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un état particulier de la matière

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Les nouveaux produits chimiques et leurs applications

Impact N° 157, 1990 3 Editorial

Michael Freemantle

5 L'état solide poreux ou divisé : un état particulier Jean Rouquerol

17 La simulation des matériaux par ordinateur John Corish

27 L'agrochimie : les pesticides et les autres stratégies des cultures Roy Greenhalgh

39 Médicaments chimiques : les nouveaux défis Camille-Georges Wermuth

53 C o m m e n t obtenir des fibres haute performance à Miroslav Raab

63 Les C F C et leurs produits de substitution Michael Freemantle

de la matière

de lutte contre les ennemis

partir de polymères flexibles

11 Les matériaux de référence : leur rôle dans l'exactitude des mesures W. P. Reed et S. D . Rasberry

89 La production de substances chimiques grâce aux biotechnologies : faits, espoirs, rêves et doutes Chandana Chakrabarti et Pushpa M . Bhargava

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Avis aux lecteurs

Impact : science et société est également publié en anglais, en arabe, en chinois, en coréen, en portugais et en russe. Pour obtenir des informations concernant ces éditions, prière de s'adresser à :

Anglais : Taylor & Francis Ltd, Subscriptions Department, Rankine R o a d ,

Basingstoke, Hampshire R G 2 4 O P R , R o y a u m e - U n i . Arabe : Unesco Publications Centre in Cairo, 1 Talaat Harb Street, Le Caire,

République arabe d'Egypte. Chinois : Institute of Policy and M a n a g e m e n t , Chinese A c a d e m y of Sciences,

P . O . B o x 8712, Beijing, République populaire de Chine. Coréen : Commission nationale coréenne pour l'Unesco, P . O . B o x Central 64, Séoul,

République de Corée. Portugais : Publicaçoes Europa-América L d a , Est. Lisboa-Sintra k m 14, 2726 M e m

Martins Codex, Portugal. Russe : Commission de l ' U R S S pour l'Unesco, 9 Prospekt Kalinina, M o s k v a G - 1 9 ,

URSS.

Les auteurs sont responsables du choix et de la présentation des faits figurant dans leurs articles ainsi que des opinions qui y sont exprimées, lesquelles ne sont pas nécessairement celles de r Unesco et n'engagent pas l'Organisation.

Les textes publiés peuvent être librement reproduits et traduits (sauf lorsque le droit de reproduction ou de traduction est réservé) à condition qu'il soit fait mention de l'auteur et de la source. Un numéro de la revue ne peut être repris intégralement qu'avec l'autorisation de V Unesco.

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Editorial

Le Chemical Abstract Service de la Société américaine de chimie enregistre actuel­lement plus de 600 000 nouvelles substances chimiques par an et ses fichiers en comptent maintenant près de 10 millions contre environ 5 millions à la fin de 1980 et 1 million il y a un peu plus de vingt ans.

Naturellement, la grande majorité de ces substances n'a qu'un intérêt purement théorique et il est peu probable qu'elles sortent jamais des laboratoires de recherche. Mais on estime à 70 000 celles qui sont actuellement employées dans les domaines de l'agriculture, des biens de consommation et de l'industrie, et ce nombre augmente au rythme d'environ 1 000 par an. Ces substances chimiques rendent toutes sortes de services : nourriture et boisson, santé, habillement, logement, transports et c o m m u ­nication. Malheureusement, l'utilisation à grande échelle de certaines d'entre elles pose aussi des problèmes parfois à l'échelle mondiale. Depuis quelques années, il devient urgent de trouver des produits nouveaux, moins dangereux et donc plus acceptables pour la société et l'environnement.

Dans le présent numéro d'Impact, nous examinons la mise au point et les appli­cations de certains de ces nouveaux produits et matières chimiques. Ainsi, Jean Rouquerol met en évidence l'importance technologique des solides poreux en médecine, dans l'industrie et pour la protection de l'environnement. Dans l'article suivant, John Corish explique comment les études de simulation effectuées sur de grands ordinateurs modernes ont influé sur notre connaissance des nouveaux matériaux.

Le sort de l'environnement et l'innocuité des aliments sont, c o m m e l'indique R o y Greenhalgh dans son article, deux aspects de la science qui préoccupent actuel­lement le public. Il passe en revue les pesticides et décrit brièvement les autres stratégies de lutte contre les ennemis des cultures. Camille-Georges W e r m u t h fait l'inventaire des nouveaux médicaments chimiques, notamment les produits pharma­ceutiques, et Miroslav R a a b donne des indications sur la façon dont les nouvelles techniques de manipulation de la structure macromoléculaire des polymères semi-cristallins ont modifié spectaculairement leurs propriétés mécaniques.

O n sait maintenant que les chlorofluorocarbones ( C F C ) , composés autrefois considérés c o m m e miraculeux en raison de leur stabilité, de leur ininflammabilité et de leur faible toxicité, dégradent la couche d'ozone qui protège la Terre. Michael Freemantle examine les substances en voie de mise au point pour les remplacer.

Les matériaux de référence trouvent des utilisations très diverses en science, dans l'industrie et en technologie, ainsi que dans l'analyse de l'environnement et en médecine clinique. William Reed et Stanley Rasberry décrivent le m o d e d'utili-

3 Impact : science et société, n" 157, 3-4

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Editorial

sation de ces matériaux pour assurer la précision et la compatibilité des mesures des propriétés physiques et chimiques dans ces diverses applications.

Enfin, Chandana Chakrabarti et Pushpa M . Bhargava passent en revue certains des nouveaux produits chimiques issus de la biotechnologie qui sont utilisés dans toutes sortes de domaines : médecine, agriculture, énergie, industrie, élevage et production animale, métallurgie, lutte contre la pollution.

U n seul numéro ne suffit pas à couvrir les milliers de nouveaux produits et matières chimiques dont nous disposons aujourd'hui. N o u s avons d û nous montrer sélectifs et il n'a pas été possible d'aborder les catalyseurs, les composants électro­niques et d'autres catégories de matériaux très importants du point de vue social et économique. N o u s espérons néanmoins que les articles qui suivent montreront que la chimie, les chimistes et les substances chimiques apportent une contribution fondamentale au bien-être actuel et futur de notre société. •

Michael Freemantle

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L'état solide poreux ou divisé : u n état particulier de la matière

Jean Rouquerol

Vétat solide poreux ou divisé laisse jouer à ses atomes superficiels, très nombreux, un rôle à part qui se traduit notamment par le phénomène d'adsorption (gazeuse ou liquide). Celui-ci intervient dans la plupart des applications décrites : purification et séparation des gaz et des liquides, stabilisation des suspensions (encres, peintures), applications pharmaceutiques ou phytosanitaires. Les problèmes particuliers que pose chacune d'entre elles et leur solution actuelle sont examinés.

Qu'appelons-nous solide poreux ou divisé ?

L a notion de porosité nous est familière. N o u s la retrouvons facilement dans une éponge, dans une pierre ponce et, à une échelle beaucoup plus fine, dans la cruche de terre cuite suffisamment perméable à l'eau pour permettre une evaporation rafraîchissante. Dans certains solides, les pores sont m ê m e si fins qu'ils ne laissent passer que certaines molécules — quelquefois m ê m e certains atomes. L'échelle de largeur de pores ainsi couverte va du millimètre pour la pierre ponce au nanometre (c'est-à-dire au millionième de millimètre) pour le « tamis moléculaire » moderne. Bien que le volume de ces pores soit limité (pour une question de rigidité de la structure, 1 c m 3 de solide poreux « d'intérêt technologique » ne contiendra habi­tuellement que 0,2 à 0,6 c m 3 de volume poreux), leurs parois finissent par avoir une étendue surprenante : l'aire totale de ces parois (que l'on appelle « aire superficielle » m ê m e si elle concerne des pores à l'intérieur d 'un solide) peut atteindre, pour 1 g r a m m e de charbon activé, plus de 2 000 m 2 . O n comprend qu 'un tel solide, dont tant d'atomes se trouvent directement en contact avec le milieu fluide environnant, aient des propriétés particulières. Dans l'exemple du charbon ci-dessus, ce sont plus de

Jean Rouquerol est actuellement directeur du Centre de thermodynamique et de microcalorimétrie du C N R S à Marseille, orienté sur l'étude thermodynamique et cinétique des matériaux massifs ou divisés. Directeur de recherche au C N R S , il s'intéresse depuis trente ans à la fois à la préparation (notamment thermique) et à la caractérisation (notamment par adsorption gazeuse ou liquide) des matériaux poreux ou divisés. Il est président de la Commission scientifique de la Confédération internationale d'analyse thermique, président du Sous-Comité sur la caractérisation des solides poreux de l'Union internationale de chimie pure et appliquée ( I U P A C ) et m e m b r e de la Commission de chimie des surfaces et des colloïdes. Son adresse : Centre de thermodynamique et de micro­calorimétrie, Centre national de la recherche scientifique, 26, rue du 141e R . I . A . , 13003 Marseille, France.

5 Impact : science et société, n" 157, 5-16

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50 % des atomes qui se trouvent ainsi « à fleur de peau », capables d'une interaction immédiate avec un gaz ou un liquide. La figure 1 montre divers aspects de la porosité d'un solide qui ont une incidence directe sur son comportement et sur son intérêt technologique, c o m m e on l'illustrera plus loin par des exemples. U n solide poreux peut en effet posséder la porosité peu profonde que l'on appelle rugosité (a), des pores « en bouteille » (b), cylindriques (c), en entonnoir (d), en intercommu­nication (e), en doigt de gant (f) ou complètement fermés (g). Il peut aussi posséder des pores en fente, aussi bien « en coin » ( c o m m e des fissures) qu'avec des parois parallèles. L a « connectivité » (ou degré d'intercommunication) des pores est une propriété très intéressante pour les rendre rapidement accessibles à un fluide. Des études récentes ont toutefois montré que cette accessibilité pouvait être complètement bloquée, bien avant le remplissage complet des pores, lors du phénomène de « perco­lation » par une sorte d' « embouteillage » du réseau poreux. Il peut parfois suffire de remplir à moins de 50 % (qui marque dans ce cas le « seuil de percolation ») le volume poreux à l'aide d'un liquide pour bloquer tout passage ultérieur d'un gaz. Les prévisions d'écoulement sont faites soit à l'aide de modèles physiques (porosités « construites » à une échelle assez grande pour être visibles), soit à l'aide de simu­lations à l'ordinateur. Cette présentation schématique laisse entrevoir la complexité possible d'un tel solide et la s o m m e de connaissances à rassembler pour être capable d'orienter ses propriétés dans une direction donnée.

Les solides divisés, constitués de particules séparées, peuvent couvrir une échelle presque aussi large que celle des solides poreux : pour fixer les idées, disons qu'ils peuvent donner l'impression d'un sable (grains de l'ordre de quelques dixièmes à un dixième de millimètre), d'une farine (de l'ordre de un centième à u n millième de mil­limètre) ou d'une fumée extrêmement légère (dont certaines particules peuvent être aussi petites que quelques nanometres). Leur aire superficielle peut aller de quelques centièmes de mètre carré par g r a m m e (pour un sable) à 200 m a par g r a m m e (pour une fumée de silice dite « silice pyrogénique »). A cette variété de dimensions s'ajoute une grande variété de formes, c o m m e le suggèrent les quelques exemples de la

Figure 1

Section d'un solide poreux montrant certaines de ses caractéristiques.

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L'état solide poreux ou divisé : un état particulier de la matière

Figure 2 Exemples de solides divisés, avec les échelles correspondantes; a : grappes de particules, de 15 n m de diamètre, d'une silice pyrogénique de 200 m 2 g - 1 ; b : feuillets plans d'un kaolin de 20 m 2 g - 1 ; c : billes d'oxydes minéraux de 0,5 m 2 g - 1

obtenus par la méthode sol-gel ou billes de latex obtenues par polymérisation dans une emulsion; d: enfin, cristaux « aciculaires » de magnetite ou de plâtre de 20 m 2 g - 1 .

figure 2. L a tendance à l'agglomération d'un solide divisé dépend notamment d'inter­actions électriques (particules avec des charges électriques superficielles), capillaires (en présence d'un liquide ou m ê m e simplement d'une vapeur) ou de type universel (interactions dites « de dispersion », non parce qu'elles dispersent les solides — elles sont au contraire attractives — mais parce qu'elles dispersent la lumière) qu'il s'agit, c o m m e on va le voir, de connaître et de maîtriser en fonction des applications. Avant de passer en revue ces dernières, précisons ce qu'est le phénomène d'adsorption qui intervient dans la plupart d'entre elles.

Le phénomène d'adsorption

L e m o t « adsorption » (oui, avec un « d ») a été proposé au début du siècle par le physico-chimiste américain Langmuir pour désigner une absorption simplement en surface, sans pénétration du gaz ou du liquide dans la structure m ê m e du solide.

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E n effet, les solides poreux ou divisés dont nous venons de parler sont capables de concentrer et de retenir à leur surface des quantités notables de gaz, de vapeurs ou de liquides. O n les appelle des adsorbants. E n réalité, toutes les surfaces solides adsorbent (et m ê m e aussi les surfaces liquides, mais cela sort de notre sujet), mais cet effet ne se remarque et ne peut être exploité que pour un solide très poreux ou très divisé. Ainsi, à la température ambiante et avec une hygrométrie de 50 %, un petit cube de verre ordinaire de 1 c m d'arête adsorberá environ 2 couches d'eau, soit environ 0,3 .̂g d'eau : autant dire que cela passe inaperçu. Par contre, un cube de gel de silice microporeux de m ê m e taille, dont la porosité occupe 30 % du volume, adsorbe, m ê m e avec une hygrométrie dix fois plus faible, 300 m g d'eau, c'est-à-dire 1 million de fois plus, ce qui devient intéressant. Dans cet exemple, le phénomène d'adsorption revient à liquéfier une vapeur dans des conditions de pression (par exemple une hygrométrie de 5 %) où, normalement, elle ne doit pas se liquéfier (il faut habituellement une vapeur « saturante », c'est-à-dire une hygrométrie de 100 % pour obtenir une condensation ou une liquéfaction sur la surface plane d'une vitre, d'un carreau de salle de bains ou d'un couvercle de casserole). Il existe en réalité, au voisinage immédiat de la surface d'un solide, un « c h a m p d'adsorption », avec un effet attractif universel, qui fait la différence. Si un pore est suffisamment fin pour que les molécules adsorbées soient soumises simultanément au c h a m p d'adsorp­tion des deux parois opposées (pour cela la largeur du pore ne doit pas être supérieure à celle de 4 ou 5 molécules), les potentiels d'adsorption s'ajoutent et les molécules sont encore plus fortement retenues dans les pores, qui se remplissent complètement pour des pressions de vapeur m ê m e encore plus faibles (parfois aussi faibles que 1 % de la pression de vapeur saturante).

L'adsorption d'une vapeur qui se liquéfie ainsi au voisinage immédiat de la surface est appelée « physisorption ». L a figure 3 en représente schématiquement quatre étapes successives : adsorption d'abord sur les sites d'adsorption les plus actifs (fig. 3.1) qu'on peut éventuellement doser de cette manière, encore qu'on préfère dans ce but choisir un gaz adsorbable qui réagisse chimiquement avec ces sites (ce sera, selon les sites à doser, de l'ammoniac, de l'oxygène, de l'hydrogène, de l'oxyde de carbone, etc.) et qui donne lieu à ce qu'on appelle la « chimi-sorption ». Vient un m o m e n t où les micropores (de largeur inférieure à 2 n m ) sont remplis d'un gaz adsorbable et où le reste de la surface solide est recouvert d'un nombre suffisant de molécules pour constituer, statistiquement, une couche monomoléculaire dense sur toute la surface (fig. 3.II). L a célèbre méthode de Brunauer, Emmett et Teller (dite méthode B . E . T . ) permet de déceler ce m o m e n t et de déterminer le nombre de molécules adsorbées. Connaissant la taille d'une molécule (il s'agit le plus souvent de la molécule d'azote, dont on a calculé qu'elle recouvrait une surface de 0,162 n m 2 ) , on en déduit l'aire superficielle de l'adsorbant. Si l'on continue à augmenter la pression de la vapeur adsorbable, on arrive au cas représenté par la figure 3.III : certains pores sont complètement remplis (a et b), d'autres le sont partiellement par « condensation capillaire » (c) et d'autres, encore plus grands (d), sont seulement tapissés d'une couche de m ê m e épaisseur que les éléments de surface externe (e). E n augmentant encore la pression, on finit par remplir tous les pores, m ê m e les plus larges (fig. 3.IV). L a loi de Kelvin permet de préciser qu'à chaque pression du gaz adsorbable ne correspond qu'une seule taille de pore en train de se remplir (ou de se vider, selon le sens dans lequel on fait varier la pression). D ' o ù une méthode élégante (la méthode de Barrett, Joyner et Halenda, dite méthode B . J . H . ) pour établir, sans microscopie électronique (qui ne

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Figure 3 Étapes de l'adsorption d'un gaz ou d'une vapeur par un solide poreux. I : adsorption par sites; II : adsorption en monocouche statistique et dans un micropore (a); III : adsorption en multicouche et condensation capillaire dans certains mésopores (b et c); IV : saturation par une vapeur adsorbée dans un état comparable à l'état liquide.

permet d'ailleurs pas de reconstituer facilement u n réseau poreux tridimensionnel à l'intérieur d 'un matériau), la distribution de taille des « mésopores », qui ont une largeur aussi faible que 2 à 50 nanometres.

Applications techniques et applications nouvelles des solides poreux ou divisés

C e dernier demi-siècle a vu un très gros effort de recherche dans le domaine qu 'on appelle volontiers la « physicochimie des interfaces » ou encore la « physicochimie des colloïdes » (un colloïde pouvant être défini, d 'une manière très générale, c o m m e

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une substance présentant des hétérogénéités de dimensions comprises entre un mil­lième et un millionième de millimètre — donc entre un micromètre et un nano­metre —-, ce qui englobe, notamment, la plupart des solides poreux dont nous parlons). Il en est résulté de grands progrès dans la connaissance du comportement de ces matériaux en présence de gaz ou de liquide et on sait très souvent, aujourd'hui, les préparer en orientant finement leurs propriétés dans le sens des applications souhaitées. N o u s décrivons maintenant certaines d'entre elles, en nous attachant à souligner les exigences particulières qu'il a fallu satisfaire dans chaque cas.

Des liquides limpides

L a purification des liquides est le domaine de prédilection de l'adsorbant le plus fabriqué aujourd'hui dans le m o n d e , le « charbon actif » (c'est-à-dire le charbon poreux), notamment dans l'industrie alimentaire.

C'est ainsi que l'eau potable de la plupart des grandes villes termine son traitement par un « affinage » où elle traverse un lit de charbon actif qui doit retenir de façon définitive toutes sortes d'impuretés chimiques résiduelles que les étapes précédentes d u traitement n'ont pas permis d'éliminer complètement de l'eau de rivière souvent utilisée : solvants chlorés, détergents (aussi appelés « produits tensioactifs »), produits de décomposition des substances végétales dans les marais (acides fulviques ou humiques). Les masses molaires relatives de ces substances s'échelonnent entre 50 et 15 000 et les dimensions de leurs molécules sont sensiblement dans le m ê m e rapport, ce qui exige une très large distribution poreuse du charbon utilisé. E n effet, la molécule est d'autant mieux retenue qu'elle trouve un pore à sa dimension ; ceci élimine l'intérêt d'un charbon qui n'aurait que de larges pores, car non seulement les petites molécules n'y seraient que faiblement adsorbées, mais de plus l'aire superficielle de ce charbon serait faible, tout c o m m e sa capacité d'adsorption. O n sait faire aujourd'hui des charbons actifs contenant simultanément toutes les tailles de pores entre 0,3 et 50 n m . O n sait leur donner en m ê m e temps des propriétés organophiles (qui favorisent l'adsorption des polluants organiques dont on vient de parler) et hydrophiles (qui favorisent un bon mouillage jusqu'à l'extrémité des pores). O n sait les obtenir à partir de houille, de tourbe ou de charbon de bois (hêtre, pin). O n sait les « activer » (c'est-à-dire « ouvrir » leur porosité) par attaque à la vapeur d'eau, au gaz carbonique ou à l'acide phosphorique. O n sait les préparer en grains rigides capables de supporter la manutention, l'emploi en « lit traversé » et une régénération annuelle ou biennale, mais aussi en poudre fine à usage unique destinée à être éliminée après décantation.

Des adsorbants similaires sont utilisés pour décolorer le jus de canne à sucre (la mélasse), les huiles alimentaires ou pour faire des vermouths blancs. L'innocuité de ces adsorbants est telle qu'ils ont aussi, c o m m e on le verra plus loin, des usages pharmaceutiques.

Lorsqu'à l'inverse, dans le domaine de la chimie fine, on souhaite éliminer les dernières traces d'eau présentes dans un liquide organique, on utilise encore un adsorbant, par exemple un « tamis moléculaire » du type 4 A dont les « fenêtres » ne laisseront entrer que la molécule d'eau, particulièrement petite. Celui-ci remplace très avantageusement le sodium métallique qu'il fallait extruder à la presse, sous la forme d'un cordon tout de suite immergé dans le liquide, opération qui n'était pas sans danger d'explosion lorsqu'il s'agissait de déshydrater un solvant à forte tension de vapeur c o m m e l'acétone ou l'éther.

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C'est encore à une adsorption à l'interface solide/liquide que font appel les pâtes détachantes pour les vêtements : les molécules colorantes de la tache sont dissoutes par un solvant aromatique et y diffusent vers les grains très fins d'un gel de silice broyé sur lequel elles s'adsorbent. Le solvant s'évapore et l'adsorbant sec (encore blanc parce que l'adsorption a eu lieu dans les pores, à l'intérieur de chaque particule) est éliminé par brossage.

Des encres qui ne déposent pas

C'est encore le carbone, mais sous forme divisée (et non plus poreuse), qui est aujourd'hui le pigment le plus utilisé, suivi par les pigments blancs que sont l'oxyde de zinc et surtout l'oxyde de titane. La prédominance du carbone vient de ce qu'il est utilisé non seulement dans les peintures, mais surtout dans les encres d'imprimerie et dans toutes les photocopieuses modernes utilisant le papier ordinaire. C e charbon divisé (qu'on appelle alors « noir de carbone » et qui est réellement un noir de fumée, obtenu par combustion incomplète d'hydrocarbures) est préparé, si nécessaire, dans des dimensions aussi faibles que 30 n m , ce qui lui donne alors une aire superfi­cielle d'une centaine de mètres carrés par g r a m m e .

Le grand problème à résoudre est celui de la stabilité des suspensions. E n effet, le mouvement brownien auquel sont soumises ces particules (et qui résulte de chocs inégaux reçus des molécules de liquide elles-mêmes soumises à une agitation ther­mique) a tendance à les amener en collision et les interactions universelles à très courte distance (notamment les « forces de dispersion » dont nous parlions plus haut et qui ont une portée de quelques dimensions atomiques seulement) les maintiennent alors agglomérées. Pour maintenir les particules en suspension, on peut agir sur leur charge électrique (puisque des particules chargées de m ê m e signe se repoussent), qui dépend étroitement de l'acidité ou de la basicité de la solution aqueuse environ­nante (que l'on mesure en termes de p H ) .

U n e autre solution élégante consiste à adsorber sur les particules des molécules suffisamment longues pour les maintenir éloignées à une distance supérieure au rayon d'action des forces de dispersion. Ces molécules adsorbées sont habituellement des macromolécules. Elles peuvent être d'origine végétale c o m m e les g o m m e s utilisées pour stabiliser l'encre de Chine, bien avant qu'on en ait compris le m o d e d'action. Cette méthode est dite « stérique », car elle joue sur l'encombrement des molécules. Elle est particulièrement adaptée quand le pigment est en suspension dans un liquide organique (peintures à l'huile, peintures glycérophtaliques).

Des peintures qui ne coulent pas

N o u s quittons le domaine de la stabilité des suspensions (d'une poudre dans un liquide) pour aborder celui de leur consistance, de leur viscosité, de leur élasticité et éventuellement m ê m e de leur rigidité, qui peut exister jusqu'à un certain point, c o m m e dans l'exemple bien connu des sables mouvants. Ces propriétés entrent dans ce que l'on appelle plus généralement le comportement « thixotropique » des suspen­sions. Elles sont particulièrement importantes pour les liquides épais et les pâtes.

Parfois, le problème consiste à obtenir une suspension aussi concentrée que possible tout en maintenant une viscosité permettant un pompage facile : lubrification des trépans de forage à l'aide de « boues de forage » de formulation délicate, distribution de suspensions épaisses de charbon pulvérulent dans des conduites de

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chaudière, couchage ou « glaçage » du papier à l'aide d'une suspension très chargée en kaolin (plus de 60 %) et devant pourtant s'étaler en lame fine à la surface d'une feuille ininterrompue se déplaçant à vitesse élevée vers le dispositif de séchage et la bobine d'enroulement. C'est aussi, bien sûr, le cas de la préparation de pièces en céramiques « techniques » par coulage de barbotine dans des moules en plâtre aux formes compliquées et dont la porosité assure immédiatement, par succion capillaire, une dessiccation partielle de la pâte. L'adsorption de molécules tensioactives sur les particules solides et parfois aussi le contrôle de leur charge électrique apportent la lubrification interne nécessaire.

E n d'autres occasions, le problème consiste à obtenir une sorte de structure semi-rigide à l'aide des éléments solides de la suspension, qui doivent alors être au contact les uns des autres pour constituer une sorte d'échafaudage qu 'on se réserve le droit de détruire à moindres frais, c'est-à-dire avec une agitation consommant peu d'énergie. Cet effet de « construction provisoire » est obtenu de façon spectaculaire avec les silices pyrogéniques dont les particules (de 15 n m de diamètre dans l'exemple représenté sur la figure 2a) s'enchaînent spontanément (grâce à leurs fonctions hydroxyles superficielles qui donnent lieu à des liaisons légères appelées « liaisons hydrogène ») en fines grappes, pour constituer un véritable filet qui enveloppe et traverse le liquide dans lequel on les met en suspension. Avec une teneur de quelques pour-cent, on obtient déjà l'apparence d'une gelée aussi bien avec de l'essence (qui devient alors du napalm) qu'avec de la peinture (qui peut y gagner, de surcroît, un aspect mat), de la colle de bureau ou de la colle au néoprène, sur lesquelles on trouve souvent la m ê m e étiquette « Nouveau. N e coule pas! ».

Le kaolin est aussi un agent thixotropique intéressant : lorsqu'ils sont chargés positivement (ce qui a lieu en milieu acide), les bords de ses cristaux plans viennent se coller perpendiculairement aux faces basales des cristaux voisins (qui portent, elles, en permanence, une charge électrique négative). Il en résulte, à travers toute la suspension, une structure en château de cartes (fig. 4) mais qui s'aplatit complè­tement dès qu 'on passe en milieu basique.

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Échafaudage de cristaux de kaolin sous l'effet des charges électriques en milieu acide.

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Vétat solide poreux ou divisé : un état particulier de la matière

L a taille et la forme des amas ou « agglomérats » de particules sont bien sûr parmi les premières informations à connaître pour comprendre et contrôler ces phénomènes de rigidification. Or , jusqu'à ces dernières années, toutes les méthodes granulométriques disponibles n'étaient applicables qu'à des suspensions diluées et laissaient la place à toutes les hypothèses pour ce qui se passait en suspension concentrée. C e problème est aujourd'hui résolu par la diffusion de neutrons aux petits angles, technique coûteuse mais, dans certains cas, irremplaçable.

Des gaz purs

L a séparation des gaz est une application majeure du phénomène d'adsorption. Les masques à gaz des pompiers en sont une application connue. Longtemps, leur inconfort est venu de l'effort respiratoire nécessaire pour aspirer l'air à travers le lit de charbon actif. Ce problème est aujourd'hui résolu par un charbon actif textile (obtenu par carbonisation et activation de tissus en fibres synthétiques organiques) qui divise par dix l'effort respiratoire. Les filtres de charbon actif se retrouvent dans tous les dispositifs de recyclage de l'air respirable (aussi bien dans les sous-marins que dans les hottes de cuisine). O n choisit alors préférentiellement des charbons à pores en fentes (qui sont les plus nombreux car cette structure graphitique feuilletée est engendrée, m ê m e de façon embryonnaire, par la carbonisation) capables d'adsorber très fortement les molécules plates de gaz carbonique et de substances organiques aromatiques.

L a prévention de la pollution atmosphérique par les usines passe aussi par l'adsorption. U n exemple critique est celui des usines de production d'aluminium. Celui-ci est obtenu par electrolyse de l'alumine, elle-même dissoute à moins de 800 °C, dans un « fondant » très riche en fluor, la cryolithe (pure, l'alumine ne fondrait qu'au-dessus de 2 050 °C). Les vapeurs de fluor qui s'en échappaient retombaient sur les prairies et donnaient aux troupeaux la fluorose, qui consiste en un excès de fluor, guère meilleur pour les dents que son absence. Le problème a été résolu en alimentant en partie ces usines avec une alumine spéciale, poreuse (alors que, tradi­tionnellement, on n'utilisait qu'une alumine a non poreuse), qui est d'abord placée dans des filtres à air où elle adsorbe les vapeurs de fluor avant d'être incorporée dans le bain de cryolithe auquel elle restitue le fluor perdu; tout le m o n d e est gagnant. L a préparation de l'alumine poreuse se fait par déshydratation thermique d'un hydroxyde d'aluminium. Le départ des molécules d'eau laisse en place des micropores (de la largeur d'une molécule) qu 'on élargit à volonté dans le traitement thermique ultérieur. C e type d'étude bénéficie beaucoup des possibilités apportées aujourd'hui par l'analyse thermique (ou le traitement thermique) à vitesse de trans­formation contrôlée, qui permet une sélection précise des conditions expérimentales.

L a séparation et la concentration d'importants gaz industriels (azote, oxygène, gaz carbonique) se font aussi aujourd'hui par adsorption, après s'être faites, pendant longtemps, uniquement par distillation de gaz liquéfiés, ce qui était beaucoup plus coûteux en énergie et en matériel. Les procédés actuels utilisent des cycles de compression-adsorption et décompression-désorption (pressure swing adsorption) accompagnés des refroidissements et des échauffements considérés c o m m e écono­miquement acceptables. Des dispositifs de ce type sont m ê m e utilisés en mer pour éliminer l'azote de l'atmosphère d'hélium et d'oxygène respirée par les plongeurs sous-marins travaillant sur les installations pétrolières au large. M ê m e si la pression de ce mélange gazeux atteint 40 bars (pour un plongeur travaillant à 400 m de

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profondeur), la pression partielle d'azote doit en effet fester très inférieure à 5 bars pour éviter au plongeur l'hallucination qu 'on appelle « ivresse des profondeurs » et qui lui fait perdre l'envie de remonter.

La déshydratation de l'air est aussi une application importante où excellent les gels de silice dont la surface hydroxylée est très hydrophile. Obtenus par précipitation d'acide silicique sous forme d 'un agglomérat lâche de particules (« gel »), ils sont ensuite séchés à l'étuve pour donner un « xérogel » dur et d'aspect vitreux qui conserve une grande partie de la porosité d u gel hydraté initial. O n sait jouer sur les conditions de précipitation et de déshydratation pour obtenir toutes sortes de dimensions de pores (entre 0,5 et 100 n m ) et toutes sortes de densités apparentes (entre 0,1 et 2). Les plus faibles densités (celles des « aérogels ») sont par exemple obtenues en remplaçant transitoirement l'eau par un solvant organique de plus faible tension superficielle (alcool, acétone) et dont le retrait, au m o m e n t du séchage, provoque u n affaissement plus faible de la structure poreuse qu'en présence d'eau.

O n sait également faire, pour l'industrie électronique, des pièces en verre poreux qui servent à la fois de support isolant et d'adsorbant déshydratant : une fois encap­sulées avec les composants, ces pièces leur assurent à vie la faible hygrométrie nécessaire. Ces verres poreux sont obtenus à partir d 'un verre diphasé dont l'une des deux phases, initialement distribuée c o m m e une araignée à travers la seconde, constituée de silice pure, est dissoute en bain acide. O n sait obtenir, par ce procédé, des tailles de pores particulièrement uniformes. L a stabilité mécanique et l'excellente résistance au vieillissement de ces solides les ont fait choisir c o m m e adsorbants poreux de référence par le Bureau communautaire de référence à Bruxelles.

Enfin, ce sont plutôt des tamis moléculaires qui assurent, de manière invisible parce qu'ils sont cachés dans la bordure, la déshydratation permanente et donc l'absence de buée dans les éléments à double vitrage.

Des centaines d'autres applications avec leurs exigences propres

E n réalité, les domaines d'application des solides poreux ou divisés sont si nombreux que nous devons nous contenter ici d'une liste partielle.

Par exemple, en pharmacie, nous pouvons citer les adsorbants gastriques (charbon, montmorillonite, alumine ou magnésie activés) contre les aigreurs d'estomac ou certaines intoxications. Également, le charbon actif textile commence à être utilisé c o m m e pansement adsorbant et, bien sûr, tout à fait stérile, pour des cas délicats. Par ailleurs, si le pharmacien a depuis longtemps l'habitude de broyer des poudres dans son mortier, les exigences se sont précisées : dans certains cas, on souhaite que le comprimé se disperse et se dissolve immédiatement dans l'eau, dans d'autres, on souhaite au contraire qu'il se dissolve lentement dans le suc gastrique pour ne relâcher que progressivement la substance active et maintenir une concentration constante dans l'organisme entre deux prises. Ceci s'obtient par un contrôle simultané de la granulométrie et de l'état de surface de la poudre, notamment par adsorption.

Par ailleurs, l'étalonnage des appareils de numération globulaire automatique se fait à l'aide de suspensions de billes de latex calibrées dans les dimensions souhai­tées (2 à 10 | x m ) . Leur granulométrie exceptionnellement uniforme est obtenue en dispersant dans un liquide des gouttelettes de m o n o m è r e ultérieurement polymérisées.

L'industrie phytosanitaire fait aussi un grand usage de poudres qui ne doivent ni s'agglomérer (ou « motter ») ni changer à la longue de granulométrie, car leur

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L'état solide poreux ou divisé : un état particulier de la matière

Figure 5

Coalescence de deux grains pendant le frittage à une température très inférieure à la température de fusion.

activité est directement liée à une dispersion aussi fine et homogène que possible sur toute la plante. O r certaines de ces poudres risquent un frittage à basse tempé­rature : c'est le cas de la « fleur de soufre » ou « soufre sublimé »; bien qu'il ne fonde que vers 115 °C, ce soufre (principalement de la forme dite « a ») est capable, dès 50 °C (température pouvant être atteinte sous u n hangar ou dans un sac en plein soleil), de fritter, c'est-à-dire que ses particules se collent et donnent lieu à u n phénomène de « coalescence » en se confondant progressivement (fig. 5). D'autres poudres subissent u n « mûrissement d'Ostwald » pendant lequel les grains les plus fins (qui, par malchance, assuraient la plus grande partie de l'aire superficielle) disparaissent au profit des plus gros (fig. 6). C e phénomène, qui s'observe aussi bien en présence d'air qu'en présence de liquide, est dû à la plus grande tension de vapeur (ou à la plus grande solubilité) des particules présentant le plus petit rayon de courbure convexe. O n l'évite aujourd'hui soit en préparant des poudres « m o n o -disperses », c'est-à-dire avec une seule taille de particules, soit en les enrobant dans une couche d'adsorption protectrice qui, le cas échéant, retarde aussi le frittage. Il est souvent avantageux d'adsorber dans ce but tensioactif (par exemple u n lignosul-fonate, sous-produit bon marché de l'industrie papetière) qui, de plus, favorise la dispersion de la suspension aqueuse au m o m e n t de son utilisation.

Le domaine des liants hydrauliques, tels que les ciments et les plâtres, est par excellence, et à grande échelle, le domaine des états divisés (avant utilisation), puis poreux (après la prise). Bien que ces liants ne durcissent pas par séchage mais par hydratation, la résistance maximale du béton s'obtient par gâchage avec un m i n i m u m

O o

o O

O O

° O

°o o

O o °

O o O

O

=>

O

o o

Figure 6 Disparition des grains les plus fins par « mûrissement d'Ostwald ».

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d'eau, ce qui rend parfois nécessaire l'ajout de fluidifiants (polymères, tensioactifs). U n e fois prise, la pâte de ciment est un milieu microporeux qui reste principalement rempli d'eau. Parfaitement adaptés à l'eau, qui les a en quelque sorte fabriqués, les micropores sont en majeure partie inaccessibles à la molécule d'azote, qui est plus grosse (on admet habituellement que la molécule d'eau recouvre une surface de 0,105 n m 2 , contre 0,162 n m 2 pour la molécule d'azote). L'aire superficielle acces­sible à l'eau et déterminée par la méthode de Brunauer, Emmet t et Teller dépasse 500 m 2 par g ramme. Or , curieusement, ces micropores gorgés d'eau ne présentent aucun danger en cas de gel : la forte interaction des molécules d'eau avec les parois les empêche totalement de s'organiser selon le réseau de la glace. Par contre, m ê m e beaucoup moins nombreuses, les fissures de largeur supérieure à 0,1 \im, dans lesquelles la glace peut cristalliser, constituent littéralement la faille de ce matériau. D ' o ù l'idée récemment exploitée de répartir le retrait entre un plus grand nombre de fissures plus étroites mais non gélives.

Pour terminer sans clore vraiment le sujet, qu'il nous suffise de regarder à nos pieds l'inépuisable gisement de solides poreux ou divisés qui constituent les sols — eux-mêmes objets de toute une branche de la science, la pédologie — pour méditer sur l'intérêt et l'universalité de cet état poreux ou divisé de la matière. •

Bibliographie

Pour une introduction générale à la physico-chimie des colloïdes : D . H . E V E R E T T . Basic principles of colloid science. Londres, Royal Society of Chemistry

Paperbacks, 1988. 243 p.

Pour une introduction aux caractérisations par adsorption : S. J. G R E G G ; K . S. W . S I N G . Adsorption, surface area and porosity. Londres, Academic

Press, 1982. 303 p.

Pour une introduction aux méthodes de séparation par adsorption : D . M . R U T H V E N . Principles of adsorption and adsorption processes. N e w York, John

Wiley and Sons, 1984. 433 p.

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La simulation des matériaux par ordinateur

John Corish

L'utilisation des ordinateurs dans la modélisation des situations réelles comporte aujourd'hui la conception, aux niveaux atomique ou moléculaire, de matériaux spécia­lisés tels que les céramiques, les alliages et les composants pour des dispositifs pharma­ceutiques et électroniques. Les positions et les mouvements des atomes individuels constituant les matériaux sont modélisés grâce à des ordinateurs puissants qui, ensuite, interprètent leur comportement afin de prédire les propriétés de ces matériaux. Ces techniques auront, en fin de compte, la capacité de remplacer quelques-uns des travaux spéculatifs et onéreux qui sont actuellement menés en laboratoire sur la synthèse et l'expérimentation des matériaux.

Parmi les faits les plus marquants qui se soient produits depuis une dizaine d'années dans le domaine de la science et des techniques figurent, d'une part, la multipli­cation des gros ordinateurs rapides, de l'autre, l'émergence d'une extraordinaire panoplie de matériaux nouveaux, dotés de propriétés spécifiques leur permettant de trouver place sur le marché en répondant à des besoins précis. Nul ne s'étonnera que ces deux évolutions ne soient pas totalement indépendantes. E n fait, la repré­sentation du comportement de matériaux nouveaux à l'aide d'ordinateurs est une technique aujourd'hui couramment utilisée et appelée à jouer un rôle de plus en plus important dans la mise au point de ces matériaux. Lorsqu'il s'agit de matériaux existants, la simulation de leurs propriétés est une technique très utile qui nous aide à mieux comprendre leur nature et les forces qui s'exercent entre leurs éléments constituants, les atomes. E n élargissant ce type d'étude, la simulation par ordinateur peut être utilisée pour prédire les propriétés probables de matériaux modifiés ou m ê m e entièrement nouveaux avant d'aborder la difficile et souvent coûteuse étape

John Corish est professeur de chimie physique au Trinity College, Université de Dublin. Diplômé de l'Université nationale d'Irlande, il a également enseigné au Canada, à l'University of Western Ontario, et à l'University College de Dublin. Ses recherches portent à la fois sur les études théoriques et expérimentales du transfert de la matière dans une large g a m m e de matériaux solides. Il a travaillé sur les matériaux ioniques simples, sur la corrosion gazeuse à haute température des superalliages, sur les systèmes perfectionnés d'accumulateurs à polymères et, plus récemment, sur l'administration par voie transdermique de molécules de médicaments. Il est président de l'Institute of Chemistry d'Irlande et secrétaire de la Commission des hautes températures et de la chimie des états solides de l'Union internationale de chimie pure et appliquée ( I U P A C ) . O n peut entrer en contact avec lui à l'adresse suivante : Department of Chemistry, Trinity College, Dublin 2, Irlande.

17 Impact : science et société, n° 157, 17-26

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d'approfondissement qui se traduit par leur fabrication en laboratoire. Bien que le recours aux simulations par ordinateur englobe les gaz, les fluides, les polymères et les solides, nous nous concentrerons ici sur les corps solides, domaine dans lequel cette technique a apporté une contribution majeure à la recherche et à l'industrie. C e type de simulation nécessite en général des ordinateurs très gros et très rapides, que l'on désigne aujourd'hui c o m m u n é m e n t sous le n o m de superordinateurs, et c'est l'apparition de cette nouvelle génération de machines qui a rendu possibles des calculs réalistes. Cependant, ces simulations s'appuient également sur une grande masse de connaissances fondamentales qui sont le fruit d'un long et patient travail de recherche en physique, en chimie et en mathématiques et fournissent les équations nécessaires pour le calcul des propriétés macroscopiques et d'autres propriétés perti­nentes d'un matériau dès lors que les interactions entre ses atomes sont connues.

L e présent article décrit la façon dont les possibilités offertes par ces super­ordinateurs, capables d'effectuer simultanément un très grand nombre d'opérations, ont été exploitées pour simuler le comportement des atomes individuels dans les matériaux. La combinaison des résultats de ces très nombreux calculs connexes permet ensuite d'obtenir une image d'ensemble et de mettre en évidence les propriétés macroscopiques du matériau. Nous verrons aussi c o m m e n t l'infographie moderne, associée au développement des logiciels et des matériels, a révolutionné le travail des chimistes qui s'efforcent d'élaborer dans leur laboratoire des molécules nouvelles capables de répondre à des exigences précises. Ces nouvelles techniques permettent d'économiser de nombreuses heures d'expérimentation coûteuse en définissant clai­rement au préalable les types de molécules qui présentent les propriétés requises.

L a simulation atomique : les matériaux cristallins

U n e donnée fondamentale de la science est que la matière est composée d'atomes, particules extrêmement petites qui, du fait de leurs dimensions, échappent très large­ment à nos facultés normales de perception. Il en découle naturellement qu'il faut des milliards de ces atomes pour former un morceau de matière que nous puissions voir et dont nous puissions aisément identifier et mesurer les propriétés. Dans les solides cristallins, les atomes sont régulièrement disposés selon un motif qui se répète en trois dimensions, et la symétrie de ces réseaux cristallins facilite considé­rablement la simulation de leur structure et de leurs propriétés. Pour les matériaux amorphes, il est nécessaire d'avoir recours à des méthodes différentes et souvent moins précises. Le principal avantage du calcul informatique tient au fait qu'un très grand nombre d'opérations répétitives peut être traité rapidement et sans les erreurs qui seraient presque inévitables si les impératifs de temps permettaient que ce travail soit fait par des êtres humains. L a relation entre les possibilités offertes par les ordinateurs très rapides d'aujourd'hui et les exigences du calcul dans le cadre de la simulation atomistique est claire. D e s techniques ont été mises au point pour compenser le fait que les ordinateurs, m ê m e les plus gros, n'ont pas une capacité suffisante pour simuler individuellement la totalité des atomes contenus dans un fragment de matériau, si petit soit-il. Parce qu'ils sont souvent multiprocesseurs et qu'ils permettent de traiter simultanément un grand nombre d'opérations, les super­ordinateurs sont particulièrement bien adaptés au type de calculs requis.

L'étape cruciale du processus de simulation est la transformation des informations

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La simulation des matériaux par ordinateur

relatives au comportement microscopique des atomes individuels en propriétés macroscopiques utiles décrivant le comportement volumique du matériau. D e u x conditions sont nécessaires à cette transformation : premièrement, les interactions atomiques individuelles peuvent être décrites sous la forme d'une expression mathé­matique utilisable; deuxièmement, il faut tenir compte du formalisme nécessaire pour transformer des calculs portant sur des paires ou de petits groupements d'atomes en résultats concernant les propriétés macroscopiques de fragments de matériau utilement dimensionnés.

Heureusement, l'étude des forces qui s'exercent entre les atomes a toujours été jugée fondamentale par les scientifiques, qui ont, depuis longtemps, élaboré des équations permettant d'exprimer leur variation en fonction de la distance de sépa­ration entre les différentes espèces d'atome pour les interactions tant microscopiques que macroscopiques. Ces potentiels vont de formules relativement simples, dans lesquelles les atomes sont traités c o m m e des sphères dures, à des théories très sophistiquées prenant pleinement en compte la structure électronique de l'atome et ses effets sur les interactions atomiques. Il est heureux également que les formalismes de la dynamique des réseaux fournissent les équations nécessaires au calcul de propriétés telles que les constantes élastiques d'un matériau dès lors que l'on connaît les forces qui s'exercent entre les atomes individuels formant sa structure cristalline. D e m ê m e , il est possible d'évaluer les propriétés diélectriques, le réseau ou l'énergie de cohésion du cristal et les déformations susceptibles d'exister dans sa structure. Ces calculs, dont certains apparaissaient auparavant c o m m e très lourds et d e m a n ­daient beaucoup de temps, peuvent aujourd'hui, grâce aux ordinateurs modernes, être effectués en quelques secondes, m ê m e pour les matériaux les plus complexes.

E n quoi consiste donc la simulation? L a modélisation la plus puissante et la plus fine est celle de réseaux statiques, dans laquelle on ne tient pas compte des oscillations dues à l'agitation thermique des atomes. Les programmes, auxquels on a fourni une description d'une petite partie du cristal, font appel à des progiciels de symétrie intelligente et d'une grande souplesse pour reconstruire le réseau dans son intégralité à partir de cette information. Les potentiels spécifiés sont utilisés pour calculer l'énergie du cristal. Il est ensuite possible de prédire la structure la plus probable en ajustant les positions des atomes ainsi que les longueurs et les angles des liaisons chimiques existant entre eux pour minimiser l'énergie du système. E n d'autres termes, on laisse les éléments constituants du réseau cristallin se « déplacer » dans l'ordinateur de manière que l'énergie du système soit décroissante et que celui-ci adopte la configuration correspondant à l'état d'énergie minimal. Ceci correspond précisément à ce que l'on pourrait observer dans la nature, les atomes s'efforçant de trouver leur position la plus « confortable » dans le matériau réel. Des sous-programmes très efficaces ont été mis au point pour minimiser l'énergie et, c o m m e ils ne prennent pas beaucoup de place dans le processeur, on peut utiliser des potentiels très élaborés pour modéliser les forces interatomiques. Ainsi, dans les limites tracées par la non-prise en compte des vibrations atomiques et des phénomènes qui sont fonction du temps, on peut obtenir des résultats très exacts en ce qui concerne les arrangements des atomes du cristal. E n outre, les estimations d'énergie résultant de ces calculs se sont révélées très justes lorsqu'il a été possible de les comparer à des données expérimentales.

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Application aux défauts et aux surfaces

L'avantage le plus important de ces techniques de minimisation de l'énergie est peut-être qu'elles permettent de calculer celle-ci et la structure de défauts ponctuels dans les solides et les surfaces solides. C o m m e les surfaces brisent l'arrangement des atomes à l'intérieur du matériau, les spécialistes de l'état solide de la matière les considèrent c o m m e des défauts. Avec les défauts ponctuels, qui sont des irrégu­larités atomiques telles que des sites vacants ou des atomes interstitiels additionnels s'intercalant dans une structure, les surfaces constituent les sites les plus actifs du matériau, ceux où des processus chimiques sont les plus susceptibles de se produire. E n fait, c'est en général uniquement grâce à l'existence d'imperfections de ce type dans la structure réticulaire que le transport de matière par diffusion à travers des solides est possible. E n effet, contrairement aux liquides et aux gaz, dans lesquels les atomes se déplacent librement, les atomes des solides ont des positions fixes et, dans des conditions normales, subissent simplement des oscillations dans le voisinage de ces sites. Les processus de diffusion à travers des solides, par le biais de lacunes et d'interstitiels, sont responsables de toutes sortes de phénomènes tels que la corrosion des métaux et des alliages, le fonctionnement de nombreux systèmes perfec­tionnés d'accumulateurs à semi-conducteurs et l'administration par voie transder­mique de molécules actives en appliquant sur la peau des « patchs » comportant un petit réservoir en polymère où se trouve le médicament. L'application des techniques de modélisation de réseaux statiques pour simuler la formation de ces défauts et pour calculer l'énergie nécessaire au déclenchement de processus tel que celui de la diffusion revêt donc une importance fondamentale pour la mise au point de nouveaux matériaux rentables. O n peut voir à la figure 1 le modèle détaillé du transport d 'un ion fer à travers l'oxyde de fer, qui joue u n rôle important dans de nombreuses réactions de corrosion responsables de tant de destructions dans nos installations industrielles.

Étant donné leurs applications potentielles, ces techniques ont été étendues à la modélisation des surfaces, domaine dans lequel elles peuvent également fournir une image étonnamment fine de la structure et des caractéristiques énergétiques des atomes dans les couches proches de la surface du cristal. Elles ont tout d'abord montré que les surfaces des cristaux ioniques ne sont pas parfaitement régulières c o m m e on aurait pu le penser, mais qu'elles présentent (fig. 2) un aspect irrégulier, les ions négatifs étant légèrement saillants par rapport au plan idéal. Elles permettent également de prédire le comportement de différents types d'impuretés qui tendent à migrer de préférence vers la surface. Ce type d'information peut être crucial pour comprendre et mettre au point de nouveaux matériaux catalytiques qui jouent un rôle central dans de très nombreux procédés industriels. D e fait, cette facilité qu'offrent les techniques de modélisation de changer d'ion dopant ou d'impureté, en se bornant à modifier le potentiel interatomique concerné, constitue un atout majeur. Il est beaucoup plus facile, beaucoup plus rapide et beaucoup moins coûteux de tester une idée nouvelle pour simulation que de fabriquer le matériau en laboratoire pour le soumettre ensuite au verdict de l'expérience. L a modélisation de transformations de minéraux qui s'insèrent normalement dans des échelles de temps géologiques peut, par exemple, être menée à bien en u n après-midi.

D e m ê m e que l'on peut simuler le transport par diffusion d'atomes ou d'ions à travers des réseaux ou sous l'action d 'un champ électrique, il est possible d'évaluer, qualitativement et quantitativement, leur capacité d'influer sur les propriétés de

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Axe C

Fe3

(a) O Fe3+ Interstitiel

Énergie (kj/mole1)

4 0 0 -

Figure 1

L a modélisation de la diffusion.

(a) L'ion fer A occupe un site interstitiel dans le cristal d'oxyde. C e défaut se forme spontanément et si cet ion reçoit une énergie thermique suffisante, il peut se rapprocher de l'ion fer B . Il y a diffusion lorsque l'ion B est délogé de sa position réticulaire normale et repoussé vers un autre site interstitiel. L'ion A occupe alors la position laissée vacante en B .

(b) Tout en fournissant cette image mécaniste extrêmement fine de la diffusion d'ions, la simulation permet de calculer la quantité d'énergie nécessaire pour que le mouvement se produise. L a courbe résulte d'une série de calculs dont chacun correspond à un m o m e n t du rapprochement progressif de l'ion A vers l'ion B auquel il se substitue. Le profil énergétique montre que le m o u v e m e n t concerté intervient lorsque l'ion A a parcouru approximativement un tiers de la distance qui le sépare de l'ion B .

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Surface idéale

(IC i ¡} o •

® o o o o o

o ® o ® o ® o @ o ^ o ̂

^ P Ion positif

Surface irrégulière

O couche vÇQ o % o superficielle)

@ o @ o ® o ® o ® o ® o o o ® o o o ^ o

( J Ion négatif

o @ ® 0 o 0 a o

Figure 2 La simulation a mis en évidence l'aspect irrégulier de la surface des cristaux ioniques, c o m m e sur la surface (100) du chlorure de sodium (sel ordinaire) dans lequel l'ion sodium porte une charge positive (cation) et l'ion chlorure une charge négative (anion).

transport d'un cristal hôte. Dans ce domaine, la simulation par ordinateur a été utilisée pour interpréter l'effet de l'addition d'ions calcium à la zircone pour produire le matériau stabilisé à la chaux qui est un superconducteur ionique d'une très grande importance commerciale. Cette céramique joue un rôle fondamental dans le fonc­tionnement des sondes à oxygène utilisées pour assurer une combustion propre et complète dans les grands fours et dans les machines à combustion interne. Les mouvements des ions dopants dans les polymères qui sont à l'origine de la production de la remarquable série de matériaux nouveaux connus sous le n o m de polymères conducteurs ont également été étudiés par modélisation. L a figure 3 montre c o m m e n t les ions dopants se logent entre les chaînes polymères dans le polyacétylène, qui est un polymère conducteur pilote.

Les tout premiers stades de l'agrégation des impuretés et des défauts dans les matériaux ont également p u être simulés avec succès. Les informations de ce type sont importantes pour deux raisons. Premièrement, il est nécessaire de comprendre les processus en cause, car ils sont fondamentaux pour la formation et la séparation, dans un matériau, de nouvelles phases distinctes, capables d'en modifier complè­tement les propriétés. Deuxièmement, il est en général très difficile d'obtenir ces informations par un quelconque autre m o y e n : en effet, de par leurs dimensions, les groupements d'atomes concernés sont trop complexes pour être appréhendés à l'aide des techniques de mesure adaptées à des atomes individuels et trop petits pour être appréhendés de façon expérimentale par les méthodes ordinaires de l'analyse structurale. L a modélisation de ce type de groupements d'atomes a récemment fourni des informations essentielles pour l'interprétation de données structurales expérimentales très diverses.

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Figure 3

La simulation d'un polymère conducteur.

(a) C e schéma représente, vus d'en haut, les carrés que forment les chaînes de polyacétylène, avec les ions dopants potassium sur leurs axes centraux, et correspond à la configuration fournie à l'ordinateur avec les calculs de relaxation.

(b) Ici, trois ions potassium sont représentés latéralement et deux seulement des chaînes de polyacétylène formant le canal qu'ils occupent sont visibles. Les calculs révèlent la position optimale de ces ions ainsi que l'action déformante qu'ils exercent sur les chaînes polymères. L a simulation peut aussi être utilisée pour mettre en évidence la forte mobilité des ions potassium le long des canaux.

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L a modélisation des processus dynamiques

Pour de nombreuses applications, il est nécessaire d'inclure explicitement dans la modélisation l'énergie cinétique atomique. Les techniques de la dynamique molécu­laire fournissent u n moyen d'y parvenir. Le principe en est très simple : on place dans un compartiment de la mémoire de l'ordinateur un certain nombre de particules auxquelles sont assignées une position et une vitesse individuelles spécifiques et, c o m m e précédemment, les forces interatomiques qui s'exercent entre ces particules sont exprimées sous la forme d 'un potentiel. L a simulation est réalisée en laissant le tout traverser une succession d'intervalles de temps, donnant lieu chacun à la réso­lution de l'équation de mouvement de Newton pour les éléments constituants. Ces intervalles de temps sont extrêmement courts puisqu'ils doivent correspondre aux mouvements à l'échelle atomique, et chaque simulation doit pouvoir en comporter plusieurs milliers. O n commence par mettre en place la boîte de simulation en spéci­fiant les contenus et en assignant des vitesses correspondant à la température requise. E n laissant ensuite le tout s'équilibrer, on obtient une séparation correcte entre l'énergie cinétique et l'énergie potentielle des particules, ainsi qu'une distribution thermalisée des vitesses. Vient ensuite une phase d'exécution durant laquelle le comportement des particules, leur position et leur vitesse sont enregistrés pour chaque intervalle de temps, de manière telle que l'analyse ultérieure des données ainsi obtenues soit possible.

Les méthodes mathématiques mises au point pour contrôler la production d'informations dans une simulation de dynamique moléculaire et pour interpréter les données sont complexes. D a n s le cadre du présent article, il suffit de savoir que cette technique peut fournir u n volume presque inépuisable d'informations sur la manière dont les atomes et les molécules s'organisent pour former des liquides et des solides et, plus particulièrement, dont les particules individuelles se déplacent par diffusion à travers un matériau. Cette technique fournit une série d' « instan­tanés » de la substance, dont l'analyse détaillée permet de suivre les trajectoires des atomes individuels et d'identifier de manière précise les mécanismes de diffusion. Ainsi, elle a aidé à la compréhension de nombreux phénomènes qui se produisent dans les matériaux solides.

L a dynamique moléculaire est la technique de simulation des matériaux la plus souple et sans doute la plus répandue. Toutefois, elle c o n s o m m e beaucoup de temps et de mémoire machine et, en conséquence, le niveau d'élaboration du potentiel interatomique qui peut être utilisé est souvent inférieur à ce qui serait souhaitable, de sorte que la justesse et la fiabilité des résultats s'en trouvent réduites. M ê m e avec les ordinateurs puissants les plus modernes, il est parfois difficile également d'inclure dans la simulation un nombre d'intervalles de temps suffisant pour s'assurer que le processus examiné se produit avec une fréquence statistiquement significative pendant la période d'échantillonnage. Néanmoins, cette technique ne cesse d'être affinée et développée, et elle est appelée à jouer un rôle de plus en plus important à l'avenir, à mesure que s'accroîtra la puissance de calcul disponible.

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Simulation et traitement graphique des molécules

L a conception de molécules, en particulier pour des applications biologiques et pharmaceutiques, est u n autre domaine dans lequel l'informatique a eu un impact majeur sur la mise au point de nouveaux matériaux. D a n s ce domaine, son apport irremplaçable est la mise au point de matériels et de logiciels permettant de produire une image tridimensionnelle exacte de la molécule, si complexe soit-elle, qui peut être visualisée sur un écran et soumise à un mouvement de rotation, de sorte que le scientifique peut l'examiner sous tous les angles. Sous sa forme la plus simple, le traitement graphique peut être utilisé pour modéliser une molécule dont la structure est déjà connue grâce aux méthodes radio-cristallographiques ou à d'autres tech­niques d'analyse structurale. Mais l'élément le plus précieux est, à cet égard, que la simulation permet de mettre en œuvre des techniques de minimisation de l'énergie pour prédire la forme globale d'une molécule étudiée, y compris les différentes configurations que cette molécule pourrait adopter ou par lesquelles elle pourrait passer. D e nombreuses applications pharmaceutiques modernes exigent de nouveaux produits dans lesquels la capacité des molécules à réagir de manière sélective et à se lier à un site spécifique sur un substrat biologique est fondamentale. Si l'on simule à la fois le site récepteur et la molécule potentiellement active, le chimiste spécialisé peut les examiner en m ê m e temps pour déterminer les probabilités d'interaction en fonction de leurs formes et de leurs dimensions respectives. Il peut également examiner d'autres molécules que celle étudiée qui, tout en ayant l'action pharma-cologique recherchée, seraient davantage susceptibles de se fixer sur le site cible. Enfin, il peut élaborer une molécule possédant les caractéristiques qu'exige l'appli­cation en question, et les systèmes informatiques qui sont disponibles aujourd'hui lui offrent un choix de modes d'affichage qui lui permettent de tester avec précision la capacité de cette molécule à se fixer sur le site récepteur et à interagir avec lui.

Les applications du traitement graphique des molécules ne sont pas limitées à l'industrie pharmaceutique. Ces techniques peuvent être utilisées pour modéliser, visualiser et étudier les modifications de tous les systèmes moléculaires. Elles sont particulièrement bien adaptées aux systèmes dans lesquels les dimensions relatives des espèces moléculaires en interaction sont importantes, par exemple l'adsorption sélective dans les réactions catalytiques, ainsi qu'à l'élaboration d'enzymes artificielles et à la mise au point de dispositifs moléculaires, et elles constituent aujourd'hui un outil essentiel pour le chimiste spécialisé. Elles lui permettent de s'assurer que ses recherches expérimentales portent bien sur des matériaux et des molécules ayant une chance réelle de remplir la fonction pour laquelle ils sont conçus. Il dispose avec ces techniques d'une planche à dessin tridimensionnelle très évoluée pour l'étude de molécules.

L'avenir

Les scientifiques ont réagi de manière extrêmement positive à l'accroissement très rapide de la puissance et de la vitesse de traitement des ordinateurs modernes et à leur plus grande disponibilité, et ils s'en sont servis pour approfondir notre connais­sance des matériaux. L a corrélation manifeste entre la capacité des grands processeurs matriciels à traiter simultanément de nombreuses informations et l'activité frénétique caractéristique des atomes ou des molécules dans un fragment de matière a été

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John Corish

pleinement et vigoureusement exploitée. L'éventail des techniques mises au point couvre désormais presque tous les aspects de la science des matériaux, et ces tech­niques voient leur importance s'accroître en tant qu'outils de prévision c o m m e d'analyse. Il y a encore un décalage très significatif entre le nombre de calculs qui peuvent être effectués m ê m e par les ordinateurs les plus puissants et celui que les méthodes de simulation appellent pour être parfaitement appliquées, mais cet écart sera progressivement comblé au fur et à mesure que des machines plus puissantes seront construites. A l'heure actuelle, c'est la qualité du potentiel interatomique susceptible d'être utilisé qui détermine en grande partie la qualité du résultat, et, encore une fois, cela est fonction de la puissance de calcul disponible. L a construction de machines plus puissantes se traduira par l'élaboration de modèles plus réalistes, par une plus grande exactitude des résultats et par l'application de ces techniques de modélisation à des matériaux plus complexes.

O n pourrait considérer que cette évolution débouchera en fin de compte sur un programme qui, dès lors que le nombre relatif des différents atomes dans une substance et leur potentiel exact d'interaction sont connus, pourrait prédire la structure et les propriétés du matériau qui se formerait. Il est toutefois fort impro­bable que cela se réalise un jour ou m ê m e que cela deviendra nécessaire parce que les scientifiques, à présent c o m m e autrefois, procèdent de manière logique en cher­chant à exploiter les connaissances qu'ils ont déjà acquises. Ils mettront donc toujours pleinement à profit leur expérience au cours des premières phases de leurs travaux, lorsque le processus de simulation est installé. Il existe déjà des programmes capables, si le profil énergétique calculé le demande, de changer une structure cris­talline proposée initialement en une configuration plus probable. C e type d'infor­mation est extrêmement utile dans l'étude des changements de phase et son importance augmentera à mesure que s'accroîtront la diversité et la qualité des matériaux spécia­lisés qui sont mis au point pour répondre aux exigences du marché. Étant donné la demande de ces matériaux, qui s'étend à tous les domaines de la science et de la technique, il est certain que les techniques de simulation atomistique évoquées ici (minimalisation d'énergie pour les réseaux statiques, dynamique moléculaire et trai­tement graphique des molécules) deviendront encore plus souples et performantes et seront de plus en plus largement utilisées à l'avenir. •

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L'agrochimie : les pesticides et les autres stratégies de lutte contre les ennemis des cultures

Roy Greenhalgh

Les pesticides ont contribué à améliorer notre vie, en diminuant les maladies et en augmentant les disponibilités alimentaires dans le monde entier. Le souci de préserver Venvironnement et d'assurer Vinnocuité des produits alimentaires nous a toutefois amenés à explorer les possibilités de renouveler les stratégies de lutte contre les ennemis des cultures. La conception de nouveaux pesticides dans une optique biologiquement rationnelle garantit la spécificité de leur action et leur compatibilité avec l'environnement. La lutte biologique, conçue comme stratégie de rechange, suscite un intérêt croissant, mais les pesticides chimiques n'en demeureront pas moins un élément majeur de tout dispositif destiné à combattre les ennemis des cultures. C'est la biotechnologie, et notre capacité de manipulation génétique des organismes, qui est la plus susceptible d'offrir des méthodes nouvelles de lutte contre les ennemis des cultures et d'améliorer la qualité de l'environnement.

Q u e l que soit le pays o ù nous vivons, nos existences sont affectées par différents aspects de la science. L e s progrès de la médec ine ont prolongé l'espérance de vie, et la nourriture q u e nous c o n s o m m o n s a u n e plus grande valeur nutritive, ce qui permet de jouir d 'une meilleure santé. E n revanche, l'opinion publique est préoccupée par deux problèmes liés à la science : celui d u devenir de l'environnement et celui de l'innocuité des produits alimentaires. E n raison des caractéristiques de son utili­sation, l'agrochimie a u n impact sur ces deux problèmes. L'expression « produits agrochimiques » désigne toute une g a m m e de c o m p o s é s , m a i s nous nous limiterons

Roy Greenhalgh est chercheur scientifique principal à Agriculture Canada et professeur adjoint aux universités Ottawa et Carleton à Ottawa. Organicien de formation, ses travaux de recherche ont porté sur un large éventail de sujets donnant lieu à de nombreuses publications dans les domaines des organophosphorés, des produits naturels et de la chimie des pesticides. L'auteur étudie actuel­lement la chimie des mycotoxines du Fusarium. Il est membre de la Commission d'agrochimie de l'Union internationale de chimie pure et appliquée ( I U P A C ) et secrétaire de la Division de chimie appliquée de cet organisme. E n outre, il a été expert auprès de la F A O à l'occasion de la réunion conjointe F A O / W H O sur les résidus de pesticides. Son adresse : Plant Research Centre, Agriculture Canada, Ottawa, Ont. K l A O C 6 , Canada.

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ici au seul cas des pesticides. C e terme, qui est générique, englobe les insecticides, les herbicides et les fongicides utilisés pour lutter contre les ennemis des cultures : insectes, mauvaises herbes et champignons pathogènes qui ont une incidence sur notre santé, notre environnement et notre alimentation. Quoiqu'un grand nombre de composés naturels, c o m m e le soufre, la nicotine et la bouillie bordelaise (solution aqueuse de sulfate de cuivre), aient été autrefois utilisés c o m m e pesticides, c'est l'entrée en scène des composés organochlorés synthétiques qui a ouvert l'ère des pesticides que nous connaissons aujourd'hui.

C'est à la suite de la publication en 1962 de Silent spring, de Rachel Carson, qu'on a commencé à se soucier de l'effet des pesticides sur l'environnement. Mais ce n'est que récemment que l'on a mis en application des règlements destinés à protéger celui-ci. A u contraire, l'innocuité des produits alimentaires est réglementée depuis des décennies aux niveaux national et international. Le Codex alimentarius, qui est l'œuvre de deux institutions du système des Nations Unies, la F A O et l ' O M S , résulte des travaux du Comité du Codex sur les résidus de pesticides et de la Réunion conjointe F A O / O M S sur les résidus de pesticides. C e dernier organe a pour fonction de déterminer les taux m a x i m a autorisés de résidus de pesticides dans les produits agricoles destinés à l'exportation. E n outre, la plupart des pays ont leurs propres organismes qui définissent à l'échelon national les niveaux tolerables des résidus dans les produits agricoles et veillent à l'innocuité des aliments consommés. A u x États-Unis d'Amérique, c'est la F o o d and D r u g Administration ( F D A ) qui contrôle l'innocuité des produits alimentaires et l'Agence pour la protection de l'environnement (Environmental Protection Agency — E P A ) qui réglemente l'emploi des pesticides.

O n veille à ce que les aliments ne soient pas rendus dangereux pour la santé par les résidus de pesticides. Mais il ne faut pas perdre de vue que les denrées que nous consommons contiennent aussi de nombreuses toxines naturelles, dont certaines se sont révélées potentiellement cancérigènes. Leurs concentrations dans les légumes et les fruits peut aller de 70 à 4 millions de parties par milliard (États-Unis, 10 - 9 ) , soit un chiffre très supérieur aux quantités de résidus de pesticides couramment trouvés dans les cultures vivrières ou les tissus animaux1.

Les facteurs économiques ont également leur importance dans l'emploi des pesticides. Le souci du rendement a conduit à privilégier les monocultures. Les plantes cultivées se trouvent donc ainsi concentrées sur des territoires où les ennemis des cultures viennent les concurrencer avec succès en raison de leurs facultés de colonisation et d'adaptation rapides. Les cultivars et les variétés à haut rendement mis au point et utilisés au m o m e n t de la Révolution verte se sont révélés un peu moins viables que les variétés précédemment utilisées et ont obligé à employer des pesticides. Les rendements élevés et les effets spectaculaires sur les ennemis des cultures qui en ont résulté ont permis de faire des bénéfices. L'augmentation de la production vivrière a été une aubaine pour les pays en développement qui voulaient parvenir à alimenter rapidement une population croissante. Dans les pays déve­loppés, l'emploi de pesticides a accru la performance de la production vivrière. L'exemple du Canada permet d'illustrer la dépendance économique à l'égard des pesticides. L'interdiction des herbicides phénoxy c o m m e le 2 ,4 -D risquerait, a-t-on estimé, de se solder pour l'économie canadienne par une perte annuelle de 410 millions de dollars des États-Unis.

L'inquiétude suscitée par les effets globaux du développement économique a été évoquée par M m e G r o Harlem Bruntland, Premier ministre de la Norvège, dans un discours qu'elle a prononcé à l ' O N U en 1987, où elle plaidait pour une politique

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de développement durable, reconnaissant que le développement économique a une incidence sur l'environnement et qu'il faut réfléchir à l'exploitation future des res­sources limitées de notre planète. Pour l'agriculture, cela met en jeu le recours aux pesticides ou à d'autres moyens de lutte qui ne constituent pas un danger pour l'environnement.

Les pesticides : un tour d'horizon

A u x États-Unis d'Amérique, les herbicides représentent environ 70 % du marché des pesticides, contre 25 % seulement pour les insecticides2. Inversement, la région de l'Asie et du Pacifique est principalement consommatrice d'insecticides. Ceux-ci corres­pondent à environ 75 % de la quantité estimée de pesticides utilisés, contre 13 % pour les herbicides et 8 % pour les fongicides3. Les insecticides sont principalement utilisés pour le riz, le coton et les légumes, les herbicides pour les plantations d'hévéas, de palmiers à huile, de thé, de café et de cacao, les fongicides pour lutter contre les maladies du tabac, des légumes et des bananes.

Les composés organochlorés

Les composés organochlorés ont fourni la première catégorie importante de pesti­cides synthétiques qui comprend, entre autres, le D D T , l'heptachlore, l'aldrine, le dieldrine, le chlordane et l'endrine. Quoique la synthèse du D D T remonte à 1874, c'est seulement en 1937 que ses vertus insecticides ont été reconnues. L'utilisation très répandue des composés organochlorés, en particulier du D D T , a beaucoup contribué à réduire les effets dévastateurs des maladies dans un grand nombre de pays.

E n général, les pesticides organochlorés sont faciles à synthétiser et peu coûteux à fabriquer. Malheureusement ils sont aussi très stables et leurs résidus sont déce­lables dans l'environnement très longtemps après l'application du traitement, notam­ment dans les pays à climat tempéré. O n a constaté que des résidus s'étaient accu­mulés dans la faune sauvage, en particulier chez les mammifères et les oiseaux prédateurs. Les organismes nationaux de réglementation ont limité l'utilisation de ces pesticides, rayant en 1972 le D D T de la liste des produits autorisés, puis limitant, en 1979, l'utilisation de l'endrine et d'autres pesticides4. Certains de ces produits ont continué d'être utilisés sélectivement par les pays en développement, principale­ment pour lutter contre les vecteurs de maladies dans le cadre de programmes de santé publique destinés à lutter contre le paludisme et la trypanosomiase. E n 1984, on estimait à 30 215 tonnes métriques la quantité de D D T utilisée à cet effet.

N o n contents d'être persistants, les composés organochlorés, y compris ceux qui ne sont pas des pesticides c o m m e les diphényles polychlorés (PCB), sont relati­vement volatiles. Sous les tropiques, cette volatilité est la principale cause de leur disparition, puisqu'elle explique à elle seule la perte d'environ 90 % de ces produits6. Elle rend également compte de leur dispersion globale et de leur pénétration dans l'écosystème aquatique, puisque les lacs et les océans sont l'aboutissement ultime des produits dans l'environnement. L a figure 1 représente schématiquement le trans­port des produits chimiques dans l'environnement et divers modes de dégradation.

U n exemple de dispersion globale des composés organochlorés nous est fourni par les résidus de D D T dans les lacs japonais, où leur concentration est aujourd'hui aussi élevée qu'elle l'était avant le moratoire sur l'utilisation de ce produit. Dans le m ê m e ordre d'idées, des résidus de dérivés du chlordane et des P C B ont été trouvés

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Lessivage Écoulement Dégradation microbienne

dans les tissus des ours polaires8. Cette dernière constatation est déconcertante dans la mesure où l'ours polaire fait partie du régime alimentaire des populations indi­gènes et où des résidus de P C B ont également été décelés, chez l'être humain, dans le lait maternel. Dans les deux cas, les résidus organochlorés utilisés dans la lutte contre les ennemis des cultures ou dans l'activité industrielle résultent des pratiques culturales et des activités industrielles effectuées dans une autre région de l'hémi­sphère Nord .

Les composés organophosphorés

E n 1964, les principaux insecticides utilisés dans l'agriculture étaient des composés organochlorés. U n e fois leur emploi soumis à moratoire, ils ont été remplacés par des insecticides à base de composés organophosphorés et carbamates. Aussi, en 1984, ces deux catégories d'insecticides représentaient-elles respectivement 70 % et 21 % du marché7 . Les composés organophosphorés et carbamates agissent par inhibition de la Cholinesterase. Les propriétés insecticides des esters organophosphorés ont été découvertes en 1938, mais elles n'ont été exploitées que beaucoup plus tard, quand le malathion, l'éthion, le parathion, le diazinon, le diméthoate, le chlorpyrifos et le fénitrothion sont devenus disponibles. Quoique les composés organophosphorés soient encore largement utilisés, des problèmes de résistance acquise par les insectes sont apparus, c o m m e dans le cas des composés organochlorés.

Le remplacement des pesticides organochlorés persistants par les composés orga­nophosphorés et carbamates, moins persistants mais plus toxiques, préoccupe les pays en développement. Les traitements, plus fréquents, ont entraîné, du fait d'une exposition accrue à ces produits, une augmentation parallèle d u danger associé à leur emploi. U n e meilleure formation à l'utilisation des pesticides est indispensable dans ces pays, ainsi que des programmes de mise au point d'une réglementation.

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Figure 1

La circulation des substances chimiques dans l'environnement. fi

Evaporation

V

t Adsorption

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Les pyréthroïdes

Ces composés synthétiques ont été mis au point dans les années 70 et figurent parmi les insecticides les plus actifs que l'on connaisse8. Ils sont liés à la Pyrethrine I, qui est le plus puissant des six esters naturels isolés à partir de la fleur de chrysan­thème. U n exemple : dans le cas de la décaméthrine, la modification synthétique des éléments actifs de la molécule de Pyrethrine I a conduit à multiplier par 1 000 la toxicité du produit pour les mouches domestiques. Les pyréthroïdes sont très toxiques pour les poissons et les invertébrés aquatiques, ce qui oblige à prendre des précautions lorsqu'on les emploie à proximité de masses d'eau.

L a mise au point de la toute dernière génération de pesticides, qui sont plus actifs, a entraîné une diminution spectaculaire du taux de pesticides dans l'environ­nement. L e tableau 1 permet de comparer les quantités d'anciens et de nouveaux pesticides utilisées pour le traitement des cultures céréalières.

Tableau 1 Doses de pesticides utilisées pour les cultures céréalières (en grammes de matière active par hectare)

Insecticides

Organochlorés D D T Endrine

Organophosphorés Diméthoate Malathion

Pyréthroïdes Deltaméthrine Cyperméthrine (a)

700 560

420-480 850-1 120

6 25

Herbicides

Anilides Propanil

Acides phénoxy 2 , 4 - D

Sulfonyl urée Metsulfuron-méthyl

1000

200-500

4,5

Stratégies de lutte contre les ennemis des cultures et les maladies

L a brièveté de leur cycle de reproduction a permis à de nombreux insectes de devenir rapidement résistants aux insecticides, et l'on a donc été forcé d'accroître les doses ou d'utiliser des pesticides ayant des modes d'action différents. Le souci de préserver l'environnement a également incité à rechercher des produits chimiques plus sélectifs et des moyens plus efficaces afin que les pesticides atteignent des organismes cibles. E n vue de réaliser le triple objectif de l'augmentation de la production vivrière, de la protection de l'environnement et de la mise en place d'une agriculture durable, diverses stratégies — qui ne relèvent pas toutes de la chimie — sont mises en œuvre aujourd'hui pour lutter contre les insectes et les mauvaises herbes.

U n grand nombre de pesticides de la première génération résultaient de vastes programmes de sélection aléatoire de produits chimiques naturels ou synthétiques. L a quête d'idées neuves pour lutter contre les maladies et les ennemis des cultures a conduit à mettre au point des méthodes de lutte biorationnelles et biologiques. L a lutte biologique consiste à utiliser des organismes naturels pour lutter contre les

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ennemis des cultures et les maintenir à un niveau assez faible pour qu'ils ne puissent pas causer des dégâts entraînant des pertes économiques. L'approche biorationnelle cherche à déterminer, dans les processus biologiques de l'ennemi, des points excep­tionnellement vulnérables dont l'exploitation permettra d'élaborer des méthodes de lutte respectant l'environnement. Elle peut être considérée c o m m e un cadre d'action chimique plus global dont la sélection aléatoire de composés n'est qu'un élément. Les essais de techniques biorationnelles se font in vitro sur des systèmes biochimiques plutôt que sur des végétaux ou des insectes entiers.

Approche biorationnelle

A l'avenir, le traitement par les pesticides restera presque certainement la principale stratégie de lutte contre les insectes et les maladies, mais il s'inscrira dans le contexte d'un système de lutte intégrée. La mise au point de méthodes biorationnelles utilisant des produits chimiques acceptables pour l'environnement et conçus pour atteindre des objectifs spécifiques va progressivement réduire la dépendance à l'égard de pesti­cides à spectre large. L a quête de produits chimiques nouveaux implique des recherches plus poussées sur les processus biologiques des insectes et des mauvaises herbes afin de déterminer des sites spécifiques pour les besoins d'une lutte éventuelle.

Lutte contre les insectes

Hormones. L'endocrinologie du développement des insectes est un domaine propice à la recherche, puisque la croissance et la métamorphose des insectes sont commandées par les hormones. L 'hormone dite juvénile a été largement étudiée, dans la mesure où, lorsqu'elle dépasse un certain seuil, elle empêche l'insecte de passer au stade adulte. O n pourrait, en inhibant l'action des hormones juvéniles à un stade précoce du cycle d'évolution, provoquer la formation prématurée d'adultes nains; inver­sement, l'application d'hormones à un stade tardif du développement devrait empê­cher l'insecte de se métamorphoser en un adulte sexuellement actif.

L a m u e de l'insecte est un autre processus caractéristique et intéressant qui mérite d'être étudié. U n e enzyme « primitive », dont on ne connaît aucun équivalent dans les organismes supérieurs, est présente chez l'insecte. Sa concentration n'est élevée que durant la phase de la m u e , ce qui devrait en faire une cible idéale, avec une possibilité de lutte contre les sauterelles et les nematodes9. Dans le m ê m e ordre d'idées, certaines neuro-hormones et leurs inhibiteurs, qui ont été identifiés dans le système nerveux des insectes, peuvent fournir des cibles supplémentaires.

Phéromones. Chez les insectes, la communication est de nature largement chimique et a également servi de cible pour les opérations de lutte. D e substantiels travaux de recherche sont consacrés aux phéromones, substances chimiques très volatiles qui sont produites par les insectes et qui leur permettent de communiquer entre eux. O n a tenté de contrôler le comportement des insectes en recourant à divers procédés d'ordre physique et chimique. Les phéromones, en raison de leur spécificité et de leur activité exceptionnelles à des concentrations extrêmement faibles, se prêtent à des techniques de lutte intégrée.

Les messages chimiques qui interviennent dans la reproduction sont connus sous le n o m de phéromones sexuelles et ont également fait l'objet de nombreuses

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recherches. Beaucoup d'insectes émettent des phéromones sexuelles à des stades déterminés de leur cycle d'évolution. Cette émission permet aux mâles de trouver des femelles. Si on libère en m ê m e temps dans l'environnement une phéromone sexuelle synthétique, celle-ci va entraver la copulation normale en saturant les circuits de communication. Ces produits chimiques peuvent être placés dans des pièges pour surveiller la taille des populations d'ennemis spécifiques des cultures ou pour mettre ceux-ci en contact avec des chimiostérilisants ou des pesticides.

Les metabolites secondaires. L a recherche de composés sans danger pour l'environ­nement et utilisables pour lutter contre les ennemis des cultures a conduit à étudier des substances connues sous le n o m de metabolites secondaires des végétaux. Certains de ces metabolites sont connus pour leurs propriétés insectifuges, insecticides, anorexi­gènes et antihormonales. Ces composés, une fois isolés et identifiés, pourraient également servir de modèles à la synthèse d'analogues nouveaux et plus actifs, qui seraient utilisés dans des systèmes de lutte intégrée. Dans un autre ordre d'idées, ils pourraient être incorporés à d'autres végétaux grâce aux techniques du génie génétique.

Le margousier, qui pousse naturellement en Inde et en Birmanie, est une source d'anorexigènes et de régulateurs de croissance des insectes. Des essais sur le terrain, effectués en Inde, ont montré que les graines de ses fruits sont plus puissantes que certains insecticides pour lutter contre les criquets. L'azadirachtine est un composé isolé à partir de l'huile de graines de margousier qui se comporte c o m m e l'hormone juvénile et a des effets prononcés sur le comportement et la physiologie. Il est en cours d'inscription sur les listes des produits autorisés dans les pays en développement. Là encore, la modification synthétique de la molécule a accru son activité.

Les végétaux peuvent produire des analogues des hormones qui déclenchent la croissance et le développement des insectes. Certaines plantes produisent des analogues des hormones juvéniles qui agissent c o m m e régulateurs du processus de m u e . Ainsi, on a constaté que deux substances isolées à partir d'une plante annuelle très répandue, l'agérate, bloquent l'action de l'hormone juvénile, provoquant la m u e précoce des larves et leur mort. Ces composés, appelés précocènes, ont fait l'objet de recherches approfondies. Les végétaux peuvent également produire chez les insectes des phéro­mones d'alarme qui les protègent effectivement contre les attaques des prédateurs. Ainsi, les poils qui poussent à la surface de la feuille de la patate douce, lorsqu'elle est envahie par des pucerons, libèrent la m ê m e substance chimique que les pucerons eux-mêmes lorsqu'ils sont attaqués par u n prédateur. Par conséquent, le végétal est à m ê m e de repousser un ennemi dangereux en produisant la phéromone d'alarme de ce dernier.

Agents microbiens. L a fermentation de Streptomyces avermitilis produit plusieurs lactones macrocycliques qui ont une action insecticide et acaricide. L 'une d'elles est l'avermectrine B l a . O n a étudié la possibilité de l'utiliser pour maîtriser divers phytophages des champs et des vergers d'agrumes, de m ê m e que les solenopsis. Cette substance, qui est déjà toxique pour les mammifères, l'est encore beaucoup plus pour certains arthropodes, ce qui justifie que l'on mette au point des modes d'utilisation minimisant les risques courus par les animaux que l'on ne souhaite pas toucher.

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Lutte contre les agents pathogènes

L'environnement contient de nombreux agents pathogènes — virus, bactéries et champignons — contre lesquels les végétaux doivent élaborer des mécanismes naturels de défense pour prospérer. Les variétés résistantes de végétaux sont généralement dotées de ces mécanismes. L'infestation du blé, du maïs et du riz par le champignon du genre Fusarium e n d o m m a g e les cultures et rend impropres à l'alimentation de l 'homme ou du bétail les graines contaminées par les mycotoxines. Les relations hôte-organisme pathogène et la mise au point de variétés de cultures résistantes sont des domaines très prometteurs pour les systèmes de lutte sans pesticides. Les variétés de végétaux résistantes s'obtiennent d'ordinaire par hybridation mendé -lienne, mais il est à prévoir que des biotechnologies seront utilisées à l'avenir.

U n grand nombre de metabolites secondaires des végétaux ont des propriétés antifongiques qui peuvent être mises en relation avec leur résistance aux agents pathogènes microbiens. Les végétaux réagissent également aux atteintes cellulaires et aux attaques sur des organismes pathogènes en générant des metabolites anti­microbiens appelés phytoalexines. Ces substances font partie du mécanisme de défense de la plante, qui est associé à la résistance aux maladies. La nature des mécanismes de résistance, d'une part, des mécanismes responsables de la sensibilité aux maladies, d'autre part, a été étudiée en détail, mais séparément. O n aurait dû rechercher depuis longtemps des informations sur les modes d'interaction de ces deux mécanismes. L a capacité des biologistes moléculaires à transférer des gènes d 'un végétal à l'autre est riche de possibilités remarquables pour les manipulations génétiques associées à la résistance.

Lutte biologique

L a lutte biologique offre des possibilités considérables, mais elle sera essentiellement utilisée dans le cadre d'un système de lutte intégrée. Pendant quelque temps encore, les pesticides chimiques continueront à jouer un rôle important dans la lutte menée contre les maladies au moyen de tels systèmes.

L'emploi d'insectes utiles — parasites ou prédateurs — pour lutter contre un ennemi des cultures évite de recourir à la chimie. U n e fois mises au point, ces tech­niques peuvent également avoir des effets durables. Toutefois, il est nécessaire de connaître en détail l'écosystème où l'on se propose d'introduire l'agent de lutte et la dynamique des populations concernées. L'introduction d'un agent de lutte biolo­gique provenant d 'un autre écosystème risque, en effet, de créer des problèmes nouveaux puisque les agents qui luttent contre lui seront absents. Les agents indi­gènes de lutte biologique ne présentent pas cet inconvénient, mais leur développement exige toujours la connaissance de leur cycle d'évolution et des techniques d'élevage en masse.

Désinsectisation

L a libération massive d'insectes stérilisés dans une population naturelle provoque une concurrence entre les insectes au m o m e n t de l'accouplement et une réduction significative de cette population. Cette stratégie a été utilisée avec succès pour lutter contre Callitroga macellaria dans le sud-ouest des États-Unis d'Amérique et le nord du Mexique, sur une superficie d'environ 780 000 k m 2 ; on a constaté une diminution de l'infestation du bétail de 99 %10. Des tentatives de lutte « autocide » ont

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également été faites contre la pyrale des p o m m e s , la mouche des fruits au Mexique, l'anthorone (mouche des cultures du cotonnier) et la mouche tsé-tsé. L'évaluation de cette technique, utilisée dans la lutte intégrée contre l'œstre, n'a pas été très concluante.

Plusieurs parasites et prédateurs de la mouche de l'oignon ont été isolés et trois d'entre eux élevés sur une grande échelle11. Les recherches sur leurs caractéristiques biologiques et écologiques se poursuivent afin de déterminer les conditions d'envi­ronnement requises pour leur évaluation sur le terrain, dans le cadre de systèmes de lutte intégrée.

Étant donné que les insectes pathogènes sont généralement non toxiques pour les vertébrés et les végétaux, ils apparaissent c o m m e des agents de lutte très promet­teurs contre les ennemis des cultures. Avant qu'ils soient autorisés, toutefois, il faut caractériser la souche de l'organisme pathogène, sa virulence, les toxines qu'il produit et ses mécanismes de persistance et de dispersion dans l'environnement. E n outre, sa pathogénicité pour les vertébrés et les végétaux doit être connue. Le m o d e d'action de l'agent pathogène doit être établi ainsi que ses voies de pénétration de façon à optimiser sa virulence. L'identification des toxines actives et des conditions qui favorisent l'infection peut autoriser de nouvelles manipulations.

L a lutte biologique au moyen de bactéries, de champignons, de virus, de nema­todes, etc., se heurte à tant de difficultés qu'on n'a pu y recourir largement. L a bactérie Bacillus thuringiensis (BT) est une exception remarquable à cette consta­tation d'ordre général12. Largement commercialisée depuis quelques années, elle est employée dans l'agriculture c o m m e insecticide microbien. Ses propriétés insecticides sont attribuées à une protéine à structure cristalline bipyramidale produite à la sporulation et émise lors de la lyse de la cellule. L a toxine produite par le B T est très spécifique : elle n'est toxique que pour certaines catégories de papillons, de phalènes et de mouches. O n met actuellement au point des souches améliorées qui seront toxiques pour une plus large g a m m e d'insectes, y compris les coléoptères. Le B T , qui est sans inconvénients pour l'environnement, a également été utilisé pour lutter contre le bombyx disparate et contre l'infestation des épicéas des forêts par la tordeuse de bourgeons.

Dés herbage

Quoique l'emploi des champignons c o m m e pesticides microbiens soit limité par des facteurs c o m m e leur sensibilité aux conditions de l'environnement et aux fongi­cides, on peut utiliser les herbicides biologiques pour le désherbage. L'inoculum des végétaux pathogènes est formulé et appliqué de la m ê m e façon que les herbicides chimiques. Les herbicides biologiques sont conçus pour surmonter ou contourner les entraves au développement des maladies — faibles doses d'inoculum ou agents pathogènes peu virulents — grâce à des applications périodiques de l'inoculum virulent sur une population d'herbes qui y sont sensibles. D e u x herbicides de ce type sont déjà sur le marché. L a D e v i n e ™ , mise au point en 1981, se compose de chlamydospores de Phytophthora citrophthora en suspension dans un liquide et est utilisée pour éliminer les laiterons des vergers d'agrumes13. L'autre produit, c o m m e r ­cialisé sous le n o m de marque de Collego™, se compose de spores déshydratées de Colletotrichum glaesporioides. Il est employé aux États-Unis d'Amérique c o m m e herbicide dans la culture du riz et du soja14. Depuis quelques années, on constate un regain d'intérêt pour les herbicides biologiques.

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Incidence de la biotechnologie sur la lutte biologique

La biotechnologie est associée à l'alimentation depuis que nos lointains ancêtres ont commencé à utiliser des micro-organismes naturels pour obtenir du pain, du vin et du fromage. Aujourd'hui, le génie génétique offre la possibilité de manipuler des micro-organismes pour mettre au point de nouveaux outils de lutte contre les ennemis des cultures. L e plus grand exploit qu'il faudra accomplir pour rendre possible l'introduction d'une large g a m m e d'agents de lutte microbienne est peut-être l'élaboration de méthodes sensibles et fiables de détermination de leur incidence potentielle sur l'environnement et sur la santé de l ' h o m m e , c o m m e cela se fait déjà pour les pesticides chimiques. Il faudra aussi déterminer l'efficacité de chaque produit pour procéder à des évaluations comparées des risques et des avantages.

Résistance aux herbicides

Paradoxalement, la recherche actuelle contribue activement à mettre au point des variétés de cultures c o m m e le colza, qui sont résistantes aux herbicides. Le premier gène végétal produit par génie génétique, le Clyphotol, a déjà été breveté aux Etats-Unis d'Amérique. L e gène a été obtenu à partir de Salmonella typhimurium et il est résistant au glyphosate, qui est un herbicide. Néanmoins, son introduction dans les cultures permettrait de procéder à une application unique de glyphosate, herbicide à spectre large qui sert aux traitements de postlevée, ce qui éviterait de procéder à de multiples applications d'herbicides plus sélectifs. C e procédé réduirait l'emploi de produits plus dangereux pour l'environnement, ainsi que la charge totale de pesticides qui lui est imposée.

Les insecticides

Le génie génétique a permis d'introduire le gène B T dans Pseudomonas fluorescans; cela permet à ce dernier de produire dans le sol de la B T delta-endotoxine qui peut être utilisée pour lutter contre les ennemis des cultures présents dans le sol et autour des racines de végétaux c o m m e le maïs. Parmi les autres possibilités, on retiendra le transfert du gène B T à d'autres bactéries ou virus. Les baculovirus offrent des perspectives prometteuses pour la lutte biologique, mais ils agissent trop lentement pour convenir à certaines cultures. Si l'on réussit à transférer le gène B T aux baculovirus, cela permettra d'augmenter leur pathogénicité et leur vitesse d'action, tout en préservant la spécificité de l'hôte. C o m m e la recherche fondamentale continue à identifier les gènes qui contrôlent la formation de produits assurant l'immunité naturelle contre les agents pathogènes ou les insectes, on peut prévoir que de nouvelles méthodes évitant de libérer dans l'environnement des agents de lutte biologique seront élaborées.

Les techniques du génie génétique sont plus avancées pour les végétaux que pour les insectes en général. O n peut s'attendre à des progrès dans la mise au point de techniques autolétales fondées sur l'élevage et l'introduction d'insectes porteurs de caractéristiques génétiques spécifiques létales pour leur progéniture. Pour que cette technique porte ses fruits, il faut parvenir à élever les insectes modifiés et à les introduire dans l'environnement en nombre suffisant pour qu'ils puissent concur-

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Vagrochimie : les pesticides et les autres stratégies de lutte contre les ennemis des cultures

rencer les souches naturelles au m o m e n t de l'accouplement. Il s'agit là d'une extension de la technique autocide qui consiste à stériliser les insectes en les exposant à des rayonnements ou à des produits chimiques.

Résumé

Il n'existe aucune stratégie simple permettant de lutter contre les maladies et les ennemis des cultures tels que les insectes ou les mauvaises herbes. L'utilisation de produits chimiques fait actuellement l'objet de critiques en raison des dangers qui leur sont inhérents et de leur effet sur l'environnement. Néanmoins, ils continueront d'être employés dans le cadre de systèmes de lutte intégrée contre les ennemis des cultures. L'approche biorationnelle fournira de nouveaux pesticides spécifiques, très actifs, et ne présentant aucun risque pour l'environnement, autorisant ainsi un déve­loppement durable.

Les effets sur l'environnement et les problèmes posés par la rapidité avec laquelle les ennemis des cultures deviennent de plus en plus résistants ont stimulé la recherche de nouvelles stratégies de lutte. Il existe plusieurs systèmes de ce genre qui ne font pas appel aux pesticides chimiques. Mais ce sont des solutions à long terme qui appellent des recherches plus poussées pour offrir de nouvelles techniques de lutte susceptibles d'être appliquées avec de bons résultats.

Enfin, les progrès de la biotechnologie vont changer non seulement le type d'agent de lutte mais également la quantité de pesticide nécessaire. C o m m e pour les pesticides chimiques, les instances qui ont pour mission de réglementer l'utili­sation des produits auront besoin de nombreuses informations sur tout organisme résultant de manipulations génétiques et employé c o m m e pesticide afin d'évaluer son impact sur l'environnement et l'innocuité des aliments, dans le cadre du contrôle permanent du recours aux pesticides. •

Notes

1. B . N . Ames , « Be most wary of nature's own pesticides », Los Angeles Times, 27 février 1989.

2. J. H . Ayers, « Status and outlook in the U . S . pesticide industry », American Chemical Society (Abstract), Chicago, 9-12 septembre 1985.

3. E . L . Johnson, « Pesticide regulation in developing countries of Asia and Pacific region », dans G . Marco, R . Hollingworth et J. Plimmer (dir. publ.), Regulations : a driving force in the evolution of agrochemicals, Washington, D . C . , 1990. (A.C.S. Sym­posium Series.) Sous presse.

4. C . A . Edwards, « Agrochemicals as environmental pollutants », dans B . V o n Hofesten et G . Ekstrom (dir. publ.), Control of pesticide application and residues in food : guide and directory, Uppsala, Swedish Scientific Press, 1986.

5. P . C . Kearney, A . R . Isensee et J. R . Plimmer, « Contribution of agricultural pesticides to worldwide chemical distribution », dans N . W . Schmidtke (dir. publ.), Toxic conta­mination in large lakes : sources, fate and controls of toxic contaminants, vol. Ill, Chelsea, Lewis Publishers Inc., 1988.

6. R . J. Norstrom, M . Simon, D . C . G . Muir et R . E . Schweinburg, « Organochlorine contaminants in arctic marine food chains : identification, geographic distribution and temporal trends in polar bears », Environ. Sei. Tech., n° 22, 1988, p. 1063-1071.

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Roy Greenhalgh

7. J. R . Schaub, « The economics of agricultural pesticide technology », dans J. L . Hilton (dir. publ.), Agricultural chemicals of the future, p. 15-26, 1985. (Beltsville Symposia in Agricultural Research, 8.)

8. M . Elliot, Syntheticpyrethroids, Washington, D . C . , 1977. (A.C.S. Symposium Series, 42.) 9. A . Wardanis, « A unique cyclic nucleotide dependent protein kinase », Biochem.

Biophys. Res. Comm., n° 125, 1985, p. 947-959. 10. E . F . Knipling, « Sterilization and other genetic techniques », Pest control : strategies

for the future, Washington, D . C . , National Academy of Sciences, 1972. 11. A . D . Tomlin, J. J. Miller, C . R . Harris et J. H . Tolman, « Arthropod parasitoids and

predators of the onion maggot », / . Econ. Ent., n° 78, 1985, p. 975-981. 12. A . W . West, « Fate of the insecticidal proteinaceous parasporal crystal of Bacillus

thuringiensis in soil », Soil Biol. Biochem., n° 16, 1984, p. 357-360. 13. W . H . Ridings, D . J. Mitchell, C . L . Schoulties et N . E . El-Gholl, « Biological control

of milkweed vine in Florida citrus groves with a pathotype of Phytophtora citrophthora », Actes du VIe Colloque international sur la lutte biologique contre les mauvaises herbes, Gainesville, Floride, 1978, p. 224-240.

14. D . O . Tempest et G . E . Templeton, « Mycoherbicides : progress in the biological control of weeds », Plant Dis., n° 69, 1985, p. 6-10.

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Médicaments chimiques : les nouveaux défis

Camille-Georges Wermuth

L'élaboration de nouvelles molécules chimiques destinées à soigner ou à guérir les maladies de l'homme et des animaux comporte plusieurs phases au cours desquelles l'impact de la chimie est essentiel. La première phase est l'identification et la pro­duction d'un principe actif original ; la deuxième est l'amélioration de ses performances sur le plan de la puissance, de la sélectivité et de la sécurité de son action ; la troisième phase consiste en l'adaptation de la molécule sélectionnée afin d'optimiser son utili­sation par le médecin et le malade.

La découverte de nouvelles molécules actives a bénéficié de deux types de progrès au cours de ces vingt dernières années.

D ' u n e part, il faut tenir compte des progrès de l'instrumentation, notamment l'augmentation des sensibilités et la miniaturisation des techniques, de l'implication quasi systématique de la conception assistée par ordinateur et de l'imagerie infor­matique, mais surtout de l'évolution m ê m e de la pharmacologie vers des approches de plus en plus moléculaires. Ces acquis ont amené les chimistes à procéder d'une manière plus rationnelle lors de la conception de nouveaux médicaments. Effec­tivement, en 1990, ceux-ci proviennent encore pour l'essentiel de la chimie de synthèse. Ainsi, si l'on considère la liste des 50 médicaments les plus vendus au monde , 48 d'entre eux sont d'origine synthétique. Si l'on examine les classes théra­peutiques auxquelles ils correspondent, on constatera avec un certain étonnement que, parmi les quatre premiers, deux sont des antiulcéreux. D ' u n e manière globale, le classement des médicaments les plus vendus s'établit c o m m e suit : cardio­

Camille-Georges Wermuth est professeur de chimie organique et de chimie thérapeutique à la Faculté de pharmacie de l'Université Louis-Pasteur de Strasbourg, France. Il dirige l'Unité de pharmacochimie moléculaire du Centre de neurochimie du C N R S à Strasbourg. Cette unité présente l'originalité d'associer trois compétences : la chimie organique de synthèse, la pharmacologie et la modélisation au moyen d'ordinateurs graphiques. Les thèmes de recherche se situent essentiellement dans le domaine des pathologies neuropsychiatriques. Ils ont donné lieu à la conception et à la synthèse de nombreux outils de recherche dans le domaine des neurosciences et au développement d'un nouveau psychotrope, la minaprine, commercialisée en Europe depuis 1979 et en cours de développement au Japon. Depuis 1988, le professeur W e r m u t h est président de la section « Medicinal Chemistry » de l'Union internationale de chimie pure et appliquée ( IUPAC) . Son adresse : Centre de neurochimie du C N R S , Département de pharmacochimie moléculaire, 5, rue Biaise-Pascal, 67084 Strasbourg Cedex, France.

39 Impact : science et société, n° 157, 39-52

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Camille-Georges Wermuth

vasculaires : 14; anti-infectieux : 13; gastro-intestinaux : 4 ; système nerveux central : 3; système musculosquelettique : 3; immunomodulateurs : 3 ; système respiratoire : 3; reproduction : 2 ; diagnostics : 2 ; anticancéreux : 1; organes des sens : 1; hormones : 1.

D'autre part, de nombreux médicaments du futur vont résulter des biotech­nologies. Ainsi, une statistique récente montre que, parmi les produits actuellement en développement, ceux issus des biotechnologies sont en nombre trois fois plus élevé que ceux de n'importe quelle autre catégorie thérapeutique. Ainsi on compte 840 produits provenant des biotechnologies contre 278 anticancéreux, 276 anti-viraux et 237 anti-inflammatoires préparés par synthèse. Les produits actifs fournis par les biotechnologies sont le plus souvent des peptides et des protéines. A ce titre, les chimistes auront un double rôle à jouer dans leur valorisation. O u bien ils interviennent dans l'établissement et dans l'interprétation des relations structure-activité — détermination des structures tridimensionnelles (par les rayons X , la R M N , l'analyse conformationnelle), étude de l'interaction avec la cible biolo­gique (notamment leur visualisation au m o y e n d'ordinateurs graphiques) — ou bien encore le produit fourni par les biotechnologies leur sert de modèle dans la conception d 'un analogue synthétique plus simple et chimiquement plus stable. D ' u n e manière générale, les peptides et les protéines fournis par les biotechnologies ne se prêtent pas à une administration par la voie orale; cela explique la recherche de substances présentant des structures plus simples, que l'on appelle des peptido-mimétiques et qui sont actives par la voie orale.

La place de la chimie dans l'élaboration des nouveaux médicaments est donc essentielle. Il n'est cependant pas certain que les chimistes soient bien préparés à concevoir et à synthétiser de nouveaux médicaments. Dans ce but il est souhaitable qu'ils acquièrent une formation de pharmacochimistes. Rappelons qu'il y a autant de différence entre un chimiste diplômé et un pharmacochimiste qu'entre un architecte en bâtiment et un architecte naval. A u m ê m e titre que l'architecte, s'il veut devenir « naval », doit avoir des notions de base sur la m e r et les bateaux, le chimiste, s'il veut devenir pharmacochimiste, doit avoir quelques connaissances en biologie (physiologie, biochimie, immunologie, pharmacologie) et sur les médi­caments. Il n'est peut-être pas inutile à ce propos de définir l'objet médicament et de rappeler quelques aspects spécifiques de son interaction avec l'organisme humain (ou animal).

Le médicament : données générales

N o u s allons successivement envisager la définition du médicament, son caractère spécifique, puis ses modes d'administration et son action sur l'organisme.

A quoi doit servir un médicament?

E n règle générale, un médicament a pour but de rétablir une situation physio­logique normale à partir d'une situation pathologique (un état de maladie). Il est remarquable d'observer que des molécules permettant d'atteindre des performances au-dessus de la normale (psychostimulants, anabolisants, excitants sexuels, etc.) n'entrent pas, pour des raisons d'éthique médicale, dans la définition du médi­cament telle que la ressent le praticien.

U n e deuxième catégorie de médicaments a pour objet de prévenir la maladie

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Médicaments chimiques : les nouveaux défis

ou le dysfonctionnement. C'est bien évidemment le cas de tous les vaccins, mais d'autres médications préventives sont couramment utilisées : l'aspirine contre les risques d'infarctus, les antipaludéens contre la malaria, les hormones contre l'ostéo-porose, les antioxydants, les vitamines et les oligo-éléments contre le vieillissement. Idéalement, de plus en plus de médications préventives devraient être proposées; dans la pratique, leur élaboration pose d'énormes problèmes de recherche clinique.

Il reste une troisième catégorie de médicaments, qui se distinguent par le fait qu'ils sont destinés à des personnes non malades. O n y compte par exemple la pilule contraceptive mais aussi toute une série de « médicaments de confort » tels que les tranquillisants, les hypnotiques, les antifatigue, les produits pour mieux digérer, etc.

Quelles sont les exigences particulières du médicament ?

O n exige du médicament qu'il concilie trois qualités : l'efficacité, la spécificité et la sécurité. E n d'autres termes, en imaginant que la situation soit idéale, il faudrait qu'il existe des médicaments adaptés à chaque maladie, que ces médicaments soient capables de traiter, guérir ou prévenir ces maladies, et que l'emploi de ces médi­caments ne présente aucun danger.

Ces trois conditions sont extrêmement difficiles à satisfaire simultanément et ceci justifie la poursuite de la recherche de nouveaux médicaments. U n obstacle fréquent réside dans l'absence de modèles animaux de maladies humaines ou dans le médiocre pouvoir prédictif des modèles existants, qu'il s'agisse de démontrer une activité thérapeutique ou que l'on veuille s'assurer de l'absence d'effets secondaires ou toxiques.

Remarquons enfin qu'il existe encore un grand nombre de maladies non conve­nablement traitées : cancer, maladies virales — notamment le Sida —, vieillissement cérébral et démence senile de type Alzheimer, artérite, Osteoporose, athérome, myopathies, sclérose en plaques, glomérulonéphrites, bilharziose, etc.

Quels sont les trois temps de Vaction d'un médicament?

Schématiquement, on a été amené à distinguer trois temps forts dans l'action d'un médicament. Le premier temps se rapporte au m o d e d'entrée du médicament dans l'organisme : c'est la phase pharmaceutique. Le deuxième temps concerne les pérégrinations et le sort du médicament entre le site d'entrée et le site de son action : c'est la phase pharmacocinétique. Le troisième temps enfin rend compte de l'effet proprement dit du médicament, une fois qu'il a atteint sa cible : c'est la phase pharmacodynamique.

L a phase pharmaceutique concerne le choix de la voie d'administration (voie orale, percutanée, intramusculaire, rectale, etc.) et de la forme pharmaceutique (comprimés, gélules, ampoules injectables, crèmes, suppositoires, aérosols, etc.). Par de légères variations de la structure chimique, on peut moduler les propriétés physicochimiques du principe actif (telles que sa solubilité dans l'eau ou les lipides, sa polarité, son caractère acide o u basique) afin d'optimiser sa dissolution dans les fluides biologiques et son passage à travers les toutes premières membranes (par exemple, la peau ou la paroi intestinale), c'est-à-dire, en fin de compte, sa péné­tration dans l'organisme.

Dans la phase pharmacocinétique, on étudie l'ensemble des facteurs qui font

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Camille-Georges Wermuth

que le médicament accède au site de son action. Le site d'action d'un médicament est souvent séparé dans le temps et dans l'espace du lieu d'administration ou de pénétration. N o u s montrerons dans la suite de cet article comment certaines modifi­cations structurales vont affecter le sort du médicament dans l'organisme : son absorption, sa distribution, son métabolisme et son excrétion. Les modulations peuvent porter sur la distribution du médicament dans l'espace, c'est-à-dire dans les différentes parties de l'organisme, ou sur l'étalement de son action dans le temps, encore que les deux effets ne soient pas toujours faciles à dissocier.

L a phase pharmacodynamique est régie par la qualité de l'interaction du médi­cament avec son site récepteur (interaction ligand-récepteur). O n sait en effet depuis longtemps que la plupart des médicaments agissent en se fixant sur des sites précis, appelés sites récepteurs. L'interaction entre le médicament et son récepteur déclenche toute une série d'événements physiques, chimiques et biologiques. L'effet global induit par le médicament constitue la réponse biologique. La plupart des récepteurs sont des structures macromoléculaires, souvent protéiques, situées à la surface des membranes ou dans le cytoplasme. Les réponses biologiques au contact du médi­cament résulteraient, semble-t-il, de changements de conformation du récepteur : ces changements entraîneraient la libération d'enzymes ou modifieraient les mouve­ments ioniques à travers les membranes par l'ouverture ou la fermeture de pores dans ces m ê m e s membranes. Lorsque la complémentarité entre médicament et récepteur est parfaite, l'action est maximale; on peut approcher ce résultat par des changements de la géométrie ou de la répartition des charges électriques qui visent à optimiser les interactions entre le médicament et son récepteur. Cette troisième phase englobe ainsi l'étude des relations entre la structure et l'activité des médi­caments. Le domaine d'intervention du chimiste va se situer d'une manière domi­nante dans cette troisième phase, mais nous montrerons que son rôle est également indispensable au niveau des deux autres.

D e l'idée à la molécule : la recherche de la substance active

Les pharmacochimistes disposent de moyens efficaces pour optimiser le profil d'une substance active. Il peut s'agir d'approches plus ou moins intuitives telles que la synthèse d'analogues, d'isomères, d'isostères, la modification de systèmes cycliques, etc., ou encore de conception assistée par ordinateur, en particulier l'iden­tification de pharmacophores par modélisation graphique, ou l'optimisation par des relations quantitatives entre structure et activité.

Dans tous les cas, au départ d'une piste, qui peut être une structure chimique nouvelle ou un nouveau mécanisme d'action, les chimistes sont en mesure de déve­lopper rapidement des molécules plus actives tout en étant plus sélectives et moins toxiques. Mais le véritable problème se situe précisément dans la découverte ou l'identification d'une piste originale de recherche. E n effet, pour cette étape majeure, il n'existe pas de recette codifiée et la créativité d'un laboratoire ne sera pas plani-fiable. Il en résulte que la découverte de nouvelles molécules têtes de série (encore appelées chefs de file ou prototypes, en anglais lead compounds) représente l'étape la plus aléatoire dans le programme de développement d 'un médicament.

Jusque vers les années 70, la mise en évidence de molécules chefs de file dépendait essentiellement de paramètres non contrôlables tels que des observations acci-

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Médicaments chimiques : les nouveaux défis

dentelles, des trouvailles fortuites, de l'ouï-dire ou encore du tri laborieux d 'un grand nombre de molécules. Depuis, des approches plus rationnelles sont venues s'ajouter, reposant sur la connaissance des structures des metabolites endogènes, des enzymes et des récepteurs, ou sur la nature des désordres biochimiques impliqués dans la maladie.

L'analyse actuelle des voies de la découverte permet de constater que quatre démarches coexistent dans la conception de nouveaux principes actifs : L a synthèse chimique ou l'extraction de milliers de molécules originales et breve-

tables, sans que l'on ait obligatoirement d'idée a priori de leur activité éventuelle : c'est ce qu 'on appelle le tri massif ou « screening ».

L'obtention de « copies améliorées » de molécules déjà connues et ayant démontré une activité. Le but étant dans ce cas d'en augmenter l'activité thérapeutique ou de diminuer les effets secondaires. Ces copies thérapeutiques sont encore appelées « Me too drugs B 1 .

L a troisième voie consiste en un choix préalable d'un modèle, molécule naturelle présente dans l'organisme ou encore molécule dont les effets sur l'organisme ont été observés d'une manière fortuite. L a synthèse de produits analogues ou interagissant avec cette molécule permet alors de moduler l'effet des molécules dans le sens d'une action bénéfique curative ou préventive.

L'approche rationnelle enfin repose sur l'exploitation d'une hypothèse physio-pathologique lorsque, grâce aux acquis de la pharmacologie moléculaire, le mécanisme perturbé est identifié. Il devient alors possible de le corriger en inter­venant sur les divers mécanismes régulateurs : enzymes, hormones, neuro­médiateurs, etc.

Bien que les quatre démarches continuent à coexister, deux d'entre elles ont bénéficié de progrès notables : le tri massif et la recherche rationnelle.

Le tri massif est de plus en plus souvent effectué au m o y e n d'essais biochimiques in vitro tels que la mesure de l'affinité pour un récepteur par le déplacement de ligands tritiés ou la recherche d'un pouvoir inhibiteur d'enzyme. D'autres essais peuvent porter sur la recherche d'une activité antibiotique ou sur l'évaluation de l'effet d 'un échantillon donné sur des cultures de cellules ou sur des organes isolés. L'ensemble de ces approches présente le triple intérêt de minimiser la consommation en animaux de laboratoire, de ne nécessiter que de petites quantités de substance (quelques milligrammes suffisent souvent) et de se prêter soit à l'automatisation, soit aux essais en série. Enfin, les échantillons étudiés ne sont pas nécessairement des molécules chimiques bien définies. E n effet, on soumet de plus en plus souvent au tri massif des extraits végétaux ou des extraits de fermentation. Il s'agit alors de préparations purifiées très grossièrement par passage sur une colonne chromato-graphique. Ce n'est que lorsqu'une activité intéressante est observée que l'on procède à l'isolement et à l'identification du principe actif responsable. Parmi les succès récents de cette approche, citons la découverte de la lovastatine, qui est à la base d'une nouvelle génération d'agents hypocholestérolémiants agissant par inhibition de l'hydroxyméthyl-glutaryl-CoA reductase, ou encore celle de l'asperlicine, qui est un antagoniste compétitif et non peptidique de la cholécystokinine ( C C K ) et qui a servi de modèle dans la mise au point d'analogues synthétiques simplifiés, mais extrêmement puissants tels que les arylamides dérivés des 3-aminobenzodiazépinones.

Les approches rationnelles sont tributaires de l'avancement de la pharmacologie moléculaire et de la recherche médicale. Elles ont bénéficié de l'apparition de

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Camille-Georges ¡Vermuth

nouvelles méthodes d'investigation très sensibles, basées sur l'utilisation d'éléments radioactifs, de procédés divers de visualisation et d'imagerie, ainsi que de la connaissance de la structure des enzymes et des récepteurs grâce au génie génétique. L'élément clé qui va déterminer l'approche rationnelle sera l'identification du processus physio-pathologique impliqué dans une maladie donnée. C'est sur cette base qu'ont été découverts les inhibiteurs de l'angiotensine-convertase, qui constituent à présent les hypotenseurs les plus utilisés au m o n d e .

L'exemple des inhibiteurs de l'enzyme de conversion

L'enzyme de « conversion » catalyse deux réactions supposées jouer un rôle dans la régulation de la pression artérielle : la conversion de l'angiotensine I, décapeptide inactif, en angiotensine II, octapeptide puissamment vasoconstricteur; l'inactivation d u nonapeptide bradykinine, qui est un puissant vasodilatateur. U n inhibiteur de l'enzyme de conversion doit donc constituer un bon « candidat » pour le traitement des hypertendus.

La première substance développée dans ce sens a été le téprotide, un nonapeptide présentant une séquence identique à celle de certains peptides isolés à partir d'une vipère brésilienne. Le téprotide inhibe de manière compétitive la dégradation de l'angiotensine I par l'enzyme de conversion. L a présence de quatre résidus prolyls et d'un résidu pyroglutamyl rend ce peptide relativement résistant, mais pas suffi­samment pour qu'il puisse être administré par la voie orale.

pyro-Glu-Trp-Pro-Arg-Pro-Glu-Ile-Pro-Pro-OH Téprotide

Dans la recherche d'une molécule offrant une meilleure biodisponibilité, le raisonnement des chercheurs de la firme Squibb a alors reposé sur l'analogie de l'enzyme de conversion avec la carboxypeptidase A bovine. Les deux enzymes sont des carboxypeptidases : la carboxypeptidase A détache un seul résidu amino-acyle (C-terminal), alors que l'enzyme de conversion en détache deux. O n savait par ailleurs que le site actif de la carboxypeptidase A comporte trois éléments importants pour l'interaction avec le substrat (fig. 1) : un centre électrophile, établissant une liaison ionique avec une fonction carboxylique, un site capable d'établir une liaison hydrogène avec une liaison peptidique C-terminale, et un atome de zinc solidement fixé sur l'enzyme et servant à former une liaison de coordination avec le groupement carboxylique de l'avant-demière liaison peptidique (celle qui sera clivée).

E n admettant pour l'enzyme de conversion un fonctionnement similaire, mais simplement décalé d 'un résidu amino-acyle (clivage de la deuxième liaison peptidique au lieu de la première, au départ du carboxyle terminal), les chercheurs de la firme Squibb ont imaginé le modèle de la figure 1. D'après ce modèle, des alpha-aminoacides N-succinylés pourraient interagir avec chacun des éléments enumeres ci-dessus grâce, respectivement, à leur carboxyle d'aminoacide (liaison ionique), leur liaison amide (liaison hydrogène) et le carboxyle du résidu succinyle (coordi­nation par le zinc). Ces composés pourraient alors agir c o m m e inhibiteurs compé­titifs et spécifiques de l'enzyme de conversion.

U n e série de N-succinyl-aminoacides a alors été préparée et la N-succinyl-L-proline (1) (fig. 2) s'est effectivement montrée quelque peu active (CI60

2 = 330 ¡x'M). Les aminoacides autres que la L-proline conduisent à des dérivés succinylés moins

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Médicaments chimiques : les nouveaux défis

Figure 1

Modèles du site actif de la carboxypeptidase A et de l'angiotensine-convertase. O n observe pour la carboxypeptidase A trois points de fixation : liaison ionique, interaction hydrophobe, coordination avec le zinc. L'angiotensine-convertase met en jeu les m ê m e s interactions, en y ajoutant une liaison hydrogène et une interaction hydrophobe supplémentaire. O n observera que le passage des substrats en inhibiteurs s'effectue en remplaçant une liaison peptidique scissile par une liaison carbone-carbone résistant à la coupure.

Substrat

R H O

Inhibiteur

Substrat

Inhibiteur

Structure générale ° C H 2

Exemple

0 R,

O R,

actifs; ce résultat est en accord avec le fait que l'aminoacide terminal de plusieurs inhibiteurs peptidiques (notamment le téprotide) est également un résidu prolyl en position C-terminale. Dans le présent exemple, la N-succinyl-L-proline a constitué le composé chef de file. Il s'agissait ensuite d'optimiser son activité. Ceci a été réalisé en recherchant une meilleure interaction avec le site actif de l'enzyme. D e u x étapes ont été décisives dans cette démarche : la « pêche aux sites hydrophobes » et la recherche d 'un meilleur coordinant d u zinc (fig. 2). L a recherche de poches

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Camille-Georges [Vermuth

Figure 2

Structures comparées de quelques inhibiteurs de l'angiotensine-convertase (les numéros indiqués sont cités dans le texte).

Composé Formule Cl50 (uM)

330

ex C02H

22

1480

0,20

C02H

5

6 C\ KJ

H 0 2 C '

H3C ' H

ex H N 1 1

H CH3 H

-C0 2 H

0,023 Captopril

Enalapril

hydrophobes a été réalisée en substituant le reste succinyle par des groupements méthyles (quatre possibilités en tenant compte des regio- et des stéréo-isomères). L a structure (2), méthylée en alpha de la liaison amide, s'est révélée nettement plus active que (1) (CI50 = 2 2 ¡iM). O n observe une forte stéréosélectivité, puisque l'antipode (3) d u composé (2) voit sa C I 5 0 chuter à 1 480 ¡zM. L a meilleure coordi­nation avec le zinc a été réalisée en remplaçant le reste carboxyle par u n grou-

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Médicaments chimiques : les nouveaux défis

pement thiol. Le gain résultant de cette modification a été extrêmement important, c o m m e le montre la comparaison des composés (1) et (4) ou encore (2) et (5). Le composé (5) avec une C I 6 0 de 0,023 ¡xM est actif, par la voie orale, et a été introduit en thérapeutique sous la dénomination de Captopril.

Il est intéressant d'observer que la perte en affinité lors du remplacement du reste mercapto par un reste carboxyle peut être compensée à l'aide d'une interaction hydrophobe additionnelle. Ainsi les chercheurs de la firme Merck , Sharp & D o h m e ont développé l'énalapril (6), de puissance comparable au Captopril et dans lequel l'interaction hydrophobe supplémentaire est apportée par un reste phénétyle.

L'amélioration des performances : les relations structure-activité

U n e molécule active chef de file (lead compound) est rarement satisfaisante telle quelle; pour augmenter sa puissance, pour éliminer des effets secondaires ou encore dissocier l'activité de la toxicité, le pharmacochimiste procédera à la synthèse d 'un grand nombre d'analogues. Il sera guidé en cela par des méthodes éprouvées telles que la synthèse d'isomères ou d'isostères, la manipulation de systèmes cycliques ou encore des échanges fonctionnels. L'objet des relations structure-activité consiste ensuite à corréler des propriétés biologiques définies avec des caractéristiques physico­chimiques ou structurales des molécules.

Dans l'approche dite pattern recognition, on établira une banque de données dans laquelle figurent, pour un nombre aussi élevé que possible de composés, toutes les activités biologiques mesurées, y compris leur toxicité. Chaque molécule est ensuite caractérisée par des descripteurs rendant compte des propriétés physico­chimiques (masse moléculaire, densité, coefficient de partage, etc.), topologiques (atomes et liaisons présents, modes d'enchaînement, présence de cycles ou de sous-structures particulières), géométriques (silhouette, volume, surface) et électroniques (pKa, potentiel d'ionisation, densité électronique, m o m e n t dipolaire, etc.). U n calcul matriciel un peu complexe mais accessible à l'ordinateur permet de sélectionner des ensembles de descripteurs associés à une activité biologique ou toxique donnée et d'orienter les synthèses dans le sens voulu.

Dans l'approche dite « identification de motifs pharmacophores », on fait appel à la visualisation des molécules au m o y e n d'ordinateurs graphiques interactifs. Les stations graphiques actuellement disponibles permettent une représentation tridi­mensionnelle très réaliste des molécules. Les logiciels utilisables sont nombreux et permettent une description très complète de la molécule étudiée (géométrie, analyse conformationnelle, environnement électronique, solvatation, capacité d'interaction). Certains logiciels sont plutôt dédiés à la description de petites molécules (moins de 100 atomes), d'autres à celles des macromolécules (protéines, acides nucléiques) ou à des études cristallographiques. U n e fois mises en mémoire dans la machine (dans une conformation de basse énergie), les molécules bioactives peuvent être comparées les unes aux autres ou mises en présence d'une simulation de leur site récepteur.

Si la structure tridimensionnelle du récepteur ou de la macromolécule cible est connue — cela est à présent le cas pour de nombreuses enzymes —, la voie est ouverte à la conception directe d'une molécule active (ligand) bien adaptée. L'ajus­tement du ligand avec son récepteur est ensuite optimisé en s'arrangeant pour

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Camille-Georges ¡Vermuth

établir la meilleure complémentarité géométrique et électronique possible entre les deux partenaires. L a construction de la macromolécule est réalisée au départ de sa structure telle qu'elle est déterminée par radiocristallographie ou par spectrométrie de R M N . Parallèlement, le modélisateur construit la structure tridimensionnelle de la substance active ou présumée active. Il peut ensuite manipuler les deux molécules et ainsi observer directement le m o d e d'ajustement du ligand dans le site actif. L'expérimentateur peut modifier la géométrie de la molécule active, changer des atomes, ajouter ou enlever des éléments en suivant sur l'écran le résultat de ses modifications et en retenant celles qui réalisent les conditions les plus favorables à un ajustement idéal. Les molécules en cours d'étude peuvent être représentées avec des couleurs différentes, l'image peut être agrandie ou réduite, des coupes à différents niveaux peuvent être réalisées et l'expérimentateur peut ainsi bénéficier d'une représentation très claire de l'interaction ligand-macromolécule. Il peut également faire apparaître par un code couleur les potentiels électrostatiques présents à la surface de la molécule et les ajuster au mieux pour assurer la complémentarité électronique.

Lorsque la structure tridimensionnelle de la molécule cible est inconnue, ce qui à l'heure actuelle est le cas pour la plupart des récepteurs pharmacologiques, la conception indirecte constitue la seule approche possible. La stratégie alors employée est connue sous l'appellation « approche par les analogues actifs ». O n procède dans ce cas à la comparaison d 'un ensemble de ligands sélectifs d 'un récepteur ou d'une enzyme donnés, de manière à révéler l'information moléculaire qui leur est c o m m u n e malgré des formules chimiques apparemment très différentes. L'objectif est donc de déterminer pour l'ensemble étudié le plus grand c o m m u n dénominateur, c'est-à-dire d'identifier le motif responsable de l'activité, le motif pharmacophore.

Quelle que soit l'approche utilisée, conception directe ou indirecte, plusieurs avantages peuvent être attendus : augmentation de la puissance ou de la sélectivité à l'intérieur d'une série chimique, prédiction de substances actives possédant des caractéristiques structurales totalement nouvelles, prédiction de propriétés discri­minantes (agonistes-antagonistes, ligands de sous-classes de récepteurs), meilleure connaissance du m o d e d'interaction de ligands avec leur récepteur, explication de certaines propriétés pharmacologiques discordantes ou paradoxales, et prédiction de composés inactifs, permettant ainsi une économie dans les synthèses.

L a maîtrise de la pharmacocinétique

E n marquant des molécules actives par du carbone radioactif (14C), on peut suivre la cinétique de leur distribution dans l'organisme, les lieux où elles sont accumulées ou stockées et leurs voies d'excrétion. U n e variante mettant en jeu le U C , à période très courte, permet m ê m e d'appliquer cette méthode à l ' homme .

L a Chromatographie en phase gazeuse, couplée à la spectrométrie de masse, permet de doser des quantités infimes de molécules actives dans les différents compar­timents (cerveau, sang, urine, etc.) et de préciser la structure de leurs metabolites. Il arrive souvent que des molécules médicamenteuses soient transformées, dans le foie ou le cerveau par exemple, et que les metabolites ainsi formés soient plus actifs que les molécules mères. Parfois, les metabolites présentent un profil d'action différent et peuvent constituer le point de départ du développement d 'un médi­cament nouveau.

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Médicaments chimiques : les nouveaux défis

L a maîtrise des paramètres pharmacocinétiques et des processus métaboliques permet ainsi de créer des molécules dont la distribution dans les différents compar­timents de l'organisme peut être dirigée et qui ne créeront la véritable espèce active qu'après une réaction de biotransformation. C'est le cas des prodrogues.

Les prodrogues ou la façon de donner vaut mieux que ce que Von donne

Après administration orale d'une substance active, celle-ci ne peut atteindre l'organe cible qu'avec difficulté, voire pas du tout; on parle alors de mauvaise biodisponibilité. Les raisons d'une biodisponibilité médiocre peuvent être une mauvaise absorption de la substance au niveau du tube digestif, une distribution incorrecte de la substance dans les différents tissus ou encore une destruction précoce par le métabolisme hépatique. L e chimiste cherchera alors à synthétiser un dérivé chimique nouveau au départ d u principe actif répondant aux critères pharmaco­cinétiques souhaités et qui, une fois introduit dans l'organisme vivant, sera capable de régénérer la molécule mère dont il est issu. Cette démarche, qui fait appel au concept de prodrogue, est illustrée par l'exemple ci-dessous.

Antibiotiques actifs par voie orale

Beaucoup d'antibiotiques majeurs sont actifs par voie intraveineuse ou intramus­culaire, mais inactifs par voie orale, rarement parce qu'ils ne supportent pas les acides du suc gastrique, mais plus fréquemment parce qu'ils sont insuffisamment absorbés par l'organisme : on dit que leur biodisponibilité est médiocre. Les deux paramètres qui caractérisent la biodisponibilité sont la fraction du médicament administré qui a atteint intacte la circulation générale et le temps mis pour atteindre cette circulation.

L'ampicilline, qui est un dérivé de la pénicilline, constitue un antibiotique très utilisé car il combat une large g a m m e de bactéries. Tel quel, cet antibiotique, bien que relativement stable au p H acide de l'estomac, n'est pas très efficace par voie orale (les deux tiers du produit administré ne sont pas résorbés). Afin de rendre l'ampicilline moins polaire et plus lipophile, une série d'esters acyloxyméthylés de cet antibiotique ont été préparés, tel le dérivé pivaloyloxyméthyl ou pivampicilline (fig. 3). L a pivampicilline, c o m m e la plupart des esters, est relativement stable en solution neutre, mais elle est rapidement hydrolysée en ampicilline en présence d'estérases provenant de sérums de divers mammifères. Il est remarquable de constater l'activité hydrolytique élevée des esterases de rongeurs tels que les souris et les rats. L'addition de 1 % seulement de sérum de ces animaux à une solution aqueuse de pivampicilline à p H 7,4 et à 37 °C diminue de plus de cent fois la demi-vie de la pivampicilline; les esterases contenues dans les sérums du chien ou de l ' h o m m e sont moins actives. Cependant, le sang humain entier réduit cette demi-vie de vingt fois. Toutes les études in vitro sont instructives mais elles ne permettent pas de prévoir le comportement réel de la pivampicilline dans l'organisme entier : aussi ont-elles été complétées par une étude chez l 'homme . U n lot de patients reçoit 250 milligrammes d'ampicilline en injection intramusculaire, et le second lot une quantité équivalente de pivampicilline (385 milligrammes, soit la dose capable de libérer 250 milligrammes d'ampicilline par hydrolyse) par la voie orale. O n observe que la pivampicilline est résorbée presque totalement et que 99 % de la drogue

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Camille-Georges Wermuth

CO2H

Sources des enzymes

Pas d'addition d'enzymes Sérum de souris. I % Sérum de rat. I % Sang humain complet

Demi-vie (min.)

103 <l <l

5

Esterases non spécifiques

C 0 2 — C H 2 — 0 2 C

Pivampicilline

C H 3

- Ç — C H 3

C H 3

C 0 2 — C H 2 - O H

CH3

CH3 C—C0 2 H

I

C 0 2 H C H 2 0

Figure 3 L a pivampicilline résulte du blocage de la fonction acide par u n reste labile et lipophile. In vivo, la pivampicilline libère rapidement l'ampicilline, ainsi qu'une molécule d'acide pivalique et une molécule de formol. In vitro, il est remarquable de constater l'activité hydrolytique élevée des esterases de rongeurs tels que les souris et les rats. L'addition de 1 % seulement de sérum de ces animaux à une solution aqueuse de pivampicilline à p H 7,4 et à 37 °C diminue de plus de cent fois la demi-vie de la pivampicilline; les esterases contenues dans les sérums du chien ou de l ' h o m m e sont moins actives. Le sang humain entier réduit cependant cette demi-vie de vingt fois.

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Médicaments chimiques : les nouveaux défis

présente dans le sang 15 minutes après l'administration se trouve sous la forme d'ampicilline libre.

L a pivampicilline constitue donc un bon exemple de prodrogue, satisfaisant à quatre critères essentiels : liaison covalente entre médicament et vecteur, prodrogue peu active par elle-même, libération rapide dans l'organisme du médicament actif et de son vecteur, absence de toxicité de ce dernier.

Formulation chimique ou formulation galénique ?

Pour son emploi dans la pratique médicale, une molécule active, si puissante et si sélective soit-elle, peut souffrir de nombreux inconvénients : solubilité insuffisante, mauvaise conservation, propriétés organolytiques (odeur, goût, causticité) indési­rables, administration douloureuse par la voie injectable, etc. U n e formulation galénique adéquate peut alors tendre à corriger ces défauts. Ainsi l'administration orale d'une substance gastrosensible fera appel à un enrobage entérosoluble, une substance à durée d'action trop brève fera l'objet d'une préparation-retard, enfin si la voie orale est impraticable, des préparations parenterales seront envisagées.

L'avantage de la formulation galénique est d'utiliser la molécule active telle qu'elle est, en d'autres termes de ne pas nécessiter sa transformation chimique. L a formulation galénique ne peut cependant pas résoudre tous les problèmes et, lorsqu'elle se révèle inopérante, il faudra envisager des modifications chimiques de la molécule active; on parlera dans ce cas de formulation chimique. L'approche le plus souvent utilisée consiste à synthétiser u n dérivé chimique, le plus simple possible, au départ d u principe actif et qui répondra aux critères pharmaceutiques souhaités. L ' u n des domaines majeurs de la formulation chimique est l'obtention de médicaments solubles dans l'eau.

Formes hydrosolubles : les médicaments de l'urgence

L'obtention de médicaments de formes hydrosolubles présente un intérêt fonda­mental car l'eau est le solvant principal des organismes vivants. Déjà pour ce qui concerne la recherche pharmacologique, il est souhaitable de disposer de formes hydrosolubles de principes actifs car elles seules permettent les études in vitro (cellules en culture, systèmes enzymatiques, organes isolés). A u niveau de la clinique, la solubilité dans l'eau est indispensable pour réaliser des formes injectables, tout spécialement par voie intraveineuse. Elle est souvent précieuse aussi pour diverses applications locales : collyres, gouttes auriculaires, gouttes nasales, lotions, etc.

L a voie intraveineuse est la voie d'administration par excellence. A ce titre, il n'est pas inutile d'en rappeler les avantages, puis les inconvénients. Les avantages sont nombreux : le médicament est directement placé dans le sang circulant et cette voie convient donc aux traitements d'urgence ; c'est un m o d e d'administration précis puisqu'on contrôle exactement la quantité de médicament injectée; l'injection peut être étalée dans le temps (perfusion) et arrêtée immédiatement au besoin ; l'injection intraveineuse est la seule voie possible pour les produits non absorbés ou détruits par voie digestive; les substances dont l'injection par voie sous-cutanée ou intra­musculaire est irritante peuvent souvent être administrées sans difficulté par la voie intraveineuse (telles les solutions alcalines ou acides, les anticancéreux dérivés de la bêta-chloroéthylamine).

Passons aux inconvénients : une fois injecté, le médicament ne peut plus être retiré alors que s'il est administré par la voie orale, on peut toujours vider l'estomac

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d u patient; si l'injection est menée trop rapidement, elle peut provoquer des syncopes dues à des concentrations locales très élevées du médicament au niveau cardiaque (jusqu'à 400 fois la concentration thérapeutique finale souhaitée, car toute la charge de drogue injectée dans la veine pénètre dans le cœur en une seule fois); pour certains médicaments, il existe des risques de précipitation dans le sang, donc des risques d'embolie ; enfin des injections pratiquées sans désinfection suffisante peuvent entraîner des contaminations bactériennes d'autant plus redoutables qu'elles ont lieu directement dans le sang circulant.

L a voie classique de solubilisation est la greffe de groupements hydrophiles. Elle a permis entre autres la mise au point de traitements d'urgence par les corticoïdes.

E n effet, les adrénocorticoïdes du type de la cortisone présentent une activité anti-inflammatoire et anti-allergique élevée, mais sont très peu solubles dans l'eau. O r , dans certains états de choc et dans des crises allergiques graves (état de mal asthmatique, œ d è m e de Quincke), un traitement d'urgence s'impose. O n a réalisé des dérivés solubles dans l'eau en greffant sur le groupement O H alcoolique en position 21 de ces Steroides des restes polaires : semi-succinate, phosphate, sulfate, métasulfobenzoate. Les phosphates sont chimiquement plus stables et se conservent mieux que les semi-succinates ; ce sont aussi eux qui, injectés par la voie intra­musculaire ou intraveineuse, permettent les concentrations sanguines les plus élevées. L e phosphate en position 21 de la bétaméthazone est l'un des dérivés les plus actifs pour ces traitements d'urgence (40 fois plus actif que la cortisone).

A u cours de cette mise au point, nous avons essayé d'illustrer les multiples facettes chimiques intervenant dans la création des médicaments. Si le défi majeur est encore représenté par la découverte d'un nouveau principe actif, il n'en est pas moins vrai que le passage de ce qu'il est convenu d'appeler une molécule active à un véritable médicament comporte un grand nombre d'étapes au cours desquelles l'intervention d u chimiste est primordiale. Ainsi la prise en compte de la phase pharmacodynamique, de la phase pharmacocinétique et de la phase pharmaceutique dans leur globalité pose des défis quotidiens au chimiste de synthèse. Mais m ê m e lorsque les substances actives sont fournies par les biotechnologies, le chimiste est à nouveau appelé à intervenir autant dans ¡'elucidation des structures, souvent complexes, de ces produits que dans la conception d'analogues synthétiques plus simples, chimiquement plus stables, mais également, si possible, d'un prix de revient moins élevé. •

Notes

1. Lorsqu'une firme pharmaceutique découvre puis commercialise un nouveau médica­ment très apprécié, toutes les firmes concurrentes cherchent à lancer immédiatement un produit similaire appelé « Me too drug ».

2. CI50 : concentration inhibitrice 50, c'est-à-dire la concentration exprimée en molécules grammes par litre capable de réaliser une inhibition à 50 % de l'enzyme étudiée.

Pour approfondir le sujet

W E R M U T H , C . - G . Transformations chimiques et efficacité thérapeutique, Pour la science, n° Î4, 1978, p. 47-61.

. Les voies de la découverte des médicaments, dans Y . Landry et J. P. Gies (dir. publ.), Pharmacologie moléculaire, p. 581-601. Paris, M E D S I / M c G r a w Hill, 1990.

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C o m m e n t obtenir des fibres haute performance à partir de polymères flexibles

Miroslav Raab

Depuis une vingtaine d'années, les physiciens élaborent des techniques permettant de modifier à volonté la structure macromoléculaire des polymères semi-cristallins, provo­quant ainsi une évolution spectaculaire de leurs caractéristiques mécaniques. Les fibres de polyethylene, à la fois légères et à haute performance, sont supérieures aux matériaux classiques comme racier, notamment en ce qui concerne le rapport entre résistance et densité.

Les fibres haute performance obtenues à partir de polymères à squelette souple constituent une nouvelle classe de matériaux. Découvertes à l'occasion de travaux de recherche fondamentale en physique des polymères, elles retiennent aujourd'hui l'attention des grandes entreprises industrielles et pourraient bien avoir un impact significatif sur notre vie quotidienne. Les efforts entrepris pour convertir des plas­tiques courants à bon marché en produits spéciaux de grande valeur ont donné des résultats particulièrement intéressants dans le cas du polyethylene linéaire. Il existe aujourd'hui des fibres de polyethylene extrêmement résistantes et légères à la fois, dont les applications vont des cordages marins aux matériaux composites en passant par les gilets pare-balles. Le présent article passe brièvement en revue les différents procédés permettant de transformer, par une simple modification de la disposition de leurs molécules, des matériaux de qualité ordinaire en produits extrêmement résistants.

Morphologie des polymères semi-cristallins

Les polyéthylènes, les polyamides et autres polymères semi-cristallins forment, lors­qu'ils sont cristallisés à partir d'une solution, des lamelles cristallines composées de chaînes repliées plus ou moins régulièrement et alignées perpendiculairement au plan de leur plus grande surface. (La régularité des cristaux dépend de la structure molé-

Miroslav R a a b est chercheur principal à l'Institut de chimie macromoléculaire ( IMC) de l'Académie tchécoslovaque des sciences, à Prague (Tchécoslovaquie). Diplômé de l'Université de Brno, il a obtenu son doctorat en 1968 à l'Université Charles de Prague. Il s'intéresse entre autres aux relations entre la structure et le comportement mécanique des polymères, mais il fait aussi œuvre de vulga­risateur en sciences des matériaux dans la presse, ainsi qu'à la radio et à la télévision. Son adresse : Institut de chimie macromoléculaire, Place Heyrovsky 2, 16206 Prague 6, Tchécoslovaquie.

53 Impact : science et société, n° 157, 53-61

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Miroslav Raab

cxilaire et des conditions de cristallisation). Les polymères obtenus par solidification à partir de l'état fondu comportent essentiellement les m ê m e s lamelles, mais encastrées dans une matrice amorphe. Il existe cependant, pour de nombreux polymères semi-cristallins, d'étroites « fenêtres » thermiques où la formation de cristallites à chaîne étirée est également possible. Ajoutons que la présence d'une pression extérieure et d 'un champ d'écoulement favorise généralement la formation de cristaux à chaîne longue. O n peut en particulier produire de cette façon des « chiche-kebabs » en agitant une solution polymère légèrement sous-refroidie. Ces formations cristallines consistent en un axe fibrillaire à chaîne longue (« chiche ») auquel sont attachées perpendiculairement des lamelles à chaîne repliée (« kebab »).

Les polymères semi-cristallins à morphologie lamellaire, macroscopiquement iso­tropes, sont des matériaux relativement m o u s et fragiles, mais la liaison C - C du squelette de la macromolécule reste très résistante (autant que celle du diamant). Il est donc possible d'accroître nettement leur résistance et leur rigidité macroscopiques par orientation des chaînes moléculaires, en particulier dans le cas du polyethylene linéaire.

Orientation et érirement des chaînes

A l'origine, le verbe « orienter » signifiait se trouver face à l'est (oriens en latin) ou indiquer cette direction, et en particulier placer le maître-autel des églises à leur extrémité orientale. Mais, depuis la deuxième moitié du siècle dernier, « orientation » en est venu à désigner également un agencement ou un alignement d'atomes et de molécules dans certaines directions privilégiées. L e test classique d'orientation, qui a été mis au point pour les cristaux inorganiques, s'appuie sur la biréfringence (c'est-à-dire la différence d'indice de réfraction) de la lumière visible. Ultérieurement, la m ê m e méthode a été adoptée pour mesurer l'orientation des fibres naturelles et synthétiques. Le facteur d'orientation de H e r m a n a pour expression :

fH = A n / A n 0

où A n est la différence des indices de réfraction, parallèlement et perpendiculairement à l'axe d'une fibre, et A n 0 la différence correspondante parallèlement et perpendiculai­rement à l'axe de la chaîne moléculaire. Manifestement fH = 0 pour un matériau isotrope; fH = 1 et fH = — 0 , 5 pour un polymère parfaitement orienté selon la direction d'orientation et perpendiculairement à celle-ci respectivement.

Peu après la fabrication, en 1935, de la première fibre complètement synthétique par Carothers (le nylon), on s'est aperçu qu'il était possible d'accroître considé­rablement la rigidité et la résistance des fibres artificielles grâce à l'étirage à froid. A l'origine, le phénomène était attribué à l'orientation moléculaire. Mais, plus récemment, l'attention s'est portée sur l'allongement de la chaîne polymère qui est également obtenu par déformation et qui, pour certaines propriétés mécaniques, joue un rôle encore plus important. Les deux molécules que l'on voit à la figure 1 ont le m ê m e facteur d'orientation, mais leur conformation diffère sensiblement. L'étirement de la chaîne, en particulier, influe de manière déterminante sur la résis­tance macroscopique à la traction.

L a diffusion des neutrons aux petits angles est un précieux outil de mesure de la longueur de la chaîne macromoléculaire. Cette méthode est fondée sur le fait que la diffusion des neutrons se modifie sensiblement lorsque les atomes d'hydrogène

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Comment obtenir des fibres haute performance à partir de polymères flexibles

Figure 1

Deux molécules ayant le m ê m e facteur d'orientation mais une longueur différente (Gao, Mackley et Nicholson, 1990).

des chaînes polymères sont remplacés par du deuterium. Malheureusement, cette technique reste sans résultat avec le polyethylene, dans la mesure où les polyéthylènes deutérés et ordinaires (hydrogénés) sont incompatibles et où, par conséquent, le polymère deutéré tend à former des domaines ségrégés. Toutefois, la déformation moléculaire peut également être évaluée à partir de la contraction d 'un échantillon étiré soumis à un chauffage rapide.

L'énigme de l'étirage à froid

Dans les polymères semi-cristallins, la déformation plastique peut être pratiquée de manière soit homogène sur toute la longueur de l'échantillon, soit localisée au m o y e n d 'un goulot « télescopique ». Le matériau qui est passé par le goulot supporte la m ê m e charge que la portion non orientée de l'échantillon en dépit du rétrécissement considérable de sa section transversale. Cela est possible parce que le polymère étiré présente à la fois un haut module1 et une forte résistance à la traction. L'étude au microscope et la diffraction des rayons X montrent que le polymère semi-cristallin subit de nettes modifications de structure lors de l'étirage. D e lamellaire qu'elle est à l'origine, cette dernière devient fibrillaire, les molécules s'orientant de préférence suivant l'axe d'étirement. Le mécanisme de cette transfor­mation continue toutefois de prêter à controverse.

Le modèle classique suppose que la transformation des lamelles en microfibrilles ne nécessite qu'un mouvement de bascule et de glissement localisé de la chaîne et n'est pas notablement affectée par ce qui se passe plus loin. Plus récemment, une hypothèse nouvelle a été proposée, selon laquelle le passage d'une morphologie lamellaire à une morphologie fibrillaire dépend uniquement d'une transition de phase. L'énergie mécanique emmagasinée est censée provoquer une « fusion » localisée du polymère semi-cristallin à la température d'étirage. Dans un deuxième temps, la contrainte provoque un allongement rapide et, de ce fait, une recristallisation de la matière « fondue » amorphe. Le polymère étiré à froid est, pense-t-on, formé de <( chiche-kebabs » analogues à ceux qui sont obtenus par cristallisation à partir d'une solution polymère dans un champ d'écoulement. L a résistance et la rigidité élevées du polymère orienté sont alors attribuées aux liaisons covalentes du squelette de la chaîne étirée. L a proportion de ces molécules porteuses de charge peut néanmoins varier considérablement suivant les conditions d'étirage.

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Miroslav Raab

Deux méthodes d'obtention d'un polyethylene extrêmement résistant et rigide

L a production de structures résistantes à chaîne allongée à partir de polymères flexibles a donné des résultats particulièrement remarquables dans le cas du poly­ethylene. La chaîne de polyethylene ne comporte pas de groupes latéraux et présente la section transversale la plus petite qui soit. U n arrangement très dense de chaînes parallèles de polyethylene présente donc une forte densité d'éléments porteurs de charge et doit pouvoir constituer un matériau très résistant. D'après les estimations, la résistance théorique du polyethylene orienté suivant l'axe de la chaîne est de l'ordre de 16 à 36 G P a et son module d'élasticité peut atteindre au m a x i m u m des valeurs allant de 180 à 340 G P a . (Les chiffres mesurés expérimentalement sur le polyethylene haute densité courant ne sont que de 0,03 G P a pour la résistance à la traction et de 2 G P a pour le module d'élasticité.) E n fait, les systèmes orientés contiennent inévitablement un certain nombre de défauts et d'irrégularités molécu­laires (entortillements, fins de chaînes ou torsions moléculaires, etc.), de sorte que les valeurs théoriques sont impossibles à atteindre en pratique. Cela étant, on a obtenu, avec le progrès des techniques visant à orienter et étirer plus complètement les macromolécules, des fibres ayant des propriétés mécaniques étonnantes.

D e u x grands procédés sont utilisés pour obtenir du polyethylene à haut module (tableau 1). Le m o y e n le plus simple consiste à déformer du polyethylene pur (habituellement de poids moléculaire m o y e n ) à l'état solide ou fondu. Il s'agit essen­tiellement, en l'occurrence, d'obtenir u n très haut degré de déformation plastique ou d'élongation par écoulement. O n y parvient à l'aide de méthodes spéciales d'étirage à une température supérieure au point de transition secondaire de la phase cristalline (environ 90 °C), mais encore bien inférieure au point de fusion du poly­mère. A l'intérieur de cette fourchette de température, il existe d'une manière générale une relation entre le module et le taux d'étirage.

Tableau 1 Principaux procédés d'obtention de polyethylene

haute performance et propriétés des produits

Masse Module Procédés molaire de Young

Résistance Allon-à la gement Rapport

„r. „ , ,» ,,-,„ , traction de rupture d'étirage (10-6 g/mol) (GPa) ( G p a ) ( % )

Étirage à l'état solide ou fondu

Étirage en phase solide 0,1 90 0,4 — 30 Extrusion en phase solide 0,05 6 0,5 — 35 Co-extrusion 2,0 220 2,0 1 250 Rolltrusion 0,06 40 0,7 5 25 Étirage à l'état fondu 0,95 60-80 1,5 — 60-80

0,1 0,05 2,0 0,06 0,95

> 1,0 > 1,0 > 1,0

90 6

220 40

60-80

120 120 200

0,4 0,5 2,0 0,7 1,5

4,7 3,8 6,2

Orientation en solution Cristallisation en champ

d'écoulement > 1,0 120 4,7 5 5 Filage en suspension > 1,0 120 3,8 5 100 Filage à chaud > 1,0 200 6,2 — 300

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Comment obtenir des fibres haute performance à partir de polymères flexibles

L a répartition du poids moléculaire et la morphologie initiale jouent aussi un rôle important. C e procédé permet d'obtenir des produits caractérisés par un haut module mais aussi par une résistance relativement faible et un fluage important. (La société Celanese a annoncé la production de ce type de fibre.) Des résultats analogues peuvent également être obtenus par extrusion en phase solide, extrudo-frittage classique, extrusion hydrostatique, extrusion et étirage combinés et par le procédé dit de co-extrusion en phase solide. Dans ce dernier cas, on utilise une billette fendue dont les deux parties extérieures forment une gaine et la plaque intérieure est extradée. O n a obtenu avec ce procédé une des valeurs les plus élevées de la résistance par déformation en phase solide d'un échantillon de polyethylene de poids moléculaire ( M w ) égal à 2,0 x 10~6 g/mol. Il existe une autre technique en phase solide, le laminage à froid (rolltrusion), qui consiste à comprimer fortement le matériau entre deux cylindres thermostatiques tout en l'étirant. O n a récemment montré que l'orientation du polyethylene linéaire à une température voisine de son point de fusion, alors qu'il est déjà ramolli, peut également produire des matériaux à haut module et forte résistance.

La deuxième méthode possible fait appel à du polyethylene linéaire de poids moléculaire très élevé ( P E - U H M W ) associé à un solvant approprié; elle implique donc le filage à chaud. E n 1976, Zwijnenburg et Pennings ont mis au point une technique de croissance longitudinale continue des cristaux fibrillaires de poly­ethylene linéaire soumis à un écoulement de Couette. L'appareil de Couette est essentiellement un viscosimètre rotatif formé de deux cylindres concentriques, le cylindre intérieur tournant à une vitesse déterminée dans une solution polymère. O n introduit dans l'espace compris entre les deux cylindres un germe cristallin, qui commence à croître lorsque son extrémité entre en contact avec la surface en m o u v e ­ment. U n rouleau d'appel est alors mis en marche et une fibre continue se forme lentement. Ce procédé a permis d'obtenir, avec une solution à 0,5 % de polyethylene Hostalen G U R ( M w = 1,5 x 106) et une température légèrement supérieure au point de cristallisation (135 °C), une fibre de polyethylene à chaîne longue qui, une fois étirée, peut atteindre un module d'élasticité de 120 G P a et une résistance à la traction de 5 G P a .

L a technique du filage à chaud mise au point par Smith et Lemstra donne des fibres de résistance comparable, mais avec un rythme de production nettement plus rapide (fig. 2). Le procédé consiste à dissoudre du polyethylene de poids moléculaire extrêmement élevé dans de la décaline portée à haute température. La solution visqueuse est ensuite filée, puis envoyée dans un bain d'eau, après quoi les « fibres de gel » ainsi obtenues sont étirées à température plus élevée. Le solvant est simul­tanément évacué, pour être éventuellement recyclé. L a technique dite de suspension, qui utilise de l'huile de paraffine c o m m e solvant, est un procédé analogue. Ces techniques sont commercialisées aux États-Unis d'Amérique par la Allied Corpo­ration (sous le n o m de fibres Spectra), aux Pays-Bas par D S M (Dyneema) et au Japon par Mitsui (Tekmilon). O n est donc parvenu, grâce à des modifications physiques sophistiquées, à transformer des polymères bon marché à volume de production élevé en matériaux haute performance de grande valeur (fig. 3).

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Miroslav Raab

Figure 2

Représentation schématique du procédé de filage à chaud (Lemstra et Kirschbaum, 1985).

7i

)

_ !

Solution

Extrusion

)

- ) - - - n ( Bain d'eau

Étirage

1 yi

V2> V,

~l J0

Performance et prix

Produits spéciaux

Figure 3

Représentation de la relation existant entre volume de production, performance et prix des matériaux polymériques (Lemstra et Kirschbaum, 1985).

Polymères à volume de production élevé

Volume de production

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Page 60: un état particulier de la matière

Comment obtenir des fibres haute performance à partir de polymères flexibles

Nylons haute performance et quelques autres polymères

L'étirage classique du polyamide 6 et du polyamide 66 donne un rapport d'orientation m a x i m u m d'environ 5, soit bien moins que pour le polyethylene. Les fibres de nylon ordinaires ont un module type de 4-5 G P a et une résistance à la traction d'environ 0,5 G P a . E n revanche, le module théorique des polyamides va de 180 à 300 G P a et leur résistance théorique devrait s'élever à 1/10 environ du module d'élasticité à la traction. Les liaisons hydrogène dans les régions aussi bien cristallines qu'amorphes freinent le glissement des chaînes, empêchant ainsi un étirage et une orientation plus poussés. Le perfectionnement des techniques d'ultra-étirage du polyamide 6 et d'autres polyamides aliphatiques ouvrirait, en revanche, des pers­pectives stimulantes. Étant donné le point de fusion élevé (225 °C) et le haut module de ce polymère, il devrait déboucher sur la mise au point d'un matériau extrêmement prometteur.

O n est d'ores et déjà parvenu à une réussite partielle en utilisant plusieurs procédés fondés sur l'affaiblissement des liaisons hydrogène, qui permet d'obtenir des rapports d'étirage plus élevés. L 'une de ces méthodes est la plastification du polyamide 6 en présence d 'ammoniaque, qui est ensuite évacuée après co-extrusion en phase solide. Cette plastification ne se produit qu'en phase amorphe, mais elle porte le module à 13 G P a . U n e autre méthode consiste à utiliser c o m m e plastifiant l'iode, qui pénètre à la fois les phases amorphes et cristallines. U n film de polyamide 6 immergé dans une solution d'iodure de potassium change complètement de structure et son comportement à l'étirage se modifie spectaculairement. Après l'étirage, l'iode absorbé peut aussi être évacué par rinçage avec une solution d'hyposulfite de sodium.

Le filage à sec du polyamide 6 à partir d'un cosolvant composé d 'un mélange acide formique-chloroforme, suivi d 'un étirage à chaud, a donné des fibres de module atteignant 12 G P a et une résistance à la traction allant jusqu'à 1,1 G P a . U n autre procédé de production de polyamide à haut module et forte résistance fait appel au filage par voie fondue suivi d'un étirage de mélanges de polyamide 6 et de petites quantités de sels de lithium. O n a ainsi obtenu un module de 13 G P a . Enfin, les méthodes d'étirage et de recuit par zone sont prometteuses du point de vue technologique. Les deux procédés reposent sur l'emploi d'une étroite bande chauffante qui se déplace le long d'une fibre soumise à une traction. Les températures appliquées sont de 80 °C pour la zone d'étirage et de 180 °C environ pour la zone de recuit. Pour obtenir les meilleurs résultats, il faut que l'étirage par zone soit suivi d'un recuit en plusieurs phases.

Des techniques de production de fibres orientées haute performance ont également été étudiées avec d'autres polymères flexibles. C'est ainsi que l'on a obtenu une fibre de polyoxyméthylène ultra-orientée ayant un module de Y o u n g de 60 G P a , grâce à un étirage sous échauffement par pertes diélectriques. Des fibres de poly­propylene de poids moléculaire extrêmement élevé fabriquées par filage à chaud avec un taux d'étirage de 100 ont atteint un module de 40 G P a et une résistance à la traction de 1,6 G P a .

Modèles de structure

Plusieurs modèles de structure ont été proposés en ce qui concerne les polymères semi-cristallins fortement orientés ayant des propriétés mécaniques améliorées. Ils

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Miroslav Raab

different par toutes sortes de détails, mais ont certains traits en c o m m u n . Par exemple, ils supposent tous l'existence de chaînes polymères totalement dépliées et étirées interconnectées d'une manière ou d'une autre de façon à former une phase cristalline continue au niveau moléculaire. Différents termes — « cristaux continus », « ponts cristallins » ou « molécules de liaison » — sont employés pour désigner ces divers modèles. Les grandes qualités mécaniques de tous les modèles sont attribuées à cette phase connectée qui permet une transmission efficace de la force axiale.

Par exemple, le modèle du cristal continu mis au point par Porter (et aussi, longtemps avant lui, par Staudinger) prend la forme d 'un arrangement parallèle de chaînes dépliées où les défauts (fins de chaînes) sont répartis de manière aléatoire. Le modèle de Fischer, au contraire, implique la concentration des défauts en certains points, ce qui provoque des fluctuations de densité.

Il est difficile de faire des distinctions entre les différents modèles sur une base expérimentale, mais une comparaison des données mécaniques empiriques et des valeurs théoriques calculées semble étayer le concept de cristal continu. Le phénomène de surfusion constaté ainsi que les observations morphologiques attestent également l'existence d'une grande continuité cristalline.

Applications

Seul le polyethylene haute performance a jusqu'ici été employé à l'échelle commer ­ciale. Son trait le plus remarquable est sa densité extraordinairement basse, puis­qu'elle représente environ les deux tiers de celle du Kevlar et la moitié de celle des fibres de carbone. Par conséquent, le polyethylene haute performance a une résistance spécifique nettement plus élevée que celle de n'importe quelle autre fibre de renfort actuellement utilisée dans les matériaux composites (fig. 4). Il a été employé avec succès dans la fabrication de voiles de navire, de filets de pêche et de cordages marins. C'est sa combinaison unique de propriétés physiques qui a permis à ce nouveau matériau de s'imposer relativement vite dans ces domaines. Parmi ses propriétés les plus intéressantes, signalons sa légèreté, son faible coefficient de friction, son faible gonflement dans l'eau et sa grande stabilité au contact des agents atmo-

Figure 4

Courbes contrainte-déformation de fibres rigides et résistantes pour utilisation dans des composites. La contrainte est en rapport avec la densité linéaire (1 tex = 10-« kg/m) (Lemstra et Kirschbaum, 1985). Allongement de rupture (%)

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Comment obtenir des fibres haute performance à partir de polymères flexibles

sphériques. L'expérience a montré qu'en raison de leur ductilité inhérente, les cordages de polyethylene ont une meilleure résistance à la fatigue dynamique et aux chocs mécaniques que le Kevlar.

Le m a n q u e d'adhésion de ce matériau aux matrices courantes, sa faible résistance à la compression et sa faible température de fusion pourraient en limiter l'emploi dans le domaine des composites. Les fibres de polyethylene sont également plus extensibles que les autres fibres de renfort. Cette propriété pourrait toutefois se révéler un atout dans les applications nécessitant une grande ténacité et une forte absorption d'énergie. Ajoutons que les fibres de polyethylene et de carbone peuvent être associées pour donner d'intéressants composites hybrides.

Les fibres de polyethylene parfaitement orientées peuvent être rapidement sur­chauffées, jusqu'à 20 °C au moins au-dessus de la température de fusion habituelle du polyethylene, ce qui permet de les utiliser c o m m e fibres de renfort, non seulement dans des matrices de polyester et d'époxyde, mais aussi dans des thermoplastiques, y compris dans le polyethylene lui-même. Les composites polyéthylène-polyéthylène (polymère à deux phases) ainsi obtenus, renforcés de fibres résistantes et ductiles, s'opposent à la propagation des fissures d'une manière comparable à celle de certains tissus vivants du m o n d e naturel, par exemple de la feuille du grand plantain (Plantago major). Ils peuvent en outre être aisément recyclés. •

Remerciements

Je tiens à exprimer m a gratitude à M . Milo§ Hoff, de l ' I M C de Prague, pour ses utiles remarques sur le présent article.

Note

1. Module (de Young) : rapport de la contrainte à la déformation.

Bibliographie

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Page 63: un état particulier de la matière

Les C F C et leurs produits de substitution

Michael Freemantle

Les chlorofluorocarbures (CFC) sont utilisés comme réfrigérants, comme propulseurs d'aérosols, comme agents gonflants et comme solvants pour le nettoyage. Mais ils présentent Vinconvénient de provoquer une diminution de l'ozone stratosphérique et de contribuer à l'effet de serre. Aussi l'industrie chimique développe-t-elle actuellement toute une gamme de produits destinés à remplacer les CFC.

E n avril 1930, la revue professionnelle américaine Ice and Refrigeration signalait la découverte d 'un nouveau réfrigérant dont on prédisait que l'emploi allait considé­rablement améliorer l'environnement mondial. C e produit, dont le n o m n'était pas indiqué, possédait, d'après cette revue, l'avantage d'être « non toxique et non inflammable » et présentait « des caractéristiques qui rendaient son utilisation extrêmement intéressante en réfrigération ».

C e nouveau produit, sans risque pour l'environnement, était perçu c o m m e un « réfrigérant miraculeux » en raison de ses propriétés enviables. T h o m a s Midgley et Albert Henne, deux chimistes de la division Frigidair de la General Motors, aux États-Unis d'Amérique, avaient mis au point le nouveau réfrigérant pour en rem­placer d'autres, toxiques et inflammables : anhydride sulfureux, chlorure de méthyle, chlorure d'éthyle ou propane.

Le nouveau réfrigérant était le dichlorodifluorométhane, baptisé F R E O N - 1 2 . L a General Motors et la D u Pont s'associèrent en 1931 pour le fabriquer selon un procédé de production simple qui comportait une seule étape et faisait intervenir la réaction entre le tétrachlorométhane et le fluorure d'hydrogène avec pour cata­lyseur du pentachlorure d'antimoine :

CC1 4 = H 2 F 2 ^ C C 1 2 F 2 + 2 H C 1

Michael Freemantle est responsable de l'information à l'Union internationale de chimie pure et appliquée ( I U P A C ) , dont le siège est à Oxford. Chargé du programme destiné aux membres de l ' I U P A C qui y adhèrent à titre individuel, il est également rédacteur en chef de Chemistry Inter­national, le bulletin de liaison de l ' I U P A C . Michael Freemantle a été maître-assistant de chimie physique à l'Institut universitaire de technologie de South Bank, à Londres, et professeur associé de chimie physique à l'Université de Jordanie, à A m m a n . Il a travaillé c o m m e consultant de rédaction en matière d'enseignement scientifique pour l'Unesco et est l'auteur de huit livres sur la chimie et la science, dont l'un, Chemistry in Action, a été publié en 1987 par les soins de Macmillan Education. O n peut lui écrire à l'adresse suivante : I U P A C Secretariat, Bank Court Chambers, 2-3 Pound W a y , Templars Square, Cowley, Oxford O X 4 3 Y F , Royaume-Uni .

63 Impact : science et société, n° 157, 63-75

Page 64: un état particulier de la matière

Michael Freemantle

L'invention de ce nouveau composé fut saluée c o m m e un grand événement. Sans danger, puisque non toxique et non inflammable, il était de surcroît stable, non volatil et non corrosif. Il remplaça donc l'anhydrique carbonique (gaz carbo­nique) et l'ammoniac dans bon nombre d'applications.

L a famille des C F C

Dans les années 40, la D u Pont mit au point toute une g a m m e de fluorocarbures pour répondre aux demandes nouvelles qui émanaient aussi bien de l'industrie que de la société. Ces C F C , puisque c'est sous ce n o m qu'on prit l'habitude de les désigner, étaient peu coûteux, efficaces et d'un emploi c o m m o d e . Ils favorisèrent le développement du marché de la réfrigération et de la climatisation.

A u cours de la décennie suivante, on commença à utiliser les C F C c o m m e agents gonflants pour l'obtention des mousses plastiques servant par exemple à fabriquer les emballages alimentaires destinés à la restauration rapide et c o m m e solvants, notamment dans l'industrie du nettoyage à sec. C'est également au cours des années 50 que les C F C commencèrent à s'utiliser c o m m e propulseurs d'aérosols. C e type d'application libérait les C F C dans l'atmosphère — à la différence de ce qui se passait lorsqu'ils étaient utilisés c o m m e réfrigérants, où ils fonctionnaient à l'inté­rieur d'un système clos.

O n trouva également toute une g a m m e d'autres applications des C F C , par exemple pour la stérilisation des instruments chirurgicaux, en pharmacie pour le conditionnement des produits utilisés en inhalation orale et c o m m e dégraissants pour le nettoyage des composants électroniques.

A u début des années 70, on produisait chaque année environ 1 million de tonnes de C F C , dont environ 300 000 tonnes de C F C - 1 1 et autant de C F C - 1 2 . E n 1988, la production mondiale de C F C était légèrement supérieure à 1,1 million de tonnes par an.

Le profil des utilisations varie considérablement à travers le monde. Par exemple, au Royaume-Uni, les C F C sont principalement utilisés c o m m e agents de propulsion d'aérosols (62 % du marché). Il se vend chaque année 600 millions de bombes d'aérosol, dont les deux tiers contiennent des C F C . Les agents de propulsion gon­flants représentent 18 % du marché, les solvants 12 % et les réfrigérants 8 %. Aux États-Unis d'Amérique, en revanche, la réfrigération et la climatisation représentent 35 % du marché, les agents gonflants également 35 %, suivis par les solvants (18 %) et les produits stérilisants (6,5 % ) . L'utilisation non indispensable des C F C c o m m e propulseurs d'aérosols est interdite aux États-Unis d'Amérique depuis 1978 : les C F C ont ainsi perdu 95 % du marché offert par les aérosols dans le pays.

Le tableau 1 indique les cinq principaux C F C en vente dans le commerce ainsi que leurs principales utilisations. La considération la plus importante, lors du choix d'un C F C pour une application déterminée, est son point d'ébullition. Le point d'ébullition des C F C énumérés dans le tableau 1 varie de 48 °C (cas du CFC-113) à - 39 °C (cas du CFC-115) .

Les C F C - 1 1 et 12 sont des composés à base de méthane; les autres sont à base d'éthane. Le tableau mentionne aussi trois composés de formule voisine connus sous le n o m de halons. Ces composés halogènes à base de méthane ou d'éthane contiennent du brome et sont principalement utilisés dans les extincteurs d'incendie.

Le système de numérotation utilisé pour désigner les C F C a été mis au point

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Les CFC et leurs produits de substitution

Tableau 1

Composé

CFC à base de méthane CFC-11

CFC-12

CFC à base d'éthane CFC-113 CFC-114 CFC-115

Halons Halon-1211 Halon-1301

Halon-2402

Les CFC, les halons et leurs principales utilisations

Formule

CC1 S F

C C 1 2 F 2

C C 1 2 F C C 1 F 2

C C 1 F 2 C C 1 F 2

C C 1 F 2 C F 3

CF 2BrCl C F 3 B r

C a F 4 Br2

Applications

Aérosols, réfrigération, climatisation, nettoyage, mousses

Aérosols, mousses, réfrigération, climatisation, stérilisation

Réfrigération, nettoyage, mousses Aérosols, réfrigération, mousses Réfrigération, climatisation, mousses

Extincteurs portatifs Systèmes automatiques d'extinction

par noyage total Extincteurs d'incendie

par des scientifiques de la société D u Pont dès le début de la mise au point et de la production des C F C . Le premier chiffre à partir de la droite indique le nombre d'atomes de fluor de la molécule. Le deuxième chiffre à partir de la droite correspond au nombre d'atomes d'hydrogène augmenté d'une unité. Le troisième chiffre à partir de la droite est le nombre d'atomes de carbone diminué d'une unité (le zéro n'est pas noté). Par exemple, le C F C - 1 1 5 possède cinq atomes de fluor (premier chiffre à droite), zéro atome d'hydrogène (deuxième chiffre à partir de la droite : 0 + 1 = 1) et deux atomes de carbone (troisième chiffre à partir de la droite : 2 — 1 = 1). Les lettres a et b, utilisées pour certains produits de substitution des C F C (voir plus loin), désignent les isomères d'un composé.

Diminution de l'ozone stratosphérique

C'est en 1881 que l'on a décelé la présence d'ozone dans la stratosphère. La formation de l'ozone stratosphérique résulte de l'interaction entre l'oxygène troposphérique et la lumière solaire. E n 1930, Sidney C h a p m a n a expliqué le mécanisme de la formation photochimique de l'ozone par la série de réactions suivantes :

0 2 + hv -> 20-, pour les longueurs d'onde inférieures à 230 n m

o- + o2 -> o3 ozone

0 3 + hv -*• 0 2 + O - , pour les longueurs d'onde comprises entre 200 et 290 n m

Ces réactions sont particulièrement prononcées au-dessus de l'équateur et des tropiques en raison du fort rayonnement solaire caractéristique de ces régions. Les courants stratosphériques transportent vers les régions polaires l'ozone qui environne la planète.

Dès le début des années 70, oh a commencé à s'interroger sur la diminution de l'ozone stratosphérique. En 1971, on a formulé l'hypothèse que les oxydes d'azote émis en tant que produits de combustion dans les gaz d'échappement des avions

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Michael Freemantle

supersoniques volant dans la stratosphère pourraient avoir une incidence sur la concentration d'ozone.

E n 1974, deux scientifiques américains, Rowland et Molina, ont attribué la destruction de l'ozone stratosphérique aux C F C , leur thèse étant que les radicaux chlore catalysaient la décomposition de l'ozone dans la stratosphère, où les C F C pourraient bien être la principale source anthropogénique de chlore. Selon leurs calculs, si la production des C F C se poursuivait au m ê m e rythme, un demi-million de tonnes de chlore s'accumulerait chaque année dans la stratosphère et multi­plierait ainsi par deux le rythme naturel de décomposition de l'ozone, entraînant une déperdition d'ozone comprise entre 7 et 13 %.

E n 1985, J. C . Farman, de la Mission antarctique britannique, a signalé une diminution saisonnière de l'ozone au-dessus de la baie Halley. Des mesures effectuées en 1987 ont établi qu'entre 14 et 23 k m d'altitude, 95 % de l'ozone avaient été détruits en l'espace de moins de deux mois. L'épaisseur de la colonne totale d'ozone n'était plus que de 40 % de ce qu'elle était avant 1979. Ces découvertes ont été confirmées par l'Ozone Trends Panel (OTP) (Comité d'experts des tendances de l'ozone), créé en octobre 1986 par l 'US National Aeronautics and Space Administration ( N A S A ) et d'autres institutions. Le Comité, constitué d'un groupe international de physiciens de l'atmosphère, a réexaminé les données recueillies par les satellites et par les stations au sol.

E n 1987, l 'OTP a signalé qu'entre 1978 et 1985, aux latitudes basses et moyennes, la teneur de l'atmosphère en ozone avait diminué de 2,5 %. Sous les hautes latitudes septentrionales, entre 50° et 60° de latitude Nord, la concentration d'ozone avait baissé de 6 % par rapport au niveau de 1970. L ' O T P a imputé une partie de ce phénomène d'appauvrissement en ozone aux C F C . Il y avait une étroite corres­pondance entre la baisse de la concentration totale moyenne d'ozone observée au-dessus de la baie Halley d'octobre 1957 à octobre 1985 et l'accumulation de C F C dans l'hémisphère austral.

Des radicaux chlore (Cl-) sont produits par photodissociation des C F C dans la couche basse de la stratosphère. Les réactions concernant respectivement le C F C - 1 1 et le C F C - 1 2 sont typiquement les suivantes :

CC1 3 F + hv - > CC1 2F- + Cl-

CC1 2 F 2 + hv -* CC1F 2 - + Ci-

Ces radicaux sont alors disponibles pour catalyser la destruction de l'ozone à toutes

les altitudes de la stratosphère au cours d'une série complexe de processus, notam­

ment le suivant, qui fait intervenir du monoxyde de chlore (C10-) :

Cl- + 0 3 -> CIO- + 0 2

CIO- + O- -* Cl- + 0 2

Les scientifiques estiment qu'un seul radical chlore est capable d'entrer en réaction avec 100 molécules d'ozone. Qui plus est, ils prédisent qu'en raison de la stabilité des C F C , leur survie dans la stratosphère peut atteindre 100 ans.

Les halons sont encore plus destructeurs. Ils libèrent des radicaux brome (Br-), qui donnent du monoxyde de brome (BrO-), par des réactions analogues à celles qui sont décrites plus haut. L a concentration de halon 1301 dans la stratosphère augmente au rythme de 5 % par an.

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Les CFC et leurs produits de substitution

L a teneur totale de la stratosphère en chlore est aujourd'hui de l'ordre de 3 parties par milliard (c'est-à-dire 3 parties pour 10" parties d'air). Cette teneur était de 0,6 partie par milliard il y a un siècle et de 2 parties par milliard à la fin des années 70. Le chlore est surtout présent sous forme de C F C et de leurs dérivés photochimiques tels que C10- . Le brome, sous forme de halons et de monoxyde de brome, est égale­ment présent à une concentration d'environ 0,02 partie par milliard.

Depuis quelque temps, on craint que des anesthésiques halogènes c o m m e l'halothane (CF 3 CClBrH) , l'enflurane ( C F 2 H O C F 2 C F C l H ) et l'isoflurane ( C F 2 H O C H C l C F 3 ) ne concourent eux aussi à la diminution de l'ozone stratosphérique. Cependant, d'après les recherches faites par A . C . B r o w n , il paraît peu probable que les anesthésiques contribuent de façon significative à ce phénomène. E n effet, ces composés contiennent de l'hydrogène et entrent de ce fait en réaction avec des radicaux oxhydryles ( O H . ) dans la troposphère. E n conséquence, leur durée de vie dans l'atmosphère serait comprise, estime Brown, entre deux et six ans.

L'appauvrissement de la couche d'ozone de la terre imputable aux C F C et à d'autres composés halogènes se traduit par une augmentation du rayonnement ultraviolet à la surface de la terre. C e phénomène constitue une menace directe pour la vie. Si le rayonnement augmente, il peut être à l'origine de troubles de la peau et des yeux, par exemple de cataractes. O n a calculé qu'une diminution de 1 % de la couche d'ozone causerait 70 000 cas supplémentaires de cancer de la peau dans le m o n d e .

L'accroissement du rayonnement ultraviolet réduit également l'efficacité du système immunitaire de l'organisme humain, les gens devenant moins résistants face à diverses maladies, dont les parasitoses. U n rayonnement accru peut également se révéler nuisible pour les végétaux et les cultures vivrières ainsi que pour la faune et la flore sauvages.

Contribution des C F C à l'effet de serre

L'anhydride carbonique (C02), la vapeur d'eau et d'autres gaz présents dans l'atmo­sphère favorisent le réchauffement de la surface de la terre par pénétration du rayon­nement solaire ultraviolet. E n m ê m e temps, ces gaz absorbent le rayonnement infrarouge émis par la surface chaude de la terre. Le C 0 2 absorbe le rayonnement dans la bande des longueurs d'onde comprises entre 13 et 19 \xm et la vapeur d'eau dans la bande des 4 à 8 [im. La chaleur piégée dans cette « couverture thermique » qui entoure la terre entretient une température relativement élevée, produisant ce que l'on appelle l'effet de serre. Cependant, 70 % du rayonnement terrestre s'échappe dans l'espace par la « fenêtre » que constitue la bande spectrale des 8-12 \im, dans laquelle les gaz atmosphériques naturels n'ont qu'un faible pouvoir d'absorption. Jus­qu'au xx e siècle, un équilibre s'établissait entre la quantité d'énergie reçue par la surface de la terre et la quantité d'énergie perdue dans l'espace. Ainsi, la température de la terre demeurait raisonnablement constante.

Depuis un siècle, toutefois, la combustion de combustibles fossiles et l'activité industrielle ont perturbé cet équilibre. La teneur de l'atmosphère en C 0 2 est passée de 280 parties par million (ppm) en 1860 à environ 350 p p m au cours des années 80. Ces quantités croissantes de C 0 2 absorbant de plus en plus de rayonnement infra­rouge, la température de la terre s'est accrue depuis le xixe siècle de 0,5 + 0,1 °C. Si les températures augmentent, que les étés sont plus chauds et les hivers plus cléments, les glaciers vont commencer à fondre et le niveau des mers à s'élever.

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Michael Freemantle

Il peut aussi se produire des modifications météorologiques qui risquent d'avoir des répercussions sur le rendement des cultures.

D'autres gaz anthropogéniques, c o m m e les C F C , le protoxyde d'azote (N 2 0) et le méthane (CH 4 ) ont eux aussi contribué à augmenter l'épaisseur de la couverture thermique qui entoure la planète. Les C F C absorbent en effet le rayonnement infra­rouge dans la bande des 8 à 12 pim, ce qui bloque la fenêtre par laquelle ce rayon­nement s'échappait. La perturbation de l'équilibre naturel s'en trouve encore aggravée. Les C F C sont des gaz qui ont un effet de serre très prononcé, puisque le potentiel de réchauffement d'une seule molécule de C F C - 1 1 ou de C F C - 1 2 équivaut à celui de 10 000 molécules de C 0 2 . O n a calculé que les C F C sont responsables de 15 à 20 % environ de l'effet de serre global.

Toutefois, les gaz à effet de serre ont l'avantage de ralentir la diminution de l'ozone stratosphérique. E n effet, la couverture thermique retenant de plus en plus de chaleur, la stratosphère se refroidit. L a déperdition d'ozone s'en trouve ralentie, puisque la vitesse de réaction diminue avec la température.

Le Protocole de Montréal

Depuis vingt ans, la société est, dans le m o n d e entier, de plus en plus consciente de diverses sortes de pollution planétaire qui pourraient compromettre la vie sur la planète : la diminution de la couche d'ozone, le réchauffement par effet de serre, les pluies acides et le smog ou brouillard photochimique.

A u milieu des années 70, à la suite des travaux de Rowland et Molina, des institutions nationales et internationales commencèrent à admettre que les C F C étaient peut-être au nombre des principaux responsables de la pollution atmosphé­rique à l'échelle planétaire. En 1976, l'Agence pour la protection de l'environnement (EPA) des États-Unis d'Amérique annonça son intention d'interdire, lorsqu'elle ne répondait pas à une nécessité, l'utilisation des C F C c o m m e propulseurs d'aérosols. Malgré cela, en 1984, la production annuelle mondiale de C F C atteignait plus d'un million de tonnes, dépassant le niveau enregistré avant l'interdiction.

Le 16 septembre 1987, vingt-quatre États signaient le Protocole de Montréal, élaboré sous les auspices du Programme des Nations Unies pour l'environnement ( P N U E ) . Le Protocole énonçait trois prescriptions essentielles : A compter du deuxième semestre 1989, le niveau de consommation des C F C - 1 1 ,

12, 113, 114 et 115 ne devra pas excéder celui de 1986. Le niveau de production atteint en 1986 devra être réduit de 20 % à partir du

1er juillet 1993 et à nouveau de 30 % d'ici le 1er juillet 1998 (soit une réduction totale de 50 % ) .

Le niveau de consommation des halons-1211, 1301 et 2402 devra, en 1994, être gelé au niveau de 1986.

D'autres États ont à leur tour adhéré au Protocole lors des conférences internationales sur la protection de la couche d'ozone qui se sont respectivement tenues à Londres, en mars 1989, avec la participation des représentants de 123 pays, et à Helsinki, en mai 1989.

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Les CFC et leurs produits de substitution

Produits de remplacement des C F C

Compte tenu du calendrier fixé, la production des C F C doit accuser une chute spec­taculaire dans les dix ans à venir ; aussi les producteurs de C F C investissent-ils déjà des sommes considérables dans la mise au point et l'essai de produits de remplacement des C F C qui ne soient pas nuisibles pour l'environnement, ainsi que de technologies de substitution qui puissent répondre aux besoins de la société. Il est toutefois admis que, dans beaucoup de cas — systèmes de réfrigération et de climatisation, par exemple —, il est possible de réduire de façon considérable les quantités de gaz libérées, en particulier à court terme, en récupérant et en recyclant tout simple­ment les C F C durant l'exploitation du matériel.

Plusieurs sociétés prennent une part active à la mise au point de systèmes à charbon activé pour la récupération des C F C utilisés c o m m e agents gonflants dans la fabri­cation des mousses plastiques. Ces systèmes sont coûteux, mais pourraient permettre une récupération à 40 % des agents gonflants.

D'après certains industriels, il est probable que ces mesures de conservation des C F C et l'utilisation de produits ou de technologies de remplacement auront pour effet de réduire la demande de C F C dans une proportion pouvant atteindre 60 %. Cela laissera subsister environ 40 % du marché actuel des C F C , soit un marché de l'ordre de 500 000 tonnes par an, qui sera ouvert aux produits de substitution.

Critères auxquels doivent satisfaire les produits de remplacement des CFC

Les éventuels produits de remplacement des C F C devront satisfaire à plusieurs critères : Ils devraient présenter à peu près les m ê m e s propriétés physiques de base que

les C F C , par exemple avoir des points d'ébullition similaires. Ils devraient, dans toute la mesure du possible, offrir la m ê m e sécurité que les C F C ,

c'est-à-dire être ininflammables et de faible toxicité. Leur production ultérieure à l'échelle commerciale devrait être techniquement et

économiquement viable. Idéalement, les fabricants de matériel aimeraient disposer de produits de substitution, interchangeables avec les C F C , autrement dit de composés présentant l'avantage de ne pas appauvrir la couche d'ozone tout en ayant, à l'emploi, un comportement identique à celui des C F C . Cela leur éviterait d'avoir à modifier les chaînes de production.

Les produits de substitution devraient présenter la m ê m e stabilité chimique que les C F C pour les applications envisagées, tout en étant moins stables que ceux-ci dans l'atmosphère, de manière que la quantité risquant d'atteindre la stratosphère soit aussi faible que possible, voire nulle. Ils devraient donc avoir une durée de vie dans la stratosphère beaucoup plus brève et présenter un potentiel très faible voire nul d'appauvrissement de la couche d'ozone ou de réchauffement par effet de serre.

Il est sans doute paradoxal de constater que c'est justement la stabilité, c'est-à-dire la propriété qui rendait les C F C si précieux, qui fait de ces composés une menace pour l'environnement. Leur stabilité atmosphérique peut être réduite par la présence d'hydrogène dans la molécule, celle-ci pouvant alors être dégradée par des radicaux oxhydryles ( O H ) .

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Page 70: un état particulier de la matière

Michael Freemantle

Tableau 2

Produits éventuels de remplacement des CFC

Composé Formule Utilisations

Hydrochlorofluorocarbures (HCFC) H C F C - 2 2 HCFC-123 H C F C - 1 2 4 HCFC-141b

C H C 1 F 2

C H C 1 2 C F 3

CHCIFCF3 C H 3 C C 1 2 F

HCFC-142b C H , C C 1 F 2

Réfrigérant, agent gonflant Réfrigérant, agent gonflant Réfrigérant, agent gonflant Agent de propulsion, agent

gonflant Agent de propulsion

Hydrofluorocarbures (HFC) HFC-125 C H F 2 C F 3 Réfrigérant HFC-134a C H 2 F C F 3 Réfrigérant HFC-152a C H 3 C H F 2 Réfrigérant, agent de propulsion

Des composés partiellement halogènes à base de méthane ou d'éthane — conte­nant tous de l'hydrogène — sont actuellement à l'étude pour déterminer s'ils peuvent devenir des produits de remplacement des C F C (tableau 2). Les H C F C - 2 2 et 142b, ainsi que le HFC-152a sont d'ores et déjà commercialisés; les autres en sont au stade des essais.

Idéalement, les produits de remplacement des C F C ne devraient pas contenir de chlore. Mais il se peut qu'il soit impossible de trouver des composés couvrant toute la g a m m e des utilisations dont aucun ne contienne de chlore.

O n peut comparer les propriétés des C F C , des H C F C et des H F C en traçant un triangle dont les trois sommets correspondent respectivement à l'hydrogène, au chlore et au fluor (fig. 1). La base du triangle représente les C F C . Ils possèdent

Figure 1

Les propriétés des C F C dépendent du nombre relatif d'atomes d'hydrogène, de chlore et de fluor que comportent les composés.

Toxique-•

Chlore £

Hydrogène

Inflammable

Fluor

Longue durée de vie dans l'atmosphère

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Les CFC et leurs produits de substitution

une longue durée de vie dans l'atmosphère et une faible inflammabilité. Leur toxicité est fonction de la quantité de chlore qu'ils contiennent. Les H F C sont représentés par le côté droit du triangle. Leur toxicité est faible, leur inflammabilité fonction de la quantité d'hydrogène qu'ils renferment. Les H C F C peuvent se situer n'importe où à l'intérieur du triangle, selon les proportions d'hydrogène, de chlore et de fluor qui les caractérisent, leurs propriétés variant en conséquence.

Acceptabilité pour Venvironnement

En octobre 1988, les résultats d'une étude d'acceptabilité pour l'environnement des fluorocarbures de substitution (étude A F E A S ) ont été présentés à une réunion du P N U E tenue à La Haye. Quinze sociétés chimiques internationales avaient participé à cette étude, qui traitait du potentiel de destruction d'ozone ( O D P ) et du potentiel de réchauffement global ( G W P ) des différents H F C et H C F C , notamment des composés suivants : H C F C - 2 2 , 123, 124, 141b et HFC-125 , 134a et 152a.

Le potentiel de destruction d'ozone ( O D P ) d'un composé dépend de la quantité de chlore qu'il contient, ainsi que de sa durée de vie dans l'atmosphère. Les O D P mesurent le risque lié à divers C F C et à leurs éventuels produits de substitution par rapport à l ' O D P du C F C - 1 1 , auquel on attribue une valeur de 1,0. Les G W P sont calculés à l'aide de modèles informatiques, toujours par rapport au C F C - 1 1 , auquel on attribue un G W P égal à 1,0. O n trouvera dans le tableau 3 certaines des valeurs citées dans les rapports du P N U E et de T A F E A S .

ODP (rapporté à la valeur de référence CFC-11 = 1,0)

1,0 1,0 0,80 1,0 0,60

0,05 0,02 0,02 0,10 0,06

0 0 0

GWP (rapporté à la valeur de référence CFC-11 =1,0)

1,0 2,8-3,4 1,4 3,7-4,1 7,5-7,6

0,34-0,37 0,017-0,020 0,092-0,10 0,087-0,097 0,34-0,39

0,51-0,65 0,25-0,29 0,026-0,033

Le rapport final de T A F E A S , paru en 1989, concluait que seuls les H C F C ayant une longue durée de vie dans l'atmosphère risquaient d'avoir une incidence sur l'ozone stratosphérique et que les durées de vie étaient déterminées par la vitesse de décomposition dans la troposphère. Par exemple, signalait T A F E A S , le c o m -

Tableau 3

Potentiels de destruction d'ozone (ODP) et potentiels de réchauffement global (GWP) des CFC, HCFC et HFC

Composé

CFC-11 CFC-12 CFC-113 CFC-114 CFC-115

HCFC-22 HCFC-123 HCFC-124 HCFC-141b HCFC-142b

HFC-125 HFC-134a HFC-152a

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Page 72: un état particulier de la matière

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posé HFC-134a a une durée de vie atmosphérique de 15,5 ans et un O D P nul. Ce m ê m e composé possède un faible G W P , d'environ 0,27. Sur la m ê m e échelle, le C F C - 1 2 a un G W P de 3,1. Par conséquent, le remplacement du C F C - 1 2 par le HFC-134a se traduirait par une réduction du potentiel de réchauffement global d'au moins 91 %.

L ' A F E A S appelait une étude plus approfondie sur les chaînes de dégradation atmosphérique des H F C et des H C F C , les concentrations des produits stables dans l'environnement et le devenir de ces produits et enfin les chaînes de biodégradation de tout composé qui, de façon inattendue, serait présent à des concentrations susceptibles d'avoir une incidence biologique significative.

U n nouveau consortium de fabricants de C F C , connu sous le n o m d ' A F E A S II, s'est constitué depuis lors pour mener la deuxième phase de l'étude. Le programme, qui durera trois ans, fournira un appui et des financements à des laboratoires indus­triels, universitaires ou gouvernementaux pour leur permettre de mener des recherches sur les effets atmosphériques et terrestres d'un certain nombre de produits de rempla­cement des C F C . Les résultats définitifs devraient être connus en 1993.

En janvier 1988, un programme destiné à tester la toxicité de fluorocarbures de substitution (PAFT) a été lancé afin d'évaluer la sécurité de produits de remplacement des C F C . Ce programme, parallèle à T A F E A S , a été lancé par quatorze sociétés. Le programme P A F T I a défini les profils de toxicité du H C F C - 1 2 3 et du HFC-134a . Le programme P A F T II, lancé en septembre 1988 par dix fabricants de C F C , doit permettre d'étudier le H C F C - 1 4 1 b ; enfin, le programme P A F T III, mis sur pied en juin 1989 par sept fabricants, doit permettre d'étudier le H C F C - 1 2 4 et le H F C - 1 2 5 .

Les études de toxicité aiguë, subaiguë et subchronique du H C F C - 1 2 3 , du HFC-134a et du H C F C - 1 4 1 b , de m ê m e que les essais in vitro sur les propriétés mutagenes et tératogènes de ces trois composés, ont donné des résultats encoura­geants et révélé qu'ils ont à maints égards des profils de toxicité très proches de ceux des CFC-11 et 12. Les études de toxicité chronique et de carcinogénicité de ces composés se poursuivent et l'on n'en connaîtra pas les résultats avant 1993, dans l'hypothèse la plus favorable. Les études relatives aux produits faisant l'objet du programme P A F T III — c'est-à-dire le H C F C - 1 2 4 et le H F C - 1 2 5 — en sont pour le m o m e n t au stade préliminaire et l'on ne devrait en connaître les résultats qu'en 1994 ou 1995.

Produits de remplacement du CFC-11

Le CFC-11 est utilisé en réfrigération, en climatisation industrielle et c o m m e agent gonflant. C'est un excellent isolant non inflammable. Il est, par exemple, utilisé c o m m e agent gonflant dans la fabrication des mousses rigides qui remplissent les parois extérieures des réfrigérateurs.

Il est techniquement possible de fabriquer une mousse en utilisant de l'eau et du gaz carbonique c o m m e agent gonflant, mais le produit ainsi obtenu est un médiocre isolant. O n peut aussi utiliser du dichlorométhane (CH2C12), mais ce composé est inflammable.

Le composé le mieux placé pour remplacer le C F C - 1 1 dans les installations industrielles est le H C F C - 1 2 3 . Son G W P n'est que de 2 % de celui du C F C - 1 1 (tableau 3). Sa synthèse peut se faire à partir du C C 1 3 C F 3 selon le schéma suivant :

C C 1 , C F 3 -^ C H C 1 2 C F 3 + C H 2 C 1 C F 3 HCFC-123 HCFC-133a

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Les CFC et leurs produits de substitution

Néanmoins, ce procédé présente un certain nombre de difficultés. Des impuretés à l'état de trace peuvent provoquer une dégénérescence de l'agent catalytique et les produits former des azéotropes (mélanges à ebullition constante), ce qui rend la séparation par distillation fractionnée difficile. D e plus, le H C F C - 1 3 3 a est toxique.

La D u Pont, société chimique américaine, a entrepris de construire un certain nombre d'installations pilotes et d'usines en grandeur réelle pour la production du H C F C - 1 2 3 . Ce produit pourrait remplacer le C F C - 1 1 dans les installations de refroidissement et dans la production de mousse de polyuréthane et de mousse phénolique. La société chimique britannique Imperial Chemical Industries (ICI) mène actuellement des recherches sur l'utilisation des H C F C - 1 2 3 et 124b c o m m e agents gonflants à la place du C F C - 1 1 . Les deux composés sont évalués dans des conditions variées. A longue échéance, le H C F C - 1 4 1 b pourrait lui aussi remplacer le CFC-11 dans la fabrication de mousse isolante.

Produits de remplacement du CFC-12

Le composé HFC-134a est le produit le mieux placé pour remplacer le C F C - 1 2 dans la réfrigération et la climatisation, notamment la climatisation des automobiles, les réfrigérateurs, les congélateurs, les climatiseurs de locaux commerciaux et autres systèmes industriels.

Le HFC-134a , qui possède des propriétés analogues à celles du C F C - 1 2 , pourrait aisément le remplacer sans que cela entraîne pratiquement de changements. Le problème principal, tout c o m m e pour le H C F C - 1 2 3 , est celui de sa fabrication. La plupart des nombreux procédés de fabrication du HFC-134a comportent trois ou quatre étapes, ce qui les rend coûteux.

En 1990, l'ICI a commencé à fabriquer du H F C - 1 3 4 a au Royaume-Uni et projette d'ouvrir en 1992 une autre usine de production aux États-Unis d'Amérique. La société commercialise déjà un produit sous le n o m de marque K L E A 134a. Les résultats des études P A F T montrent que le C L E A 134a présente un degré de toxicité faible — voisin de celui du C F C - 1 2 .

L'ICI a pris des brevets pour plusieurs procédés de fabrication du HFC-134a . L 'un d'entre eux utilise c o m m e produit de base du trichloréthylène et donne c o m m e produit intermédiaire, en grand rendement, le H C F C - 1 3 3 a , qui est toxique :

HF HF CHC1 = CC12 -> CH2C1CF3 -> CH2FCF, + HCl

HCFC-133a HFC-134a

La deuxième étape de la réaction produit le HFC-134a avec un rendement médiocre, ce qui en impose le recyclage.

Le composé H C F C - 1 3 3 a peut également être transformé en HFC-134a en utilisant c o m m e catalyseur du pentafluorure d'antimoine. U n e autre possibilité consiste à utiliser c o m m e catalyseur de l'oxyde de chrome et c o m m e produit de base du tétrachloréthylène. Dans ce cas, le H C F C - 1 2 4 est un intermédiaire. L'utilisation du CFC-114a (formule : C F C 1 2 C F 3 ) c o m m e produit de base pour la production du HFC-134a est aussi à l'étude à l'heure actuelle. Le CFC-114a est un dérivé de la production du C F C - 1 1 4 .

La société D u Pont a une usine pilote qui produit du H F C - 1 2 4 entrant dans la composition de mélanges nouveaux destinés à remplacer le C F C - 1 2 et d'autres

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Page 74: un état particulier de la matière

Michael Freemantle

produits pour une g a m m e étendue d'applications dans l'industrie de la réfrigération. L'un des mélanges contient du H F C - 2 2 , du H F C - 1 5 2 a et du H F C - 1 2 4 . Le mélange est presque un azéotrope et se caractérise par un O D P et un G W P respectivement inférieurs de 96 % et de 91 % à ceux du C F C - 1 2 . O n trouve déjà dans le commerce un mélange similaire contenant du C F C - 1 1 4 .

Le C F C - 1 2 est utilisé pour la fabrication de la mousse de polystyrène. Il est utilisé c o m m e agent gonflant avec de la résine en fusion pour fabriquer des embal­lages alimentaires destinés à la restauration rapide, ainsi que des plateaux pour la viande préemballée et des boîtes à œufs. La D u Pont commercialise pour cette appli­cation un produit appelé Formacel-S. Le produit est du H C F C - 2 2 qui se caractérise par une très grande pureté; son O D P est vingt fois moins élevé que celui du C F C - 1 2 .

Produits de remplacement du CFC-113

La faible toxicité du C F C - 1 1 3 , son ininflammabilité et sa stabilité en ont fait un solvant idéal pour de nombreuses applications. L'industrie électronique en consomme de plus en plus depuis quelques années pour le nettoyage des montages électroniques, notamment pour éliminer le fondant de soudure.

L'eau est probablement le produit de substitution le moins nocif, mais son utilisation soulève des problèmes réglementaires et techniques. Des mélanges d'alcools c o m m e l'éthanol et l'isopropanol sont des produits de substitution prometteurs; de plus, ils sont propres et faciles à se procurer. A T & T et Petroferm Inc., aux États-Unis d'Amérique, ont mis au point un produit de substitution qui est un mélange biodé­gradable de terpènes et de surfactants connu sous le n o m de Bioact E C - 7 .

11 se peut qu'aucun produit ne soit apte à remplacer à lui seul le C F C - 1 1 3 pour le nettoyage des composants électroniques. L'industrie électronique japonaise est favorable au recyclage du CFC-113 pour réduire au min imum la quantité de gaz libérée dans l'atmosphère. Certaines usines en Suède évitent complètement le fondant de soudure en pratiquant le soudage au laser et en remplaçant la soudure par une colle conductrice.

La société D u Pont utilise c o m m e solvants deux produits de transition (le F R E O N S M T et le F R E O N M C A ) . Ces produits ont des O D P respectivement inférieurs de 25 % et de 37 % à celui du CFC-113 . Le F R E O N S M T aide à empêcher la formation de résidus blancs, élimine la pollution par ionisation et enlève les résidus de fondant réfractaires sur les montages de circuits imprimés. C e n o m déposé désigne un azéotrope constitué de C F C - 1 1 3 , de methanol et de dichloréthylène, avec un mélange stabilisateur.

Le F R E O N S M T et le F R E O N M C A sont considérés c o m m e des produits provi­soires préparant le passage à des produits de substitution plus acceptables sur le plan écologique. La société D u Pont a annoncé deux produits destinés, à long terme, à remplacer le C F C - 1 1 3 . L'un est un mélange de H C F C - 1 4 1 b , de H C F C - 1 2 3 et de methanol qui présente un O D P inférieur de 9 0 % à celui du C F C - 1 1 3 ; le second est un produit de marque déposée qui est un mélange de solvants et d'agents tensio-actifs ayant un O D P nul. •

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Page 75: un état particulier de la matière

Les CFC et leurs produits de substitution

Remerciements

L'auteur du présent article a puisé son information à des sources très diverses. Il souhaite remercier tout particulièrement, pour le concours qu'ils lui ont apporté : R . J. Baker (directeur de la British Refrigeration Association, Bucks, Royaume-Uni) ; B . D . Joyner (Rhône-Poulenc, Avonmouth, Royaume-Uni); V . T . Sheridan (Du Pont de Nemours International S . A . , Genève, Suisse); C . E . Tane (ICI General Chemicals, Runcorn, Royaume-Uni) ; la British Aerosol Manufacturers Association (Londres, Royaume-Uni) et le Programme des Nations Unies pour l'environnement.

L'auteur s'est également beaucoup inspiré d'informations, de comptes rendus et d'articles parus dans quantité de journaux, de revues et de magazines. Il exprime notamment sa gratitude à Chemical and Engineering News, Chemistry in Britain, Nature et New Scientist.

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Page 76: un état particulier de la matière

Les matériaux de référence : leur rôle dans l'exactitude des mesures

W . P. Reed et S. D . Rasberry

La compatibilité des mesures et rétablissement de normes de production sont des aspects très importants de la fabrication, de la transformation des matériaux et du contrôle de l'environnement. Certaines organisations comme le National Institute of Standards and Technology des États-Unis d'Amérique jouent un rôle clé dans ce domaine en fournissant une gamme étendue de matériaux de référence nécessaires.

Très tôt l ' homme a pris conscience de la nécessité d'assurer la compatibilité des mesures de dimensions. L a coudée, c o m m e unité de longueur normalisée, est l'un des premiers étalons de mesure dont l'histoire ait gardé la trace. Sans elle, ces mer­veilles de réalisation technique que sont les pyramides égyptiennes, bâties il y a soixante-six siècles, n'auraient peut-être jamais vu le jour.

Dans toutes les sociétés, les unités de dimensions ont évolué, c o m m e l'attestent des unités de longueur telles que le yard, la brasse, le furlong et le mille. Unités de longueur, c o m m e unités de masse, de temps, de température ou de quantité de matière ont fini par être regroupées en un système cohérent, le Système inter­national d'unités (SI), qui définit chacune d'elles. L'unité de longueur, par exemple — le mètre —, y est définie c o m m e la distance parcourue dans le vide par la lumière en un temps donné.

Bien que le SI, « système métrique », offre avec la mole, le kilogramme, l'ampère et le nombre d'Avogadro les unités de base nécessaires à l'analyse chimique, c'est le xx e siècle qui a produit, pour l'essentiel, les étalons de mesure nécessaires pour effectuer le mesurage chimique de constituants sur une matrice. A u National

William P . Reed est directeur du Programme des matériaux de référence étalons du National Institute of Standards and Technology (NIST) des États-Unis d'Amérique; il est à ce titre respon­sable du développement et de l'administration de ce programme qui existe depuis maintenant quatre-vingt-cinq ans. Diplômé de l'Université Purdue, Indiana, M . Reed travaille au N I S T depuis 1964.

Stanley D . Rasberry, diplômé de l'Université Johns Hopkins, a rejoint le N I S T en tant que physicien en 1963. Il y exerce actuellement les fonctions de directeur des services de mesure, et il est chargé de l'orientation et de l'administration générale des quatre programmes ci-après de l'Institut, mettant en jeu mesures et transfert de technologie : données de références, matériaux de référence, services d'étalonnage et accréditation des laboratoires.

Les auteurs peuvent être contactés à l'adresse suivante : U S Department of C o m m e r c e National Institute of Standards and Technology, Gaithersburg, M D 20899, États-Unis d'Amérique.

77 Impact : science et société, n° 157, 77-87

Page 77: un état particulier de la matière

W. P. Reed et S. D . Rasberry

Institute of Standards and Technology (NIST) des États-Unis d'Amérique (ancien National Bureau of Standards [NBS]), l'origine des matériaux de référence remonte à 1904, date à laquelle l'American Foundrymen's Society (Société américaine des maîtres de forges) s'adressa au N B S nouvellement créé pour lui demander de l'aider à résoudre un problème de dosage d u carbone et du soufre dans les fontes. Cette démarche aboutit à l'établissement d'une série d'étalons de mesures chimiques, alors appelés « échantillons étalons » {standard samples), élaborée en collaboration avec les chimistes de l'American Foundrymen's Society et destinée à promouvoir la compatibilité des mesures des teneurs en carbone et en soufre des fontes. Ces mesures étaient importantes des points de vue métallurgique et économique, car les cahiers des charges auxquels était soumise la vente des fontes imposaient des concentrations déterminées de ces éléments. Les fondeurs savaient que la production de fontes résistantes de haute qualité supposait u n contrôle rigoureux de la c o m p o ­sition du métal, en vue d'assurer sa conformité au cahier des charges.

Après l'élaboration de cette première série d'étalons, d'autres industries et associations professionnelles demandèrent l'élaboration d'échantillons étalons pour pouvoir contrôler et harmoniser les mesures dans leurs domaines d'activité respectifs. Leur demande portait sur les aciers, les laitons, les minerais, le calcaire et les sucres. L a compatibilité des mesures chimiques présentait effectivement un intérêt et une utilité commerciale indéniables.

Les « échantillons étalons » (aujourd'hui d é n o m m é s par le N I S T « matériaux de référence étalons » — standard reference materials) jouent u n rôle primordial dans le transfert à moindre coût de la qualité des mesures. E n effet, le laboratoire de certification peut définir les caractéristiques d'un lot entier d'un matériau et transmettre ensuite cette caractérisation à l'ensemble de la communauté métrolo-gique en distribuant simplement à chacun des laboratoires intéressés un échantillon prélevé sur le lot. Cette économie de travail, conjuguée à la possibilité pour un labo­ratoire donné d'assurer la compatibilité de ses propres mesures avec des normes nationales, a contribué à faire des matériaux de référence étalons un m o y e n écono­mique et très répandu d'obtenir des mesures compatibles et vérifiables.

L'expression « compatibilité des mesures » n'est pas rigoureuse, mais elle est utilisée pour parler de deux mesures qui sont concordantes ou non contradictoires entre elles. E n d'autres termes, dans les limites de l'incertitude propre au mesurage, il s'agit de deux valeurs équivalentes.

Il est clair que la compatibilité est, dans un système de mesure, une condition hautement souhaitable, que la plupart des laboratoires s'efforcent de réaliser, pour des raisons évidentes. E n effet, elle permet de prévenir les différends entre les parties et contribue à la crédibilité et à la qualité du produit. Et lorsque cette compatibilité s'appuie sur le système de mesure national, elle peut être un élément de preuve de la conformité à une réglementation environnementale, de la justesse d'un diagnostic médical ou du caractère approprié d'un processus de fabrication ou de traitement des matériaux. Elle est u n facteur clé de productivité et permet d'éviter les dépenses qu'entraînent des mesures fausses.

Les laboratoires qui certifient les matériaux de référence étalons s'efforcent d'atteindre à l'exactitude afin d'assurer la compatibilité des mesures. L'exactitude des mesures, autrement dit l'absence d'erreur systématique, confère automati­quement la compatibilité, dans les limites du processus de mesure. Pour une analyse plus détaillée des concepts d'exactitude et de compatibilité, se reporter aux publi­cations de Cali et Reed1 et Taylor2.

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Page 78: un état particulier de la matière

Les matériaux de référence : leur rôle dans l'exactitude des mesures

D a n s le cas des matériaux de référence étalons chimiques, le N I S T s'efforce d'atteindre à l'exactitude par deux méthodes. L a première est l'utilisation de techniques de mesure « selon définition », c'est-à-dire de techniques de mesure qui se réfèrent aux catégories d u Système international d'unités SI (par exemple, masse, ampère, etc.) et dont on a évalué de façon approfondie le potentiel d'erreur systé­matique sur une matrice donnée. E n d'autres termes, le processus de mesure a été soigneusement évalué d u point de vue de sa fiabilité et d u risque potentiel d'erreur qu'il présente et il a été jugé approprié pour les mesures requises. L a seconde méthode de certification sur la base de l'exactitude consiste à mettre en œuvre deux techniques de mesure (ou plus), indépendantes l'une de l'autre et fiables. Ces carac­téristiques — indépendance et fiabilité — sont en l'occurrence déterminantes. Elles signifient que les méthodes de mesure utilisées sont entièrement différentes, faisant intervenir des préparations et des approches distinctes, et que chacune d'elles est réputée fournir des résultats fiables. C'est alors le faible degré de probabilité que des mesures réalisées par des méthodes chimiques totalement différentes soient enta­chées d'une erreur systématique identique qui garantit l'exactitude des mesures.

Pour ce qui est du mesurage des matériaux de référence étalons, le processus de mesure fait l'objet avant leur certification d'une évaluation approfondie visant à détecter toute erreur potentielle et il est fréquent que deux séries de mesures indé­pendantes, ou plus, soient effectuées dans plusieurs laboratoires. E n tout état de cause, aux fins de la certification, la technique de mesure elle-même doit être bien définie.

A l'échelle internationale, les matériaux de référence étalons sont appelés maté­riaux de référence certifiés ( M R C ) , selon une définition3 élaborée par l ' I S O - R E M C O . Le R E M C O est le Comité pour les matériaux de référence de l'Organisation inter­nationale de normalisation. L ' I S O - R E M C O a également élaboré un répertoire des fournisseurs de matériaux de référence4 et collaboré à la mise en place d'un système informatisé de consultation, C O M A R , pour l'identification de matériaux de réfé­rence certifiés à partir d'un élément certifié et d'une matrice.

Lorsque des matériaux de référence certifiés d 'un type donné sont disponibles en quantité suffisante, ils peuvent fournir des repères d'étalonnage pour l'analyse chimique industrielle et d'autres types de mesures industrielles. D a n s la sidérurgie, par exemple, les analystes utilisent des matériaux de référence certifiés du N I S T pour l'analyse par fluorescence de rayons X d'aciers faiblement alliés, méthode analytique relative dans laquelle la qualité de l'étalonnage revêt une importance cruciale.

Les diagrammes de la figure 1 illustrent deux manières différentes d'utiliser les matériaux de référence étalons pour garantir la qualité des mesures. Sur celui de gauche, le matériau de référence a été utilisé pour déterminer la relation entre

Figure 1

Utilisation des matériaux de référence étalons.

Étalonnage Validation

Concentration Concentration

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Figure 2 Quelques-unes des nombreuses gammes de matériaux de référence étalons distribuées par le NIST.

l'intensité mesurée sur un instrument et la concentration d'un élément dans différents matériaux.

Certains instruments et méthodes de mesure utilisent l'étalonnage par référence à des principes de base. E n pareil cas, l'étalonnage peut se faire sur la base d'étalons d'éléments purs ou de mélanges binaires de tels éléments étalons. Le recours croissant à ce type de méthodes confère au matériau de référence certifié une fonction très importante de validation de la méthode de mesure.

Pour lui permettre de remplir ce rôle, on ne se sert pas du tout du matériau de référence pendant l'étalonnage de l'appareil. O n le mesure en m ê m e temps que les inconnues, puis on porte les résultats sur le graphique et on les compare avec des valeurs certifiées, de manière à confirmer ou infirmer la validité du processus de mesure.

D e nombreux pays produisent maintenant des matériaux de référence et des matériaux de référence certifiés pour répondre à leurs besoins industriels et gouver­nementaux. L'exposé ci-après traite bien évidemment des matériaux de référence certifiés que produit le N I S T (fig. 2). Sans être exhaustif, il donne une idée des types et des variétés de matériaux qui font actuellement l'objet d'une certification.

Métaux et minerais

C o m m e nous l'avons dit plus haut, les industries métallurgiques sont tradition­nellement utilisatrices de matériaux de référence étalons à des fins de mesure et de contrôle de la qualité. E n conséquence, il existe dans ce secteur un grand nombre de matériaux de référence mis au point sur une longue période. Pour l'industrie des métaux ferreux, on dispose de minerais de fer et de minerai réduit, ainsi que de

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Les matériaux de référence : leur rôle dans V exactitude des mesures

ferro-alliages tels que ferrochrome et ferrosilicium, qui permettent de répondre aux besoins des aciéries. E n outre, des fontes et une g a m m e complète d'aciers faiblement alliés, massifs et en copeaux, sont disponibles pour l'étalonnage des instruments de mesure utilisés dans l'industrie. D'autres compositions sont éga­lement disponibles pour les aciers inoxydables, les aciers à outils, les aciers spéciaux et les superalliages.

Pour l'industrie du cuivre, on dispose de minerais de cuivre, ainsi que d'une large g a m m e de matériaux à base de cuivre, massifs et en copeaux. Sont également disponibles un certain nombre de laitons sous forme massive.

Les producteurs d'aluminium offrent une grande variété d'alliages étalons pour la spectrométrie optique par émission et l'étalonnage par fluorescence de rayons X (fig. 3). Le N I S T propose une g a m m e de bauxites, une alumine réduite et une série d'alliages d'aluminium de référence, sous forme massive et en copeaux, pouvant être utilisés pour vérifier l'exactitude du processus de mesure.

Divers autres matériaux de référence étalons — minerais et minéraux ainsi qu'alliages, notamment alliages de p lomb et soudures — sont également certifiés par le N I S T .

Solutions spectromérriques

L a spectroscopic de plasma par absorption atomique est aujourd'hui un outil analytique très utilisé dans les laboratoires chimiques. Les techniques d'analyse s'appuient sur l'étalonnage d'un instrument par rapport à u n matériau en solution, les caractéristiques spectroscopiques de l'échantillon apparaissant sous forme de graphique ou de valeurs chiffrées. Ces nouvelles techniques, d'une extrême simplicité et d'une très grande exactitude, ont quasiment remplacé les méthodes classiques.

Figure 3

Préparation du métal utilisé pour l'étalonnage par fluorescence de rayons X et la spectrométrie optique par émission.

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Des solutions de référence sont devenues nécessaires pour leur mise en œuvre. L e N 1 S T propose actuellement plus de 65 solutions spectrométriques mono-élément et multi-éléments pour répondre à cette demande. Dans cette deuxième catégorie, signalons un matériau de référence étalon pour le dosage d'éléments-traces dans l'eau, qui contient dix-sept éléments certifiés avec une précision du niveau du nano-g r a m m e par g r a m m e , et une série de solutions de référence anioniques pour les essais d'électroconductance et les recherches sur les pluies acides.

Environnement

Les matériaux de référence étalons fournissent une base c o m m u n e à tous les organismes publics chargés de la surveillance de la pollution et aux industries qui doivent limiter leurs émissions polluantes. Il existe à cet effet un large éventail de matériaux — solides, liquides ou gazeux — certifiés pour la recherche de métaux traces et de polluants organiques tels que les hydrocarbures aromatiques poly-cycliques ( P A H ) et les diphényles polychlorés (PCB) . Parmi ces matériaux de réfé­rence figurent des sédiments estuariens et fluviátiles, des poussières urbaines et des pesticides chlorés dans de l'iso-octane (fig. 4).

Figure 4 Quelques-uns des matériaux de référence utilisés par les scientifiques pour mesurer avec précision la pollution de l'environnement.

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Les matériaux de référence : leur rôle dans l'exactitude des mesures

Figure 5 Cette huile de noix de coco servant de matériau alimentaire de référence a été certifiée par le NIST pour la recherche de cholestérol et des vitamines A , D et E .

Des échantillons de gaz destinés à l'évaluation de substances polluantes émises par des sources tant mobiles que fixes sont disponibles à des concentrations diverses, ainsi qu'une série d'échantillons normalisés d'air contenant du dioxyde de carbone, qui sont utilisés pour surveiller l'accumulation de C 0 2 dans l'atmosphère.

Pour la mesure de la pollution potentielle, on dispose d 'un certain nombre d'hydrocarbures combustibles, notamment des charbons et des fuels à teneur certifiée en éléments traces et en soufre. Certains des charbons fournissent également l'indice d'enthalpie et des valeurs d' « analyse quantitative approchée » (humidité, matière volatile, carbone fixe et cendre). U n e cendre volante caractéristique des centrales électriques alimentées au charbon est également disponible pour compléter la série.

Médecine clinique et nutrition

Les premières substances de référence cliniques, fournies par le N I S T il y a une vingtaine d'années, ont marqué une étape importante dans le développement du programme des matériaux de référence étalons. Ces matériaux constituent une base de référence précise pour le chimiste clinique. Les matériaux de référence actuel­lement disponibles sont utilisés pour mettre au point des « méthodes de référence » destinées aux fabricants et aux laboratoires de recherche clinique.

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Parmi les matériaux les plus importants aujourd'hui disponibles figurent un sérum humain lyophilisé, une série de cholestérols dans du sérum (lyophilisés et congelés), une sérum-albumine bovine et des médicaments anti-épileptiques et anti-convulsivants dans du sérum. Des étalons thermométriques sont également dispo­nibles, ainsi qu'un certain nombre de substances cliniques certifiées pour les essais de pureté.

Dans le domaine des matériaux de référence nutritionnels, il existe plusieurs aliments et produits connexes certifiés pour la recherche d'éléments traces, notamment des laits en poudre déshydratés, des farines de blé et des tissus d'huître. Récemment , une huile de noix de coco a été certifiée pour la recherche de cholestérol et de plusieurs vitamines, et constitue en fait un matériau alimentaire de référence pour une « ali­mentation mixte » (fig. 5).

Électronique

La mesure de la résistivité électrique est une grandeur importante utilisée dans l'industrie électronique pour prédire les performances d'un matériau. Des matériaux de référence étalons sont disponibles pour déterminer la résistivité des métaux ainsi que celle du silicium.

L'assurance de la qualité des photomasques utilisés pour la fabrication des microplaquettes de circuits intégrés exige un mesurage exact des dimensions de chaque élément sur le photomasque. Le N I S T a mis au point des étalons de mesure des grosseurs de ligne pour l'étalonnage de microscopes optiques, qui sont utilisés pour mesurer la grosseur des lignes opaques et des zones claires sur les photo­masques de circuits intégrés.

Matériaux des industries mécaniques

D e nombreux types de matériaux utilisés pour tester les caractéristiques techniques des matériaux sont certifiés au N I S T . Dans l'industrie du caoutchouc, les fabricants de pneumatiques et autres ont à leur disposition un certain nombre d'élastomères et de composants du caoutchouc. U n certain nombre de matériaux de référence étalons sont également disponibles pour la détermination de la surface des poudres, des dimensions de tamisage, de la granulométrie, ainsi que de la finesse et de la composition du ciment.

Plusieurs matériaux de référence étalons sont utilisés dans la construction et dans la recherche sur les incendies. C'est ainsi que certains servent à l'étalonnage des chambres de mesure de la densité de fumée. D'autres sont utiles pour le calibrage des dispositifs qui mesurent les propriétés calorifuges des matériaux de construction.

L'avenir

Dans de nombreuses régions du monde , l'élaboration des matériaux de référence a connu, depuis 1980, un grand développement. Des progrès remarquables ont été accomplis pendant cette période par des centaines de chercheurs, qui ont réussi à abaisser le seuil de dosage au-dessous de la partie par milliard, à atteindre un

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Les matériaux de référence : leur rôle dans l'exactitude des mesures

niveau de résolution spatiale inférieur au micromètre et à porter l'homogénéité des matériaux à un degré d'uniformité jusque-là sans précédent.

Dans la seule République populaire de Chine, plus de 500 matériaux de réfé­rence nouveaux ont vu le jour pendant ces dix dernières années. Parallèlement, un intérêt croissant s'est manifesté dans ce domaine en Europe et en Amérique. Les années 80 ont m ê m e vu l'élaboration de matériaux de référence à bord de la navette spatiale Challenger dans des conditions de microgravité. Malgré toutes ces réali­sations remarquables, on devrait assister pendant la décennie actuelle à de nou­veaux progrès en ce qui concerne la production, la certification et l'utilisation des matériaux de référence. Quatre tendances caractériseront sans doute l'évolution à venir.

Mondialisation

Les conditions sont réunies pour une coordination accrue (voire une franche coopé­ration) dans le domaine de l'élaboration des matériaux de référence. Deux raisons au moins justifient cette évolution. Souvent, les matériaux de référence répondent à un besoin pressant, mais qui n'est ressenti dans le m o n d e que par un petit nombre de spécialistes. L a demande peut être si faible (une ou deux unités par an), m ê m e dans les pays les plus importants, qu'aucun producteur individuel de matériaux de référence ne peut se permettre d'y consacrer les ressources voulues. Dans certains cas, les producteurs seront amenés à mettre en c o m m u n leurs ressources, par-delà les frontières nationales, pour répartir entre eux les coûts de production. Dans d'autres cas, la coordination pourra être assurée par un organisme tel que l ' I S O / R E M C O pour orienter des marchés entiers vers un producteur unique.

L a seconde raison justifiant une mondialisation accrue dans le domaine des matériaux de référence est purement humaine. L a curiosité des êtres humains en général, et plus particulièrement des scientifiques, ne connaît pas de frontières géographiques. L e N I S T , par exemple, a eu ces dix dernières années, en matière de production de matériaux de référence, des échanges scientifiques avec dix pays au moins et il est difficile d'imaginer que cette tendance n'ira pas en s'accentuant.

Développement de l'instrumentation

Les tendances sont très claires dans ce domaine. Les techniques de mesure de toutes natures seront de plus en plus centrées sur les instruments et automatisées. E n règle générale, les méthodes instrumentales sont des mesures relatives ou c o m p a ­ratives et nécessitent le recours à des matériaux d'étalonnage et de validation. Il est donc vraisemblable que l'on assistera à une progression des besoins en matériaux de référence, qu'il s'agisse des types de matériaux ou des quantités. Il est clair également que le contrôle de processus en temps réel sur la base de mesures chimiques in situ se développera rapidement dans les années 90.

Accréditation des laboratoires

D e plus en plus, dans les années 90, des systèmes d'accréditation des compétences et des performances des laboratoires seront mis en place. Les laboratoires c o m m e r ­ciaux spécialisés ont élargi l'éventail des services qu'ils proposent à leurs clients pour les aider à améliorer la qualité de leurs produits, à obtenir des conditions commerciales équitables, à se conformer à des réglementations ou à atteindre tout

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autre objectif. Aujourd'hui, les clients de ces laboratoires souhaitent avoir l'assu­rance que les mesures qui leur sont transmises sont de la plus haute qualité.

U n m o y e n permettant de répondre à cette demande est l'évaluation systéma­tique, le suivi et l'accréditation des services des laboratoires par un organisme public ou par tout autre organisme d'accréditation « indépendant et impartial ».

L'expérience a montré que les organismes d'accréditation jugeaient les maté­riaux de référence certifiés très utiles pour tester les performances des laboratoires. Ces matériaux peuvent être utilisés dans le cadre d'un test de performance, ou par le laboratoire lui-même, pour des essais de routine en vue de vérifier l'étalonnage des mesures et de les valider. Le développement de ces activités entraînera une demande croissante de matériaux de référence de plus en plus divers en plus grande quantité.

Diffusion des techniques de pointe

Il est aisé de prévoir que de nombreuses techniques aujourd'hui à l'étude dans un contexte de recherche seront bientôt commercialisées dans les instruments de demain. L a liste en est longue, depuis les nouveaux systèmes d'échantillonnage jus­qu'au traitement automatique des échantillons en passant par les nouvelles techniques de résolution, ainsi que les nouveaux systèmes de détection, de discrimination et de traitement des données. A mesure qu'un outil analytique atteint les limites physiques de son perfectionnement — c'est le cas, par exemple, du grossissement en microscopie optique, qui se heurte aux limites résultant de la diffraction de la lumière —, de nouveaux outils voient le jour en laboratoire. D e nouveaux matériaux de référence seront certainement nécessaires dans les années 90 pour les essais de résolution, d'amplification et de micro-analyse dans le domaine des microscopes optiques, des microscopes électroniques et peut-être m ê m e des microscopes électroniques à effet tunnel.

Les frontières de la micro-analyse reculeront c o m m e celles de l'analyse des éléments traces. Le dosage d'éléments essentiels c o m m e d'éléments toxiques et la détermination de leurs formes organiques seront, d'ici à la fin des années 90, effectués dans le cadre d'analyses de routine au niveau de la partie par milliard et de la partie par billion. L a grande question qui se posera alors (de m ê m e que pour une large g a m m e de composés organiques) sera de déterminer les effets réels sur la santé. N o u s verrons vraisemblablement se développer des systèmes portables d'analyse et de surveillance des liquides biologiques destinés à aider les chercheurs à évaluer l'exposition au risque et les effets. Quel défi pour les futurs producteurs de matériaux de référence!

La « prévention » est un terme aujourd'hui très en vogue dans le domaine de la santé et de la médecine. D a n s les années 90, on l'appliquera de plus en plus à des systèmes techniques vieillissants tels qu'aéronefs, pétroliers, ponts, autoroutes ou installations de distribution d'eau. Des mesures effectuées à titre préventif telles que l'examen aux rayons X des soudures métalliques et la détection de fissures dans des parties d'un aéronef nous permettront non seulement d'utiliser des systèmes coûteux dans des conditions de plus grande sécurité, mais également d'évaluer avec plus de précision la fin de leur vie utile. Les matériaux de référence actuellement disponibles pour les essais physiques et techniques des matériaux et des systèmes sont moins nombreux que ceux destinés aux essais chimiques et devront donc, au cours de la présente décennie, être multipliés. •

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Les matériaux de référence : leur rôle dans l'exactitude des mesures

Notes

1. J. P . Cali et W . P . Reed, « The role of the National Bureau of Standards' Standard Reference Materials in accurate trace analysis », NBS Spec. Publ., 422, Accuracy in trace analysis, sampling, sample handling, and analysis, 1974.

2. J. K . Taylor, Handbook for SRM users, NBS Spec. Publ, 260-100, 1985. 3. Guide ISO 30. Termes et définitions utilisés en rapport avec les matériaux de référence,

1981. Peut être obtenu auprès de l 'ANSI, 1430 Broadway, N e w York, N Y 10018, États-Unis d'Amérique.

4 . Répertoire ISO des matériaux de référence certifiés, 1982. Peut être obtenu auprès de l 'ANSI, 1430 Broadway, N e w York, N Y 10018, États-Unis d'Amérique.

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L a production de substances chimiques grâce aux biotechnologies : faits, espoirs, rêves et doutes

Chandana Chakrabarti et Pushpa M . Bhargava

Grâce aux remarquables progrès réalisés ces dernières années en génie génétique et dans les techniques de culture de cellules, nous sommes maintenant en mesure de contraindre des systèmes vivants à accomplir des tâches qu'ils n'avaient jamais effectuées auparavant. Les microbes et les cellules végétales et animales sont employés pour la production d'une gamme déjà étendue de produits chimiques utiles, et les perspectives de nouveaux développements dans ce domaine sont prometteuses.

Les sciences ne sont pas plus soustraites que les autres domaines d'intervention humaine aux impératifs historiques. Le développement de la technologie est un de ces impératifs. Chaque fois que nous avons compris le caractère, la structure et la fonction d'un système naturel, diverses motivations nous incitent inélucta­blement à exploiter ce savoir à des fins pratiques. Telle est l'origine du dévelop­pement des technologies fondées sur la chimie, qui ont débouché sur la révolution industrielle des xviie et x v m e siècles, des technologies fondées sur la physique dans les premières décennies du xx e siècle, et de celles qui reposent sur l'astrophysique — les technologies spatiales — depuis quelques dizaines d'années.

Des quatre sciences fondamentales essentielles, la biologie a été la dernière à prendre son essor. Mais depuis le début des années 50, date de détermination de la structure de l ' A D N , on a assisté à une explosion sans précédent des connaissances dans ce domaine. C'est c o m m e si d'innombrables pièces d'un grand puzzle avaient soudain trouvé leur place et qu'une image générale avait c o m m e n c é à se dessiner.

Chandana Chakrabarti est chargée de la communication au Centre de biologie cellulaire et molé­culaire ( C C M B ) , première institution nationale indienne de recherche en biologie moléculaire, basée à Hyderabad.

Pushpa Bhargava, fondateur et directeur de ce centre, est un biologiste moléculaire de grande renommée, dont les travaux font autorité. Il a joué un rôle déterminant dans le développement de la biologie moderne et de la biotechnologie en Inde.

O n peut les joindre tous deux à l'adresse suivante : Centre for Cellular and Molecular Biology ( C C M B ) , Hyderabad 500 007, Inde.

89 Impact : science et société, n° 157, 89-104

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Chandana Chakrabarti et Pushpa M . Bhargava

Dès la fin des années 60, des scientifiques perspicaces, qui avaient une vision globale des changements en cours dans la biologie moderne, prévoyaient donc que tôt ou tard ces nouvelles connaissances trouveraient nécessairement des applications pratiques. Leur pronostic a été confirmé plus tôt que prévu : l'émergence des biotechnologies fut rien moins que spectaculaire.

Le présent article a pour objectif de donner une idée des résultats déjà obtenus en matière de production de susbtances chimiques grâce aux biotechnologies — ayant déjà fait l'objet de nombreux travaux de recherche fondamentale, de sorte que des applications verront probablement le jour avant la fin de ce siècle ou pendant le premier quart du siècle prochain — et des questions de base encore en suspens et appelées à déterminer la production de nouvelles générations de substances chimiques. Enfin, nous examinerons brièvement les problèmes qu'une production à grande échelle est susceptible de poser dans ce domaine.

Réalisations passées et en cours

Contribution du génie génétique

Le génie génétique consiste à modifier ou à moduler le potentiel génétique — c'est-à-dire hérité — d'une cellule ou d 'un organisme vivant en y introduisant des informations génétiques étrangères, par exemple pour fabriquer des éléments que la cellule ou l'organisme seraient sinon incapables de produire. Cette techno­logie a divers avantages.

Si la cellule hôte recevant l'information génétique étrangère est un micro­organisme tel que E. coli ou une levure capable de se multiplier très vite, on peut produire en grande quantité des éléments que l'on ne trouve normalement que dans des proportions extrêmement faibles chez les animaux, y compris les êtres humains ou les végétaux. C'est le cas de l'insuline humaine, utilisée habituellement dans le traitement du diabète, qu'il est presque impossible de se procurer; celle que l'on trouve dans le commerce provient donc de porcins ou de bovins. Bien qu'elle aide à combattre avec efficacité les principaux symptômes du diabète, l'insuline d'origine animale a quelques effets néfastes, notamment sur le rein et la rétine. D e plus, certains individus y sont allergiques.

Dans les systèmes biologiques, les réactions passent par l'intervention d'enzymes qui jouent le rôle de catalyseurs biologiques. B o n nombre des enzymes exploitées actuellement sont d'origine végétale ou animale (y compris humaine). C'est le cas du cholestérol oxydase, utilisé pour surveiller le taux de cholestérol dans le sérum sanguin, et de l'uricase, qui sert à surveiller le taux d'acide urique. D'autres enzymes sont utilisées en brasserie, en boulangerie et en boucherie (pour attendrir la viande), ainsi que dans la fabrication de détergents et de cuirs; la rénine est employée dans la fabrication des fromages. L'utilisation des enzymes à une grande échelle était freinée par leur fréquente instabilité. Or il est aujourd'hui possible de modifier le gène codant pour l'enzyme de façon à la rendre intrinsèquement stable. O n a ainsi réussi à stabiliser une protéine, le facteur de croissance du fibroblaste — toutes les enzymes qui ont actuellement un intérêt commercial sont des protéines —-, en remplaçant une de ses lysines par de la serine. D e m ê m e , on peut, par des mani­pulations génétiques, déplacer le p H d'activité optimale d'une enzyme ou modifier la spécificité de son substrat ou ses paramètres cinétiques. O n l'a déjà fait pour la

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La production de substances chimiques grâce aux biotechnologies : faits, espoirs, rêves et doutes

subtilisine (qui catalyse le fractionnement des protéines), en modifiant la charge à la surface de la protéine grâce à la nouvelle technique de mutagenèse dirigée.

Le génie génétique permet d'apporter des modifications mineures aux enzymes pour en améliorer les effets thérapeutiques. En effet, une insuline monomère obtenue de cette façon est plus facile à absorber.

Parfois, la synthèse intermédiaire d'une protéine particulière dans le tissu donné d'un animal suffit. O n a ainsi réussi à introduire et à faire s'exprimer un gène d'insuline humaine dans le foie d'un rat adulte en l'empaquetant dans des vésicules lipidiques artificielles, les liposomes, qui peuvent être fabriqués de telle façon qu'ils se dirigent uniquement vers le foie et, fusionnant avec ses cellules, leur transfèrent le gène qui y demeure actif pendant quelque temps avant de se décomposer.

Jusqu'ici, les techniques de recombinaison de l ' A D N ont permis de produire plus de quatre-vingts protéines au m o y e n de cellules microbiennes ou d'animaux qui, normalement, ne les produisent pas. Certaines de ces protéines clonées sont déjà commercialisées; d'autres en sont à divers stades de la mise au point, de la production, de l'expérimentation ou de l'étude. Elles sont employées à divers usages, notamment c o m m e agents thérapeutiques pour les inflammations, les brûlures et les blessures, plusieurs types de tumeurs et d'infections, l'artériosclérose, l'arthrite, les ulcères, la formation de caillots sanguins, les troubles de la digestion, l'hyper­tension, la douleur, l'hémophilie A , l'ostéoporose, l'anémie arégénérative, la contraception, le diabète, la kératite, l'hépatite B , les maladies auto-immunes, les maladies de l'oeil, l'infarctus du myocarde, les thromboses, certains troubles du métabolisme, la pancréatite, les saignements gastriques et la régulation de la tension. Elles sont également utilisées c o m m e expanseurs du plasma, adhésifs chirurgicaux, réactifs de laboratoire, adjuvants dans les greffes de tissus, réactifs d'analyse, anticoagulants et agents pour accroître le rendement laitier ou le poids corporel des poissons.

Le génie génétique a également donné lieu à des applications indirectes. E n Australie, l'adjonction dans le régime alimentaire des moutons de luzerne à teneur accrue en cysteine a permis d'augmenter la production de laine de 5 %, ce qui rapporte chaque année 300 millions de dollars australiens. Et tout cela s'est produit dans les quinze années qui ont suivi les travaux — récompensés en 1980 par le prix Nobel de chimie — par lesquels Paul Berg a commencé à défricher ce nouveau domaine.

Les nouveaux vaccins

Les progrès des biotechnologies ont rendu possible une nouvelle approche de la mise au point de vaccins qui est fondée sur l'utilisation d'antigènes produits par le génie génétique. Cette technique permet de modifier les antigènes naturels pour éliminer certains inconvénients qui leur sont inhérents, tels que l'instabilité et le risque de contamination, par exemple — pour les antigènes viraux — avec des virus qui ne sont pas complètement inactivés. E n outre, il est fréquent que l ' immuno-gène ne soit pas présent en quantité suffisante dans les antigènes naturels. C'est le cas, notamment, du virus de l'hépatite ou de la fièvre aphteuse, ou encore de Mycobacterium leprae, le bacille de la lèpre.

E n ce qui concerne la fièvre aphteuse, un vaccin fabriqué grâce à la technologie de l ' A D N recombiné est déjà disponible depuis quelque temps en Occident. U n e autre percée a été réalisée récemment avec la mise au point d 'un vaccin contre l'hépatite B . E n France, ce vaccin a été testé sur plusieurs milliers de volontaires et

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son utilisation chez l'être humain est maintenant approuvée; il contient l'antigène viral de surface pur qui, par sécrétion d'une levure manipulée, forme spontanément des agrégats qui ressemblent beaucoup à la coque du virus naturel et sont haute­ment immunogènes.

Les scientifiques de la société Transgène, travaillant en collaboration avec l'Institut Pasteur de Paris, sont sur le point d'élaborer un vaccin bon marché contre la schistosomiase, qui affecte chaque année près de 250 millions d'individus dans les régions tropicales du monde . Des progrès ont été réalisés dans la conception d'un vaccin contre la dengue, maladie virale grave qui commence maintenant à gagner l'Amérique du Nord ; transmise par un moustique, elle était jusqu'ici endé­mique dans une grande partie de l'Asie, de l'Afrique du Sud, de l'Amérique du Sud et de l'Amérique centrale. Le clonage du gène codant pour la principale protéine de surface de Plasmodium falciparum, espèce qui provoque la plupart des infections paludéennes graves chez les humains, a ouvert la voie à la mise au point d'un vaccin efficace qui devrait, il est permis de l'espérer, empêcher la maladie de toucher les individus vaccinés et en freiner ainsi la propagation. Ce vaccin a été soumis à des essais, en Colombie par exemple.

Près de 12 millions d'individus souffrent de la lèpre. Rien qu'en Inde, on compte environ 300 000 nouveaux cas chaque année et des millions d'habitants devront être vaccinés si l'on veut atteindre l'objectif d'éradication de la maladie d'ici à l'an 2000. Or un vaccin cloné pourrait fournir les quantités nécessaires pour éliminer totalement cette maladie. Les scientifiques ont fait beaucoup de progrès dans ce sens. Ils ont identifié les antigènes à la surface de Mycobacterium leprae et en ont déjà cloné certains dans E. coli; ils essaient maintenant de déterminer lequel de ces antigènes conviendrait pour un vaccin. Certains travaux pourraient aussi fournir un meilleur test pour le diagnostic de la lèpre que ceux dont on dispose actuellement. Trois vaccins, dont deux ont été mis au point localement et le troisième, sous les auspices de l ' O M S , font déjà l'objet d'essais en Inde.

Des progrès appréciables ont également été réalisés sur la voie de la mise au point de quatre des cinq vaccins contre les agents qui provoquent la diarrhée : les rotavirus, responsables d'environ 40 % des diarrhées qui menacent la vie des enfants âgés de moins de deux ans et font 500 000 morts par an ; Salmonella typhi-murium, responsable de la fièvre typhoïde; le bacille responsable du choléra; et Shigella dysenteriae. Le vaccin contre le rotavirus mis au point par Albert Kapikin, de l'Institut national de la santé des États-Unis d'Amérique, est soumis à des essais dans plusieurs pays, notamment en Finlande, au Venezuela et au Pérou. Pour des raisons que l'on ne s'explique pas, l'efficacité des vaccins contre le choléra produits par génie génétique demeure limitée. O n s'efforce de produire de la m ê m e manière des vaccins contre d'autres maladies (SIDA, grippe, méningite, herpès, rage, coque­luche, rougeole, poliomyélite, tuberculose, rhumatisme articulaire aigu, infections dues au pneumocoque et peste bovine), dont la mise au point ou l'expérimentation sont, suivant les cas, plus ou moins avancées. L ' O M S a entrepris un important programme d'action dans ce domaine.

Les vaccins destinés à réguler la fécondité, fondés sur des produits du génie génétique tels que la chaîne bêta de la gonadotrophine chorionique humaine, font également l'objet de recherches ou d'essais cliniques. Étant donné les avantages inhérents à un vaccin obtenu de cette façon, tout succès concernant l'un quelconque de ceux qui ont été énumérés ci-dessus fera date dans l'histoire de la lutte contre les maladies qui affectent notre planète.

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La production de substances chimiques grâce aux biotechnologies : faits, espoirs, rêves et doutes

Les produits chimiques fondés sur Vimmunotechnologie et la nouvelle technologie de VARN

Lorsqu'une substance étrangère pénètre dans le corps d 'un vertébré, les plasmocytes (type de globules blancs) du sang sécrètent en grand nombre une classe de molécules protéiques : les anticorps. C e phénomène est appelé réaction immunitaire de l'orga­nisme. Les anticorps ont la faculté de se combiner avec l'antigène, c'est-à-dire la substance étrangère, et de déclencher des processus susceptibles de la neutraliser et de l'éliminer. L a réaction des anticorps face à un antigène typique est très hétéro­gène, un clone de plasmocyte ne produisant qu'un type d'anticorps. Ainsi, de m ê m e qu'il provoque la prolifération de divers plasmocytes, chaque antigène entraîne la production de divers anticorps, qui sont tous chimiquement différents les uns des autres. Les travaux de Georges Köhler et César Milstein, qui ont été les premiers à défricher ce domaine et ont été récompensés par le prix Nobel de médecine en 1984, permettent aujourd'hui de sélectionner et d'immortaliser les plasmocytes d'un type particulier — ne produisant qu'une espèce chimique d'anticorps — en les fusionnant avec une cellule cancéreuse. Chaque clone de plasmocyte ainsi formé devient une source durable de production substantielle d'un seul anticorps, hautement spéci­fique. O n peut conserver indéfiniment ces cellules hybrides et, à tout m o m e n t , cultiver des échantillons congelés ou les injecter à des animaux afin de produire à grande échelle ce que l'on appelle un « anticorps monoclonal ». Les anticorps très spéci­fiques obtenus par cette méthode générale se sont révélés parfaitement adaptés à de multiples usages dans de nombreux domaines de la recherche biologique et de la médecine clinique.

Les anticorps monoclonaux susceptibles d'être produits en grandes quantités paraissent devoir se prêter à une large utilisation c o m m e nouveaux réactifs per­mettant de diagnostiquer rapidement les maladies. Il y aura ainsi des kits de diagnostic à domicile pour détecter les grossesses et diverses maladies, dont le cancer, à un stade précoce. Aujourd'hui, on peut soigner la plupart des cancers, pourvu qu'ils soient décelés suffisamment tôt. E n fait, il est probable qu'au cours des dix prochaines années, le m o d e d'utilisation de ces kits et de ceux qui pourront être mis au point pour mesurer des paramètres tels que le sucre dans les urines deviendra un élément du programme scolaire obligatoire. L'usage à domicile des tests de grossesse est déjà largement répandu et constitue peut-être l'application domestique la mieux connue de la biotechnologie.

L'injection dans l'organisme d'anticorps monoclonaux couplés à des radio-isotopes a permis d'améliorer les techniques de radio-isotopographie appliquées aux patients atteints de cancer. Les conjugués moléculaires de ces anticorps avec des cytotoxines telles que la ricine, les radionucléides ou la gélonine, sont capables d'aller se fixer sélectivement sur les cellules cancéreuses et de les tuer; certains de ces conjugués — un type d'immunotoxine — sont actuellement soumis aux premiers essais cliniques. Les anticorps monoclonaux peuvent également servir à bloquer les récepteurs cellulaires spécifiques afin d'inhiber la fonction biologique d'un type particulier de cellules — par exemple les cellules T qui sont responsables du rejet des greffes de tissus ou des transplantations d'organes.

Des anticorps monoclonaux chimériques — moitié souris et moitié h o m m e — ont été fabriqués récemment à grande échelle pour remplacer des anticorps m o n o ­clonaux entièrement humains, qui seraient parfaits pour prévenir une réaction immunitaire du patient, mais qu'il est difficile de produire directement. O n estime

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que la technologie de ces anticorps rapportera plus de 2 milliards de dollars des États-Unis par an dès la fin de cette année.

Plus de 200 kits immunodiagnostiques ont déjà été mis au point pour déceler les maladies. Il n'y a pas longtemps, Metlabs Ltd a annoncé à Dublin la commer ­cialisation d'un nouveau kit de test E L I S A {enzyme-linked immunosorbant assay — titrage immunoenzymatique utilisant un antigène absorbé) destiné à mesurer une protéine spécifique du sang qui pourrait servir de marqueur pour les fumeurs à haut risque.

Mais il se peut qu'aucun résultat obtenu depuis un an ou deux en i m m u n o -technologie n'ouvre des perspectives aussi passionnantes que la démonstration que l'on peut contraindre à la fois Escherichia coli et les plantes à produire des anticorps et que ceux-ci peuvent également servir d'enzymes, par exemple d'enzymes protéoly-tiques capables de casser ou de cliver des protéines en un site spécifique. Ces découvertes donnent une dimension toute nouvelle aux possibilités de production et d'utilisation des anticorps.

U n prix Nobel vient d'être décerné pour une remarquable découverte établis­sant que l ' A R N (acide ribonucléique) peut également servir d'enzyme. Des méthodes viables de synthèse chimique de cet acide ont maintenant été mises au point et il ne fait pas de doute que cela va donner une impulsion nouvelle aux recherches sur les possibilités d'utiliser l ' A R N pour assurer certaines réactions enzymatiques d'intérêt commercial.

Sondes pour maladies et empreintes génétiques

Le Mendelian inheritance in man de Victor McKusick, qui est la bible des spécialistes de génétique médicale, recense quelque 3 500 maladies humaines dues à des gènes défectueux. Des maladies c o m m e l'hémophilie, la mucoviscidose et la trisomie 21 figurent parmi les maladies génétiques courantes. E n outre, des facteurs génétiques peuvent contribuer à provoquer certaines malformations congénitales et certains cas d'arriération mentale, ainsi que des troubles fréquents chez l'adulte tels que le diabète, la schizophrénie et les coronaropathies. E n particulier, les diverses anémies héréditaires, telles que la drépanocytose et la thalassémie, touchent des centaines de milliers d'enfants en Afrique, dans la région méditerranéenne, au Moyen-Orient, dans le sous-continent indien et dans toute l'Asie du Sud-Est. D e nombreuses maladies héréditaires sont incurables; m ê m e lorsqu'une thérapie existe, elle est souvent onéreuse et douloureuse et doit être suivie tout au long de la vie. Aussi beaucoup d'efforts ont-ils été consacrés à leur prévention. Entre autres applications passionnantes, la technologie de l ' A D N recombiné permettra sans doute de guérir des maladies génétiques humaines en corrigeant dans la structure de l ' A D N 1' « erreur » responsable de la maladie ou en transférant un gène fonctionnel normal dans les cellules défectueuses. La consultation en temps voulu d'un généticien capable de donner des indications exactes sera un des préalables à l'emploi de la technique de recombinaison de l ' A D N pour combattre les affections héréditaires. Heureusement, on peut aujourd'hui diagnostiquer nombre de ces affections au tout début de la grossesse, que l'on peut interrompre si le foetus a hérité d'un gène défectueux.

Des chercheurs de l'Université de l'Arizona ont mis au point des sondes pour détecter les virus dans l'eau. Le test est si sensible qu'il peut déceler dix particules virales dans 1 000 litres d'eau et identifier les virus qui provoquent la poliomyélite, la méningite et la diarrhée infantile.

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La mise au point de la technique des empreintes génétiques constitue, à cet égard, une application utile et remarquable de la biotechnologie. Cette technique, fondée sur l'analyse d u matériel génétique de l'individu, est aujourd'hui le m o y e n le plus sensible et le plus fiable dont on dispose pour identifier une personne. Elle consiste à couper l ' A D N d'un individu — une racine de cheveu suffit — avec des « ciseaux » chimiques appelés endonucléases de restriction et à séparer les fragments d ' A D N ainsi obtenus par électrophorèse sur gel. Les fragments séparés sont ensuite explorés à l'aide d'une sonde A D N adaptée clonée dans des bactéries et donc produite en grande quantité par génie génétique. Cette sonde est rendue radioactive ou marquée d'une autre façon appropriée avant utilisation. La configuration révélée sur le gel par autoradiographie, qui détecte les fragments d ' A D N auxquels la sonde s'est liée, est propre à chaque individu.

Le succès de cette technique dépend de la sensibilité de la sonde. D e u x tech­niques d'empreintes génétiques sont actuellement disponibles sur le marché, l'une mise au point par Alee Jeffrey au R o y a u m e - U n i , l'autre par Lalji Singh et ses collaborateurs dans notre laboratoire d'Hyderabad. Il est incontestable que cette technique sera largement utilisée à l'avenir, non seulement pour identifier des êtres humains et établir des liens de parenté entre eux, mais aussi pour déterminer le plasma germinatif des végétaux — et constituer une documentation appropriée à cet égard — ainsi que le matériel génétique des animaux afin d'en définir la lignée avec certitude. La production de sondes pour cet usage, ainsi que pour le diagnostic des maladies héréditaires, donnera alors naissance à toute une industrie.

Des substances chimiques dérivées de cultures de cellules

La culture de tissus — c'est-à-dire la capacité d'amener des cellules aussi bien végétales qu'animales à croître et à se diviser dans une éprouvette, un peu à la manière des cellules microbiennes — est une des avancées techniques importantes qui ont révolutionné la biologie moderne. L'organisme tout entier d'une carotte, par exemple, peut être régénéré à partir d'une seule cellule provenant de n'importe quelle partie de la plante. D e nombreuses cellules, tant végétales qu'animales, produisent et sécrètent dans le milieu de culture des substances chimiques d'intérêt commercial. O n peut m ê m e maintenir ces cellules en culture de façon permanente, opérer de temps à autre des ponctions dans le milieu et le reconstituer. O n peut ensuite traiter ce dernier pour obtenir la substance chimique voulue. B o n nombre de substances ayant une importance commerciale ont été produites de cette façon avec des rendements suffisants pour assurer la viabilité de l'opération, notamment l'ajmalicine (antihypertenseur), la codéine (analgésique), la digoxine (cardiotonique), la diosgénine (contraceptif oral), l'ubiquinone-10 (utilisée dans le traitement des cardiopathies), la berbérine (antiseptique), la shikonine (employée dans le traitement des brûlures et des maladies de la peau, c o m m e pigment rouge pour la teinture de la soie et dans la fabrication de rouges à lèvres biologiques), les anthocyanines (utilisés c o m m e pigments), la stévioside (édulcorant) et le pyrèthre (insecticide). Des cher­cheurs mexicains ont mis au point u n procédé permettant d'obtenir, à partir de cultures de cellules végétales, des aromatisants au goût de piment. Enfin, on a réussi à faire pousser en laboratoire des vésicules à jus d'agrumes.

L'utilisation des cultures de cellules animales pour la production de substances chimiques utiles à l'industrie n'a pas connu le m ê m e essor. La principale réussite dans ce domaine est peut-être la production d'un interferon de plusieurs types

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(alpha-1, bêta-1 et bêta-2) en culture de fibroblastes. O n a pu immortaliser des cellules produisant de la rénine de sorte qu'il est désormais possible d'obtenir cette enzyme utilisée pour la fabrication de fromages à partir de cellules animales multipliées dans des cultures de tissus.

Exploitation des activités biochimiques des microbes

L a fermentation, en vue de la production d'éthanol ou d'alcool ordinaire, est peut-être le plus vieux procédé biotechnologique auquel l'être humain ait recouru pour fabriquer une substance chimique. L'éthanol est l'une des substances chimiques organiques qui revêt le plus d'importance sur le plan industriel et c'est aussi une source d'énergie potentielle de premier ordre. Il est employé c o m m e solvant, agent d'extraction et antigel. E n outre, il sert de matière première pour la synthèse d'un grand nombre d'autres composés organiques utilisés c o m m e solvants, agents d'extraction, teintures, produits pharmaceutiques, lubrifiants, adhésifs, détergents, pesticides, plastifiants, revêtements de surface, cosmétiques, explosifs et résines pour la fabrication de fibres synthétiques. O n le fabrique soit par synthèse à partir de produits pétrochimiques, soit biologiquement en faisant fermenter la levure Saccha-romyces cerevisiae ou d'autres micro-organismes sur des sucres tels que la mélasse.

Avec la fermentation, on produit aussi de l'acide acétique, de l'acétone, du butanol et de l'aide citrique. C e dernier, par exemple, est fabriqué par des moisis­sures dans un milieu où l'on a créé u n déséquilibre nutritif en limitant l'apport de certains minéraux tels que le fer et le manganèse; la fermentation d'une source de sucre appropriée telle que la mélasse est l'unique source de production de cette importante substance chimique, sans laquelle l'industrie des boissons non alcoo­lisées ne serait peut-être pas viable.

Parmi les autres produits, importants pour l'industrie, fabriqués à l'aide de micro-organismes avant l'entrée en scène des biotechnologies modernes figurent d'autres acides organiques, des antibiotiques tels que la pénicilline, des vitamines et d'autres metabolites secondaires tels que les toxines et les alcaloïdes. Puis il y a eu les produits dérivés des algues — notamment l'alginate, le carragheen et l'agar-agar —, sans lesquels la vie moderne ne serait pas ce qu'elle est. Ces phyco-colloïdes sont utilisés c o m m e gélifiants, stabilisateurs et émulsifiants dans les produits laitiers, la boulangerie, les dentifrices, les shampooings, les teintures et les peintures, ainsi que dans les papiers, les textiles et les aliments conditionnés.

Le développement des biotechnologies modernes a notamment été axé sur les objectifs suivants : utiliser des sources non traditionnelles telles que la cellulose et les polymères

associés du bois qui sont abondants, renouvelables et bon marché, c o m m e matière première pour la production d'éthanol. Les plastiques tels que le poly­propylene et le polyethylene sont obtenus par polymérisation d'oxydes d'alcène, qui sont maintenant synthétisés à partir de produits pétrochimiques. Leur coût baissera beaucoup si l'éthanol devient plus abondant et moins coûteux. Aussi les efforts dans ce domaine ont-ils en particulier porté sur la mise au point d'enzymes capables de décomposer la cellulose en éléments sucrés plus simples qui seront ensuite utilisés par un micro-organisme pour fabriquer de l'éthanol;

trouver des sources biologiques nouvelles et meilleur marché de substances c o m m e l'agar-agar dont la demande a considérablement augmenté depuis quelque temps. Le développement sans précédent de l'usage de cette substance dans

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l'électrophorèse sur gel, procédé qui est une des pierres angulaires des biotech­nologies, explique que le prix de sa forme hautement purifiée, l'agarose, ait plus que décuplé en quelques années;

trouver de nouveaux organismes qui donneront de meilleurs rendements de produits connus. Ainsi, les chercheurs de l'Université de Floride ont récemment annoncé la création d'une bactérie qui transforme les sucres des végétaux et du bois de la biomasse en éthanol avec un rendement de 90 à 95 %;

trouver de nouveaux procédés pour la production de substances chimiques connues. Des chercheurs mexicains viennent, par exemple, de mettre au point un procédé de production de pénicilline par fermentation solide économiquement avan­tageux parce que non stérile. Il produirait dix-sept fois plus de pénicilline que les méthodes traditionnelles, en un laps de temps plus court;

trouver de nouvelles utilisations pour les produits dont on sait déjà qu'ils sont fabriqués par des micro-organismes. Parmi ces produits figurent les médi­caments contre le cancer et les maladies cardiovasculaires, les antifongiques et les antiviraux, pour lesquels il existe un marché potentiel de plus de 600 millions de dollars par an;

combiner les manipulations génétiques et environnementales pour atteindre des degrés jusqu'ici insoupçonnés de transformation des matières premières en vue d'obtenir le metabolite primaire voulu sans avoir à remplir des conditions aussi rigoureuses.

Dans le cadre des nouvelles biotechnologies, on s'attache à exploiter des micro­organismes inhabituels ou à en trouver ou en fabriquer de nouveaux qui soient capables de fournir la substance recherchée avec des rendements et dans des condi­tions économiquement viables. E n voici quelques exemples.

O n utilise aujourd'hui de plus en plus souvent des micro-organismes pour produire des enzymes. L a lipase Candida rugosa sépare les produits de l'hydrolyse du suif — acides gras et glycérine — en deux couches en 20 minutes à 40 °C, c'est-à-dire infiniment plus vite que les procédés existants. O n connaît aujourd'hui des micro-organismes qui sont capables de survivre dans des conditions de tension considérable, par exemple sous haute température. L'exploitation des capacités biochimiques de ces organismes peut avoir une très grande portée économique. Ainsi, on a découvert une enzyme dans la bactérie Acidothermus cellulolyticus, rési­dente des sources chaudes de Yellowstone aux États-Unis d'Amérique, qui peut être utilisée pour la clarification des jus de fruits, m ê m e à 75 °C. O n peut se servir d'une pectinase dérivée à'Aspergillus niger pour accroître les rendements de jus, abaisser la viscosité, augmenter l'extraction de colorants et améliorer la clarification. Bacillus stearothermophilus contient une lipase qui peut aider à fractionner les graisses en molécules plus petites utilisables en pâtisserie. La température où il fonctionne, 65 °C, tue les autres micro-organismes, stérilisant ainsi le produit. Les graisses sont liquéfiées à cette température, de sorte qu 'on peut se passer de solvants. O n économise de l'argent et on évite les risques inhérents à leurs résidus. Parmi les autres enzymes qui sont actuellement produites à une échelle industrielle par des micro-organismes, ou ont des chances de l'être, citons l'amylase, la streptokinase, la lipase d'Aspergillus, qui peut être employée c o m m e détergent, la protease de Thermonospora fusca, qui conserve son pouvoir détergent jusqu'à 80 °C, et l'aminopeptidase, utilisée dans le conditionnement des aliments. E n faisant réagir de l'inuline avec une enzyme qui décompose l'inuline purifiée provenant d'un

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certain type de bactéries du sol, on obtient du difructose, édulcorant bien connu que l'on peut ainsi produire en grande quantité.

Parmi les substances chimiques organiques simples qui sont actuellement pro­duites à partir des alcanes par des techniques microbiologiques, ou sont susceptibles de l'être dans un avenir très proche, figurent des acides aminés tels que l'acide glutamique, l'ornithine, la phenylalanine, la tyrosine, la phénylglycine et I'hydroxy-phénylglycine; des acides organiques tels que l'alphacétoglutarique, le fumarique et les acides dicarboxyliques à longue chaîne; des vitamines telles que la ribo­flavine, l'hydrochlorure de pyridoxine et le phosphate de pyridoxal, et la vita­mine B 1 2 ; ainsi que plusieurs autres substances telles que l'ergostérol, le B-carotène, les xanthophylles et divers types d'hydrates de carbone. (Le xanthane, substance colloïdale fabriquée par la bactérie Xanthomonas campestris, est très utilisé c o m m e stabilisant et épaississant dans l'industrie alimentaire, et l'industrie du pétrole commence maintenant à s'en servir c o m m e ingrédient des boues de forage.)

N o u s savons aujourd'hui cultiver l'algue Dunaliella salina de manière que plus de 50 % de son poids sec soit du glycerol. D e m ê m e , l'Institut national japonais de recherche alimentaire a réussi à produire de l'érythritol en faisant fermenter du sucre de raisin sur de la levure Aureobasidium, avec un rendement de 47 % de la teneur en sucre. L'érythritol pourrait être utile c o m m e édulcorant non calorique, puisqu'il n'est métabolisé ni par l'organisme humain ni par la flore intestinale. Son pouvoir sucrant est égal à 80 % de celui du sucre de canne. Dans un proche avenir, il devrait être possible de produire des substances c o m m e l'éthylène, le propylene, le butylène et le butadiene en utilisant la fermentation et des micro-organismes appropriés. Les ressources de la biomasse peuvent également fournir des matières premières à l'industrie chimique à des prix raisonnables et contribuer ainsi à la conservation des ressources forestières. Les déchets végétaux et animaux et les eaux usées peuvent être digérés par des bactéries et des champignons pour produire du gaz contenant près de 60 % de méthane. Ce biogaz peut être utilisé pour la cuisson et le chauffage ou être transformé en methanol (combustible liquide). Les déchets urbains peuvent aussi servir à la production de gaz et d'électricité.

Deux cas au moins de production de matières plastiques biodégradables par des micro-organismes ont été signalés. U n groupe japonais a utilisé des bactéries fixant l'hydrogène pour transformer un acide 4-hydroxybutyrique en polyesters qui s'accumulent en grande quantité à l'intérieur de la bactérie lorsque les conditions de culture s'y prêtent. Le biopol est un autre polymère biodégradable contenant du polyhydroxybutyrate produit par certaines bactéries dans le cadre d'une réaction de fermentation. C e polymère peut être moulé et extrudé de la m ê m e façon que les matières thermoplastiques traditionnelles. Il est en outre compatible avec les tissus animaux et convient donc pour de nombreuses applications humaines et vétérinaires.

Produits complexes dérivés d'animaux et de végétaux

D e nouvelles techniques permettent de purifier suffisamment des protéines, c o m m e le facteur VIII du sang, pour que leur exploitation commerciale devienne possible. Mais il est incontestable qu'on pourrait obtenir ces substances à moindre frais par génie génétique. Par ailleurs, on continue de découvrir dans le m o n d e biologique qui nous entoure de nouvelles matières complexes susceptibles de se prêter à toutes sortes d'applications. Ainsi, le guayule, qui donne du caoutchouc naturel, semble être un bon agent protecteur contre divers xylophages marins et terrestres.

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Le mucilage de la partie terminale des spores, colle naturelle forte qui peut lier les spores fongiques libres de Magnaporthe grísea à diverses parties des plants de riz, qui succombent alors à la pyriculariose, semble pouvoir être exploité commercialement.

Utilisation de l'organisme vivant tout entier

Bacillus thuringiensis, bactérie produisant une toxine qui tue les insectes, pourrait être largement utilisé c o m m e pesticide, mais il serait peut-être bien plus économique d'introduire dans la plante un gène codant pour cette toxine; c'est d'ailleurs ce qui a été fait pour le tabac et la tomate. Le gène de la toxine de B. thuringiensis a également été introduit dans la bactérie Clavibacter xyli qui, si on fait en sorte qu'elle vive en symbiose avec le blé, pourrait le protéger contre les attaques de certains insectes.

Pseudomonas syringae contient un gène codant pour une protéine qui sert de noyau pour la formation de glace en cas de gel, ce qui provoque des dégâts. Des organismes que l'on a débarrassés de ce gène par manipulation génétique, appelés P. syringae « ice-minus », ont été soumis à des essais sur le terrain au cours desquels les dégâts dus au gel n'ont atteint qu'un tiers de ceux qu'avaient subis les plantes non protégées. Biotechnica International a construit une souche de Rhizobium dotée d'une meilleure capacité de fixation de l'azote. L'expression dans les racines de diverses plantes des gènes qui synthétisent les protéines sécrétoires capables de solubiliser les phosphates pourrait révolutionner la technologie des engrais phosphoriques.

Des scientifiques ont introduit dans des plants de tabac le gène qui confère une résistance à la sulfomylurée, un herbicide. Les scientifiques de Monsanto ont fabriqué un chou-fleur modifié qui produit près de vingt fois le taux normal de 5-enol pyruvyl shikimate-3-phosphate, ce qui le rend résistant à u n autre herbicide, le glyphosate. O n a également rendu résistants à la phosphinothricine, qui est un herbicide, des plants de p o m m e de terre, de tabac et de tomate. O n a également obtenu des plants transgéniques de Brassica napus, un des oléagineux les plus importants du m o n d e , qui sont résistants au methotrexate.

D e nouvelles voies microbiennes, permettant de métaboliser les substances chimiques présentes dans l'environnement lorsque la pression de sélection est faible, se dégagent lentement. Partant de ce principe et utilisant des cultures mixtes de microbes, on a réussi à dégrader des déchets toxiques récalcitrants tels que la dioxine, les biphényles polychlorés, les phénols chlorés et les benzènes chlorés.

Il a été rapporté à plusieurs reprises que des procédés de lixivation bactérienne de résidus minéraux avaient été mis au point en vue de récupérer, par exemple, de l'or et de l'argent. L 'une de ces informations vient du Pérou. Certaines bactéries, appartenant principalement au genre Thiobacillus, contribuent à cette opération en transformant les éléments ferreux de divers composés en éléments ferriques. U n projet, entrepris sous les auspices du Ministère de l'énergie des États-Unis d ' A m é ­rique, vise à produire du carburant à partir d'algues microscopiques bien tolérées par l'environnement qui ont u n taux de croissance élevé et une forte teneur en lipides.

U n e autre possibilité mérite d'être mentionnée, celle de la célèbre protéine uni-cellulaire. Des cellules séchées de micro-organismes — algues, actinomycètes, bac­téries, levures, moisissures et champignons supérieurs — sont cultivées à grande échelle pour fournir des protéines utilisées dans l'alimentation humaine ou animale.

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Il est également probable que nous consommerons à l'avenir des cellules animales et végétales provenant de cultures de tissus.

Les techniques du génie génétique, autrement dit de transfert des gènes, ont jusqu'ici permis de corriger plusieurs anomalies génétiques de cellules humaines et d'animaux entiers. O n a montré, par exemple, que la transfection de cellules d'un patient atteint de Xeroderma pigmentosum et ayant un A D N humain normal conférait une résistance aux ultraviolets, et on a réussi à corriger l'anomalie génétique des hépatocytes du lapin de souche watanabe porteur d'une hyperlipidémie héréditaire. O n a également découvert que l'injection de 200 copies du gène codant pour la protéine de base de la myéline dans des embryons de souris conférait une résistance à la maladie neurologique qui se traduit par un tremblement incontrôlable, des convulsions et une mort précoce chez plusieurs souches de souris.

Enfin, on a réussi à introduire dans des cultures vivrières des gènes codant pour des protéines abondamment pourvues en acides aminés essentiels.

Synthèse en laboratoire et manipulation

Des procédés rentables de synthèse chimique de peptides et de protéines de petite taille ont été mis au point, notamment pour les substances suivantes : calcitonine, sécrétine, somatostatine, thyréolibérine, hormone antidiurétique, gonadolibérine, glucagon et adrénocorticotrophine, qui ont toutes moins de quarante acides aminés, et pour la plasmine spermatique qui en a quarante-sept et qui a été récemment synthétisée par R . Nagaraj, de notre laboratoire. Des scientifiques japonais ont synthétisé un peptide qui, à très faible concentration, abaisse l'hypertension pro­voquée par une anomalie du système rénine-angiotensine-aldostérone. O n a égale­ment synthétisé l'hormone mélanotrope ( a - M S H ) , susceptible d'être utilisée pour le traitement des mélanomes (tumeurs de la peau) et d'autres dermatoses et de donner lieu à terme à une demande considérable en tant que cosmétique. Il existe aujourd'hui un peu partout dans le m o n d e des entreprises qui sont prêtes à synthé­tiser n'importe quel gène sur c o m m a n d e .

Le Battelle Institute de Londres a fait état d'un matériau d'emballage biodé­gradable à base d'amidon. Les Japonais ont mis au point une feuille de plastique biodégradable opaque en exploitant les liaisons chimiques de deux ou trois composants naturels de plantes et de microbes.

L ' u n des soucis de l'industrie pharmaceutique moderne est de trouver le moyen de fabriquer des médicaments qui n'atteignent que le tissu visé et se libèrent lente­ment. L'encapsulation des substances médicamenteuses dans des membranes lipi­diques artificielles, les liposomes, qui peuvent être conçus de façon à ne se diriger que vers leur cible, est une des façons de résoudre le problème. Les médicaments qui ont été encapsulés de cette manière et sont déjà soumis à des essais cliniques ou vont probablement l'être dans un proche avenir sont les suivants : doxorubicine, platine L - N D T P , daunorubicine et muramyltripeptide, tous utilisés dans le trai­tement du cancer; gentamicine pour les infections bactériennes à G r a m négatif; amphotéricine-B et miconazole pour les infections fongiques; insuline pour le diabète; indium pour la visualisation des tumeurs; sulfate de métaprotérénol contre l'asthme et minoxidil pour la pousse des cheveux par application locale.

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Perspectives à court et moyen terme

Depuis la commercialisation de l'insuline en 1923, des hormones thyroïdiennes en 1934, du facteur VIII en 1948 et de la calcitonine en 1970, les hormones, les protéines sériques et les enzymes sont devenus des agents thérapeutiques à part entière. Beaucoup de ces protéines ont été évoquées plus haut. E n voici quelques autres qui sont utilisées aujourd'hui : l'aprotinine provenant d u bétail et employée pour arrêter les hémorragies et dans le traitement des chocs; L-asparaginase de E. coli, contre la leucémie; la collagénase à partir de micro-organismes, pour soigner les blessures; la dextranase provenant de l'agent de moisissures Pénicillium, pour la prévention des caries; l'hirudine provenant de sangsues, contre l'emphysème et pour la prévention de la thrombose; les hyaluronidases extraites du bétail, pour les infections percutanées; la kallicréine, tirée du porc, pour les troubles circula­toires; le lysozyme, provenant d'œufs de poule, pour les infections bactériennes; les hormones thyroïdiennes prélevées sur le bétail pour les troubles du métabolisme ; plusieurs toxines de serpents et d'abeilles, pour les troubles de la circulation et les rhumatismes; et plusieurs enzymes qui jouent un rôle dans la digestion c o m m e l'amylase, la carboxypeptidase, la chymotrypsine, la lipase, la pepsine et la trypsine, qui proviennent de bovins et de porcins, et, dans certains cas, des micro-organismes utilisés pour soigner les troubles digestifs et les blessures. Citons également d'autres protéines c o m m e l'angiotensinase, tirée du placenta, pour l'hypertension et le fibri-nogène, la thrombine, les immunoglobulines et la plasmine, tirés du sang, pour les troubles de la coagulation du sang, l'immunisation passive et la thrombolyse. Les protéines exploitées par l'industrie pharmaceutique sont aujourd'hui fabriquées par près de 170 entreprises réparties entre au moins 19 pays (Canada, Japon, Pays-Bas, États-Unis d'Amérique, Royaume-Uni , Espagne, Brésil, Antilles, A u s ­tralie, République fédérale d'Allemagne, Danemark , République de Corée, Suisse, Hongrie, Italie, Suède, France, Argentine et Israël). Il ne fait pas de doute que ces listes vont s'allonger rapidement au cours des dix années à venir. Dans les pays susmentionnés et dans d'autres, notamment en Inde, en Irlande, en Australie et au Brésil, des investissements substantiels sont déjà consacrés aux biotechnologies. A u Brésil, pour ne prendre que cet exemple, on dénombre actuellement plus de vingt grandes entreprises qui couvrent des aspects très divers de la recherche-développement et qui fabriquent et commercialisent toutes sortes de produits.

O n estime que, d'ici à la fin du siècle, les substances chimiques obtenues grâce aux biotechnologies représenteront un chiffre d'affaires de plus de 100 milliards de dollars des États-Unis par an. Il est impossible de mentionner tous les travaux en cours. Aussi nous contenterons-nous de quelques exemples.

Les biotechnologies agricoles de demain comprendront la biotransformation de plantes manipulées pour produire des substances pharmaceutiques. Des m y c o -bactéries sont d'ailleurs d'ores et déjà utilisées pour transfomer les bêta-sitostérols, la 2-androstadiène et la 9-alpha-hydroxyandrostènedione qui sont des intermédiaires importants dans la synthèse des hormones Steroides. O n peut introduire les gènes codant pour les enzymes capables de favoriser cette transformation dans les plantes qui ensuite produisent directement les Steroides voulus. Grâce aux techniques du génie génétique et à une sonde appropriée, la détermination du sexe, dans la tech­nique de transfert des embryons, devrait bientôt devenir monnaie courante.

Les micro-organismes peuvent aussi produire des substances chimiques indus­trielles susceptibles d'être employées c o m m e solvants, lubrifiants, emollients, agents

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Chandana Chakrabarti et Pushpa M. Bhargava

d'extraction, adhésifs, acidifiants, matières plastiques, revêtements de surface, explosifs, propergol, essence, additifs, combustibles de substitution, pesticides, teintures, cosmétiques, antigel, liquide pour freins, attendrisseurs de viande, aides à la digestion, vitamines et arômes, ou de servir à fabriquer tous ces produits. Toutefois, sur près de 200 substances d'intérêt commercial que les micro-organismes produisent aujourd'hui à notre connaissance, seules quelques-unes, pour la plupart déjà citées, sont fabriquées industriellement par des méthodes biologiques, à savoir l'éthanol, le n-butanol, l'acétone, l'acide acétique, l'acide citrique, l'acide lactique, les acides aminés et les enzymes. Ce chiffre est appelé à croître. O n trouvera des moyens d'utiliser les déchets riches en hydrocarbures de l'industrie pétrolière pour produire à bas prix des composés utiles tels que les acides aminés, d'autres acides organiques c o m m e le citrate (utilisé pour la fabrication de boissons non gazeuses), des vitamines telles que la riboflavine et la vitamine B l 2 , des sterols c o m m e l'ergo-stérol et certains antibiotiques (notamment du type pénicilline) en employant des micro-organismes manipulés, capables d'exploiter dans les déchets des hydro­carbures les éléments contenant du carbone pour les multiplier et les transformer en toutes ces substances.

Perspectives à long terme

L à encore, nous nous limiterons à quelques exemples. Nous avons déjà de bonnes raisons de croire à l'existence de phéromones humains — signaux olfactifs émis par les êtres humains — qui pourraient être propres à chaque individu (étant par exemple liés à un locus ou déterminés par lui, c o m m e c'est le cas pour le système majeur d'histocompatibilité qui détermine la spécificité immunologique d 'un indi­vidu). Ils contrôlent ou régulent peut-être une partie de la réaction endocrinienne physiologique. Ces signaux régulent peut-être aussi, sans être enregistrés consciem­ment c o m m e signaux olfactifs, le comportement de tel ou tel individu face à tel ou tel de ses semblables. Lorsqu'il les aura identifiés et qu'il en aura compris la chimie et la physiologie, l'être humain disposera d'un moyen entièrement nouveau de contrôler et de réguler certains aspects de son comportement. L'industrie du parfum prendra peut-être alors une dimension nouvelle et, au-delà des aspects purement cosmétiques, revêtira une importance non seulement clinique mais aussi stratégique.

O n a entrepris des projets visant à transférer à des dispositifs électroniques les excellentes fonctions de traitement de l'information (notamment apprentissage, mémorisation et reconnaissance de schémas) dont sont dotés les organimes vivants. L e Royaume-Uni s'apprête à investir en cinq ans dans le développement de l'élec­tronique moléculaire une vingtaine de millions de livres sterling.

Dès que nous aurons compris la cause de l'instabilité intrinsèque des protéines, des horizons entièrement nouveaux s'ouvriront pour la conception de protéines qui rempliront les m ê m e s fonctions que les protéines originales, mais en jouissant de la stabilité de nombreuses substances inorganiques ordinaires.

Avantages et doutes

Les avantages que présentent la mise au point et l'utilisation de produits fondés sur les biotechnologies sont évidents : bas prix, absence de pollution et spéci-

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Page 101: un état particulier de la matière

La production de substances chimiques grâce aux biotechnologies : faits, espoirs, rêves et doutes

ficité des réactions biologiques. Pour les pays en développement, le fait que les biotechnologies mobilisent beaucoup de main-d'œuvre est un atout supplémentaire. Il est donc certain qu'un nombre de plus en plus élevé de substances chimiques seront obtenues grâce aux biotechnologies au cours des années qui viennent. Cependant, les choses ne seront pas toujours parfaitement simples.

Il y aura le problème de la contamination par les protéines hôtes ou d'autres matériels dérivés de l'hôte qui pourraient, par exemple, être très immunogènes. Il faudra, en conséquence, trouver des moyens nouveaux de s'assurer, par exemple, que les protéines humaines produites par E. coli, dont l'usage est autorisé pour les êtres humains ou m ê m e pour les animaux, ne contiennent pas de protéines de ce micro-organisme. Le processus d'autorisation d'utiliser ces produits à des fins alimentaires ou thérapeutiques impliquera donc un protocole différent de celui auquel sont habitués les services de contrôle des divers pays. Ainsi, la Communau té européenne a interdit récemment l'emploi de l'hormone de croissance bovine pour engraisser le bétail, mais cette décision semble hâtive aux yeux de nombreux cher­cheurs. O n pourrait en dire autant de produits qui sont employés actuellement sur le terrain, notamment à des fins agricoles. Les organismes de protection de l'envi­ronnement devront élaborer à cet égard de nouveaux protocoles d'approbation.

Il faudra modifier la structure de l'industrie des biotechnologies, qui emploie trop de main-d'œuvre, ainsi que les relations entre les travailleurs et la direction. Enfin, il y a la question de la protection par des brevets des « nouvelles » formes de vie. Il y aurait peut-être lieu de supprimer tous les brevets concernant les produits fondés sur les biotechnologies, ainsi que les organismes issus de manipulations géné­tiques. Mais nous saurons sans aucun doute surmonter ces problèmes — avant qu'il ne soit trop tard, il faut l'espérer — et faire en sorte que les avantages des produits des biotechnologies l'emportent largement sur les inconvénients inhérents à celles-ci. Aujourd'hui, lorsque nous passons devant une usine de fabrication de produits chimiques, nous ne savons que trop qu'elle est là. Bientôt viendra peut-être un temps où nous ne la verrons pas ou serons incapables de la reconnaître de l'extérieur, car l'industrie chimique aura cédé la place aux usines biochimiques, dont l'architecture sera foncièrement différente. •

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Artexim-Export/Import, Piata Scienteii, no. 1, P . O . Box 33-16, 70005 Bucuresti. Unesco, Bureau régional pour l'Afrique ( B R E D A ) , 12, avenue du R o u m e , B . P . 3311, Dakar; Librairie Clairafrique, B . P . 2005, Dakar; Librairie des Quatre-Vents, 91, rue Blanchot, B . P . 1820, Dakar; Les Nouvelles Éditions africaines, 10, rue Amadou-Hassan N d o y e , B . P . 260, Dakar.

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U n e liste complète des agents de vente dans tous les pays peut être obtenue en écrivant aux Presses de l'Unesco, 7, place de Fontenoy, 75700 Paris, France.

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