16). Il englobe for-mation artisanale, bourses pour les plus démunis etmodernisation du système éducatif.Les projets pour l’emploi des jeunes que la DDCréalise dans les Balkans occidentaux visent des ob-jectifs similaires : «En Albanie, en Bosnie ou au Ko-sovo, par exemple, l’éducation de base et la forma-tion professionnelle ne correspondent souvent pas

assez aux besoins du marché. Nous associons lesPME à nos projets, afin de définir des programmesde cours et d’offrir des formations pratiques », in-dique Alex Widmer, de la section Balkans occi-dentaux. Cela inclut aussi l’orientation profession-nelle, un mentorat pour les groupes défavorisés (par exemple, les Roms) ainsi que des accords entreautorités locales et secteur privé pour créer desplaces de stage et des emplois. Brigitte Colarte-Dürr précise l’approche générale de ces projets :«Nous essayons d’être présents là où les autoritésveulent améliorer les filières existantes. L’objectifest que notre expérience et nos modèles soient àterme intégrés dans les systèmes locaux de forma-tion professionnelle. C’est le seul moyen d’avoir un large impact. »Dans son Rapport sur la situation des enfants dans lemonde 2011, l’Unicef affirme que « l’adolescence est l’âge de tous les possibles ». Le fait est, toutefois,que les possibilités ne surgissent pas d’elles-mêmes.Nous devons « prendre conscience de l’impor-tance cruciale de cette période formatrice ». ■

(De l’allemand)

Le savoir n’est pas tout Quand les jeunes ne trou-vent pas d’emploi et quel’économie recherche envain des travailleurs, c’estsouvent le signe que l’offrede compétences n’est pasadaptée à la demande. LaBanque mondiale a mis aupoint un programme sim-ple pour renforcer les qua-lifications nécessaires à lacroissance et à la produc-tivité. Soutenu par leSecrétariat d’État à l’éco-nomie, celui-ci comprendcinq étapes qui vont del’enfance à l’âge adulte.L’idée de base est que lesavoir n’est pas tout. Dèsl’enfance, il importe dedévelopper plus spéciale-ment des compétencestelles que le travail enéquipe, la créativité et l’innovation.www.worldbank.org, cher-cher «Stepping Up Skills »

En s’inspirant du système dual suisse, un projet de la DDCdispense une formation hôtelière à de jeunes Albanais.

Jeunesse et développement

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Malte Jaeger/laif

Un seul monde No 3 / Septembre 2016

Un problème de qualité dans l’éducationLe succès de tout système éducatif passe par la définition depriorités politiques et par une planification systématique.L’Américaine Suzanne Grant Lewis, directrice de l’Institut in-ternational de planification de l’éducation (IIPE), s’en dit per-suadée. Entretien avec Jens Lundsgaard-Hansen.

Un seul monde : La planète compte 1,8 mil-liard de jeunes, qui vivent pour la plupartdans les pays en développement. Tous vou-draient un emploi et un avenir. Réaliseront-ils ce rêve?Suzanne Grant Lewis : C’est là un défi énorme.Dans certains pays, on a espéré transformer l’aug-mentation du nombre de jeunes en un «dividendedémographique». Cependant, l’élan économique asouvent manqué de vigueur et il semble que ce di-vidende ne soit pas si facile à dégager. Pour y par-venir, une formation de qualité et axée sur les be-soins constituerait un facteur clé.

Les Objectifs du Millénaire pour le dévelop-pement ont permis de réaliser des progrèsévidents en matière d’éducation dans les payspauvres. N’est-il pas possible de transformerces résultats en emplois ?Les gens pensent parfois que l’éducation résoudrale problème du chômage. Mais le système éducatifne crée pas d’emplois. Il faut plutôt se demander sinos écoles préparent les enfants à la vie qui les at-tend après leur scolarité. À de nombreux égards, laréponse est non. Nous devons donc tout faire pourremédier à cette situation.

Qu’est-ce qui ne marche pas?En sortant de l’école, nombre d’enfants ne saventni lire ni compter. Nous avons donc un problèmede qualité et celui-ci est lourd de conséquences. Sansconnaissances de base en lecture et en mathéma-tiques, les jeunes auront de la peine à trouver unemploi et à subvenir à leurs besoins. Il leur sera aus-si difficile d’atteindre des objectifs en matière desanté ou de comprendre le changement climatique.

Faut-il donc se concentrer davantage sur laformation de base?Certes, mais pas seulement. Plus on s’élève dans lesystème éducatif, plus on s’aperçoit que le mondea évolué. De quelles compétences cognitives et so-ciales les jeunes ont-ils besoin? Ils doivent quitterl’école en étant capables de faire preuve d’esprit critique. Ils doivent savoir où obtenir des informa-tions et comment distinguer le vrai du faux.

Faites-vous allusion, en l’occurence, à l’uni-vers numérique?Oui, l’éducation numérique est essentielle pour lesjeunes, tout comme l’accès aux informationsnumériques. Mais nous parlons aussi de valeurs so-ciales et d’un civisme mondial. Les jeunes doiventsavoir qu’ils ont des droits et des devoirs. La for-mation ne doit pas nous préparer seulement à exer-cer une profession unique, mais également à ap-prendre tout au long de la vie.

Comment passer de la théorie à la pratiqueet mettre en place la formation dont les jeu-nes ont vraiment besoin?En planifiant, bien sûr. À l’IIPE, c’est notre cœur demétier. Une planification systématique implique deséchanges avec les milieux politiques pour définir les

Les écoles – comme ici en Côte d’Ivoire – préparent-ellesles enfants à la vie qui les attend après leur scolarité?

Suzanne Grant Lewisdirige depuis 2014 l’Institutinternational de planifica-tion de l’éducation. CetteAméricaine, titulaire d’undoctorat de l’Université deStanford (États-Unis), atravaillé pendant plus de25 ans à améliorer l’accèsà l’éducation dans les paysen développement. Elles’est concentrée sur la politique et la planificationde l’éducation en Afrique.Mme Grant Lewis a égale-ment enseigné la politiqueinternationale de l’éduca-tion à l’Université deHarvard, œuvré dans laphilanthropie privée, déve-loppé et dirigé des pro-grammes de recherche sur l’éducation et publiédes textes sur divers sujetsscientifiques. Hormis auxÉtats-Unis, elle a vécu auKenya, en Tanzanie, enNamibie, au Malawi et enFrance.

Nick Hannes/laif

13Un seul monde No 3 / Septembre 2016

Un institut d’enverguremondialeFondé en 1963 en tantqu’organe de l’Unesco,l’Institut international deplanification de l’éducation(IIPE) a son siège à Paris etpossède des bureaux ré-gionaux à Buenos Aires età Dakar. Il offre des coursde formation et descoopérations techniquesaux États membres de l’organisation. L’IIPE réalisedes projets de rechercheappliquée et sert de plate-forme pour la diffusion deconnaissances (publica-tion de livres et d’autresdocuments, bibliothèque,apprentissage en ligne,etc.). Il gère le portail Plani-polis (planification et poli-tique de l’éducation) etvient de lancer un nouveauportail d’apprentissage. LaDDC lui verse une contri-bution de 6 millions defrancs pour la période2014-2017.www.iiep.unesco.org

priorités. La première étape consiste à analyser lesystème éducatif existant. Quels sont ses points fortset ses faiblesses ? Quelles inégalités règnent dans le pays ? Il y a des disparités entre les sexes, mais à celles-ci viennent se superposer des écarts entre lesrégions. De plus, beaucoup de pays comptent dif-férents groupes linguistiques et des populationsmarginalisées. Pour fixer des priorités, nous devonscomprendre ces inégalités.

Obtenez-vous ainsi un plan applicable ?Non. Nous devons amener les membres des dif-férents ministères à dialoguer. Un excès de planifi-cation finit par ressembler à une liste d’achats : nousvoulons ceci, nous voulons cela, etc. Il faut aussi dé-finir les priorités en fonction de l’argent disponi-ble. Nous devons impliquer ceux qui seront appelésà mettre en œuvre le plan, c’est-à-dire consulter tousles acteurs, y compris les enseignants et les parents.Ma longue expérience m’a appris que même desplans élaborés avec soin peuvent échouer lors de lamise en œuvre.

Quelle importance revêt la formation pro-fessionnelle?Si nous voulons l’élargir, une planification est né-cessaire. Dans bien des régions du monde, la for-mation professionnelle n’est pas assez développée.C’est pourquoi nous avons lancé en novembre der-nier un nouveau programme au Burkina Faso, enCôte d’Ivoire, en Mauritanie et au Sénégal. Nousoffrons une plateforme aux milieux publics et pri-

Dans bien des régions du monde – notamment en Inde (ci-dessus) –, la formation professionnelle n’est pas assez développée.

vés qui assurent la formation professionnelle. Nousapportons par ailleurs un appui direct aux gouver-nements.

Avez-vous des informations concernant les effets d’une planification systématique de laformation?Pour planifier, nous utilisons des stratégies et des objectifs. Naturellement, nous voulons savoir quels

sont les résultats, d’où la nécessité d’un suivi. Nousaidons les gouvernements à mettre en place les systèmes requis et à analyser les données, afin qu’ilsles vérifient et adaptent au besoin les objectifs. Pournous, la planification n’est pas statique.

Quelles sont les conséquences concrètes desprogrammes de l’IIPE?En 2014 et en 2015, l’IIPE a formé environ 1500planificateurs dans le domaine de l’éducation, dont47% viennent d’Afrique et 36% sont des femmes.Un millier d’employés de ministères ont bénéficiéd’un mentorat. Des planificateurs cambodgiens sontégalement venus suivre un cours de formation ici,à Paris. Ils nous ont ensuite demandé de mettre surpied un tel programme au Cambodge. Ensemble,nous avons alors adapté le contenu et le matérield’enseignement à leurs besoins. Notre stratégie viseégalement à renforcer des instituts locaux de for-mation, afin d’avoir un plus large impact. ■

(De l’anglais)

Jeunesse et développement

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Sven Torfinn/laif

Un seul monde No 3 / Septembre 2016

( jlh) «La durée de séjour moyenne dans les campsde réfugiés, au niveau mondial, est actuellement de17 ans », rappelle Martina Durrer, chargée de pro-gramme pour la Corne de l’Afrique à la DDC. Cequi débute comme une soudaine catastrophe hu-manitaire, lorsque les gens sont chassés de chez eux,risque de devenir un état permanent dans les camps.Il est donc nécessaire de combiner les approches del’aide humanitaire et de la coopération au déve-loppement : les réfugiés ont besoin de perspectives,de travail et d’un revenu, afin de ne pas être totale-ment dépendants de l’aide extérieure. C’est ainsique la DDC conçoit un projet mené dans le campde Kakuma, au nord-ouest du Kenya, qui abritequelque 185000 réfugiés. Le but est de transmettreaux résidents diverses compétences pratiques, afinde leur donner une meilleure maîtrise de leur vieet une certaine indépendance, que ce soit dans le

Le camp de réfugiés de Kakuma, dans le nord-ouest du Kenya, abrite 185000 personnes, dont beaucoup de jeunes.Certains sont même nés dans cette ville de tentes créée en 1991.

Formation pour tous à Kakuma Les immenses camps de réfugiés de Dadaab et Kakuma sontinstallés dans des zones frontalières arides du Kenya. Plu-sieurs centaines de milliers de personnes y vivent, certaines depuis 25 ans. Grâce à un projet de la DDC, des résidents de Kakuma peuvent suivre une formation professionnelle et ac-quérir des compétences sociales et économiques – autant declés pour un avenir meilleur.

camp ou dans leur pays – le jour où ils pourrontrentrer chez eux.

Ni indemnités ni repas gratuitsComme le fait également remarquer Martina Dur-rer, « il arrive souvent que des camps de réfugiés si-tués dans des zones périphériques deviennent devéritables pôles économiques ». C’est le cas de Ka-kuma. Pour la population locale, dont les conditionsde vie sont parfois encore plus dures que celles desréfugiés, cela comporte plusieurs avantages. Grâceaux réfugiés, de nouveaux marchés apparaissent, leséchanges commerciaux s’intensifient et on construitcertaines infrastructures. D’un autre côté, le campreprésente une concurrence pour des ressourcesrares, comme l’eau ou le bois de feu. Si les réfugiésne sont pas autorisés à s’intégrer sur le marché dutravail local, la population indigène, elle, n’a pas droit

Environ 600000 réfugiésau KenyaEn 2015, le HCR a recenséplus de 65 millions de per-sonnes déracinées dans lemonde (réfugiés, déplacésinternes et requérants d’asile), un chiffre jamaisatteint depuis la SecondeGuerre mondiale. La Tur-quie, le Pakistan, le Liban,l’Iran, la Jordanie, l’Éthio-pie et le Kenya en accueil-lent la majeure partie. AuKenya, on compte environ600000 réfugiées, dont356000 dans le camp deDadaab et 185000 danscelui de Kakuma. Au niveaumondial, deux tiers des réfugiés et des personnesdéplacées vivent non pasdans des camps, mais enmilieu urbain. De ce fait, lespays hôtes et les autoritéslocales ont de grandes difficultés à leur fournir uneassistance minimale en termes d’éducation, desanté et d’emploi.

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Joao Silva/NYT/Redux/laif

Un seul monde No 3 / Septembre 2016

aux prestations d’aide qui sont destinées aux réfu-giés. Pour désamorcer les tensions, le projet «Skills forLife » est ouvert aussi bien aux résidents du campqu’à la population locale. La participation est en-tièrement volontaire. Il n’y a ni indemnités ni re-pas gratuits. Seule compte la volonté des participantsd’améliorer leur situation personnelle.La DDC collabore avec des partenaires locaux etinternationaux. Elle a confié la gestion opération-nelle du projet à Swisscontact, qui réalise depuis

longtemps des programmes de formation profes-sionnelle dans les pays en développement. Selon Katrin Schnellman, porte-parole de cette fondationsuisse, « le défi consiste à adapter l’approche dualede l’apprentissage aux réalités locales de chaquepays ». Un autre partenaire clé est le Haut Commis-sariat des Nations Unies pour les réfugiés, respon-sable à l’échelle mondiale de la gestion des camps etde la prise en charge des réfugiés. Il coordonne letravail des autres organisations actives sur place.

Gagner sa vie dès que possibleAprès une analyse du marché, menée avec les au-torités locales et le secteur privé, la phase pilote adémarré en automne 2013. Elle dure jusqu’à l’été2016. Il s’agit de dispenser une formation sur le tas,informelle et peu coûteuse. Le projet met sur pieddes groupes d’apprentissage qui comprennent despersonnes présentant un profil similaire (intérêts,âge, formation). Il s’adresse aussi bien aux jeunesqu’aux adultes, aux femmes qu’aux hommes. Douze cours spécialisés sont proposés – de l’agri-culture à la réparation d’ordinateurs et de télé-phones portables, en passant par la maçonnerie, lagestion des déchets, la blanchisserie ou le tissage.Chaque groupe travaille sur l’un de ces thèmes. Encomplément, les participants suivent une formationde base en lecture et en calcul. Ils acquièrent éga-lement des compétences économiques et socialesdans des domaines comme l’entrepreneuriat, la ges-

tion des finances, la santé et la prévention. Le pro-jet vise à leur offrir une formation complète, pourqu’ils puissent gagner aussi vite que possible un pre-mier revenu et, idéalement, fonder une petite en-treprise avec d’autres membres du groupe. À l’issuede la formation, qui dure quatre à cinq mois, les participants ont acquis de nombreuses connais-sances et sont titulaires d’un certificat. Ensuite, ilsbénéficient d’un encadrement pendant quelquesmois, jusqu’à ce qu’ils puissent voler de leurs pro-pres ailes.

Une phase pilote concluanteUne évaluation indépendante, menée en 2015, aconstaté que la phase pilote s’était bien déroulée.Le comité de pilotage du projet – dans lequel sontreprésentés le gouvernement local, l’ONU, les or-ganisations partenaires et les bénéficiaires – est par-venu à la même conclusion. La constitution degroupes d’apprentissage, par exemple, a obtenud’excellentes notes. La proportion de femmes at-teint 55%. Durant la prochaine phase, d’une duréede deux à trois ans, le projet devra tirer les ensei-gnements des premières expériences réalisées etconsolider l’approche méthodologique.« Il est très réjouissant de constater que plusieursgroupes d’apprentissage se sont déjà unis pour former de petites entreprises », se félicite MartinaDurrer. Certains d’entre eux ont décroché descontrats et des commandes fermes, par exemplepour la gestion des déchets dans le camp et l’en-tretien de l’équipement informatique du gouver-nement local. «Sur la base du projet pilote de Kakuma, nous vou-lons élaborer un modèle de formation profession-nelle qui pourra ensuite être reproduit de manièremodulable dans d’autres camps de réfugiés », ex-plique Mme Durrer. «Nous espérons y parvenir d’icila fin de la prochaine phase. Les choses sont en bonne voie. » ■

(De l’allemand)

DDC

Jeunesse et développement

Au sein de groupes d’apprentissage, des jeunes de l’intérieur et de l’extérieur du camp acquièrent des compétencesprofessionnelles et se préparent à une activité indépendante.

16 Un seul monde No 3 / Septembre 2016

Une mosaïque ethniqueLe Laos compte environ 7 millions d’habitants. Parle passé, la populationétait subdivisée en troisgrands groupes ethniques– Lao Loum, Lao Theunget Lao Soung –, diviséschacun en une quantitéde sous-groupes. Aujour-d’hui, l’État reconnaît offi-ciellement 49 ethnies.Parmi celles-ci, les Suaytotalisent environ 40000personnes et vivent princi-palement dans la provincede Saravane, au sud dupays. Ils font partie dugroupe linguistique môn-khmer. En effet, leslangues sont elles aussiréparties en plusieursgroupes, comprenantchacun divers dialectes.Leur répartition est condi-tionnée par la situationgéographique (vallées flu-viales, hauts plateaux,montagnes).

( jlh) «Grâce à ma formation de couturière, je peuxmaintenant confectionner, même sans machine àcoudre, des robes, des jupes et des blouses », se ré-jouit Viengsavanh. Cette jeune femme de 19 ans,membre d’une famille suay, voudrait fonder plustard une petite entreprise avec ses économies et s’assurer ainsi son propre revenu. Elle fait partie desquelque 300 élèves qui ont déjà achevé une for-mation à l’école professionnelle de la province deSaravane. Cet établissement propose des cours dansles domaines suivants : cuisine, horticulture, élevage,électricité, réparation de petits moteurs, construc-tion, menuiserie et couture. Douze écoles profes-sionnelles et techniques sont regroupées au seind’un projet mené depuis 2014 par l’agence alle-mande de coopération GIZ, sur mandat de la DDCet du gouvernement allemand. La GIZ collaboreétroitement avec le ministère laotien de l’éducationainsi qu’avec les autorités et les entreprises locales.

Des bourses aux jeunes défavorisésDeux tiers des habitants du Laos vivent avec moinsde 2 dollars par jour. L’agriculture occupe 70% dela population active. Quelque 300000 Laotiens tra-vaillent en Thaïlande voisine, alors que le pays ac-cueille environ 100000 travailleurs étrangers, faute

Après avoir suivi une formation d’assistante en cuisine, ces jeunes Laotiennes auront plus de chances de trouver un emploi.

De meilleures perspectives pour ViengsavanhUn projet cofinancé par la Suisse et l’Allemagne permet à dejeunes Laotiens, en particulier à ceux issus des milieux défa-vorisés, d’apprendre des métiers artisanaux. Il appuie égale-ment la réforme et la modernisation du système national de formation professionnelle.

de main-d’œuvre indigène qualifiée. C’est juste-ment ce point que le projet veut corriger. «La GIZtransmet aux jeunes les compétences nécessaires àun développement économique durable», expliqueAndrea Siclari, chargé de programme à la DDC. «LaSuisse a tenu à ce que le projet prenne en compteles aspects de la réduction de la pauvreté et des mi-norités ethniques. »D’ici 2018, pas moins de 2000 jeunes devraientavoir complété leur cursus par un stage pratique enentreprise. Et 10000 autres, issus de milieux défa-vorisés, auront suivi des formations de courte du-rée. Environ 45% d’entre eux sont des femmes. L’ap-prentissage axé sur la pratique n’est que l’une destrois composantes principales du projet. «Un autrevolet important est l’octroi de bourses aux jeunesmarginalisés pour qu’ils puissent avoir accès à desformations formelles », complète Barbara Jäggi Hasler, vice-directrice du bureau de coopérationsuisse au Laos. Ce projet vise également à soutenirla réforme de la formation professionnelle au Laos.Jusqu’ici, les formations techniques ne sont pas bienconsidérées dans ce pays. Il est fort possible que leprojet améliorera leur réputation. ■

(De l’allemand)

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Faits et chiffres

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Jeunes et vieux inégalement répartisSi l’expression «courbe démographique» rime avec vieillissement de la société en Europe, elle signifie tout le contraire dans les pays endéveloppement. Les jeunes de moins de 20 ans représentent 10% de la population en Europe, contre 26% en Afrique. Quant aux 45-65ans, leur proportion est de 14% sur le Vieux Continent, mais de 6% seulement en Afrique, où les personnes de cette tranche d’âge sontquatre fois moins nombreuses que les jeunes. Les défis démographiques des deux continents sont donc totalement différents.

Chiffres clés • La majorité de la population mondiale n’a pas encore atteint

l’âge de 30 ans. Dans 17 pays en développement, la moitié des habitants ont même moins de 18 ans.

• Chaque jour, 39 000 jeunes filles de moins de 18 ans se marient.

• Près d’un milliard de personnes travaillent dans l’agriculture. Environ 500 millions de familles paysannes produisent 80% des denrées alimentaires nécessaires pour nourrir la populationmondiale.

• En Europe, 25% des entreprises déplorent l’insuffisance des compétences des candidats sur le marché du travail ; en Afrique subsaharienne et en Asie de l’Est, la proportion se situe entre 40 et 50%.

• Au niveau mondial, 46% des travailleurs occupent des emploiscaractérisés par une faible productivité et assortis d’une mau-vaise couverture sociale ; en Asie du Sud et en Afrique subsa-harienne, la proportion dépasse même 70%.

• Plus de 100 millions de jeunes âgés de 15 à 24 ans dans le monde sont analphabètes.

Les jeunes sont avides de formationDans un sondage mondial en ligne, l’ONU a demandé à despersonnes de tout âge quels étaient leurs désirs et leurs priori-tés pour l’Agenda 2030. Environ 7,5 millions de jeunes demoins de 30 ans ont donné leur avis. «Une bonne éducation»est clairement la première de leurs préoccupations. Elle estsuivie, aux deuxième et troisième rangs, par «un meilleur sys-tème de santé» et «de meilleurs emplois ». Chez les moins de 15 ans, ces deux dernières priorités sont inversées : ellesoccupent respectivement le troisième et le deuxième rangs. www.myworld2015.org

Sources et liens• Pnud : Rapport sur le développement humain 2015

– Le travail au service du développement humain,www.undp.org

• Unicef : La situation des enfants dans le monde 2011, www.unicef.org

• UNFPA : Le pouvoir de 1,8 milliard d’adolescents et de jeunes et la transformation de l’avenir – État de la popula-tion mondiale 2014, www.unfpa.org

• OIT : Emploi et questions sociales dans le monde – Tendances 2016, www.ilo.org

Europe : 13,3% de la population a moins de 25 ans (2016). Afrique : 30,1% de la population a moins de 25 ans (2016).Source : www.populationpyramid.net

HOMMES FEMMES HOMMES FEMMES

Claudia Wiens

18 Un seul monde No 3 / Septembre 2016

HORIZONS

Tout hôte officiel de l’Égypte se voit présenter la Vision 2030. Ce document a été dévoilé pour la pre-mière fois à Charm el-Cheikh, lors d’une conférenceéconomique internationale, avec force graphiques encouleur et images idylliques. L’Égypte de 2030 estun État moderne, démocratique et civil, où les ha-bitants mènent une vie heureuse, sûre et stable : lacroissance atteint 12% (contre 3,5% aujourd’hui), lapart de l’économie privée a augmenté de 60 à 75%,le chômage est tombé de 13 à 5% et la pauvreté adiminué presque de moitié, passant de 26,3% à 15%.

Plus de dommages que de bienfaitsPour atteindre ces objectifs ambitieux, il faut des in-vestissements considérables. Or, le contexte actueln’attire pas les investisseurs. Économistes et organi-sations internationales l’affirment depuis des an-nées : les dysfonctionnements de la bureaucratieconstituent le principal obstacle. En d’autres termes,les dommages sont souvent plus importants que lesbienfaits, car l’administration est inefficace et la cor-

Des milliers de dossiers s’empilent dans le centre de services administratifs de Gizeh, près du Caire. C’est à ce bureau queles citoyens doivent s’adresser pour obtenir un permis de construire ou l’autorisation d’ouvrir un magasin, par exemple.

ruption largement répandue. La bureaucratie n’estpas seulement une source d’irritation dans la vie detous les jours. Elle complique aussi le travail deshommes d’affaires et a des conséquences négativessur la compétitivité de l’économie. Il faut compter189 jours pour enregistrer une société individuelle.Cette démarche comporte 86 étapes et coûte plusde 1000 francs.«Le gouvernement doit lutter contre la corruptionet les méthodes de travail obsolètes. En 2016, unfonctionnaire s’embourbe encore dans un dossiervieux de trente ans, avant d’annoncer au requérantqu’il doit s’adresser à un autre bureau.» Cette lettrede lecteur n’a rien d’exagéré. Un coup d’œil jetédans les sous-sols du ministère de l’agriculture suf-fit à s’en convaincre : des centaines de milliers de dossiers s’entassent dans des pièces obscures, reliéespar d’interminables couloirs, où s’affairent des cen-taines d’employés. La bureaucratie en Égypte, ce sontavant tout des gens. La fonction publique compte 7 millions d’employés. À lui seul, le ministère de

Une armée de fonctionnairesimproductifs L’Égypte doit atteindre d’ici 2030 d’ambitieux objectifs de dé-veloppement. Ses 7 millions de fonctionnaires constituent l’undes principaux obstacles sur cette voie. Des réformes radicalessont incontournables. L’État devra appliquer désormais les re-cettes du secteur privé. Beaucoup de ses employés craignentde perdre des privilèges acquis de longue date. D’Astrid Frefel*.

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Dana Smillie/Polaris/laif

Un seul monde No 3 / Septembre 2016

Égypte

L’Égypte en bref NomRépublique arabe d’Égypte

CapitaleLe Caire (environ 20 millionsd’habitants)

SuperficieUn million de km², dontseuls 4% sont fertiles, lelong du Nil et dans sondelta

PopulationEnviron 90 millions d’habitants, dont la moitiéont moins de 24 ans

LangueArabe

ReligionsMusulmans (sunnites) 90%Chrétiens (coptes ortho-doxes principalement) 10%

Espérance de vieHommes 71 ansFemmes 76 ans

PauvretéAvec un PIB de 3210 dol-lars par habitant, l’Égyptese situe dans la tranche in-férieure des pays à revenuintermédiaire. Un quart dela population vit en des-sous du seuil de pauvreté,fixé à 2 dollars par jour.

ÉconomieDepuis la révolution duprintemps 2011, le tou-risme, jusqu’alors moteurde l’économie, s’est effondré. Il a perdu900000 emplois. Actuelle-ment, le taux de croissanceavoisine encore 3,5%.

l’agriculture emploie plus d’un million de collabo-rateurs. Concrètement, cela signifie qu’un fonc-tionnaire est au service de treize habitants seulement.Cette proportion est très faible, comparée à d’autrespays. En Indonésie, ce sont 54 habitants, au Maroc38 et en Malaisie 21. Les salaires versés aux fonc-tionnaires représentent presque un tiers du budgetde l’État. Ils ont augmenté de 16% ces trois dernièresannées.

Substitut de politique sociale«Cette bureaucratie est l’héritage de soixante ans desocialisme qui ont marqué la façon de gouverner etl’économie», affirme l’économiste Sherif El Diwa-ny. «L’industrialisation et la modernisation ont étélargement portées par l’État. Après avoir perdu laguerre contre Israël en 1967, celui-ci s’est efforcéd’améliorer les conditions sociales afin de retrouversa crédibilité. Mais les ressources sont limitées. La politique socialiste a surtout amené l’appareil éta-tique à gérer la pénurie, ce qui a encore favorisé lacorruption.»Ancien cadre du Forum économique mondial et directeur jusqu’à récemment du Centre égyptiend’études économiques, Sherif El Diwany analyseainsi la situation actuelle : «Malgré les premièresétapes de l’ouverture et l’espace laissé au secteur pri-vé, l’essor économique n’a pas eu lieu, même sousMoubarak dans les années 90. À titre de compensa-tion, on a créé des emplois dans l’administration. Aujourd’hui encore, c’est à travers la fonction pu-

Les manifestations sont de plus en plus fréquentes dans les grandes villes d’Égypte – ici au Caire. La population des-cend dans la rue pour exprimer son mécontentement ou protester contre la politique menée par le président al-Sissi.

blique que le gouvernement met en œuvre sa politique sociale. Face au renforcement de la criseéconomique et à la concurrence accrue des forcesdu marché, le secteur public devait se protéger. Sur-vivre est devenu sa véritable raison d’être. »La conception patriarcale de l’État, héritée de Nas-ser, reste fortement ancrée dans l’esprit des Égyp-tiens. Un emploi de fonctionnaire, même mal ré-munéré, est un gage de sécurité, car de tels contrats

ne sont quasiment pas résiliables. Le salaire mini-mum s’élève à 1200 livres égyptiennes (environ 150francs). Le salaire maximum a été fixé à 42000 livres(5250 francs), soit 35 fois plus. Il existe un véritablemarché des postes à pourvoir dans la fonction pu-blique. Récemment, une connaissance a payé l’équi-valent de 2000 francs pour obtenir un emploi dansun ministère. Cet homme n’y fait toutefois que debrèves apparitions. Il travaille comme chauffeur pri-vé pour une famille.Jusque dans les années 80, tous les diplômés des uni-versités d’État étaient sûrs de pouvoir travailler pourl’État. Après la révolution de 2011, les gouverne-ments successifs ont réagi aux manifestations en en-gageant 600000 personnes à temps partiel. Aujour-d’hui encore, les étudiants achevant un master ouun doctorat se réfèrent à une décision prise en 2002par le conseil des ministres, qui établit leur droit àun poste. Ils manifestent régulièrement devant le siège du gouvernement, au centre du Caire, pour réclamer des emplois bien rémunérés.

Mer Rouge

Soudan

Le Caire

Libye

Méditerranée

Arabiesaoudite

JordanieIsraël

Jonathan Alpeyrie/Polaris/laif

20 Un seul monde No 3 / Septembre 2016

Un million serait-il suffisant?Il est indéniable qu’une réforme de la fonction pu-blique s’impose. Le président Abdel Fattah al-Sissilui-même a suscité l’inquiétude des fonctionnairesen affirmant que le nombre d’un million serait suf-fisant. Une autre fois, il a déclaré qu’un quart desemployés d’État sont superflus. Ces chiffres ne sontpas irréalistes. Selon Sherif El Diwany, on pourraitprendre la Turquie comme référence: ce pays, com-parable à l’Égypte par sa taille et sa population, em-ploie 600000 fonctionnaires. Même le chef de l’administration centrale a recon-nu que la moitié des employés d’État, au moins, sontimproductifs. Dans un premier temps, il ne s’agit ce-pendant pas de supprimer des postes, mais de pro-fessionnaliser le personnel et de mieux utiliser les res-sources existantes. À cet effet, la réforme de l’admi-nistration doit s’appuyer sur une stratégie résolumentnouvelle. Les «calmants», dont la politique égyp-tienne est coutumière, ne suffisent plus, a constatéle ministre de la planification. Une nouvelle loi doitmettre en place une bureaucratie efficace, caracté-risée par son professionnalisme, sa transparence, sonéquité et sa capacité d’adaptation. Une telle admi-nistration devrait offrir des prestations de meilleurequalité, générer une plus grande satisfaction au seinde la population et rapprocher le pays de ses objec-tifs de développement. Elle attachera une grande im-portance à la formation continue et à la qualificationprofessionnelle.Les postes de fonctionnaires devront être attribuésen fonction des compétences des candidats et dansle cadre de concours centralisés, afin d’éliminer lefavoritisme et la discrimination. Les promotions dé-pendront de la performance. La part fixe du salaires’élèvera à 80% et la part variable ne dépassera pas20%. Actuellement, ces proportions sont souvent in-versées. En outre, il sera possible de licencier –

Environ un quart des Égyptiens vivent au-dessous du seuil de pauvreté, soit avec moins de 2 dollars par jour.

Un monstre bureaucratiqueLe Mogamma est un sym-bole, mais aussi une cari-cature, de la bureaucratieégyptienne. Ce bâtimentadministratif de quatorzeétages, qui regroupe lesservices au public de divers offices gouverne-mentaux, se dresse sur la célèbre place Tahrir, aucentre du Caire. La cons-truction de ce colosse de style moderniste s’estachevée en 1949, sous lerègne du roi Farouk. C’estici que sont délivrées, parexemple, les autorisationsd’établissement. Quelque30000 fonctionnaires ytravaillent. Chaque jour,100000 visiteurs passentd’un guichet à l’autre, afinde régler des formalitésadministratives. Si tout sedéroule selon le calendrierprévu par les autorités dudistrict, le Mogamma seraévacué d’ici mi-2017, cequi devrait désengorger letrafic au centre-ville.

quoique très difficilement. L’État utilisera les mêmescritères que le secteur privé pour gérer le personnel.

Une nouvelle loi applaudieLes économistes ont salué unanimement cette nou-velle loi, car elle devrait créer un environnement detravail compétitif. En revanche, les protestations desprincipaux intéressés ne se sont pas fait attendre. Lesfonctionnaires craignent pour leurs privilèges, acquisde longue date. Jusqu’ici, ils avaient l’habitude d’ob-tenir les meilleures évaluations et de bénéficier depromotions automatiques basées sur l’ancienneté.Comme dans toute réforme, il y aura des perdantset des gagnants. Sherif El Diwany est convaincu quela majorité des fonctionnaires y gagneront. Selon sesestimations, 10% d’entre eux profitent de la cor-ruption pour arrondir leurs fins de mois. Les 90%restants attendent un poste qui leur offrira cette pos-sibilité. Cependant, les perdants sont très bien orga-nisés, souligne l’économiste. L’exemple des percep-teurs, particulièrement actifs dans les manifestations,le montre bien. La mise en œuvre de la réforme durera plusieurs années et nécessitera une grande détermination po-litique, car les fonctionnaires sont traditionnellementde fidèles alliés du régime. Quelques approches positives ont déjà vu le jour. Elles émanent de di-recteurs administratifs qui cherchent des solutionscréatives. De leur côté, les nouveaux diplômés enégyptologie ont exigé que les postes d’égyptolo-gues soient attribués désormais aux plus méritantsd’entre eux et par voie de concours. ■

*Astrid Frefel est depuis seize ans correspondante auProche-Orient pour divers médias suisses et autrichiens.Elle est basée au Caire.

(De l’allemand)

21Un seul monde No 3 / Septembre 2016

Sur le terrain avec...Romain Darbellay, chef sortant du bureau de la coopération suisse au Caire

Égypte

DDC

Chaque jour, aux environs de 18 heures, j’entendsun claquement et la porte de mon bureau s’ouvretoute seule. À mon avis, cet étrange phénomèneest dû à la baisse de la température, qui crée unetension entre l’intérieur et l’extérieur. Mais certainsde mes collègues y voient la manifestation du fan-tôme qui rôde dans la villa Mosseri. Cette maisonde maître, entourée d’un grand jardin, appartenaitautrefois à un riche banquier juif du Caire. Quandnous y avons installé nos locaux en 2011, les per-sonnes chargées de son entretien nous ont ditqu’elle était hantée par le fantôme d’Hélène Mos-seri, la troisième épouse du propriétaire, laquelle aconnu une fin tragique en 1952.

En plaisantant, je rassure mes collègues : « Il n’y apas de raison d’avoir peur du fantôme. Hélène estsûrement contente que nous redonnions vie à samaison. » En effet, nous organisons régulièrementde grandes réunions dans l’ancienne salle de bal,notamment avec nos partenaires de la société ci-vile. La villa Mosseri est ainsi devenue un espacede dialogue et d’échanges, où les gens peuvent s’ex-

Soutien à la transitionAu lendemain du Prin-temps arabe, la Suisse a mis sur pied un pro-gramme de coopérationpour l’Afrique du Nord. Ce dernier accompagne leMaroc, la Tunisie, la Libyeet l’Égypte dans leur diffi-cile processus de transi-tion. Il est mis en œuvrepar quatre offices fédérauxet porte sur trois axesprincipaux : démocratisa-tion et droits de l’homme ;développement économi-que ; migration. En Égypte,la Suisse soutient les dé-fenseurs des droits del’homme, promeut l’éta-blissement de plateformesde dialogue et s’engagepour un meilleur accèsdes citoyens à l’informa-tion. Dans le domaineéconomique, elle met l’accent sur la réhabilita-tion d’infrastructures urbaines et la créationd’emplois. En matière demigration, elle veille à ceque les migrants empri-sonnés aient accès à dessoins de base et aide lesautorités à élaborer une législation appropriée.

primer librement, sans craindre d’être épiés par lapolice. Certaines activités, comme la promotion dudialogue politique et des droits de l’homme, sonttrès risquées en Égypte. L’un de nos partenaires ad’ailleurs été arrêté en octobre dernier et il est tou-jours en détention préventive.

Nos projets se concentrent sur la Haute-Égypte,une région rurale et passablement isolée. Pour m’yrendre, j’aime beaucoup prendre le train de nuit quiremonte la vallée du Nil. Le trajet dure quatorzeheures. Normalement, on se réveille à Louxor. Ontraverse la campagne égyptienne au petit matin, en regardant les paysans qui travaillent déjà dans les champs. Le train longe le Nil, déserté par les bateaux de touristes. Vers 10 heures, il arrive à Assouan, la porte de l’Afrique.

«Certaines activités,comme la promotiondu dialogue politique

et des droits de l’homme, sont très

risquées en Égypte. »

Onze pays africains sont traversés par le Nil, maisleurs populations n’ont pratiquement pas decontacts entre elles. C’est pourquoi l’un de nos pro-jets crée des canaux de dialogue pour des musicienset des étudiants originaires des pays riverains. Il or-ganise des résidences d’artistes, des concerts et desactivités académiques. Ce projet emblématique estné d’un quiproquo. Son initiateur, l’ethnomusico-logue égyptien Mina Girgis, est venu un jour à lavilla Mosseri en quête d’un soutien financier. Je l’aireçu en le prenant pour quelqu’un d’autre... Tou-tefois, j’ai trouvé son idée extraordinaire et nouslui avons donné les moyens de la concrétiser.

Nous avons beaucoup d’activités dans le domainede l’eau. Nous aidons par exemple des paysans àrénover et à entretenir les canaux d’irrigation, desinfrastructures vétustes dont l’État ne s’occupe plusdepuis des décennies. Les cultivateurs se regroupenten associations, afin de gérer ensemble la réparti-tion de l’eau. Ce projet bénéficie à environ 6000ménages ruraux qui ont pu augmenter leur pro-duction et donc leurs revenus. S’il a pu voir le jour,c’est grâce à un fonctionnaire large d’esprit : cemonsieur a pris l’initiative de nous donner le feuvert, alors que, selon la loi, seul le gouvernementest habilité à entretenir les canaux.

Mon mandat se termine cet été. Je vais prendre ladirection du bureau de coopération à Tunis. À vraidire, je serais volontiers resté plus longtemps icipour finaliser certains projets et pour voir la direc-tion que prendra le processus de transition. Quit-ter l’Égypte à un moment où le contexte changeconstamment me donne l’impression de descendred’un train en marche. ■

(Propos recueillis par Jane-Lise Schneeberger)

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Shawn Baldw

in/NYT/Redux/laif

Égypte

Égyptienne, j’appartiens à la classe moyenne supé-rieure. Je ne peux toutefois pas m’identifier aux nou-veaux riches de mon milieu, ni d’ailleurs aux massesqui forment la majorité de la population. Avec lespremiers, je suis mal à l’aise et peu rassurée : ils mereprochent, directement ou indirectement, de m’op-poser aux autorités en place. Reprenant la rhéto-rique conspirationniste du président, ils m’accusentd’être un «agent» qui collabore avec «des puissancesétrangères» pour «mettre l’Égypte à genoux».

Récemment, je me suis rendue à l’étran-ger pour participer à une conférence surles droits de l’homme. Avant de partir,j’ai prié mon fils de ne pas parler de mon voyage à ses camarades d’école, carnotre communauté déteste les droits del’homme et les discussions avec des«étrangers» sur des thèmes politiques.Ce n’est pas de la paranoïa. Je sais ce queles gens pensent de moi. Plusieurs l’ontécrit sur leur page Facebook. Ils n’ontpas mentionné mon nom, mais évoquédes détails personnels suffisamment pré-cis. Cela ne me surprend pas. Ils ne fontque répéter ce que le président leur ditdans ses discours.

Par chance, ces gens ne sont pas majo-ritaires. Mais c’est une minorité mal-veillante qui donne de la voix. Beaucoupd’entre eux ont profité de la corruptionqui a précédé la révolution de 2011 – àlaquelle j’ai participé. Les autres n’ontrien fait de répréhensible, mais ils setrouvent bien ainsi et veulent éviter toutchangement politique susceptible debousculer leur confort. Ils craignent également quel’Égypte ne devienne «comme la Syrie ou l’Irak»,si on laisse des individus tels que moi critiquer ou-vertement les autorités.

«Qui sera le prochain?»L’autre camp me méprise aussi, mais pour d’autresraisons. Des millions d’Égyptiens vivent au-dessousdu seuil de pauvreté. Ils croient que la révolution – durant laquelle nous avons réclamé «du pain et lajustice sociale» – les rendra plus pauvres encore. À leurs yeux, je suis gâtée et riche; moi et mes sem-blables, nous sommes bien formés et avons des em-plois qui restent inaccessibles à la majorité. Nousavons les moyens d’offrir à nos enfants une éduca-tion de haut niveau. La plupart des gens ont une vie

complètement différente. Selon eux,nous nous sommes révoltés et leuravons promis des progrès et des solu-tions, mais rien de tout cela ne s’estconcrétisé. «Laissez au moins la situa-tion telle qu’elle est et n’aggravez pasnotre misère. Nous souffrons déjà assez.Tout ce que nous voulons, c’est vivreet laisser vivre.» Voilà ce que m’ont ditplusieurs d’entre eux – le vendeur delégumes au coin de la rue, la dame quinettoie les toilettes de la piscine où mesenfants apprennent à nager ou encorela femme de ménage qui travaille chezmon pédiatre.

Bien qu’étrangère dans ces deux camps,je ne suis pas complètement seule. Laplupart des jeunes, soit un quart de lapopulation, apportent un soutien actifou passif à la révolution. Les observa-teurs, locaux et internationaux, recon-naissent que les jeunes n’ont pas votélors des dernières élections (présiden-tielles en 2014 et parlementaires en2015). Je me suis abstenue, moi aussi.C’était une manière de dire non. Ces

dernières années, surtout depuis 2013, les militairesont renforcé leur mainmise sur la politique et l’éco-nomie du pays, et la brutalité policière est encoremontée d’un cran. Notre participation n’aurait faitqu’aider le régime à redorer son image et à légiti-mer des élections de façade. Nous sommes certesunis dans le silence, mais pas rassurés pour autant.Chaque jour, un ami de plus est arrêté ou victimed’une disparition forcée. Le cercle se réduit. Cha-cun connaît quelqu’un – un ami, un proche ou l’amid’un ami – qui a été appréhendé ou du moins fouillésans raison dans la rue. Beaucoup d’entre nous sontdéprimés et souffrent du syndrome du survivant :nous avons mauvaise conscience, car nous pouvonspasser la nuit chez nous – même si la peur ne nousquitte jamais. Je ne cesse de me poser cette ques-tion: «Qui sera le prochain?» ■

(De l’anglais)

Sara Khorshid est une

journaliste et chroni-

queuse égyptienne. Ces

treize dernières années,

elle a beaucoup écrit sur

son pays ainsi que sur les

relations entre le monde

musulman et l’Occident.

Ses articles sont publiés

dans de nombreux mé-

dias, dont le New York

Times, le Guardian, Al

Shorouk Egyptian Daily,

Alarabiya.net, Al-Monitor

et Jadaliyya.

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DDC

Un seul monde No 3 / Septembre 2016

La Cendrillon del’EuropeAvec une superficie de 34000 km2 et 3,5 millionsd’habitants, la Républiquede Moldavie est l’un despays les plus petits et lesplus pauvres d’Europe. Lerevenu national brut parhabitant est d’environ2000 dollars et près de21% de la population vitavec moins de 4,30 dollarspar jour. Un million deMoldaves travaillent àl’étranger. Leurs envois defonds atteignent près de1,6 milliard de dollars paran, ce qui représente envi-ron 20% du PIB national.Le conflit non résolu enTransnistrie contribue à ra-lentir la croissance écono-mique du pays. Depuis1990, la Transnistrie est unÉtat de facto indépendant,mais elle n’est reconnue ni par la Moldavie ni par la communauté internatio-nale. Sa production indus-trielle est importante. www.dfae.admin.ch,«pays », «Moldavie »

(lb) Au lendemain de l’effondrement de l’URSS,les anciennes républiques soviétiques ont coupé lecordon ombilical qui les reliait au gouvernementcentral de Moscou. La Moldavie était l’une d’elles.Depuis son indépendance, acquise en 1991, ce pe-tit pays se trouve dans un difficile processus detransition. Son système d’approvisionnement eneau potable en est un exemple concret. Durant desannées, il a été complètement négligé, en particu-lier dans les régions rurales du pays. « La situationétait désastreuse », explique Thomas Walder, char-gé de programme à la DDC. «Nous nous trouvionsaux portes de l’Europe, mais nous avions l’im-pression d’être dans un pays africain en dévelop-pement. » Le délabrement du réseau d’eau compromettait lasanté des habitants et favorisait la propagation demaladies hydriques. C’est pourquoi l’Aide huma-nitaire suisse a lancé un projet en 2001 dans lecentre du pays. Elle avait pour objectif de relier lescommunautés rurales à une source d’eau potableet de construire des réseaux d’égouts. En collabo-ration avec les collectivités et des entreprises lo-cales, une vingtaine de systèmes décentralisés d’ap-provisionnement en eau ont vu le jour en huit ans.Mais ce n’est pas tout. On a également mis sur pieddes coopératives d’utilisateurs dans les villages.Cela a permis d’impliquer la population, de la

responsabiliser et de garantir ainsi le bon fonc-tionnement des canalisations à l’avenir.

De l’aide humanitaire à la coopérationDans une deuxième phase, qui a duré de 2009 à2014, l’intervention humanitaire s’est muée en unprojet de développement. La DDC a chargé l’ONGsuisse SKAT de poursuivre la construction deconduites d’eau et d’un système d’assainissement.En 2014, environ 40000 personnes disposaientd’un robinet d’eau potable à la maison, quelque14000 maisons étaient équipées de toilettes dignesde ce nom et des latrines sèches Ecosan avaientété installées dans une cinquantaine d’écoles. Auvu de ces excellents résultats, le gouvernementmoldave a demandé à la Suisse de lancer une troi-sième phase. Celle-ci doit s’achever en 2019.«L’objectif principal est de renforcer les compé-tences locales et de transférer le savoir au minis-tère responsable, afin de garantir la gestion des installations à long terme », relève Thomas Walder.À ses yeux, ce projet suit une évolution idéale : parti d’une aide humanitaire, il est devenu une coopération au développement et se terminera par la transmission du savoir-faire aux autorités locales. ■

(De l’italien)

De l’eau potable pour tousAu début des années 2000, il était presque impossible de trou-ver un robinet d’eau potable ou des toilettes dignes de ce nomdans les zones rurales de Moldavie. Grâce à un projet de laDDC, environ 40000 personnes ont désormais l’eau couranteà domicile et 14000 maisons sont reliées à un réseau d’égouts.

Dans le village de Serpeni, la population locale et un ingénieur inspectent le nouveau système d’approvisionnement eneau potable.

DDC (2)

24 Un seul monde No 3 / Septembre 2016

( jls) Environ 180000 familles d’éleveurs, ce qui re-présente pratiquement un tiers de la populationmongole, nomadisent avec leurs troupeaux à traversles steppes. Selon des estimations, elles possèdententre 60 et 70 millions de bêtes (chèvres, moutons,vaches, yaks, chevaux et chameaux), un niveau re-cord dans l’histoire du pays. Toutefois, ce cheptel est exposé à de nombreusesmaladies. Sa mauvaise santé a plusieurs impacts né-gatifs. D’une part, elle entraîne un manque à gagnerpour les éleveurs, du fait que les animaux maladessont moins productifs. D’autre part, les zoonoses,maladies transmissibles à l’homme, constituent unemenace pour la santé publique. Enfin, les problèmessanitaires entravent l’exportation de produits ani-maux. Vu la taille du cheptel national, la Mongoliepourrait produire beaucoup plus de viande qu’iln’en faut pour nourrir ses 3 millions d’habitants.Elle souhaite en exporter à grande échelle, notam-

ment vers la Chine, mais les exigences des impor-tateurs sont élevées.

Réagir plus rapidement en cas d’épidémie«Le gouvernement mongol est conscient que pourpouvoir exporter de la viande, il a besoin d’un sys-tème vétérinaire performant », souligne Daniel Valenghi, au bureau de la coopération suisse à Oulan-Bator. Or, les structures actuelles, très cen-tralisées, ne permettent pas de surveiller systémati-quement la santé du cheptel et de réagir vite si unfoyer épidémique apparaît dans un district. Depuis2008, la DDC aide la Mongolie à réorganiser et àmoderniser son système vétérinaire, afin de le rendreplus efficace. Une composante du projet concerne l’adaptationdu cadre légal. Avec l’appui d’experts suisses, le mi-nistère de l’agriculture a élaboré une nouvelle loisur la santé animale, actuellement en discussion au

La Mongolie au chevet de ses animaux de renteAvec 60 à 70 millions de têtes de bétail pour seulement 3 mil-lions d’habitants, la Mongolie aurait largement de quoi exporterde la viande. Pour cela, elle doit toutefois améliorer la santé deson cheptel. Une réforme du système vétérinaire, réalisée avecl’appui de la DDC, permettra de mieux prévenir et combattreles nombreuses maladies qui affectent les animaux.

La formation des vétérinaires mongols est désormais plus axée sur la pratique et sur les besoins réels des éleveurs. Les curriculums ont été adaptés aux normes internationales.

Dégradations dues ausurpâturageEn 1990, à la chute du régime communiste, laMongolie comptait 25 mil-lions d’animaux de rente.Mais ce nombre a presquetriplé sous l’effet de la pri-vatisation du bétail, jadispropriété de l’État. Aujour-d’hui, la taille excessive ducheptel exerce une fortepression sur la végétationqui n’a plus le temps de serégénérer. On estime que70 à 80% des pâturagessont dégradés. Pour com-battre ce phénomène, unprojet de la DDC encou-rage leur gestion collectivepar les éleveurs. Organisésen groupes d’usagers,ceux-ci mettent en placedes plans de gestion du-rable. Ils prennent diversesmesures pour préserver les ressources végétales,comme la rotation saison-nière des pâturages, lamise en jachère et la posede clôtures autour desparcelles destinées à laproduction de foin.

DDC

25Un seul monde No 3 / Septembre 2016

Parlement. «Selon l’ancienne législation, héritée del’ère soviétique, l’État était censé s’occuper de toutdans le domaine vétérinaire », rappelle M. Valenghi.«Désormais, les éleveurs auront plus de responsa-bilités. C’est à eux, par exemple, qu’il incombera devacciner leurs troupeaux, et non plus à l’État. » Laloi définit le rôle des différents acteurs à tous les niveaux. Elle établit une chaîne hiérarchique qui va du ministère de l’agriculture jusqu’à l’éleveur.Ainsi, le système vétérinaire pourra apporter uneréponse plus rapide aux épidémies.

En Mongolie, la lutte contre les maladies animales devrait améliorer les revenus des familles d’éleveurs, éliminer un problème de santé publique et faciliter l’exportation de viande.

Lutte contre deux grandes épizootiesLes experts suisses ont également soutenu la miseen place de stratégies qui permettront de contrô-ler plus efficacement la brucellose et la fièvre aph-teuse. «Nous nous sommes concentrés sur deux épi-zooties très répandues. Mais ces stratégies servirontde modèles pour lutter contre d’autres maladies »,note Geneviève Contesse, chargée de programmeà la DDC. Le projet a renforcé les capacités des ser-vices vétérinaires appelés à mettre en œuvre ceslignes directrices. S’agissant de la brucellose, une maladie transmissibleà l’homme, la stratégie vise à l’éradiquer d’ici 2020en combinant deux approches : la vaccination dubétail et des campagnes de sensibilisation pour in-citer les éleveurs à se protéger contre la contagion.Le projet a établi des mesures de surveillance, afinde vérifier que tous les animaux ont bien été vac-cinés. «Si la brucellose est présente dans un pays,cela signifie que le système vétérinaire ne fonc-tionne pas correctement, car cette zoonose est fa-cile à éliminer », remarque Daniel Valenghi. La stra-tégie s’appuie sur le concept «Une seule santé», quiimplique une collaboration étroite entre les méde-cines vétérinaire et humaine.Quant à la fièvre aphteuse, c’est une maladie sou-vent bégnine qui guérit spontanément. Elle pose un

problème surtout dans la perspective de l’exporta-tion, explique Daniel Valenghi : «Les vaches mala-des produisent moins de lait, mais ce n’est pas trop grave dans un pays où chaque éleveur possède enmoyenne 155 bêtes. Par contre, il est interdit d’ex-porter leur viande vers des pays non infectés, carc’est une maladie extrêmement contagieuse.» L’ob-jectif de la stratégie est donc de créer, dans l’ouestde la Mongolie, une zone « indemne de fièvre aph-teuse». Ce statut sanitaire, indispensable pour pou-voir exporter de la viande, est attribué par l’Orga-

nisation mondiale de la santé animale (OIE), sur labase d’une procédure d’évaluation. Pour l’obtenir,la Mongolie devra notamment contrôler les dépla-cements des troupeaux, éviter toute contaminationet établir un plan d’intervention d’urgence en casde déclenchement de la maladie.

Amélioration de la formation La troisième composante du projet concerne la for-mation des vétérinaires. L’École de médecine vé-térinaire et de biotechnologie (SVMB), sise dans lacapitale Oulan-Bator, a fait l’objet d’une évaluationexterne. «Cette étude a montré que l’enseignementdispensé était trop théorique et déconnecté de laréalité », relève Geneviève Contesse. «À l’issue deleur formation, les vétérinaires n’avaient pas lescompétences nécessaires pour travailler efficace-ment sur le terrain.» Avec le conseil d’experts suisseset britanniques, la SVMB a réformé ses programmesd’études, en les axant davantage sur la pratique etsur les besoins réels. Elle a amélioré les méthodesd’enseignement et renforcé les compétences desprofesseurs. Les nouveaux curriculums sont désor-mais conformes aux normes internationales. Parailleurs, le projet a financé des équipements et l’ins-tallation, à côté de l’école, d’une écurie destinée auxtravaux pratiques. ■

DDC (2)

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Bertrand Rieger/hemis.fr/laif

Ted Wood/Aurora/laif

Thom

as Haugersveen/VU/laif

DDC interne

Un seul monde No 3 / Septembre 2016

basé à Bâle, et de mettre surpied des campagnes de sensi-bilisation par l’entremise desmédias. Parmi les autres me-sures planifiées, le projet doitégalement promouvoir desnormes sociales et environne-mentales élevées dans le sec-teur privé, en collaborationavec le Pacte Mondial desNations Unies, ainsi qu’unegestion d’entreprise durable. Durée du projet : 2016-2018Volume: 3 millions CHF

Formation de jeunesAlbanais(scwau) L’Albanie se caracté-rise par un taux de chômageconsidérable, principalementchez les jeunes. En raison d’unsystème de formation profes-sionnelle peu performant, lesétudiants sont souvent malpréparés à leur entrée sur lemarché du travail. La DDC ap-puie un projet gouvernementalde réforme dans ce domaine.Elle contribue à développerdans cette catégorie de popu-lation des compétences liéesaux secteurs en croissance(notamment le tourisme, laconstruction et l’industrie tex-tile), facilitant ainsi la transitionvers la vie professionnelle.Environ 8500 jeunes bénéficie-ront de ce projet. Ils seront for-més dans cinq écoles etcentres de formation situés ausud du pays.Durée du projet : 2016-2019Volume: 6,3 millions CHF

Pour des soins de qualité auKosovo(tne) Malgré de nouvelles ré-formes, le système de santé duKosovo présente encore deslacunes dans le domaine dessoins de base. Étant donnéque les patients doivent en gé-néral payer eux-mêmes plus

Combattre la violence domestique(bm) En Mongolie, le boom minier de ces dix dernières an-nées a créé des déséquilibreset une transformation impor-tante dans la société, ce qui aentraîné une augmentation dela violence envers les femmes.L’abus d’alcool est un facteurdéterminant. Malgré l’adoptionen 2004 d’une loi contre lesviolences faites aux femmes, le nombre de victimes resteélevé. La Suisse vient de lan-cer un projet visant à soutenirla mise en œuvre effective dece texte. Il s’agit notammentd’appuyer l’État dans la col-lecte des données pour qu’ilpuisse appliquer la loi et mettresur pied des services appro-priés et de qualité. Le projetdoit également sensibiliser lapopulation et les institutions à cette problématique. Durée du projet : 2016-2020Volume: 4 millions CHF

Lutte contre la corruption(bm) En Tanzanie, la corruptiondemeure un obstacle majeurau développement. Malgrél’ouverture en 2007 d’un bu-reau national de prévention etde lutte contre ce fléau, le payspeine à l’endiguer. Un nouveauprojet de la DDC entend favori-ser l’instauration d’un environ-nement institutionnel et socialqui soit de plus en plus propiceà une diminution de la corrup-tion. Il prévoit notamment derenforcer les capacités du bu-reau existant avec le soutiendu Centre international pour lerecouvrement d’avoirs (Icar),

de 40% des frais médicaux,les catégories les plus dému-nies de la population ont unaccès limité aux soins. Un pro-jet de la DDC vise à renforcerles compétences des profes-sionnels de la santé. Grâce à la collaboration mise en placeavec divers acteurs du secteur(service de la santé, membresdes professions médicales,etc.), environ 600000 person-nes bénéficieront d’un meilleuraccès à des soins de qualité. Durée du projet : 2016-2019Volume: 6,55 millions CHF

Protection du climat en Inde(sauya) Un projet de la DDCsoutient quatre villes indiennesqui doivent faire face aux im-pacts négatifs de l’urbanisationrapide. Il renforce les capacitésdes autorités à gérer les outilsd’aménagement urbain. Le butest de permettre aux villes deréduire les émissions de gaz àeffet de serre sur leur territoire,mais aussi de s’adapter aux ef-fets inévitables du changementclimatique. Il s’agit d’intervenirdans les programmes quiconcernent la gestion des dé-chets, l’eau, les transports et laconsommation énergétiquedes bâtiments. Les villes sontresponsables d’une grandepart des gaz à effet de serrerejetés dans l’atmosphère auniveau mondial. Avec ce projet,la DDC contribue à rendre l’urbanisation plus durable,conformément au onzième ob-jectif de l’Agenda 2030.Durée du projet : 2016-2019Volume: 4,98 millions CHF

Lutte contre les carences alimentaires(kiv) L’absence de dessertemédicale de base représenteune menace directe en particu-lier pour les femmes et les en-fants de l’État de Rakhine, si-tué sur la côte occidentale duMyanmar. Un projet d’Actioncontre la faim, soutenu par laDDC, vise à couvrir les besoinsnutritionnels et à agir sur lescauses immédiates de la sous-alimentation. Le projets’adresse en premier lieu auxpersonnes souffrant de malnu-trition aiguë, soit 11000 en-fants de moins de 5 ans et plusde 2600 femmes enceintes ouallaitantes. Durée du projet : 2016Volume: 385418 CHF

Aide à la survie en Équateur(kiv) Après le violent séisme quia secoué l’Équateur en avrildernier, l’Aide humanitaire de la DDC a dépêché des expertsdans les zones touchées. À Chamanga, Pedernales etMuisne, ces derniers ont distri-bué des bidons d’eau, destrousses de produits d’hygièneet des tablettes de chlore pour la désinfection de l’eau. À Pedernales, ils ont mis enplace deux installations de do-sage du chlore, ce qui a permisde rétablir l’approvisionnementen eau potable de 27000 habi-tants. La Suisse a par ailleursfinancé des unités mobiles desCroix-Rouge équatorienne etcolombienne, qui ont fourni del’eau potable aux villages situésà proximité de Chamanga. Desexperts du Corps suisse d’aidehumanitaire ont également étémis à disposition des organisa-tions internationales. Durée du projet : mai 2016Volume: 1,6 million CHF

27Un seul monde No 3 / Septembre 2016

FORUM

Les 1100 milliards de dollars perdus Blanchiment d’argent, évasion fiscale, corruption, manipula-tion des prix : les flux financiers illicites transfrontaliers affectenttout particulièrement les pays en développement. La Suisse, im-portante place financière et de négoce des matières premiè-res, veut contribuer à résoudre ce problème. De Fabian Urech.

(urf ) «Les Panama Papers ne sont qu’un début. »Tom Cardamone, directeur de l’ONG américaineGlobal Financial Integrity (GFI), en est persuadé.À son avis, les récentes révélations de la presse in-ternationale reflètent l’échec systématique de la po-litique dans la lutte contre les mouvements illégauxde capitaux à l’échelle planétaire. «Et on ne parleque d’un cabinet d’avocats, dans un seul pays. Ima-ginez les proportions que prend ce phénomènedans le monde entier ! » En effet, des sommes colossales sont transférées illé-galement par-delà les frontières nationales. Les paysen développement ou émergents sont les plus tou-chés. Selon les dernières estimations de GFI, le vo-lume des flux financiers illicites (FFI) en prove-nance des pays pauvres a atteint 1100 milliards dedollars en 2013. Ce montant est beaucoup plus élevé que la totalité de l’aide au développement. Il

s’agit d’argent dont les États concernés auraient leplus urgent besoin. D’après les calculs de l’organisation caritativeChristian Aid, les gouvernements des pays en dé-veloppement disposeraient d’environ 160 milliardsde dollars supplémentaires par an si ces capitauxrestaient sur place et étaient imposés normale-ment. Actuellement, la tendance va toutefois dansle sens contraire : selon GFI, le volume global desflux financiers illicites s’accroît de 6,5% par an. «Cessorties de capitaux constituent le principal obstacleau développement des pays pauvres », déplore Tom Cardamone.

Un frein au développement durableL’accélération de la mondialisation et la libéralisa-tion des échanges financiers internationaux ont fa-vorisé un accroissement spectaculaire des FFI ces

L’affaire des Panama Papers, qui a révélé de gigantesques flux financiers illicites, a braqué les projecteurs du mondeentier sur la ville de Panama.

Rapport en préparation Le Conseil fédéral devraitprésenter cette année en-core un rapport sur les fluxfinanciers illicites en prove-nance des pays en déve-loppement. Il y montreranotamment dans quellemesure la Suisse, en tantque place financière etsiège d’entreprises activesà l’échelle planétaire, estconcernée par cette pro-blématique et quelsrisques en découlent poursa réputation. Le gouver-nement exposera aussi saposition sur la question auniveau international et diracomment il entend empê-cher l’afflux de tels fonds.Son rapport décrira parailleurs la manière dont laSuisse participe à la lutteinternationale contre lestransferts illicites de capi-taux.

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Kadir van Lohuizen/Noor/laif

Un seul monde No 3 / Septembre 2016

trente dernières années. On considère comme desflux financiers illicites toutes les méthodes et pra-tiques visant à transférer illégalement des fonds versd’autres pays. Le blanchiment d’argent, l’évasion fis-cale, la corruption et la manipulation des prix dansle cadre des échanges commerciaux figurent par-mi les délits les plus courants. Dans une acceptionplus large, la notion de FFI recouvre également despratiques en matière de transfert d’argent qui nesont certes pas interdites, mais qui nuisent au dé-veloppement. C’est le cas par exemple de certainesmesures d’optimisation fiscale.Depuis quelques années, on est de plus en plusconscient de l’obstacle que les flux financiers illi-cites, aux ramifications parfois très vastes, repré-sentent pour le développement durable. Celaconcerne d’ailleurs autant les pays industrialisés queceux en développement. C’est pourquoi la luttecontre les FFI a constitué un thème important dela conférence sur le financement du développe-ment, qui s’est tenue l’an dernier à Addis-Abeba.Dans le document final, la communauté interna-tionale s’est engagée à redoubler d’efforts d’ici2030 pour endiguer ce phénomène. L’Agenda pourle développement durable, adopté par l’ONU l’au-tomne dernier, recommande aussi de « réduire net-tement les flux financiers illicites ». Pour Werner Thut, conseiller politique principal àla DDC, ce sont là des signaux importants. «Les be-soins sont en grande partie connus, tant au niveau

international qu’en Suisse », relève-t-il. De nom-breuses questions subsistent quant au volume et àla définition des FFI, mais il est évident que l’onne pourra pas réaliser l’ambitieux Agenda 2030 sans les endiguer.

Efforts internationauxLes révélations de ces dernières années ont incitécertains pays et l’UE à augmenter les contrôles, renforcer la législation et combler les principalesbrèches. Au niveau international, l’OCDE fait partie des pionniers en la matière. Elle a élaborédes recommandations dans le cadre d’une initia-tive visant à prévenir « l’érosion de la base d’impo-sition et le transfert de bénéfices » (BEPS). Selon Alex Cobham, responsable de la rechercheau sein du Réseau pour la justice fiscale (TJN), l’af-faire des Panama Papers a conféré un nouvel élanau mouvement. «La divulgation de rapports de pro-priété ou l’échange automatique d’informations,qui faisaient sourire il y a quelques années encore,figurent aujourd’hui tout en haut de l’agenda in-ternational. » Toutefois, un écart subsiste entre lesobjectifs et leur mise en œuvre. «Les déclarationsd’intention sont une bonne chose, mais on resteloin de la réalisation sur bien des points », relève cefiscaliste.

Le rôle de la SuissePour Alex Cobham, la Suisse a un rôle clé à jouer

Le Nigeria est l’un des États riches en matières premières dont la population souffre le plus des flux financiers illicites.

Flux importants en provenance d’AfriqueLe continent le pluspauvre, l’Afrique, est éga-lement le plus durementtouché par les flux finan-ciers illicites. Selon les estimations de GlobalFinancial Integrity, ce fléaufait perdre chaque annéeaux pays africains 6% deleur produit intérieur brut.Le phénomène est particu-lièrement marqué dansceux qui sont riches enmatières premières,comme le Nigeria. L’andernier, plusieurs paysd’Afrique ont appelé à lacréation d’un organe desNations Unies spécialisédans la lutte contre l’éva-sion fiscale. La majoritédes nations industrialiséesont rejeté cette proposition.

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Eric Lafforgue/Invision/laif

Un seul monde No 3 / Septembre 2016

dans la lutte contre les FFI. «Ce pays reste uneplaque tournante des transferts transfrontaliers illicites de capitaux, notamment dans le contextedu commerce des matières premières et des avoirs cachés. » La Suisse occupe toujours la première place du classement selon l’indice de l’opacité financière, établi par le TJN.Il ne fait aucun doute que la Suisse est exposée àplusieurs titres, vu son statut de centre bancaire etcommercial. «Étant une place financière interna-tionale et un pays à faible taux d’imposition, nouscontribuons avec quelques autres à ce que la fuitedes maigres ressources financières des pays en dé-

veloppement dépasse de loin le montant total del’aide », explique Pio Wennubst, vice-directeur dela DDC. Cependant, la Suisse s’est beaucoup investie cesdernières années pour remédier au problème desflux illicites. Elle a notamment durci la loi sur leblanchiment, pris diverses mesures contre la cor-ruption d’agents publics et mis en place des pro-

Les sorties illégales de capitaux – ici au Somaliland – pri-vent les pays pauvres de ressources fiscales et entraventconsidérablement leur développement.

Pour des systèmes fiscaux équitablesLe projet BEPS, lancé parle G20, a pour but d’obli-ger les multinationales àcesser leurs pratiques desoustraction fiscale. En2012, l’OCDE a été char-gée d’élaborer des mesu-res de lutte contre l’érosionde la base d’imposition etle transfert de bénéfices(base erosion and profitshifting – BEPS). Elle aprésenté l’automne dernierdes recommandations etde nouvelles normes mini-males contraignantes, quiont obtenu l’aval politiquedu G20. En Suisse, il estprévu d’introduire partielle-ment ces directives dans lecadre de la troisième ré-forme de l’imposition desentreprises.

cédures efficaces de restitution des avoirs volés pardes potentats. Par ailleurs, elle s’est engagée à mettreen œuvre d’ici 2018 l’accord de l’OCDE surl’échange automatique de renseignements en ma-tière fiscale ainsi que les principaux accords BEPS.

La stratégie du zèbre«La Suisse a fait des progrès en matière de luttecontre l’argent sale», constate Dominik Gross, d’Al-liance Sud. Mais cela s’applique surtout aux paysriches. Le Conseil fédéral et le Parlement appli-quent une « stratégie du zèbre », déplore cet experten politique financière et fiscale internationale :«Alors que seul de l’argent propre est censé arriveren Suisse en provenance des pays industrialisés, nosbanques continuent d’attirer des fonds soustraits aufisc dans de nombreux pays d’Afrique. » La plupartdes États occidentaux ne sont toujours pas favo-rables à l’introduction d’un régime fiscal mondialqui tiendrait compte des besoins des pays en dé-veloppement, relève-t-il. Andrew Ertl, de l’Association suisse des banquiers,rejette ces accusations. La Suisse est parmi les paysqui ont mis en œuvre le plus rapidement les normesfinancières internationales. «Nous avons une lon-gue tradition de lutte contre le blanchiment d’ar-gent. Après la récente crise financière, la branchefinancière suisse a encore accentué ses efforts », ex-plique ce juriste. «Nos banques sont soumises à desdevoirs de diligence étendus, en comparaison in-ternationale. » Pour Andrew Ertl, les causes des FFIsont à chercher avant tout dans les pays dont ils pro-viennent.

Cohérence politiqueLes organisations de développement jugent néces-saire d’accorder davantage d’attention à cette thé-matique. Le plus important est de concilier les in-térêts économiques et ceux du développement, quine sont pas toujours les mêmes. «Pour utiliser demanière efficiente les fonds limités de l’aide au dé-veloppement, il faut trouver des solutions politiquescohérentes, notamment dans les domaines où notrepays joue un rôle important au niveau internatio-nal », estime Werner Thut, de la DDC. C’est pourquoi le nouveau message du Conseil fédéral sur la coopération internationale 2017-2020 accorde une place de choix à la question dela cohérence. Tom Cardamone, de Global Finan-cial Integrity, s’en réjouit : «La Suisse a une voiximportante dans ce domaine. Si elle contribue àstopper les flux financiers illicites, cela sera plus utile pour les pays en développement que tous sesprogrammes d’aide. » ■

(De l’allemand)

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Anna María Arango

Gil Giuglio/hem

is.fr/laif

Un seul monde No 3 / Septembre 2016

Il y a quelques années, la régionde la Macarena, dans le départe-ment du Meta, est devenue célèbre, car elle a accueilli l’unedes tentatives les plus notoirespour parvenir à la paix enColombie. Même si cette tenta-tive a échoué, le monde a dé-couvert un endroit paradisiaque,digne d’un roman de GabrielGarcía Márquez.

La Sierra de la Macarena estune chaîne de montagnes verslaquelle convergent quatre desplus importants écosystèmesd’Amérique latine : l’Orénoquie,l’Amazonie, les Andes et le pla-teau des Guyanes. C’est là, aumilieu des forêts tropicales, despetits bois et des savanes hu-mides que prend sa source unepetite rivière où s’épanouissenttoutes les couleurs de l’arc-en-ciel.

Le Caño Cristales parcourt àpeine 100 kilomètres et sa lar-geur n’est que de 20 mètres.Mais les scientifiques du mondeentier le considèrent commeune zone essentielle pour étu-dier la vie sylvestre sur la pla-nète. En effet, cette rivièreabrite quelque 12000 plantes

Le réalisme magique du Caño Cristales

Ana María Arango vit et tra-vaille à Bogotá, la capitale co-lombienne. Elle est journaliste,animatrice et analyste politiquedans le cadre d’une émissionde télévision très populaire, El primer Café, diffusée sur lachaîne Canal Capital. Ce pro-gramme traite avec humour dela politique et de l’actualité. Aucours des dernières années,Ana María Arango a égalementété active comme conseillèredans des domaines tels que lacoopération au développement,la gestion de l’information, lesdroits de l’homme et l’aide hu-manitaire. «Mais avant tout, jesuis professeure, c’est ma vo-cation première», précise lajeune femme qui enseigne lessciences politiques à l’UniversitéExternado de Colombia, àBogotá. «Enseigner n’est passeulement ma profession, c’estaussi mon hobby. »

différentes, 63 espèces de rep-tiles, 43 de mammifères et 420familles d’oiseaux, dont 23 sonten voie de disparition. Cetteriche biodiversité expliquepourquoi le Caño Cristales est un lieu privilégié par la re-cherche scientifique internatio-nale.

Le paysage est d’une beauté in-descriptible. La végétation, quirecouvre presque tout, est ty-pique des régions tropicales.Elle brille d’un vert incandes-cent et les cascades apportentune fraîcheur bienvenue dans lachaleur omniprésente. Mais levéritable joyau que renferme laSierra de la Macarena, c’est leCaño Cristales.

Comme dans un dessin d’en-fant, ses eaux passent du tur-quoise au violet foncé, puis ellesse teintent d’un vert tropical etd’un rouge sang, avant de finirdans toutes les nuances de jauneà l’horizon. C’est la présenced’une plante aquatique indi-gène, la macarenia clavigera, quirend possible cette magie descouleurs. Les roches sédimen-taires viennent compléter unpaysage unique où chaque

méandre de la rivière regorgede merveilles. Grâce à son lit deroches, le Caño Cristales est unesuccession de rapides, de casca-des, de mares et de dépressions.Ses eaux cristallines permettentd’apercevoir des formes et descouleurs hallucinantes.

Les formations rocheuses, quicaractérisent la rivière et toutela région, figurent parmi les plus anciennes du monde. Ellesdatent de plus de 1,2 milliardd’années. Elles font partie duplateau des Guyanes, qui s’étendjusqu’au Brésil et au Venezuela.Non loin du Caño Cristales, ontrouve des sites archéologiquesoù les cultures précolombiennesont laissé des pétroglyphes etdes pictogrammes. Les habi-tants, qui connaissent bien leslieux, servent de guides touris-tiques. Ils agrémentent la visiteen racontant les histoires deleurs ancêtres – lesquelles tien-nent probablement plus del’imagination que de la réalité,mais cela n’enlève rien à leurcaractère émotionnel et pro-fond. On pourrait s’attendre àce que cette merveille de la na-ture, visitée chaque année pardes milliers de touristes colom-biens et étrangers, ait donnénaissance à une réelle industriedu tourisme. Mais ce n’est pas lecas. Les guides sont toujours desétudiants ou des paysans locaux,les rares hôtels sont rudimen-taires et l’offre de restaurationdemeure pour le moins limitée.

Le potentiel de développementtouristique est énorme et legouvernement local de laMacarena entend promouvoircette branche tout en proté-geant l’environnement, quiconstitue son atout le plus pré-cieux. Cependant, l’ensemble dela région court un autre risque :l’exploitation minière. Lesconditions géologiques, causes

de son immense valeur écolo-gique, font penser en effet quele sous-sol pourrait renfermerdes gisements de minerais et depétrole.

Pour l’heure, le Caño Cristaleséchappe pourtant à la menace etcontinue d’offrir aux voyageursune expérience unique pendantune moitié de l’année. En re-vanche, durant les six mois de la saison sèche, on doit fermerl’accès à la rivière, afin de proté-ger la macarenia clavigera. Lestouristes pourraient l’abîmer et gâcher ainsi l’explosion decouleurs qui fait de cette rivièrela plus belle du monde. ■

(De l’espagnol)

Carte blanche

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Gil Giuglio/hem

is.fr/laif

Derwal Fred / hemis.fr

Un seul monde No 3 / Septembre 2016

CULTURE

« Seules meurent les cultures qui ne s’ouvrent pas»L’écrivain mauritanien Beyrouk emmène ses lecteurs dans les campements etles oasis du Sahara, où les Bédouins vivent selon des traditions ancestrales. Ildécrit notamment les tensions qui opposent ces tribus nomades à la sociétéurbaine moderne. Son dernier roman Le Tambour des larmes, a obtenu le prixKourouma 2016. Entretien avec Jane-Lise Schneeberger.

Un seul monde : Vous avez déjà reçu plusieurs récom-penses littéraires. Le prixKourouma, qui vous a étédécerné en avril dernier parle Salon du livre et de lapresse de Genève, revêt-ilune signification particulièrepour vous?Beyrouk: Je suis, bien sûr, fortheureux de l’avoir reçu. D’abordparce que ce prix est devenu aufil des ans l’une des plus presti-gieuses distinctions du romanfrancophone. Ensuite parce qu’ilporte le nom de l’écrivain ivoi-rien Ahmadou Kourouma, dontj’adore l’écriture. Enfin, j’aimebeaucoup la ville de Genève, quej’avais déjà visitée à l’occasiond’un précédent Salon du livre.

Vous êtes l’un des rares écri-vains francophones de Mau-ritanie. Pourquoi avoir choisid’écrire dans cette langue?

fluencent, se pénètrent et finis-sent toujours par se compléter,par s’embrasser en quelque sorte.Notre grand dilemme, à noustous, c’est la peur de ce qu’ap-portent les autres, la peur deperdre nos racines. Or, seulesmeurent les cultures qui ne s’ou-vrent pas. Aujourd’hui, je portetoujours en moi une partie dema bédouinité. Je ne la cache pas,elle ne me fait pas honte. Mais

elle ne m’empêche pas non plusd’être un écrivain francophone et d’avoir des amis partout dansle monde.

Votre bédouinité? Mais vousêtes un sédentaire, vous aveztoujours vécu en ville. LesBédouins ne mènent-ils paspar définition une existencenomade?La bédouinité est plus qu’un

Mon père était un instituteurfrancophone. Il enseignait lefrançais aux petits Bédouins, pen-sant leur donner en même tempsdes armes pour la liberté. À l’âgede12 ans, je suis tombé amoureuxde cette langue, à la faveur d’unerencontre avec Victor Hugo. La lecture des Misérables m’avait pris mes trois mois de vacances.Depuis, cet amour ne s’est jamaisdémenti. Inutile de dire que jereste attaché à ma langue mater-nelle, le hassaniya, et à la culturefortement métissée de monpeuple. La littérature françaisem’a aussi appris que les culturesne s’affrontent pas, mais qu’elless’embrassent.

Qu’entendez-vous par là?Quand les cultures se rencon-trent, elles suscitent d’abord desrejets, des incompréhensions,chez les individus et les groupessociaux. Cependant, elles s’in-

«Quand les cultures se rencon-trent, elles suscitent d’abord desrejets, des incompréhensions. »

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Michael Runkel/robertharding/laif

Un seul monde No 3 / Septembre 2016

vont-elles aussi finir pars’embrasser?L’opposition entre bédouinité etmodernité est très ancienne. Elleest indéniable. Ce sont deux vi-sions totalement différentes. LesBédouins considèrent générale-ment les citadins comme desgens peureux, repliés sur eux-mêmes et dépourvus d’honneur.Ils les trouvent trop riches, tropgras, trop avares, bref juste bons àêtre razziés. Aux yeux des cita-dins, en revanche, les Bédouinssont des razzieurs, des ratés, desbarbares sans foi ni instruction.Aujourd’hui, ces deux mondessont toutefois obligés de se cô-toyer, d’avoir des échanges, car ilspartagent le même espace. En ef-fet, la bédouinité, au sens phy-sique, se meurt en Mauritanie.

quelles. Beaucoup d’anciensmaîtres n’ont pas des relationsd’égal à égal avec leurs anciensesclaves. Ils continuent de secroire supérieurs à eux. En outre,les esclaves affranchis rencontrentsouvent un problème d’intégra-tion. Ils constituent le prolétariatdes villes, car la plupart d’entreeux, n’ayant pas été à l’école,manquent d’instruction.

Le Tambour des larmes racontel’histoire de Rayhana, unejeune Bédouine qui se laisseséduire par un ingénieur depassage et tombe enceinte.Sa mère l’oblige à abandon-ner son bébé pour éviter ledéshonneur et lui impose unmariage arrangé. Ce récit re-flète-t-il la situation actuelle

mode de vie. C’est un art devivre, une culture, une manièrede concevoir le monde.J’appartiens à une tribu qui alongtemps nomadisé dans leSahara. Son aire de commerce et de pâturage allait du sud duMaroc jusqu’à Tombouctou, auMali. Aujourd’hui, nous noussommes installés en ville. Maisnotre culture nous habite tou-jours. Nous continuons de penseret d’agir en Bédouins.

C’est cette société tribaleque vous mettez superbe-ment en scène dans voslivres. Vous décrivez ses cou-tumes, ses codes ancestraux,mais aussi sa confrontationavec le monde moderne desvilles. Ces deux cultures

Les nomades se sédentarisent etviennent habiter en ville. Donc,oui, les deux cultures finiront parfusionner. On observe déjà leurrapprochement au quotidien.

Comme le dit l’un de vospersonnages, la ville est aussil’endroit «où les esclaves re-trouvent la liberté» aprèsavoir fui les campements.Quelle est l’ampleur de cettepratique qui semble perdureren Mauritanie?J’y fais allusion pour les besoinsdu roman, mais dans les faits, l’esclavage a quasiment disparu. Il perdurait encore quand j’étaisjeune, malgré les nombreuxtextes qui l’interdisaient, dont leplus célèbre date de 1980. Cettepratique a toutefois laissé des sé-

«Aujourd’hui, nous vivons en ville,mais nous continuons de penser et d’agir en Bédouins. »

Clive Shirley/laif

Michael Runkel/robertharding/laif

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Candace Feit/Nyt/Redux/laif

Un seul monde No 3 / Septembre 2016

des femmes en Mauritanie? Les choses évoluent petit à petit,mais on peut toujours rencontrerdes cas comme celui-là. Mettreau monde un enfant en dehorsdu cadre du mariage reste quel-que chose d’inacceptable, unehonte jetée à la face de la familleet de toute la communauté. C’estl’honneur de la tribu qui est enjeu. Or, l’honneur est une valeurcardinale chez les Bédouins. Lacoutume veut qu’on le lave dansle sang. L’enfant de Rayhana lui aété retiré, mais le clan aurait puaussi les tuer tous les deux. Celaarrive encore parfois.

Et qu’en est-il des mariagesforcés? Dans les sociétés tribales, on neconsulte pas la jeune fille sur le

choix de son époux. C’est sa fa-mille qui décide du premier ma-riage. Mais quand la femme de-mande le divorce, elle l’obtientgénéralement. Elle peut alorschoisir librement son deuxièmemari. En fait, la femme jouit dedavantage de libertés chez lesSahariens que dans d’autres ré-gions d’Afrique. Les peuples dudésert ne connaissent pas la poly-gamie, par exemple. Ils ont unrespect absolu de la femme. Un homme n’a pas le droit defrapper ou d’insulter son épouse.C’est même stipulé dans lecontrat de mariage.

Vous n’êtes pas seulementécrivain, mais aussi journa-liste. Vous avez créé en 1988le premier journal indépen-

dant de Mauritanie. Com-ment le paysage médiatiquea-t-il évolué depuis lors?Il s’est considérablement diversi-fié. La presse écrite compte unefoule de titres. En outre, plusieurschaînes privées de radio et de té-lévision ont émergé ces dernièresannées. Les sites d’information enligne se multiplient également.Cette profusion de médias nousparaît aujourd’hui naturelle. Maisjusqu’en 1988, nous n’avionsqu’un seul journal, le quotidiengouvernemental Chaab.

La liberté de la presse, dontvous avez été un ardent dé-fenseur, est-elle désormaisacquise?Oui, les journalistes peuvent tra-vailler librement. Mais la profes-

sion s’est développée de manièreun peu anarchique et il restebeaucoup à faire pour l’organiser.Le manque de formation est leprincipal problème: aujourd’hui,n’importe qui peut s’autoprocla-mer journaliste. Dans un telcontexte, les entorses à la déon-tologie ne sont pas rares. Commeailleurs en Afrique, la liberté de lapresse prend parfois des allures devendetta. Il arrive que des médiaspublient des accusations dont ilsn’ont pas la moindre preuve. Desurcroît, ce milieu n’échappe pasà la corruption. Certains journa-listes n’hésitent pas à chanter lesvertus d’hommes politiques quileur graissent la patte. Cela dit, ily a aussi des professionnels sé-rieux qui font leur travail trèsconsciencieusement. ■

«Comme ailleurs en Afrique, la liberté de la presse prend parfois des allures devendetta. »

Mbarek Ould Beyrouk – de son

nom de plume Beyrouk – est né

en 1957 à Atar, dans le nord de la

Mauritanie. Après des études de

droit, il s’est lancé dans le journa-

lisme. Il a créé en 1988 Mauritanie

demain, le premier journal indé-

pendant du pays. Après avoir

dirigé l’Agence mauritanienne

d’information, il a siégé à la Haute

Autorité de la presse et de l’audiovi-

suel, puis a exercé la fonction de

secrétaire général du ministère de

la jeunesse et des sports. Depuis

juin 2015, il est conseiller du prési-

dent de la République sur les ques-

tions culturelles et sociales. Dès

l’âge de 25 ans, Beyrouk a publié

des nouvelles dans la presse locale.

Il en a réuni une bonne partie dans

le recueil Nouvelles du désert

(2009). Il a également publié trois

romans: Et le ciel a oublié de pleu-

voir (2006), Le Griot de l’émir (2013)

et Le Tambour des larmes (2016).

Sam

uel Aranda/NYT/Redux/laif

Gil Giuglio/hem

is.fr/laif

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Flurina Rothenberger

Un seul monde No 3 / Septembre 2016

ServiceExpositions

Musique

style assumé, parsèment un pay-sage sonore paisible et hypno-tique. La voix chaude, claire etun brin mélancolique de Céu se pose tout en douceur sur cessubtiles mélodies. Sa sensualitéconvient à merveille pourl’heure bleue, juste avant que la nuit n’envahisse le ciel d’été.Céu : «Tropix » (Six Degrees/Indigo)

Un globe-trotter de la musique(er) La voix du chanteur et gui-tariste sénégalais Baaba Maal, 63ans, est toujours claire commedu cristal. Ayant exploré de longen large les musiques du monde,cette star internationale, que l’onappelle le « rossignol africain », aintitulé son dernier album entoute logique The Traveller. Il l’aenregistré entre Londres et

Pendulaire entre deux continents(bf ) Depuis toujours, la photo-graphe Flurina Rothenbergerfait la navette entre deux conti-nents. Née en Suisse, elle agrandi en Côte d’Ivoire. Cette

Zurichoise de 39 ans explique, à sa manière, qu’il n’existe pasune seule représentation del’Afrique, mais plusieurs. À sesyeux, une grande vérité se cachederrière le dicton africain : «S’iln’écoute que l’hyène, le lièvrene saura jamais à quoi ressemblevraiment le buffle. » Dans l’ex-position qui se tient cet au-tomne au Photoforum Pasquart,à Bienne, Flurina Rothenbergermontre la réalité de l’Afrique,loin des stéréotypes et des cli-chés, telle qu’elle l’a perçue cesdix dernières années lors de sé-jours privés et professionnels. Flurina Rothenberger, PhotoforumPasquart, Bienne, du 18 septembreau 20 novembre, www.photoforum-pasquart.ch

Plongée dans la coopérationinternationale(bf ) Travailler dans le monde dela coopération internationale estune activité dynamique et enri-chissante, qui exige en touttemps une bonne dose d’ouver-ture et de capacité d’adaptation.Quels obstacles rencontrentceux qui s’engagent dans ce domaine ? Quelles décisionsdoivent-ils prendre durant leurcarrière ? Quels défis se posentde nos jours à la communautédes coopérants ? Le Forum cinfo2016, qui se tiendra le 28 octo-bre à Bienne, est le salon dumarché du travail suisse de lacoopération internationale. C’estla plateforme idéale pour s’in-former, faire du réseautage etplanifier sa carrière : organisa-tions, employeurs potentiels etconférenciers permettront tantaux débutants qu’aux personnesexpérimentées de se plongerdans les thèmes les plus actuels.Le salon offre également la pos-sibilité de nouer des contactsavec les acteurs de tous les domaines de la coopération.Forum cinfo 2016, Stade de Suisse,Berne, 28 octobre ; informations etprogramme : www.cinfo.ch

Des chansons pour l’heurebleue(er) Il y a plus de dix ans que laBrésilienne Céu, de son nom debaptême Maria do Céu WhitakerPoças, s’est acquis une renom-mée dans le monde entier. Cetteauteure-compositrice-interprètede 36 ans le doit surtout à lacréativité qui la pousse à ajoutersans cesse des impulsions aussinouvelles que variées à sa mu-sique envoûtante. Les douzemorceaux de son quatrième al-bum sont là pour le prouver.Intitulé Tropix – contraction de« tropical » et «pixels » –, celui-cimêle la poésie des chansons po-pulaires brésiliennes à des sono-rités électroniques. Des rythmessouvent métalliques, mais au

La parole aux déracinés(ann) Chassés, persécutés, désespérés, ils ont pris la fuitedans l’espoir de survivre et d’avoir de meilleures perspec-tives d’avenir. Le monde compte aujourd’hui 65,3 millionsde personnes déracinées, ce qui représente plus de septfois la population suisse. Leur nombre ne cesse decroître. Nous faisons face à la plus grande crise humani-taire depuis la Seconde Guerre mondiale. Les répercus-sions se font certes sentir en Europe, mais ce sont lespays en développement qui supportent la plus lourdecharge. Qui sont ces réfugiés ou ces personnes dépla-cées? Qu’est-ce qui les pousse à fuir? Quelles sont leursperspectives? L’exposition Fuir donne la parole à desfemmes, à des enfants et à des hommes en fuite, en re-traçant leurs destins. Elle évoque aussi le vécu des tra-vailleurs humanitaires. Enfin, elle s’intéresse aux respon-sables qui, en Suisse, doivent déterminer qui a droit àl’asile ou pas – une décision lourde de conséquences.«Fuir», Musée national suisse, Zurich, dès le 29 octobre

Dakar après six années de pause.Cet esprit libre, très engagé surle plan social et politique, ychante en peul, la langue dupeuple toucouleur dont il estissu. Il évoque notamment lepouvoir de la langue, la guerreet la paix. Son phrasé étonnantest serti comme un joyau dansun fond sonore hymnique faitde roots, de desert-rock et depop. Il est orné de chœurs sub-tils, d’instruments traditionnels(kora, flûte peule, djembé) et deseffets harmonieux d’une bande-son électronique. Cet ensemblefascinant forme une harmoniedense qui invite à se laisser alleret donne envie de chanter à l’unisson.Baaba Maal : «The Traveller »(Marathon Artists/Rough trade)

Manifestation

35Un seul monde No 3 / Septembre 2016

ImpressumUn seul monde paraît quatre fois par année,en français, en allemand et en italien.

Éditeur :Direction du développement et de la coopération (DDC) du Département fédéraldes affaires étrangères (DFAE)

Comité de rédaction :Manuel Sager (responsable)George Farago (coordination globale)Beat Felber, Pierre Maurer, Nicole Merkt,Marie-Noëlle Paccolat,Christina Stucky, Özgür Ünal

Rédaction :Beat Felber (bf – production)Luca Beti (lb), Jens Lundsgaard-Hansen (jlh),

Jane-Lise Schneeberger (jls), Fabian Urech(fu), Ernst Rieben (er)

Graphisme : Laurent Cocchi, Lausanne

Photolitho et impression :Vogt-Schild Druck AG, Derendingen

Reproduction :Les articles peuvent être reproduits, avecmention de la source, à condition que la rédaction ait donné son accord. L’envoi d’un exemplaire à l’éditeur est souhaité.

Abonnements et changements d’adresse :Le magazine peut être obtenu gratuitement(en Suisse seulement) auprès de : DFAE, Service de l’information, Palais fédéral Ouest, 3003 Berne,

Courriel : [email protected]él. 058 462 44 12Fax 058 464 90 47www.ddc.admin.ch

860215346

Imprimé sur papier blanchi sans chlore pourprotéger l’environnement

Tirage total : 51200

Couverture : jeunes Kenyans à Nairobi ; Sven Torfinn/laif

ISSN 1661-1675

Coup de cœur

Peindre au milieu des manguiers

Omar Ba, peintre sénégalais établien Suisse, a obtenu le Swiss ArtAward en 2011.

À Genève, j’ai presque tout ce qu’ilfaut pour travailler dans les meilleu-res conditions : un atelier, du maté-riel, ma documentation, etc. Régu-lièrement, j’ai cependant besoin deme reconnecter avec mes origines.C’est pourquoi je passe trois ouquatre mois par an au Sénégal. Ilest important pour moi de retrouvermes amis d’enfance, de partager lavie de mes concitoyens, de ressen-tir leurs difficultés, leurs souffran-ces. Près de Dakar, ma famille pos-sède un champ de manguiers, oùnous cultivons également des lé-gumes bios. Je suis en train d’yconstruire un atelier et un logement.Comme la peinture me suffit pourvivre, tout ce que me rapporte cechamp va à des personnes dému-nies ou à des associations carita-tives. Ces allers et retours entre laSuisse et le Sénégal, nécessaires à mon équilibre, sont aussi unesource d’inspiration. Mes tableauxfont souvent référence aux rapportsNord-Sud, aux guerres ou à la pau-vreté engendrée par la mondialisa-tion. Pour découvrir un pan de l’his-toire de l’Afrique, je recommande lefilm Ceddo de Sembène Ousmane.Il évoque la pénétration de l’islamet du christianisme sur un continentattaché à ses traditions animistes.

(Propos recueillis par Jane-LiseSchneeberger)

Plutôt le rock que la médecine(bf ) Leyla Bouzid compte parmiles jeunes réalisateurs qui ontparticipé au Printemps arabe etplacé des espoirs dans ce mou-vement. Il n’est donc pas surpre-nant que le premier long mé-trage de cette Tunisienne, À peine j’ouvre les yeux, ait rem-porté un énorme succès dansson pays. Ce film exprime le dé-sir de toute une génération, maissouligne aussi qu’aucun été n’asuccédé au printemps. L’histoirese passe à Tunis, juste avant la révolution. Farah, 18 ans, vientd’avoir son bac. Sa famille vou-drait qu’elle fasse des études demédecine. Pour sa part, elle pré-fère chanter dans un groupe derock contestataire et se battrecontre une société restrictive.Leyla Bouzid trace le portait vi-brant d’une jeune femme quiconteste les structures patriar-cales et se rebelle, mais se heurteà la dure réalité. Ce film explosifillustre l’ampleur des change-ments nécessaires et la longueurdu chemin à parcourir pour ins-taurer une société libre, mêmedans un pays aussi avancé que laTunisie.Leyla Bouzid : «À peine j’ouvre lesyeux», 2015 ; www.trigon-film.org

Aventure initiatique dans un bidonville(dg) Abila, 14 ans, vit à Kibera,un vaste bidonville de Nairobi.Un matin, il découvre son pèreprostré dans un coin, en plein

délire, affirmant qu’une femmelui a volé son âme. Déterminé à le sauver, l’adolescent part enquête d’une solution. Avec l’aidede son amie Shiku, il remontejusqu’à une terrifiante sorcière.Cette femme lui assigne septtâches à accomplir d’ici au len-demain matin pour libérer l’âmede son père. Abila se lance alorsdans une course contre lamontre et un périple palpitant à travers le bidonville. Le fils dévoué doit risquer tous lesdangers et devenir un hommeen une journée. Cette aventure initiatique est le thème de SoulBoy, premier long métrage deHawa Essuman, une jeune réali-satrice ghanéo-kenyane. Parallè-lement, le film présente les mul-tiples facettes de la vie quoti-dienne à Kibera. Récompensé à plusieurs reprises, il a notam-ment remporté le Prix du publicau Festival international du filmde Göteborg en 2010. Hawa Essuman : «Soul Boy»,Kenya/Allemagne, 2010, dès 12 ans. Le film est disponible à la location (vidéo à la demande) et sur DVD. Information : éducation21, tél. 021 343 00 21, www.education21.ch.

Idd

L’Afrique affirme son identité(fu) Beaucoup considèrent tou-jours l’Afrique comme un blocmonolithique, inconnu et pres-que impénétrable, qui semblecondamné à rester éternellementpauvre, sous-développé et sujetaux pires catastrophes. Dans sondernier livre, Alex Perry, corres-pondant depuis de longues an-nées en Afrique pour l’hebdo-madaire américain Time, a voulucorriger ces préjugés. Il décritun continent moderne qui, après des siècles d’oppression, se trouve «dans une phase d’af-firmation de soi ». Selon ce jour-naliste, les pays africains sont sur le point de s’émanciper de l’influence étrangère, souventpatriarcale. Ils se libèrent de régimes économiques nocifs, del’aide au développement et de la notion prétendument univer-selle de progrès. Alex Perrybrosse un portrait coloré etnuancé du continent. Son récitdevient très prenant lorsqu’ilévoque les gens qu’il a rencon-trés : entrepreneurs, commer-çants, informaticiens, seigneursde la guerre, professeurs, chefsd’État, etc.Vu les nombreuses informations plutôt découra-geantes de ce livre, l’optimismeaffiché par l’auteur reflète toute-fois plus ses désirs que la réalité. Alex Perry : «The Rift : the Futureof Africa », Weidenfeld & Nicolson,2015 ; « In Afrika : Reise in dieZukunft », S. Fischer, 2016

Films/DVD

Livre

«Les gens pensent parfois que l’édu-cation résoudra le problème du chô-mage. Mais le système éducatif ne créepas d’emplois. »Suzanne Grant Lewis, page 12

«La plupart des jeunes, soit un quartde la population, apportent un soutienactif ou passif à la révolution. » Sara Khorshid, page 22

«La Suisse reste une plaque tournantedes transferts transfrontaliers illicites decapitaux, notamment dans le contextedu commerce des matières premièreset des avoirs cachés. » Alex Cobham, page 29