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2009A086
TRIBUNAL D’ARBITRAGE
CANADA PROVINCE DE QUÉBEC
No de dépôt :
2009-5683
Date : 30 juillet 2009 ______________________________________________________________________ SOUS LA PRÉSIDENCE DE : Me Gabriel-M. Côté, arbitre
______________________________________________________________________ ALLIANCE DU PERSONNEL PROFESSIONNEL ET TECHNIQUE DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX
Ci-après appelé(e) « le syndicat » Et CENTRE DE SANTÉ ET DE SERVICES SOCIAUX DE CHICOUTIMI (CSSS DE CHICOUTIMI)
Ci-après appelé(e) « l’employeur » Plaignante : Madame Michelle Lavoie Griefs : 16735 et 16736 de Madame Michelle Lavoie Convention collective : 2000-2002 ______________________________________________________________________
SENTENCE ARBITRALE
______________________________________________________________________
LES GRIEFS ET LA PREUVE
PAGE : 2
[1] Le tribunal doit décider de deux (2) griefs déposés au nom de Madame Michelle
Lavoie, une technologiste médicale à temps partiel inscrite sur la liste de disponibilité de
l’établissement à l’époque pertinente (mai – juin – juillet 2005), depuis 2001.
[2] Il est en preuve que jusqu’au printemps 2005, Madame Lavoie, globalement, a
eu des assignations en biochimie.
[3] Au printemps ou au début de l’été 2005, l’employeur, considérant l’ancienneté de
la plaignante, lui a offert deux (2) programmes d’orientation, un premier en
microbiologie et un deuxième en pathologie.
[4] L’employeur a décidé dans chaque cas qu’elle n’avait pas démontré, durant les
périodes d’orientation – formation dont il s’agit, qu’elle était capable de satisfaire aux
exigences normales d’une tâche de technicienne en microbiologie ou en pathologie. Il
a donc refusé de l’inscrire sur la liste de disponibilité pour des assignations en
microbiologie (sauf pour un banc de travail bien particulier) et en pathologie. La
plaignante n’a donc jamais eu les assignations qu’elle aurait pu obtenir si l’employeur
avait jugé qu’elle avait réussi ses périodes « d’orientation – formation ».
[5] Par son premier grief (S-1, numéro 16735), daté du 19 juillet 2005, la plaignante
conteste donc « la décision de l’employeur de (lui) retirer l’affectation de travail en
microbiologie durant la période du 5 juin 2005 au 6 septembre 2005 ».
[6] Par son deuxième grief (S-2, numéro 16736), daté également du 19 juillet 2005,
elle conteste « la décision de l’employeur de (lui) retirer l’affectation de travail en
pathologie à compter du 15 juillet 2005 alors (qu’elle) y (avait) droit ».
PAGE : 3
[7] En début d’audience, les parties ont demandé au soussigné de conserver
compétence, s’il accueillait un grief ou les deux, pour décider du droit de la plaignante à
une compensation ou des dommages et le cas échéant, fixer le montant dû en vertu de
sa sentence. Il va de soi que le soussigné a consenti à cette demande conjointe des
parties.
[8] Le tribunal tient à préciser dès à présent qu’il faut distinguer les programmes
d’orientation offerts à la plaignante à l’époque pertinente en microbiologie d’abord et en
pathologie ensuite de la période d’initiation et d’essai d’une durée maximale de trente
(30) jours auquelle a droit, en vertu de l’article 12.12 de la convention collective, le ou la
salarié(e) qui s’est vu(e) attribuer un poste selon les dispositions de l’article 12 de la
convention collective.
[9] En effet, la période d’initiation et d’essai dont il est question en l’article 12.12 a
pour finalité de donner l’occasion à la personne salariée de se familiariser avec les
diverses tâches de son nouveau poste et à l’employeur de vérifier sa capacité à les
exécuter avec au moins une compétence moyenne. Au cours de cette période, la
personne salariée peut décider de son plein gré d’abandonner son nouveau poste.
Quant à l’employeur, il a le droit de mettre fin à cette période d’initiation et d’essai pour
cause d’incapacité de la personne salariée de satisfaire aux exigences normales du
poste, et en cas de grief contestant sa décision, il a le fardeau de prouver cette
incapacité.
[10] Il est de jurisprudence constante (le tribunal n’a pas à la citer ici tellement elle est
abondante et connue des parties) que cette période d’initiation et d’essai ne doit pas
être confondue avec une période d’entraînement et de formation, c’est-à-dire une
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période qui sert à acquérir des connaissances, techniques et habiletés. En effet, la
personne salariée à qui le poste est attribué selon les termes de l’article 12 doit avoir au
départ la compétence réelle, actuelle – et non simplement potentielle – pour accomplir
les tâches attachées au poste dont il s’agit avec une compétence moyenne.
[11] Les périodes d’orientation offertes à la plaignante s’apparentaient, on le verra,
beaucoup plus à des périodes d’entraînement, d’apprentissage, bref de formation, qu’à
des périodes de simple familiarisation. Elles avaient pour but, c’est indéniable, de
permettre à la plaignante, dans le fond, d’acquérir les connaissances, techniques et
habiletés pratiques que doit posséder normalement une technicienne en microbiologie
ou en pathologie pour être en mesure d’accomplir adéquatement sa tâche.
[12] Concernant le programme d’orientation en microbiologie, le syndicat a fait
comparaître comme témoin la plaignante elle-même, Madame Lavoie. Quant à
l’employeur, il a fait témoigner les personnes suivantes, dans l’ordre, savoir :
- Madame Francine Morin, coordonnatrice technique par intérim en microbiologie, à l’époque pertinente;
- Madame Yolande Boivin, technicienne en microbiologie; - Madame Marielle Gagnon, chef technicienne en microbiologie et en pathologie.
[13] En ce qui a trait au programme d’orientation en pathologie, le syndicat a fait
témoigner, outre la plaignante, Madame Francine Savard, technicienne en pathologie.
Quant à l’employeur, il a fait comparaître comme témoins :
- Madame Chantale Bouchard, coordonnatrice technique en pathologie; - Madame Marielle Gagnon, chef technicienne en microbiologie et en pathologie.
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[14] L’enquête et audition en ce dossier a duré quelque neuf (9) jours. Plusieurs
témoins ont été entendus et longuement contre-interrogés, de nombreux documents ont
également été produits. Personne ne doit donc s’attendre à ce que le tribunal résume
dans le détail le contenu, souvent à caractère fort technique, de tous les documents et
les assertions de chacun des témoins. Le tribunal est d’avis que sa tâche est de rendre
compte de tous les faits pertinents sans en accentuer inutilement la complexité et de se
référer en effet à l’ensemble de la preuve plutôt que de s’attacher à des points de détail
qui risquent de lui faire perdre de vue l’essentiel.
LES FAITS LES PLUS PERTINENTS RELATIVEMENT À L’ORIENTATION DE MADAME LAVOIE EN MICROBIOLOGIE, PLUS PRÉCISÉMENT AU BANC DE TRAVAIL DES HÉMOCULTURES
[15] Il appert de l’ensemble de la preuve, des témoignages de la coordonnatrice
technique, Madame Francine Morin, et de la chef technicienne, Madame Marielle
Gagnon en particulier, qu’au printemps 2005, l’employeur avait besoin pour faire des
remplacements de techniciennes en vacances durant l’été d’une personne salariée de
la liste de disponibilité capable de travailler à la fois à deux (2) bancs (postes) de travail
en microbiologie, à savoir au banc « de la réception et des ensemencements »
(ensemencements) et au banc des hémocultures. La personne recherchée devait être
en mesure de travailler seule, d’une manière autonome, aux deux (2) bancs de travail,
tel que déjà dit. Comme il n’y avait personne sur la liste de rappel qui avait les
capacités de rencontrer les exigences normales des postes de travail dont il s’agit,
l’employeur a décidé d’offrir à la plaignante, considérant son ancienneté, un programme
d’orientation aux deux (2) bancs de travail en question.
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[16] Il s’agissait d’une formation d’une durée prévue de six (6) semaines, comme le
voulait la pratique, soit trois (3) semaines par banc de travail. Une formation donnée
par la coordonnatrice, Madame Morin, une salariée syndiquée, soit dit en passant, et
évaluée par la chef technicienne, Madame Gagnon, une employée cadre.
[17] Durant la première semaine d’orientation à un banc de travail, la coordonnatrice
travaille avec la personne orientée, celle-ci apprend donc en quelque sorte sur le tas,
sous la supervision directe et immédiate de celle-là.
[18] Durant la deuxième semaine, affirment les témoins produits par l’employeur, la
coordonnatrice ne travaille pas toujours avec la personne orientée, bref elle n’est pas
toujours à côté d’elle, car cette dernière est normalement sensée, après une (1)
semaine d’apprentissage, être en mesure de faire le gros du travail du poste, sans aide,
mais la coordonnatrice est tout de même disponible au laboratoire pour répondre aux
questions de l’orientée et lui enseigner les techniques qui n’ont pu l’être la première
semaine parce que l’occasion ne s’est pas présentée de les exécuter cette première
semaine-là. Donc, la deuxième semaine, la supervision de la coordonnatrice est plus,
pour ainsi dire, à distance.
[19] La troisième semaine, on s’attend à ce que la personne orientée soit en mesure
d’exécuter complètement, à toute fin pratique, d’une manière autonome, les tâches
attachées au poste.
[20] Depuis 2004, ont dit les témoins produits par l’employeur, donc un (1) an plus ou
moins avant l’époque pertinente, on utilise au laboratoire pour les orientations en
microbiologie un outil de travail, « des fiches d’orientation du nouveau personnel » en
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usage au Cégep de Chicoutimi, un outil qu’on a adapté pour les besoins spécifiques de
la formation des techniciennes en microbiologie au CSSS. Une fiche par semaine de
formation. Toujours la même formule (fiche) d’une semaine à l’autre. Les « attentes »
sont évaluées à chaque semaine : façon de faire, analyse des spécimens, collaboration,
éthique et déontologie, gestion de la qualité. Possibilité de cent (100) points. Note de
passage : 80% (note du tribunal : ce n’est pas si strict, comme il sera vu plus loin).
Écoutons Madame Gagnon à ce sujet (page 20 des notes sténographiques du 30 avril
2009) : « si la personne est capable de faire le travail à quatre-vingts pour cent 80%,
bien on dit, on est correct, elle est correcte ». Suivant Madame Gagnon, à la fin de la
deuxième semaine à un banc de travail, la personne « est supposée être rendue là »
(« à 80% »).
[21] La personne orientée, affirme Madame Gagnon, n’est pas « nécessairement
informée » que l’employeur utilise cet outil de travail, donc elle n’est pas informée des
attentes indiquées dans les fiches, soit avant le début de sa période de formation ou
dans le cours de sa période de formation.
[22] La chef technicienne fait son évaluation (pointage), normalement à la fin de
chaque semaine, à partir des observations qui lui sont transmises par la personne qui
dirige l’orientation et suite à des discussions avec cette dernière.
[23] Le tribunal retient du témoignage de Madame Gagnon que normalement, en
période de formation, elle rencontre la salariée orientée régulièrement, en tout cas elle
le faisait « quand ça allait mal ».
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[24] Il est en preuve que l’employeur a comme pratique de mettre fin à la période
d’orientation, généralement après deux (2) semaines de formation à un banc de travail,
lorsqu’il juge que la personne salariée orientée est en mesure de satisfaire aux
exigences normales de la tâche à ce banc de travail. Il le fait aussi lorsqu’il juge que la
personne orientée ne progressera pas suffisamment pour parvenir à ce niveau de
compétence.
[25] Dans le cas de Madame Lavoie, l’employeur a mis fin à sa formation aux
ensemencements, après la deuxième semaine, au motif qu’elle avait démontré sa
capacité de satisfaire aux exigences normales de la tâche à ce banc de travail.
L’employeur a attribué une note de 75% à Madame Lavoie, suite à sa deuxième
semaine de formation aux ensemencements (76% à la suite de la première semaine). Il
s’agissait d’une erreur de calcul, en réalité le score de Madame Lavoie était plutôt de
85%. Mais l’employeur pensait à l’époque pertinente que la véritable note, c’était 75%.
« Même si elle n’avait pas atteint une note de 80%, dit Madame Gagnon, ce n’était pas
si pire, parce que ça se rattraperait, ça, puis… puis… 75%, ça fait que ça se maintient
(c’était 76% la première semaine), puis on ne voyait pas de problème, là, à la garder ».
[26] Donc, en un mot comme en mille, Madame Lavoie a réussi sa formation, aux
yeux de l’employeur, aux ensemencements. Elle a donc été inscrite sur la liste de
disponibilité pour ce banc de travail.
[27] Concernant l’orientation – formation de Madame Lavoie aux ensemencements,
le tribunal ne dira rien de plus.
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[28] En revanche, l’employeur a mis fin à la période de formation de la plaignante au
banc des hémocultures (un « banc combiné », en fait, dit Madame Morin, « ça
comprend », outre les hémocultures « les L.C.R. [liquides céphalo-rachidiens], les
SARM, les sécrétions vaginales, les réactions transfusionnelles, sécrétions gastriques,
etc. ») après une présence de quelque huit (8) jours de celle-ci à ce poste pour les
raisons inverses. Il a jugé en effet que la progression de cette salariée était nulle ou
nettement insuffisante, de sorte qu’elle ne parviendrait pas, à son avis, même après
trois (3) semaines complètes de formation, en la forme et en la manière en usage au
CSSS, à répondre aux exigences normales de la tâche à ce banc de travail.
[29] Puisque l’employeur prétend que la plaignante, à l’époque pertinente, devait bien
être avantagée dans son apprentissage au banc des hémocultures du fait de ses
expériences antérieures dans des laboratoires de microbiologie, le tribunal croit utile
dès à présent d’établir ce qui suit.
[30] La plaignante, Madame Lavoie, témoigne que, oui, avant son embauchage au
CSSS en 2001, elle avait eu des expériences de travail dans des laboratoires de
microbiologie (E-1). En 2005, dit-elle, il s’agissait d’expériences anciennes, datant des
années ‘80 et du début des années ‘90, et elle soutient que, quoi qu’il en soit, elle
n’avait jamais eu l’occasion, dans ces laboratoires-là, de faire de l’identification de
bactéries, l’une des tâches fondamentales au banc des hémocultures du CSSS. Elle
reconnaît, certes, qu’elle avait déjà fait des antibiogrammes, une technique qui consiste
à vérifier la résistance d’une bactérie à différents antibiotiques, ce qui fait dire à
l’employeur que donc, forcément, elle avait déjà fait de l’identification de bactéries, mais
dans l’esprit du tribunal, cette expérience, à en juger strictement par la preuve, est trop
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ancienne et trop peu importante pour conclure, comme le suggère le procureur
patronal, qu’elle était loin, à l’époque pertinente, à la fin du printemps 2005, « d’être une
néophyte en microbiologie ».
[31] Le tribunal estime qu’il est en preuve qu’avant que ne débute sa période
d’orientation en microbiologie, Madame Lavoie a été avisée que durant sa première
semaine à un banc de travail, elle apprendrait les tâches propres à ce banc sous la
supervision directe et immédiate de sa formatrice, Madame Morin; que durant la
deuxième semaine, elle devait être en mesure de faire le gros du travail, sans aide,
mais que sa formatrice serait disponible durant cette deuxième semaine-là pour
répondre à ses questions et lui enseigner les techniques qui n’ont pu l’être la première
semaine; que la troisième semaine, elle devait être en mesure d’exécuter
complètement, à toute fin pratique, d’une manière autonome, les tâches attachées au
poste, en tout cas celles qu’elle a eu l’occasion d’exécuter sous supervision les deux (2)
premières semaines. On lui a dit probablement aussi, la plaignante semble le
reconnaître (voir la page 40 des notes sténographiques du 30 avril 2008), que
l’employeur se réservait le droit de mettre fin à la période de formation s’il n’y avait pas
de progression raisonnable dans l’apprentissage.
[32] L’employeur n’a pas dit cependant à la plaignante, à l’époque pertinente, ni au
début, ni en cours de période de formation, qu’il utiliserait pour l’évaluer l’outil de travail
(« fiches d’orientation du nouveau personnel ») dont il est question aux paragraphes 20
et 21 de la présente sentence arbitrale. Donc, on ne lui a pas parlé d’une note de
passage de 80%. Donc, on ne l’a pas rencontrée en cours de période de formation,
fiches en main, pour discuter des résultats qu’on lui attribuait, attirer son attention sur
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ses faiblesses et lacunes inscrites aux fiches et voir s’il n’y avait pas moyen de les
corriger, ces faiblesses et lacunes.
[33] La plaignante prétend que la chef technicienne, Madame Gagnon, la personne
responsable au premier chef de son évaluation, qui devait pourtant la rencontrer à
chaque semaine, c’est ce qu’on lui avait dit, ne l’a vue que quelques minutes une seule
fois, le vendredi 3 juin 2005, en milieu de journée, et qu’à cette occasion-là, Madame
Gagnon lui a simplement dit que son orientation au banc des hémocultures, c’était un
échec à cause d’un manque d’organisation, que donc l’employeur mettait fin à
l’orientation à ce banc de travail.
[34] Madame Gagnon, sur cette question des rencontres qu’elle a eues avec
Madame Lavoie, est moins précise que cette dernière. Elle l’a vue, oui, le vendredi 3
juin, c’est certain. Elle prétend l’avoir vue une autre fois, avant ce 3 juin, jour fatidique,
mais elle ne se rappelle pas quand, elle ne se rappelle pas non plus de ce qu’elle a dit à
cette occasion-là à Madame Lavoie.
[35] Le tribunal préfère donc, pour des raisons évidentes, retenir sur cette question
des rencontres, le témoignage clair et précis de Madame Lavoie au témoignage vague
et ambigu de Madame Gagnon.
[36] Voyons les faits les plus pertinents qui se sont produits durant les deux (2)
semaines d’orientation, une complète, la première, l’autre incomplète, la deuxième, de
Madame Lavoie au banc des hémocultures.
PAGE : 12
[37] Puisque c’était congé le lundi 24 mai 2005, la première semaine (5 jours
ouvrables) a débuté le mardi 25 mai, s’est poursuivie les mercredi 26 mai, jeudi 27 mai
et vendredi 28 mai et s’est terminée le lundi 31 mai.
[38] Le tribunal comprend que la deuxième semaine a commencé le mardi 1er juin et
s’est terminée le vendredi 4 juin par l’annonce de l’employeur à la plaignante en mi-
journée ce 4 juin qu’il mettait fin à sa période de formation au banc des hémocultures.
[39] La première semaine, la coordonnatrice technique Madame Morin, la formatrice
a, comme prévu, travaillé durant toute cette semaine-là avec Madame Lavoie pour
permettre à cette dernière d’acquérir les connaissances, techniques et habiletés qui font
partie du quotidien d’une technicienne en microbiologie au banc des hémocultures. La
plaignante, tout en travaillant elle-même, avait la possibilité d’observer et de
questionner. Toutes les techniques et procédés n’ont pas été vus, car l’occasion
d’exécuter certaines tâches particulières ne s’est pas nécessairement présentée, c’est
le travail qu’il y avait à faire qu’il fallait accomplir.
[40] Madame Morin, le seul témoin, du côté patronal, qui a eu une connaissance
directe des faits pertinents durant cette première semaine, déclare dans l’ensemble, en
examen en chef, qu’elle a constaté durant cette semaine-là que Madame Lavoie « avait
beaucoup de difficultés à travailler avec l’informatique », (bref elle se trompait souvent
d’écran (par exemple entrer des données dans « l’écran média » au lieu de le faire dans
« l’écran test », elle l’a fait plusieurs fois malgré des avertissements répétés), que
Madame Lavoie perdait du temps inutilement dans l’exécution de certaines tâches (par
exemple lire le nom du patient sur une bouteille d’hémoculture au lieu de simplement la
scanner, cette bouteille, ce qui lui a été répété plusieurs fois, elle ne semblait pas
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comprendre), qu’elle avait des difficultés dans l’utilisation du pense-bête et des
protocoles propres à chaque technique, qu’elle lisait les SARM à la loupe au lieu d’en
faire une lecture macroscopique, qu’elle était lente en général dans l’exécution de ses
techniques, qu’elle prenait trop de notes, ce qui est un signe d’insécurité, qu’elle
mélangeait des étapes dans l’exécution d’une technique, qu’en général cette salariée
était « stressée, mêlée », qu’elle manquait de concentration, de méthode et
d’organisation, qu’elle ne s’intégrait pas à l’équipe parce qu’elle ne prenait pas ses
pauses repos et repas avec ses collègues, etc.
[41] À la fin de la première semaine, de poursuivre Madame Morin, on a attribué une
note globale à Madame Lavoie de 73% (E-7), soit 5 points sur 5 pour la « façon de
faire » (respect des consignes, travail sécuritaire, vigilance, méthode), 41 points sur 65
pour « analyse des spécimens » (on a noté particulièrement qu’elle avait des difficultés
avec l’informatique, qu’elle semblait stressée, qu’elle manquait de rigueur dans les
procédures du protocole, etc.), 12 points sur 15 pour la « collaboration » (elle a perdu
des points pour ses difficultés d’intégration à l’équipe, « propos superflus »), 10 sur 10
pour « éthique et déontologie », 5 sur 5 pour « gestion de la qualité ».
[42] Madame Morin témoigne que la deuxième semaine qui débutait le mardi 1er juin,
tel que déjà dit, elle n’a été présente au travail que les mardi et mercredi seulement, car
le jeudi et le vendredi, elle a pris des vacances. Le jeudi et le vendredi donc, elle a été
remplacée comme coordonnatrice (note du tribunal : pas nécessairement comme
formatrice, comme il sera vu plus loin) par la technicienne Jocelyne Gagné qui n’a pas
témoigné. Suivant Madame Morin, le mardi et le mercredi, la performance et le
rendement de Madame Lavoie ne s’étaient pas améliorés. Toujours les mêmes
PAGE : 14
problèmes. On arrivait, dit Madame Morin, à accomplir les tâches du poste durant le
quart de travail, d’accord, « mais c’était parce que je l’aidais ».
[43] Le tribunal estime que le contre-interrogatoire de Madame Morin fait voir que
l’apprentissage de Madame Lavoie, sept (7) jours durant, entre le mardi 24 mai et le
mercredi 2 juin 2005 n’était pas aussi désastreux qu’a bien voulu le laisser croire ce
témoin en examen en chef.
[44] Ainsi, Madame Morin a reconnu – et ce ne sont que des exemples – que durant
la deuxième semaine, Madame Lavoie prenait correctement ses températures
journalières; qu’elle ne commettait pas d’erreurs dans l’émission de ses rapports;
qu’elle n’avait pas de problèmes avec les techniques de repiquage; qu’elle inscrivait
correctement à l’ordinateur les résultats de ses tests; qu’elle savait lire les GRAM et
que son interprétation des bactéries était satisfaisante; que dans l’ensemble ses tests
biochimiques étaient bien faits; qu’elle avait corrigé son habitude de faire des lectures à
la loupe quand ce n’était pas nécessaire; qu’elle était capable de faire des
antibiogrammes, etc.
[45] Bref, le tribunal comprend du témoignage de Madame Morin que Madame
Lavoie exécutait bien ses tâches, ses tests en particulier, « quand elle savait quoi faire,
elle le faisait bien », mais qu’elle avait des difficultés à prendre des décisions, à porter
un jugement sur le travail qu’elle avait à faire, à s’orienter pour aller chercher, au
besoin, de l’information.
[46] Cela nous amène au jeudi 3 juin, jour à marquer d’une pierre blanche en ce
dossier, l’après-midi en particulier, surtout entre 16H00 et 18H00.
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[47] Ce jeudi 3 juin, il ne faut pas l’oublier, Madame Morin n’était pas présente, elle
était en vacances les jeudi 3 juin et vendredi 4 juin. Elle était remplacée comme
coordonnatrice ces jours-là par la technicienne Jocelyne Gagné qui, il faut le répéter,
n’a pas témoigné à l’audience.
[48] Suivant la prépondérance de la preuve, ni Madame Gagnon, ni Madame Morin,
n’ont dit à Madame Gagné qu’elle aurait des responsabilités de formatrice vis-à-vis
Madame Lavoie les jeudi et vendredi, 3 et 4 juin. Elles ne lui ont même pas dit de
porter une attention particulière à cette salariée qui, à les entendre, était stressée,
nerveuse, déconcentrée, désorganisée, « mêlée ».
[49] Sur ce qui s’est passé le jeudi 3 juin, en après-midi, avant 16H00, le tribunal ne
peut compter que sur le témoignage de Madame Lavoie qui a reconnu qu’à 16H00,
heure normale de fin de son quart de travail, elle n’était pas parvenue à tout faire et
bien faire à son poste de travail et que c’est pour cette raison qu’elle a décidé de
prolonger sa prestation de travail jusqu’à 18H00, elle était disponible et ça ne
dérangeait personne, dit-elle.
[50] Madame Lavoie explique en effet que cet après-midi-là, elle a eu « un cas de
méningite de l’Hôpital de Jonquière », un cas exceptionnel, urgent et difficile, c’était du
nouveau pour elle, on ne lui avait pas montré comment faire le groupage qui s’imposait
en pareil cas. Elle est donc partie à la recherche de la coordonnatrice, Madame Gagné,
pour avoir de l’aide, mais elle ne l’a pas trouvée. « Ça fait, dit Madame Lavoie, que j’ai
demandé à une technicienne qui passait de me montrer la technique pour grouper le
cas de méningite ». La technique a été exécutée par cette technicienne. Il se peut que
les résultats du test n’aient pas été entrés à l’ordinateur, reconnaît Madame Lavoie,
PAGE : 16
mais dans sa tête à elle, affirme-t-elle, elle croyait à l’époque qu’il revient à la
technicienne qui exécute un test de faire les entrées requises. Donc, ce cas de
méningite lui a demandé du temps. Ensuite, elle a dû répondre à un appel d’un
médecin qui lui a demandé des informations sur un protocole bien précis qu’elle ne
connaissait pas. Elle a dit à ce médecin qu’elle le rappellerait. Elle ne l’a pas trouvé le
protocole en question, encore-là c’était du nouveau pour elle. Elle est donc partie à la
recherche de la coordonnatrice remplaçante. Elle l’a trouvée et celle-ci a consenti à
rappeler le médecin. Madame Lavoie poursuit son témoignage en affirmant qu’il s’est
présenté cet après-midi-là plusieurs techniques à exécuter qu’elle n’avait jamais vues et
qu’il y a eu beaucoup d’hémocultures positives, « plus que tous les autres jours », ce
qui demande beaucoup de travail. Suivant Madame Lavoie, Madame Gagné « n’est
jamais passée (à son poste de travail) pour vérifier comment ça allait, si j’avais des
questions, si le travail avançait. Là, j’étais débordée, ça fait que je suis restée jusqu’à
18H00, parce que je ne voulais pas laisser le travail supplémentaire à la technicienne
en soirée ».
[51] Sur ce qui s’est passé de pertinent après 16H00, le témoignage à retenir est
celui de la technicienne en microbiologie, Yolande Boivin, qui travaillait aux
ensemencements en soirée.
[52] Madame Boivin raconte qu’après 16H00, la plaignante lui a apporté une
hémoculture positive « qu’elle avait commencée ». C’était normal, dit-elle, « c’est moi
qui devait continuer le test pour l’hémoculture. Le problème, c’est que Madame Lavoie
était mêlée, elle ne se rappelait plus si elle avait bien fait les boîtes de départ ».
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[53] Madame Boivin déclare qu’ensuite, elle a constaté qu’il y avait sur la table de
travail de Madame Lavoie un plateau de SARM, « des tests qui normalement se font le
matin ».
[54] À un moment donné, de poursuivre Madame Boivin, Madame Lavoie lui a dit de
venir voir, qu’il lui manquait un antibiogramme dont le résultat n’était pas inscrit à
l’ordinateur. On a fait des recherches, dit Madame Boivin, pour trouver la boîte
appropriée, celle-ci était dans l’armoire « des boîtes lues et à jeter ». Elle a dit à
Madame Lavoie de lire son antibiogramme et de l’inscrire à l’ordinateur.
[55] Plus tard, affirme Madame Boivin, Madame Lavoie est revenue la voir et lui a
dit : « Les disques qui sont sur l’antibiotique qu’on a fait, ce n’est pas les bons pour la
bactérie ». Madame Boivin dit qu’elle a vérifié et c’était correct. Elle a mentionné à
Madame Lavoie de faire ses inscriptions à l’ordinateur. Mais Madame Lavoie est
revenue la voir encore une fois en disant qu’il lui manquait un disque de clindamycine,
un disque qu’elle ne voyait pas sur sa boîte. Il y était pourtant, elle ne reconnaissait pas
l’abréviation pour le disque de clindamycine qui est « cc ».
[56] Madame Boivin déclare également que Madame Lavoie avait des problèmes
avec une « gélose sang de pureté ». Le but de cette gélose, c’est de faire pousser la
bactérie, c’est de connaissance de base. Madame Lavoie « était découragée de voir
que ça avait poussé ». Elle a dit à Madame Lavoie « qui avait l’air perdu » que c’était
normal.
[57] Madame Boivin déclare enfin que Madame Lavoie avait des difficultés à faire ses
entrées à l’ordinateur, c’était long, « elle avait de la difficulté à se rendre au bon
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écran »; qu’en résumé, Madame Lavoie semblait dépassée par son travail, qu’elle
n’avait pas l’air de comprendre, soit par nervosité soit par manque d’écoute. Elle a
téléphoné à Madame Morin pour lui rapporter les faits ci-dessus mentionnés, faits
qu’elle a constatés effectivement entre 16H00 et 18H00 ce jeudi 3 juin (il est en preuve
que Madame Morin a à son tour rapporté l’affaire à Madame Gagnon, probablement le
vendredi matin 4 juin, on peut d’ailleurs dire que c’est ce qui s’est passé, aux dires de
Madame Boivin, entre 16H00 et 18H00 ce jeudi-là qui a été la cause directe et
immédiate, en quelque sorte l’incident culminant, de la décision de Madame Gagnon de
mettre un terme à la formation de Madame Lavoie au banc des hémocultures, chose
qu’elle a faite effectivement le vendredi en milieu de journée). En contre-interrogatoire,
Madame Boivin déclare que l’employeur ne lui a pas demandé de jouer un rôle de
formatrice vis-à-vis Madame Lavoie; qu’elle n’a jamais eu de commentaires négatifs de
la part de collègues de travail concernant le rendement ou la performance de Madame
Lavoie au banc des hémocultures à l’époque pertinente; qu’elle a couché par écrit le 23
juin 2005 (E-20), à la demande de Madame Gagnon, les constatations qu’elle a faites le
jeudi 3 juin, entre 16H00 et 18H00; que c’est normal « qu’une jeune ne sache pas de
choses ».
[58] À ce témoignage de Madame Boivin, Madame Lavoie répond qu’en biochimie,
elle n’a jamais eu de problèmes avec l’informatique. Il faut comprendre que le logiciel
est différent en microbiologie et que ça demande un certain temps pour en apprendre le
fonctionnement. Elle affirme qu’entre 16H00 et 18H00 le jeudi 3 juin, il était normal
qu’elle demande l’aide de Madame Boivin, il s’agissait de tests à effectuer qu’elle
n’avait jamais vus, après huit (8) jours de formation. Elle déclare que le lendemain
matin, vendredi, vu la journée qu’elle avait eu la veille, elle a demandé en début de
PAGE : 19
quart de travail de l’aide à la coordonnatrice remplaçante, Madame Gagné, pour
reprendre le dessus. Effectivement, Madame Gagné a passé l’avant-midi avec elle.
Elle maintient que lorsque Madame Gagnon l’a rencontrée le vendredi pour lui
annoncer qu’elle mettait fin à la période de formation, Madame Gagnon ne lui a donné
aucune explication, si ce n’est qu’elle manquait d’organisation. Elle maintient qu’elle n’a
pas eu l’occasion de dire grand-chose.
[59] Dans les premiers jours de la semaine qui a suivi le vendredi 4 juin, il fut procédé
par Mesdames Morin et Gagnon à l’évaluation de la deuxième semaine incomplète de
travail, en formation, de Madame Lavoie au banc des hémocultures. On a attribué à la
salariée une note de 65% (E-13), soit 5 points sur 5 pour la « façon de faire », 33 sur 65
au titre de l’analyse de spécimens (on a particulièrement noté que Madame Lavoie était
stressée, qu’elle avait des difficultés avec l’informatique, des problèmes avec l’usage
des protocoles, qu’elle était incapable de rencontrer les échéances [elle n’avait pas
terminé sa journée de travail à 16H00 le jeudi 3 juin]), 12 sur 15 en ce qui concerne la
« collaboration » (difficulté d’intégration à l’équipe), 10 sur 10 en rapport avec l’éthique
et la déontologie, 5 sur 5 pour la gestion de la qualité.
[60] Madame Gagnon a rempli un formulaire d’appréciation du rendement de
Madame Lavoie (E-21) fort négatif. Le tribunal y reviendra au besoin. Madame Morin a
couché elle aussi par écrit ses constatations (E-22). Le tribunal y reviendra également
au besoin.
[61] Voilà donc pour l’essentiel de la preuve en ce qui a trait à la période de formation
de Madame Lavoie au banc des hémocultures.
PAGE : 20 LES FAITS LES PLUS PERTINENTS RELATIVEMENT À L’ORIENTATION EN PATHOLOGIE DE MADAME LAVOIE
[62] En ce qui concerne les programmes d’orientation en pathologie, l’employeur
n’utilise pas d’outil d’évaluation comme c’est le cas en microbiologie (E-4, E-5, E-7,
E-13).
[63] En gros, en pathologie, les prélèvements de tissus arrivent au laboratoire, ils
sont gelés dans une substance (le plus souvent dans la paraffine) pour qu’on puisse les
trancher en lamelles qui seront exposées à des marqueurs, trempés dans des solutions
etc.
[64] La durée du programme d’orientation est de six (6) semaines (2 semaines par
banc de travail) lorsque la personne salariée, semble-t-il, obtient un poste selon les
termes de l’article 12 de la convention collective. Elle est de trois (3) semaines lorsqu’il
s’agit d’entraîner une personne salariée de la liste de disponibilité pour effectuer des
remplacements à des bancs spécifiques. Effectivement, en pathologie, Madame Lavoie
a eu une période de formation de trois (3) semaines. La première semaine, c’était au
poste de « deuxième coupeuse », les deux (2) semaines suivantes au poste de
« première coupeuse ».
[65] Il se fait aux deux (2) postes de l’inclusion (introduction dans un tissu d’une
substance (paraffine) qui lui donne assez de dureté pour être découpé au microtome) et
de la coupe, effectivement, au microtome (c’est l’instrument qui sert à couper dans des
tissus des lames minces afin de les observer au microscope).
[66] Au poste dit de « première coupeuse », la technicienne fait en plus des
colorations spéciales, généralement en après-midi.
PAGE : 21
[67] L’horaire du poste de deuxième coupeuse, c’est de 8H00 à 16H00. La salariée à
ce poste fait de l’inclusion de 8H00 à 10H00 et de la coupe le reste de la journée, ainsi
que du classement en fin de journée. Normalement, disent les témoins produits par
l’employeur, vu qu’il y a beaucoup de coupes à ce poste, c’est là qu’une nouvelle
salariée est d’abord orientée. Il en fut ainsi dans le cas de Madame Lavoie.
[68] L’horaire du poste de première coupeuse est de 7H00 à 15H00. La salariée
affectée à ce poste fait de l’inclusion de 7H00 à 8H00, puis de la coupe jusqu’à son
dîner, à 11H30. En après-midi, elle est affectée principalement aux colorations
spéciales et fait de la coupe encore, si elle en a le temps.
[69] Les premières coupes sont donc effectuées par la première coupeuse, à partir
de 8H00. Il y a un ordre à suivre dans la journée : les cas très urgents (STAT) d’abord,
les urgents ensuite, puis les prioritaires et enfin les cas de routine. Les biopsies sont
parmi les cas les plus urgents, en général. C’est normal, les biopsies sont
généralement prélevées par chirurgie, « on est à la recherche d’un diagnostic »
(témoignage de Madame Chantale Bouchard).
[70] Puisqu’il est question de chirurgie, il est en preuve qu’il y a moins de chirurgies
l’été, pour des raisons évidentes, donc moins de biopsies à couper.
[71] L’orientation de Madame Lavoie a débuté le 27 juin 2005 au poste de deuxième
coupeuse, tel que déjà dit. Une (1) semaine d’orientation à ce poste. Les deux (2)
semaines suivantes, elle a été orientée au poste de première coupeuse, il faut le
rappeler.
PAGE : 22
[72] La responsable de sa formation, Madame Chantale Bouchard, coordonnatrice
technique en pathologie, affirme que l’employeur s’attend d’une personne qui n’a pas
d’expérience au microtome qu’elle soit en mesure au bout de la première semaine de
formation (au poste de deuxième coupeuse) de couper trente (30) blocs ou lames (peu
importe, estime le tribunal, il semble que ce soit blanc bonnet bonnet blanc, s’il lui est
permis de s’exprimer ainsi) à l’heure.
[73] Madame Bouchard estime que c’est raisonnable, elle qui a orienté au laboratoire
quatre (4) ou cinq (5) nouvelles salariées (en période d’initiation et d’essai selon les
termes de l’article 12 de la convention collective), à part Madame Lavoie, bien entendu.
Elle dit que normalement, à la fin de sa période d’orientation, une nouvelle salariée fait
« 40 à 50 lames à l’heure », que d’ailleurs une technicienne expérimentée en fait
facilement entre 50 et 60 à l’heure.
[74] Madame Bouchard déclare qu’elle a dit à Madame Lavoie au début de
l’orientation « qu’on s’attend à un minimum de 30, mais qu’il faut que ça augmente. Si,
après 3 semaines c’est encore à 30 ou 2 semaines c’est encore à 30, ce n’est pas bon.
Il faut qu’avant … c’est minimum 30 et toujours en s’améliorant, qu’on voit qu’il y a une
progression, qu’il y a une maîtrise de l’instrument, puis que la personne, là, elle va
vraiment être à l’aise, puis qu’elle va produire un bon rendement, puis des coupes de
qualité aussi. Alors, c’est ça, en gros, que je lui ai dit, là. ».
[75] Madame Bouchard affirme que depuis qu’elle est coordonnatrice, cette norme de
« 30 », au minimum, a toujours été la même.
PAGE : 23
[76] Madame Bouchard affirme qu’une biopsie, ça demande beaucoup de dextérité
« parce que c’est petit », mais c’est facile à couper, « sur le couteau ça passe bien ».
Elle reconnaît que ça prend un peu plus de temps à couper qu’un bloc de routine.
[77] Madame Bouchard témoigne que la première semaine, elle a compté, certaines
heures, pas toutes les heures évidemment, les blocs à l’heure réalisés par Madame
Lavoie. Elle ne sait cependant pas à quelle heure de la journée, elle a fait ses
décomptes. La deuxième journée de cette première semaine, soit le 28 juin, elle a
compté « 15 à 20 » blocs à l’heure, c’était des blocs d’autopsie. Le 30 juin, la
quatrième journée de la première semaine, elle a calculé qu’en une (1) heure, elle ne
sait pas quelle heure, Madame Lavoie a coupé 21 blocs. Donc, dit Madame Bouchard,
après cette première semaine, c’était assez lent, les coupes, puis à l’inclusion « ça allait
doucement ».
[78] La deuxième semaine, de poursuivre Madame Bouchard, alors que Madame
Lavoie était au poste de première coupeuse, elle a fait un décompte presque à chaque
jour, un (1) par jour à toute fin pratique, à une heure donnée qu’elle ne peut préciser.
La première heure comptée, Madame Lavoie a fait 30 blocs, mais les blocs n’étaient
pas classés, la norme c’était des blocs « coupés et classés ». La deuxième heure
comptée, a donné 13 blocs à l’heure. La troisième, c’était jeudi, 17 blocs à l’heure. La
quatrième, le vendredi, 27 blocs à l’heure. Donc, déclare Madame Bouchard, le
rendement de Madame Lavoie ne répondait pas aux attentes, elle ne s’était pas
améliorée beaucoup à la coupe. En ce qui concerne les colorations spéciales, Madame
Lavoie avait des difficultés, elle était hésitante et insécure, suivait mal les étapes, les
PAGE : 24
mélangeait, elle était incapable « de partir deux colorations en même temps », c’est
pourtant important, des fois il y en a plusieurs à faire, il faut savoir s’organiser.
[79] Madame Bouchard déclare qu’à la fin de la deuxième semaine, elle et Madame
Gagnon doutaient que la plaignante progresse, elles se sont donc demandées si ça
valait la peine de poursuivre la formation une troisième et dernière semaine. « Puis là,
dit-elle, on s’est demandé, justement, si on faisait la troisième semaine, parce que là on
ne pensaient pas que ça pouvait vraiment s’améliorer, là, au point de faire la troisième
semaine 45 blocs, là. Mais on a décidé quand même de donner une chance, on s’est
dit : on va donner une chance, comme ça si après la troisième semaine on … après la
troisième semaine on va avoir un meilleur jugement encore. Alors, on a décidé de faire
la troisième semaine d’entraînement au poste de première coupeuse, de poursuivre
l’entraînement ».
[80] La troisième semaine, celle du 11 au 15 juillet 2005, il n’y a pas eu d’amélioration
significative à la coupe, affirme Madame Bouchard. Le 11 juillet, dit-elle, elle a fait 2
décomptes : la première heure, elle a compté 30 blocs faits par Madame Lavoie, la
deuxième heure 28. Le 12 juillet, l’heure comptée, la seule, a donné 18 blocs. Le 13
juillet, 2 heures ont été comptées : la première a donné 26 blocs, la deuxième 30. Le
14 juillet, 2 heures également ont été comptées : le résultat de la première heure, c’était
24, la seconde 31. Enfin, le 15 juillet, encore 2 décomptes : le résultat de la première
heure comptée était 32, la deuxième 27.
[81] Cette troisième semaine-là, déclare Madame Bouchard, Madame Lavoie n’a pas
beaucoup mieux performée que la deuxième aux colorations spéciales. Madame
Lavoie a eu, la troisième semaine, il est vrai, à faire plus de colorations différentes que
PAGE : 25
la deuxième « peut-être 6 ou 7 en même temps ». Suivant Madame Bouchard, il y avait
toujours chez Madame Lavoie « le même problème d’insécurité », elle commettait les
mêmes erreurs, suivait mal les étapes, les mélangeait, elle ne répondait donc pas aux
attentes.
[82] Le 20 juillet, de poursuivre Madame Bouchard, donc après la période de
formation non réussie de la plaignante, elle a dressé une liste des erreurs commises
par celle-ci la deuxième et la troisième semaine. Par exemple, une fois, Madame
Lavoie a rincé « les GIEMSA à l’alcool », il a donc fallu reprendre le test au complet…
tout, la coupe, le séchage, le déparaffinage et la coloration. Une autre fois, elle a omis
d’ajouter de l’acide au bleu de prusse, il n’y a pas eu de réaction, il a fallu reprendre le
travail. Encore une autre fois, elle a oublié le PAS dans le réactif de SCHIFF, encore-là
il a fallu reprendre le travail. Autre exemple d’erreur : lors d’une technique de
méthénamine de GRCOTT, la lame a été placée à l’envers, donc le tissu en dessous, il
n’y a pas eu bien sûr de réaction et il a fallu encore-là reprendre le travail.
[83] Madame Bouchard en a noté d’autres des erreurs : Des biopsies de seins
oubliées dans une étuve – c’était pourtant urgent – des PAS colorés « dans la
coloration de HPS », « des blancs de prostates … dans le portoir des colorations
HPS », bref des lames qui seraient parties « en colo si je les avais pas vues, de
préciser Madame Bouchard ».
[84] Madame Bouchard reconnaît qu’il est normal qu’une technicienne en formation
commette des erreurs, mais dans le cas de Madame Lavoie, « c’était beaucoup trop »,
« c’était trop dense », « c’était beaucoup trop pour une seule personne dans si peu de
temps ».
PAGE : 26
[85] Même la troisième semaine, déclare Madame Bouchard, Madame Lavoie prenait
beaucoup trop de notes, cela démontrait qu’elle était insécure et qu’elle ne comprenait
pas ses techniques.
[86] Enfin, le témoin produit comme pièce E-28, le registre des spécimens traités à
l’époque pertinente.
[87] En contre-interrogatoire, Madame Bouchard déclare que lorsqu’elle donne une
formation de deux (2) semaines seulement à la coupe, la salariée à temps partiel
entraînée l’est au poste de deuxième coupeuse uniquement. Par contre, si la formation
est de trois (3) semaines, comme dans le cas de Madame Lavoie, la technicienne est
entraînée la première semaine au poste de deuxième coupeuse et les deux (2)
semaines suivantes au poste de première coupeuse, poste qui comprend les
colorations spéciales; qu’elle est incapable d’identifier les erreurs que Madame Lavoie
a commises la troisième semaine; que les coupes de Madame Lavoie la troisième
semaine étaient acceptables, qu’en fait le problème « c’était le rendement à la coupe »
et son manque d’organisation aux colorations spéciales.
[88] Madame Gagnon parle, elle, d’une exigence de « 28 à 30 blocs à l’heure » à la
coupe. Elle déclare qu’elle a rencontré régulièrement, durant sa période d’orientation,
Madame Lavoie pour discuter de son rendement; qu’effectivement, à la fin de la
troisième semaine de formation, elle a dit à la plaignante que l’employeur considérait
qu’elle n’avait pas réussi sa formation, pour les raisons mentionnées par Madame
Bouchard et qu’en conséquence elle ne serait pas inscrite sur la liste de disponibilité
pour faire des remplacements en pathologie.
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[89] Concernant sa période de formation en pathologie, Madame Lavoie a témoigné
deux (2) fois à l’audience, une première fois le 30 avril 2008 et une deuxième, le 27 mai
2009.
[90] Le 30 avril 2008, elle déclare qu’en début de période de formation, Madame
Gagnon lui a dit qu’à la coupe, l’objectif à atteindre était un rendement de 28 blocs à
l’heure. Elle a pensé, dit-elle, à des coupes de routine, « parce que ce n’est pas à une
nouvelle technicienne de prendre en charge les biopsies urgentes ou STAT ou … bien,
c’était mon… c’est mon idée ».
[91] Madame Lavoie soutient que durant la première semaine, les choses se sont
bien passées pour elle. À la fin de cette semaine-là, elle a vu Madame Gagnon qui lui a
dit que son rendement à l’inclusion était bon pour une débutante. Elle ne se souvient
pas si Madame Gagnon a fait des commentaires en ce qui concerne son travail à la
coupe.
[92] Après sa deuxième semaine (au poste de première coupeuse), de poursuivre
Madame Lavoie, Madame Gagnon l’a encore rencontrée. Madame Gagnon lui a dit
que sa moyenne à la coupe était de 24 blocs à l’heure durant cette deuxième semaine,
elle lui a donc mentionné qu’elle devait améliorer son rendement pour atteindre l’objectif
de 28 blocs à l’heure.
[93] La troisième semaine, dit Madame Lavoie, elle a fait plus de colorations
spéciales. À la fin de cette troisième semaine, Madame Gagnon lui a dit que l’objectif
de 28 blocs à l’heure, un objectif important pour l’employeur, que cet objectif-là elle ne
l’avait pas atteint, sa moyenne à la coupe n’étant que de 27 blocs à l’heure. Madame
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Gagnon lui a déclaré qu’elle ne s’était pas qualifiée pour être inscrite sur la liste de
disponibilité pour faire des remplacements en pathologie. Bref, Madame Gagnon lui a
dit que son orientation en pathologie, c’était un échec.
[94] Après cette dernière rencontre avec Madame Gagnon, elle a croisé Madame
Bouchard, sa formatrice, qui lui a dit : « J’ai tout essayé ». Madame Lavoie dit qu’elle a
compris de ces propos-là de Madame Bouchard que cette dernière avait tout essayé
pour convaincre Madame Gagnon de la faire passer. Elle a croisé un peu plus tard la
technicienne Francine Savard qui lui a dit que ce n’était pas possible qu’on la fasse
échouer, que c’était du harcèlement.
[95] Madame Lavoie prétend qu’aucune nouvelle technicienne en pathologie « n’a
été minutée » comme elle, « c’est-à-dire sur des biopsies urgentes ou STAT ». Suivant
Madame Lavoie, la coupe d’une biopsie exige de la précision, de la minutie, c’est plus
long.
[96] Témoignant le 27 mai 2009, Madame Lavoie déclare que la première et la
deuxième semaine, elle a été « minutée » pour Madame Bouchard de 8H30 à 9H30.
La troisième semaine, elle l’a été de 7H45 à 8H45 et de 8H45 à 9H45.
[97] Madame Lavoie affirme enfin que les erreurs notées par Madame Bouchard le
20 juillet 2005, elle n’en a jamais entendu parler avant l’audition.
[98] Reste le témoignage de Madame Francine Savard, une technicienne
d’expérience en pathologie, une technicienne qui doit prendre sa retraite en 2010.
Madame Savard déclare d’important que, selon elle, le travail au poste de première
coupeuse est plus difficile qu’à celui de deuxième coupeuse parce que la première
PAGE : 29
coupeuse fait la coupe en début de journée des spécimens STAT et urgents, le plus
souvent des petites biopsies difficiles à couper. Couper une petite biopsie demande de
la minutie, du doigté, c’est plus long.
[99] Suivant Madame Savard, Madame Bouchard avait ses préférées au laboratoire,
elle les aidait. « Si c’est moi, dit-elle, qui est à la coupe, elle ne m’aide jamais, ça c’est
sûr. Bien c’est vrai que je suis assez rapide. ».
[100] En contre-interrogatoire, Madame Savard reconnaît, à toute fin pratique, qu’elle
n’a pas de reproches sérieux à retenir contre Madame Bouchard. Ses récriminations, à
l’époque, s’adressaient plutôt à l’ancienne direction du laboratoire.
[101] Voilà pour l’essentiel de la preuve.
ARGUMENTATION DES PARTIES
A) Argumentation de la partie syndicale
[102] Le procureur de la partie syndicale plaide d’abord que l’employeur qui décide,
comme ce fut le cas en l’espèce, de donner de la formation à une personne salariée,
assume des obligations plus grandes envers celle-ci qu’envers une nouvelle titulaire de
poste qui a droit à la période d’initiation et d’essai dont il est question en l’article 12.12
de la convention collective. On sait qu’une telle période d’initiation et d’essai sert à
donner l’occasion à la personne salariée de se familiariser avec les diverses tâches de
son nouveau poste et à l’employeur de vérifier sa capacité à les exécuter de façon
normale ou adéquate. Une période de formation ou d’entraînement elle, a pour but de
permettre à la personne salariée d’acquérir des connaissances, techniques et habiletés.
PAGE : 30
[103] Si la personne en période d’initiation et d’essai au sens de l’article 12.12 de la
convention collective a droit, suivant la jurisprudence, à une période d’initiation et
d’essai loyale et convenable, à plus forte raison une personne en formation a droit à
une formation loyale et convenable.
[104] L’état du droit sur la question est bien résumé dans la sentence arbitrale
suivante : Syndicat national des employés-es du Centre hospitalier régional de Trois-
Rivières (FSSS-CSN) et Centre hospitalier régional de Trois-Rivières, griefs de Bruno
Houle, 2002A-194, le 19 août 2002, Me Carol Jobin, arbitre.
[105] Aux pages 17 et 18 de sa sentence, Me Jobin écrit ce qui suit :
« En cas de contestation d’une décision de l’employeur mettant fin à la période d’initiation et d’essai d’une personne salariée, l’employeur assume le fardeau de démontrer que celle-ci n’était pas en mesure de satisfaire aux exigences normales de la tâche.
Cette démonstration comporte deux éléments. En premier lieu, l’employeur doit établir que l’initiation accordée était loyale et convenable. De façon plus spécifique, l’initiation doit avoir comporté : (1) un accueil et une information sur les objectifs du service, la nature du travail et les attentes qu’il comporte et sur les procédures, méthodes et règles l’encadrant; (2) une assistance technique et une surveillance par une personne qualifiée permettant une familiarisation avec les attributs du poste de travail; et (3) une évaluation régulière accordant une possibilité raisonnable d’apporter, le cas échéant, des corrections à la prestation fournie.
En second lieu, s’il est établi que l’initiation fut loyale et convenable, il restera à prouver que l’évaluation concluant à une incapacité de satisfaire aux exigences normales de la tâche était raisonnable et fondée. Une évaluation empreinte de mauvaise foi, de discrimination, d’arbitraire ou d’abus sera invalide. Il est généralement reconnu qu’une évaluation effectuée par un supérieur hiérarchique à même d’observer le travail, faite avec objectivité et de façon motivée assure sa crédibilité. »
[106] Voir au même effet :
PAGE : 31
- Hôpital Rivière-des-Prairies et le Syndicat canadien de la fonction publique (F.T.Q.), section locale 314, grief de Rosa Depelteau, 88-09538, le 24 août 1988, Me François Hamelin, arbitre;
- Syndicat national des employés de l’Hôtel-Dieu de Montréal et Hôtel-Dieu
de Montréal, grief de Daniel Hénault, 90A-308, le 6 juillet 1990, Me Marie-France Bich, arbitre.
[107] Pour le procureur syndical, la période d’entraînement offerte à la plaignante au
banc des hémocultures n’a pas été loyale et convenable.
[108] Concernant les attentes, la preuve révèle clairement que l’employeur n’a pas
informé la plaignante qu’elle serait évaluée en fonction de critères précis, qu’il utiliserait
pour l’évaluer un outil (E-4, E-5, E-7, E-13), qu’il y avait une note de passage à
atteindre (80%) etc. L’employeur cherche à excuser cette lacune en prétendant qu’il
s’agit d’un outil d’évaluation interne dont il ne parle pas aux personnes orientées, mais
ce n’est pas une excuse valable, ce n’est pas de discrimination dont il s’agit ici, il est
plutôt question de l’une des exigences d’une période de formation loyale et convenable,
une exigence qui consiste à informer la personne salariée des attentes. « Quand on ne
précise pas les attentes, dit le procureur de la partie syndicale, qu’on ne donne pas le
pourcentage à atteindre … on fait à peu près ce qu’on veut. ».
[109] Un bel exemple est celui de la salariée Esther Harvey. La première semaine, sa
note a été de 72%, la deuxième 74%, la troisième 89%. Donc, deux (2) semaines sur
trois (3), c’était un échec. Pourtant l’employeur a décidé d’une formation réussie dans
le cas de Madame Harvey.
[110] Le deuxième manquement de l’employeur consiste dans le fait que Madame
Lavoie n’a pas eu droit au banc des hémocultures à une période de formation complète.
La durée de la formation, on le sait, c’est trois (3) semaines (15 jours ouvrables),
PAGE : 32
Madame Lavoie a eu huit (8) jours ouvrables de formation, soit à peu près la moitié de
la période normale de formation. Dans le fond, même pas. Il est en preuve que le jeudi
de la deuxième semaine, Madame Lavoie n’était même pas supervisée. En effet, la
coordonnatrice remplaçante de Madame Morin, suivant la preuve, n’avait pas été
avisée qu’elle devait s’occuper de la formation de Madame Lavoie ce jeudi-là et le
lendemain vendredi. De fait, cette coordonnatrice remplaçante a donné de l’aide une
fois à Madame Lavoie, mais c’était à la demande de cette dernière, elle ne s’est jamais
présentée au poste de travail de Madame Lavoie de son propre chef pour voir comment
ça se passait, répondre, le cas échéant, aux questions de la salariée, lui demander si
elle avait besoin d’aide etc. On ne peut donc par dire que la coordonnatrice dont il
s’agit a joué un véritable rôle de formatrice.
[111] Troisièmement, une période de formation loyale et convenable implique une
évaluation régulière pour permettre à la personne en formation d’apporter des
corrections à sa prestation. Il est en preuve que la chef technicienne, Madame
Gagnon, la responsable suprême de l’évaluation qui devait rencontrer Madame Lavoie
régulièrement, en tout cas au moins une fois par semaine, ne l’a vue qu’une fois, le
vendredi pour lui dire laconiquement que l’employeur mettait fin à la période de
formation parce qu’elle ne faisait pas l’affaire au banc des hémocultures. Pourtant,
Madame Gagnon a bel et bien témoigné qu’elle avait comme pratique de dire aux
personnes orientées qu’elle les rencontrerait « seulement si ça allait mal ». Donc, étant
donné que Madame Gagnon n’a vu Madame Gagnon qu’une fois, le vendredi fatidique,
pour lui dire que sa formation c’était un échec, il faut considérer que la formation de
Madame Lavoie allait bien jusqu’à la veille, jeudi, à 16H00. D’ailleurs, avant de prendre
ses deux (2) jours de vacances, le jeudi et le vendredi, Madame Morin, la formatrice,
PAGE : 33
n’a pas dit à sa remplaçante comme coordonnatrice, Madame Gagné, de surveiller de
près Madame Lavoie, une débutante supposément stressée, mêlée qui commettait
beaucoup d’erreurs.
[112] Madame Lavoie ne pouvait donc pas s’expliquer, se corriger, pour la bonne et
simple raison qu’elle n’était pas rencontrée et évaluée régulièrement.
[113] Dans le fond, ce sont les événements du jeudi en fin de journée, rapportés par la
technicienne Yolande Boivin qui ont provoqué la décision intempestive de l’employeur
de mettre un terme, le lendemain vendredi, à la période de formation de Madame
Lavoie. Il est très important de noter que l’employeur n’a pas donné à Madame Lavoie
l’occasion de s’expliquer concernant les événements du jeudi dont il s’agit. Pourtant,
Madame Lavoie avait de bonnes explications. Elle était seule ce jeudi-là, elle qui était
pourtant en formation. À 16H00, son travail n’était pas terminé, mais il faut comprendre
qu’elle a été surchargée de travail en après-midi. Elle a eu un cas de méningite tout à
fait exceptionnel. Elle a eu des hémocultures positives beaucoup plus que les autres
journées, donc des tests à faire qu’elle n’avait jamais eu l’occasion d’exécuter. Suivant
la preuve, elle a dû « courir après la coordonnatrice », pour avoir de l’aide, elle n’a pu
compter sur l’aide de d’autres techniciennes. Bref, elle a été laissée à elle-même en
plein milieu de sa période de formation. Dans ces conditions, il était normal que
Madame Lavoie paraisse à la technicienne Yolande Boivin « mêlée, stressée et
nerveuse ».
[114] Le deuxième test qu’il faut faire consiste à se demander si l’évaluation de
l’employeur était loyale et fondée.
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[115] D’abord, il faut écarter les écrits E-20 et E-21, des listes d’erreurs, des
appréciations et commentaires dressés par l’employeur après la période de formation.
La plaignante n’a eu connaissance de ces écrits-là qu’à l’audience, quatre (4) ans plus
tard, l’employeur l’a donc privé de son droit à une défense pleine et entière.
[116] L’employeur n’a pas même appliquer avec cohérence les fiches E-4, E-5, E-7 et
E-13. Par exemple, au titre de la « collaboration », les deux (2) premières semaines
(E-4, E-5), il a donné une note de 15 sur 15 à la plaignante, la troisième, 12 sur 15 la
quatrième semaine 12 sur 15 (E-7, E-13). Comment se peut-il qu’une personne, en
changeant de secteur d’activités, perde 20% des points? Par exemple, au titre de
« l’autonomie » dans l’analyse des spécimens, les notes sont respectivement de 12 sur
15 (E-4), 12 (E-5), 11 (E-7) et 5 (E-13). La dernière semaine, Madame Lavoie est
donc devenue à ce chapitre complètement nulle. Ce n’est pas crédible, l’intention de
l’employeur, de toute évidence, c’était de couler Madame Lavoie. Dernier exemple : la
maîtrise de soi. Les notes sont respectivement de 6 sur 10 (E-4), 7 (E-5), 6 (E-7) et 4
(E-13). Quatre (4) à cause d’une mauvaise gestion du stress, non respect des priorités.
C’était moyen les premières semaines, désastreux la quatrième! L’évaluation E-13, la
quatrième et dernière, la plus désastreuse, l’employeur l’a faite après avoir pris sa
décision de mettre fin à la formation. Il fallait bien qu’elle soit mauvaise cette dernière
évaluation.
[117] Dans le document E-21, confectionné bien après les événements, Madame
Gagnon au titre de la qualité du travail écrit « peu satisfaisante » alors que « la gestion
de qualité », c’était presque parfait à en croire les documents E-4, E-5, E-7, E-13. En
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ce qui concerne l’éthique et la déontologie, c’était parfait dans les documents E-4, E-5,
E-7 et E-13 et tout à fait nul ou presque au document E-21.
[118] Qu’en était-il au juste de la prestation de travail de Madame Lavoie? Madame
Morin a reconnu qu’il est normal qu’une débutante commette des erreurs. Elle a même
reconnu que lors de la deuxième semaine au banc des hémocultures, Madame Lavoie
ne répétait plus les erreurs qu’elle commettait dans ses tests la première semaine.
Tout ce que Madame Morin a trouvé à dire, c’est que Madame Lavoie était « mêlée,
manquait d’organisation, qu’elle était stressée et nerveuse ». Mais proclamer, ce n’est
pas prouver. La preuve de l’employeur est dans le fond tout à fait impressionniste.
[119] Donc, pour toutes ces raisons, de conclure le procureur du syndicat, le grief S-1
devrait être purement et simplement accueilli.
[120] La période d’entraînement offerte à la plaignante en pathologie n’a pas les
mêmes défauts évidents qu’en microbiologie. Cependant, la plaignante n’a pas eu droit
pour autant à une période de formation loyale et convenable.
[121] Il faut noter que l’employeur a attaché beaucoup d’importance au nombre de
lames ou blocs coupé à l’heure. « C’est la clé du dossier ». Madame Bouchard, la
coordonnatrice, la formatrice, a fini par admettre que sa norme, par ailleurs très
confondante, elle l’a établie au poste de deuxième coupeuse et non pas de première
coupeuse.
[122] Madame Bouchard a comparé le rendement de Madame Lavoie (qui était
entraînée surtout comme première coupeuse) avec ceux de Mesdames Boissonneault
et Pellerin qui elles, ont été entraînées au poste de deuxième coupeuse. Il est clair que
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la première coupeuse a des cas plus difficiles, les cas STAT et urgents, donc beaucoup
de biopsies. Madame Lavoie, non contredite, l’a dit que la deuxième et dernière
semaine, elle était minutée entre 7H45 et 9H45, donc au moment de la journée où les
coupes sont les plus difficiles. Madame Bouchard a été incapable d’identifier les heures
de la journée où elle a minuté Madame Lavoie. Il faut donc croire Madame Lavoie.
Madame Bouchard, c’est important, a fini par reconnaître que couper des biopsies, c’est
plus difficile. Madame Savard a dit la même chose que Madame Lavoie, à savoir que le
travail de première coupeuse lui apparaissait plus exigeant, plus long, plus difficile et
plus complexe que celui de deuxième coupeuse. Madame Savard qui a beaucoup
d’expérience à la coupe a même dit : « moi, j’ai de l’expérience … pis quand je réussis
36 lames à l’heure comme première coupeuse, dans des cas de biopsies et des cas
plus difficiles, c’est bon ».
[123] Madame Lavoie devait bien rencontrer les exigences et les attentes de
l’employeur, puisque Madame Bouchard a admis que ses coupes étaient de qualité,
que Madame Lavoie parvenait à terminer son travail de coupe sans retard. Certes,
Madame Bouchard dit que si Madame Lavoie n’avait pas de retard, c’est parce qu’elle
l’aidait. Cependant, elle a mentionné que la troisième semaine, elle ne sait pas si elle a
aidé Madame Lavoie.
[124] Il est exagéré de prétendre comme le fait l’employeur que la plaignante n’a pas
progressé au fil de sa période de formation en pathologie, en ce qui concerne le
nombre de coupes à l’heure.
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[125] La norme, selon Madame Bouchard, c’était à l’époque pertinente 30 coupes à
l’heure. Madame Gagnon a dit « 28 à 30 ». Madame Lavoie a déclaré qu’on lui a parlé
d’un nombre de 28 blocs à l’heure.
[126] Quel que soit le chiffre retenu, l’important, tel que déjà dit, c’est l’affirmation (de
l’employeur) selon laquelle la troisième semaine, il n’y avait plus de progression
possible. Cette affirmation est fausse.
[127] La première semaine, Madame Lavoie a exécuté, selon les calculs de Madame
Bouchard, une moyenne de 19.5 coupes à l’heure. La deuxième semaine, cette
moyenne a été de 24 ou 25 lames à l’heure. Donc, il y a eu une progression
significative. La troisième semaine, la moyenne a été de 27 ou 28 blocs à l’heure. Il y a
donc eu une progression importante par rapport à la deuxième semaine. D’autres
techniciennes en formation ont vu leur période de formation prolongée ou acceptée,
même si elles n’avaient pas atteint la vitesse recherchée. L’employeur a jugé dans ces
cas-là qu’il y avait eu progression. Pourquoi ne pas avoir fait la même chose dans le
cas de Madame Lavoie?
[128] L’employeur a rendu une décision arbitraire et discriminatoire en refusant de
reconnaître que Madame Lavoie avait réussi sa formation en pathologie. Cette dernière
« aurait manqué la cible » pour une question de quelques minutes. Il va de soi que la
plaignante aurait acquis de la vitesse avec le temps et l’expérience (Le Centre
hospitalier universitaire de Sherbrooke et l’Association professionnelle des
technologistes médicaux du Québec, grief de Francine Faucher, 84A-285, le 26 juin
1984, Me Claude Lauzon président).
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[129] Il est en preuve que le travail de Madame Lavoie à l’incision était acceptable.
[130] Plusieurs des erreurs supposément constatées par Madame Bouchard (par
exemple des blocs mal classés etc.) n’ont pas été répétées, suivant la preuve par
Madame Lavoie.
[131] Quant aux colorations spéciales, les pathologistes n’ont fait aucune plainte
concernant le travail de Madame Lavoie. En outre, Madame Bouchard a été incapable
d’affirmer que Madame Lavoie ne réalisait pas ses erreurs elle-même.
[132] Parce que l’employeur a fait faire à Madame Lavoie des colorations de pratique
en après-midi, au lieu de l’affecter à la coupe, il n’a pas favorisé la progression de cette
salariée à la coupe quant au rendement.
[133] Finalement, le tribunal se doit de retenir que, suivant le témoignage de Madame
Savard, il régnait, à l’époque pertinente, au laboratoire, un certain climat de favoritisme
et de harcèlement.
[134] En pathologie comme en microbiologie, les allégations selon lesquelles Madame
Lavoie était stressée, nerveuse et manquait d’organisation, de jugement, sont
impressionnistes.
[135] Ce sont là des perceptions qui ne reposent pas sur des faits précis.
[136] En conclusion, le tribunal devrait retenir que Madame Lavoie n’a pas eu droit en
pathologie à une période de formation et une évaluation correcte, honnête et loyale.
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[137] Pour toutes ces raisons, de conclure le procureur syndical, le grief S-2 devrait
être purement et simplement accueilli.
B) Argumentation de la partie patronale
[138] Les prétentions du procureur de la partie patronale sont évidemment, on s’en
doute, d’une tout autre nature.
[139] Le procureur patronal rappelle d’abord au tribunal qu’il doit répondre, dans le
fond, à deux (2) questions. Première question : Est-ce que l’employeur était justifié de
mettre fin à l’orientation de la plaignante au banc des hémocultures? Deuxième
question : Est-ce que l’employeur était justifié de décider que Madame Lavoie n’avait
pas réussi sa formation en pathologie?
[140] Les orientations concernées par les présents griefs ne sont pas réglementées, à
toute fin pratique, dans la convention collective. Il faut donc que le tribunal prenne en
considération les objectifs poursuivis par l’employeur en décidant d’offrir une période
d’orientation. C’est à l’employeur de décider de ses besoins, des tâches devant faire
partie de l’orientation et de la durée de la période d’orientation.
[141] L’orientation en microbiologie d’abord. L’objectif poursuivi par l’employeur, c’est
que la personne orientée soit en mesure de travailler de façon autonome dès la
deuxième semaine, sous supervision, d’accord, mais à distance. Et la troisième
semaine, la personne devait être en mesure de travailler de façon autonome sans
supervision à toute fin pratique. La troisième semaine en effet, la personne salariée fait
partie de l’équipe comme les autres techniciennes, même si elle est susceptible de
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demander des conseils et de l’aide dans des circonstances spéciales plus
fréquemment, c’est normal, que les autres membres de l’équipe.
[142] L’orientation consiste à enseigner des techniques propres à la spécialité durant
la première semaine, attendu que la personne orientée est une technicienne médicale
qui est présumée connaître les règles de base applicables aux différentes spécialités.
La deuxième semaine, la personne orientée est supposée être en mesure de travailler
de façon autonome, dans le fond la personne qui oriente doit durant cette semaine-là
vérifier si le travail s’effectue correctement, montrer des techniques qui n’ont pu être
vues la première semaine pour une raison ou une autre.
[143] Donc, les attentes de l’employeur c’était cela. Madame Lavoie l’a compris que
dès la deuxième semaine, au banc des hémocultures, elle devait être en mesure de
travailler de façon autonome, sous supervision à distance et qu’à la fin de la deuxième
semaine, elle devait être en mesure d’être complètement autonome. Madame Lavoie
savait qu’elle devait faire des remplacements à ce banc de travail tout de suite après sa
formation, qu’elle devait donc travailler seule, seule en charge du service, l’été, de
16H00 à 22H00, qu’elle devait travailler une fin de semaine aux deux (2) semaines au
banc des hémocultures. Madame Lavoie s’est fait dire, elle l’a reconnu, que
l’employeur, c’était dans ses attentes, se réservait le droit de mettre fin à l’orientation s’il
n’y avait pas de progrès significatif.
[144] Madame Lavoie, c’est important, l’a admis qu’elle n’avait « pas assez
d’informations » pour faire le travail, même si elle a dit qu’elle pensait qu’elle était en
mesure de faire le poste de soir à cause que le soir, selon elle, 90% du temps de travail
est consacré aux ensemencements et 10% aux hémocultures. On ne sait pas où elle a
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pris ses chiffres. Quoi qu’il en soit, la preuve est à l’effet contraire. Par exemple, on
sait qu’une hémoculture positive doit être traitée dans les meilleurs délais, que donc, si
une hémoculture positive « sonne à 5H00 », il faut qu’elle soit traitée. Et puis les fins de
semaine, Madame Lavoie a témoigné qu’elle ne savait même pas si elle aurait été
capable de faire le travail aux hémocultures.
[145] À première vue, l’employeur était justifié d’avoir mis fin à la période d’orientation,
attendu que la plaignante a déclaré qu’après la deuxième semaine de formation au
banc des hémocultures, elle manquait « d’informations » pour faire le travail. Cette
affirmation est très surprenante parce que, suivant la preuve, Madame Lavoie, avant
son arrivée au CSSS avait travaillé de nombreuses années dans des laboratoires de
microbiologie et qu’elle avait fait des antibiogrammes, donc de l’identification de
bactéries (voir le témoignage de Madame Morin sur la question).
[146] Il est faux que Madame Lavoie n’a pas eu d’évaluation adéquate en cours de
formation. À chaque fois qu’un problème dans sa prestation se posait, Madame Morin,
sa formatrice, le lui soulignait, la corrigeait. Madame Morin, non contredite, a déclaré
que même la deuxième semaine elle aidait Madame Lavoie pour que le travail soit
terminé à 16H00.
[147] La question des fiches d’évaluation doit être relativisée. Avant 2004, il n’y en
avait pas de fiches. Lorsque Madame Morin est devenue coordonnatrice par intérim,
pour assurer une certaine uniformité, car ce n’était pas toujours la même personne qui
orientait, elle a emprunté au Cégep de Chicoutimi l’outil dont il s’agit pour avoir une
base de travail. Donc en 2005, c’était du nouveau cet outil, un outil à usage interne
seulement. Quant à la note de 80%, Madame Gagnon a expliqué à l’audience ce que
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ça signifiait : il fallait que la salariée orientée, après la deuxième semaine, soit en
mesure de fonctionner à 80%.
[148] Le fait que Madame Gagnon n’ait rencontré qu’une fois ou deux seulement
Madame Lavoie durant la période concernée est sans importance pour la bonne et
simple raison que le lundi de la deuxième semaine, elle, Madame Gagnon, était au
courant que ça n’allait pas tellement bien lorsque Madame Morin lui a remis la fiche
E-7. Cette fiche fait voir qu’à l’analyse des spécimens, un élément très important, la
performance de Madame Lavoie était nettement insuffisante, elle ne s’est méritée
qu’une note de 41 sur 65, soit plus ou moins 65%.
[149] C’est à tort que le procureur de la partie syndicale attache une grande
importance aux erreurs que Madame Lavoie aurait corrigées. Ni Madame Gagnon, ni
Madame Morin n’ont reproché à la plaignante d’être incapable d’exécuter une
technique. Quand Madame Lavoie savait qu’une technique était à faire, elle la faisait
bien. Son problème, a dit Madame Morin, c’est qu’elle n’était pas capable de décider
de la technique à faire, c’est qu’elle était incapable de savoir à quelle étape d’un travail
donné elle était rendue, son problème en était un de jugement, ce sont les raisons pour
lesquelles elle donnait au moins l’apparence d’une personne stressée et nerveuse.
[150] Cela dit, il est bien évident que ce sont les événements du jeudi soir qui ont
précipité la décision de l’employeur de mettre fin à l’orientation de Madame Lavoie au
banc des hémocultures. Ce qui s’est passé ce jeudi-là s’inscrit dans la foulée des
reproches que l’employeur avait à faire à Madame Lavoie.
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[151] Le jeudi après-midi en question, Madame Lavoie n’a eu que deux (2)
problèmes : un groupage de LCR qu’elle a fait faire par une autre technicienne et un
téléphone à un médecin qu’elle a fait faire par la coordonnatrice, Madame Gagné, parce
qu’elle était incapable de répondre à ce médecin. Madame Lavoie n’a jamais déclaré
qu’elle a eu dans l’après-midi plus d’hémocultures positives que les autres journées, en
tout cas elle ne l’a pas dit lors de son premier témoignage, le 30 avril 2008. Quoi qu’il
en soit, elle avait eu de la formation, elle savait ou aurait dû savoir quoi faire en
présence d’hémocultures négatives ou positives, peu importe. Madame Lavoie ne s’est
pas même aperçue qu’elle ne parviendrait pas à terminer sa journée à 16H00,
autrement elle aurait demandé de l’aide à la coordonnatrice, c’est ce qu’on appelle de la
débrouillardise. Elle ne s’est même pas aperçue qu’il était 16H00. Tout cela démontre
qu’elle ne savait pas s’organiser, ce qui est précisément ce qu’on lui reproche. À ce
sujet, le témoignage de la technicienne Yolande Boivin, non contredit, est très éloquent.
Tout ce que Madame Boivin a déclaré fait la démonstration que Madame Lavoie était
tout à fait incapable de faire le travail du poste alors qu’elle devait être cette semaine-là
en mesure de le faire d’une manière autonome, elle n’était même pas capable de se
démêler dans les écrans de l’ordinateur, ce qui s’apprend en deux (2) jours, elle ne
savait même pas que le but d’une gélose de pureté, c’est de faire pousser la bactérie.
[152] Madame Gagnon n’avait donc pas le choix, elle devait mettre fin à l’orientation le
vendredi parce que la semaine suivante, Madame Lavoie devait être capable d’exécuter
le travail de façon complètement autonome.
[153] Pour ces raisons, le grief S-1 devrait être rejeté.
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[154] En ce qui concerne l’orientation offerte à Madame Lavoie en pathologie, les deux
(2) arguments principaux de la partie syndicale sont mal fondés.
[155] Le premier argument, c’est que le poste de première coupeuse est différent de
celui de deuxième coupeuse et que c’était la première fois que l’employeur orientait une
personne durant deux (2) semaines au poste de première coupeuse.
[156] Mais il faut savoir que Madame Bouchard avait toujours fait des orientations
dans le cadre de la période d’initiation et d’essai accordée à une nouvelle titulaire de
poste, une orientation de six (6) semaines à trois (3) bancs de travail, deux (2)
semaines par banc. Pour entraîner à la coupe, il était donc pratique de le faire comme
deuxième coupeuse, l’employeur voulait que la personne fasse le plus de coupes
possible. Mais Madame Lavoie a été entraînée pour faire certains types de
remplacements, des remplacements nécessitant une compétence à la coupe et aux
colorations spéciales (première coupeuse). Quoi qu’il en soit, les autres techniciennes
orientées comme deuxième coupeuse coupaient quarante-quatre (44) heures en deux
(2) semaines. Madame Lavoie elle, a eu l’opportunité de faire cinquante-sept (57)
heures à la coupe, une (1) semaine comme deuxième coupeuse et deux (2) semaines
comme première coupeuse. Ce n’est pas vrai qu’elle a été désavantagée par rapport
aux autres salariées entraînées par Madame Bouchard. Il est abusif de la part du
syndicat de reprocher à l’employeur d’avoir fait pratiquer Madame Lavoie aux
colorations spéciales. Elle devait apprendre ces tâches-là, apprendre à faire plusieurs
colorations spéciales en même temps, c’est l’une des exigences du poste de première
coupeuse. Il faut être capable parfois de faire dix (10), douze (12) et même quatorze
(14) colorations en même temps.
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[157] On plaide, du côté syndical, que la première coupeuse fait plus de biopsies qui
sont des spécimens plus petits, plus difficiles à couper. Madame Bouchard a dit
cependant qu’il y a de grosses et petites biopsies, qu’il y a des biopsies qui sont de
routine, pas nécessairement urgentes ou STAT, et que donc la deuxième coupeuse en
fait aussi. Madame Lavoie a été orientée en juillet, au moment où l’activité chirurgicale
est à son plus bas. Et c’est ce que le document E-28 démontre. Ce document
démontre en particulier qu’il y avait, à l’époque pertinente, très peu de biopsies à faire.
[158] Madame Bouchard a bien dit que le rendement à atteindre, en orientation, dès la
première semaine, c’était trente (30) blocs à l’heure et qu’elle l’a mentionné clairement
à Madame Lavoie dès le début de l’orientation. Elle a dit également à Madame Lavoie
que si après trois (3) semaines, elle en était encore à un rendement de trente (30) blocs
à l’heure, ce n’était pas bon. C’est normal qu’elle lui ait dit cela parce que les autres
techniciennes orientées au laboratoire, après deux (2) semaines, coupaient entre
quarante (40) et quarante-cinq (45) blocs à l’heure.
[159] De fait, à la fin de sa troisième semaine d’orientation, Madame Lavoie n’avait
pas atteint un rendement de trente (30) blocs à l’heure. Il n’y a pas eu d’amélioration
significative entre la deuxième et la troisième semaine, c’est faux, Madame Lavoie est
passée de vingt-quatre (24) à vingt-sept (27) blocs à l’heure, ce n’est pas beaucoup,
quoi qu’on en dise du côté syndical.
[160] D’autre part, Madame Bouchard a déclaré qu’aux colorations spéciales, Madame
Lavoie faisait plus d’erreurs que les autres techniciennes qu’elle a orientées, que
Madame Lavoie se mêlait dans les étapes (un peu comme au banc de hémocultures),
qu’elle était désorganisée, incapable de faire plusieurs colorations en même temps.
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[161] Le procureur patronal reconnaît qu’au moins une (1) fois, l’employeur a accepté,
dans un cas particulier, de ne pas retourner à son ancien poste une nouvelle titulaire de
poste en pathologie qui n’avait pas bien performé à la coupe, durant son orientation.
Mais cette salariée avait très bien performé à la description macroscopique et à la
réception des spécimens. Comme en outre, l’employeur avait de bonnes raisons de
croire que cette technicienne s’améliorerait à la coupe, il a décidé de lui laisser son
nouveau poste. D’ailleurs, il y a eu une entente patronale – syndicale à cet effet.
[162] Enfin, le témoignage de Madame Savard n’est aucunement crédible. D’ailleurs,
en contre-interrogatoire, Madame Savard a admis que ses récriminations s’adressaient
à l’ancienne direction du laboratoire et que dans le fond, elle n’avait rien à reprocher à
Madame Bouchard.
[163] Donc, pour toutes ces raisons, de conclure le procureur patronal, le grief S-2
devrait être purement et simplement rejeté.
[164] Voilà pour l’essentiel de l’argumentation de chacune des parties.
MOTIFS ET DÉCISION
[165] Il est exact que la convention collective ne précise pas les obligations qu’a
l’employeur envers une personne salariée de la liste de disponibilité en période
d’orientation ou plutôt, tel que déjà dit, de formation, comme l’a été la plaignante,
Madame Lavoie, à l’époque pertinente, en microbiologie d’abord et en pathologie
ensuite.
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[166] La convention collective ne définit pas plus les obligations de l’employeur envers
une nouvelle titulaire de poste qui a droit à la période d’initiation et d’essai dont il est
question à l’article 12.12.
[167] Les décisions soumises par les parties, en particulier celles invoquées par la
partie syndicale, font voir que suivant la jurisprudence arbitrale, la nouvelle titulaire de
poste a droit à une période d’initiation et d’essai loyale et convenable. L’arbitre Carol
Jobin pour un, dans Centre hospitalier régional de Trois-Rivières, décision ci-dessus
citée, résume bien en effet l’état du droit sur la question :
« De façon plus spécifique, l’initiation (pour être loyale et convenable) doit avoir comporté : (1) un accueil et une information sur les objectifs du service, la nature du travail et les attentes qu’il comporte et sur les procédures, méthodes et règles l’encadrant; (2) une assistance technique et une surveillance par une personne qualifiée permettant une familiarisation avec les attributs du poste de travail; et (3) une évaluation régulière accordant une possibilité raisonnable d’apporter, le cas échéant, des corrections à la prestation fournie.
En second lieu, s’il est établi que l’initiation fut loyale et convenable, il restera à prouver que l’évaluation concluant à une incapacité de satisfaire aux exigences normales de la tâche était raisonnable et fondée. Une évaluation empreinte de mauvaise foi, de discrimination, d’arbitraire ou d’abus sera invalide. Il est généralement reconnu qu’une évaluation effectuée par un supérieur hiérarchique à même d’observer le travail, faite avec objectivité et de façon motivée assure sa crédibilité. »
[168] Les périodes d’orientation offertes à la plaignante, en microbiologie d’abord et en
pathologie ensuite, s’apparentaient davantage, le tribunal l’a déjà dit, à des périodes de
formation qu’à des périodes d’initiation. Pour cette raison, le tribunal est d’avis que
l’employeur, minimalement, devait accorder à la plaignante une période de formation
loyale et convenable selon la signification donnée à cette expression par la
jurisprudence arbitrale, ainsi qu’une évaluation loyale et fondée.
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[169] On sait qu’en microbiologie, l’employeur s’est servi pour faire son évaluation, une
en principe à la fin de chaque semaine de formation, d’un outil d’évaluation intitulé
« Orientation du nouveau personnel », comportant des « attentes » - si, si le mot est
écrit en toutes lettres – très détaillées concernant la façon de faire, l’analyse des
spécimens, la collaboration, l’éthique et la déontologie, la gestion de la qualité. La
notation des attentes est également très détaillée et fort précise. La plaignante n’a rien
su de cet outil d’évaluation, elle en ignorait, à l’époque pertinente, jusqu’à l’existence
même, elle ne savait même pas qu’elle devait se mériter globalement un score minimal
de 80% (enfin, en principe) pour se voir inscrire sur la liste de disponibilité pour les
bancs de travail idoines.
[170] L’employeur donc, c’est la preuve, n’a donné à la plaignante aucune information
sur son outil d’évaluation, en particulier sur les attentes qu’il comportait et sur la
notation prévue pour chacune d’elles. Il ne l’a jamais rencontrée pour attirer son
attention sur certaines faiblesses dans l’évaluation qu’il faisait de son savoir faire, de
son savoir être.
[171] Rencontrer des attentes qu’on ne connaît pas, améliorer un score qu’on ne
connaît pas, est chose difficile, sinon impossible. Par exemple, et ce n’est qu’un
exemple, l’employeur, en ce qui concerne la formation de la plaignante en
microbiologie, au seul banc pertinent, pour les fins de la présente décision, celui des
hémocultures, a fait perdre à cette dernière 3 points sur 15 (20%) au titre de la
« collaboration », jugeant qu’elle avait des difficultés d’intégration à l’équipe du seul fait
qu’elle ne prenait pas ses pauses repos et repas avec les autres membres de l’équipe!
La plaignante n’en savait rien de l’importance qu’attachait l’employeur à cette histoire
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de pauses et de repas. Si elle l’avait su, il est à parier que ses pauses et repas, elle les
aurait pris avec ses collègues, bref elle se serait arrangée pour ne pas perdre 20% de
ses points au titre de la « collaboration ». Et encore une fois, ce n’est qu’un exemple
qui n’est pas aussi anodin qu’il ne paraît à première vue, un exemple qui souligne, de
façon imagée, l’importance pour un salarié en formation de connaître les attentes de
l’employeur pour pouvoir les atteindre.
[172] La personne salariée, cela fait partie en effet de son droit à une période
d’orientation ou de formation, comme on voudra, loyale et convenable, doit avoir une
possibilité raisonnable d’apporter, le cas échéant, des corrections à son comportement
ou à la prestation qu’elle fournit. De fait, la plaignante n’a pas eu droit à une évaluation
régulière, elle n’a donc pas eu la possibilité raisonnable, tel que déjà dit, d’apporter des
corrections à sa prestation et son comportement, le cas échéant, ou de s’expliquer et
ainsi d’améliorer son score pour finalement réussir sa période de formation.
[173] Donc, en ne dévoilant pas à la plaignante qu’il utilisait pour l’évaluer un outil
comportant ses attentes et un système de notation, en ne la rencontrant pas
régulièrement pour lui faire part de son évaluation sur les points pertinents, la privant
ainsi d’une possibilité raisonnable d’apporter, le cas échéant, des corrections à sa
prestation de travail ou son comportement, l’employeur n’a pas respecté son obligation
d’accorder à cette personne salariée une période d’orientation ou de formation loyale et
convenable.
[174] Ces motifs sont suffisants pour accueillir le grief S-1. Mais il y a plus.
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[175] La formation n’a pas été loyale et convenable parce que la plaignante n’a pas eu
droit, sans raison valable, à toute la période de formation prévue (8 jours ouvrables
seulement des 15 prévus) et à une assistance technique et une surveillance par une
personne qualifiée tout au long de ses 8 jours de formation, en tout cas elle était à toute
fin pratique sans surveillance et assistance la journée la plus importante en ce dossier,
le jeudi à être marqué d’une pierre blanche.
[176] On sait que le jeudi dont il s’agit, la veille du jour où elle s’est fait dire
laconiquement par la chef technicienne, Madame Gagnon, que l’employeur mettait fin à
sa période de formation au banc des hémocultures parce qu’elle ne faisait pas l’affaire,
qu’elle manquait d’organisation, c’est globalement ce qu’il faut retenir de la preuve,
Madame Lavoie, a eu de gros problèmes, c’est un fait en après-midi, surtout entre
16H00 et 18H00, le témoignage de la technicienne Yolande Boivin le démontre bien.
[177] Jusqu’à ce jeudi-là, le tribunal ne croit pas, à en juger strictement par la preuve,
que la performance de Madame Lavoie, en formation au banc des hémocultures, une
technicienne diplômée, oui, qui avait une expérience de travail en microbiologie acquise
dans différents laboratoires, mais fort ancienne et qui n’avait pas eu grand chose à voir
avec l’identification des bactéries, était aussi désastreuse qu’on a bien voulu l’affirmer
du côté patronal, en tout cas il ne croit pas que cette performance était mauvaise au
point de faire perdre à l’employeur tout espoir raisonnable d’amélioration.
[178] Il faut souligner à gros traits que Madame Morin, la coordonnatrice chargée de la
formation de Madame Lavoie, a déclaré en contre-interrogatoire que la veille ou l’avant-
veille du jeudi en question, cette dernière ne répétait plus les erreurs normales de
débutante dans l’exécution de ses tests qu’elle commettait la semaine précédente, sa
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première semaine au banc des hémocultures, il est important de le rappeler. Certes,
Madame Morin a apporté des bémols à son affirmation, le tribunal y reviendra, mais il
n’en demeure pas moins qu’elle a pris des vacances, le jeudi en question et le
lendemain vendredi et qu’avant son départ en vacances, elle n’a pas averti – Madame
Gagnon ne l’a pas fait non plus – sa remplaçante, la coordonnatrice Jocelyne Gagné de
surveiller de près Madame Lavoie. Madame Gagné qui n’a pas témoigné à l’audience,
n’a même pas, le fait étant plus probable que son inexistence, été avertie qu’elle aurait
un rôle de formatrice auprès de Madame Lavoie durant l’absence de Madame Morin. Il
est de bonne logique de penser que si Madame Gagné n’a pas été avertie de porter
une attention particulière à Madame Lavoie, si elle n’a pas été avisée qu’elle devait,
comme formatrice, la surveiller de près et lui prêter une assistance technique
particulière car autrement le travail au banc des hémocultures ne se ferait pas
complètement ou se ferait mal, c’est que la performance de la salariée n’était pas aussi
mauvaise qu’on l’a dit, que celle-ci, aux yeux de l’employeur sous les espèces de
Madame Morin, était capable d’exécuter seule de façon autonome, quoique sous
surveillance à distance, l’essentiel des tâches au banc dont il s’agit.
[179] Certes, Madame Morin a déclaré que si vers le milieu de sa deuxième semaine
de formation, Madame Lavoie était capable d’exécuter les tests qu’elle avait à faire, elle
était incapable de prendre une décision, d’aller chercher l’information pertinente, elle
manquait de mémoire et de jugement, elle était désorganisée, prenait trop de notes
(signe d’insécurité), se mêlait dans les étapes de ses tests, elle était nerveuse et
stressée, donc incapable de faire le travail seule de façon autonome au banc des
hémocultures, ce qui faisait pourtant partie des attentes de l’employeur.
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[180] Supposé même que ces affirmations-là soient prouvées, ce qui reste à voir, elles
font fi de plusieurs éléments importants. Elles ignorent que Madame Lavoie était
encore en formation, quoi qu’on en dise du côté patronal, cette salariée en était à peine
au milieu de sa deuxième semaine de formation au banc des hémocultures. Elles
oublient que la méthode et le sens de l’organisation à un poste de travail sont des
choses qui viennent avec la pratique. Il est bien connu que le succès organise,
l’insuccès désorganise. Il est en preuve qu’au milieu de sa deuxième semaine de
formation, Madame Lavoie, tel que déjà dit, était capable d’exécuter les techniques
qu’elle avait vues la première semaine, elle se serait donc « organisée » avec le temps,
probablement dans un temps relativement court, puisque globalement elle en était au
point où elle maîtrisait ses techniques.
[181] Le tribunal estime qu’en outre, les allégations de Madame Morin demeurent,
pour l’essentiel, des allégations. Elles relèvent davantage du domaine de la
proclamation que de celui de la preuve. Elles ne reposent pas sur des faits concrets,
en tout cas pas assez. Mille perceptions, aux yeux d’un tribunal, n’ont jamais fait une
vérité.
[182] Le tribunal ne commentera évidemment pas bien longuement l’affirmation selon
laquelle Madame Lavoie prenait trop de notes, ce qui démontrait qu’elle était « mêlée »
et insécure. La prise de notes, lors d’un apprentissage, c’est une question de méthode
personnelle. Au demeurant, si l’employeur estimait qu’elle prenait trop de notes, des
notes inutiles, il n’avait qu’à le lui dire, un moyen de favoriser la formation (si, si, le
formateur doit favoriser la formation, c’est évident) c’est de rassurer.
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[183] On a reproché à la plaignante de ne pas avoir réussi à maîtriser, après huit (8)
ou neuf (9) jours de travail au banc des hémocultures l’informatique.
[184] La plaignante a expliqué que le logiciel en microbiologie était différent de celui
qu’elle utilisait en biochimie et qu’elle avait besoin, à l’époque, d’une certaine période
de temps pour se familiariser avec ce nouveau matériel informatique. L’explication de
Madame Lavoie se tient, croit le tribunal. Si elle était capable de maîtriser l’informatique
en biochimie, il n’y avait aucune raison pour qu’elle ne parvienne pas à le faire en
microbiologie.
[185] Donc, le mercredi de la deuxième semaine de formation, rien ne justifiait une
décision allant dans le sens de mettre fin à la période de formation de Madame Lavoie.
[186] Dans l’esprit du tribunal, il s’infère de l’ensemble de la preuve que ce sont
principalement, pour ne pas dire exclusivement, les événements du lendemain, jeudi,
en après-midi, surtout entre 14H00 et 16H00, qui ont provoqué cette décision patronale.
[187] Personne n’a pu nier le témoignage fort accablant pour la plaignante de la
technicienne Yolande Boivin. Le tribunal n’a aucun mal à croire qu’effectivement, vers
16H00, Madame Lavoie était en effet « mêlée » dans ses techniques, qu’elle était
stressée et nerveuse, désorganisée, peut-être même en état de panique.
[188] Mais elle avait des explications à donner et l’employeur a refusé, à toute fin
pratique, fort abusivement et arbitrairement, de les recevoir, le lendemain vendredi, vers
midi, lorsque sous les espèces de Madame Gagnon il lui a dit qu’il mettait fin à la
formation parce qu’elle ne faisait pas l’affaire, étant trop désorganisée etc. Ce n’est pas
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ainsi, estime le tribunal, que les choses doivent se passer, en plein milieu d’une période
de formation qui doit être loyale et convenable, tel que déjà vu.
[189] De fait, ce n’est qu’à l’audience, trois (3) ou quatre (4) ans plus tard, que ses
explications, Madame Lavoie, non contredite, force est au tribunal de le constater, a pu
les donner. On ne lui a même pas révélé à l’époque, les événements rapportés par
Madame Boivin.
[190] Le jeudi en question, Madame Lavoie, en plein milieu de sa période de
formation, n’avait pas de formatrice, à toute fin pratique, même « à distance ».
Madame Gagnon l’a dit que durant la deuxième semaine de formation, l’employeur
s’attend à ce que la personne orientée soit en mesure d’exécuter seule le travail d’une
manière autonome, mais que cependant il est du devoir de la formatrice de se rendre
de temps à autre au poste de travail de cette personne pour l’observer, voir comment
s’exécute le travail, répondre à ses questions et l’assister techniquement, le cas
échéant, surtout quand il y a une technique à exécuter qui n’a pas été vue durant la
première semaine de formation. Madame Gagné, la remplaçante de Madame Morin
comme coordonnatrice, parce que comme formatrice, il est à se demander si elle savait
seulement qu’elle avait cette charge, elle ne le savait probablement pas, le tribunal l’a
déjà dit, ne s’est pas présentée une seule fois de son propre chef au poste de travail de
Madame Lavoie. De fait, celle-ci, à chaque fois qu’elle a eu besoin d’aide ou
d’assistance, a dû partir à la recherche de Madame Gagné et elle ne l’a pas toujours
trouvée, tant s’en faut. Par exemple, elle a eu ce jeudi après-midi-là à faire un
groupage LCR, ce qui est rare, une technique qu’elle n’avait jamais exécutée. Elle est
partie pour se faire aider à la recherche de Madame Gagné, mais ne l’a pas trouvée.
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Elle a donc trouvé de l’aide auprès d’une autre technicienne, Madame Monique
Dallaire. C’est Madame Dallaire qui a fait le groupage. Soit dit en passant, comme
Madame Lavoie croyait qu’il appartenait à la technicienne qui fait un test de faire les
inscriptions requises à l’ordinateur, elle a pensé que Madame Dallaire les ferait, les
inscriptions. Celle-ci, semble-t-il, ne les a pas faites. On ne peut pas, croit le tribunal,
reprocher à Madame Lavoie de ne pas l’avoir fait.
[191] Une autre fois, ce jeudi après-midi, Madame Lavoie a eu un téléphone d’un
médecin qui voulait des renseignements pointus concernant un certain protocole qu’elle
ne connaissait pas. Encore-là, elle est partie à la recherche de Madame Gagné, elle l’a
trouvée cette fois-là. Madame Gagné a téléphoné elle-même au médecin, étant mieux
placée que Madame Lavoie, c’est naturel, pour lui répondre.
[192] Madame Lavoie dit qu’à deux (2) autres occasions, elle est partie à la recherche
de Madame Gagné, mais en vain. Elle ajoute que durant l’après-midi, elle a eu
beaucoup plus d’hémocultures positives que les autres jours, beaucoup plus de tests
biochimiques à faire qu’elle n’avait jamais vus. Tout cela explique qu’à 16H00, son
travail n’était pas terminé.
[193] Dans ces conditions, qu’à 16H00, Madame Lavoie n’ait pas terminé son travail,
soit fatiguée, stressée et nerveuse, « mêlée dans ses techniques, dépassée par la
tâche », est quelque chose, croit le tribunal, de parfaitement explicable, en tout cas
quelque chose de normal pour une technicienne en formation sans formatrice.
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[194] C’est donc abusivement et arbitrairement que l’employeur a décidé, le
lendemain, vendredi, sans même demander d’explications à la principale intéressée de
mettre un terme à la période de formation.
[195] Pour toutes ces raisons, le grief S-1 est accueilli.
[196] Le procureur du syndicat suggère, comme mesure de redressement, que le
tribunal ordonne à l’employeur de reprendre la période de formation de Madame Lavoie
en microbiologie parce que, c’est une simple question de bon sens, les événements
datent de 2005, quatre (4) ans avant la décision du tribunal et que donc, personne ne
peut s’attendre à ce que Madame Lavoie, qui n’a même pas eu une formation complète
au banc des hémocultures et qui a eu une formation ancienne au banc de la réception
et des ensemencements, soit en mesure de répondre aux exigences normales de la
tâche aux bancs dont il s’agit. Le tribunal est d’avis qu’il y a lieu d’accueillir cette
demande de la partie syndicale. Il a la compétence pour le faire, car l’arbitre chargé de
décider d’un grief peut adapter des solutions idoines aux problèmes qu’il a la mission de
résoudre (Proulx et Hôpital de Chibougamau Ltée, D.A., MSSS numéro 9804, le 30
mars 1998; dans cette décision, le soussigné cite une décision de la Cour d’Appel à cet
effet). Il est dans l’intérêt des deux (2) parties, estime le tribunal, de décider d’une telle
mesure de redressement.
[197] En pathologie, la formation offerte à Madame Lavoie ne souffre pas des mêmes
déficiences, s’il est permis au tribunal de s’exprimer ainsi.
[198] L’employeur n’a pas utilisé, en pathologie, d’outil d’évaluation comme en
microbiologie. Il a informé la plaignante de ses attentes, il lui a accordé une assistance
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technique et une surveillance par une personne qualifiée, la plaignante a été rencontrée
régulièrement, elle a eu droit à toute sa période de formation, soit trois (3) semaines.
[199] Il n’y a pas eu d’accroc, du moins quant à la forme attendue d’une orientation ou
formation loyale et convenable.
[200] Le tribunal comprend que le syndicat reproche surtout à l’employeur d’avoir
appliqué à la plaignante, entraînée principalement au poste de première coupeuse,
enfin deux (2) semaines sur trois (3), les deux (2) dernières, une norme de rendement à
la coupe qu’il a établie lors ou à la suite d’entraînements de personnes salariées au
poste de deuxième coupeuse, ce qui est, prétend-il, déraisonnable et discriminatoire en
soi. Il lui reproche ensuite de ne pas avoir considéré que d’une semaine à l’autre, la
plaignante s’est améliorée d’une manière significative, relativement à son nombre de
coupes à l’heure, elle qui « a manqué la cible de très peu », alors que dans d’autres
cas, similaires, il a accepté de considérer comme réussie l’orientation d’une personne
qui n’avait pas atteint le nombre de coupes à l’heure exigé, ce qui, soutient-il, est
encore-là déraisonnable et discriminatoire.
[201] La plaignante a retenu que l’employeur lui a dit que la norme à atteindre, c’était
une coupe de 28 blocs à l’heure.
[202] Madame Gagnon a parlé de 28 à 30 blocs à l’heure.
[203] La coordonnatrice, Madame Bouchard, la formatrice, a déclaré qu’elle a dit à
Madame Lavoie d’entrée de jeu que le rendement à atteindre, c’était au minimum 30
blocs à l’heure. Elle lui a précisé que si vers la fin de la période d’orientation, elle ne
dépassait pas ce minimum, « ce n’était pas bon ».
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[204] Quoi qu’il en soit, 28 ou 30, peu importe, c’est un fait que Madame Lavoie, après
trois (3) semaines de formation, n’avait pas réussi à atteindre un rendement de 28 blocs
à l’heure.
[205] Madame Bouchard a expliqué que la norme du nombre minimal de coupes à
l’heure, elle l’a établie en voyant performer des nouvelles titulaires de postes en période
d’initiation et d’essai. En pareil cas, l’orientation est de six (6) semaines, elle se fait à
trois (3) bancs de travail, deux (2) semaines par banc, donc deux (2) semaines à la
coupe, mais au poste de deuxième coupeuse. Après deux (2) semaines (au poste de
deuxième coupeuse), la technicienne orientée parvient facilement à faire quarante (40),
quarante-cinq (45) lames à l’heure. Une technicienne d’expérience, elle, par
comparaison, en fait de cinquante (50) à soixante (60).
[206] Il s’infère de l’ensemble de la preuve que Madame Lavoie a été orientée une (1)
semaine, la première, au poste de deuxième coupeuse et les deux (2) suivantes, les
deux (2) dernières, au poste de première coupeuse (un poste qui comprend de la
coupe, de l’incision, des techniques de colorations spéciales) à cause des besoins de
l’employeur. Il est dit en toutes lettres à l’article 13.21 de la convention collective que
lorsque l’employeur a un programme d’orientation à offrir, il « procède par ancienneté »
en tenant compte de certains « principes », notamment ses « besoins ». On ne peut
donc pas reprocher à l’employeur, croit le tribunal, d’avoir affecté, deux (2) semaines
sur trois (3), Madame Lavoie, en formation, au poste de première coupeuse.
[207] Le tribunal n’est pas d’opinion qu’il était déraisonnable ou discriminatoire, à
l’époque, pour l’employeur d’exiger de la plaignante qu’elle atteigne un rendement,
disons, dans l’hypothèse qui lui est la plus favorable, de vingt-huit (28) blocs à l’heure
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au minimum – norme qu’elle n’a pas rencontrée, même après trois (3) semaines
complètes de formation – et ce, notamment pour les raisons suivantes.
[208] Premièrement, Madame Lavoie a été entraînée, tel que déjà dit, la première
semaine de sa période de formation, au poste de deuxième coupeuse. Elle n’a réussi
cette semaine-là qu’à faire, en moyenne, un nombre de coupes à l’heure très inférieur
aux attentes, soit une vingtaine de coupes à l’heure. Très inférieur au nombre de
coupes à l’heure atteint normalement, à la fin de la première semaine, par une
personne orientée au poste de deuxième coupeuse.
[209] Deuxièmement, s’il est vrai que, selon la preuve, normalement la première
coupeuse, dans les premières heures de la journée, est affectée à des coupes
urgentes, des coupes notamment de biopsies, des spécimens généralement plus petits,
plus difficiles à couper et qui demandent plus de minutie, plus de temps, la première
coupeuse n’est pas la seule à faire de la coupe de biopsies, la deuxième coupeuse en
fait aussi, il y a « des biopsies de routine ». La deuxième coupeuse en fait peut-être
moins, mais elle en fait, tel qu’il appert du témoignage de Madame Bouchard,
témoignage non contredit.
[210] Troisièmement, la période de formation de Madame Lavoie a eu lieu
essentiellement en juillet. L’été, c’est la preuve, vu qu’il y a beaucoup moins de
chirurgies qu’aux autres périodes de l’année, il y a beaucoup moins de biopsies à
couper par le fait même. En tout cas, c’est ce que démontre le témoignage de Madame
Bouchard, non contredit et la pièce E-28, le registre des spécimens traités certaines
journées de la période pertinente. Soit dit en passant, il est important de retenir qu’une
personne salariée inscrite sur la liste de disponibilité pour des affectations en pathologie
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n’est pas rappelée seulement l’été pour remplacer des titulaires de postes en vacances,
l’été, elle peut l’être en tout temps durant l’année, donc à des époques où il se fait
beaucoup plus que l’été des recherches de diagnostics par chirurgies.
[211] Quatrièmement, durant sa période de formation de trois (3) semaines, Madame
Lavoie a fait de la coupe trois (3) semaines, comme deuxième coupeuse et première
coupeuse, elle a donc eu l’occasion fort probablement de faire plus d’heures de coupe
qu’une nouvelle titulaire de poste en période d’initiation et d’essai de deux (2) semaines
au poste de deuxième coupeuse.
[212] Pour ces raisons, le rendement à la coupe exigé de Madame Lavoie par
l’employeur durant sa période de formation n’avait rien d’abusif, de déraisonnable ou de
discriminatoire.
[213] Il appartient à l’employeur, en vertu de son droit de gérance, d’établir le niveau
de rendement exigé. La norme, c’est à lui de l’établir. Le tribunal ne peut pas exercer
un contrôle d’opportunité, mais seulement de légalité. C’est dire que l’arbitre ne peut
modifier par sa décision la norme fixée par l’employeur, il ne peut le faire qu’en cas de
preuve que la norme dont il s’agit est déraisonnable, abusive ou discriminatoire.
[214] Le rendement à atteindre, soit dans l’hypothèse qui est la plus favorable à la
plaignante, vingt-huit (28) blocs à l’heure, il est vrai que la troisième semaine, elle en
était près. Mais il faut bien tracer une ligne d’arrivée. Le rendement qu’on a exigé
d’elle, Madame Lavoie en a été informée dès la première journée, on lui a même dit
qu’un rendement de trente (30) coupes à l’heure après trois (3) semaines, ce n’était pas
bon (témoignage de Madame Bouchard).
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[215] Il y a bien eu un cas où, semble-t-il, l’employeur a accepté de ne pas retourner à
son ancien poste une nouvelle titulaire de poste en pathologie qui n’avait pas tout à fait
atteint le rendement à la coupe exigé. Mais les témoins produits par l’employeur ont
expliqué que cette salariée avait très bien performé aux deux (2) autres bancs de travail
où elle avait été entraînée. L’employeur croyait que dans le cas de cette salariée,
atteindre le rendement exigé à la coupe, ce n’était qu’une question de jours.
[216] Le cas de Madame Lavoie ne peut être comparé à celui de cette salariée, sinon
à son désavantage.
[217] Madame Lavoie n’avait pas seulement des problèmes à la coupe. Elle en avait
aux colorations spéciales, un domaine important au poste de première coupeuse.
Madame Bouchard, non contredite, a dit que la deuxième semaine de la plaignante aux
colorations spéciales n’était pas meilleure que la première. À peu près aucune
progression. Madame Lavoie, la deuxième semaine, commettait les mêmes erreurs, se
mélangeait, comme la première semaine, dans les étapes, elle était incapable de faire
plusieurs colorations à la fois etc.
[218] Et il faut attacher beaucoup d’importance à cette évaluation de Madame
Bouchard. Un arbitre qui n’a pas la compétence professionnelle ni d’attribution pour
porter son propre jugement sur la compétence d’une personne salariée, ou plutôt ses
capacités d’apprentissage à un poste de travail, dans le cas d’une salariée en
formation, doit accepter l’évaluation de la représentante de l’employeur si cette
évaluation est basée sur des faits, comme c’est le cas en l’espèce. Il n’y a aucune
raison de croire, à en juger strictement par la preuve, à une évaluation de la plaignante
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faite de mauvaise foi et d’une manière discriminatoire. Bref, tout a été loyal et
convenable en pathologie, la formation comme l’évaluation, estime le tribunal.
[219] Pour ces motifs, le grief S-2 est rejeté.
DISPOSITIF
[220] Donc, pour toutes les raisons et motifs ci-dessus indiqués, le tribunal décide :
- D’ACCUEILLIR le grief S-1;
- D’ORDONNER à l’employeur de reprendre en entier la période de formation de
la plaignante en microbiologie aux deux (2) bancs de travail pertinents, soit celui
dit de la réception et des ensemencements et celui des hémocultures;
- DE CONSERVER compétence pour décider du droit de la plaignante à une
compensation ou des dommages et fixer, le cas échéant, le montant dû en vertu
de la présente sentence arbitrale;
- DE REJETER le grief S-2.
__________________________________Me Gabriel-M. Côté, Arbitre
Pour le syndicat : Me Denis Bradet Pour l’employeur : Me Guy Wells Date(s) d’audience : 30 avril 2008, 1er mai 2008, 22 octobre 2008, 19 novembre 2008, 20 novembre
2008, 30 avril 2009, 12 mai 2009, 27 mai 2009 et 28 mai 2009 Date(s) de délibéré :