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Tiré à part Volume spécial n°21 Nodus Sciendi Novembre 2017 Étude réunie par SÉKA Apo Philomène Maître-Assistant Université Félix Houphouët-Boigny ISSN 2308-7676

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Tiré à part

Volume spécial n°21 Nodus Sciendi

Novembre 2017

Étude réunie par

SÉKA Apo Philomène

Maître-Assistant

Université Félix Houphouët-Boigny

ISSN 2308-7676

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Numéro 21 ISSN 2308-7676

Comité scientifique de la Revue

BAJOMÉE, Danielle, Professeur émérite, Université de Liège

BÉNIT, André, Professeur, Université Autonome de Madrid

BOA, Thiémélé L. Ramsès, Professeur des Universités, Université Félix Houphouët Boigny

KONÉ, Amadou, Professeur des Universités, Georgetown University, Washington DC

MADÉBÉ, Georice Berthin, Professeur des Universités, CENAREST-IRSH/UOB

RENOUPREZ, Martine, Professeur des Universités, Université de Cadix

SISSAO, Alain Joseph, Professeur des Universités, INSS/CNRST, Ouagadougou

TRAORÉ, François Bruno, Professeur des Universités, Université Félix Houphouët Boigny

VION-DURY, Juliette, Professeur des Universités, Université Paris XIII

VOISIN, Patrick, Professeur de chaire supérieure en hypokhâgne et khâgne A/L ULM, Pau

WESTPHAL, Bertrand, Professeur des Universités, Université de Limoges

Organisation

Publication / DIANDUÉ Bi Kacou Parfait,

Professeur des Universités, Université Félix Houphouët Boigny, de Cocody-Abidjan

Rédaction / KONANDRI Affoué Virgine,

Professeur des Universités, Université Félix Houphouët Boigny, de Cocody-Abidjan

Production / SYLLA Abdoulaye,

Maître de Conférences, Université Félix Houphouët Boigny, de Cocody-Abidjan

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Numéro 21 ISSN 2308-7676

SOMMAIRE

1- Dr. KONAN K. Béhégbin D., U. FHB, « Le problème d’acquisition lexicale en langues étrangères : cas de l’Espagnol en milieu universitaire ivoirien »

2- Dr. BEOGO Joseph, U. Koudougou, « Décentralisation et qualité de l’éducation au Burkina Faso »

3- Dr. DOSSO Faloukou, U. A.O, « L’expérience de l’émergence en Afrique subsaharienne face aux principes de la justice de Rawls et Frazer »

4- Dr. DRAME Abibata, U. FHB, « m-learning et apprentissage des méthodes de planification et de stratégies de la communication pour le développement à l’université Félix Houphouët-Boigny »

5- Dr. ELOMON K. Bertin, U. Abomey-Calavi, « Les panégyriques claniques : aspects oblitérés d’une poétique »

6- Dr. NIAMKE F. Aboua, U. A.O, « Le messianisme subversif chez John Steinbeck : une métaphore obsédante de la déchéance »

7- Dr. KEI Joachim, U. A.O, « Le discours autre et les procédés de transformation linguistiques dans Les bouts de bois de dieu de Sembene Ousmane »

8- Dr. SEKA A. Philomène, U. FHB, «Le roman colonial africain, foyer de poétisation de la rupture sociale »

9- Dr. TAI Hirigo Ignace, U. FHB, « Représentation, expressivité et scientificité discursive dans Sueur de lune de Toh Bi Tié Emmanuel »

10- Dr. VAHI Yagué, U. FHB, « Le zouglou ou la parole poétique proférée : perception, signifiance et signifiose »

11- Dr. OUATTARA Vincent, U. Koudougou, « Oralité et mythe du développement durable »

12- Dr. SORÉ Zakaria, U. Ouaga 1, « L’inopérante quinzaine critique ou l’échec de construction d’une communauté éducative à l’école primaire au Burkina Faso »

13- Dr. YAPO ADON C. R. F. N., U. F H B, « Yūsuf Ibn Tāšufīn y la conquista de los reinos de Taifas (1086-1104) »

14- Dr. KANGA Akissi A. D. epse KOUAME, U. FHB. «Tiempo de silencio de Luis Martín Santos, esta luz en la posguerra civil española »

15- Dr. OUATTARA Fatié, U. Ouaga 1, « L’INSURRECTION DES VIES INTÈGRES. Rupture, changement et progrès »

16- Dr.KONE Bassémory. U, FHB, « Communication pour le changement de normes sociales et de comportement dans la lutte contre le paludisme en Côte d’ivoire »

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Numéro 21 ISSN 2308-7676

Oralité et mythe du développement durable

Vincent OUATTARA

Université Norbert Zongo

Koudougou / Burkina Faso

Résumé

Le concept de développement durable fait l’objet de gloses

jamais achevées. Partisans et adversaires de cette conception

du développement rivalisent d’ardeur pour une place

prépondérante sur la scène de l’histoire. D’où l’intérêt d’une

réflexion sur le sujet à partir de cette question de

recherche : Le développement durable est-il un mythe ? A

travers l’examen des tendances théoriques et conceptuelles sur

le mythe en tant que genre de la littérature orale, l’objectif

est de dépasser le stade de la pure théorie et orienter les actions

concrètes pour la survie des nations. Le résultat de cette recherche

est la proposition d’une modernisation de la culture spirituelle

en fonction des besoins ontologiques.

Mots clés : mythe, littérature orale, développement durable,

modernisation, culture spirituelle

Introduction

Il est une vérité de La Palice que de dire que le mythe fait partie

des ressources de la littérature orale. Pour Malinowski, il est le

reflet d’une culture qui n’a pas encore conceptualisé ses principes

fondamentaux en langage philosophique1. Avec Lévi-Strauss, il passe

de la pensée pré-philosophique à la pensée à part entière2. Les

mythes ne sont pas que le propre des sociétés traditionnelles.

Aujourd’hui il existe des mythes modernes qui veulent contribuer à

la stabilisation et au développement des sociétés. Le développement

1 Bronislaw Malinowski, Le mythe dans la psychologie primitive, dans trois essais

sur vie sociale des primitifs, Paris 1962.

2 Claude Lévi-Strauss Mythologiques I, Le Cru et le cuit (1964), Paris, Plon, 1990. — Mythologiques II, Du Miel aux cendres (1967), Paris, Plon, 1990. — Mythologiques III, L’Origine des manières de table (1968), Paris, Plon, 1990. — Mythologiques IV, L’Homme nu (1967), Paris, Plon, 1990.

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durable n’est- il pas de ceux-là ? Ce concept intervient dans un

monde où les idéologies de nivellement culturel, renvoyées entre

temps aux calendes grecques, reviennent au galop pour soumettre des

peuples et leurs cultures à une forme de dictature de la pensée

unique marquée du sceau de la rationalité et du développement.

I. Le Mythe : approche conceptuelle

D’abord comment définir le mythe ? Une histoire vraie ? Une histoire

fausse ? Mircea Eliade constate que ce mot est utilisé en tant que

fable, invention, fiction avant d’être accepté tel qu’il était

compris dans les sociétés archaïques, où il désignait une « histoire

vraie »3. La définition du mythe reste donc complexe et convainc

qu’il est difficile de lui trouver une interprétation acceptée par

tous les savants et accessible aux non-spécialistes.4

La difficulté de définir le mythe est aussi relevée par Marie-Pierre

Laudet. « Le mythe, écrit-elle, semble échapper à toute tentative de

définition, ce qui est néanmoins remarquable c’est la complexité de

cette notion de mythe que les multiples définitions rendent

manifeste »5.

Ces deux auteurs s’accordent sur la pluralité des définitions

accordées au mythe et la complexité de circonscrire l’objet de son

étude. « Les nombreuses définitions conduisent davantage à une

dissolution du mythe qu’à une précision croissante de sa

définition »6, estime Marie-Pierre Laudet.

Mircea Eliade tente une définition du mythe comme une histoire

sacrée qui relate comment, « grâce aux exploits des Etres

surnaturels, une réalité est venue à l’existence, que ce soit, la

3 Mircea Eliade, Aspect du mythe, Gallimard, 1963, p.11. 4 Ibid., p.16. 5 Marie-Pierre Laudet, Mythes et discours scientifiques : des constructions sociales du sens, Sociologie, Université Paul-Valéry, Montpellier III, www.msh-m.fr/le...en...Mythes.../Mythes-et-discours-scientifiques 22 sept. 2008 - Marie-Pierre LAUDET ... 6 Marie-Pierre Laudet, op., cit.

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réalité totale, le cosmos, ou seulement un fragment ; une île, une

espèce végétale, un comportement humain, une institution ».7

De ces considérations, le mythe renvoie à un certain nombre

d’interdictions en vue d’assurer la stabilité de la société. Il est

une histoire vraie qui tente d’expliquer un phénomène (foudre,

orages), un comportement (conduites humaines), l’origine des choses

(univers, homme, femme, mal, souffrance, etc.), une divinité, etc.

Le fonctionnalisme de Bronislaw Malinowski, en mettant l’accent sur

la fonction de chaque élément culturel dans le système total de la

culture, montre que le mythe a une fonction intégrative dans les

sociétés primitives8. Mais considérer que la société constitue un

système qui fonctionne masque parfois la réalité des conflits

sociaux qui perturbent son fonctionnement. On comprend alors cette

affirmation de Lévi Strauss : « Dire que toute société fonctionne

est un truisme, mais dire que tout dans une société fonctionne est

une aberration ». De l’orbite de l’anthropologie structurale,

s’inspirant des théories linguistiques de Saussure et Jakobson9, il

considère le mythe comme un langage particulier. Le mythe est fait

d’unités constitutives, de signes qui s’organisent en systèmes pour

devenir des signifiants. La pensée mythique a pour but de résoudre

les contradictions auxquelles peuvent être confrontés les individus

en établissant des médiations entre les éléments contradictoires.

Ainsi, le mythe n’est plus un récit fabuleux, il est une

caractéristique de l’intellection. Il est présent dans toutes les

sociétés y compris celles dites modernes. Lévi-Strauss conclut qu’il

existe des structures fondamentales et universelles de l’esprit

humain : un « inconscient structural », qui a pesé, à toutes les

époques, sur l’esprit de l’homme. Il emploie l'expression « pensée

sauvage » pour décrire le fonctionnement de la pensée à l'état

naturel et dans les sociétés où l’on parle de pensée scientifique,

logique, rationnelle.10

7 Ibid., pp.16-17. 8 Malinowski, op., cit. 9 Roman Jacobson, Essais de linguistique générale : Tome 1 Les fondations du langage Poche – 3 juin 2003. 10 Claude Lévi-Strauss, Anthropologie structurale, Plon, p.228.

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Géraud Marie Odile constate que « la conception structuraliste du

mythe doit davantage être considérée comme une théorie de la pensée

mythique que comme une théorie du récit mythique »11.

Mais doit-on vraiment confondre la pensée mythique et la pensée

rationnelle, scientifique ? Cette question nous renvoie à l’examen

du rapport entre mythe et science.

II. Mythe et Science

Si le mythe se veut une histoire vraie, quelle est donc sa

particularité par rapport à la science qui veut toujours ravir la

palme de l’exactitude, du réel, de la vérité ? Marie-Pierre Laudet

apporte une réponse à cette question en s’intéressant à l’analyse

des discours scientifique et mythique. Le premier « ne se construit

pas au hasard ». Le second est « envisagé comme une simple

fabulation ou, au contraire, comme un discours sacré de la plus

haute importance pour une société »12. Henri Poincaré démontre que la

science n’est pas créatrice de réalité comme peut l’être le mythe,

elle est explicative de la réalité qu’elle observe13.

Angela Maréchal (dir.), tout en reconnaissant l’existence d’une

différence entre science et mythe en tant que savoir de sociétés

différentes, admet un lien de complémentarité entre le rationnel et

le mythique14.

On serait tenté de croire que les insuffisances de la science

ouvrent la porte aux mythes. Ce serait alors soutenir que le mythe

se manifeste à défaut de savoir scientifique. Il est important de

rappeler que la science est faite, également, de la subjectivité des

chercheurs et que cette subjectivité est porteuse d’un imaginaire

social. En effet, comment surmonter « le premier obstacle » évoqué

par Gaston Bachelard qui considère que

11 Geraud Marie-Odile et als, Les notions clés de l'ethnologie : Analyses et textes, Armand Colin; 3e édition revue et augmentée, 12 septembre 2007. 12 Marie-pierre laudet, Mythes et discours scientifiques : des constructions sociales du sens, sociologie, université paul-valéry, montpellier iii, www.msh-m.fr/le...en...mythes.../mythes-et-discours-scientifiques 22 sept. 2008 - marie-pierre laudet ... 13 Poincaré Henri, La science et l’hypothèse, Flammarion, 1917. 14 Marie-Pierre Laudet, op., cit.

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« L’image commune d’une réalité non seulement n’en donne pas une

connaissance scientifique, mais elle fait obstacle à la

construction de celle-ci. Le premier travail dans la recherche

consiste à rompre avec les préjugés et les évidences »15.

Pourtant l’homme moderne, fier d’être « maître et possesseur de la

nature », fait du mythe une forme de pensée primaire propre aux

sociétés traditionnelles, paysannes. Nous assistons alors à

l’émergence du mythe de supériorité de l’homme ; le mythe que le

monde est compréhensible et connaissable par les lois de la

science ; le mythe du progrès. Cette compréhension nous renvoie à ce

vieux mythe prométhéen de la mythologie grecque, dévoilant le

personnage de Prométhée qui vole le feu et le donne aux hommes16.

Dans cette volonté de maîtrise du monde par la connaissance on crée

un mythe autour du mythe de la science, de la rationalité, de

l’homme maître et possesseur de la nature.

Pour Raymond Robert, les mythes ont changé de forme, mais sont aussi

présents qu'autrefois. Ils sont donc un besoin fondamental de l'être

humain17. Aujourd’hui il existe une pluralité de mythes (modernes) :

le mythe des extras terrestres, le mythe des soucoupes volantes,

etc.

Ces mythes répondent à un besoin social : l’absence de réponses à

des questionnements pour assurer la sécurité et la stabilité

sociale. A l’instar de la société traditionnelle, la société moderne

a donc ses mythes.

Les prêtes, les patriarches et les chamans des sociétés

traditionnelles qui entretenaient les mythes, disparaissent

progressivement pour laisser la place aux « chamans des temps

modernes ». Ceux-ci installent le culte de la science, et à l’instar

du chaman des sociétés traditionnelles qui sonne la clochette pour

réveiller l’esprit qu’il sollicite, ils s’adressent à la science en

proférant des incantations en résonnance avec ses lois et

15 Gaston Bachelard, La formation de l’esprit scientifique, Paris, Vrin, 1965. 16 Georges Méautis, « Le prologue à la Théogonie d'Hésiode », Revue des Études Grecques, Année 1939 Volume 52 N°248, pp. 573-583 17 Raymond-Robert Tremblay, Le mythe d'hier à aujourd'hui - cégep du vieux montréal www.cvm.qc.ca/encephi/contenu/articles/mythe2.htm

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principes. « Dieu ne joue pas aux dés avec l’univers »18. Cette leçon

d’Einstein est pigée même si « les sciences sont des fouilles dans

Dieu », selon Victor Hugo. Le respect des règles de la consultation

garantit le succès pour découvrir des signes qui parlent. « Les

chamans des temps modernes » se tournent vers les habitants de la

planète avec des prédictions souvent alarmistes.

Aujourd’hui « de 130 000 à 150 000 km2 de forêt disparaissent chaque

année, soit environ 15 millions d'hectares. Cela signifie que chaque

année, nous détruisons en forêt, l'équivalent de la surface de la

Belgique représentant 4,1 trilliards de dollars de services

écosystémiques gratuits, soit 594 $ par personne. De 1990 à 2010, la

déforestation a représenté 4 fois la superficie de l'Italie. Toutes

les minutes, 2400 arbres sont coupés. En 2015, ce sont 18 millions

d'hectares de forêts qui ont été perdus »19. Pourtant les forêts sont

sources de nourriture, de santé, de médicaments. Selon la FAO,

soixante millions de peuples indigènes dépendent entièrement des

forêts.

Pour sauver notre planète, les « chamans des temps modernes »

n’offrent pas un objet à un esprit ou à un ancêtre ; n’immolent pas

un animal sur l’autel des dieux. Ils croient en la rationalité. Ils

partent du fait que le développement est un processus économique de

croissance associé à une amélioration du bien-être des populations.

Ils ajoutent à cette recette une petite potion magique pour la

raffermir avec l’étiquette de « durable », sous le regard de la

Commission pour l’Environnement et le Développement des Nations

Unies qui devait véritablement officialiser le concept de

Développement Durable.

III. Le développement durable : un mythe ?

Le développement durable est le message pour assurer la stabilité

sociale et l’épanouissement dans la société. Pour passer ce message,

les griots et autres détenteurs de la parole des sociétés

18 Formule de Einstein, titre de l’essai de Henri Laborit, Dieu ne joue pas aux dés, Éditions Grasset & Fasquelle, 1987. 19 Statistiques tirés de « Déforestation - Hectares de forêt détruits dans le monde - Planetoscope/ https://www.planetoscope.com/forets/274-deforestation---hectares-de-foret-detruits-da.Consulté le 12 septembre 2017.

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traditionnelles laissent la place aux acteurs médiatiques modernes.

Ce message, nous pouvons l’appréhender comme un système de

communication dans la compréhension du mythe de Roland Barthes. Les

médias ont la capacité de nous émouvoir, de nous rappeler le passé,

le présent pour mieux nous projeter dans l’avenir. « La parole

mythique est formée d'une matière déjà travaillée en vue d'une

communication appropriée »20, affirme Barthes. Il affirme donc qu’une

parole, un discours ou un langage, un son, une image ou une

photographie, peuvent représenter une unité ou une synthèse

‘’mythique’’ significative.

Le développement durable, « objet fétichisant », procure une

certaine satisfaction, mais les prédictions des « chamans modernes »

ne sont pas appréciées par tout le monde. Certains réfutent ce

concept sorti de la tête des hommes de science, comme minerve de la

tête de Zeus. Bruno Latour montre notre rapport au fétichisme. Il

s’agit de cette étrange manière qu’ont les humains de se laisser

saisir par leurs propres créations. « Le soir, écrit Latour, ils

fabriquent des statues, des poèmes, des poupées ou des mythes ; le

matin, ils croient qu’elles se sont faites toutes seules, par

génération spontanée, et qu’il faut leur rendre un culte ou les

aimer d’un amour fou »21.

Le développement durable devient « une poupée » des temps modernes,

que différents acteurs caressent, cajolent pour restaurer pour

éviter les catastrophes environnementaux, pour assurer la survie de

l’humanité. Il est le « fétiche » du « chaman des temps modernes ».

Mais son efficacité est contestée.

Le journal britannique « The Economist » posait la question suivante

: « Le développement durable, une idée qui sonne merveilleusement

bien, est devenue une faillite intellectuelle et devrait être

abandonnée. Elle conduit à une conception erronée des causes réelles

des problèmes économiques et environnementaux et elle encourage les

gouvernements à adopter des politiques désastreuses »22. Veyret et al

20 Roland Barthes, Mythologies, Éditions du Seuil, Paris, 1957. 21 Bruno Latour, Sur le culte moderne des dieux faitiches, 2009, La

Découverte, 15 octobre 2009.

22 The Economist » en date du 3 juillet 2009.

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notent que le développement dépasse la seule croissance du produit

national brut, il implique une amélioration de la santé de

l’éducation et des aspects culturels23.

Est-ce à dire que « les chamans des temps modernes » ont failli ?

Comment comprendre cette faillite après la mobilisation de tant de

ressources financières, humaines etc. ?

3.1. Les « chamans modernes » ne se trompent pas.

Le débat suscité par le journal britannique « The Economist » s’est

clôturé, le 15 juillet 2009, par un vote final. Il ressort de ce

vote que 59% des lecteurs croient en l’utilité et la pertinence du

concept de développement durable contre 41%.

Il s’agit d’une recherche délibérée de solutions à un problème

auquel les mythes d’alors étaient incapables d’apporter une solution

satisfaisante : le mythe de la toute-puissance de la révolution

industrielle. Ce mythe tombe en lambeaux avec la croissance des

inégalités Nord-Sud et la dégradation de l’environnement à l’échelle

planétaire.

Avec ce type de mythes, tout se passe de la façon suivante : les

fausses intentions (y) sont des allégories qui représentent sous

une forme abstraite des croyances, des visions simplistes pour

pouvoir réaliser des objectifs (z) qu’on poursuit. Elles

deviennent des mythes créés par les « chamans des temps

nouveaux », des « ingénieurs de l’histoire » (x) pour manipuler

la conscience des populations, pour leur donner l’impression de

participer à l’histoire. En réalité, elles sont des acteurs passifs

qui subissent la dictature de la pensée unique. L’existence d’une

structure trifonctionnelle permet d’expliquer l’histoire par une

transitivité. Le schéma ci-dessous permet de mieux l’appréhender.

23 Veyret, Y. et al (2008). Comprendre le développement durable, Canejan-France, scérén-CRDP Aquitaine,

12

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Mythes

Instrument de manipulation des consciences pour amener les acteurs

passifs à croire et agir.

Acteurs actifs : Ingénieurs de l'histoire

Personnalités, politiques, juridiques et administratives

Hommes de lettres

Chercheurs, journalistes

Industriels

Nature des objectifs:

Géopolitiques

Economiques (recherche de marché)

Etre une « grande nation »,

Paraître, dominer.

Source : Thèse soutenu en 1998 à l’Académie de la Culture de Saint-

Pétersbourg – Russie24.

Le mythe devient une intention fausse créée par les « chamans des

temps nouveaux », des « ingénieurs de l’histoire » pour

maîtriser la marche du monde par une relative stabilité. Pour les

besoins des industriels, des financiers, des politiciens, « les

chamans modernes » développent l’universalité du mythe de la

modernisation et du développement économique comme processus

universel constitué d’étapes successives de croissance par

lesquelles doivent nécessairement passer toutes les nations pour

atteindre la prospérité des Etats-Unis et de l’Europe. Les pays du

Sud sont mis dans une compétition sans fin. Ils courent après un

« lapin » qu’ils n’attraperont jamais, parce que ces pays qui

servent de référence ne sont pas statiques. Aveuglés par cette

course, ils n’ont plus le temps de penser leur propre modèle de

développement. Comment rattraper le niveau de développement de pays

qui tirent une bonne partie de leurs richesses de la détérioration

des termes de l’échange et de l’exploitation anarchique des

24 Vincent Ouattara, La tradition et la modernité dans la formation de la

culture spirituelle en Afrique tropicale, thèse soutenu en 1998 à

l’Académie de la Culture de Saint-Pétersbourg – Russie.

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ressources naturelles ? C’est un truisme que dire que le retard de

développement apparaît surtout comme la conséquence de

l’impérialisme des pays du Nord, le résultat de ce que certains

appellent le « pillage du tiers-monde ».

Le développement doit-il alors être durable ? Faut–il donc la potion

magique « des chamans modernes » pour garantir l’efficacité du

développement ? Les gouvernements africains se trouvent dans

l'obligation de collaborer avec les organismes de développement pour

dépasser le stade de la pure théorie et savoir orienter les actions

de développement. Pourtant, les populations continuent de vivre dans

la précarité et les risques de désordre social sont permanents.

3.2. Les « chamans des temps nouveaux » se trompent.

L’environnement se dégrade, le réchauffement de la planète provoque

des canicules qui détruisent des forêts, tuent des personnes, la

détérioration des termes de l’échange, le renforcement des

inégalités sociales sont des obstacles au développement. Ce qu’il

faut, nous dit le rapport Bruntland, c’est trouver une solution à

une crise qui affecte tous les domaines25.

Pour Oswaldo de Rivero26, les problèmes de notre planète sont à

rechercher dans les rapports économiques mondiaux. Il démontre

combien la théorie des avantages comparatifs se révèle trompeuse :

ni les coûts bas du travail ni l’abondance de matières premières ne

suffisent aujourd’hui à garantir le "décollage" des pays pauvres. En

effet, la demande de produits à contenu technique élevé croît bien

plus rapidement que celle des matières premières, ou même des biens

manufacturés simples.

25 Le rapport Brundtland, Notre avenir à tous, 1987, Commission mondiale

sur l’environnement et le développement de l'Organisation des Nations

unies, présidée par la Norvégienne Gro Harlem Brundtland. Utilisé comme

base au Sommet de la Terre de 1992, ce rapport utilise pour la première

fois l'expression développement durable.

26 Diplomate, ancien ambassadeur du Pérou aux Nations unies, Oswaldo de

Rivero est devenu ambassadeur auprès de l’Organisation mondiale du commerce

(OMC).

14

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La solution, selon Rivero, est d’arrêter d’appliquer aux pays du Sud

le modèle occidental de développement. Il met en évidence la voie

sans issue dans laquelle sont engagés la plupart des pays dits « en

développement » à cause du « darwinisme de l’économie mondialisée »,

qui exige de s’adapter au marché mondial ou de disparaître. Loin de

pouvoir rattraper un jour les sociétés industrialisées, les pays du

Sud sont condamnés à devenir des « économies nationales non

viables » et des « entités chaotiques ingouvernables ». D’où la

pertinence d’un appel à un recentrage des politiques publiques

autour de l’impératif de « survie des nations ».

3.3. La solution à la ruse des « chamans modernes »

Il faut pour opérer dans les mentalités une révolution éthico-

psychologique en dépassant le paradigme de l’homme se proclamant

« maître et possesseur de la nature »27.

En réalité, la culture doit être une harmonisation des relations

entre les hommes et entre l’homme et la nature. Il faut pour

cela un code éthique de conduite concevant la nature non pas

comme un adversaire ou un ennemi, mais comme un partenaire.

Seules des règles de conduite conscientes du respect de toutes

les espèces existantes pourraient sauver notre monde. La logique

de toute action doit être éclairée par ce que nous appelons la

« morale de la mesure du possible et de la nécessité ». Cette

morale nous impose deux impératifs catégoriques :

- comporte-toi rationnellement avec la nature, de telle sorte

que tu n’y périsses pas ;

- respecte les autres espèces qui contribuent aussi bien que

toi à la survie de tous28.

Pour arriver à ce résultat, il faut éduquer les générations

futures dans cet esprit. Chaque action doit être guidée par le

contrat « culture-nature » refusant avant tout le primat de

l'une sur l’autre. Pour comprendre le contrat « culture-nature »

il faut questionner ce vieux de mon village à qui j’ai voulu

expliquer le développement durable :

27 Descartes, Discours de la méthode, 1636.

28 Vincent Ouattara, op., cit.

15

Numéro 21 ISSN 2308-7676

« Toi tu viens de la « brousse » avec cette étrange idée. Ici

nous respectons toutes les créatures. La stabilité de la société

est assurée grâce au respect des normes sociales qui protègent

toutes les espèces. Le seul danger qui nous guette est le

sorcier. Mais avec vous, nos forêts disparaissent, les lieux de

culte de nos ancêtres et de nos dieux sont profanés ; ils nous

écoutent de moins en moins. Les pluies sont rares, les vivres

aussi, une nouvelle race de marchands nous dépossèdent de nos

champs. Et toi tu me parles de développement !!! Chaque jour qui

passe emporte une partie de moi-même et je ne sais pas ce que tu

deviendras …».

En fait, la ville est « la brousse » pour le villageois. Pourtant

pour les citadins, c’est le contraire. Ce sont les villageois qui

vivent en brousse. Pour les villageois, la ville a ses animaux : ses

lions, ses panthères, ses buffles plus féroces que ceux du village.

Qui sont les animaux de la ville ? Les catégories sociales qui

vivent au dépend des plus faibles, qui les exploitent, les

appauvrissent au profit de l’intérêt individuel. Mais qui sont les

animaux du village ? Les sorciers. Il existe une écologie

« primitive » qui exige que le caillou soit respecté, que l’arbre

soit consulté avant d’enlever son écorce, que certains animaux ne

soient pas tués. Le mythe contribue à la connaissance et au respect

de toutes les espèces et des choses pour garantir ainsi la stabilité

sociale. Le village ne fait pas de différence entre les minéraux,

les végétaux et les humains.

Il existe une sorte de contrat « culture-nature » pour éteindre

les soifs de domination de l’homme par l’homme et de l’homme sur

la nature. C'est bien là un défi surtout pour l'homme des

sociétés dites développées qui, rejoignons Claude Lévi Strauss,

voit dans le développement une priorité inconditionnelle de la

culture sur la nature.

Conclusion

Il faut moderniser la culture spirituelle en fonction des

besoins ontologiques. Une certitude s’impose: la connaissance

de l’autre permet de mieux le comprendre, de savoir ce qu’on

pourrait hériter de lui pour le bien de l’humanité entière.

Voilà une tâche qui s’impose aux sociétés industrialisées :

connaître les autres peuples avec lesquels elles œuvrent sur

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cette terre, connaître les autres cultures, éviter la pollution

de l’environnement. Pour l’homme des sociétés traditionnelles,

il lui faut connaître les acquis des sociétés dans l’erreur en

détruisant tout au nom de la modernité.

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