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Ce dĂ©sir dâapprĂ©hender le monde par la gĂ©omĂ©trie va, au mĂȘme moment, sâappliquer Ă la levĂ©e des plans de villes. Vers le milieu du xve siĂšcle, les techniques de mesure utilisĂ©es par les navigateurs dans les cartes maritimes â les portulans â, commencent Ă ĂȘtre appliquĂ©es aux relevĂ©s terrestresâ6. Ă partir de plusieurs points dâobservation, des rayons sont projetĂ©s Ă lâaide dâun astrolabe positionnĂ© Ă lâhorizontale et orientĂ© par une boussole. Les points visĂ©s sont ensuite localisĂ©s par les intersections formĂ©es par les diffĂ©rentes roses des vents. Ces procĂ©dĂ©s gĂ©odĂ©siques dĂ©crits par Albertiâ7, marquent de leur rĂ©seau stellaire la cartographie de la Renaissance. Ainsi le plan dâImola dressĂ© par LĂ©onard de Vinciâ8 pour CĂ©sar Borgia au dĂ©but du xvie siĂšcle, est contenu dans un grand disque rayonnant orientĂ©.Issu de lâastronomie et de la navigation, le disque dâarpenteur et son faisceau Ă©toilĂ© est Ă©galement utilisĂ©, Ă cette Ă©poque, pour servir les causes guerriĂšres de la balistiqueâ9. La conception des citĂ©s idĂ©ales, qui relĂšve alors largement de lâingĂ©nierie militaire, se voit confrontĂ©e Ă lâarrivĂ©e « diabolique » des armes Ă feu Ă la fin du xve siĂšcle. Auparavant, les stratĂ©gies dĂ©fensives conduisaient plutĂŽt Ă construire la citĂ© fortifiĂ©e sur un lieu Ă©levĂ©, pour entraver lâapproche de lâassaillant. Avec les armes Ă feu, lâattaquant nâa plus besoin de pĂ©nĂ©trer la citĂ© pour la mettre en pĂ©ril ; il faut donc le neutraliser dĂšs quâil est susceptible de lâatteindre. La citĂ© idĂ©ale paradigmatique, dĂ©crite dans les traitĂ©s mili-taires des xvie et xviie siĂšcles, sâimplante alors en plaine et adopte une forme circulaire ou polygonale organisĂ©e autour dâune place dâarme centrale dâoĂč divergent plusieurs voies rayonnantes, comme autant de lignes de tirâ10. Mais au moment oĂč lâastrologie, lâhermĂ©tisme et le paganisme exercent une forte influence sur la pensĂ©e scientifique de lâĂ©poqueâ11, cette rationalitĂ© militaire ne semble guĂšre concurrencer lâefficacitĂ© du pouvoir magique des formes gĂ©omĂ©triques puresâ12.Deux conceptions cohabitent : dans la balistique, comme dans lâarpentage, les lignes de visĂ©e exigent un vide central dans lequel le sujet peut se positionner ; tandis que, dans la construction picturale, la perspective, mue par un mouvement centripĂšte, impose un
1. Kostof Spiro, The city shaped, Urban Patterns and Meanings Through History, Londres, Thames and Hudson, 1991, pp. 179-185.2. vercelloni Virgilio, La citĂ© idĂ©ale en Occident [1994], Paris, Ăditions du FĂ©lin, 1996, pl. 25.3. Kostof Spiro, op. cit., pp. 184-185.4. vercelloni Virgilio, op. cit., pl. 16.5. lavedan Pierre, Histoire de lâurbanisme : Renaissance et temps modernes, Paris, Henri Laurens, 1941, pp. 11, 23-24.6. gadol Joan Kelly, Leon Battista Alberti, homme universel de la Renaissance [1969], Paris, Ăditions de la Passion, 1995, pp. 159-170.
7. Alberti parle pour la premiĂšre fois de ces techniques dâarpentage vers 1440 dans Descriptio urbis Romae, puis de maniĂšre plus complĂšte dans De re aedificatoria et Ludi matematici Ă©crits vers 1450. gadol, ibid., p. 158.8. Ibid., pp. 167 et 170.9. Ibid., pp. 161-162.10. lavedan Pierre, op. cit., pp. 14-28.11. gadol Joan Kelly, op. cit., p. 185. Voir Ă©galement : houhou Assia, « Des talismans de pierre : les sources Ă©sotĂ©riques de lâarchitecture militaire », Les carnets du paysage (Arles), no 5, 2000, pp. 62-79.12. vĂ©rin HĂ©lĂšne, La gloire de lâingĂ©nieur, Paris, Albin Michel, 1993, p. 92.
AntonâFrancescoâDoni,âuneâcitĂ©âidĂ©aleâradioconcentrique,â1552.
MaggiâetâCastriotto,ââGĂ©omĂ©trieâetâfortificationâ,â1564.
CosimoâBartoli,ââCommentâfaireâdesârelevĂ©sâauâmoyenâdeâlâhorizonâ,âDel Mondo di Misurare,â1564.
âCarteâdeâChristopheâColombâ,âportulan,â1492-1500.
LĂ©onardâdeâVinci,âplanâdâImola,âc.â1502.
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19en nĂ©gatif taillĂ© dans la masse boisĂ©e, rien ne le contraint Ă lâorthogonalitĂ©. Il adopte ainsi la figure du cercle, gĂ©omĂ©triquement parfaite, qui permet dâaccueillir toutes les voies rayonnantes quelque soit leur angle.DĂ©sormais le rond-point sera le plus souvent assimilĂ© au carrefour forestier dont il constituera le paradigme formel, reconnu par les contemporains : « Les bois nâont point de palissades, ni dâallĂ©es ratissĂ©es, ce ne sont que des routes pour la chasse. Ils sont ordinairement plantĂ©s en Ă©toile, avec un grand cercle au milieu, oĂč viennent aboutir toutes les routesâ11. » Le succĂšs du rond-point Ă lâĂąge classique participe dâailleurs de celui de la forĂȘt, dont lâamĂ©nagement fait figure de modĂšle spatial prestigieux : « Tant de chefs-dâĆuvre qui ne se rencontrent point ailleurs, attirent en France lâĂ©tranger, pour acquĂ©rir, par de tels exemples, lâart de percer des routes, de planter des bois, des parcs, & la maniere dâassocier Ă la distribution des Jardins de propretĂ©, la rĂ©gularitĂ©, lâagrĂ©ment & la magnificence. En effet, rien de si ingĂ©nieusement percĂ© que les ForĂȘts de Compiegne, de Fontainebleau, de Chantilly : rien de si intĂ©ressant que les routes des ForĂȘts de Saint-Germain, de SĂ©nar, de Verriereâ12. »
Le parc de Versailles, exploration de la rhĂ©torique spatiale du rond-pointSi la forĂȘt de chasse bĂ©nĂ©ficie probablement de la premiĂšre mise en Ćuvre systĂ©mati-que du rond-point, le jardin ne tarde pas Ă se lâapproprier. DĂ©jĂ dans le rĂ©amĂ©nagement de celui des Tuileries entrepris par Le NĂŽtre Ă partir des annĂ©es 1640, apparaissent des allĂ©es diagonales reliĂ©es par des ronds-points, mais ceux-ci sont encore largement prisonniers du quadrillage prĂ©existant. Il faut attendre la seconde moitiĂ© du siĂšcle pour voir se rĂ©aliser Ă grande Ă©chelle des projets plus ambitieux, dans lesquels la figure du rond-point est manipulĂ©e dans des combinaisons savantes jusquâalors inĂ©dites. Parmi les nombreux projets qui voient alors le jour (Sceaux, Meudon, Chantilly, etc.), câest certainement au sein du prodigieux dispositif paysager amĂ©nagĂ© Ă Versailles Ă partir de 1662, que les ressources formelles du rond-point vont ĂȘtre le plus abondamment dĂ©cli-nĂ©es. Le systĂšme rayonnant â encore thĂ©orique dans les citĂ©s idĂ©ales de la Renaissance et ponctuel dans les travaux romains â devient ici, dans une nouvelle manipulation de
11. dezailler dâargenville, La thĂ©orie et la pratique du jardinage, Paris, Pierre-Jean Mariette, 1747, p. 72.
12.âBlondel Jacques-François, Cours dâArchitecture ou TraitĂ© de la DĂ©coration, Distribution & Construction des BĂątiments, tome i, Paris, Desaint librairie, 1771, p. 156.
J.-B.âOudry,ââLeârendez-vousâauâcarrefourâduâPuitsâduâRoy,âforĂȘtâdeâCompiĂšgneâ,âensembleâdeâtenturesâdesâchassesâdeâLouisâxv,â1736-1738.
ForĂȘtâdeâSaint-Germain-en-Laye,â1818.Tousâlesâronds-pointsâsontânumĂ©rotĂ©sâetâlĂ©gendĂ©sâdansâlaââtableâdesâĂ©toilesâ.
Ătat de la forĂȘt de Cuise, dite de CompiĂšgne, avec les carrefours qui sont dans ladite forĂȘt, faits pour donner les rendez-vous de chasse ; divisĂ©s par Gardes & triages ; avec les noms des routes qui tombent dans lesdits carrefours, & celles quâil faut suivre pour aller auxdits carrefours, en partant de la Plaine de CompiĂšgne, soit Ă cheval ou en calĂšche ; le tout marquĂ© par la carte ci-jointe,âParis,â1736.Extraitsâduâguide,âpageâ7ââetâcarteâdĂ©pliante.
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Yoann Brault y voit une « brillante manifestation du fonctionnalisme moderne » dans laquelle le rond-point « permet de redistribuer, en pĂ©riphĂ©rie ou vers le centre, un trafic fluidifiĂ©â27 ». Si les Ă©crits du xviie siĂšcle demeurent encore peu explicites quant au rĂŽle prĂ©cis assignĂ© au rond-point dans la gestion de la circulation, laissant planer le doute sur cette derniĂšre interprĂ©tation, il en va tout autrement au siĂšcle suivant lorsque le rond-point, transposĂ© Ă lâintĂ©rieur des murs, servira les projets de transformation de la ville existante.
Chapitre 4
Le rond-point en ville, le carrefour devient place et la place devient carrefour
« Que le dessin de nos parcs serve de plan Ă nos villes. Il nâest question que dâen toiser le terrain, et dây figurer dans le mĂȘme goĂ»t des routes qui deviendront des rues, et des carrefours qui feront nos placesâ1 ».Tandis quâau-delĂ des remparts prolifĂšrent les Ă©toiles suburbaines, le motif du rond-point, ne tarde pas Ă (re)devenir une figure urbaine. Par le biais dâune analogie formelle clairement revendiquĂ©e, il constitue Ă partir du xviiie siĂšcle, le modĂšle des places de nombreux plans de villes europĂ©ennes et nord-amĂ©ricaines. Mis Ă part le cas spĂ©ci-fique des villes princiĂšresâ2, on peut citer parmi les applications les plus cĂ©lĂšbres, les plans pour Saint-PĂ©tersbourgâ3 (1717) et Washingtonâ4 (1790), tous deux lâĆuvre de Français : Alexandre Jean-Baptiste Le Blond (1679-1719), Ă©lĂšve prĂ©sumĂ© de Le NĂŽtre, et Pierre -Charles LâEnfant (1754-1852). La portĂ©e du modĂšle versaillais et de ses descen-dants semble alors sortir du territoire national et constituer une influence dĂ©termi-nanteâ5. Ces grands principes de compositions urbaines (symĂ©trie, axes monumentaux, perspectives, points de vue, etc.) polarisĂ©s autour de grands ronds-points, Ă©prouvĂ©s et codifiĂ©s par lâĂ©cole des Beaux-Artsâ6 deviendront la marque des tracĂ©s acadĂ©miques des plans de ville jusquâau xxe siĂšcle.Afin de mieux comprendre les raisons dâun tel succĂšs, qui semble aller au-delĂ de lâappli-cation dâun projet esthĂ©tique, il faut revenir Ă lâĂ©clairage spĂ©cifique que nous livre la France des LumiĂšres ; en effet, Ă travers les interventions intra-muros des embellis-sements et des projets de crĂ©ation de place royale, la figure urbaine du rond-point apparaĂźt comme une rĂ©ponse formelle Ă de nouvelles prĂ©occupations.
27. Brault Yoann, « Le plan Pierre Bullet (1673-1675) », in landau Bernard, monod Claire et lohr Ăvelyne (sous la direction de), Les grands boulevards, un parcours dâinnovation et de modernitĂ©, Paris, Action artistique de la ville de Paris, 2000, pp. 34-36.
Maisons-LaffitteâauâdĂ©butâduâxixeâsiĂšcleâ:âleâtracĂ©ârayonnantâdesâronds-pointsâetâdesâallĂ©esâcavaliĂšresâestâmaintenuâetâparachevĂ©âĂ âlâoccasionâdeâlaâtransformationâdeâlaâforĂȘtâenâlotissementâpaysager.âPlanâduâlotissementâdeâMaisons,â1833.
GĂ©nĂ©alogieâduâplanâdeâWashingtonââparâElbertâPeets,â1929.
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Les carrefours de Le NĂŽtre au secours de la circulation urbaineLes grands projets dâembellissement du xviiie siĂšcle, loin de se limiter Ă penser lâarticu-lation de la ville au territoire, interviennent sur lâespace urbain intra-muros, jugĂ© Ă la fois archaĂŻque et anarchique. LâEssai sur lâarchitectureâ7 de M. A. Laugier nous rensei-gne sur le diagnostic que porte lâĂ©poque sur les problĂšmes posĂ©s par la ville hĂ©ritĂ©e (notamment Paris) et sur les propositions de transformation quâelle imagine.Parmi une sĂ©rie de remarques liĂ©es Ă lâhygiĂšne ou Ă lâesthĂ©tique urbaine, une prĂ©oc-cupation plus technique se fait jour : « Le centre [de Paris] nâa presque point changĂ© depuis trois cents ans : on y voit toujours le mĂȘme nombre de petites rues Ă©troites, tortueuses, qui ne respirent que la malpropretĂ© et lâordure, et oĂč la rencontre des voitures cause Ă tout instant des embarras. [âŠ] On y est exposĂ© Ă une multitude dâem-barras que lâaffluence des voitures et lâinsolence des cochers rendent de jour en jour plus pĂ©rilleuseâ8. » La ville existante nâest pas adaptĂ©e Ă la circulation des voitures (et non lâinverse). Câest Ă partir de ce constat que M. A. Laugier expose les principes de cette nĂ©cessaire adaptation : « Dans une ville, les rues ne peuvent rendre la commu-nication facile et commode, si elles ne sont en assez grand nombre pour Ă©viter les trop grands dĂ©tours, assez larges pour prĂ©venir tous les embarras, et dans un alignement parfait pour abrĂ©ger la route. [âŠ] Il faudrait aligner et Ă©largir presque toutes les rues. Il faudrait les prolonger toutes autant quâelles peuvent lâĂȘtre pour Ă©viter les tournants trop frĂ©quents. Il faudrait percer de nouvelles rues dans tous les massifs de maisons qui ont plus de cent toises de longueur. Dans tous les endroits oĂč les rues se croisent, il faudrait couper les angles. Ă tous les carrefours il faudrait des placesâ9. »Vient ensuite le modĂšle qui donnera forme Ă ces transformations : « Il faut regarder une ville comme une forĂȘt. Les rues de celle-lĂ sont les routes de celle-ci ; et doivent ĂȘtre percĂ©es de mĂȘme. [âŠ] il faut quâun Le NĂŽtre en dessine le plan [âŠ] quâici on aperçoive une Ă©toile, lĂ une patte dâoie ; de ce cĂŽtĂ© des routes en Ă©pi ; de lâautre, des routes en Ă©ventail ; plus loin des parallĂšles ; partout des carrefours de dessin et de figure diffĂ©renteâ10. »Il sâagit donc de tailler dans la ville comme dans la forĂȘt et selon les mĂȘmes motifs. Lâapplication urbaine des motifs rayonnants, dĂ©jĂ mis en Ćuvre dans les jardins et forĂȘts, rĂ©pond Ă une double prĂ©occupation : ordonner et mettre en scĂšne lâespace urbain et libĂ©rer le flux des voitures. Ă travers lâexemple des portes de Paris, Laugier montre comment ces propositions, associant place et rues rayonnantes, combinent Ă la fois la mise en scĂšne de perspectives monumentales et la distribution depuis la porte des diffĂ©rents centres de quartiersâ11. LâidĂ©al esthĂ©tique rejoint les nĂ©cessitĂ©s circulatoires.
1.âlaugier M. A., Essai sur lâarchitecture [1753], LiĂšge, Mardaga, 1979, p. 223.2. Karlsruhe, Ludwigsburg, Aranjuez, Stupinigi, cf. castex Jean, cĂ©leste Patrick, panerai Philippe, Lecture dâune ville : Versailles, Paris, Le Moniteur, 1980, p. 40.3. cohen Jean-Louis, « Saint-PĂ©tersbourg, la rĂšgle et la perspective », in malverti Xavier, pinon Pierre (sous la direction de), La ville rĂ©guliĂšre, modĂšles et tracĂ©s, Paris, Picard, 1997, pp. 55-60 ; corBoz AndrĂ©, Deux capitales françaises Saint-PĂ©tersbourg et Washington, Gollion, Infolio, 2003, pp. 13-57.4. peets Elbert, « Famous town Planners iii â LâEnfant », The Town Planning Review, july 1928, article rĂ©Ă©ditĂ© sous le titre « The Background of LâEnfantâs Plan » dans On the Art of Designing Cities : Selected Essays of Elbert Peets, Cambridge/Londres, Paul D. Spreiregen/mit Press, 1968, pp. 30-49 ; lavedan Pierre, Histoire de lâurbanisme : Renaissance et temps modernes, Paris, H. Laurens, 1941, pp. 485-488 ; corBoz AndrĂ©, op. cit., pp. 61-99.
5. Elbert Peets Ă©tablit une gĂ©nĂ©alogie des modĂšles spatiaux qui ont pu influencer le plan de Washington : le parc et la ville de Versailles, le plan dâEvelyn pour Londres (peets Elbert, « Ancestry of Washington Plan », The Sunday Sun Magazine (Baltimore), 10 fĂ©vrier 1929, pp. 2-3, rĂ©Ă©ditĂ© sous le titre « The Genealogy of LâEnfantâs Plan », in On the Art of Designing Cities : Selected Essays of Elbert Peets, op. cit., pp. 19-25. Steen Eiler Rasmussen quant Ă lui, insiste sur lâinfluence du plan de Wren pour Londres et le rapproche des tracĂ©s des forĂȘts et jardins de la mĂȘme Ă©poque », rasmussen Steen Eiler, Londres, Paris, Picard, 1990, p. 113.6.âmariage Thierry, LâUnivers de Le Nostre, Bruxelles, Mardaga, 1990, p. 127.7. laugier M. A., op. cit.8. Ibid., pp. 209, 313.9. Ibid., pp. 221, 313.10. Ibid., p. 222.11. Ibid., p. 213.
ProjetâdeâJean-BaptisteâAlexandreâLeâBlondâpourâSaint-PĂ©tersbourg,â1717.
ProjetâdeâPierre-CharlesâLâEnfantâpourâWashington,â1790-1791.
LesâgrandesâcompositionsâpolarisĂ©esâautourâdeâronds-pointsâperdurentâdansâlesâprojetsâacadĂ©miquesâjusquâauâxxeâsiĂšcle.ErnestâHĂ©brard,âRome,ââUnâcentreâinternational,âplanâschĂ©matiqueâdeâlaâvilleâ,â1913.
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Il apparaĂźt dĂ©jĂ clairement que la question majeure, avec celle de la largeur et de la recti-tude des voies, est le problĂšme de la rencontre des voitures aux intersections. Laugier prĂ©conise une dilatation de lâespace du croisement : soit en coupant les angles, soit plus radicalement en crĂ©ant des places. Celles-ci, bĂąties Ă lâimage des carrefours fores-tiers, doivent ĂȘtre configurĂ©es idĂ©alement selon le modĂšle du rond-point. Un siĂšcle et demi avant lâinvention du systĂšme giratoire Ă sens unique, le rond-point est donc dĂ©jĂ proposĂ© comme une rĂ©ponse Ă la congestion des carrefours par les voitures.ParallĂšlement, en tant quâĂ©lĂ©ments dâarticulation dâune grande scĂ©nographie urbaine, ces ronds-points rĂ©pondent aux mĂȘmes objectifs que ceux des jardins : constituer Ă la fois le point de fuite des perspectives et le centre dâun dispositif panoptique. NĂ©cessairement plein et vide en mĂȘme temps, le centre de ces places reçoit idĂ©alement un arc de triomphe qui fixe et cadre le point de vue, ou plus simplement un monument vertical (fontaine, obĂ©lisque, colonne, etc.) qui marque la perspective sans lâobstruer. Les voitures sont donc, de fait, amenĂ©es Ă ne pas couper la place-carrefour mais Ă tour-ner autour de lâĂ©lĂ©ment central. Aucun sens encore ne leur est imposĂ©.
Dissolution formelle et instrumentalisation fonctionnelle de la place royaleEn 1748, un concours est lancĂ© Ă Paris pour la crĂ©ation de la place Louis xv ; sa singula-ritĂ© consiste Ă laisser aux candidats la libertĂ© de choisir, au-delĂ de la forme, la loca-lisation de leur projet.Jusquâalors, la place royale est un espace architectural fermĂ©, centrĂ© sur la statue du roi qui vient crĂ©er une rupture dans la continuitĂ© urbaine. Cette soustraction opĂ©rĂ©e dans la ville compacte est un luxe destinĂ© Ă la glorification du pouvoir. Par essence, la place royale est unique et centrale. Mais ici, son rĂŽle semble ĂȘtre dĂ©tournĂ© au profit de nouvelles motivations. Dans le courrier envoyĂ© par le mĂ©decin Meynel de Loinville, on peut lire : « Le premier but quâon se propose en faisant une place est lâutilitĂ© publique, le second est la magnificence, la dĂ©coration dâune ville. LâutilitĂ© consiste Ă dĂ©gager autant que cela se peut de tous embarras, les rues toujours trop Ă©troites dans une grande ville en donnant au public, un terrain vaste, pour y ranger les carrosses, charrettes et autre embarras, comme bois et pierre pour la construction des Ă©difices considĂ©rables, et y mettre en cas de nĂ©cessitĂ©, une troupe nombreuse en bataille pour contenir une popu-lace mutinĂ©e, et pour cela, il faut quâune place occupe la croisĂ©e au moins de deux rues considĂ©rables, dans un centre dâune ville. [âŠ] Il semble quâil nây a aucune place plus convenable que le cimetiĂšre Saint-Innocent, câest lĂ que se rencontrent les deux plus grandes rues de Paris, câest lĂ quâest la communication la plus vivante de cette grande ville câen est comme le centreâ12. » Dans une ville qui sâouvre au flux et Ă lâĂ©change, la place, fut-elle royale, se doit dâabord dâĂȘtre utile, asservie en premier lieu aux nĂ©cessi-tĂ©s de la circulation. Lâanimation induite par le mouvement qui la traverse devient mĂȘme un critĂšre Ă©lectifâ13. Cette conception rejoint dâailleurs celle formulĂ©e quelques annĂ©es plus tard par Laugier, pour qui la beautĂ© dâune place royale se mesure au nombre de rues qui la traversent : « La place des Victoires, quoique la plus petite est cependant la plus belle, Ă cause de cette multitude de grandes rues qui y aboutissentâ14. » Ouverte de toute part, lâintĂ©gritĂ© formelle de la place est dissoute au profit des mouvements qui la sillonnent. Comme lâindique un autre correspondantâ15, la distinction entre une place et un carrefour ne serait dĂ©sormais quâune simple question dimensionnelle.
En 1765, dans Monuments Ă©rigĂ©s en France Ă la gloire de Louis xvâ16, lâarchitecte Pierre Patte passe en revue les diffĂ©rentes places royales amĂ©nagĂ©es en province, avant de consacrer exclusivement sa seconde partie de lâouvrage aux rĂ©sultats du concours pari-sien. Parmi les quelques projets quâil choisit de prĂ©senter en dĂ©tail, trois dâentre euxâ17 prennent place au croisement de plusieurs rues et adoptent naturellement la forme du rond-point, comme cela est rĂ©guliĂšrement le cas Ă lâĂ©poqueâ18. Mais le plus surprenant dans cette publication est certainement cet Ă©trange plan de Paris dans lequel Patte reporte simultanĂ©ment lâensemble des vingt propositions retenues. Occupant aussi bien des positions centrales que pĂ©riphĂ©riques, ces projets viennent cribler le pochĂ© bĂąti de la capitale, dĂ©prĂ©ciant du mĂȘme coup la force symbolique de la place royale que lui confĂ©rait son caractĂšre exceptionnel. Car ce plan gĂ©nĂ©ral de Paris nâest pas simplement pour Patte une maniĂšre commode de figurer les diffĂ©rentes propositions, mais certai-nement aussi un moyen dâinventorier la somme des embellissements Ă mener dans la capitale. Ă lâinverse de Laugier qui prĂ©conise lâapplication dâune grande composition Ă lâimage des tracĂ©s versaillais, Patte ne propose ici aucune figure dâensemble qui viendrait coordonner lâĂ©clatement dâinterventions ponctuelles et dĂ©connectĂ©es. Le rond-point, instrumentalisĂ©, vient dessiner au cas par cas lâespace du carrefour, sans pour autant que les branches de son Ă©toile ne lâinscrivent dans un systĂšme plus global.
12. MĂ©moire et lettres de Projets pour la place de Louis xv Ă Paris, 1748 (Archives nationales, o 1 1585, no 235). 13. fortier Bruno, « DĂ©construction dâune place classi-que », in Barret Kriegel Blandine, BĂ©guin François, fortier Bruno, friedmann Daniel, monchaBlon Alain, La politique
de lâespace parisien Ă la fin de lâAncien RĂ©gime, rapport de recherche Corda, Paris, 1975, pp. 248-249.14. laugier M. A., op. cit., pp. 164-165. 15. MĂ©moire et lettres de Projets pour la place de Louis xv Ă Paris, op. cit..
16. patte Pierre, Monuments Ă©rigĂ©s en France Ă la gloire de Louis xv, Paris, 1765.17. Il sâagit des projets de Messieurs Pitrou (Projet de place pour le roi dans lâIsle du Palais), Rousset (Plan dâune place pour le roi projetĂ©e au carrefour de Bussi) et Polard (Projet de place pour le Roy au bout de la rue de Tournon). Ibid., pl. xl, lv et lvii.
18. Les diffĂ©rents projets de places que connut La Bastille quelques annĂ©es plus tard dĂ©clinent Ă©galement Ă lâenvie la forme du rond-point, cf. pinon Pierre, « La Bastille, place introuvable », in pinon Pierre [sous la direction de], Les traversĂ©es de Paris. Deux siĂšcles de rĂ©volutions dans la ville, Paris, Ăditions du Moniteur/La Villette, 1989, pp. 81-84. fortier Bruno, op. cit, p. 67.
PierreâPatte,âMonuments Ă©rigĂ©s en France Ă la gloire de Louis xv,â1765â:
âPartieâduâplanâgĂ©nĂ©ralâdeâParisâ,âpl.âxxxix.ReprĂ©sentationâdeâlâensembleâdesâvingtâpropositionsâretenuesâpourâlaâcrĂ©ationâdâuneâplaceâLouisâxv.
PierreâPatte,âMonuments Ă©rigĂ©s en France Ă la gloire de Louis xv,â1765â:
âPlanâdâuneâplaceâpourâleâroiâprojetĂ©âauâcarrefourâdeâBussiââparâRousset,âpl.âlv.
âProjetâdeâplaceâpourâleâRoyâauâboutâdeâlaârueâdeâTournonââparâPolard,âpl.âlvii.
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sous plafond, partent du trottoir pĂ©riphĂ©rique et aboutissent au centre du carrefour. LĂ , Ă 4 m au-dessous du niveau de la chaussĂ©e, se dĂ©veloppe une cour piĂ©tonne circulaire de 30 m de diamĂštre. Ample et entiĂšrement ouverte sur le ciel par une large trĂ©mie circulaire mĂ©nagĂ©e au centre du plateau Ă giration, elle se veut une portion de la voie publique Ă part entiĂšre. QualifiĂ© de « carrefour pour piĂ©ton », ce lieu de passage nâa pourtant rien dâun rĂ©sidu fonctionnel : autour dâun grand candĂ©labre central, la paroi cylindrique de la cour accueille des commerces et des Ă©quipements de services : cabi-nes tĂ©lĂ©phoniques, boĂźtes Ă lettres, bureau de tabac, boutique de journaux, lavabo-toilette, etc.â25. AnimĂ©e par la publicitĂ© et les annonces lumineuses, cette vaste piĂšce Ă ciel ouvert peut mĂȘme, lors des fĂȘtes, devenir salle de bal et sâembraser de lumiĂš-res multicolores.En surface, une ornementation vĂ©gĂ©tale Ă base dâarbustes et de fleurs entoure huit fontaines circulaires construites sur des dalles de verre qui sâilluminent le soir afin, dit HĂ©nard, de « diamanter les gerbes dâeau ». LâĂ©clairage artificiel opĂšre Ă plusieurs Ă©chelles : localement de « hauts candĂ©labres Ă©lectriques », supports des flĂšches signa-lĂ©tiques et disposĂ©s Ă la pĂ©riphĂ©rie intĂ©rieure et extĂ©rieure de lâanneau, assurent un Ă©clairage rĂ©gulier du carrefour, tandis quâau loin le « grand candĂ©labre-phare muni de foyer puissant » sâĂ©lĂšve depuis le sol de la cour piĂ©tonne jusquâau-dessus des autres lampadaires, signalant en amont lâarrivĂ©e dans le grand carrefour.Afin de rendre « lâaspect gĂ©nĂ©ral plus sĂ©duisant et plus pittoresque », HĂ©nard propose de construire tout autour divers Ă©difices de prestige : mairie du ixe arrondissement, hĂŽtel des ventes, thĂ©Ăątre, grand magasin, etc. qui « complĂ©teraient la dĂ©coration architec-turale du carrefour ». Il dĂ©montre enfin la compatibilitĂ© de son modĂšle avec le passage des lignes du mĂ©tropolitain, la grande cour Ă©tant au mĂȘme niveau que les circulations piĂ©tonnes des stationsâ26. Enfin, aprĂšs avoir Ă©voquĂ© la question du coĂ»t de construction et dâentretien qui, selon lui, nâexcĂ©derait pas celui des travaux courants, HĂ©nard conclut en demandant Ă lâadministration municipale lâouverture dâune grande enquĂȘte statisti-que sur le dĂ©veloppement de la circulation Ă Paris. La sĂ©cheresse de la dĂ©monstration thĂ©orique et technique trouve ainsi son aboutissement formel dans un vĂ©ritable projet dâespace public global, rĂ©aliste et ambitieux.
Le carrefour Ă giration comme place moderneSi, dans le fascicule de 1906, lâinvention du carrefour Ă giration se prĂ©sentait avant tout comme la rĂ©ponse logique et technique Ă un problĂšme purement circulatoire en Ă©cho aux travaux dâIldefonso CerdĂĄ ou Josef StĂŒbben, en 1909 câest au contraire en rĂ©ponse au dĂ©bat engagĂ© par Camillo Sitte et poursuivi par Charles Buls, quâEugĂšne HĂ©nard recherche une autre lĂ©gitimitĂ©, cette fois historique, esthĂ©tique et urbaineâ27.Dans la premiĂšre partie du fascicule, HĂ©nard explore les origines et les usages des places anciennes quâil classe en trois familles : le parvis, la place de la Maison-de-Ville et la place du MarchĂ©. Il montre comment, sous les effets respectifs de la « tolĂ©rance moderne » vis-Ă -vis du religieux, du dĂ©veloppement de la presse et des magasins alimentaires, elles ont aujourdâhui perdu lâessentiel des usages quâelles accueillaient. Elles conservent cependant une valeur artistique et historique forte qui implique leur conservation et leur protection. Face Ă cette dĂ©suĂ©tude, EugĂšne HĂ©nard prĂŽne alors un nouveau modĂšle : la place moderne. Celle-ci, tout comme son aĂŻeule, se dĂ©cline en trois types. « La place foraine [qui] conserve et agrandit son ancien rĂŽle » est le support des grandes manifestationsâ28, sa surface doit ĂȘtre importante et entiĂšrement libre (lâesplanade des Invalides en est le modĂšle). « La place de transbordement » est
prĂ©sentĂ©e comme le lieu dâĂ©change urbain entre la circulation extĂ©rieure (le train, le bateau ou bientĂŽt lâavion) et la circulation intĂ©rieure (la voiture) : câest ce que nous appellerions aujourdâhui « plate-forme intermodale » et qui, Ă lâĂ©poque, concerne essentiellement les quais et les parvis des gares. Enfin, la « place de circulation », qui tient chez HĂ©nard le premier rĂŽle dans son argumentation, est dĂ©finie par une mĂ©ta-phore hydraulique, dĂ©crite comme « un espace de dĂ©tente, analogue aux vases dâex-pansion intercalĂ©s dans une canalisation multiple » qui a pour fonction « dâamortir et rĂ©gulariser le mouvement des voitures et des passantsâ29 ». Morphologiquement, elle se prĂ©sente explicitement comme le parfait contraire des recommandations de Camillo Sitte : elle est largement ouverte et le centre est plein. Son fonctionnement est celui du carrefour Ă giration validĂ© depuis par des essais effectuĂ©s place de lâĂtoileâ30. AprĂšs une lĂ©gitimation Ă la fois scientifique et expĂ©rimentale, le systĂšme Ă giration se voit ainsi justifiĂ© par lâĂ©volution historique des usages urbains. Il ne lui reste plus alors quâĂ prouver son potentiel artistique.Au prĂ©alable, HĂ©nard rĂ©affirme la qualitĂ© artistique des places anciennes considĂ©rĂ©es comme « de vĂ©ritables documents historiques et philosophiques et, comme les raisons qui les ont fait naĂźtre ont aujourdâhui disparu, il faut Ă tout prix les conserver et ne modifier en quoi que ce soit leur caractĂšre originelâ31 ». En rĂ©ponse implicite aux criti-ques sittesques, il propose de montrer que les places modernes, largement ouvertes et vouĂ©es essentiellement Ă la circulation, peuvent « acquĂ©rir, elles aussi un caractĂšre monumental et artistique », voire mĂȘme ĂȘtre Ă lâorigine dâ« effets nouveauxâ32 ». Comme dans le chapitre prĂ©cĂ©dent, sa dĂ©monstration sâappuie sur un cas particulier : il sâagit Ă nouveau dâun projet de carrefour Ă giration, situĂ© dans la ville haussmannienne, au croisement de grandes voies de circulation. Le premier problĂšme quâil aborde est celui du dimensionnement. Une comparaison des places anciennes (place VendĂŽme, place de la Concorde et place Royale) aux places modernes (place de lâOpĂ©ra, place de la RĂ©publique et place Saint-Michel), rĂ©vĂšle que ces derniĂšres sont souvent bien plus petites, lĂ oĂč les impĂ©ratifs circulatoires sembleraient exiger le contraire. Il choisit alors de transformer la plus cĂ©lĂšbre dâentre elles : la place de lâOpĂ©ra, « point de jonc-tion de sept voies qui se classent parmi les plus encombrĂ©es de la villeâ33 ». La critique circulatoire se double ici dâune critique esthĂ©tique : « [les proportions] de la place de lâOpĂ©ra sont si Ă©triquĂ©es quâil est impossible de bien saisir dans son ensemble la façade principale dâun monumentâ34 ». Mais câest dâabord par la rĂ©solution du problĂšme circu-latoire quâEugĂšne HĂ©nard tente de rĂ©pondre Ă cette double prĂ©occupation.La reprĂ©sentation graphique des points de conflit des vĂ©hicules sur la place est Ă nouveau une lĂ©gitimation du systĂšme giratoire. Le modĂšle prend ici une forme ovale, mieux adaptĂ©e au contexte gĂ©omĂ©trique et dimensionnel : le gonflement de la place permet la vision simultanĂ©e des deux pavillons latĂ©raux et du dĂŽme, amĂ©liorant ainsi la mise en scĂšne de lâOpĂ©ra.En sous-sol, la grande place piĂ©tonne prĂ©existe au projet ; il sâagit de la station du mĂ©tropolitain dont lâaccĂšs est rĂ©organisĂ© par lâamĂ©nagement de sept galeries reliĂ©es Ă la surface par des escaliers disposĂ©s Ă lâextrĂ©mitĂ© de chaque Ăźlot. Convertie en place publique, la salle souterraine est mise Ă jour par une trĂ©mie circulaire dĂ©coupĂ©e au milieu du carrefour, libĂ©rant ainsi deux plates-formes aux extrĂ©mitĂ©s du vaste plateau ovale. Celles-ci, amĂ©nagĂ©es de bancs et de massifs floraux et rendues accessibles par deux escaliers sâĂ©levant depuis la station, constituent un belvĂ©dĂšre placĂ© dans « lâĆil dâun cyclone [âŠ] lieu du calme plat que nâatteint pas le courant circulatoire », dâoĂč
25. Ibid., p. 294.26. Il traitera dâailleurs de cette imbrication lors du projet pour la place de lâOpĂ©ra en 1909.
27. hĂ©nard EugĂšne, op. cit., chapitre viii, « Les places publiques. La place de lâOpĂ©ra. Les trois colonnes », pp. 298-328, rĂ©Ă©dition du fascicule du 9 mai 1909.28. hĂ©nard EugĂšne, ibid., p. 310.
29.âIbid., p. 309.30. Cet amĂ©nagement rĂ©alisĂ© sur la place de lâĂtoile en 1907, constituerait le premier carrefour Ă giration au monde selon evenson Norma, Cent ans de travaux et dâur-banisme. Paris, Les hĂ©ritiers dâHaussmann [1979] Paris, ensBa, 1983, p. 42.
31. hĂ©nard EugĂšne, op. cit., chapitre viii, « Les places publiques. La place de lâOpĂ©ra. Les trois colonnes », p. 312, rĂ©Ă©dition du fascicule du 9 mai 1909.32. Ibid., p. 313.33. Ibid., p. 314.34. Ibid., p. 316.
Dimensionsâdesâplacesâanciennesââetâdesâplacesâmodernes.EugĂšneâHĂ©nard,ââLesâplacesâpubliquesâ,â9âmaiâ1909.
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lâon peut « jouir tranquillement de divers tableauxâ35 » : la façade de lâOpĂ©ra, les Grands Boulevards, la rue de la Paix et la colonne VendĂŽme, lâavenue de lâOpĂ©ra et la rue du 4-Septembre. SituĂ© au cĆur de la fĂ©brilitĂ© circulatoire, le plateau Ă giration se dĂ©voile ici comme lâespace de contemplation urbaine de la place moderne.On le voit, câest dĂ©sormais la dĂ©marche esthĂ©tique qui a pris le relais et commande la transformation de lâespace public environnant. Pour corriger le panorama « un peu boiteux » qui se prĂ©sente face Ă lâOpĂ©ra, HĂ©nard propose de rĂ©itĂ©rer, sur lâavenue Ă©ponyme et sur la rue du 4-Septembre, lâeffet perspectif que produit la colonne de la Grande-ArmĂ©e sur la rue de la Paix. Pour la premiĂšre, il imagine une place circu-laire accueillant la Colonne des Arts couronnĂ©e par la statue de Victor Hugo et, pour la deuxiĂšme, une place carrĂ©e ornĂ©e de la Colonne des Sciences dĂ©diĂ©e Ă Louis Pasteurâ36. Plus ou moins Ă©loignĂ©es de la place de lâOpĂ©ra, trois colonnes de mĂȘme taille, produi-raient trois effets diffĂ©rents. EugĂšne HĂ©nard calcule alors la hauteur des deux nouvelles proportionnellement Ă leur Ă©loignement afin que les trois perspectives soient Ă©quiva-lentes. Il va sans dire que chacun de ces monuments sâĂ©lĂšve au centre dâun plateau Ă giration amĂ©nagĂ© sur chacune de ces nouvelles places.Fort de cette nouvelle expĂ©rimentation, HĂ©nard peut affirmer la compatibilitĂ© entre lâimpĂ©ratif circulatoire et le souci esthĂ©tique. Il rappelle enfin les contraintes dimen-sionnelles et gĂ©omĂ©triques nĂ©cessaires Ă un bon fonctionnement et termine, comme en 1906, sur les questions de coĂ»t, en regrettant la faible part accordĂ©e par lâĂtat aux beaux-arts et lâabsence de crĂ©dits consacrĂ©s aux embellissements de Paris.La lĂ©gitimitĂ© artistique des places modernes en gĂ©nĂ©ral, et des carrefours Ă giration en particulier, est ainsi bien Ă©tablie.
DĂ©clinaison et extrapolation du systĂšme Ă girationLors dâune interventionâ37 oĂč il expose ses cĂ©lĂšbres coupes de rue, EugĂšne HĂ©nard illus-tre son propos par une axonomĂ©trie saisissante, reprĂ©sentant Une ville de lâAvenir : vue Ă vol dâaĂ©roplane. Les explications qui accompagnent cette reprĂ©sentation visionnaire, Ă©voquent la question de la circulation : « La ville, dans son ensemble, sera percĂ©e de larges voies rayonnantes occupĂ©es en partie par des plates-formes surĂ©levĂ©es, Ă mouve-ment continu, qui assureront les communications rapides entre les diffĂ©rentes zones. Les boucles de terminus de ces plates-formes seront Ă©tablies au milieu des grands carrefours Ă giration Ă lâintersection des voies principalesâ38. » Cette illustration prĂ©sente un portique circulaire qui sâĂ©lĂšve sur le plateau de giration et supporte la boucle de retournement de la voie surĂ©levĂ©e. Un grand escalier permet aux piĂ©tons qui quittent la rame de descendre sur lâĂźlot central pour regagner le niveau de la rue.MĂȘme si la proposition nâest cette fois dĂ©veloppĂ©e que succinctement, câest encore dans un souci dâesthĂ©tique urbaine quâEugĂšne HĂ©nard Ă©labore une nouvelle version de son invention : un dispositif spatial Ă plusieurs niveaux intĂ©grant la complexitĂ© des usages mĂ©tropolitains.Lâarticle quâEugĂšne HĂ©nard publie dans la revue allemande dâurbanisme Der StĂ€dtebauâ39, fondĂ©e par Theodor Goecke et Camillo Sitte, revient longuement sur lâinadaptation des villes Ă la circulation moderne ; celle-ci exige lâĂ©largissement des rues et des carrefours ainsi que le percement de nouvelles avenues, tout en respectant les qualitĂ©s prĂ©existan-tes. La mise en place dâun rĂ©seau de grandes artĂšres posant naturellement le problĂšme particulier des points de croisement, HĂ©nard reprend sa dĂ©monstration fonctionnelle du carrefour Ă giration, quâil illustre de nouveaux schĂ©mas plus abstraits : les chevaux y sont figurĂ©s par des flĂšches, le dessin de la chaussĂ©e disparaĂźt, tandis que lâexemple dâamĂ©nagement, lui-mĂȘme moins dĂ©taillĂ©, nâest plus situĂ©.Fort de sa dĂ©monstration, HĂ©nard procĂšde alors Ă un changement dâĂ©chelle et reprend le principe du carrefour Ă giration â « Ă©viter de faire dĂ©boucher les lignes de circulation sur un mĂȘme point, qui deviendrait le centre dâun encombrement, mais les conduire vers un collecteur annulaire qui les rĂ©partisse dans toutes les directionsâ40 » â, pour le trans-poser Ă lâĂ©chelle de la ville. Lâimage quâil en donne, cette fois-ci purement thĂ©orique,
35. Ibid., p. 320. 36. Une grande partie de son exposĂ© est dâailleurs consa-crĂ©e Ă la pertinence de ces choix commĂ©moratifs.
37. hĂ©nard EugĂšne, op. cit., p. 347, rĂ©Ă©dition de sa confĂ©-rence dâurbanisme « Les villes de lâavenir », prononcĂ©e Ă Londres en 1910.38. Ibid., p. 359.39. hĂ©nard EugĂšne, op. cit., annexe « Le centre de Paris et les points nodaux de la circulation », pp. 360-365,
réédition non intégrale de « Die stadtmitte von Paris und die knotenpunkte des verkhers », Der StÀdtebau (Berlin), 1910, pp. 109-113.40. Ibid., p. 362.
ProjetâdeâlaâplaceâdeâlâOpĂ©ra.EugĂšneâHĂ©nard,ââLesâplacesâpubliquesâ,â9âmaiâ1909.
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ProjetâgĂ©nĂ©riqueâdâunâcarrefourâĂ âgiration.EugĂšneâHĂ©nard,ââLaâcirculationâdansâlesâvillesâmodernesâ,â1910.
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RecommandĂ©e par les architectes fonctionnalistes et frĂ©quemment mise en Ćuvre dans les opĂ©rations dâurbanisme, la solution giratoire nâen demeure pas moins une rĂ©ponse imparfaite au regard de lâidĂ©alitĂ© dâun dessein circulatoire visant la suppression de tout croisement : « On atteint les autodromes de traversĂ©e en un point quelconque de leur course et lâon peut effectuer la traversĂ©e de la ville et atteindre sa banlieue, aux allures les plus fortes, sans avoir Ă supporter aucun croisement. [âŠ] Le croisement de rues est lâennemi de la circulationâ22. »
Vers une Ă©radication du croisement, systĂšmes giratoires et avatarsLâobjectif de continuitĂ© du mouvement, fixĂ© par CerdĂĄ depuis le milieu du xixe siĂšcle, nâa donc de cesse dâaccaparer lâesprit des urbanistes tout au long du xxe siĂšcle, prĂ©oc-cupĂ©s Ă inventer un systĂšme viaire global supprimant les croisements. Certains vont chercher Ă travers lâextrapolation du principe giratoire, le moyen dâatteindre cet idĂ©al urbanistique.Lâarchitecte autrichien Fritz Malcher (1888-1933), consultĂ© Ă partir de 1927 par La Havane et plusieurs villes des Ătats-Unis, Ă©labore un systĂšme de circulation appelĂ© steady-flow traffic systemâ23 ou systĂšme du flux circulatoire continu. Sa proposition consiste Ă amĂ©nager des voies de transit dâune centaine de mĂštres de large qui intĂšgrent en leur centre une sĂ©rie de plates-bandes engazonnĂ©es aux extrĂ©mitĂ©s arrondies, sĂ©parant les deux sens de circulation. Mises bout Ă bout et articulĂ©es par de petits Ăźlots direction-nels, elles se prĂ©sentent comme une succession de plateaux giratoires aplatis qui rĂ©gu-lent les diffĂ©rents croisements dans lâĂ©paisseur mĂȘme de la voie. Tout en autorisant de frĂ©quents changements directionnels, le systĂšme assure en continu, la tangence des flux. CitĂ© dans les Ă©crits dâurbanismeâ24, il convient parfaitement Ă la trame orthogonale des villes amĂ©ricaines dans lesquelles il sera plusieurs fois mis en Ćuvre.Reprenant le systĂšme hexagonal Cauchonâ25, lâArgentin Ricardo C. Humbertâ26 dĂ©ve-loppe en 1944 le modĂšle dâune ville organisĂ©e autour dâune trame en nid dâabeilles. Ce systĂšme rĂ©ticulaire est fondĂ© sur la gĂ©nĂ©ralisation du carrefour Ă trois branches qui fera lâobjet de sa thĂšseâ27. Dans cette derniĂšre Ă©tude, il passe en revue les diverses « tenta-tives en vue de la suppression de croisementâ28 », avant dâen venir Ă la prĂ©sentation de sa solution, abordĂ©e sous lâangle de la sĂ©curitĂ©. Comme une synthĂšse a posteriori des prescriptions de Camillo Sitte et dâEugĂšne HĂ©nard, Ă qui il reconnaĂźt le mĂ©rite de leurs thĂ©ories, le carrefour idĂ©al dâHumbert est formĂ© de trois branches et sâorganise autour dâun Ăźlot giratoire appelĂ© rond-point. RĂ©guliĂšrement rĂ©parties, les voies convergentes forment entre elles des angles obtus de 120° qui Ă©vitent les bifurcations trop brutales et rĂ©duisent les risques de cisaillement lors des entrĂ©es et sorties. Les larges secteurs libĂ©rĂ©s aux alentours permettent dâamĂ©nager de vastes zones tranquilles destinĂ©es aux piĂ©tons. Cette configuration gĂ©omĂ©trique prĂ©sente Ă©galement lâavantage de signaler le croisement par la mise en place dâun obstacle visuel en prolongement de la voie au-delĂ du rond-point et de libĂ©rer le plateau giratoire de tout amĂ©nagement gĂȘnant.
« Le rond-point dans un carrefour Ă quatre branches oblige Ă freiner dans tous les cas [âŠ]. Par contre, dans un carrefour Ă trois branches vers la droite, le changement de direction sâeffectue trĂšs facilement grĂące au rayon de courbure et Ă la visibilitĂ©. Vers la gauche il peut obliger Ă diminuer sa vitesse. Donc une fois sur deux le rond-point nâintervient pasâ29. » MĂȘme si le dispositif ne rĂ©sorbe pas entiĂšrement lâentrave au mouvement que constitue le croisement, il la rĂ©duit donc fortement.AppliquĂ©e Ă lâensemble de la voirie sous la forme dâun maillage hexagonal, la solution du carrefour Ă trois branches rĂ©aliserait une Ă©conomie du rĂ©seau de 7 % par rapport Ă une trame orthogonale et faciliterait lâorientation en rĂ©duisant le choix Ă deux directions. Pour clore sa thĂšse, Humbert termine par une longue et surprenante digression sur le symbolisme de lâY et la dissymĂ©trie droite-gaucheâ30.La seule grande mise en Ćuvre de ce principe viaire sera certainement le projet des architectes de Team x : Georges Candilis, Alex Josic et Shadrach Woods, laurĂ©at en 1961 du concours pour la Zup Toulouse-Le Mirailâ31. Il est vrai que les idĂ©es de Ricardo C. Humbert vont devenir une rĂ©fĂ©rence en matiĂšre de circulation, particuliĂšrement en France oĂč le centre dâĂ©tudes de la direction de lâamĂ©nagement du territoire du ministĂšre de la Reconstruction et de lâUrbanisme lui confie en 1949 le soin de rĂ©diger une note technique sur « Les problĂšmes de circulation dans les centres urbainsâ32 ». Lâinvention de lâarchitecte et ingĂ©nieur RenĂ© Magnan, la circulation en Yâ33, sâinscrit, comme chez Humbert, dans le droit fil de la Charte dâAthĂšnes : dissociation et hiĂ©rarchisation
22.âle corBusier, Urbanisme, op. cit., p. 161.23. malcher Fritz, « Abolishing Street Traffic Intersections », The American City, septembre et octobre 1929 ; malcher Fritz, The Steadyflow Traffic System, Cambridge, Harvard University Press, Cambridge, 1935 ; Brunner Karl H., Manual de urbanismo, Bogota, Imprenta Municipal, 1940, pp. 306-307 ; todd Kenneth, « Ă History of Roundabouts in the United States and France », in Transportation Quartely (Westport), vol. 42, no 4, octo-bre 1988, p. 602.24. Brunner Karl H., op. cit. ; grĂ©Ber Jacques, « LâamĂ©nagement urbain et la grande circulation »,
Urbanisme (Paris), op. cit., p. 156 ; nolen John, huBBard Henry, Parkways and Land Values, op. cit..25. de goĂ«r M. E., « Lâurbanisme au Canada », Urbanisme (Paris), no 24, mai 1932, pp. 68-70.26. humBert Ricardo C., La Ciudad Hexagonal, Buenos Aires, Ăditorial Vasca Ekin, 1944.27. humBert Ricardo C., Le carrefour Ă trois branches, thĂšse de lâinstitut dâUrbanisme (sous la prĂ©sidence de Robert Auzelle), UniversitĂ© de Paris, 1948.28. Sens uniques, dĂ©composition des carrefours, culs de sacs, croisements Ă diffĂ©rents niveaux, etc. Ibid., pp. 10-18.
29. Ibid., p. 66.30. Ibid., pp. 169-173.31. « Zup Toulouse-Le Mirail, concours national dâurba-nisme », Techniques et Architecture (Paris), no 5, juin-juillet 1962, pp. 108-144 ; candilis Georges, Josic Alexis, Woods Shadrach, Toulouse-Le Mirail. Naissance dâune ville nouvelle, Stuttgart, Karl KrĂ€mer Verlag, 1975.32. humBert Ricardo C., « ProblĂšmes de circulation dans les centres urbains », Techniques et Architecture (Paris),
no 3-4, novembre 1954, pp. 40-74. Ce texte sera citĂ© Ă de nombreuses reprises dans auzelle Robert, gohier J., vetter P., 323 citations sur lâurbanisme, Paris, Vincent, FrĂ©al et Cie, 1964, pp. 728-734, 742-744, 749-752, 755 et 757.33. magnan RenĂ©, « Circulation automobile urbaine. La circulation en Y », Urbanisme (Paris), no 3-4, 1951, pp. 41-46.
FritzâMachler,âSteadyflow Traffic System,â1935.
RicardoâC.âHumbert,âLa ciudad hexagonal,â1944.ââ>
SecteurâpiĂ©tonâlibĂ©rĂ©âparâleâcarrefourâĂ âtroisâbranches.âReportâdeâlâobstacleâvisuelâau-delĂ âduârond-point.ââ>RicardoâC.âHumbert,âLe carrefour Ă trois branches,â1948.â
Candilis,âJosic,âWoods,âcirculationâdesâvoituresâĂ âToulouseâLeâMirail,â1961.
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des voies automobiles, Ă©loignement des habitations des voies de transit et, enfin, conti-nuitĂ© de la circulation. Au croisement de voies superposĂ©es qui suscite trop de problĂš-mes dâapplication, il prĂ©fĂšre les solutions disposĂ©es sur un seul niveau. Cependant les modĂšles de carrefour giratoire prĂ©sentent encore selon lui plusieurs inconvĂ©nients : leurs dimensions sont insuffisantes tandis que lâĂźlot central dĂ©limite une zone inutili-sable. Il propose alors de reprendre le principe dâun anneau de circulation mis en sens unique, mais agrandi considĂ©rablement de maniĂšre Ă pouvoir contenir une unitĂ© de voisinage. La ville serait ainsi composĂ©e dâune juxtaposition de quartiers relativement autonomes entourĂ©s par de vastes cercles giratoires tangents entre eux. Au sein de ce rĂ©seau de transit, tout croisement est supprimĂ© : les grandes boucles giratoires se rejoignent deux Ă deux sur un segment commun (weaving section) oĂč le changement de direction peut sâeffectuer par un simple changement de file.RenĂ© Magnan propose ensuite des modĂšles de villes nouvelles organisĂ©es Ă partir de semi-octogones ou dâovales plus ou moins aplatis, mais explique Ă©galement comment le principe peut sâadapter, de maniĂšre trĂšs pratique, aux quartiers dâextension et mĂȘme aux villes anciennes.Ainsi, jusque dans les annĂ©es cinquante, le systĂšme giratoire continue de stimuler les rĂ©flexions des urbanistes dĂ©sireux dâinventer de nouveaux modĂšles rĂ©ticulaires, persuadĂ©s que le problĂšme de la circulation excĂšde largement celui du simple carre-four. ExpĂ©rimentĂ©, perfectionnĂ©, transformĂ©, extrapolĂ©, il sera mis au service dâune ville fonctionnelle, conçue comme une grande machinerie circulatoire.
DĂ©mantĂšlement et abandon du carrefour giratoireSi lâidĂ©alitĂ© du principe sĂ©duit encore, le carrefour giratoire va dĂ©voiler ses propres limi-tes quand il devra affronter, dĂšs le milieu du siĂšcle, une circulation automobile toujours plus intense. Depuis bien longtemps dĂ©jĂ , le croisement Ă voies superposĂ©es consti-tuait une alternative thĂ©orique plus performante mais les difficultĂ©s de mise en Ćuvre limitaient encore son application. Au cours des annĂ©es trente, face Ă lâaccroissement du trafic, lâĂ©quilibre sâinverse et le systĂšme giratoire nâest dĂ©sormais plus prescrit que provisoirement ou par dĂ©faut quand il sâagit dâorganiser des carrefours importantsâ34. Cette dĂ©prĂ©ciation se voit favorisĂ©e par la gĂ©nĂ©ralisation de la rĂšgle de la prioritĂ© Ă droite qui va considĂ©rablement amoindrir son efficacitĂ© circulatoire. RĂ©pandue en Europe durant les deux premiĂšres dĂ©cennies du siĂšcle, cette rĂšgle dâorigine françaiseâ35 est adoptĂ©e en 1926 par la convention internationale de Paris relative Ă la circulation automobile, puis confirmĂ©e par celle de GenĂšve en 1949, de Vienne en 1968 et conservĂ©e dans les accords de GenĂšve de 1971. La gĂ©nĂ©ralisation de la nearside priorityâ36 sâavĂšre alors trĂšs pĂ©nalisante pour le fonctionnement du carrefour giratoire dans lequel lâautomobiliste est contraint, devant chaque entrĂ©e, de sâarrĂȘter sur lâanneau, le risque Ă©tant dâinter-rompre le flux giratoire et de paralyser le systĂšme.PrĂ©curseurs en matiĂšre dâingĂ©nierie routiĂšre du fait de lâimportance de leur circulation automobile, les Ătats-Unis vont ĂȘtre les premiers Ă se confronter Ă cette difficultĂ©â37. Face aux frĂ©quentes congestions occasionnĂ©es par les giratoires, les ingĂ©nieurs amĂ©ricains commencent dĂšs le dĂ©but des annĂ©es cinquante Ă rejeter cette solution. Pour remĂ©-dier au problĂšme, il leur arrive alors frĂ©quemment dâĂ©quiper les carrefours giratoires existants de feux de circulation ou de rĂ©amĂ©nager une voie traversant lâĂźlot centralâ38. Certains grands carrefours sont mĂȘme reconstruits et deviennent des Ă©changeurs Ă niveaux sĂ©parĂ©s. Aux Ătats-Unis, le dĂ©mantĂšlement et lâabandon progressif du carre-four giratoire, sâinscrit Ă©galement dans le prolongement des expĂ©rimentations menĂ©es depuis la fin des annĂ©es vingt ; celles-ci visent Ă rĂ©pondre Ă la croissance du volume et de la vitesse du trafic automobile par lâamĂ©nagement de grands Ă©changeurs toujours plus complexes et dont lâĂ©cheveau des bretelles est soigneusement agencĂ© pour rĂ©pon-dre Ă la spĂ©cificitĂ© fonctionnelle de chaque situationâ39.Si, depuis les annĂ©es trente, les modĂšles amĂ©ricains de grands carrefours autorou-tiers figurent dans les ouvrages et les revues dâurbanisme françaisâ40, le phĂ©nomĂšne sâamplifie aprĂšs la guerre, au moment oĂč le pays sâapprĂȘte Ă lancer ses grands projets dâinfra structure routiĂšre. DĂ©jĂ , en 1949, une photographie dâun vaste Ă©changeur parmi les plus emmĂȘlĂ©s, illustre un article de la revue Techniques et Architecture, dans lequel lâingĂ©nieur J.Viellard conclut : « En dehors des classiques rĂ©alisations en as de trĂšfle, les Ătats-Unis offrent dâabondants exemples dâouvrages les plus divers. Ne cite-t-on
34. giraud Henri, « La circulation de grand trafic dans les agglomĂ©rations », Urbanisme (Paris), no 35, avril 1935, p. 145. La mĂȘme idĂ©e est reprise deux ans plus tard par Janet AndrĂ©, « La circulation Ă lâintĂ©rieur des agglomĂ©ra-tions », Urbanisme (Paris), no 59, novembre-dĂ©cembre 1937, p. 264.35. ProposĂ©e pour la premiĂšre fois en 1896 par Charles Gariel, professeur de physique Ă lâĂcole des ponts et chaussĂ©es, pour organiser la circulation cycliste, elle est ensuite reprise par le code Perrigot promue par lâAuto-mobile-club des Vosges, pour enfin ĂȘtre adoptĂ©e en 1910 dans lâordonnance du prĂ©fet LĂ©pine rĂ©glementant la circulation Ă Paris. Cf. todd Kenneth, « An History of Roundabouts in the United States and France », op. cit., pp. 617-623 ; cf. aussi de aragao Pedro, « Rond-point et giratoires : un aperçu historique », in Giratoires 92, actes du sĂ©minaire des 14-16 octobre 1992 Ă Nantes, Paris, ministĂšre de lâĂquipement/Cetur/Setra, p. 4.
36. Nearside priority (prioritĂ© au cĂŽtĂ© proche), et son inverse la offside priority (prioritĂ© au cĂŽtĂ© opposĂ©), sont des termes employĂ©s au niveau international pour prendre en compte les diffĂ©rents sens de circulation. Dans la plupart des pays oĂč la circulation est Ă droite, la nearside priority correspond Ă la prioritĂ© Ă droite et la offside priority Ă la prioritĂ© Ă gauche. Dans les pays comme lâAngleterre, oĂč la circulation est Ă gauche, câest le contraire.37. todd Kenneth, op. cit., pp. 606-609.38. Ibid., pp. 609-610.39. desportes Marc, « The history of highway nodes », in Flux (Paris), no 5, juillet-septembre 1991, pp. 21-33.40. le corBusier, La ville radieuse, op. cit., p. 123 ; grĂ©Ber Jacques, « LâamĂ©nagement urbain et la grande circula-tion », op. cit., pp. 156-158 ; dossier « routes et ponts », Techniques et Architecture (Paris), novembre-dĂ©cembre 1941, pp. 26, 30 et 31.
RenĂ©âMagnan,ââLaâcirculationâenâYâ,âUrbanisme,â1951.
Agrandissementâdâunâplateauâgiratoire.
SystĂšmeâthĂ©oriqueâdesâcerclesâgiratoiresâtangents.
Principeâdeâlaâweaving sectionâsurâunâsegmentâtangent.
ApplicationâsurâunâprojetâdâamĂ©nagementâdeâzoneârĂ©sidentielle.
ĂchangeurâamĂ©ricainâpubliĂ©âdansâlaârevueâTechniques et architecture,â1949.
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pas les ouvrages qui desservent le Pentagone de Washington dont la complexitĂ© est si grande quâune boussole sur le tableau de bord est chose prĂ©cieuse pour permettre Ă lâusager de ne pas se fourvoyer dans le dĂ©dale des sauts de mouton et des routes de raccordementâ41. » Cette fascination pour les prouesses de cette ingĂ©nierie routiĂšre dâoutre-Atlantique trouve son apogĂ©e en 1963. En illustration dâun article de Robert Auzelleâ42, Alexandre Persitz publie des photographies aĂ©riennes de grands Ă©changeurs, pour la plupart amĂ©ricains, quâil prĂ©sente comme « Le nouveau paysage urbain. Prise de possession du site urbain par un Ă©lĂ©ment nouveau, la voie de circulation. Quelques exemples dâouvrages dâart, Ă©changeurs, croisements, etc., dont la complexitĂ© et lâam-pleur dominent dĂšs Ă prĂ©sent la ville. » Si lâon pouvait jusquâalors rĂ©pertorier les diffĂ©-rents croisements Ă travers des planches illustrĂ©es, ces nouvelles intersections semblent dĂ©sormais rĂ©sister Ă toute classification formelle.Dans ce long article Ă la louange des solutions les plus hĂ©roĂŻques de son temps, le systĂšme giratoire hĂ©ritĂ© du dĂ©but du siĂšcle apparaĂźt naturellement un peu dĂ©suet, « restĂ© quelque temps adaptĂ© aux rayons de giration et aux vitesses ainsi quâau nombre des vĂ©hicules ; il ne lâest manifestement plus aujourdâhui et ne peut subsister que dans la mesure oĂč la largeur de la chaussĂ©e et sa longueur permettent un cheminement tangentiel dâune certaine durĂ©e avant que les vĂ©hicules ne se sĂ©parent Ă nouveauâ43. »Mais le problĂšme circulatoire soulevĂ© par lâinvention dâHĂ©nard nâest pas seulement dâordre dimensionnel. Lâapprofondissement des mĂ©thodes de calcul et dâanalyse conduit Ă une modĂ©lisation du trafic automobile dĂ©taillĂ©e et diffĂ©renciĂ©e qui ne se satisfait plus du mouvement homogĂšne et invariable gĂ©nĂ©rĂ© par le carrefour giratoire. En 1955,
J. Elkouby, ingĂ©nieur au ministĂšre des Travaux publics, explique comment les nouvelles notions comme celle de niveaux de capacitĂ© (associant vitesse et dĂ©bit) peuvent ĂȘtre utilisĂ©es dans lâĂ©tude du trafic automobile, en particulier dans celle des carrefoursâ44. Ă titre dâexemple, il prĂ©sente un analyse menĂ©e sur le giratoire du Petit-Clamart. Les diffĂ©rents mouvements font lâobjet dâun comptage directionnel aux heures de pointe reprĂ©sentĂ© sous la forme dâun diagramme des courants de circulation, tandis quâun diagramme des collisions localise les diffĂ©rents accidents figurant dans les statistiques de la prĂ©fecture de police. Sur la base de ces rĂ©sultats, le rĂ©amĂ©nagement proposĂ© consiste Ă augmenter globalement la surface de la chaussĂ©e par le rĂ©trĂ©cissement et la dĂ©formation du trottoir pĂ©riphĂ©rique, et Ă recouper le plateau de giration par deux voies Ă©coulant les principaux flux transversaux. Le systĂšme giratoire nâest alors que partiellement conservĂ©, la circulation est domptĂ©e par des feux et guidĂ©e par une multi-tude dâĂźlots directionnels. ReconfigurĂ©e dans un dispositif entiĂšrement asservi Ă une nouvelle reprĂ©sentation scientifique de la circulation, lâintĂ©gritĂ© formelle et fonction-nelle du carrefour giratoire vole en Ă©clat.En France, comme dans tous les pays oĂč la nearside priority est en vigueur, seuls les grands carrefours soumis Ă un trafic relativement modĂ©rĂ© et disposant dâun impor-tant pĂ©rimĂštre de giration capable de retarder le moment du blocage, ont encore une certaine efficacitĂ©. Leur champ dâapplication se restreint considĂ©rablement, tant et si bien quâĂ partir des annĂ©es soixante il nây a plus guĂšre que le rĂ©seau viaire des villes nouvelles qui donne lieu Ă lâamĂ©nagement de giratoires. De type « Cocan », selon la doctrine officielle enseignĂ©e alors Ă lâĂ©cole des Ponts et ChaussĂ©es, ils mesurent alors plus de 100 m de diamĂštreâ45.Au moment de la pleine expansion des infrastructures routiĂšres, le carrefour giratoire
â soumis Ă un trafic important et Ă une rĂšgle de prioritĂ© qui le pĂ©nalise â, prĂ©sente des signes de faiblesse. LâĂ©poque nâest plus aux solutions formelles et universelles tout droit sorties des rĂ©pertoires urbanistiques du xixe siĂšcle. Les systĂšmes Ă feuâ46 rĂšglent de maniĂšre autoritaire et automatisĂ©e la plupart des carrefours, tandis que les gran-des intersections autoroutiĂšres sâorganisent autour dâeffrayants et splendides Ă©chan-geurs tentaculaires.
41. viellard J., « Routes dâaujourdâhui et de demain », Techniques et Architecture (Paris), 25 dĂ©cembre 1949, p. 84.
42. auzelle Robert, « Lâinfrastructure routiĂšre », Lâarchitecture dâAujourdâhui (Paris), no 110, octobre-novembre 1963, pp. 4-19.43. Ibid., p. 8.
44. elKouBy J., « La circulation dans la ville », Urbanisme (Paris), no 41-42, 1955, pp. 4-1145. houK MĂ©lody, lasserre ValĂ©rie, sultan Nicolas, « Lâincontournable avancĂ©e des carrefours giratoires :
analyse de la prise de décision publique », Politiques et management public (Paris), no 3, septembre 1996, p. 114.
ĂchangeursâamĂ©ricainsâpubliĂ©sâparâAlexandreâPersitzâdansâlâArchitecture dâAujourdâhui,â1963.
J.âElkouby,âĂtudesâpourâleârĂ©amĂ©nagementâduâcarrefourâduâPetit-Clamart,âUrbanisme,â1955.AbĂątardissementâduâcarrefourâgiratoireâparâlaâpriseâenâcompteâdeâcourantsâdeâcirculationsâdiffĂ©renciĂ©s.
VueâdesâinfrastructuresâroutiĂšresâdeâlaâvilleânouvelleâdeâColomiersâamĂ©nagĂ©esâdansâlesâannĂ©esâsoixante.
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Chapitre 10
Du giratoire comme socle dâexpression dâun art dĂ©coratif populaire
Jamais dans lâhistoire moderne des infrastructures routiĂšres, un dispositif circulatoire nâavait dĂ©clenchĂ© une telle avalanche ornementale. Si le phĂ©nomĂšne surprend par son ampleur et son exubĂ©rance, il nây a en revanche rien dâĂ©tonnant Ă ce que le giratoire en soit le catalyseur. HĂ©ritier de la syntaxe formelle du rond-point suscitant lâĂ©lĂ©vation dâun Ă©lĂ©ment central, le carrefour giratoire a souvent Ă©tĂ© associĂ©, durant la premiĂšre moitiĂ© du xxe siĂšcle, Ă des ambitions esthĂ©tiques et monumentales. AprĂšs que la pensĂ©e fonctionnaliste de la voirie moderne des annĂ©es cinquante Ă soixante-dix, ait mis fin pour quelque temps Ă une certaine tradition de lâart urbain, lâirruption massive du rond-point Ă lâanglaise au milieu des annĂ©es quatre-vingt coĂŻncide avec une nouvelle atten-tion portĂ©e au cadre de vie.Le carrefour giratoire nâa alors rien perdu de sa propension formelle Ă accueillir un amĂ©nagement central, bien au contraire. Son nouveau mode de fonctionnement offre un socle dâune taille plus maĂźtrisable, protĂ©gĂ© des piĂ©tons, visible de tout cĂŽtĂ© et illu-minĂ© la nuit. Si les grands prĂ©cĂ©dents historiques plaçaient dans un registre savant la rĂ©solution intĂ©grĂ©e des enjeux circulatoires et esthĂ©tiques, les nouveaux giratoires donnent lieu au contraire Ă des dĂ©marches dissociĂ©es, superposant au standard routier lâexpression insolite dâun art municipal.
Une esthĂ©tique dde ?Si la dĂ©coration de lâĂźlot central nâincombe pas directement aux dde, il convient toute-fois de sâinterroger sur leur maniĂšre de lâenvisager, compte tenu de lâautoritĂ© quâelles exercent tout au long de la maĂźtrise dâĆuvre.Dans les guides diffusĂ©s par le ministĂšre de lâĂquipement, hormis quelques recom-mandations relatives Ă la sĂ©curitĂ© de lâautomobiliste, le traitement de lâĂźlot central ne donne pas lieu Ă dâimportants dĂ©veloppements. Comme nous lâavons vu, un lĂ©ger dĂŽme engazonnĂ© constitue lâamĂ©nagement nĂ©cessaire, suffisant et mĂȘme idĂ©al au regard du strict canon circulatoire. Ă y regarder de plus prĂšs, apparaĂźt tout de mĂȘme, au dĂ©tour de certains paragraphes, un souci de « traitement paysager et architectural de lâĂźlot central » qui doit veiller Ă favoriser lâ« insertion [du carrefour] dans le paysage urbainâ1 ». Quelques mises en valeur sont simplement Ă©numĂ©rĂ©es : « vĂ©gĂ©tales, minĂ©-rales, aquatiques ou lumineusesâ2 ».
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Un rapport de Bernard Guichet, LâĂźlot central des carrefours giratoiresâ3, nous donne un Ă©clairage plus complet sur la maniĂšre dont les fonctionnaires de lâĂquipement peuvent aborder la question. Il voit dans lâĂźlot central un« lieu de prĂ©dilection pour lâimagination des paysagistes et des architectes des villes » ; imagination seulement bornĂ©e par les recommandations techniques quâil convient de scrupuleusement respecter : nĂ©cessitĂ© dâobstruer la perspective, interdiction dâobstacles en dur, etc. Essentiellement garant de la fonctionnalitĂ© technique du giratoire, lâingĂ©nieur a toute-fois son avis sur les divers amĂ©nagements possibles, voire mĂȘme souhaitables. Il en distingue trois types : les « motifs floraux », la « recherche du symbolisme » et lâ« Ću-vre dâart ». La premiĂšre catĂ©gorie semble recevoir sa prĂ©fĂ©rence car elle permet de tirer parti du monticule central en le recouvrant dâune « palette de couleurs trĂšs Ă©tendues ». Composition Ă base de fleurs bigarrĂ©es et dâarbustes nains peuvent ainsi sâafficher en entrĂ©e de ville « le nom de la localitĂ© et son blason », illuminĂ©s la nuit par un Ă©clairage directif. De la mĂȘme maniĂšre, Bernard Guichet approuve lâutilisation dâun symbole local sous forme de bateau de pĂȘcheur, pressoir, ou vaches, en constatant toutefois que ces amĂ©nagements sont « parfois trop subtils pour ĂȘtre compris ». Enfin la mise en place dâune Ćuvre dâart, câest-Ă -dire une « sculpture moderne ou classique » au centre du giratoire, est considĂ©rĂ©e comme une opĂ©ration dĂ©licate en raison de lâobstacle dange-reux quâelle pourrait constituer.Il conclut en se demandant si un tel amĂ©nagement dĂ©coratif est utile, sâil ne risque pas de distraire le conducteur et sâil est bien nĂ©cessaire de dĂ©penser plus Ă la dĂ©coration quâĂ lâamĂ©nagement viaire lui-mĂȘme.Ce bref rapport semble assez bien illustrer la posture gĂ©nĂ©rale des dde en la matiĂšre. Dâabord conçu pour rĂ©pondre Ă des enjeux circulatoires, le carrefour giratoire nâa nul besoin dâun quelconque ornement central, considĂ©rĂ© mĂȘme dans certains cas comme incompatible avec les garanties de sĂ©curitĂ© dont se prĂ©vaut le dispositif. Toutefois, et si ces derniĂšres sont respectĂ©es, on peut satisfaire le souhait des collectivitĂ©s locales, en offrant le plateau rĂ©siduel Ă lâimagination des artistes et autres « dĂ©corateurs ». Tant que les interventions sont envisagĂ©es en terme de rajout, dâhabillage dĂ©coratif qui viennent se superposer a posteriori sur lâobjet technique, tous les « styles » sont les bienvenus. Si la rationalitĂ© technique encourage Ă une certaine sobriĂ©tĂ©, le mode de production de lâĂquipement qui tend Ă hiĂ©rarchiser et dissocier les diffĂ©rents enjeux de lâamĂ©nagement viaire, autorise et mĂȘme favorise les interventions strictement dĂ©coratives.
Gloire de la mosaĂŻculture et triomphe des jardiniers municipaux Ă lâĂšre de lâautomobileLieu dâexpression servi sur plateau, le rond de pelouse des giratoires est soumis Ă la sagacitĂ© artistique des communes qui, horror vacui, le laissent rarement dans sa virgi-nitĂ© originelle. Divers professionnels peuvent ĂȘtre dĂ©signĂ©s : il peut sâagir dâarchitec-tes ou de paysagistes, dâartistes ou dâentreprises spĂ©cialisĂ©es dans les espaces verts. Mais, la plupart du temps, lâamĂ©nagement des giratoires est lâĆuvre des jardiniers municipaux, Ă qui dâailleurs incombe le soin de les entretenir. PassĂ©s maĂźtres dans la mosaĂŻcultureâ4, ils perpĂ©tuent cet art dâembellissement qui fut dâabord cantonnĂ© aux parterres des mairiesâ5, avant de coloniser les bas-cĂŽtĂ©s engazonnĂ©s des entrĂ©es de ville. Si les employĂ©s municipaux nâont pas attendu lâarrivĂ©e massive des giratoires pour dresser des charrettes fleuries, bassins Ă jet dâeau et autres Ă©cussons floraux, ils ont en revanche vu en eux une vĂ©ritable aubaine, une occasion inespĂ©rĂ©e dâĂ©tendre leur
territoire dâinterventionâ5. Ă chaque crĂ©ation de giratoire, câest un monticule de plusieurs dizaines Ă quelques centaines de mĂštres carrĂ©s qui leur est entiĂšrement confiĂ©, offert aux yeux de tous et protĂ©gĂ© des dĂ©gradations par son inaccessibilitĂ©. Pour multiplier les occasions, certains vont mĂȘme jusquâĂ renouveler pĂ©riodiquement les piĂšces flora-les. Ă MĂącon, par exemple, oĂč les fĂȘtes de NoĂ«l sont le prĂ©texte Ă exposer sur les gira-toires des thĂšmes floraux confectionnĂ©s par les services des espaces verts Ă lâoccasion des salons annuels. Lorsque ces dĂ©corations sâĂ©cartent un peu du style « jardin public iiie RĂ©publique » et prennent des allures plus « sauvages », ils sont Ă lâhonneur de la rubrique jardinage du Monde, qualifiĂ©s de « vĂ©ritables petits jardins enchanteurs » : « Sur lâautoroute qui rejoint Cergy-Pontoise Ă Paris, un terre-plein central surĂ©levĂ© a ainsi Ă©tĂ© plantĂ© dâune façon admirable qui associe couleurs des fleurs et des feuillages, arbustes et rosiers et les grands bas-cĂŽtĂ©s dĂ©gagĂ©s en maints endroits de leur herbe pour recevoir de grands aplats monochromes de fleurs rustiques [âŠ]. Des semis spon-tanĂ©s de genĂȘts jaunes viennent, çà et lĂ , rendre encore plus pimpants ces bas-cĂŽtĂ©s que les embouteillages permettent de contempler Ă loisir. [âŠ] Ces nouveaux petits jardins dĂ©coratifs sont bien dans lâair du temps et certains dâentre eux semblent gagnĂ©s par lâesprit du jardin en mouvement prĂŽnĂ© par Gilles ClĂ©mentâ6. »Si lâornementation horticole reste de loin la plus rĂ©pandue, elle se combine souvent avec des rocailles, des sculptures ou des petites constructions (murets, arches, fontaines) dans une symbolique habituelle associant lâeau, le vĂ©gĂ©tal et le minĂ©ral. Jalonnant les principales voies dâentrĂ©e dans la commune, les giratoires se prĂ©sentent alors comme autant de gigantesques bacs Ă fleurs ou jardins-miniatures disposĂ©s au milieu de la chaussĂ©e. Ces formidables vecteurs des politiques de fleurissement font la fiertĂ© de nombreuses villes au point de figurer en bonne place sur leur site internet.Cette dĂ©bauche de moyens consacrĂ©s Ă ces pĂątisseries florales ne va pas sans susci-ter quelques questions. Ainsi, selon lâarchitecte-paysagiste Georges Demouchy, « on tombe sur des rĂ©alisations qui ont nĂ©cessitĂ© un tel investissement quâon prĂ©fĂ©rerait les voir dans un parc â lĂ oĂč on pourrait les regarder, les admirer, se les faire expliquer â et pas dans des endroits inaccessiblesâ7 ». Nonobstant la pertinence de la remarque, ceci nâa pas empĂȘchĂ© Rosmarie Steiger de descendre de voiture pour peindre, dessiner et photographier les giratoires provençaux quâelle avait frĂ©quentĂ©s et admirĂ©s au volant depuis plusieurs annĂ©es. Le rĂ©sultat de ce travail a donnĂ© lieu Ă un livre, Les ronds-points en Provence, dans lequel une sĂ©lection des photographies, aquarelles ou dessins au crayon, accompagne une description, agrĂ©mentĂ©e dâimpressions personnelles. Ă propos du giratoire situĂ© prĂšs du marchĂ© international de Cavaillon, cette touriste suisse allemande Ă©crit : « Quand sous la grosse chaleur de lâĂ©tĂ© lâon emprunte ce rond-point, les fenĂȘtres baissĂ©es, laissant entrer le flot des senteurs, lâon oublie les odeurs et les gaz des voitures et justement lĂ oĂč le trafic extrĂȘme du marchĂ© international domine, des parfums de santoline et de lavande nous sĂ©duisentâ8. » Ă la fin de lâouvrage une carte routiĂšre simplifiĂ©e dessine lâitinĂ©raire reliant les 21 pastilles jardinĂ©es Ă travers les dĂ©partements du Gard, Vaucluse et Bouches-du-RhĂŽne. De nouvelles modalitĂ©s de ballades distractives et esthĂ©tiques ne sont-elles pas sur le point de voir le jour ? Nâassiste-t-on pas ici Ă une nouvelle forme de promenade horticole, moins accessible pour le piĂ©ton que pour lâautomobiliste, Ă une sorte de tourisme des jardins drive-in ou plus exactement drive-around ?
1.âGiratoires en ville, mode dâemploi, Lyon, ministĂšre de lâĂquipement/Certu, collection RĂ©fĂ©rences, no 8, janvier 2000, p. 12.
2. Carrefours urbains. Guide, Lyon, ministĂšre de lâĂqui-pement/Certu, collection RĂ©fĂ©rences, no 5, janvier 1999, p. 164.3. guichet Bernard, LâĂźlot central des carrefours giratoi-res, Nantes, rapport pour le cete de lâOuest, 1995.
4. La technique consiste Ă produire des piĂšces florales polychromes en deux ou trois dimensions, le plus souvent figuratives (objets, animaux, personnages, etc.). Elle se dĂ©veloppe dans la seconde moitiĂ© du xixe siĂšcle, procĂ©dant dâune transposition des « parterres de broderie » des jardins savants de la Renaissance.5. demouchy Georges, Lâutilisation du vĂ©gĂ©tal en ville et sa traduction sur un cas particulier : le rond-point, confĂ©rence aux 8e assises nationales des villes et villages fleuris Ă Angers, 12-13 octobre 2000.
6. lompech Alain, « Les ronds-points permettent Ă la nature sauvage de sâĂ©panouir », Le Monde (Paris), jeudi 14 octobre 1999.7. demouchy Georges, « Le rond-point : une Ăźle protĂ©-gĂ©e », Le Journal des maires (Paris), fĂ©vrier 2001.8. steiger Rosmarie, laroche BĂ©atrice, Les ronds-points en Provence, ouvrage Ă©ditĂ© par les auteurs et diffusĂ© par Ădisud, 2000, p. 15.
GiratoiresâĂ âPlouhaâ(CĂŽtes-dâArmor),âPilat-Plageâ(Gironde)âetâGuidelâ(Morbihan).
GiratoiresâĂ âPenmarchâ(FinistĂšre),âSaint-Quay-Portrieuxâ(CĂŽtes-dâArmor)âetâBlainâ(Loire-Atlantique).
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LâidentitĂ© locale : entre passĂ© folklorique et modernitĂ© incantatoireAmphores dans le midi de la France, barques et filets de pĂȘcheur en bord de mer, verres de dĂ©gustation dans les rĂ©gions viticoles⊠; le choix de tous les dĂ©cors dressĂ©s au centre des giratoires nâa rien de fortuit et va au-delĂ du simple dĂ©sir dâembellissement floral. Pour aller Ă lâencontre de lâuniformisation des paysages liĂ©e Ă lâenvahissement transnational de standards techniques, lâĂźlot central du carrefour giratoire est rĂ©qui-sitionnĂ© par les collectivitĂ©s pour en faire lâĂ©tendard dâune culture prĂ©sumĂ©e localeâ9. Sâil commĂ©more souvent un terroir rĂ©sistant face Ă un urbain envahissant, il devient un Ă©lĂ©ment symbolique de diffĂ©renciation Ă lâintĂ©rieur des agglomĂ©rations oĂč les limites communales sâestompentâ10.Avec son cortĂšge habituel de simplifications, de rĂ©inventions et mythifications, cette recherche obsessionnelle de la particularitĂ© communale ou rĂ©gionale sâinscrit dans une volontĂ© dâenracinement culturel qui va de pair avec le dĂ©veloppement des prati-ques touristiques. Si lâamĂ©nagement peut ĂȘtre perçu par le visiteur Ă©tranger comme un outil promotionnel des spĂ©cialitĂ©s agricoles et artisanales ou autres attractions du cru (lâart roman de la Saintonge Ă Saint-Porchaire, les contes et lĂ©gendes normands Ă Saint-Symphorien-le-Valois, lâartichaut Ă Macau-en-MĂ©doc, le melon Ă Cavaillon, le cristal Ă Arques, etc.), il tĂ©moigne le plus souvent, de la part de son auteur, dâune tentative de rĂ©sumĂ© imagĂ© du territoire Ă travers lâassociation de quelques emblĂšmes de la culture, de lâactivitĂ© ou de lâhistoire locale.Parmi les thĂšmes convoquĂ©s pour cĂ©lĂ©brer cette identitĂ© locale, revient souvent celui du passĂ© proche mais rĂ©volu et la campagne idĂ©alisĂ©e du dĂ©but du xxe siĂšcle. Si la mise
en scĂšne dâoutils agricoles (roues de charrettes, pressoirs, meules, etc.) constitue le modĂšle le plus rĂ©pandu, il arrive parfois que lâon procĂšde Ă la reconstitution de certaines scĂšnes avec des personnages sculptĂ©s, comme dans le village alsacien de Sausheim oĂč lâon peut admirer un jeune gardien dâoies, ou encore un grand-pĂšre assis sur un rocher un livre Ă la main, racontant des histoires devant un auditoire de trois enfants, le tout bien sĂ»r en costumes traditionnels. Le carrefour giratoire est ici dĂ©tournĂ© en mini-Ă©comusĂ©e, quand il ne devient pas un vĂ©ritable « reliquaire du terroirâ11 ». Mais il arrive parfois que ces tableaux sâaniment par la prĂ©sence dâhommes et de femmes venant, pour un jour, rejouer les grandes scĂšnes agricoles dâantan. Ainsi, chaque annĂ©e, les automobilistes montpelliĂ©rains peuvent dĂ©couvrir le dĂ©roulement des vendanges sur un grand giratoire, tandis que dans le Massif Central, une pastille de champ de blĂ© est le thĂ©Ăątre saisonnier des travaux des champs Ă lâancienne : labourage, semailles, fauchage, mise en gerbe, rĂ©colte⊠Bien avant la prolifĂ©ration des giratoires, le plasticien et paysagiste Bernard Lassus avait recueilli dans son Ă©tude sur les « habitants-paysagistes », le tĂ©moignage de lâancien maire de la commune de Ruitz dans le Pas-de-Calais. Charles Pecqueur expliquait sa politique dâembellissement, inaugurĂ©e par lâamĂ©nagement entre 1965 et 1966 du giratoire situĂ© au centre du village : « Il faudrait aussi quâon se souvienne des cultivateurs qui ont vĂ©cu jadis dans notre rĂ©gion, et qui y vivent encore, mais avec moins dâavantages quâen ces temps-lĂ . [âŠ] Il y a lâhistoire du paysan et de sa charrue, il y a lâhistoire du marĂ©chal-ferrant et de sa forge⊠Il faudrait entourer tout cela de fleurs, pour en faire quelque chose dâagrĂ©able. Ăa serait en somme faire louange des efforts que ces cultivateurs ont faits en cultivant leur terre. Ăa rappellerait, dans lâavenir pour la jeunesse, ce que jadis il sâest passĂ© dans notre petit villageâ12. » Si la rĂ©fĂ©rence au monde rural est sans doute le thĂšme dominant de ces giratoires « identitaires », dans certaines contrĂ©es, câest le passĂ© minier ou industriel qui lâem-porte. Marteaux-pilons et wagonnets prennent alors place au milieu des parterres fleu-ris, quand celui-ci nâest pas remplacĂ© par un tas de charbon. Dans les rĂ©gions en pleine reconversion, la commĂ©moration de lâactivitĂ© dĂ©funte sâarticule ainsi souvent avec une volontĂ© de projection dans lâavenir, Ă lâimage des giratoires dâAlĂšsâ13 dans le Gard et de Rombasâ14 en Moselle, qui Ă©voquent le passage de lâĂšre miniĂšre pour le premier, et sidĂ©rurgique pour le second, Ă celle des nouvelles technologies.
9. mouzon Christian, « LâidentitĂ© rĂ©gionale des ronds-points marseillais », GĂ©nie urbain, amĂ©nagement et territoire (Paris), octobre 1996, p. 16.
10.âBricot HervĂ©, Fonctions et rĂŽles des carrefours giratoires dans lâamĂ©nagement dâune ville nouvelle : le cas de Saint-Quentin-en-Yvelines, Nanterre (Paris x), mĂ©moire de maĂźtrise dâamĂ©nagement, 1993, p. 46, multig.
11. InterprĂ©tation proposĂ©e par demouchy Georges, Lâutilisation du vĂ©gĂ©tal en ville et sa traduction sur un cas particulier : le rond-point, op. cit.12. lassus Bernard, Jardins imaginaires, Paris, Les Presses de la Connaissance, coll. « Les Habitants-paysagistes », 1977, p. 147. Voir Ă©galement « Embellir. Le 24 juillet 1971, Charles Pecqueur raconte Ă Bernard
Lassus lâhistoire des ronds-points », Urbanisme (Paris), no 168-169, 1978, pp. 107-108.13. Agence François Seigneur architectes et Marcel Robelin, sculpteur, rond-point rĂ©alisĂ© en septembre 1998. Voir chap. 13, p. 144.14. Rond-point Le passage rĂ©alisĂ© par lâartiste Dany Mellinger en 1997.
Rond-pointâdeâSaint-ChamasâillustrĂ©âparâRosemarieâSteigerâetâBĂ©atriceâLaâRoche.Les ronds-points en Provence,â2000.
GiratoiresâĂ âSaint-Chinianâ(HĂ©rault),âNarbonneâ(HĂ©rault),âLaâPlaine-sur-Merâ(Loire-Atlantique)âetâLa-Haye-du-Puitsâ(Manche).
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GĂ©nĂ©alogie dâun hybride ordinaire
En tant quâil impose le ralentissement, le dĂ©tour et lâĂ©cart, le giratoire serait, pour Jean-Samuel Bordreuilâ1, le dĂ©but de la « flĂąnerie », ou de la « dĂ©rive urbaine » tandis que Marc AugĂ©â2 y voit la suggestion dâun arrĂȘt, une invitation au local. EgrenĂ© sur un rĂ©seau routier auquel on reproche dâĂȘtre toujours plus dĂ©connectĂ© de la rĂ©alitĂ© sensible, humaine et gĂ©ographique des contextes traversĂ©s, le chapelet des giratoires apparaĂźt comme autant dâoccasions dâembrayer sur la dimension locale, quâil contribuerait Ă rĂ©vĂ©ler.De ce point de vue, le dispositif instaure dans le temps de la conduite un moment dâambi guĂŻtĂ© : ambiguĂŻtĂ© spatiale du dispositif lui-mĂȘme (appartenance Ă une multi-plicitĂ© dâĂ©chelles), double identitĂ© (Ă la fois rond-point et giratoire), changements perceptifs (le ralentissement, le jeu des prioritĂ©s qui requiĂšrent lâattention, lâĂ©cart par rapport Ă la ligne droite et la dĂ©sorientation qui peut sâensuivre, mais aussi la vision panoramique du paysage quâelle induit chez celui qui veut sây retrouver ou bien dĂ©cide de se laisser perdre et de flĂąner)⊠tout cela est Ă mĂȘme de susciter, fut-ce pour un instant, une autre vision du paysage, dâautant plus riche quâon saura jouer de cette ambiguĂŻtĂ© essentielle. Si la connaissance du rĂ©pertoire formel, Ă©prouvĂ© Ă lâĂąge classique et baroque, ne suffit certainement plus Ă repenser les configurations contemporaines, les dĂ©marches actuelles devraient en revanche poursuivre les rĂ©flexions et les expĂ©rimentations architecturales et urbanistiques menĂ©es depuis lâavĂšnement du mouvement mĂ©canisĂ©, malheureusement supplantĂ©es, au milieu du xxe siĂšcle, par une vision strictement technique et instru-mentale de la voie. Au-delĂ de cette exploration formelle et spatiale du rond-point, il serait Ă©galement souhaitable dâouvrir un champ dâinvestigations portant sur le contenu programmatique du giratoire. Ainsi, dans certaines situations, il pourrait sâenrichir de nouvelles fonctions (parking, jardin, station de transports en commun, etc.) combinĂ©es dans un dispositif qui donne une rĂ©ponse locale aux nouvelles pratiques urbaines. Enfin, le pragmatisme opĂ©rationnel du carrefour giratoire, qui rĂ©duit trop souvent la portĂ©e de son amĂ©nagement Ă un acte isolĂ©, ne doit pas faire oublier la nĂ©cessitĂ© dâun projet global dâinfrastructure Ă lâĂ©chelle du territoire. Bien au contraire, une pensĂ©e contemporaine des giratoires, si elle se veut la digne hĂ©ritiĂšre de celle des grands rĂ©seaux planifiĂ©s de ronds-points des xviie et xviiie siĂšcles, ne saurait se passer dâune rĂ©flexion topologique globale sur la structure routiĂšre, afin de fournir une matrice Ă©volutive Ă la transformation de la suburbia. La pensĂ©e de lâobjet circonscrit doit ainsi ĂȘtre relayĂ©e par une stratĂ©gie de balisage territorial, capable dâinterrompre rĂ©guliĂšre-ment lâeffet dĂ©rĂ©alisant du rĂ©seau automobile, par lâactivation sensible des dimensions locales, inscrites dans la gĂ©ographie, la mĂ©moire et lâimaginaire.
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LâomniprĂ©sence des giratoires dans les espaces urbains les plus ordinaires les fait souvent apparaĂźtre comme des banalitĂ©s monotones, si ce nâest parasitaires. Mais ni le dĂ©dain, ni le rejet, nâont jamais rien rĂ©solu : les giratoires sont lĂ pour un bon moment, avec ou sans lâaccord des architectes. Aussi doit-on Ă©valuer leur Ă -propos par rapport au territoire et Ă la globalitĂ© du rĂ©seau quâils ponctuent, et distinguer parmi eux, ceux (lâexception) qui ne sont lĂ que pour de mauvaises raisons de ceux (la plupart) qui rĂ©pondent avec une certaine justesse aux besoins fonctionnels de sĂ©curitĂ© et de fluiditĂ©.Face Ă ces objets qui peuplent le paysage, deux grandes postures sâaffrontent. La premiĂšre se rĂ©fĂšre Ă un passĂ© modĂšle, dâautant plus idĂ©alisĂ© quâil sâagit pour elle de souligner notre honteuse dĂ©cadence. La deuxiĂšme se veut ouverte Ă la nouveautĂ© : elle aime voir dans tout phĂ©nomĂšne les prĂ©misses dâune rupture, lâannonce dâun futur radicalement diffĂ©rent et forcĂ©ment inĂ©vitable. Mais le combat rĂ©actionnaire est perdu dâavance, et lâoptimisme prophĂ©tique incertain ; entre les deux lâattentisme sâinstalle. Aucun ne donne rĂ©ellement dâoutils pour trancher et, pendant ce temps, les ronds-points prolifĂšrent tel un peuple dâobjets bĂątards.Or, comme le dit Koolhaas, on peut rendre « Ă tout bĂątard son arbre gĂ©nĂ©alogiqueâ3 ». Telle est la voie choisie ici, avec lâidĂ©e que reconnaĂźtre une histoire au giratoire est peut-ĂȘtre le meilleur moyen de prĂ©parer et dâinstruire sa destinĂ©e. La mĂ©thode, on lâa vu, consiste Ă faire apparaĂźtre, autour dâun objet banal, les grandes articulations dâune histoire bien plus riche et diverse quâon ne lâaurait cru. Pourtant il ne sâagit pas tant de retrouver les ancĂȘtres pour rassurer le bĂątard sur la noblesse de ses origines, que de comprendre comment on en est arrivĂ© lĂ ; et, si lâon sâen plaint, de remonter lâarbre jusquâĂ telle bifurcation et de prendre lâautre voie, la bonne, celle quâon nâaurait pas su voir. Bref, et trĂšs logiquement, câest encore une question de vitesse et de parcours, de mĂ©moire et dâorientation.
1.âBordreuil Jean-Samuel, « Insociable mobilitĂ© ? », in oBadia Alain (sous la direction de), Entreprendre la ville, Nouvelles temporalitĂ©s, nouveaux services, Colloque de Cerisy, La Tour dâAigues, Ăditions de lâAube, 1997, pp. 218-220.
2. augé Marc, « Roundabouts. The revenge of the local », in pile Steve, thrift Nigel (eds), City a-z, Londres, Routledge, 2000, p. 207.3. Koolhaas Rem, « The Terrifying Beauty of the Twentieth Century », in Koolhaas Rem, mau Bruce, S, M, L, XL, New York, The Monacelli Press, 1995.
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Table
Formes du mouvement 5
Chapitre 1Origine du rond-point dans lâespace perspectif renaissant 9
Chapitre 2Ămergence et expĂ©rimentations du rond-point dans les parcs et forĂȘts 15
Chapitre 3Le rond-point, du parc à la périphérie urbaine 27
Chapitre 4Le rond-point en ville, le carrefour devient place et la place devient carrefour 37
Chapitre 5Apparition des trajectoires dans le dess(e)in des carrefours 47
Chapitre 6Lâinvention du carrefour Ă giration par HĂ©nard 57
Chapitre 7Gloire urbanistique du carrefour Ă giration comme place moderne 71
Chapitre 8De la place-carrefour Ă lâĂ©changeur, instrumentalisation du systĂšme giratoire 85
Chapitre 9Le giratoire aujourdâhui, un standard technique Ă vocation sĂ©curitaire 101
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Chapitre 10Du giratoire comme socle dâexpression dâun art dĂ©coratif populaire 109
Chapitre 11Effets « urbanogÚnes » ou « urbanocides » du giratoire 117
Chapitre 12Le réseau des giratoires, vers une nouvelle organisation des territoires urbains ? 127
Chapitre 13Vers une architecture savante du giratoire 135
GĂ©nĂ©alogie dâun hybride ordinaire 161
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