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Toutes les clefs pour connaitre et comprendre l'reuvre dansson ensemble. L'analyse des notions. Des liens avec d'autres reuvres. Le texte intégral et son commentaire. Des outils : vocabulaire, index, sujets de dissertation.

Toutes les clefs pour connaitre et comprendre l'reuvre ... · L'autonomie de Ia raison 1°7 Le souei de soi desLumieres!OS ... La vie de Foucault est d'abord une vie de travail. On

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Toutes les clefs pour connaitre etcomprendre l'reuvre dans son ensemble.

L'analyse des notions.

Des liens avec d'autres reuvres.

Le texte intégral et son commentaire.

Des outils : vocabulaire, index, sujets dedissertation.

~~~~.~~La philothfquf

Qu'est-ceque les Lumieres ?MrCHEL FOUCAULT

Analyse et présentationpar Olivier DekensAgrégé de philosophieDocteur en philosophie

~réal

Tous droits de troduction, d' odoptotion et de reproduction por tous procédés réser-vés pour tous poys. lo loi du 11 mors 1957 n'outorisont, oux termes des olinéos 2et 3 de I'orticle 41 d'une port, que les « copies ou reproductions strictement réser-vées ó I'usoge privé du copiste et non destinées ó une utilisotion collective ", etd' outre port, que les onolyses et les courtes citotions dons un but d' exemple etd'iIIustrotion, « toute représentotion ou reproduction intégrole, ou portielle, foitesons le consentement de I'outeur ou de ses oyonts droit ou oyonts cause, est illi-

cite" (olinéo 1" de I'orticle 40). Cette représentotion ou reproduction, por quelque procédé que ce soit,canstitueroit donc une contrefoçon sonctionnée por les orticles 425 et suivont5 du Code Pénol. les droit5d'outeur d'usoge sont d'ores et déjó réservés en notre comptobilité oux outeurs des reuvres publiées donscet ouvroge, qui molgré nos efforts, n' ouroient pu être ioint5.

@)LI

PHOTOCOPILLAGETUE LE LIVRE

ÉDITION:FabienJamois

MISEENPAGE: GG Publication

© Gallimard 200! pour le texte de Michel Foucault.

© BRÉAL 2004-Tome reproduction même partielJe interdite.ISBN 2 7495 03809

---z 4-

AVANT-PROPOS

FOUCAULT est sans doute l'un des philosophes françaisles plus lus, cités et commentés aujourd'hui.

L'influence de sa pensée dépasse d'ailleurs largement Iasphere de Ia philosophie, et s'étend à des domaines aussidivers que l'histoire, Ia sociologie ou les sciences poli-tiques. Malgré son importance, que personne ne conteste,son ceuvre demeure peu étudiée en France, en particulierdans les lycées et les universités. L'ambition de cetouvrage est de remédier à cette anomalie en offrant auxéleves, aux étudiants et aux enseignants un texte significa-tif de Michel Foucault, accompagné de tous les outilsnécessaires à sa compréhension.L'intérêt de Qu'est-ce que les Lumieres ? est à Ia fois philo-sophique et pédagogique. Philosophique en ce qu'il pré-sente, en peu de pages, une remarquable synthese desprincipaux concepts foucaldiens j pédagogique par saforme, élégante et tres accessible, d'une impeccableclarté. Plus fondamentalement encore : Qu'est-ce que lesLumieres? est un véritable manifeste pour une philoso-phie concrete, en proposant à cette discipline une tâcheindissociablement urgente et poli tique : diagnostiquer leprésent, évaluer les possibilités d'une autre pensée etd'une autre société, enfin, selon Ia belle expression deFoucault lui-même, donner forme et force à l'impatiencede Ia liberté.Les références au texte des Dits et écrits se font à partir del'édition Quarto-Gallimard, en deux volumes, parue en2oo!. Celles portant sur Qu'est-ce que les Lumieres ?,

reproduit ici, sont accompagnées d'un renvoi (.-).à Ia pagecorrespondante. La référence aux autres hvre.s deFoucault utilisés dans nos introduction et commentaireest donnée en bibliographie.

~;;;;~-~;:::,

SOMMAIRE

PREMIERE PARTIE

Présentation et analysede Qu'est-ce que les Lumieres ?

a REPERES .

I. - La vie de Michel Foucault .2. - L'itinérairephilosophique

de Michel Foucault... 14

Qu'est-ce que Ia philosophie? 14

Archéologie du savoir 16Histoire de Iafolie : 17Naissance de Ia clinique 17Les mots et les choses 20

L'archéologie du savoir 23

~ Analytique du pouvoir 24Surveillel~ et puni/' 25La volonté de savoir 29

.""""Herméneutique du sujet 30

Q , 1 L ., ~3. - u est-ce que es urmeres 32

~ Les Dits et écrits 32

Qu'est-ce que les Lumieres? Une nouvelle définitionde Ia prulosophie 35

4. - Résumé du texte 38

L'itinéraire :..... 38

Introduction 40

Kant et les Lumiêres 40

La modernité 40

Une nouvelle définition de Ia philosophie 43

Conclusion 45

DEUXIEME PARTIE

Lire Qu'est-ce que les Lumieres?:texte et commentaire

111LA QUESTION DES LUMillRES DANSL'HISTOlRE DE LA PHILOSOPHIE 47

I. - La définition des Lumieresau xvme siêcle 47

La figure du philosophe 47

L'optimisme des Lumiêres 48

Les Lumieres, majorité de Ia raison 48

La religion au-dessus des Lumieres 49

111COMMENTAIRE .......................................................I. - Plan du texte ......................................................

2. - Explication linéaire .Introduction: Uás ist Aufkliirung? .

~ La réponse kantienne .Le contexte de l'interuention kantierme .La philosophie face au présent .Les difficultés du texte kantien .

La modernité ..................................................................Lumlêres et modernité .......................................................Le momem modenze

•••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• 0.0

L'héroisation moderne .......................................................Rapport au présent et rapport à soi-même .

Qu'est-ce que Ia philosophie? .L'Aufklarung: une nouvelle définition de Ia philosophie .Caractérisation négative de l'êthos philosophique .Caraetérisation positive de l'êthos philosophique .

Conclusion .....................................................................Les Lumiêres comme conception d'une vie philosophique .La philosophie et l'impatience de Ia liberté .

3· - Commentaire thématique .<~ Les Lumieres: réalité d'une époque et

probleme philosophique .L'ôge de Ia critique .

2. - Le débat autour des Lumiêresau XXe siêcle 50

Que reste-t-il des Lumieres? 50

La raison est-elle dictatoriale? 5 I

Auschwitz et les Lumieres 5 I

Les Lumieres et le 11 septembre 52

3. - Les Lumieres dans les Dits et écrits 54

Le retour de I'Aufkliimng 54

Philosophie et journalisme 55La fonction critique de Ia raison 56Penser les Lumieres: un devoir pour Ia philosophie 57

L'autonomie de Ia raison 1°7Le souei de soi des Lumieres !OS

La spécifieité de l'AufkHirung ····· 1!O

~ La modernité I I 2

~ Qu'est-ce que Ia philosophie? 114

La philosophie comme ontologie du temps présent 114

La fonction politique de Ia philosophie I 15L'intellectuel spécifique 116

Présentation et analysede Qu' est-ce que les Lumieres?

a LEXIQUE FOUCALDIEN 120

111INDEX DES NOTIONS 124

l1li SUJETS DE DISSERTATION 125

11 BIBLIOGRAPHIE 126

••'"REPERES

La vie de Foucault est d'abord une vie de travail. Onpourrait, au vu de ses tres nombreux voyages et de sesmultiples engagements politiques, croire que l'écrituren'était pas au fond l'activité principale de Foucault. Il n'enest rien. De Ia premiêre de ses publications,~en 1954-Maladie mentale et personnalité - à l' année de sa mort, 1988,Foucault n'a pas cessé d'écrire, d'intervenir dans nombrede revues et de journaux et de donner des conférences,offrant ainsi à sa pensée une visibilité et une influence quivont bien au-delà du seul milieu philosophique.

Michel Foucault naÍt le 15 octobre 1926 à Poitiers.Enfance tranquille, scolarité sans histoire: Foucault nequitte pas sa ville natale avant son entrée en khâgne,classe préparatoire à l'École normale supérieure, au lycéeRemi-IV; à Paris. Reçu en 1946 dans cette école, il étudieIa philosophie à Ia Sorbonne et passe, en 1951, l'agréga-tion de philosophie, à laquelle il avait échoué l'année pré-cédente. Son travail porte alors sur Ia psychologieclinique, qu'il enseigne à l'ENS et pratique à l'hôpitalpsychiatrique Sainte-Anne. Il s'intéresse aussi à Ia littéra-ture, à Ia musique, ainsi qu'à Ia poli tique, sans abandon-ner pour autant Ia philosophie, puisqu'il lit dans ses

années les auteurs qui vont féconder son reuvre: Hegel,Marx, Freud, Heidegger, et surtout Nietzsche.

En 1954 paraít Maladie mentale et personnalité. L'annéesuivante il quitte Ia France pour Ia Suede, ou il occupe leposte de directeur de Ia maison de France à Uppsala.Parallelement à ses fonctions, il entame les recherches quiconduiront à Folie et déraison, son grand livre sur l'histoirede Ia folie. En 1958, nouveau déplacement: Foucault estchargé de rouvrir le Centre de civilisation française del'université de Varsovie. Il termine enfin son histoire de Iafolie, qu'il remet à Georges Canguilhem, son directeur dethese. En 1960, il quitte Ia Pologne pour Hambourg,avant de rentrer en France pour être nommé maítre deconférences en psychologie à l'Université de Clermont-Ferrand. Il traduit cette même année l'Anthropologie dupoint de vue pragmatique de Kant.

Foucault publie en 1963 Naissance de Ia clinique. Des1964, il travaille à Ia bibliotheque nationale à une histoiredes sciences humaines, en plus d'une intense activité deconférences, débats, et d'une participation active à Ia vieintellectuelle et poli tique française. Il rencontre DanielDefert, qui sera son compagnon jusqu'à sa mort et à quinous devons l'édition des Dits et écrits. L'homosexualité deFoucault explique une partie de son engagement poli-tique, quand il s'agit de soutenir les droits des homo-sexuels, mais on ne peut pas considérer qu'elle ait eu surIa nature de son reuvre une influence significa tive.Foucault publie, en avril 1966, Les mots et les choses. Lelivre a un succes public immédiat, surprenant eu égard àsa difficulté; il déclenche une vaste polémique autour del'humanisme. En septembre, Foucault s'installe enTunisie, pour enseigner Ia philosophie à l'université deTunis. Il ne revient en France qu'apres les événements de

Mai 1968; il contribue en revanche à Ia création d'unedes institutions issues du mouvement de Mai, l'universitéde Vincennes, faculté expérimentale ou il enseigne Ia phi-losophie tout en terminant son ouvrage le plus théorique,l'Archéologie du savoir.

L'année 1970 est marquée par l'élection de Foucault àIa chaire d'histoire des systemes de pensée du College deFrance. Le College, qui ne délivre pas de diplômes, per-met à ses enseignants de présenter à un public tres diversleurs travaux en cours; Foucault y donnera une leçonhebdomadaire jusqu'à sa mort. Il crée par ailleurs legroupe d'information sur les prisons, une association des-tinée à étudier Ia situation pénitentiaire à partir de Iaparole des prisonniers eux-mêmes. Cet engagement peutêtre perçu comme le volet actif et politique d'un travailplus intellectuel, celui qui va aboutir à Surveiller et punir, -qui paraít en 1975. Années d'une grande fécondité etd'une tourbillonnante activité politique et associa tive, ilparticipe notamment, en septembre 1975, à l'interventiondes intellectuels français en faveur d'opposants au régimede Franco.

Des 1976, son travail s'oriente vers le domaine de Iasexualité. ~ Vólonté de s[JJ,).Jlir,qui se présente comme uneintroduction à une histoire de Ia sexualité, paraít endécembre: le livre suscite étonneme et déreptions, enmême tem s l!1!!1jntérêwQnre.nu.d€S-Jllilieux fémit:li.sres.% homos.exuels_ La fin des années 1970 voit Ia créationpar Foucault d'un groupe d'intellectuels, qu'il appelle lui-même des reporters d'idées et qui vont parcourir les paysà l'actualité politique Ia plus brúlante pour apporter unéclairage d'ordre philosophique à ce qui s'y déroule.Foucault donne ainsi à Ia presse française de nombreux

articles sur Ia révolution iranienne. Ce mouvement estétroitement lié à Ia définition de Ia philosophie queFoucault propose dans Qu'est-ce que les Lumieres.z

En 1981, Foucault est à nouveau au creur de l'actualitépoli tique, par son soutien aux Opposants au régime deJ~ruzelski, en Pologne. Il poursuit son étude de Ia percep-tIon de Ia sexualité, principalement dans l'Antiquité. Sesengagements sont toujours aussi nombreux, maisFoucault est de plus en plus fatigué et affaibli par Ia maIa-die. Il est hospitalisé Ie 3 juin 1984. Il meurt du sida le25 juin.

Foucault comme philosophe exige donc une présentationde ce que lui-même met dans ce terme usé.

Qu'est-ce que les Lumieres? peut être lu comme unmanifeste pour une philosophie concrête. Mais lesDits et écrits en leur totalité sont riches d'ense~gneme~t

r Ia définition que Foucault propose de Ia phllosophle.W . hCetredlfinitlon permet e comprendre POurquOl c a-cune des grandes reuvres de Foucault peut être luecomme un ouvrage de philosophie sans Jãffials résenter

~-;- ~evisage haD~ 'ií~texte ghi10sophi.gue'A

Letravail de Foucault peut en une premlere approche etrecaractérisé ainsi :JaiJ:e de Ia J)hilosophie, c' es élª-bQJeune ethnologie d e pf€}pre-cultur-&,-c'~"t-à-dire ana-

~r Jes conditions forrr:elles qui ent ~F~sid,é ~ iaCQU truction de n ltre .00 Autrement dlt: II s aglt deprésenter une critique de notre temps, fondée sur .desanalyses rétrospectives (Dits et écrits I, p. 10S I). La philo-sophie a ainsi pour tâche de diagnostiquer l'étatactuel de notre mode de penser à partir de l'étude deson histoire, pour éventuellement, nous le verrons,fonder sur une telle compréhension une autre pen-sée, et partant une autre action. . .

L'reuvre de Foucault est en même temps une hlstOlr~de 1 vérité. Il ne fa~t pas ~nt,endre par ce t:rme l'en-~..::$. Jsemble des choses vrales~ mais 1 ense.mble des regle.s, pro~ pduites par de complexes Jeux de saVOlrset de pOu.vOl~S,qUI ~ . ~posent le partage entre le vrai et le faux. Cette hlstOlre du ' ):rapport entre notre pensée et Ia vérité peut emprunter \plusieurs itinéraires. Foucau:t lui-~ême résen:e son tr~-r f~vail comme un ours fiIl so hl u arque par trOls :rétapes majeures, qui sont autant de manieres complémen- )rtaires d'a,epréhender le fond silencieux ~e ~otre. propre ~ .eul'", Pwnihe étaW', une « ontn!Dg>c on ue de r

2. - L'itinéraire philosophiquede Michel Foucault

c<::::Y Qu'est-ce que Ia phiIosophie?L'reuvre de Michel Foucault a ceci de particulier

qu'elle ne se présente pas comme une philosophie, ausens traditionnel du terme. On ne trouvera nulle partdans ses textes d'analyses strictement conceptuelles denotions telles que Ia Iiberté, Ia pensée, Ia conscience, letemps ou I'histoire. Une Iecture de Ia seuIe Iettre desouvrages de Foucault pourrait même laisser à penser qu'ilest au fond plus historien que philosophe. Abondance desréférences historiques, prolifération des notes en bas depages, souci du détail, quaIité de l'information : les Mots etles choses ou Surveiller et punir sont d'incontestablessources d'information sur les époques considérées.Pourtant, iI y a dans et par cette dimension historique unprojet d'ordre philosophique, ou plutôt un travail spéci-fique d'anaIyse de notre propre cuIture qui revient selonFoucault à Ia discipline philosophique. Considérer

nous-mêmes dans nos rapports â_Iavé . , > (Dits et écrits11, p. 1437), qui vise à éUIdier les modalités de constiUI-tion du savoin:::]2euxieme étape, une « ontolo ie histo-ri ue de nous-mêmes dans nos ra orts à un ch;m depouvoir » (ibid.), qui integre les mécanismes du pouvoirdans l'élaboration du savoi rOlsiéme éta , une « onto-

Jogie historique de nos rapports à a morale » (ibid.f, quiprend pour objet Ia maniere dont le sujet se constiUIecomme agent moral. Le fiI conducteur de cet itinéraireest clair: i est qm:sti.on dans.tQus Ies cas..&un.e..généalogie

-de la-pensée, comme savoir, comm - sa-v:. -pauvoi.r, p:u.is_comme constitution. de.J~ subjectiwté On retrouve àchaque fois le même souci d'évaluer ce qui se donne ànous comme vérité.. ~es textes de Foucault peuvent donc être regroupés

amSl:

- une archéologie du savoir (1954-197°): Histoire de Iafolie, Naissance de Ia clinique, Les mots et les choses,L'arehéologie du savoir;

- une analytique du pouvoir (1970- 198 I): Surveiller etpunir, et, en partie La volonté de savoir;

- une herméneutique du sujet (1981-1984): certainsaspects de La volonté de savoir, L'usage des plaisirs, Le soueide soi.

Suivre cet itinéraire nous permettra de mieux saisir IapIace et Ia fonction de Qu'est-ce que les Lumieres?, puisquece texte est avant tout une justification rétrospective de cequi a été accompli.

présenter comme un objet structuré. L'enquête vadonc porter sur les conditions d'émergence d'un savoirparticulier, sur ces éIéments muItipIes, qui tiennent deI'histoire, de Ia philosophie, de Ia poli tique ou du langagequi font qu'un savoir se donne, à un moment donné,comme savoir vrai. Mais Foucault s'empresse de préciserqu'une telle recherche ne releve pas de I'histoire (Dits etécrits 11, p. 805): iIla quaIifie curieusement de fiction his-torique. Bien entendu, ce substantif n'implique pas quel'imagination du chercheur est en jeu; il souligne simple-ment que l'archéologie est une création qui va articulerI'éUIde du passé à un effet sur le présent. Vn seul exempled'une archéoIogie réussie: peu de temps apres Ia publica-tion de Surveiller et punir, les prisonniers clamaient entreles cellules des passages entiers de l'ouvrage, comme sil'histoire minutieuse de Ia pénaIité trouvait une résonancedans Ieurs conditions acUIelles d'existence.

~ Archéologie du savoirFoucault définit son travail comme une archéologie.

Faire une archéologie du savoir consiste à identifierIe fond souvent caché dans leque! une pensée va se

Histoire de IafolieCe style d'éUIde peut prendre pour objet n'importe

quel domaine de connaissance. Foucault, dans cette pre-miêre partie de son ceuvre, va privilégier trois sujets par-ticuliers: Ia folie, Ia notion de clinique, enfin le conceptd'homme. L'Histoire de Ia folie à l'âge classique, précédem-ment intiUIlée Polie et déraison, est l'acte inaugural dugeste archéoIogique. L'ouvrage, imparfait dans son styleet sa strucUIre, parfois peu lisible, est d'un geme totaIe-ment nouveau. Son objet peut être résumé ainsi: il s'agitde comprendre comment I'homme modeme aconstruit le concept de folie comme Ia vérité del'homme sous sa forme aliénée. Autrement dit: il s'agitd'anaIyser Ia construction d'un vaste champ deI'aliénation, dont Ia figure du fou va se détacher

progressivement, tout en indiquant comment cettefigure difIere fondamentalement de l'opposition clas,siqueentre raison et déraison. [oucault réSllme son pE2JetA'une furmule lapida ire : de l1iowme à l'homme~echerin passe par l'homme fou (Histoire de Iafalie, p. 649).

Le mode opératoire de cette recherche est relative-ment simple. Pour comprendre comment Ia folie apparait,il faut étudier le traitement que Ia société a appliqué auxdiverses formes de Ia déraison, puis comment on est pro-gressivement passé d'une simple mise à l'écart de Ia dérai-son au traitement psychiatrique de Ia folie. Une histoire deIa folie ne peut donc être qu'une histoire de l'asile.

En son principe, I'Histoire de Iafolie est le récit de deuxmouvements contemporains l'un de l'autre: l'un consti-tutif d'un systeme de rationalité dans lequel le fou estobjet; l'autre construisant une mécanique d'exclusionsociale du fou. Cette histoire commence par le grand ren-fermement de tous les sujets pouvant troubler l'ordrerationnel de Ia société: on a ici affaire à une grande masseindistincte, mêlant gueux et insensés, mais rien de tel quele fou comme figure singuliere, qui n'apparait que dansl'expérience concrete que le XVIII e siecle en fera.

La folie sera au contraire, quand on l'aura enfin cer-née, le contraire et le vis-à-vis de l'humanité. Ainsi, alorsque le XVI e siecle avait maintenu Ia perméabilité de Iatrontiêre entre Ia raison et Ia folie, l'âge classique va exilerIa folie « hors du domaine d'appartenance ou le sujetdétient ses droits à Ia vérité » (Histoire de Ia falie, p. 70).On trouve alors d'un côté Ia synthese pathologique del'aliénation juridique et de l'exclusion sociale, de l'autre Ianorme d'un être juridiquement compétent et socialementintégré. Le fou est rationnel et sa folie rationalisable: onpeut le jauger par rapport à l'homme normal et normatif.

Le partage humanitélfolie ne releve plus du tout duchoix, mais du constat, il se prétend fondé scientifique-ment sur l'approche du pathologique. Le fou en ce senss'est exclu lui-même par sa folie, Ia liberté du sujet ration-nel n'est même plus nécessaire pour le tenir à l'écart. Lafin du grand renfermement coi'ncidera avec cette décou-verte: il paraitra inhumain à l'homme moderne d'internerun être dont l'exclusion n'est plus indispensable à sapropre identité d'homme rationne!. Le fou devient l'objetd'étude et de traitement qu'il est encore aujourd'hui; ilest Ia figure inverse de l'homme en sa vérité.

La naissance de Ia psychiatrie doit être rattachée à Iaformalisation de l'homme: ce n'est qu'au moment oucelui-ci devient un cri tere normatif que le savant peut,face à Ia folie, se trouver en position de force. Évidem-ment, Ia relation est réversible, et l'on peut tout aussi biendire que ce n'est qu'au moment ou quelque chose commele fou a été objectivement identifié que le sujet du savoirpeut disposer d'une base solide. Autrement dit: l'appari-tion d'une science objective de l'homme n'est pos-sible que par l'objectivation de l'homme aliéné, aupoint que « l'aliénation sera déposée comme unevérité secrete au creur de toute connaissance objec-tive de l'homme » (Histoire de Iafolie, p. 575)·

Naissance de ia cliniqueLe second objet que choisit Foucault pour appliquer

sa méthode archéologique est, comme l'indique le sous-titre de Naissance de Ia clinique, le regard médica!. Onretrouve les notions de pathologie et de norme qui struc-turent I'Histoire de Ia falie, mais aussi l'idée d'un 9bjet desavoir qui se constitue en même temps que les institu-tions qui l'isolent et l'identifient. Foucault suit pas à pas

l'apparition d'une médecine que ne réduit pIus à un corpusfigé de techniques, mais qui enveloppent une connais-sance de I'homme sain. Le regard médical nait aumoment ou le traitement du pathologique s'appuie sur lesavoir du normal. Le moment-clé de cette histoire estcertainement le fait de Bichat: tout en posant Ia these,philosophiquement décisive, selon laquelle Ia vie est défi-rue comme résistance à Ia mort, ]ichat, à Ia fin du XVIIIesiecle établit un lien nouveau entre I'es ace visib ~

~tômes et l~ profon eur de Ia ma a ie-ear Ia systéma-tJsatJon de Ia dIssection. L'expérience médicale, en inté-

a mort do' .e de se détacher du~ iQdétermÜ~,~ àll Itlo..c.QDtre-naDlreet d'ªºparaitre,indi' li' et délimit' s le corps des vivants.

Les mots et les choses

Le troisieme domaine d'application de Ia démarchearchéologique est celui des sciences humaines, ou del'homme lui-même, objet et cible de l'ouvrage sans doutele plus maitrisé de Foucault, Les mots et les choses. Ce textea suscité une intense polémique intellectuelle par sa thesefinal e : l'idée d'homme se' ." e née à fidu XVIlIesiecle e .". du xxe• Mais,ma gré Ie caractere ªP12aremmept PI:0voqteur de cette~rjQP5 qui prepd à contre-pied Ia si commupe adhé-sion à l'humanisme, Foucault tente seulement d'étu-

d:er les cond:~o~s d'élabo.r::::n.::u~=tJtbQ~?iõ a md!quer ce 2m I_._!!..._~-,.0;ln et Ci< qui ~mter 53 di~parjtjon. Il n'y a làau.cune c;itique de l'homme lui-même ou du respect qui1m est du; Foucault se place sur un terrain strictementth~orique. L'homme a été pendant deux siecles le conceptulllficateur des savoirs qualifiés justement de sciences

humaines: quand les conditions d'une teIle unification nesont pIus réunies, qu'arrive-t-il à notre pensée? Quandcette idée ne peut plus stabiliser le sol de nos préoccupa-tions, quelle inquiétude va surgir, quel nouveau mode deréflexion va devoir s'imposer? On le voit, ces questionsne sont pas d'ordre éthique ou politique. Elles touchent àl'acte de penser lui-même, dont iI faut aujourd'hui rééla-borer les modalités, à Ia lumiere d'une histoire patiem-ment reconstrui te, dans les queIques 350 pages quiprécédent Ia these finale.

Pour faire apparaitre le concept d'homme, il faut aupréalable en décrire Ies modes d'apparition et les condi-tions d'énonciation. Ce faisant, et comme en passant,Foucault dresse un tableau fort détaillé de Ia Renaissance,de l'âge classique et du seuil de Ia modernité. Le XVIesiecleest l'âge des ressemblances: convenance, émulation, analo-gie ou sympathie. Dans I'espace ainsi balisé, structuré parces différents modes de proximité, I'homme occupe d'em-blée, bien avant que naisse son concept, une situation pri-viIégiée. Mais ce privilege de I'homme de Ia réalité n'enfait nullement le personnage central que dénote seule l'uti-Iisation d'un concept propre de l'humanité. Les choses,rassemblées en une seule grande plaine uniforme, parlentd'eIles-mêmes, suscitant leur propre commentaire: nuIespace pour une figure de l'homme qui n'est nécessair~que comme lieu d'articulation entre mots et choses. Ce qmdans les siecles précédant le xvme a pu tenir fonction dediscours sur I'être humain ne requerrait pas un conceptpropre. Il y avait Ie mot, il y avait Ia chose, mais non cettefigure unique, précipité de langage, de vie et de travail. Il

~t pas non plus, contemporaine de I'homme~a rupture du xvme. siecIe ~nissant, cet événement

radical dont Foucault smt les sIgnes, les secousses, les

effets, peut être compris, en sa plus grande généralité,comme passage de l'espace au temps, ou comme introdu c-tion du temps dans l'espace. Le temps, qui n'était qu'unélément perturbateur de l'ordre, devient principe, et pré-lude à l'apparition finale du concept d'humanité.

La finitude que nous croyons incarner seuls, l'hommequi paraí't avoir toujours été, l'humanisme même sont desmoments d'une histoire, et ne peuvent donc prétendre à~ne validité ?ermanente. L'homme moderne n'est pas unetre tout-pUIssant, embrassant le réel par Ia force de sonpouvoir synthétique: il est cet être fini, à Ia marge d'uneexp.érie~ce qu'il ne maí'trise pas, ou il ne se reconnaí't pas,maIS qUI le constitue comme homme fini.

Foucault, dans ces pages célebres, oscille entre constatet souhait. Notre époque n'est pas seulement pour lui lemoment d'un nouveau commencement pour Ia philoso-. hie, qu'il désire reprendre autrement; il es.r aussi celui.4'une fin programmée de l'homme.-L'archéoIogic?n' , , Iaura qu accentue a pente naturelle de I'histoire duconcept d'homme vers sa dissoIution, elle n'aura quesouligné de son rire silencieux Ia mort prévisibIe etheureuse de l'homme, réduit à n' être que ce qui vas' effacer, « comme à Ia limite de Ia mer un visage desabIe » (Les mots et les choses,p. 398).

La situation de Ia philosophie aujourd'hui est final e-ment c0n:-parable à celle de Ia métaphysique à l'époque de~ant: « 11faut se réveiller de ce sommeil anthropolo-~Ique, comme jadis on se réveillait du sommeil dogma-tlque » (Dits et écrits I, p. 487). Le concept d'homme a une~et ~arcotique sur I'exercice de Ia philosophie; on pour-ralt dlre qu'il maintient Ia pensée dans un état de minoritéconfortable, puisque I'homme assure Ia tranquille unitédu rée1. Les sciences de l'homme ont fasciné et endormi

I hilosophie. Indiquer en quoi l'homme est mort, c'est:E!ectuer un nouveau geste critique qui, ~ I'instar du gestekantien, libere I'espace d'une autre pensee.

L'archéologie du savoirCe premier moment de I'c:euvre de Foucault se ter-

mine par l'Archéologie du savoir. Foucault tente, de

eprendre ici de maniere plus conceptuelle et sans s ap-r, I d'Wpuyer pour une fois sur des données historiques, e: . 1 e-rents instruments qu'il a utilisés dans les textes anteneu~s.Sans entrer dans le détail de cet ouvrage d'une gran~e dlf-ficulté retenons simplement deux éléments, qUI nous, I L ., "(seront utiles pour Ia lecture de Qu'est-ce ue es.. umle~es ..

Premier point: Ia mort de I'homme, condmon ~ un~

Utre pensée porte en elle Ia m0rt du suje1. cette notlon SIa, I' A

importante dans Ia philosophie moderne. Cel e-c! apparaltsignificativement non pas t~nt. dan~ Les mots et les~hoses,ouelle est certes évoquée, maIS jamaIS pour elle-men:-e, quedans L'archéologie ~u savoir, ce, qui lu~ confere ~e Impor~ , jtance méthodologlque supplementalre. Dans "/tion de ce texte F différenhistoire en voie de disparition, et que beaucoup regrette,celle qui « étai t en secr~t, mais, tout ,enti~re, référ~e à I'ac-tivité synthétique du sUJet» (Larc~eolo~le du savotr, p. 2~).L'archéologie comme mét o . n~trUIra~ u et ou p us exactement sans un su et Ul11 ue etll!Jjfj~s';git a ors de comprendre les ~Qdalj~diverse ' 'nonciation, Ia pluralité des formatlon~ dIS-cur mme le discours sur o Ie Ia dle ou'h sans en re erer à l'unité d'un su·et. De manieregénérale, un savOl Xlge ni ne renvoi~ à au~un ~< Jepense », ni à aucune origine qui le rendralt posslble: 11sesuffit à lui-même, prend sens horizontalement par les

rapports qu'il entretient avec le champ ou il est formulé, etnon verticalement par une prétendue dépendance àl'égard d'une subjectivité fondatrice. Dans le fidele constatde Ia mort du sujet, Ia philosophie peut être dépouillée - etc'est là sans doute l'essentiel- de son «narcissisme fonda-mental» (L'archéologie du savoir, p. 265)'

Second point: Foucault va progressivement se rendrecompte que Ia constitution d'un savoir est inséparabled'un ensemble de pratiques relevant d'un pouvoir. Vnobjet d'étude ne peut apparaitre que s'il a été isolé,contrôlé, maitrisé, soumis à une forme de coercition' ,inversement, le pouvoir ne peut s'exercer que s'il peutsusciter et permettre en parall<:~leun discours sur ce quien est le lieu d'application. Foucault va donc créer ceconcept inédit de savoir-pouvoir, qui exclut deux concep-tions nai"ves: Ia premiere qui croit qu'il faut d'abord pen-ser une réalité pour ensuite Ia soumettre; Ia seconde quiconçoit le pouvoir indépendamment de tout discoursd'auto-légitimation. Il y a bien, entre l'Archéologie dusavoir et Surveiller et punirun véritable tournant. Foucaultne parle plus alors d'énoncés, terme trop théorique, maisde dispositifs, nommant ainsi cette synthese complexe deconnaissances et de contraintes que Ia prison va incarner.

~ Analytique du pouvoirLe sujet, l'objectivité, les concepts, des domaines

entiers du savoir: tous ces éléments ont une histoire unegéographie, une relation à chaque fois spécifique ave~ despratiques sociales, des discours scientifiques et des institu-tions politico-juridiques. L'analytique de l'humain estI'étude de certains contenus discursifs, dont ceux quiétaient privilégiés dans Les mots et les choses.Mais cette ana-Iytique doit à présent être menée dans un souci d'intégrer

les dispositifs normatifs et les mécanismes institutionnelsqui ont construit un modele d'homme et l'ont imposé.

Surveiller et punir

Surveiller et punir a pour objet de comprendre com-ment Ia prison est apparue comme une évidence, etquelles en sont les conséquences eu égard à Ia construc-tion de I'homme moderne. L'ouverture du texte est saisis-sante. Foucault y relate longuement le supplice auquel unhomme, nommé Damiens, a été condamné le 2 mars1757. Puis, il expose I'emploi du temps de Ia Maison desJeunes Détenus de Paris, trois-quarts de siecles plus tardoD'un côté, au milieu du XVIIIe siecle, Ia sombre fête puni-tive, de l'autre, moins d'un siecle plus tard, Ia calmerigueur d'un reglement. Entre les deux, au momentmême ou l'homme et le fou sont nés, les supplices dispa-raissent, Ia punition perd sa visibiIité pour se trouvercachée et enfouie dans le processus pénal. Il n'importeplus de faire mal, de marquer Ie corps, mais d'utiIiser cecorps comme le vecteur d'une privation de liberté quiporte atteinte à un individu juridiquement majeur.

L'lústoire de Ia pénalité n'est done pas tellementIe réeit d'une humanisation des peines; elle est eeIuid'une humanisation de leu r objet, qui ne signifie pasforeément une diminution de l'intensité de Ia puni-tion ou de sa vioIenee. L'humanité, ainsi constituée enobjet du systeme pénal, n'est pas un concept seulementphiIosophique qui s'offrirait à l'exercice du pouvoir. Elleest parce que le pouvoir entre dans sa constitution, normepour I'humain. Le juge fait toujours bien pIus que juger:il porte une appréciation à prétention universelle sur ceque doit être I'homme. SU1'7Jeilleret punir peut donc êtrecompris comme une tenta tive de reconduire I'anaIyse des

Mots et les choses en intégrant cette fois les rapports depouvoir dans Ia genese de I'homme. Le déplacer:nent dupoint d'application du châtiment du corps vers cetteentité spirituelle qu'est l'homme permet un nouveaurégime de Ia vérité, une nouvelle façon d'appréhenderl'humain qui fonctionne en même temps comme justifica-tion du systeme pénal qui lui a donné naissance.

Naissance de Ia prison, naissance de l'homme. LesLumieres sont encore une fois le moment-clé de cettehistoire. Gn y conçoit que le criminel doit certes êtrepuni: mais il est homme, et son humanité est une fron-tiere à respecter par Ia puissance de Ia punition. Le XVIIIe

siecle aura été l'âge d'une nouvelle douceur duchâtiment; cela ne signifie pas encore que l'hommecomme objet identifiable et stabilisé par un savoir positifait été mis au cceur du systeme pénal, comme ce qu'ils'agit de transformer et de guérir. Mais déjà le crimineln'est plus seulement un corps à punir: il est d'abord uncitoyen, dont Ia faute remet en cause Ia société entiere àlaquelle il est uni par contrato Il n'est plus le hors-Ia-Ioiauquel on appliquera sans remords un traitement inhu-main; il est cet être qui s'est soustrait à ses obligationsde citoyen, et qu'une bonne économie du pouvoir doitsanctionner.

Peu à peu, le pouvoir va se doubler d'une relation deconnaissance. Le criminel, que l'acte exclut du pactesocial, est d'abord relégué à Ia sauvagerie naturelle; cepremier pas accompli, il pourra être tenu pour anormal,et donc l'objet potentiel d'un traitement scientifique. Lapunition de son côté, exigeant des tactiques d'interven-tion de plus en plus fines, va elIe aussi rendre nécessaireun savoir détailIé du criminel. Que ce soit dans l'organi-sation du pouvoir répressif ou dans Ia description de sa

cible, l'homme apparaít, au cceur d'un processus d'amé-nagement des techniques du pouvoir.

En tres peu de temps, Ia détention va s'imposer et rem-placer le lumineux théâtre punitif. L'appareil uniforme desprisons s'installe en à peine vingt ans, ou peut-être encoremoins. Gn peut bien sur expliquer en partie ce succes dusysteme pénitentiaire par Ia formation, à cette époque, desgrands modeles d'emprisonnement punitif. Mais pour quece systeme acquiere Ia force d'une évidence, une modifica-tion en profondeur du régime de Ia punition est requise. Ilaura falIu que Ia prison récupere les effets des codes disci-plinaires existants, ceux de l'école ou de l'hôpital; il aurafalIu que, d'instrument d'une bonne administration despeines, elIe se transforme en « une machine à modifier lesesprits» (Surveiller et punir, p. 128).

L'homme des sciences humaines est le fruit de l'exa-men, à Ia croisée d'un pouvoir normalisant et d'un savoirindividualisant. La démarche encore incomplete des Motset les choses est reprise ici, appliquée au plus banal desmatériaux, dans les archives de peu de gloire de Ia disci-pline. L'homme de Ia modemité est ainsi un individunormalisé. Il fonctionne dans un systeme binaire - nor-mal/anormal - impliquant des techniques et des institu-tions de contrôle et de correction des anormaux. Il estdans Ia norme qui s'impose, à chaque fois différemment, àIa diversité des individus, une norme à Ia fois puni tive,corrective et objectivante. Foucault ne prétend pas queles techniques disciplinaires sont des créations du XVIlI

e

siecle: il affirme seulement que leur systématisation à uneépoque déterminée produit un cercle, dans lequel pou-voir et savoir se renforcent réciproquement.

L'humanité et l'humanisme qui s'en réclame subissentici une critique beaucoup plus vigoureuse que dans

Les mots et les choses.Remettre en question Ia permanencedu concept d'homme, en faire une figure de sable entredeux vagues historiques provoquait déjà une sérieusedévaluation des sciences utilisant ce concept; mais leurrattachement à Ia discipline est plus cruel. Loin d'être Iafierté de l'homme, les sciences humaines « ont leurmatrice technique dans Ia minutie tatillonne et méchantedes disciplines et de leurs investigations » (Surveiller etpU~1r,.p. 227)· Le systeme pénal moderne est le passage à!a lll~llte de cette t~chnologie disciplinaire: interrogationmfime, analyse touJours reconduite de l'individu mesureperpétuelle de l'espace séparant Ia norme de l'~normalLa prison, c'est une école fermée, une caserne sans issue:, L~ ~rison ,devient laboratoire d'humanité. L'objet

d e~pene~~e n est pas le condamné défini par son crime,~als le delmquant, dont Ia vie importe plus que l'acte. LeblOgraphique s'installe dans le pénal: on s'intéresse auxcaracteres, ~~ comportements, pulsions et passions dec~a.que mdlvldu, on dresse Ia typologie naturelle desdelmquants, qui constituent peu à peu une classe nou-velle. La prison fabrique Ie délinquant, en tous Iessens du tenne, mais principaIement au sens ou eIlepro~ui.t d'eIle-même son objet, Ia déIinquance, qui vatemr heu de principe structurant du théâtre pénaIavec ses figures: juge, bourreau, condamné infrac~~eur. Et c'es: là que Foucault va introduire Ia the'se qui vaa nouveau declencher Ia polémique. Si "le systeme pénalp,erdure,'. ma!gré. so~ ineffic~cité mille fois proclamée,c est qu II dOlt lUI-meme aVOlrune fonction: isoler l'illé-galisme intolérable pour mieux laisser dans l'oubli celuiqu'on veut ou doit tolérer. L'échec du pénitentiaire estd'a?ord sa réu:site: p~oduire un type de délinquancesoclalement et economlquement utile et contrôlable. Le

délinquant est alors un sujet pathologisé, séparé, maí'trisé, Iaforme pure d'une humanité normalisée. On comprendpourquoi Ia critique des prisons a été l'une de~ ~onsta,ntesde l'action de Foucault. Il ne se contente pas ICI de rec1a-mer un adoucissement des conditions carcérales; il sou-ligne plutôt l'extraordinaire efficacité du systemecarcéral, qui produit et reproduit Ia figure du délinquant,qui sert alors de repoussoir à une société normalisée.

La volonté de savoir

Tres peu de temps apres Ia parution de Surveiller etpunir, Foucault publie le premier tome de son histoire deIa sexualité, La volonté de savoir. Cet ouvrage peut à Ia foisêtre lu comme une étude d'un pouvoir sur le sexe semanifestant dans le discours qui le prend pour objet etcomme amorce d'une généalogie du sujet, telle qu'elle vase construire dans les ouvrages suivants.

La volonté de savoir - c'est sa principal e nouveauté -abandonne le schéma binaire pouvoir/oojet. Le sexe iciconsidéré n'est pas l'objet créé par une lourde procédurede répression: il est l'effet d'une valorisation du corpscomme objet de savoir et éléments dans les rapports depouvoir. De maniere tres significa tive, cette émergencedu sujet sexuel, et l'explosion discursive qui lui est liée, seproduisent dans Ia même séquence historique qui a vunaí'tre le concept d'homme et Ia prison comme formegénérale de l'enfermement. Cela ne veut pas dire que lesexe est humaniste, mais que Ia condition de Ia sexualitécomme du discours sur l'homme, Ia finitude, apparaí't autournant des xvme et XIXe siec1es. Ce texte manifeste tou-tefois, par rapport aux ouvrages antérieurs, un so~ci ~'af-finer encore Ia notion de pouvoir. Foucault mdlquepourquoi Ia réalisation concrete d'un pouvoir sur les

pratiques sexuelles se fait bien plus par une proliférationdes discours sur Ie sexe que par une répression sirvple. Lamaltrise ne s'obtient pas ici par Ia contrainte ou I'interdit. ,malS par une construction scientifique qui se donne Iesexe pour objet d'analyse et éventuellement de correction.Le troisieme moment de I'reuvre de Foucault s'annoncedéjà: peu à peu s'impose l'idée qu'iI est nécessaire d'inter-préter Ie discours sur Ia sexualité, et donc de conduíre cequ'on appelle en phiIosophie une herméneutique.

~ Herméneutique du sujetLa volonté de savoir s'attache d'abord à réfuter ce que

Foucault appelle I'hypothese répressive. L'idée selonIaquelle Ia sexualité serait aujourd'hui I'objet d'unerépression est selon Iui absurde. PIus exactement: Iarépression n'est pas Ie moyen de maltrise de Ia sexuaIité Ieplus puissant. Au contraire: Ie sexe est depuis Ia fin duxvme siecle I'objet d'un intérêt considérabIe, d'une vaIori-sation moraIe et d'un souci scientifique tres fécond. Oncomprend alors que Ies concepts usueIs de I'anaIytique dupouvoir, qui fonctionnaient encore dans Surveiller etpunir, ne sont pIus adéquats. Foucault infléchit aIors Iadirection de Ia démarche archéologique, en Ia faisant por-ter directement sur Ie discours de Ia sexuaIité. Cetteinflexion traverse La volonté de savoir, et va même obligerFoucault à modifier en profondeur son projet d'une his-toire de Ia sexuaIité. Au Iieu de s'en tenir à ce qui étaitprévu - une histoire de I'expérience de Ia sexuaIité à partirde I'apparition de son concept, au début du XIXe siecle _Foucault élabore une généaIogie de l'homme dudésir. 11 va renoncer même à son idée initiaIe, et recen-trer Ie propos autour de I'Antiquité, période ou apparalt,en même temps qu'une réflexion moraIe sur Ie sexe Ia,

notion même de sujet éthique. L'usage des plaisirs et LeSOlteide soi sont Ies deux premiers moments de cette his-toire; Les aveux de Ia chair, qui devait porter sur Ie débutdu christianisme, en aurait constitué, si Foucault avait euIe temps de le terminer, l'ultime étape.

Foucault ajoute au couple savoir-pouvoir un troisiemeélément, le plaisir, mis en rapport avec Ie discours sur Iasexualité humaine. L'objet de I'enquête va donc être àprésent non seulement ni principalement I'histoire dudispositif par lequel un pouvoir, qui est toujours en mêmetemps un savoir, du sexe se construit, mais ce queFoucault appelle une histoire de 1'« éthique », c'est-à-direune « histoire des formes de Ia subjectivation morale etdes pratiques de soi qui sont destinées à l'assurer » (Lavolonté de savoir, p. 19). Le statut du sujet n'est pas réhabi-lité dans cette histoire, ni sa souveraineté restaurée; tou-tefois iI devient Ia source du discours sur le sexe et ce quiorga~ise le jeu des dispositifs du savoir-pouvoir-plaisir.Le discours de Ia sexualité est toujours un discours dusujet sur Iui-même comme être sexuel. La recherche fbu-caldienne ne renonce pas à établir Ies a pri01~i historiquesqui conditionnent et rendent intelligible I'émergence deIa sexuaIité comme theme; mais elle redouble son efforten élargissant ces a priori vers Ie champ d'historicité, plusIarge, plus complexe, qu'élabore « Ia maniere dont l'indi-vidu est appelé à se reconnaltre comme sujet moral de Iaconduite sexuelle » (L'usage de plaisirs, p. 36). Par cetteélucidation de Ia subjectivité morale se construisant danset par le développement de Ia cuIture de soi, Ie lourd dis-positif qui sous-tend I'hypothese répressive et queFoucault s'attache à réfuter est remplacé par une configu-ration plus fine. Le sujet du sexe n'est plus rapporté àce qui est censé bomer son désir, mais à une sensible

inflexion de I'éthique de Ia maitrise de soi vers Ianécessité d'un discours sur soi.

Foucault le reconnaí't: cette étude nouvelle lui a faitbeaucoup plus de difficuItés que les ouvrages antérieurs.Les Iongues et passionnantes anaIyses du discours sur Iespratiques sexuelIes, nourries d'informations historiques etphilosophiques tres nombreuses, témoignent toutefois deIa réussite du projeto Le souei de soi, derniere ceuvre pubIiéepar Foucault, manifeste même une belIe élégance dustyle, en même temps qu'une densité d'analyse qui Iaissedeviner ce qu'aurait pu être l'achevement de cette histoirede Ia sexualité.

eonférences, interventions en tous genres. Le recueil estexhaustif, et respecte Ia voIonté de Foucault, qui avaitexpIicitement demandé qu'on ne publie pas de textesposthumes, dont il n'aurait p~s pu terminer I'éI~boratio~.Les textes qui, dans Ie recueIl, datent des annees poste-rieures à sa mort (1984-1988) ont donc bien été réviséspar FoucauIt, même si Ieur premiere pubIication est pIustardive.

Sont toutefois excIus du recueiI Ies cours du Collegede France, dont Foucault n'avait pas permis Ia diffusion,Ies entretiens posthumes et Ies nombreuses pétitions queFoucauIt a signés et Ia correspondance privée. Tous Iestextes sont cIassés dans un ordre chronologique de paru-tion, sans regroupement thématique. Les articIes ouconférences en Iangue étrangere sont bien entendu tra-duit, quand une version française n'en existe pas. Enfin,pIusieurs index, une chronoIogie des ceuvres et unebibliographje de FoucauIt compIetent l'ensemble.

Quelle importance accorder à cet ouvrage? Quatrearguments nous semblent justifier qu'on s'y intéresse:.

- Les articIes et entretiens publiés en même temps queles ouvrages principaux apportent souvent des précisionset des écIaircissements utiIes. Sans rien ajouter de fonda-mentaIement nouveau, Foucault fait souvent l'effort dereformuler ses theses dans un mode plus accessibIe, ou detenir compte des objections qui lui ont été adressées. Lerecueil serait déjà bien utile à ce seul titre.

- FoucauIt tente à pIusieurs reprises d'expIiquer sonitinéraire. Il revient donc sur Ie travaiI accompli, Ie reIieIui-même à ceIui en cours, annonce ce qu'il va faire, sou-ligne Ies inflexions de sa pensée, reconnaí't même seserreurs. L'honnêteté de Foucault est sur ce point totaIe.La nature même de sa pensée, toujours en recherche, le

3· - Qu'est-ce que Ies Lumieres?r<::::::,.> Les Dits et écrits

Nous avons parcouru rapidement Ies ouvragesmajeurs de MicheI Foucault. Le texte que nous avonschoisi comme porte d'entrée dans cette ceuvre - Qu'est-ceque les Lumih'es? - n'en est pas extrait. Il prend place dansun Iarge recueiI des interventions orales et écrites deFoucault, intitulé les Dits et écrits. Il convient done d'indi-quer ici Ia nature et Ia fonction de cet ouvrage, qu'il nefaudrait pas trop rapidement reIéguer à Ia marge du tra-vaiI de Foucault.

L'édition des Dits et écrits a été réalisée par DanieIDefert, François EwaId etJacques Lagrange, en 1994. Lapremiere édition comprenait quatre volumes, Ia seconde,parue en 2001, n'en comprend que deux, Ie premier cou-vrant Ies années 1954 à 1975, le second les années 1976 à1988. Les textes ici rassembIés sont de natures tresdiverses: préface ou introduction, entretiens, articIes,

conduit à un trajet philosophique qui n'a rien de recti-ligne. Il pourrait tenter d'en faire une synthese artificiel1e,mais il préfere insister lui-même sur son caractere tâton-nant. Cette lucidité nous permet de mieux saisir lesmodalités singulieres de Ia pensée de Foucault.

- Les interventions politiques de Foucault sont tresnombreuses. Soutien à des causes tres diverses, mouve-ments de protestation, lettres ouvertes et articles:Foucault considere, on le verra, que Ia fonction de l'intel-lectuel n'est pas de délivrer un message ou une solutiondéfinitive aux problemes de l'actualité, mais de s'inscriredans ce qui existe déjà, pour y apporter un éclairage sup-plémentaire.

- Enfin, certains textes sont remarquables parce qu'ilsintroduisent des idées totalement nouvel1es, qui ne pour-raient pas intégrer un ouvrage particulier, par Ia précisionde leur objet ou par le style d'analyse qu'elle requiert.Plus encore: Foucault dévoile dans ses textes courts lesfondements philosophiques de son travail, alors quecelui-ci prend une tournure tres historique dans sesgrands ouvrages. On trouve donc ici de nombreuses réfé-rences, souvent assez classiques - Freud, Kant, Marx,Nietzsche surtout. Finalement, ces textes sont beaucoupplus proches de ce que l'on peut lire généralement enphilosophie que ne le sont Les mats et les chases ouSUnJeiller et punir, plus faciles également à comprendre.

Au-delà de ces quelques remarques, les Dits et écritsconstituent une samme philasaphique, au sens ou Foucault ymet en pratique ce qu'il considere être Ia vocation pre-miere de Ia philosophie: tenter de penser autrement. Lestyle souvent vigoureux de ces textes n'est que le moyen dedéplacer les cadres de Ia pensée, l'instrument d'une modi-fication des valeurs tenues pour vraies. PIus profondé-

ment: l'exercice de Ia phiIosophie n'a de sens que sion en sort changé. Dans Ies mots de Foucault: « c'estde Ia phiIosophie [... ] tout Ie travail qui se fait pourpenser autrement, pour faire autre chose, pour deve-nir autre que ce qu'on est. » (Dits et écrits 11, p. 929)

Dernier point: les Dits et éerits sont un ouvrage d'ex-périmentation politique. Foucault y ~et e~ .pra.tlque sadéfinition de l'intellectuel: être celm qm mdlque lesangles d'attaques de ce qui se donne comme nor~e etnormalité. L'archéologie est au fond une entrepnse defragilisation de Ia réalité, qui donne des ar:nes pou~ enchanger, quand cela s'avere nécessaire. Les mterventlonsde Foucault ne proclament aucune vérité, n'énonc~ntaucune solution: elles dégagent simplement Ia contln-gence et le caractere finalement réce~t des contraintesqui pesent sur notre liberté et notre eXlstence.

~ Qu'est-ce que les Lumi'eres? Une .nouvelle définition de Ia phiIosophie

Venons-en enfin au texte que nous allons lire et com-omenter. Qu'est-ce que les Lumieres? n'est pas un titre queFoucault a inventé, mais Ia reprise à l'identique du titred'un court texte d'Emmanuel Kant, datant de 1784, surleque! Foucault va prendre appui pour proposer sa propreconception des Lumieres. Les Dits et écrits repren~ent.letexte que Foucault a écrit en français bien sii~, ma~s q.Ulaété publié en anglais dans un ouvrage collectlf qu~ 1m estconsacré: The Faucault Reader, édité par Paul Rabmow etparu à New York, chez Pantheon Books, .en 1984, L:revue française Le magazine littéraire a par al1leurs do~~une version plus courte de ce texte, que Foucault a utlhseune premiere fois pour son cours au College de France du5 janvier 1983. Nous reproduisons ci-dessous les pages

13SI à 1397 du second tome des Dits et éerits en Quarto-Gallimard.

Pourquoi ce texte? Qu'essaie de faire ou de montrerFoucault à partir de sa Iecture de Kant? Avant de présen-ter un résumé détaillé de cet écrit, retenons déjà cesquelques traits caractéristiques. Tout d'abord, et c'estl'essentieI, Qu'est-ce que les Lumieres? est une tentatived'élaboration d'une définition de Ia philosophie. Plusexactement: Foucault voit dans Ie texte de Kant Qu'est-ceque les Lumieres? I'apparition d'une attitude inédite de Iaphilosophie à I'égard de son actualité, dans Iaquelle il sereconnaí't. Le travail de Ia phiIosophie consiste à dia-g;nostiquer Ie présent, c'est-à-dire à poser Ia questionde notre propre identité, et celle de notre temps. )

La question kantienne n'a rien de purement circons-tancieI: elle exprime et condense un ensemble d'interro-gations - gu'est-ce g~pass.e-~I1-ce-lIloment? Qu'est-ce ~qui nous arrive? QueI est ce monde oj:L.nousvivons ? - enleur conférant ~ statut philosophique qu'elles n'avaientpas auparavant. La puissance de rupture d'une tellemaniere de penser son objet apparaí't encore plus claire-ment quand on compare Ia question kantienne à celle queDescartes mettait au centre de Ia seconde Méditation: iIne s'agit plus de se demander « qui suis-je, moi quipense? », en espérant par Ià élucider Ia nature de ce que jesuis, comme sujet à Ia fois uni que mais universeI et anhis-torique; iI s'agit Iutôt de se demander, de nous deman-der « qui sommes-nous .-;.;., en tant que témoins de cesiecle des Lumieres. Il n'y a pas dans cette transformationde l'une des questions centrales de Ia philosophie undévalement journalistique qui assignerait à Ia pensée unrôle utile, mais finalement négligeable de compréhension

des événements contemporains; dans Ia mamere parIaquelle Kant pose Ia question des Lumieres, iI faut voirI'élaboration, universelle mais historique, formelle maisconcrete, d'une disposition nouvelle de Ia philosophie àI'égard de I'objet que Ia modernité Iui confie, et qui nepeut être que son présent.

Lecture de Kant et définition de Ia philosophie: teIssont Ies deux bornes du texte, qui fonctionne donc demaniere circulaire. Le moment kantien n'est étudié quecomme indice d'une perturbation plus fondamentale de Iapensée, qui coincide et définit ce qu'on appelle Ia moder-nité. Entre Kant et sa propre conception de I'attitude phi-Iosophique, Foucault va donc nature entin.t.é.gr.er...l!IlerMLexion sur Ia notion de modernit~, cette fois ' travers

~...!l~~s...ture <!.~~elaire_._Çe faisant, Foucault indi ue_~ll~.-k..Rhé!!:om~nep'est pas stric~..e~ent philosophique,mais _touche égalemen!; Ie domaine de I'art, ou iI est

-._-' -d'ailleurs peut-être encore Ius manif~' . -~

-- --e plan du texte est on le voit tres simple: un premiertemps consacré à Kant; n second moment reliant Ia .question des Lumieres \ celle de Ia modernité par uneréférence à Baudelaire; une troisieme étape, Ia plusIOI~~e et Ia plus intéressante, consacrée à Ia définition de~de Ia philosophie. On qualifie par ce terme grecI'attitude, ou Ia disposition propre à Ia philosophie. Celle-ci peut alors être caractérisée comme « une critique de ceque nous disons, pensons et faisons, à travers une ontolo-gie historique de nous-mêmes » (--p. SI). Cela signifieque Ie travaiI de Ia philosophie est à Ia fois une recherchesur Ies conditions d'apparition de ce qui fait notre présentet une tenta tive de Iibération, à travers Ia révélation ducaractere contingent et fragile de ce qui nous semble êtredes contraintes.

« Travail de nous-mêmes sur nous-mêmes en tantqu'êtres libres» (~p. 82) : Ia philosophie trouve matiere àl'action, dans des interventions ponctuelles, souvent poli-tiques. Cela n'indique aucun renoncement à Ia patiencedu concept et aux difficultés de Ia pensée; mais cette tâcheminutieuse, celle-Ià même qui fait l'étoffe des grandslivres de Foucault, doit s'articuler à une critique plusconcrete, seule à même de donner forme à « l'impatiencede Ia liberté ».

Qu'est-ce que les Lumieres? peut enfin être com-pris comme un autoportrait du philosophe, oucomme une autojustification de Ia pensée de MicheIFoucault. En déterminant ce que doit être selon lui Iaphilosophie, Foucault montre en effet que, malgré lesapparences, ce qu'il a tenté de faire au long de son ceuvreétait bien de Ia philosophie. IJêthos de Ia philosophie estdécrit dans ce texte de telle maniere qu'il fasse écho, pourle lecteur, à ce que Foucault a entrepris dans I'Histoire deIa folie, Les mots et les choses ou Surveiller et punir. On levoit, Ia lecture de ce bref texte est à maint égard instruc-tive: Foucault, dont c'est l'un des ultimes écrits, a atteintalors une pleine conscience de Ia valeur et de l'influencede son ceuvre. Il est temps pour lui de dire pourquoi il atant travaillé, et surtout pourquoi il peut se dire philo-sophe, même si sa modestie I'empêche de I'écrire.

lecture de Kant et d'une réflexion sur ce qui fait Ia spéci-ficité de Ia philosophie moderne issue des Lumieres. Onpeut dire que le Qu 'est-ce que les Lumieres ? de Foucault estconstruit comme une longue note marginale au Qu'est-ceque les Lumieres? de Kant, qui fournit tout à Ia fois l'objetdu texte, son point de départ et son aboutissement. Onpeut en une premiere approche découper I'argumenta-tion en cinq temps:

- une introduction destinée d'une part à situer letexte kantien et à indiquer en quoi Ia question posée àKant et par Kant peut être interprétée comme l'acte fon-dateur de Ia philosophie moderne;

- une Iecture de l'opuscuIe de Kant, s'articulant entrois moments: une présentation du contexte historiquede l'intervention kantienne; une élucidation de l'origina-lité de Ia réponse kantienne comme questionnement surI'actualité; une série de questions, (quatre en tout), poséesà Kant, qui vise à souligner les difficultés de Ia positionkantienne;

- une tentative de définition de Ia modernitécomme attitude, ou comme êthos de Ia pensée à l'égardde son présent. Apres une courte transition explicative,Foucault s'appuie sur Ia référence à Baudelaire pour don-ner un contenu plus concret à ce qu'on appelle mo der-nité, identifiée ici à une forme d'héroisation du présent;

- Ia caractérisation de l' êthos philosophiquecomme critique permanente de notre être histo-rique. Ce quatrieme temps, qui constitue sans doute lecceur du texte, s'appuie sur une argumentation beaucoupplus dense et difficile que dans les pages précédentes. Onpeut en reconstruire Ia logique ainsi: Foucault indiquetout d'abord l'enracinement dans les Lumieres du nouvelêthos de Ia philosophie; puis il en donne une premiere

4. - Résumé du texte~ L'itinéraire

IJitinéraire du texte est d'une grande simplicité. Ladémarche de Foucault consiste à présenter une définitionde l'attitude et du travail de Ia philosophie à partir d'une

détermination, strictement négative, en réfutant Ia tropcommune identification entre humanisme et Lumieres;enfin, il en fournit une approche plus positive dans Ia des-cription de son travaiI critique; ,

- une conclusion tres breve, ou Kant est pensecomme Ia source d'une maniere de concevoir Ia philoso-phie qui n'est pas sans efficacité politique.

Kant n'est pas Ie premier philosophe à entreprendre unetelle démarche. Mais contrairement à ses prédécesseurs -Platon, Augustin ou Vico - Kant ne s'attache pas à liredans son actualité I'amorce d'un événement attendu ouI'aurore d'une nouvelle ere. Les Lumieres sont aucontraire un terme, une issue, une sortie, bref une rup-ture avec ce qui était encore vrai hier.

I! convient donc d'indiquer ce qui dans le texte nouspermet de comprendre comment Kant pose Ia questiondu présent. Premier élémem à retenir ici : Kant caracté-rise les Lumieres comme sortie d'un état de mino-rité, c'est-à-dire d'une situation ou nous soumettonsnotre volonté à l'autorité d'autrui alors même que nouspourrions faire usage de notre raison (par exemple quandnous soumettons notre réflexion morale à un directeur deconscience). Cette sortie de Ia minorité est à Ia fois unprocessus en cours et une obligation pour Ia pensée. Lepassage à Ia majorité d'une raison autonome ne se feradonc pas mécaniquement, mais par un acte de courageque chacun est appelé à effectuer personnellement.

Kant emploie ici le terme d'humanité pour désignerl'acteur de ce bouleversement, par quoi on peut entendreen même temps I'ensemble des hommes et ce qui fait Iepropre de I'homme. L'humanité ne devient majeure qu'aumomem ou l'obéissance due aux autorités ou aux obliga-tions de sa fonction s'accompagne en chaque hommed'une capacité à raisonner par soi-même. Kant fait alorsintervenir une distinction tres curieuse et problématique,celle existam entre I'usage privé et l'usage public de Ia rai-sono Par Ie premier iI entend l'utilisation de sa raison dansle cadre d'une fonction ou d'un rôle social: le pasteur encharge d'une paroisse, Ie soIdat, le fonctionnaire, lecitoyen. Dans ce cadre, Ia raison doit se soumettre aux

r"::>' IntroductionLes journaux d'aujourd'hui ne se hasardent pas à poser

à leurs lecteurs des questions dont ils ne connaissent pasdéjà Ia réponse. Au XVIIIe siecle, iI n'en était pas ainsi, et IaBerlinische Monatschrift publie ainsi, en décembre Iaréponse de Kant à Ia question suivante: Qu'est-ce que IesLumieres? Apres Kant, des penseurs aussi divers queHegel, Horkheimer, Habermas, Nietzsche et Weber s.esont confrontés à une telle interrogation: on pourraltmême dire que Ia philosophie moderne se définit par Ie faitde se poser Ia question - qu'est-ce que les Lumieres. AvecKant, quelque chose de nouveau est discretement apparudans Ia philosophie, et dont il va falloir rendre compte.

r"::>' Kant et les LumieresLe premier intérêt de Ia réponse kantienne est de ne

pas être isolée. Peu de temps auparavant, MosesMendelssohn avait Iui aussi proposé une définition desLumieres, en tentam de dégager Ie fond commun entre Iapensée juive qu'iI représente et Ia culture allemande.Tentative de conciliation que Ies drames du xxe siecleréduiront à néant.

L'imérêt principal du texte n'est toutefois pas Ià. I!réside bien plutôt dans Ia maniere dom Ie texte de Kantessaie de réfléchir à son propre présent. Bien entendu,

contraintes liées à ces différents statuts: non pas se sou-mettre aveuglement aux ordres, mais respecter d'abordl'exigence de Ia fonction. Vn pasteur, quand il prêchedevant ses fideles, ne doit pas donner son analyse propredes dogmes religieux mais en présenter une conceptionneutre et orthodoxe. En revanche, quand l'homme rai-sonne en tant qu'homme, il n'y a aucune borne au libreusage de Ia raison, qualifié ici d'usage publico Notre pas-teur peut tres bien rendre publique une critique des textesreligieux, tant qu'il ne parle pas en tant que pasteur.

La derniere difficulté est plus directement poli tique :comment permettre cet usage public de Ia raison dansune société despotique comme l'est encore celle de Kant,si ce n'est en soumettant le despotisme lui-même auxprincipes de Ia raison universelle ?

velJe tâche· penser « aujourd'hui ». Et c'est en cela queKant esquisse I'attitude propre de Ia modernité.

La modernité n'est pas une époque, mais une atti-tude à l'égard de I'actualité. Baudelaire en donne Iadéfinition suivante: être moderne, c'est saisir dans lemoment présent I'éternité qui s'y cache, ou encore sentirI'héroisme de ce présent. Cette démarche ne consiste pasà sacraliser le présent, mais à dégager de Ia mode « cequ'elle peut contenir de poétique dans I'historique »

(~ p. 74). Il n'y a pas non plus dans cette attitude un res-pect ou une idolâtrie du présent: le présent n'est l'objet deIa pensée que parce qu'iI doit être transformé, ce qui n'estpossible que pour un esprit qui aura su en capter Ia teneur.

La modernité baudelairienne ne se limite pas à ce rap-port au présent. Elle est méditation sur soi et élaborationde soi-même comme objet à modifier: l'homme moderneest « celui qui cherche à s'inventer lui":même » (~p. 75)·Même si Baudelaire considere que seull'art peut être lelieu d'une telle invention, rien n'interdit d'en faire unetâche pour Ia philosophie.

r<:::::,.> Une nouvelle définitionde Ia philosophie

Qu'est-ce que faire de Ia philosophie aujourd'hui?Certainement pas être fidele aux contenus doctrinaux desLumieres, qui ont bien mal vieilli; mais une fidélité d'unautre type, qui consisterait à réactiver son attitude spéci-fique, son êthos.

Comment décrire cette disposition propre de Ia philo-sophie? Premier point que Foucault tient à préciser: i1n'est pas question ici d'être pour ou contre IesLumieres, mais de mener patiemment un travail pIusIong et compIexe sur ce qui constitue aujourd'hui Ia

r<:::::,.> La modemitéQu'est-ce que les Lumieres? ne dit pas Ia vérité des

Lumieres. Mais il exprime ce qui au fond est Ie tout de Iapensée kantienne: réfléchir aux conditions d'un usage légi-time de Ia raison, c'est-à-dire faire ce que Kant appelle unecritique. Foucault le dit d'une belle formule: «La Critique,c'est en queIque sorte Ie livre de bord de Ia raisondevenue majeure dans l'Aufkliirung; et inversement,I'Aufkliirung, c'est I'âge de Ia Critique. » (~p. 70).

Le texte se présente en même temps comme uneréflexion sur I'histoire. À l'articulation de Ia critique et deIa pensée de l'histoire, on peut Ie concevoir comme unesynthese tres spécifique entre Ia préoccupation théoriquequi est celle de toute critique, l'attention à I'histoire etl'interrogation du moment que le phiIosophe est en trainde vivre. La Qhilosgph~oit un nouvel et un

nécessaire autonomie de Ia raison Resp", . ecter ddeVlse des LUl1lleres - ose savoir! - et non ce ' II

1 . qu e espu proposer comme so utlons ou comme conce'1' "1 1: ,. 1 pts.e ement qu 1 laut preclser: es Lumieres ne son .'fi bI 'I'h . D' t pastl a es a umarusme. une part parce que ces

mouvements sont trop complexes et souples pour ~plement confondus; d'autres part parce que I'hu~treest. même peut-être, par sa soumission à une conceumlatérale de I'homme, opposé à l'esprit critiL ., L 'fi' 1 queUl1lleres. a re eXlOnsur es Lumieres doit pou\' .til' de ces fausses alternatives et ces confusions :.

Plus positivement, I'êthos de Ia philosophie «

carac.tériser comme Ul~e atti~e limite » (~p. 80)questlon proprement phllosophique aujourd'hui estse savoir quelle est Ia part de Ia contingence et de l'traire dans ce qui nous est présenté comme des connécessaires. Le travaiI va être généalogique et arch'gique: pourquoi pensons-nous ce que nous pensanspourquoi nous ne pourrions pas penser et agir autremLa critique du présent devient ouverture d'un avenir .rent, relance du « travaiI indéfini de Ia liberté » (~p.Ce travaiI ne peut toutefois pas se contente r d'êtreanalyse théorique et historique des conditions d'élation de notre pensée présente (comme Ie sont Lesles chosesou Surveiller et punir) ; il faut que l'attitudephilosophie se fasse expérimentale, c'est-àqu'elle sache identifier les angles d'attaque de Ialité, là ou sa fragilité pennettra une action effi

Attitude limite, attitude critique: Ia philosophie« une épreuve historico-pratique des limites quepouvons franchir, et donc comme travaiI de nous-mAsur nous-mêmes en tant qu'êtres Iibres ». (~p. 82) Ce.vaiI peut paraitre bien Iimité, et peu digne des préten

. .;ophie àla rationalité et à l'universalité. Mais onIAphdo A • , •

)li Je merncen dresser un portraIt systematlque, ett tout . 11 L' . d 1. ~tre caractéristiques essentle es. enJeu e a

r qV'e est depenser à nouveaux frais Ia liberté et les• OSOpo' . 'dde pouvoir en tenant compte de Ia compleXIte e

-: soP ~omog;néitéréside ~ans celle de ~~n objet: ~es

dfatlonalité qui orgarusent les mameres de falre

~ e . d I' .,, les du leu. Sa systématicité est ans orgamsatlonles reg , l' d . l'ée qu entretiennent entre eux axe u saVOlr, axe

vojf et l'alte de I'éthique (qui sont, on I'a vu, les~u oJ1lentsde l'ceuvre de Foucault). Sa généralité enfin,15m bl'" ,suf sa perl1l.anencedes pro ematlques reperees par

analyse pistorico_critique que mene Ia philosophie.

Conc1usionous pe somlhes pas devenus majeurs. Mais l'interro-

tiao du présen.t inauguré par Kant nous donne de com-dre ce que peut être une vie philosophique. Vie de. et d'enquête qui, dans un lent travail de sape

ce qui se Prétend limite, est une vie de liberté.

m"-LA QUESTION DES LUMIERES

DANS L'HISTOIREDE LA PHILOSOPHIE

I. - La définition des Lumieresau XVnle siecle

r<:::::::,> La figure du philosopheSous I'apparente neutraIité d'une définition de

I'éclectisme - un mouvement de peu d'importance de IaphiIosophie antique - Diderot dresse un portait du phiIo-sophe des Lumieres. La dimension critique et le refus detoute fausse autorité y sont essentiels comme ils Ie serontchez Kant.

L'éclectique est un philosophe qui, foulant aux piedsle préjugé, Ia tradition, I'ancienneté, le consentementuniversel, l'autorité, en un mot tout ce qui subjugue Iafoule des esprits, ose penser de lui-même, remonteraux principes généraux les plus c1airs, les examiner, lesdiscuter, n'admettre rien que sur le témoignage de sonexpérience et de sa raison 1... 1 L'ambition de J'éclec-tique est moins d'être le précepteur du geme humainque son disciple; de réformer les autres, que de seréformer lui-même.

DIDEROT, Notice « Écléctique » de l'Encyclopédie,(Euvres completes, t. VII, Paris, Hermann, 1976, p. 36.

~ L'optimisme des LumieresL'un des traits Ies pIus caractéristiques de I'esprit des

Lurrueres est son optimisme quant à I'avenir de I'humanité.Cet aspect est particulierement visible dans ce texte deCondorcet, écrit dans Ia prison ou Robespierre I'avait jeté:il exprime une foi inébranlable en I'homme, fondée sur Iaconscience du caractere exceptionne1 de Ia RévoIution.

Tout nous dit que nous touchons à I'époque d'unedes grandes révolutions de I'espece humaine. Qui peutmieux nous éclairer sur ce que nous devons enattendre; qui peut nous offrir un guide plus sOr pournous conduire au milieu de ses mouvements, que letableau des révolutions qui I'ont précédée etpréparée? L'état actuel des lumieres nous garantitqu'elle sera heureuse; mais aussi n'est-ce pas à condi-tion que nous saurons nous servir de toutes nos forces?Et pour que le bonheur qu'elle promet soit moins che-rement acheté, pour qu'elle s'étende ave c plus de rapi-dité dans un plus grand espace, pour qu'elle soit pluscomplete dans ses effets, n'avons-nous pas besoind'étudier dans I'histoire de I'esprit humain quels obs-tacles nous restent à craindre. quels moyens nous avonsde les surmonter?

CONDORCET, Esquisse d'un tableau historique des progresde l'esprit humain, Paris, GF, 1988, p. 89.

~ Les Lumieres, majorité de Ia raisonLe texte de Kant que FoucauIt commente est certaine-

ment I'écrit philosophique le pIus puissant et intéressantqui ait été écrit sur Ies Lumieres. Kant définit I'attitudepropre aux Lumieres comme un;;;dac~ de Ia rais~n.

LA QUESTION DES LUMIERES

DANS L'HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE

, 'n"lancipant de toute soumission trop faciIe, rejetant les·e..... , . PI '..;;- tien des maitres à penser et a agIr. us qu unfu@sOO .' , . .

__ Ies Lumieres manrfestent un etat d espnt, qm secontenu, . ~confond ave c Ia phiIosophIe meme.

Les Lumieres, c'est Ia sortie de /'homme hors de /'état de tutelledotlt il est lui-même respotlsable. L'état de tutelle est I'incapacitéde se servir de son entendement sans Ia conduite d'unautre. On est soi-même respotlsable de cet état de tutelle

uand Ia cause tient non pas à une insuffisance de I'en-~ndement mais à une insuffisance de Ia résolution etdu courage de s'en servir sans Ia conduite d'un autre.5apere aude! Aie le courage de te servir de ton propreentendement! Voilà Ia devi se des Lumieres.

MNT, Qu'est-ce que les Lumieres?, tr~d. PoirierlProust,Pans, GF, 1991, p. 43·

~ La religion au-dessus des LumieresL" .1L'Aufklarung al1emande, contrairement aux umle~re~ _

françaises, n'est pas hostiIe à Ia religion. El1e t~nd pl~tot aun compromis entr jJhil.osophie et théoIogle, qm. peutamener parfois à préférer Ia foi, porteuse ~our certams deIa vraie vocation de I'humanité, aux enselgnements de Iaraison. C'est Ie cas de cSes clssohn..qui, comme

@erder,. eut êtr nsidéré eomme un critique des,~y I L "Lumieres dans es umleres.---------

Lorsque les destinations essentielles de l'hommesont entrées malheureusement en conflit avec sespropres destinations accessoires. lorsqu'il n'est pas per-mis de répandre certaine vérité utile et qui est I'orne-ment de l'homme sans abattre les principes de religionet de moralité qui sont en lui, alors le partisan vertueux

LA QUESTION DES LUMIERES

DANS L'HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE

c<:::::"J L'optimisme des LumieresL'un des traits les plus caractéristiques de l'esprit'des

Lumieres est son optimisme quant à l'avenir de l'humanité.Cet aspect est particulierement visible dans ce texte deCondorcet, écrit dans Ia prison ou Robespierre l'avait jeté:il exprime une foi inébranlable en l'homme, fondée sur Iaconscience du caractere exceptionnel de Ia Révolution.

...iimancipant de toute soumission trop facile, rej~tant lefaux soutien. des maÍtres à penser et à agir. Plus qu'unc~ntenu, les Lumieres manifestent un état d'esprit, qui seconfond avec Ia philosophie même.

Tout nous dit que nous touchons à !'époque d'unedes grandes révolutions de l'espece humaine. Qui peutmieux nous éclairer sur ce que nous devons enattendre; qui peut nous offrir un guide plus sur pournous conduire au milieu de ses mouvements, que letableau des révo!utions qui l'ont précédée etpréparée? L'état actuel des lumieres nous garantitqU'elle sera heureuse; mais aussi n'est-ce pas à condi-tion que nous saurons nous servir de toutes nos forces?Et pour que Ie bonheur qu'elle promet soit moins che-rement acheté, pour qU'eIle s'étende avec pIus de rapi-dité dans un pIus grand espace, pour qu'elle soit pluscomplete dans ses effets, n'avons-nous pas besoind'étudier dans l'histoire de I'esprit humain quels obs-tacles nous restent à craindre, quels moyens nous avonsde les surmonter?

Les Lumieres, c'est Ia sortie de /'Fromme Frorsde /,état de tutelledont il est lui-même responsable. L'état de tutelle est I'incapacitéde se servir de son entendement sans Ia conduite d'unautre. On est soi-même responsable de cet état de tutellequand Ia cause tient non pas à une insuffisance de )'en-tendement mais à une insuffisance de Ia résolution etdu courage de s'en servir sans Ia conduite d'un autre.Sapere aude! Aie le courage de te servir de ton propreentendement! VoiIà Ia devise des Lumieres.

KANT, Qu'est-ce que les Lumieres?, trad. PoirierlProust,Paris, GF, 1991, p. 43.

CONDORCET, Esquisse d'un tableau historique desprogresde l'esprit humain, Paris, GF, 1988, p. 89.

c<:::::"J La re1igion au-dessus des Lumieres.I

UAufklarung allemande, contrairement aux Lumieres t _

françaises, n'est pas hostile à Ia religion. Elle tend plutõt à -un compromis entr philosophie et théologi~ qui peutamener parfois à préférer Ia foi, porteuse pour certains deIa vraie vocation de l'humanité, aux enseignements de Iaraison. C'est le cas de QS~Wm.qui, comme

@êrder:v eut êtr nsidéré eomme un critique des,Lumieres dans les Lumieres.--------

c<:::::"J Les Lumieres, majorité de Ia raisonLe texte de Kant que Foucault commente est certaine-

ment l'écrit philosophique le plus puissant et intéressantqui ait été écrit sur les Lumieres. Kant définit l'attitudeI?ropre aux Lumieres comme un~~ ~e ia ;a;s~~,

Lorsque Ies destinations essentielles de I'hommesont entrées maIheureusement en conflit avec sespropres destinations accessoires, Iorsqu'iI n'est pas per-mis de répandre certaine vérité utile et qui est l'orne-ment de l'homme sans abattre les principes de religionet de moralité qui sont en lui, alors le partisan vertueux

des Lumieres procédera avec prud 'préférera tolérer le pré]'uge' I t:

nceet precaution et

A p u ot que de chmeme temps Ia vérité' " asser enqUI est SI solidement attachée

, MENDELSSOHN, Que si ifi 'I' Z '10 AlIfkliirung, Les LlImieres alll!'fHar:dese;:;

lre2i: trad. Raulet,, IS, , 1995, p, 21,

2. - Le débat autour des Lumi'., eresau :xxe slecle

r<:::::,.> Que reste-t-i! des Lumíeres?Edmund Husserl, !'un des hilos h '

tants du xxe siecle 'd' p ~p es les plus lmpor-

d' , conSl ere qu'11 n'est !' ' ,abandonner I'idée d ' I" pas egltlme. e ratlOna lte mê ' I 'hsme des Lu " " ' me SI e ratlOna-

mleres a peche par nai"veté C d 'boccuper une bonne partie du " I ' .' e e at vavement des L " I Slec e, y a-t-I! dans le mou-

umleres que que ch "I fver ou reprendre? ose qu 1 audrait conser-

,Nous sommes aujourd'hui conscients de ceratlOnalisme du XVllle siêcle f que leIa solidité ti' sa açon de vouloir assurer

, ,e, atenue requise pour I'humanité euro-p~enne, etalt une na'iveté, Mais faut-il ab dmeme tem ' an onner en

ps que ce ratlonalisme na'if et A ,

pense jusqu'au bout, contradictoi ~ meme, SI on leauthentique du rationalisme? Et qre"egale~ent le senscation sé' d ' u en est-d de I'expli-

, neuse e cette na"iveté d

qc~:tr~odnlctiOn?Ou est Ia rationalité de cet'irrati:nal~:~:

vante et auquel on veut nous contraindre?HUSSERL La . d . ., cnse es saences européennes et Ia h' ,

transcendantale Paris Gall' d p enomenologie, , Imar ,1976, p, 21-22,

LA QUESTION DES LUMÜ:RES

DANS L'HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE

r=' La raison est-elle dictatoriale?Le projet du philosophe allemand Jürgen Habermas

est

cIairement inspiré des Lumieres, 11 dénonce ici cequ'il considere comme étant I'erreur commune de nom-breUXphilosophes, dont Foucault: critiquer sans les dis-tinguer Ia subjectivité et Ia rationalité. Foucault, parmid'autres, s'attaquerait à une raison forcément impéria-liste, alors que pour Habermas, une raison critique est

encore possible aujourd'hui.

Dans \e discours de Ia modernité, un reproche est

formulé qui, en substance, reste inchangé de Hege\ etde Marx à Nietzsche et à Heidegger, de Bataille à Lacanà Foucault et à Derrida, reproche qui consiste en uneaccusation _ dirigée contre une raison qui se fonde sur\e principe de Ia subjectivité - se\on \aquel\e une tel\eraison ne dénoncerait toutes les formes apparentesd'oppression et d'exploitation que pour y substituer\'intangib\e domination de Ia rationalité elle-même.L..:opacitéde \'édifice d'acier qui matéria\ise cette raisondevenue positive s'évanouit en prenant l'apparenceéc\atante d'un palais de verre parfaitement transparent.Les partis sont unanimes: i\ faut faire voler en éc\ats

cette façade d'apparence critalline.HABERMAS, Le discours philosophique de Ia modemité,

Paris, Gallimard, 1988, p. 7-8,

~ Auschwitz et les Lumieres1Jesprit des Lumieres est résolument oprimiste. 11éla-

bore une philosophie du progres dans I'histoire, considérécomme une longue mais inexorable conquête du bonheuret de Ia liberté. Jean-François Lyotard considere que ce

LA QUESTION DES LUMIERES

DANS L'HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE

Ces récits ne sont pas des mythes au sens de fables(même le récit chrétien). Certes, comme les mythes, ilsont pour fin de légitimer des institutions et des pra-tiques sociales et politiques, des législations, deséthiques, des manieres de penser. Mais à Ia différencedes mythes, ils ne cherchent pas cette légitimité dansun acte originei fondateur, mais dans un futur à faireadvenir, c'est-à-dire dans une Idée à réaliser. Cette Idée(de liberté, de « lumiere », de socialisme, etc.) a unevaleur légitimante parce qu'elle est universelle. Elleoriente toutes les réalités humaines. Elle donne à Iamodernité son mode caractéristique: le pro;et, ce projetdont Habermas dit qu'il est resté inachevé, et qu'il doitêtre repris, renouvelé.

Mon argument est que le projet moderne (de réali-sation de I'universalité) n'a pas été abandonné, oublié,mais détruit, « liquidé ». 11y a plusieurs modes de des-truction, plusieurs noms qui en sont les symboles.~~witz.» peut être prls- ÇQmme un nom paradigma-tique pour 1'«inachevement» __!:ragiqued~ Ia -m5~_d~~

LVOTARD, Le postmodeme expliqllé allX enfants,Paris, Galilée, 1986, p. 38.

mal, sans laquelle le terrorisme ne peut être compris, seconstruit dans une opposition systématique à l'optimismedes Lumieres, qui croyaient que Ia victoire du Bien cor-respondait nécessairement à une défaite du Mal.

discours du progres fait partie des grands récits fonda-teurs de Ia modernité occidentale; reste à savoir ce qu'ilen demeure aujourd'hui, apres les désastres dti xxe siecle.

.-<:::::,.> Les Lumieres et le 11 septembreFidele en cela au modele kantien, Jean Baudrillard

s'attache à penser notre actualité. Il s'agit alors, à proposdes attentats du I I septembre 2001, de réfléchir à unenouvelle maniere de penser le mal. Cette intelligence du

Le terrorisme est immoral. L'événement du WorldTrade Center, ce défi symbolique, est immoral, et ilrépond à une mondialisation qui est elle-même immo-rale. Alors soyons nous-même immoral et, si on veut ycomprendre quelque chose, allons voir un peu au-delàdu Bien et du Mal. Pour une fois qu'on a un événementqui défie non seulement Ia morale mais toute formed'interprétation, essayons d'avoir I'intelligence du Mal.Le point crucial est là justement: dans le contresenstotal de Ia philosophie occidentale, celle des Lumieres,quant au rapport du Bien et du Mal. Nous croyons na'i-vement que le progres du Bien, sa montée en puissancedans tous les domaines (sciences, techniques, démocra-tie, droits de I'homme) correspond à une défaite duMal. Personne ne semble avoir compris que le Bien et leMal montent en puissance en même temps, et selon lemême mouvement. Le triomphe de I'un n'entraÍne pasI'effacement de I'autre, bien au contraire. On considerele Mal, métaphysiquement, com me une bavure acciden-telle, mais cet axiome, d'ou découlent toutes les formesde lutte du Bien contre le Mal, est illusoire. Le Bien neréduit pas le Mal, ni I'inverse d'ailleurs: ils sont à Ia foisirréductibles I'un à I'autre et leu r relation est inextri-cable.

BAUDRILLARD, L'esprit du terrorisme(Le monde, 3 novembre 2001).

3. - Les Lumieres dans les Dits et écrits

~ Le retour de l'AuJkliirungLes textes que Foucault consacre aux Lumieres sont

tres nombreux dans les Dits et écrits. Ils s'articulent souventà un commentaire du texte de Kant, ainsi qu'à une défini-tion de Ia fonction de Ia philosophie. Dans cette introduc-tion à I'ouvrage fort connu de.Qeorge~enormal et le pathologique, Foucault montre pourquoi Ia

~estion des Lumieres f;it retour à Ia fin du xxe siecle.

Plusieurs processus, qui marquent Ia seconde moitiédu xxe siecle, ont ramené au cceur des préoccupationscontemporaines Ia question des Lumieres. Le premier,c'est I'importance prise par Ia rationalité scientifique ettechnique dans le développement des forces produc-tives et le jeu des décisions politiques. Le deuxieme,c'est l'histoire d'une « révolution » dont I'espoir avaitété, depuis Ia fin du XVII,e siecle, porté par tout un ratio-nalisme auquel on est en droit de demander quelle partil a pu avoir dans les effets de despotisme ou cet espoirs'est égaré. Le troisieme, enfin, c'est le mouvement parleque!, au terme de I'ere coloniale, on s'est mis àdemande r à l'Occident quels titres sa culture, sascience, son organisation sociale et finalement sa ratio-nalité elle-même pouvaient avoir pour réclamer unevalidité universelle: n'est-ce pas un mirage lié à unedomination économique et à une hégémonie politique?Deux siecles apres, l'Aufkliirung fait retour: non pointcomme une maniere pour l'Occident de prendreconscience de ses possibilités actuelles et des Iibertésauxquelles il peut avoir acces, mais comme maniere de

LA QUESTION DES LUMIERES

DANS L'HISTOIRE DE LA PHlLOSOPHIE

I'interroger sur ses limites et sur les pouvoirs dont il aabusé. La raison, comme lumiere despotique.

FOUCAULT, Introduction à l'édition anglaise de G. Canguilhem,«Le normal et le pathologique » (1978), in Dits et écrits,

Paris, Quarto-Gallimard, 2001, t. TI, p. 433·

~ Philosophie et joumalismeLa définition de Ia philosophie comme ontologie du

temps présent rapproche singulierement son travail decelui du journaliste. L'inte ogzri de ce concept

..h-auj.oID:...d1lui» consütuerait leur fond commun,_ enmême tem s u'une des orientations les plus fécond9 deIa ensée. Lã en~c'est le texte kantien qui est désignécomme moment inaugural.

Les Lumieres, en cette fin du XVllle siecle, ce n'étaitpas une nouvelle, ni une invention, ni une révolution, niun parti. C'était quelque chose de familier et de diffus,qui était en train de se passer - et de passer. Le journalprussien demandait au fond: « Qu'est-ce qui vient denous arriver? » I .. 1Cette singuliere enquête, faut-ill'ins-crire dans I'histoire du joumalisme ou de Ia philosophie?)e sais seulement qu'il n'y a pas beaucoup de philoso-phies, depuis ce moment, qui ne tournent autour de Iaquestion: « Qui sommes-nous à I'heure qu'il est? » Maisje pense que cette question, c'est aussi le fond du métierde journaliste. Le souci de dire ce qui se passe n'est pastellement habité par le désir de savoir comment ça peutse passer, partout et toujours; mais plutôt par le désir dedeviner ce qui ce cache sous ce mot précis, flottant, mys-térieux, absolument simple: « Aujourd'hui »c

FOUCAULT, Pour une morale de l'inconfort (1979), in Dits et écrits,Paris, Quarto-Gallimard, 2001, t. lI, p. 783,

3. - Les Lumieres dans les Dits et écrits

.-<:::::,.' Le retour de l'Au.fkliirungLes textes que Foucault consacre aux Lumieres SOnt

tres nombreux dans les Dits et écrits. Ils s'articulent souventà un commentaire du texte de Kant, ainsi qu'à une défini-tion de Ia fonction de Ia philosophie. Dans cette introduc-tion à I'ouvrage fort connu deJieQrge~enormal et le pathologique, Foucault montre pourquoi Ia

~estiÕh L!es Lumieres fã'it retour à Ia fin du xx· siecle.

Plusieurs processus, qui marquent Ia seconde moitiédu xx" siecle, ont ramené au cceur des préoccupationscontemporaines Ia question des Lumieres. Le premier,c'est I'importance prise par Ia rationalité scientifique ettechnique dans le développement des forces produc-tives et le jeu des décisions politiques. Le deuxieme,c'est I'histoire d'une « révolution » dont I'espoir avaitété, depuis Ia fin du XVIII" siecle, porté par tout un ratio-nalisme auquel on est en droit de demander quelle partiI a pu avoir dans les effets de despotisme ou cet espoirs'est égaré. Le troisieme, enfin, c'est le mouvement parlequel, au terme de I'ere coloniale, on s'est mis àdemander à l'Occident quels titres sa culture, sascience, son organisation sociale et finalement sa ratio-nalité elle-même pouvaient avoir pour réclamer unevalidité universelle: n'est-ce pas un mirage lié à unedomination économique et à une hégémonie politique?Deux siecles apres, l'Aufkliirung fait retour: non pointcomme une maniere pour l'Occident de prendreconscience de ses possibilités actuelles et des libertésauxquelles il peut avoir acces, mais comme maniere de

LA QUESTIO DES LUMIERES

DANS L'HISTOlRE DE LA PHILOSOPHIE

I·' t r les pouvoirs dont il al'interroger sur ses Imites e su .abusé. La raison, comme lumiere despotlque .

FOUCAULT, Introduction à l'édition anglaise de G. Canglli/~em,« Le normal et le pathologique » (r978), 111 Dtts et emts,

Paris, Quarto-Gallimard, 200r, t. II, p. 433·

r=' Philosophie et joumalisme .La définition de Ia philosophie comme ontologl~ du

temps présent rapproche singulierement son travail de. l' L" g°t-;o de ce conceptcelui du Journa Iste. mter o '"'" -

d' ;nnurr.-Pl-,,,; » cOIlstituerait leur fond commun, en« a.U~lJ-Wll [. d d

~e tem s u~s orientations le.s plus .1eÇ9p. e:s ~--ra~à encare, c'est le texte kanuen qm est deSIgne

- comme moment inaugural.

Les Lumieres, en cette fin du XVIII" siecle, ce n'étai:

Ile nl' une invention ni une révolution, nIpas une nouve , ' .un parti. C'était quelque chose de familier et de .dtffus,qui était en train de se passer - et de passer. ~e.Journal

. demandait au fond: « Qu'est-ce qUi vlent deprussten ,,' " _naus arriver? » 1... 1Cette singuliere enquete, f~ut-IlII.ns?crire dans I'histoire du journalisme ou de ta phI1oso~hle .le sais seulement qu'iI n'y a pas beaucoup de phIloso-phies, depuis ce moment, qui ne tournent autour de I.aquestion: « Qui sommes-nous à l'heure qu'i1 est? » ~~IS

je pense que cette question, c'est aussi le fond du metterde journaliste. Le souci de dire ce qui se passe n'est pastellement habité par le désir de savoir comment ç~ ~eutse passer,partout et toujours; mais plutôt par le destr dedeviner ce qui ce cache sous ce mot précis, flottant, mys-

térieux, absolument simple: « Aujourd'hui »~

1 d I,· ,.r,rt (r 979) in Dits et éerits,FOUCAULT, Pomoune mora e e mconJo , 8

Paris, Quarto-Galbmard, 200r, t. II, p. 7 3·

LA QUEST10N DES LUMIERES

DANS L'H1STOIRE DE LA PHlLOSOPHIE

r::::::".o La fonction critique de Ia raisonLes Lumieres ne sont pas une époque de raticinalisme

triomphant. Avec Kant, Ia raison a pour tâche premiered'élaborer ses propres limites. Cette fonction critique deIa philosophie peut être reconduite aujourd'hui, plus pré-cisément sous Ia forme d'une critique des abus de Ia ratio-nalité poli tique, tels qu'ils ont pu se donner au long duxxe siecle. En ce sens, Ia pensée de Foucault peut êtreconsidérée comme une version particulierement radicalede l'esprit des Lumieres.

r::::::".o Penser Ies Lumieres :un devoir pour Ia phiIosophie

Le lien entre Clsophie et Lumieres n'est pas dú auhasard, ou au génie propre du texte kantien. Tout sembleindiquer au contraire que penser Ia question des Lumiereset de son sens constitue pour Ia philosophie un devoir.Nulle nostalgie dans cette enquête, plutôt le souci de main-tenir ouverte l'interrogation fondatrice de notre modernité.

FOUCAULT, Omnes et singulatim:vers une critique de Ia raison politique (1981), in Dits et écrits,

Paris, Quarto-Gallimard, 2001, t. II, p. 953.

Apres tout, il me semble bien que l'Aufkliirung, à Ia

fois comme événement singulier inaugurant Ia moder-

nité européenne et comme processus permanent qui se

manifeste dans I'histoire de Ia raison, dans le dévelop-

pement et I'instauration des formes de rationalité et de

technique, I'autonomie et I'autorité du savoir, n'est pas

simplement pour nous un épisode dans I'histoire des

idées. Elle est une question philosophique, inscrite,

depuis le XVllle siecle, dans notre pensée. Laissons à leur

piété ceux qui veulent qu'on garde vivant et intact l'hé-

ritage de l'Aufkliirung. Cette piété est bien sOr Ia plus

touchante des trahisons. Ce ne sont pas les restes de

l'Aufkliirung qu'il s'agit de préserver; c'est Ia question

même de cet événement et de son sens (Ia question de

I'historicité de Ia pensée de I'universel) qu'íl faut main-

tenir présente et garder à I'esprit comme ce qui doit

être pensé.

FOUCAULT, Cours au Col!ege de France, 5 janvier 1983,

in Dits et écrits, Paris, Quarto-Gallimard, 2001, t. II, p. 1505.

11y a belle lurette que Ia philosophie a renoncé àtenter de compenser I'impuissance de Ia raison scienti-fique, qu'elle ne tente plus d'achever son édifice. L'unedes tâches des Lumieres était de multiplier les pouvoirspolitiques de Ia raison. Mais les hommes du XIXe siecleallaient bientôt se demander si Ia raison n'était pas enpasse de devenir trop puissante dans nos sociétés. 115commencerent à s'inquiéter de Ia relation qu'ils devi-naient confusément entre une société encline à Ia ratio-nalisation et certaines menaces pesant sur I'individu etses Iibertés, I'espece et sa survie. Autrement dit, depuisKant, le rôle de Ia philosophie a été d'empêcher Ia rai-son de dépasser les limites de ce qui est donné dansI'expérience; mais, des cette époque - c'est-à-dire,avec le développement des États modernes et I'organi-sation politique de Ia société -, le rôle de Ia philosophiea aussi été de surveiller les abus de pouvoir de Ia ratio-nalité politique - ce qui lui donne une espérance de vieassez prometteuse.

LireQu' est-ce que les Lumieres?:

texte et commentalre

•TEXTE

Ou'est-ce que les Lumieres?',De nos jQurs Quand un joumalRQse une guestion à ses

I,ecteurs, c'est our leur demander leur avis sur un sujet ou cha-~urt a dé,jà sQn...opinion. on """iíe-rlsQuepas d'apprendre grand--chose. Au XVllle siecle, on préférait interroger le public sur des

problemes auxquels justement on n'avait pas encore deréponse. )e ne sais si c'était plus efficace; c'était plus amusant.

Toujours est-il qu'en vertu de cette habitude un pério-dique allemand, Ia Berlinische Monatsschrift, en décembre 1784,a publié une réponse à Ia question. Was ist Aufklo.rung2? Etcette réponse était de Kant

Texte mineur, peut-être. Mais il me semble qu'avec luientre discretement dans I'histoire de Ia pensée une questionà laquelle Ia philosophie moderne n'a pas été capablede répondre, mais dont elle n'est jamais parvenue à se débar-rasser Et sous des formes diverses, voilà deux siecles

r. « What is Enligthenment?» (<< Qu'est-ce que les Lumieres? »), inRabinow (P.), éd., The Foucault Reade1-, New York, Pantheon Books,I984, p. 32-50.

2. Le texte de Kant est paru une premiere fois dans Ia BerlinischeMonattschl'ift, en décembre I784. Gn en trouve Ia traduction au t. II desCEuv1-esphilosophiques, Paris, Gallimard, Bibliotheque de Ia Pléiade,I985, sous le titre Qu'est-ce que les Lumieres? (trad. Wismann). Le texteest également disponible en poche (Gf~ I99I, trad. Poirier/Proust).

maintenant qu'elle Ia répete De Hegel3 à Horkheimer4 ou àHabermas5, en passant par Nietzsche6 ou Max Weber7', il n'y aguere de philosophie qui, directement ou indirectement,n'ait été canfrontée à cette même question :.9.1!rl est do cr;;t~.énement qu'on appelle l'Aufkliirung et qui a détermiDi

our une part au moins, ce que nous sommes, ce q~pensons et ce que nous faisons aujourd'hui? Imaginons queIa Berlinische Monatsschrift existe encare de nos jours et qu'ellepose à ses lecteurs Ia question: « Qu'est-ce que Ia philoso-phie moderne? »; peut-être pourrait-on lui répondre enécho: Ja philosophie mo~~esLce.lle....s+ui te~

~àJ~.an.cée.,....lLOiLàdeux-siecles, ave td'imprudence..:. W~is~.J.LtW.1

Arrêtons-nous quelques instants sur ce texte de Kant.Pour plusieurs raisons, 11mérite de retenir I'attention.

3. Philosophe allemand (1770-1831). Héritier tres critique desLumieres, Hegel conserve le rationalisme du XVIII'siecle, tout en insis-tam sur Ia nécessité de son incarnation historique.

4. Philosophe et sociologue allemand (I895-t973). Horkheimer consi-dere que I'esprit des Lumieres est à Ia source d'une dictature de Ia rai-son, qui culmine dans les désastres historiques du XX'siecle.

5. Philosophe et sociologue allemand (né en 1929)' Habermas reven-dique I'héritage des Lumieres. D'inspiration kantienne, sa pensée pro-pose une réactualisation du rationalisme à partir de Ia philosophie duIangage.

6. Philosophe allemand (1844-1900). Nietzsche est I'invemeur de Iadémarche généalogique que Foucault reprend à son compte. Cerreméthode consiste à identifier, sous les concepts traditionnels de Ia phi-losophie, des mécanismes physiques et physiologiques, qui en expli-quem Ia naissance en leur ôtant par là même toute légitimité.

~

. Sociologue et économiste allemand (t864-I920). Weber st l'un despêres de Ia sociologie moderne. Sa perception des Lumiêres est assezsombre: il y voit l'amorce d'un vaste mouvemem de désenchamememdu monde qui culmine dans Ia bureaucratie comemporain;-- -

, A uestion Moses Mendelssohn8, lui aussi,\) A cet~e ~~:ed~ns le même journal. deux mois aupara-

venalt de repo . 'It pas ce texte quand 11avaltM' Kant ne connalssa \vant. ais , t as de ce moment que date a

rédigé le Slen Certes, ce nteSh'11POSophiqUeallemand avec les

t du mouvemen p .rencon re d Ia culture I'uive li Y avalt une

d' eloppements enouveaux ev M delssohn était à ce carrefour,

. d' - déjà que en .trentalne anneesLessin 9 Mais jusqu'a\ors, il s'était agi deen compagnle de . _, g. I e 'uive dans Ia pensée alle-donner droit de cite a \aa~~tt~;nt~ de faire dans Die luden1o-mande - ce que LeSSlOg, à \a pensée

- d problemes communsou enco:e de degag~ie :~emande: c'est ce que Mendelssohnjuive et a Ia phIlosoP. /,. talité de I'âmell Avec \es

. . d I Entretlens sur Immoravalt falt ans es . . r. 'ft \'Aufkllirungdans Ia Berlinlsche Monatsscrlrl ,deux textes parus '11 appar-

d t I'Haskalal2 juive reconnaissent qu e es.alleman e e .' Ii cherchent à détermlOer de

'I Ame hlstOlre' e estiennent a a me lI' l'vent Et c'était peut-êtrecommun e es re e .quel processus I' ceptation d'un destin commun,une maniere d'annoncer ac. 13

dont on sait à quel drame il devalt mener .

-I 86). Mendelsso~tout en étant8 Philosophe allemand (1729 7 '. d I'homme dont Ia. ,,' dere que Ia vocatlon e ,homme des Lumleres, co1nslf d 1tale que Ia critique. Sa pensée est

. d' I -.' - est p us on ameIreliglOn It a vent:, .. tique des Lumiêres allemandes.sur ce pomt caractens d

, . . (I 2 -I 81), notamment auteur e9. Plulosophe et ecnvam allemand , 7 9]' 7 le juda'isme et Ia philoso-Nathan te sage. Sa pensée tente de reconCI lerphie allemande.

10. Les Juifs, texte paru en 1749· lilace dans une des plus vastes quere es

1r. Ce texte de 1767, pre~d p I' appelle Ia querelle du pan-intellecruelles du XVI\l' slecle, que onthéisme.]2. Ere des Lumieres juives. . d J'f. . énoclde es Ul s.

Foucault fait bien entendu référence ICI au g13·

2) Mais il ya pJus En lui-même et à I'intérieur di,t h' . e a tradllon c ret/enne, ce texte pose un probl' -eme nouveau

Ce n'est certainement pas Ia premie're fo' I"h'l ISque a pens'p J osophique cherche à réfléchir sur son ' eeM' h' . propre present

aiS, se ematlquement on peut d' .. '. ' Ire que cette réflex'avalt pns lusqu'alors trois formes principaJes: IOn

-on peut représenter le présent comme appartenant 'certam âge d d d' . a unt' u mon, e, Istmct des autres par quelques carac-d~:~:r~opres, ou separé des autres par quelque événement

que. AmSI dans Le Potitique de Platon 14 Jes . t Jteurs re . ,. ' m er ocu-

connalssent qu Ils appartiennent a' I' d 'I t' d une e ces revo-u lons ,u monde ou celui-ci tourne à I'envers, avec toutes

les consequences négatives que cela peut avoir.- on peut aussi interroge I' '

d' h' ff r e presen t pou r essayer deec I rer en lui I .es slgnes annonciateurs d'un ' ,p h" evenementh;~c aln. 0; a Ia Jeprincipe d'une sorte d'herméneutique'5

onque o,nt Augustin 16 pourrait donner un exemple.- on peut egalement ana/yser le présent comme un oin~

de transltlon vers I'aurore d'un d pque décrit Vico'? . mon e nouveau. C'est cela

dans le dernler chapitre des Principes de Ia phi-

14- Philosophe grec (427- ] Csées les plus originales qu~~7a~V~a'- o:~ Platon propose Pune des pen-Plusieurs de ses textes dom L . R YPbf . entre phJlosophJe et poli tique.explicitemem consacre;s a'c a epu zque, Les Lozs ou Le politique, som, e sUJet.15· On qualifie d'herméneuti ue th'. .sur Ia notion d'imerprétation. q toute eone phllosophique fondée

16. Philosophe et théolo ien ( .de l'Église, c'est-à-dire l d 354-430),.salnt Augustin est I'un des peresI th un e ceux qUl ont co I' 'I'a éologie chrétienne. nceptua Ise essentiel de

17· Philosophe et juriste italien (1668- I ) Vi . .des Lurnieres italienl1es. 744· lCOest le pnnclpal acteur

losophiede /'histoireI8; ce qu'il voit « aujourd'hui », c'est « Ia pluscomplete civilisation se répandre chez les peuples soumispour Ia plupart à quelques grands monarques »; c'est aussi« I'Europe brillant d'une incomparable civilisation », abon-dant enfin « de tous les biens qui composent Ia félicité de Iavie humaine ».

Or Ia maniere dont Kant pose Ia question de l'Aufkliirungest tout à fait différente: ni un âge du monde auquel onappartient, ni un événement dont on perçoit les signes, niI'aurore d'un accomplissement Kant définit l'Aufkliirung-~----d'u_~açon_ presque entierement négative, comme uneAusgang, une~.Itie ». une « i~ue ». Dans ses_autres textes

-s~~-,-i~.!:rive que Kantpose des questioAs:forigineou...<;[10Ld-éfinisseIa finalité in~rieure d'u~ processus histo-rique. Dans le texte sur l'Aufklarung, Ia question concerne Iapure actualité. II ne cherche pas à comprendre le présent àpartir d'une totalité ou d'un achevement futur II cherche unedifférence: quelle différence aujourd'hui introduit-il par rap-port à hier?

3) le n'entrerai pas dans le détail du texte qui n'est pastoujours tres c1air malgré sa brieveté. Jevoudrais simplementen retenir trois ou quatre traits qui me paraissent importantspour comprendre comment Kant a pos&la question philoso-~J.LQI.éseo.t_

Kant indique tout de suite que cette « sortie » qui carac-)térise l'Aufkliirung est un processus qui nous dégage de I'état Tde « minorité ». Et par « minorité », il entend un certain état)de notre volonté qui nous fait accepter I'autorité de quel-qu'un d'autre pour nous conduire dans les domaines ou il

18. G. Vico, Principes de Ia philosophie de l'histoire (1725), trad. Michelet,Paris, 1835; rééd., Paris, A. Colin, 1963.

convient de faire usage de Ia raison, Kant donne troisexemples: nous sommes en état de minorité lorsqu'un livrenous tient lieu d'entendement, lorsqu'un directeur spirituelnous tient lieu de conscience, lorsqu'un médecin décide ànotre place de notre régime (notons en passant qu'on recon-naí't facilement le registre des trais critiques, bien que letexte ne le dise pas explicitement) •..En tout cas, l'Aufklarung~t définie par Ia modincation dlUapPQJt-p.r.éexistan.t..eR.tr.e.1ivolonté, I'autorité et I'usage de Ia raison.

. ------li faut aussl remarquer que cette sortie est présentée parKant de façon assez ambigue. Illa caractérise comme un fait,un processus en train de se dérauler; mais il Ia présenteaussi comme une tâche et une obligation -º.~!e remier

\

paragraphe, il fait remarquer que I'homme est 1J.Li;.I:nê.me-r~-~nsab!e de son étaLde-i-n-o..r-i-te-'.I~G~c.mnçeVQir QIJ1!

• _ ne [Jourra en sortir que Dar un cbangem~-même sur lui-IT~;..p'une façon significative, Kant dit quecette Aufklarung a une « devi se » (Wafilspruch): or Ia devise,c'est un trait distinctif par lequel on se fait reconnaitre; c'estaussi une consigne qu'on se donne à soi-même et qu'on pra-pose aux autres. Et quelle est cette consigne? Aude saper, « aiele courage, I'audace de savoir ». li faut donc considérer que

Y~ufklarul1g est à Ia fois un p(O~s~d.o.ot-~ontpartie collectivement et un acte de courageà..e~tue pe.r.;.sonneJiemenLlis sont à Ia fois éléments et agents du mêmeprocessus. lis peuvent en être les acteurs dans Ia mesure ouils en font partie; et il se produit dans Ia mesure ou leshommes décident d'en être les acteurs volontaires.

Une troisieme difficulté apparait là dans le texte de Kant.Elle réside dans I'emploi du mot Menschheit'9 On sait l'impor-

r9. «I-Iumanité ». En allemand comme en français, I'humanité désigneà Ia fois I'ensemble des êtres humains et le caractere propre de )'homme,qUI marque sa rupture avec l'animaJité.

tance de ce mot dans Ia conception kantienne de I'histoire.Faut-il comprendre que c'est I'ensemble de I'espece humaine

ui est prise dans le processus de l'Au{kliirung? Et dans ceq h'cas, il faut imaginer que l'Aufklarung est un changement \S-

torique qui touche à I'existence politique et sociale de tousles hommes sur Ia surface de Ia terre Ou faut-il comprendrequ'il s'agit d'un changement qui affecte cequi constitue I'hu-manité de I'être humain? Et Ia question alars se pose desavoir ce qu'est ce changement. Là encare, Ia réponse deKant n'est pas dénuée d'une certaine ambiguYté En tout cas,sous des allures simples, el\e est assezcomplexe.

Kant définit deux condltion~ essentielles Rour <lua.I'~mme sorte de sa minorité. Et ces deux conditions sont àlilis s irituelles et institutionnelles, éthiqueset politiques.-La premiere de ces conditions, c'est que soit bien distin-gué ce qui releve de I'obéissance et ce qui releve de I'usagede Ia raison Kant, pour caractérise brie em.en1 l'état derni.uoJitt cite I-;-expr~sion courante « Obéissez,ne raisonnez

-pas_»: tel~ est, selon lui, Ia forme dans laquelle s'exercentd'ordinaire ladiscipline mUitaire, le pouvoir politique, l'auto-~cli~t;... L:humanité deviendra majeure non pas lors-

•.•qu'elle n'aura plus à obéir, mais lorsqu'on lui dira:« Obéissez, et vous pourrez raisonner autant que vous vou-drez. » 11faut noter que le mot allemand ici empioyé est razo-nieren, ce mot. qu'on trouve aussi employédans les Critiques20

,

ne se rapporte pas à un usage quelconque de Ia raison, maisà un usage de Ia raison dans lequel celle-cin'a pas d'autre finqu'el\e-même; razonieren, c'est raisonner pour raisonner EtKant donne des exemples, eux aussi tout à fait triviaux en

20. Il s'agit bien entendu des trois grandes ceuvresde Kant: Ia Critiquede Ia raison pure (178r), Ia Critique de Ia TalSOnpratlque (1788) et Iac,'itique de Ia faClllté dejuge-r (r 79°)'

apparence: payer ses impôts, Ulill? POUItGi!:...r-aiSElAA€rau, t I fi ,~I; •.A ,,~;p, rA A tantgu on veu-sura sc~l:I+-ea·~ "ta!....rk

.rr:éàiO.ri1~U encore assur,eC....Quandon est pastem, le ser:vice, d une parOlsse, conformemen.Laux principes de.J.:tglise ',.laquelle o~nappartient, mais raisonner-comme-o-n veut a

'.e.Ld d au,..S.llJ . .es- 0gmes re~igie.u .On pourrait penser qu'il n'y a là rien de bien différent d

ce qu'on entend, depuis le XVle siecle, par Ia liberté d:co~sclence :Je drüit-~ enser comme on veut, pourvu lliL.Qn~be!?se com me Il faur. Or c'est là ue K -o ervenir une

, autre distinction et Ia fait intervenir d'une f'8çon aS5e.z--Stlrpre~nante. 11s'agit de Ia d_istinction entre I'usage prjvé et I'u.sagepubllc de Ia raison. Mais il ajoute aussitôLqu~ lª raisQn da.i.t.être libre dans son usage public et qu'eJle.-do~t-êtr soumisedans son usage privé. Ce qui est, terme à terme, le contrairede ce qu'on appelle d'ordinaire Ia liberté de conscience21

Mais il faut préciser un peu. Ouel est, selon Kant, cet usageprivé de Ia raison? Ouel est le domaine ou il s'exerce?L'homme, dit Kant, fait un usage privé de sa raison, lorsqu'ilest « une piece d'une machine »; c'est~à~dire lorsqu'il a un rôleà jouer dans Ia société et des fonctions à exercer. être soldat,avoir des impôts à payer, être en charge d'une paroisse, êtrefonctionnaire d'un gouvernement, tout cela fait de I'êtrehumain un segment particulier dans Ia société; il se trouve mispar là dans une position définie, ou il doit appliquer des regleset poursuivre des fins particulieres. Kant ne demande ga..-:;;qu'on pratique une obé~sance ~~ugle etb~-mais qu'on

2 r. En effet, on appelle généralemem usage public de Ia raison un dis~c,ours tenu devam. une assemblée:. et usage privé celui qui n'engage queI mdlVJdu.,Kamdn exactement I mverse: l'usage public de Ia raison estcelUlque I on falt en tant qu'homme; I'usage privé est celui que ['on faiten tam que pasteur, soldat ou fonctionnaire. L'essentiel est alors de rem~plir les exigences de sa fonction, non de penser libremem.

de sa raison un usage adapté à ces cLLconstances déter-fasse ' fi rt'.' . t Ia raison doit alors se sournettre a ces ns pa ICU~rrl1nees, e .'.' 11ne peut donc pas y avoir là d'usage hbre de Ia ralson

Ileres. f .~- En revanche, quand on ne raisonne que pour alre usage'Ison quand on raisonne en tant qu'être raisonnable~~w ' .'

( t non pas en tant que piece d'une machme). quand on tal-e comme membre de l'humanité raisonnab\e, alors

sonne '..fl' 1"/" ,I'usage de Ia raison doit être libre et publl<j LAu r< arung n est

dc pas seulement le processus par lequel les mdlvldus se

on ' 11rraient garantir leu r liberté personnelle de pensee. ya

ve . \ dAulkliirung lorsqu'il y a superposition de l'usage UnIverse, e

I'usage libre et de \'usage public de la,ralson. "Or cela nouS amene à une quatrieme qJestlon qu Il faut

pose r à ce texte de Kant./On conçoit bien que l',usage univer~

1de Ia raison (en dehors de toute fin partlcuhere) est affalre~ b' .du sujet lui~même en tant qu'individu; on conçoit len ausSIque ia Iiberté de cet usage puisse être assurée de façon pure~ment négative par I'absence de toute poursUlte contre IUI;

d .?mais comment assurer un usage public e cette ralson >L'A~ng, on \e voit, ne doit pas être conç~e simpl~mentcomme un processus généra\ affectant toute I humanlte; ellene doit pas être conçue seulement comme une obligationprescrite aux individus:_elle apparait maintenant comme un12robleme politlque La question, en tout cas, se pose desavoir comment I'usage de Ia raison peut prendre Ia formepublique qui lui est nécessaire, comment l'audace de ~avoJrpeut s'exercer en plein iour, tandis que les mdlvldusobelrontaussi exactement que possible. Et Kant, pour termlner, pro-pose à Frédéric 1122, en termes à peine voilés, une sorte de

22. Roi de prusse (1712 ~1786). Sans être révolutionnaire, ce monarquedémontre une certaine ouverture à Ia critique phllosophlque, et :1 est I,e

rincipal représentant de ce qu'on appelle le desponsme eclalre:K-talgré cette supposée tolérance, Kant devra faire face, nota~n?lent acause de sa philosophie de Ia religion, à Ia censure de Fredenc n.

contrat. Ce qu'on pourrait appeler le contrat du despotismerationnel avec Ia libre raison. I'usage public et /ibre de Ia rai-son autonome sera Ia meilleure garantie de I'obéissance, à Iacondition toutefois que le principe politique auquel il fautobéir soit lui-même conforme à Ia raison universelle.

11 faut aussi, je crois, souligner le rapport entre ce texte deKant et les autres textes consacrés à I'histoire. Ceux-ci, pourIa plupart. cherchent à définir Ia finalité interne du temps etle point vers lequel s'achemine J'histoire de I'humanité. OrI'analyse de l'Aufkliirung, en définissant celle-ci comme lepassage de I'humanité à son état de majorité, situe I'actualitépar rapport à ce mouvement d'ensemble et ses directionsfondamentales. Mais, en même temps, elle montre comment,dans ce moment actuel. chacun se trouve responsable d'unecertaine façon de ce processus d'ensemble.

L:hypothese que je voudrais avancer, c'est que ce petittexte se trouve en quelque sorte à Ia charniere de Ia réflexioncritique et de Ia réflexion sur I'histoire Cest une réflexion deKant sur J'actualité de son entreprise. Sans doute, ce n'est pasIa premiere fois qu'un philosophe donne les raisons qu'il ad'entreprendre son c:euvre en tel ou tel moment. Mais il mesemble que c'est Ia premiere fois qu'un philosophe lie ainsi, defaçon étroite et de I'intérieur. Ia signification de son c:euvreparrapport à Ia connaissance, une réflexion sur I'histoire et uneanalyse particuliere du moment singulier ou il écrit et à causeduquel il écrit. La réflexion sur « aujourd'hui » comme diffé-rence dans I'histoire et com me motif pour une tâche philoso-phique particuliere me paraí't être Ia nouveauté de ce texte

Et. en "envisageant ainsi, il me semble qu'on peut yreconnaí'tre un point de départ. I'esquisse de ce qu'on pour-rait appeler I'attitude de modernité

je sais qu'on parle souvent de Ia modernité comme d'uneépoque ou en tout cas comme d'un ensemble de traits carac-téristiques d'une époque; on Ia situe sur un calendrier ouelle serait précédée d'une prémodernité, plus ou moins na"iveou archa"ique et suivie d'une énigmatique et inquiétante« postmodernité » Et on s'interroge alors pour savoirsi Ia modernité constitue Ia suite de l'Aufklarung et son

Laissons là ce texte. Jen'entends pas du tout le considérercomme pouvant constituer une description adéquate del'Aufkliirung; et aucun historien, je pense, ne pourrait s'en satis-faire pour analyser les transformations sociales, politiques etculturelles qui se sont produites à Ia fin du XVllle siecle.

Cependant. malgré son caractere circonstanciel, et sansvouloir lui donner une p/ace exagérée dans I'c:euvrede Kant,je crois qu'il faut souligner le lien qui existe entre ce brefarticle et les trois Critiques II décrit en effet l'Aufkliirungcomme le moment ou I'humanité va faire usage de sa propreraison, sans se soumettre à aucune autorité; or c'est précisé-ment à ce moment-Ià que Ia Critique est nécessaire, puis-qu'elle a pour rôle de définir les conditions dans lesquellesI'usage de Ia raison est légitime pour déterminer ce qU'onpeut connaí'tre, ce qu'il faut faire et ce qu'il est permis d'es-pérer C'est un usage illégitime de Ia raison qui fait naí'tre,avec I'illusion, le dogmatisme et l'hétéronomie23; c'est, enrevanche, lorsque I'usage /égitime de Ia raison a été c1aire-ment défini dans ses principes que son autonomie peut êtreassurée. La Critique, c'est en que/que sorte le livre de bord deIa raison devenue majeure dans l'Aufkliirung; et inversement,I'Aufkliirung, c'est I'âge de Ia Critique

23· Fait de puiser hors de soi-mêrne les regles et principes de I'action.

développement, ou s'il faut y voir une rupture ou une dévia-tion par rapport aux principes fondamentaux du XVIII· siecle_ En me référant au texte de Kant, je me demande sioo nepeut pas envisager Ia modernité plutôt com me une attitudeque comme une période de I'histoire lPar attitude, je veuxdire un mode de relation à I'égard de J'actualité; un choixvolontaire qui est fait par certains, enfin, une maniere depenser et de sentir, une maniere aussi d'agir et de seconduire qui, tout à Ia fois, marque une appartenance et seprésente comme une tâche. U.f.I eu, sans doute, comme ceque les Grecs appelaient un êt{lOs. Par conséquent. plutôt quede vouloir distinguer Ia « période moderne » des époques« pré » ou « postmoderne »,je crois qu'il vaudrait mieux cher-cher :om,ment I'at:itude de I11odemité, êpuis qU'eJ~formee, s est trouvee ~e avec des attitudeg--de « coo.tre-modernité ».. - -

Pour caractériser brievement cette attitude de modernité,je pre dr . un exemple qui est presque nécessaire: il s'agitde Baudelaire2 ( puisque c'est chez lui qu'on reconnalt engénérall'une des consciences les plus aigues de Ia modernitéau XIX· siecle.

I) On essaie souvent de caractériser Ia modernité par Iaconscience de Ia discontinuité du temps: rupture de Ia tradi-tion, sentiment de Ia nouveauté, vertige de ce qui passe Etc'est bien ce que semble dire Baudelaire lorsqu'il définit Iamodernité par « le transitoire, le fugitif, le contingent »25

Mais, pour lui, être moderne, ce n'est pas reconnaltre etaccepter ce mouvement perpétuel; c'est au contraire prendre

24. Poete français (1821-1867)'

25. Ch. Baudelaire, Le Peintre de Ia vie moderne in CEuvres completesParis, Gallimard, Bibliotheque de Ia Pléiade, 1976, t. II, p. 695. '

une certaine attitude à \'égard de ce mouvement; et cetteattitude volontaire, diffici\e, consiste à ressaisir ~uelquechose d'éternel qui n'est pas au-delà de \'instant present. nIderriere lui, mais en lu! La modernité se distingue de Ia modequi ne fait que suivre le cours du temps; c'es 'attitUde qui

ermet de saisir ce_qu'iLy a d'« héro'ique » dans le moment~résent: La mods:rnité .D'est pas un fait desensibilité au pré-

sent flillillf i c'est uns;..'{Q.lontéd' (( héro'iser) le Qrésent.]e me contenterai de citer ce que dlt Baudelalre de Ia

peinture des personnages contemporains. Baudelaire semoque de ces peintres qui. trouvant trop laide Ia tenue deshommes du XIX· siecle, ne voulaient représenter que destoges antiques. Mais Ia modernité de Ia peinture ne consis-tera pas pour lui à introduire les habits noirs dans untableau. Le peintre moderne sera celui qui montrera cettesombre redingote comme ( I'habit nécessaire de notreépoque ». C'est celui qui saura faire voir, dans cette mode dujour, le rapport essentiel, permanent, obsédant que notreépoque entretient avec Ia mort. ( L:habit noir et Ia redlngoteont non seulement leur beauté poétique, qui est \'express\onde I'égalité universelle, mais encore leu r poétique qui est!'expression de l'âme publique; une immense défilade, d,ecroque-morts, politiques, amoureux, bourgeols. Nous cele-brons tous que\que enterrement26 » Pour désigner cette attl-tude de modernité, Baudelaire use parfois d'une litote qui esttres significative, parce qu'elle se présente sous Ia forme d'unprécepte: ( Vous n'avez pas le droit de mépriser le présent. »

'2 Cette héro'isation est ironique, bien entendu. 1I nes'a~t aucunement. dans l'attitude de modernité, de sacrali-ser le moment gui Qasse pour essayer de le maintenir ou de

le perpétuer. 1I ne s'agit surtout pas de le recueillir commeune curiosité fugitive et intéressante: ce serait là ce queBaudelaire appelle une attitude dEt« flânerie » La flânerle.secontente d'ouvrir les yeux, de faire attention et de co.l.l.e.Ui.oo-ner dans le souvenir. _À I'homme de flânerie Baudelaireoppose I'homme de modernité « II va, il court, il cherche. Àcoup sOr, cet homme, ce solitaire doué d'une imaginationactive, toujours voyageant à travers le grand désertd'hommes, a un but plus élevé que celui d'un pur flâneur, unbut plus général, autre que le plaisir fugitif de Ia circons-tance. 11cherche ce quelque chose qu'on nous permettrad'appeler Ia modernité II s'agit pour lui de dégager de Iamode ce qu'elle peut contenir de poétique dansI'historique » Et comme exemple de modernité, Baudelairecite le dessinateur Constantin Guys27 En apparence, un flâ-neur, un collectionneur de curiosités; il reste « le dernier par-tout ou peut resplendir Ia lumiere, retentir Ia poésie,fourmiller Ia vie, vibrer Ia musique, partout ou une passionpeut poser son ceil, partout ou I'homme naturel et I'hommede convention se montrent dans une beauté bizarre, partoutou le soleil éclaire les joies rapides de I'animal dépravé28 »

Mais il ne faut pas s'y tromper. Constantin Guys n'est pasun flâneur, ce qui en fait, aux yeux de Baudelaire, le peintremoderne par excellence, c'est qu'à I'heure ou le monde entierentre en sommeil, iI se met, lui, au travail, et ille transfigure.Transfiguration qui n'est pas annulation du réel, mais jeu dif-ficile entre Ia vérité du réei et I'exercice de Ia liberté; leschoses « naturelles» y deviennent « plus que naturelles», leschoses « belles » y deviennent « plus que belles » et les

choses singulieres apparaissent « dotées d'une vieenthou-siaste comme I'âme de I'auteur »29 Pour I'attitude demoder-nité, Ia haute valeur du présent est indissociable deI'acharnement à I'imaginer, à I'imaginer autrernentquil'n'estet à le transformer non pas en le détruisant, rnaisenle cap-tant dans ce qu'il est La modernité baUdelairienneest unexercice ou I'extrême attention au réelest confrontéeàIa pra-tique d'une liberté qui tout à Ia fois respecteCeréeletleviole.

3) Cependant, pour Baudelaire, Ia rnodernité n'est passimplement forme de rapport au présent; c'est aussi unmode de rapport qu'il faut établir à soi-rnêrne L'attitudevolontaire de modernité est liée à un ascétisme indispen-sable. Être moderne, ce n'est pas s'acceptersoi-même telqu'on est dans le flux de moments qui Passent; c'est seprendre soi-même comme objet d'une élabarationcomplexeet dure: ce que Baudelaire appelle, selan le vocabulaire deI'époque, le « dandysme ». ]e ne rappelleraipas despagesqui sont trop connues: celles sur Ia nature« grossiere,ter-restre, immonde »; celles sur Ia révolte indispensable deI'homme par rapport à lui-même; celleSUrIa « doctrine deI'élégance » qui impose « à ses ambitieuxet humbles sec-taires» une discipline plus despotique qUeles plus terriblesdes religions; les pages, enfin, sur I'ascétisrnedu dandyquifait de son corps, de son comportement, desessentiments etpassions, de son existence, une ceuvred'art. L:hommemoderne, pour Baudelaire, n'est pasceluiqUipart à Iadécou-verte de lui-même, de ses secrets et desavéritécachée;il estcelui qui cherche à s'inventer lui-même Cettemodernité nelibere pas I'homme en son être propre;elle I'astreint à Iatâche de s'élaborer lui-même

27, Peintre, dessinateur et aquarelliste français (1802-1892).

28. Ch. Baudelaire, Le Peintre de Ia vie 11lodel'ne, op. cit., p. 693-694.

4) Enfin, j'ajouterai un mot seulement. Cette héro'isationironique du présent, ce jeu de Ia liberté avec le réel pour satransfiguration, cette élaboration ascétique de soi,Baudelaire ne conçoit pas qu'ils puissent avoir leur lieu dansIa société elle-même ou dans le corps politique. 115ne peu-vent se produire que dans un lieu autre que Baudelaireappelle I'art.

tion philosophique qui nous demeure posée je pense enfin- j'ai essayé de le montrer à propos du texte de Kant - qu'ellea défini une certaine maniere de philosopher

Mais cela ne veut pas dire qu'il faut être pour ou contreI'AufkliiruY1g Cela veut même dire précisément qu'il faut refu-ser tout ce qui se présenterait sous Ia forme d'une alternativesimpliste et autoritaire. ou vous acceptez l'AufkliiruY1g, et vousrestez dans Ia tradition de son rationalisme (ce qui est parcertains considéré com me positif et par d'autres au contrairecomme un reproche); ou vous eritiquez l'Aufkliirurlg et voustentez alors d'échapper à ces principes de rationalité (ce quipeut être encore une fois pris en bonne ou en mauvaise part).Et ce n'est pas sortir de ce chantage que d'y introduire desnuances « dialectiques » en cherchant à déterminer ce qu'il apu y avoir de bon et de mauvais dans l'AufkliiruY1g

11faut essayer de faire I'analyse de nous-mêmes en tantqu'êtres historiquement déterminés, pour une certaine part,par l'AufkliiruY1g Ce qui implique une série d'enquêtes histo-riques aussi précises que possible; et ces enquêtes ne serontpas orientées rétrospectivement vers le « noyau essentiel derationalité » qu'on peut trouver dans l'Aufkliirurlg et qu'il fau-drait sauver en tout état de cause; elles seront orientées vers« les limites actuelles du nécessaire ». c'est-à-dire vers ce quin'est pas ou plus indispensable pour Ia constitution de nous-mêmes comme sujets autonomes.

2) Cette critique permanente de nous-mêmes doit éviterles confusions toujours trop faciles entre I'humanisme etl'AufkliiruY1g 11 ne faut jamais oublier que l'Aufkliirurlg est unévénement ou un ensemble d'événements et de processushistoriques complexes, qui se sont situés à un certainmoment du développement des sociétés européennes. Cetensemble comporte des éléments de transformationssociales, des types d'institutions politiques, des formes desavoir, des projets de rationalisation des connaissances et

je ne prétends pas résumer à ces quelques traits ni I'évé-nement historique complexe qu'a été l'AufkliiruY1g à Ia fin duXVllle siecle ni non plus I'attitude de modernité sous les diffé-rentes formes qu'elle a pu prendre au cours des deux dernierssiecles

je voulais, d'une part, souligner I'enracinement dansl'Aufkliirurlg d'un type d'interrogation philosophique qui pro-blématise à Ia fois le rapport au présent, le mode d'être his-torique et Ia constitution de soi-même comme sujetautonome; je voulais souligner, d'autre part, que le fil quipeut nous rattacher de cette maniere à l'Aufkliirurlg n'est pasIa fidélité à des éléments de doctrine, mais plutôt Ia réactiva-tion permanente d'une attitude; c'est-à-dire d'un êtnos philo-sophique qu'on pourrait caractériser comme critiquepermanente de notre être historique C'est cet êtnos que jevoudrais tres brievement caractériser

A Négativemerlt. I) Cet êtnos implique d'abord qu'on refusece que j'appellerai volontiers le « chantage » à l'AufkliiruY1g lepense que l'Aufkliirurlg, comme ensemble d'événements poli-tiques, économiques, sociaux, institutionnels, culturels, dontnous dépendons encore pour une grande partie, constitue undomaine d'analyse privilégié. je pense aussi que, commeentreprise pour lier par un lien de relation directe le progresde Ia vérité et I'histoire de Ia Iiberté, elle a formulé une ques-

De cela il ne faut pas tirer Ia conséquence que tout ce quia pu se réc\amer de I'humanisme est à rejeter; mais que Iathématique humaniste est en elle-même trop souple, tropdiverse, trop inconsistante pour servir d'axe à Ia réflexion. Etc'est un fait qu'au moins depuis le XVlle siec\e ce qu'onappelle I'humanisme a toujours été obligé de prendre sonappui sur certaines conceptions de I'homme qui sontempruntées à Ia religion, à Ia science, à Ia politiqueL:humanisme sert à colorer et à justifier les conceptions deI'homme auxquel\es il est bien obligé d'avoir recours

Or justement. je crois qu'on peut opposer à cette théma-tique, si souvent récurrente et toujours dépendante de I'hu-manisme, le principe d'une critique et d'une créationpermanente de nous-mêmes dans notre autonomie: c'est-à-dire un principe qui est au cceur de Ia conscience historiqueque l'Aufklarung a eue d'el\e-même. De ce point de vue je ver-rais plutôt une tension entre Aufklarung et humanisme qu'une

identitéEn tout cas, les confondre me paraTt dangereux; et

d'ailleurs historiquement inexact. Si Ia question de I'homme,de \'espece humaine, de I'humaniste a été importante tout aulong du XVllle siec\e, c'est tres rarement, je crois, quel'Aufklarung s'est considérée elle-même comme un huma-nisme. 11 vaut Ia peine aussi de noter que, au long duXIXesiec\e, I'historiographie de I'humanisme au XVlesiec\e, quia été si importante chez des gens comme Sainte-Beuve

32ou

Burckhardt33, a été toujours distincte et parfois explicitementopposée aux Lumieres et au XVllle siecle Le XIXesiec\e a eutendance à les opposer, au moins autant qu'à les confondre.

des pratiques, des mutations technologiques qu'il est tresdifficile de résumer d'un mot. même si beaucoup de ces·phé-nomenes sont encore importants à I'heure actuelle. Celuique j'ai relevé et qui me paraTt avoir été fondateur de touteune forme de réflexion philosophique ne concerne que lemode de rapport réflexif au présent

A L:humanisme est tout autre chose: c'est un theme ou plu-tot un ensemble de themes qui ont réapparu à plusieursreprises à travers le temps, dans les sociétés européennes'ces themes, toujours liés à des jugements de valeur, ont évi~demment toujours beaucoup varié dans leu r contenu, ainsique dans les valeurs qu'ils ont retenues. De plus, ils ont servide principe critique de différenciation: il y a eu un huma-nisme qui se présentait comme critique du christianisme oude Ia religion en général; il ya eu un humanisme chrétien enOp?osition à un humanisme ascétique et beaucoup plustheocentnque (cela au XVllesiec\e). Au XIXesiec\e, il ya eu unhumanisme méfiant, hostile et critique à I'égard de IasClence; et un autre qui plaçait lau contrairei son espoir danscette même science. Le marxisme a été un humanismel'existentialisme30, le personnalisme31 I'ont été aussi; il y eu~u,n temps ou on soutenait les valeurs humanistes représen-tees par le national-socialisme, et ou les staliniens eux-mêmes disaient qu'ils étaient humanistes

30 Mo~vement ph,ilosophique du xxe siêcle, caractérisé par une atten-uon specIfique a I eXJstence humaine, considérée comme Ia source detoute valeur et de toute signification. Son représentant le plus connueestJean-Paul Sane (19°5-1980).

3~ Mou,vement philosophique proche de l'existentialisme maistn uence par le christianisme. Emmanuel Mounier (1905-1950),'princi-~al penseur de ce courant, tente une philosophie fondée sur le concept

e personne, dans toutes ses dimensions.

32. Écrivain et critique littéraire français (18°4-1869)'

33. Écrivain et historien suisse d'expression allemande (1818-1897)'

En tout cas, je crois que, tout comme il faut échapper auchantage intellectuel et politique « être pour ou contrel'Aufkliirung », il faut échapper au confusionnisme historiqueet moral qui mêle le theme de I'humanisme et Ia question del'Aufkliirung Une analyse de leurs relations complexes aucours des deux derniers siecles serait un travail à faire, quiserait important pour débrouiller un peu Ia conscience quenous avons de nous-mêmes et de notre passé.

B. Positivement. Mais, en tenant compte de ces précautions,il faut évidemment donner un contenu plus positif à ce quepeut être un êthos philosophique consistant dans une cri-tique de ce que nous disons, pensons et faisons, à traversune ontologie historique de nous-mêmes.

I) Cet êtflOs philosophique peut se caractériser commeune attitude limite. II ne s'agit pas d'un comportement derejet On doit échapper à I'alternative du dehors et dudedans; il faut être aux frontieres. La critique, c'est bienI'analyse des limites et Ia réflexion sur elles. Mais si Ia ques-tion kantienne était de savoir quelles limites Ia connaissancedoit renoncer à franchir, il me semble que Ia question cri-tique, aujourd'hui, doit être retournée en question positive:dans ce qui nous est donné comme universel. nécessaire,obligatoire, quelle est Ia part de ce qui est singulier, contin-gent et dQ à des contraintes arbitraires. 11s'agit en somme detransformer Ia critique exercée dans Ia forme de Ia limitationnécessaire en une critique pratique dans Ia forme du fran-chissement possible

Ce qui, on le voit. entraí'ne pour conséquences que Ia cri-tique va s'exercer non plus dans Ia recherche des structuresformelles qui ont valeur universelle, mais comme enquêtehistorique à travers les événements qui nous ont amenés ànous constituer à nous reconnaí'tre com me sujets de ce quenous faisons, pensons, disons. En ce sens, cette critique n'estpas transcendantale, et n'a pas pour fin de rendre possible

une métaphysique: elle est généalogique dans sa finalité etarchéo\ogique dans sa méthode. Archéologique - et non pastranscendantale - en ce sens qu'elle ne cherchera pas à déga-ger les structures universelles de toute connaissance ou detoute action morale possible; mais à traiter les discours qUIarticulent ce que nouS pensons, disons et faisons commeautant d'événements historiques. Et cette critique sera généa-logique en ce sens qu'elle ne déduira pas de Ia forme de ceque nouS sommes ce qu'il nouS est impossible de faire ou deconnaí'tre; mais elle dégagera de Ia contingence qui nouS afait être ce que nous sommes Ia possibilité de ne plus être,faire ou penser ce que nouS sommes, faisons ou pensons.

Elle ne cherche pas à rendre possible Ia métaphysiqueenfin devenue science; elle cherche à relancer aussi loin etaussi largement que possib\e le travail indéfini de Ia liberté.

2) Mais pour qu'il ne s'agisse pas simplement de I'affir-mation ou du rêve vide de Ia \iberté, il me semble que cetteattitude historico-critique doit être aussi une attitude expéri-mentale. \e veux dire que ce travail fait aux limites de nouS-mêmes doit d'un côté ouvrir un domaine d'enquêteshistoriques et de l'autre se mettre à I'épreuve de Ia réalité etde l'actualité, à Ia fois pour saisir les points ou le change-ment est possible et souhaitable et pour déterminer Ia formeprécise à donner à ce changement Cest dire que cette onto-logie historique de nous-mêmes doit se détourner de tousces projets qui prétendent être globaux et radicaux. En falt.on sait par expérience que Ia prétention à échapper au sys-teme de \'actualité pour donner des programmes d'ensembled'une autre société, d'un autre mode de penser, d'une autreculture, d'une autre vision du monde n'ont mené en fait qu'à

reconduire les plus dangereuses traditionsle préfere \es transformations tres précises qui ont pu

avoir lieu depuis vingt ans dans un certain nombre dedomaines qui concernent nos modes d'être et de penser, les

relations d'autorité, les rapports de sexes, Ia façon dont nouspercevons Ia folie ou Ia maladie, je préfere ces transforma-tions même partielles qui ont été faites dans Ia corrélation deI'analyse historique et de I'attitude pratique aux promessesde I'homme nouveau que les pires systemes politiques ontrépétées au long du xxe siecle.

Jecaractériserai donc I'êthos philosophique propre à I'on-tologie critique de nous-mêmes comme une épreuve histo-rico-pratique des limites que nous pouvons franchir, et donccomme travail de nous-mêmes sur nous-mêmes en tantqu'êtres libres.

3) Mais sans doute serait-il tout à fait légitime de faireJ'objection suivante: à se bomer à ce geme d'enquêtes oud'épreuves toujours partieJles et locales, n'y a-t-il pas risqueà se laisser déterminer par des structures plus générales donton risque de n'avoir ni Ia conscience ni Ia maí'trise?

À cela deux réponses II est vrai qu'il faut renoncer à I'es-poir d'accéder jamais à un point de vue qui pourrait nousdonner acces à Ia connaissance complete et définitive de cequi peut constitue r nos limites historiques Et, de ce point devue, I'expérience théorique et pratique que nous faisons denos limites et de leur franchissement possible est toujourselle-même limitée, déterminée et donc à recommencer

Mais cela ne veut pas dire que tout travail ne peut se faireque dans le désordre et Ia contingence Ce travail a sa géné-ralité, sa systématicité, son homogénéité et son enjeu

Son enjeu. 1Iest indiqué par ce qu'on pourrait appeler « leparadoxe (des rapports) de Ia capacité et du pouvoir » Onsait que Ia grande promesse ou le grand espoir du XVllle siecle,ou d'une partie du XVllle siecle, était dans Ia croissance simul-tanée et proportionnelle de Ia capacité technique à agir surles choses, et de Ia liberté des individus les uns par rapportaux autres. D'ailleurs on peut voir qu'à travers toute I'histoiredes sociétés occidentales (c'est peut-être là que se trouve Ia

racine de leur singuliere destinée historique - si particuliere,si différente Ides autresl dans sa trajectoire et si universali-sante, dominante par rapport aux autres) I'acquisition descapacités et Ia lutte pour Ia liberté ont constitué les élémentspermanents Or les relations entre croissance des capacités etcroissance de I'autonomie ne sont pas aussi simples que leXVllle siecle pouvait le croire. On a pu voir quelles formes derelations de pouvoir étaient véhiculées à travers des technolo-gies diverses (qu'il s'agisse des productions à fins écono-miques, d'institutions à fin de régulations sociales, detechniques de communication)' les disciplines à Ia fois col-lectives et individuelles, les procédures de normalisationexercées au nom du pouvoir de l'État, des exigences de Iasociété ou des régions de Ia population en sont des exemplesL'enjeu est donc: comment déconnecter Ia croissance descapacités et I'intensification des relations de pouvoir?

Homogénéité. Ce qui mene à I'étude de ce qu'on pourraitappeler les « ensembles pratiques ». II s'agit de prendrecomme domaine homogene de référence non pas les repré-sentations que les hommes se donnent d'eux-mêmes, nonpas les conditions qui les déterminent sans qu'ils le sachent.Mais ce qu'ils font et Ia façon dont ils le font. C'est-à-dire lesformes de rationalité qui organisent les manieres de faire (cequ'on pourrait appeler leur aspect technologique); et Ialiberté avec laquelle ils agissent dans ces systemes pra-tiques, réagissant à ce que font les autres, modifiant jusqu'àun certain point les regles du jeu (c'est ce qu'on pour-rait appeler le versant stratégique de ces pratiques).L'homogénéité de ces analyses historico-critiques est doncassurée par ce domai ne des pratiques avec leur versant tech-nologique et leur versant stratégique

Systématicité. Ces ensembles pratiques relevent de troisgrands doma ines : celui des rapports de maí'trise sur leschoses, celui des rapports d'action sur les autres, celui des

rapports à soi-même Cela ne veut pas dire que ce sont làtrois domaines compJetement étrangers les uns aux.autresOn sait bien que Ia maTtrise sur les choses passe par le rap-port aux autres; et celui-ci implique toujours des relations àsoi; et inversement. Mais il s'agit de trois axes dont il fautanalyser Ia spécificité et I'intrication. I'axe du savoir, I'axe dupouvoir, I'axe de I'éthique En d'autres termes, J'ontologiehistorique de nous-mêmes a à répondre à une série ouvertede questions, elle a affaire à un nombre non défini d'en-quêtes qu'on peut multiplier et préciser autant qu'on voudra;mais elles répondront toutes à Ia systématisation suivante·comment nous sommes-nous constitués comme sujets denotre savoir, comment nous sommes-nous constituéscomme sujets qui exercent ou subissent des relations depouvoir; comment nous sommes-nous constitués commesujets moraux de nos actions.

Généralité. Enfin, ces enquêtes historico-critiques sontbien particulieres en ce sens qu'elles portent toujours sur unmatériel, une époque, un corps de pratiques et de discoursdéterminés. Mais, au moins à I'échelle des sociétés occiden-tales dont nous dérivons, elles ont leu r généralité: en ce sensque jusqu'à nous elles ont été récurrentes; ainsi le problemedes rapports entre raison et folie, ou maladie et santé, oucrime et loi; le probleme de Ia place à donner aux rapportssexuels, etc.

Mais, si j'évoque cette généralité, ce n'est pas pour direqu'il faut Ia retracer dans sa continuité métahistorique à tra-vers le temps, ni non plus suivre ses variations. Ce qu'il fautsaisir c'est dans quelle mesure ce que nous en savons, lesformes de pouvoir qui s'y exercent et "expérience que nous yfaisons de nous-mêmes ne constituent que des figures histo-riques déterminées par une certaine forme de problématisa-tion qui définit des objets, des regles d'action, des modes derapport à soi. L'étude des (modes de) problématisations (c'est-

à-dire de ce qui n'est ni constante anthropologique ni variationchronologique) est donc Ia façon d'analyser, dans leur formehistoriquement singuliere, des questions à portée générale.

Un mot de résumé pour terminer et revenir à Kant. Je nesais pas si jamais nous deviendrons majeurs. Beaucoup dechoses dans notre expérience nous convainquent que I'évé-nement historique de l'Aufkliirung ne nous a pas rendusmajeurs; et que nous ne le sommes pas encore. Cependant,iI me semble qu'on peut donner un sens à cette interrogationcritique sur le présent et sur nous-mêmes que Kant a formu-lée en réfléchissant sur l'Aufkliirung. 11me semble que c'estmême là une façon de philosopher qui n'a pas été sansimportance ni efficacité depuis les deux derniers siec\esL'ontologie critique de nous-mêmes, il faut Ia considérer noncertes comme une théorie, une doctrine, ni même un corpspermanent de savoir qui s'accumule; il faut Ia concevoircomme une attitude, un êtnos, une vie philosophique ou Ia cri-tique de ce que nous sommes est à Ia fois analyse historiquedes limites qui nous sont posées et épreuve de leu r franchis-

sement possible.Cette attitude philosophique doit se traduire dans un

travail d'enquêtes diverses; celles-ci ont leur cohérenceméthodologique dans I'étude à Ia fois archéologique etgénéalogique de pratiques envisagées simultanémentcomme type technologique de rationalité et jeux straté-giques des libertés; elles ont leur cohérence théorique dansIa définition des formes historiquement singulieres dans les-quelles ont été problématisées les généralités de notre rap-port aux choses, aux autres et à nous-mêmes. Elles ont leu rcohérence pratique dans le soin apporté à mettre Ia réflexionhistorico-critique à I'épreuve des pratiques concretes. Je nesais s'il faut dire aujourd'hui que le travail critique implique

encore Ia foi dans les Lumieres' il' , ,, , necessite le pense tlours le travail sur nos limites c'est-a'-d' ' I ' ou-

, , o' ' Ire un abeur patiqUI donne forme a Ilmpatience de Ia liberté, ent

11COMMENTAIRE

r::::::::,.> Introduction: WÍls ist Aufkliirung?I. Quand un journaI pose une question à ses lecteurs,

hier et aujourd'hui2. La question de Ia Berlinische Monatschrift3. La philosophie moderne comme réponse à Ia ques-

tion des Lumiêres

r::::::::,.> La réponse kantienner. Le contexte de l'intervention kantienne2. La philosophie face au présent

a. Le présent comme âge du monde (PIaton)b. Le présent comme signe annonciateur (Augustin)c. Le présent comme aurore d'un monde nouveau

(Vico)d. Le présent comme rupture (Kant)

3. Les difficultés du texte kantiena. Les Lumieres comme sorti e de Ia minorité de Ia

ralsonb. L'autonomie: un processus et un devoirc. Le libre usage de Ia raison- L'ambigui'té du terme « humanité »

- La nécessité de l'obéissance- Usage privé et usage public de Ia raison .

4· Le probleme politique de Ia possibilité d'un usagepublic de Ia raison

3. Caractérisation positive de I'êthos philosophiquea. Une attitude limite- La philosophie comme critique des limites- Archéologie et généalogie: comment penser

autrement?b. Une attitude expérimentale- L'épreuve de Ia réalité- La ponctualité de ]'intervention philosophiquec. La structure du travail philosophique- Enjeu poli tique- Homogénéité des ensembles pratiques- Systématicité des ensembles pratiques- Généralité des ensembles pratiques

~ La modemitéTransition: Lumieres et modernité

a. Les Lumieres comme âge de Ia critiqueb. Les Lumieres comme réflexion sur I'histoirec. L'objet des Lumieres: le concept d'« aujourd'hui »d. La modernité: une attitude née des Lumieres

I. Le moment modernea. Baudelaire et l'éternité du présentb. La beauté poétique de I'actuel

2. L'héroi'sation modernea. L'homme moderne

b. La pensée du présent comme imagination del'avenir

3· Rapport au présent et rapport à soi-même4· Le privilege de l'art

~ Qu'est-ce que IaphiIosophie?L L'Aufkliirung: une nouvelle définition de Ia philoso-

phie

2. Caractérisation négative de I'êthos philosophiquea. Le refus du chantage à l'Aufkliirungb. Le refus de Ia confusion entre Lumieres et huma-

nisme- La complexité des Lumieres- La complexité de I'humanisme- L'humanisme comme théorie « mineure »

- L'opposition entre critique et humanisme- L'impossibilité de Ia confusion

~ ConcIusionI. Les Lumieres comme conception d'une vie philo-

sophique2. La philosophie et l'impatience de Ia liberté

2. - Explication linéaire~ Introduction: Uils ist Aufklarung?

L'entame du texte est ironique. Aujourd'hui, quand unjournal pose une question à ses lecteurs, on peut être surque Ia réponse est connue de tous et n'intéresse personne.Au XVIlIe siecle, on était plus curieux ou plus intelligent,et les journaux demandaient à leurs lecteurs de répondreà des questions véritablement difficiles. Ainsi, endécembre 1784, Ia grande revue Berlinische Monatschriftdemande à ses lecteurs de tenter d'élucider Ia nature deleur propre époque, qualifiée en Allemagne d'Aufkliirung.Kant, apres Mendelssohn, propose une réflexion fort

breve mais tres dense, dont I'originaIité est de déterminernon pas un contenu doctrinaI propre aux Lumieres,.maisI'attitude singuIiere qui en est Ia vraie caractéristique.

La question est peut-être pIus importante encore queIa questiono En effet, Ia phiIosophie moderne, malgré lesefforts successifs d'auteurs aussi considérabIes que HegeIou Nietzsche, n'a jamais réus si à Iui apporter une soIutionsatisfaisante, ni à s'en débarrasser. On peut donc imaginerIe scénario suivant: si une revue posait aujourd'hui à sesIecteurs Ia question - qu'est-ce que Ia phiIosophiemodeme? -, Ia bonne réponse consisterait à dire:« c'est celle qui tente de répondre à Ia question Ian-cée, voiIà deux siecIes, avec tant d'imprudence: u-ásist Au.fklíirung? » On Ie voit, Ie geste kantien, même s'iIse donne dans un texte mineur, a une signification qui vabien au-delà de I'époque des Lumieres proprement dite.

«::::Y La réponse kantienne

tienne s'inscrit dans une préoccupation pIus vaste, initiéepar Mendelssohn et Lessing, qui prend pou: objet le rap-port entre Ia pensée aJlemande et Ia culture jUlve.Tout ententant de se définir, l'Aufklarung n'oublie pas qu'unepart importante de ses penseurs sont juifs, et qu'il estdonc nécessaire de dégager un fond commun entre lejudaisme et Ia philosophie allemande.

La philosophie face au présentCe n'est toutefois pas Ia principal e originalité du texte

de' Kant. Foucault énonce d'emblée ce qui va constituerI'axe principal de son analyse: Ia spécificité de Kant estde poser d'une maniêre entiêrement nouvelle. Iaquestion du présent, ou de l'actualité. Cette. questI~nn'est certes pas inédite dans I'histoire de Ia phllosophle,mais jusqu'ici, les philosophes n'ont pensé le présent q~edans son rapport au futur, ou à une destination de I'ulll-verso Prenons I'exemple de Platon: dans le Politique, tousles interlocuteurs s'entendent à penser leur actualitécomme un âge du monde, sans que ce présent soit analysépour lui-même. Augustin et Ia tradition chrétienne vontdans le même sens: I'actuel n'est que I'amorce ou I'an-nonce d'un avenir attendu et espéré. Enfin, Vico, peu detemps avant Kant, considere les Lumieres co~me unephase de transition vers une période d'authentIque bon-heur, pour l'humanité en son ensemble.

La définition kantienne est négative, et tournée aufond vers le passé. L 'Aufklarung est une sorti e, une rup-ture avec l'état précédent, celui de Ia minorité de Ia rai-sono Ce style d'analyse est rare, même chez Kant. Leconflit desfacultés ou l'Idée d'une histoire universelle au pointde vue cosmopolitique sont en effet tournés vers une p~rs-pective d'espoir, vers un avenir culturel ou moral posslble

Le contexte de l'intervention kantienne

Les circonstances de Ia pubIication de I'opuscule kan-tien sont significatives. Kant répond ici à une questionIancée par le pasteur ZoJlner, irrité qu'on puisse remettreen cause le mariage reIigieux. Ilne fut pas Ie seul à le faire,et le probleme de Ia définition des Lumieres est en bonnepIace dans Ies débats de Ia Berlinische Monatschrift. Onpeut citer entre autres les textes de Mendelssohn (Quesignifie éclairer?) et Hamann (Lettre à ChristianJacob Kraus), puis, en un rapport plus distant mais nonmoins important avec les Lumieres, ceux de Fichte(Contributions destinées à rectifier lejugement du public sur IaRévolution française) et de Herder (Une autre philosophie del'histoire). Foucault remarque que l'intervention kan-

celui qui Iui semble Ie plus compréhensible: iI est obliga-toire Iégalement de payer ses impôts; mais Ia majorité deIa raison implique que chacun est totalement Iib~e decontester Ie systeme fiscal dont iI dépend.

Kant ne se contente pas ici de reconduire I'anciennedistinction entre obéissance publique et Iiberté privée. IlIa retourne même de façon à Ia fois étrange et significa-tive. Kant parle en effet d'usage privé de Ia raison pourdésigner ce qui est fait de Ia raison dans un cadre fonc-tionneI ou professionnel: le pasteur qui prêche, Ie soldatqui se bat, Ie médecin qui soigne, Ia fonctionnaire qui meten ceuvre des décisions administratives. Chacune de cesfonctions détermine des circonstances particulieres, queIa raison est tenue de respecter si elle veut accomplir cequi est requis d'elle. L'usage public de Ia raison, quiconsiste à raisonner comme homme, indépendammentdes exigences sociales ou professionnelles, ne peut enrevanche souffrir aucune sorte de Iimitations. Il n'y aLumieres que quand une telle Iiberté de critique et d'ana-Iyse peut coexister avec l'usage privé.

Cela conduit Foucault à poser, cette fois explicite-ment, une ultime question au texte de Kant. Commentpeut-on politiquement garantir aux individus que l'usagepublic de leur raison ne sera pas Iimité? C'est là que leprobleme des Lumiêres devient véritablement politique.Kant propose alors, en termes à peine voiIés, une sorte decontrat au monarque de son temps, Frédéric lI. Une ins-titution politique pourra obtenir de ses sujets une au.then-tique obéissance à Ia condition qu'elle Ieur garantis~e unetotal e Iiberté dans l'usage public de Ia raison, mais surtoutqu'elle soit elle-même fondée sur des normes rationnelleset universelles. Autrement dit: seul un État rationnelle-ment fondé peut convenir à une raison éclairée.

Lumieres et modernité« Laissons Ià ce texte » (~p. 70). Foucault ne s'embar-

rasse pas de précautions particulieres pour congédierI'opuscule kantien, dont iI souligne justement qu'on nepeut en rien Ie considérer comme une description cor-recte ou complete des Lumieres. Mais, tout en minimi-sant en apparence I'importance de ce texte, Foucault enfait Ie manifeste d'une attitude, Ia critique, qui est consti-tutive elle aussi de I'esprit des Lumieres. Réclamer Iamajorité de Ia raison revient au fond à vouloir pour cetteraison qu'elle sache circonvenir Ie territoire de son usageIégitime, et éviter Ies dérives du dogmatisme, Ionguementcondamné dans Ia Critique de Ia raison pure. Foucault s'at-tache ensuite -Ia Iogique de ce développement apparaítraapres coup - à décrire Ie rapport entre Qu'est-ce que lesLumieres? et Ia pensée kantienne de l'histoire en général.Alors que Ies autres textes de Kant sur l'histoire décriventIa finalité interne de I'humanité, Qu 'est-ce que lesLumieres? attribue à l'homme Ia responsabilité de son étatde minorité, et donc aussi celle d'une éventuelle émanci-pation. En ce sens, l'opuscule kantien est plus concret,pratique, et ne se contente pas d'identifier des régularitésou des perspectives consolantes. Ce statut particulierconfere au texte une singuliere importance: Kant y expri-merait au fond l'actualité de Ia critique, c'est-à-dire Ia jus-tification ultime de son propre travail. La réfiexion sur« aujourd'hui » est tout à Ia fois ce qui fait Ie propre desLumieres, de Ia philosophie moderne, de Ia critique et deIa pensée kantienne. On pourrait ajouter, ce que Foucaultne dit bien évidemment pas, que Ie Qu'est-ce que lesLumieres? de Foucault a exactement Ia même fonction:

QU'EST-CE QUE LES LUMIERES?

donner à comprendre le p~urquoi d;. I'archéologi~ etIa nécessité de I'interventlon de 1 mtellectuel dans

I'actualité.Ainsi envisagé, le texte kanti~n est « I'esquisse dece qu'on pourrait appeler l'a~tu~e de ~odernité »

~p. 71

). Là est sans doute l'artlCUlatlOn maJ~~re de I'ar-gument foucaldien, en ce qu'il permet de sal.s,lr Ia néces-sité du passage entre Ia réflexlon sur les Lumleres et cel1eportant sur Ia modernité. Foucault est tres clair: Iamodernité n'est pas une période,. il, n'y a pas. d~ pré~o-dernité, ni même de posunoderl11te. Le, S~UCIhlsto[1q~ed'une délimitation par des dates ou des .ev,enements arbl-trairement choisis d'une épOque qualIfiee de moder~en'est pas fondé; si, comme on doit le f~i:e .en philoso~ht~,on s'attache à I'essence de Ia moderl11te, I1 faut Ia debl11

r

, I" d d I' l' , oupar une attitude spécifique a egar , e . actu~ lte~, eencore par une maniere de penser et d agir partlcuh

er.

Bref, Ia modernité est uO êthos, une appartenance

et, .' d '/:' ceune tâche qui débarrasses ICI e toute reler

en.

, , A ' ah-trop strictement historique, peuvent etre reactosés dans des eontextes tres différents.

Le moment moderneb d" 1:' ence

Le texte va alors pivoter rusquement une reler ,, 'I l' , d K 11t aà I'autre de Ia philosoph1e a a Itterature, e a, , . . , . r deBaudelaire, I'un des prineipaux eC[1Val~Sa aVQlr tente , ,définir Ia modernité. Que dit BaudelaIre? La modernlt~,c'est Ia discontinuité du teJ11Ps,Ia rupture, Ia nouvea

ute,

A d ' doP-le fugitif; ou plus exactement: etre mo erne, c est a. d . l' , 'I' , d deter volontairement une atOtu e partlcu lere a eg

ar

d.' I 'sent

ce mouvement incessant, afin e SaISlr ce que e pre

d." l"loge

peut contenir d'éternel. La mo emIte n est pas e• A • h ute

du ehangement pour lul-meme, maIS une a

comlE TJ\\RE

· 97

conselenee de Ia singularité ddone aIors quelque chosed'h~ moment aetueI, qui a

~l"olque.L'héroisation moderne

Foucault se contente d'u· . \1 eJ(

les pemtres qUi représentent I empJe. Baudelaire raiUaffublés de toges antiques,qll'it

shommes de Ieur tem ~

beBes o~ pI~s ?ign~s. ÊtIemOd: c:onsiderentcomme pI~sBaudelalre a retablIr Iavéritéen tne. ne consiste pas pourpersonnages. 11s'agit plutôtd d~ablllant de noir tous le, .. eQ 11 sepoque, qUi consiste icien on ce er e propre de notremorto Foucault précise: cette rapport entêtant avec Iaconçu dans son caractere éter l\laIorisation du présent

. . 1 ne I 'sans Irome. I n'est pasquest' ement unique nelon I ' va paspour en collectionner lescuti t e flâner dans Ie présent

1' OSlt'·

e present en sachant exprim es, nlalS de transfigu

f. er Sa ' rer

alt cett~ réaIité. Baudelaire <: .realit~ mieux que ne IeConstantln Guys, comme le !te ICI Ie dessinateurmoderne: Ie dessin, par Ia p ,type idéaI de I'artisted' l' U1Ssepasse e reeI tout en I'expr' . ance de I'imaginationan d ,., 1m:.). d' 'nonçant ep ce qu'ilpourr . 'nt, It ce qu'iI est enF I I . an ~ E

A

oucau t UI-même l'estsansd etre. tre moderne etser I ' OUte 'e present comme lieupOssibl, ~n ce sens, c'est pen-respecter non pour cequ'ilest ~ ~ une autre pensée Iecomme possibIes alternatives. !l]aIs our ce qu'iI rec'eIe

Rapport au présent etrap'Po '11q . A

La modernité, proches SQ'J,-memeL ., Ur c~A umleres, est égaIementunei p<Jint de I'êthos deEt d nter,·· sre mo eme, au-delà de I' ogatlon sur soi-même

· at· .consIste done aussi dansli teu... Y10n à I'aetualitéconstruetion de sai dansle nh~J(erc:ice personneI d'

I' re,us d eya a une forme d'ascétisme.de di .~ ~e que 1'0n est. 11

SeI plme qui confine au

re1igieux. L'homme moderne est un scu1pteur de soi-même, tenu donc à une ob1igation de créativité bien di.ffi-ci1e à assumer.

Derniere remarque sur Baude1aire, qui est ici aussiune critique de sa conception de Ia modernité: Baude1airene croit pas qu'un te! travai1 de l'imagination soit possib1edans Ia société ou dans 1es institutions poli tiques. Seull'art est un terrain propice à l'expression de Ia modernité.Foucault n'en dit guêre p1us, mais on comprend qu'unetelle limitation n'est pour lui pas 1égitime, et que c'estprécisément dans 1e domaine po1itique que l'attitudemoderne, c'est-à-dire au fond l'attitude philosophique,est aujourd'hui indispensable.

être réactualisé dans une philosophie en acte et eneffet. Il n'y a aucune nosta1gie dans ce qui va être dit, pasp1us qu'il n'y avait de dévotion dans 1e parcours kantienqui ouvre 1e texte.

~ Qu'est-ce que Ia phiIosophie?L'Aufldarung: une nouvelle définitionde la philosophie

Foucau1t prend congé de Baude1aire comme i11'avaitfait de Kant. Là encore, i1 sou1igne que ses que1quesremarques n'ont rien d'exhaustif, et que les Lumiêrescomme Ia modernité sont bien trop comp1exes pour êtrecaractérisées aussi rapidement. Une fois posée cetteclause de modestie, à vrai dire un peu rhétorique,Foucault tente de justifier l'intérêt des Lumieres pour Iapensée d'aujourd'hui. Il est tres clair à cet égard; sa 1ec-ture de Kant comme Ia définition de Ia phi1osophie qu'i1va proposer n'expriment aucune fidé1ité aux Lumiêres, sion entend par 1à un ensemb1e déterminé de thesescomme l'optimisme historique, Ia confiance dans Ia rai-son ou Ia préoccupation humaniste. L'objectif est bienplus limité, et plus légitime aussi: tenter de voir cequi dans l' êthos philosophique des Lumieres pourrait

Caractérisation négative de l'êthos philosophique

P1us qu'une caractérisation, même négative, de l'êthosphi1osophique, i1 faut 1ire 1es trois paragraphes suivantscomme une mise au point avant tout po1émique. Lecontexte est le suivant: Ia philosophie contemporaine,avec Habermas en Al1emagne, avec des auteurs commeFerry ou Renaut en France, est marquée par un vastemouvement d'idées visant à faire revivre certaines va1eurspropres aux Lumieres. Certains des tenants 1es p1us radi-caux de ce mouvement vont aller jusqu'à dire qu'on nepeut être que pour ou contre 1es Lumieres. Défendre 1esdroits de l'homme et l'universa1ité de certaines va1eurs,défendre Ia 1iberté de penser et I'autonomie de Ia raisonreviendrait au fond à une forme de retour aux Lumieres;à l'inverse, tout auteur qui nierait Ia 1égitimité d'un te1retour serait soupçonné d'être opposé aux droits deI'homme ou à Ia rationa1ité en général. Foucau1t refused'emb1ée ce qu'i1 appelle à juste titre un chantage àl'Aufkliirung (~p. 76).

Foucau1t n'est pas un adversaire des Lumieres.L'importance historique de I'époque, son souci de Ialiberté, sa pensée comme combat pour Ia vérité, sa disposi-tion à l'égard de l'actua1ité sont autant de bonnes raisonsde s'y intéresser. Mais i1 est insensé de réduire ce débat àune alterna tive simp1iste - pour ou contre 1es Lumieres.En 1ieu et p1ace de ce faux débat, Foucau1t propose Ia tâchesuivante: « faire l'ana1yse de nous-mêmesen tant qu'êtres historiquement déterminés, pour une cer-

taine part, par l'Aufkldl'Ung» (~p. 77)0 La série d'enquêtesqui s'impose alors au philosophe sera fidele aux Lumieresen un sens bien précis: non pas chercher dans notre pré-sent le noyau de rationalité que les Lumieres lui auraientlégué, mais faire vivre l'autonomie de Ia raison par Ia cri-tique de ce qui se donne à nous comme formes nécessaires.

Foucault procede à I'identique pour écarter unedeuxieme forme de chantage, plus pervers encore. Celui-ci consiste en un premier temps à assimiler Lumieres ethumanisme, puis à accuser ceux qui se permettent de cri-tiquer certains aspects des Lumiêres d'être anti-huma-niste, et partant anti-humains. Cet argument repose surplusieurs gestes tres contestables. Le premier proceded'une généralisation trop hâtive des différents aspects desLumieres, alors même que l'extrême diversité des phéno-menes que l'on regroupe sous ce terme l'interdit formel-lement. L'analyse que Foucault vient de proposer ne ditpas Ia vérité des Lumieres, elle se contente d'en éclairerI'un des visages, celui qui concerne le mode de rapportréf1exif au présent.

L'humanisme ne peut pas non plus être considérécomme un mouvement homogene. Suivant le contextephilosophique ou politique dans lequel il intervient, l'hu-manisme peut avoir une signification bien différente. Desmouvements d'idées aussi divers que le marxisme, l'exis-tentialisme, le personnalisme ou le stalinisme ont pu sedire humanisteso Le seul point commun que l'on peutéventuellement dégager ici est que tous les humanismesprennent appui sur des conceptions de !'homme héritéesde Ia religion, de Ia science ou de Ia politique.

En plus de ces deux formes d'amalgame, le chantage àl'humanisme commet une troisieme erreur. À supposerque I'on puisse caractériser unilatéralement I'humanisme

et les Lumieres, il semble bien que ces deux mouvementssont bien plus en conf1it qu'en harmonie. Tout d'abordpar ce que I'idée même d'une valeur universelle, défini-tive -I'homme - n'est pas acceptable par une raison réel-lement autonome; ensuite parce que les Lumiêres ne sontpas historiquement définies comme un humanisme, etqu'il n'est pas honnête de le faire apres coupo Les chosessont donc plus embrouillées et confuses que ne le laissentcroire I'argument du chantage, et il appartiendra à I'ar-chéologie de démêler I'écheveau du rapport huma-nisme/Lumieres, ce que fait par exemple un livre commeLes mats et les chases.

Caractérisation positive de l'êthos philosophiqueFoucault passe enfin à une caractérisation positive de

Ia philosophie, ou il faut voir sans doute Ia these Ia plusimportante et Ia plus personnelle du texte. Premier élé-ment à retenir ici: l'êthos philosophique est une atti-tude limite, c'est-à-dire une analyse des limites etune réflexion sur el1es. Foucault prend clairement pourmodele Ia démarche kantienne: mais alors que Kant vou-lait déterminer les limites de Ia connaissance, qu'il fautdonc renoncer à franchir, Ia philosophie doit aujourd'huidéterminer ce qui précisément doit être franchi. Le kan-tisme inversé de Foucault va bien au-delà du champ de Iaconnaissance, il s'étend à tout le domaine de Ia pensée, ouIa philosophie va devoir indiquer Ia singularité et Iacontingence qui se cachent sous les fausses évidences etles prétendues nécessités.

Foucault poursuit dans une même ligne kantienne:non plus analyser les structures universel1es dusavoir, mais les conditions historiques de l'émergenced'une pensée ou d'une action, dont nous nous disons

Ies sujets. Une telle enquête n'est pas transcendantale ausens ou elle élaborerait Ies conditions de possibilité d.'unenouvelle métaphysique, mais elle est bien critique, c'est-à-dire à Ia fois archéologique et généalogique.

La phiIosophie doit être archéoIogique par saméthode: cela signifie qu'elIe s'attache à « traiter Ies dis-cours qui articulent ce que nous pensons, disons et faisonscomme autant d' événements historiques » (~p. SI), ceque Foucault fait Iui-même dans chacune de ses grandesceuvres. Elle doit être généaIogique par sa finalité:permettre de concevoir ce qui fait notre pensée commeune donnée contestable et donc critiquable, ouvrant ainsil'horizon pour une autre pensée et une autre action.

Cette vocation Iibératrice de Ia philosophie n'a de sensque si à côté du travaiI historique elle accepte de « semettre à I'épreuve de Ia réalité et de I'actualité, à Ia foispour saisir Ies points ou Ie changement est possible etsouhaitable et pour déterminer Ia forme précise à donnerà ce changement» (~p. SI). L'action politique n'est pas uncomplément facultatif à I'activité proprement concep-tuelle, ni un vague supplément d'âme destiné à soulager Iaconscience inquiete du philosophe. La phiIosophie enson identité IapIus profonde, celle-Ià même qui naitavec Ia question kantienne, est indissociabIementthéorique et pratique, critique et politique. La suitedu texte confirme cette intimité de Ia théorie et de Ia pra-tique: de même que I'enquête historique dégageait Ia sin-gularité et Ia contingence des dispositifs de savoir et depouvoir, de même I'intervention du philosophe seraponctuelle et précise, Ioin des projets gIobaux et radicauxou Ia pensée s'est si souvent perdue.

Pas de programme d'ensemble donc, pas d'idéologiegIobalisante. Mais des transformations particulieres de Ia

pensée, de I'autorité, des rapports de sexe, de Ia percep-tion de Ia folie ou du sort fait aux délinquants, autant deIieux de vie pour une philosophie critique. Tout cela estbien Iimité, et bien insuffisant, dira-t-on. Foucault enconvient. Mais peut-iI en être autrement, alors que Ia phi-losophie a pour objet de montrer Ie caractere justementlimité, dans sa durée comme dans sa Iégitimité, de toutdiscours? Soyons humbles dans nos prétentions, paraí'tdire Foucault, ce qui n'empêche nullement de procéderavec méthode et systématicité.

Le travaiI historico-pratique de Ia philosophie a sonenjeu propre. Il consisterait en ceci: analyser Ies rapportsentre Ia liberté des individus et Ies formes de pouvoir.Alors que Ie XVIIIe siecle croyait que notre pouvoir sur Ieschoses croissait en même temps que notre Iiberté, Ies deuxderniers siecles ont montré que Ies choses étaient pluscomplexes et moins réjouissantes. On a ainsi vu des tech-nologies supposées accroí'tre notre pouvoir construiresilencieusement des formes d'assujettissement des indivi-dus; on a vu des modalités de pouvoir conduire à des pro-cédés de normalisation plus efficace que I'oppression.L'enjeu est donc d'imaginer des moyens pour déconnecterIa croissance de Ia Iiberté de ces différentes formes de rela-tions de pouvoir. Un enjeu d'émancipation, à nouveau.

Le domaine d'analyse est par Ià même déterminé. Laphilosophie a pour objet Ies ensembles pratiques, c'est-à-dire les formes de rationalité qui organisent les manieresde faire et de penser. Foucault considere ces ensemblespratiques comme homogenes, dans Ieur versant technolo-gique comme dans Ieur versant stratégique. La philoso-phie est une discipline unifiée grâce à I'homogénéité de sonobjet, un divers historique dont iI est possible de tracer IesIignes de force.

Troisieme trait caractéristique de Ia philosophie: sasystématicité. Là encore, elle découle de Ia systématicité deI'objet étudié, ou l'on peut distinguer trois grandsdomaines: l'axe du savoir, l'axe du pouvoir, I'axe del'éthique. On reconnait aussitôt les trois grands momentsde l'ceuvre de Foucault, qu'il ne faut donc pas interprétercomme des inflexions ou des modifications d'objectifs,mais comme des étapes également nécessaires du travailde toute philosophie. Autrement dit encore: l'archéolo-gie du savoir, l'analytique du pouvoir et l'herméneutiquedu sujet sont les trois dimensions de ta philosophie, si dumoins on lui donne Ia vocation historico-politique queFoucault lui attribue ici.

Derniere caractéristique du travail de Ia philosophie : sagénéralité. Foucault ne prétend pas que les phénomenesétudiés sont universels, mais qu'à Ia condition de se limiterà Ia culture occidentale, les ensembles pratiques offrent desrégularités remarquables. La philosophie ne va pas renon-cer à être l'intelligence du singulier. Mais elle va chercherégalement sous Ia contingence de Ia maniere dont les pro-blemes sont posés Ia relative permanence de ceux-ci.Foucault le dit tres clairement: « l'étude des modes deproblématisation est donc Ia façon d'analyser, dans leurforme historiquement singuliere, des questions à portéegénérale ». Là encore, c'est Ia nature même de l'objet quiconfere à Ia philosophie sa qualité, ici Ia possibilité pourelle de se déployer selon une universalité relative.

nous sommes devenus majeurs. L'efficacité des Lumieresne peut donc résider dans I'actualisation réelle et concretede l'autonomie de Ia raison, ou du moins une telle actua-lisation n'a pas eu lieu. Il faut plutôt Ia chercher ailleurs,dans une attitude particuliere que l'Aufklarung aurait faitnaitre et qui, en traversant les siecles, a nourri Ia philoso-phie. Plus fondamentalement encore: Ia valeur desLumieres est dans le mode de vie qu'elle propose auphilosophe, appelé à mettre à l'épreuve sa pensée et àconstruire les conditions d'une libération.

La phitosophie et t'impatience de ta tiberté

Cette émancipation est le fruit d'un long travail, quiemprunte des voies aussi surprenantes que l'enquête histo-rique, et des méthodes aussi apparemment abstraites quel'archéologie. Mais cette tâche a sa cohérence théoriquedans Ia détermination précise de l'objet singulier qu'elle vaanalyser, et pratique dans ses modes d'intervention poli-tique. Faut-il encore croire aux Lumieres pour mener àbien ce travail? Foucault ne le croit pas. L'essentiel est deretenir de Kant le sens même de Ia limite, objet d'unepatiente élaboration théorique en même temps que d'uneimpatiente volonté de dépassement.

3. - Commentaire thématique.-<:::::.' Les Lumieres: réalité d'une époque

et probleme philosophiqueL'âge de ta critique

Objet du texte de Kant comme de celui de Foucault,les Lumieres sont à Ia fois une époque déterminée deI'histoire européenne et un probleme qui, comme le

Les Lumieres comme conception d'une vie phitosophique

Foucault revient enfin à Kant, sur un ton un peudésolé. Rien ne parait indiquer dans notre histoire que

montrent les extraits choisis plus haut, va occuper unepart significa tive des philosophes des XIXe et xxe siecles.Vn mot d'abord sur l'image de Ia lumiere, que l'onretrouve dans Ia totalité des pays européens, et qui est lefruit d'une tres longue histoire. L'utilisation philoso-phique de Ia lumiere a sa source dans une double tradi-tion platonicienne et biblique. Si l'âge classique, à partirde Descartes et sous Ia forme du concept de lumiere natu-relle, en fait un attribut proprement humain, elleconserve Ia fonction de condition d'intelligibilité, qu'elleavait déjà chez saint Augustin. Descartes identifie Ialumiere naturelle à Ia faculté de connaitre, en tant qu'elleperçoit clairement, distinctement et immédiatement Iavérité; elle est capable de déterminer les opinions del'honnête homme et, accompagnée de méthode, d'acqué-rir aisément toute connaissance. La conception classiquede Ia lumiere déplace ainsi Ia fonction d'intelligibilitéautrefois attribuée à Dieu vers Ia raison humaine.

La vocation libératrice de Ia lumiere naturellen'échappera pas aux phi!osophes du XVIIIe siecle. Voltaireet Condorcet considéreront ainsi l'entreprise cartésiennecomme une préparation aux Iumieres poli tiques del'époque révolutionnaire. Grâce à Descartes et sonconcept de lumiere naturelle, « I'esprit humain ne fut paslibre encore, mais il sut qu'il était formé pour l'être »

(Condorcet, Esquisse d'un tableau histoTique des pTogres del'espTit humain).

Les Lumieres peuvent done être eomprises, dansune tradition eartésienne, eomme I'applieation Iucideet sans bornes prédéterminées de Ia raison humaine àIa totalité des phénomenes natureIs, historiques,politiques, moraux et religieux. La vocation desLumieres est donc fondamentalement critique. Il s'agit,

en exprimant dans sa plénitude Ia puissance de Ia raison,d'évaIuer ce qui jusque là paraissait, par le poids du tempset Ia solidité des institutions qui en proclamait Ia légiti-mité, éehapper à tout questionnement: Ia tradition, l'au-torité de l'Église et des pouvoirs poli tiques, les dogmes detoute origine. Plus fondamentalement peut-être, cetteattitude critique de Ia raison se retourne contre elle-même, une raison capable ainsi de ne pas se laisser griserpar ses capacités, en évitant ainsi de retomber dans unnouveau dogmatisme.

L'autonomie de ta raisonLes différentes formes nationales de ce mouvement

européen sont l'effet de l'application d'un espTit, ou d'unedisposition critique, à ce qui peut lui faire obstacle.L'attitude est indéniablement Ia même partout.L'adversaire en revanche peut varier considérablementselon les pays. La vigueur de Ia contestation philoso-phique de ce qui semble s'opposer au libre essor de Ia rai-son est donc largement déterminée par Ia résistance de Iacible, plus que par l'acuité de Ia critique elle-même. Gnpeut comprendre ainsi que face à Ia religion, France etAllemagne divergent entierement, alors même que lepositionnement philosophique à !'égard de l'autorité estsensiblement identique de part et d'autre. Comprendreles Lumieres implique donc d'identifier à Ia fois le fondcommun et les particularismes nationaux.

L'esprit des Lumieres consiste pour Kant à avoir lecourage de se servir de son propre entendement. Cettedéfinition suppose que l'homme est un être raisonnable,capable de se connaitre lui-même et suffisamment auda-cieux pour utiliser sa raison dans tous les domaines de!'existence, sans renoncer quand l'obstacle parait trop

montrent Ies extraits choisis plus haut v, 'fi ' d ' a occuperpart Slglll catIve es philosophes des XIXe • une

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La vocation libératrice de Ia Iumiêre naturellen'échappera pas aux philosophes du XVIIIe siecle. Voltaireet Condorcet considéreront ainsi l'entreprise cartésiennecomme une préparation aux Iumiêres politiques deI'époque révolutionnaire. Grâce à Descartes et sonconcept de Iumiere naturelle, « l'esprit humain ne fut pasIibre encore, mais iI sut qu'iI était formé pour I'être »

(Condorcet, Esquisse d'un tableau historique des progres del'esprit humain).

Les Lumiêres peuvent dane être eomprises, dansune tradition eartésienne, eomme l'applieation lucideet sans bomes prédéterminées de Ia raison humaine àIa totalité des phénomenes natureIs, historiques,politiques, moraux et reIigieux. La vocation desLumieres est donc fondamentalement critique, Il s'agit,

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L'autonomie de Ia raisonLes différentes formes nationales de ce mouvement

européen sont l'effet de I'appli~ation d'u? es~rit, ou d'unedisposition critique, à ce qUI peut IUI falre obstacle.L'attitude est indéniablement Ia même partout.L'adversaire en revanche peut varier considérablementselon Ies pays. La vigueur de Ia contestation philoso-phique de ce qui semble s'oppo~e~ au Iibre ~s~or de Ia rai-son est donc Iargement détermmee par Ia reslstance de Iacible, plus que par I'acuité de Ia critique elle-même. Onpeut comprendre ainsi que face à Ia religion, France etAllemagne divergent entierement, alors même que lepositionnement philosophique à l'égard de l'autorité estsensiblement identique de part et d'autre. Comprendreles Lumieres implique donc d'identifier à Ia fois le fondcommun et les particularismes nationaux.

L'esprit des Lumieres consiste pour Kant à avoir lecourage de se servir de son propre entendement. Cettedéfinition suppose que l'homme est un être raisonnable,capable de se connaí'tre lui-même et suffisamment auda-cieux pour utiliser sa raison dans tous les doma ines del'existence, sans renoncer quand l'obstacle paraí't trop

important. L'idéal poursuivi, présenté par Kant, maisaussi par Ia plupart des représentants des Lumieres toutesnationalités confondues, comme une tâche à accomplir,réside dans l'autonomie de Ia raison. La raison est donc unefaculté d'émancipation, qui doit permettre à l'homme des'épanouir, de construire son savoir, de recherchercomme il l'entend son propre bonheur, et d'établir lesrapports qui lui paraissent convenables avec les autreshommes, les uns et les autres étant considérés commemembres d'une seule et même humanité.

Cette recherche de l'autonomie, qui comme on le voitprolonge l'entreprise cartésienne, n'est pas l'apanage deIa période des Lumieres. On peut même considérerqu'elle coincide avec Ia philosophie en général, si onentend par philosophie Ia libre quête du vrai. La véritablespécificité des Lumieres nous semble plutôt résider dansIa fonction pratique donnée à Ia raison, dans Ia connais-sance de ce que l'homme est et dans Ia construction poli-tique de ce qu'il doit être collectivement. Autrementdit: Ies phiIosophes du XVIIIe siêcle, en France et enAlIemagne, mettent en reuvre une pensée certesnouvelle, mais dont I'originaIité est dans Ia hauteconscience qu'elle a d'elle-même, de sa vocation etde son pouvoir.

Le souci de soi des Lumieres

La philosophie des Lumiêres est une pensée enquête d'identité, et c'est bien ce point que Foucault sou-ligne justement. En essayant de se définir elle-même, elleest consciente du lien étroit existant entre l'effort théo-rique et l'action qui pourrait en découler. L'autoportraitdu philosophe s'accompagne donc d'une réflexion sur Iafonction historique que Ia philosophie se doit d'assumer,

au regard de l'actualité politique immédiate, mais aussi auregard de toute I'histoire de l'humanité. D'Alembert ledit clairement dans son Discours préliminaire à/'Encyclopédie, les Idéologues le répéteront, Condorcetenfin, dans son Esquisse d'un tableau historique desprogres deI'esprit humain portera ce souci à sa plus haute conceptua-lité: Ia philosophie trouve dans Ia définition de sonmoment historique l'une de ses tâches essentielles. Cettepréoccupation est patente dans les vastes récapitulatifshistoriques auxquels procedent les penseurs desLumieres. Il s'agit toujours de s'inscrire dans une héré-dité philosophique particuliere, qui prend son départchez Bacon trouve sa forme métaphysique, estimablemais provisoire, chez Descartes, et son accomplissementchez Locke et surtout Newton, cette derniere référenceétant destinée à donner à Ia pensée des Lumieres Ia légiti-mité incontestable dont Newton jouit dans le domainedes sciences. Il s'agit aussi en général de faire du présentcomme le point culminant d'une épopée de Ia liberté,prélude à des lendemains radieux.

Cette conscience historique est en même tempsune conscience poli tique. Au moment ou les acquisthéoriques des Lumieres - autonomie de Ia raison etréflexivité de son travail critique - sont parvenus à matu-rité, leur articulation à Ia pratique commence à poser pro-bleme; plus exactement, les philosophes, de part etd'autre du Rhin, se rendent compte que les conséquenceseffectives de leurs theses sur le cours de Ia société doiventêtre évaluées. La conscience de soi des Lumiêres est donctoujours à Ia fois conscience de Ia spécificité de l'époquepar rapport au passé philosophique et en regard, déjà,d'un possible avenir révolutionnaire.

Cette dimension pratique de Ia pensée est à l'évidenceplus marquée en France, et Condorcet en est le représ~n-tant Ie plus éminent. Mais on Ia trouve aussi dans Iaréflexion kantienne sur Ie rapport de Ia théorie et de Ia pra-tique, qui vise précisément à contester l'expression popu-Iaire affirmant que ce qui peut être vrai en théorie ne I'estpas en pratique. Ce souci d'application de Ia philosophieest peut-être aussi au principe de sa compréhensioncomme une entreprise collective. Si Ia philosophie a unefonction sociale et une obligation morale de résuItats, ilvaut mieux associer les talents. D'Alembert Ie dit naturel-lement en inaugurant l'Encyclopédie. Mais les Idéologues,par Ieur fonctionnement en réseau, obéissent à Ia mêmeIogique. Kant, penseur solitaire s'il en est, ne pratiquerapas cette forme collective de philosophie; le concept depublicité - au sens strict de ce qui est publié, donc pubIic -en est toutefois l'une des théorisations possibles. On leretrouve chez Ia plupart des philosophes de l'Aufkldrung:on le retrouve tres clairement aussi dans ce que Foucaultdit de Ia nécessaire intervention du philosophe.

les penseurs allemands de détruire Ia foi ou Ia religion,mais de l'approfondir, ou encare de Ia ramener à sonnoyau de vérité rationnelle.

Kant écrit ainsi une Religion dans les limites de Ia simpleraison; Leibniz propose une métaphysique dans laquelleDieu joue Ie premier rôIe; Mendelssohn, Lessing, Jacobou Herder accordent à ces questions une importancecapitale. Cette position intellectuelle fondamentale desAufkldrer, qui croient en un possible accord de l'idéald'autonomie de Ia raison avec Ia religion s'expIique par demuItipIes causes, qui reIevent de I'histoire des rapportsentre l'Église et l'État, de Ia force des grandes métaphy-siques allemandes de I'époque classique, pIus encarepeut-être de Ia tradition universitaire allemande, qui voittravailler de concert phiIosophes et théologiens

La seconde spécificité des Lumieres allemandes s'ex-prime de maniere exempIaire dans Ies mots de Kant, sou-vent cités: « je devais donc supprimer Ie savoir, pourtrouver une pIace pour Ia foi » (Critique de Ia raison pure).Cette affirmation ne signifie pas que l'intelligence doit sesoumettre au dogme reIigieux, évidemment, mais que Iaraison pratique et Ia morale sont ce qu'il y a de pIusimportants paur l'homme. Établir les limites de Iaconnaissance théorique n'a de sens que si cette destina-tion propre de I'homme, comme individu et commeespece, est préservée et renforcée. Les Lumieres alle-mandes demeurent d'esprit rationaliste, et elles le sontd'ailleurs pIus que les Lumieres françaises, si souvent ten-tées par I'empirisme. Mais c'est un rationalisme de Iadiversité, qui n'oppose pas artificiellement Ies différentsdomaines de Ia raison, cherchant au contraire Ia concor-dance, ou du moins Ia conciliatian.

La spéciJicité de l'AufkliirungEn plus de ces éIéments communs, nombreux et fon-

damentaux, l'Aufkldrung, que Kant et Foucault étudient,se caractérise par deux traits propres, étroitement dépen-dants l'un de I'autre. Le premier est l'attitude généraIebienveillante face au fait religieux; le second est un soucide préserver les droits de Ia raison pratique, ou de Iamoralité, fut-ce au détriment de ceux de Ia stricte rationa-lité théorique. L'idée traditionnelle d'un XVIlIe siecle anti-clérical et sceptique ne résiste pas à une anaIyse élargie. Sion peut l'admettre à peu pres pour Ia France, cette visionest fausse pour l'Allemagne. 11ne s'agit nullement pour

Période féconde, Ies Lumieres ont donné lieu à devastes débats par Ia suite. FoucauIt s'inscrit naturelle-ment dans cette histoire, non pour regretter Ia di~pari-tion d'un esprit, qui n'a pas résisté aux drames deI'histoire et aux coups de boutoir des grandes pensées deMarx, Freud ou Nietzsche, mais pour faire revivre Sonattitude à I'égard du présent. FoucauIt n'est en rien unphilosophe amoureux des Lumieres, bien aucontr~ire ~mais il considere qu'est né à cette époquece qUI dOlt encore aujourd'hui constituer l'essencede l'acte phiIosophique.

r<::::,J La modernitéLa question de Ia modernité que Foucault aborde dans

Ia seconde partie du texte revêt une grande importancedans Ie débat philosophique contemporain, Ie pIus sou-vent en rapport avec ce qu'on appelle Ie postmoderne. Leconcept de modernité apparaí't peu apres Kant, au débutdu XIXe siecle, dans Ie domaine de l'art. On peut définirI'idéaI de Ia modernité comme une conscience parti-culierement affirmée de Ia présence des promessesdu futur dans l'actueI. Il y a donc queIque chose de pro-phétique dans Ia modernité. La notion trouve chezBaudeIaire et chez Rimbaud ses pIus éminents représen-tants. Dans Ies deux cas, comme Ie souIigne d'ailleursFoucauIt, I'attention portée à l'actuaIité s'exprime par Iesouci d'y voir une étincelle d'éternité, tout en refusant deconce~~ir Ia beau.té comme une forme éternelle et figée.On uulrse voIonuers I'adjectif moderniste pour désignerI'art né dans Ia seconde moitié du XIXe siecle, caractériséIui aussi par une obsession de I'auto-définition. Dans IeIangage de I'histoire des idées, on parle de phiIosophiemoderne pour quaIifier Ia pensée postérieure à Kant, en

Ia distinguant parfois de Ia philosophie contemporaine,qui apparaitrait alors avec Ie crépuscule des idéologies à Iafin du xxe siecle.

Foucault refuse absoIument d'aller au-delà de cetteapproche strictement esthétique. Il y a bien une attitud.ede modernité qui apparaí't entre Kant et Baudelalre, maISil n'est pas Iégitime d'utiliser ce terme en I'identifiant auxLumieres, voire au travaiI de Ia raison en général.FoucauIt Ie dit nettement dans Ies Dits et éerits (t. lI,p. 1266): parler, comme Ie phiIosophe allema~~Habermas, d'une nécessaire réactivation de Ia modermteau nom de Ia rationalité, n'a pas de sens, pas pIusd'ailleurs que Ie concept de postmodernité.

Il faut tout de même reconnaitre que Ia pensée deFoucault peut assez bien se retrouver dans ce qu'un phi-Iosophe commeJean-François Lyotard dit de Ia postm~-dernité. La condition postmoderne désigne ici à la fOlSune époque, la nôtre, marquée par I'effondrement desgrands récits de Iégitimation comme en proposent IesLumieres ou le marxisme, et une attitude de méfiance àI'égard des prétentions de Ia rationaIité. Quand Lyotardécrit « Guerre au tout, témoignons de I'imprésentable,activons Ies différends » (Le postmoderne expliqué auxenfants, Paris, GaliIée, 1986, p. 32), iI s'agit, comme chezFoucault de donner toute sa valeur à Ia singuIarité.L'reuvre'de FoucauIt est en un sens fideIe à I'attitudede modernité, comme réflexion sur l'actualité; maiselIe est tres infideIe à Ia modernité entendue commeaffirmation de Ia puissance synthétique et universelIede Ia rationalité.

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QU'EST-CE QUE LES LUMIERES,

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non seulement ni essentiellement pour 1égitimer ee qu'onsait déjà, mais pour entreprendre de savoir comment etjusqu'ou il serait possible de penser autrement.

La fonction politique de Ia philosophie

II faudrait, écrit Foucault, « imaginer quelquechose comme une philosophie analytico-politique »(Dits et éerits II, p. 54I). Foucau1t n'entend pas ici, souscette formule, faire revivre artificiellement Ia vielle conru-vence entre philosophie et poli tique, eelle-1à même quidonnait 1ieu, chez Platon à l'identification du phi10sopheet du roi. La phi10sophie n'a pas de fonction immédiate-ment poli tique au sens ou elle serait à même de donner1es reg1es et 1es principes de l'exercice concret du pouvoirpoli tique ; 1e philosophe n'a pas même vocation à fournirdes valeurs à une société désemparée, ou à orner de sonprestige 1es jugements normatifs 1es p1us divers,

La tâche est à Ia fois p1us précise et p1us diffici1e:déterminer par l'ana1yse critique eomment 1es solutionsque l'on propose habituellement aux prob1emes de notretemps ont pu être é1aborées, Cette démarche aboutit àune fragi1isation généra1e de cadres traditionne1s de Iapensée, à ce que Foucault appelle parfois Ia friabilitégénérale des sols ou Ia criticabilité du rée1. La réflexionsur I'aetualité poli tique se trouve ainsi considérabIementallégée de toutes 1es surcharges mora1es et juridiques quiI'affectaient: Ia phi10sophie comme révé1ation de Ia non-nécessité des choses.

La distinction classique entre une phiIosophie théo-rique et une intervention pratique du phi10sophe setrouve ainsi singu1ierement brouillée. L'actua1ité exigeque l'on y intervienne; et Ia théorie phi10sophique n'estque « le systeme régiona1 de cette lutte » (Dits et écrits I,

p. IIn). Autrement dit encore: l'effort conceptueI deIa phiIosophie est indissociabIe de l'interventi.onpolitique, il en est Ia théorisation, non au sens d'un dis-cours donnant a priori légitimité à une telle intervention,mais au sens d'un lent travail préparatoire, identifiant lespoints faibles du réel à transformer.

De cette disposition philosophique découle le typed'action politique auquel Foucault a participé: le repor-tage d'idées, que Foucault a mené par exemple en Iran, lesoutien aux prisonniers, le souci constant de ce qui estsingulier et exceptionnel face au discours majoritaire, l'at-tention aux minorités, autant de manieres d'incarner Iaphilosophie.

vision du monde; son travail est spécifique, et a affaire avecIa vérité, et ses limites. L'effet de Ia philosophie est d'aborddans I'indication de Ia contingence des choses, dans Ia cri-tique des fausses familiarités et des prétendues évidences;il est ensuite dans une collaboration avec les acteurs duconflit, dans Ia réélaboration de nouveaux cadres de pen-sée. La vraie ceuvre d'un philosophe, c'est finalement savie, pour autant qu'elle est une vie philosophique.

L'intellectuel spécifiqueLa figure de I'intellectuel fait partir des icônes de

l'histoire culturelle de Ia France. De Voltaire à Sartre, enpassant par Zola, on s'est habitué à attendre du philo-sophe une parole et une action éc1airée, fondée le plussouvent sur des valeurs supérieures aux intérêts spéci-fiques des acteurs politiques. Malgré I'indéniablenoblesse d'une telle attitude, Foucault se méfie de cequ'elle peut avoir de posture artificielle, et de Ia préten-tion qui y est nécessairement présente.

Ce que l'intellectuel peut faire est au fond plus limité,mais peut-être aussi plus concreto Il résume sa fonctiond'une formule: « faire un relevé topographique et géo-Iogique de Ia bataille, voilà Ie rôIe de l'intellectuel.Mais quant à dire: voilà ce qu'il faut que vous fassiez,certainement pas » (Dits et écrits I, p. 1627). L'intellectueln'a plus vocation à l'universel, puisqu'il n'y a pas devaleurs universelles; il n'a pas non plus à délivrer une

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aLEXIQUE FOUCALDIEN GénéaIogie

Le concept viem de Nietzsche, qui a notamment écrit uneGénéalogie de Ia morale. Il signifie chez ce philosophe Iadémarche consistant à soupçonner sous Ies discours et lesnotions les plus assurées de Ia tradition et de Ia morale desmotifs plus iméressés et moins avouables. Foucault I'utilise enun sens tres fidele à cette origine: faire Ia généalogie d'un dispo-sitif permet, par Ia patieme étude de son histoire, d'en com-prendre le caractere singulier et arbitraire et donc de s'enlibérer.

ArchéoIogieCe terme désigne ici Ia démarche intellectuelle consistam à trai-ter les discours sur ce que nous disons, pensons et faisonscomme autam d'événements historiques. L'archéologie, en éla-borant Jes cond!tions d'émergence d'un ensemble pratique, per-met de percevOlr Je caractere finalement contingem de ce qui sedonne a nous comme une contrai me ou une limite universelles.

DispositifFoucault ent.er:d par dispositif ]'articulation complexe d'un rap-port de saVOlr a un rapport de pouvoir. Le systeme pénal est lemellleur exemple d'un tel dispositif, en ce qu'il unit uneconstruction de I'homme comme objet d'étude et l'élaborationd'une maitrise. de ce même individu. Savoir et pouvoirfonctlOnnem ICI de pair, dans une relation de conditionnememréciproque.

HerméneutiqueDe maniere générale, une herméneutique est une forme systé-ma tique d'imerprétation d'un discours ou d'un concept, dom lesens premier ne renferme pas l'authentique signification.Foucault refuse de maniere générale cette idée d'une profon-deur qui serait plus importante que Ia surface. La notion estdonc sensiblement modifiée, et s'applique ici à comprendrecomment nous nous sommes, au cours d'une histoire dont ilfaut lire les prémisses dans l'Antiquité, constitués comme sujetssexuels et éthiques.

HumanismeSelon Foucault, on ne peut mettre sous ce terme aucun corpusdéterminé de theses ou de conceptions. On regroupe en réalitédans cette notion un ensemble tres disparate de positions, quiont en commun de fonder leurs discours sur une conceptionparticuliere de I'homme, sou vem issue de Ia religion, de Iascience ou de Ia politique. Foucault, en indiquam dans Les motset les cboses à quel poim le concept d'homme est jeune - à peinedeux siecJes - et sur le point de mourir, formule I'une des cri-tiques Jes pJus efficaces de I'humanisme, sans qu'il faille y voirun rejet du respect du à I'être humain.

EpistéméCe concept définit un ensemble structuré de discours, reposantsur Ia construction d'un objet propre et de regles précises d'éla-boration. Foucault, qui utilise massivemem ce concept dans Lesmot: et les cboses, I'abandonne progressivemem au profit du « dis-posmf », dom Ia connotation est nettement moins théorique.

ÊtbosLes Grecs utilisent ce terme pour qualifier une maniere particu-liere, d'être, d'agir et de penser. Foucault reprend le concept en]'app1Jquam à ]'attitude spécifique de Ia modernité, puis à cellede Ia philosophie en général, qui est ainsi définie plus commeune dlsposmon que comme une discipline.

IntellectuelPar commodité ou par habitude, on appelle « intellectuel »

toute personne dont Ia profession et le travail s'accompagnentd'une intervention fréquente dans le débat poli tique, une inter-vention qui se fait au nom d'une compréhension considéréecomme supérieure de I'actualité en questiono Foucault refuse engrande parti e cette position magistrale, que Sartre incarne par-faitement: il s'agit pour lui d'être un intellectuel spécifique,c'est-à-dire d'être capable, grâce au travail archéologique, dedéterminer les Iignes d'attaque et les points faibles de Ia réalité àtransformer, cette transformation même étant confiée aux per-sonnes directement concernées.

PouvoirLe pouvoir est généralement pensé en philosophie comme I'ex-pression d'une forme de souveraineté, se manifestant par lemonopole de I'usage de Ia contrainte. Contre ce modele centra-lisé, Foucault affirme que le vrai pouvoir, celui qui est réelle-ment efficace, se constitue dans des modalités plus fines, pluscachées, qui integrent des rapports de savoir. En un sens, le vraipouvoir est celui qui n'apparalt jamais comme teI, celui qui saitse faire oublier.

SavoirFoucault, dans Ia premlere partie de son ceuvre, dresse unearchéologie du savoir. Celui-ci n'est pas seulement une formede connaissance ou de science; il désigne l'ensembJe complexeet structuré des discours portant sur un objet dont l'émergencepermet précisément I'apparition et Ia légitimité de ce savoir. Iln'y a ainsi de sciences humaines qu'à partir du moment ou leconcept d'homme apparalt comme indispensable, un momentque I'on peut précisément déterminer.

SujetCe concept désigne en philosophie la personne consciente etmaltre d'elle-même, source d'un ensemble bien délimité de dis-cours et de pratiques. Dans Ia derniere partie de son ceuvre,Foucault va tenter de montrer comment le sujet éthique estapparu, à travers Ia réflexion sur Ia sexualité. Il ne s'agit nulle-ment de revenir à une conception métaphysique du sujet, que ledispositif archéologique a définitivement rendu impossible.

LumieresOn désigne d'abord par Lumieres une période historique cor-respondant grosso modo au xv me siecle, caractérisée par unerevendication de liberté et d'autonomie de Ia raison. Ce mouve-ment, qui touche Ia totalité des pays européens, est tres divers,et prend en Allemagne une forme sensiblement différente deson expression française. Foucault considere que le propre desLumiêres n'est pas tant un ensemble déterminé de theses philo-sophiques qu'une attitude particuliere à I'égard de son actualitéet un souci de définir sa propre identité.

ModernitéLa modernité désigne un vaste mouvement littéraire, artistiqueet philosophique, qui couvre une partie du XIXe siecle et que I'onpeut caractériser par Ia haute conscience de sa nouveauté euégard aux périodes antérieures. Foucault, comme ille fait pourles Lumieres, considere que Ia modernité désigne en réalité une .attitude de valorisation de l'actuel, qui s'accompagne d'uneferme volonté de le modifier. Etre moderne en philosophieconsiste donc d'abord à s'interroger sur le sens de 1'« aujour-d'hui ».

11INDEX DES NOTIONS

IIDSUJETS DE DISSERTATION

Archéologie 16-17; 23-24Clinique 19-20Critique 56; 70; I07-ro8Dispositif 24-30Epistémé 20-23Êthos 43-45; 80-86; 99-1°4Folie 17-19Généalogie 81Hennéneutique 3°-32Homme 20-23Humanisme 22 ; 77-80Intellectuel I 15-I 17LuInÍeres ro5- I I 2

Minorité/Majorité 41; 48-49; 65-67; 92-93Modernité 27; 42-43; 72-76; 95-98; I I 2-1 13Pouvoir 24-25Prison 25-29Savoir 16-17; 29-30Sexualité 30-32Sujet 3°-32Usage publiclUsage privé 41-42; 68-70; 93-94

~ Peut-on reprocher à Ia philosophie d'être inutile?

~ Le progres de l'humanité n'est-il qu'un mythe?

~ À quoi sert l'histoire ?

~ Un philosophe est-il nécessairement un homme deson temps?

~ L'idée de progres a-t-elle un sens dans le domaine del'art ?

~ L'exigence d'autonomie de Ia raison est-elle compa-tible avec Ia vie en société ?

~ La liberté de penser comporte-t-elle des limites?

~ La raison ne parle-t-elle que de l'universel ?

~ La moral e résiste-elle au dévoilement de ses origines?

111BIBLIOGRAPHIE

~ Le souci de soi, Paris, Gallimard, 1984,Ces trois livres constituent une histoire de Ia sexualité,que Foucault n'a jamais pu achever. Ecrits dans unelangue d'une belle limpidité, ces textes manifestentune préoccupation d'ordre éthique qui n'était pasvisible dans les ouvrages antérieurs.

~ « 11 faut défendre la société », Paris, Seuil-Hautes

Études, 1997· ,~ Les anormaux, Paris, Seuil-Hautes Etudes, 199~'~ L'herméneutique du sujet, Paris, Seuil-Hautes Etudes,

200r. ,

~ Le pouvoir psychiatrique, Paris, Seuil-Hautes Etudes,

20°3·Ces textes reprennent celui du cours que Foucault don-nait chaque année au College de France. Cette éditionest en cours, et on peut espérer d'autres publications.

~ Dits et écrits, Paris, Gallimard-Quarto, 2001, 2 volumes.Cette édition reprend en un format commode Ia pre-miere édition des Dits et écrits, en quatre volumes, parueen 1994. L'une et l'autre contiennent un important dos-sier biographique et un index des notions tres utiles.

~ Folie et dàaison. Histoire de Iafolie à l'âge classique, Paris,Plon, 1961; repris sous le titre Histoire de Iafolie à l'âgeclassique, Paris, Gallimard, 1972.Ouvrage touffu, long et difficile, mais totalement nou-veau par sa méthode et son style.

~ Naissance de Ia clinique, Paris, PUF, 1963.Texte relativement bref, tres précis et instructif d'unpoint de vue historique

~ Les mots et les choses,Paris, Gallimard, 1966.Peut-être le plus célebre des livres de Foucault. L'undes plus intéressants, mais aussi des plus complexes.

~ L'archéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969.Une parenthese méthodologique dans l'ceuvre deFoucault. Particulierement ardu.

~ L'ordre du discours, Paris, Gallimard, 1970.Texte de Ia conférence inaugural e de Michel Foucaultau College de France. Tres accessible.

""".Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1975.Par sa puissance et son originalité, mais aussi par sa rela-tive facilité de lecture, un texte tres recommandable.

~ La volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1976.~ L'usage desplaisirs, Paris, Gallimard, 1984.

Ouvrages sur FoucaultPeu d'ouvrages sur Foucault sont disponibles en fran-

çais, alors que Ia production est surabondante en anglais.Notans toutefois:~ P. BILLOUET, Foucault, Paris, Les Belles Lettres,

Figures du savoir, 1999·Bonne synthese de l'ceuvre de Foucault.

~ G. CANGUILHEM,Mort de l'homme ou épuisement duCogito?, in Critique, 24 (1967),242.Bel article, fin et admiratif, écrit par l'un des maitresde Foucault.

~ E. DA SILVA,éd., Lectu1'es de Michel Foucault. VolumeII: Foucault et Ia philosophie, Lyon, ENS, 20°3.Un recuei 1 d'articles intéressant sur le rapport deFoucault à Ia philosophie. Réservé tautefois à unpublic averti.

'""""'O. DEKENS,L'épaisseul' hzmzaine. Foucault et l'anhéologiede l'homme moderne, Paris, l(jmé, 2000.Une tenta tive de rapprochement entre Kant et Foucault.

'""""'G. DELEUZE,Foucault, Paris, Minuit, 1986.Texte magnifique et Iumineux. DeIeuze tente une Iec-ture proprement phiIosophique du dispositif concep-tuel de Foucault. Ouvrage assez difficiIe.

'""""'H.-L. DREYFUS,P. RABI ow, éds., Michel Foucault: unpal'COu7''Sphilosophique, Paris, Gallimard, 1984,Une présentation d'ensembIe claire et précise de I'iti-néraire de Foucault.

'""""'D. ERIBON, Michel Foucault: 1926-1984, Paris,FIammarion, 1989.Une bonne biographie. Se Iit comme un romano

'""""'F. GROS, éd., Foucault: le coul'age de Ia vàité, Paris,PUF,2002.Quelques articles utiles. Niveau universitaire.

Ouvrages sur les Lumieres'""""'Th. ADORNO,Dialeetique négative, Paris, Payot, 2003.

Ce grand texte, méditatif et sombre, porte sur lexxe siecle, mais prend pour appui le projet desLumiêres, dont l'auteur considere qu'il est mort àAuschwitz. Récemment réédité en poche.

'""""'E. CASSIRER,La philosophie des Lumiens, Paris, Agora,1966.La seuIe présentation à Ia fois synthétique et phiIoso-phique des Lumieres. Tres recommandable.

'""""'G. RAULET,Aufklanmg. Les Lumiel'es allemandes, Paris,GF,1995'Un ouvrage utile pour Ia compréhension du versantallemand des Lumieres.

!di Aubin tmprimeur - Ligugé, Poitiers O.L. novembre 2004 1 W éd : 701 7120102!Si Impr. : P 67646/1mprimé en France

frrlld. L'!1lterprétntioll des rêves3\('" I,· •"'Ie dll ehapilr • \'1. e<liOlh I

~ristotr, Éthique à Xicomnque\('(] I "'Ir.' 1,:",",1 ,Jp- li",,- \ 111 ('\