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Cet exposé concerne l’étude de la stabilité des constructions en pierres sèches, de forme hémisphérique ou ogivale, édifiées sans interpo- sition de mortier, sans enduit, sans utilisation de coffrages ou d’un cintre. Ces constructions sont très nombreuses et diversifiées sur le pourtour méditerranéen. On les rencontre dans les régions arides, dépour- vues de végétation, d’économie pauvre ; elles ne demandent pas une main d’œuvre spécialisée pour leur mise en œuvre ; elles se sont dévelop- pées sur les plateaux calcaires sur lesquels on peut prélever des blocs ou des dalles, et elles ne nécessitent aucun autre apport pour leur édifica- tion. Ces constructions étant des structures spa- tiales (en 3 dimensions), l’étude de leur équilibre peut être résolue par le calcul, certes laborieux, mais dont les résultats sont d’application facile. L’étude permet donc de calculer les contraintes dans les sections les plus sollicitées, d’établir les règles de bonne construction, de définir les constructions autostables, de dresser un tableau-guide pour l’amateur-constructeur et, enfin, de percer le secret de Brunelleschi, le génial constructeur du Duomo (coupole) de la cathédrale Sainte-Marie-de-la-Fleur à Florence. Un promeneur curieux et aventureux Un promeneur attentif qui parcourt la cam- pagne méditerranéenne, la Provence (dont le Lubéron), l’Ardèche, l’Aveyron et quelques autres régions du sud de la France, est frappé de rencontrer sur son chemin des constructions en forme de coupoles, édifiées en pierres sèches, c’est-à-dire sans interposition de mortier et sans enduit. Leur nom local est agréable à l’oreille : "bories" en Provence, "capitelles" en Ardèche, "cazelles" en Aveyron… 34 STABILITÉ DES COUPOLES EN PIERRES SÈCHES ÉDIFIÉES SANS CINTRE André TIRET* (*) Ingénieur des Arts et Métiers. Quelques appellations : France : Borie ou cabanon (Provence) Capitelle (Ardèche, Gard) Orri (Roussillon) Cazelle (Aveyron) Gariotte (Quercy) Tonne (Limagne) Loge (Berry) Baléares : Barraca Italie : Trullo Sardaigne : Pinnetta Malte : Girna Istrie : Kasum Slovènie : Hiska Crète : Koumos Fig. 1 - Les constructions à coupole et en pierres sèches en Europe. T R A V A U X L I B R E S & S Y N T H È S E S

stabilité des coupoles en pierres sèches édifiées sans cintre

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Page 1: stabilité des coupoles en pierres sèches édifiées sans cintre

Cet exposé concerne l’étude de la stabilitédes constructions en pierres sèches, de formehémisphérique ou ogivale, édifiées sans interpo-sition de mortier, sans enduit, sans utilisation decoffrages ou d’un cintre.

Ces constructions sont très nombreuses etdiversifiées sur le pourtour méditerranéen. Onles rencontre dans les régions arides, dépour-vues de végétation, d’économie pauvre ; elles nedemandent pas une main d’œuvre spécialiséepour leur mise en œuvre ; elles se sont dévelop-pées sur les plateaux calcaires sur lesquels onpeut prélever des blocs ou des dalles, et elles nenécessitent aucun autre apport pour leur édifica-tion.

Ces constructions étant des structures spa-tiales (en 3 dimensions), l’étude de leur équilibrepeut être résolue par le calcul, certes laborieux,mais dont les résultats sont d’application facile.

L’étude permet donc de calculer lescontraintes dans les sections les plus sollicitées,

d’établir les règles de bonne construction, dedéfinir les constructions autostables, de dresserun tableau-guide pour l’amateur-constructeur et,enfin, de percer le secret de Brunelleschi, legénial constructeur du Duomo (coupole) de lacathédrale Sainte-Marie-de-la-Fleur à Florence.

Un promeneur curieux et aventureux

Un promeneur attentif qui parcourt la cam-pagne méditerranéenne, la Provence (dont leLubéron), l’Ardèche, l’Aveyron et quelquesautres régions du sud de la France, est frappéde rencontrer sur son chemin des constructionsen forme de coupoles, édifiées en pierres sèches,c’est-à-dire sans interposition de mortier etsans enduit. Leur nom local est agréable àl’oreille : "bories" en Provence, "capitelles" enArdèche, "cazelles" en Aveyron…

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STABILITÉ DES COUPOLES EN PIERRESSÈCHES ÉDIFIÉES SANS CINTRE

André TIRET*

(*) Ingénieur des Arts et Métiers.

Quelques appellations :

France : Borie ou cabanon (Provence)Capitelle (Ardèche, Gard)Orri (Roussillon)Cazelle (Aveyron)Gariotte (Quercy)Tonne (Limagne)Loge (Berry)

Baléares : BarracaItalie : TrulloSardaigne : PinnettaMalte : GirnaIstrie : KasumSlovènie : HiskaCrète : Koumos

Fig. 1 - Les constructions à coupole et en pierres sèches en Europe.

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Page 2: stabilité des coupoles en pierres sèches édifiées sans cintre

Les pierres utilisées sont généralement plates,d’épaisseur variable de 4 à 12 cm, soigneuse-ment empilées. La surprise de notre promeneurest d’autant plus grande lorsqu’il apprend queces constructions ont été montées par desouvriers locaux, sans étaiement et sans coffra-ge. La base est généralement circulaire, d’undiamètre intérieur inférieur à 4 m, la forme enélévation est soit hémisphérique (fig. 2 A), soitogivale (fig. 2 B), d’une hauteur totale de 2 à5 m.

Notre promeneur observe que si certainesconstructions sont en bon état, beaucoupd’autres, dont les plus petites, sont effondrées.

S'il s'aventure dans l’île de Minorque(Baléares), au milieu d’une campagne aride,dépourvue de toute végétation, il sera stupéfaitde rencontrer d’énormes constructions nom-mées "barracas"(fig. 3), toujours en pierressèches, en gradins, réservant dans leur inté-rieur un espace libre d’un diamètre à la basevariant de 4,50 à 9 m et d’une hauteur exté-rieure de 6 à 8 m. Ces constructions ont été édi-fiées probablement au XIXe siècle. Les pierresutilisées sont de toutes formes.

Enfin, si notre promeneur se risque enGrèce, à Mycènes, il découvrira le tombeaud’Agamemnon, dit Trésor d’Atrée, vaste coupole

d’un diamètre intérieur de 14,60 m et d’unehauteur intérieure de 13,40 m (fig. 4). Laconstruction a été réalisée en 1400 av. J.-C., en32 lits de pierres sèches équarries, parfaitementassisées et ajustées.

Notre promeneur ne peut que rester per-plexe devant ces constructions qui, dans leursimplicité, défient le temps. Il va donc chercherà définir les conditions nécessaires pour assu-rer leur stabilité, et, pour y parvenir, il va faireappel aux mathématiques.

Etude de la stabilité(Les développements mathématiques sont don-nés dans les annexes en fin de l’exposé)

Principe du calculOn considère une coque à base circulaire.

Comme dans un planisphère terrestre, ondécoupe la coque en méridiens et en cerclesparallèles (appelés plus simplement parallèles).On isole un élément de surface de coque abcd,infiniment petit, délimité par 2 méridiens et par2 parallèles très voisins (fig. 6)

On étudie l’équilibre de cet élément (par lecalcul différentiel), puis on étend le calcul parintégration à l’ensemble de la surface de lacoque.

On détermine ainsi l’effort Nϕ (N phi) qui sedéveloppe dans un méridien et l’effort Nθ (N téta)qui se développe dans un parallèle sous l’effetdu poids propre de la coque (fig. 7).

35

Borie hémisphérique Borie ogivale

A B

Fig. 2

Fig. 3 - Barraca minorquine.

Fig. 4 - Tombeau d'Agamemnon. Fig. 6

Fig. 5 - Comparaison des constructions étudiées.

Fig. 7

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Tableau-guide pour la construction de coupoles

Les constructions sont classées en fonction de leur élancement h/d.Les constructions dont le diamètre de base d est supérieur au diamètre dmini (dernière colonne) sontautostables.

h = hauteur intérieure (au sommet).d = diamètre intérieur de la base.p = poids moyen unitaire de la coupole (en t/m2).R = rayon de la génératrice de la paroi intérieure.

X = distance du centre du rayon R à l'axe de la coupole.Nϕ = effort dans un méridien.

Nθ = effort dans un parallèle.

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Résultats du calcul (voir annexe 1)1. Valeur de Nϕ et de Nθ

Nϕ = pR x (cosϕ0 -cosϕ) -(ϕ -ϕ0) sinϕ0

(sinϕ -sinϕ0) sinϕ

Nθ = pR x 1 [(ϕ -ϕ0) sinϕ0 -(cosϕ0 -cosϕ)sin2ϕ

= (sinϕ - cosϕο) sinϕ cosϕ]On établit les diagrammes de Nϕ et de Nθ (fig. 8).

On observe :- que les méridiens sont toujours comprimés ;- que les parallèles de la partie supérieure de la

coque sont comprimés ;- que les parallèles de la partie inférieure de la

coque sont en extension.C’est le premier résultat capital du calcul

qui est général, quelles que soient la forme et lesdimensions de la coque.

En conséquence :- la structure de la coque est comprimée dans le

sens vertical ;- les lits de pierres sont comprimés horizontale-

ment dans la partie supérieure de la coque ;ils devront donc être réalisés en anneaux indé-formables par des pierres bien bloquées lesunes contre les autres ;

- les lits de pierres sont en extension horizonta-lement dans la partie inférieure de la coque ;les pierres ayant une cohésion nulle entreelles, la stabilité de la paroi sera obtenue parle frottement des lits de pierres entre eux.

2. On observe dans le diagramme de Nθ que leparallèle de base est le plus sollicité à l’effetd’extension.

On démontre (voir annexes) qu’une coquedont le diamètre intérieur d de la base est supé-

rieur à dmini = 2 Nθ est autostable.d Nϕ

C’est le 2e résultat capital du calcul. Il va inter-venir dans le “ secret de Brunelleschi ”.

En fonction de l’élancement des coques :

on établit le tableau-guide de la page précéden-te qui donne les valeurs de dmini à partir des-quelles les coques sont autostables.

Les règles de bonne construction

1. Qualité et forme des pierresLes pierres utilisées peuvent être calcaires

ou siliceuses (schistes), de faible gélivité. Lesplus faciles à mettre en place sont les pierresplates, en dalles d’épaisseur de 4 à 15 cm envi-ron.

Les pierres équarries sommairementconviennent également.

Les pierres “ rondes ” requièrent une main-d’œuvre qualifiée pour obtenir des paroisstables.

2. Mise en œuvre des pierresLes pierres doivent être posées bien à plat,

sans effet de bascule.Elles doivent être disposées en lits d’épais-

seur sensiblement constante.Les joints d’un lit supérieur doivent être

décalés par rapport aux joints du lit inférieur,les “ coups de sabre ” (joints verticaux alignés)sont à proscrire.

Dans chaque lit, les pierres doivent être soi-gneusement bloquées transversalement lesunes contre les autres de façon à former desanneaux horizon-taux indéformables,capables de résisterà l’effet de compres-sion auquel ils sontsoumis dans la moi-tié supérieure desvoûtes en encorbelle-ment (fig. 9).

L’emploi de boutisses (2 ou 3 par m2) liai-sonnant les anneaux extérieur et intérieur d’unmême lit contribue beaucoup à la pérennitéd’une paroi (fig. 10).

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h = hauteur intérieure d diamètre intérieur de la base

Fig. 8

Fig. 9

Fig. 10

Page 5: stabilité des coupoles en pierres sèches édifiées sans cintre

La construction d’une paroi par un anneauextérieur et un anneau intérieur créant un videentre eux rempli de déchets de pierres (ditsmitraille) est à éviter en raison de la pousséelatérale exercée par cette mitraille qui tend àouvrir l’espace entre les 2 anneaux (fig.11).

La forme générale idéale de la paroi inté-rieure est la construction sur une base circulai-re, éventuellement elliptique. La forme intérieu-re carrée, quelquefois employée, oblige à couperles angles droits intérieurs par de grandesdalles plates (donc fragiles) pour appuyer au-dessus une coupole tronconique ; la construc-tion en est plus complexe (fig. 12).

Les parements extérieurs peuvent être deforme circulaire, avec fruit (légère inclinaison),

construction la meilleure,ou carrée, également avecfruit.

Les jambages d’uneouverture peuvent êtreréalisés avec de longuespierres plates placées ver-ticalement, mais on n’apas de liaisons avec lamaçonnerie adjacente (fig.13). Les jambages consti-tués de pierres équarries(fig. 14) évitent cette dis-continuité.

Les linteaux peuventêtre réalisés par degrandes dalles épaisses(leur épaisseur doit êtresupérieure au 1/5e de laportée), ou par un arc enpierres, ou par une poutreen bois équarrie avec unarc de décharge au-des-sus (fig. 14).

Pour la construction en encorbellement dela paroi intérieure d’une coupole, le débord d’unlit supérieur sur le lit inférieur doit être sensi-blement égal à l’épaisseur du lit (soit a ~ e)(fig. 15).

Cette disposition ne peut être réalisée dansla partie haute d’une coupole hémisphérique, cequi peut être la cause d’une fragilité du sommetde la voûte, et, éventuellement, d’une rupture,les dalles largement débordantes résistant malà l’effet de flexion en console (fig. 16).

3. Forme des coquesSur une base identique, la voûte hémisphé-

rique exerce une poussée horizontale supérieu-re à une voûte ogivale, ce qui nécessite l’élargis-sement de la surface d’appui (fig. 17).

L’espace disponible à l’intérieur d’une coque et,en particulier en largeur, est nettement plusréduit sous une voûte hémisphérique que sousune voûte ogivale d’un diamètre de base égal(fig. 18).

Ces considérations conduisent à privilégierla voûte ogivale à la voûte hémisphérique.

4. Stabilité des coquesUne coque est définie par son élancement

h = ( hauteur intérieure ).d diamètre intérieure de la base

En fonction de son élancement, on définit le

diamètre de base dmini = 4 Nθ - Voir tableau p. 36 Nϕ

Toute coque dont le diamètre de base estsupérieur à dmini est autostable.Toute coque dont le diamètre de base est infé-rieur à dmini nécessite une surépaisseur de saparoi de base.

38

Fig. 11

Fig. 12

Fig. 13

Fig. 14

Fig. 15

Fig. 16

Fig. 17

Fig. 18

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Fig. 25 - Caussols (Alpes-Maritimes). Borie en gradins, belle construction.

Fig. 20 - Buoux (Vaucluse). Borie. Belle construction dans un champ de lavande.

Fig. 26 - La Malle (Alpes-Maritimes). Borie construite à doubles parois séparées, remplissage intérieur par des déchets de pierre (mitraille) ayant entraîné l'éventrement.

Fig. 23 - Blausac (Gard) . Capitelle. Composée de 2 bories en forme de bonnet et une salle intermédiaire.Fig. 19 - Auribeau (Vaucluse). Borie.

constructionà coupole conique.

Fig. 22 - Borie aux Claps (Alpes-Maritimes). Voûte partiellement effondrée en raison des lits irréguliers

et des pierres mal bloquées entre elles.

Fig. 21 - Borieprès de l'Isle-sur-Sorgue(Vaucluse).Construction surbase carrée quiimplique, pour laréalisation de lacoupole conique, lapose de grandesdalles dans lesangles droits de labase.

Fig. 24 - Borie de Maruejols (Gard).

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Fig. 27 - Borie de Catalogne (Espagne).Construction quelconque, les pierres n'ayant pas été posées

en lits successifs sensiblement horizontaux.

Fig. 31 - Borie dans les Pouilles (Italie).Construction soignée en gradins.

Fig. 28 - Pinnetta de Sardaigne.Construction soignée en cours de dégradation.

Fig. 29 - Pinnetta de Sardaigne.Construction ogivale bien conservée.

Fig. 30 - Koumos de Crète. Ces bories de montagne sontencore utilisées l'été par les bergers crétois.

Construction qui mériterait d'être entretenue.

Fig. 32 - Barraca près de Ciutadella (Minorque). Des rampes donnent accès aux gradins.

Au sommet est aménagée une plateforme d'observation.

Fig. 34 - Voûte de la barraca Ses Arenetes. Les lits de pierres horizontaux sont parfaitement assisés et bloqués.

Le débord des pierres est sensiblement égal à leur épaisseur.

Fig. 33 - Barraca Ses Arenetes (Minorque).Belle construction à 10 gradins et 4 niches en façade.

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Fig. 35 - Kazum en Istrie (Yougoslavie). Construction sommaire, très haute, avec poste d'observation. Le

manque de grandes pierres plates a contraint à un bricolage du linteau !

Fig. 36 - Kazum en Istrie (Yougoslavie).Belle construction avec couverture en lauses formant corniche.

Fig. 37 - Trullo en Italie du Sud.Construction sur plan carré. Les dalles d’angle qui supportent la calotte

conique sont fissurées ; la sécurité n'est plus assurée.

Fig. 38 - Borie à Bonnieux (Lubéron). Entrée ogivale originale qui a permis d'utiliser des pierres plates pour les

jambages et le linteau, la courbure assurant une grande résistance.

Fig. 39 - Voûte d'entrée de borie mal exécutée.Le blocage de la clef de voûte est mal réalisé.

Fig. 40 - Borie ancienne de construction soignée.La porte est montée sur pivot qui tourne dans des trous de dalles avancées ; le linteau, trop faible, est rompu.

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Les bories et les constructions assi-miléesBorie hémisphérique et borie ogivale Pour un diamètre de base de 3,00 m, on obser-ve :- que pour une borie hémisphèrique, le coeffi-cient de poussée à la base (égal à 1) est supé-rieur à celui d’une borie ogivale (égal à 0,60), cequi implique de prévoir une surépaisseur de0,35 m de la base de la borie hémisphérique ;- que le volume de pierres mis en œuvre est de20 m3 pour la borie hémisphérique (fig. 41) et de14 m3 pour la borie ogivale (fig. 43) ;- que l’espace libre est plus réduit dans la boriehémisphérique ;- que la réalisation du sommet de la borie hémi-sphérique nécessite la pose de pierres en conso-le importante, cause de fragilité.

Illustrations de bories et de constructionsassimilées

Pages 39 à 45, nous présentons un certainnombre de documents photographiques et pla-nimétriques de bories et constructions assimi-lées de diverses régions et de différents pays.

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Fig. 41 - Coupe schématique d'une borie hémisphèrique.

Volume des pierres : 23 m3

Fig. 43 - Coupe schématique d'une borie ogivale.

Volume des pierres :14 m3

Fig. 42 - Borie à Bonnieux (Vaucluse). Bonne construction, à l'exception de l'arc

un peu sommaire sur l'ouverture .

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Fig. 47 -Barraca So'n Salamo (Minorque).Coupe schématique.

Dessins d'après Jaime Sastre Moll

Fig. 46 - Coupe en élévation et plan de la barraca de SaTanca d'Enmig (Minorque). Année de construction : 1813.Belle construction trapue. La paroi atteint 3,70 m d'épais-seur.

Fig. 45 - Barraca So'n Salamo (Minorque).Année de construction : 1857.

Une des plus grandes barracas. Construction en gradinschainés par de grosses pierres. Parements montés avecun léger fruit (inclinaison). Arc en pierres de taille sur l’ou-verture. Epaisseur à la base : 1,70 m : stabilité assurée.Volume de pierres : 214 m3.

Fig. 44 - Barraca de Sa Tanca d'Enmig (Minorque).

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Fig. 49 -Le tombeau d’Agamemnon à Mycènes. Construction réalisée en 1400 av. J.-C.Vue en coupe Coupe – Diagramme des poussées très plat : la stabilité est parfaite.

Fig. 48 - Plan et coupe du tombeau d'Agamemnon à Mycènes.

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Caractéristiques des constructions étudiéesOn constate :- que les contraintes de compression dans lesparallèles sont faibles (inférieures à 2 bars pourune contrainte admissible de 15 à 20 bars) ;- que les contraintes existantes sont générale-ment surdimensionnées. Par exemple : dans lesbories ogivales du Luberon dont le diamètre estinférieur à 4 m, les épaisseurs à la base varientde 0,80 à 1,10 m, bien que 0,60-0,70 mauraient suffi. Les barracas minorquines ontleur section de base en général surabondante(ce qui a contribué à leur pérennité).

La pierre sèche, une constructionoriginale

Beaucoup de constructions en pierressèches ont disparu, soit par démolition, soit pareffondrement.

Effectivement, leur seule faiblesse est lemanque de cohésion entre les pierres, qui lesmet à la portée de dégradation par des visiteursnon initiés.

Il demeure que ces constructions édifiéessans étaiements, sans coffrages, sans cintreet... sans le secours du calcul, témoignent del'imagination, de l'habileté, du savoir-faire et dugénie humain. Ainsi, elles méritent d'êtreconservées et entretenues au titre de l'art deconstruire.

Le secret de BrunelleschiExtension de l'étude au duomo de la cathé-drale de Florence.

Bien que le duomo (coupole) de la cathédra-le Ste-Marie-de-la-Fleur soit une constructionen maçonnerie de pierres et de briques soigneu-sement assemblées au mortier, et non enpierres sèches, cet ouvrage entre dans l'étudeci-avant pour la vérification de sa stabilité.

Le duomo a été édifié par Brunelleschi entre1420 et 1434 ; il constitue son chef-d'œuvre (fig.53).

On observe d'après la figure 52 que leduomo est édifié sur un tambour octogonal.

Cette coupole est une voûte de dimensionsintérieures : diamètre d = 41,70 m, hauteur h =30,92 m, rayon de courbure R = 33,36 m. Son

élancement est donc h = 30,92 = 0,74.d 41,70On vérifie en se reportant au tableau-guide

(p. 36) que son diamètre est très largementsupérieur à dmini.

La construction est donc autostable, et toutle génie de Brunelleschi est d'en avoir eu laprescience pour risquer de l'édifier sans cintre,contre l'avis de ses contemporains.

Le secret de Brunelleschi reposait donc surson analyse intuitive de la répartition descharges et des déformations qui l'ont persuadéde l'autostabilité de la coupole, ce que le calculconfirme.

45

Fig. 50 - Tombeau d’Agamemnon à Mycènes.Le couloir d’entrée (dromos) de 6 m de large et 36 m de

long est bordé de murs cyclopéens.

Fig. 51 - Tombeaud'Agamemnon àMycènes. Vue inté-rieure de la coupole(la tholos). Onobserve le grand lin-teau (120 t), le tri-angle de déchargeet la maçonnerie depierres parfaitementassisées et ajus-tées.

Constructions

Borie hémisphériqueBorie ogivaleBarraca SalamoBarraca Binisaida

Tombeau d'Agamemnon

Diamètred

4,00 m4,00 m8,95 m8,50 m

14,60 m

Hauteurh

2,00 m3,50 m5,50 m6,00 m

13,40 m

Elancementh/d

0,500,8750,620,70

0,92

Volume de pierre

37 m3

27 m3

214 m3

275 m3

765 m3

(1912 t)

max. surparallèle

0,440,25

11,3

1,33

4,45

sur lafondation

0,360,600,870,70

1,83

6,12

Contraintes (bar)

avant remblai

après remblai

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Toutefois, la construction étant établie surune base (tambour) non pas circulaire maisoctogonale, on a observé, à partir de la fin duXVIIe siècle, le développement de fissures dansla voûte, localisées surtout dans tous les angles.

Ce phénomène s'explique par les forces detraction qui s'exercent sur les côtés adjacentsde l'octogone, à la base, qui tendent à ouvrir lesangles (fig. 52).

On remarque que ces fissures affectent lapartie inférieure en extension de la coupole etqu'elles sont absentes dans la partie supérieure

comprimée, ce qui confirme les résultats del'analyse mathématique.

Brunelleschi n'est pas responsable de cettefissuration car le tambour était construitlorsque les Fabriciens lui confièrent la construc-tion du duomo.

Il demeure que le duomo reste un modèlesublime de coupole. Michel-Ange, qui vint levoir avant d'entreprendre la coupole de St-Pierre de Rome, avait coutume de dire qu'il étaitdifficile de l'imiter, impossible de le surpasser,autrement dit "Ma coupole (St-Pierre) sera plusgrande, mais elle ne sera pas plus belle."

ANNEXE IStatique des coques de révolution

1 - Equations générales d'équilibre

Le calcul des coques de révolution édifiéesen pierres sèches est établi à partir de la théo-rie des membranes développée par S. TIMO-SHENKO.

On étudie l’équilibre d’un élément infini-ment petit de surface de coque compris entre 2méridiens et 2 plans parallèles et horizontauxtrès proches.

Cet élément est en équilibre sous l’actiondes forces Nϕj tangente au méridien, Nθq tangenteau parallèle et de son poids propre p.

On néglige l’effet des moments fléchissantsqui sont très faibles.

1 - Dans le plan méridien, les forces appliquéessuivant la tangente sont :

- les forces Nϕ r dθ et Nϕ r dθ +d (r Nϕ) dϕ dθ dϕ

sont inégales et opposées ; leur différence d (r Nϕ) dϕ dθ est seule agissante ;dϕ

- Les forces Nθ r1 dϕ sont égales et opposées ;formant un angle dθ entre elles, elles ont unerésultante Nθ r1 dϕ dθ située dans leur plan et

46

Fig. 53 - Le duomo de la cathédrale de Florence.

Fig. 52 - Coupe élévation du duomo de la cathédrale deFlorence et schéma de la fissuration de la coupole.

Page 14: stabilité des coupoles en pierres sèches édifiées sans cintre

dirigée vers l'axe de symétrie ; sa composantesuivant la tangente au méridien est Nθ r1 dϕ dθcosϕ ;- le poids p de la coque a une composante pϕdirigée suivant la tagente au méridien, donnantune force égale à pϕ r r1 dθ dϕ, r dθ r1 dϕ étantla surface de l'élément de coque.- L'équilibre de ces 3 forces donne l'équation :d (r Nϕ) dϕ dθ-Nθ r1 dθ dϕ cosϕ + pϕ r r1dθ dϕ = 0dϕ

En divisant par dϕ dθ, il reste l'équation 1 :d (r Nϕ) - Nθ r1 cosϕ + pϕ r r1 = 0dϕ

2 - Equilibre des forces normales à la coque(plan 0D perpendiculaire au plan méridien).- Les forces Nϕ r dθ formant un angle dϕ ont unerésultante normale à la coque égale à Nϕ r dθ dϕ.- Les forces Nθ r1 dϕ formant un angle dθ ontune résultante Nθ r1 dϕ dθ qui a une composan-te normale à la coque dirigée vers l'intérieurégale à Nθ r1 dϕ dθ sinϕ.- La composante de la charge verticale est : -pr r r1 dθ dϕ.

- L'équilibre de ces forces donne, en divisant pardθ dϕ :Nϕ r -Nθ r1 sinϕ -pr r r1 = 0En divisant par r r1 et en remarquant que r = r2

x sinϕ, on a l'équation 2 :Nϕ + Nθ - pr = 0 r1 r2

2 - Calcul de Nϕj et Nθq

L'équation 2 donne l'équation 3 :

Nθ = (-Nϕ + pr) r2 = -Nϕr2 + pr r2r1 r1

En portant cette valeur dans l'équation 1 :d (Nϕ r) -r1 (-Nϕ + pr) r2 cosϕ + pϕ r r1 = 0 soitdϕ r1d (Nϕ r) + Nϕ r2 cosϕ -r1 r2 pr cosϕ + pϕ r r1 = 0dϕEn multipliant par sinϕ et en tenant compte quer = r2 sinϕ : d (Nϕ r) sinϕ + r Nϕ cosϕ = r1 r2 pr cosϕ sinϕdϕ -r r1 pϕ sin2ϕEn intégrant :

Nϕ r sinϕ = ∫ (r1 r2 pr cosϕ sinϕ -r r1 pϕ sin2ϕ) dϕ

En remplaçant r par r2 sinϕ, on a l'équation 4 :

Nϕ = 1 x ∫ r1 r2 (pr cosϕ -pϕ sinϕ) sinϕ dϕr2 sin2ϕ

Dans le cas des coques étudiées, le méridienest un arc de cercle de rayon R. Donc :r1 = R r2 = r = R (1 - sinϕ0)

sinϕ sinϕLa coque est supposée d'épaisseur constante.Son poids unitaire p apour composantes :pϕ = p sinϕpr = -p cosϕOn intègre l'équation4 entre les limites : ϕ0 (sommet) et ϕ :

Nϕ = 1

x ∫ϕ0

ϕR x R (1 - sinϕ0)R (1 - sinϕ0)

sin2ϕ sinϕsinϕ

x (-p cos2ϕ -p sin2ϕ) sinϕ cosϕ dϕ

Nϕ = - pR x ∫ϕ 0

ϕ(sinϕ −sinϕ0) dϕ

(sinϕ −sinϕ0) sinϕNϕ = - pR x (cosϕ0 -cosϕ) -(ϕ -ϕ0) sinϕ0

(sinϕ -sinϕ0) sinϕNθ = (Nϕ - pr) r2 = Nϕ

r2 - pr r2r1 r1

Nθ = pR x (cosϕ0 -cosϕ) - (ϕ -ϕ0) sinϕ0(sinϕ -sinϕ0) sinϕ

R (1 - sinϕ0)sinϕx -p cosϕ R (1 - sinϕ0)R sinϕ

Nθ = - pR [(ϕ -ϕ0) sinϕ0 - (cosϕ0 -cosϕ) sin2ϕ

+ (sinϕ -sinϕ0) sinϕ cosϕ]En inversant le signe de ces équations, on al'équation 5 :

Nϕ = pR x (cosϕ0 -cosϕ) -(ϕ -ϕ0) sinϕ0

(sinϕ -sinϕ0) sinϕet l'équation 6 :

Nθ = pR x 1 [(ϕ -ϕ0) sinϕ0 -(cosϕ0 -cosϕ)sin2ϕ

+ (sinϕ - sinϕo) sinϕ cosϕ]ANNEXE II

Conditions de stabilité des coques

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Nθ r1 dϕ

Nϕ rdθ = d (rNϕ) dϕdθdϕ

Nϕ rdθ

Nθ r1 dϕ

Page 15: stabilité des coupoles en pierres sèches édifiées sans cintre

Dans la partie supérieure comprimée : lescontraintes de compression sont faibles (infé-rieures à 2 bars pour une contrainte admissiblede 15 bars).

Dans la partie inférieure en extension : lasection de base est la plus sollicitée.

Nθ est engendré par l'effet d'extension uni-taire q (c'est-à-dire la poussée).

Sur un élément infiniment petit ds de la

coque, la poussée est : q ds = q r dαSa composante horizontale est : qr dα cosα.sur le 1/4 de circonférence C0 C1, la pousséehorizontale est :

α = π α = π2 2

Nq =∫α = 0 qr dα cosα = qr ∫α = 0 cosα = qr = q d2

D'où l'équation 3 : q = 2 Nθd

Pour un coefficient de frottement f = 0,50, la sé-curité au glissement est assurée si q ≤ 0,50 Nϕ,soit, en tenant compte de l'équation 3 :2 Nθ ≤ 0,50 Nϕ soit 2 Nθ ≤ 0,50

d d Nϕ

ou d ≥ 4 Nθ soit : Nϕ dmini = 4 Nθ

ΝϕConclusions

1°/ Toute coque dont le diamètre de base d esttel que d ≥ dmini est autostable. C'est le cas de laplupart des coques.

2°/ On appelle élancement le rapport : h = hauteur intérieure d diamètre intérieur de la baseA élancement h égal, on a :

dNθ = Cte (constante), soit q = 2Nθ = 2 x CteNϕ Nϕ dNϕ dla sécurité au glissement q est inversement pro-

Nϕportionnelle au diamètre d. Autrement dit, plus le diamètre est grand, plus la coque est stable.

ANNEXE III

Coefficient de frottement

L'angle de frottement interne α des pierressèches varie de α = 32° à α = 39°, correspondantà un coefficient de frottement f = variable def = tg 32° = 0,62 à f = tg 39° = 0,80.

Compte tenu d'un coefficient de sécurité de1,25, on prendra pour f la valeur :

fadm = 0,62 = 0,50.1,25

ANNEXE IV

Calcul des contraintes

En partie supérieure (comprimée) de lacoque, les lits de pierres sont soumis à :- une charge verticale due à Nϕ, donnant une

contrainte de compression σ1 = Nϕ, S étant l'aire Sunitaire de la section plane considérée ;- un effort horizontal dû à Nθ, donnant unecontrainte de compression σ2 = Nθ, l étant la lar-

lgeur de l'anneau considéré.

En partie inférieure (en extension) de lacoque, la section, la plus sollicitée est la section

de base.Cette section est soumise à :

- une charge verticale unitaire due à Nϕ, don-nant une contrainte de compression σ1 = Nϕ, S

Sétant l'aire unitaire de la section, σ1 représentela contrainte de compression sur le sol de fon-dation.

- un effort horizontal unitaire d'extension q dû à

Nθ tel que q = 2Nθ, d étant le diamètre intérieur d

de la base de la coque.En prenant un coefficient de frottement f =

0,50, la stabilité sera assurée pour q ≤ 0,50 Nϕ.

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