24
www.echo62.com Ils sont venus du monde entier Ils sont venus du monde entier Octobre 2008 GRANDE GUERRE GRANDE GUERRE Tiré à part extrait du n° 96 de L’Écho du Pas-de-Calais

Tiré à part extrait du n° 96 de L’Écho du Pas-de-Calais ...horizon14-18.eu/wa_files/supplGG96.pdf · Ils sont venus du monde entier Ils ... Audomarois, Ternois) où sont passés

  • Upload
    vannhi

  • View
    213

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

ww

w.e

cho6

2.co

m

Ils sont venusdu monde entierIls sont venusdu monde entier

Octobre 2008

GRANDE GUERREGRANDE GUERRETiré à part extrait du n° 96 de L’Écho du Pas-de-Calais

90e ANNIVERSAIRE DE LA FIN DE LA GRANDE GUERRE2 L’Écho du Pas-de-Calais – octobre 2008

À un moment donné, toutes les com-munes du Pas-de-Calais ont été deprès ou de loin liées à la PremièreGuerre mondiale. Toutes ont vupartir les plus jeunes de leurs habi-tants; toutes ont pleuré leurs « Mortspour la France ». À l’heure du 90e

anniversaire de la fin de la GrandeGuerre, « nous assistons à un bas-culement de la mémoire vivante

vers l’histoire », explique ledirecteur de la Coupole,

centre d’histoire et demémoire du Nord

- Pas-de-Calais.Les derniersPoilus sontmorts et les voix

laissent le champ libreaux photographies, auxjournaux de marche des

régiments… Autant de docu-ments qui balaient l’idée simplisted’une guerre entre Français,Allemands et Anglais. Cette guerreétait mondiale et le Pas-de-Calaisapparaît « comme un condensé dumonde en guerre » pour reprendrel’expression de l’historien XavierBoniface. Une loupe posée sur ce

condensé met en évidence lesCanadiens, les Australiens,

les Néo-Zélandais, les

Indiens, les Portugais, lesAméricains, les Sud-Africains…Français et Anglais mirent leurs colo-nies à rude épreuve. Dans les tran-chées, sur les champs de bataille duPas-de-Calais.

« Le front se bricole »La Première Guerre mondiale dansnotre département peut se diviser entrois étapes. De fin août 1914 à finoctobre 1914, on assiste à uneguerre de mouvement, « la grandearmée allemande avançant versParis », les villages servant d’appuiaux combats avec un « mélange »franco-britannique. « Le front sebricole au fur et à mesure » expliqueencore Y. Le Maner. Les derniersaffrontements classiques se dérou-lent début octobre (Courcelles-le-Comte, Saint-Laurent-Blangy,Lorette…). Et la première batailled’Ypres marque un tournant, la finde la « course à la mer ».

« 100 % britannique »Arrive la « guerre fixe » sur un tracéglobal qui ne bouge pas, le retraitHindenburg constituant la seuleexception. Fin 1915-début 1916, lesAlliés attendent une « nouvellearmée » ; des unités arrivant du

Canada, d’Australie. Nouvellestroupes plongées dans le bain de sangde la Somme alors que la France« engage tout ce qu’elle a à Verdun ».À partir de 1916, dans le Pas-de-Calais, le front est devenu « 100 %britannique ». Avril 1917 est placésous le signe d’une offensive majeure:victoire à Vimy, échec à Arras; et ennovembre 1917 à Cambrai, lesAllemands emploient pour la pre-mière fois des techniques de contre-attaques d’infanterie.

Avancées méthodiquesLe retrait russe sonne le retour de laguerre de mouvement. Enmars 1918, les troupes d’élite prus-siennes partent à l’assaut. Labataille de la Lys fait craquer lesAnglais, les Français reviennent :« le trou est bouché de justesse ».Dès la fin août 1918, moralretrouvé, les Britanniques attaquentméthodiquement et font de sacrésbonds en avant. C’est la 2e batailled’Arras, la prise du canal du Nord(en chantier depuis 1913) fin sep-tembre 1918. La Grande Guerre aprofondément bouleversé le Pas-de-Calais. Dans sa chair. Avec ceshommes venus du monde entier, ilentrait dans le xxe siècle.

PARCOURU ou survolé à la fin de l’année 1918 quand les canons se sont enfin tus, le Pas-de-Calais reflètetrois fortes dimensions d’un conflit qui a impliqué les cinq continents. Dans la zone de front - 200communes touchées - d’une profondeur de 30 à 40 kilomètres, il n’y a plus rien. Autour de Bapaume

surtout. Ni arbres, ni maisons, ni églises. Dans la zone d’occupation (allemande) - « elle fut pensée etméthodique », précise Yves Le Maner - la vie et le charbon reprennent petit à petit leurs droits. Dans la zonearrière (Boulonnais, Montreuillois, Audomarois, Ternois) où sont passés des millions de combattants : états-majors, hôpitaux, cantonnements ont laissé des traces fraîches dans les terres et dans les esprits.

Les Échos du Pas-de-CalaisBP 139 – 5, place Jean-Jaurès

62194 Lillers CedexTél. 0321543575 – Fax 0321543489

http://www.echo62.comcourriel [email protected]

ISSN 1254-5171

Directeur de publication : Roland HuguetDirecteur de la rédaction : Jean-Yves Vincent

Rédacteurs en chef : Philippe Vincent-Chaissac et Christian DefranceChef de rubrique : Marie-Pierre GriffonRédactrice-graphiste : Magali Crombez

Photographe : Jérôme PouilleSecrétaire de rédaction : Claude Henneton

Outre les personnes citées par ailleurs,ont particulièrement contribuéà la réalisation de ce cahier :

Michel Gravel, Hugues Chevalier, Yves Le Maner,

Robert Wabinski, Alain Jacques, Dominique Faivre,

Brigitte Deligne, Henri Claverie, Yann Hodicq,

Raymond Sulligez, Philippe Égu.

Imprimé à 2 000 ex - Impression IEH, Montreuil-sur-Mer

La Grande Guerredans le Pas-de-Calais

Enfer, chaos et XXe siècle

Anglais, Chinois et bien d'au-tres se succédèrent en 14-18dans la ferme de ma grand-

mère maternelle. De là ils partaientà la bataille, au Front très proche...Ils ne revinrent pas tous hélasreprendre leurs affaires. Au décèsen 1943 de mon aïeule, on décou-vrit dans une pièce objets etconserves toujours en attente derestitution ! Pour elle tout celaétait intouchable. Pour la famillece fut le partage et je conserveencore un petit poêle de cam-pagne mais les « biscuits anglais »contenus dans des grandes boîtesen fer blanc furent mangés pen-dant la Deuxième Guerre mon-diale. On ne pouvait pas les laisseraux Allemands. Ce sont bien d'au-tres images, anecdotes et portraitsde ces terribles années que vousdécouvrirez dans ces pages spé-ciales éditées pour se joindre à lacommémoration, voulue par notreconseil général, du 90e anni-versaire de la fin de cetteguerre. C'est l'histoirenon pas des bataillesmais écrite par lesparticipants issus detous les continentsqui combattirent dans le Pas-de-Calais. Témoignageshumains et émouvants quinous font désirer toujoursplus la Paix. L'ennemi d'alors quiconstruit maintenant l'Europe avecnous fut tout aussi atteint dans lachair de ses hommes, parfois bienjeunes comme celui qui fut tuéchez nous à 14 ans.Notre Département, en tête pourle nombre de nations qui envoyè-rent des soldats, se devait deleur accorder les pages quisuivent.

Roland Huguet,président de l’association

Les Échos du Pas-de-Calais

Texte : Christian Defrance

Pho

to fo

nds d

ocum

enta

ire

Mic

hel G

rave

l

3L’Écho du Pas-de-Calais – octobre 2008

Marocains, Algériens, Tunisiens...POUR l’immense majorité des

habitants du Pas-de-Calais, lenom de Vimy est intimement lié

au Canada depuis la bataille d’avril1917. Le mémorial canadien s’étaledans tous les livres d’histoire, detourisme. Incontournable. Vimy, cen’est même plus la France… c’est leCanada.

Aussi le monument marocain qui auraitété restauré il y a quelques années auxfrais du roi du Maroc, passe (presque)inaperçu. Pose même question… Laraison de sa présence est somme toutefacile à trouver: la crête de Vimy, fortifiéeet tenue par les Allemands depuis 1914,était convoitée depuis longtemps par laFrance, pour sa position stratégique, aumême titre que la colline Notre-Dame-de-Lorette.En 1915, dans le secteur de Souchez, lesarmées française et allemande se fontface, enterrées dans des lignes de tran-chées successives. La France s’entête àvouloir reprendre Lorette malgré uneartillerie déficiente et veut percer le front.Cette fois, elle se fixe la crête de Vimycomme objectif, bien qu’il n’apparaissepas très réaliste.

Sur la crête de VimyLe 9 mai, la Division marocaine passe àl’attaque, droit devant elle. Contre touteattente, elle franchit les quatre lignes detranchées allemandes successives et arrivesur la crête, une heure et demie plus tard.Même si les pertes sont importantes, lesuccès est indéniable, incroyable même.Tellement incroyable que les renforts quiauraient dû suivre pour nettoyer le sec-teur, ne sont pas là. Pas prêts. Trop loinpour réagir rapidement.Alors, il faut tenir la position, jusqu’à ladernière limite. Pierre Miquel écrit dansLa Butte sanglante : « Ils ont eu tortd’être vainqueurs, ceux de la Marocaine.Il est question désormais de minimiserleur exploit […] puisque l’on n’a pas lesmoyens de soutenir ce qui est fait ».

Division sacrifiéeLa division marocaine est alors considéréecomme un point de fixation des tirsennemis… Ce qui revient à dire qu’elle estsacrifiée. Ce que le mémorial de laDivision marocaine commémore… Saufque pour le sociologue AbdelmoulaSouidia: « c’est un faux », dans le sens,où il laisse penser qu’il honore la mémoirede soldats marocains… Or, il n’y en avait

pas dans laDivision maro-caine. Elle estappelée ainsiparce qu’elle estrentrée duMaroc, enaoût 1914.Réorganisée, ellecomptait desunités d’originesdiverses. Dans lecas de laconquête de lacrête de Vimy, ils’agit de tirail-

leurs algériens, recrutés en Algérie ou enTunisie, et de légionnaires, volontairesaméricains, polonais, tchèques, étrangersde tout poil, suédois, suisses comme BlaiseCendrars,

Où sontles Marocains?Difficile dans ces conditions de s’yretrouver. Pourtant, il y a bien eu des sol-dats marocains engagés sur le front del’Artois. La présence du 1er régiment demarche de tirailleurs marocains estattestée en mai-juin 1915 du côté deAngres et Aix-Noulette. Le passage derégiments de marche de spahis marocainsest également connu, à Arras, Hesdin.Abdelmoula Souidia, lui, parle du caïd-mia (lieutenant) Brick Ben Kaddour, l’undes rares officiers marocains, qui a parti-cipé à la défense de Béthune, tué àRadinghem-en-Weppes et de l’un de sesamis Abbas Ben M’Hamed, tué àRichebourg en 1914. Mais, excepté si l’onconnaît parfaitement l’histoire des régi-ments, il est bien difficile de s’y retrouvercar il n’y a pas de cimetières marocains,algériens ou tunisiens… Seulement des

carrés musulmans, à Lorette, bien sûr, àLa Targette également où les tombesmusulmanes de 39-45 sont plus nom-breuses que celles de 14-18. D’où cettequestion: où sont passés les Marocains?Un peu partout, dans les cimetières de larégion, au hasard des regroupements decorps. Sachant qu’ils furent plus de30000 (37000 selon Pierre Miquel), àavoir quitté leur pays pour combattre auxcôtés des soldats français.

DANS le cadre de l’associationMemoria Nord, le sociologueAbdelmoula Souidia emmène

régulièrement des collégiens dans lescimetières et lieux de mémoire. « C’estlourd de sens » dit-il. L’histoire qu’ilsapprennent en classe, c’est aussi laleur. « Ils s’inscrivent dans l’histoire deFrance ».

Et cela les éloigne du monde ouvrier, leurseule référence. « Leurs parents sontvenus ici pour travailler, et d’un seul coupce sont des héros », poursuit AbdelmoulaSouidia, dont le père était mineur à Évin-Malmaison avec tout ce que cela comportede respect. L’homme explique que le Maroc était unprotectorat (au contraire de l’Algérie quiétait une colonie). Et si les Marocains sont

venus combattre en France, c’est parceque le roi le leur a demandé. Ils ontrépondu massivement. Ils venaient avecleurs chevaux, avaient les cheveux trèslongs et portaient la djellaba qui flottaitau vent lorsqu’ils étaient au galop. LesAllemands qui ne les aimaient pas, les ontsurnommés les Hirondelles de la mort.

Aujourd’hui, les Marocains ne sont pasrares à avoir un aïeul qui a fait la guerreen France. Ça fait partie de leur his-toire… Abdelmoula Souidia expliquequ’il est régulièrement interrogé par desMarocains qui veulent savoir où se trouvetelle ou telle sépulture. Pas facile car dansles tombes, il y a beaucoup d’inconnus.Et lorsqu’ils ont la réponse à la question,ils n’obtiennent pas leur visa, pour venirse recueillir… Il reste à faire pour que lesmentalités avancent.Et les démarches sont parfois longues.Ce fut le cas par exemple pour que BrickBen Kaddour qui avait été inhumé sousune croix latine, puisse reposer sous unestèle musulmane. Le capitaine Josse,ancien spahi, qui s’était rendu comptede l’anomalie a dû pour cela mener biendes tractations. C’est tout un travail de

mémoire qui reste à faire. M. Souidia quicherche quelques finances pour éditer unlivre sur le sujet veut rappeler que « lesMarocains ont participé à l’empire fran-çais ». À la grandeur de la France ensomme… Lorsque l’heure de la démobili-sation est venue, ils sont repartis là-basavec une toute autre vision de la France.Concernant les Algériens, l’historien CarlPépin explique que la guerre 14-18 leur àfait prendre conscience, qu’ils existaienten tant que peuple aspirant à l’indépen-dance. Sentiment renforcé avec laSeconde Guerre mondiale. Pour lesMarocains dont l’histoire en tant quenation est beaucoup plus ancienne, il n’yen a pas eu besoin. Mais cela les a sansdoute renforcés dans l’idée de sortir d’unprotectorat qui était loin d’être acceptépar tous.

Tirailleurs algériens, à Carency

Pour les Français d’origine marocaine, il y a toutun travail de mémoire à faire. Ici, cérémonie dansle carré musulman de Lorette.

Pho

to M

emor

ia N

ord

Fond

s doc

umen

tair

e Al

ain

Jacq

ues

Ils s’inscrivent dans l’histoire de FranceGrâce à leurs glorieux aînés venus se battre aux côtés des Français

Ils s’inscrivent dans l’histoire de France

Textes : Philippe Vincent-Chaissac

Le café dans un camp marocain près d’Aix−Noulette

Le mémorial de la Division marocaine

Pho

to fo

nds d

ocum

enta

ire

Alai

n Ja

cque

s

Pho

to P

hilip

pe V

ince

nt-C

hais

sac

De l’Afrique à l’Artois, sans perdre le nord...

L’Écho du Pas-de-Calais – octobre 2008 90e ANNIVERSAIRE DE LA FIN DE LA GRANDE GUERRE4

QUI connaît les Brassards rouges ? Philippe Égu deGrenay s’émeut de l’oubli de ces bataillons d’ouvrierscivils qui, refusant de travailler pour l’ennemi, ont été

déportés, maltraités, martyrisés. C’était le cas de son grand-père maternel, Georges Cambier, menuisier, emmené deforce à 19 ans, et qui a survécu aux privations et aux coups.Pour M. Égu, «les Nazis n’ont pas inventé les camps deconcentration en 40. Toute l’organisation était en place dèsla Grande Guerre.»

Moult témoignages relatent des actes de bravoureféminine, remarquables ou modestes. « Desfemmes ont fait de la Résistance, explique HenriClaverie, 88 ans, historien d’Hénin-Beaumont ;elles ont franchi les lignes ennemies pourfaire passer des messages. Ellesvivaient dans des caves, et n’en sor-taient que pour aller au ravitail-lement afin de nourrir leurfamille. Pendant des heures,elles moulaient leur farinedans des moulins à café »Simone Caffard, retrouvéepar Raymond Sulliger, duCercle historique deFouquières-lès-Lens était àsa manière une jeunehéroïne. Institutrice. Douéeet passionnée d’éducation, ellea fait cours aux enfants danstoutes les circonstances et s’estacharnée à les amener au certi-ficat d’études en 1916. Elle tombamalade l’année suivante et mourut.On sait moins que les femmes ont été victimesd’exaction. Viols, travail forcé, déportation,répression féroce en cas de résistance… Les atro-cités qu’elles ont subies n’ont pas traversé l’his-

toire car les cruautés de la Deuxième Guerremondiale ont pris toute la place dans lesmémoires.Les enfants eux-mêmes ont eu le patriotisme

qu’ils pouvaient. Raymond Sulliger a retrouvédes anecdotes dans l’ouvrage d’Alfred

Crépel. Notamment celle des petitsFouquièrois qui chantaient au nez des

soldats allemands revenant deLorette :

« Té peux chirer tes guêtesTé n’mont’ras pas LoretteTé peux chirer tes bottes

Té n’mont’ras pas la côte! »Il raconte aussi que les gamins lesplus hardis déposaient une briqueou deux au fond de la marmite del’occupant, juste quand le cuistot

avait le dos tourné ou qu’ils sedébrouillaient pour braver discrète-

ment l’ennemi. Comme laKommandantur avait édicté l’ordre à

tous les hommes et jeunes gens de saluerles officiers en enlevant leur casquette, cer-

tains se promenaient tête nue - et ce n’était guèrecourant à l’époque!

Émancipation

Peu d’études ont été menées surle sort des civils en zoneoccupée, mais de nombreuxtémoignages y relatent les diffi-ciles conditions de vie.Réquisitions, atrocités collec-tives, représailles et travauxforcés se sont multipliés. Dès1914, les civils sont devenus

pour l’occupant une main-d’œuvre corvéable pour« l’effort de guerre » notam-ment pour la reconstructiond’infrastructures détruiteslors des combats. Quand ilsrésistaient, les civils (et parfoismême les femmes et les jeunesfilles) étaient déportés dans descamps de travaux forcés. Ils for-maient alors les ZAB« Zivilarbeiter-Bataillone »(bataillons de travailleurs civils)et portaient un signe distinctif :le brassard rouge… Certainsl’ont gardé jusqu'en 1918 ! Lesconditions de vie de cesBrassards rouges étaient sem-blables à celles des prisonniersdes camps de déportation.

RécalcitrantGeorges Cambier avait refuséde se soumettre à la volontédes Allemands, il a été puni.Avec un demi-millier d’autres

civils, il s’est vuemmener - « comme unbagnard », ce sont les mots deson petit-fils - là où la main-d’œuvre était utile. Dans lesecteur de Vadancourt (Aisne)notamment. À la gare, ilraconte les coups de crosse, lesmorsures de chiens, les exécu-tions sommaires. À l’arrivée, lafaim et les sévices l’attendaient.« On se lavait dans le café dumatin, et cela fait, il fallaitbien le boire car nous man-quions même d’eau ». Ceux quirefusaient encore de travaillerétaient enfermés dans des cavesinondées, des cabanes rempliesde fumier nauséabond. Tousles trois jours, ils recevaient un

litre de soupe sans pain. Aubout de vingt jours, ils cra-quaient…D’autres étaient enfermés dansdes caisses. Certains sontdevenus fous. L’hôpital, biensûr, était un abattoir et lesmorts se comptaient par cen-taines.

La censureLes cartes de correspondanceétaient autorisées maisdevaient être rédigées aucrayon de bois pour passer lacensure. Une blessure àl’épaule a miraculeusementpermis à Georges de rentrerchez lui, « mais il a dû repartir

car il avait peur des repré-sailles sur sa famille. »L’homme a enfin pu quitterl’enfer en 1917. Dans le Nord,il a retrouvé sa mère qui pleu-rait la mort de son père. Aprèsguerre, il a participé à lareconstruction des mines et amis ses talents de travailleur dubois au service de la compagniedes mines de Béthune.Aujourd’hui, aucun monumentne rend hommage auxBrassards rouges. « Leur résis-tance est demeurée dansl’ombre, regrette Philippe Égu.Ils ont pourtant bien mérité dela patrie ! »

Les Brassards rouges, résistants à l’occupant.

Photos Collection Philippe Égu

es Brassa Oubliés de l’histoireOubliés de l’histoireges :les Brassards rouges :

Pho

to C

olle

ctio

n P

hilip

pe É

guLes femmes et les enfants d’abord

Textes : Marie-Pierre Griffon

Rens. http://pabqt.free.fr/mairie1/vieclav.htmlhttp://fouquiereschf.free.fr/

Simone Caffard est morte en janv

ier

1917

PhotoCollection

duCercle

historiquede

Fouquières-lès-Lens

Pho

to C

olle

ctio

n du

Cer

cle

hist

oriq

ue d

e Fo

uqui

ères

-lès-

Lens

Il est courant de dire que la guerre 14-18 a joué un rôle impor-tant dans l’émancipation des femmes. L’affirmation est pour-tant très modérée par les historiens qui insistent sur le caractèresuperficiel des changements. Si des bouleversements se sonteffectivement produits, ils n’ont duré que peu de temps, lesfemmes retrouvant leur place au foyer à l’issue du conflit. Lesprincipales gagnantes ont peut-être été ces femmes qu’on disaitinstruites ou celles qui étaient issues de la bourgeoisie. D’abordelles ont vu apparaître le baccalauréat féminin en 1919, puisl’égalité des salaires pour les institutrices et toutes ont bénéficiéde simplifications vestimentaires. Après la guerre, les corsets,les longues robes gênantes et les grands chapeaux embarrassantsont été abandonnés. Un début de libéralisation des corps...

FRANÇAIS,

Fouquières−lès−Lens. L’occupant posait avec les autochtones − ici la familleMusin − comme il l’aurait fait pour un tableau de chasse.

L’Écho du Pas-de-Calais – octobre 2008 5

Émilienne Moreau et sa familleont quitté Wingles pour Loos-en-Gohelle en juin 1914. Son père,porion en retraite, avait obtenula gérance d’un petit commercesur la place du gros bourg minier.La jeune fille avait tout justeseize ans et se destinait à l’ensei-gnement. Les nouvelles alar-mantes des derniers jours dejuillet la tracassaient un peumais, « une jeune fille ne prêtepas trop d’attention à des nou-velles de politique étrangère; et,s’il faut tout dire, je ne savaispas trop ce qu’était cette Serbiedont on parlait… » écrit-elledans « Mes mémoires, 1914-1915 », paru dans la revue LeMiroir. Quand le 1er août à 16 h,la sirène fait remonter lesmineurs du fond et que le tocsinsonne dans les corons, elle estprécipitée dans la réalité…Mobilisation, départ de son frèrepour le front, les journées d’in-certitude succèdent aux journéesd’angoisse et après les cortèges decivils évacués, arrive la cohorte

des Allemands occupants.Passe le temps. Au fur et àmesure des indignations, des pil-lages des hulans, la jeune filleprend de l’assurance.

La force de ces gestesDans son grenier, Émilienne s'estfait un poste d’observation privi-légié et, avec des jumelles, suit lesévénements. Elle se met àobserver les Allemands qui secreusent des abris sur le terril,qui s’installent dans les bâtimentsdu triage et qui établissent, le8 octobre 1914, des mitrailleusesentre les pylônes de la Fosse. « Uninstant après, nous reconnais-sions sur la côte nos fantassins.Je m’écriais tout à coup: les mal-heureux! Ils vont être fauchéspar les mitrailleuses… »Sans réfléchir, la jeune fille s’estmise à courir « comme une folle »,entre les balles et les shrapnelles(les éclats d’obus) pour prévenirles soldats. Les obus français ontpu encadrer les Allemands.« Merci mon enfant, vous êtes

une brave petite Française! » luidit le Sergent. « Tu as bien fait! »lui a glissé son père en l’embras-sant. Chaque jour a aguerri lajeune fille. Quand la mairie est enflammes, elle court éteindre le feuet sauver des archives d’Étatcivil; quand les Allemands lamenacent, elle leur tient tête,brandissant à l’occasion une bou-teille. « (...) je me demande sic’est bien moi qui ai eu la force deces gestes, » écrira-t-elle plustard.

« Donnez-moideux grenades »Quand des blessés anglais passentpar Loos-en-Gohelle, dévastée,Émilienne Moreau devient secou-riste. Avec sa mère, elle trans-forme la maison familiale en infir-merie et apporte une aide efficaceau médecin anglais qui s’y ins-talle. Dans le livre « Petits hérosde la Grande Guerre » Jacquin etFabre racontent que les blessésne cessaient d’y affluer mais quenombre d’entre eux, en tropmauvais état restaient sur lepavé. « Malgré les objurgationsdu major qui craint pour sa vie,elle quitte l’abri de sa maison etla voici qui s’en va, sous la fusil-lade qui crépite, donnant à boireà celui-ci, dégageant celui-làd’entre les morts… » Quand l’in-

firmière voit, tout à coup troisAllemands menacer un Écossaisblessé, elle décide de les attaqueravec trois autres soldatsblessés « qui peuvent àpeine tenir sur leursjambes ». « Suivez-moi, murmureÉ m i l i e n n eMoreau, jep a s s edevant. »Mais unbruit sansdoute arévélé leurprésence etune balle alle-mande vientfrôler les che-veux de la jeunefille. Elle décidepourtant que la partien’est pas perdue. « Restez-là dit-elle en montrant auxAnglais la porte de la cave, etdonnez-moi deux grenades. »Quelque temps plus tard, unautre acte de bravoure luioffrira l’immortalité dans lecœur des Loossois. Restée seuleavec un blessé étendu sur unecivière, elle voit surgir deuxAllemands devant elle qui l’ajus-tent de leur fusil. Ils manquentleur tir mais la jeune fille, elle, neles ratera pas. « Elle aperçoit un

revolver d’ordonnance (...).Émilienne s’en saisit.Fébrilement elle tire coup surcoup, au hasard d’ailleurs (...),les Allemands foudroyés presqueà bout portant, tombent l’unaprès l’autre. »Frédo Duparcq, de l’association« Loos-en-Gohelle sur les tracesde la Grande Guerre » connaîtl’histoire d’Émilienne par cœur.Du moins celle que les vieux duvillage lui ont racontée, car entreles Mémoires d’Émilienne, lelivre de Jacquin et Fabre et lessouvenirs loossois, les péripétiesvarient un tantinet. Peuimporte, le mérite reste entier etFrédo, feuilletant précieusementle rare numéro du Miroir, par-tage avec générosité les détails del’aventure. L’histoire se finitbien, entre médailles et décora-tions: « Un jour qu’Émilienneétait partie à Béthune pour faireopérer sa petite sœur blesséed’un éclat d’obus, une voitures’est arrêtée à ses côtés.Quelques instants plus tard, elleétait présentée au généralanglais commandant le secteur.Le militaire souhaitait la remer-cier et lui préciser qu’il avaitinformé les gouvernementsanglais et français. Le 27novembre 1915, sur citation àl’armée du général Foch, legénéral De Sailly remettait ainsila croix de guerre avec palme àla jeune héroïne. Sur proposi-tion du général Douglas Haig,l’ambassadeur de Grande-

Bretagne à Paris lui adécerné au nom de sa

majesté le Roi, lamédaille militaire, la

Croix Royalerouge 1e classe etl’Ordre hospita-lier de Saint-Jean deJérusalem. »Inutile de direque le nomd’Émilienne

Moreau serainscrit sur les

tablettes desAllemands quand

ils reviendront vingtans plus tard. Mais laSeconde Guerren’aura toujours pasraison de sonardeur. Au sein dela Résistance,celle quid e v i e n d r aJeanne Poirierou Émiliennela blonde feral o n g t e m p sencore parler

d’elle…

Une si jeune héroïne…

DIRE que les Loossois et l’association «Loos-en-Gohelle surles traces de la Grande Guerre» sont fiers de leurhéroïne Émilienne Moreau est peu dire. Il faut préciser

que dans le Pas-de-Calais elles ne sont pas légion, lestéméraires de 16 ans, grenade à la main et revolver au poing !Tour à tour fille aimante, institutrice, infirmière, etcombattante, elle n’a jamais courbé la tête ni baissé les yeux.

Émilienne Moreau de Loos-en-Gohelle

Texte : Marie-Pierre Griffon

La guerre n’est pas terminée, que la toute jeune Emilienne Moreau est déjà décorée de la croix de guerre avec palme. Ce jour−là, le 27 novembre 1915, elleest reçue par Raymond Poincaré à l’Elysée. Elle sera la seule femme à recevoir la Military Médal, la médaille militaire anglaise, puis se verra encore décerner laRoyal Red Cross, l’Ordre de Saint John of Jérusalem et la Légion d’honneur.

Pho

to C

olle

ctio

n : L

oos-

en-G

ohel

le su

r le

s tra

ces d

e la

Gra

nde

Gue

rre.

Colle

ctio

npr

ivée

Hug

ues

Che

valie

r

L’Écho du Pas-de-Calais – octobre 2008 90e ANNIVERSAIRE DE LA FIN DE LA GRANDE GUERRE6

Vera Brittain est née en 1893 dans une familleanglaise bourgeoise. Très tôt, elle a refusé lecarcan dans lequel étaient enfermées les jeunesfilles d’alors. Elle enviait son frère cadet qui, lui,pouvait quitter la maison sans être marié. Rebelle,elle ne parlait que d’indépendance, d’études et decarrière. Malgré la désapprobation paternelle, elle aréussi à se faire accepter au Somerville College Oxfordoù elle est tombée amoureuse de Roland Leighton, l’amide son frère. L’avenir leur semblait radieux quand en 1914la guerre a éclaté. « Emportée par l’émotion et par l’éclatantvisage du patriotisme », - ce sont ses mots - Veras’est portée volontaire et a suivi une formationd’infirmière auxiliaire. Encore une fois contrel’avis paternel.

Elle n’a vraiment compris ce qu’était la guerreque trois semaines plus tard… Elle était chaquejour plus horrifiée par la boucherie. EnAngleterre, à Malte, en France et en particu-lier à Étaples, elle a vu mourir l’un aprèsl’autre ses amis, son fiancé et plus tard, sonfrère… Elle était devant cette situationabsurde : elle travaillait d’arrache-pied poursauver des vies, et notamment celles de pri-sonniers allemands, alors que son frèreessayait de les détruire ! C’est là que son paci-fisme s’est enraciné. Elle a écrit et publié son

journal de 1913 à 1917 « Chronicle of Youth »et « Testament of youth 1933 », une autobio-

graphie dans laquelle, dit-elle, elle fait plus appelà l’esprit qu’au cœur. L’histoire a été mise à

l’écran en Angleterre dans une très populaire sérietélévisée. Vera Brittain s’est investie avec fougue dans

la campagne pacifique de l’entre-deux-guerres, elle amilité ensuite pour le désarmement nucléaire,pour l’indépendance des pays colonisés, lemouvement anti-apartheid en Afrique du Sud.

ANGLAISTextes : Marie-Pierre Griffon

Vera Brittain était infirmière à Etaples. Son passage dans la GrandeGuerre a fait d’elle une militante pacifiste de renom international.

Le camp d’Étaples

Destiné au stockage de maté-riel, à la formation, à l’entraî-nement des troupes, et à leurremise en forme, un camp

gigantesque a été établi. Ilaccueillait entre autres unevingtaine d’hôpitaux, soit20 000 lits, pour recevoir les

blessés qui arrivaient partrains entiers. Il a même falluconstruire une gare annexe.Les blessés étaient d’abordaccueillis dans des postes derepos puis conduits jusqu’aucamp en ambulances par lesauxiliaires de l’armée britan-nique, les « Kaki girls » vitenommées « Cats qui gueulent »par les Étaplois. Ces jeunesfemmes, qui étaient aussi cui-sinières, dactylos, télépho-nistes à l’état-major… « nefurent pas le moindre motifd’étonnement de la part desÉtaplois qui, pour la premièrefois de leur vie, voyaient desfilles en uniforme, » expliquePierre Baudelicque, docteurde l’université.

À leur arrivée, à Étaplescomme dans tout le Pas-de-Calais, les soldats ont reçu unaccueil chaleureux de la popu-lation « qui voyait en eux desalliés déterminés à soutenir lecombat de la France, même sien réalité la Grande-Bretagnea déclaré la guerre pour pro-tester contre la violation alle-mande de la neutralitébelge, » raconte XavierBoniface, professeur à l’uni-versité du Littoral.

Les bébés illégitimesParfois, entre soldats etfemmes du pays, se sontnouées des idylles. Il y a eu desmariages, peu nombreux

(cinq, dit-on) en raison peut-être de la différence de reli-gion (ils étaient anglicans, ellesétaient catholiques). Les « fra-ternisations » ont engendréquelques naissances illégitimesdans toutes les catégoriessociales de la population. « Lesbébés nés de ces liaisons d’unjour ou d’un mois furent biensûr affublés de quolibets que lagouaille étaploise, toujours enéveil, ne manqua pas d’in-venter à ce sujet, » écritPierre Baudelicque dans sonfameux ouvrage « Histoired’Étaples. Des origines à nosjours ». Les petits étaient misà l’index et certains serontinsultés : « Va donc, espèceed’monster ed’batardd’inglé ! »

La « Peste noire »La prostitution évidemmentprospérait et avec elle, la« Peste noire » : les maladiesvénériennes. Le fléau n’a pasété pris en compte tout desuite, du fait de l’attentionportée uniquement aux bles-sures de guerre. EnFrance, lesgrands centreset la plupartde toutes lesvilles secon-daires sontd e v e n u sdes foyersde conta-gion. À

Étaples, un hôpital était entiè-rement réservé aux militairesatteints de ces maladies « spé-ciales ». Chez les civils, l’épi-démie prospérait. C’est unedes raisons pour lesquelles lacohabitation franco-britan-nique a perdu au fil du tempsun peu de son harmonie. Auxmaladies vénériennes et à laprostitution est venu s’ajoutertout ce que développe la pré-sence des soldats : vente d’al-cool, bagarres, augmentationdes délits… même si, àÉtaples, les militaires sor-taient peu du camp.

En outre, la population n’ap-préciait pas de voir ses droitsrestreints, notamment enterme de circulation (laissez-passer, couvre-feu…). Les relations se sont carré-ment distendues quand, à l’oc-casion de la mutinerie, fin1917, les militaires sont sortisfous furieux du camp. LesÉtaplois ont vécu alors unesemaine d’enfer… dont onparle encore aujourd’hui.

Vera BrittainVera BrittainL’engagée volontaire devenue

fougueuse pacifiste

Femmes et enfants du pays… et soldats anglais.

FraternisationsFraternisations

Pho

to c

olle

ctio

n P

ierr

e B

aude

licqu

e

ÉTAPLES était un carrefour ferroviaire exceptionnel. Delà, on atteignait directement les champs de bataille dela Somme et de l’Artois. Si l’on tient compte de la

proximité de Boulogne-sur-Mer et de l’existence de vastesterrains libres, on comprend pourquoi les Anglais ont euenvie de s’installer sur ce lieu stratégique idéal. Lesmilitaires ont étendu là la base militaire britannique la plusimportante de France. Probablement plus d’un milliond’hommes y passèrent, de mars 1915 à novembre 1918. Leslieux accueillaient en permanence 60 à 80 000 soldats.

Phot

oco

llect

ion

Pier

reB

aude

licqu

e

L’Écho du Pas-de-Calais – octobre 2008 7

LES cimetièresbritanniques sontdisséminés un peu

partout dans le Pas-de-Calais,les plus nombreux étant sur lefront de l’Artois. Le plusimportant est à Étaples, loindes tranchées. L’explicationest simple, Étaples était labase arrière des Britanniquesqui y avaient établi plusieurshôpitaux sur la colline(aujourd’hui urbanisée) quidomine la vieille ville.

« Étaples est le plus douloureuxde tous les cimetières. Ici repo-sent des hommes que la gan-grène et les gaz tuèrent à petitfeu, qui survécurent un temps,sans poumons et sans yeux. Ilsétaient enterrés, dix, quinze,vingt à la fois ». Au total 11658tombes sont dénombrées, 800suite au bombardement alle-mand de 1918.

Le Bull RingCe que l’on sait moins, c’est quece cimetière situé au-dessus de laCanche, sur la route deBoulogne jouxtait un terraind’entraînement, le Bull Ring,l’arène du camp d’Étaples, pas-sage obligé, pour tous ceux qui,débarqués à Boulogne, devaientêtre formés avant d’être envoyéssur les fronts de l’Artois et de laFlandre. Véritable enfer que leshommes soumis à une extrêmediscipline et à un entraînementtrès dur, quittaient sans regretspour le front. Une préparationpsychologique en somme quipourrait être défendue si la réa-lité des faits n’avait pas dépassél’entendement au point de pro-voquer en septembre 1917, unevaste mutinerie sur laquelle laGrande Bretagne fit glisser unvoile de silence.

Six jours de révolteMême les historiens qui connais-saient les faits pour avoirrecueilli les témoignages de lapopulation étaploise, n’arri-vaient pas à savoir le fin fondd’une histoire que l’immensemajorité des Anglais, et plus lar-gement des Britanniques, ontignoré jusqu’en 1978, année dela publication d’un livre signépar W. Allison et J. Fairley: TheMonocled mutineer. Pour ledocteur en histoire PierreBaudelicque, cet ouvrage est àprendre avec précaution. Il a ététrès critiqué en Angleterre maisa eu le mérite d’obliger à recon-naître l’existence d’une révoltequi a duré six jours. Polémiqueil y a eu, polémique il y a encore,et polémique il y aura jusqu’en

2017, année où le secret sur lesarchives militaires pourra êtrelevé.Pour autant, l’historiend’Étaples confirme la plupartdes idées développées dans celivre traduit par ClaudineLesage en 1990. Y compris quede très nombreux soldats ontdéserté pour vivre dans les bois,les marais et les dunes quis’étendaient autour du camp…Dans les tunnels et cavernescreusées dans la craie autour deCamiers. Parmi ces déserteursfigurait un certain Percy Toplisà qui Allison et Fairley attri-buent un rôle important dans lefilm des événements. PourPierre Baudelicque, l’hommefaisait certes partie des déser-teurs et figurait parmi les agita-teurs, mais sans doute faut-il luiaccorder un peu moins d’impor-tance.D’ailleurs, c’est apparemmentun drame, parmi d’autres, quimit le feu aux poudres. Lemeurtre (coup de feu accidenteldit le rapport officiel) ducaporal Wood surpris par unpolicier militaire à discuter avecune fille d’Aberdeen portantl’uniforme des WAAC (Women'sAuxiliary Army Corps), ce quiétait strictement interdit.Pour les soldats qui en avaientassez du traitement que leur fai-sait subir le brigadier généralThomson, commandant ducamp, dépeint comme un modèlede brutalité et de tyrannie, lesinstructeurs et les policiers mili-taires, c’était l’affaire de trop.Le camp tout entier a été prisd’un accès de colère qui a vutrois à quatre mille soldats écos-sais, australiens, néo-zélan-dais… franchir les portes et lesgrillages de leurs cantonnements.Une colère féroce dont furent

victimes leurs « tortionnaires »mais aussi des civils français, desinfirmières… Passages à tabac,viols, à répétition ont étécommis.Pierre Baudelicque rapporteles propos du jeune LucienRoussel, 15 ans à l’époque, quivit les troupes britanniques« s’abattre sur la ville commede véritables sauvages, cha-pardant et détruisant tout surleur passage ».

Une mutineriequi couvaitLe brigadier général Thomson avoulu faire croire, au début, àun coup de colère. Mais c’étaitbien plus grave puisque cela aduré six jours.Aux brutalités dont souffraientles soldats, et à la mort ducaporal Wood, il faut aussi trèscertainement ajouter d’autrescauses à cette mutinerie qui cou-vait sans doute depuis un certaintemps… Les questions qui seposent sont multiples? Dequelles informations disposaientles soldats? Savaient-ils que ducôté français, il était questionaussi de mutineries? Quelle étaitl’influence exercée par les déser-teurs qui se jouaient des gar-diens du camp et se mêlaient à latroupe? Les propagandes, paci-fiste et communiste, étaient-ellesarrivées jusque-là?

Les mutins tuésau combatL’ouverture des archivesapportera peut-être un éclai-rage nouveau sur toute cetteaffaire qui, sur le terrain, pritfin le vendredi 14 septembre,date considérée comme étantcelle du retour au calme. Celui-ci fut rendu possible par l’ar-rivée de troupes chargées de

rétablir l’ordre, parmi les-quelles les lanciers du Bengalequi n’attendaient plus qu’unordre pour ouvrir le feu.Devant l’imposante démonstra-tion de force, les mutins rentrè-rent dans le rang et gagnèrentrapidement le front de Flandreoù le général Haig s’apprêtait àdéclencher l’offensive terrible-ment meurtrière dePasschendaele. La plupart desmutins y furent tués, sans avoirraconté à leur entourage, ce quic’était réellement passé àÉtaples, où une commissiond’enquête désigna lesmeneurs… « On pense qu’unedizaine d’exécutions ont eulieu », écrit Pierre Baudelicquedans son Histoire d’Étaples.D’autres sentences ont été pro-noncées. Combien ont été exé-cutées ? Encore une question

qui reste sans réponse : lescorps des fusillés auraient étéramenés en Angleterre.De nos jours, le seul vestige ducamp d’Étaples est donc cetimpressionnant cimetière. Maisrien bien sûr pour signifier quele pouvoir guerrier de l’arméebritannique y aurait vacillé.Allison et Fairley l’ont affirmé.Pierre Baudelicque se veut pluspondéré: « la Révolte d’Étaplesn’a pas été la seule. Il y en a euau Havre, à Calais… et àDouvres ». Mais ce qui est sûr,c’est que la censure a bien fonc-tionné et que le mutisme britan-nique a fait son effet. « Le frèreaîné de ma mère qui étaitanglaise, dit PierreBaudelicque, est resté pendanttoute la guerre à Étaples…Jamais il n’a parlé d’unerévolte à son entourage ».

Une mutinerie

Entraînement au Bull Ring, l’endroit de toutes les brimades et des insultes quotidiennes. Le site jouxtait l’actuel cimetière militaire.

Bull Ring et harcèlement

Les témoignages recueillis auprès des vétérans, 50 ou 60 ansaprès les faits, sont édifiants. Les troupes arrivées à Boulognetombaient immédiatement entre les griffes des Canaris (surnomdû à leur brassard jaune) qui leur faisaient parcourir la dis-tance jusqu’à Étaples, à marche forcée, n’ayant droit qu’à unedemi-tranche de pain et un verre d’eau lors d’une halte àNeufchâtel. Un avant-goût de ce qui les attendait une foisarrivés à Étaples. Coupés du monde, ils étaient les victimes d’unharcèlement moral et physique pendant tout le temps quedurait leur apprentissage. Une déstructuration mentale qui selisait sur les visages. Le poète Wilfrid Owen qui voyait le campd’Étaples comme « un enclos où des bêtes sont parquéesquelques jours avant le carnage final », exprimait bien cela,parlant du regard aveugle de ses congénères, « sans expression,comme celui d’un lapin mort ». Le Bull Ring était l’endroit detoutes les brimades et les insultes quotidiennes. « J’ai été blessédeux fois mais cela n’est rien en comparaison de ce j’ai vécu àÉtaples », écrivait un vétéran… « À dire vrai, j’ai vécu àÉtaples de mauvaises périodes comme j’en ai vécues au front,témoignait un autre, mais nulle part ailleurs je n’ai éprouvé untel sentiment de colère ». Sentiment d’autant plus légitime queles instructeurs qui leur en faisaient tant baver, ne sont jamaisdescendus dans les tranchées…

Textes : Philippe Vincent-Chaissac

sous le voile du silence

Pho

to fo

nds d

ocum

enta

ire

Cla

udin

e Le

sage

L’Écho du Pas-de-Calais – octobre 2008 90e ANNIVERSAIRE DE LA FIN DE LA GRANDE GUERRE8

« Joue pour eux Laidlaw. Pourl’amour de Dieu, joue poureux! » Le Piper joue BlueBonnets O’er the Border puis Onthe Braes O’Mar. Touché deuxfois à la jambe, il avance malgrétout. Quand l’objectif est atteintpar ses camarades, il revientdans sa tranchée, avec sa corne-muse. La sortie du Piper Laidlawest un épisode hors du communde la Grande Guerre. Sortivivant du conflit, Daniel Laidlawinterprètera son propre rôledans le film « The guns of Loos »en 1928, apparaissant aussi cinqans plus tard dans « ForgottenMen ». « Le 25 septembre 1915,mes cheveux ont blanchi enquelques heures », racontaitDaniel Laidlaw qui mourut en1950. Le Piper du 7th BattalionKing’s Own Scottish Bordererssymbolise « à merveille » la pré-sence écossaise dans l’armée bri-tannique. Une présence qui nepassait vraiment pas inaperçue,les soldats écossais portaient leurpropre uniforme: le kilt bien sûr

avec l’aumônière en cuir sur ledevant, le béret sur la tête. Cessoldats ont frappé les esprits, lesAllemands les surnommaient« Damen von Hölle », les damesde l’enfer; les populations localess’étonnaient de les savoir sanssous-vêtements! Dames del’enfer, car le courage, lejusqu’au-boutisme ont collé à lapeau des unités écossaises danstoutes les batailles auxquelleselles ont participé.147000 Écossais ont trouvé lamort lors de la Première Guerremondiale: cela représente 20 %des pertes britanniques. Pour sefaire une idée de l’hécatombe, ilfaut par exemple comparer avecl’Australie. Australie et Écossecomptaient 5 millions d’habi-tants en 1914: 60000 Australienssont morts en 14-18 Écossais. Lespertes furent énormes pendant labataille de Loos: 50 % des effec-tifs pour chacun des huitbataillons de la 15e Division écos-saise ayant attaqué le village et laCôte 70.

UNIONISTES et nationalistes. Protestants et catholiques. Nord et sud. Une îledivisée, plus encore après les « Pâques sanglantes » de 1916 à Dublin(rébellion contre l’occupant britannique et terrible répression). Mais le même

enfer des tranchées pour les 210000 Irlandais qui ont servi dans l’arméebritannique durant la Première Guerre mondiale. 35000 tués. Il fallut toutefoisattendre 1998 pour inaugurer, à Messines, sous le signe de la réconciliation, le« Island of Ireland Peace Park ».

Arrivée en France - au Havre - dès le 18décembre 1915, la 16th Irish Division décou-vrit les tranchées au début de l’année 1916.Du 27 au 29 avril, elle fut complètementimpliquée dans la bataille d’Hulluch, unedes batailles de la Grande Guerre où l’onutilisa le plus les gaz toxiques. Lors de l’at-taque allemande du 27 avril, sur les 1 980victimes, on compta 570 tués et de nombreuxblessés moururent plus tard suite à des pro-blèmes respiratoires. Pour troubler lesIrlandais, les Allemands avaient placardé enface des tranchées des affiches évoquant les« Pâques sanglantes » du 24 avril. En août

1916, la 16th Division prit de nouvelles posi-tions dans la Somme. En juin 1917, lescatholiques de cette 16th Division retrouvè-rent les protestants de la 36th Ulster Divisiondu côté de Messines, prenant ensemble le vil-lage de Wijtschate le 7 juin. Après Péronne,Hamel, la 16th Division fut relevée débutavril 1918, ordre lui étant donné deretourner en Angleterre via Aire-sur-la-Lyset Samer. Après les gaz, les « vétérans » res-pirèrent en Irlande un climat politiqueplutôt piquant... Quelques-uns passèrentdans les rangs de l’IRA, se battant alorscontre les Anglais.

25 SEPTEMBRE 1915, bataille de Loos. Le bruit assourdissantdes bombes, les balles qui sifflent, les cris de douleur etde terreur… Soudain, un air traditionnel écossais

semble dominer la mitraille. Le Piper Daniel Laidlaw est sortide sa tranchée avec sa cornemuse et accompagne sescamarades vers les lignes allemandes.

23 août 1918, le 2e bataillon desRoyal Scots attaque à revers lesAllemands qui sont retranchés àCourcelles-le-Comte. Le soldatHugh McIver, un agent de liaison,se lance seul à l’assaut d’une posi-tion ennemie. Il tue six Allemands,en capture vingt, s’empare dedeux mitrailleuses… Quand untank britannique se trompe decible, visant son propre camp, McIver fonce sur l’engin et rectifie letir ! Actes héroïques qui lui vau-dront la Victoria Cross remise àtitre posthume à ses parents en1919 car Hugh McIver est tué le 2septembre près du bois deVraucourt. Il avait 28 ans.

Durant la Grande Guerre, l’artiste valenciennois Lucien Jonas (1880−1947) a peint plus de 2 000 croquis et portraits d’officiers et de sol−dats alliés ; publiant quinze albums. Notre photo : « Trois Ecossais », collection privée Hugues Chevalier

23 août 2008, grâce auxrecherches, à la persévérance deChristophe Guéant, un passionnéd’histoire locale soutenu depuis deuxans par The Somme Remembranceassociation, Courcelles-le-Comteaccueille des hommes du 1st BattalionRoyal Regiment of Scotland et unequarantaine de membres de lafamille de Hugh McIver, venusassister à l’inauguration d’un monu-ment « franco-anglais-écossais » des-tiné à saluer la mémoire du soldatécossais (né à Linwood, Paisley)McIver mais aussi destiné « à saluerle sacrifice d’une génération pour unidéal de liberté ».

Écossais, cornemuses, kilts et courageBlue Bonnets O’er the BorderBlue Bonnets O’er the Border

Les affiches ont fleuri pour inciter les Irlandais −émigrants ou restés au pays − à rejoindre les régi−ments anglais, canadiens, australiens...

Irlandais,« unis » dans les tranchées

Textes : Christian Defrance

O’Leary, héros irlandais aobtenu sa médaille à Cuinchy

nordistes et sudistes

Août 1914, quelques jours aprèsl’attaque allemande en Belgique,43 jeunes Américains ont com-mencé à s’entraîner au sein de lafameuse Légion étrangère. Leursmotivations? Amour de laFrance! Défense d’une Libertéchérie! Goût de l’aventure aussi.Ces Américains, intellectuelspour la plupart – étudiants,artistes (comme les poètes AlanSeeger, Henry Farnsworth) -,côtoient des Espagnols, desGrecs, des Suisses (comme l’écri-vain Blaise Cendrars). Pourquoila Légion étrangère? Seule solu-tion pour ne pas perdre la natio-nalité américaine puisque lesÉtats-Unis n’étaient pas encore

en guerre contrel’Empire allemand.Ces volontaires serontdes batailles les plussanglantes de laGrande Guerre,comme celle du 9 mai 1915.Neuville-Saint-Vaast, Carency,La Targette, Les OuvragesBlancs. De La Fayette à Lorette.

Les frères RockwellAsheville, Caroline du Nord,dans une vallée des Appalaches.La guerre est déclarée enEurope. Les frères Rockwell,Paul et Kiffin, portés par lesidéaux de liberté, d’égalité et defraternité, écrivent au consul

général de France à La Nouvelle-Orléans afin « de payer leur partde la dette envers La Fayette etRochambeau ». Ils n’attendentpas une réponse qui tarde àvenir et prennent le premierbateau à destination deLiverpool le 3 août 1914. LeHavre, Paris puis très vite laLégion le 30 août, entraînementà Rouen, Toulouse, au camp de

Mailly et « plongée »dans les tranchées.

Blessé au Chemin desDames, Paul quitte le ser-vice actif et devient le cor-respondant de guerre duChicago Daily News. En1925, il s’engagera dansla Guerre du Rif et ser-vira dans l’armée améri-caine durant la SecondeGuerre mondiale.

Né en 1892, Kiffin estblessé une première fois endécembre 1914. Rétabli, retrou-vant la Division marocaine, il està nouveau touché, à la jambe,lors de la charge de La Targettele 9 mai 1915. Six semaines deconvalescence. Kiffin est trans-féré dans l’aviation, formantavec ses compatriotes Thaw,Cowdin, McDonnell, Prince,Hall… la célèbre « Escadrille LaFayette ». Le 18 mai 1916, il abatson premier avion allemand au-dessus de l’Alsace. KiffinRockwell devient « l’aristocratedes airs » avec 141 combats vic-torieux, glanant Médaille mili-taire, Croix de Guerre. Le 23septembre, il est tué par uneballe explosive lors d’un duelaérien, près de l’endroit où ilavait obtenu sa première vic-toire. Kiffin avait écrit à sonfrère: « Si la France venait àperdre, je crois que je ne vou-drais pas vivre plus longtemps ».

De Loos au BountyAventurier, soldat, pilote dechasse, écrivain. Iowa, Londres,Loos-en-Gohelle, Tahiti. La vieincroyable de James NormanHall né en 1887 à Colfax, Iowa.En août 1914, il est à Londres etse fait passer pour Canadien afinde rejoindre les premiers volon-taires de Lord Kitchener.Septembre 1915, il participe à labataille de Loos où sa compagnieest décimée. On découvre lorsd’une permission que Hall estaméricain, il est démobilisé. Lesoldat romancier raconte aus-sitôt sa terrible expérience dansun livre « Kitchener’s Mob ». Ilrevient en France au sein de l’es-cadrille La Fayette et se couvre

de gloire. Capitainede l’US Air Force,titulaire de la Légiond’honneur. En 1920,James Norman Hallet son ami CharlesNordhoff partentpour Tahiti et enta-ment une des pluscélèbres collabora-tions de la littératureaméricaine; ils sontles auteurs de la tri-logie « Les Mutinésdu Bounty ».

Weeksmère et filsChestnut Hill, ban-lieue de Boston.Kenneth Weeks voit le jour le 30décembre 1889. Il fréquente leMassachusetts Institute ofTechnology puis les Beaux-Artsà Paris, se dirigeant vers unecarrière d’architecte. Kennethaime l’écriture, Paris et laFrance; le 21 août 1914, il s’en-gage dans la Légion étrangère.Hiver 14 dans les tranchées. Le17 juin 1915, l’Américain estporté disparu près de Souchez;son corps sera retrouvé le 25novembre et inhumé au cime-tière d’Écoivres près de Mont-Saint-Éloi. Sa mère, AliceStandish Weeks s’installa à Parisdès 1915, accueillant chez elledes volontaires en permission,leur écrivant très régulièrement.« Maman Légionnaire » - sonsurnom - publia une partie decette correspondance.

From MassachusettsLoin de la démarche quasiromantique de la « colonie amé-ricaine de Paris », nombreuxfurent les citoyens des États-Unis d’Amérique à rejoindredes régiments britanniques ou

canadiens avant 1917, utilisantsouvent un pseudonyme ;recrutés par le biais de missionscanado-britanniques… Ainsi,au Five Points Cemetery deLéchelle repose W. Chadwickdu 2nd Battalion du Royal WelshFusiliers, tué le 15 septembre1918. Il n’avait que 15 ans.Quinze ans ! Des recherches ontpermis d’établir la véritableidentité du « soldat adoles-cent » : William Hesford, nédans le Massachusetts. Sansdoute, le plus jeune soldat amé-ricain mort durant la GrandeGuerre. Quelques centaines decombattants du Massachusettsont été recensés.

Metcalf du MaineEn août 1914, la mère deWilliam Metcalf – 20 ans -apprend qu’il a quitté Waite,dans le Maine et franchi la fron-tière canadienne toute procheafin de s’enrôler dans l’armée.Elle contacte immédiatement lesautorités pour « qu’on lui ren-voie son fils ». Débarquant enAngleterre, William est appelépar l’ambassadeur des États-Unis. Est-il bien celui qu’unemère attend près d’elle dans leMaine ? « Je ne suis pas cethomme, répond William. Jesuis originaire du NewBrunswick ! » Proposapprouvés par son colonel.L’ambassadeur ne pouvait plusrien faire. Quatre ans plustard, le 2 septembre 1918,William Henry Metcalf, l’undes héros de la bataille de laligne Drocourt-Quéant, obte-nait la prestigieuse VictoriaCross. Après l’Armistice, ilretourna dans son Maine natalet exerça la profession de méca-nicien. Il mourut le 8 août 1968à South Portland.

L’Écho du Pas-de-Calais – octobre 2008 9

Les Américains, de La Fayette à Lorette

VIVE l’Amérique! Le 13 juin 1917, près de deux centssoldats et civils américains débarquent à Boulogne-sur-Mer. À leur tête, le général Pershing, commandant en chef

de l’American Expeditionary Force. L’Amérique est prête à« finir le job en Europe »; sa participation à la Grande Guerresera effectivement l’une des clés de la Victoire. Le 11 novembre1918, deux millions de « Doughboys » ou « Sammies » -surnoms des soldats des États-Unis – sont en France; un milliondéjà engagés dans les combats. Foch, Pétain et Pershingavaient prévu pour 1919 l’engagement de quatre millions etdemi d’hommes. La Fayette, we’re here! Saint-Mihiel, Château-Thierry, Argonne, Marne, Meuse…: la fin de laguerre coûtera la vie à plus de cent milleAméricains, il y aura deux cent mille blessés. Cette« histoire officielle » a plus ou moins effacé laparticipation de volontaires américains au conflit,bien avant l’entrée en guerre du printemps 1917.

James Norman Hall, de la bataille deLoos aux Mutinés du Bounty.

Kiffin Rockwell, à gauche, et des légionnaires dans les tranchées.

Texte : Christian Defrance

Un «Doughboy » à l’allure décidée.

Pho

to fo

nds

docu

men

tair

e H

ugue

s C

heva

lier

Pho

to :

ww

w.s

cutt

lebu

ttsm

allc

how

.com

Pho

to D

.R.

L’Écho du Pas-de-Calais – octobre 2008 90e ANNIVERSAIRE DE LA FIN DE LA GRANDE GUERRE10

« Je savais que les villageoisavaient été évacués, que lesAllemands avaient fait sauterl’église en 1917. Mon frère avaitmême reçu une photo de cedynamitage envoyée par unAllemand avec lequel il corres-pondait et qui avait combattu àSains ! » Le maire avait aussientendu parler de la « capture »du village, de la « reconstitu-tion » avec les vingt puitscreusés, « et puis on allait auxcimetières anglais ». Sauf quesur les 273 tombes de QuarryWood, 260 sont canadiennes ;sur les 257 de l’OntarioCemetery, 142 sont cana-diennes; et sur les 227 du Sains-lès-Marquion British Cemetery,177 sont canadiennes. C’est lavenue à Sains de Michel Gravelen 2003 qui a « chamboulé » lepremier magistrat. Ce vendeurde toitures de Cornwall dansl’Ontario passe depuis 2001tout son temps libre « en com-pagnie » du passé militairecanadien. Un pur passionné quifait la nique aux universitaires.Il a notamment publié « Toughas Nails » (« Arras à Cambraipar le chemin le plus long »)livrant une nouvelle vision de laprise du canal du Nord.Preuves à l’appui : journaux demarche, souvenirs de « Hillie »Foley, un couvreur d’Ottawa.« Gravel nous a dit ce qui s’étaitpassé le 27 septembre 1918 àSains-lès-Marquion, lance Guyde Saint-Aubert, et j’ai vouluqu’il émousse la curiosité deshabitants. »

No more fightingD’où l’inauguration d’uneplaque commémorative, sur laplace, le 31 août dernier. Il y a90 ans, ce 27 septembre 1918donc, sur le flanc gauche del’offensive alliée contre la ligneHindenburg, le 14e Bataillon(Royal Montreal Regiment) dela 3e Brigade d’infanterie cana-dienne attaque les Allemandsqui tiennent le canal du Nord.Appuyé par un barrage d’artil-lerie et par quatre tanks duTank Corps britannique, le 14e

Bataillon établit une tête de

pont dans les champs au sud deSains-lès-Marquion. Après unbref temps mort, il repart àl’offensive en pénétrant dans levillage par l’arrière, surpre-nant complètement l’ennemi, le« rouleau compresseur » cana-dien fait cinq cents prisonniers.« Un chef-d’œuvre tactique lorsde cette bataille du canal duNord, l’opération la plus com-plexe de la Grande Guerre, unplan tellement ambitieux »,assure Michel Gravel. « Labataille s’est gagnée là, àSains… Il y faudrait un monu-ment », dit-il en songeant aumémorial du bois de Bourlon.Si le 27 septembre, le fameux14e Bataillon a perdu soixantehommes, ce sont au total 9 000Canadiens qui ont trouvé lamort sur la route d’Arras àCambrai, du 26 août au 9octobre 1918. Tous ces soldatsqui ont accompli « le sacrificesuprême » obnubilent MichelGravel. « Il les connaît sur lebout des doigts, s’exclame lemaire de Sains. Devant lestombes, il vous dit qu’un tel estmort à Marquion, un tel autreà l’hôpital… Le nom desparents. » Ainsi, à la fin dumois d’août, Michel a pu mon-trer à Jim Vallance, « l’endroitexact où son grand-oncle,James Wellington Young, a ététué le 27 septembre 1918 ». JimVallance, qui effectuait sadeuxième visite à Sains-lès-Marquion, est célèbre auCanada : auteur de chansonspour Bryan Adams, Scorpions,Joe Cocker, Rod Stewart, TinaTurner… Jim Vallance etBryan Adams ont signé en 1986« Remembrance Day » (11-Novembre) : « The guns will besilent on Remembrance Day.We’ll all say a prayer onRemembrance Day ». À Sains-lès-Marquion, chacun fait ensorte que les armes se taisent àjamais. Libéré en 1918 par lesCanadiens, le village est jumeléavec une ville allemande,Neuenheerse. « There’ll be nomore fighting » chante BryanAdams.We hope.

IL a cette année compté les tombes des trois cimetièresmilitaires érigés sur le territoire de sa commune. Guy deSaint-Aubert est le maire de Sains-lès-Marquion, plongé

dans un travail de mémoire auquel il ne s’attendait pas.Certes, il connaissait les grandes lignes des heuresmouvementées vécues par sa commune durant la GrandeGuerre. Mais de là à lire entre les grandes lignes…

de la crête de Vimy au canal du NordLes Canadiens,de la crête de Vimy au canal du Nord

De 14−18 à aujourd’hui : un bataillon canadien traverse Barlin (photo du haut); des soldats du 14e bataillonreposent au cimetière de Sains−lès−Marquion où se recueillent Michel Gravel et Jim Vallance (photo du bas).

1918-2008

619 000 soldats mobilisésUn grand soleil ce 9 avril 2007 pour accueillir la reine d’Angleterre à Vimy. Élisabeth II présidel’inauguration du monument rénové. « La victoire de la crête de Vimy a permis au Canada d’oc-cuper une place importante dans le monde. Un jeune pays devenu une magnifique nation », dit-elle. Au Canada, tout le monde connaît Vimy, mais ce petit bout de Pas-de-Calais n’est finalementqu’un épisode de la participation canadienne à la Grande Guerre. Dès le mois d’octobre 1914, desvolontaires canadiens débarquaient en Angleterre. Premiers combats près d’Ypres début 1915. LeCorps expéditionnaire canadien - Canadian Expeditionary Force - s’est illustré dans les bataillesd’Ypres et l’horreur des gaz toxiques; à Neuve-Chapelle en mars 1915; à Festubert et Givenchy enmai et juin 1915. De juillet à novembre 1916, on le retrouve dans la tragique bataille de la Somme.Puis c’est la crête de Vimy du 9 au 14 avril 1917; Arleux; la 3e bataille de la Scarpe; Souchez;Avion; la Côte 70, l’offensive contre Lens en août 1917 : la seule bataille de grande envergure enmilieu urbain de la Grande Guerre; Amiens en août 1918; la percée de la ligne Hindenburg durantl’automne 1918: d’Arras à Cambrai. Au total, le Corps expéditionnaire canadien a engagé 619 000hommes dans cette Première Guerre mondiale (sur la base du volontariat puis de la conscriptionaprès Vimy… contre laquelle s’opposa d’ailleurs le Québec). Beaucoup d’immigrants dans laCanadian Expeditionary Force. On estime que la moitié des soldats étaient nés au Royaume-Uni…Puis des Ukrainiens, des Russes, des Scandinaves, des Hollandais, des Belges et pléthored’Américains. Sans oublier les quatre mille Indiens, Inuits, Métis.Le bilan humain est lourd, très lourd: 66 655 morts dont 19 660 non identifiés. D’Achicourt à Vimyen passant par Étaples, Écoivres, Thélus, Villers-au-Bois, etc., 28 785 officiers, sous-officiers et sol-dats canadiens reposent dans les quelque six cents cimetières et carrés militaires du Pas-de-Calais.

Textes : Christian Defrance

Pho

to fo

nds

docu

men

tair

e D

omin

ique

Fai

vre

Pho

to C

hris

tian

Def

ranc

e

L’Écho du Pas-de-Calais – octobre 2008 11

Le lundi 22 août 2005, route de Béthune à Lens, une plaque de bronze était inau-gurée près du champ de bataille de la Côte 70 où Filip Konowal avait glané la VictoriaCross, la plus haute distinction militaire britannique. Une plaque en trois langues:anglais, français et… ukrainien. Filip Konowal, une histoire « fascinante et peuconnue ». Il a servi trois ans et 357 jours dans les rangs du Canadian ExpeditionaryForce que dix mille Canado-Ukrainiens avaient rejoint… pendant que des milliersd’autres étaient internés dans des camps, en tant que « ressortissants d’un paysennemi »! Né le 15 septembre 1888 à Kudkiv, à la frontière entre les empires russe etaustro-hongrois, Filip fut enrôlé à 21 ans dans l’armée de Russie impériale. En 1913,il émigra seul au Canada: bûcheron dans l’Ouest puis dans l’Ontario, bien décidé àretrouver rapidement sa famille. Volontaire en 1915, il débarqua en France en août1916: bataille de la Somme, crête de Vimy, Lens où il obtint cette fameuse VictoriaCross (tuant à lui seul seize ennemis en trois jours…) et fut grièvement blessé à latête. Il retourna au Canada après la guerre, apprenant que sa femme était morte defaim en Ukraine, sa fille placée dans un camp. Se remettant lentement de ses blessures,

Filip Konowal devint gardien à la Chambre des communes puis gardien du bureau dupremier ministre… Mourant à Ottawa le 3 juin 1959. Plus ou moins oublié jusqu’àl’opération de réconciliation canado-ukrainienne menée à la fin des années 2000 parLubomyr Luciuk, un professeur de l’Ontario. En 1956, évoquant ses actionshéroïques de la Côte 70, Filip Konowal déclarait à un journaliste: « J’en avais telle-ment marre de me tenir debout dans la tranchée avec de l’eau jusqu’à la ceinture quej’ai dit ça suffit comme ça et je suis parti à l’assaut de l’armée allemande! »

Le 16 septembre, le 22e gagneSaint-Omer où le grand quar-tier général lui alloue un inter-prète qui s’écrie « mais nomd’un chien, vous parlez tous lefrançais, et l’anglais bien mieuxque moi ». 1178 hommes s’ap-prêtent à découvrir les tran-chées ; parmi eux 1 078Canadiens de langue française,47 Franco-Américains de laNouvelle-Angleterre, 14Français, 10 Anglais, 4 Suisses,3 Italiens, 2 Espagnols, 1Mexicain, 1 Argentin et desRusses! Au cours de trente-huitmois de guerre, au fil des ren-forts, 5919 officiers, sous-offi-ciers et soldats serviront dans le22e. De septembre 1915 àaoût 1916, le 22e attaque,souffre (la boue, les gaz), faitpreuve de bravoure et d’énergiedans les Flandres, autour du« Saillant d’Ypres ». « LesFrançais habillés à l’anglaise »(en kaki) partent ensuite pour laSomme, commandés par le lieu-tenant-colonel Tremblay. Le15 septembre 1916 au soir, le 22e

prend et tient Courcelette« jusqu’au dernier homme… »Terrible bataille de Courcelette:« Si l’enfer est aussi abominable

que ce que j’ai vu à Courcelette,je ne souhaiterais pas à monpire ennemi d’y aller », écrit lecolonel Tremblay dans sonjournal de campagne. L’enferde Courcelette fait naître déses-poir et révolte au sein dubataillon, trois soldats sontfusillés pour désertion. Le1er octobre c’est l’attaque de latranchée Régina. Les hommestombent par centaines. Il fautréorganiser les quatre compa-gnies dont les effectifs sontdécimés; le 15, elles s’installentdans le Pas-de-Calais, à Bully-Grenay et à la Fosse 10 « chez lesch’timi-ch’titi ». Tranchées dansle secteur d’Angres. Nouvelobjectif en 1917: l’attaque de lacrête de Vimy le 9 avril. La plusbelle victoire canadienne de laGrande Guerre. Victoireanglophone et francophone. Àpeine remis de ses émotions, le22e arrive à la Côte 70 (tra-duction de Hill 70 mais c’étaitbien la cote 70, chiffre indiquésur la carte topographique).Faubourgs de Lens. Assaut le15 août 1917. Plus tard, unepiste de ski des Laurentidessera baptisée Côte 70 : du paysnoir à la neige blanche.

Après de nouveaux raids enBelgique, le 22e passe Noël etNouvel An à Ligny-lès-Aire en« pays civilisé » : « Quelle joiepour tous nos pauvres piou-pious habitués à l’horreur desdésolantes ruines de pouvoirvivre pendant quelquessemaines dans un village quin’a pas connu la guerre, depouvoir respirer à l’aise le bonair de la campagne sans res-sentir à la gorge la brûlure de lapoudre et des gaz empoisonnés,de pouvoir dormir enfin desnuits complètes sans être à toutinstant réveillés en sursaut parle bruit des canons » commenteA.-J. Lapointe dans « Souvenirset impressions de ma vie desoldat ». Le 22e débute l’année1918 dans les secteurs deNeuville-Vitasse, de Mercatel :« sale secteur, de la bouejusqu’aux genoux; pas de tran-chées, des fossés peu profondsavec des trous individuels queles hommes se creusent envitesse ». Le bataillon sillonne lesud de l’Artois : Bailleulmont,Bailleulval, Lattre-Saint-Quentin, Bienvillers-au-Bois,Hermaville. Puis c’est labataille d’Amiens début août etChérisy fin août, « l’héroïsmeà jet continu. Tous les officiersdu 22e furent, ou tués oublessés ». À Chérisy, GeorgesVanier, futur ambassadeur duCanada en France de 1945 à1953, gouvernal général duCanada (premier francophoneà ce poste) de 1959 à 1967,perd la jambe droite. Bataillede Cambrai, Armistice etlongue « marche surl’Allemagne ». Retour enAngleterre : le 10 mai 1919, le

22e embarque à bord del’Olympic, navire jumeau duTitanic ; acclamé une semaineplus tard à Québec puis àMontréal.

1 074 officiers, sous-officiers,soldats du 22e bataillon sontmorts aux combats ou dessuites des combats et 2 887blessés.

15 SEPTEMBRE 1915, il est 20h30 et le vapeur Princess ofArgyll accoste à Boulogne-sur-Mer. Sur les quais, lesrares spectateurs « dressent l’oreille ». Boulogne est

habituée depuis un an à voir débarquer des troupesanglaises, mais ce soir-là les nouveaux arrivants parlentfrançais. La nouvelle circule très vite ; des Canadiens-Françaisvont rejoindre le front ! « Le 22e fait sensation », écrit JosephChaballe dans son « Histoire du 22e bataillon canadien-français », bataillon né officiellement le 21 octobre 1914,suite à l’intervention d’une cinquantaine de personnalités« frustrées » de ne pas voir une unité combattante de langueexclusivement française au sein du premier contingent devolontaires parti en Europe.

ou « l’héroïsme à jet continu »Le 22e ou « l’héroïsme à jet continu »

Parmi les 1 074 tués du 22ème bataillon figure Célestin Hermary, originaire de...Saint−Floris dans le Pas−de−Calais. Parti au Canada avec sa famille en1907, Célestin s’engagea en septembre 1916. Arrivé en France le 7 septembre1917, il fut tué près de Mercatel le 2 avril 1918. Il fut enterré au WaillyOrchard Cemetery.

Filip Konowal,

Textes : Christian Defrance

Les médailles de Filip Konowal, héros du Canada et de l’Ukraine.

l’Ukrainien de la Côte 70

Pho

tos

colle

ctio

n pr

ivée

Fra

nçoi

s C

aron

.

Calais

Teneur

Érin

Ruminghem

Blendecques Arques

Roquetoi

Fauquembergues Thérouanne

MametzClarques

Erny-Saint-JulienLigny-lè

Sain

Ambleteuse

Samer

Étaples

Montreuil-sur-Mer

Boulogne-sur-Mer

Wimereux

Saint-Étienne-au-Mont

Sur cette carte du Pas-de-Calais, les nomsdes villes et villages cités dans ce cahierréalisé dans le cadre du 90e anniversairede la fin de la Grande Guerre.

Le souvenir de la Grande Guerreest omniprésent dans notredépartement, de la nécropolenationale de Notre-Dame-de-Lorette (avec ses 3 600 gardesd’honneur) au mémorial cana-dien de Vimy en passant par lacarrière Wellington à Arras.Sans oublier les cimetières mili-taires : français, allemands,britanniques (entretenus parla Commonwealth WarGraves Commission), et nosmonuments aux morts.

Vimy

Monchy-le-Preux

Saint-Om

L’Écho du Pas-de-Calais – octobre 200812 90e ANNIVERSAIRE DE LA FIN DE LA GRANDE GUERRE

ques

quetoire

-Juliengny-lès-Aire

Lillers

FestubertGivenchy

Béthune

Lens

Loos-en-Gohelle

Hulluch

GrenayBully-les-Mines

SouchezVimy

Fouquières-lès-LensSallaumines

Wailly

Mercatel

Ayette

VéluBapaume

Léchelle

Aire-sur-la-Lys

Saint-Hilaire-Cottes

Saint-FlorisSaint-Venant

Laventie

Neuve-Chapelle

Neuville-Saint-VaastAubigny-en-ArtoisMont-Saint-Éloi

Richebourg

ArrasTilloy-lès-Mofflaines

Chérisy

Cagnicourt

Courcelles-le-Comte

Warlencourt-Eaucourt

Monchy-le-Preux

Sains-lès-Marquion

Neuville-Vitasse

La rédaction a lu…• World War I. Five Continents in Flanders : Dominik Dendooven & PietChielens (Lannoo)• La Première Guerre mondiale : John Keegan (Perrin, collectionTempus)• 14-18 retrouver la Guerre: Stéphane Audoin-Rouzeau, AnnetteBecker (Gallimard)• Les cimetières militaires en France. Architecture et paysages:

Anne Biraben (L’Harmattan)• L’archéologie de la Grande Guerre: Yves Desfossés,

Alain Jacques et Gilles Prilaux (Ouest-France)• Dans la Fournaise de Lens 1915-1917.

Journal du notaire Léon Tacquet: LesDossiers de Gauhéria n° 7

(Gauhéria)• Mémoires de guerre(Comité d’histoire du Haut-Pays)• 14-18. La Grande Guerre.Armes, uniformes, matériels:François Bertin (Ouest-France)• Le Guide de la PremièreGuerre Mondiale des Flandresà l'Alsace (Casterman)• La butte sanglante : PierreMiquel (Pocket)• Les Mutins: W. Allison,J. Fairley et traduit parClaudine Lesage (A.M.M.E.Editions)

Notre-Dame-de-Lorette

aint-Omer

13L’Écho du Pas-de-Calais – octobre 2008

L’Écho du Pas-de-Calais – octobre 2008 90e ANNIVERSAIRE DE LA FIN DE LA GRANDE GUERRE14

Araca, pour Association de recherche desanciens combattants amérindiens. Enquelques années, la structure qui siège à

Loos-en-Gohelle, est devenue incontournable,lorsqu’il s’agit d’évoquer l’engagement militairedes Indiens d’Amérique.

Yann Castelnot, son président est même devenu uninterlocuteur privilégié des familles de ces soldatsvenus sur le continent européen, combattre dans lesunités canadiennes et britanniques, parfois fran-çaises. Son but : honorer leur mémoire et faire recon-naître leur engagement et leur sacrifice longtempsignorés.À ce jour, Yann Castelnot a une liste de plus de 4 000noms d’Amérindiens ayant participé à la PremièreGuerre mondiale. Mohawks, Onondagas, Oneidas,Tuscaroras, Chippewas, Crees, Algonquins,Malécites, Bloods, Iroquois, Sioux, etc. Ils sont issusdes nombreuses nations autochtones de l’Amérique duNord. Combien sont venus dans le Pas-de-Calais ?Très difficile de répondre à la question pour l’instant,car cela fait seulement dix ans que les historiens et leschercheurs, s’intéressent au sujet. Pour sa part, Yann Castelnot s’est lancé dans un véri-table travail de fourmi car les Amérindiens qui par-taient en guerre, le faisaient sous un nom d’emprunt,sonnant anglais ou français. Officiellement, ilsn’étaient pas admis à s’engager pour des raisons pure-ment politiques : envoyer des sauvages sur le frontn’était pas de bon ton. Les fiches d’engagement mili-taire des années 1914-1915 ne portaient d’ailleursaucune mention permettant de savoir si l’hommeenrôlé était un autochtone. Seul indice : le lieu de nais-sance. Mais il faut recouper avec les informations don-nées par les familles. Beaucoup d’Indiens actuelssavent que leurs grands-pères ou arrière-grands-pères

sont partis, mais la plupart ignorent ce qui s’est passé,ce qu’ils ont vécu. Pour beaucoup, l’engagement rele-vait du patriotisme… Les Indiens appréciaient beau-coup la France qui avait souvent été à leurs côtés dansleur combat pour la reconnaissance de leurs droits,explique Annick Bouquet, secrétaire de l’Araca.Beaucoup partaient aussi avec l’espoir de faire ren-trer de l’argent chez eux, et ainsi aider leurs famillesà vivre dans les réserves où les terres n’étaient pas desplus riches. Selon un historien autochtone, c’étaitaussi le moyen pour les hommes de retrouver le rôleactif et primordial qui était le leur avant la créationdes réserves. « C’était une chance pour euxd’échapper à l’ennui ». Ils partaient avec enthou-siasme, parfois plusieurs par famille. Une source faitcas des Algonquins de la bande Golden Lake : seule-ment trois hommes restèrent dans leur réserve. Et Mme

Bouquet de souligner que les femmes aussi partaient,comme infirmières ou cantinières… Les enfants res-taient avec les personnes âgées. Yann Castelnotconstate que sur les listes dont il dispose, le même nomde famille et le même lieu d’origine peuvent revenirplusieurs fois à la suite… Ça confirme.Il a été très difficile pendant longtemps d’aborder laquestion… D’abord parce que les autorités cana-diennes, comme les britanniques, étaient frileusespour ouvrir leurs archives. Aux États-Unis où la ques-tion se pose dans les mêmes termes, cela reste d’ail-leurs quasi impossible pour l’instant. Ensuite parceque les indiens rentrés au pays, ont eu comme leursfrères d’armes européens, beaucoup de mal à parlerde ce qu’ils ont vécu. Mais aujourd’hui, ils sontconfrontés à la question de leur identité culturelle, deleur spiritualité. Ils sont en quête d’une restructura-tion culturelle et ils ont besoin de connaître l’histoirede leurs ancêtres. Yann Castelnot qui vit maintenantau Canada, veut les aider et obtient d’eux les rensei-

gnements utiles aux recherches qu’il mène. Et chaquefois c’est une nouvelle amitié qui se noue, avec desmoments d’émotion partagée.

Amérindiens

AU fil de ses errances dansles cimetières militaires età force d’éplucher les

registres, Yann Castelnot a faitune première trouvaille : latombe du petit-fils du chefsioux Sitting Bull, StandingBuffalo, mort pendant laPremière Guerre mondiale, estdans le cimetière de la route deBucquoy, à Ficheux.

Loin de l’image du Sioux, à moitiésauvage et coiffé de plumes,l’Amérindien n’en restait pasmoins un guerrier hors pair, dotéde qualités dont les états-majorsont su tirer profit. Sachant seglisser partout, sans un bruit, lesmissions de renseignements les plusdangereuses lui étaient confiées.Avant une attaque, il était envoyédans le No Man’s land, parfois der-rière les lignes ennemies, pour rap-porter de précieux renseignements. Excellent viseur, le rôle de sniperlui était aussi souvent confié, le but

étant de décontenancer l’ennemi.L’exemple le plus connu est celuid’Henri Norwest qui aurait abattu115 soldats ennemis. Le plus grandtireur canadien, peut-être le meil-leur de toutes les forces britan-niques, à qui était promise lamédaille militaire pour son travailde reconnaissance et son compor-tement sur la crête de Vimy en1917. Mais Norwest finit par êtrela victime d’un sniper allemand; ilrepose à Warvillers dans laSomme.Dans les troupes canadiennes enga-gées à Vimy, les Amérindiensétaient nombreux : parmi eux,Mike Mountain Horse qui reçut lebaptême du feu à Vimy et quiécrivit plus tard dans sesmémoires : « Une nuit, en haut decette colline de Vimy, entouré defrères indiens, j’écoutais l’assour-dissant bourdonnement des bom-bardements ennemis sur les lignesalliées et je me suis demandé oùétait le Dieu dont nous parlaient

Plus de 4000 engagéssous un nom d’emprunt

John Lorenzetto, de la nation Okanagan, comptait un Italien dansses ancêtres. Affecté à un groupe de soldats qui amenait des vivressur la ligne de front, il a été surpris et tué dans un bombar−dement le 8 septembre 1918. Sa tombe se trouve dans le cime−tière dominion entre Cagnicourt et Hendecourt−lès−Cagnicourt.

Tom Longboat estp e u t − ê t r el’Amérindien leplus célèbre de laGrande Guerre.Champion dumonde de mara−thon, il était uti−lisé comme esta−fette.

les hommes blancs et auquel ils vou-laient nous faire croire? Pourquoipermettait-il toutes ces destruc-tions? Et j’ai prié pour qu’il ramèneles nations à la raison. » MikeMoutain Horse avait des frères éga-lement engagés : entre autres Albertqui participa à la 2e bataille d’Ypreset Joe, blessé à Arras en 1917. Yann Castelnot cite encore les exem-ples de William Cleary, unMontagnais et de Joseph Roussin,un Mohawk, tous deux bûcherons,qui servirent dans le 22e batailloncanadien-français, et qui s’illustrè-rent du côté de Lens. L’un en allantrécupérer deux blessés au retourd’un raid, l’autre pour avoir réussiune attaque solo contre huit soldatsennemis. Ce qui confirme lespropos d’Annick Bouquet, pourqui les Allemands avaient très peurdes Indiens. Elle nous rapporte unfait survenu du côté de Lillers où unIndien serait parti seul en hurlantà l’assaut d’une tranchée danslaquelle se trouvaient des

Allemands qui se seraient immédia-tement rendus. Mais comme elle lesouligne, c’est une anecdote quireste à vérifier. La difficulté est depasser au fait historique. Quoiqu’ilen soit, il existe des écrits allemandsqui confirment cette crainte. Dansl’un d’eux, il est question d’unIndien qui court vite (beaucoupétaient d’ailleurs utilisés commeestafettes), tombe maintes fois, serelève encore et toujours malgré sesblessures, et finit par surprendreson agresseur. Dans un autre, c’est la descriptiond’un de ces Indiens, capturé àVimy, qui est faite : « il n’avait pasde cheveux, excepté une touffe surle sommet de la tête. Il s’était peintle visage en blanc et rouge ».De quoi faire peur, certes, mais cequi impressionnait peut-être le plusétait encore le regard noir… Celuide Norwest, avec ses yeux commedeux disques polis de marbre noir,pouvait être énigmatique, hypno-tique, perçant.

Textes : Philippe Vincent-Chaissac

Pho

to fo

nds d

ocum

enta

ire

Mic

hel G

rave

l

Snipers, coureurs...Snipers, coureurs... Ils faisaient peur

« Pauvres Hindous... »

L’Écho du Pas-de-Calais – octobre 2008 15

DOMINIQUE Faivre a-t’il remarquéque dans le mot « ashram » -monastère en Inde – il y a

Arham, le nom de sa chèreassociation? Prédestination?L’association de recherches historiques,archéologiques et militaires, etD. Faivre son président, sont incollablessur la présence indienne dans le nordde la France durant la Grande Guerre.Une présence qui a laissé des traces,des empreintes… Lors des combats etdans les cantonnements.

« Épiderme kaki », turban autour de latête, chignons et barbes, crêpes desarrasin, couteaux recourbés… « Toutpetit, j’écoutais ma grand-mère de Saint-Venant me parler d’eux! » À forced’entendre les anciens égrener leurssouvenirs hindous, Dominique a jeté sondévolu sur cette armée; profitant d’unlong arrêt maladie en 2004 et 2005 pouraccumuler les documents, étudier lesjournaux de marche des régiments enAngleterre. « Un sujet hypercomplexeavec une armée de métier, copiée sur lefonctionnement de l’armée britanniquecertes, mais multiethnique,multireligieuse ». L’historien local dut sefamiliariser avec les us et coutumes desSikhs, Gurkhas, Balochs, Dogras,Garhwalis, Jats, Pathans, Rajputs,Punjabis avant d’entrer dans le vif desbatailles. Les premières troupesindiennes arrivèrent à Marseille finseptembre 1914, montant vers le nord enoctobre via le camp de Cercottes prèsd’Orléans. « Des Indiens arrivèrent dansles gares d’Arques et Blendecques dans lanuit du 19 au 20 octobre; le 47e Sikhslogeant à l’abbaye de Wisques », raconteDominique. Dès le 23, la FerozeporeBrigade descendait dans les tranchées ducôté de Messines, baptême du feu

quelques jours plus tard. Un feu quiconsuma le Corps indien lors des bataillesde Neuve-Chapelle (28 octobre et2 novembre 1914 puis du 10 au 13 mars1915), Festubert (23 et 24 novembre1914, 16 mai 1915), Givenchy (19 au22 décembre 1914), Aubers (9 mai 1915),Moulin de Piètre (25 septembre 1915).« Boucherie, hécatombe, courage,héroïsme, souffle Dominique Faivre. DeFauquissart à Givenchy-lès-la-Bassée,ils ont tenu un an dans les tranchéesboueuses. Pieds gelés et pneumonies. ÀFestubert, Darwan Singh Negi décrochala Victoria Cross, la plus hautedécoration britannique que le roiGeorges V lui remit à Saint-Omer le9 décembre. »Dans les cantonnements, les villagesautour de Lillers, Auchel et Aire-sur-la-Lys, la vie reprenait ses droits: « je saisqu’il y a en Angleterre cinq cents photosinédites de la vie quotidienne des Indiensà Saint-Floris! » Un reporter de guerreécrivait ainsi en 1915 dans la revue LeFlambeau: « Ils se sont installés dans nosfermes comme s’ils y étaient nés, et nosbraves paysans s’étonnent de les voircirculer dans leurs cours avec une telleaisance. Les Indiens, eux, ne s’étonnentde rien. Pourvu que l’intendanceanglaise les ravitaille bien en ghi(beurre clarifié), en viande de chèvre -un abattoir rituel avait été installé à Aire- ou à la rigueur de mouton, et en poivrerouge, ils acceptent tout avec lasuprême indifférence de l’Oriental. »Régiments exsangues, privés de ren-forts : le Corps indien quitte le Nord et lePas-de-Calais, il est envoyé enMésopotamie fin septembre 1915, seulesrestent deux divisions de cavalerie…En un peu plus d’un an, le Corps indiena compté plus de 34 000 pertes : tués(7000), blessés et prisonniers de guerre.

À Saint-Floris, Saint-Hilaire-Cottes ouErny-Saint-Julien, les enfants quiavaient suivi de près ou de loin le« repos » de ces étonnants guerriers neles oublièrent jamais. Et de l’ashram àl’Arham, Dominique Faivre répète quedans une période difficile de sa vie, « ces

recherches sur le Corps indien furentune énorme thérapie ». Il reviendra tôtou tard sur le passage des Sikhs,Gurkhas dans notre région, par exemplelorsque seront libres d’accès « toutes leslettres censurées et archivées enAngleterre ».

Heures hindoues, heurts indus

L’Arham a acheté sur internet de magnifiques lithographies de Paul Sarrut. Cet officier de liaisonfrançais s’est « promené » dans les cantonnements des troupes indiennes à Warnes, Isbergues,Allouagne, Erny−Saint−Julien… pour dessiner sur le vif les fascinants guerriers et officiers.

« Pauvres Hindous... »

Lieudit La Bombe, entre Neuve-Chapelle etRichebourg, naguère un carrefour, aujourd’huiun rond-point. Où la Meerut Division attaquaen mars 1915. Deux tigres de pierre à l’entréedu Mémorial indien, dessiné par Sir HerbertBaker et inauguré le 7 octobre 1927 en présencedu maréchal Foch, du maharadjah deKapurthala, du romancier Rudyard Kipling...Le maréchal rappelant alors que « les troupesindiennes comprenant plus d’un milliond’hommes combattirent sur le front français etaux Dardanelles ». Un mémorial avec 4 843 noms, classés parunités. « La France n’oubliera jamais ceux quiaccoururent de toutes les parties de la terrepour repousser la force et la tyrannie » dit leministre des Colonies. En 1964, on ajouta un panneau de bronze avecles noms des 206 soldats indiens morts enAllemagne où ils étaient prisonniers de guerre.

Dans un livre paru en 1993, « Mon devoir demémoire », Paul Raoult, fils de l’instituteur de Saint-Floris, se souvenait lui aussi des « Pauvres Hindous !Ils supportaient mal notre climat. Ils prenaientfroid, en ce rude hiver 1914, dans les tranchéescomme dans les granges des cantonnements. L’und’eux, qui m’avait témoigné quelque affection, venaitle soir frapper à notre fenêtre. Nous hésitions à luiouvrir : « Maman » disait-il s’adressant à ma grand-mère parmi nous à cette époque, « Moi Maman, beau-coup froid » et il toussait manifestement pourappuyer ses dires. Ma mère finissait par lui ouvrir. Ilentrait dans la cuisine, demeurait silencieux près dela cuisinière, debout dans sa grande tunique bou-tonnée sur l’épaule et descendant jusqu’aux genoux.Quand il avait fait provision de chaleur, il remerciaiten s’inclinant et s’en allait non sans m’avoir offertune petite boîte de vaseline Cheseborough, dontj’ignorais les indications prophylactiques, ouquelques cigarettes que ma mère s’empressait deconfisquer. »

Indiens

« Pauvres Hindous... »

Pho

to fo

nds

docu

men

tair

e A

lain

Jac

ques

Textes : Christian Defrance

Pho

to c

olle

ctio

n A

rham

L’Écho du Pas-de-Calais – octobre 2008 90e ANNIVERSAIRE DE LA FIN DE LA GRANDE GUERRE16

Sur une population de quatremillions d’habitants, quelque313 000 Australiens ont fait desmilliers de kilomètres pourvenir faire la guerre enEurope. Pour beaucoup,c’était une aventure, le voyagede leur vie… Et de leur mortpour 60 000 d’entre eux. Danscet enfer, l’Australie forgeason identité de nation. Chaque25 avril - date du débarque-ment de l’Australian and NewZealand Army Corps (Anzac)sur une plage de la péninsulede Gallipoli - le pays commé-more l’Anzac Day pour ne pasoublier le sacrifice de ses sol-dats durant la PremièreGuerre mondiale mais aussidans tous les conflits de l’his-toire.

Bataille de Fromelles1916, les grandes batailles seconcentrent autour de Verdunet dans la Somme. Pendantque Verdun résiste et alors queles premiers combats de laSomme s'avèrent terriblementmeurtriers,H a i gd e m a n d ea u xAustraliensde se pré-parer à l'at-taque dansle secteur deFromelles.Il veut fairecroire à uneo f f e n s i v emassive surLille pourdétournerl'attentionde l'ennemiet éviterque les troupes allemandes nepartent en renfort sur laSomme. Le 19 juillet 1916, vers18 heures, la 5e division aus-tralienne est lancée. Le terrainest plat. Les soldats sont inex-périmentés, la plupart décou-vrent les tranchées. Gaz,

mitrailleuses, charge à traversles lignes ennemies. Sur le ter-rain, une stèle évoque les sol-dats tués dans cette vaine etinefficace diversion : 5 533hommes et officiers pour la 5e

division.

Bataillesde BullecourtLes 26 et 27 février 1917, lesAllemands se replient sur laligne Hindenburg. Nom decode « Alberich » : dans le Pas-de-Calais, 99 des 189 com-munes occupées sont libérées.La plupart sont dynamitées,les routes et les voies ferréesdétruites, les arbres coupés,les puits empoisonnés. Le17 mars, les Australiens fontleur entrée dans Bapaumeoccupée depuis le 28 août1914. Cynique, un rapportallemand déclare : « Aprèsavoir été ruinée, Bapaume futincendiée à 400 places diffé-rentes ». Le 11 avril, 4 h 45, lesAustraliens du 1er Anzac lan-cent l'attaque à l'est de

Bullecourt.Un ventâpre, mêléde grêle,balaie le noman's land.Les pre-m i è r e svagues ontsix centsmètres àparcourir ;un kilo-mètre centpour lesbata i l l onsde soutienpostés der-rière le

remblai de la voie ferrée. Onzechars accompagnent l'attaque.Ils concentrent aussitôt les tirsennemis. Six sont détruitsavant de pouvoir atteindre leréseau de fil de fer. L'artillerieanglaise a mal fait son travail :arrivés devant les barbelés, les

Australiens sont obligés decourir le long des défensespour trouver le passage.La contre-attaque débute versdix heures précédée par unbombardement. Un mortiersitué au nord-est de Bullecourtprend les tranchées conquisesen enfilade ; une batterie mar-tèle le parapet. On tire égale-ment des fenêtres deRiencourt : sur fond de neige,les soldats sont des ciblesidéales. L'artillerie alliéeréplique mal. Elle tire troploin, ne sachant pas si lesAustraliens sont déjà dansBullecourt. Dans les tranchéesconquises, c'est le sauve-qui-peut. « Beaucoup de blessésrestés sur place furent faitsprisonniers ou achevés lorsqueleur état était désespéré… »Ainsi se termine la premièrebataille de Bullecourt. 3 000hommes perdus ; 1 142 soldatset 28 officiers prisonniers.Côté allemand, les pertes de lajournée s'élèvent à 749 sol-dats !Guidée par l'aviation, l'artil-lerie pilonne les positionsennemies. Cette fois, la plu-part des réseaux de barbeléssont détruits. Hendecourt,Riencourt et Bullecourt sontamas de ruines mais dans lesabris, les Allemands sont tou-jours prêts à l'attaque. À l'ar-rière, des centaines d'hommestravaillent à la réfection desroutes et assurent le transportdes munitions, des vivres et del'eau. Dans la nuit du 20 avril,quelque 3 000 obus de gaz sontlancés par les Allemands quitentent d'enrayer le dispositifd'attaque allié ! Plusieurs foisreporté, l'assaut est finalementfixé au 3 mai. Objectif :

Bullecourt et Riencourt pourles Australiens ; Hendecourtpour les Britanniques.Chiffres effarants : en uneseule journée, l'artillerie decampagne envoie 70 730 obuset l'artillerie lourde 19 186.Les premières vagues d'assautse lancent. Sur les barbelés,les corps des morts du 11 avrilsont encore accrochés.Bientôt, c'est la confusion, carAllemands et Britanniques uti-lisent des fusées de couleuridentique pour relancer lestirs de barrage. Attaques etcontre-attaques s'enchaînentjusqu'au 17 mai. On se bat detrou d'obus à trou d'obus, à lagrenade. Von Moser perd 7 000hommes dans cette secondebataille considérée comme unacte d'héroïsme des troupes deWürtenberg. Côté australien,dix mille victimes sont dénom-brées pour les deux assauts.

Quoi l'éternitéAinsi les troupes australiennesont joué un rôle importantdans la stratégie des forcesalliées, notamment en 1918 encontrant la dernière grandeoffensive allemande. Les com-bats de Villers-Bretonneux lesont fait entrer dans la légendeen empêchant une brèche entreles forces françaises et britan-niques. Difficile en voyantcette plaine moutonnée etparesseuse, piquée de raresbosquets, d'imaginer le dramequi s'y est déroulé. Des milliersde corps ont fertilisé ceschamps. « J'y penseaujourd'hui chaque fois que jetraverse ces régions de champde bataille, tranquille commela mort des deux côtés de l'au-toroute bruyante et dange-reuse comme la vie » a écritMarguerite Yourcenar dans« Quoi l'éternité ».

Les Australiens On les appelait

IL est souriant, conquérant, fusil en bandoulière, venu d’unpays où l’on vit la tête en bas. Le soldat australien. Onl’appelle « Digger », comme « Tommy » pour le

Britannique ou « Poilu » pour le Français. Digger - qui vientdu verbe « creuser » en anglais - désigne un chercheur d'or !Sur la tête le « slouch hat » crânement relevé, bord gaucherabattu pour permettre au fusil d'être porté sur l'épaule. Surle bord retourné, le « Rising Sun » symbolise le soleil qui selève sur l’immense Empire britannique auquel l’Australieappartenait à l'époque.

À l’instar de Vimy pour les Canadiens, Bullecourt est unnom que les Australiens, toutes générations confondues,connaissent. Appris à l’école. Aux antipodes, une cité duQueensland s’appelle Bullecourt, une autre Bapaume.Chaque année, des centaines d’Australiens bravent les vingtmille kilomètres qui les séparent de l’Artois et de la Sommepour venir se recueillir sur les tombes des grands-pères, desarrière-grands-pères. Ces pèlerins de la mémoire des« Diggers » franchissent régulièrement le seuil de l’office detourisme de Bapaume. L’an dernier, un couple est venumontrer la photo d’un tableau leur appartenant: « L’entréeà Bapaume » peint par Merwyn Napier Waller.Fin août 2008, un autre couple australien est passé par l’of-fice afin de montrer des extraits du « journal de guerre » deleur grand-père. « Ils se sont rendus sur tous les lieuxdécrits dans ce carnet », explique Pascale Jannoty. WilliamGilbert Mac Kenzie, « Digger » avait vécu toutes les grandesbatailles ; tellement marqué par cette Grande Guerre entreSomme et Artois, qu’à son retour en Tasmanie, il avait ins-tallé sur sa maison un panneau indiquant « Vélu » (villageà proximité de Bapaume)

« L’entrée des Australiens à Bapaume » : une toile de Mervyn Napier Waller (1893−1972) inconnue du grandpublic. Grièvement blessé à Bullecourt en mai 1917, le peintre fut amputé du bras droit.Durant sa convalescence, il apprit à écrire et dessiner de la main gauche. De retour en Australie, il devint unartiste réputé.

les « Diggers »

Textes : Jean-Yves Vincent

Pho

to fo

nds d

ocum

enta

ire

Alai

n Ja

cque

s

Rep

rodu

ctio

n O

ffic

e de

tour

ism

e du

Seu

il de

l’A

rtoi

s, B

apau

me.

Texte : Marie-Pierre Griffon

L’Écho du Pas-de-Calais – octobre 2008 17

Novembre 1916, Quartier général del’armée française : le général Nivelleprépare l'offensive du Chemin desDames. L’opération est prévue au prin-temps 1917 et une diversion est ima-ginée. Quelques jours avant l’assautgénéral, il faudrait que le commande-ment des troupes britanniques enArtois attaque les lignesallemandes. Le plan estcontroversé mais finitpar être adopté. À Arras, c’est ledésastre. La ville a subides bombardementsquotidiens depuisoctobre 1914. Elle estpresque totalementdétruite et il ne restequ’un ou deux milliersd’habitants qui survi-vent dans les décombres.

Passer dessousPour attaquer les lignes alle-mandes les Britanniques ontessayé de franchir à plu-sieurs reprises les deux à trois kilomètresde terrain bouleversé qui séparent lesdeux camps mais à chaque assaut, ils ontessuyé des pertes énormes. Ils ont doncimaginé une astuce. Plutôt que de par-courir la distance sur terre, pourquoine pas se glisser par-dessous et d’appa-raître juste au nez et à la barbe desAllemands ? Il fallait donc creuser. Lesmineurs français, anglais, écossaisétaient déjà sur le front, restait à

appeler les Néo-Zélandais. Cinq centssapeurs du bout du monde sont arrivésà Arras.

Six mois de travauxLe sous-sol de la région était déjà percéde puits, de caves et de cavités…creusés depuis le Moyen Âge par les

tailleurs de pierre. Lessapeurs néo-zélandais ontainsi relié les boyaux,foré de nouvelles car-rières, créé des sec-teurs… Au bout de sixmois de travaux, ilsavaient réalisé un réseaude 20 km avec unecaserne qui comprenaitcuisine, chapelle,douches, latrines, hôpitalde 700 places, voies dechemin de fer pour l’ap-provisionnement… Le

tout électrifié et doté d’eaucourante. Au total, 24 000hommes pouvaient y loger,autant que la population

d’Arras, avant-guerre ! « C’était unouvrage d’art unique dans toute l’his-toire de l’armée britannique, » raconteAlain Jacques, directeur du servicearchéologique de la ville d’Arras.

La carrière WellingtonSous terre, pour pouvoir se repérerdans les galeries, les Néo-Zélandais etles Anglais avaient baptisé les différentslieux, des noms de villes de leur pays.

La carrière principale s’est appeléeWellington. Aujourd’hui, certainsnoms de baptême se détachent toujoursde la pierre et les parois des carrièresconservent les dessins et les prières descombattants.Quelques jours avant la bataille,prévue le lundi de Pâques, débute lebombardement. Au début, seule lamoitié des batteries tonnera. Pas ques-tion de dévoiler l’importance réelle del’artillerie. Les 24 000 hommes reste-ront huit jours à attendre dans les gale-ries et les carrières, dans le froid etl’humidité. Chaque pilier était numé-roté et affecté à une compagnie.

L’assaut surpriseLe 9 avril 1917, à 5h30 du matin, l’arméebritannique sort d’un coup, juste devantles lignes allemandes. Dans les tranchéesennemies, où il n’y a que des guetteurs,c’est la surprise. Les hommes n’ont pasle temps de prévenir leurs troupes. Lessoldats britanniques trouveront lesAllemands en pyjama dans les maisons deTilloy-lès-Mofflaines et dans les abris.Les trois premiers jours de bataille serontun vrai succès pour les Britanniques; lesAllemands vont se replier. Mais l’arrivéede leurs renforts permettront de violentescontre-attaques pendant six semaines.Quatre mille hommes par jour y laisse-ront la vie…

Le Cri de guerreLes Néo-Zélandais ont eu en charge lamaintenance de ces souterrains jusqu’en1918. Puis le groupe a rejoint les divi-sions de combattants dans le sud du Pas-de-Calais et dans le Nord. Les sapeursvont même prendre Le Quesnoy à l’aided’échelles, comme au Moyen Âge !Certains y perdront la vie mais la plu-part repartiront chez eux. Le servicearchéologique de la ville d’Arras estactuellement à la recherche de leurfamille. Il monte avec le muséeWellington une exposition sur l’artisanatde tranchée et sur les graffitis, appelée« Le Cri de guerre ». Une expo qui n’apas fini d’émouvoir !

Les Néo-Zélandaisdans

ÀL’ÉPOQUE de la Grande Guerre, la Nouvelle-Zélande, alors coloniebritannique, passait le million d’habitants. Difficile dès lors pour lesAnglais de soustraire un grand nombre d’hommes pour les envoyer sur

le front. Il a été décidé de ne retenir que ceux qui avaient une capacitéprofessionnelle particulière. Les tunneliers étaient de ceux-là. Les mines decharbon et d’argent avaient transformé bon nombre d’habitants, en sapeurshors pair. C’est ainsi que cinq cents Néo-Zélandais se sont retrouvés à Arrasen 1917 pour creuser des souterrains qui allaient sauver la vie à des milliersd’hommes.

Les « Kiwis » dans les entrailles de la terre d’Artois. Ils ont creusé un réseau en souterrain deprès de 20 km.

9 avril 1917, le D−day...Les troupes britanniques partent à l’assaut des lignes ennemies. Grâceau travail des cinq cents Néo−Zélandais, des milliers de vies furent épargnées.

Pho

to J

. P

ouill

e

Les parois des carrièresconservent les graffitis.Témoignages que le tempset l’humidité n’ont pasréussi à effacer.

Pho

to J

. P

ouill

e

La Nouvelle-Zélandecomptait un peu plusd’un million d’habitantsen 1914. Au total, 120 000Néo-Zélandais ont servidurant la Grande Guerredont 103 000 outre-mer. 18 500 « Kiwis » (lesurnom des soldats) sontmorts durant ou justeaprès le conflit (12 500sur le front occidental) ;50 000 blessés.

le ventre d’Arrasle ventre d’Arras

Pho

to R

SA c

olle

ctio

n. A

lexa

nder

Tur

nbul

l Lib

rary

, Wel

lingt

on, N

.Z.

LA lecture approfondie des noms inscrits sur lestombes des cimetières militaires confirme ladimension mondiale de la Grande Guerre dans

le Pas-de-Calais. Dans l’annexe du cimetièrecommunal d’Aix-Noulette, trois tombesinterpellent le pèlerin de la mémoire. Reposentcôte à côte Kichimatsu Sugimoto, tué le 24 août1917, Tagakichi Fukui, tué le 21 septembre 1917 etYoichi Kamakura, tué au combat le 26 août 1917près de Lens, à la fin de bataille de la Côte 70.

Médaillé militaire le 4 juillet 1917, Kamakura était néen 1882 au Japon, arrivé au Canada en 1908. La parti-cipation des Japonais-Canadiens à la Première Guerremondiale est une édifiante petite histoire de la grande!Des Japonais s’étaient installés au Canada, en Colombiebritannique, dès la fin des années 1870. En août 1914,quand la guerre éclata, des Canado-Japonais voulurentrejoindre l’armée canadienne, espérant prouver leurloyauté envers leur nouvelle patrie. Ils essuyèrent unrefus catégorique. Les plus résolus se dirigèrent vers lacôte ouest du pays. Près de deux cents Japonais – 196exactement – furent finalement incorporés dans des

bataillons anglophonesen Alberta; ils voguèrentvers l’Europe. En 1916par exemple, le 52e

bataillon comptait 42Japonais : 14 furenttués, inhumés à Aix-Noulette mais aussi àMarœuil, Vimy,Aubigny… Sur les deuxcents volontaires, 55 nerentrèrent pas au pays.

Le sergentMitsuiUn autre soldat nippo-canadien - ou canado-nippon - s’illustra lorsde la 3e bataille d’Ypresavec le 10e Bataillond’infanterie puis sur lacrête de Vimy en avril1917. Le sergent MasumiMitsui, né le 7 octobre1887, installé à PortCoquitlam près deVancouver, décrocha à Vimyla Médaille militaire. Il futensuite présent dans les com-bats autour du canal du Norden septembre 1918. Revenu auCanada, obtenant comme tousles vétérans japonais le droit devote en 1931, Masumi Mitsui fitprospérer un élevage devolailles… qui lui fut confisqué,avec tous ses biens, lors de laSeconde Guerre mondiale. Aprèsl’attaque japonaise sur PearlHarbor le 7 décembre 1941, il futséparé de ses enfants et internédans des camps comme 22 000autres Canado-Japonais jugés« étrangers hostiles ». Comparaissant devant unecommission de sécurité, le vétéran, furieux, fouilladans sa poche, récupéra ses médailles et les jeta sur lesol en hurlant : « À quoi sont-elles bonnes ! » Ce n’estqu’en 1985 que le gouvernement canadien s’excusa

pour les actionscommises envers sescitoyens d’originejaponaise et le 2août de cetteannée-là Masumiralluma la flammedu monument quiavait été construiten 1920 àV a n c o u v e r(Stanley Park)pour rendrehommage auxsoldats d’originejaponaise de laGrande Guerre.La flamme avaitété éteinteaprès PearlHarbor. Le ser-gent MasumiMitsui estdécédé le 22avril 1987,quelques moisavant soncentenaire.Le 8 sep-

tembre 2003, David Mitsui, petit-fils du sergent, étaitinvité par le Canadien Michel Gravel à participer àl’inauguration de la place McKean à Cagnicourt,Masumi ayant participé aux opérations dans ce sec-teur… Les Japonais- Canadiens appartiennent aussià l’histoire du Pas-de-Calais.

L’Écho du Pas-de-Calais – octobre 2008 90e ANNIVERSAIRE DE LA FIN DE LA GRANDE GUERRE18

Du paradis en plein Pacifique à l’enfer destranchées. Le périple insolite de Ratu SirLala Sukuna, un chef des îles Fidji qui acombattu en Champagne et en Artois, obte-nant Médaille militaire et Croix de guerre.Josefa Lalabalavu Vana’ali’ali Sukuna voitle jour le 22 avril 1888 dans l’île de VitiLevu. Sa famille appartient à la noblesse del’archipel et le jeune garçon reçoit une édu-cation très « british », intégrant l’univer-sité d’Oxford. Il est en Angleterre quand laPremière Guerre éclate et veut se battre.Mais l’étudiant fidjien est noir, or l’arméeanglaise refuse l’intégration des hommes decouleur. Peu importe, le Fidjien traverse laManche et s’engage dans la Légion étran-gère - l’Américain Henry Farnsworth parled’un « prince noir comme l’encre ».Printemps 1915, le prince et les légion-naires sont dans les tranchées de Berthonval. Avec lapremière brigade de la division marocaine au sein du2e régiment de marche du 1er Étranger, le 9 mai 1915,Sukuna monte à l’assaut aux « Ouvrages blancs » ducôté de Neuville-Saint-Vaast. Carency, Souchez, lafureur et le sang. Le Fidjien reçoit sa première cita-tion pour actes de bravoure. Septembre 1915,Sukuna participe à la bataille de Champagne, le 28

devant Souain, il est blessé à la tempe et hospitalisé àLyon. « Je suis conscient de faire mon devoir, écrit-ilà sa famille mais la guerre c’est l’enfer. La vue dusang me donne la nausée, les effets du conflit sur lespopulations me font verser des larmes ». En janvier1916, les autorités britanniques le pressent deretourner sur son archipel. Il débarque à Suva le 30mars, la tête couverte de bandages. Indigène soumis

aux décisions des autorités coloniales, Sukunadevient fonctionnaire et tente de convaincreles Britanniques d’envoyer des Fidjiens aufront. Lui même retourne en France en mai1917, non pas en soldat mais en travailleur,sergent du Fiji Labour Corps. À Calais,Sukuna et une centaine d’hommes travaillentsur le port. En janvier 1918, ils sont envoyésà Marseille puis à Taranto en Italie. Onze deces travailleurs trouveront la mort en France,enterrés à Calais, Marseille et Taranto. Enseptembre 1918, le Fiji Labour Corps voguevers le Pacifique. Avocat au barreau deLondres durant un moment, fidjien dansl’âme, Ratu Sukuna devient un homme poli-tique majeur de l’archipel. Pendant laSeconde Guerre mondiale, il exhorte lesFidjiens « à verser leur sang pour la Grande-Bretagne » : deux mille se battront auprès des

Alliés. Lors du processus de décolonisation des Fidji,Ratu Sukuna préside le conseil législatif. Le « pèredes Fidji modernes » prend sa retraite en avril 1958et meurt le 30 mai à bord d’un navire qui l’emmèneen Angleterre. Désormais, aux îles Fidji, le dernierlundi du mois de mai est une journée fériée : le RatuSukuna Day. Fidji : le rêve pacifique, le rugby et unhéros de la Grande Guerre.

Le sergent Masumi Mitsui et ses médailles.

Kamakura, Mitsui... La Grande Guerre des

Un groupe de travailleurs du Fiji Labour Corps. Calais, ils avaient trèspeur des raids aériens : « chez nous certains penseraient que c’est lejour du Jugement dernier », écrivait un travailleur à sa famille.

Japonais

Fidjien

CanadaCanadaJaponais duJaponais du

Textes : Christian Defrance

lUn prince « noir comme l’encre »

Pho

to M

iche

l Gra

vel

L’Écho du Pas-de-Calais – octobre 2008 19

CINQ caribous de bronze.Beaumont-Hamel, Courtrai,Gueudecourt, Masnières et

Monchy-le-Preux. Impressionnantesgrandes statues immortalisant ladouleur et la valeur descombattants venus de Terre-Neuve.

Cette île, la plus ancienne colonie del’Empire britannique, comptait 250000habitants en 1914. Elle participa dere-chef à la Grande Guerre et au cours desquatre années de conflit, leNewfoundland Regiment mobilisa plusde 6000 hommes. 1200 trouvèrent lamort en Belgique, dans le Nord, laSomme et le Pas-de-Calais.Premier juillet 1916, premier jour de labataille de la Somme, près deBeaumont-Hamel: 802 Terre-Neuviensmontent à l’assaut des tranchées enne-mies… Le lendemain matin, 68 seule-ment étaient encore capables de com-battre. Le 12 octobre 1916, le mêmerégiment participe à la bataille duTransloy et s’empare des retranche-ments allemands à Gueudecourt.Le 14 avril 1917, le 1er bataillon duEssex Regiment et le Newfoundland

Regiment s’emparent de la colline del’Infanterie à l’est de Monchy-le-Preux.Mais ils se heurtent à une grosse contre-attaque allemande et presque tous sonttués ou capturés. Dans Monchy, l’état-major des Terre-Neuviens (une dizained’hommes) résiste héroïquement (grâceà des tireurs d’élite) à toutes les tenta-tives - 200 à 300 Allemands - ennemiespour s’emparer du village. Quatreheures avant la relève. Le régimentterre-neuvien a été presque anéanti :166 morts, 141 blessés, 153 prison-niers. Fin juin 1917, les Terre-Neuviensmontèrent en Belgique près deLangemark, revenant en France à lami-octobre, s’illustrant près deMasnières. Leur détermination poussale roi d’Angleterre à décerner le titre de« Royal » au Newfoundland Regimentqui participa en septembre 1918 à lagrande offensive finale dans la régiond’Ypres.Le meilleur tireur, « the best sniper »du régiment fut un des quinze volon-taires inuits du Labrador, JohnShiwak, chasseur et trappeur, tué lorsde la bataille de Cambrai le20 novembre 1917.

Pour envahir la France, lesAllemands devaient passer par laBelgique et violer sa neutralité.Ils déclarèrent donc la guerre ànos voisins le 3 août 1914. Trèsvite presque tout le pays a étéoccupé. Le Roi Albert, au frontavec ses soldats, avait une imageparticulièrement favorable dansl’opinion publique française. Dureste, il a été décoré de lamédaille militaire et une journéedu « Drapeau belge » avec vented’insignes au profit des réfugiés aété créée. L’engouement du public a mêmeconduit à débaptiser un dessertd’origine autrichienne pour letransformer en « café liégeois »!

Le ministère belge de la Guerres’est installé à Dunkerque etl’armée a mis en place des hôpi-taux militaires à Calais, enNormandie, en Bretagne.Parallèlement, l’afflux de per-sonnes réfugiées a obligé la créa-tion d’hôpitaux civils. Celui de laCharteuse Notre-Dame des Présà Neuville-sous-Montreuil, de1915 à avril 1919, était « mis sousle haut patronage de sa Majestéla reine et de son excellence leministre de l’Intérieur belge ».Yann Hodicq, passionné dePremière Guerre mondiale etauteur de « Montreuil-sur-Mer:1914-1918 » explique que « l’éta-blissement comptait 700 lits, que

le personnel médical venu deBelgique était composé de reli-gieuses, d’un aumônier et dedeux ou trois médecins. » Dire lenombre de personnes accueillieslà est impossible mais, expliqueY. Hodicq, « on peut supposerque le nombre est très élevé si l’on

observe seulement celui des per-sonnes qui y sont décédées. 610sont enregistées en mairie deNeuville… » Sans compter qu’ila fallu, à un moment, recevoiraussi des militaires. À une cer-taine époque les décès étaient sinombreux qu’il fallait même

inhumer deux corps à la fois.Pour répondre au débarquementtoujours croissant de blessés quiarrivaient inopinément à la garede Montreuil, l’hôpital a dû régu-lièrement évacuer ses patients lesplus valides vers d’autres villes,pour libérer des lits.

Un cantonnement de l’armée belge devant Arras.

QUAND la Belgique a été envahie par les Allemands, dès1914, les habitants se sont enfuis. Comme ailleurs enFrance, la région de Montreuil-sur-Mer a vu arriver ces

réfugiés en grand nombre. Dans un premier temps, l’accueil futchaleureux. Au bout de quatre ans, toutes ces nouvellesbouches à nourrir étaient parfois moins bienvenues et lesgentils Belges devenaient à l’occasion « les Boches dunord »… Toujours est-il que cette population fatiguée, épuisée,parfois blessée devait être soignée. Pour elle, un hôpital a étécréé.

DELVILLE Wood, Butte deWarlencourt. La mort au coindu bois, le sang de milliers

de soldats abreuvant les sillons deschamps de la Somme, de l’Artois.Une catastrophe pour la 1ère

brigade d’infanterie sud-africaine.

Après avoir participé à des opérationsmilitaires en Égypte et en Libye, cestroupes sud-africaines débarquent àMarseille le 20 avril 1916 et montentvers le nord et ses tranchées. Rudeacclimatation dans les Flandres. Le2 juillet, la brigade entre de pleinfouet dans la bataille de la Somme.537 hommes trouvent la mort durantla première semaine de combat. Et cen’est qu’un début, la furie guerrièrecontinue.Le 15 juillet, les Sud-Africains (121officiers et 3 032 hommes) reçoivent lamission de prendre le bois et de tenirà tout prix. Les Allemands sont beau-coup plus nombreux, c’est une bou-cherie. Une semaine plus tard, la bri-gade ne compte plus que 780 hommesvalides ; 763 ont été tués, 1 709blessés.

La guerre ne sait pas retenir lesleçons. Le 12 octobre 1916, la brigadesud-africaine est à nouveau dépecée àla Butte de Warlencourt avec ses cin-quante pieds d’altitude. Les pertessont élevées. Pas de repos en vue etdès 1917, les Sud-Africains se battentà Arras, à Ypres… « Réduite à lataille d’un bataillon » en mars 1918lors de l’offensive allemande, la valeu-reuse brigade se met en évidence àMeteren en juillet.On estime que 5 000 Sud-Africains ontété tués… Sud-Africains presque tousà la peau blanche qui nous amènent àévoquer les travailleurs noirs duSANLC, South African Native LabourCorps : 25 000 volontaires quittantCape Town d’octobre 1916 à jan-vier 1918. En compagnie d’Égyptiens,de Chinois, de Fidjiens, etc., ils ontdéchargé des millions de tonnes demunitions et de vivres dans les portsde Dunkerque, Calais, Boulogne-sur-Mer… En Europe, le SALNC a perdu1 120 hommes. Et ceux qui retrouvè-rent l’Afrique du Sud n’eurent pasdroit à la Médaille interalliée de laVictoire ! Odieux effets de l’apartheid.

Les Sud-Africains Les Terre-NeuviensLes Terre-Neuviens

Pour les Belges réfugiés en France :un hôpital civil à Neuville-sous-Montreuil

Textes : Christian Defrance

Texte : Marie-Pierre Griffon

Pho

to fo

nds

docu

men

tair

e A

lain

Jac

ques

L’Écho du Pas-de-Calais – octobre 2008 90e ANNIVERSAIRE DE LA FIN DE LA GRANDE GUERRE20

LE 24 février 1916, à la demandedu vieil allié britannique, lePortugal arraisonne 36 navires

marchands allemands qui ont jetél’ancre dans ses ports. Le 9 mars1916, l’Allemagne déclare la guerre àla jeune et encore fragile républiqueportugaise. Le 17 janvier 1917, lecorps expéditionnaire portugais estofficiellement créé. Il dépendra del’état-major britannique. Du 2 février1917 au 28 octobre de la mêmeannée, quelque soixante millehommes embarquent pour la France.

Mametz, les troupes portugaises s’y installent au prin-temps 1917 pour leur instruction complémentaire.Utilisation des masques à gaz, maniement des grenadeset des baïonnettes: le décor est planté au camp du hameaude Marthes. « Un camp aujourd’hui impossible à situer »,regrette Matthieu Fontaine. Oublié! Dieu sait pourtant siMatthieu (30 ans) a questionné les « anciens » du village.Grand amateur d’histoire orale, il a pu constater que « laguerre 14 a été une ouverture au XXe siècle. Les villageoisont vu débarquer des Anglais, des Indiens, desPortugais… » Ces Portugais qui ne le quittent plus depuis

dix ans. Depuis qu’il essaie de mettre un visage sur unnom, celui de son « vrai » arrière-grand-père. Guerre etcoup de foudre. Le 14 octobre 1919, Héléna voit le jour àCrecques, autre hameau mametzien. Olga, la mère, a dix-huit ans; le père est un soldat portugais. « Son nom avaitété francisé: Matthieu Lerias. Célibataire. Cheveuxbruns ondulés. Il savait lire et écrire. S’occupait des che-vaux. Le père d’Olga a refusé qu’elle parte au Portugalavec lui. Et c’est à peu près tout ce que l’on sait ». Olgan’a pas été mise au ban de la famille. Elle a refait sa vie,écrivant régulièrement à son Matthieu; au moinsjusqu’en 1949, une lettre revenant alors à Mametz poursignaler la mort du soldat. « Alors elle a tout brûlé », sou-pire Matthieu Fontaine, petit-fils d’Héléna, décédée audébut de cette année 2008. Depuis 1999 donc, relayant sasœur, Matthieu essaie de savoir qui était cet autreMatthieu. Jusqu’en 2005: rien! Les archives militairesdu Portugal restaient muettes; « rien n’était classé. LaGrande Guerre est une période difficile de l’histoire duPortugal. » Rien en France non plus. Rodé auxrecherches, Matthieu, doctorant en histoire moderne, n’ajamais abdiqué. Ouf, en 2005, arrive un courrier desmêmes archives militaires portugaises: photocopies dudossier du papa d’Héléna: Matheus de Matos Lerias, néen 1895, originaire de Maçao (au centre du Portugal),soldat du 8e régiment d’artillerie.

Un acte de naissance suit en 2006. Depuis c’est à nou-veau le calme plat. « Les historiens ne connaissent pasce 8e régiment d’artillerie! » Alors Matthieu Fontaine asuivi toutes les manifestations liées au 90e anniversairede la bataille de la Lys; il a noué des contacts avec desassociations portugaises en France, avec la télé portu-gaise. Toujours dans l’optique d’en savoir plus surMatheus. « Et j’irai au Portugal, à Maçao, c’est sûr ».Source de déceptions et de désillusions peut-être? Peuimporte, Matthieu Fontaine n’abdique jamais.

Trois longues journées en mer, avec lacrainte des attaques sous-marines avantd’arriver à Brest. Puis, it’s a long way tola gare d’Aire-sur-la-Lys. Encore troisjours, huit cents kilomètres. La 1ère divi-sion du général Gomes da Costa prend sesquartiers généraux à Thérouanne, la 2e

commandée par le général Simas Machadoà Fauquembergues. Le grand commande-ment du CEP est à Roquetoire dans lechâteau de la Morande (et son grand parc,théâtre de la remise de 45 Croix de guerrele 13 octobre 1917 en présence du prési-dent de la République portugaise). Lestroupes portugaises s’entendent bien avecles populations locales, participant auxprocessions, aux enterrements, aux fêtescomme les feux de la Saint-Jean où ils sor-tent le cavaquinho, instrument proche dela guitare. Plus sérieusement, l’instructiondes troupes tourne à plein régime début1917 à Mametz, Clarques, Audincthun.Du 11 mai au 5 novembre 1917, les unitésprennent position sur la ligne de front; lesecteur portugais formant une espèce detrapèze autour de Neuve-Chapelle,Laventie, La Couture, Saint-Venant.Saint-Venant où le manoir de la Peylouse

est devenue résidence officielle enjuin 1917 de Fernando Tamagnini, com-mandant du CEP.

« Georgette »et le sacrificeL’hiver est terrible dans les tranchées avecneige et gel à pierre fendre, les soldatsdétestent les rations anglaises. Les raidsennemis sont dévastateurs, c’est la révo-lution au Portugal! Les renforts n’arri-vent plus. Le moral est au plus bas; leCEP déplore déjà la perte de plus de cinqmille hommes dont un millier de tués.L’état-major britannique décide de releverles troupes les 6 et 9 avril 1918. Mauvaisefortune: les Allemands sont prêts à atta-quer. L’opération « Georgette » débute à4h15 ce 9 avril. L’horreur de la bataille dela Lys: 100000 Allemands super-entraînéset un barrage d’artillerie contre 20000

Portugais désœuvrés. « Ils ont résisté dumieux qu’ils ont pu, se battant avec bra-voure ». Devant Laventie jusqu’à11 heures. Tenant La Couture jusqu’aulendemain à 11h45. Hécatombe. Près de400 tués, 6500 prisonniers et 35 % deseffectifs du CEP dans l’incapacité de com-battre. Le Corpo ne survit pas à ce cata-clysme. Repli sur Ambleteuse et la côte.Armistice. Le 1er décembre 1918, une der-nière parade militaire a lieu sur l’aéro-drome de Trézennes près d’Aire… Aire etsa gare d’où part un premier train avecquatre cents soldats portugais en directionde Cherbourg. Le 18 janvier 1919, unedélégation portugaise participe à laConférence de la paix à Versailles, et le14 juillet suivant, un contingent de quatrecents hommes du CEP occupe une placetout à fait légitime dans la parade de laVictoire à Paris. Légitime après un terrible

sacrifice: 2160 morts, 5224 blessés, 6678prisonniers.

Aménagé en 1935, le cimetière militaireportugais de Richebourg-l’Avouéaccueille 1831 tombes. En face du cime-tière, la chapelle Notre-Dame-de-Fatimaa été érigée en 1976. Inauguré le10 novembre 1928, le monument auxhéros portugais de La Couture représenteun soldat luttant contre un squelette arméd’une faux. Aire, Roquetoire, Marthes,Saint-Venant, Laventie, Richebourg, LaCouture: des noms pour ne plus oublierla participation portugaise à cette GrandeGuerre. « Le Portugal ne le méritait pas »écrit Manuel do Nascimento dans un livrerécent sur la bataille de la Lys que les his-toriens officiels britanniques appellentencore la bataille d’Estaires ou la 4e

bataille d’Ypres.

Les soldats portugais ont participé avec bravoure à la bataille de la Lys. Un pays de la Lys où ils ont laissé de nombreux... souvenirs.

Pho

to fo

nds

docu

men

tair

e D

omin

ique

Fai

vre

(Arh

am)

LONGTEMPS écrite en tout petit dans nos livresd’histoire, voire carrément effacée,l’implication du Portugal dans la Première

Guerre mondiale – loin d’être insignifiante -attire enfin les chercheurs, les passionnésd’histoire militaire, lusitaniens, français ouanglais. Sans oublier les généalogistes et lespetits-enfants, arrière-petits-enfants de cescombattants de Lisbonne, Porto ou Braga restésen France, dans le Pas-de-Calais surtout, aprèsl’Armistice. Un Pas-de-Calais où il est aisé desuivre le Corpo Expedicionario Portugues (CEP),d’Aire-sur-la-Lys à Laventie et de La Couture àRoquetoire en passant par Mametz…

Les Portugais Les Portugais

ont résisté du mieux qu’ils ont puont résisté du mieux qu’ils ont pu

Textes : Christian Defrance

Pho

to fo

nds

docu

men

tair

e D

omin

ique

Fai

vre

(Arh

am)

Printemps 1918 : un soldat de la 51st (Highland) Divisiondans le pays de la Lys.

L’Écho du Pas-de-Calais – octobre 2008 21

Polonais

« Quand le ministre de la Guerreautorise le 21 août 1914 les étran-gers à entrer dans l’armée fran-çaise, plusieurs centaines dePolonais se présentent sans hésita-tion dans les bureaux d’enrôle-ment », explique Robert Wabinski*qui prépare pour 2014 et leur cen-tenaire un ouvrage sur ces« Bajonczycy » (Bayonnais enpolonais). Les premiers volon-taires, cinq cents à Paris, autant àToulouse, trois cents à Abbeville etDouai – étudiants, mineurs, ouvriers ouaristocrates… - répondaient en fait auxappels lancés par différents cercles, asso-ciations et unions patriotiques tels les« Sokol » ou les « Strzelec », espérant voirrenaître leur « Mère Patrie » alors par-tagée entre les empires allemand, autri-chien et russe. « Les autorités françaisesdurent justement tenir compte des sus-ceptibilités de la Russie, pays allié,voyant d’un mauvais œil la formationd’une armée polonaise en France, ajouteR. Wabinski. Les volontaires furentversés dans les régiments de marche de laLégion étrangère ».Rapidement, un détachement de quatrecents hommes rejoignit le centre d’ins-truction de Bayonne, constituant bientôtla 2e compagnie du bataillon C du 2e régi-ment de marche du 1er régiment étranger,plus connu sous le nom de « 2e de marchedu 1er étranger ». Robert Wabinski s’est

également intéressé auxétendards des volontaires: « un premieravec l’Aigle blanc, porté par WladyslawSzuyski tombé le 27 novembre 1914, undeuxième réalisé par le peintre Styka etle troisième brodé au fil d’or par desdames de Bayonne ». Deux mois de for-mation et les « Bayonnais » amorcent unvéritable « chemin de croix » enChampagne. Ils participent à la rudebataille de Sillery le 22 novembre 1914.Ils arrivent ensuite en Artois et le 9 mai1915 c’est l’hécatombe aux portesd’Arras. Tobie Aberbach disparu àBerthonval, André Adamski tué à Mont-Saint-Éloi, André Budzinski tué àBerthonval, Henri Chocinski disparu aunord d’Arras, Guibel Goldberg tué dansle secteur de Berthonval… la liste des tuéset des disparus est longue jusqu’àEdmond Wiweger, François Zawieja. Le16 juin 1915, les « survivants Bayonnais »

attaquent à labaïonnette pour la prise du cimetière deSouchez. « Les restes de la division dis-paraissent pratiquement en totalité ».« Unité de premier ordre dont le dévoue-ment et l’esprit de sacrifice se sont parti-culièrement affirmés le 9 mai 1915, où,placée en tête de la colonne d’attaque des« Ouvrages Blancs », elle s’est brillam-ment emparée des positions ennemies opi-niâtrement défendues; ne s’est arrêtéequ’après avoir atteint ses objectifs,malgré des pertes très lourdes » dit la cita-tion à l’ordre du jour.Le 11 novembre 1918, la Pologneretrouve son indépendance. Les annéesvingt voient débuter la grande émigrationvers le Pas-de-Calais. Les « Bayonnais »ne sont pas oubliés. Un monument estérigé en 1929 à Neuville-Saint-Vaast, aubord de la route nationale, inauguré le 21

mai 1933 par l’ambassadeur de Pologne.Détruit par les Allemands en 1940, il estreconstruit. Endommagé par les tempêtesde février 1967, il est à nouveau recons-truit par des bénévoles, grâce à une sous-cription lancée par le journalNarodowiec; renové en 1995 puis « mieuxsignalé » en 2007 à l’occasion de l’annéede la Pologne dans le Pas-de-Calais.

* Né en 1949 à Calonne-Ricouart, fils demineur - et légionnaire -, Robert Wabinskia fait des études de droit à Lille. Sa carrièreprofessionnelle a démarré au centre spatialde Kourou en 1975. Il n’a plus quitté leCentre national d’études spatiales, actuel-lement expert auprès du directeur des res-sources humaines à Paris. Robert Wabinskiest colonel de réserve.

LE 4 juin 1917, un décret signé parle président Raymond Poincaré,entérine la création sur le

territoire français d’une arméepolonaise. Commandée par le généralJozef Haller, elle comptera plus de30000 hommes à la fin du conflit :émigrés polonais venus d’Amérique,prisonniers de guerre, déserteurs desarmées ennemies, peu de Polonaisrésidant en France avant 1914… Maisavant cette « Armée bleue », dès 1914et 1915, un petit groupe devolontaires polonais avait combattudans les rangs de la Légion étrangère.Ces hommes sont entrés dans l’histoiresous le nom de « Bayonnais ».

et « Bayonnais »et « Bayonnais »

Charles Bezdicek, 27 ans, soldat du 2e régiment demarche du 1er Étranger, mort pour la France le 9 mai1915 à La Targette, tué à l’ennemi. Héros tchèque. EnArtois, Karel Bezdicek est le porte-drapeau de la com-pagnie « Nazdar » (traduction de « Salut à notresuccès ») constituée de volontaires tchécoslovaques -minorité alors incluse dans l’empire austro-hongrois.Bezdicek est tombé dans la tranchée allemande, le corpsenveloppé du drapeau tchèque. Puissant symbole.Dostal, Dubisz, Houska, Kramata, Kubanek, Marek,Pribyl, Stetka… Les disparus des tranchées deBerthonval, de La Targette, de Souchez reposent dansle cimetière tchécoslovaque situé entre La Targette et

Souchez. À l’entrée, unmonument inauguré en1925: « Z Volili Zemriti

Za Svobodu ». Ils ont choisi de mourir pour la Liberté.À l’image de Josef Pultr, tué lui aussi le 9 mai 1915; ilétait le moniteur des Sokols lors de leur mois de forma-tion à Bayonne. À l’image de Josef Sibal, 49 ans, mortle 10 mai 1915 des suites de ses blessures de guerre; ilétait le président de l’association Rovnost. Dès l’été1914, les Sokols de Paris et les socialistes de Rovnostavaient décidé de s’engager en cas de guerre; la colonietchèque de Paris (artistes et artisans) organisa une mani-festation devant l’ambassade d’Autriche-Hongrie et uneautre place de la Concorde. Des feuilles d’engagementfurent imprimées dans les deux langues. Tous les Sokolsvalides s’empressèrent de les remplir et de les signer. Le

22 août, ils allèrent, drapeau sokol en tête, passer leconseil de révision.Le 23 octobre 1914, un bataillon de 250 hommes (formésà Bayonne) partit pour le front de Champagne avec le 2e

Régiment de marche rattaché à la division marocaine.Le 11 décembre, le premier légionnaire tchèque étaittué. Le 9 mai 1915, la division attaqua en Artois, onzeheures de lutte… et la Légion dut se replier. Après lesattaques de mai et juin 1915, la compagnie « Nazdar »cessa d’exister en tant qu’unité indépendante et ses res-capés furent répartis dans toutes les formations du régi-ment de marche de la Légion. En 1918, une brigadetchécoslovaque fut constituée en France, qui retournaau pays à l'automne en 1919. Au total, 650 légionnairestchèques périrent en France au cours de la PremièreGuerre mondiale.

et « Nazdar »Tcheques et « Nazdar »

Textes : Christian Defrance

« A Bayonne même, l’histoire des volontaires polonais est tombée dans l’oubli » affirme Robert Wabinski.

,

Pho

to c

olle

ctio

n pr

ivée

R. W

abin

ski

Paul Mauk, l’enfant soldat

90e ANNIVERSAIRE DE LA FIN DE LA GRANDE GUERRE22 L’Écho du Pas-de-Calais – octobre 2008

L’ENFANT dort, entouré de ses 15 645 camarades.Au bout du cimetière de Lens-Sallaumines,dans le carré réservé aux militaires allemands,

est enterré le plus jeune engagé de toute laGrande Guerre. Paul Mauk n’avait que 14 ans. Le 6juin 1915, une balle perdue lui a arraché l’avant-bras et a mis le feu aux munitions qu’il portait enpoche. Il est mort le lendemain, « sans uneplainte ».

La guerre a éclaté l’année de sa communion. « PaulMauk était un jeune homme ouvert qui ne cachait passes sentiments », décrit Ernst Jünger*, essayiste etromancier allemand. « Il était d’une bonté naturelle,dit encore l’écrivain allemand, et d’une gaieté sansambages ». Quand il était petit, Paul voulait devenirmédecin « pour soulager les hommes et rendreservice ».L’enfant aimait les fleurs… mais aussi les histoires debataille. Celles de Felix Dahn en particulier et surtoutle roman « Combat pour Rome », dont le personnageTolita était son héros préféré. Paul Mauk était le

sixième d’une famille de huit enfants. Né le 19 juillet1900 dans un village de la Forêt Noire, il a grandi« entouré d’amour » à Freiburg. Il nourrissait des lienstrès affectueux avec Walther son frère aîné seulementd’une petite année.

Dans leur costume de communiantQuand la guerre a été déclarée, les jeunes gens« conscients de leurs responsabilités » se sont inscrits àla caserne 113… Pour cacher leur grande jeunesse etavoir l’air sérieux, ils ont endossé leur costume de com-muniant. Ils étaient bien bâtis et mûrs, aussi, il ne leuraura pas été trop difficile de tricher sur leur âge… Lesdeux frères ont obtenu le certificat d’aptitude pourtoutes les armes à feu et ont rejoint les compagnies deréserve. Après une formation dure et sévère dans la IVe

compagnie, ils sont envoyés dans la IIIe « où Paul estremarqué pour son humour, son ardeur et son talent detireur ». Au sein de cette compagnie, quand vintl’époque de Noël, les frères Mauk s’occupèrent du sapin,des cadeaux et des surprises pour leurs camarades.L’enfance n’était pas si loin…C’est au printemps 1915 qu’ils ont posé le pied, pour lapremière fois sur un champ de bataille. Paul avait« conscience de faire partie de ceux qui vont contribuerà l’avenir de la patrie, de faire corps avec l'histoire mon-diale. » Le régiment d’infanterie badois 113, auquel ilsappartenaient alors, avait vu tomber Saarburg, laLorraine et la région de Toul. L’objectif suivant était lacolline de Lorette. C’est là, dans un local de repos, qu’ilsont retrouvé par hasard Karl leurgrand frère; l’homme était blessé.Karl avait un rôle de conseiller etdonnait des informations sur lesfronts. À ses petits frères et auxautres soldats volontaires, il a relatéles combats âpres et tragiques destranchées. Cela n’a pourtant pas suffipour décourager le petit Paul qui estreparti aux affrontements, « avectoute son ardeur ». Meurchin,Wingles, Hulluch, Béthune… l’ado-lescent était de tous les combats.« Son ego viril frémissait dans unefierté jubilatoire… » raconte ErnstJünger. Mais dans le quartier dortoir,Paul était aussi de tous les jeux…

« Il était fascinépar les lumières »Le 9 mai 1915, en passant sous desbarbelés, Paul Mauk a été blessé à

la tempe par un éclat de grenade. Difficile cependantde lui faire quitter le champ de bataille ! « Il était fas-ciné par les lumières qui reliaient le monde des tran-chées au Niemandsland ! Il lui semblait que lessilhouettes y étaient fantasmagoriques. » Impossiblede le garder longtemps en convalescence à l’infir-merie… Ôtant lui-même son bandage blanc, il a viterejoint ses camarades auprès desquels il disait par-tager « le même destin, la même misère, mais aussi lesmêmes joies, la même fierté ». Avec sa troupe, il s’estdirigé vers Liévin pour remplacer le régiment d’in-fanterie 112. Pendant toute une journée, la IVe

Compagnie a subi les feux des Français et a perdubeaucoup d’hommes. Le soir du 6 juin, alors que Paulavait été relevé et se trouvait dans un petit fossé nonloin de la ligne de tranchées, une balle perdue lui atouché le bras et enflammé les munitions qu’il gardaitdans la poche. Ses blessures étaient cruelles. Sonfrère, touché lui aussi, ne pouvait l’aider.En toute hâte, Paul Mauk a été transporté vers leposte d’infirmerie du 1er bataillon à Liévin. Conscientde son état critique, l’adolescent ne se plaignait pas.À son frère en pleurs, « il parlait calmement de sablessure », raconte Ernst Jünger et gardait « la fiertésereine d’un homme qui prend son destin en main. »L’enfant soldat est resté digne devant la mort. Le soleildu matin du 7 juin 1915 « a salué un dormeur paisible(...) dont les lèvres dessinaient le sourire dans l’éter-nité. » Le garçon a été enterré au cimetière militaireallemand de Lens-Sallaumines. La nouvelle de sa mort

est arrivée dans son village et àson frère Karl, devenu lieute-nant du régiment des chasseurs.L’homme laissera, lui aussi, lavie sur un champ de bataille, le 7avril 1918. Dans ses affaires, unpoème sera retrouvé. Il chante lepetit Paul.« Mon frère, mon bien-aiméfrèreLaisse-moi voir encore la clartéde tes petits yeuxPlus vif et gai, j’irai soutenir leprochain combatAvec le véritable courage dusoldat allemand (…) »

*Die Unvergessenen (LesInoubliables) de Ernst Jünger. Paul Mauk, de Walter Schmidt.

Au cimetière militaire allemand de Lens-Sallaumines :

Paul Mauk,

Pho

to M

.-P

ierr

e G

riff

on

Ph.

Col

lect

ion

Volk

sbun

d D

euts

che

Kri

egsg

räge

rfür

sorg

e e.

V.

Paul repose au cimetière militaire allemand de Lens−Sallaumines, dans la rangée 11, tombe 268.

Le cimetière militaire allemandde Lens-Sallaumines a été crééà l’automne 1914 par lestroupes allemandes. Il a éténommé « Cimetière deLorette » ou « Cimetière duXIVe corps d’armée » car c’estlà qu’on été inhumés la plu-part des soldats tombés aucours des combats, menésautour des hauteurs deLorette.Sont venus ensuite s’ajouter

les morts au combat de la région de Lens.En 1917-1918, un tir d’artillerie allié adétruit complètement les lieux. Les auto-rités françaises les ont reconstruits aprèsla guerre.

En 1926, après un accord passé avec lesautorités militaires françaises, le« Volksbund Deutsche Kriegsgräberfürsorge »- le service d’entretien des sépultures mili-taires allemandes - a entrepris l’améliora-tion de l’état de la nécropole.Cette association privée qui compte plusd’un millier de membres et 150 employéspour le seul sol français, est toujours res-ponsable aujourd’hui de l’entretien descimetières allemands à l’étranger. 90 % de

ses ressources financières viennent dedons et de cotisations.

La plupart des cimetières militaires alle-mands se fondent littéralement dans leurenvironnement.Un peu comme s’ils communiaient avecla nature, dans la plus pure tradition dela mythologie germanique héritée despeuples scandinaves. Lorsque la pré-sence d’un arbre interrompt une rangéede croix, on ne touche jamais à l’arbre.On déplace simplement une croix enavant ou en arrière. Le cimetière deLens-Sallaumines n’échappe pas à larègle.

Les cimetières militairesallemands du Pas-de-Calais:

Lens-Sallaumines, Billy-Montigny, Sailly-sur-la-Lys,Laventie, Billy-Berclau,Carvin, Meurchin, Pont-à-Vendin, Oignies, Courrières,Dourges, Achiet-le-Petit,Écourt -Sa int -Quent in,Rumaucourt, Sapignies,Saint-Laurent Blangy,Villers-au-Flos et Neuville-Saint-Vaast qui a le plusgrand cimetière militaire alle-mand de toute l’Europe del’Est.

allemands

Paul, 14 ans, volontaire appartenant au I V e corps du régimentd’infanterie 113 (5e régiment de Bade situé à Freiburg)«remarqué pour son humour, son ardeur et son talent de tireur».

Textes : Marie-Pierre Griffon

Com

mun

ion

avec la nature

L’Écho du Pas-de-Calais – octobre 2008

Le 1er janvier 2008 s’éteignait àl’âge de presque 108 ans dansune maison de retraite deCologne, Erich Kästner, consi-déré comme le dernier vétéranallemand « connu » de laPremière Guerre mondiale.Une disparition passée complè-tement inaperçue en Allemagne,pays qui peine à surmonter « lahonte du génocide nazi », où lescombattants de la GrandeGuerre restent dans lesoubliettes de l’histoire. Unegénération perdue dont le sou-venir est étouffé par les hor-reurs de la Seconde Guerremondiale. Contrairement auxBritanniques, Français,Américains ou Australiens, lesAllemands n’ont aucune liste« officielle » des soldats mortsentre 1914 et 1918. Des mil-liers dans le Pas-de-Calais. Et le ministère de laDéfense allemand se montrait incapable de fournirdes renseignements sur Erich Kästner aux médiasinternationaux. Les mêmes médias qui troissemaines plus tard pouvaient évoquer en long enlarge et en tranchée la guerre de Louis de Cazenave,

l’avant-dernier « Poilu » français, mort à 110 ans.Né à Leipzig-Schönefeld le 10 mars 1900, Kästner avaitrejoint l’armée impériale allemande en juillet 1918, ser-vant apparemment dans les Flandres. Il était présentquand le Kaiser passa des troupes en revue ennovembre 1918. Après la guerre, Erich Kästner passa

un doctorat en droit.Incorporé dans la Luftwaffedurant la Seconde Guerremondiale, il « revit » laFrance. Installé à Hanovreen 1945, il exerça la profes-sion de juge.2057000 Allemands onttrouvé la mort durant laGrande Guerre, plus dequatre millions ont étéblessés. En 1914, l’Empireallemand comptait vingt-cinq états fédéraux: lesroyaumes de Prusse, deSaxe, du Württemberg et deBavière, six grands duchés,cinq duchés, sept princi-pautés et trois cités libreshanséatiques. L’Alsace-Lorraine était aussi gou-vernée comme un état impé-rial. Presque chaque état

possédait ses propres régiments. Des régiments quiincluaient des soldats issus des minorités: Polonais,Danois du Schleswig, Juifs, etc. Environ 60000 Juifsd’Allemagne – ils avaient acquis des droits civils en 1871– ont servi dans l’armée impériale durant la GrandeGuerre.

ELLE s’appelait évidemment La tranchée. Une gazetteéditée à Bapaume, ville occupée par les Allemands dèsla fin du mois d’août 1914. Dans son livre « La vie

quotidienne de Bapaume dans la Première Guerre mondiale »- un outil exceptionnel pour les historiens ! -, GastonDégardin avait traduit et épluché les pages de DerSchützengraben, du premier numéro, le 22 août 1915, audernier, daté du 7 juin 1917... Bapaume avait été libérée auprintemps par les Australiens.

Dans son premier éditorial, le rédacteur en chef (sans doute leDocteur Körber, médecin chef de l’hôpital selon G. Dégardin)explique que ce journal rédigé par les soldats du XIVe Corps « enoccupation » à Bapaume « doit servir de lien entre eux et avec lesfamilles en Allemagne ». Il ajoute : « Tous sont invités à y parti-ciper par des articles historiques, scientifiques, humoristiques; pardes poèmes, des chants. » Au fil des numéros, les soldats journa-listes publient des enquêtes sur les villages, châteaux, églises de larégion - dynamités lors du repli allemand en 1917 - et bien sûr« quelques articles du genéral Von Stein encourageants pour sestroupes ». Quand l’atelier d’impression (25, rue d’Arras) estdétruit en juillet 1916, Der Schützengraben semble se replier surle château d’Havrincourt. Le 9 mai 1917, le Docteur Schnabel,nouveau rédacteur en chef, salue le 50e numéro. Et La tranchéecesse de paraître brusquement en juin 1917: un seul article pource dernier numéro évoquant « des circonstances extérieures obli-geant à arrêter, par suite de la dispersion des membres du Corpsen d’autres endroits du front ». Gaston Dégardin avait remarquéen compulsant les traductions: « Les articles et poèmes ne sont pasfaits pour dresser le soldat allemand contre le civil. Leurs auteursne vilipendent pas le Français, mais ne se font pas faute de mal-mener les Anglais à chaque occasion ».

Avant 1916, Der Schützengraben ne lésinaitpas sur les annonces publicitaires : banque dechange place Faidherbe, magasin de vête-ments, dépôt de tabacs, librairie du XIVe

Corps, bains pour officiers à l’Hôtel de laFleur, rue d’Arras à Bapaume, établissementthermal de Ligny-Thilloy, théâtred’Havrincourt, Kasino de Warlencourt, sansoublier le programme du Bali, « Bapaumer

Lichtspiele », cinéma bapalmois « boudé parles civils ».« Il y eut aussi durant les premiers mois desannonces pour le marché de Bapaume:gibier, volailles, œufs, légumes… Annoncesupprimée par manque de succès? Je medemande qui aurait pu apporter du gibier aumarché » notait Gaston Dégardin dans sonouvrage.

Textes : Christian Defrance

Un hôpital allemand sous le feu anglais.

L’armée impérialeallemande six millions

L’armée impérialeallemande et ses six millions de victimes

Der SchützengrabenLa gazette des Allemands à BapaumeDer SchützengrabenLa gazette des Allemands à Bapaume

23

Pho

to fo

nds

docu

men

tair

e H

ugue

s C

heva

lier

L’Écho du Pas-de-Calais – octobre 2008 90e ANNIVERSAIRE DE LA FIN DE LA GRANDE GUERRE24

« J’AI vu des tombes avec des idéogrammesdans le cimetière d’Ayette, et je me suis ditcomment ça se fait qu’ils sont là? »Question longtemps passée sous silence; lesort des « Coolies » dans nos campagnes aété peu étudié. Très peu étudié. Dragons,pétards, nattes et tresses, les choses bou-gent aujourd’hui, on a même vu uneconférence internationale de trois jourssur le sujet en septembre dernier… en

Chine, plus exactement à Weihai dans laprovince de Shandong (au nord-est dupays) où fut recrutée la majorité des95000 Chinois ayant travaillé pourl’armée britannique de 1917 à 1920. Côtéarmée française, 44000 travailleurs effec-tuèrent ce grand déplacement (la baie deCanton était une enclave française).André Coilliot sort son dossier « chinois »et tombe sur la photocopie d’une carteindiquant les nombreux camps - et cime-tières - du Chinese Labour Corps:Arques, Audruicq, Berguette, Boulogne,Calais, Dannes-Camiers, Érin, Étaples,Hardelot, Houdain, Moulle, Ruminghem,Saint-Omer, Seninghem, Tournehem,Wimereux… Et il en manque. Le camp deBouvigny-Boyeffles a été retrouvé etétudié par Serge Thomas et ses élèves del’école de Sains-en-Gohelle. Les témoi-gnages ont afflué à l’école! Beaucoup tom-baient des nues. Il y avait bien des cen-taines de Chinois en Gohelle, dans leTernois. « À Érin, ils réparaient destanks », rappelle André Coilliot. Uneimmense usine. Le musée du tank àBovington en Angleterre possède des pho-tographies d’ouvriers chinois (51e, 69e et90e compagnies) des Tank CentralWorkshops implantés dans la vallée de laTernoise, à Érin puis à Teneur.

Nettoyer lestranchées!Dès 1916, Anglais et Françaisconfrontés à de terribles perteshumaines, se tournaient vers laChine (qui déclara la guerre àl’Allemagne le 14 août 1917) pourtrouver une main-d’œuvre indis-pensable, dans les ports notam-ment. Les Français furent appa-remment les premiers à« contractualiser » sur la base de50000 travailleurs, Marseilleaccueillant un contingent chinoisen juillet 1916. Après négociationsavec Pékin, les Britanniquesrecrutèrent un premier millier de« paysans, forts et capables d’af-fronter des différences clima-tiques » du côté de Weihai ennovembre 1916 et le ChineseLabour Corps – CLC - fut officiel-lement constitué le 21 février 1917.Sur une période de treize mois,quelque 84000 Chinois effectuè-rent de sacrés périples: en passantpar l’Afrique du Sud, le canal deSuez, le canal de Panama, laJamaïque, New-York! La princi-pale route fut celle du Pacifique:débarquement sur l’île de Vancouver(côte ouest du Canada), longue traverséeen train jusqu’à Halifax puis le bateau ànouveau jusqu’à Liverpool ou Plymouth,un peu de terre ferme et encore une tra-versée de Folkestone à Boulogne-sur-Meravant de reprendre la voie du rail versNoyelles-sur-Mer et le quartier général duChinese Labour Corps. Les Chinois duCLC ne portaient pas d’uniforme; ilsétaient répartis - à au moins dix miles dufront - dans des compagnies de cinq centshommes, chacune ayant son major ou soncapitaine britanniques, son interprète.Deux repas par jour, dix heures de travailpar jour, sept jours sur sept, repos lorsdes fêtes du calendrier chinois et une paiequotidienne modique avec une partieenvoyée en Chine.S’ils étaient parfois dans les cuisines oules blanchisseries, ces travailleursdevaient surtout charger et décharger lesnavires dans les ports, réparer les routeset les voies ferrées, construire des aéro-dromes… À la fin de la guerre, lesChinois ont rebouché les tranchées et lestrous de bombes, recherché les obus quin’avaient pas explosé et déminé, récupéréles fils de fer barbelés, mais aussi« ramassé » les corps déchiquetés des vic-times avant de les enterrer dans lestombes qu’ils avaient préalablementcreusées, participant ainsi à la créationdes cimetières militaires. Durant leur« temps libre », les travailleurs chinoisavaient la réputation d’être des maîtresde l’artisanat de tranchées, fabriquant detrès beaux objets à partir de balles, degrenades, d’obus. « Les Chinois au ser-

vice de la France étaient plusheureux qu’avec les Anglais: il

y avait moins de racisme,avance André Coilliot. Dansl’Arrageois, en février 1919,plus de cinq mille Chinois de lamain- d’œuvre coloniale ontremis en état le territoire, àBoisleux, Boiry-Saint-Martin,Bucquoy, Berles, Bienvillers,Foncquevillers, Douchy-lès-Ayette, Ransart, Basseux,Rivière… Comme il y avait unmanque de surveillance, il y eutdes actes de pillage dans lesbaraquements provisoires. »

Le premierChinatownAu total, environ deux milletravailleurs chinois ont

trouvé la mort en France,victimes de maladies, de bom-

bardements, d’explosionslors du « nettoyage » des

tranchées, de quelquesexécutions et surtout de

la grippe espagnole.De 1918 à 1923, les

états-majors ren-voyèrent progressi-

vement leurs travail-leurs vers le Céleste Empire. Entre deuxet trois mille restèrent en France, prenantla poudre d’escampette alors qu’on lesdirigeait vers le port de Marseille, créantaux alentours de la gare de Lyon, dansl’îlot Chalon, le premier quartier chinoisde Paris, aujourd’hui disparu et où uneplaque fut inaugurée le 28 novembre1988, rue Maurice-Denis, « en hommageà tous les ressortissants chinois – travail-leurs ou engagés volontaires – qui mou-rurent pour la France. » Certainsseraient restés dans le Pas-de-Calais? « Ilme semble dit André Coilliot, qu’unChinois s’est marié dans un village du sudde l’Artois et qu’il a eu un fils! »

Le Pas−de−Calais compte neuf cimetières chinois de Ayette à Saint−Etienne−au−Mont,en passant par Ruminghem, où reposent les compatriotes de ce « Coolie ».

Pho

to :

fond

s do

cum

enta

ire

Ala

in J

acqu

es

Chinois

Soldat allemand et prisonniers chinois.

Texte : Christian Defrance

La Grande Guerreet ses chinoiseries

Durant plus d’un demi-siècle,André Coilliot a collectionnéles « souvenirs » – du très

petit au très encombrant – des deuxguerres mondiales. Véhicules,uniformes, livres… S’il a vendu unegrosse partie de son « trésor desguerres » à Avril Williams, uneAnglaise ayant ouvert un musée prèsde son « tearoom » à Auchonvillersdans la Somme, l’ancien cheminot deBeaurains reste l’une des figuresmajeures de la « petite histoirelocale des deux conflits ». Incollablesur les « sombres jours de mai 40 àArras » ou sur « Beaurains sous lefeu de 1914 à 1917 ». Intrigué aussipar la présence de travailleurschinois dans notre départementdurant la Grande Guerre.

Pho

to :

fond

s do

cum

enta

ire

Ala

in J

acqu

es