Système de logique déductive et inductive - LIVRE I : DES NOMS ET DES PROPOSITIONS.pdf

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    John Stuart MILL (1843)

    Systme de logique

    dductive et inductiveExpos des principes de la preuve

    et des mthodes de recherche scientifique

    LIVRE I : DES NOMS ET DES PROPOSITIONS

    (Traduit de la sixime dition anglaise, 1865)par Louis Peisse

    Un document produit en version numrique par Jean-Marie Tremblay,professeur de sociologie au Cgep de Chicoutimi

    Courriel:[email protected] web: http://pages.infinit.net/sociojmt

    Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales"Site web: http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.html

    Une collection dveloppe en collaboration avec la BibliothquePaul-mile-Boulet de l'Universit du Qubec Chicoutimi

    Site web: http://bibliotheque.uqac.uquebec.ca/index.htm

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    John Stuart Mill (1843), Systme de logique dductive et inductive. Livre I, 1865. 2

    Cette dition lectronique a t ralise par Gemma Paquet,[email protected], professeure la retraite du Cgep deChicoutimi partir de :

    John Stuart MILL (1843),

    Systme de logique dductive et inductive.Expos des principes de la preuve et des mthodes de recherche scientifique

    LIVRE I : DES NOMS ET DES PROPOSITIONS

    Traduit de la sixime dition anglaise, 1865, par Louis PeisseLibrairie philosophique de Ladrange, 1866.

    Polices de caractres utilise :

    Pour le texte: Times, 12 points.Pour les citations : Times 10 points.Pour les notes de bas de page : Times, 10 points.

    dition lectronique ralise avec le traitement de textes Microsoft Word 2001 pourMacintosh. Les formules ont ralises avec lditeur dquations de Word.

    Mise en page sur papier formatLETTRE (US letter), 8.5 x 11)

    La longue et pnible vrification de ce livre a t ralise au cours de lautomne 2001 etde lhiver 2002 par mon amie Gemma Paquet partir dune dition de mauvaise qualitimprime en 1866. Jai consacr une centaine dheures une seconde vrification et lamise en page. Sil subsiste des coquilles, soyez indulgent(e) puisque le document num-ris tait de qualit vraiment mdiocre, mais vraiment. Gemma et moi ne sommes pluscapable de le regarder tellement nous y avons consacr de temps.

    dition complte le 3 mai 2002 Chicoutimi, Qubec.

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    John Stuart Mill (1843), Systme de logique dductive et inductive. Livre I, 1865. 3

    Table des matires

    Avertissement du traducteur, Louis Peisse

    Prfaces.

    De la premire dition, 1843, par John Stuart MillDe la troisime dition, par John Stuart MillDe la premire dition, 1865, par John Stuart Mill

    Introduction, par John Stuart Mill

    1. Une dfinition ne peut tre que provisoire au dbut d'une recherche

    2. La logique est-elle l'art et la science du raisonnement ? 3. Ou bien la science et l'art de la recherche de la vrit ? 4. La logique se rapporte aux infrences, et non aux vrits intuitives. 5. Rapports de la logique avec les autres sciences 6. Son utilit 7. Dfinition de la logique

    LIVRE I : DES NOMS ET DES PROPOSITIONS.

    Chapitre I. De la ncessit de commencer par une analyse du langage.

    1. Thorie des noms. Elle est une partie ncessaire de la logique. Pourquoi ? 2. Premier degr de l'analyse des propositions. 3. Les Noms doivent tre tudis avant les choses

    Chapitre II. Des Noms.

    1. Les noms sont les noms des choses, et non des ides. 2. Mots qui ne sont pas des noms, mais des parties de noms. 3. Noms gnraux et singuliers. 4. Noms concrets et abstraits. 5. Noms connotatifs et non-connotatif ; 6. Noms positifs et ngatifs 7. Noms relatifs et absolus

    8. Noms univoques et quivoques.

    Chapitre III. Des choses dsignes par les noms

    1. Ncessit d'une numration des choses nommables. Les catgories d'Aristote 2. Ambigut de la plupart des noms gnraux

    I. Sentiments ou tats de conscience.

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    3. Sentiments ou tats de conscience 4. Les sentiments doivent tre distingus de leurs antcdents physiques.- Des perceptions 5. Volitions et actions 6. Substance et attribut

    II. Les substances.

    7. Le corps 8. L'esprit

    III. Des attributs, et premirement des qualits.

    9. Qualits

    IV. Des relations.

    10. Relations 11. Ressemblance

    V. Quantit.

    12. Quantit

    VI. Conclusion sur les attributs.

    13. Tous les attributs des corps sont fonds sur des tats de conscience. 14. Et de mme tous les attributs de l'esprit

    VII. Rsultats gnraux.

    15. Rcapitulation

    Chapitre IV. Des propositions.

    1. Nature et office de la copule 2. Propositions affirmatives et ngatives 3. Propositions simples et complexes 4. Propositions universelles, particulires et singulires

    Chapitre V. De la signification des propositions.

    1. De la doctrine qu'une proposition est l'expression d'un rapport entre deux ides 2. Doctrine qu'elle est l'expression d'un rapport entre les significations de deux noms 3. Doctrine qu'elle consiste rapporter une chose une classe ou l'en exclure 4. Ce qu'est rellement la proposition

    5. Elle affirme (ou nie) une succession, une coexistence, une simple existence, unecausation

    6. Ou une ressemblance 7. Propositions termes abstraits

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    Chapitre VI. Des propositions purement verbales.

    1. Propositions essentielles et accidentelles 2. Les propositions essentielles sont des propositions identiques 3. Les individus n'ont pas d'essence

    4. Des propositions relles.Distinction d'avec les verbales 5. Deux modes de reprsenter la signification de la proposition relle

    Chapitre VII. De la nature de la classification et les cinq prdicables.

    1. La classification.Sa connexion avec la nomenclature 2. Les prdicables 3. Genre et espce 4. Les espces ont une existence relle dans la nature 5. Differentia 6. Des differentiae en vue des rsultats gnraux et en vue de rsultats spciaux et

    techniques 7. Proprium

    8. Accidens

    Chapitre VIII. De la dfinition.

    1. La dfinition.Ce que c'est. 2. Peuvent tre dfinis tous les noms dont la signification est susceptible d'analyse 3. La dfinition complte.Ce qui la distingue de la dfinition incomplte 4. - et de la description 5. Ce qu'on appelle les dfinitions de choses sont des dfinitions de nomsimpliquant la

    supposition de l'existence de choses qui leur correspondent 6. Mme alors que ces choses n'existent pas 7. Les dfinitions, bien que toujours nominales, sont fondes sur la connaissance de choses

    correspondantes

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    John Stuart Mill (1843), Systme de logique dductive et inductive. Livre I, 1865. 6

    Avertissementdu traducteurLouis Peisse

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    C'est surtout comme conomiste et publiciste que M. Stuart Mill est connu horsde son pays. Traduits en plusieurs langues 1, ses principaux ouvrages relatifs auxsciences politiques et sociales ont rapidement acquis sur le continent la mme publi-cit et la mme faveur qu'en Angleterre. C'est ces crits qui, tous, ds leur appari-tion, ont fait sensation et excit un intrt dont tmoignent de nombreuses ditions,que M. Stuart Mill doit la haute notorit politique qui lui a valu rcemment, un sigeau Parlement.

    Mais, pendant qu'il se produisait avec tant d'clat comme crivain politique dansle domaine pratique des questions du gouvernement et de l'organisation des socits,il acqurait des titres lion moins marquants comme penseur dans le domaine spcula-

    tif de la philosophie. Son trait de Logique peut, en effet, tre considr commel'effort le plus considrable et, certains gards, le plus heureux de l'esprit scientifi-que moderne, pour dicter enfin ce code nouveau, ceNovum organum de la pense etde la science que Bacon avait projet et bauch il y a trois sicles.

    1 En franais, ses Principes d'conomie politique, par MM. Dussard et Courcelles-Seneuil Du

    gouvernement reprsentatif. - De la libert, par M. Dupont-White.

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    Telle est, du moins, malgr des dissidences et oppositions graves, l'opinionprdominante du public en Angleterre sur la valeur et la porte d'un livre qui, soutenumaintenant par le courant d'ides qu'il a si puissamment contribu former et qu'ildirige encore, a conserv depuis prs d'un quart de sicle l'originalit et, en quelquesorte, l'actualit de ses dbuts 1. Les tendances actuelles dans le mme sens de la sp-culation scientifique et philosophique lui assurent, en France, un accueil non moinsfavorable.

    On a pu et d, en publiant une traduction de cet important ouvrage, penser yjoindre un travail introductif d'explication, de commentaire et de critique. Mais lacomplexit et le vaste contour du sujet, le nombre et la difficult des questions qu'ilembrasse, exigeaient des dveloppements d'une tendue que le plan de cette publi-cation ne permettait pas.

    Il a sembl plus convenable de supprimer ce travail, qui trouvera mieux sa placeailleurs, et de publier le Systme de Logique de M. Stuart Mill sans autre prface quecelles de l'auteur.

    L.P.

    1 La premire dition est de 1843. La cinquime, publie vers la fin de 1862, a t puise en moins

    de trois annes. La publication de la sixime, dans le courant de 1865, a retard l'impression de latraduction qui avait t faite en trs-grande partie sur la prcdente, et qu'il a fallu rendre conforme la dernire.

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    John Stuart Mill (1843), Systme de logique dductive et inductive. Livre I, 1865. 8

    Prfacede la premire dition, 1843

    Par John Stuart Mill

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    Cet ouvrage n'a pas la prtention de donner au monde une nouvelle thorie desoprations intellectuelles. Son seul titre l'attention, s'il en a un, est d'tre une tenta-tive, non pour remplacer, mais pour systmatiser et runir en un corps les meilleuresides mises sur le sujet par les crivains spculatifs ou suivies par les penseursexacts dans leurs recherches scientifiques.

    Rapprocher et cimenter les fragments dtachs d'un sujet qui n'a jamais t traitcomme un tout; harmoniser les portions vraies de thories discordantes au moyen dechanons intermdiaires et en les dgageant des erreurs auxquelles elles sont toujoursplus ou moins mles, exige ncessairement une somme considrable de spculationoriginale. Le prsent ouvrage ne prtend pas d'autre originalit que celle-ci. Dans

    l'tat actuel de la culture des sciences, il y aurait de fortes prsomptions contre celuiqui s'imaginerait avoir fait une rvolution dans la thorie de la recherche de la vritou apporte quelque procd fondamental nouveau pour son application. Le seul per-fectionnement effectuer maintenant dans les mthodes de philosopher (et l'auteurpense qu'elles ont grand besoin d'tre perfectionnes) consiste excuter avec plus devigueur et de soin des oprations qui sont dj, du moins sous leur forme, lmen-taires, familires l'entendement humain dans quelqu'une oui quelque autre de sesapplications.

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    Dans la partie de l'ouvrage qui traite du Raisonnement, l'auteur n'a pas jugncessaire d'entrer dans des dtails techniques qu'on trouve exposs sous une forme siparfaite dans les traits de logique scolaire. On verra qu'il ne partage nullement lempris de quelques philosophes modernes pour l'art syllogistique, bien que la thoriescientifique usuelle sur laquelle on appuie sa dfense lui paraisse errone ; et ses vuessur la nature et sur les fonctions du syllogisme fourniront peut-tre un moyen deconcilier les principes de cet art avec ce qu'il y a de fond dans les doctrines et lesobjections des opposants.

    On ne pouvait pas tre aussi sobre de dtails dans le Premier Livre qui traite desNoms et des Propositions, parce que beaucoup de principes et de distinctions utilesconsacrs dans l'ancienne logique ont t graduellement exclus des ouvrages desmatres qui l'enseignent; et il a parti dsirable de les rappeler, et en mme temps derformer et rationaliser leurs bases philosophiques. Les premiers chapitres de ceLivre prliminaire pourront donc sembler quelques lecteurs par trop lmentaires etscolastiques. Mais ceux qui savent de quelle obscurit est souvent enveloppe lathorie de la connaissance et des procds par lesquels on l'acquiert par l'ide confuse

    qu'on se fait de la signification des diffrentes classes de Mots et d'Assertions, neconsidreront ces discussions ni comme frivoles ni comme trangres aux matirestraites dans les Livres suivants.

    Relativement l'Induction, ce qu'il y avait faire tait de gnraliser les modesd'investigation de la vrit et d'estimation de la preuve par lesquels tant de grandeslois de la nature ont, dans les diverses sciences, t ajoutes ait trsor de la connais-sance humaine. Que ce ne soit pas l une tche facile, c'est ce qui peut tre prsumpar ce fait, que, mme une date toute rcente des crivains minents (parmi les-quels il suffit de citer l'archevque Whately et l'auteur du clbre article sur Bacondans l'Edinburg Review1 n'ont pas hsit la dclarer impossible 2. L'auteur a entre-pris de combattre leur thorie de la manire dont Diogne rfuta les raisonnementssceptiques contre la possibilit du mouvement et en observant que l'argument de

    Diogne aurait t tout aussi concluant, quand mme sa dambulation personnellen'aurait pas dpass le tour de son tonneau.

    Quelle que soit la valeur de ce qu'a pu tablir l'auteur dans cette partie de sonsujet, il se fait un devoir de reconnatre qu'il en doit une grande partie plusieurs im-portants traits, soit historiques, soit dogmatiques, sur les gnralits et les mthodesdes sciences physiques qui ont paru dans ces dernires annes. Il a rendu justice cestraits et leurs auteurs dans le corps de l'ouvrage. Mais comme l'gard d'un de cescrivains, le docteur Whewell, il a souvent occasion d'exprimer des divergencesd'opinion, il se croit plus particulirement tenu de dclarer ici que, sans l'aide des faitset des ides exposs dans l'Histoire des sciences inductives de cet auteur, la portioncorrespondante de son propre livre n'aurait probablement pas t crite.

    1 Lord Macaulay.2 Dans les dernires ditions de sa Logique, l'archevque Whately observe qu'il n'entend pas dire

    que des rgles pour l'investigation inductive de la vrit ne sauraient tre tablies, ou qu'elles neseraient pas minemment utiles ; il croit seulement qu'elles seraient toujours vagues et gn-rales et non susceptibles d'tre dmonstrativement formules en une thorie rgulire comme celledu syllogisme (liv. IV, chap. IV 3), et il ajoute : Qu'attendre l'tablissement dans ce but d'unsystme apte recevoir une forme scientifique tmoignerait d'une confiance plus ardente qu'clai-re . Or, comme c'est l expressment le but de la partie du prsent ouvrage qui traite de l'induc-tion, on reconnatra que je n'exagre pas la diffrence d'opinion entre larchevque Whately et moisignale dans le texte.

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    Le dernier Livre est un essai de contribution la solution d'une question, laquelle la ruine des vieilles ides et l'agitation qui remue la socit europenne jus-ques dans ses profondeurs donnent en ce moment autant d'importance pratique qu'elleen a eu dans tous les temps au point de vue de la spculation, savoir - si les phno-mnes moraux et sociaux sont vritablement des exceptions l'uniformit etinvariabilit du cours gnral de la nature ; et jusqu' quel point les mthodes, l'aidedesquelles un si grand nombre de lois du monde physique ont t ranges parmi lesvrits irrvocablement acquises et universellement acceptes, pourraient servir laconstruction d'un corps de doctrine semblable dans les sciences morales et politiques.

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    Prfacede la troisime dition.

    Par John Stuart Mill

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    Depuis la publication de la deuxime dition, cet ouvrage a t l'objet de plusieurscritiques offrant plus ou moins le caractre de la controverse, et le docteur Whewell atout rcemment publi une rponse aux passages dans lesquels quelques-unes de sesopinions taient discutes 1.

    J'ai examin de nouveau avec soin les points sur lesquels mes conclusions ont tattaques; mais je n'ai pas exprimer un changement d'opinion sur des objets dequelque importance. Les quelques lgres inadvertances que j'ai pu reconnatre moi-mme ou signales par mes critiques, je les ai, en gnral, corriges tacitement; maison ne doit pas en conclure que j'admets les objections faites tous les passages quej'ai modifis ou supprims. Je ne l'ai fait souvent que pour ne pas laisser sur le che-

    min une pierre d'achoppement, lorsque le dveloppement qu'il aurait fallu donner ladiscussion pour placer le sujet dans son vrai jour aurait dpass la mesure convenabledans l'occasion.

    J'ai cru utile de rpondre avec quelque dtail plusieurs des arguments qui m'ontt opposs, non par got pour la controverse, mais parce que c'tait une occasionfavorable d'exposer plus clairement et plus compltement mes propres solutions et1 Cette rponse forme maintenant un chapitre de son livre sur la Philosophie de la dcouverte.

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    leurs fondements. En ces matires, la vrit est militante et ne peut s'tablir que par lecombat. Les opinions les plus opposes peuvent faire montre d'une vidence plausiblequand chacune s'expose et s'explique elle-mme ce n'est qu'en coutant et comparantce que chacune peut dire contre l'autre et ce que celle-ci peut dire pour sa dfense,qu'il est possible de dcider quelle est celle qui a raison.

    Mme, les critiques desquelles je m'loigne le plus m'ont t trs-utiles, en mesignalant les endroits o l'exposition avait besoin d'tre dveloppe ou l'argumenta-tion fortifie. J'aurais souhait que le livre et t plus attaqu, car j'aurais pu proba-blement l'amliorer beaucoup plus que je ne crois l'avoir fait.

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    Prfacede la sixime dition, 1865

    Par John Stuart Mill

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    Dans la prsente dition (sixime), j'ai cart un sujet de plaintes qui n'auraientgure pu se produire une poque plus ancienne. Les doctrines principales de cetrait sont, en somme, compatibles avec l'une et l'autre des thories en conflit sur lastructure de l'esprit humain (la thorie a prioriou Intuitive et la thorie Exprimen-tale), bien qu'elles puissent exiger de la premire - ou plutt de certaines de ses for-mes - le sacrifice de quelques-uns de ses ouvrages extrieurs. Je m'tais donc abstenu,autant que possible, comme je le disais dans l'Introduction, de pousser la recherche audel du domaine spcial de la Logique jusques aux rgions mtaphysiques pluslointaines de la pense, et je m'tais content d'exposer les doctrines de la Logique endes termes qui sont la proprit commune des deux coles rivales de mtaphysiciens.Cette rserve fut probablement dans les premiers temps une recommandation pourl'ouvrage; mais vint un moment o quelques lecteurs en furent mcontents. Voyantque continuellement la recherche s'arrtait tout court par ce motif qu'elle n'aurait paspu tre porte plus loin sans entrer dans une plus haute mtaphysique, quelques-unsfurent enclins conclure que l'auteur n'avait pas os pousser ses spculations dans cedomaine, et que s'il y tait entr il en aurait probablement rapport des conclusionsdiffrentes de celles auxquelles il tait arriv dans son ouvrage. Le lecteur amaintenant un moyen de juger si c'est l ou non le cas. la vrit, je me suis presqueentirement abstenu, comme dans les prcdentes ditions, de toute discussion des

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    questions. de mtaphysique, un trait de Logique n'admettant pas, ce me semble, unautre plan; mais la place de ces discussions a t remplie par des renvois un ouvragepubli rcemment (Examen de la philosophie de sir William Hamilton), dans lequelon trouvera le surplus des recherches qui ont d ncessairement tre courtes danscelui-ci. Dans quelques cas, peu nombreux, o c'tait possible et convenable, commedans la dernire section du chapitre III du Deuxime Livre, on a donn le rsum et lasubstance de ce qui est tabli et expliqu plus au long et plus compltement dansl'autre ouvrage.

    Parmi les nombreuses amliorations de moindre importance de cette dition, laseule qui mrite d'tre particulirement indique est l'addition de quelques exemplesnouveaux de recherche inductive et dductive, substitus d'autres que le progrs dela science a remplacs ou n'a pas confirms.

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    SYSTME DE LOGIQUE

    INTRODUCTIONPar John Stuart Mill

    1. Une dfinition ne peut tre que provisoire au dbut d'une recherche

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    1er. -On trouve chez les auteurs autant de diversit dans la dfinition de laLogique que dans la manire d'en traiter les dtails. C'est ce qui doit naturellementavoir lieu toutes les fois qu'en un sujet quelconque les crivains ont employ le mmelangage pour exprimer des ides diffrentes. Cette remarque est applicable lamorale et la jurisprudence aussi bien qu' la Logique. Chaque auteur ayant consi-dr diversement quelques-uns des points particuliers que ces branches de la sciencesont d'ordinaire censes renfermer, a arrang sa dfinition de manire indiquerd'avance ses propres solutions, et quelquefois supposer en leur faveur ce qui est enquestion.

    Cette diversit n'est pas tant un mal dplorer, qu'un rsultat invitable et, jusqu'un certain point, naturel de l'tat d'imperfection de ces sciences. Il ne faut pas comp-ter qu'on s'accordera sur la dfinition d'une chose avant de s'tre accord sur la chosemme. Dfinir, c'est choisir parmi toutes les proprits d'une chose celles qu'onentend devoir tre dsignes et dclares par le nom ; et il faut que ces propritsnous soient bien connues pour tre en mesure de dcider quelles sont celles qui doi-vent, de prfrence, tre choisies cette fin. En consquence, lorsqu'il s'agit d'unemasse de faits particuliers aussi complexe que celle dont se compose ce qu'on appelleune science, la dfinition qu'on en donne est rarement celle qu'une connaissance plus

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    tendue du sujet fait juger la meilleure. Avant de connatre suffisamment les faitsparticuliers mmes, on ne peut dterminer le mode le plus convenable de les circons-crire et condenser dans une description gnrale. Ce n'est qu'aprs avoir acquis uneconnaissance exacte et tendue des dtails des phnomnes chimiques qu'on a jugpossible d'instituer une dfinition rationnelle de la chimie ; et la dfinition de lascience de la vie et de l'organisation est encore matire dispute. Tant que les scien-ces sont imparfaites, les dfinitions doivent partager leurs imperfections ; et si lespremires progressent, les secondes progresseront aussi. Tout ce qu'on peut doncattendre d'une dfinition place en tte d'une tude, c'est qu'elle dtermine le but desrecherches. La dfinition de la science logique que je vais prsenter ne prtend riende plus qu'exposer la question que je me suis pos moi-mme et que j'essaye dersoudre dans ce livre. Le lecteur est libre de ne pas l'accepter comme dfinition de lalogique, mais, dans tous les cas, elle est la dfinition exacte du sujet de cet ouvrage.

    2. La logique est-elle l'art et la science du raisonnement ?

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    2. -La logique a. t souvent appele l'Art de Raisonner. Un crivain 1qui a faitplus que tout autre pour replacer cette tude au rang qu'elle avait perdu dans l'estimedes classes cultives de notre pays, a adopt cette dfinition, mais avec un amende-ment. Pour lui la logique serait la Science, en mme temps que l'Art du raisonnement,entendant par le premier de ces termes l'analyse de l'opration mentale qui a lieulorsque nous raisonnons, et par le second les rgles fondes sur cette analyse pourexcuter correctement l'opration. La convenance de cette rectification n'est pas dou-teuse. Une notion exacte du procd mental, de ses conditions et de sa marche, est la

    seule base possible d'un systme de rgles destines le diriger. L'Art prsupposencessairement la connaissance, et, sauf dans son tat d'enfance, la connaissancescientifique ; et si chaque art ne porte pas le nom d'une science , c'est uniquementparce que souvent plusieurs sciences sont ncessaires pour tablir les principesfondamentaux d'un seul art. Les conditions de la pratique sont si compliques quepour rendre une chosefaisable il est souvent indispensable de connatre la nature etles proprits d'un grand nombre d'autres.

    La logique, donc, est la fois et la Science du raisonnement et un Art fond surcette science. Mais le mot Raisonnement, comme la plupart des termes scientifiquesusuellement employs dans la langue commune, est plein d'ambiguts. Dans une deses acceptions, il signifie le procd syllogistique, c'est--dire le mode d'infrencequi pourrait, avec une exactitude ici suffisante, tre appel une conclusion du gnral

    au particulier. Dans un autre sens, Raisonner signifie simplement infrer une asser-tion d'assertions dj admises, et, en ce sens, l'Induction a autant de titres que les d-monstrations de la gomtrie a tre appele un raisonnement.

    Les auteurs de Logique ont gnralement prfr la premire de ces acceptions ;la seconde, plus large, est celle que j'adopterai moi-mme. Je le fais en vertu du droitque je rclame pour tout auteur de donner par provision la dfinition qu'il lui plat de

    1 L'archevque Whately.

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    Pour tout ce qui nous est connu par la conscience, il n'y a pas possibilit de doute.Ce qu'on voit, ce qu'on sent, corporellement ou mentalement, on est ncessairementsr de le voir, de le sentir. Il n'est pas besoin de science pour l'tablissement de cessortes de vrits; aucune rgle d'art ne pourrait rendre notre connaissance plus cer-taine qu'elle n'est dj par elle-mme. Pour cette partie de notre savoir il n'y a pas delogique.

    Mais il peut arriver que nous croyions voir et sentir ce qu'en ralit nous infrons.Une connaissance peut paratre intuitive et n'tre que le rsultat d'une infrence trsrapide. Il a t longtemps admis par les philosophes des coles les plus opposes quecette mprise a lieu tout instant dans l'acte si familier de la vision. Bien plus, il a treconnu que ce qui est peru par l'il n'est autre chose qu'une surface diversementcolore ; que lorsque nous croyons voir la distance, nous ne voyons en ralit quecertains changements dans la grandeur apparente des objets et les degrs d'affaiblis-sement de la couleur ; que l'estimation de la distance des objets nous est, en partie,le rsultat d'une infrence trs prompte fonde sur les sensations musculaires lies l'adaptation de la distance focale de l'il aux objets plus ou moins loigns de nous,

    et, en partie, d'une comparaison (si rapidement faite que nous n'avons pas consciencede l'opration) entre la grandeur et la couleur apparentes d'un objet tel moment et lagrandeur et couleur du mme objet ou d'objets semblables telles qu'elles apparais-saient quand ils taient tout fait prs, ou un degr d'loignement constat dequelque autre manire. La perception de la distance par l'il, qui ressemble tant uneintuition, est donc, en fait, une simple infrence base sur l'exprience, infrence quenous apprenons faire, et que nous faisons, en effet, de plus en plus correctement, aufur et mesure que nous avons plus d'exprience ; bien que dans les cas ordinaireselle se fasse assez rapidement pour paratre identique aux perceptions rellementintuitives de la vue (la perception de la couleur) 1.

    C'est donc un point essentiel de la science qui traite des oprations de l'entende-

    ment humain dans la poursuite de la vrit, de rechercher quels sont les faits, objetsdirects de l'intuition et de la conscience, et quels sont ceux de simple infrence ? Maiscette recherche n'a jamais t considre comme une partie de la logique. Sa place estdans une autre branche de la science mentale tout fait distincte, laquelle convientplus particulirement le nom de Mtaphysique, ayant pour objet de dterminer ce qui,dans la connaissance, appartient en propre et originellement l'esprit, et ce qui y estconstruit avec des matriaux apports du dehors. C'est cette science que reviennentles hautes questions, tant dbattues, de l'existence de la Matire, de celle de l'Esprit etde leur distinction ; de la ralit de l'Espace et du Temps, en tant que choses existanthors de l'esprit et hors des objets qui sont dits exister dans elles. Dans l'tat prsent dela discussion de ces questions, il est peu prs universellement admis que l'existencede la matire ou de l'esprit, du temps et de l'espace, est absolument indmontrable ; etque, si l'on en sait quelque chose, ce doit tre par une intuition immdiate. A la mme

    science appartient aussi l'tude de la Conception, de la Perception, de la Mmoire etde la Croyance; oprations intellectuelles toutes en exercice dans la recherche de lavrit. Mais le logicien, en tant que logicien, n'a s'enqurir ni de leur nature, comme

    1 Cette importante thorie a t rcemment conteste par un crivain de rputation mrite, M.

    Samuel Bailey; mais je ne crois pas que ses objections aient en rien branl les fondements d'unedoctrine reconnue comme parfaitement tablie depuis un sicle. J'ai expos ailleurs ce qui m'a paruncessaire pour rpondre, ses arguments (Westminster Review, octobre 1842 ; rimprim danslesDissertations et discussions, t. II ).

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    phnomnes de l'esprit, ni de la possibilit ou impossibilit de rsoudre quelques-unes d'entre elles en des phnomnes plus simples. A cette science doivent encoretre renvoyes les questions suivantes et autres analogues : jusqu' quel point nosfacults intellectuelles et morales sont innes, jusqu' quel point des rsultats d'asso-ciation? si Dieu et le devoir sont des ralits dont l'existence nous est manifeste priori par la constitution de notre facult rationnelle, ou si les ides que nous en avonssont des notions acquises dont on peut assigner l'origine et expliquer la formation; etsi la ralit de ces objets eux-mmes nous serait rvle non dans la conscience etl'intuition, mais par preuve et raisonnement ?

    Le domaine de la logique doit se restreindre cette partie de la connaissance quise compose de consquences tires de vrits antcdemment connues, que ces dataantcdents soient des propositions gnrales ou des observations et perceptionsparticulires. La logique n'est pas la science de la Croyance, mais de la Preuve. Lors-qu'une croyance prtend tre fonde sur des preuves, l'office propre de la logique estde fournir une pierre de touche pour vrifier la solidit de ces fondements. Quant aux

    titres qu'une proposition peut avoir la croyance sur la preuve seule de la conscience(c'est--dire, au sens rigoureux du mot, sans preuve), la logique n'a rien y voir.

    5. Rapports de la logique avec les autres sciences

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    5. -La plus grande partie de notre connaissance, tant des vrits gnrales quedes faits particuliers, consistant notoirement en infrences, il est vident que la

    presque totalit, non-seulement de la science, mais encore de la conduite humaine, estsoumise l'autorit de la logique. Tirer des consquences est, comme on l'a dit, lagrande affaire de la vie. Chaque jour, toute heure, tout instant nous avons besoind constater des faits que nous n'avons pas observs directement, non point dans lebut d'augmenter la somme de nos connaissances, mais parce que ces faits ont par eux-mmes de l'importance pour nos intrts ou nos occupations. L'affaire du magistrat,du gnral, du navigateur, du mdecin, de l'agriculteur est d'apprcier les raisons decroire et d'agir en consquence. Ils ont tous s'assurer de certains faits, pour ensuiteappliquer certaines rgles de conduite, imagines par eux-mmes ou prescrites pard'autres; et suivant qu'ils le font bien ou mal, ils accomplissent bien ou mal leur tche.C'est l la seule occupation dans laquelle l'esprit ne cesse jamais d'tre engag. Elleappartient la connaissance en gnral, et non la logique.

    La logique, cependant, n'est pas la mme chose que la connaissance, bien que sonchamp soit aussi tendu. La logique est le juge commun et l'arbitre de toutes lesrecherches particulires. Elle n'entreprend pas de trouver la preuve, mais elle dcidesi elle a t trouve. La logique n'observe pas, n'invente pas, ne dcouvre pas ; ellejuge. Ce n'est pas la logique apprendre au chirurgien quels sont les signes d'unemort violente ; il doit l'apprendre par sa propre exprience ; ou par celle de ceux qui,avant lui, se sont livrs cette tude particulire. Mais la logique juge et dcide sicette exprience garantit suffisamment ses rgles, et si ses rgles justifient suffisam-ment sa pratique. Elle ne lui fournit pas les preuves, mais elle lui apprend comment et

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    sciences plus difficiles sont encore si dfectueuses; si, dans ces sciences, il y a si peude prouv, et si l'on dispute mme toujours sur ce peu qui semble l'tre, la raison enest peut-tre que les notions logiques n'ont pas acquis le degr d'extension oud'exactitude ncessaire pour la juste apprciation de l'vidence propre ces branchesde la connaissance.

    7. Dfinition de la logique

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    7. -La logique, donc, est la science des oprations intellectuelles qui servent l'estimationde la preuve, c'est--dire, la fois du procd gnral consistant allerdu connu l'inconnu, et des autres oprations de l'esprit en tant qu'auxiliaires decelui-ci. Elle renferme par consquent l'opration de Nommer ; car le langage est uninstrument qui nous sert autant pour penser que pour communiquer nos penses. Ellecomprend aussi la Dfinition et la Classification ; car ces oprations (mettant de cttous les autres esprits hors le ntre) nous servent, non-seulement pour rendre stableset permanentes et toujours disponibles dans la mmoire nos preuves et conclusions,mais encore pour classer les faits que nous pouvons avoir rechercher, n'importe quel moment, de manire nous faire apercevoir plus clairement leur preuve etjuger avec moins de chances d'erreur si elle est suffisante ou non. Toutes ces opra-tions sont donc spcialement instrumentales pour l'estimation de la preuve, et, commetelles, elles font partie de la logique. Il y a encore d'autres procds plus lmentairesen exercice dans toute pense, la Conception, la Mmoire, etc. mais la logique n'a pasbesoin d'en faire une tude spciale, parce qu'ils n'ont avec le problme de la preuveaucune connexion particulire, et, mieux que cela, parce que ce problme, ainsi que

    tous les autres, les prsuppose.Notre objet, par consquent, sera de faire une analyse exacte du procd intelle-

    ctuel qu'on appelle Raisonnement ou Infrence, ainsi que des diverses oprationsmentales qui le facilitent; et, en mme temps et Pari passu,d'tablir et fonder surcette analyse un corps de rgles ou canons pour certifier la validit de toute preuved'une proposition donne.

    Pour l'excution de la premire partie de cette tche, je n'entends pas dcomposerles oprations mentales dans leurs derniers lments. Il suffira que l'analyse, aussiloin qu'elle ira, soit exacte, et qu'elle aille assez loin pour les applications pratiques dela logique considre comme un art. Il n'en est pas de la dcomposition d'un phno-mne complexe en ses parties constituantes comme de l'analyse d'une srie de preu-

    ves enchanes l'une l'autre et solidaires. Si un chanon du raisonnement se brise,tout le reste tombe terre; tandis qu'un rsultat quelconque d'une analyse de phno-mnes tient bon et conserve une valeur indpendante, quand bien mme il nous seraitimpossible de faire un pas de plus. Viendrait-on dcouvrir que les substances qu'onappelle simples sont en ralit des composs, la valeur des rsultats obtenus parl'analyse chimique ne serait pas pour cela diminue. On sait qu'en fin de compte tou-tes les autres choses sont formes de ces lments. Que ces lments eux-mmessoient dcomposables, c'est une autre question, sans doute fort importante, mais dontla solution ne peut altrer en rien la certitude de la science jusqu' ce point-l,

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    J'analyserai donc le procd d'infrence et les oprations subsidiaires autant seule-ment qu'il sera ncessaire pour bien tablir et dterminer la diffrence de leurapplication, suivant qu'elle est correcte ou incorrecte. La raison de cette limitation denotre tude est vidente. On objecte d'ordinaire la logique que ce n'est pas en tu-diant l'anatomie que nous apprenons nous servir de nos muscles ; exemple, du reste,assez mal choisi, car si l'action de quelques-uns de nos muscles est trouble par unefaiblesse locale ou quelque autre altration physique, la connaissance de leur anato-mie pourrait tre trs utile la recherche du remde. Mais nous serions justementexposs cette critique si, dans un trait de logique, nous poursuivions l'analyse duRaisonnement au-del du point o une erreur qui s'y serait glisse doit devenirvisible. En apprenant les exercices du corps (pour employer le mme exemple), nousanalysons et devons analyser les mouvements autant qu'il est ncessaire pourdistinguer ceux qui doivent tre excuts de ceux qui ne le doivent pas. C'est jusque-l, et pas plus loin, que le logicien doit pousser l'analyse du procd dont s'occupe lalogique. La logique n'a aucun intrt pousser l'analyse au-del du point o il devient

    manifeste que les oprations ont t, dans un cas donn, bien ou mal excutes ; demme que la science de la musique nous apprend a distinguer les tons et connatreles combinaisons dont ils sont susceptibles, mais non quel est dans chacun le nombrede vibrations par seconde; ce qui, sans doute, est utile savoir, mais pour un but tout fait diffrent. L'extension de la logique comme Science est dtermine par sesncessits comme Art ; tout ce dont elle n'a pas besoin pour ses fins pratiques, elle lelaisse une science plus vaste qui ne correspond aucun art particulier, mais, enquelque sorte, l'art en gnral, la science qui traite de la constitution des facultshumaines, et laquelle, il appartient de dterminer l'gard de la logique, commepour tous les autres cts de notre nature mentale, quels sont les faits primitifs etquels sont les faits rductibles d'autres. On trouvera, je crois, que dans cet ouvrage,la plupart des conclusions auxquelles on est arriv n'ont de connexion ncessaire avecaucune vue particulire relative cette analyse ultrieure. La logique est le terrain

    commun sur lequel les partisans de Hartley et de Reid, de Locke et de Kant peuventse rencontrer et se donner la main. Nous pourrons, sans doute, avoir l'occasion dediscuter certaines opinions dtaches de ces philosophes, puisqu'ils taient tous deslogiciens aussi bien que des mtaphysiciens; mais le champ o se sont livres leursprincipales batailles est au-del des frontires de notre science.

    On ne petit pas certainement prtendre que les, principes logiques soient tout fait trangers ces discussions plus abstraites. L'ide particulire qu'on peut se fairedu problme de la logique ne peut manquer d'avoir une tendance favorable l'adop-tion d'une opinion plutt que d'une autre sur ces sujets controverss, car la mtaphy-sique, en essayant de rsoudre son problme propre, doit employer des moyens dontla validit est justiciable de la logique. Sans doute elle procde avant tout par

    l'interrogation attentive et svre de la conscience ou plutt de la mmoire, et jusque-l elle chappe la logique. Mais lorsque cette mthode se trouve insuffisante pourlui faire atteindre le but de sa recherche, elle doit avancer, comme les autres sciences,par voie de probation. Or, du moment o cette science commence tirer des conclu-sions, la logique devient le juge souverain qui dcide si ces conclusions sont justes ouquelles autres le seraient.

    Ceci cependant n'tablit entre la logique et la mtaphysique ni une autre, ni uneplus troite relation que celle qui existe entre la logique et toutes les autres sciences ;

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    et je peux sincrement affirmer qu'il n'y a pas dans cet ouvrage une seule propositionadopte en vue d'tablir ou d'appuyer, directement ou indirectement, des opinionsprconues dans une de ces branches des connaissances l'gard desquelles le inondephilosophique est encore en suspens 1.

    1 Ces vues sur la dfinition et le but de la logique sont en complte opposition avec celles d'une

    cole philosophique qui, en Angleterre, est reprsente par les ouvrages de Sir William Hamiltonet de ses nombreux lves. La logique, pour cette cole, est la science des Lois Formelles de lapense , dfinition faite expressment pour exclure, comme tranger la logique, tout ce quiconcerne la Croyance et la Non-Croyance, c'est--dire la recherche de la vrit comme telle, et

    pour rduire la logique cette portion trs-restreinte de son domaine qui concerne les conditions,non de la Vrit, mais de la Consquence (consistency) . Ce que j'ai cru devoir dire contre cettelimitation du domaine de la logique est expos avec quelque tendue dans un autre ouvrage, publien 1865, ayant pour titre : Examen de la philosophie de Sir William Hamilton, et des principalesquestions philosophiques discutes dans ses crits. Pour le but du prsent Trait, il suffit quel'extension plus grande que je donne la logique soit justifie par le Trait mme. On trouvera, dureste, dans ce volume (livre II, chap. III, 9) quelques remarques sur le rapport de la Logique dela Consquence avec la Logique de la Vrit, et sur la place de cette partie de la science dans letout auquel elle appartient.

    C'est--dire, non de l'accord de la pense avec les choses, niais de l'accord de la pense avec elle-mme. (L. P.)

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    LIVREPREMIER.DES NOMS ET DESPROPOSITIONS.

    La scolastique produit dans la logique, comme dans la moraleet dans une partie de la mtaphysique, une subtilit, une prcisiond'ides, dont l'habitude, inconnue aux anciens, a contribu plus qu'onne croit au progrs de la bonne philosophie. (CONDORCET, Vie deTurgot)

    C'est aux scolastiques que les langues modernes doivent engrande partie leur prcision et leur subtilit analytique

    (Sir William HAMILTON, Discussion sur la philosophie.)

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    Chapitre I.De la ncessit de commencerpar une analyse du langage.

    1. Thorie des noms. Elle est une partie ncessaire de la logique. Pourquoi ?

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    1. -C'est une coutume si bien tablie chez les auteurs de logique de dbuter parquelques observations gnrales (le plus souvent, la vrit, assez maigres) sur lestermes et leurs varits, qu'on n'attendra probablement pas de moi que, en suivantsimplement l'usage, j'entre dans les explications particulires exiges d'ordinaire deceux qui s'en cartent.

    Cet usage est, en effet, motiv par des considrations si videntes qu'il n'a pas

    besoin d'une justification. en rgle. La Logique est une partie de l'Art de Penser ; lelangage est videmment, et de l'aveu de tous les philosophes, un des principaux ins-truments oui aides de la pense; et une imperfection dans l'instrument ou dans lamanire de s'en servir, doit, plus que dans tout autre art, embarrasser et entraver sonopration et ter toute confiance ses rsultats. Un esprit qui, non instruit prala-blement de la signification et du juste emploi des diverses sortes de mots, entrepren-drait l'tude des mthodes de philosopher, serait comme celui qui voudrait devenir unobservateur en astronomie sans avoir jamais appris accommoder la distance focaledes instruments d'optique pour la vision distincte.

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    Le principal objet de la logique, le Raisonnement, tant une opration qui s'ex-cute habituellement au moyen de mots et ne peut mme s'excuter autrement dans lescas compliqus, on court le risque presque certain de mal raisonner si l'on n'a pas laconnaissance parfaite de la signification et de la valeur des termes. Aussi les logiciensont-ils gnralement senti que si l'on n'cartait pas ds le dbut cette cause d'erreur, sil'on n'apprenait pas l'lve ter de devant ses yeux les verres qui dforment lesobjets et se servir de ceux, mieux appropris, qui aideront sa vue au lien de latroubler, il ne serait pas en mesure de retirer quelque profit du reste de l'enseigne-ment. Voil pourquoi un examen critique du langage, autant qu'il en est besoin pourviter les erreurs dont il est la source, a de tout temps t le prliminaire oblig del'tude de la logique.

    Mais une autre raison, plus fondamentale, de la ncessit de commencer en logi-que par l'tude des mots, c'est qu'il faut indispensablement connatre la valeur desmots pour connatre la valeur des propositions. Or, la proposition est le premier objetqui se prsente sur le seuil mme de la science, logique.

    L'objet de la logique, telle qu'elle a t dfinie dans l'Introduction, est de dtermi-ner comment et ]'aide de quel critre, par cette partie (la plus considrable debeaucoup) de la connaissance qui n'est pas intuitive, nous pouvons, en des choses nonvidentes de soi, distinguer ce qui est prouv de ce qui ne l'est pas, ce qui est digne defoi de ce qui ne l'est pas. Parmi les questions diverses qui s'offrent notre intelligen-ce, quelques-unes trouvent une rponse immdiate et directe dans la conscience ; lesautres ne peuvent tre rsolues, si elles le sont jamais, que par la voie de la preuve. Lalogique n'a affaire qu' ces dernires. Mais avant de s'enqurir de la manire dersoudre les questions, il faut d'abord se demander quelles sont ces questions ? quel-les sont concevables? quelles ont t rsolues ou juges, susceptibles de l'tre ? etpour tout cela l'examen et l'analyse de la Proposition sont le meilleur guide.

    2. Premier degr de l'analyse des propositions.

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    2. -La rponse toute question possible doit se rsoudre en une Proposition ouAssertion. Tout ce qui peut tre un objet de croyance ou mme de non croyance doits'exprimer par des mots, prendre la forme d'une proposition. Toute vrit et touteerreur gt dans une proposition. Ce que nous appelons, par un abus commode d'unterme abstrait, une Vrit, signifie simplement une Proposition Vraie, et les Erreurs

    sont des propositions fausses. Connatre la signification de toutes les propositionspossibles, serait connatre toutes les questions qui peuvent tre poses, toutes leschoses susceptibles d'tre ou de n'tre pas crues. Quelles et combien de recherchespeuvent tre proposes? quels et combien de jugements peuvent tre ports? Quelleset combien de propositions peuvent tre formules ? C'est la mme question, seule-ment sous des formes diffrentes. Puisque, donc, les objets de toute Croyance, detoute Question s'expriment en propositions, un soigneux examen des Propositions etde leurs varits nous apprendra quelles sortes de questions les hommes se sontposes, et ce que, selon la nature des rponses, ils se sont crus autorises croire.

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    Maintenant, le premier coup d'il sur une proposition montre qu'elle se constituepar la runion de deux noms. Une proposition (d'aprs la dfinition commune icisuffisante) est un discours dans lequel quelque chose est affirm ou ni d'une autrechose. Ainsi, dans la proposition l'Or est jaune, la qualit jaune est affirme de lasubstance or. Dans la proposition : Franklin n'tait pas n en Angleterre, le fait expri-m par les mots n en Angleterre est ni de l'individu Franklin.

    Toute proposition a trois parties : le Sujet, le Prdicat (l'attribut) et la Copule. Leprdicat est le nom qui dsigne ce qui est affirm ou ni. Le sujet est le nom quidsigne la personne ou la chose de laquelle quelque chose est affirm ou ni. Lacopule est le signe qui indique qu'il y a affirmation ou ngation, et fait ainsi distin-guer l'auditeur ou au lecteur la proposition de toute autre espce de discours. Ainsidans la proposition : la terre est ronde, le Prdicat est le mot rond, qui dsigne la qua-lit attribue (prdicata) ; les mots la terre dsignant l'objet auquel cette qualit estattribue composent le Sujet; le mot est, signe connectif, plac entre le sujet et leprdicat pour montrer que l'un est affirm de l'autre, est la Copule.

    Laissons de ct, pour le moment, la copule dont nous parlerons plus longuementci-aprs. Toute proposition, disons-nous, se compose de deux noms au moins; ellejoint ensemble d'une manire particulire deux noms. Ceci est dj un premier pasvers ce que nous cherchons. Il en ressort qu'un objet unique ne suffit pas pour dter-miner un acte de croyance. L'acte de croyance le plus simple suppose et se rapportetoujours deux objets, ou, pour dire le moins possible, deux noms et (puisque lesnoms doivent tre les noms de quelque chose) deux choses nommables. Beaucoupde philosophes trancheraient la question en disant deux ides. Ils diraient que le sujetet le prdicat sont l'un et l'autre des noms d'ides, de l'ide de l'or, par exemple, et del'ide du jaune, et que ce qui a lieu, en tout ou en partie, dans l'acte de croyance,consiste ranger, comme on l'exprime souvent, une de ces ides sous l'autre. Mais

    nous ne sommes pas encore en mesure de dcider si cette manire de reprsenter lephnomne est la bonne; c'est examiner plus tard. Pour le moment il nous suffit desavoir que dans tout acte de croyance est implique la reprsentation de deux objets;que rien ne peut tre propos la croyance ou mis en question, qui ne comprennedeux objets distincts (matriels ou intellectuels) de la pense, dont chacun, pris partet en soi, peut tre ou n'tre pas concevable, mais n'est susceptible ni d'affirmation, nide ngation.

    Je peux, par exemple, dire : le soleil ; ce mot a pour moi un sens, et il a lemme sens dans l'esprit de celui qui me l'entend prononcer. Mais je suppose que je luidemande : Est-ce vrai? le croyez-vous? Il ne peut pas donner de rponse; il n'y a lrien croire ou ne pas croire. Maintenant, que j'mette l'assertion, qui de toutes lesassertions possibles relatives au soleil implique le moins un rapport avec un objet

    autre que lui, que je dise : le soleil existe ; il y a immdiatement ici quelque chosede donn croire. Mais ici tu lieu d'un seul objet nous trouvons deux objets distinctsde la pense, le soleil et l'existence. Et qu'on ne dise pas que cette seconde ide,l'existence, est comprise dans la premire ; car le soleil peut tre conu comme n'exis-tant plus. Le soleil ne dit pas tout ce que dit le soleil existe. Mon pre necontient pas tout, ce qui est contenu dans mon pre existe , car il peut tre mort. Un cercle carr ne signifie pas la mme chose que un cercle carr, existe , caril n'existe ni ne petit exister. Lorsque je dis le soleil, mon pre, un cercle carr , jene propose rien a croire ou ne pas croire, et aucune rponse, dans un sens ou dans

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    un autre, ne peut m'tre donne. Mais si je dis: le soleil existe, mon pre existe, uncercle carr existe, je fais appel la croyance, et je la trouverai affirmative pour lepremier cas, affirmative ou ngative pour le second, ngative pour le troisime.

    3. Les Noms doivent tre tudis avant les choses

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    3.-Ce premier rsultat de la recherche de l'objet de la croyance, bien que trssimple, n'est cependant pas sans importance. C'est, du reste, le seul qu'il soit possibled'obtenir avant l'examen du langage. Si l'on essay de faire un pas de plus dans lamme voie, c'est--dire de poursuivre l'analyse des Propositions, on se trouve forcde s'occuper d'abord des Noms. Toute proposition, en effet, se compose de deuxnoms, et toute proposition affirme ou nie un de ces noms de l'autre. Or, ce que nousfaisons, ce qui se passe dans notre esprit, lorsque nous affirmons ou nions un nomd'un autre, doit dpendre de la chose dont il est le nom puisque cest cela, et nonaux noms mmes que se rapporte l'affirmation ou la ngation. Nous avons donc iciune raison de plus de placer l'tude prliminaire de la signification des noms et de larelation entre les noms et les choses qu'ils signifient en tte de notre recherche.

    On peut objecter que 1a signification des noms peut tout au plus nous informerdes opinions, souvent extravagantes ou arbitraires, que les hommes se sont faites deschoses, et que, l'objet de la philosophie tant la vrit et non l'opinion, le philosophedoit laisser les mots de ct et s'occuper des choses mmes, quand il s'agit de dter-miner quelles questions et quelles rponses relatives aux choses peuvent tre poseset donnes. Ce conseil - qu'il n'est au pouvoir de personne de suivre - est au fond une

    invitation au philosophe rejeter tous les fruits des travaux de ses prdcesseurs et se conduire comme s'il tait le premier homme qui ait tourn un oeil observateur versla nature. A quoi se rduirait le fonds des connaissances personnelles d'un individu, sil'on en tait tout ce qu'il a acquis au moyen des paroles des autres hommes? et-ilmme appris des autres autant qu'on en peut apprendre, la somme des notionscontenues dans son esprit fournirait-elle, pour un catalogue raisonn1, une base aussilarge et aussi sre que la masse des notions contenues dans les esprits du genrehumain ?

    Une numration et classification des Choses qui n'aurait pas pour base leursnoms ne comprendrait que les particularits reconnues par un investigateur isol, et ilresterait toujours vrifier, par un examen ultrieur des noms, si l'numration n'arien omis de ce qu'elle devait contenir. Au contraire, en commenant par les noms et

    en s'en servant comme d'un fil conducteur, on a aussitt devant soi toutes les distinc-tions remarques, non par un observateur isol, mais par tous les observateurs ensem-ble. Sans doute on pourra s'apercevoir, et cela ne peut, je crois, manquer d'arriver,qu'on a multipli sans ncessit les varits, et imagin bien des diffrences entre leschoses qui ne sont que des diffrences de nom. Mais nous ne sommes pas autoriss supposer cela par anticipation. Nous devons commencer par accepter les distinctionsconsacres par le langage ordinaire. Si quelques-unes paraissent n'tre pas fondamen-

    1 Ces mots sont en franais dans le texte.

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    tales, l'numration des diverses espces de ralits pourra tre rduite d'autant. Maisimposer tout d'abord aux faits le joug d'une thorie et renvoyer une discussionultrieure les fondements mmes de cette thorie; c'est une marche qu'un logicien nesaurait raisonnablement adopter.

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    Chapitre II.DES NOMS.

    1. Les noms sont les noms des choses, et non des ides.

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    1. - Un nom, dit Hobbes 1est un mot pris volont comme une marque quipeut susciter dans notre esprit une pense semblable quelque pense que nous avonseue auparavant, et qui, tant prononc devant les autres hommes, est pour eux unsigne de la pense qu'avait 2dans l'esprit l'interlocuteur avant qu'il le profrt. Cette dfinition du nom, comme un mot (ou groupe de mots) servant la fois demarque pour nous rappeler nous-mmes la ressemblance d'une pense antrieure etde signe pour le faire connatre aux autres, parat irrprochable. Sans doute les nomsfont beaucoup plus que cela; mais tout ce qu'ils font d'autre est le rsultat et provientde cette double proprit, comme on le verra en son lieu.

    Les noms sont-ils, proprement parler, les noms des choses ou les noms des ides

    que nous avons des choses La premire de ces significations est dans l'usage communla seconde appartient quelques mtaphysiciens qui ont cru, en l'adoptant, consacrerune distinction de la plus haute importance. Le penseur minent, prcdemment cit,semble partager cette dernire opinion. Mais, continue-t-il, puisque suivant leurdfinition les mots formant un discours sont les signes de nos penses, il est mani-

    1 Calculoulogique,chap. II.2 Dans l'original qu'avait ou n'avait pas . J'ai omis dans la citation ces derniers mots, qui se

    rapportent une subtilit trangre l'objet de notre tude.

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    feste qu'ils ne sont pas les signes des choses elles-mmes; car comment comprendreque le son du motpierre est le signe d'une pierre, si ce n'est en ce sens que celui quientend ce son en infre que celui qui le profre pense une pierre.

    Si cela voulait dire simplement que la conception seule, et non la chose mme, estrappele et transmise par le nom, il n'y aurait, pas contester. Nanmoins, il sembleraisonnable de suivre l'usage commun, en disant que le mot soleil est le nom du soleilet non de notre ide du soleil. Les noms, en effet, ne sont pas destins seulement faire concevoir aux autres ce que nous concevons, mais aussi les informer de ce quenous croyons. Or lorsque j'emploie un nom pour exprimer une croyance, c'est de lacroyance la chose, et non de la croyance mon ide de la chose, que j'entendsparler. Quand je dis : Le soleil est la cause du jour, je n'entends pas que mon idedu soleil cause ou excite en moi l'ide du jour, ou, en d'autres termes, que penser ausoleil me fait penser au jour. J'entends qu'un certain fait physique, appel la prsencedu soleil (qui, en dernire analyse, se rsout en sensations et non en ides) cause unautre fait physique appel le jour. Il faut considrer un mot comme leNomde ce quenous voulons faire entendre en le prononant, de ce qui, quoi que nous en affirmions,

    sera compris en tre affirm; bref, de la chose sur laquelle nous voulons, par l'entre-mise du mot, donner des informations. En consquence, les Noms seront toujours prisdans cet ouvrage pour les noms des choses elles-mmes, et non des ides des choses.

    Mais ici s'lve la question : de quelles choses ? et pour y rpondre il est nces-saire d'examiner les diffrentes espces de mots.

    2. Mots qui ne sont pas des noms, mais des parties de noms.

    Retour la table des matires

    2. -Il est d'usage, avant d'examiner les diverses classes dans lesquelles les nomssont communment distribus, de distinguer d'abord ceux qui ne sont pas proprementdes noms, mais seulement des parties de noms. Telles sont les particules de, a, vrai-ment, souvent; les inflexions des noms substantifs comme moi, lui, et mme des ad-jectifs comme grand, pesant. Ces mots n'expriment pas des choses dont quelque cho-se puisse tre affirm ou ni. On ne peut pas dire : Le Pesant ou un Pesant sent;Vraiment ou Un Vraiment a t dit; Du ou Un du tait dans la chambre. Il fautexcepter cependant les cas o l'on parle des mots eux-mmes considrs grammatica-lement, comme lorsqu'on dit : Vraiment est un mot franais, ou Pesant est un adjec-tif. En ce cas, ils sont des noms complets, c'est--dire les noms de ces sons particu-liers ou de ces groupes de lettres. Cet emploi du mot pour dsigner simplement leslettres et syllabes qui le composent tait appel par les scolastiques la suppositiomaterialis du mot. Hormis en ce sens-l, aucun de ces mots ne peut figurer commesujet d'une proposition, moins d'tre combin avec d'autres mots, comme : Un corpsPesant sent, Unfait Vraiment important a t rapport, Un membre du parlement taitdans la chambre.

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    Un adjectif, cependant, peut tre par lui-mme le prdicat d'une proposition,comme: la Neige est Blanche, et mme, accidentellement, le sujet, comme lorsqu'ondit : le Blanc est une couleur agrable. L'emploi de l'adjectif est sous cette forme uneellipse grammaticale. On dit : la Neige est blanche, au lieu de dire la Neige est unobjet blanc. Les rgles des langues grecque et latine permettaient ces ellipses , aussibien pour le sujet que pour le prdicat de la proposition. En anglais et en franais celane se peut pas en gnral. On peut dire : la terre est ronde ; mais on ne peut pasdire : le Rond est trs mobile; il faut dire Un objet rond. Cette distinction, du res-te, est plus grammaticale que logique ; car il n'y a aucune diffrence entre rond etrond, et c'est l'usage seul qui fait employer suivant les cas l'une de ces formes pluttque l'autre. Nous pourrons donc, sans, scrupule, prendre les adjectifs pour des noms,soit par eux-mmes directement, soit, comme reprsentant certaines formes d'expres-sion plus complexes. Les autres classes de mots subsidiaires ne sauraient, aucuntitre, tre considres comme des noms. Un adverbe, un accusatif, ne peut jamais(sauf le cas o il s'agit simplement des lettres et syllabes) figurer comme un destermes d'une proposition.

    Les mots non susceptibles d'tre employs comme des noms, mais seulementcomme des parties de noms, taient appels par quelques scolastiques des termessyncatgormatiques, de [mot en grec dans le texte], de [mot en grec dans le texte],avec , et [mot en grec dans le texte], affirmer, parce qu'ils ne pouvaient tre affirms,attribus, qu'avec quelques autres mots; et on appelait termes catgormatiques lesmots qui pouvaient tre employs comme sujet ou prdicat d'une proposition sanstre accompagns d'autres mots. On appelait enfin terme mixte la combinaison d'unou de plusieurs termes catgormatiques et d'un ou de plusieurs termes syncatgor-matiques, comme Un corps pesant, Une cour de justice. Mais c'est l, ce semble,multiplier inutilement les expressions techniques. Un terme mixte, au sens de l'usagedu mot, est catgormatique. Il appartient la classe de ceux qu'on a appels nomscomplexes.

    En effet, de mme que souvent un mot n'est pas un nom, mais seulement partied'un nom , de mme un assemblage de plusieurs mots ne forme souvent qu'un seulnom. Ces mots : Le lieu que la sagesse ou la politique de l'antiquit avait destin la rsidence des princes abyssiniens sont pour le logicien un seul nom, un termecatgormatique. On juge si une combinaison de plusieurs mots constitue un seulnom ou plusieurs, en affirmant ou niant quelque chose, et en remarquant si dans cetteattribution on met une seule assertion ou plusieurs. Ainsi, quand nous disons : John Nokes, qui tait le maire de la ville, mourut hier, nous ne faisons qu'uneseule assertion ; d'o il apparat que John Nokes, qui tait le maire de la ville , estun seul nom. Il est vrai que dans cette proposition, outre l'assertion que John Nokesmourut hier, il y a encore une autre assertion, a savoir que John Nokes tait maire dela ville. Mais cette dernire assertion tait dj faite; nous ne la faisions pas enajoutant le prdicat mourut hier . Supposons enfin qu'on et dit : John Nokes etle maire de la ville, il aurait eu deux noms au lieu d'un seul. Car en disant: JohnNokes et le maire de la ville moururent hier, nous faisons deux assertions ; une, queJohn Nokes mourut hier , une autre, que le maire de la ville mourut hier.

    Il serait superflu d'en dire davantage sur les noms complexes. Arrivons aux dis-tinctions tablies entre les noms, non plus d'aprs les mots dont ils sont composs,mais d'aprs leur signification.

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    3. Noms gnraux et singuliers.

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    3. -Tous les noms sont les noms d'une chose, relle ou imaginaire. Mais leschoses n'ont pas toutes un nom propre et individuel. Quelques objets individuelsexigent et reoivent tics noms distincts. Chaque personne, chaque lieu remarquable aun nom. D'autres objets dont on n'a pas souvent occasion de parler n'ont pas de nompropre, et s'il devient ncessaire de les nommer, on le fait en joignant ensemble plu-sieurs mots dont chacun isolment peut servir et sert, en effet, dsigner un nombreindfini d'autres Objets. Ainsi, quand je dis cette pierre,les mots cette et pier-re sont des noms qui peuvent s'appliquer beaucoup d'objets autres que celuiactuellement dsign, bien que cet objet particulier soit le seul dont j'entende parler.

    Si c'tait l le seul usage des noms communs plusieurs choses; s'ils servaientseulement, en se limitant rciproquement, la dsignation des objets individuels quin'ont pas de noms propres, Ils ne pourraient tre considrs que comme des artificesdu langage. Mais il est clair que ce n'est pas l leur unique fonction. C'est par eux quenous sommes capables d'noncer des propositions gnrales, d'affirmer ou de nier unprdicat quelconque d'une infinit de choses la fois. Par consquent, la distinctionentre les noms gnraux et, les noms individuels ou singuliers est fondamentale; ellepeut tre considre comme la premire grande division des noms.

    Un nom Gnral est, dans sa dfinition ordinaire, un nom susceptible d'treappliqu avec vrit et dans le mme sens l'une quelconque d'un nombre indfini dechoses. Le nom Individuel ou Singulier est un nom qui ne peut tre affirm, avec

    vrit dans le mme sens que d'une seule chose.Ainsi, homme peut tre affirm avec vrit de Jean, de George, de Marie, et d'au-

    tres personnes indfiniment, et il est affirm de toutes dans le mme sens; car le motHomme exprime certaines qualits, et quand nous l'attribuons ces personnes, nousnonons que toutes possdent ces qualits. MaisJean ne peut tre affirm, du moinsdans le mme sens, que d'une seule personne ; car, bien qu'il y ait beaucoup de per-sonnes qui portent ce nom, ce nom ne leur tant pas attribu pour indiquer desqualits ou quelque chose qu'elles auraient en commun, il ne leur est pas attribu enun sens quelconque, et, par consquent, pas dans le mme sens. Le Roi qui succda Guillaume le Conqurant est aussi un nom individuel; car le sens des mois impli-que qu'il ne peut s'appliquer plus d'une personne. Et mme le Roi peut trejustement considr comme un nom individuel, lorsque l'occasion on le contexte dudiscours dterminent la personne laquelle on entend l'appliquer.

    On dit aussi, pour expliquer ce qu'on entend par un nom gnral, que c'est le nomd'une classe. Mais cette expression, convenable en certains cas, est mauvaise commedfinition, car elle explique la plus claire de deux choses par la plus obscure. Il seraitplus logique de renverser la proposition et d'en faire la dfinition du mot classe : Une classe est la multitude indfinie d'individus dsigns par un nom gnral.

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    Il est ncessaire de distinguer les noms gnraux des noms collectifs. Le nomgnral est celui qui petit tre attribu chaque individu d'une multitude ; le nomcollectif ne peut pas tre attribu chaque individu sparment, mais seulement tous pris ensemble. Le 76e rgiment d'infanterie de l'arme anglaise est un nomcollectif ce n'est pas un nom gnral il est individuel, car, quoiqu'il puisse tre ditd'une multitude de soldats individuels pris ensemble, il ne peut l'tre d'aucun d'euxpris part. On dira bien, Jones est un soldat, et Thompson est un soldat, et Smith estun soldat, mais on ne dira pas, Jones est le 76e rgiment, et Thompson est le 76e,rgiment, etc. Nous pouvons dire seulement : Jones et Thompson, et Smith, et Brown,et, ainsi de suite en numrant tous les soldats, sont le 76e rgiment.

    Le 76e rgiment est un nom collectif, mais pas gnral. Un rgiment est la fois gnral et collectif; gnral relativement tous les rgiments individuels, col-lectif relativement aux soldats individuels qui composent un rgiment.

    4. Noms concrets et abstraits.

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    4. -La seconde division gnrale des noms est celle des concrets et des abs-traits. Un nom Concret est le nom d'une chose ; l'Abstrait est le nom de l'attributd'une chose. Jean, la mer, cette table, sont les noms de choses.Blanc est aussi le nomd'une chose ou plutt de choses; la blancheur est le nom. d'une qualit, d'un attributde ces choses. Homme est le nom de plusieurs choses ; l'humanit est le nom d'unattribut de ces choses. Vieux est un nom de choses, vieillesse le nom d'un de leurs

    attributs.

    Je me sers des mots Concret et Abstrait au sens que leur ont donn les scolasti-ques, qui, malgr, les dfauts de leur philosophie, sont sans rivaux dans la construc-tion du langage technique, et dont les dfinitions, du moins en logique , quoiquetoujours un peu superficielles, n'ont pu jamais tre modifies qu'en les gtant. Dansdes temps plus voisins de nous, cependant, s'est tablie l'habitude, sinon introduitepar Locke, du moins vulgarise principalement par son exemple , d'appeler nomsabstraits les noms qui sont le rsultat de l'abstraction ou gnralisation, et, parconsquent, tous les noms gnraux; au lieu de borner cette dnomination aux nomsdes attributs. Les mtaphysiciens de l'cole de Condillac - dont l'admiration pourLocke, ngligeant les plus profondes spculations de ce gnie original, s'attache avec

    une ardeur particulire ses parties les plus faibles, - ont, sa suite, port si loin cetabus du langage qu'il est difficile maintenant de ramener le mot sa significationprimitive. On trouverait peu d'exemples d'une altration aussi violente du sens d'unmot, car l'expression nom gnral, dont l'quivalent exact existe dans toutes leslangues moi connues, disait dj trs-bien ce qu'on a voulu dire par cette vicieuseapplication du mot abstrait, qui a, en outre, l'inconvnient de laisser sans dnomi-nation distinctive l'importante classe des noms d'attributs. Cependant, l'ancienneacception n'est pas tellement tombe en dsutude, que ceux qui y tiennent encoreaient, en l'adoptant, perdu toute chance d'tre compris. Par abstrait, donc, j'entendrai

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    toujours l'oppos de concret; par nom abstrait, le nom d'un attribut; par nom concret,le nom d'un objet.

    Les noms abstraits appartiennent-ils la classe des noms gnraux ou celle desnoms singuliers ? Quelques-uns sont certainement gnraux; ce sont ceux qui nedsignent pas un attribut unique et dtermin, mais une classe d'attributs. Tel est lemot couleurqui est le nom commun de la blancheur, du rouge, etc. Tel est mme lemot Blancheur par rapport aux diverses nuances du blanc auxquelles il s'applique ; lemot Grandeur par rapport aux diffrentes dimensions de l'espace ; le mot Poids parrapport aux degrs divers de pesanteur. Tel est encore le mot mme d'attribut, qui estle nom commun de tous les attributs particuliers. Mais lorsque un nom dsigne unattribut seul et unique, ne variant ni en degr ni en espce, comme la visibilit, latangibilit, l'galit, la quadrature, le blanc de lait, ce nom ne peut gure tre consid-r comme gnral ; car, bien qu'i1 dsigne l'attribut de beaucoup d'objets, l'attributlui-mme est toujours conu comme unique et non multiple 1. Le mieux serait peut-tre, pour viter une oiseuse logomachie, de ne considrer ces noms ni comme gn-raux ni comme individuels, et de les mettre dans une classe part.

    On peut objecter cette dfinition du nom abstrait, que les noms que nousappelons abstraits ne sont pas les seuls qui dsignent des attributs, car les adjectifsque nous avons mis dans la classe des concrets sont aussi des noms d'attributs; queBlancpar exemple, est aussi bien queBlancheur le nom de la couleur. Mais, commenous l'avons remarqu, un mot doit tre pris pour le nom de la chose que nous enten-dons dsigner lorsque nous l'employons son usage principal, c'est--dire pour uneaffirmation. Quand nous disons : la neige est blanche, le lait est blanc, le lin est blanc,nous ne voulons pas dire que la neige, ou le lin, ou le lait est une couleur; nous enten-dons que ce sont des choses qui ont une couleur. L'inverse a lieu pour le mot Blan-cheur. Ce que nous disons trela Blancheur n'est pas la neige, mais la couleur de laneige. Blancheur, par consquent, est le nom de la couleur exclusivement ; Blanc estle nom de toute chose quelconque ayant cette couleur ; le nom, non de la qualit

    Blancheur, mais de tout objet blanc. Ce nom, il est vrai, est donn ces objets diversen raison de la qualit, et on peut, par consquent, sans improprit, dire que laqualit fait partie de la signification. Mais un nom n'est nom que des choses dont ilpetit tre affirm. Or, nous verrons que tous les noms ayant une signification, tous lesnoms qui, appliqus un objet individuel, fournissent une information l'gard de cetobjet impliquent quelque attribut. Mais ils ne sont pas les noms de l'attribut; l'attributa son nom abstrait propre.

    5. Noms connotatifs et non-connotatif ;.

    Retour la table des matires

    5. -Ceci nous conduit une troisime grande division des noms, les connotatifset les non-connotatifs ou absolus, comme on appelle quelquefois improprement cesderniers. C'est l une des distinctions les plus importantes, une de celles qui entrent leplus avant dans la nature du langage.

    1 Voyez plus bas la note au 3, livre II, chap. II.

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    Un terme non-connotatif est celui qui signifie un sujet seulement ou un attributseulement. Le terme connotatif est celui qui dsigne un sujet et implique un attribut.Par sujet il faut entendre toute chose qui possde des attributs. Ainsi Jean, Londres,l'Angleterre, sont des noms qui dsignent un sujet seulement ; Blancheur, Longueur,Vertu, un attribut seulement. Aucun de ces noms, par consquent, n'est connotatif.Mais blanc, long, vertueux sont connotatifs. Blanc dsigne toutes les choses blanches,la neige, le papier, l'cume de la mer, etc. et implique, ou, comme disaient les scolas-tiques, connote1 l'attribut Blancheur. Le mot Blanc n'est pas affirm de l'attribut,mais des sujets Neige, etc., mais quand nous l'affirmons de ces sujets, nous impli-quons ou connotons que l'attribut Blancheur leur appartient. De mme des autresmots. Vertueux, par exemple, est le nom d'une classe qui renferme Socrate, Howard,l'homme de Ross 2et un nombre indtermin d'autres individus, passs, prsents etfuturs. Ces individus, collectivement et sparment, peuvent seuls avec proprit tredsigns par ce mot; et ce n'est que d'eux qu'il est proprement le nom. Mais ce nomleur est attribu tous et chacun en raison d'un attribut qu'ils sont supposspossder en commun, l'attribut appel Vertu. Il s'applique tous les hommes qui sontcenss possder cet attribut, et ne s'applique aucun de ceux qui sont censs ne pas

    le possder.Tous les noms concrets gnraux sont connotatifs. Le mot homme dsigne Pierre.,

    Jean, Jacques, et une infinit d'autres individus desquels, pris comme classe, il est lenom. Mais il leur est appliqu parce qu'ils possdent, et pour indiquer qu'ils poss-dent, certains attributs, tels que la corporit, la vie animale, la rationalit et une cer-taine forme extrieure que nous appelons, pour la distinguer de toute autre, humaine.Toute crature existante ayant ces attributs s'appellera un homme ; et tout tre quin'en possderait aucun, ou n'en aurait qu'un, ou deux, ou mme trois sans le qua-trime, ne s'appellerait pas de ce nom. Si, par exemple, on venait dcouvrir dansl'intrieur de l'Afrique une race d'animaux possdant la raison comme les treshumains, mais ayant la forme d'un lphant, on ne les appellerait pas des hommes.On ne donnerait pas ce nom aux Houyhnhnms de Swift 3. Si ces tres avaient la

    forme humaine sans aucune trace de raison, il est probable qu'on chercherait pour euxquelque autre nom que celui d'homme. Nous verrons plus loin pourquoi il pourrait yavoir du doute en ce cas. Le mot homme dsigne donc tous les attributs et tous lessujets auxquels ces attributs appartiennent; mais il ne peut tre dit que des sujets.Hommes s'entend des sujets, des individus Caius et Titius, mais non des qualits quiconstituent leur humanit. Le nom, par consquent, exprime le sujet directement, lesattributs indirectement; il dnote les sujets et implique, comprend, indique ou, com-me nous le dirons dornavant, connote les attributs. C'est un nom connotatif.

    Les noms connotatifs ont t aussi appels dnominatifs, parce que l'attribut qu'ilsconnotent sert la dnomination du sujet qu'ils dsignent. La neige et d'autres objetsreoivent le nom de Blanc, parce qu'ils possdent l'attribut Blancheur. Pierre, Jacques

    et autres sont appels Hommes, parce qu'ils ont les attributs qui constituent l'huma-nit. On peut donc dire que les attributs dnomment ces objets ou leur donnent unnom commun. 41 Notare, noter. Connotare, noter avec ; noter une chose avec ou en addition d'une autre.2 Philanthrope de la petite ville de Ross, vers la fin du XVIIe sicle, dont le nom a t popularis en

    Angleterre par les vers de Pope, dans une de ses ptres. (L. P.)3 Le pays des chevaux, dans les Voyages de Gulliver. (L. P.)4 L'archevque Whately, qui, dans les dernires ditions de ses lments de logique, a remis aussi

    en lumire l'importante distinction indique dans le texte, propose le terme attributif la place

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    On a vu que tous les noms concrets gnraux sont connotatifs. Les noms abstraits,quoique noms d'attributs seulement, peuvent dans quelques cas tre considrscomme connotatifs, car les attributs peuvent avoir eux-mmes des attributs, et un motqui dnote des attributs petit connoter l'attribut de ces attributs. Tel est le mot dfaut,

    quivalent mauvaise qualit. Ce mot est un nom commun beaucoup d'attributs etconnote le mauvais, qui est un attribut de ces divers attributs. Quand on dit, parexemple, que la lenteur dans un cheval est un dfaut, on ne veut pas dire que le mou-vement lent, le lent changement de place actuel du cheval, est une chose mauvaise,mais que la circonstance qui lui fait donner ce nom, la lenteur de l'allure, est uneparticularit regrettable.

    Quant aux noms concrets qui ne sont pas gnraux, mais individuels, il y a unedistinction faire.

    Les noms propres ne sont pas connotatifs; ils dsignent les individus, mais ilsn'affirment pas, n'impliquent pas des attributs appartenant ces individus. Lorsque

    nous appelons un enfant Paul, ou un chien Csar, ces noms servent simplement indiquer ces individus comme sujets possibles de discours. Sans doute on peut direqu'il a d y avoir quelque raison de leur donner ces noms plutt que d'autres; et celaest vrai; mais le nom, une fois donn, reste indpendant du motif. Un homme peutavoir t appel Jean, parce que c'tait le nom de son pre; une ville peut s'appelerDartmouth, parce qu'elle est situe l'embouchure de la Dart; mais il n'y a dans lasignification du mot Jean rien qui implique que le pre de l'individu ainsi nomm por-tait le mme nom; ni mme dans le mot Darmouth que cette ville soit situe l'embouchure de la Dart. Si les sables venaient obstruer l'embouchure de la rivire,ou si un tremblement de terre dtournait son cours et l'loignait de la ville, le nom dela ville ne serait pas pour cela ncessairement chang. Le fait de cette position de laville n'entre pour rien dans la signification du nom ; car, s'il en tait autrement,. dumoment o le fait cesserait d'tre vrai, on ne continuerait pas de l'appeler du mme

    nom. Les noms propres sont attachs aux objets mmes et ne dpendent pas de lapermanence de tel ou tel attribut.

    Mais il y a une autre espce de noms qui, quoique individuels, c'est--dire attri-buables un seul objet, sont en ralit connotatifs. Car, bien qu'on puisse donner un individu un nom compltement insignifiant, appel nom propre, nom qui suffitpour dsigner la chose dont on veut parler, mais par lui-mme n'en affirme rien,cependant un nom propre n'est pas ncessairement de cette nature; il peut signifierquelque attribut ou runion d'attributs qui, n'tant possds par aucun objet hors unseul, confre le nom exclusivement cet individu. Le soleil est un nom de cegenre; Dieu , employ par un monothiste, en est un autre. Ces noms, cependant,ne sont pas des exemples trop bien choisis, puisque, rigoureusement parler, ce sontdes noms gnraux plutt qu'individuels. Car, bien qu'en fait ils ne puissent tre

    attribus qu' un seul objet, il n'y a rien dans la signification des mots eux-mmes quil'indique; de sorte que, en imaginant simplement, sans affirmer, nous pouvons parlerde plusieurs soleils ; et la majorit du genre humain a cru et croit encore qu'il y aplusieurs dieux. Mais il est facile de trouver des exemples parfaits de noms indi-viduels connotatifs. Le nom connotatif peut, dans une partie de sa signification,

    de connotatif . Le mot est en lui-mme convenable ; mais, n'ayant pas de verbe correspondantaussi caractristique que connoter , il ne me parat pas propre remplacer le mot Connotatif,comme terme de science.

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    John Stuart Mill (1843), Systme de logique dductive et inductive. Livre I, 1865. 39

    impliquer ncessairement qu'il ne peut exister qu'un seul individu ayant l'attribut qu'ilnonce, par exemple, le seul fils de Jean Stiles , le premier empereur de Rome .L'attribut affirm peut aussi exprimer une relation avec quelque vnement dter-min, et cette relation peut tre telle qu'elle ne soit possible que pour un seul individu,ou, du moins, qu'elle ne puisse exister actuellement que pour un seul individu ; et celapeut tre impliqu dans la forme mme de l'expression. Le pre de Socrate est unexemple du premier cas (puisque Socrate ne pouvait pas avoir deux pres). L'auteurde l'Iliade, l'assassin de Henri IV , sont des exemples du second. En effet, bienqu'il soit concevable que plusieurs personnes ont concouru la composition del'Iliade on au meurtre de Henri IV, l'article le implique qu'en fait ce n'est pas l le cas.Ce qui rsulte ici du mot le rsulte en d'autres cas du contexte. Ainsi, l'arme deCsar est un nom individuel, s'il rsulte du contexte que l'arme dont on parle estcelle que Csar commandait dans telle ou telle bataille. Ces expressions encore plusgnrales : L'arme romaine ou l'arme chrtienne peuvent tre individua-lises de la mme manire. Un autre cas qui se prsente souvent, et dj indiqu, estcelui o un nom complexe, de plusieurs mots, peut tre form d'abord d'un nomgnral, susceptible par consquent par lui-mme d'tre affirm de plusieurs choses,

    mais se trouver ensuite limit de telle sorte par les mots qui l'accompagnent, quel'expression entire ne peut s'appliquer qu' un seul objet. Exemple : Le premierministre actuel de l'Angleterre . Premier ministre d'Angleterre est un nom gnral;les attributs qu'il connote peuvent tre possds par un nombre indfini de personnes,successivement, cependant, mais non simultanment, puisque le sens du mot mmeimplique, entre autres choses, qu'il ne peut y avoir prsentement qu'une seule per-sonne ainsi nomme. L'application du nom tant ainsi limite par l'article et par lemot actuel aux individus qui possdent les attributs un moment indivisible detemps, il devient applicable seulement un individu, et comme cela rsulte de la seu-le signification du nom, sans autre dtermination extrinsque, ce nom est rigoureu-sement individuel.

    Des observations qui prcdent, il est facile de conclure que lorsque les noms

    fournissent quelque information sur les objets, c'est--dire, lorsqu'ils ont proprementune signification, cette signification n'est pas dans ce qu'ils dnotent, mais dans cequ'ils connotent. Les seuls noms qui ne connotent rien sont les noms propres; etceux-ci n'ont, strictement parler, aucune signification.

    Si, comme le voleur des Mille et une nuits, nous faisons avec de la craie unemarque sur une maison pour nous la faire reconnatre, la marque a un but, mais ellen'a, proprement parler, aucune signification. La craie ne nous apprend rien sur cettemaison; elle ne dit pas : c'est la maison de telle personne, ou cette maison contient dubutin. La marque n'est qu'un moyen de distinction. Je me dis moi-mme : toutes cesmaisons se ressemblent tellement que si je les perds de vue je ne serai plus en tat dedistinguer des autres celle que je regarde en ce moment; il faut donc rendre l'appa-

    rence de cette maison diffrente de celle des autres, pour pouvoir plus tard, en voyantla marque, connatre, non un attribut quelconque de la maison, mais simplement quec'est l la mme maison que je regarde en ce moment. Morgane marqua de