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Université catholique de Louvain Faculté de psychologie
et des sciences de l'éducation
Spiritualité et éducation : le cas de la pédagogie Steiner
Examen théorique critique
& Conceptions des parents et professeurs
au sein d’une école belge
Promoteurs : Professeur J.M. Day Professeur J-L. Brackelaire
Mémoire présenté par
Eline Pont
en vue de l'obtention du grade de
Master en Sciences Psychologiques Finalité spécialisée : Education et développement de l’enfant
Louvain-la-Neuve 2009-2010
1
Transmettre, ce n’est pas remplir un vase, c’est allumer un feu.
Michel de Montaigne
Les maîtres d’école sont des jardiniers en intelligence humaine.
Victor Hugo
Une société ne se dévoile nulle part plus clairement que dans la façon dont elle traite ses enfants.
Notre succès se mesure au bien-être et au bonheur de nos enfants.
Nelson Mandela1
1 Discours prononcé lors de l’ouverture d’un centre pédagogique Steiner dans un bidonville d’Afrique du Sud en 1998.
3
REMERCIEMENTS
C’est tout d’abord vers les deux promoteurs de ce mémoire, le Professeur James M. Day et le Professeur Jean-Luc Brackelaire, que je désire manifester ma plus vive reconnaissance pour le soutien et les précieux conseils qu’ils m’ont octroyés tout au long de la démarche. Leur collaboration fructueuse m’a permis de bénéficier d’un encadrement d’une qualité remarquable et pédagogiquement exemplaire.
Je remercie ensuite très sincèrement l’école Steiner pour la confiance qu’elle m’a
accordée en me permettant de partager un peu de son intimité quotidienne, et plus particulièrement Madame Laurence Lamfalussy et Madame Marie-Sophie Nagant qui se sont occupées du suivi et de l’organisation de ma présence au sein de l’école. Merci bien sûr à tous les professeurs qui m’ont chaleureusement accueillie dans leur classe, et aux parents qui ont collaboré à la recherche.
Merci à Aline Wauters qui m’a aiguillée vers l’école, à Viviane et Philippe Planche,
ainsi qu’à Françoise et Luc Lismont, pour l’énergie qu’ils ont consacrée en vue de m’apporter leurs explications passionnées et passionnantes quant à la pédagogie Steiner.
Je suis aussi très reconnaissante envers Mademoiselle Gentiane Boudrenghien,
pour l’aide apportée lors du traitement statistique des données de mon mémoire, et envers Monsieur Etienne Billat, l’informaticien qui a permis leur encodage par lecture optique.
Merci à Pierre Rabhi, Ma Premo et Louise-Marie Toussaint qui ont guidé mes pas
depuis la révélation intérieure de cette passion pour la psychologie de l’enfant et de l’éducation jusqu’à la découverte intrigante de la pédagogie Steiner.
Merci à Siméon de Hey, pour son amour, sa présence, sa foi et tout ce que nous
avons eu le bonheur de partager et de traverser. Merci aussi pour sa patience, son implication et son soutien.
Merci à Bao Long Dang Van, ce précieux ami. Les mots ne pourraient retracer ni la
richesse intérieure qu’il m’a permise de développer au fil de nos profondes discussions, ni la générosité avec laquelle il a donné de son temps pour m’aider dans ce qui me dépasse !
Merci encore à tous ceux qui ont contribué de près ou de loin à la réalisation de ce
mémoire, soit par nos échanges et conversations, soit par leurs critiques, leur soutien, leur relecture, leur amitié ou encore leur simple présence.
Merci aux professeurs qui ont marqué mon parcours. Ils m’ont permis de trouver
progressivement le chemin qui fait sens pour moi. Celui-ci aboutit aujourd’hui à cette recherche qui, je l’espère, portera ses fruits.
Je remercie enfin du fond du cœur mes parents qui m’ont offert la vie et ont fait tout
leur possible pour que je puisse m’épanouir au sein de celle-ci.
4
TABLE DES MATIERES INTRODUCTION .................................................................................................................9
PREMIÈRE PARTIE : EXAMEN THÉORIQUE ET CRITIQUE ..............................................13
1 La pédagogie Steiner : mise en contexte .............................................................13
1.1 Émergence des pédagogies alternatives............................................................14 1.1.1 Le rôle de l’école : éducation ou instruction ? ..........................................14 1.1.2 Critiques du système éducatif moderne ....................................................15
1.2 Le choix de la pédagogie Steiner comme ancrage de réflexion.......................16 1.2.1 La scène internationale..............................................................................16 1.2.2 Un phénomène peu étudié académiquement.............................................17 1.2.3 Défis de la recherche.................................................................................19
2 La spiritualité : repères théoriques .....................................................................20
2.1 Distinction entre spiritualité et religion ...........................................................21
2.2 Fonctions de la religion et de la spiritualité dans la société contemporaine....22
2.3 La spiritualité : une dimension pertinente en sciences psychologiques...........24 2.3.1 Spiritualité et santé....................................................................................24 2.3.2 Spiritualité et créativité .............................................................................24 2.3.3 Spiritualité et féminité...............................................................................25
2.4 Enjeux sociétaux de la spiritualité ...................................................................27
2.5 Approche développementale de la spiritualité .................................................28 2.5.1 Bref historique du concept de développement spirituel............................28 2.5.2 Le développement spirituel de l’enfant.....................................................30 2.5.3 Impact des structures éducatives sur le développement spirituel .............32
2.6 Opérationnalisation et mesures de la spiritualité .............................................33
3 Présentation de la pédagogie Steiner...................................................................34
3.1 Caractéristiques générales des écoles Steiner-Waldorf ...................................35
3.2 Quelques mots sur Rudolf Steiner (Kraljevic, 1861 – Dornach, 1925) ...........36
3.3 Le fondement théorique de la pédagogie : l’anthroposophie...........................38
3.4 Projet pédagogique de Steiner .........................................................................40
4 Mise en perspective de la pédagogie Steiner au regard des recherches en psychologie.................................................................................................................41
4.1 Analyse des fondements théoriques de la pédagogie Steiner ..........................41 4.1.1 La pédagogie Steiner et la psychologie de l’éducation et du développement ....................................................................................................41 4.1.2 Les propositions de Steiner et la psychologie jungienne ..........................43
4.2 Recherches récentes sur la pédagogie Steiner..................................................45 4.2.1 Des pratiques fructueuses basées sur une théorie douteuse .......................45 4.2.2 Les recherches sur l’articulation entre éducation scolaire et familiale .....46 4.2.3 Les recherches sur la dimension spirituelle des écoles Steiner.................48
5 Synthèse de la partie théorique............................................................................50
5
DEUXIÈME PARTIE : ÉTUDE DE TERRAIN AU SEIN D ’UNE ÉCOLE STEINER BELGE .......53
1 Présentation de la recherche ................................................................................53
1.1 Objectifs de la recherche..................................................................................53
1.2 Hypothèses de recherche..................................................................................54
2 Méthodologie .........................................................................................................55
2.1 Observation participante ..................................................................................55
2.2 Questionnaires...................................................................................................57
2.3 Entretiens .........................................................................................................58
3 Résultats ................................................................................................................60
3.1 Observation participante ..................................................................................61 3.1.1 Brève présentation de l’école ....................................................................61 3.1.2 Le secrétariat .............................................................................................62 3.1.3 Les fêtes ....................................................................................................63 3.1.4 Les jardins d’enfants .................................................................................64 3.1.5 Les classes primaires.................................................................................65
3.2 Questionnaires..................................................................................................67 3.2.1 Questionnaire sur l’attitude religieuse ......................................................67 3.2.2 Questionnaire sur la place de la spiritualité dans l’éducation...................68
a) Le regard porté sur la pédagogie de manière générale................................69 b) La spiritualité ..............................................................................................69 c) L’école Steiner et sa dimension spirituelle .................................................70 d) Le développement spirituel de l’enfant ......................................................71 e) R. Steiner et l’anthroposophie.....................................................................71 f) Les relations entre parents et professeurs au sein de l’école .......................72 g) Les caractéristiques des personnes fréquentant l’école ..............................72
3.3 Entretiens..........................................................................................................73 3.3.1 Le rapport à la religion..............................................................................73 3.3.2 Le rapport à la spiritualité et son importance dans l’éducation ................74 3.3.3 Le lien entre spiritualité et anthroposophie...............................................76 3.3.4 Le rapport des parents à l’anthroposophie ................................................77 3.3.5 Les relations entre enseignants et parents .................................................77 3.3.6 Le dilemme entre compréhension de l’anthroposophie et rayonnement des pratiques pédagogiques.................................................................................78 3.3.7 Les actions à mettre en place pour étendre une pédagogie marginalisée..79 3.3.8 Retour sur les questionnaires ....................................................................80 3.3.9 Les caractéristiques des personnes fréquentant l’école.............................80 3.3.10 Le lien entre féminité et spiritualité ........................................................81
3. 4 Synthèse des principaux résultats ...................................................................82
CONCLUSION ...................................................................................................................85
BIBLIOGRAPHIE ..............................................................................................................91
ANNEXES.......................................................................................................................107
6
TABLES DES ANNEXES
ANNEXE 1 : EVOLUTION CHRONOLOGIQUE DES DIFFÉRENTES ÉTAPES DE LA RECHERCHE..........................107
ANNEXE 2 : RÉPARTITION DES ÉCOLES STEINER À TRAVERS LE MONDE......................................................109
ANNEXE 3 : STRUCTURE ET FONCTIONNEMENT ORGANISATIONNELS DE L’ÉCOLE STEINER.......................110
ANNEXE 4 : PRÉSENTATION DU DÉBAT SUR LES ENJEUX ACTUELS DE L’ÉDUCATION ..................................113
ANNEXE 5 : BASES PHILOSOPHIQUES DE LA PÉDAGOGIE STEINER...............................................................114
ANNEXE 6 : PROJET ÉDUCATIF, PROJET PÉDAGOGIQUE, PROJET D’ÉTABLISSEMENT DE L’ÉCOLE STEINER..115
ANNEXE 7 : RYTHME D’UNE JOURNÉE ET D’UNE SEMAINE TYPES AU JARDIN D’ENFANTS...........................124
ANNEXE 8 : QUESTIONNAIRE DISTRIBUÉ AUX PARENTS ET PROFESSEURS...................................................125
ANNEXE 9 : RÉSUMÉ DES RÉSULTATS AUX QUESTIONNAIRES......................................................................130
ANNEXE 10 : EXTRAITS DE RÉPONSES AUX QUESTIONS OUVERTES................................................................137
ANNEXE 11 : TABLEAUX CROISÉS SELON DEUX DIMENSIONS DANS LE CHOIX DE L’ÉCOLE..........................139
ANNEXE 12 : RETRANSCRIPTION D'UNE DISCUSSION AVEC DEUX ANCIENS PROFESSEURS.............................140
ANNEXE 13 : GUIDE D’ENTRETIENS................................................................................................................146
ANNEXE 14 : RETRANSCRIPTION DES 13 ENTRETIENS SEMI-STRUCTURÉS RÉALISÉS.....................................147
A) Professeurs .......................................................................................................................148
Entretien n°1 .....................................................................................................................148
Entretien n°2 .....................................................................................................................152
Entretien n°3 .....................................................................................................................158
Entretien n°4 .....................................................................................................................161
Entretien n°5 .....................................................................................................................164
Entretien n°6 .....................................................................................................................169
Entretien n°7 .....................................................................................................................172
7
B) Parents ............................................................................................................................. 175
Entretien n°1..................................................................................................................... 175
Entretien n°2..................................................................................................................... 179
Entretien n°3..................................................................................................................... 183
Entretien n°4..................................................................................................................... 189
Entretien n°5..................................................................................................................... 191
Entertien n°6..................................................................................................................... 194
9
INTRODUCTION
Dans chaque couple qui s’enlace et porte la promesse d’un enfant, Dans chaque enfant qui ouvre les yeux sur le monde,
Il y a l’espoir d’un monde meilleur. C’est le désespoir qui cloue les hommes à leur croix.
On ne peut aveugler un enfant et exiger de lui qu’il soit le Voyant qui sauve.
Hélène Grimaud
Cette recherche vise à interroger la place que peut occuper la spiritualité dans
l’éducation scolaire contemporaine. En psychologie, de nombreux débats ont animé les
concepts de spiritualité et de religion ainsi que la fonction qu’ils remplissent
aujourd’hui dans la vie des individus. Comme l'ont montré Gauchet (1986) et les
chercheurs qui sont dans sa perspective, l'individualisme libéral s'ouvre sur la fin de la
religion et des garants méta-sociaux en Occident. L’époque où des institutions
religieuses s’érigeaient en instances organisatrices de la société appartient au passé
(Lipovetsky, 1984). La postmodernité a relativisé le Vrai et l’Absolu en prônant la
multiplicité et la relativité des points de vue (Lyotard, 1983). Désormais, la tradition
religieuse ne s’impose plus en tant que système collectif guidant l’ensemble d’une
communauté. Elle peut toujours être au fondement de la vie d’un individu, mais résulte
d’un choix personnel, parmi d’autres sources de pratiques et croyances permettant de
vivre des expériences spirituelles (Lipovetsky, 2004). En Occident, la déchristianisation
est un fait, mais, comme nous le verrons, celui-ci ne correspond pas à un manque
d’intérêt pour les questions de sens et de transcendance. Ce mémoire propose d’étudier
dans quelle mesure ces questions poussent certains parents à inscrire leurs enfants, et
certains professeurs à enseigner, au sein d’une école dont la pédagogie se dit basée sur
des fondements spirituels.
Pour Armon & Dawson (2002), il est capital de réfléchir aux conséquences de la
manière dont les adultes raisonnent à propos des valeurs, étant donné qu’ils créent les
règles sociales et déterminent les pratiques parentales d’éducation. Tout ce qui touche à
la vie familiale et, plus largement, au fonctionnement social est très marqué par
l’influence d’idéologies (Ricoeur, 1978), parfois en contradiction, variables selon les
époques, accentuant successivement des théories et pratiques opposées. Renders (1994),
Merleau-Ponty (2001), Quentel (2008) et Quentel et al. (2004) ont montré à quel point il
est important d’interroger l’impact du regard qu’une société ou une époque porte sur
10
l’enfant. Les travaux de Marrou (1948), d’Ariès (1973), de Shorter (1981) et de Servais
(2000) sont très intéressants à consulter à ce sujet. Dans nos sociétés modernes, l’enfant
est un être qui a des droits2. Une charte lui est consacrée et beaucoup d’études décrivant
avec finesse les étapes de construction de sa personnalité et l’importance des premières
années pour son évolution future sont réalisées. Comme l’a montré Piaget (1969), les
différentes conceptions de l’être humain, du développement de l’enfant et des
apprentissages entraînent la mise en place de pratiques pédagogiques très diversifiées,
qui à leur tour engendrent potentiellement un développement spécifique de l’enfant. Un
des enjeux sous-jacents à notre recherche peut se formuler comme tel : En quoi l’école
transmet-elle une formation à la relation humaine, un rapport au monde, un savoir-
être ?
Après une revue de la littérature approfondie des principales pédagogies alternatives
pratiquées dans les sociétés occidentales (Decroly, 1932 ; Illich, 1971 ; Rogers, 1973 ;
Freinet, 1977 ; Neill, 1985 ; Pestalozzi, 1985 ; Resweber, 1986 ; Montessori, 1989 ;
Houssaye, 1994 ; Shankland, 2007), nous avons décidé de nous focaliser sur celle de
Rudolf Steiner (1861-1925) qui prétend se fonder sur des bases spirituelles (Steiner,
2006)3. Dans la pédagogie Steiner (appelée aussi pédagogie Waldorf), la spiritualité
structure une philosophie de l’éducation à partir de laquelle des objectifs spécifiques au
développement de l’enfant sont opérationnalisés. Pour Steiner (1998), le matérialisme
poussé à l’extrême avec la modernité alimente de nombreuses souffrances, car il ne
nourrit pas les questions sur l’essence de l’homme et du monde que les êtres humains
éprouvent pourtant comme une nécessité vitale (Saroglou & Hutsebaut, 2001). En
matière d’éducation, les idées de Steiner restent jusqu’à présent peu étudiées hors des
milieux qui adhèrent à son système de pensée associé souvent à un jargon ésotérique
incompréhensible, voire sectaire et dangereux. En connaissance de cause et par un choix
mûrement réfléchi, nous avons souhaité entreprendre une démarche scientifique qui
permette de rendre compte de la place qu’occupe la spiritualité au sein de la pédagogie
Steiner, à partir d’une étude théorique enrichie d’un ancrage sur le terrain. D’une part,
2 La convention relative aux droits de l’enfant adoptée par l’Assemblée Générale des Nations Unies le 20 novembre 1989 et ratifiée par la majorité des pays souligne le droit de l’enfant à un niveau de vie suffisant pour permettre son développement physique, mental, spirituel, moral et social. 3 Les écrits de R. Steiner sont principalement issus de conférences prononcées oralement qui ont été ultérieurement retranscrites et regroupées au sein d’ouvrages par les adhérents à sa pensée (ce qui invite d’ailleurs à une certaine prudence quant à leur interprétation). Dans un souci de permettre au lecteur de retrouver le plus facilement possible les références bibliographiques proposées dans ce mémoire, nous n’avons pas repris toutes les éditions et traductions effectuées, trop nombreuses pour que les sources utilisées puissent être appréhendées de manière claire. Nous n'indiquons donc que l'édition consultée.
11
les pratiques pédagogiques des professeurs ont été analysées afin de voir en quoi elles
se rapprochaient des propositions de Steiner. D’autre part, les conceptions des parents et
des professeurs quant à l’importance de la spiritualité dans l’école ont été interrogées.
L’annexe 1 reprend de manière précise et synthétique l’évolution chronologique des
différentes étapes de notre recherche.
Une première partie propose un examen théorique critique de la pédagogie Steiner
au regard de différentes recherches scientifiques en psychologie de l’éducation et du
développement de l’enfant et en psychologie de la religion, afin d’analyser la fonction
que remplit la dimension spirituelle dans cette pédagogie, à partir de quelques enjeux
contemporains relatifs à la spiritualité, à la religion et au développement spirituel
soulevés dans des études récentes. Cette première étape a permis de préparer les
questions abordées dans le volet empirique du mémoire.
Une seconde partie approfondit nos découvertes théoriques en explorant la manière
dont les principes pédagogiques de Steiner, largement inspirés d’une conception
spirituelle de la vie, sont aujourd’hui appréhendés et intégrés par les parents et les
professeurs au sein d’une école Steiner maternelle et primaire en Belgique. Un design
multi-méthodes a été employé, via un recueil de données en trois temps : d’abord, une
période d’observation participante au sein des différentes classes de l’école, ensuite,
une enquête par questionnaires proposée à tous les parents et professeurs de l’école afin
de dégager certaines sous-questions qui ont été approfondies, enfin, grâce à quelques
entretiens semi-structurés réalisés avec des personnes choisies selon différents profils
relatifs à la spiritualité dégagés grâce aux questionnaires. La complémentarité de ces
méthodes a permis de croiser différents regards et angles d’approche pour aborder la
question de recherche suivante : Comment la spiritualité est-elle perçue et vécue par les
parents et professeurs de l’école Steiner4 ? Cette interrogation sous-tend plusieurs
enjeux psychiques et sociaux contemporains : Qu’est-ce que le développement spirituel
de l’enfant ? De quelle manière se traduit-il ? Quand et comment faut-il y prêter
attention ? Une structure éducative peut-elle aider au déroulement de ce qui se joue
dans l’enfance à ce niveau ?
4 Tout au long du mémoire, nous désignerons ainsi l’école où nous avons effectué notre recherche.
13
PREMIERE PARTIE : EXAMEN THEORIQUE CRITIQUE
Quand dans l’homme surgit la demande de sens, Quand l’homme, attiré par la connaissance de soi-même,
Commence à explorer ce qui lui est intérieur, Quand il commence à observer le monde, à écouter, à penser, à méditer, à interpréter,
Et par conséquent à choisir, à décider, à assumer des sentiments et des comportements, Alors commence en lui la vie spirituelle.
Enzo Bianchi
Cette première partie vise à situer théoriquement la question de recherche qui a
guidé la partie empirique de notre étude : Quelles sont les conceptions et
représentations de la spiritualité qu’ont parents et professeurs de l’école Steiner et
comment la spiritualité est-elle vécue au sein de l’école ? Cette interrogation s’inscrit en
effet dans un contexte plus large, celui des enjeux liés à la place et à la fonction que la
religion et la spiritualité occupent dans la société contemporaine. Afin de clarifier et
situer parmi les recherches en psychologie les principes spirituels sur lesquels repose la
pédagogie Steiner, nous allons d’abord revenir sur notre choix d’étudier cette
pédagogie. Nous exposons ensuite quelques repères théoriques permettant d’interroger
la dimension spirituelle et d’envisager à travers des recherches récentes, après une
description concise et générale de la pédagogie Steiner, la manière dont la spiritualité se
vit actuellement au sein des écoles Steiner.
1 La pédagogie Steiner : mise en contexte
Dans ce premier chapitre, nous présentons, après avoir montré en quoi les
pédagogies alternatives visent à solutionner certaines critiques adressées au système
scolaire traditionnel, les raisons pour lesquelles il nous paraît judicieux de nous pencher
sur la dimension spirituelle propre à la pédagogie Steiner.
14
1.1 Émergence des pédagogies alternatives
1.1.1 Le rôle de l’école : éducation ou instruction ?
La promotion du développement de la personne, les chances égales d’émancipation
sociale, la préparation à devenir des citoyens responsables, capables de contribuer au
développement d’une société démocratique, solidaire, pluraliste et ouverte aux autres
cultures, l’appropriation de savoirs et de compétences rendant les élèves aptes à prendre
une place active dans la vie économique, culturelle et sociale : telles sont les missions
prioritaires de l’enseignement définies par la Communauté française5. Comme nous
allons le voir, ces missions semblent davantage éducatives qu’instructives.
Beaucoup de chercheurs se sont interrogés sur la différence entre instruction et
éducation (e.g. Trinquier, 2001). Selon Lobrot (1992), l’école ne se définirait pas
uniquement par son rôle d’instruction, mais aussi par sa mission éducative. La
distinction suivante, proposée par Bovet (1951), semble pertinente eu égard aux
propositions qui vont être développées. L’instruction s’entend au sens des
connaissances que l’on acquiert et par lesquelles on devient habile et savant, elle est
donc relative à l’esprit. L’éducation est reliée à la fois au cœur et à l’esprit. L’approche
classique de Maslow (1968), bien que contestée sur certains points à juste titre
(e.g. Rimé, 2005), mérite ici d’être rappelée : pour un développement harmonieux de sa
personnalité, tout enfant a besoin d’amour et de sécurité, d’expériences nouvelles,
d’éloges et d’estime, de responsabilité et d’autonomie. L’éducation se définit comme
étant la formation de l’esprit ainsi que le développement du sens moral et d’aptitudes
intellectuelles et physiques. Il s’agit donc des connaissances et des directions morales
que l’on est amené à découvrir. Pour Barbier (2009), comprendre le terme éduquer dans
toutes ses dimensions implique un élargissement du processus de connaissance et une
réhabilitation de toutes les dimensions de l’être humain, en particulier contemplatives,
sensibles et poétiques. Derrière toute action éducative se cache une philosophie de
l’éducation sous-jacente qui répond à la question suivante : Quel type d’homme, quel
citoyen voulons-nous former ?
5 Décret de la Communauté française définissant les missions prioritaires de l’enseignement. (1997). Disponible en ligne à l’adresse : http://www.enseignement.be/index.php?page=25230&navi=12. Consulté le 8/03/10.
15
1.1.2 Critiques du système éducatif moderne
Meyer & Rowan (1983) ont précisé que l’organisation bureaucratique des systèmes
scolaires est une construction sociale qui apparaît dans les sociétés modernes aux 19e et
20e siècles. Dans ce contexte, l’école est progressivement devenue l’institution par
excellence chargée d’enrôler les futurs travailleurs et citoyens tout en produisant un
classement des individus. Cette émergence des systèmes scolaires à grande échelle a
largement modifié les structures de l’école.
Pour Lievegoed (1993), l’industrialisation a fait de l’idéal pédagogique moderne un
idéal pratique : ce fut l’ère du spécialiste, cette personne parfaitement ajustée à la
production, qui est en fait un maillon dans la complexe machinerie économique. Cette
conception matérialiste de l’individu est à l’origine du culte de l’accumulation de
connaissances, parce que le savoir est synonyme de pouvoir, et non parce que le savoir
peut conduire à la sagesse. L’éducation est basée, selon ce chercheur, sur un point de
vue qui nous vient du 19e siècle, selon lequel l’enfant est une tabula rasa devant
acquérir le plus efficacement possible une certaine somme de connaissances. La
scolarité porte dès lors ce caractère individualiste et très matérialiste. L’idéal selon
lequel un être humain doit être éduqué pour devenir une personne harmonieuse, faisant
l’acquisition de compétences pratiques, mais représentant aussi la beauté, la sagesse et
la culture, ne semble plus jouer un rôle très important dans la scolarité conventionnelle
actuelle, dont les bases devraient dès lors sans doute être revisitées.
Dans de nombreux travaux philosophiques et sociologiques récents, l’importance de
l’éducation en tant que levier d’action pour l’évolution des dynamiques sociales a été
soulignée (e.g Maesschalck, 2001). Latouche (2006) dénonce la scolarité de masse et
précise qu’il est nécessaire de s’appuyer sur d’autres traditions et de s’enrichir de leurs
apports. Pour lui, nos esprits ont été colonisés par l’éducation, la manipulation
médiatique et l’incitation à la consommation. La construction d’une société meilleure
repose donc sur une réforme de l’éducation. Singleton (1990) insiste lui aussi sur le rôle
que la pédagogie doit assumer pour favoriser l’éclosion d’esprits dont l’enrichissement
théorique n’empêche pas l’engagement pratique sans fonctionner à l’instar d’un
paradigme inculquant l’impression que l’avenir ne fera que consolider, par des
retouches minimes, un édifice largement achevé.
16
En psychologie et en sciences de l’éducation, beaucoup de chercheurs se demandent
si le système scolaire traditionnel que nous connaissons permet réellement d’atteindre
les objectifs qu’il se donne (e.g. Blais, 2002). Lobrot (1992) soulignait déjà que l’école
était incapable de créer le goût et le désir de savoir, autrement dit la disposition
psychologique profonde à la recherche et à la connaissance. De La Rosa (1998) allait
jusqu’à affirmer que l’expérience scolaire était un des facteurs majeurs expliquant
l’apparition de troubles psychologiques dans l’enfance. Sembel (2003) dénonçait
l’apprentissage par cœur de savoirs formalisés à l’extrême et largement dépourvus de
possibilités pour l’élève d’y investir du sens, notamment par une activité critique, après
avoir pris le temps nécessaire pour les assimiler. De nombreuses études en sciences de
l’éducation soulignent l’importance d’un enseignement basé sur l’enthousiasme
d’apprendre, et non sur l’angoisse de l’échec ou la compétitivité (e.g. Baruk, 1985 ;
Piaget, 1988 ; Rosenberg, 2003 ; Bourgeois & Chapelle, 2006). Pour Verhelst (2008),
l’homme moderne apprend, dès qu’il est à l’école, à être compétitif par rapport à lui-
même, aux autres, à la nature et à Dieu. Or, selon Dallé (2008), l’école ne doit pas être
le lieu des résultats ni de la compétitivité, mais bien celui de la lenteur nécessaire pour
acquérir des expériences et les ancrer en profondeur. Pour lui, l’école doit se charger de
contribuer au développement de l’enfant aussi équilibré et complet que possible.
Shankland (2007) a montré dans sa méta-analyse que la pédagogie pratiquée dans le
système scolaire traditionnel échoue globalement à remplir sa mission éducative. Elle a
proposé un historique des différentes pédagogies alternatives qui se sont développées
depuis le 19e siècle, à partir de l’impulsion de Rousseau, notamment en vue de
développer la richesse intérieure et l’ouverture des individus. Elle souligne que peu
d’études scientifiques portent sur les pratiques pédagogiques dites alternatives. Il règne
ainsi une certaine méconnaissance qui engendre des représentations souvent erronées de
la façon dont se déroule la scolarité au sein d’une école à pédagogie alternative, et de
l’influence que cette pédagogie peut avoir sur le développement de l’enfant.
1.2 Le choix de la pédagogie Steiner comme ancrage de réflexion
1.2.1 La scène internationale La pédagogie Steiner est en pleine expansion sur les cinq continents. Des recherches
interculturelles quant aux pratiques pédagogiques dans différentes écoles Steiner à
17
travers le monde seraient d’ailleurs très intéressantes à envisager. En 2010, on recense
995 établissements scolaires dans le monde (cf. annexe 2). La plupart sont concentrés en
Europe, principalement en Allemagne et aux Pays-Bas. On observe une augmentation
du nombre d’écoles de 20% ces trois dernières années. Il ne s’agit donc pas d’un effet
de mode isolé, mais bien d’un système éducatif qui existe depuis un siècle et occupe
une place de plus en plus importante sur la scène mondiale. Parmi les pédagogies
innovantes, sans appartenance confessionnelle ou politique, la pédagogie Steiner est
l’une des plus répandues. Ce phénomène mérite donc qu’on s’y arrête. Le succès
reconnu et le rayonnement des activités éducatives issues de l’anthroposophie6
marquent un profond contraste avec le côté fermé et sectaire de l’illuminisme et de
l’occultisme qu’on a pu déjà reprocher à ce système de pensée.
1.2.2 Un phénomène peu étudié académiquement
En dehors des établissements scolaires qui s’appuient sur les grandes traditions
religieuses, la littérature soulevant des interrogations relatives aux écoles qui ont pour
vocation de rendre explicite le rôle de la spiritualité dans l’éducation est assez faible au
sein des sciences psychologiques. De plus, le nombre de recherches abordant les
impacts pédagogiques des propositions théoriques de Steiner étant lui aussi très limité, il
était intéressant de se pencher sur le sujet. Jelinek & Li-Ling (2003) ont rappelé le
besoin criant d’évaluation empirique de la pédagogie Steiner qui attire de plus en plus
parents et professeurs. Ces derniers croient que ce système éducatif favorise davantage
l’engagement des élèves que la pédagogie conventionnelle. Mais il semblerait que les
parents aient une connaissance assez limitée de la pédagogie, et surtout des fondements
spirituels sur lesquels elle repose.
Pour Steiner, une implication des parents et une collaboration entre la famille et
l'école sont requises en vue du développement harmonieux de l’enfant (Glöckler et al.,
2006), ce qui rejoint la théorie de Bronfenbrenner (1981). Ce dernier soutenait
l’importance des intercommunications entre les différents environnements de l’enfant.
Or, une étude réalisée dans 200 écoles Steiner allemandes a par exemple montré que le
degré de satisfaction des parents et des professeurs concernant la vie dans la
communauté de l’école est loin de correspondre au degré d’adhésion à la pédagogie. 6 Doctrine philosophique élaborée par Steiner qui constitue la base sur laquelle reposent la pédagogie Steiner-Waldorf et le mouvement de l’agriculture bio-dynamique, mais aussi différentes institutions médicales ou financières, des laboratoires pharmaceutiques, des universités et de nombreuses écoles d’art.
18
Autant les écoles Steiner sont recherchées pour leur pédagogie, autant les parents
baissent les bras devant les problèmes non résolus dans ces écoles (Colsman, 2005).
Canon et al. (2009) ont souligné le défi contemporain de l’articulation entre familles et
professionnels de l’éducation : chacun sa place, sans confusion de rôles, en vue d’une
alliance éducative et thérapeutique d’un nouveau genre. Actuellement, la répartition des
rôles entre éducation scolaire et familiale est largement problématique et fait l’objet de
nombreuses recherches en sciences de l’éducation (e.g. Blais, 2008). Dès lors, il
semblait d’autant plus pertinent, dans le cas de la pédagogie Steiner qui soutient être
basée sur des fondements spirituels, d’interroger jusqu’où professeurs, pères et mères
partagent le même type de rapport à la dimension spirituelle ainsi que les mêmes
conceptions quant à son importance dans l’éducation de l’enfant et quant aux
responsabilités respectives de la famille et de l’école en ce domaine.
En outre, nous jugions utile de proposer une étude francophone au sujet de la
pédagogie Steiner, la plupart étant anglophones, si ce n’est une recherche coordonnée
par Dallé (2008)7. Dans cette dernière, un collectif de chercheurs attaché à l’Université
de Paris 8 s’était penché, à travers une étude de terrain rigoureuse, sur deux dimensions
essentielles de la pédagogie Steiner : l’art et la spiritualité. Dallé (2008) a souligné
l’approche originale et transdisciplinaire qu’ont les écoles Steiner des dimensions
spirituelle, religieuse et philosophique, selon une pratique moderne. Il ressort de l’étude
que le caractère religieux non confessionnel se manifeste de manière assez subtile au
sein des écoles Steiner-Waldorf.
« C’est un phénomène qui est lié à un vécu, à une expérience, à une manière d’entrer en relation. Il n’y a pas de cours de religion à proprement parler, mais la manière dont les enseignants considèrent les élèves leur permet de sentir qu’il existe une autre dimension à l’être humain, un caractère spirituel, quelque chose qui n’est pas quantifiable et qu’il faut respecter. Ce n’est pas un enseignement dogmatique, mais au contraire, il cherche à rendre plus libre. » (Dallé, 2008, p. 20).
7 En 2003, la Fédération des écoles Steiner en France a décidé de créer un comité pédagogique, constitué d’experts et d’observateurs indépendants, pour porter un regard extérieur sur les principes, méthodes et pratiques mis en œuvre dans les écoles Steiner-Waldorf. Quatre personnalités constituaient ce comité : A. Jacquard (généticien), J-M. Pelt (biologiste), T. Ungerer (ambassadeur du Conseil de l’Europe pour l’enfance et l’éducation) et R. Barbier (Professeur à l’Université de Paris 8, expert en sciences de l’éducation). Suite aux conclusions et recommandations de ce comité pédagogique, un projet de recherche sur les écoles Steiner-Waldorf en France, coordonné par Dallé, a été mis en place par l’université de Paris 8 afin de dégager les aspects particuliers de la pédagogie Waldorf. Le comité a soutenu que cette pédagogie donne un nouveau sens à la vocation du métier de professeur - ce qui semble très important aujourd’hui si on considère la situation des enseignants (Chapelle, 2009) - et laisse une place importante à la dimension spirituelle de l’humain, ce qui sous-tend une certaine philosophie de l’être qu’il est judicieux d’interroger.
19
Cette recherche représente un excellent recueil de données concernant la place du
spirituel dans l’enseignement Steiner en France et nous a dès lors guidés dans notre
travail de terrain développé dans la seconde partie de ce mémoire. Nous avons ainsi pu
comparer les résultats obtenus en France et en Belgique, tout en approfondissant les
pistes de recherche proposées par les chercheurs de Paris 8. L’apport original de notre
démarche est de repartir des conclusions de cette étude et de les confronter aux théories
issues des sciences psychologiques en matière de spiritualité.
1.2.3 Défis de la recherche
Nous allons tenter d’étudier, à partir de notre cadre de travail (c’est-à-dire celui des
sciences psychologiques), un système de pensée qui critique radicalement ce cadre, et
dont la tâche est de retrouver la réalité des processus qui constituent ce que l’on nomme
psychologie. En effet, Steiner (1999) a explicitement déconstruit les deux piliers sur
lesquels repose selon lui la pédagogie : la psychologie et l’éthique. Il prétend que la
première s’est embourbée dans un intellectualisme théorique incapable de comprendre
la vie de l’âme qui représente pourtant l’essence même de la psycho-logie. La seconde
s’effrite également, car les idéaux et devoirs moraux semblent imposés de l’extérieur et
non plus vécus de l’intérieur. Tisser des liens entre deux conceptions a priori différentes
de la psychologie n’est pas une démarche évidente, mais elle nous paraît néanmoins
intéressante dans la mesure où, en cheminant dans nos réflexions, nous espérons
découvrir une complémentarité enrichissante, qui pourrait d’ailleurs constituer une
ressource pour de futures recherches en psychologie.
De plus, ne connaissant strictement rien à la pédagogie Steiner en entamant cette
recherche, notre démarche visait à atteindre un équilibre entre deux attitudes aussi
stériles l’une que l’autre. La première consistait à s’imprégner des théories de Steiner au
point de ne plus faire preuve du recul critique nécessaire pour poser un regard
scientifique sur les considérations du pédagogue. La seconde se traduisait par le rejet de
toute forme de travail scientifique abordant les fondements spirituels de la théorie
steinerienne sous prétexte de mysticisme, de fanatisme, de superstition ou de
sectarisme. C’est la raison pour laquelle, au cours de cette première partie théorique,
nous avons souhaité montrer de quelle manière et jusqu’où il est possible et pertinent de
situer les propos de Steiner dans le champ des sciences psychologiques.
20
Enfin, au niveau de la partie empirique de ce mémoire, l’élaboration d’une relation
de confiance avec une école dont la pédagogie avait été victime d’accusations sectaires
(e.g. Ullrich, 1994 ; Dugan, 2002) représentait un autre défi majeur. Ce fut une étape
d’autant plus délicate du fait que des journalistes avaient préalablement dressé dans la
presse certains portraits de l’école que cette dernière considérait comme superficiels et
erronés. Selon quelques échanges informels avec plusieurs professeurs, il est très facile
de venir passer une heure à filmer des événements qui, une fois sortis de leur contexte,
perdent tout le sens que l’école s’efforce de construire lentement et progressivement,
dans un travail à long terme. Dès lors, dresser une caricature de l’école qui ne rende pas
compte de la réalité et du sens que les gens y construisent est assez facile. Pour nous, il
était question de poser un regard le plus neutre et le plus juste possible. Notre présence
régulière pendant un an au sein de l'établissement scolaire a permis d’établir un lien
solide et fructueux avec les acteurs de l’école puisqu’après deux mois, les professeurs
nous ont accordé tout leur soutien et leurs encouragements dans la recherche, sans
besoin de contrôle ou de censure.
2 La spiritualité : repères théoriques
L’aspect symbolique, spirituel, est beaucoup plus marqué dans les écoles Steiner
que dans d’autres pédagogies alternatives (Shankland, 2007). Comme nous l’avons
souligné précédemment, nous avons choisi de nous pencher sur la pédagogie Steiner car
le fait que celle-ci adopte explicitement une conception de la spiritualité à la base de son
système éducatif nous paraissait particulièrement intéressant à approfondir compte tenu
des interrogations soulevées par la place de la spiritualité dans la société contemporaine.
Avant d’analyser celles-ci, nous proposons, dans ce chapitre consacré à la spiritualité,
de revenir brièvement sur la distinction entre spiritualité et religion. Nous montrons
ensuite en quoi la spiritualité est au cœur de certaines recherches en psychologie et
soulignons quelques enjeux relatifs à la place de la spiritualité en société actuellement.
Nous présentons également l’approche développementale de la spiritualité afin
d’aborder la question du développement spirituel de l’enfant et celle de
l’opérationnalisation des mesures relatives à la spiritualité.
21
2.1 Distinction entre spiritualité et religion
Nous employons, tout au long du mémoire, le terme spiritualité plutôt que celui de
religion, car ce dernier est ambigu. En effet, il nous semble important de distinguer une
religion au sens d’un système de croyances et de pratiques propres à un groupe social de
la religion en tant que conception d’un domaine sacré distinct du profane, destiné à
mettre l’âme humaine en rapport avec Dieu, quels que soient le nom, la forme ou
l’image par lesquels il est symbolisé. On peut alors comprendre la religion comme étant
fort proche de la spiritualité.
La distinction entre ces deux notions a fait l’objet de nombreuses recherches et de
débats animés au sein des sciences psychologiques. Pour une excellente revue de la
littérature à ce sujet, il est judicieux de se référer aux travaux de Hay et al. (2006) ou à
l’étude de Day (2009). Selon ce dernier, Zinnbauer & Pargament (2005) observent qu’il
n’y a pas de consensus clair quant à ce qui distingue religion et spiritualité dans la
manière dont ces concepts ont été traités en sciences psychologiques, mais qu’il existe
néanmoins des contrastes. Religiosité et spiritualité sont toutes deux caractérisées par un
rapport au sacré, mais le religieux est associé à des pratiques institutionnelles, des
croyances et des structures d’autorité liées à des traditions religieuses identifiables,
tandis que le spirituel est envisagé en tant que quête personnelle de sens et expérience
de transcendance quasiment indépendante de toute religion instituée (Jacobi, 1964 ;
Ulanov, 1971 ; Wilber, 1993). Ceci rejoint les considérations d’Oser et al. (2006), pour
qui les deux notions recouvrent au moins partiellement le même domaine : la religion
peut être considérée comme un sous-ensemble de la spiritualité, incluant nécessairement
cette dernière : « elle couvre plutôt l’aspect institutionnel de la foi, ainsi que ses
implications sociologiques » (Krings, 2008, p. 36).
Selon Pargament & Park (1997), la particularité principale de la religion et de la
spiritualité consiste en la dimension sacrée qu’elles impliquent. Pour une étude
approfondie du sacré, nous renvoyons aux travaux d’Otto (1923). Le sacré peut se
comprendre comme étant l’espace dans lequel on entre lorsqu’on vit des expériences
religieuses ou spirituelles. Pour Rabhi (2007), le sacré est ce sentiment humble où la
gratitude, la connaissance, l’émerveillement, le respect et le mystère s’allient pour
inspirer nos actes, les éclairer et faire de nous des êtres très présents au monde, mais
affranchis des vanités et des arrogances qui révèlent bien davantage nos angoisses et nos
faiblesses que notre force. Cette définition du sacré recouvre des dimensions
22
importantes (gratitude, émerveillement, respect, mystère, force) soulevées par Gratz
(2007) dans ses travaux sur l’enchantement. Nous y reviendrons en abordant les écoles
Steiner.
2.2 Fonctions de la religion et de la spiritualité dans la société contemporaine
Hay et al (2006) précisent que la conscience spirituelle naturelle, c’est-à-dire
commune à tous les êtres humains, a été, durant l’histoire européenne, suppléée par une
critique séculaire socialement construite qui dénie sa réalité. Nous allons voir que les
travaux de Jung (1987) ou de Verhelst (2008) nuancent cette affirmation. Si pour Hay et
al. (2006), la religion offre la possibilité de croire, d’espérer et d’aimer, les auteurs
appellent néanmoins à la vigilance en rappelant qu’elle peut aussi entretenir des
superstitions, occulter la science et la recherche de vérité. Elle peut ainsi se révéler
comme une force antimorale susceptible d’étouffer la vie émotionnelle. Benson et al.
(2003) stipulent également que la spiritualité peut contribuer à l’amélioration de la vie
humaine (en stimulant la générosité, l’unité, l’altruisme et la justice sociale) tout autant
qu’elle peut renforcer la peur et les clivages au sein des individus (génocide, terrorisme,
esclavage). Examiner l’impact de la religion et de la spiritualité dans la vie individuelle
et collective est donc une démarche intéressante poursuivie en psychologie de la
religion.
Le champ de la psychologie de la religion est en pleine expansion. De nombreuses
recherches témoignent du fait que la spiritualité est une préoccupation majeure des
individus de la société moderne. Nous renvoyons aux travaux de Krings (2008) qui
souligne dans sa revue de littérature les significations modernes qu’ont prises les
notions de religion et de spiritualité dans la culture de pluralisme religieux où nous
évoluons. S’il existe un déclin des institutions religieuses majeures depuis les années
60, de nombreuses alternatives et nouvelles formes de croyances sont nées sous
l’étiquette de spiritualité. Beaucoup de mouvements religieux, sociaux ou politiques ont
été rattachés à ce terme. Verlhest (2008) souligne que 64% des Européens se disent
croyants. Il affirme que l’Occident a grand besoin du message d’amour, de respect de la
nature, de transformation personnelle et sociale que les Églises, en crise, ne sont plus
capables de diffuser. Pour lui, la spiritualité n’est pas morte en Occident. Bien au
contraire, il s’agit quasiment d’un phénomène de mode. Pour s’en convaincre, il suffit
23
de considérer l’intérêt que suscitent aujourd’hui les religions comparées, les différentes
pratiques spirituelles inspirées notamment de traditions orientales (yoga, zen,
méditation, tantra, etc.), l’ésotérisme et tout ce qui relève de la nébuleuse du Nouvel
Âge. Les recherches de Flanagan & Jupp (2007) ont montré que si la spiritualité semble
à la fois inspirer et fasciner, la religion, elle, a plutôt tendance à effrayer et rebuter, sans
doute parce que les mémoires lui associent toujours l’état de domination sociale qu’ont
imposé les institutions cléricales.
En réalité, ces considérations sont trop dichotomiques, car comme nous l’avons vu,
en psychologie de la religion, la distinction entre religion et spiritualité n’est pas
évidente. Mais c’est néanmoins sans doute ce qui explique l’émergence du believing
without belonging (croire sans appartenir), phénomène actuellement très étudié par les
sociologues, qui concerne une part croissante de la population. Selon Lorge (1994), les
dogmes ont été des garde-fous. Aujourd’hui, ils sont devenus inutiles et malsains, car ils
figent les croyances et sont donc amenés à disparaître, même s’il faut reconnaître ce que
les Églises ont apporté. Par ailleurs, de nombreuses recherches en psychologie de la
religion soulèvent le fait que de plus en plus de personnes souhaitent sensibiliser leurs
enfants à la recherche de spiritualité et à la quête de sens qui les animent. Au sein d’une
époque que l’on a pourtant qualifiée de désenchantée, nous avons souhaité interroger les
raisons qui poussent un nombre de plus en plus important de personnes à s’intéresser
aux écoles Steiner.
L’hypothèse de recherche principale qui a guidé notre choix d’étudier
empiriquement les conceptions de la spiritualité au sein de la pédagogie Steiner
(présentées dans la deuxième partie du mémoire) est la suivante : les parents et
professeurs fréquentant l’école Steiner sont attirés par la dimension spirituelle,
areligieuse, qui est au fondement de ce système éducatif, et par l’espoir d’une société
meilleure sous-tendue par un tel projet pédagogique.
24
2.3 La spiritualité : une dimension pertinente en sciences psychologiques
2.3.1 Spiritualité et santé
Wulff (1997) stipule que Jung insistait déjà sur la valeur thérapeutique de la
religion. Pargament & Park (1997) considéraient la religion et le coping comme étant
deux processus liés, car ils relèvent tous deux d’une recherche de sens. Oman &
Thoresen (2005) affirmaient explicitement que la religion et la spiritualité influencent la
santé. Des travaux comme ceux de Haber et al. (2007) ont également mis en évidence
certains facteurs précis impliqués dans le lien entre spiritualité et santé. Dans une
remarquable méta-analyse sur la question du développement religieux et spirituel en
tant qu’objet d’étude scientifique, Day (2009) a souligné que les psychologues
s’intéressent depuis longtemps à la manière dont les comportements religieux et
spirituels peuvent être étudiés et observés scientifiquement, en termes de leur
contribution au bien-être humain. Des preuves empiriques, dégagées à partir de
nombreuses études menées dans différents cadres culturels sur des échantillons larges et
représentatifs, ont démontré que religion et spiritualité sont des processus distincts, non
réductibles à d’autres phénomènes, pouvant changer et évoluer au cours de la vie des
individus. Ces processus semblent importants pour la santé (par exemple en matière de
réduction du stress, de l’anxiété et de la dépression), le bien-être, les relations
entretenues, le sens attribué à l’existence, la gestion des difficultés et le sentiment selon
lequel la vie est bonne et ordonnée. Le chercheur a précisé aussi que l’engagement
religieux et les pratiques spirituelles pouvaient contribuer au développement de la
sagesse et étaient reliés au bien-être personnel et social des adultes, et plus
spécifiquement des personnes plus âgées. Comme nous l’avons déjà souligné, peu
d’études ont envisagé la manière dont l’orientation religieuse ou spirituelle se développe
tout au long du cycle de la vie. Cependant, en termes d’intérêt contemporain, le champ
de la psychologie de la religion a connu une croissance exponentielle ces dernières
années.
2.3.2 Spiritualité et créativité
Ouellet (2005) insiste sur la nécessité du processus créateur essentiel non seulement
à la réalisation du potentiel présent en chaque être humain - cette réalisation
25
représentant d’ailleurs un des besoins essentiels des individus - mais aussi à l’évolution
de la société. Pour elle, la créativité est un pont vers la réalisation de soi qui débouche
sur un sentiment d’être en contact avec la source de son être. Les facteurs
psychologiques intervenant dans les processus créateurs qui sont sources de joie, de
richesse et d’épanouissement selon Csikszentmihalyi (2006) ont été analysés par de
nombreux chercheurs. Par exemple, Rogers (1984) insistait sur trois conditions internes
à de tels processus: l’ouverture à l’expérience, un centre interne d’évaluation et
l’habileté à jouer avec les concepts. Or, Saroglou & Munoz-Garcia (in press) ont montré
que l’inclusion de la transcendance impliquait ouverture au changement et hédonisme.
Pour May (1993), la créativité permettrait une connexion entre intériorité et extériorité,
entre l’être et le non-être. Comme nous le verrons, spiritualité et créativité sont deux
dimensions liées l’une à l’autre qui semblent fondamentales au sein des écoles Steiner
(Dallé, 2008).
2.3.3 Spiritualité et féminité
Plusieurs chercheurs se sont penchés sur le lien entre féminité et spiritualité. Par
exemple, Salomon (1991) a précisé que la femme est dépositaire d’une dimension
sacrée que des siècles d’oppression ont contribué à engloutir, mais qui demande
aujourd’hui à resurgir, pour le plus grand bien de tous, car l’amélioration des conditions
de vie sur terre tient notamment à cet équilibre, cette complémentarité entre l’homme et
la femme. Jung (1978) soutenait qu’une féminisation de la quête du spirituel se
dessinerait, après la diminution de l’emprise des valeurs patriarcales en Occident. Le
bouleversement de la relation homme-Dieu se verrait accompagné d’un bouleversement
de la relation homme-femme, car l’image d’un Dieu Père punissant laisserait peu à peu
place à une image plus maternelle, plus relationnelle et donc plus féminine.
Le défi consiste à prendre de tels travaux en considération, sans tomber dans une
forme de substantialisation qui figerait et substantiverait ces notions : le masculin d’un
côté, le féminin de l’autre. Pour aborder pertinemment cette question de la relation
éventuelle entre spiritualité et féminité, nous renvoyons préalablement aux travaux de
Théry (2010). Cette sociologue soutient que les dimensions masculin/féminin ne sont
pas uniquement classificatoires, mais avant tout relationnelles au sens où elles engagent
non des propriétés intrinsèques de l’individu mais des manières d’agir attendues dans un
contexte social donné. Il s’agit de dimensions qui se renvoient l’une à l’autre et sont
26
toujours mobilisées à travers les relations qu’elles entretiennent entre elles. Rester
vigilant afin de ne pas tomber dans des catégories qui seraient mutuellement exclusives
et propres soit à l’homme, soit à la femme, nous semble donc important.
Dès lors, une approche en termes de complémentarité entre polarités masculine et
féminine8 nous paraît intéressante. Ce n’est qu’avec cette remarque à l’esprit que nous
pouvons nous inspirer des travaux de certains chercheurs pour tenter de dégager
quelques tendances propres à la polarité féminine, afin d’observer en quoi elle pourrait
se révéler intéressante à interroger en matière de spiritualité. Par exemple, Buytendijk
(1967) évoquait déjà le monde du souci pour caractériser le soin que la femme consacre
à la vie. Il tenait pour féminines la sensibilité et l’émotivité. Lainé (1974) reconnaissait
lui aussi comme condition commune à toutes les femmes une mobilisation au service de
la vie (maternage, entretien du foyer, protection, soin). Selon Dolto
(1984), l’énergie des femmes serait plutôt centripète, tendant à amener le monde vers
soi, en soi, alors que le masculin serait, lui, plus centrifuge, dans le sens d’un
mouvement vers le monde, vers l’objet. Ulanov (1971) associe elle aussi l’intériorité à
la féminité.
Pour Gilligan (1986), chez la femme, identité va de pair avec intimité tandis que
chez l’homme, la première précède la seconde. Les modèles de Kholberg (1981), de
Chodorow (1978) et d’Erikson (1972) - pour lequel l’identité masculine est forgée dans
son rapport au monde extérieur tandis que l’identité féminine est réveillée par les
relations intimes entretenues avec les autres - ont constitué un support à son travail.
Mais Gilligan a aussi montré à travers ses propres recherches que les femmes, face à des
dilemmes moraux en situation réelle, essaient de trouver les solutions équitables, via
une éthique de la sollicitude et du soin, afin que les relations interpersonnelles soient
maintenues les plus intactes possible. Théry (2010), en s’appuyant sur les travaux de
nombreux sociologues et anthropologues (notamment Evans-Pritchard, Durkheim,
Mauss et Dumont) rappelle que la sollicitude féminine, loin d’être innée ou naturelle, a
été acquise à travers un long processus historique. Cette remarque, très intéressante,
8 Voir la théorie de Jung sur les principes d’animus et d’anima à l’intérieur de chaque être humain, reprise par Ulanov (1971, p. 133) qui souligne: « notre humanité, notre unité d’être n’est possible qu’à travers la pleine reconnaissance des polarités masculine et féminine ». Voir aussi la symbolique du Yin et du Yang dans le Taï-Ghi-Tu qui illustre un système d’alternances, de combinaisons. Les idées de mouvement, de fluidité, de processus nous semblent importantes pour appréhender une représentation conceptuelle comme celle de la personne ou de la culture et, dans ce cas, celle des polarités masculine et féminine. A ce sujet, il est intéressant de se référer aux travaux de Brackelaire (1995) ou de Singleton (2008).
27
mérite d'être approfondie, mais cela nous mènerait trop loin dans le cadre de cette
recherche. Les travaux de Day (2001), en s’appuyant sur la thèse de Gilligan (1986),
soulignent la distinction de deux voix, l’une masculine (celle du règne des principes) et
l’autre féminine (celle des relations interpersonnelles) en matière d’expérience
religieuse. Nous renvoyons le lecteur intéressé aux travaux de Clopton & Sorrell (1991)
et de Tapia Balladares (2004).
Dans la seconde partie de notre travail, nous verrons que ces considérations ont
trouvé un écho non négligeable auprès des personnes fréquentant l’école Steiner. Nous
reviendrons donc sur ce basculement des définitions des termes spiritualité - religion -
masculinité - féminité et leurs interactions.
2.4 Enjeux sociétaux de la spiritualité
Hay et al. (2006) soulignent que dans la société pluraliste contemporaine où se sont
développés sécularisme, consumérisme et multiculturalisme et où règne un
individualisme narcissique exagéré qui n’hésitera pas à aller vers sa satisfaction aux
dépens des autres, le désastre écologique est proche. Les enfants d’aujourd’hui seront
confrontés à des problèmes sociaux et écologiques planétaires. Or, selon ces chercheurs,
la spiritualité n’est pas juste un objet d’étude académique, mais a une importance
sociale indéniable, surtout dans beaucoup de pays occidentaux qui connaissent
d’importantes difficultés à arriver à des consensus (notamment par rapport à une
réforme du système social ou à des issues quant aux problèmes environnementaux).
Ainsi, une spiritualité plus profonde faciliterait notamment la solidarité et l’élaboration
d’un mode de vie fondé sur la simplicité volontaire, mouvement social incontournable
aux États-Unis et au Québec (Grigsby, 2004), en pleine émergence en Europe (De
Bouver, 2008), dont la démarche propose à chacun d’évoluer le plus consciemment
possible vers une existence matérielle simplifiée et désencombrée, malgré une époque
où la (sur)consommation ambiante en vient à menacer la santé et le bien-être.
Arnsperger (2009) et De Bouver (2008) soulignent dans leurs travaux qu’il est
nécessaire d’interroger le lien entre spiritualité et simplicité volontaire et énoncent les
caractéristiques principales qui définissent les simplicitaires, c’est-à-dire ceux qui
vivent ce nouvel engagement social. Nous avons trouvé pertinent de voir si on
retrouvait ces caractéristiques (conscience écologique, changement du rapport au temps,
à l’argent, aux autres, au travail, aux choses matérielles, à la nature, à la gratuité et aux
28
loisirs) chez les personnes fréquentant l’école Steiner afin d’établir éventuellement des
corrélations avec un indice de spiritualité. C’est la raison pour laquelle figure dans nos
questionnaires (cf. deuxième partie) une série de questions à ce sujet.
Des auteurs comme Lerner et al. (2006) précisent que la spiritualité peut dynamiser
et intégrer l’identité civique et morale chez une jeune personne et la mener ainsi sur un
sentier qui lui permette de devenir un adulte soucieux de lui-même, de sa famille, de sa
communauté et de la société civile. Pour Rabhi (2007), une éducation qui relie l’enfant
à la nature, tout en l’éveillant à la beauté et à sa responsabilité à l’égard de la vie, est
essentielle à l’élévation de la conscience. Ceci nous paraît proche de la théorie qui fonde
le projet pédagogique proposé par Steiner, comme en témoigne l’extrait suivant, issu de
l’introduction proposée dans une biographie de Steiner retracée par un anthroposophe:
« Malgré les prodigieux succès de la science et de la technique, d’où vient le fait que les peuples s’enfoncent dans une crise de civilisation qui menace toutes leurs structures ? D’où vient que la société n’est plus en mesure de maîtriser le destin de l’homme, de régler les mouvements de populations, de sauvegarder un équilibre écologique qui se dégrade rapidement ? Chaque jour, la terre devient moins habitable, chaque jour, l’homme perd un peu plus de son identité, de sa place dans le monde ; il la cède au robot caricatural que lui-même a inventé. Si donc le soi-disant progrès conduit à la pollution de l’habitat terrestre et à l’intoxication des esprits, il faut admettre que les acquisitions de ce siècle ont pris un tournant qui n’était pas le bon. Il expose l’humanité à faire les frais d’une conception erronée et il serait temps de tirer la leçon des erreurs commises envers l’humain, envers l’anthropos. Loin d’être rejetés dans le passé de ce faux progrès, les résultats obtenus en silence par l’anthroposophie apparaissent au contraire comme les jalons posés pour un redressement possible, au moins en partie. Ce qu’on veut nous faire prendre pour le triomphe d’une société mécanicienne, au bout du compte, porte toujours la même marque : il en résulte la destruction, la mort, au niveau planétaire. Ce qui s’édifie selon les méthodes inaugurées par Steiner, au contraire, conduit à la vie, celle des sols auxquels est rendue la fécondité, celle des corps qui réapprennent l’art de guérir, celle des consciences qui s’équilibrent à mesure qu’elles s’ouvrent à la sagesse […] Non, l’œuvre de R. Steiner n’est ni dépassée, ni reniée par les faits. Elle mûrit des fruits qui seront durables. » (Rihouët-Coroze, 1973, pp. 20-21).
Nous allons à présent revenir sur la littérature qui aborde le concept de
développement spirituel.
2.5 Approche développementale de la spiritualité
2.5.1 Bref historique du concept de développement spirituel
Comme souligné plus haut, il semble, à travers la littérature envisagée, que les
chercheurs emploient indistinctement les termes développement religieux et
développement spirituel pour parler d’une même dimension.
29
Hay et al. (2006) perçoivent le développement spirituel comme étant basé sur une
conscience de la transcendance biologiquement structurée chez l’espèce humaine. Avec
cette interprétation, la spiritualité serait un universel que l’on retrouverait chez tous les
êtres humains, quelles que soient leurs formes de croyances religieuses ou l’absence de
celles-ci. Cette idée est appuyée par Roehlkepartain et al. (2006) qui conçoivent le
développement spirituel comme un domaine multidimensionnel et un processus
universel chez l’humain. Selon ces chercheurs, étant donné l’émergence récente du
développement spirituel en tant que champ de recherche au sein des sciences
psychologiques, il est trop tôt pour proposer une définition du concept, car celle-ci ne
pourrait englober la richesse, la complexité et la nature multidimensionnelle du
phénomène. Cependant, plusieurs traditions de recherche (les théories psychanalytiques,
les théories des stades, les théories des systèmes développementaux) ont contribué de
manière pertinente à alimenter ce champ.
Day (2009) reprend l’évolution des conceptions du développement religieux dans le
champ de la psychologie de la religion. En envisageant le développement en termes de
stades et structures, les idées de Piaget (1928), l’un des premiers chercheurs à s’être
interrogé sur les relations entre pensée scientifique et pensée religieuse et à avoir
proposé la notion de sujet épistémique pour exprimer qu’un individu est toujours en
quête de sens, de savoir et de connaissance (Piaget, 1969), et de Kohlberg (1981),
pionnier en matière de développement moral, ont exercé une forte influence au sein de
la psychologie du développement religieux, notamment sur les travaux de Goldman
(1964). Ce dernier a proposé une approche du développement spirituel qui commence
dans l’enfance et s’étend tout au long de la vie, mais de nombreuses critiques se sont
érigées face à ses conclusions qui semblaient notamment ne pas tenir suffisamment
compte du contexte et de l’éducation religieuse. À titre d’exemple, les travaux de Day
(2008) mettent en garde par rapport aux conceptions en stades, présentant des
problèmes significatifs, aussi bien dans les domaines du développement moral que
religieux. Les modèles néo-piagétiens développés par Fowler (1996) - le modèle intitulé
faith development qui semble inclure des dimensions du développement intellectuel
(Piaget), moral (Kholberg), identitaire (Erikson) - et par Oser (1991) puis Oser &
Gmunder (1991) - le modèle du religious judgment, soutenu par Reich et al. (1999) -
ont proposé une trajectoire développementale spécifique au développement religieux.
Les psychologues de la religion ont longtemps débattu pour savoir si les stades évoqués
par Fowler et al. (2006) et Oser et al. (2006) étaient ou non plus flexibles et malléables
30
que ceux proposés par Piaget. Pour plus de précisions, nous renvoyons à la méta-
analyse effectuée par Day (2009). Nous allons ici cibler nos recherches sur le
développement spirituel de l’enfant, puisque c’est cette notion qui a été interrogée dans
la partie empirique de notre étude.
2.5.2 Le développement spirituel de l’enfant
Scarlett (2006) présente le Spiritual Child Movement, un mouvement basé sur l’idée
selon laquelle la spiritualité est enracinée à la fois dans l’expérience personnelle, les
sentiments et la biologie (voir aussi les travaux de Hay, 1998 et de Hart, 2006). En
attirant l’attention sur les expériences spirituelles des enfants, les chercheurs qui visent
la promotion de ce mouvement ont voulu diminuer le rôle du jugement, de la raison et
de la cognition. Un parallèle peut ici être établi avec Steiner (2006) pour qui
l’enseignement est une préparation à l’école qu’est la vie elle-même et vise à faire de
l’enfant un être physiquement sain et fort, à l’âme libre et à l’esprit clair. Pour cela,
l’éducation doit absolument être basée sur une conception spirituelle du monde. Par
esprit, Steiner n’entend pas le sens du terme anglais mind indiquant l’intellectualité,
mais bien celui de spirit qui désigne une force spirituelle, une force de l’âme. Ces forces
sont, selon lui, senties par ce que nous vivons intérieurement. La base spirituelle doit
être un mode d’action inspiré par une certaine conception de la vie et par une vie
intérieure. Interroger dans les questionnaires proposés aux parents ce rapport entre
développement intellectuel et développement spirituel nous semblait judicieux.
Ainsi, selon Scarlett (2006), il est important dans les recherches futures de ne plus
envisager le développement spirituel uniquement à partir de la raison. Dans la même
ligne d’idée, Hart (2006) pense que les enfants ont des expériences et des capacités
spirituelles qui révèlent la richesse d’une vie spirituelle susceptible de constituer une
des sources fondamentales de la motivation humaine. En effet, leur présence, leur mode
d’être et de connaître le monde seraient, par nature, spirituels. Ceci semble largement
souligné par Steiner, mais n’a pas encore été reconnu dans les annales du
développement de l’enfant (e.g. Bee & Boyd, 2008). Il est encore très difficile pour les
adultes d’envisager l’existence d’une vie spirituelle chez l’enfant, et les théories
développementales ne l’ont quasiment jamais soutenue jusqu’à présent (e.g. Goldman
1964, in Wright, 2000), guidées par les conceptions en stades dans lesquelles les jeunes
enfants sont vus comme incapables de réflexions élaborées. Une telle compréhension de
31
la cognition présuppose que la spiritualité nécessite la pensée abstraite et les habiletés
langagières qui apparaissent après l’enfance. Selon Hay (1998), un des problèmes
majeurs de la conception en stades est que l’évolution de la spiritualité de l’enfant peut
s’entendre en termes d’immaturité ou d’inadéquation. De plus, en posant des
universaux, elle risque de passer à côté de la diversité culturelle (Scarlett, 2006).
Roehlkepartain et al. (2006) stipulent que le terme développement implique l’idée
d’une croissance qui n'est pas compatible avec certaines compréhensions religieuses et
philosophiques de la spiritualité en tant que phénomène pleinement formé dès la
naissance et ayant plutôt tendance à être progressivement supprimé par la société.
Scarlett (2006) interroge lui aussi le concept de développement qui inclut l’idée d’une
progression, d’un mouvement qui tend vers un perfectionnement. Il revient sur
l’importance de considérer la variété des conceptions de la notion de perfection à travers
les représentations et croyances de différentes cultures. De plus, le développement a
souvent été envisagé à partir d’études sur des domaines séparés, ce qui est une tâche
bien plus simple que de se pencher sur le développement global de la personne.
Tout comme Erikson (1950) avait déjà reconnu l’identité comme un processus situé
à cheval entre l’individu et la culture à laquelle il appartient, Scott & Magnuson (2006)
soulignent que les structures culturelles sont importantes pour comprendre la manière
dont est appréhendée la vie spirituelle des enfants. Ces contextes déterminent en effet ce
qui est attendu dans le domaine du développement spirituel de l’enfant. Ainsi, dans
certaines traditions aborigènes, la première dizaine d'années de la vie est identifiée à la
période du développement spirituel tandis que les dix années suivantes correspondent au
développement physique. Pour les auteurs, le développement spirituel, comme les autres
formes de développement, se produit chez tous les enfants et n’est déterminé ni par
l’instruction, ni par des structures éducatives particulières, ni par l’appartenance à une
quelconque communauté. Cette dernière, tout comme un contexte familial religieux,
peut évidemment fournir aux enfants un support pour leur vécu spirituel et leur offrir
ainsi des interprétations et du vocabulaire pour clarifier et exprimer ce qu’ils vivent. Les
chercheurs précisent que l’affirmation selon laquelle la spiritualité est normative et ne
dépend pas de l’instruction ou de l’éducation est sous-tendue par une anthropologie
philosophique bien précise où la spiritualité est une réalité d’une conception de la nature
humaine particulière. Ceci semble très lié à l'idée de Steiner : une éducation spirituelle
peut fournir un cadre et une structure qui nourrissent directement la sensibilité
spirituelle des enfants. Dans leur revue de la littérature, les auteurs précisent que les
32
expériences spirituelles des enfants peuvent se produire par le contact de la nature, par
des rêves troublants et par des situations où ils découvrent l’altruisme, la gentillesse, la
compassion, l’engagement envers autrui, le pardon, etc. Ils ne vont pas décrire ces
expériences en termes de contact avec la transcendance, le sacré ou le mystère, mais
s’appuient parfois sur le vocabulaire religieux fourni par leur culture (Hay, 1998).
2.5.3 Impact des structures éducatives sur le développement spirituel
Selon Wiame (2001), le cours de religion, lieu d’éducation aux valeurs, est au
service du développement intellectuel, socio-affectif et moral de l’élève. Hornberger et
al. (2006, p. 465) se sont déjà penchés sur la question suivante : « Quelle responsabilité
la société a-t-elle en matière de développement spirituel des enfants ? ». Pour eux, le
challenge de notre génération est d’évoluer dans la conscience de notre commune
humanité : il nous faut élargir notre compréhension, approfondir notre compassion et
développer notre sagesse. Selon ces chercheurs, les êtres humains vivent aujourd’hui
dans un immense village global (étant donné les interdépendances qui existent entre la
technologie, les problèmes environnementaux et les secteurs politiques et
économiques). Développer une conscience de telles dynamiques globales permet la
constitution progressive de valeurs inhérentes à la société civile comme la liberté, les
droits de l’homme, la solidarité, les buts communs.
Des relations significatives entre la religiosité des parents, les pratiques éducatives
parentales et le comportement des enfants ainsi que l’importance d’étudier les impacts
psychologiques positifs et négatifs de la religion au sein des familles ont été mises en
évidences par Dumas & Nissley-Tsiopinis (2006). Oman, Flinders & Thoresen (2008)
ont souligné que les professeurs qui enseignent la religion et la spiritualité supportent et
renforcent l’assimilation de vertus et de forces de caractère (comme le pardon ou la
compassion) que les jeunes, en quête de modèles de sagesse, ont du mal à percevoir
dans la société moderne. Il est judicieux de mettre ceci en parallèle aux travaux de
Jourdain (2004). Ce dernier a précisé que la question de l’enseignement des valeurs à
l’école est posée en termes de capacité à juger et de créativité, c’est-à-dire de faculté
d’agir et de proposer de nouvelles solutions pour faire évoluer la société.
Pour Hart (2006), la spiritualité des enfants peut exister indépendamment des
conceptions rationnelles et langagières des adultes et de la connaissance d’une religion,
et a une importance considérable pour le développement global. Les enfants ont accès à
33
la sagesse et à l’émerveillement. Ils peuvent se poser des questions sur le sens de
l’existence et la moralité, et ressentir de la compassion. Or, selon Scott & Magnuson
(2006), les expériences spirituelles des enfants influenceraient leur vie future et leur
sens du soi. Dès lors, Hart (2006) précise que des questions relatives au soin à apporter
aux enfants dans ce domaine se posent. Selon le chercheur, dans une société
matérialiste, violente et si infiltrée par l’esprit de consommation et les médias
s’adressant à la masse, offrir aux enfants des perspectives qui leur permettent de vivre
leurs expériences spirituelles et de renforcer leurs capacités en ce domaine semble
absolument nécesaire. Cela commence par le respect des capacités spirituelles innées
des enfants, mais il faut également se poser la question suivante : Voulons-nous laisser
ce que nous apprenons des enfants changer notre théologie et nos théories ou
préférons-nous imposer ces dernières à nos enfants pour les voir changer ?
2.6 Opérationnalisation et mesures de la spiritualité
Pour Hay & Nye (1998), tenter de définir la spiritualité de manière exhaustive et en
faire dériver une définition opérationnelle adéquate aboutit à passer à côté de la
complexité, de la fluidité et de la profondeur du phénomène. Selon Lerner et al. (2006),
les caractéristiques cognitives, émotionnelles et comportementales qui opérationnalisent
la spiritualité se développent tout au long de la vie, mais aucun modèle
développemental n’est satisfaisant aujourd’hui pour saisir la subtilité du phénomène. Le
contraste entre la nécessité de structures théoriques approfondies et
multidimensionnelles et l’étroitesse des mesures utilisées en matière de spiritualité
représente un des challenges majeurs pour les futures recherches sur le développement
spirituel des enfants et adolescents. Hart (2006) souligne que la vaste majorité des
travaux sur la spiritualité des enfants provient d’études menées en Europe et en
Amérique du Nord. Des études interculturelles permettant de faire apparaître d’autres
approches du développement spirituel sont donc requises. Pour Roehlkepartain et al.
(2006), les recherches récentes n’aboutissent qu’à des mesures superficielles de la
spiritualité. Étant donné l’absence d’opérationnalisation fiable et valide du concept de
spiritualité, Saroglou & Munoz-Garcia (2008) ont mis au point des indices permettant
d’évaluer séparément religiosité et spiritualité. Ceux-ci ont été testés et validés dans de
nombreuses recherches.
34
Comme une étude empirique nous paraissait particulièrement intéressante à
effectuer dans le cas de la problématique abordée, nous avons utilisé ces indices pour
questionner les parents et les professeurs d’une école Steiner belge (cf. deuxième
partie). Nous avons décidé de leur proposer également un questionnaire permettant
d’interroger différents aspects relatifs à la présence d’une dimension spirituelle dans
l’éducation relevés à partir de la littérature abordée plus haut. Conscients des limites
auxquelles nous avons été confrontés, nous avons réalisé une recherche exploratoire qui
n’avait pas pour but et ambition de distinguer plusieurs facteurs testés et validés
statistiquement, mais bien de constituer une éventuelle ressource en vue de l’adoption
d’une telle démarche dans des recherches ultérieures. Pour élaborer ces questionnaires,
nous nous sommes inspirés notamment des recherches de Haber, Jacob, & Spangler
(2007) qui présentent une procédure très intéressante permettant d’aborder la religion et
la spiritualité. Avant d’entamer la partie empirique, il nous reste à présenter la
pédagogie Steiner et envisager les recherches en psychologie susceptibles d’éclairer
notre étude.
3 Présentation de la pédagogie Steiner
Pour une présentation détaillée de la pédagogie Steiner, nous renvoyons à la revue
anthroposophique Triades (1986), au catalogue de l’exposition de l’UNESCO à Genève
présentée dans le cadre de la 44e session de la conférence internationale sur
l’éducation9, ainsi qu’à l’annexe 5 qui reprend un texte expliquant les bases
philosophiques de la pédagogie rédigé par un professeur travaillant au sein de l’école
belge dans laquelle nous avons mené une étude empirique. Seuls les points de repère
indispensables pour bien comprendre la suite de nos réflexions sont relevés dans ce
chapitre. Ainsi, nous retraçons les grandes lignes de la pédagogie telle qu’elle est
aujourd’hui pratiquée dans les écoles Steiner en France et en Belgique, avant de
présenter son fondateur, les bases théoriques et philosophiques sur lesquelles elle repose
et le projet pédagogique proposé à l’origine par Rudolf Steiner.
9 Exhibition catalogue on occasion of the 44th session of the International Conference on Education of UNESCO in Geneva. (1994). Disponible en ligne à l'adresse : http://www.freunde-waldorf.de/en/info/publikation/katalog/. Consulté le 12/11/09.
35
3.1 Caractéristiques générales des écoles Steiner-Waldorf
Le site officiel de la Fédération des écoles Steiner en France10 mentionne l’objectif
pédagogique suivant : former des individus capables en eux-mêmes et par eux-mêmes
de donner un sens à leur vie. Les écoles se veulent non confessionnelles et apolitiques,
mais visent néanmoins à réconcilier de façon moderne art, science et religion. Les cours
d’histoire des religions constituent une base indispensable à la compréhension des
civilisations. Il est aussi stipulé sur ce site que la perte de sens de nos sociétés et la
montée des intégrismes appellent à une réflexion sur la juste place du religieux,
réflexion à laquelle travaillent les écoles Steiner en visant une réponse ouverte et
moderne à ce besoin de notre temps. Les établissements sont accessibles à tous les
enfants sans distinction d'aucune sorte, ethnique, sociale, politique ou religieuse.
Beaucoup d’importance est accordée aux fêtes qui servent à relier l’humanité aux
rythmes de la nature et aux anciennes cultures, même si elles ont beaucoup évolué avec
le temps. Ces cérémonies sont avant tout une occasion pour exprimer le sens du beau et
le lien social (Dallé, 2008). Certaines sont issues du christianisme.
Une des spécificités de la pédagogie est d’attacher une même importance aux
activités intellectuelles, artistiques et manuelles, qui sont considérées comme
complémentaires. Les élèves dits surdoués peuvent, à travers des activités artistiques et
manuelles, trouver un équilibre face à leurs aptitudes intellectuelles prédominantes, ce
qui a été reconnu comme un facteur positif pour le bien-être des enfants à hauts
potentiels (Grégoire, 2009). L’enfant est appelé à prendre part aux activités du quotidien
(nettoyer, ranger, faire le pain, etc.) et à se rapprocher de la nature (planter, arroser,
récolter, cuisiner, etc.).
Avant l’entrée à l’école primaire, l’enfant est accueilli dans les jardins d’enfants
(divisés en deux types adaptés aux plus petits et aux plus grands), qui correspondent aux
écoles maternelles dans les écoles conventionnelles. Le passage du maternel au primaire
ne se fait pas en fonction de l’âge, mais de la maturité et de l’évolution de l’enfant. Les
apprentissages proprement scolaires commencent après six ans. Un même professeur
principal accompagne l’enfant tout au long des six années primaires. Les filles et les
garçons suivent les mêmes enseignements, activités manuelles incluses (tricot, sculpture
sur bois, etc.). Conformément à ce que de nombreux chercheurs en sciences de
10 URL : http://www.steiner-waldorf.org. Consulté le 25/04/10.
36
l’éducation ont conseillé, le redoublement n’est pas pratiqué (e.g. Chapelle & Crahay,
2009). Ainsi, les élèves grandissent au sein d’un groupe de vie relativement stable
(souvent 25 à 30 élèves par classe), qui permet de développer des valeurs essentielles,
indépendamment du niveau scolaire : entraide, écoute, reconnaissance mutuelle des
qualités et des différences de chacun. Si des cotes sont parfois attribuées (à partir des
classes moyennes), elles ne remettent pas en cause le passage dans la classe supérieure.
Les élèves ne sont pas mis en compétition, l’objectif étant qu’ils travaillent par plaisir et
curiosité, et non pas pour des notes ou par peur de l’échec, comme c’est bien souvent le
cas dans le système traditionnel (Bourgeois & Chapelle, 2006). Les matières sont
enseignées sous forme de périodes de trois à quatre semaines. Une immersion
quotidienne permet à l’élève de se familiariser avec elles depuis une approche imagée
pour arriver progressivement vers une appréhension plus conceptuelle. Les professeurs
abordent les cours d’une manière originale : ils invitent les élèves non pas à apprendre
par cœur, mais à développer leur curiosité et leur enthousiasme pour la matière
enseignée. L’enseignement veut prendre en compte la globalité de l’enfant, condition
nécessaire pour son développement équilibré.
Les enseignants doivent bénéficier d’une formation solide à la pédagogie Steiner
car, pour son fondateur, le professeur doit apprendre à connaître les étapes du
développement de l’enfant et à reconnaître la singularité, le rythme de chaque enfant. La
pédagogie Steiner suit un programme prévu à l’avance par les professeurs. L’extrême
ritualisation spatio-temporelle, sociale et pragmatique la distingue d’autres pédagogies
alternatives (Ullrich, 1994).
Les parents participent activement à la vie de l’école, ce qui crée un réseau social
important autour de l’enfant, considéré par Steiner comme un soutien essentiel à son
développement harmonieux.
3.2 Quelques mots sur Rudolf Steiner (Kraljevic, 1861 – Dornach, 1925)
Si la description du personnage et de sa philosophie qui va être dressée ici s’avère
incontournable pour envisager la suite de notre recherche, elle se veut concise, car
l’objet de notre travail n’est pas axé sur l’analyse de la pensée philosophique de Steiner,
mais bien sur la réalité actuelle des pratiques pédagogiques qui en découlent.
37
Parmi les nombreuses biographies de Rudolf Steiner disponibles, nous conseillons
particulièrement celle rédigée par Lachman (2009), préfacée par la célèbre romancière
Nancy Huston, ancienne élève d’une école Steiner aux États-Unis. Il est pertinent de la
comparer à l’autobiographie de Steiner (1979). Le travail de Rihouët-Coroze (1973),
témoignage d’une personne qui a connu Steiner pendant les douze dernières années de
sa vie et relate les faits vécus à ses côtés, est également intéressant à consulter.
Philosophe et pédagogue autrichien, Rudolf Steiner travailla tout d’abord à Weimar
à l’édition des œuvres complètes de Goethe (1889-1896) et écrivit son ouvrage
philosophique principal La Philosophie de la Liberté (1894), avant de s’installer à
Berlin où il définit sa doctrine, l’anthroposophie. En 1913, il fonda la Société
anthroposophique dont il établit le siège en Suisse, au sein du Goetheanum, un théâtre
où il donna des représentations de Faust et des cours d’art dramatique. Pédagogue - au
sens où l’entendait Durkheim (2005), c’est-à-dire penseur réfléchissant aux pratiques de
l’éducateur en vue de lui fournir des idées qui dirigent son action - Steiner élabora ses
théories sur l’éducation entre 1919 et 1925 et créa la première école en 1919 à Stuttgart
en Allemagne pour les enfants des ouvriers de l’usine Waldorf Astoria (d’où aussi
l’appellation pédagogie Waldorf), avec pour objectif la promotion d’une éducation
adaptée à tous, accueillant des enfants de toute origine sociale. Après que cette première
école ait survécu au nazisme et aux bombardements, beaucoup d'autres se sont
développées et rayonnent aujourd'hui à travers le monde11. En 1921, un institut clinique
et thérapeutique fut ouvert à Arlesheim sous l’impulsion de Steiner. C’est par le biais de
conférences dans toute l’Europe à partir de 1921 que Steiner a diffusé l’anthroposophie.
L’édition complète de ses écrits comprend 40 volumes et il en faudrait encore 300
autres pour publier les quelques 6000 conférences qu’il a prononcées dans la plupart des
grandes villes européennes.
11 Dès leurs fondations, les écoles Steiner ont cherché à collaborer et à partager leurs expériences tout en restant autonomes. Une des premières actions concrètes a été la création d'associations nationales. C'est ainsi par exemple qu'en Allemagne a été créé en 1933 le Bund der Freien Waldorfschulen (Association des Ecoles Steiner), principalement en réaction à la menace du régime nazi. Cette association regroupa à l'époque 213 établissements. Par la suite, les associations nationales se multipliant, il est devenu nécessaire de créer des associations supranationales. A l'échelle européenne, l'European Council for Steiner Waldorf Education (ECSWE) comprend 22 associations nationales représentant 630 écoles Steiner. Son but est essentiellement de développer les échanges et la coordination du travail des écoles au niveau international. L'autre grande association importante est l'AWSNA : Association of Waldorf schools in North America. Cette association regroupe et soutient le travail d'environ 250 écoles Steiner sur le continent nord-américain.
38
3.3 Le fondement théorique de la pédagogie : l’anthroposophie
Les travaux de Klockenbring (1990) et Courtine-Denamy (1999) situent Rudolf
Steiner dans l’évolution de la pensée en Occident. Si Steiner est aujourd’hui moins
reconnu que les grands philosophes idéalistes allemands dont il s’est pourtant inspiré,
c’est sans doute notamment parce qu’il s’est opposé radicalement au kantisme qui se
développait à l’époque (Vincenti, 1992 ; Zink, 2004). Pour Steiner (1985), qui base sa
pensée sur celle de Goethe (d’où l’importance accordée chez Steiner au savoir, à la
nature et à l’art), la vision scientifique n’a rien d’incompatible avec une conception
spirituelle du monde. L’homme est un être actif dont la conscience n’est pas un
réceptacle passif de phénomènes, mais une activité incessante d’imagination et de
pensée. Cette dimension centrale de la conscience sera l’un des axes fondamentaux de
l’enseignement anthroposophique de Steiner. Le développement des facultés
intellectuelles et spirituelles de l’homme doit aboutir à une science spirituelle, à l’entrée
en contact avec ce qu’il nomme la réalité suprasensible, qui ne sert qu’à vivre plus
pleinement dans la réalité du monde physique.
Ainsi, cette science qu’il nomme anthroposophie se veut aider à la guérison des sols
et des organismes et inspirer un art de l’éducation aidant l’enfant à trouver sa place
dans l’univers. Il s’agit d’une science de l’âme (Steiner, 1976b). Celle-ci n’est pas plus
mystérieuse pour le profane que ne l’est l’art d’écrire pour celui qui ne l’a pas appris : il
suffit de prendre les moyens d’apprendre. Si Steiner évoque « une science de l’occulte à
laquelle il faut être initié » (Burlotte, 1994, p. 36), il précise que cette initiation ne peut
pas être réservée à une petite élite qui se coupe du monde. Le principe même de
l’initiation est destiné à devenir public, il doit être le projet d’avenir de la civilisation.
Selon Steiner, il sommeille en tout homme des facultés grâce auxquelles il lui est
possible d’acquérir des connaissances sur les mondes supérieurs (Steiner, 1976b).
Chacun peut devenir plus humain, s’il prend conscience des domaines d’existence
spirituels en lui-même, s’il les éveille. Le développement signifie qu’un état postérieur
résulte d’un état antérieur que l’on transforme, que l’on grandit au-delà de soi, c’est-à-
dire au-delà de ce qui est établi. Cela fait partie du chemin d’évolution esquissé par
Steiner qui décrit la vie elle-même comme chemin d’initiation. Il dégage clairement que
l’assimilation du savoir, les impulsions à une plus haute évolution ou la pratique
méditative ne sont vraiment prospères que si on fait fructifier les résultats de ce travail
39
dans la vie courante de sorte qu’il soit effectif au quotidien, et non pas si on le considère
comme une fin en soi.
La problématique fondamentale de l’anthroposophie peut se formuler comme telle :
Comment mener l’être humain vers l’individualisation de la liberté ? La liberté, qui va
de pair avec l’amour, est la quête poursuivie par Steiner. Les deux thèses
philosophiques principales qu’il défend sont les suivantes. D’abord, tout homme est
capable de connaître les lois directrices de l’univers en y participant par une pensée
dégagée du sensible. Ensuite, dès qu’il a reconnu et accepté ces lois, l’homme est
intérieurement libre. Pour lui, à partir du moment où la pensée accède à la
connaissance, la volonté visera le bien. Toute la force de la vie réside dans l’amour et
celui qui saisit cela comprend la liberté. Connaître, c’est aimer. Aimer, c’est connaître.
Les voies qui conduisent à la prise de conscience de l’Esprit se dessinent à travers le
prolongement de trois facultés : la pensée qui aboutit à la vérité, le sentiment qui révèle
la beauté du monde, et la volonté qui relie les hommes entre eux et à Dieu (Rihouët-
Coroze, 1973). L’âme est vivante et fait partie intégrante de la personne. Il faut donc la
nourrir au même titre que le corps. La notion de trinité s’avère fondamentale dans
l’anthroposophie puisque la tripartition (corps-âme-esprit, pensée-sentiment-volonté,
mains-cœur-tête) est l’une des bases des principes pédagogiques de Steiner.
Steiner souligne que l’anthroposophie, en tant que science, ne veut pas être une
religion, ni intervenir pour fonder une religion. Mais du fait qu’elle donne les lois du
développement humain, de l’être humain comme être spirituel, psychique et physique,
de la nature humaine comme fondement de la pédagogie, elle peut revivifier une
tradition religieuse figée et montrer des chemins actuels pour une conception spirituelle
du monde.
« Cette science anthroposophique pourra implanter à nouveau dans l’âme humaine une vie religieuse authentique […] Elle peut ajouter au développement de l’humanité ce qui permettra à l’être humain d’acquérir à nouveau un sens religieux pour tout, une nouvelle compréhension du christianisme […] L’anthroposophie veut se présenter non pas pour former des sectes, mais pour être la servante des religions qui existent déjà. Elle veut contribuer à la résurrection de la vie religieuse, parce que cette dernière a bien trop souffert de la civilisation moderne. C’est pourquoi l’anthroposophie voudrait être une messagère d’amour, pas seulement celle qui revivifie le sens ancien des religions, mais celle qui éveille à la résurrection du sens religieux intérieur de l’humanité. » (Steiner, 1977, pp. 23-25).
Au niveau religieux, les travaux de Verhelst (2008) font écho à ceux de Steiner : le
renouveau spirituel en Occident ne peut venir que de la redécouverte de la tradition
chrétienne. Pour Steiner (1976a), la lumière du Christ a été mise au service de
40
l’évolution spirituelle de l’homme. Ce dernier fait l’apprentissage d’un Moi libre
imprégné du modèle que le Christ a introduit. Nous interrogerons dans la partie
empirique la place accordée à la dimension chrétienne au sein d’une école Steiner.
3.4 Projet pédagogique de Steiner
Steiner considère que le rôle de l’école est de participer à l’épanouissement de la
personne, notamment par la découverte de nombreux métiers, activités et techniques
pour que chacun trouve sa voie et non celle qui fut tracée pour lui par sa propre famille.
Pour Steiner, chaque enfant naît avec des potentialités qui lui sont propres et le rôle de
la pédagogie consiste à lui permettre de les amener à leur plein épanouissement : se
forger son propre jugement, acquérir son autonomie, ressentir le plaisir de découvrir,
d’apprendre, d’agir et d’innover dans le respect des autres et de l’environnement.
L’idéal pédagogique de Steiner visait ainsi à faire fructifier toutes les potentialités de
l’enfant afin que celui-ci, une fois adulte, puisse réaliser le plus librement possible son
destin personnel et contribuer à l’évolution de la société. Une connaissance approfondie
de la nature de l’enfant et des différents stades par lesquels il passe forme la base de la
pédagogie qui vise à développer de manière équilibrée les facultés intellectuelles,
artistiques et manuelles. Besoin de créativité, sens de la vérité, sentiment de
responsabilité : telles sont les trois forces qui sont les nerfs de la pédagogie (Steiner,
1987). Il est important que le professeur soit un être d’initiative, qu’il s’intéresse à tout
ce qui existe dans le monde et dans l’humanité sans jamais accepter de compromis avec
ce qui n’est pas vrai (Steiner, 1993).
La notion de gratitude, abordée notamment dans les travaux de Gratz (2007), nous
semble préciser la manière dont Steiner (1999) envisage le rôle de la spiritualité dans
l’éducation. Selon lui, l’homme moderne, en raison de son éducation, a laissé peu de
place à ce sentiment. Or, c’est à partir de la gratitude, fortement liée à la moralité, que
peuvent se développer la faculté d’aimer et le sens du devoir. Pour Steiner, il est
essentiel de mettre l’enfant en contact avec la gratitude, expérience intérieure concrète
de la réalité morale dans l’être humain. Le maître a pour unique fonction de cultiver le
germe, présent en chaque enfant et issu d’un principe immanent à la vie, et d’en
favoriser l’éclosion dans l’éventail de ses manifestations physiologiques,
psychologiques, pratiques, intellectuelles et spirituelles. Le sentiment de gratitude du
professeur doit emplir l’enfant. Dire merci par devoir ou exigence morale contredit
41
l’essence de la gratitude. Il faut pour cela que le professeur devienne attentif au fait que
la journée est pleine de dons, et pas seulement de stress. Gratitude, joie, compassion,
dévotion, estime, amour : tels sont les liens qui établissent ce rapport et donnent à
l’enfant une partie de la confiance originelle en son existence. Celle-ci mène, dans le
langage de la religion, au monde divin du Père qui porte l’humanité et est la force active
de l’évolution. À cela s’ajoute l’amour pour le monde humain, symbolisé par l’être du
Christ, source des relations humaines : l’amour peut offrir, pardonner, donner force.
L’enfant plus âgé vivra religieusement à travers le développement et le ressenti
d’idéaux. En effet, les idéaux conduisent au-delà de soi, portent en eux une force de
transformation : ils saisissent la volonté à partir de la pensée spirituelle. La foi déplace
les montagnes. Si les idéaux, la force de l’Esprit, vivent en l’homme, ce dernier n’a plus
besoin de commandements. On retrouve ici un exemple de l’importance accordée à
l’idée de trinité.
4 Mise en perspective de la pédagogie Steiner au regard des recherches en psychologie
Ce quatrième chapitre propose d’analyser les fondements de la pédagogie Steiner au
regard des théories en psychologie de l’éducation et du développement et de la
psychologie jungienne avant de présenter les recherches récentes qui abordent la
dimension spirituelle des écoles Steiner.
4.1 Analyse des fondements théoriques de la pédagogie Steiner
4.1.1 La pédagogie Steiner et la psychologie de l’éducation et du développement
Outre le renvoi au travail minutieux de Ginsburg (1982) qui a comparé les théories
de Piaget à celle de Steiner quant aux stades du développement de l’enfant et aux
implications pédagogiques proposées, il est fondamental de présenter à cette étape de
notre raisonnement le travail de Jelinek & Li-Ling (2003), remarquable tant du point de
vue théorique que méthodologique. Ces chercheurs ont soutenu que la pédagogie
Steiner peut être interprétée à la lumière de différentes théories scientifiques reconnues
académiquement, ce qui permet de fournir à la fois une base conceptuelle solide aux
42
principes éducatifs proposés par Steiner et une clé pour comparer ceux-ci à différentes
études empiriques.
Premièrement, ils soulignent que Steiner semble avoir anticipé la théorie des
apprentissages par expérience proposée par Dewey (1938) qui dénonce les impacts de la
discipline externe ou de l’apprentissage uniquement à partir de textes. De nombreuses
recherches en sciences de l’éducation ont démontré que l’apprentissage est facilité
quand il est situé ou contextualisé (e.g. Vygotsky, 1991). Comme Steiner, Dewey a
proposé d’éduquer l’enfant à partir des expériences, observations et activités qu’il vit,
avant de l’aider à conceptualiser celles-ci. Tous deux soutenaient également un
apprentissage procédant du tout vers les parties. L’importance accordée à l’art dans la
pédagogie Waldorf reflète également la théorie de Dewey : imagination et expérience
personnelle deviennent la fondation de l’apprentissage conceptuel. Beaucoup d’auteurs
ont d’ailleurs souligné l’impact du développement harmonieux du corps dans la
construction de la personne (e.g. Pourtois & Desmet, 2002).
Ensuite, Jelinek & Li-Ling (2003) reprennent quelques études ayant comparé la
théorie du développement proposée par Steiner à celle de Piaget (e.g. Bruner, 1971 ;
Elkind, 1981). Si pour Piaget, la base des stades développementaux est cognitive, elle
est philosophico-spirituelle chez Steiner. Mais tous deux soutiennent que la pédagogie
doit être alignée sur des caractéristiques développementales, de sorte que des activités
appropriées à l’âge de l’enfant soient introduites de manière à favoriser progressivement
sa maturité physique, émotionnelle et mentale.
Un parallèle est encore établi entre les considérations de Steiner et la théorie de la
zone du développement proximal proposée par Vygotsky (1978) : l’adulte occupe une
présence centrale au sein de la classe. Dans la pédagogie Steiner, les enseignants ont
pour mission d’identifier la dynamique de l’environnement social dans lequel les élèves
interagissent afin de comprendre les possibilités pédagogiques d’amener l’enfant vers
un niveau plus élevé de conscience permettant la réalisation d’activités plus complexes.
Les chercheurs évoquent aussi un lien avec les théories de Burner (1960). Ce dernier a
montré que trop d’emphase sur les apprentissages académiques pouvait être
contreproductif envers le développement d’une pensée critique, car ce type
d’apprentissages est basé sur un matériel préalablement construit, une structure
conceptuelle déjà formée qu’il s’agit d’intégrer comme telle.
Enfin, ils citent les théories de l’intelligence de Sternberg (1997) et Gardner (1993)
dont les principes ont été devancés par les propos de Steiner pour qui la pensée humaine
43
est caractérisée par des interactions complexes entre volonté, sentiment et pensée, trois
conditions à activer pour favoriser le développement cognitif.
4.1.2 Les propositions de Steiner et la psychologie jungienne
Outre ces différents appuis théoriques, à la lumière de l’histoire de la psychologie de
la religion, nous souhaitons mettre en évidence d’importantes relations entre les propos
de R. Steiner et ceux de C.G. Jung, que Jelinek & Li-Ling (2003) ne semblent pas avoir
soulignés. Si de nombreux liens peuvent être tissés entre les deux, le système
pédagogique proposé par le premier n’est pas du tout étudié par les sciences de
l’éducation, probablement principalement à cause de l’aspect mystique sur lequel il est
fondé. En revanche, cet aspect n’a pas empêché la pensée de Jung de marquer
profondément le champ de la psychologie de la religion et la pratique psychanalytique.
La cause de cette différence serait intéressante à creuser, mais ce n’est pas l’objet de
notre analyse.
Tout d’abord, Jung et Steiner avouaient avoir tous deux vécu durant leur enfance
solitaire des échanges avec une autre réalité. Dès son enfance, Steiner aurait été en
contact avec le suprasensible, ce qui désigne pour lui le monde spirituel, et ce
phénomène jouera un rôle central dans le développement de sa philosophie. La jeunesse
de Jung peut se concevoir, selon lui, en termes d’expériences secrètes et mystérieuses :
il précise que sa solitude était liée au fait qu’il avait accès à des choses devant être
cachées, car les autres ne les connaissaient pas et ne préféreraient certainement pas les
découvrir. Si Jung disait se sentir proche de la nature, de la terre, des créatures, des
rêves et de tout ce que Dieu faisait agir directement en lui (Jung, 1970a), Steiner, sans
parler de Dieu mais plutôt d’Esprit, témoignait de cette même proximité avec la nature.
De plus, tous deux semblaient marquer un intérêt profond pour les faits concrets et les
sciences empiriques. Cet intérêt poussera Jung à se diriger vers la psychiatrie et Steiner
à écrire son ouvrage L’Initiation (1976b). Tous deux n’ont jamais répudié la tendance
moderne rationnelle et causaliste, mais trouvaient cette approche insuffisante. En outre,
Steiner et Jung se sont inspirés, pour fonder leurs théories, à la fois de traditions
orientales et occidentales (Wulff, 1997 ; Steiner, 1980). Selon Kim (2008), la pédagogie
Steiner propose une éducation de la personne intégrale, qui prend appui à la fois sur
l’Orient et l’Occident.
44
Ensuite, si pour Jung, à la différence de Freud, la religion est une fonction
psychologique nécessaire dont le déni serait coûteux tant pour l’individu que pour la
société (Wulff, 1997), il nous semble pertinent de préciser qu’il en va de même pour la
fonction spirituelle de ce que Steiner nomme Esprit. Jung liait la fonction religieuse au
processus d’individuation (Fordham, 1999) et pensait que l’humanisme de l’évolution
pouvait devenir le germe d’une nouvelle religion, pas nécessairement en supplantant les
religions existantes, mais en les complétant. « Il reste à voir comment ce germe pourrait
se développer, à élaborer son cadre intellectuel, à voir comment on pourrait amener la
diffusion de ses idées. Par-dessus tout, il serait nécessaire de justifier les idées par des
faits » (Jung, 1967, p. 190). L’idée centrale chez Jung selon laquelle l’homme et la
société ne pourront progresser sans une connaissance profonde de la nature humaine est
très proche de la thèse défendue par Steiner (1987). Pour Jung, cette connaissance ne
grandira que lorsque l’homme prendra en compte l’expérience de Dieu dans son
expérience humaine. C’est ce que Steiner appelle le chemin vers l’Esprit. En évoquant
l’évolution de la société, Jung (1970b, p. 233) affirmait : « Tout ce qui commence
commence toujours en petit, c’est pourquoi, il ne faut pas se laisser rebuter par le travail
pénible mais consciencieux que nous effectuons sur l’individu ». Ce travail, chez
Steiner, c’est la pédagogie. Steiner et Jung ont mené de nombreux travaux sur la
psychologie et la vie intérieure (Jung, 1967 ; Steiner, 1970) et ont vivement critiqué le
matérialisme qui régissait la société dans laquelle ils évoluaient. Ils semblent tous deux
accorder de l’importance à la figure du Christ et à l’idée de trinité qui représente
symboliquement pour eux un processus de maturité se déroulant en trois temps au sein
de l’individu (Steiner, 1987 ; Wulff, 1997).
Enfin, on peut observer que les critiques adressées aux deux chercheurs sont du
même ordre. On leur a notamment reproché la confusion entre psychologie et théologie,
les présuppositions douteuses sur lesquelles ils ont basé leurs théories, ainsi que le
caractère dogmatique et fondamentaliste de leurs thèses.
Au-delà de tous ces points communs, un élément nous paraît particulièrement
pertinent à souligner dans le cadre de notre recherche : Jung (1987) prédisait que durant
la deuxième partie du 20e siècle, on assisterait à un pivot de la religiosité vers les
questions de spiritualité. La sécularisation qui se produirait n’empêcherait pas le
maintien de quêtes de sens, de sagesse et de ressourcement spirituel. L’institution
religieuse perdrait son pouvoir et serait considérée comme une ressource parmi d’autres.
Il pensait aussi que les grands moments de l’existence, tels que par exemple le fait de
45
devenir parent, pourraient être source de renouvellement spirituel, car ils
représenteraient des occasions de s’interroger davantage sur le sens de la vie qui ne
serait plus dicté par l’Eglise, mais résulterait d’une recherche personnelle (Jung, 1963).
4.2 Recherches récentes sur la pédagogie Steiner
4.2.1 Des pratiques fructueuses basées sur une théorie douteuse
Ullrich (2000) souligne qu’un consensus quant aux bénéfices des pratiques
pédagogiques proposées dans les écoles Steiner est observé dans la littérature :
créativité, ouverture d’esprit, confiance en soi, plaisir d’apprendre et curiosité.
Cependant, le chercheur pose la question suivante : Est-il possible de résoudre ce
paradoxe fondamental de la pédagogie de Steiner qui consiste en la création d’une
pratique fructueuse sur base d’une théorie douteuse ? Cette dernière l’est peut-être de
moins en moins, comme en témoigne par exemple la thèse de Maintier (2007).
Shankland (2007), dans une étude comparative entre pédagogie traditionnelle et
pédagogie Steiner en France, a soutenu que ces écoles semblent offrir une très bonne
préparation à l’enseignement supérieur. Les élèves qui y accèdent se disent globalement
heureux et bien intégrés. Ils présentent un meilleur bien-être psychologique et des
performances scolaires supérieures aux enfants ayant un parcours dans l’enseignement
traditionnel. Par ailleurs, les pays scandinaves qui sont au premier rang des résultats aux
enquêtes PISA (Programme for International Student Assessment)12 offrent un
enseignement dont la structure et les pratiques sont globalement les mêmes qu’au sein
des écoles Steiner (Kupiainen et al., 2009). Dans ces pays, il semblerait d’ailleurs que
de nombreux responsables politiques soient issus de l’enseignement à pédagogie
Steiner. Shankland, dans sa méta-analyse, a aussi dressé un historique des publications
rédigées sur cette pédagogie. Ces recherches ont été réalisées principalement aux Etats-
Unis, en Angleterre, en Allemagne et dans les pays scandinaves. Elle cite notamment
les travaux d’Henry (1991) qui a interrogé l’impact de l’aspect symbolique présent dans
les écoles Steiner sur le développement de l’enfant et ceux d’Ogletree (1998). Ce
dernier a montré que, selon les enseignants, l’éducation Steiner est fortement
12 Programme for International Student Assessment: résultats des enquêtes organisées par l’OECD (Organisation for Economic Co-operation and Development). (2006). URL: http://www.pisa.oecd.org/document/5/0,3343,en_32252351_32236191_39720645_1_1_1_1,00.html. Consulté le 12/02/10.
46
dépendante du rapport à la spiritualité qu’entretient le professeur. Or, 70% des
enseignants pensent que l’éducation Steiner favorise l’ouverture à la spiritualité.
Shankland précise aussi que l’intérêt pour la pédagogie Steiner augmente au niveau
académique, comme en témoignent les recherches de Barz & Randoll (2007) en
Allemagne et en Suisse, ou celles de Mitchell et Gerwin (2008) aux Etats-Unis, même si
un manque de recherches empiriquement validées reste flagrant. Enfin, la chercheuse
affirme que les anciens élèves des écoles Steiner connaissent peu l’anthroposophie,
mais ont des capacités créatives et relationnelles plus développées, portent davantage
d’intérêt aux questions environnementales, politiques et sociales et présentent une
ouverture à la spiritualité sans être pratiquants d’une religion particulière. Ceci confirme
les résultats de recherches précédentes ayant montré que ces élèves sont souvent prêts à
s’engager pour défendre des causes qui leur tiennent à cœur et pour se sentir utiles face
aux problématiques de la société (Finkelmeyer, 2001).
L'enquête de Kim (2008) a montré que les anciens élèves font preuve d'une grande
faculté d’adaptation. Il semblerait donc, d’après les conclusions de l’étude, que la
pédagogie Steiner ne produit pas des personnes « décalées », mais des sujets qui
appréhendent positivement la vie sociale. Les témoignages confirment une bonne
intégration à la société. Les anciens élèves, dans une proportion significative, affirment
une gratitude envers le savoir, le savoir-faire et le savoir-être qu’ils ont reçus, ce qui
soutient également les résultats de Finkelmeyer (2001). Celle-ci a souligné que le
développement de valeurs humaines et spirituelles était un des centres d’intérêts
principaux des anciens élèves. Les qualités que ceux-ci estiment avoir développées sont
les suivantes : ouverture d’esprit, confiance en soi et optimisme, adaptabilité et
tolérance, enthousiasme et volonté, sens artistique, esprit critique, conscience de soi et
des problèmes sociaux, curiosité intellectuelle, sens des responsabilités et dynamisme.
Kim (2008) a soutenu qu’un peu plus de 10% se disent marginaux, sans doute parce
qu’ils ont du mal « à rentrer dans un moule » après avoir quitté l’école, ou encore parce
qu’ils ne sont pas à l’aise dans une société qui fonctionne sur des valeurs où la
compétition est de règle.
4.2.2 Les recherches sur l’articulation entre éducation scolaire et familiale
Glöckler et al (2006) ont souligné l’importance de la collaboration entre professeurs
et parents d’élèves au sein des écoles Steiner. Des parents qui se contentent de « livrer »
47
leurs enfants à l’école ne créent pas une situation très favorable. L’enjeu de la
pédagogie - le fait de ne pas suivre une théorie abstraite mais de créer une pédagogie en
phase avec la réalité de l’enfant - donne aux professeurs le besoin de connaître aussi
l’environnement familial de l’élève. Les chercheurs ont montré que la posture
psychique consistant à penser que c’est à l’autre de changer ne permet pas une
collaboration constructive. Toute tentative d’« éduquer » un autre adulte que soi est
vouée à l’échec. L’adulte ne peut éduquer que lui-même. Les conflits entre parents et
professeurs naissent dans bien des cas de disparités entre les attitudes pédagogiques
(laisser aux enfants leurs libertés ou faire preuve de sévérité et de rigidité), les attentes
vis-à-vis de l’élève (laisser tranquille ou stimuler) et sont occasionnés par des difficultés
de communication. Les tensions non résolues peuvent se reporter sur l’enfant. Mais ce
dernier peut aussi faire l’expérience du fait que les adultes ne s’abandonnent pas à leurs
difficultés, mais s’efforcent d’y travailler et de les dépasser, ce qui peut conférer un
dynamisme, une confiance en la vie. Un enseignant qui prend toujours tout en charge
ne s’étonnera pas que les parents, au fil des ans, s’installent dans la passivité et se
montrent très critiques à son égard. De même, un collègue qui sollicite trop
fréquemment l’aide des parents d’élèves de sa classe paralyse leurs initiatives et éveille
de l’opposition à son égard.
D’après la recherche de Kim (2008), les parents disent avoir mis leur enfant à
l’école Steiner selon un choix positif centré sur des critères artistiques, manuels et
spirituels. De plus, 90% des parents ont fait évoluer leur conception de l’éducation au
contact de l’école, vécue comme un lieu d’apprentissage transgénérationnel. Kim a
aussi montré que selon les opinions des professeurs, parents, élèves et anciens élèves de
différentes écoles Steiner en France, l’objectif de l’éducation découle en grande partie
de la vision de l’homme qu’avait Steiner. Les éléments principaux qui résument
l’expression de cet objectif sont les suivants : épanouissement, développement
harmonieux de l’enfant sur tous les plans (artistique, manuel, intellectuel, spirituel),
liberté, responsabilité, respect de l’individualité de chacun, autonomie, intégrité,
altruisme et équilibre. Pour réaliser ceci, il faut tenir compte de la globalité de la
personne et il est important de relier l’enfant à la nature et à l’environnement qui
l’entoure. Pour la chercheuse, l’objectif de la pédagogie Steiner visant à éduquer
l’enfant pour qu’il devienne un adulte libre, responsable, capable de trouver sa place
dans la société tout en tenant compte de sa personnalité, ouvert aux autres, au monde et
à la vie est atteint.
48
4.2.3 Les recherches sur la dimension spirituelle des écoles Steiner
Rittelsbacher (1975), en s’appuyant sur les conférences de Steiner, soutenait que
certaines influences précises au niveau de l’éducation se répercuteraient tout au long de
l’existence. Ainsi, en développant par exemple l’amour de l’autorité, la recherche par
soi-même de la vérité et une sensibilité à la religiosité chez l’enfant, ce dernier, une fois
adulte, serait mieux à même de trouver un sens à sa vie et de faire preuve de courage,
d’initiative et de tolérance en matière de religion. Il serait intéressant, dans des
recherches ultérieures, de se pencher de manière expérimentale sur ce genre
d’hypothèses.
Selon Lang (2006), les enfants reconnaissent l’état d’esprit psychique et spirituel
d’un adulte à sa façon de vivre, de parler et d’agir. Dès lors, il est important pour les
professeurs de communiquer des valeurs éthiques et religieuses fondamentales, ce qui
ne peut se dérouler que si l’adulte lui-même s’efforce à une véracité et une clarté
intérieures. Le chercheur a montré que les enfants éduqués au sein des écoles Steiner
auraient une meilleure résilience. La pédagogie viserait à leur donner des compétences
les aidant à se développer de manière positive et saine (physiquement,
intellectuellement, socialement et spirituellement) malgré les constellations de risques
existantes au sein de la société moderne mises en évidence par Beck (2003). Pour ce
dernier, les risques courus par les individus sont le fruit d’un processus
d’individualisation forcené, conséquence de la globalisation d’une civilisation qui
détruit son environnement.
Dans un ouvrage qui pose les questions suivantes - Comment utiliser la période
scolaire pour transmettre aux enfants un maximum de forces de santé ? Comment
pédagogues, médecins et parents peuvent-ils apprendre à coopérer pour que les enfants
se sentent compris et soutenus dans les besoins qui sont ceux de leur âge ? Comment
apporter autant d’attention à la dimension psychique et spirituelle de leur
développement qu’à la stimulation de leur intelligence et à leur habileté physique ? -
Glöckler et al. (2006), spécialistes du travail anthroposophique éducatif, soulignent que
Steiner a accompli la création d’un art spirituel de l’éducation. Il s’agit pour eux de
travailler à la construction d’un environnement psychosocial le plus solide possible et
d’élaborer des approches pédagogiques permettant de développer la joie de vivre, la
responsabilité et les compétences socio-relationnelles tout autant que l’intelligence, ce
49
qui rejoint les principes éducatifs fondamentaux soulignés de manière consensuelle dans
toutes les recherches récentes en psychologie du développement (e.g. Bee & Boyd,
2008). Selon Glöckler et al. (2006), Steiner insistait sur le fait que la pédagogie doit
éveiller des facultés (et non pas transmettre des convictions) dans les domaines
scientifiques, artistiques et religieux et intégrer une pratique englobant ce qui concerne
la santé et la maladie chez l’enfant13. Dans le domaine religieux, à comprendre non pas
d’un point de vue confessionnel mais comme une disposition spirituelle que tout homme
porte en lui et qu’il faut cultiver, il s’agit de compétences sociales, telles que la
gratitude, l’amour du prochain et la responsabilité. Steiner prônait la nécessité d’un
cours de religion. Pour Von Kügelgen (2006), religio signifie d’une part honorer,
cultiver, et d’autre part, chercher un lien, créer une cohésion, un ordre, un engagement
et une loi. Se relier signifie alors assumer une responsabilité. Le froid social reflète un
monde d’incertitude, appauvri en religion. Le chercheur précise que, pour Steiner,
l’enfant vit dans une religiosité corporelle : il est entièrement abandon, recherche de
relation. Steiner rend attentif à trois qualités pour l’éducation, trois attitudes de vie qu’il
convient de développer : gratitude, amour et volonté pour le devoir (ou attention à
l’agir de l’autre et à son propre travail) que l’on peut ordonner selon trois niveaux
scolaires : inférieur (jardin d’enfants), moyen, supérieur. A la base de ces trois gestes
fondamentaux se trouvent, d’un point de vue religieux, Dieu le Père (celui qui donne la
vie), Dieu le fils (celui qui apporte l’amour entre les hommes) et Dieu l’Esprit (celui qui
inspire les actions). Ces qualités se trouvent au centre de toute démarche spirituelle,
dans chacune des grandes confessions religieuses.
D’après la recherche menée au sein de six écoles Steiner en France, Kim (2008)
définit tout d’abord la spiritualité qui sous-tend la pédagogie Steiner par la relation
entretenue avec la transcendance qui se manifeste sous différentes formes. Il ne s’agit
donc en aucun cas d’une institution religieuse même si certains symboles et fêtes en
sont issus. À partir de ses observations quant au côté spirituel de la pratique
pédagogique steinérienne, la chercheuse met surtout en évidence le concept de reliance,
c’est-à-dire le fait d’être relié avec les autres, la nature et le monde, d’où découle
13 Par exemple, c’est pour des raisons de physiologie et de psychologie du développement (réduction partielle de l’activité cérébrale, perturbation de l’intégration sensori-motrice) que la pédagogie Steiner prône l’interdiction de l’ordinateur jusqu’à douze ans. Rester derrière un écran inhiberait la création d’images intérieures propres à l’enfant, non manipulées.
50
souvent une forme d’émerveillement, de respect, de conscience de la globalité et
d’humilité dans un rapport à l’inconnu. Une telle dimension rejoint d’ailleurs le terme
religion dans son sens étymologique : se relier à quelque chose, être relié. De telles
considérations peuvent être mises en parallèle avec les travaux de Hart (2006). Selon ce
dernier, la spiritualité est l’expérience directe et intime de la divinité qui a souvent pour
effet de nous réveiller et d’étendre notre compréhension de nous-mêmes et de notre
place dans l’univers. Des entretiens menés par Kim (2008), il ressort que l’expérience
de la beauté est très importante au sein des écoles Steiner. Cette expérience peut se
comprendre, si on se base sur les propos recueillis par les personnes interviewées dans
la recherche, comme étant entre autres le fait de porter un regard différent sur le monde,
animé par un principe spirituel, un regard qui s’émerveille de la beauté de la nature. Or,
selon Kim (2008), au sein d’une modernité plus axée sur l’utilitaire que sur l’esthétique,
cet émerveillement pourrait permettre parfois d’équilibrer une inquiétude liée au niveau
académique requis dans le cursus scolaire.
On peut dès lors mieux comprendre toute la subtilité par laquelle se transmet la
spiritualité au sein des écoles Steiner. La relation à la transcendance est présente dans la
manière dont les professeurs parlent aux élèves, élaborent le contenu de leurs cours et
transmettent ceux-ci. Ainsi, selon Kim (2008), la spiritualité qui anime la pédagogie
Steiner se trouve toujours en filigrane dans le quotidien.
5 Synthèse de la partie théorique
Cette partie théorique a constitué la phase de pilotage de notre étude et a permis de
justifier la pertinence de la question de recherche envisagée dans la partie empirique à
travers une phase exploratoire (via une étude par questionnaires) puis une phase
d’approfondissement (via des entretiens semi-structurés) : Comment la spiritualité est-
elle vécue au sein d’une école Steiner et comment parents et professeurs se la
représentent-ils ?
Dans un premier chapitre, après avoir interrogé le rôle de l’école dans la société
contemporaine et souligné quelques lacunes du système scolaire conventionnel, nous
avons montré en quoi il était intéressant de se pencher sur l’attrait d’un nombre de plus
en plus important de personnes envers la pédagogie Steiner basée sur une certaine
conception de l’enfant et de la spiritualité, phénomène peu étudié académiquement.
51
Un second chapitre a présenté les recherches récentes en psychologie de la religion
abordant la question de la spiritualité. Bien qu’il n’existe pas de consensus clair quant à
une distinction entre religion et spiritualité au sein de ces recherches et que ces notions
impliquent toutes deux un rapport au sacré, certains travaux ont soutenu qu’on peut
considérer le spirituel en tant que quête personnelle de sens quasiment indépendante de
toute religion instituée. Un examen des rôles que remplissent respectivement la
spiritualité et la religion dans la société contemporaine a mis en évidence le phénomène
du believing without belonging, c’est-à-dire le fait que de nombreuses personnes
entretiennent une certaine foi, mais refusent de cultiver celle-ci à travers des institutions
religieuses, ce qui rejoint les considérations de Lypovestky (2004) énoncées dans
l’introduction. Ceci nous a permis d’envisager l’hypothèse de recherche suivante : la
dimension spirituelle explicitement déclarée au sein de la pédagogie Steiner pousse un
nombre croissant de personnes à fréquenter de telles écoles. Nous avons alors montré -
à travers des études abordant à la fois l’impact de la spiritualité sur la santé, les liens
entre spiritualité et créativité, et enfin l’influence du genre en matière de spiritualité -
que cette pédagogie méritait d’être investiguée au niveau des sciences psychologiques et
qu’il était intéressant de questionner ces différentes dimensions (santé-créativité-
féminité) dans notre recherche empirique. Nous avons poursuivi notre revue de
littérature en abordant quelques enjeux liés à la spiritualité au niveau de l’avenir de nos
sociétés. Plusieurs recherches ont soutenu que la spiritualité semble faciliter un nouvel
engagement social connu sous le nom de simplicité volontaire. Ce mouvement propose
un mode de vie visant à résoudre certains problèmes écologiques et sociaux
contemporains. En approfondissant les caractéristiques des personnes qui vivent ce type
d’engagement et en commençant à fréquenter par ailleurs le milieu des écoles Steiner,
nous avons souhaité interroger les individus de l’école dans laquelle notre recherche
allait être réalisée quant au lien éventuel entre spiritualité et simplicité volontaire. Enfin,
il nous semblait essentiel de présenter les études récentes qui se sont penchées sur la
question du développement spirituel de l’enfant et l’impact des structures éducatives à
ce niveau. Malheureusement, ce concept n’ayant pas encore été opérationnalisé de
manière fiable, nous avons été contraints de créer nous-mêmes quelques items pour
interroger, à travers nos questionnaires, les dimensions relevées dans la littérature à
propos du développement spirituel.
52
Un troisième chapitre a souligné les points que nous avons souhaité aborder au
niveau de la pédagogie Steiner (son fonctionnement actuel, le rapport à son fondateur, la
philosophie sous-jacente, le projet pédagogique) dans ces questionnaires.
Enfin, dans un quatrième chapitre, nous avons tenté de fournir un éclairage
théorique précis des liens qu’il est possible d’établir à partir de la pédagogie Steiner
avec, d’une part, certains travaux en psychologie du développement (Dewey, Piaget,
Vygotsky, etc.), et d’autre part, avec la psychologie jungienne. Nous avons également
envisagé les études récentes qui proposent des pistes intéressantes, notamment par
rapport à la dimension spirituelle des écoles Steiner. Après avoir développé tous ces
points, il est judicieux de passer à la partie empirique de notre recherche.
53
DEUXIEME PARTIE : ÉTUDE DE TERRAIN
AU SEIN D’UNE ECOLE STEINER BELGE
A child is a person who is going to carry on what you have started. He is going to sit where you are sitting,
And when are gone, attend to those things which you think are important. You may adopt all the policies you please, but how they are carried out depends on him.
He will assume control of your cities, states and nations. He is going to move in and take over your churches, universities and corporations.
The fate of humanity is in his hands.
Steve Hornberger
Pour interroger la place que peut occuper la spiritualité dans l’éducation, nous
avons, au cours d’une première partie, effectué une revue de la littérature visant à
présenter à la fois la pédagogie Steiner, les enjeux liés aux concepts de spiritualité et
religion dans la société contemporaine ainsi que la notion de développement spirituel de
l’enfant tel que l’envisageait Steiner et tel qu’il a été conceptualisé dans les recherches
récentes en psychologie de la religion et en psychologie du développement et de
l’éducation. Pour mettre à l’épreuve ces considérations théoriques et les illustrer à partir
d’un ancrage de terrain, une étude empirique au sein d’une école Steiner belge a été
réalisée. Cette deuxième partie propose une brève présentation de cette école, suivie de
la méthodologie et des résultats de la recherche.
1 Présentation de la recherche
Avant de présenter nos hypothèses de recherche, nous allons revenir brièvement sur
les objectifs poursuivis.
1.1 Objectifs de la recherche
Tout comme l’étude de Dallé (2008), cette recherche poursuivait à la fois des
objectifs académiques et des objectifs en direction de l’école Steiner, étant donné la
méthodologie choisie. En effet, l’observation participante relève davantage d’une co-
construction d’un projet avec les acteurs sur lesquels portent les interrogations (Piccoli,
2005) que sur le fait de puiser de l’information auprès de ceux-ci, sans chercher à tisser
avec eux une relation la plus authentique possible, avec tous les débats que ce terme
54
soulève (e.g. Lévi-Strauss, 1958 ; Abélès, 1989). Nous espérions donc que cette
collaboration avec l’école puisse lui apporter une amélioration de la connaissance
d’elle-même, à partir de l’intermédiaire d’un tiers visant une recherche objective, et non
à partir d’une volonté de cautionnement. Nous pensions également pouvoir contribuer
au développement d’une meilleure communication en direction du public universitaire
et à la précision de l’image de la pédagogie dans le monde académique. De notre côté,
la recherche visait principalement, en écho aux points développés dans la partie
théorique, à observer comment la spiritualité est vécue au sein de l’école, et à interroger
les conceptions des parents et professeurs sur le sujet. En effet, l’école Steiner nous
paraissait intéressante, car comme il a été précisé dans la première partie de ce mémoire,
l’imaginaire social, ne cherchant plus à s’inscrire dans des confessions religieuses
traditionnelles, est néanmoins actuellement en forte demande de sens. Nous avons
souhaité approfondir les travaux de Dallé (2008), qui ont soutenu l’importance de
mettre en lumière l’approche originale et moderne de la spiritualité vécue au sein des
écoles Steiner.
1.2 Hypothèses de recherche
Notre hypothèse principale était que les individus intéressés par cette pédagogie
sont attirés par la dimension spirituelle de l’école perçue comme un endroit favorisant
le développement spirituel de l’enfant, important pour l’avenir de la société. Ceci
rejoint les conclusions de Dallé (2008) qui ont montré qu’au sein de plusieurs écoles
Steiner françaises, la moitié des parents ne s’inscrivent pas dans une confession
religieuse, mais valorisent très majoritairement une école avec une dimension
spirituelle. Nous avons donc cherché dans quelle mesure cette dimension jouait un rôle
dans le choix d’y inscrire leurs enfants. Nous pensions que les personnes fréquentant cet
établissement scolaire auraient des indices de spiritualité, et peut-être de religiosité, plus
marqués que chez les tout-venants. Nous avons également voulu savoir si la vie de
l’école se déroulait selon les indications du projet pédagogique de Steiner, présenté plus
haut, et si parents et enseignants pensaient que ce projet restait adapté aux besoins des
enfants d’aujourd’hui. Nous nous demandions également le type de rapport que les
personnes gravitant autour de l’école entretenaient avec la société et le système éducatif
conventionnel. À ce sujet, nous avons souhaité investiguer l’hypothèse selon laquelle il
existerait un lien entre simplicité volontaire, rapport à la nature et attitude des parents et
55
professeurs envers la spiritualité. Étant donné l’ambivalence qui règne autour du
domaine spirituel dans la société contemporaine (cf. partie théorique : attrait pour la
spiritualité et rejet de la religion), nous nous attendions à observer deux types de
relation à la spiritualité : soit une attraction très forte, soit une attitude de rejet. En nous
basant sur les résultats de Dallé (2008), nous pensions également que les conceptions
des parents en matière d’éducation évoluaient au contact de l’école. Nous croyions
observer plus d’hétérogénéité dans les réponses côté parents qu’au niveau des
professeurs, puisque ces derniers s’inscrivent tous au sein d’un système pédagogique
qui a le même fondement spirituel, à savoir l’anthroposophie. Nous avons dès lors émis
l’hypothèse selon laquelle les rapports entre parents et professeurs pouvaient être
parfois délicats ou problématiques, ce qui rejoint la thèse de Colsman (2005) et les
éléments développés au sujet de la difficulté d’articuler aujourd’hui éducation scolaire
et éducation familiale.
2 Méthodologie
Afin de proposer l’éclairage le plus pertinent possible quant aux questions soulevées
dans le cadre de ce mémoire, il nous a semblé opportun de croiser plusieurs
méthodologies. La complémentarité des méthodes utilisées représente pour nous
l’originalité et la richesse d’une telle démarche, étant donné les différents regards et
angles d’approche qui ont pu être développés pour étudier de la manière la plus
complète et précise possible les questions abordées. Notre étude s’est déroulée en trois
temps. Une période d’observation participante au sein de l’école visait d’abord à
constater comment les théories du pédagogue sont intégrées actuellement dans les
pratiques pédagogiques, afin d’observer en quoi le discours sur lequel les enseignants
fondent leurs pratiques pédagogiques se déploie au sein de ces dernières. Nous avons
ensuite choisi d’interroger, par questionnaires et entretiens, les conceptions des parents
et professeurs quant à la place qu’occupe la spiritualité dans l’éducation des enfants.
2.1 Observation participante
Pour permettre une prise de recul régulière et construire une représentation fiable du
phénomène étudié qui tienne compte de son inscription dans la durée et de ses
évolutions temporelles, nous avons fréquenté l’école du début à la fin de l’année
56
scolaire 2009-2010. L’observation participante - méthode de recherche issue de
l’anthropologie visant à aller chercher le savoir auprès de ceux qui ont un vécu sur le
sujet abordé - s’est avérée être un outil très précieux dans le cas de la problématique
traitée. De nombreux auteurs ont développé pertinemment et précisément les atouts,
limites et critiques de cette méthode (Kilani, 1989 ; de Voghel, 1995 ; Singleton, 2001 ;
Piccoli, 2005 ; Olivier de Sardan, 2008 ; Jamoulle, 2009). Après avoir explicité en détail
les enjeux, conditions et objectifs de notre démarche, la direction a accepté la
collaboration proposée, principalement grâce aux faits que la recherche permettait
d’apporter un regard scientifique sur l’école et s’étendait sur une période relativement
longue, évitant ainsi les préjugés issus de raccourcis trop rapides. Une grille
d’observation systématique n’a pas été dressée, d’abord car il n’existe pas de consensus
quant à l’opérationnalisation de la dimension spirituelle au sein de la littérature, mais
surtout afin de donner une place aux données imprévues et de laisser ouverte la
possibilité d’être surpris par la réalité du terrain, sans cloisonnement préalable dans des
catégories prédéterminées. Ainsi, dans le but d’appréhender de la manière la plus neutre
possible l’école sans enfermer celle-ci dans le cadre théorique qui avait déjà
inévitablement forgé quelque peu notre regard sur la pédagogie Steiner, nous avons
volontairement attendu d’avoir partagé un mois du quotidien des différentes classes
avant de revenir sur la théorie pour préciser notre question de recherche. Celle-ci a donc
été délimitée à la fois par nos lectures, rencontres, discussions et observations. Ces
dernières visaient à pointer essentiellement les discours, comportements et pratiques
pédagogiques se rapportant au moteur de la recherche : la spiritualité. Les professeurs
étaient au courant du thème de l’étude, tandis que les enfants savaient juste qu’un travail
sur leur école était réalisé.
À partir du mois de septembre, nous avons participé à la vie des jardins d’enfants et
assisté à différentes leçons données par les professeurs principaux et les professeurs
spécialisés au sein des classes primaires, à raison de trois jours par semaine jusqu’au 15
octobre. Ensuite, nous avons continué à être présents aux différentes fêtes de l’école qui
rythment l’année, à quelques cours ou activités extérieures, à certaines journées
pédagogiques, ainsi qu’à des réunions de parents d’élèves. Nous avons passé un tiers du
temps dans les jardins d’enfants et le reste au sein des différentes classes primaires.
Nous avons par exemple aidé à l’animation de jeux en classe ou en forêt, à la
préparation des fêtes et de certains repas au jardin d’enfants, ou encore au bon
déroulement des promenades à l’extérieur de l’école.
57
2.2 Questionnaires
Nous avons choisi de nous intéresser aux conceptions de la spiritualité telle qu’elle
est vécue au sein de l’école, du point de vue des parents d’une part et des professeurs
d’autre part. Les questionnaires, dont un modèle est repris dans l’annexe 8 à titre
d’exemple14, présentaient deux parties. La première, élaborée par Saroglou & Munoz-
Garcia (2008) comportait des items évaluant les indices de religiosité et de spiritualité
empiriquement validés et utilisés à plusieurs reprises dans des recherches récentes en
psychologie de la religion. Nous avons formulé les questions de la seconde partie afin
de dégager des tendances statistiques générales quant aux thématiques que nous
souhaitions aborder, à partir de la revue de littérature précédemment effectuée et de nos
observations participantes. Nous avons regroupé nos questions autour de 7 dimensions.
Suite aux lacunes du système scolaire traditionnel et au rôle de l’école évoqués dans
le début de notre analyse théorique, la première dimension questionnait le regard porté
sur la pédagogie de manière générale. Une seconde dimension regroupait des questions
relatives à la spiritualité ou à la religion, et ce, afin de nuancer et compléter l’apport des
items proposés dans la première partie du questionnaire. Toujours dans la logique de
rester en continuité avec l’examen théorique des concepts envisagés dans la revue de la
littérature, une troisième dimension explorait différentes facettes du développement
spirituel de l’enfant. Une quatrième concernait plus spécifiquement l’école Steiner et
son côté spirituel, tandis qu’une cinquième se penchait sur le rapport entretenu avec R.
Steiner et l’anthroposophie en soulevant des questions qui faisaient écho à la
présentation que nous avions dressée dans la première partie de ce mémoire. Une
sixième dimension questionnait les relations entre parents et professeurs au sein de
l’école, étant donné que notre recherche a interrogé indirectement les enjeux de
l’interaction entre éducation scolaire et éducation familiale. C’est principalement suite
aux travaux d’Arnsperger (2009) et de de Bouver (2008) qu’une dernière dimension,
reprenant des questions autour des caractéristiques des personnes fréquentant l’école,
nous a semblé pertinente à envisager.
14 Professeurs et parents ont reçu des exemplaires légèrement différents. Étant donné que les différences entre les deux versions étaient mineures (par exemple : le remplacement de « mes enfants » pour les parents par « les enfants » chez les professeurs) et ne portaient que sur cinq questions, la version proposée en annexe reprend, en vue de concision et de clarté, les deux formulations possibles sur la page de garde du questionnaire et pour les questions 6a, 14, 15, 19 et 34.
58
Pour répondre, une échelle de Lickert à cinq points (ou à sept points pour la
deuxième question de la partie réalisée par Saroglou & Munoz-Garcia, 2008) était
proposée. Lors de l’élaboration de ces questionnaires, la proposition d’une définition
des termes spiritualité, religion et développement spirituel à partir de notre revue de
littérature a été l’objet d’une interrogation importante à laquelle nous avons été
confrontés. Finalement, nous avons préféré poser quelques questions ouvertes afin de
permettre aux répondants de proposer eux-mêmes le sens qu’ils donnaient à ces notions.
Dans le souci d’offrir la possibilité de nuancer leurs réponses aux différentes questions,
un espace de rédaction libre a été prévu à la fin des questionnaires. Ces derniers ont été
distribués à 240 parents via les professeurs de leurs enfants et déposés dans les casiers
de 26 enseignants. La catégorie « enseignant » reprend les personnes qui s’impliquent
au sein de l’école, mais pas en tant que parents : les jardinières d’enfants, les
professeurs de primaire, les professeurs spécialisés, la directrice administrative, la
secrétaire et les membres du conseil d’administration.
Après les deux semaines de délai prévues, nous avons récupéré et soumis à un
traitement par lecture optique les réponses de 76 pères, 95 mères et de 20 professeurs
(dont trois hommes). En moyenne, parents et professeurs interrogés ont entre 40 et 50
ans (SD profs=.924 ; SD parents=.690) et sont en possession d’un diplôme
d’enseignement supérieur non universitaire. L’échantillon (n=191) était homogène au
niveau de l’ethnicité (individus nés en Belgique). Les réponses étaient confidentielles et
ont été enregistrées selon un système de code permettant le pairage des données des
parents. Le taux de réponse était de 71.8 %, ce qui augmente la fiabilité du traitement de
données. Ces dernières ont ensuite été analysées avec le logiciel statistique PASW
(Predictive Analytics Software). Six questionnaires (cinq destinés aux parents et un aux
professeurs) ont été rendus en retard et n’ont donc pas été pris en considération dans le
traitement statistique.
2.3 Entretiens
Afin d’aller au-delà des tendances générales que les statistiques permettent de
dégager et d’interroger le sens plus précis que parents et enseignants accordent
personnellement aux thématiques abordées, démarche dont la pertinence est de plus en
plus soulignée dans certains travaux en psychologie de la religion (e.g. Belzen, 1997),
59
des entretiens semi-structurés ont été réalisés. Méthodologiquement, les travaux de
Bellet (1995) et Vannesse (1998) ont guidé la gestion du déroulement de ces entretiens.
Pour sélectionner les personnes à recontacter en vue de leur proposer un entretien, le
regroupement des réponses obtenues dans les questionnaires quant à l’importance
(faible=1 / moyenne=2 / élevée=3) donnée à deux dimensions (la spiritualité ou
l’anthroposophie) dans le choix de l’école a permis de distinguer plusieurs types de
profil via une analyse des données à partir de tableaux croisés (cf. annexe 11). Ces
derniers mettent en évidence qu’à la différence des professeurs, peu de parents se disent
très intéressés par l’anthroposophie. Sans ignorer le nombre conséquent de personnes
ayant un rapport mitigé à la spiritualité ou à l’anthroposophie, nous souhaitions
rencontrer en entretien celles qui se disaient soit fortement interpellées par la dimension
spirituelle de l’école, soit pas du tout, afin de voir en quoi nos résultats rejoignaient les
hypothèses formulées à l’issue de la revue de littérature. Parmi les individus fortement
intéressés par la spiritualité, les tableaux croisés nous ont permis de différencier ceux
pour lesquels l’anthroposophie était importante et ceux pour lesquels ce n’était pas le
cas.
Nous avons donc interrogé, parmi les 72% des individus qui ont marqué leur accord
en vue d’être recontactés pour un entretien, 3 pères, 3 mères, 3 professeurs masculins et
3 professeurs féminins ayant chacun des profils différents : ceux qui n’ont choisi l’école
ni pour la spiritualité, ni pour l’anthroposophie (profil 1/1) ; ceux qui ne semblent pas
accorder d’importance à l’anthroposophie mais bien à la dimension spirituelle dans leur
choix de l’école (profil 1/3) et ceux qui affirment avoir choisi l’école à la fois pour sa
dimension spirituelle et par engagement pour l’anthroposophie (profil 3/3). Une
jardinière d’enfants a également été interrogée afin de voir si son avis rejoignait celui
des professeurs. Nous avons choisi de rencontrer en priorité les professeurs que nous
avions le plus observés durant la phase exploratoire, afin de vérifier si le discours qu’ils
tiennent quant à leurs pratiques pédagogiques était cohérent avec nos observations, car
raisonner au sujet de la spiritualité, exprimer fidèlement ce raisonnement et l’appliquer
au quotidien ne relèvent pas des mêmes aptitudes. Quant aux parents, nous avons
préféré ne pas interroger deux personnes d’un même couple, afin de couvrir un
maximum d’avis différents.
Des questions basées sur la revue de littérature enrichie par l’étude exploratoire
réalisée au moyen des questionnaires ont été formulées (cf. annexe 13). Une discussion
avec deux anciens professeurs de l’école, dont la retranscription figure à l’annexe 12,
60
nous a aidés à cibler dix questions pertinentes. Les trois premières questions étaient
volontairement très larges, afin que les personnes définissent elles-mêmes ce qu’elles
entendaient par religion et spiritualité, ainsi que leur rapport à l’éducation et à
l’anthroposophie. Tout en tenant compte du fait que les gens n’ayant pas répondu aux
questions accordent probablement peu d’intérêt à la spiritualité, il était intéressant de se
demander si c’est néanmoins une dimension très présente dans la vie des personnes
fréquentant l’école Steiner, même si celles-ci ne reconnaissent pas toujours l’impact de
cette dimension dans le choix de l’école. En interrogeant les personnes du profil 1/1,
nous souhaitions vérifier cette hypothèse. Étant donné que sur les tableaux de l’annexe
11, on remarque que la majorité des professeurs présente un profil 3/3 (importance de la
spiritualité et de l’anthroposophie), tandis que le profil 1/3 (importance de la spiritualité,
mais pas de l’anthroposophie) est celui qu’on retrouve le plus fréquemment chez les
parents, les deux questions suivantes abordaient la connaissance qu’ont les parents de
l’anthroposophie et son impact dans les relations avec les professeurs. Ensuite, en écho
aux travaux d’Ullrich (2000), deux questions soulevaient les enjeux et possibilités du
rayonnement de la pédagogie, et son importance pour les parents et les professeurs.
Nous demandions également aux individus s’ils souhaitaient préciser ou revenir sur
quelques éléments qui les avaient marqués dans le questionnaire, afin d’élargir
éventuellement notre regard sur les questions formulées dans la phase exploratoire de
notre étude. En outre, nous les interrogions sur les caractéristiques des personnes
fréquentant l’école, afin de vérifier notre hypothèse du lien entre simplicité volontaire,
rapport à la nature et spiritualité. Enfin, il nous semblait important de consacrer une
question d’entretien à l’impact de la différence de genre au niveau de la spiritualité, car
outre le lien entre féminité et spiritualité évoqué dans la revue de la littérature, nous
avions constaté sur les tableaux repris dans l’annexe 11 que le nombre de mères très
intéressées par la spiritualité est deux fois supérieur à celui des pères.
3 Résultats
Pour plus de clarté, les résultats sont présentés dans le même ordre que la
méthodologie. Afin de décrire en détail ce que nous avons observé au niveau de la
manière dont la spiritualité est vécue au sein de l’école, beaucoup d’éléments descriptifs
interviennent dans la partie où nous résumons ce qui ressort de l’observation
participante. Les informations présentées ont été sélectionnées selon leur pertinence
61
quant au phénomène étudié. Ensuite, un résumé des réponses obtenues aux
questionnaires et aux entretiens qui visaient à approfondir nos interrogations est
proposé, afin de pouvoir tirer quelques conclusions de notre étude et de dégager
certaines pistes de recherche.
3.1 Observation participante
Nous proposons ici une description de notre vécu au sein de l’école puisque dès le
mois de septembre, nous avons partagé la routine et le quotidien de l’institution scolaire.
3.1.1 Brève présentation de l’école
L’école Steiner dans laquelle l’étude s’est déroulée a été créée il y a seize ans, suite
à une initiative privée de parents d’élèves. Elle est située en bordure d’un bois dans une
ancienne ferme et se compose de cinq jardins d’enfants (classes maternelles) et de six
classes primaires de vingt-cinq élèves en moyenne. Elle est subventionnée et appartient
au réseau d’enseignement libre non confessionnel, c’est donc une entité privée. Sans en
être membre, elle entretient un partenariat avec la Fédération des écoles Steiner de
Belgique15. L’école évolue donc comme une institution autonome et requiert pour cela
une implication importante des différents acteurs : les jardinières d’enfants (institutrices
maternelles), les professeurs principaux des classes primaires, le professeur de soutien
aussi appelé professeur polyvalent (personne ressource qui prend en charge une classe
en cas d’absence du professeur principal ou assiste ce dernier lors de séances
d’exercices et de remises à niveau des élèves absents ou n’ayant pas compris, ce qui
permet de suivre de plus près le rythme de chaque enfant), les professeurs spécialisés
(gymnastique, travaux manuels, morale, musique, néerlandais), les parents d’élèves, les
membres du conseil d’administration, la directrice administrative et la secrétaire.
Dans le projet éducatif de l’école (cf. annexe 6), il est stipulé que la pédagogie
trouve ses fondements philosophiques et anthropologiques dans l’anthroposophie qui
n’est en aucun cas, et ceci est inhérent à la démarche anthroposophique elle-même,
enseignée aux enfants. Aucun parent n’est tenu d’y adhérer, mais chaque parent doit
15 La Fédération belge (dont le siège est situé en Flandre) poursuit principalement des objectifs d’aide et de soutien aux écoles via la prise en charge des relations extérieures, la promotion et la diffusion du mouvement des écoles Steiner-Waldorf, l’information auprès du public et la formation des professeurs.
62
savoir et respecter le fait que cette conception du monde et la méthodologie qui en
découle sont le fondement de la pratique pédagogique des enseignants de l’école.
3.1.2 Le secrétariat
Le secrétariat est le lieu qui nous a le mieux permis d’entrer en contact avec les
personnes de l’école. Il s’agit d’une petite pièce assez chaleureuse où les professeurs,
quand ils ont une pause, se retrouvent pour partager une tasse de thé ou le repas de midi.
Les parents sont également invités à y prendre un café le matin en déposant leurs
enfants. Une bibliothèque est mise à leur disposition. On y trouve autant des livres de
vulgarisation sur le pan éducatif et pédagogique que des ouvrages anthroposophiques,
regroupés dans les sections suivantes : histoire et mythologie / philosophie et religion /
art / botanique, agriculture et zoologie / médecine / pédagogie / psychologie et sciences
de l’éducation / contes et légendes / poésie et théâtre / biographie / musique / fêtes /
œuvres de R. Steiner. Il y a aussi différentes revues : celle de la société
anthroposophique de Belgique, celle des écoles Steiner de l’association de Lausanne,
celle intitulée Jardinage Biologique, mais aussi Weleda16, L’Alouette (bulletin rédigé
par des parents et enseignants de l’école) et trois autres revues d’orientation
anthroposophique : Tournant, Triades et Esprit du Temps. Ceci nous permet déjà
d’observer qu’au-delà d’une ouverture quant aux références non anthroposophiques, ces
dernières ne sont pas pour autant cachées : bien au contraire, les ouvrages et
conférences de Steiner sont disponibles pour les parents qui ont accès à tout ce qu’ils
désirent approfondir. De plus, la bibliothèque est régulièrement mise à jour. Ainsi, sur
un grand comptoir, les ouvrages de Gauchet (2008) et Moro (2010) sont par exemple
recommandés. D’autres lectures (proposées en fonction des saisons et des fêtes qui
rythment l’année) et brochures (qui informent quant aux événements locaux et aux
formations en art-thérapie ou en pédagogie par exemple) sont également mises en
évidence. Dans cette pièce, on trouve aussi un grand calendrier dessiné par les
professeurs, fruit d’un patient travail artistique.
16 Revue publiée par une entreprise internationale qui développe et commercialise des préparations pharmaceutiques, diététiques et des produits cosmétiques naturels, élaborés sur la base de l'approche anthroposophique de l'être humain et de la nature.
63
3.1.3 Les fêtes
La préparation des fêtes, la célébration des anniversaires et des saisons, sources de
joie pour les enfants, occupent une grande place au sein des écoles Steiner. Nous
souhaitons développer brièvement quelques événements vécus lors des fêtes célébrées à
l’école17, car ceci nous semble représenter une excellente porte d’entrée pour
comprendre la place accordée à la spiritualité.
À la fin de l’été, c’est la saison des récoltes qui se termine par la fête des récoltes et
celle de la Saint-Michel, dont l’histoire est relatée dans l’Apocalypse de saint Jean.
Nous avons préparé et partagé cette célébration de la victoire de l’archange Michel
contre le dragon qui symbolise un combat entre lumière et obscurité. La journée a
commencé par les chants en hommage à Michel clamés par tous les enfants de primaire
dans la cour de récréation, avant le départ vers un bois. Quelques activités et jeux
préparés par les professeurs attendaient les enfants répartis en différents groupes, les
plus grands prenant en charge les plus petits, indépendamment de leurs groupes de
classe habituels. La journée se terminait par un petit spectacle de la classe de 6e
primaire, joué dans le bois devant tous les enfants de l’école, qui représentait le combat
de Michel contre le dragon.
En automne, la Saint-Martin, dite fête des lanternes (fabrication de lanternes en
papier et invitation des parents pour une promenade en chansons à la tombée du jour)
célèbre l’entrée dans l’hiver, qui lui aussi apporte son lot de festivités, en commençant
par l’Avent. Les plus petits sont sensibilisés à cette période particulière de l’année par
un calendrier étoilé dont on ouvre une fenêtre chaque jour et qui s’accompagne d’une
courte histoire. Les enfants de primaire célèbrent un rituel appelé spirale de l’Avent,
auquel nous avons assisté. Il symbolise le chemin que chacun est amené à parcourir en
vue de découvrir en lui-même sa lumière intérieure. Il s’agit de faire marcher les enfants
sur une grande spirale placée à même le sol et réalisée avec des branches de sapin. En
son centre est située une bougie à laquelle chaque enfant vient allumer une chandelle,
accompagné par son titulaire et le professeur de musique qui chante et joue de la harpe.
Viennent ensuite la Saint-Nicolas, Noël, la fête des Rois, le Carnaval, Pâques, la
Pentecôte et enfin la Saint-Jean, la fête de l’entrée en été.
17 Pour une présentation détaillée de ces fêtes, nous renvoyons aux travaux de Jaffke (1994).
64
3.1.4 Les jardins d’enfants
Une grande importance est accordée à la qualité, au critère esthétique et écologique
des matériaux utilisés au sein de l’école. L’espace est aménagé pour favoriser la liberté
de mouvement dans la plus grande sécurité. Tous les locaux des jardins d’enfants ont la
même structure qui vise à créer un environnement chaleureux et rassurant avec des
limites claires. Ils comportent tous une petite cuisinière, un évier pour laver la vaisselle,
un endroit de rangement pour les couchages des enfants (lors des siestes), un vestiaire
pour les manteaux, les bottes et les chaussons, des tables et des chaises, une table des
saisons (c’est-à-dire une table où sont présentés différents objets qui évoquent la saison
présente18), des livres d’images et différents jouets soigneusement rangés dans les
étagères : poupées, figurines en bois, planches, tissus, pommes de pin, cordes, pierres,
etc.
L’annexe 7 reprend en détail le rythme d’une journée et d’une semaine types au
jardin d’enfants. La matinée commence toujours par des jeux libres, afin d’encourager
les enfants à prendre eux-mêmes des initiatives et à développer leur créativité et leur
imagination. Les jardinières n’interviennent qu’en cas de problème. Elles encadrent les
enfants qui jouent en s’inspirant du matériel à leur disposition. Certains enfants
s’organisent de façon autonome dans un petit groupe, d’autres ont besoin de l’aide de
l’adulte. Mais pour alimenter la motivation et la curiosité et éviter que les jeux libres ne
donnent à l’enfant l’impression d’être livré sans cesse à lui-même, ces jeux doivent
laisser place à des activités dirigées en rapport avec les saisons et les fêtes à célébrer. Il
y a des activités artistiques et manuelles (dessin avec des blocs de cire, peinture à
l’aquarelle, bricolage, couture, tissage, modelage avec terre glaise, cire d’abeille ou pâte
à sel), domestiques et pratiques (mettre la table, ranger, nettoyer, laver la vaisselle),
culinaires (préparer du pain, de la compote ou une salade de fruits) mais aussi de la
psychomotricité, de l’éveil au conte (à ce sujet, voir les travaux de Vincent, 2003) , de
l’éveil musical (chansons et comptines, instruments de musique, jeux de doigts et de
mains), de l’éveil à la nature (observations systématiques de petits animaux et
d’insectes, plantations de bulbes et de graines, manipulation de la terre et du sable).
Entre les différents moments de la journée, les transitions sont pour la plupart
18 Si c’est en automne, la jardinière peut par exemple décorer sa table avec des feuilles mortes et des éléments qui évoquent les récoltes de blé ou de pommes.
65
introduites par une chanson qui indique la fin d’une activité et le début d’une autre. Ces
chansons deviennent de jour en jour des points de repère qui rythment la vie de l’enfant.
Le changement de saisons est intégré dans les rondes, les chansons et l’histoire
racontée quotidiennement aux enfants, souvent la même, de sorte qu’ils soient confortés
dans un sentiment de sécurité intérieure et de confiance. Le repas est pris en commun à
midi dans la classe. Certains petits rentrent chez eux après la matinée. L’après-midi
commence par une sieste, avant la reprise des activités.
De manière générale, les jardinières accordent une grande importance au processus
d’imitation (divisé en trois étapes : observation / assimilation / reproduction) de l’adulte
qui guide et développe les habiletés du petit enfant. Elles connaissent très finement les
étapes du développement de l’enfant reconnues au sein des recherches récentes en
psychologie (Bee & Boyd, 2008) et tentent de ne jamais précipiter leurs actes
pédagogiques, mais de les penser, leur donner un sens, les ordonner, les organiser et les
réaliser de telle sorte qu’ils soient clairement perçus par l’enfant.
3.1.5 Les classes primaires
Tout comme les jardins d’enfants, les classes sont peintes avec des couleurs
chaleureuses et on y trouve une cuisinière, un évier, un vestiaire pour ranger les
chaussures, une étagère avec des aquarelles et des pinceaux, une table des saisons et
certains objets adaptés à l’âge des enfants. Par exemple, la classe de 6e est décorée avec
un grand mandala, un autel avec un globe terrestre et des cartes du monde, une grande
ligne du temps, une belle bibliothèque, ainsi que des affiches du système solaire et des
planètes.
À 8h30, chaque professeur commence par saluer individuellement ses élèves à
l’entrée du local, afin de prendre conscience de l’individualité de chacun, avant de
saluer l’ensemble de la classe. Les enfants récitent ensuite les paroles du matin qui
visent à délimiter un temps et un espace pour les activités scolaires et offrent ainsi un
cadre structurant. Il s’agit notamment pour la personne qui les récite de remercier et de
conscientiser l’opportunité qui lui est offerte d’apprendre. Ceci rejoint les propos
développés dans la partie théorique au sujet du lien entre spiritualité et sentiment de
gratitude. Après deux heures de théorie, la récréation se déroule dans une grande
pelouse (la cour des enfants de primaire est séparée de celle des petits du jardin
d’enfants et n’est pas bétonnée comme dans les autres écoles) et est suivie de deux
66
périodes de cours donnés par les professeurs spécialisés ou de soutien. Ils mangent tous
ensemble dans la classe, sous le regard de l’enseignant qui veille à ce que le repas soit
pris dans le calme, avant d’autoriser les enfants à sortir. Les deux heures de l’après-midi
sont consacrées à des exercices théoriques donnés par les professeurs principaux, des
cours de soutien, des cours spécialisés ou des sorties en forêt. Chaque classe poursuit un
projet qui lui est propre. Par exemple, la classe de troisième a développé cette année un
projet de potager. Une après-midi est consacrée à retourner la terre, semer ou récolter,
selon la saison.
Certains professeurs ont mis en place un conseil de classe qui se déroule pendant
une demi-heure chaque semaine. C’est un espace où les enfants peuvent verbaliser ce
qu’ils ressentent vis-à-vis d’un problème qui a lieu entre eux où dans la classe. Ils
peuvent aussi exprimer leur avis sur un sujet, donner un conseil, remercier un camarade
ou tenter de gérer un conflit. Ce conseil vise à développer la responsabilité des enfants.
Comme avant chaque cours, le professeur attend pour commencer que chacun soit
concentré, prêt à travailler, à l’écoute du groupe.
L’ eurythmie est un cours très important au sein des écoles Steiner. Il s’agit d’un art
du mouvement qui recherche un lien entre verbe, musique et motricité, inventé par
Steiner. C’est un cours d’expression corporelle liée aux sons parlés et musicaux, qui
vise à contribuer à développer l’imagination, la perception de l’espace frontal, latéral ou
arrière et la mobilité. L’école où nous avons réalisé notre étude n’a pas la possibilité
d’offrir des cours d’eurythmie chaque semaine et doit donc se contenter de plusieurs
périodes d’une semaine sur l’année où un professeur d’eurythmie français vient donner
des cours, de manière intensive, dans toutes les classes et les jardins d’enfants.
Nous proposons à présent de revenir sur certains événements qui ont
particulièrement retenu notre attention. Nous avons déjà évoqué par exemple la place de
la gratitude et de la responsabilisation. Il nous faut également évoquer le fait que
l’erreur est considérée comme un tremplin, comme ce à partir de quoi il faut composer,
et non pas comme quelque chose à effacer, à cacher. Tout est fait pour éviter que l’élève
ne subisse la matière. Il doit être actif, développer son éveil et son intérêt pour les
choses. Selon les professeurs, si l’élève ne fait qu’entendre un cours, il l’oublie. S’il le
voit, il le retient. S’il le fait, s’il le vit, alors seulement il le comprend. Pour eux, il s’agit
de vivre la spiritualité, c’est-à-dire de faire ressentir à l’élève le sens, l’esprit des
matières enseignées. Il n’est en aucun cas question d’une spiritualité éthérée,
désincarnée. Les enseignants ne parlent pas de spiritualité aux élèves, ils semblent
67
plutôt animés d’un certain enthousiasme pour leur métier, d’une envie de transmettre
des valeurs humanistes aux enfants.
Pour conclure, nos observations sont synthétisées dans le tableau ci-dessous. Il
semble que les activités de différents niveaux (physique, social, cognitif et moral)
convergent en vue de l’équilibre harmonieux de l’enfant. Les professeurs insistent
d’ailleurs sur l’importance de la complémentarité des matières enseignées.
Tableau 1 : Synthèse des observations au sein des classes primaires
Physique Eurythmie, activités à l’extérieur (sorties en forêt), travaux manuels
Social Accomplissement collectif d’une œuvre (e.g. pièce de théâtre), préparation des fêtes, repas pris en commun
Cognitif Absence d’explication donnée à l’avance dans les exercices proposés, recherche personnelle et perception de sens à travers le déroulement logique des activités
Moral Remerciements, récits de paroles, chants
3.2 Questionnaires
Pour analyser les résultats, des tests t de comparaisons de moyennes par rapport au
point milieu de l’échelle ont été réalisés afin de mettre en évidence les réponses
moyennes de chacun des trois groupes (pères-mères-professeurs) qui semblent les plus
tranchées (écart important vis-à-vis du point milieu de l’échelle). Nous avons aussi
procédé à des tests de comparaisons intergroupes (après pairage des données
pères/mères) pour voir sur quels items on pouvait relever des différences significatives.
Une présentation détaillée de ces résultats est proposée dans les tableaux de l’annexe 9.
Signalons d’emblée que des différences significatives entre pères et mères sont
observées sur 83.33 % des items, entre pères et professeurs sur 71.43% des items, et
entre mères et professeurs sur seulement 33.33% des items. C’est la raison pour laquelle
nous avons souhaité interroger en entretien autant de pères que de mères et de
professeurs sur les mêmes questions.
3.2.1 Questionnaire sur l’attitude religieuse
Dans la littérature, les données de Saroglou & Munoz-Garcia (2008) avaient été
récoltées auprès de 256 étudiants espagnols ayant reçu une éducation catholique en vue
de la validation initiale des items élaborés afin de créer un instrument de mesure
68
proposant des échelles évaluant les indices de religiosité et spiritualité. Nous allons
fournir un aperçu de nos propres résultats obtenus sur ces indices empiriquement
validés avant de proposer une comparaison des deux études, défi délicat à relever étant
donné les caractéristiques différentes des deux échantillons. Dans le but d’appuyer la
fidélité de ces items, nous avons néanmoins procédé à une analyse statistique de
comparaison de moyennes. Nous nous attendions à ce que nos résultats présentent un
indice de spiritualité plus élevé et un indice de religiosité plus faible que ceux des sujets
interrogés par Saroglou & Munoz-Garcia (2008).
On observe des différences significatives entre parents et professeurs sur certains
items de religiosité et de spiritualité proposés par ces auteurs. Ainsi, les pères semblent
prier moins fréquemment et accorder moins d’importance à la spiritualité que les mères
et les professeurs. Au niveau des moyennes quant à l’importance de Dieu dans la vie,
celle des pères est plus faible que celle des mères. De plus, autant pères que professeurs
accordent peu d’importance à la religion.
En ce qui concerne la comparaison de notre étude à celle de Saroglou & Munoz-
Garcia (2008), au niveau des professeurs, les données ont permis de montrer que
l’indice de spiritualité (M=6.83, SD=0.51) est plus élevé [t(17)=21.138] et ce, malgré la
petite taille de l’échantillon (n=20), tandis que rien n’a pu être mis en évidence au
niveau de l’indice de religiosité (M=4.54, SD=1.45). Au niveau des parents, un indice
plus élevé [t(101)=14.785] de spiritualité (M=5.99, SD=1.18) et un indice plus faible
[t(92)=-2.794] de religiosité (M=3.38, SD=1.55) ont pu être mis en évidence, ce qui
confirme nos hypothèses.
Signalons encore que l’indice de spiritualité des professeurs est significativement
corrélé (au niveau 0.05) à leur âge (r=.553), à leur fréquence de travail (r=.583) et à la
durée de leur présence au sein de l’école (r=.586), et ce, malgré la faible taille de
l’échantillon (n=20), tandis que ce n’est pas le cas chez les parents (n=171).
3.2.2 Questionnaire sur la place de la spiritualité dans l’éducation
Les lignes suivantes proposent de reprendre les tendances générales statistiquement
mises en évidence. Nous illustrerons celles-ci avec une sélection des extraits de
réponses données aux questions ouvertes (cf. annexe 10) proposées dans les
questionnaires qui nous semblent refléter le mieux les résultats moyens que nous avons
dégagés. Ces réponses nous ont permis de remarquer que même les personnes pour qui
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la dimension spirituelle et l’anthroposophie n’ont a priori pas influencé le choix de
l’école Steiner explicitent souvent de manière détaillée ce que représentent pour elles la
spiritualité, la religion ou le développement spirituel, en insistant sur leur importance
dans leur vie familiale. Ces personnes décrivent d’ailleurs toutes sortes de pratiques
différentes (travail énergétique, aïkido, shiatsu, méditation indienne, bouddhiste, etc.)
qui les nourrissent. La diversité des pratiques spirituelles est donc très marquante.
a) Le regard porté sur la pédagogie de manière générale
Tous les individus interrogés soutiennent très peu le fait que l’enseignement
conventionnel apporte à l’enfant ce dont il a besoin, mais sont en revanche presque tout
à fait d’accord avec l’idée selon laquelle l’école doit se charger autant du
développement intellectuel de l’enfant que d’autres aspects tels que son habileté
manuelle, son développement émotionnel, moral, social et/ou spirituel (bien que ceci
soit un peu moins marqué chez les pères). Ils pensent quasiment tous qu’il devrait y
avoir plus d’écoles Steiner car celles-ci sont importantes pour une meilleure évolution
de la société et répondent mieux aux besoins de l’enfant que les écoles conventionnelles
(mais les mères insistent davantage que les pères). Ainsi, un père affirme :
J’ai choisi cette école pour l’épanouissement des enfants : il n’y a jamais de violence exacerbée. On permet aux enfants d’avoir une vue la plus neutre et la plus personnelle possible du monde qui l’entoure, pour lui permettre de développer son sens, sa personnalité propre, son autonomie.
b) La spiritualité
La distinction entre religion et spiritualité et le rôle de cette dernière quant à une
meilleure évolution de la société sont importants pour tous (mais les pères se distinguent
néanmoins des mères de manière significativement plus faible). Une mère appuie :
Par religion, j’entends l’institution, la structure de l’église et donc, je ne m’y sens pas particulièrement attachée. Elle n’a pas vraiment de place dans notre vie familiale. Par spiritualité, j’entends la dimension de l’ordre de la croyance, le monde plus subtil des choses davantage senties qu’expliquées. Cette notion évolue dans ma vie.
Mères et professeurs peuvent concevoir de ressentir un lien avec le monde enchanté
de toute la création, ce qui ne semble pas vraiment important chez les pères. Très peu de
personnes adhèrent à une tradition religieuse, mais ne se disent pas pour autant
méfiantes quand on leur parle de spiritualité (bien que les pères le soient un peu plus
que les mères). Les paroles de deux mamans en témoignent :
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Je donne à la spiritualité un sens détaché de toute croyance en un monde invisible ou religieux. Mais j’y adhère au sens : respect de l’autre et de la nature, intelligence, réflexions morales et éthiques, observations et rigueur de pensée. La spiritualité, c’est ce qui est commun à toutes les religions, et ce, dans sa pratique la plus intérieure. Les différentes traditions religieuses (chrétienne, hébraïque, indienne, soufie) me servent de support dans la vie de tous les jours.
La spiritualité en tant que base sous-jacente des pratiques et attitudes quotidiennes
avec les enfants semble moins déterminante chez les pères que chez les mères et les
professeurs. Un enseignant souligne d’ailleurs :
La spiritualité équilibre un matérialisme envahissant puissant. La spiritualité se vit : en parler ne sert à rien, c’est intellectuel !
c) L’école Steiner et sa dimension spirituelle
Pour la grande majorité, si l’école Steiner n’est pas une école catholique, c’est
néanmoins une école chrétienne. Au niveau des raisons qui ont poussé au choix de cette
école, le contact privilégié avec la nature semble avoir été un élément marquant pour la
plupart (quoiqu’un peu moins pour les pères), l’anthroposophie semble généralement
peu importante chez les parents, tandis que la dimension spirituelle de l’école l’est pour
les mères et les professeurs. Tous pensent que cette dimension est une caractéristique
essentielle pour définir l’identité de l’école, reconnaissent la spiritualité comme base
sous-jacente aux pratiques et attitudes quotidiennes des professeurs de l’école envers les
enfants, et disent qu’une des spécificités de l’école est qu’elle éveille des attitudes
comme la gratitude, l’émerveillement ou le respect (les professeurs sont les individus le
plus en accord avec cette dernière affirmation, suivis des mères, puis des pères). Les
enseignants soutiennent ne pas entretenir régulièrement des conversations au sujet de la
spiritualité avec les enfants. Contrairement aux pères et aux mères, ils avouent que leurs
conceptions de l’enfant, de la spiritualité et de l’éducation ont changé depuis qu’ils
fréquentent l’école Steiner (des différences significatives entre pères, mères et
professeurs sont observées à ce niveau). Une maman explicite :
Promouvoir les écoles Steiner, c’est promouvoir l’avenir : des écoles où les enfants sont respectés, évoluent à leur propre rythme, pris en compte dans leur globalité (corps, cœur, esprit), où on leur donne plus qu’un simple apprentissage, où ils reçoivent de l’amour. Dans notre société actuelle si violente, c’est non-négligeable ! J’ai rarement vu des personnes exercer leur métier avec autant de passion, de patience, d’écoute et de respect envers l’enfant, comme le fait la jardinière de mes enfants.
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d) Le développement spirituel de l’enfant
Pères, mères et professeurs s’accordent à dire que l’enfant peut vivre des
expériences spirituelles et soutiennent que ce n’est pas uniquement à la famille de se
charger du développement spirituel de l’enfant : c’est aussi du ressort de l’école. A titre
d’exemple, deux mamans précisent :
Par développement spirituel de l’enfant, j’entends le développement de ses facultés internes, intérieures, profondes, qui donnent sens à la vie. C’est le développement de son être cheminant sur terre et étant appelé à réaliser, tôt ou tard, sa part divine ici-bas. La connaissance des lois profondes de la nature, de l’univers, de l’être humain, etc. contribue à ce développement. Le développement spirituel de l’enfant se produit quand l’âme de l’enfant est « nourrie » et grandit, notamment en cultivant chez l’enfant une attitude d’émerveillement et de reconnaissance pour la vie qui l’entoure.
Moyennant des différences de degrés d’accord, le développement spirituel de
l’enfant est globalement perçu comme important pour la santé globale, le bien-être, la
capacité à trouver davantage de sens à l’existence une fois adulte, le développement
émotionnel, moral, social et encore intellectuel de l’enfant (ce qui facilite ses
apprentissages), mais aussi pour la société de demain. Un père a écrit ceci :
Le développement spirituel de l’enfant vise à le familiariser avec les multiples dimensions de l’existence afin qu’il trouve les ressources pour mettre en œuvre son harmonie au monde et à lui-même, qui se traduit par le sentiment d’être sur le chemin juste pour soi.
Voici l’avis d’un professeur de l’école sur la question :
Pour moi, le développement spirituel de l’enfant est là. C’est à nous, adultes, de lui offrir le cadre et le contact adéquat pour qu’il puisse s’épanouir. Nous devons être très modestes. Dans ce domaine, c’est nous qui apprenons de l’enfant. Je ne discute pas de spiritualité avec les enfants, mais elle est toujours sous-jacente à ce que nous vivons.
e) R. Steiner et l’anthroposophie
Les différences significatives entre parents et professeurs sont plus marquées au
niveau du rapport à l’anthroposophie : les professeurs affirment que leur conception de
l’éducation et leur rapport à la spiritualité s’appuient sur les théories de Steiner, tandis
que ce n’est pas le cas des mères et encore moins des pères. Seuls les professeurs
prétendent connaître Rudolf Steiner et l’anthroposophie mais tous s’accordent
généralement à la fois sur l’idée selon laquelle cette connaissance est importante pour
les professeurs (et pas pour les enfants) et sur le fait que les principes pédagogiques
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proposés par Steiner restent adaptés aux besoins des enfants d’aujourd’hui. Un père
développe ceci :
Si dans ses fondements l’anthroposophie est profondément chrétienne, elle n’est absolument pas catholique et refuse les dogmes, directions imposées et la foi aveugle. Chez l’adulte (pas encore chez l’enfant), la religion doit être une affaire personnelle, et réfléchie, choisie librement. L’anthroposophie s’appelle d’ailleurs la science spirituelle.
De plus, une corrélation significative au niveau 0.01 entre l’engagement des
professeurs par rapport à l’anthroposophie et leur fréquence de travail a été mise en
évidence (r=.802).
f) Les relations entre parents et professeurs au sein de l’école
Parents et professeurs semblent entretenir un rapport facile et agréable et ont le
sentiment d’être régulièrement en accord avec les pratiques pédagogiques de l’école
Steiner (bien que ce soit un peu moins marqué chez les pères). Mères et professeurs
affirment bien comprendre la notion de spiritualité qui caractérise les pratiques
pédagogiques de l’école Steiner. Une maman souligne :
Je n’attends pas de l’école qu’elle nourrisse à elle seule mes enfants sur le plan spirituel. Je suis heureuse qu’elle donne une cohérence aux valeurs que nous souhaitons voir grandir chez nos enfants.
g) Les caractéristiques des personnes fréquentant l’école
Le rapport au temps, à l’argent, au travail, aux choses matérielles, aux autres, à la
nature, à la gratuité et aux loisirs ne semble pas avoir évolué de manière significative
depuis que parents et professeurs fréquentent l’école. En revanche, presque tous se
sentiraient proches d’un mouvement socioculturel qui propose de réduire consciemment
sa consommation de biens en vue d’une existence intérieure plus riche et pensent que la
société de consommation moderne menace leur bien-être, celui de leurs enfants et/ou
des générations futures. Le lien entre rapport à la nature et spiritualité est évident pour
eux et l’écologie est une de leurs préoccupations principales au quotidien, comme
l’illustrent les propos d’une mère :
L’émerveillement et le lien à la nature me semblent primordiaux dans un monde déjà tellement désenchanté. […] Pourvu que s’ouvrent des portes vers une grande conscience de l’importance des systèmes éducatifs !
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Une corrélation significative (au niveau 0.01) a été mise en évidence entre l’indice
de spiritualité et la proximité ressentie avec un mouvement de type simplicité
volontaire, surtout chez les professeurs (r=.656). Il serait donc intéressant, dans de
futures recherches de se pencher sur ce lien entre spiritualité et simplicité volontaire
pour mettre en évidence d’éventuelles relations de cause à effet.
3.3 Entretiens
L’annexe 14 reprend les retranscriptions complètes des 13 entretiens réalisés,
classés selon les trois profils chez les enseignants et les parents. Pour présenter les
résultats de nos entretiens, nous avons choisi de reprendre les tendances générales qui se
sont dégagées pour chaque question au fil de nos rencontres, et de les illustrer par
quelques extraits qui nous semblent représentatifs. Il est judicieux de souligner que les
avis semblent se rejoindre dans les grandes lignes, malgré les différents profils. La
limite suivante, déjà évoquée plus haut, doit toutefois nuancer cette affirmation : nous
n’avons pu interroger que les personnes qui, ayant marqué leur accord pour être
recontactées en vue d’un entretien, étaient probablement celles qui avaient un certain
intérêt pour un questionnaire sur la spiritualité. Vu la contrainte du nombre de pages
imposé, nous n’avons pu présenter les détails et spécificités de chaque entretien, mais
nous renvoyons le lecteur intéressé à l’annexe 14 qui reprend les retranscriptions
complètes de tous les entretiens, effectuées dans un souci de préserver la parole de
chaque personne telle qu’elle nous a été livrée et de permettre ainsi au lecteur ou à de
futurs chercheurs de resituer les extraits dans leur contexte et d’approfondir
éventuellement nos recherches.
3.3.1 Le rapport à la religion
Conformément aux résultats des questionnaires, les professeurs abordent
généralement la religion plus facilement que les parents. Ils ont souvent précisé qu’ils se
sentaient proches de la religion si on l’entendait au sens étymologique de se relier. Dans
ce cas, la distinction entre religion et spiritualité n’a plus vraiment lieu d’être. Par
contre, c’est le côté figé et dogmatique des institutions religieuses qui semblent rebuter
la plupart des personnes interrogées, comme en témoigne l’extrait suivant :
(Professeur, entretien n° 4). Certaines institutions se revendiquent d’une religion et ont entaché l’image du terme religion, qui en tant que telle ne devrait pas être perçue
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comme négative. La religion a été trahie par certaines institutions, d’où le terme spiritualité, sans doute plus neutre et donc adopté par certains.
Moyennant la limite énoncée plus haut, il faut néanmoins observer qu’à travers nos
entretiens, nous avons vérifié l’hypothèse selon laquelle même les personnes du profil
1/1 (faible importance accordée à la dimension spirituelle ou à l’anthroposophie dans le
choix de l’école) sont sensibles à la religion ou à la spiritualité :
(Mère, entretien n°1). Je crois que toutes les religions ont des vérités et avec tout ça, moi, je crée ma propre religion, par rapport à moi-même, à ce qui me touche. (Père, entretien n°2). Je peux reconnaître plein de grandes choses présentes au sein des religions, mais justement, pourquoi vouloir les catégoriser au sein d’une seule religion ? Pour moi, il faudrait écrire un grand livre avec toutes les religions et tout ce qui est bon là-dedans. Ma conception de la religion, c’est que chacun a la capacité de trouver lui-même ce qui lui convient. […] On sent un socle, un fond religieux qui mène et organise [l’école]… Et je vois qu’ils [les professeurs] essaient de faire le bien.
Il est intéressant de relever aussi que ces deux personnes ne mettent pas
explicitement l’anthroposophie au centre de leur conception du monde, mais adoptent,
sans le savoir, une attitude proposée par ce système de pensée et revendiquée par ceux
qui s’y inscrivent : le fait que chacun doit trouver en lui-même ce qui lui convient. Une
maman souligne d’ailleurs que la diversité des pratiques spirituelles, mise en évidence
plus haut, rend le chemin plus difficile et plus chaotique que la voie unique tracée par
une tradition religieuse :
(Mère, entretien n°3). Je trouve que la spiritualité est plus large et parle beaucoup du divin en nous et pas tellement du divin dans la hiérarchie et, en ce sens-là, je trouve qu'elle est très responsabilisante, parce que ce n'est pas Dieu qui va faire les choses, c'est moi ! Elle est moins paternalisante. C'est plus engageant, ce n'est pas canalisé, ce n'est pas codifié, donc du coup on va pêcher un peu à gauche, à droite : on médite, on fait du yoga, un pèlerinage, une retraite, on travaille l'écologie sensible, etc. Ça demande de faire une popote intérieure qui est parfois chaotique, mais je comprends que la tendance actuelle soit à la spiritualité plutôt qu'à la religion, parce que la religion a trop été source de racisme, d'ostracisme et de guerres.
3.3.2 Le rapport à la spiritualité et son importance dans l’éducation
Si chacun donne sa propre définition de la spiritualité, toutes les personnes, même
celle du profil 1/1 reconnaissent son importance dans la société, et dans l’éducation :
(Professeur, entretien n°1). Je trouve que le fait qu'il y a une part de spiritualité dans l'école apporte un plus à la pédagogie. (Mère, entretien n°1). Je trouve que déjà ça permet une certaine ouverture d’esprit.
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(Père, entretien n°2). C’est quelque chose qui dépasse le matériel. Il n’y a pas de lien à une religion particulière, c’est plus une structure de l’esprit pour essayer de vivre bien les choses. Je pense que c’est important pour les enfants, car ça les guide, ça leur amène un esprit pour savoir où ils peuvent aller. Moi je ne développe pas ça avec mon fils et j’espère que les gens de l’école Steiner peuvent lui apporter ce côté plus spirituel, que moi je n’ai pas, pour qu’il puisse développer une autre manière de comprendre ce qu’il est possible de faire dans la vie et ce qu’il ne peut pas faire… et comment il peut voir les choses dans le monde où il va évoluer. […] Pour moi, on peut tout à fait concevoir la science et le spirituel. C’est d’ailleurs pour ça que j’ai mis mon enfant dans l’école. Je pense qu’il développera tout autant son esprit scientifique que son esprit plus spirituel au sein de cette école, sinon je ne l’aurais pas mis là.
Cette reconnaissance de la dimension spirituelle au sein de l’école semble en fait
nécessaire, comme en témoigne l’extrait suivant :
(Père, entretien n°6). [Les parents] doivent être ouverts : s’ils refusent le côté spirituel, ils refusent le pourquoi de cette pédagogie.
Chez la majorité des professeurs, la manière de définir la spiritualité s’appuie sur
l’anthroposophie, ce qui correspond aux résultats des questionnaires :
(Professeur, entretien n° 4). La théorie de la réincarnation qu’il [Steiner] a proposée rend modeste l’adulte que nous sommes. [...] On doit avoir la modestie de se demander qui est l’esprit dans cet être. Que nous apprend-il? Que nous montre-t-il ? N’a-t-il pas plus d’expériences que nous ? Je ne suis pas convaincu que la réincarnation existe, mais je trouve cette attitude intéressante ! […] Je trouve, en comparant avec d’autres traditions, que l’anthroposophie est extrêmement rationnelle, et donc c’est un support très intéressant. (Professeur, entretien n°6). La spiritualité, c’est ce lien invisible qui relie les choses et auquel, par un travail, on peut avoir accès. Je crois que se relier à soi-même, à son être, nous donne accès à quelque chose de plus subtil. C’est un travail pour saisir le sens profond des choses. C’est très important aujourd’hui avec les enfants, car le monde des apparences est plus présent maintenant qu’avant. (Professeur, entretien n°5). C'est plutôt essayer de percevoir l'esprit qui est agissant dans ce qui se manifeste dans le monde : les relations humaines et les phénomènes politiques, historiques, géographiques, etc. Pour moi, l'esprit est agissant et la matière est image de l'esprit. (Professeur, entretien n°7). Steiner le dit : l’enfant est spirituel au départ.
Du côté des parents, les conceptions sont certes plus diversifiées. On retrouve
néanmoins deux grands types de discours. Il y a ceux pour qui l’anthroposophie ne
définit pas leur manière de vivre la spiritualité. Chez eux, cette dernière est importante,
mais soit ils ne prennent pas le temps de lui consacrer énergie et réflexion, soit ils la
définissent de manière très large, comme cette maman :
(Mère, entretien n°3). Il y a quelque chose au-delà de nous qui est capable d'être dans la paix et qui nous transcende et nous transforme tous.
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Pour ceux du profil 3/3, l’anthroposophie nourrit leur quête spirituelle et leur
conception de l’enfant :
(Mère, entretien n°5). Ce n’est pas du tout un être qui arrive vide et qu’il faut remplir avec toutes nos connaissances, en espérant qu’il devienne ce qu’on veut qu’il devienne. (Père, entretien n°6). [L’anthroposophie] c’est ce qui m’a redonné accès à la spiritualité. Ça m’a permis de trouver dans le regard qu’on a sur le monde et la nature le fait que l’Esprit est à l’œuvre dans le monde.
3.3.3 Le lien entre spiritualité et anthroposophie
Globalement, les personnes qui connaissent peu l’anthroposophie ne la rejettent pas
pour autant. Pour beaucoup, elle a permis de renouer un lien avec une dimension
spirituelle qui avait été rejetée de leur existence :
(Mère, entretien n°3). Je ne m'appuie pas sur l'anthroposophie. [...] Elle m'a permis d'ouvrir ma vision et de redonner beaucoup de place à la dimension intérieure, la dimension spirituelle. C'est sûr que je cherche toujours à avoir un petit autel dans la maison. J'y mets ce que je veux. Je vais mettre Mère Theresa avec Bouddha et je vais y mettre des fruits de la saison, des coquillages, des graines, enfin des choses qui me rappellent le vivant dans sa transcendance. Avant d'être passée par l'école, je n'aurais jamais fait cela. […] Mais en tout cas, cela m'a permis, à moi, d'oser beaucoup de choses avec mes enfants. [...] Cela a augmenté mon émerveillement pour la nature, pour le monde ! (Père, entretien n°4). L’anthroposophie m’a renvoyé à la religion, à l’importance de la chrétienté, car elle parle de l’évolution spirituelle.
Quant aux personnes pour qui l’anthroposophie est très importante, ce qui ressort le
plus, c’est une ouverture d’esprit envers la diversité des traditions spirituelles, ainsi que
l’importance du libre arbitre :
(Professeur, entretien n°3). Je m’appuie sur l’anthroposophie, mais je suis aussi très ouverte et très intéressée par beaucoup d’autres mouvements spiritualistes. Je pense que Steiner n’a pas l’exclusivité. Il y a des tas de choses qu’on retrouve dans d’autres civilisations. (Mère, entretien n°5). C'est un chemin de connaissance, ce n'est pas un dogme! Mais, c'est strictement personnel! (Père, entretien n°6). Pour moi l’anthroposophie, c’est très spirituel, mais il faut que ce soit chez l’adulte, tout à fait personnel, libre, accepté.
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3.3.4 Le rapport des parents à l’anthroposophie
Tous les professeurs semblent s’accorder sur le fait qu’il n’est pas important, ni
souhaitable, que les parents connaissent davantage l’anthroposophie.
(Professeur, entretien n°5). C'est important que les parents sachent comment on travaille dans l'école pour ne pas qu'ils demandent à leurs enfants des choses qui sont tout à fait opposées, mais ils n'ont pas besoin de connaître l'anthroposophie! (Professeur, entretien n°6). Si de ce qu’ils perçoivent, ils sentent que c’est bon pour les enfants, pour moi c’est le principal.
Quant aux parents, beaucoup de pères et de mères ne connaissent que très peu
l’anthroposophie, mais cela résulte d’un choix personnel :
(Père, entretien n°2). On nous a donné des renseignements et des références, mais moi par exemple, je passe complètement à côté, car je ne crois pas que c’est important pour moi de connaître tout ça.
3.3.5 Les relations entre enseignants et parents
C’est sans doute sur cette question que nous observons la plus grande diversité de
réponses. Un professeur, après avoir insisté sur le fait qu’il n’est pas nécessaire pour les
parents de connaître l’anthroposophie, reprécise néanmoins que l’essentiel, c’est une
collaboration éducative de qualité, qui vise l’équilibre de l’enfant :
(Professeur, entretien n°7). J’ai dit [aux parents] en début d’année : « nous sommes ensemble, comme un pont, et l’enfant est entre nous ». Il faut le moins de disparités possible entre le jardin d’enfants et la maison, pour que les enfants ne soient pas perdus entre ces deux repères.
Généralement, les parents paraissent enchantés des contacts entretenus avec les
professeurs :
(Mère, entretien n°1). La première jardinière de mon fils a été quelqu’un qui m’a beaucoup aidée dans le chemin de mon enfant, avec qui on avait vraiment de superbes discussions. (Père, entretien n°2). Au début, on se posait des questions par rapport au professeur de notre enfant, à sa façon très religieuse, spirituelle d’expliquer les choses, de percevoir les choses au sein de la classe. C’est juste parce qu’on n’a pas l’habitude de rencontrer des gens comme ça, en fait. Mais on s’est très vite rendu compte que c’est une personne très ouverte. Et ça ne pose aucun problème qu’on ne connaisse pas l’anthroposophie. Je n’ai pas envie d’aller fouiller pour savoir ce qui est bien ou pas. […] Pour moi, c’est une des meilleures écoles.
Il semble que ce décalage au niveau de l’anthroposophie entre parents et
professeurs, source potentielle de conflit, soit relativement bien géré puisque les
relations sont, si l’on s’en réfère aux réponses des questionnaires, plutôt faciles et
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agréables. Les entretiens nous ont permis de compléter cette idée en soulevant des avis
divergents, qui semblent cependant minoritaires :
(Professeur, entretien n°3). Je sais que des parents trouvent certains professeurs un peu rigides, comme s’ils avaient en face d’eux quelqu’un qui leur donnait l’impression de détenir la vérité. […] Mais ça reste des cas isolés, je ne pense pas que ce soit l’atmosphère générale de l’école. Maintenant, est-ce que ces professeurs puisent cette rigidité dans l’anthroposophie, ça je n’en sais rien ! (Père, entretien n°4). Je connais le cas inverse : certains parents qui ont beaucoup critiqué le professeur de leurs enfants, car ils jugeaient justement que ce dernier ne connaissait pas assez l’anthroposophie. (Mère, entretien n°3). Je crois que régulièrement, il y a des incompréhensions de la part des parents qui sont dues au fait qu’ils ne se préoccupent pas de l'anthroposophie, et ce serait trop compliqué de prendre 4 ou 5 heures pour expliquer à chacun pourquoi on a décidé de faire ces choses-là. (Père, entretien n°4). Plus le parent est au courant, plus ça devrait être facile. Mais ça, c’est en théorie. Car ça peut s’accompagner d’un aspect intégriste, ce sera alors plus compliqué. Ce sont des problèmes d’intégrisme d’esprit, et non des problèmes liés à l’anthroposophie en tant que telle dont il faut se préoccuper !
3.3.6 Le dilemme entre compréhension de l’anthroposophie et rayonnement des pratiques pédagogiques
Pour tous les gens interrogés, il apparaît que, contrairement à la proposition
d’Ullrich (2000), les pratiques sont indissociables de la théorie :
(Professeur, entretien n°5). On ne peut pas pratiquer la pédagogie Steiner si on n'est pas relié à l'anthroposophie. Parce que ça devient quelque chose de vide, alors! […] Ce qui est au centre du travail de l'enseignant, c'est d'avoir rendu les choses vivantes, en lui ! (Professeur, entretien n°3). Il y a une recherche : les gens se remettent en question, travaillent ensemble, réfléchissent. […] Ce n’est pas un modèle que l’on peut déplacer ou plaquer. Si on ne prend que le modèle, ça va devenir mort ! (Père, entretien n°2). Pour moi, en tant que parent, ce qui est prioritaire, c’est la pédagogie, car c’est ça que je cherche. Mais c’est vrai que si elle est basée sur des principes, on ne peut pas l’en séparer sinon la pédagogie va perdre son sens, il va lui manquer quelque chose.
Pour beaucoup, les théories sur lesquelles la pédagogie est fondée ne sont pas si
douteuses que cela :
(Professeur, entretien n°4). C’est de plus en plus reconnu scientifiquement, mais on en est au début ! Ce n’est pas une théorie fumeuse qui peut passer l’épreuve du temps, comme l’anthroposophie est en train de la passer. (Professeur, entretien n°7). On peut trouver des preuves scientifiques de ce que Steiner avance, mais on a beaucoup de mal à l’admettre. Et le problème, c’est que le
79
langage de Steiner n’est pas à la portée de tout le monde, c’est ardu. Et si on vulgarise, on risque de détériorer sa pensée, c’est donc très délicat ! La pédagogie sans les fondements, ça n’a pas de sens. (Père, entretien n°6). Cette méfiance par rapport à l’anthroposophie, c’est dû au fait que le monde actuellement à des façons de voir « matérialistes ». Aujourd’hui, le monde scientifique en général part du fait que la matière a créé l’esprit ! […] Ce qui est prioritaire pour moi, c’est de montrer les résultats de cette pédagogie. Les gens qui se posent des questions intelligemment se demanderont comment on peut arriver à de tels résultats. Ça a d’ailleurs été mon cas. […] Donc, d’abord montrer ce qu’on peut faire, et puis, avec ceux qui le veulent, étudier plus. Mais certainement pas l’inverse !
3.3.7 Les actions à mettre en place pour étendre une pédagogie marginalisée
L’interrogation quant au contraste entre le succès de la pédagogie Steiner dans les
pays anglo-saxons et la marginalisation dans les pays plus latins a été récurrente.
Beaucoup soulignent qu’il est important de considérer que la pédagogie n’est pas
marginalisée partout et souhaitent qu’elle se développe dans nos pays :
(Père, entretien n°2). Je crois que c’est important de diffuser cette pédagogie, qu’elle soit reconnue au niveau politique.
Étant donné que la pédagogie est fondée sur un système de pensée où la liberté est
centrale, la plupart ne veulent néanmoins absolument pas faire de prosélytisme, même
ceux qui sont les plus convaincus par l’anthroposophie :
(Professeur, entretien n°6). Il ne faut pas faire de prosélytisme. C’est une démarche, un chemin personnel. C’est important qu’il y ait cette liberté. (Père, entretien n°6). Le prosélytisme, non ! Si quelqu’un n’est pas ouvert, ce n’est pas la peine. Sinon, il est question de dogmes, et donc on impose des choses. Si l’homme n’est pas libre, ce n’est pas de l’anthroposophie. Maintenant, il est clair que je souhaite ardemment que l’anthroposophie se développe. Mais c’est important de ne pas choquer. […] Il ne faut pas chercher à développer absolument rapidement l’anthroposophie, à récolter des membres. Non, l’important, c’est que la personne ait choisi cette manière de voir la vie et sache pourquoi elle est là.
Pour permettre le rayonnement de la pédagogie, l’adaptation du langage employé
par Steiner en des termes plus modernes, plus accessibles est la piste qui ressort le plus :
(Professeur, entretien n°2). Chaque personne va vers ce dont elle a besoin, je ne suis pas pour une unification de la pensée et que le monde suive uniquement la pédagogie Steiner. Il faut adapter [la pédagogie] dans un langage moderne et puis de toute façon revoir certains principes qui datent du début du siècle et qui, pour moi, sont parfois un peu obsolètes, parce qu’on a fait des découvertes depuis. (Professeur, entretien n°5). Quand je reçois des parents, je suis toujours très attentive à utiliser un vocabulaire actuel, moderne... et compréhensible! On doit pouvoir traduire le langage de Steiner qui est vraiment ésotérique.
80
3.3.8 Retour sur les questionnaires
La plupart des personnes interrogées n’avaient aucune remarque particulière à faire
par rapport aux questionnaires. Plusieurs ont souligné la difficulté à laquelle nous
avions consciemment été confrontés : le fait de ne pas donner nous-mêmes une
définition personnelle aux concepts de religion, spiritualité et développement spirituel
pouvait constituer un obstacle conceptuel susceptible de bloquer certaines personnes.
Nous leur avons expliqué avoir fait ce choix afin de ne pas cadrer les réponses dans nos
définitions, tout en réservant l’espace de l’entretien pour aller plus en profondeur sur le
sens que les répondants attribuaient à ces notions.
Un professeur est revenu sur la notion de développement spirituel de l’enfant :
(Professeur, entretien n°6). Je souhaite revenir sur la question du développement spirituel de l’enfant. On ne parle jamais de spiritualité comme telle avec les enfants. On n’a pas le droit, c’est trop intime. Mais c’est là tout le temps, on suscite ce genre de choses, mais dans la liberté. Je ne serais pas d’accord de dispenser un enseignement spirituel, ce qui est d’ailleurs interdit dans l’anthroposophie. Ce qui est important, c’est de s’adresser à l’être qu’on a devant soi, et de trouver ce qui lui convient, de le respecter. Si j’arrive avec des discours tout faits, là c’est dangereux. Et je crois que c’est de là que vient cette méfiance de l’extérieur. Il faut faire attention aux mots qu’on emploie. Si un enfant pose une question, on peut en parler, mais ce n’est pas encore arrivé.
Un père a souligné le lien entre la spiritualité qui, dans son cas, est vécue à travers
l’anthroposophie, et les différentes dimensions de la simplicité volontaire que nous
avions relevées dans la littérature :
(Père, entretien n° 6). J’aimerais revenir aussi sur ce que l’anthroposophie a amené dans ma vie. Comme je l’ai dit, ça a changé toute ma manière de voir les choses, ça a modifié mon rapport au temps, à l’argent, au travail, aux autres, etc. Ça, c’est très important !
3.3.9 Les caractéristiques des personnes fréquentant l’école
Plusieurs personnes ont exprimé que la spiritualité n’était pas directement liée à un
souci pour l’écologie, un attrait pour l’art ou un rejet de la société de consommation,
mais pouvait néanmoins englober ces dimensions :
(Professeur, entretien n°5). Je n'ai pas envie de consommer de manière outrancière, mais je n'ai pas l'impression d'être différente des gens qui travaillent dans d'autres écoles! Il y a une conscience de plus en plus développée un peu partout... (Mère, entretien n°3). On peut s’intéresser à l’écologie de manière quasi matérialiste, ce n’est pas l’apanage de la spiritualité. Ce que je verrais comme caractéristique commune, c’est une volonté de protéger les enfants, une recherche, une quête… du sens de la vie, de l’humanité !
81
Cette idée de quête de sens a très souvent été retenue comme ce qui réunit les gens
gravitant autour de l’école :
(Mère, entretien n°3). Je pense que le caractère principal qui relie tous les parents, c’est plutôt une peur de cette société : la perte de spiritualité, l’hyperconsommation, la pub, la pollution, un peu tout ! […] Il s’agit de trouver des pistes pour protéger les enfants. […] Dans spiritualité, je mets la quête du sens. La transcendance, elle amène un sens à la vie. La société dans laquelle on est, elle est en perte de sens ! Tout est désacralisé. (Professeur, entretien n°6). Une curiosité, un idéal. Ce sont des gens qui se posent des questions fondamentales et cherchent des réponses dans différents domaines. Ce sont des idéalistes. [...] Ils sont préoccupés de l’état du monde, il y a vraiment des valeurs qu’on cherche à mettre en avant. (Professeur, entretien n°2). On est dans une société matérialiste et donc quelques personnes se réfugient dans une certaine spiritualité pour échapper à ce matérialisme qui ne leur convient pas. Donc s’il doit y avoir une trace de spiritualité chez les enfants, c’est vers cela qu’il faut tendre : ne pas aller vers le matérialisme, retourner vers les choses essentielles de la vie, la nature, etc. […] La spiritualité touche pour moi à une notion politique qui est fondamentale : le capitalisme est dénué de spiritualité. On vit dans une société ultra-capitaliste.
Ce dernier extrait renvoie à l’hypothèse d’Arnsperger (2009) soulignée dans notre
revue de littérature.
3.3.10 Le lien entre féminité et spiritualité
Pour certains, le lien entre féminité et spiritualité est évident tandis que d’autres ne
se prononcent pas. Les avis sont donc assez mitigés, mais il est intéressant de relever
qu’aucune personne n’a affirmé qu’un tel lien ne puisse exister. Nous n’avons donc que
des réponses qui vont dans le même sens que celui proposé par la littérature sur le sujet :
(Professeur, entretien n°6). L’homme est plus préoccupé par la sécurité, les apparences, et la femme davantage par le fondement des choses. […] Elle a une disposition dans sa manière de vivre qui est plus favorable au développement spirituel, à se poser des questions. (Père, entretien n°6). L’homme a tendance à vouloir des choses claires, bien définies, froides. La femme vit beaucoup plus avec son vécu intérieur, son sentiment. Et c’est certain que le côté religieux est lié à cet intérieur, ces sentiments. Donc oui, c’est plutôt mon épouse qui, en remettant la pédagogie classique en question, nous a amenés à l’anthroposophie. Mais l’anthroposophie s’appelle science religieuse, ça m’a permis de concilier mon côté scientifique, mon besoin d’exactitude, avec la spiritualité. (Père, entretien n°2). C’est peut-être une question de moyen d’expression aussi, peut-être que les femmes ont plus facile à exprimer ce côté spirituel que les hommes.
82
(Mère, entretien n°3). Les femmes sont plus touchées par la quête de sens que les hommes, peut-être grâce à la porte du sensible. Elles portent la vie depuis le début de l’humanité. […] Et je pense aussi que les femmes ont une grande capacité de ressentir l’interconnexion de toute chose. C’est elles qui créent les réseaux dans les familles. Elles sont d’autant plus affectées par la séparativité, par le fait qu’on casse, qu’on sépare. Mais c’est juste une porte d’entrée différente. L’ascétisme, c’est plus accessible aux hommes. C’est une discipline de vie. Je connais beaucoup plus d’hommes qui méditent que de femmes. Mais le fait de tout relier, ça, c’est plus les femmes.
Il est judicieux de rappeler ici le défi énoncé dans la partie théorique de notre
recherche : pour aborder pertinemment la question du masculin et du féminin et sa
relation avec la spiritualité, il faut rester vigilant à ne pas substantialiser ces notions, ce
qui les enfermerait dans des catégories ne prenant pas en compte le caractère fluide,
complexe et relationnel de ces concepts.
3. 4 Synthèse des principaux résultats
Cette recherche a permis de mettre en évidence plusieurs réponses essentielles par
rapport aux questions de départ. Nos observations ont confirmé les résultats de Dallé
(2008) quant à la manière de vivre la spiritualité au sein des écoles Steiner : il s’agit
d’un rapport subtil aux autres et à la nature qui, loin de passer par des leçons données
aux enfants sur le sujet, est plutôt sous-jacent aux pratiques, conceptions et idéaux des
professeurs. Il n’est pas nécessaire de verbaliser et de théoriser la spiritualité au sein de
l’école, elle se vit, ce qui rejoint la définition du terme faith19 proposée par Scarlett
(2006) : la foi est davantage un verbe qu’un nom, elle exprime plus une action, un
processus que quelque chose de statique comme un dogme ou une croyance.
Tout d’abord, souligner à quel point chaque personne possède aujourd’hui sa propre
définition de la spiritualité explique probablement en grande partie pourquoi il est si
difficile de trouver des critères précis permettant l’opérationnalisation du concept. Notre
objectif n’a jamais été de donner une définition exhaustive et normative de cette notion,
mais a consisté en l’exploration phénoménologique des dimensions qu’elle recouvre
chez les parents et les professeurs de l’école, en vue de décrire et d’expliquer en quoi la
dimension spirituelle peut paraître importante dans l’éducation de l’enfant.
19 À ce sujet, voir aussi Fowler, J.W. (1996). Faith development theory and the postmodern challenges. The International Journal for the Psychology of Religion, 11(3), 159-172.
83
Pour les professeurs, la spiritualité est largement déterminée par l’anthroposophie,
système de pensée élaboré par Steiner qui vise à donner les bases de la pédagogie
étudiée. Cette philosophie, en proposant de fonder l’éducation sur une forme de
spiritualité, semble répondre à un besoin de plusieurs personnes évoluant dans la société
occidentale actuelle. Le nombre croissant d’écoles et de personnes, certainement en
quête de sens et de spiritualité, attirées par la pédagogie Steiner en témoigne. Au cours
des entretiens réalisés, plusieurs individus ont souligné qu’il serait d’ailleurs intéressant
de se demander pourquoi la pédagogie Steiner rencontre autant de succès dans les pays
anglo-saxons, en comparaison avec nos régions.
Chez les parents, l’importance accordée à la spiritualité doit être dissociée du
rapport entretenu avec l’anthroposophie. La plupart refusent aujourd’hui de suivre une
voie spirituelle particulière, mais préfèrent se nourrir de différentes pratiques et
composer eux-mêmes, à partir de plusieurs traditions, ce qui fait sens pour eux. Ceci
rejoint la démarche proposée par l’anthroposophie. Ainsi, on peut imaginer que sans le
savoir, beaucoup de parents se rapprochent de cette philosophie. À travers son
enseignement des différentes traditions religieuses et de leur contribution essentielle à la
culture humaine, la pédagogie Steiner rencontre sans doute une aspiration actuelle de
nombreux individus et répond à la nécessité, dans les sociétés multiculturelles que nous
connaissons aujourd’hui, de l’enseignement des faits religieux à l’école. Il ressort de
nos entretiens que la spiritualité est importante dans l’éducation des enfants, même pour
les parents qui affirment qu’elle n’a pas joué de rôle dans le choix d’inscrire leur enfant
à l’école Steiner. Au terme de nos entretiens, nous pouvons également souligner que la
relation entre spiritualité et féminité (discutée dans la partie théorique du mémoire)
semble confirmée par plusieurs personnes, mais que le lien entre spiritualité et
masculinité n’a jamais été abordé par aucun des répondants. Pour beaucoup, le fait
d’être une femme semble faciliter le rapport à la spiritualité.
Nous n’avons pas pu tirer de conclusion quant à notre hypothèse d’observer deux
types de relation à la spiritualité (attraction très forte ou rejet). Nous n’avons en effet
trouvé aucune trace de rejet de la spiritualité dans notre étude empirique, mais c’est sans
doute dû au fait que les personnes ayant répondu aux questionnaires étaient celles qui se
montraient le plus interpellées par le phénomène étudié. Cependant, le taux de réponses
étant très satisfaisant, nous pouvons considérer que la dimension spirituelle semble
importante pour la plupart des personnes fréquentant l’école. Notre hypothèse de
recherche principale selon laquelle les individus intéressés par cette pédagogie sont
84
attirés par la dimension spirituelle de l’école perçue comme un endroit favorisant le
développement spirituel de l’enfant, important pour l’avenir de la société a donc été
confirmée, même si cette dimension ne semble pas toujours jouer un rôle dans le choix
d’inscrire les enfants à l’école. À partir des comparaisons avec les résultats de Munoz-
Garcia & Saroglou (2008), nous avons mis en évidence le fait que les personnes
fréquentant l’école ont un indice de spiritualité plus élevé tandis que l’indice de
religiosité semble plus faible chez les parents. Les données n’ont pas permis de montrer
une différence significative quant à la religiosité des professeurs.
Nous avons également observé, comme nous l’attendions, davantage
d’hétérogénéité au niveau des conceptions des parents qu’au niveau des professeurs. En
revanche, il semble que cela ne pose pas vraiment de problème par rapport aux relations
entre parents et professeurs qui paraissent globalement très satisfaisantes. L’école
Steiner paraît donc agir, selon les recommandations de son fondateur, en vue de la
meilleure articulation possible entre éducation scolaire et familiale. Cette articulation
représente, comme nous l’avons souligné dans la partie théorique, un important défi
contemporain.
Les parents ne connaissent pas le projet pédagogique de Steiner en profondeur.
Selon les professeurs, ce projet répond toujours aux besoins des enfants d’aujourd’hui,
mais il est important de l’adapter à un langage moderne, afin qu’il puisse rayonner
davantage.
Enfin, au niveau des caractéristiques des personnes fréquentant l’école, une volonté
de distance par rapport à la société de consommation et une critique du système éducatif
conventionnel semblent très présentes, tout comme le rapport à la nature et à l’art, mais
nous n’avons pas pu démontrer le lien entre ces dimensions et la spiritualité. La relation
entre simplicité volontaire et spiritualité mérite également qu’on s’y penche davantage
dans de futures recherches, ce qui rejoint les conclusions de De Bouver (2008).
85
CONCLUSION
Scholé qui a donné le mot « école » signifie en grec « temps libre ». Le temps de la liberté n’est pas un temps employé à ne rien faire,
Il est un temps employé à se rendre libre, donc à apprendre. L’école, c’est l’apprentissage de la liberté,
Et l’élève, celui précisément qui s’élève, qui se déleste du superflu. La scholé est le temps de l’essentiel.
Le temps où l’on s’ouvre à ce qui est, dans la vérité. Le temps où l’on peut s’adonner à l’activité la plus humaine : les occupations de l’âme,
qu’il s’agisse de la lecture, de l’amour ou de la découverte du monde.
Hélène Grimaud
Tout en s’enrichissant des découvertes récentes dans différentes disciplines
(psychologie, pédagogie, anthropologie, sociologie et philosophie), la partie théorique
de ce mémoire a d’abord permis de préciser les apports de la pédagogie Steiner eu égard
à certaines lacunes du système éducatif traditionnel mises en évidence dans de
nombreuses recherches. Ensuite, les enjeux relatifs aux concepts de spiritualité et
religion, ainsi qu’à la notion de développement spirituel de l’enfant dans la société
contemporaine ont souligné en quoi il était intéressant d’aborder théoriquement la
dimension spirituelle sur laquelle est basée la pédagogie Steiner. Nous avons aussi
souhaité montrer les liens qu’il est possible de tisser entre les propos de Steiner et
certaines théories fondamentales en sciences de l’éducation, en psychologie de la
religion et en psychologie du développement, afin de rendre les principes pédagogiques
des écoles Steiner plus compréhensibles au monde universitaire. Nous rejoignons ici les
conclusions du comité pédagogique qui avait évalué les écoles Steiner en 2003. Celui-ci
soulignait qu’un travail de réflexion quant à la manière dont les sciences de l’éducation
pourraient tirer profit des spécificités de la pédagogie Steiner était nécessaire.
Ainsi, nous espérons avoir mis en lumière certains parallèles incontournables entre
les théories qui fondent la pédagogie Steiner et les sciences psychologiques
contemporaines. Ceci permettrait à de futures recherches de se pencher éventuellement
sur la complémentarité de ces deux approches, plutôt que de creuser le fossé qui semble
pourtant les séparer radicalement si on s’arrête au fait que le fondateur de cette
pédagogie se montrait critique envers la psychologie classique jugée trop matérialiste,
sans pour autant rejeter l’objectivité, la rigueur et l’intellect (Steiner, 2006). De plus, si
nous avons mis en évidence de nombreux parallèles entre Jung et Steiner, la
reconnaissance de Jung au niveau académique de la psychologie contraste avec la
86
méconnaissance de Steiner. Les raisons de ceci seraient également intéressantes à
creuser, tout comme la synthèse entre pensées occidentales et orientales en matière de
spiritualité proposée par ces deux chercheurs, qui nous semble de plus en plus cruciale
dans la culture de pluralisme religieux où nous évoluons.
La revue de la littérature effectuée au niveau des ouvrages anthroposophiques visait
avant tout à comprendre les pratiques pédagogiques mises en place actuellement. La
partie empirique a donné l’occasion d’approfondir nos recherches théoriques et de les
confronter à une réalité de terrain, via l’appui sur trois sources de données récoltées
selon des méthodologies différentes. Ce croisement de données représente pour nous un
atout important de notre étude. Des réflexions s’inspirant de la méthodologie utilisée en
anthropologie, l’observation participante, nous semblent pertinentes à envisager pour
de futures recherches en sciences psychologiques, du type de celle que nous avons
menée. En effet, nous avions précisé qu’un défi à relever consistait en l’élaboration
d’une relation de confiance avec les acteurs de l’école. Seule une étude s’inscrivant dans
le long terme et visant à appréhender les questions de recherche à partir de la réalité
vécue dans l’école au quotidien a permis de relever un tel défi. C’est après observation
participante sur le terrain, démarche importante lors de la phase exploratoire de notre
étude, que nous avons conclu qu’il était intéressant d’interroger les conceptions de la
spiritualité chez les professeurs et les parents au moyen d’une enquête par
questionnaires. Après analyse des résultats, nous avons montré que ces questionnaires
ont renforcé les liens et la consistance entre nos données et la littérature parcourue. Les
données statistiques nous ont également permis de dégager trois grandes tendances
quant au rapport qu’entretiennent parents et professeurs envers l’anthroposophie ou la
dimension spirituelle de l’école. À partir de ces trois profils différents, nous avons
sélectionné quelques personnes pour approfondir notre recherche à travers des
entretiens individuels.
Parmi les limites de notre étude, soulignons tout d’abord que les conclusions tirées à
partir de nos entretiens doivent être nuancées, car comme il a déjà été stipulé, nous
n’avons rencontré que les personnes de l’échantillon qui avaient donné leur accord en
vue d’approfondir oralement cette enquête sur la spiritualité, ce qui peut introduire un
biais. C’est peut-être une des raisons pour lesquelles la dimension spirituelle semblait
interpeller tous les sujets interrogés, y compris ceux qui avouaient pourtant qu’elle
n’avait pas eu d’impact quant au choix de l’école Steiner.
87
Ensuite, il faut insister sur l’importance d’éviter une généralisation abusive de nos
résultats. Nous ne prétendons évidemment pas que l’école analysée est représentative de
toutes les formes que peuvent prendre les écoles utilisant la pédagogie Steiner à travers
le monde. Il serait d’ailleurs très intéressant de mener des études interculturelles
comparatives de ces écoles, réalisées à partir d’outils plus adaptés, afin de mieux cibler
les divergences et similarités entre différentes institutions scolaires basées sur
l’approche de l’éducation telle que Steiner l’a proposée.
Notre analyse statistique n’avait pas la prétention de tester empiriquement des
hypothèses relatives à différents facteurs impliqués dans le concept de spiritualité, étant
donné l’absence de consensus en ce domaine au sein de la littérature et les difficultés
d’opérationnalisation engendrées. Il s’agissait simplement d’une recherche exploratoire
visant à comprendre l’importance accordée à la spiritualité par les parents et les
professeurs. Nous ne disposions d’aucun indice fiable permettant de mesurer la
spiritualité ou l’anthroposophie. Il serait probablement intéressant, dans de futures
recherches, de prendre en compte nos résultats pour approfondir l’opérationnalisation
des concepts de spiritualité ou de développement spirituel de l’enfant afin de consolider
un modèle d’analyse. De plus, nous suggérons d’approfondir la relation entre spiritualité
et simplicité volontaire pour voir s’il est possible de mettre en évidence des liens qui
dépassent les simples corrélations.
En raison du nombre de pages imposé, nous avons évoqué sans analyser certains
éléments très présents dans la pédagogie Steiner et liés à la spiritualité qui, nous semble-
t-il, pourraient faire l’objet de recherches très intéressantes en sciences de l’éducation.
Nous pensons par exemple à la notion d’émerveillement/enchantement à travers le
rapport qu’entretient l’enfant vis-à-vis de la nature, à la place que l’art peut occuper
dans le développement de l’enfant et à l’importance de la narration et de l’expression
chez l’enfant. Les hypothèses de Rittelsbacher (1975) évoquées dans la partie théorique
à propos de l’impact du développement de l’amour de l’autorité, de la recherche par soi-
même de la vérité et d’une sensibilité à la religiosité chez l’enfant mériteraient
également d’être envisagées. Nous n’avons pas approfondi lors des entretiens le rapport
à la dimension chrétienne de l’école qui, selon Dallé (2008), est assez problématique et
divise la communauté des personnes fréquentant l’école.
Une recherche visant à comparer la pédagogie Steiner et le système éducatif des
pays scandinaves serait également très pertinente à envisager, étant donné les résultats
88
obtenus aux enquêtes PISA pour ces pays, et la ressemblance apparente des deux types
de pédagogie.
Finalement, peu de place a été laissée à la parole des enfants, car comme nous
l’avions souligné dans l’introduction, notre interrogation de départ portait sur le rôle et
l’impact des conceptions et valeurs des adultes dans la mise en place de cadres
éducatifs. De plus, il était éthiquement délicat du côté de l’école de nous laisser
interroger les enfants à ce sujet. L’observation participante a encore joué ici un rôle
intéressant puisqu’elle nous a permis d’être en contact avec les comportements et
paroles des enfants. Nous suggérons d’ailleurs à de futurs chercheurs d’aborder la
question de la spiritualité en se centrant davantage sur le point de vue des enfants.
En proposant ce travail, il n’était pas question de mettre systématiquement en
lumière l’intérêt de la pédagogie Steiner que nous ne connaissions d’ailleurs pas avant
d’entamer cette étude. Il ne s’agissait en aucun cas d’une recherche militante ou de
conviction. Nous espérons que notre étude permettra de soulever quelques enjeux
sociaux de la transmission d’une approche particulière de la spiritualité à travers
l’éducation scolaire. Nous avons tenté de rendre davantage compréhensible et accessible
au monde universitaire en quoi consiste la dimension spirituelle sur laquelle se base la
pédagogie Steiner. Il nous semblait intéressant de proposer une recherche francophone
dans la mesure où la littérature disponible sur le sujet est en grande majorité
anglophone.
Au terme de la recherche effectuée, il nous paraît important de démentir les
accusations sectaires dont a été victime la pédagogie Steiner. Comme le souligne
Verhelst (2008), qu’elle soit religieuse ou laïque, c’est la pensée monolithique qui
engendre de graves problèmes. Or, après avoir fréquenté le milieu des écoles Steiner
tant en France qu’en Belgique, nous souhaitons souligner que nous n’y avons trouvé
aucune trace d’une mentalité qui exige auprès des personnes fréquentant le milieu
scolaire une rupture avec le monde extérieur (parents, amis) ou des modes de fusion au
sein de groupes éducatifs étouffant les personnalités individuelles et le sens critique des
individus (Luca, 2008). Ainsi, nous rejetons les conclusions d’Ullrich (2000) selon
lesquelles les écoles et jardins d’enfants Rudolf Steiner manifestent une indiscutable
volonté d’orthodoxie, de prosélytisme, d’orgueil ou d’isolement sectaires. Bien au
contraire, nous avons petit à petit découvert un milieu ouvert qui vise l’avènement de la
personnalité spécifique de chaque enfant, et le développement de l’esprit critique. Pour
la pédagogie Steiner, l’enjeu majeur est de pouvoir afficher ses bases spirituelles, c’est-
89
à-dire son identité, tout en se diffusant culturellement et politiquement, car elle répond,
comme nous l’avons souligné, non seulement à certaines aspirations actuelles des
adultes, mais aussi à plusieurs lacunes du système scolaire contemporain. Sans perdre
cette identité, elle cherche à s’ouvrir vers l’extérieur, en évitant d’être victime de
violence symbolique (Bourdieu, 1993).
Mais le développement de la pédagogie semble freiner par le cercle vicieux suivant.
D’une part, la majorité des individus craignent les systèmes pédagogiques innovants,
probablement en grande partie à cause d’une méconnaissance de ceux-ci. Le différent et
l’inconnu, ici en l’occurrence les bases spirituelles de la pédagogie, ont souvent
tendance à effrayer ou rebuter. D’autre part, l’école que nous avons fréquentée semble
avoir peur d’afficher sa différence au premier venu. Elle s’est montrée plutôt méfiante
lorsque nous avons proposé le thème de notre recherche. Les questions de spiritualité et
de religion sont très intimes. Ce sont des sujets délicats à traiter. Notre présence au sein
de l’école n’a pas été évidente. Il nous a fallu gagner progressivement la confiance de
ceux qui avaient été l’objet non seulement de violentes accusations sectaires, mais aussi
d’une curiosité journalistique aboutissant à des propos superficiels et erronés rédigés
suite à un avis trop vite forgé sur une question pourtant délicate et complexe. C’est donc
de la tension entre peur d’être jugé trop différent (du côté de l’école) et peur de la
différence (du côté du regard porté sur l’école) qu’il faut sortir.
Un levier d’action qui permettrait de réduire cette différence, source de nombreuses
difficultés rencontrées au niveau de la reconnaissance des écoles Steiner, serait la
traduction du langage de Steiner en un langage moderne. Il nous paraît particulièrement
intéressant et important d’effectuer ce travail. Un des enjeux majeurs en vue de la
contribution au rayonnement de ces pratiques pédagogiques qui semblent faire leur
preuve relève donc de la traduction du langage ésotérique, sur lequel est fondée
l’éducation anthroposophique, en un message qui soit à la fois compréhensible et
accessible au grand public, tout en restant fidèle et respectueux envers les principes qui
ont permis à la pédagogie Steiner de rayonner à travers le monde. Plusieurs personnes
l’ont souligné dans nos entretiens : c’est une étape délicate, car il ne faudrait pas perdre
l’essence de la démarche pédagogique proposée par Steiner. Des traductions et
diffusions de ses idées ont déjà été effectuées, mais principalement par des personnes
qui évoluent à l’intérieur du milieu anthroposophique (avec par exemple au niveau
francophone les revues Triades et Esprit du Temps). Un travail académique, sans doute
avant tout philosophique, semble nécessaire vu les enjeux et impacts potentiels, bien sûr
90
en pédagogie et en psychologie, mais aussi en médecine et en agriculture, autres
domaines explorés par Steiner qui n’ont pas du tout été traités dans ce mémoire. De plus
en plus de recherches universitaires abordent les travaux de Steiner, mais elles restent
encore majoritairement confinées au niveau anglophone.
Nous espérons que ce mémoire pourra constituer une ressource livrant plusieurs
perspectives à explorer et quelques pistes intéressantes à approfondir, à la fois au sein
du mouvement de la pédagogie Steiner et en psychologie de la religion, de l’éducation
et du développement de l’enfant. Quoi qu’il en soit, la réflexion sur une école respectant
le rythme de chacun est intéressante à envisager dans une société où règne l’activisme
(Rose, 1992 ; Périlleux, 2006), où la vita activa en est venue à considérer comme un
gaspillage de temps moralement condamnable la vita contemplativa qui connaissait
encore l’agir à partir de la réflexion et la conscience, comme l’a montré Weber (2004).
Selon Barbier (2009), pour comprendre la crise des valeurs que l’on rencontre
aujourd'hui dans les sphères économique, sociale, religieuse et culturelle de la société, le
regard scientifique relève d’une approche multiréférentielle, complexe, transversale et
transdisciplinaire. Le chercheur espère qu’à partir de faits sociaux et éducatifs
significatifs, un tel regard conduira à redonner espoir en une possibilité d'un
réenchantement du monde, au sens où l’entendait Moscovici (1976), c’est-à-dire une
expérimentation d’avant-systèmes qui enracinent les hommes dans de nouveaux modes
d’être ensemble et au sein de la nature, et non en perpétuelle compétition.
91
BIBLIOGRAPHIE
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3 Liste des cours qui ont inspiré la recherche
Réponse et savoir viennent d’un lieu inattendu. Soyez le ou la psychologue qui se nourrisse de tout ce que vous avez reçu,
Mais surtout de ce que vous en avez fait vous-même.
Xavier Renders
Arnsperger, C. & Périlleux, T. Sociologie des pratiques économiques. Université catholique de Louvain, faculté des sciences économiques, sociales, politiques et de communication, Louvain-la-Neuve. Année académique 2009-2010. Brackelaire, J-L. Psychologie clinique transculturelle et interculturelle. Université catholique de Louvain, faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, Louvain-la-Neuve. Année académique 2008-2009. Chapelle, G. Apprentissage et troubles d’apprentissage. Université catholique de Louvain. Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, Louvain-la-Neuve. Année académique 2009-2010. Crommelinck, M. Histoire et épistémologie de la psychologie. Université catholique de Louvain, faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, Louvain-la-Neuve. Année académique 2008-2009. Day, J.M. Questions approfondies de psychologie de la religion: approche développementale. Université catholique de Louvain, faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, Louvain-la-Neuve. Année académique 2008-2009. Day, J.M. Religion, santé et psychothérapie. Université catholique de Louvain, faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, Louvain-la-Neuve. Année académique 2008-2009. Day, J.M. & Renders, X. Psychologie de l’enfant et de l’adolescent. Université catholique de Louvain, faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, Louvain-la-Neuve. Année académique 2005-2006. Day, J.M. & Roskam, I. Questions approfondies en psychologie du développement. Université catholique de Louvain, faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, Louvain-la-Neuve. Année académique 2008-2009. De Munck, J. Philosophie sociale. Université catholique de Louvain, faculté de philosophie, arts et lettres, Louvain-la-Neuve. Année académique 2007-2008. Deplus, S. Education familiale. Université catholique de Louvain, faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, Louvain-la-Neuve. Année académique 2009-2010.
105
Dupriez, V. Interventions en milieux éducatifs. Université catholique de Louvain, faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, Louvain-la-Neuve. Année académique 2008-2009. Dupuis, M. & Frogneux, N. Anthropologie philosophique. Université catholique de Louvain, de philosophie, arts et lettres, Louvain-la-Neuve. Année académique 2007-2008. El-Geledi, S., Montaruli, E. & Tousignant, M. Psychologie, culture et ethnicité. Université du Québec à Montréal, faculté de psychologie, Montréal. Année académique 2007-2008. Frenay, M. Sciences de l’éducation. Université catholique de Louvain, faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, Louvain-la-Neuve. Année académique 2006-2007. Hess, U. Psychologie de la motivation et des émotions. Université du Québec à Montréal, faculté de psychologie, Montréal. Année académique 2007-2008. Jager, B. Psychologie humaniste. Université du Québec à Montréal, faculté de psychologie, Montréal. Année académique 2007-2008. Laurent, P-J. Anthropologie du politique et du religieux : pouvoir et croyances. Université catholique de Louvain, faculté des sciences économiques, sociales, politiques et de communication, Louvain-la-Neuve. Année académique 2008-2009. Laurent, P-J. Séminaire d'anthropologie prospective : anthropologie des mondes contemporains. Université catholique de Louvain, faculté des sciences économiques, sociales, politiques et de communication, Louvain-la-Neuve. Année académique 2008-2009. Laurent, P-J & Mazzocchetti, J. Séminaire d'enquête ethnologique : épistémologie, terrain, méthode d'interprétation et écriture. Université catholique de Louvain, faculté des sciences économiques, sociales, politiques et de communication, Louvain-la-Neuve. Année académique 2008-2009. Leckeuge, P. & Passone, S-M. Pathologies psychiques actuelles et changements sociétaux. Université catholique de Louvain, faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, Louvain-la-Neuve. Année académique 2009-2010. Luca, N. L’étude d’un fait social total: les sectes. [Chaire Jacques Leclerq]. Université catholique de Louvain, faculté des sciences économiques, sociales, politiques et de communication, Louvain-la-Neuve. Année académique 2009-2010. Rimé, B. Psycholologie de la personnalité et de l’individu. Université catholique de Louvain, faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, Louvain-la-Neuve. Année académique 2006-2007.
106
Roskam, I. Développement, milieu, culture. Université catholique de Louvain, faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, Louvain-la-Neuve. Année académique 2007-2008. Schelstraete, M-A. & Feyereisen, P. Psychologie du développement. Université catholique de Louvain, faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, Louvain-la-Neuve. Année académique 2006-2007. Servais, O. Anthropologie des systèmes symboliques : cosmologies et environnement. Université catholique de Louvain, faculté des sciences économiques, sociales, politiques et de communication, Louvain-la-Neuve. Année académique 2008-2009. Servais, O. & Deroitte, H. Religions et interculturalité. Université catholique de Louvain, faculté des sciences économiques, sociales, politiques et de communication, Louvain-la-Neuve. Année académique 2009-2010. Servais, P. Histoire de la famille et de la sexualité. Université catholique de Louvain, faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, Louvain-la-Neuve. Année académique 2009-2010. Singly (de), F. La famille sous la seconde modernité. [Chaire Jacques Leclerq]. Université catholique de Louvain, faculté des sciences économiques, sociales, politiques et de communication, Louvain-la-Neuve. Année académique 2008-2009. Zech, E. Psychologie de la santé. Université catholique de Louvain, faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, Louvain-la-Neuve. Année académique 2008-2009.
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ANNEXES
Annexe 1 Evolution chronologique des différentes étapes de la recherche
Remarque : Cette annexe propose un résumé des grandes étapes de la recherche. Des explications détaillées sont fournies dans le corps du mémoire.
1. Phase de pilotage
Octobre 2008 : − Prise de contact avec R. Barbier, professeur à l’Université de Paris 8 ayant collaboré avec
J. Dallé pour la coordination d’une étude sur l’art et la spiritualité au sein des écoles Steiner en France (2008), afin d’envisager les pistes intéressantes à approfondir suite à la recherche réalisée.
− Prise de contact avec l’école Steiner en vue d’une proposition de recherche de terrain à partir de septembre 2009.
− Visite de l’école Steiner à l’occasion de la fête de la Saint-Martin. − Prise de contact avec les deux promoteurs et accord quant au sujet de mémoire.
Novembre 2008 : − Réalisation de deux entretiens semi-structurés (avec un ancien professeur et une maman
fortement impliquée dans l’école) dans le but de tracer une première approche globale de la structure et du fonctionnement organisationnels de l’école Steiner (cf. annexe 3).
− Rédaction d’un avant-projet délimitant le sujet et précisant la méthodologie envisagée. Décembre 2008 :
− Présence au marché de Noël de l’école et découverte de la littérature anthroposophique abordant le sujet du mémoire.
Février 2009 : − Obtention de l’accord du collège pédagogique de l’école quant à la demande de mener
une recherche au sein de l’école. Mars 2009 :
− Précision des modalités de la collaboration et élaboration d’un plan de travail avec les deux promoteurs du mémoire.
Avril 2009 : − Revue de la littérature en sciences psychologiques abordant le sujet du mémoire. − Ebauche d’une bibliographie et d’un plan de la partie théorique.
Mai 2009 : − Entretien informel avec le médecin de l’école Steiner. − Organisation et animation d’un débat sur les enjeux actuels de l’éducation (en présence
notamment du Professeur J.M. Day, promoteur du mémoire, et de l’ancien directeur administratif de l’école Steiner) en vue de préciser les questions de recherche (cf. annexe 4).
Juin 2009 : − Présence à la fête de la Saint-Jean et rencontre avec la directrice de l’école afin de
planifier le déroulement de la recherche au sein de l’école à partir de septembre. Juillet 2009
− Visite du siège mondial de l’anthroposophie : Université Libre des Sciences Spirituelles du Goetheanum (Dornarch – Suisse).
Août 2009 − Rédaction d’une introduction ainsi que du début de la partie théorique.
108
2. Phase exploratoire
Septembre 2009 : − Progression dans la revue de littérature. − Précision des modalités de la collaboration avec l’école. − Observation participante au sein des classes pendant un mois. − Participation à la fête des récoltes et à la Saint-Michel.
Octobre 2009 : − Entretiens informels avec plusieurs professeurs. − Participation à la Saint-Martin (fête des lanternes). − Participation à un séminaire sur l’œuvre de R. Steiner (du 16 au 18 octobre) coordonné
par Madame C. Gruwez dans le cadre d’un module de formation en art thérapie proposé par l’association Artchange.
− Prise de contact avec la Fédération des écoles Steiner-Waldorf en France afin de demander un entretien pour obtenir des pistes quant à la précision d’une question de recherche.
− Présence au congrès 2009 des parents-professeurs-éducateurs (« De l’expérience au concept ou comment développer une pensée mobile ») organisé à Lyon par la Fédération des écoles Steiner en France (du 23 au 26 octobre) : entretiens informels avec Céline Gaillard, présidente de la Fédération, et Jacques Dallé, coordinateur de la recherche-action sur l’art et la spiritualité dans la pédagogie Steiner menée en collaboration avec l’Université de Paris 8 (2008).
− Précision et délimitation de la question de recherche. − Ebauche des premières hypothèses de travail et prédictions des résultats attendus.
Novembre 2009 : − Visite du siège de la Société anthroposophique en France (Paris) à l’occasion d’une
conférence d’Heinz Zimmermann (ancien responsable du mouvement mondial des écoles Steiner) sur l’auto-évaluation de l’enseignant et de l’éducateur (27/11/09).
− Visite de l’exposition pédagogique à l’école Steiner de Colmar (France) organisée à l’occasion des portes ouvertes lors du marché de Noël (28/11/09).
− Présence à un office de la Communauté des Chrétiens (mouvement de renouveau religieux né grâce aux apports de R. Steiner) à Colmar (France) (29/11/09).
Décembre 2009 : − Elaboration et distribution du questionnaire pour les parents et professeurs (cf. annexe 8). − Présentation détaillée de la recherche lors d’une réunion des parents. − Participation à la célébration de l’Avent avec les enfants de l’école. − Présence au marché de Noël et aux Jeux de Noël (fête organisée par les professeurs en
l’honneur des enfants à l’occasion de la Noël). − Distribution des questionnaires. 3. Phase d’approfondissement
Janvier 2010 :
− Récolte et analyse des résultats aux questionnaires. − Prise de contact avec les parents pour mener quelques entretiens semi-structurés. − Discussion avec deux anciens professeurs de l’école afin de cibler dix questions à poser
en entretien (cf. annexe 12). − Formulation des questions d’entretien (cf. annexe 13).
Février 2010 : − Réalisation et retranscription de 13 entretiens semi-structurés avec parents et professeurs
de l’école (cf. annexe 14). − Discussion de questions éthiques avec les promoteurs (quant à la restitution des résultats
au sein de l’école). Mars 2010 :
− Rédaction du mémoire.
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Annexe 2 Répartition des écoles Steiner à travers le monde
Remarque : Ce recensement prend en compte les centres pédagogiques, les jardins d’enfants, les écoles primaires et secondaires.
Afrika Australien (Ozeanien)
Ägypten 1 Australien 33
Kenia 2 Neuseeland 10
Namibia 1
Südafrika 17 Europa
Tansania 1 Belgien 22
Dänemark 16
Deutschland 216
Amerika Estland 6
Argentinien 10 Finnland 25
Brasilien 32 Frankreich 11
Chile 5 Großbritannien 32
Ecuador 1 Irland 3
Kanada 21 Island 2
Kolumbien 4 Italien 33
Mexiko 5 Kroatien 2
Peru 3 Lettland 2
USA 130 Liechtenstein 1
Litauen 3
Asien Luxemburg 1
Armenien 1 Moldawien 1
China 1 Niederlande 92
Georgien 1 Norwegen 35
Indien 5 Österreich 15
Israel 7 Polen 5
Japan 6 Rumänien 13
Kasachstan 2 Russland 18
Kirgistan 1 Schweden 41
Korea (Republik) 2 Schweiz 35
Nepal 2 Slowakei 1
Philippinen 3 Slowenien 2
Tadshikistan 1 Spanien 7
Taiwan 2 Tschechische Republik 13
Thailand 2 Ukraine 5
Ungarn 25
Total : 995
Source : World List of Rudolf Steiner (Waldorf) Schools and Teacher Training Centers (2010). Disponible en ligne à l'adresse : http://waldorfschule.info/upload/pdf/schulliste.pdf. Consulté le 4/03/10.
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Annexe 3 Structure et fonctionnement organisationnels de l’école Steiner
Remarque : Nous n’avons pas jugé utile de fournir une retranscription complète de ces deux entretiens semi-structurés réalisés en novembre 2008 dans la phase de pilotage de notre étude car leur contenu n’est pas en lien direct avec l’objet du mémoire. Seuls les éléments pertinents par rapport à ce denier sont repris ci-dessous. ENTRETIEN n°1 : ancien professeur à l’école Steiner A) Questions 1. L’organisation
− Pouvez-vous vous présenter ? Pouvez-vous nous présenter l’école ? − Quels sont les éléments principaux qui vous différencient des autres écoles, du
point de vue de l’organisation de l’établissement scolaire ? − Comment sont organisés les cours ?
2. La pédagogie
− Quelles sont les particularités de la pédagogie de l’école ? − Comment se traduit la philosophie de Steiner dans la vie de tous les jours ?
3. Les acteurs
− Quels sont les différents membres du personnel ? Leurs rôles ? − Bénéficiez-vous de l’aide d’un secrétariat ? Comment se déroule la cantine ? Etes-
vous en lien avec un centre PMS ? − Qui prend les décisions au sein de l’école (par rapport au fonctionnement de
l’école ou au contenu des cours, par exemple) ? − Quelle est la part d’investissement des parents au sein de l’école ? − Dans le projet de l’école, il est question de nombreuses mises en commun
pédagogiques des professeurs, qu’en est-il sur le terrain (fréquences, objectifs) ? − Le professeur choisit-il seul ce qu’il voit en classe (grande autonomie) ou en
discussion avec les autres professeurs ? Sinon, suit-il un programme fixé ? − Quelle est la formation nécessaire pour être professeur dans cette école ? − Comment les professeurs sont-ils choisis ? Et le directeur ? − Qu’est-ce que ça demande en plus d’être professeur dans une telle école ? Est-ce
plus difficile ? − Pouvez-vous nous décrire une journée type d’un enseignant? − Pourquoi, selon vous, les parents mettent-ils leurs enfants dans votre école ?
4. Le public
− Le public de cette école est-il particulier, différent d’une autre école ? − Y a-t-il une sélection ? − Quid du prix ? Comment les finances sont-elles gérées ?
5. La position de l’école par rapport à la communauté française
− Pourquoi n’y a-t-il pas davantage d’écoles Steiner en Communauté française ? − Est-ce que la Communauté française vous impose quelque chose que vous
aimeriez faire autrement ?
111
− Devez vous fournir une preuve que les élèves de fin de cycle primaire ont le même niveau qu’ailleurs pour entrer au secondaire ? Y-a-t-il une évaluation ?
− Comment sont évalués les élèves ? 6. Evolution, perspective dynamique
− Comment l’école évolue-t-elle au fil du temps (par rapport à ses débuts ou à l’évolution de la société) ?
− Que voyez-vous dans 10 ans ? − Les attentes des parents évoluent-elles ?
B) Extraits significatifs Une des spécificités de la pédagogie Steiner, c’est qu’on s’est clairement placé dans le rang des éducateurs et pas dans celui des enseignants. On estime que l’école sert à l’éducation globale de l’enfant et pas uniquement à l’enseignement des matières. Dans l’école Steiner, on s’engage moralement à travailler avec la pédagogie Steiner, même si la compréhension des concepts est difficile et progressive. Pour éduquer à la responsabilité et donc à la liberté, il est impératif que les professeurs s’autogèrent collectivement, pour être des modèles tangibles de responsabilité et de liberté. Ils se réunissent hebdomadairement dans un collège pédagogique. Et ce collège a énormément de travail organisationnel et pédagogique… La place des parents est très importante dans les écoles. De même que les parents ne conçoivent pas d’éduquer leurs enfants sans l’aide des professeurs, de même les profs ne conçoivent pas de porter l’école sans les parents. Les parents aident à l’aménagement des classes, font des étagères, des portemanteaux. Ils font de la soupe l’hiver, s’occupent des grandes fêtes publiques, tiennent des stands. Il y a des journées de travaux collectifs pour réparer ou peindre. Il y a un terrain qui appartient à l’école juste à coté où certains parents ont planté des arbres fruitiers et créé un potager cogéré entre parents… Le conseil d’administration de l’école est constitué de parents et de professeurs. Nos matières correspondent à un canevas donné par Steiner. Et la première chose que Steiner dit aux professeurs, c’est « vous devez développer vous-même vos perceptions, votre sensibilité pour sentir où en sont vos enfants et ce qui leur convient ». […] Il n’y a pas à appliquer dogmatiquement une méthode, surtout pas, mais à développer une qualité d’être qui nous permet d’être adéquat pour donner à l’enfant ce dont il a besoin. L’apprentissage se fait par la tête, le cœur et les mains, c’est à dire par le canal de la pensée, par celui de la sensibilité et par celui de l’action. Cette triple entrée de l’information permet une mémorisation durable et efficace. Par exemple, pour apprendre la lettre ‘B’. On va dans un premier temps raconter l’histoire de Benoît le berger pour prendre l’enfant par le « cœur », pour le « toucher ». Dans un second temps, on va dessiner de profil Benoît le berger qui gardait ses brebis et donc, il est sur une souche, son dos est bien droit, son capuchon et ses bras font la boucle supérieure du ‘B’ et ses genoux font la deuxième. L’enfant agit en dessinant. Dans le troisième temps, on fait intervenir la pensée : du dessin on fait surgir la lettre ‘B’, mais du coup, ‘B’ n’est plus arbitraire, ‘B’ a du sens. Et c’est là un des grands points forts de la pédagogie Steiner, c’est d’être une pédagogie du sens, une pédagogie qui permette à l’enfant de se lier au monde en y trouvant du sens et donc de pouvoir s’en sentir responsable. C’est ainsi qu’elle favorise un réel développement d’une éthique individuelle fondée sur la liberté et qu’elle n’inculque aucune morale toute faite.
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ENTRETIEN n°2 : maman d’un enfant en cinquième classe
A) Questions
1. L’organisation − Pouvez-vous vous présenter ? Pouvez-vous nous présenter l’école ?
2. La pédagogie
− En tant que parent, que savez-vous de R. Steiner ? − Comment se traduit sa philosophie dans l’éducation de votre enfant?
3. Les acteurs
− Quels sont les différents membres du personnel ? Leurs rôles ? − Qui prend les décisions au sein de l’école ? − Quelle est la part d’investissement des parents au sein de l’école ? − Quels sont les contacts entre les parents et les professeurs ? − Selon vous, pourquoi les parents mettent-ils leurs enfants dans cette école ?
4. Le public
− Le public de cette école est-il particulier, différent d’une autre école ? − Y a-t-il une sélection ? − Quid du prix ? Comment les finances sont-elles gérées ?
5. La position de l’école
− Pourquoi n’y a-t-il pas davantage d’écoles Steiner en Communauté française ? − Comment cette école est-elle perçue à l’extérieur ?
6. Evolution, perspective dynamique
− Comment l’école évolue-t-elle au fil du temps (par rapport à ses débuts ou à l’évolution de la société) ?
− Que voyez-vous dans 10 ans ? − Les attentes des parents évoluent-elles ?
B) Extraits significatifs Si tu es quelqu’un de passionné par ton boulot, que tu aimes un boulot passionnel et vocatif, alors c’est le pied d’être à l’école Steiner... Parce qu’il y a vraiment le souci de faire de ce boulot un art. Par contre, si tu es quelqu’un qui choisit ce boulot parce que tu trouves ça chouette d’être prof., content avec tous les congés… enfin tu vois… et bien je crois que c’est super lourd. Je crois que tu ne tiens pas le coup parce qu’il y a tout le temps des réunions, tu es pris par l’école tout le temps… Tous les deux ou trois mois, il y a une réunion de parents collective avec le professeur. Il explique ce qu’il fait avec les élèves, l’ambiance de la classe, les projets en cours, etc. […] Il y a un problème de communication parce qu’il y a un problème de dysrythmie entre le fonctionnement de l’école et le fonctionnement de la société. Les gens ont besoin de savoir tout, très vite. L’école, pour prendre des décisions et les communiquer, a besoin de temps, car il faut que tout le collège pédagogique appuie les décisions. Cela peut créer des frustrations chez les parents.
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Annexe 4 Présentation du débat sur les enjeux actuels de l’éducation
Remarque : Ce débat a été organisé en mai 2009, lors de la phase du pilotage de notre étude, afin de dégager des questions de recherche. 1) Intervenants spécialisés dans la problématique abordée :
− Professeur J.M. Day : chercheur en psychologie de la religion et du développement à l’UCL
− Madame Hadiza Dia Ganda : fondatrice d’une ONG internationale de parrainage œuvrant pour l’éducation au Niger, conférencière abordant les enjeux de l’implantation du système éducatif occidental moderne au sein de l’éducation traditionnelle en Afrique
− Docteur Viviane Olbregts : médecin scolaire au sein d’une école Steiner − Monsieur Philippe Planche : ancien directeur administratif d’une école Steiner
2) Introduction du sujet : Enseignement = transmission de connaissances. Education = transmission de connaissances, de valeurs morales, d’expériences de vie et de ressentis. Nous constatons qu’il y a, dans notre société actuelle, plusieurs insatisfactions :
− Insatisfaction de l’école : L’école traditionnelle a aujourd’hui acquis un rôle éducatif malgré elle. Les parents n’ont pas le temps à cause du travail, etc. Certains pensent que ce n’est pas le rôle de l’école d’éduquer : n’est-elle pas faite seulement pour enseigner ?
− Insatisfaction des parents : Si l’école éduque, le fait-elle correctement ? − Insatisfaction des enfants : L’image de l’école aux yeux des élèves est très mauvaise et ils
ne se sentent pas épanouis à rester assis 8h/jour pendant 12 ans. (Démotivation, déception, baisse du niveau scolaire chaque année à la sortie du secondaire.)
Nous nous intéresserons aux pédagogies différentes de la pédagogie traditionnelle francophone, ce qui englobe autant les pédagogies dites « alternatives » (telles que Freinet, Steiner, Decroly etc.) que les pédagogies en vigueur dans d’autres cultures. 3) Questions abordées : - Il y a un vide éducatif : Qui éduque, si ce n’est la télévision, les médias, internet, etc. ? - Les autres pédagogies, dont nous avons des représentants autour de la table, permettent-elles concrètement de combler ce vide éducatif ? - Pour combler ce vide, faut-il partir de la pédagogie conventionnelle et la modifier sur certains aspects ? Si oui, quels aspects ? - Ou bien, faut-il plutôt partir d’une tout autre base ? Si oui, quel est le défaut majeur de la pédagogie conventionnelle ? - Comment la spiritualité (à définir, pour s’entendre sur le terme) peut-elle être prise en compte dans l’éducation aujourd’hui ? - Pourquoi envisager de fonder l’éducation/l’enseignement sur la spiritualité ? - Quels sont les avantages, au niveau de la société, d’une éducation basée sur la spiritualité ?
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Annexe 5 Bases philosophiques de la pédagogie Steiner
La pédagogie Steiner-Waldorf est délibérément pluraliste, ouverte et tolérante. Elle
s’adresse à tous les enfants sans distinction d’aucune sorte, ni ethnique, ni sociale, ni politique, ni philosophique ou religieuse. Consciente de la nécessité de considérer l’homme global en lien avec son évolution et ce qui l’entoure, autrement dit en lien avec le temps et l’espace, elle voit dans la diversité des religions, des philosophies et dans leur apparition successive une occasion de mieux comprendre l’évolution de l’homme, les enjeux sociaux et géopolitiques actuels.
La pédagogie Steiner prend en considération les racines judéo-chrétiennes de notre société et de sa culture. Elle est issue de l’anthroposophie qui, dans son essence, vise à la liberté individuelle, c'est-à-dire à l’autonomie, au libre arbitre et donc à la responsabilité des individus, épousant en cela le principe laïque de séparation des pouvoirs temporels et intemporels. Elle cherche à répondre aux besoins fondamentaux de chaque élève en termes d’enseignement, mais aussi en termes d’éducation. Considérant que le domaine philosophique et religieux relève de la liberté des familles, et adhérant au principe de liberté de pensée, l’école Steiner n’enseigne pas l’anthroposophie aux enfants.
L’ anthroposophie est une méthode faisant appel aux pensées rationnelle et intuitive pour investiguer la réalité tant dans ses aspects matériels que spirituels. Elle appréhende l’homme dans sa globalité en lien avec son milieu, la nature et le cosmos. Les fondements pédagogiques soulignent l’importance de la prise en compte de la nature humaine en considérant notamment ses dimensions physiques, psychiques et spirituelles. La pédagogie Steiner vise un développement global de l’enfant, tant dans ses capacités cognitives (la pensée) qu’affectives (la sensibilité) et conatives (la volonté). En aucun cas, la pratique de la pédagogie Steiner ne saurait être une application de recettes dans la mesure où les recommandations de son fondateur étaient précisément la recherche perpétuelle de l’adéquation de l’action pédagogique en fonction des spécificités de chaque enfant et de son contexte de vie.
Les professeurs doivent posséder une souplesse et une réelle ouverture d’esprit. Ils sont encouragés à perpétuellement expérimenter, innover, requestionner leurs pratiques et toujours avoir comme préoccupation centrale l’épanouissement des capacités intrinsèques de l’enfant. Pour répondre à ses besoins fondamentaux de développement, il est indispensable que le professeur puisse établir des liens de confiance et de responsabilité dans la continuité avec chaque enfant.
A l’école fondamentale, les professeurs ont pour principe d’intégrer eux-mêmes toutes les matières afin de les présenter de manière vivante et motivante. Les savoirs, les savoir-être et les savoir-faire ne se transmettent efficacement aux enfants et aux jeunes que si ces divers savoirs sont portés par des modèles positifs et cohérents, c'est-à-dire par des professeurs dont l’autorité repose sur leurs propres forces intérieures, sur leurs capacités et qualités intrinsèques et non sur des systèmes utilisant la peur, la compétition ou l’ambition.
La motivation sur laquelle la pédagogie Steiner s’appuie est l’amour, l’amour du beau dans le domaine de la sensibilité (celui de l’art) , l’amour du vrai dans le domaine de la pensée (celui de la science), l’amour du bien dans le domaine de l’action (celui de l’éthique). C’est l’amour qu’a l’enfant, d’abord pour ses parents et puis pour ses professeurs, qui le motive à faire ses apprentissages. La pédagogie Steiner ne motive pas les enfants, elle cultive leur enthousiasme et leur curiosité en vue de découvrir le monde. C’est, pour les professeurs des écoles Steiner-Waldorf, le moyen de prédilection pour mener un individu à poser des actes libres, c'est-à-dire mus par une volonté intérieure et non conditionnés par des contingences extérieures.
Source : Ce texte a été rédigé par un professeur travaillant au sein de l’école dans laquelle notre étude a été menée.
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Annexe 6 Projet éducatif, projet pédagogique, projet d’établissement de l’école Steiner
(2009/2010)
1. PROJET EDUCATIF Les valeurs que les enseignants de la Libre École Rudolf Steiner essaient de mettre en œuvre dans leur action éducative sont celles de la responsabilité ; de la liberté de pensée ; de l’esprit critique ; de la tolérance ; du respect de la vie, de la nature, des individus et des autres cultures ; de l’ouverture aux autres, de l’amour. La communauté éducative essaie de vivre ces valeurs tant au travers des activités pédagogiques que dans l’organisation de l’école. Par leur mise en œuvre concrète, elle veut permettre à chaque enfant, dans le respect absolu de son développement, d’en ressentir le besoin par lui-même.
Dans une société démocratique, ces valeurs s’expriment dans les idéaux de la révolution française : la liberté, l’égalité et la fraternité. Chacun de ces idéaux se rapporte à l’une des trois composantes de la vie sociale.
- La vie économique produit et répartit entre les êtres humains les biens nécessaires à la vie et à l’épanouissement. Cette production et cette répartition se réalisent de manière juste lorsqu’existe la conscience de la fraternité entre tous les êtres humains, à l’intérieur des pays et entre eux. La conscience de la fraternité entre les générations mène au respect de l’environnement. Ceci est une condition sine qua non d’une vie satisfaisante pour l’humanité future.
- L’égalité est le fondement de la vie juridique et politique. Il ne peut y avoir de discrimination
quant aux droits fondamentaux qui sont exprimés dans les conventions internationales (droits de l’homme, droits de l’enfant...), dans les constitutions des États et les lois. Du point de vue de l’enseignement, cela signifie notamment le respect du droit fondamental de l’accès à l’éducation pour tous.
- On ne peut concevoir de vie culturelle et spirituelle sans liberté. L’harmonie entre les
peuples et à l’intérieur des peuples ne peut se réaliser que si chacun peut vivre sa propre culture, sa tradition. C’est sur cette base que peuvent se développer le pluralisme, la tolérance, l’ouverture à toutes les cultures, philosophies et religions, ainsi que le progrès de la civilisation qui dépend des possibilités de réalisation individuelle.
La liberté de l’enseignement, qui est constitutionnelle dans notre démocratie, s’inscrit dans la liberté de la vie culturelle. Les parents doivent pouvoir choisir librement une école. L’éducation doit pouvoir se baser sur une recherche réalisée librement, à partir de l’observation concrète des enfants et de leur développement, et non sur des contraintes qui seraient imposées pour des raisons autres que celles relevant de la pédagogie elle-même. Chacune des composantes de la vie sociale doit pouvoir exister de manière autonome vis-à-vis des autres. On a vu dans l’histoire, et l’on voit encore aujourd’hui, à quelles absurdités ou atrocités peuvent conduire la domination du pouvoir politique sur la vie culturelle – spirituelle et sur la vie économique. Il en est de même des situations dans lesquelles la vie culturelle -
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spirituelle enferme toute la société dans un carcan, ou encore lorsque les acteurs économiques tentent d’assujettir la vie culturelle et la vie politique à leurs intérêts. L’éducation vise à permettre le développement de toutes les potentialités de l’enfant afin, qu’étant devenu adulte, il puisse réaliser le plus librement possible son destin personnel et contribuer ainsi au progrès et à l’évolution de la société. L’être humain ne se réalise pleinement qu’en développant la pensée, le sentiment et la volonté. La pédagogie vise un équilibre entre ces trois sphères. Elle veille à respecter les lois de développement propres à chacune d’elles. Elle veille également à respecter, dans chacune de ces sphères, le développement individuel de chaque enfant. À la base du projet éducatif de la Libre École Rudolf Steiner se trouve la conception que chaque être humain est corps (dimension physique), âme (dimension psychique) et esprit (dimension spirituelle). Ces deux dernières dimensions ne sont pas réductibles à la première. Il importe donc que l’éducation donne une nourriture appropriée à l’enfant, à chaque âge, du point de vue de chacune de ces trois dimensions. Le projet éducatif de la Libre École Rudolf Steiner trouve ses fondements philosophiques et anthropologiques dans l’anthroposophie. Cette conception du monde n’est en aucun cas – et ceci est inhérent à la démarche anthroposophique elle-même – enseignée aux enfants. Aucun parent n’est tenu d’adhérer à cette conception du monde, mais chaque parent doit savoir et respecter le fait que cette conception du monde et la méthodologie qui en découle sont le fondement de la pratique pédagogique des enseignants de l’école.
2. PROJET PEDAGOGIQUE On trouvera ci-dessous les différentes visées pédagogiques permettant de mettre en œuvre le projet éducatif de la Libre Ecole Rudolf Steiner. Elles sont présentées en caractères gras et suivies des choix méthodologiques qui leur correspondent. 1. Permettre l’épanouissement de l’individualité de chaque enfant par l’acte pédagogique du professeur. Tant au jardin d’enfant que dans les classes primaires, l’enfant reste plusieurs années avec un même titulaire, accompagné de professeurs spécialisés. L’enseignant prend connaissance de la biographie de l’enfant, notamment par des entretiens approfondis avec les parents. Ces données sont confidentielles, uniquement à l’usage du titulaire de l’enfant durant le temps de sa prise en charge. Aucune copie n’est faite. Les données recueillies sont détruites quand l’enfant quitte l’école. L’enseignant met en pratique des interventions diversifiées de manière à sensibiliser chaque enfant, même lorsqu’il s’agit d’une activité ou d’un apprentissage réunissant toute la classe. Au jardin d’enfants, la qualité de l’environnement matériel et humain forme l’enfant au sein d’une vie de groupe. À partir de la deuxième septaine, l’étude des tempéraments des enfants constitue pour les professeurs un instrument méthodologique privilégié pour différencier l’enseignement. Le travail intérieur de l’enseignant est essentiel pour lui permettre de chercher l’attitude appropriée face à chaque enfant.
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2. Donner aux enfants l’occasion de vivre pleinement dans la qualité propre à chaque étape de leur développement. Rudolf Steiner a réalisé de nombreuses observations du développement humain, ce qui l’amena à établir les lois générales à la base de sa pédagogie. L’enseignant veille à respecter la manière dont ces lois s’expriment chez chaque enfant. Les étapes principales de ce développement se succèdent approximativement de sept en sept ans.
Chaque septaine étant la métamorphose de la précédente, le professeur s’appuie sur cette dynamique pour apporter à l’enfant ce qui correspond à chaque étape de son développement. Durant chaque septaine se développe de manière privilégiée une des trois facultés de l’âme : première septaine la volonté, deuxième septaine le sentiment, troisième septaine la pensée. 7 Jusqu’à sept ans (environ), l’enfant se développe principalement en agissant, en faisant (la volonté, à comprendre à cet âge comme étant un enthousiasme pour la vie qui porte à agir). Il imite les personnes qui l’entourent. L’enseignant en tient compte dans sa manière d’agir et veille du mieux qu’il peut à ce que celle-ci soit digne d’être imitée. La qualité essentielle que ressent l’enfant durant cette septaine est la bonté du monde. Nous voulons permettre à l’enfant de vivre cette bonté, lui laisser l’occasion de vivre la vénération naturelle qu’il porte au monde qui l’entoure. C’est pourquoi nous le protégeons dans la mesure du possible des agressions multiples de la vie moderne (y compris des sur-stimulations audiovisuelles du monde des médias et des jeux électroniques). Les forces acquises durant cette période l’accompagneront tout au long de sa vie.
7 Au cours de la deuxième septaine, l’enfant se développe principalement en se liant au monde par le sentiment. Il recherche un lien d’autorité avec l’enseignant, autorité bienveillante venant d’un adulte qui est auteur de ce qu’il enseigne.
La qualité essentielle que ressent l’enfant durant cette septaine est la beauté du monde, d’où l’importance de le nourrir tout spécialement à cet âge par des activités artistiques qui servent de base, dans cette pédagogie, à tout apprentissage. Dans son enseignement, l’enseignant s’efforce d’offrir à l’enfant des images qui lui permettent de ressentir l’essence des choses. L’enseignant présente les concepts au travers d’images ou de métaphores, ce qui permet de les caractériser plutôt que de les définir. Cela amène l’enfant à acquérir une pensée vivante et créatrice.
7 C’est au cours de la troisième septaine, qui sort du cadre de ce projet pédagogique, que se
développe à proprement parler une étude conceptuelle et scientifique du monde qui, dans le domaine de la pensée, nourrit la soif de véracité de l’adolescent.
Et on ne peut comprendre réellement l’action pédagogique dans les deux premières septaines qu’en la replaçant dans le processus complet de cette pédagogie.
À l’école primaire, les matières qui sont proposées chaque année aux enfants sont choisies en fonction de leur développement. Il est donc important que les groupes d’enfants (les classes) soient constitués de manière relativement homogène quant à l’âge et la maturité sociale et volontaire des enfants. Des critères purement intellectuels ne suffisent pas. Le moment du passage du jardin d’enfants en primaire sera donc examiné attentivement par une commission choisie par le collège des professeurs. Sauf cas exceptionnel, l’enfant suivra alors la scolarité primaire sans redoublement. Les enseignants de l’école poursuivent un travail commun et régulier d’étude des lois générales du développement des enfants.
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3. Permettre à l’enfant de s’ouvrir à une compréhension du monde tant du point de vue matériel que spirituel. Pour ce faire, l’enseignant veille à ce que la pratique pédagogique nourrisse la vie sensorielle de l’enfant comprise dans un sens plus large que de coutume. Douze sens sont pris en considération : le toucher, le sens de la vie, le sens du mouvement propre, le sens de l’équilibre, l’odorat, le goût, la vue, le sens de la chaleur, l’ouïe, le sens du langage, le sens de la pensée d’autrui, le sens du moi d’autrui. 4. Immersion approfondie dans la matière pédagogique et repos. Au jardin d’enfant, le rythme et la répétition sont des outils qui permettent à l’enfant d’intégrer profondément ce qu’il expérimente au quotidien ; les rythmes se déploient sur le plan journalier, hebdomadaire et annuel. Dans les classes primaires, l’apprentissage des matières par périodes de trois à cinq semaines, puis la possibilité d’abandonner tout un temps le sujet avant d’y revenir, donnent une possibilité de maturation en profondeur. Et de la même manière, sur l’ensemble de la scolarité, ce que l’enfant a appris au travers du mouvement et de l’action au jardin d’enfant est élaboré et intégré durant la deuxième septaine par le biais du sentiment et du travail artistique. De cette façon, le travail de la troisième septaine, qui est celui de la pensée rigoureuse et de l’élaboration de concepts, ne se fait pas « in abstracto » mais sur base d’un vécu, ancré dans la vie de sentiment de l’enfant. 5. Equilibre psychologique. Pour permettre à chaque enfant de tendre vers un équilibre psychologique tant au jardin d’enfants que dans les classes primaires, les enseignants veillent à donner à chacun l’occasion de vivre dans l’alternance de la polarité “ ouverture sur le monde ” et “ retour en soi ”. Cette polarité est vécue, telle une respiration harmonieuse, dans les activités diverses et les cours, dans le déroulement des journées mais aussi en suivant la respiration de la terre en une année, au fil des saisons et des fêtes qui la jalonnent. La polarité « pensée/réflexion » et « activité volontaire/motricité » est une autre dimension essentielle que la pédagogie vise à faire vivre de manière équilibrée dans la succession des activités et des cours, des rythmes quotidiens, mensuels et annuels. L’équilibre et l’harmonie entre les polarités, conditions nécessaires à l’existence de la liberté de l’être humain, sont aussi recherchés par l’exercice des facultés et des aptitudes artistiques, dans toutes les classes et dans tous les cours. La sensibilité artistique peut ainsi être développée, jusqu’à devenir, chez l’adulte, un organe de perception de l’équilibre ou du déséquilibre des processus psychiques et sociaux.
Outre la dimension artistique développée dans chaque cours et matière, les enfants bénéficient aussi d’ateliers artistiques spécifiques, notamment les ateliers de musique et d’eurythmie.
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6. Éduquer vers la liberté. Pour que les enfants puissent développer une liberté de penser, il importe qu’ils ne soient pas confrontés d’emblée à des concepts figés. L’enseignant sera donc attentif à caractériser plutôt qu’à définir. De la même manière, pour forger l’outil de pensée, le processus de pensée est plus important que les connaissances en tant que telles. La démarche de l’apprentissage part de l’expérience, passe par le ressentir pour aller vers une condensation dans le penser.
3. PROJET D’ETABLISSEMENT
� 1. La formation continue des enseignants
Notre école se veut en recherche constante par rapport aux fondements pédagogiques dont elle s’inspire. Pour cette raison, les professeurs s’engagent lors de la signature de leur contrat à participer : - au travail hebdomadaire du collège de tous les professeurs (concertation), - à une formation personnelle en Belgique ou à l’étranger, - à la participation à des séminaires, des rencontres internationales. Notre école est de ce fait en recherche active pour obtenir des fonds permettant à ses professeurs de poursuivre leur formation.
Les instituteurs tant du maternel que du primaire se réunissent à un rythme régulier pour mettre en commun leur travail pédagogique. Ils confrontent leurs expériences, leurs observations, les nourrissant d’une étude approfondie de la nature humaine et dégagent de ce travail commun des perspectives tant pour l’évolution et l’évaluation de chaque enfant que pour l’élaboration des activités dans leur essence, au sein de chaque groupe.
� 2. Le choix pédagogique des parents
Notre école se veut le garant du libre choix des parents pour la pédagogie Steiner. En pratique, nous constatons que :
- Quelques parents, peu satisfaits d’autres écoles, arrivent sans conviction particulière vis-à-vis de la pédagogie Steiner.
- Certains parents, ayant un enfant en difficulté scolaire, trouvent intéressant que notre pédagogie ne pénalise pas l’échec à l’apprentissage (le redoublement y est exceptionnel), n’utilise pas de système de cotation débouchant sur des moyennes mais pratique une évaluation formative réelle. Les évaluations descriptives sérieuses sont formatives pour l’enfant qui est guidé par des commentaires nuancés et circonstanciés. Les manières différentes d’appréhender les matières n’enlèvent rien à la rigueur des fondements et des finalités de la méthode.
- Englobant l’évolution de l’être humain dans sa totalité, l’école parvient à intégrer des enfants ayant certaines difficultés ou problématiques d’évolution ou de comportement.
Toutefois, afin de garder une harmonie dans l'école et de permettre un apprentissage de qualité pour tous les élèves, il nous faut toujours veiller à préserver le bon équilibre, tant au sein des classes que dans l’ensemble de l’école. Des classes équilibrées permettent aux enfants en difficulté d’évoluer dans des groupes harmonieux où ils pourront garder ou retrouver confiance en eux.
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Nous travaillons également en collaboration avec notre centre P.M.S., afin d’améliorer la qualité du suivi spécifique des enfants qui en ont besoin. Pour les enfants ne parlant pas le français, nous mettons en place un accompagnement pour leur permettre de progresser à leur rythme et dans toutes les matières, même si leur scolarisation en Belgique reste incomplète. Un soutien scolaire est également mis en place pour les enfants ayant été absents pour cause de maladie, ou éprouvant des difficultés particulières à l’égard d’une matière.
� 3. Apprendre avec la main, le cœur et la tête
La pédagogie Steiner veille à stimuler tous les registres d’apprentissage, et ce en fonction de l’étape du développement de l’enfant. Ces registres sont d’ordre volontaire, artistique et intellectuel. Ils sont en relation avec l’évolution de l’humanité, tant dans son histoire que dans son rapport à l’environnement. Ainsi les enfants font leur apprentissage d’abord au contact de matériaux nobles tels que terre, pierre, bois, laine… et des mondes végétal et animal. Ils en expérimentent concrètement les transformations, par exemple du semis du grain au pain, de la laine brute à la laine teintée naturellement et à son tissage, de la traite de la vache au yoghourt... Dans le cycle primaire, les élèves sont amenés à ressentir et exprimer de façon artistique ces évolutions et ces transformations à partir desquelles le professeur fait progressivement naître les apprentissages plus conceptuels. Chaque élève est nourri par l’expérience, la vie artistique, le ressenti, l’expression et l’apprentissage en profondeur. Ainsi les enfants travaillent les éléments vitaux et premiers de l’expérience humaine. Forts de ces expériences et se reposant sur celles-ci plus tard, ils pourront eux-mêmes élargir l’éventail des activités humaines qui existent et devenir co-créateurs. Au cycle secondaire, les élèves aborderont le monde de manière de plus en plus scientifique, sur base des expériences d’apprentissage acquises au cours des deux premières septaines. La même démarche pédagogique se poursuit, en fonction du programme inhérent à notre pédagogie, programme qui propose aux différents âges de la scolarité les projets et actions concrètes nourrissant le vécu intérieur des enfants. L’élève pourra ainsi forger, lors du cycle secondaire, ses concepts, son sens critique, son jugement personnel et s’acheminer vers la liberté du penser.
� 4. L'environnement
L’école a pour objectif de développer chez les enfants le respect du milieu naturel et du patrimoine architectural en leur offrant un environnement de qualité. Son projet vise à ce qu’à tous les niveaux soient nourris les sens esthétique et moral de chacun, tant par le choix des matériaux de construction de l'école et du matériel pédagogique que par l’attention portée au recyclage et au tri sélectif. Parmi les activités des classes primaires, notons entre autres, la découverte de la commune et de ses infrastructures (bibliothèque, centre culturel...), l’exploration de la région sous ses divers aspects (botanique, géographique, historique, culturel, rencontres diverses, notamment avec des artisans, agriculteurs, entrepreneurs...) que ce soit sur le site de l’école ou lors d’excursions à pied, à vélo et en train, ainsi que des échanges sportifs et culturels avec des écoles d’autres communautés linguistiques. Tout aménagement ou construction de nouveaux bâtiments de l’école et de ses abords sont une source d’éveil et d’application pédagogique.
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� 5. Les actions concrètes et particulières
Elles peuvent varier d’une année à l’autre. Parmi les actions concrètes déjà menées pour nous permettre de réaliser nos projets éducatif et pédagogique, on trouvera des activités et des projets tels que : - activités sportives, notamment : escalade ; journée(s) en collaboration avec des associations sportives ; athlétisme;
- activités linguistiques, notamment : échanges linguistiques de une ou plusieurs journées ; visites de villes, de musées dans la partie néerlandophone du pays ;
- ouverture au monde, notamment : découverte de la région : excursions à pied, à vélo... ; découverte de la Belgique : excursions en train, car... ; en troisième classe, séjour d’une semaine dans une ferme pratiquant une agriculture respectueuse de l’environnement, si possible biodynamique; élargissement du champ géographique en sixième classe par un voyage dans un paysage et un biotope très différents de ceux connus des élèves, par exemple en montagne ou en bord de mer ; participation à l’opération de la Fondation du Père Damien ;
- activités culturelles, notamment : visites de musées, conférences, concerts, films documentaires, découverte du patrimoine ; invitation d’artistes et animations à l’école ; ateliers d’eurythmie et de musique ; visites d’artisans, initiation à diverses techniques artisanales dans le cadre du cours de travaux manuels.
Pour pouvoir réaliser la plupart de ces objectifs il est nécessaire que l’école recherche des fonds supplémentaires, les subsides de la Communauté française étant malheureusement insuffisants pour financer tous les besoins de la pédagogie Steiner.
� 6. L’harmonisation des transitions entre le maternel, le primaire et le secondaire
A) Entre le maternel et le primaire
Quand l’enfant, vers 6, 7 ans arrive à un premier terme de son développement physiologique, les forces vitales jusqu’alors mobilisées pour cette croissance deviennent disponibles pour de nouvelles formes d’apprentissage qui seront développées durant l’enseignement primaire (cf. projet pédagogique). Dans le respect du rythme d’apprentissage des enfants, ceux-ci sont reçus au plus tard en mai/juin de l’année civile de leur entrée en primaire par la commission d’admission en première classe qui porte un regard sur leur maturité scolaire. Cette commission est composée d’enseignants, parfois accompagnés de conseillers extérieurs, et se base sur un critérium propre à la pédagogie Steiner. C'est dans le respect profond de ce potentiel de forces fondamentales, nécessaires à toute une vie que les enseignants font une estimation fort approfondie, sur base des fondements de cette pédagogie, de la maturité de chaque enfant en âge de scolarité. Les enfants sont observés dans leurs expressions volontaires, sociales et intellectuelles tant isolément que dans leurs rapports réciproques, un certain équilibre étant nécessaire entre ces différentes composantes. Au travers de cette démarche, les enseignants souhaitent respecter le rythme naturel de croissance et d’acquisition des facultés de l’enfant. Ils veillent aussi à grouper les enfants par âge dans les classes, sans redoublement, afin qu’une homogénéité d’évolution règne au sein des groupes. Précisons qu’il ne s’agit pas de laisser les enfants mener librement leur apprentissage selon leur propre envie mais de les guider en respectant les potentialités et spécificités de chacun.
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B) Entre le primaire et le secondaire
Nous travaillons à ce que les élèves vivent cette transition de la manière la plus harmonieuse possible. D’autre part, parents et enseignants espèrent qu’en vertu de la volonté de la Communauté française de tisser des liens réels entre l’enseignement primaire et le premier cycle du secondaire, il sera bientôt possible de réaliser l'école du fondement en 8 ans, forme qui est chère à la pédagogie Steiner, et qui est pratiquée dans la plupart des écoles Steiner dans le monde entier.
� 7. L’année complémentaire
Si la commission d’admission en première classe fait apparaître que certains enfants n’ont pas encore la maturité et l’équilibre suffisant entre la vie de la pensée, du sentiment et de la volonté qui leur permettent de bénéficier dès l’année scolaire suivante de l’enseignement primaire, l’école organise, pour eux, une année complémentaire. Ces enfants peuvent ainsi bénéficier, dès le début de leur scolarité primaire, d’un enseignement différencié qui prend en considération leurs particularités. Comme tout enfant de primaire, ils suivent un cours d’éducation physique et un cours de morale et participent par ailleurs, tous les jours, à des activités spécifiques dans les jardins d’enfants. Un dossier pédagogique individualisé est conservé à l’école. Ce dossier contient entre autres une synthèse des constats effectués par la commission qui a évalué l’enfant ainsi qu’une description des activités différenciées dont il bénéficie. Le soin apporté à l’évaluation du moment opportun pour l’entrée en première année primaire devrait permettre à tous les enfants de suivre une scolarité primaire continue. Dans certains cas, une année complémentaire doit pourtant être organisée pour les enfants rencontrant de grandes difficultés scolaires. Avant d’envisager cette solution - l’idéal restant de laisser un enfant dans la classe de son groupe d’âge - l’évolution globale de l’enfant est analysée par les enseignants de la classe qu’il fréquente, en collaboration avec les parents : évolution scolaire, évolution de la maturité, vécu particulier de l’enfant au niveau de la santé tant physique que psychique…etc. Un dossier est réalisé comprenant les différentes observations, comptes-rendus de réunions ainsi que la décision concernant l’organisation d’une année complémentaire. Au cas où l’année complémentaire est jugée adéquate, ce dossier sert de base pour établir les actions pédagogiques spécifiques à mettre en œuvre pour aider l’enfant à surmonter les difficultés rencontrées. La collaboration, en priorité avec les parents, avec des intervenants extérieurs ensuite, est envisagée. En ce qui concerne les enfants venant d’autres écoles et ayant échoué l’année scolaire précédente, une évaluation de la maturité et des connaissances scolaires sert de base :
- au choix de la classe adéquate - à la constitution du dossier d’année complémentaire éventuelle.
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� 8. Les rythmes pédagogiques
Une des clefs méthodologiques essentielles du niveau maternel est la prise en considération des rythmes de vie : quotidien, hebdomadaire, saisonnier, annuel afin d’offrir à l’enfant repères et sécurité. Cette vie rythmée demeure fondée pour tous les niveaux, générant forces, bien-être et intériorisation profonde des apprentissages. Pour le primaire, dans le respect des rythmes propres à la nature de l'enfant et dont découlent nos choix pédagogiques, nous travaillons par périodes de trois à cinq semaines pendant lesquelles une matière est travaillée principalement au cours des deux premières heures de la matinée. Au sein de ces deux heures dites d’enseignement principal, le travail est réparti et varié de façon à mettre en activité différentes sphères de la vie de l’enfant : volontaire, artistique intellectuelle (faire, ressentir, comprendre). Dans le respect des consignes légales en matière d’horaire, il est important que le professeur garde une souplesse dans l’organisation du temps scolaire, afin de trouver à chaque instant la meilleure forme de travail possible. De même, les aspects éthiques de la vie sont regardés en fonction de la vie de la classe et pas uniquement durant le cours de morale non confessionnelle. C’est pourquoi, il nous paraît essentiel que le cours de morale soit donné par le titulaire de la classe. C’est notamment de cette manière que l’école rencontre le troisième objectif de l’article 6 du décret “ missions ” : “ préparer tous les élèves à être des citoyens responsables, capables de contribuer au développement d'une société démocratique, solidaire, pluraliste et ouverte aux autres cultures ”.
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Annexe 7 Rythme d’une journée et d’une semaine types au jardin d’enfants
• De 8h30 à 8h45 : accueil des enfants dans le jardin d’enfants • De 8h45 à 9h : préparation de l’activité du jour et mise en place des jeux libres • De 9h à 10h10 : jeux libres et activité du jour par groupes • De 10h10 à 10h30 : rangement de l’activité et des jeux libres • De 10h30 à 10h45 : ronde (jeux de doigts et de mains, chansons) • De 10h45 à 11h15 : goûter puis vaisselle, préparation du cercle pour l’histoire,
toilette, vestiaire et sortie des couchages • De 11h15 à 11h50 : jeux libres dans la cour intérieure de l’école • A 11h50 : retour au jardin d’enfants, vestiaire et lavage des mains • A 12h : histoire ou petit spectacle de marionnettes à la lueur d’une bougie,
ouvert et clôturé par un poème chanté collectivement • A 12h20 : préparation de la table et des couchages • A 12h30 : dîner et départ des enfants qui rentrent chez eux l’après-midi • A 13h30 : moment de repos • Vers 14h : activité pour les plus grands • Vers 14h30 : activité pour les plus jeunes • A 15h : rangement et vestiaire • A 15h15 : retour des enfants à la maison • A 15h30 : début de la garderie
• Lundi : jour du dessin libre avec des blocs de cire • Mardi : jour du pain (chaque enfant fait un petit pain qu’il ramène à la maison
dans un petit sac à pain) • Mercredi : jour de la salade de fruits que l’on partage au moment du goûter • Jeudi : jour des travaux manuels adaptés selon les âges et les capacités de
chacun • Vendredi : jour de la peinture à l’aquarelle sur papier mouillé
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Annexe 8 Questionnaire distribué aux parents et aux professeurs
Recherche en psychologie (éducation et développement de l’enfant)
en collaboration avec l’école Steiner de Court-Saint-Etienne
Université Catholique de Louvain
Afin d’obtenir les données statistiques les plus précises possible, merci de compléter les informations de cet encadré, même si vous ne pouvez répondre à l’entièreté du questionnaire. La confidentialité sera respectée. Nom : Prénom : Age de(s) enfant(s) : Classe de(s) enfant(s) : Que vous soyez ou non interpellé par le sujet de l’étude, pouvez-vous me laisser vos coordonnées si vous acceptez de me rencontrer pour un entretien (30 min max.) au cours duquel je vous poserai quelques questions afin d’approfondir les résultats de ma recherche ? Email : Tel. (fixe et/ou GSM) :
Rappel de la procédure :
1. Chacun des parents/professeurs reçoit un questionnaire qu’il complète dès que possible.
2. Pour le jeudi 10 décembre, chaque enfant devra avoir remis à son titulaire deux enveloppes fermées contenant respectivement le questionnaire du papa et celui de la maman. Le titulaire déposera les questionnaires à l’acceuil.
Indications à suivre pour le remplissage des questionnaires : Pour répondre aux questions, veuillez employer un stylo ou un bic de couleur foncée et mettre une croix ( � ) dans la case correspondant à votre choix. Si vous faites une erreur, n’employez pas de Tipp-Ex ni d’effaceur pour corriger mais veillez à noircir la case du choix erroné et à mettre une nouvelle croix à l’endroit souhaité. Vous ne pouvez cocher qu’une seule case par affirmation. Exemple : � � � vide correction choix Veuillez répondre de la manière la plus sincère possible, selon ce que vous vivez ou ressentez en général, dans votre vie quotidienne. Il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises réponses, juste des préférences. Remarques :
1. Si vous éprouvez des difficultés avec la notion de ‘spiritualité’, vous pouvez comprendre celle-ci au sens très large du rapport aux autres, à la nature, au monde, au sacré et/ou à Dieu qui amène du sens à votre existence.
2. Après avoir rempli le questionnaire, le verso de cette page vous offre la possibilité de revenir sur une ou plusieurs question(s) et de me préciser :
a) ce que vous comprenez par ‘religion’, ‘spiritualité’ et ‘développement spirituel de l’enfant’. b) la tradition religieuse et/ou les pratiques spirituelles dans lesquelles vous êtes éventuellement
impliqué. c) tout autre point qui a retenu votre attention.
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INFORMATIONS GENERALES 1. Quel est votre sexe ? • masculin □ • féminin □ 2. Dans quelle tranche d’âge vous situez-vous ?
• 20-29 ans □ • 30-39 ans □ • 40-50 ans □ • Plus de 50 ans □ 3. Quel est votre diplôme le plus élevé ?
• enseignement primaire □ • enseignement secondaire inférieur □ • enseignement secondaire supérieur □ • enseignement supérieur non universitaire □ • enseignement universitaire □ 4. A quelle fréquence travaillez-vous ?
• retraite □ • CPAS/ chômage □ • Inférieur ou égal à un mi-temps □ • Entre un mi-temps et un temps plein □ 5. Depuis combien de temps fréquentez-vous l’école Steiner ? • 1 an □ • 2 ans
• Plus de 2 ans □
• Plus de 5 ans □ • Plus de 10 ans □
Veuillez ne pas remplir le tableau ci-dessous. Il s’agit de cases à cocher par la chercheuse. Merci.
Famille 1 2 3 4 5 6 7 8 9 0 □ □ □ □ □ □ □ □ □ □
□ □ □ □ □ □ □ □ □ □
□ □ □ □ □ □ □ □ □ □
PARTIE 1 : Questionnaire sur l’attitude religieuse (V. Saroglou, UCL)
1. Vous arrive-t-il de prier (outre la présence à des cérémonies religieuses occasionnelles comme le baptême, le mariage ou une messe pour la mort de quelqu’un que vous connaissez) ?
a) pas du tout □ b) un peu (p.ex. dans des moments exceptionnels de votre vie) □ c) moyen (parfois dans l’année) □ d) assez (plusieurs fois par mois) □ e) beaucoup (presque chaque jour) □ 2. Estimez-vous que (1 = pas du tout, 7 = très important) 1 2 3 4 5 6 7
a) Dieu est important dans votre vie ? □ □ □ □ □ □ □ b) la religion est importante dans votre vie ? □ □ □ □ □ □ □ c) la spiritualité est importante dans votre vie ? □ □ □ □ □ □ □
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PARTIE 2 : Questionnaire sur la place de la spiritualité dans l’éducation (E. Pont, UCL) Veuillez indiquer dans quelle mesure vous êtes d’accord avec les propositions suivantes. Vous avez 5 possibilités de réponses, variant de 1 pour « pas du tout d’accord » à 5 pour « tout à fait d’accord ». 1 = pas du tout d’accord … 5 = tout à fait d’accord 1 2 3 4 5
1) L’enseignement conventionnel apporte à l’enfant ce dont il a besoin. □ □ □ □ □
2) L’école doit se charger prioritairement du développement intellectuel de l’enfant. □ □ □ □ □
3) L’école doit se charger tout autant du développement intellectuel de l’enfant que d’autres aspects tels que son habileté manuelle, son développement émotionnel, moral, social et/ou spirituel.
□ □ □ □ □
4) Une école Steiner répond mieux aux besoins de l’enfant qu’une école conventionnelle.
□ □ □ □ □
5) Il devrait y avoir plus d’écoles Steiner car celles-ci sont importantes pour une meilleure évolution de la société.
□ □ □ □ □
6) J’ai inscrit mon (premier) enfant à l’école Steiner/ J’ai choisi d’enseigner à l’école Steiner :
a) suite à des difficultés rencontrées par cet enfant/ que j’observe chez des enfants dans l’enseignement conventionnel.
□ □ □ □ □
b) suite à ma propre insatisfaction quant à l’enseignement conventionnel. □ □ □ □ □
c) suite au témoignage d’un proche qui m’a communiqué son expérience d’une école Steiner.
□ □ □ □ □
d) pour des raisons pratiques (par ex. : école à proximité du domicile). □ □ □ □ □
e) par engagement au niveau de l’anthroposophie. □ □ □ □ □
f) car cette école privilégie le contact avec la nature. □ □ □ □ □
g) pour la dimension spirituelle de l’école. □ □ □ □ □
h) pour une autre raison. □ □ □ □ □
7) Depuis que je fréquente l’école Steiner :
a) ma conception de la spiritualité a changé. □ □ □ □ □
b) ma conception de l’éducation a changé. □ □ □ □ □
c) ma conception de l’enfant a changé. □ □ □ □ □
8) J’adhère à une tradition religieuse. □ □ □ □ □
9) Je suis impliqué dans une ou plusieurs pratique(s) spirituelle(s). □ □ □ □ □
10) Je suis méfiant quand on me parle de spiritualité. □ □ □ □ □
11) Je ressens un lien avec le monde enchanté de toute la création. □ □ □ □ □
12) Je distingue religion et spiritualité. □ □ □ □ □
13) La spiritualité est importante pour une meilleure évolution de la société. □ □ □ □ □
14) J’ai régulièrement des conversations au sujet de la spiritualité avec mon enfant/ les enfants.
□ □ □ □ □
15) La spiritualité est une base sous-jacente à mes pratiques et attitudes quotidiennes avec mon enfant/ les enfants.
□ □ □ □ □
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16) L’école Steiner ne s’inscrit pas dans une tradition religieuse particulière. □ □ □ □ □
17) L’école Steiner est une école catholique. □ □ □ □ □
18) L’école Steiner est une école chrétienne. □ □ □ □ □
19) La spiritualité est une base sous-jacente aux pratiques et attitudes quotidiennes des professeurs de l’école Steiner avec mon enfant/ les enfants.
□ □ □ □ □
20) La dimension spirituelle est une caractéristique importante pour définir l’identité de l’école Steiner.
□ □ □ □ □
21) Une des spécificités de l’école Steiner est qu’elle éveille chez l’enfant des attitudes comme la gratitude, l’émerveillement et/ou le respect.
□ □ □ □ □
22) Les professeurs de l’école Steiner ont régulièrement des conversations au sujet de la spiritualité avec mon enfant.
□ □ □ □ □
23) L’enfant peut vivre des expériences spirituelles. □ □ □ □ □
24) Le développement spirituel de l’enfant est important pour sa santé globale et son bien-être.
□ □ □ □ □
25) C’est uniquement à la famille d’accompagner le développement spirituel de l’enfant.
□ □ □ □ □
26) L’école doit contribuer au développement spirituel de l’enfant. □ □ □ □ □
27) Le développement spirituel de l’enfant contribue positivement :
a) au développement intellectuel de l’enfant, facilitant dès lors ses apprentissages.
□ □ □ □ □
b) au développement émotionnel de l’enfant. □ □ □ □ □
c) au développement moral de l’enfant. □ □ □ □ □
d) au développement social de l’enfant. □ □ □ □ □
e) à la société de demain. □ □ □ □ □
f) à trouver davantage de sens à l’existence une fois adulte. □ □ □ □ □
28) Je connais Rudolf Steiner et l’anthroposophie. □ □ □ □ □
29) Connaître Rudolf Steiner et l’anthroposophie est essentiel
a) pour les professeurs de l’école □ □ □ □ □
b) pour les parents de l’école □ □ □ □ □
c) pour les enfants de l’école □ □ □ □ □
30) Les principes pédagogiques proposés par Rudolf Steiner restent adaptés aux besoins des enfants d’aujourd’hui.
□ □ □ □ □
31) Mon rapport à la spiritualité s’appuie sur les conceptions de Rudolf Steiner. □ □ □ □ □
32) Ma conception de l’éducation s’appuie sur celle de Rudolf Steiner. □ □ □ □ □
33) J’ai le sentiment d’être régulièrement en accord avec les pratiques pédagogiques de l’école Steiner.
□ □ □ □ □
129
1 2 3 4 5
34) J’entretiens globalement un rapport facile et agréable avec les professeurs/ les parents de l’école Steiner.
□ □ □ □ □
35) Je pense bien comprendre la notion de ‘spiritualité’ qui caractérise les pratiques pédagogiques de l’école Steiner.
□ □ □ □ □
36) Depuis que je fréquente l’école Steiner,
a) mon rapport au temps a changé □ □ □ □ □
b) mon rapport à l'argent a changé □ □ □ □ □
c) mon rapport aux autres (mes liens sociaux) a changé □ □ □ □ □
d) mon rapport au travail a changé □ □ □ □ □
e) mon rapport aux choses matérielles a changé □ □ □ □ □
f) mon rapport à la nature a changé □ □ □ □ □
g) mon rapport à la gratuité a changé □ □ □ □ □
h) mon rapport aux loisirs a changé □ □ □ □ □
37) L’écologie est une de mes préoccupations principales au quotidien. □ □ □ □ □
38) Je trouve particulièrement important de mettre l’enfant en contact avec la nature. □ □ □ □ □
39) Je cultive mon propre jardin. □ □ □ □ □
40) Je me sentirais proche d'un mouvement socioculturel qui propose de réduire consciemment sa consommation de biens en vue d'une existence intérieure plus riche.
□ □ □ □ □
41) Je pense que la société de consommation dans laquelle nous évoluons menace mon bien-être, celui de mes enfants et/ou des générations futures.
□ □ □ □ □
42) Le lien entre rapport à la nature et spiritualité est évident pour moi. □ □ □ □ □
Un tout grand MERCI pour votre collaboration !
130
Annexe 9 Résumé des résultats aux questionnaires
A) Test t réalisé pour comparer au point milieu de l’échelle les moyennes obtenues sur les 42 questions par chacun des groupes (pères/mères/professeurs) Remarque : valeur du test t = 3 (= 4 pour la question 2 de la partie 1) : point milieu de l’échelle n=191
Partie Questions Groupes M SD t ddl Sig
1 1 Pères 2,08 1,311 -6,028 73 ,000
Mères 3,14 1,442 ,940 91 ,350
Profs 3,61 1,243 2,085 17 ,052
2 a Pères 3,41 2,378 -2,075 68 ,042
Mères 4,27 2,308 1,059 80 ,293
Profs 5,32 1,765 3,249 18 ,004
b Pères 2,43 1,778 -7,313 68 ,000
Mères 2,55 1,816 -7,347 84 ,000
Profs 3,05 2,164 -1,964 19 ,064
c Pères 5,51 1,695 7,579 71 ,000
Mères 6,27 1,241 17,850 94 ,000
Profs 6,83 ,514 23,364 17 ,000
2 1 Pères 2,36 ,816 -6,792 74 ,000
Mères 1,88 ,874 -12,450 94 ,000
Profs 1,83 ,786 -6,298 17 ,000
2 Pères 2,30 1,120 -5,429 75 ,000
Mères 1,96 ,933 -10,886 94 ,000
Profs 1,79 ,918 -5,750 18 ,000
3 Pères 4,57 ,899 -5,429 75 ,000
Mères 4,93 ,263 71,487 94 ,000
Profs 4,88 ,485 16,000 16 ,000
4 Pères 4,30 ,864 13,137 75 ,000
Mères 4,69 ,529 30,984 93 ,000
Profs 4,67 ,594 11,902 17 ,000
5 Pères 4,37 ,882 13,487 74 ,000
Mères 4,73 ,628 26,586 92 ,000
Profs 4,68 ,671 10,940 18 ,000
6 a Pères 1,77 1,457 -7,025 68 ,000
Mères 1,93 1,611 -6,093 83 ,000
Profs 2,88 1,668 -,300 15 ,769
b Pères 2,96 1,592 -,225 69 ,822
Mères 3,46 1,485 2,910 89 ,005
Profs 3,50 1,654 1,283 17 ,217
c Pères 2,72 1,532 -1,549 70 ,126
131
Mères 3,16 1,696 ,895 84 ,373
Profs 3,13 1,628 ,307 15 ,763
d Pères 1,44 ,870 -14,768 67 ,000
Mères 1,49 1,023 -13,535 83 ,000
Profs 1,61 1,290 -4,569 17 ,000
e Pères 1,70 1,142 -9,491 68 ,000
Mères 1,93 1,272 -7,798 85 ,000
Profs 3,50 1,543 1,374 17 ,187
f Pères 3,84 1,002 7,038 69 ,000
Mères 4,24 1,009 11,700 89 ,000
Profs 3,79 1,134 3,034 18 ,007
g Pères 3,30 1,324 1,882 70 ,064
Mères 3,98 1,135 8,219 90 ,000
Profs 4,53 ,874 7,211 16 ,000
h Pères 2,71 1,633, -1,367 57 ,177
Mères 2,85 1,718 -,755 71 ,453
Profs 2,88 1,821 -,275 15 ,787
7 a Pères 2,05 1,311 -6,159 72 ,000
Mères 2,51 1,402 -3,345 91 ,001
Profs 3,89 1,286 3,032 18 ,007
b Pères 3,09 1,435 ,563 74 ,575
Mères 3,32 1,453 2,129 93 ,036
Profs 4,32 ,885 6,479 18 ,000
c Pères 2,91 1,473 -,553 73 ,582
Mères 3,31 1,408 2,197 93 ,030
Profs 4,53 ,800 7,884 16 ,000
8 Pères 1,82 1,272 -8,114 75 ,000
Mères 2,01 1,257 -7,630 93 ,000
Profs 2,000 1,369 -3,011 16 ,008
9 Pères 2,25 1,524 -4,290 75 ,000
Mères 2,84 1,512 -1,023 93 ,309
Profs 2,71 1,532 -,792 16 ,440
10 Pères 2,46 1,428 -3,294 75 ,002
Mères 1,81 1,151 -10,070 94 ,000
Profs 2,11 1,410 -2,675 17 ,016
11 Pères 3,19 1,411 1,161 72 ,249
Mères 3,94 1,091 8,265 92 ,000
Profs 3,94 1,110 3,610 17 ,002
12 Pères 4,55 ,827 16,200 74 ,000
Mères 4,61 ,799 19,993 93 ,000
Profs 4,53 ,772 8,614 18 ,000
13 Pères 4,38 ,894 13,473 75 ,000
132
Mères 4,70 ,713 23,321 94 ,000
Profs 4,88 ,332 23,369 16 ,000
14 Pères 2,53 1,160 -3,559 75 ,001
Mères 3,40 1,267 3,078 94 ,003
Profs 2,44 1,381 -1,706 17 ,106
15 Pères 2,95 1,335 -,346 74 ,730
Mères 3,68 1,123 5,939 94 ,000
Profs 4,26 ,872 6,315 18 ,000
16 Pères 3,12 1,404 ,735 75 ,465
Mères 3,21 1,292 1,605 92 ,112
Profs 3,33 1,495 ,946 17 ,357
17 Pères 1,65 1,059 -11,013 74 ,000
Mères 1,49 ,890 -16,108 89 ,000
Profs 1,25 ,562 -12,940 16 ,000
18 Pères 3,40 1,284 2,698 74 ,009
Mères 3,47 1,317 3,361 89 ,001
Profs 3,38 1,408 1,065 15 ,304
19 Pères 4,01 1,000 8,719 73 ,000
Mères 4,30 ,791 15,861 92 ,000
Profs 4,32 ,749 7,655 18 ,000
20 Pères 4,12 1,013 9,576 74 ,000
Mères 4,41 ,739 18,557 93 ,000
Profs 4,56 ,616 10,719 17 ,000
21 Pères 4,24 1,011 10,619 74 ,000
Mères 4,66 ,617 25,894 92 ,000
Profs 4,78 ,428 17,631 17 ,000
22 Pères 3,06 1,174 ,402 71 ,689
Mères 3,21 1,213 1,619 83 ,109
Profs 2,35 1,115 -2,393 16 ,029
23 Pères 4,09 1,048 9,086 75 ,000
Mères 4,40 ,878 15,321 91 ,000
Profs 4,47 ,624 9,713 16 ,000
24 Pères 4,32 ,995 11,454 73 ,000
Mères 4,57 ,694 22,020 94 ,000
Profs 4,65 ,786 8,641 16 ,000
25 Pères 1,67 1,025 -11,304 75 ,000
Mères 1,60 ,868 -15,723 94 ,000
Profs 2,06 1,110 -3,610 17 ,002
26 Pères 3,99 1,104 7,686 73 ,000
Mères 4,04 ,920 10,936 92 ,000
Profs 3,78 1,166 2,830 17 ,012
27 a Pères 3,66 1,218 4,579 70 ,000
133
Mères 4,07 1,143 8,895 90 ,000
Profs 3,69 1,302 2,112 15 ,052
b Pères 4,18 ,933 10,788 72 ,000
Mères 4,54 ,685 21,660 92 ,000
Profs 4,25 ,683 7,319 15 ,000
c Pères 4,25 ,878 12,124 72 ,000
Mères 4,63 ,674 23,270 93 ,000
Profs 4,61 ,502 13,626 17 ,000
d Pères 4,05 ,998 9,026 72 ,000
Mères 4,52 ,669 21,842 92 ,000
Profs 4,44 ,616 9,953 17 ,000
e Pères 4,14 ,962 10,098 72 ,000
Mères 4,64 ,604 26,078 91 ,000
Profs 4,65 ,493 13,786 16 ,000
f Pères 4,15 ,914 10,701 71 ,000
Mères 4,57 ,810 18,852 93 ,000
Profs 4,65 ,606 11,200 16 ,000
28 Pères 2,75 1,115 -1,889 72 ,063
Mères 3,21 1,051 1,953 94 ,054
Profs 4,05 ,911 5,035 18 ,000
29 a Pères 4,27 1,119 9,803 74 ,000
Mères 4,62 ,810 19,181 91 ,000
Profs 4,79 ,535 14,571 18 ,000
b Pères 2,72 1,085 -2,235 74 ,028
Mères 3,01 1,027 ,101 92 ,920
Profs 3,10 1,165 ,384 19 ,705
c Pères 2,16 1,151 -6,319 74 ,000
Mères 2,09 1,183 -7,404 91 ,000
Profs 1,40 ,883 -8,107 19 ,000
30 Pères 4,04 ,904 9,837 72 ,000
Mères 4,18 ,919 12,159 89 ,000
Profs 4,71 ,470 14,976 16 ,000
31 Pères 1,84 1,108 -9,109 75 ,000
Mères 2,42 1,164 -4,811 92 ,000
Profs 3,74 1,284 2,501 18 ,022
32 Pères 2,51 1,369 -3,120 74 ,003
Mères 2,98 1,139 -,183 91 ,855
Profs 3,94 1,124 3,337 15 ,004
33 Pères 3,85 ,926 7,985 74 ,000
Mères 4,12 ,792 13,618 92 ,000
Profs 4,33 ,767 7,376 17 ,000
34 Pères 4,18 ,948 10,889 75 ,000
134
Mères 4,37 ,818 16,098 92 ,000
Profs 4,61 ,608 11,248 17 ,000
35 Pères 3,71 1,004 6,168 75 ,000
Mères 4,01 ,908 10,681 91 ,000
Profs 4,06 1,162 3,855 17 ,001
36 a Pères 2,03 1,305 -6,461 74 ,000
Mères 2,72 1,341 -1,965 89 ,053
Profs 3,06 1,392 ,169 17 ,868
b Pères 1,77 1,134 -9,369 74 ,000
Mères 2,36 1,239 -4,934 89 ,000
Profs 2,39 1,290 -2,010 17 ,061
c Pères 2,37 1,353 -4,010 74 ,000
Mères 2,96 1,306 -,323 89 ,748
Profs 3,68 1,204 2,477 18 ,023
d Pères 1,99 1,157 -7,588 74 ,000
Mères 2,58 1,265 -3,148 90 ,002
Profs 3,26 1,408 ,815 18 ,426
e Pères 2,11 1,192 -6,490 74 ,000
Mères 2,53 1,319 -3,416 90 ,001
Profs 2,78 1,263 -,747 17 ,466
f Pères 2,41 1,425 -3,566 74 ,001
Mères 2,92 1,408 -,518 91 ,606
Profs 3,21 1,653 ,555 18 ,586
g Pères 1,96 1,103 -8,112 73 ,000
Mères 2,43 1,350 -3,983 89 ,000
Profs 3,000 1,173 ,000 16 1,000
h Pères 1,77 1,014 -10,430 73 ,000
Mères 2,49 1,291 -3,754 89 ,000
Profs 241 1,460 -1,661 16 ,116
37 Pères 4,000 1,071 8,141 75 ,000
Mères 4,17 ,930 12,245 94 ,000
Profs 4,05 ,970 4,729 18 ,000
38 Pères 4,78 ,645 24,010 75 ,000
Mères 4,83 ,476 37,498 94 ,000
Profs 4,84 ,375 21,433 18 ,000
39 Pères 3,34 1,701 1,720 72 ,090
Mères 3,32 1,423 2,174 93 ,032
Profs 3,32 1,455 ,946 18 ,357
40 Pères 3,91 1,112 7,001 73 ,000
Mères 4,16 1,055 10,697 94 ,000
Profs 4,15 ,875 5,877 19 ,000
41 Pères 4,40 ,885 13,695 74 ,000
135
Mères 4,41 ,940 14,632 94 ,000
Profs 4,47 ,697 9,220 18 ,000
42 Pères 4,12 1,265 7,710 75 ,000
Mères 4,46 1,019 13,994 94 ,000
Profs 4,25 ,910 6,140 19 ,000
B) Comparaisons intergroupes Partie Questions Comparaison pères-mères Comparaison pères-professeurs Comparaison mères-professeurs t ddl Sig t ddl Sig t ddl Sig 1 1
-4,441 64 ,000 -4,483 90 ,000 -1,291 108 ,200 2 a
-1,697 55 ,095 -3,851 37,974 ,000 -1,847 98 ,068 b
-,873 58 ,386 -1,296 87 ,198 -1,061 103 ,291 c
-2,898 64 ,005 -5,646 84,847 ,000 -3,182 61,635 ,002 2 1
3,528 67 ,001 2,476 91 ,015 ,230 111 ,819 2
2,778 68 ,007 1,846 93 ,068 ,720 112 ,473 3
-3,206 68 ,002 -2,023 44,462 ,049 ,547 110 ,586 4
-2,636 67 ,010 -1,691 92 ,094 ,179 110 ,858 5
-2,482 65 ,016 -1,433 92 ,155 ,294 110 ,770 6 a
-1,427 56 ,159 -2,664 83 ,009 -2,141 98 ,035 b
-1,426 60 ,159 -1,280 86 ,204 -,114 106 ,910 c
-1,543 57 ,128 -,948 85 ,346 ,086 99 ,931 d
,134 55 ,894 -,661 84 ,510 -,441 100 ,660 e
-1,565 56 ,123 -4,640 22,085 ,000 -4,583 102 ,000 f
-3,052 58 ,003 ,200 87 ,842 1,748 107 ,083 g
-3,545 60 ,001 -4,673 35,925 ,000 -1,898 106 ,060 h
-,810 43 ,423 -,356 72 ,723 -,058 86 ,954 7 a
-2,635 63 ,011 -5,469 90 ,000 -3,968 109 ,000 b
-1,933 66 ,057 -4,664 45,076 ,000 -3,948 40,621 ,000 c
-2,195 65 ,032 -6,277 44,690 ,000 -4,994 36,970 ,000 8
-5,052 72 ,000 -,532 91 ,596 ,032 109 ,975 9
-2,505 67 ,015 -1,114 91 ,268 ,337 109 ,737 10
2,874 68 ,005 ,936 92 ,352 -,979 111 ,330 11
8,229 72 ,000 -2,105 89 ,038 -,032 109 ,975 12
,000 67 1,000 ,097 92 ,923 -,031 23,805 ,975 13
-2,517 68 ,014 -3,840 70,425 ,000 ,409 111 ,683 14
-3,986 68 ,000 ,259 92 ,796 2,893 111 ,005 15
-3,477 67 ,001 -4,076 92 ,000 -2,120 112 ,036 16
-1,038 66 ,303 -,577 92 ,566 -,346 109 ,730 17
,093 63 ,926 2,282 45,684 ,027 1,131 105 ,261 18
-,678 64 ,500 ,070 89 ,945 ,254 104 ,800 19
-2,262 64 ,027 -1,230 91 ,222 -,075 110 ,941 20
-1,327 67 ,189 -1,744 91 ,084 -,758 110 ,450
136
21 -3,032 66 ,003 -3,486 65,934 ,001 -,800 109 ,425
22 -,087 56 ,931 2,241 87 ,028 2,704 99 ,008
23 -1,589 66 ,117 -1,958 39,202 ,057 -,307 107 ,760
24 -1,475 66 ,145 -1,249 89 ,215 -,422 110 ,674
25 ,476 68 ,635 -1,409 92 ,162 -1,949 111 ,054
26 -,856 64 ,395 ,712 90 ,479 1,070 109 ,287
27 a -1,811 61 ,075 -,075 85 ,941 1,196 105 ,234
b -2,487 64 ,016 -,291 87 ,772 1,553 107 ,123
c -3,711 65 ,000 -2,327 46,194 ,024 ,035 110 ,972
d -3,671 64 ,000 -1,579 89 ,118 ,421 109 ,675
e -3,171 64 ,002 -3,107 48,534 ,003 -,037 107 ,971
f -3,133 65 ,003 -2,117 87 ,037 -,352 109 ,726
28 -2,268 66 ,027 -4,681 90 ,000 -3,254 112 ,002
29 a -2,605 64 ,011 -2,933 61,563 ,005 -,874 109 ,384
b -1,371 65 ,175 -1,370 93 ,174 -,344 111 ,731
c ,772 64 ,443 2,741 93 ,007 2,952 35,599 ,006
30 -,785 62 ,435 -2,931 88 ,004 -3,532 43,423 ,001
31 -3,764 66 ,000 -6,455 93 ,000 -4,418 110 ,000
32 -2,946 64 ,004 -4,439 25,492 ,000 -3,116 106 ,002
33 -1,352 65 ,181 -2,036 91 ,045 -1,060 109 ,292
34 -,853 67 ,396 -1,820 92 ,072 -,344 111 ,731
35 -1,668 66 ,100 -1,272 92 ,207 -,182 108 ,856
36 a -2,958 64 ,004 -2,967 91 ,004 -,957 106 ,341
b -3,316 64 ,002 -2,014 91 ,047 -,104 106 ,918
c -2,279 64 ,026 -3,850 92 ,000 -2,238 107 ,027
d -3,007 64 ,004 -4,108 92 ,000 -2,092 108 ,039
e -2,147 64 ,036 -2,121 91 ,037 -,740 107 ,461
f -2,277 65 ,026 -2,109 92 ,038 -,784 109 ,435
g -2,362 62 ,021 -3,466 89 ,001 -1,782 24,730 ,087
h -4,252 62 ,000 -1,719 19,690 ,101 ,221 105 ,825
37 -1,069 68 ,289 -,195 93 ,846 ,492 112 ,624
38 -1,180 68 ,242 -,426 93 ,671 -,091 112 ,928
39 -,397 65 ,693 ,069 32,078 ,946 ,009 111 ,993
40 -1,844 66 ,070 -,909 92 ,366 ,031 113 ,975
41 -,327 67 ,745 -,337 92 ,737 -,278 112 ,782
42 -1,318 68 ,192 -,436 94 ,664 ,865 113 ,389
137
Annexe 10 Extraits de réponses aux questions ouvertes
proposées dans la partie de rédaction libre du questionnaire
Remarque : Ces extraits ont été classés selon les différents profils qui ont permis la sélection de personnes à interroger en entretiens. Profils (dégagés à partir des tableaux croisés de l’annexe 11) :
1/1 = Accorde peu d’importance tant à l’anthroposophie qu’à la dimension spirituelle 1/3 = Accorde beaucoup d’importance à la spiritualité mais pas à l’anthroposophie 3/3 = Accorde beaucoup d’importance à la spiritualité et à l’anthroposophie
A) Profil 1/1 Mères:
- Je donne à la spiritualité un sens détaché de toute croyance en un monde invisible ou religieux. Mais j’y adhère au sens : respect de l’autre et de la nature, intelligence, réflexions morales et éthiques, observations et rigueur de pensée.
- « Prier » a une connotation très religieuse pour moi…et je n’adhère pas à une religion en particulier. Je « ressens » plutôt des « énergies ». Le terme « religion » implique, selon mon opinion, l’existence d’un ou de plusieurs dieu(x) - à l’image de l’homme - ce auquel je ne peux, au plus profond de moi, pas du tout adhérer. Je ne « prie » pas mais je peux plutôt avoir des pensées positives pour les autres, dans certaines situations (comme remercier la nature pour ce qu’elle nous offre, par exemple).
Pères : - Le mot « spirituel » - par lequel on peut entendre Dieu - m’évoque « élever l’esprit »,
donc grandir en harmonie avec soi-même et le monde qui nous entoure. L’école Steiner est une école à tendance chrétienne, mais ouverte aux autres religions et « au reste ». J’ai choisi cette école pour l’épanouissement des enfants : il n’y a jamais de violence exacerbée. On permet aux enfants d’avoir une vue la plus neutre et la plus personnelle possible du monde qui l’entoure, pour lui permettre de développer son sens, sa personnalité propre, son autonomie. […] « Le 21e siècle sera spirituel ou ne sera pas » : le développement spirituel de l’enfant contribue positivement à la société de demain.
- On peut appeler « Dieu » le mystère de l’origine et du devenir de chaque personne après la mort, ou l’élan d’amour qui anime l’homme envers ses semblables et les créatures en général. Les religions sont des tentatives traditionnelles ou culturelles d’approcher ce mystère. Malheureusement, elles sont le plus souvent non respectueuses de la recherche personnelle (indispensable) à cause de l’illusion de détenir une vérité, ce qui est à l’origine de nombreuses violences et souffrances.
B) Profil 1/3 Mères:
- Par « religion », j’entends l’institution, la structure de l’église et donc, je ne m’y sens pas particulièrement attachée. Elle n’a pas vraiment de place dans notre vie familiale. Par « spiritualité », j’entends la dimension de l’ordre de la croyance, le monde plus subtil des choses plus senties qu’expliquées. Cette notion évolue dans ma vie. […] Par « développement spirituel de l’enfant », j’entends l’invitation que j’offre à mes enfants de faire ce même chemin, de construire leur propre spiritualité, dans le même esprit de liberté qui guide le mien.
- La spiritualité, c’est ce qui est commun à toutes les religions, et ce, dans sa pratique la plus intérieure. Par développement spirituel de l’enfant, j’entends le développement de ses facultés internes, intérieures, profondes, qui donnent sens à la vie. C’est le
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développement de son être cheminant sur terre et étant appelé à réaliser, tôt ou tard, sa part divine ici-bas. La connaissance des lois profondes de la nature, de l’univers, de l’être humain, etc. contribue à ce développement. Les différentes traditions religieuses (chrétienne, hébraïque, indienne, soufie) me servent de support dans la vie de tous les jours. Je pratique régulièrement la prière et l’assise silencieuse. Une pratique de vigilance et de non jugement m’aide à garder le lien dans le quotidien avec la source intérieure.
- La religion est plus culturelle que la spiritualité par laquelle j’entends « harmonie, respect, sagesse ». Le développement spirituel de l’enfant se produit quand l’âme de l’enfant est « nourrie » et grandit, notamment en cultivant chez l’enfant une attitude d’émerveillement et de reconnaissance pour la vie qui l’entoure. […] Promouvoir les écoles Steiner, c’est promouvoir l’avenir : des écoles où les enfants sont respectés, évoluent à leur propre rythme, pris en compte dans leur globalité (cœur, corps, esprit), où on leur donne plus qu’un simple apprentissage, où ils reçoivent de l’amour. Dans notre société actuelle si violente, c’est non-négligeable ! J’ai rarement vu des personnes exercer leur métier avec autant de passion, de patience, d’écoute et de respect envers l’enfant, comme le fait la jardinière de mes enfants.
- Je n’attends pas de l’école qu’elle nourrisse à elle seule mes enfants sur le plan spirituel. Je suis heureuse qu’elle donne une cohérence aux valeurs que nous souhaitons voir grandir chez nos enfants. L’émerveillement et le lien à la nature me semblent primordiaux dans un monde déjà tellement désenchanté. […] Pourvu que s’ouvrent des portes vers une grande conscience de l’importance des systèmes éducatifs !
Père : - La religion désigne l’adhésion à un système d’interprétation des « forces mystérieuses »
de l’existence. La spiritualité est une pratique d’attention profonde à sa propre nature, à la nature de l’univers, un chemin d’harmonie vers soi et l’univers. Le développement spirituel de l’enfant vise à le familiariser avec les multiples dimensions de l’existence afin qu’il trouve les ressources pour mettre en œuvre son harmonie au monde et à lui-même, qui se traduit par le sentiment d’être sur le chemin juste pour soi.
C) Profil 3/3 Mère :
- La spiritualité, c’est tout le champ d’exploration concrète de l’invisible. Le développement spirituel de l’enfant, c’est tout ce qui élargit la conscience de l’enfant au-delà de la perception du monde matériel.
Père : - Si dans ses fondements l’anthroposophie est profondément chrétienne, elle n’est
absolument pas catholique, refusant les dogmes, directions imposées, la foi aveugle. Chez l’adulte (pas encore chez l’enfant), la religion doit être une affaire personnelle, et réfléchie, choisir librement. L’anthroposophie s’appelle d’ailleurs la « science » spirituelle.
Professeurs : - Je sens la religion à partir du mot « relier ». […] La spiritualité désigne le chemin vers
l’esprit […] qui est le « souffle » de ce qui nous relie, le fond universel, l’archétype, que nous pouvons parfois percevoir dans des moments de grâce. Pour moi, le développement spirituel de l’enfant est là. C’est à nous, adultes, de lui offrir le cadre et le contact adéquat pour qu’il puisse s’épanouir. Nous devons être très modestes. Dans ce domaine, c’est nous qui apprenons de l’enfant. Je ne discute pas comme tel de spiritualité avec les enfants, mais elle est toujours sous-jacente à ce que nous vivons.
- La spiritualité équilibre un matérialisme envahissant puissant. La spiritualité se vit : en parler ne sert à rien, c’est intellectuel !
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Annexe 11 Tableaux croisés selon deux dimensions
dans le choix de l’école (l’engagement pour l’anthroposophie et la dimension spirituelle)
Remarque : 1=faible importance, 2=moyenne importance, 3=forte importance
Tableau croisé professeurs : anthroposophie * spir itualité
Effectif
spiritualité 1,00 2,00 3,00 Total
1,00 2 2 2 5
2,00 0 1 3 5
anthroposophie
3,00 0 0 10 10
Total 2 3 15 20
Tableau croisé pères : anthroposophie * spirituali té
Effectif
spiritualité 1,00 2,00 3,00 Total
1,00 17 17 19 53
2,00 1 8 8 17
anthroposophie
3,00 0 0 6 6
Total 18 25 33 76
Tableau croisé mères : anthroposophie * spiritualit é
* Profils des personnes interrogées en entretien
Effectif
spiritualité 1,00 2,00 3,00 Total
1,00 11 11 38 60
2,00 0 7 17 24
anthroposophie
3,00 0 0 11 11
Total 11 18 66 95
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Annexe 12 Retranscription d'une discussion avec deux anciens professeurs
Remarque : Après analyse des résultats aux questionnaires, cette discussion a été organisée dans le but de cibler dix questions pertinentes à poser lors des entretiens. Codes utilisés :
PM= Professeur masculin PF = Professeur féminin É = Éline Pont, la personne qui structure la discussion et pose des questions
***
É : Que pensez-vous de l’idée d’abandonner, au profit du rayonnement de la pédagogie, les principes mystiques et ésotériques de l’anthroposophie, moins facilement concevables ? PF : On perdrait tout si on abandonnait les principes sur lesquels la pédagogie est fondée. Moi, je pense qu’on ne peut pas, parce que, ce qui est fondamental, c’est l’image de l’être humain qu’on a, et cet être, c’est justement un être spirituel. Il y a une compréhension de l’être humain qui est vraiment fondamentale à maintenir et justement, je pense qu’on ne doit pas se laisser intimider par cet aspect occulte, ce n’est pas occulte. PM : Dans l’anthroposophie, on considère l’être humain comme le résultat de l’incarnation d’un être au sein d’une culture. L’éduquer, c’est l’amener à développer les impulsions qu’il porte lui-même, dans sa singularité, au sein d’une culture donnée. Je peux avoir une idée de l’éducation qui vise à former des jeunes pour qu’ils répondent à un projet de société que moi, j’estime souhaitable, ce serait avoir une idée préconçue de ce que doit devenir l’enfant et canaliser les choses pour que l’enfant aille dans cette direction. Ou bien je peux amener la culture à l’enfant, car c’est au sein de cette culture qu’il va pouvoir se développer et développer les potentialités qu’il amène avec lui. Par exemple, dans les cours d’électronique et d’informatique en secondaire, on rentre dans la compréhension de ce qu’est une machine électronique et une machine informatique, pas seulement pour apprendre aux élèves à se servir d’un ordinateur, mais pour qu’ils puissent vraiment comprendre ce que c’est. Et c’est clair qu’on amène des éléments de la culture d’aujourd’hui. Mais je dois amener ça de telle manière à ce que je respecte le développement de l’enfant, que ça puisse l’accompagner, que l’enfant ait atteint la maturité qu’il lui faut pour comprendre la culture où il évolue. Mais il faut sentir quand l’enfant est mûr, quand ses apprentissages correspondent vraiment à sa phase de développement. PF : Pour revenir à ta question, c’est vrai qu’il y a des personnes qui revendiquent le côté obscur, nébuleux, mystique, fermé de l’anthroposophie, mais ce n’est pas mon cas. Je disais que ce n’est pas occulte car tout est basé sur la raison dans tous ces concepts. Cela paraît occulte, mais si moi je me mets à étudier Lacan ou à lire un mémoire de mathématiques, ça me paraîtra aussi occulte.
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PM : Dans ce cas, ce qu’on dit « occulte », c’est ce que l’on ne comprend pas. Pour comprendre ce dont on parle, il faut avoir une formation. Ce n’est pas occulte. Tout le monde est libre. Celui qui veut comprendre va aller chercher des références, consulter la littérature de base, ça va peut-être lui prendre longtemps mais il va parvenir à le comprendre. PF : Mais s’il s’agit d’un mémoire de mathématiques, on ne va pas avoir d’a priori par rapport à ça. Tandis que vis-à-vis de l’anthroposophie, on va avoir un a priori sans doute car il y a des rumeurs comme quoi c’est sectaire par exemple, et du coup on ne va pas se donner la peine de le comprendre. PM : On peut par exemple dire qu’il y a une secte des mathématiciens, car on y parle un langage que seuls les initiés peuvent comprendre. Mais est-ce que c’est parce qu’il y a un langage particulier et des concepts qui sont étranges qu’on peut qualifier ceci de secte ? […] La thèse de la philosophie de Steiner, c’est quelque part de démontrer qu’il n’y a pas de limites à la connaissance. Je ne suis donc pas limité dans ma connaissance par ce qui est sensible, par mes sens corporels, et donc j’ai une possibilité de connaissance qui dépasse les phénomènes sensibles. Cela, c’est ce que Steiner appelle le suprasensible et qu’on trouve dans d’autres traditions. C’est l’idée qu’on peut développer une capacité de connaître, pas de croire ou d’admettre, mais une connaissance spirituelle. É : Peut-on parler d’une épistémologie des connaissances du suprasensible ? PM : C’est tout le travail de Steiner. PF : C’est exactement ça et c’est ça qu’on connaît moins dans l’anthroposophie en général. C’est cette facette épistémologique, la philosophie de la liberté, la théorie de la connaissance chez Goethe. On pourrait approcher l’anthroposophie uniquement par ces points de vue-là et peut-être à ce moment-là avoir un langage plus facilement accessible, comparé au langage scientifique courant, que si on part des aspects plus théosophiques effectivement… É : Mais qu’est-ce qu’une connaissance suprasensible chez Steiner et comment peut-on s’assurer qu’il s’agit d’une connaissance ? PF : Il n’y a rien à croire en tout cas. PM : C’est-à-dire, on peut par exemple ne pas se dire « j’ai développé une connaissance du suprasensible, une faculté, qui me permet de voir le corps éthérique ou le corps astral », mais l’envisager comme une hypothèse de travail, et observer si ce qu’on observe et vit au quotidien infirme ou confirme cette hypothèse. Je ne vais ainsi pas plus loin ni moins loin que ce que fait la science, c’est-à-dire prendre des modèles de pensées et puis regarder si l’expérience l’infirme ou le confirme. Si c’est infirmé, je peux dire que le modèle n’est pas valable, si par contre c’est confirmé, ce n’est pas pour autant dire que ça valide mon modèle, mais je peux continuer à travailler avec ce modèle-là. Je crois que beaucoup de profs et de gens dans l’anthroposophie travaillent avec ce modèle-là. On a certaines intuitions, certaines choses qu’on peut ressentir et appréhender de manière personnelle, mais il y a plein de choses qui restent du domaine de l’hypothèse et si on continue à travailler dans l’anthroposophie, c’est parce qu’il n’y
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a pas beaucoup d’expériences qui contredisent les hypothèses avec lesquelles on travaille. É : Est-ce que l’expérience du suprasensible est similaire à l’expérience scientifique ? PF : Quand on pense, où est-on ? Dans le domaine sensible ou suprasensible ? C’est du suprasensible ! É : La question c’est plutôt : A-t-on un sens qui nous permettrait de percevoir le suprasensible, comme dans le monde sensible, on a des sens qui nous permettent de percevoir plus ou moins passivement des choses ? PF : La difficulté, c’est peut-être que dans le suprasensible, on ne peut pas être passif. Il faut être actif. […] PM : Oui, il y a des organes de perception du suprasensible et on développe de tels organes en travaillant. Steiner dit que l’humanité est amenée à les développer petit à petit. Je pense qu’on peut admettre comme hypothèse de travail qu’on peut, moyennant un certain travail, développer des organes qui permettent de plus en plus de voir ce monde suprasensible. […] Les recherches et biographies sérieuses qui sont faites sur Steiner montre à quel point il était ancré dans le réel. PF : Il avait un sens pratique incroyable. C’est justement ça l’anthroposophie, c’est le lien entre le spirituel, le suprasensible et la vie pratique, jusque dans les choses les plus concrètes. Le problème, quand on parle de quelque chose d’occulte ou de suprasensible, c’est qu’on imagine quelque chose de nébuleux où la raison n’a plus sa place, alors que ce n’est absolument pas ça. Et on se déforce soi-même si on reste dans ces domaines-là. On ne peut pas donner un langage intelligible aux autres, car on n’a pas fait le travail de clarification de ses pensées par rapport à cela. […] La cosmologie, telle qu’elle est envisagée par l’anthroposophie, s’éloigne de la vision orthodoxe, scientifique de l’Occident mais rejoint par exemple la cosmologie amérindienne. Moi j’ai fait mon mémoire de sociologie sur la cosmologie des Indiens du sud du Pérou, et c’est incroyable les liens avec la cosmologie de Steiner que j’ai pu faire par la suite. On voit par exemple qu’en Occident, on a une conception linéaire du temps, alors que chez les Indiens, c’est cyclique en évolution. C’est exactement la même chose en anthroposophie : il y a des choses qui reviennent mais tout en ayant quand-même évolué. Si on prend l’anthroposophie comme spiritualité, parmi les spiritualités qui existent, je trouve que c’est celle qui aide le plus à rentrer dans l’incarnation, c’est-à-dire dans le concret des choses. PM : En principe, mais ce n’est pas le cas de tout le monde ! PF : Non, mais pour moi c’est comme ça. Quand j’ai fait par exemple ma formation pédagogique, on voit dans les travaux manuels jusqu’où on va dans la recherche de formes de couleurs, de concret en rapport avec l’idée qu’on en a… C’est le rapport entre la forme et la matière qu’on travaille. […] Dans un langage actuel, je trouve que ça aide à travailler l’interaction entre les connexions neuronales et la motricité fine. […]
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É : Donc, en reprenant ce que vous avez dit, l’anthroposophie est une vision du monde parmi d’autres ? PF : Non, l’anthroposophie n’est pas vraiment une spiritualité. L’anthroposophie me permet de développer une vision du monde qui va jusque dans l’incarnation. PM : Cela peut être considéré comme une méthode, un cheminement. PF : Oui, une démarche de connaissance. PM : Steiner parlait de « science de l’esprit ». A partir du moment où on peut approcher le suprasensible de manière rationnelle, scientifique, Steiner propose des méthodes pour développer les sens du suprasensible. Il donne en même temps les résultats de ses investigations à lui, en disant bien « ne les croyez pas mais mettez-les en question et faites-vous vos idées par vous-mêmes »… et voilà, ce sont des pistes. PF : Il ne dit pas qu’il faut qu’on croie à ce qu’il dit. Il dit « voilà ce que j’ai vu, maintenant vous en faites ce que vous voulez ». Mais, ce qu’il dit, il n’est pas le seul à le dire, il s’appuie sur Goethe et les philosophes idéalistes allemands. PM : De plus, on peut faire des recoupements entre sa pensée et beaucoup de philosophies ou traditions spirituelles. Ce n’est pas quelque chose de totalement nouveau. Ce qui est sans doute nouveau dans son approche, c’est que c’est plus des idées qui étaient développées dans les philosophies orientales mais, lui, les plonge dans le christianisme. C’est une vision chrétienne mais au niveau de beaucoup de choses qu’il dit, il est très proche de traditions orientales. É : Mais pourquoi culturellement, Steiner ne fait-il pas partie des philosophes reconnus ? PM : Ce qui s’est passé, c’est qu’à la fin du 19e siècle, Steiner était connu mais un de ses objectifs, c’était d’amener la science matérialiste vers une vision, une démarche plus spirituelle, en fait, de prolonger la science. Mais la science matérialiste considère le monde comme l’émanation du matériel et nie donc la possibilité d’une vie spirituelle. Lui, son objectif, c’était d’inverser ce mouvement-là et donc il s’inscrit dans une tradition philosophique. Mais il n’a trouvé aucun écho, sauf chez les théosophes. Au départ, il était assez réticent à ce milieu qu’il considérait nébuleux, mais c’était le seul endroit où il trouvait une attente par rapport à ce qu’il pouvait amener. Il a pris alors un langage qui s’est distancé de la philosophie pour adopter un langage compréhensible par les théosophes, ce qui l’a complètement discrédité malheureusement auprès des scientifiques ou des philosophes. Mais il n’a jamais contredit les philosophes de l’époque, à part Kant pour qui la connaissance est limitée par le sensible. […] Maintenant, il s’est aussi heurté à la tradition catholique pour laquelle l’idée de réincarnation est taboue, inconcevable, inacceptable. PF : Cela et le fait que, d’après lui, on n’a accès à la vérité que par soi-même. Or, pour l’Eglise catholique, la vérité est révélée et portée par l’institution, par les sacrements. Pour Steiner, il faut au contraire trouver un sens de manière libre, non imposée par une tradition ou un dogme. Il faut trouver le sens par soi-même, construire le sens.
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É : Serait-il possible aujourd’hui de reformuler la pensée de Steiner dans un langage philosophique ? PM : Tout à fait. Dans son ouvrage principal, La Philosophie de la Liberté, il dit que le chemin vers un monde spirituel, c’est un travail de la pensée. É : Mais qu’est ce que vous entendez par spirituel ? PF : Pour moi, l’esprit, c’est l’essence, le principe d’une chose. […] Chaque être humain a son esprit, c’est-à-dire un principe qu’il peut choisir librement, déterminer lui-même. Chez l’être humain, son esprit peut devenir libre et se donner son propre principe. Il y a ce qui est donné et ce vers quoi il va. Pour être humain, il faut se déterminer soi-même. Et ça pour moi, c’est aussi une manière de réaliser que l’esprit n’est pas quelque chose de nébuleux qui est en dehors de tout. Il y a un peu cette idée dans les quêtes spirituelles qu’il faut sortir de sa vie quotidienne, « s’excarner », être en dehors de tout pour saisir l’esprit alors que l’esprit s’exprime tout le temps, partout. Et c’est ça aussi l’observation goethéenne, c’est développer des méthodes d’observations de l’esprit dans les réalités quotidiennes. […] Chez l’être humain, il y a ce qui est donné, mais il y a aussi le fait qu’il détermine ses propres buts par la suite… Mais ce sont des buts qu’ils portent déjà quelque part à la naissance. Il a ce que Steiner appelle le « Je », c’est-à-dire son esprit dans son essence individuelle. Il ne peut pas encore vraiment l’exprimer quand il est petit et le but de la pédagogie, c’est d’aider l’enfant à développer tout ce qui va lui permettre d’incarner sa mission sur terre en quelque sorte, son propre but qui va devenir de plus en plus conscient et qui va s’adapter en fonction des situations qu’il va rencontrer. Il y a l’esprit humain qu’on peut encore appréhender individuellement, mais aussi l’esprit de l’univers… et là on arrive à ce qu’on peut appeler la transcendance, c’est l’esprit qui me dépasse, celui qui est à l’origine à la fois du règne minéral, végétal, animal et humain. Et là on arrive au lien entre l’expérience quotidienne et une expérience qui n’est plus du tout quotidienne. PM : Mais pour moi, le spirituel ça a vraiment avoir avec l’histoire de l’homme. Dans l’histoire de l’esprit, ce qui est appelé à devenir humain développe de plus en plus la liberté. La proximité avec la divinité rend impossible la liberté. Tu ne peux devenir libre que si tu te détaches d’une globalité, d’une divinité… L’incarnation de l’être humain sur la terre, c’est le chemin vers la liberté. C’est ça que représente le Christ. Il ne s’agit pas que l’esprit devienne prisonnier de la matière mais que ce qui s’incarne dans la matière puisse retourner vers l’esprit. PF : Mais liberté et amour sont indissociables. On ne peut aimer sans être libre. PM : Le Christ est l’être humain archétypal qui a déjà accompli cette possibilité d’aimer en toute liberté. PF : Steiner dit d’ailleurs: « Le but de l’évolution, c’est de développer une autonomie, une liberté, jusqu’au moment où on peut se donner soi-même pour que d’autres puissent exister et à éprouver par là la joie la plus haute. » É : Vous qui êtes convaincus par l’anthroposophie, essayez-vous de la faire rayonner ? Est-ce qu’on peut parler de prosélytisme ?
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PM : Si on prend l’exemple de nos enfants, on n’a jamais voulu les convaincre. On n’en a jamais parlé, sauf s’ils posaient des questions, alors on leur répondait. PF : Par contre, on a dans nos connaissances des gens très anthroposophes qui déplorent terriblement que leurs enfants n’aient pas suivi leurs traces. Je leur dis : « Mais il ne faut pas, vous leur avez donné tout ce que vous pouviez leur donner par cette pédagogie, et après, ça porte ses fruits, même si les fruits ne consistent pas en ce qu’ils deviennent eux-mêmes anthroposophes, mais les fruits, ça va peut-être être qu’ils vont développer leurs propres impulsions de manière plus libre. Et pour le monde, je me dis que c’est un peu la même chose. Moi, quand j’étais professeur à l’école et qu’il y a eu ces attaques de sectes, ça me faisait bondir car je me disais que ce n’était absolument pas juste ce qu’on disait de nous, ce n’était pas conforme à la vérité. Je trouvais qu’il fallait qu’on réagisse. Je ne voulais pas aller convaincre la dame de la sécurité de l’Etat que l’anthroposophie c’était génial, mais simplement lui démontrer que ce dont on nous accusait, c’était injustifié. Dans mon travail, j’essaie de faire mon travail le mieux possible et que ça rayonne. Je n’essaie pas de convaincre des gens, c’est plus dans le sens d’une responsabilité. Je me sens avoir découvert quelque chose qui m’a permis de faire le lien entre une vie plus spirituelle/religieuse et une vie plus intellectuelle. C’est une grande chance, mais c’est aussi une responsabilité de le porter de manière à ce que ça puisse rayonner mais sans faire du prosélytisme. C’est vrai que c’est une question que les anthroposophes se posent souvent : le rayonnement de l’anthroposophie. Moi je crois qu’elle rayonne beaucoup à travers les applications pratiques. PM : On le voit au niveau des écoles : y-a-t-il suffisamment de profs qui peuvent non pas seulement appliquer des recettes mais vraiment partager, vouloir travailler ensemble une vision de l’être humain qui fait que l’anthroposophie continue à rester quelque chose de vivant, et pas simplement une application de recettes. Et ça effectivement, si l’anthroposophie ne se développe pas mais que les écoles se développent, c’est qu’il y a un problème quelque part. PF : Et ça, ça dépend vraiment des individus. Il faut se dire : « Qu’est-ce que je fais pour ne pas être un prof qui applique simplement des recettes que ses collègues lui ont données, est-ce que j’approfondis vraiment de manière personnelle le cœur de l’anthroposophie pour devenir créatif ? »
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Annexe 13 Guide d’entretiens
Je vous remercie beaucoup d’avoir accepté de participer à cet entretien. Voici l’objectif de notre rencontre qui va durer environ une demi-heure : il s’agit d’approfondir certaines questions de ma recherche qui porte sur les conceptions des parents et professeurs quant à place de la spiritualité au sein de la pédagogie Steiner. Je vous rappelle que votre anonymat sera respecté et que je ne suis pas ici pour porter de jugements quant à vos réponses. Je trouve important de vous rencontrer pour aller au-delà des tendances générales que les statistiques permettent de dégager, pour voir le sens plus précis que vous attribuez personnellement aux thématiques abordées. Je vais commencer par vous poser quelques questions assez générales. Une fois l’entretien terminé, nous pourrons bien sûr revenir sur vos questions éventuelles quant à ma démarche ou aux premiers résultats.
1. La plupart des personnes interrogées distinguent religion et spiritualité. L’indice de religiosité semble plus faible que celui de spiritualité. Comment vous situez-vous par rapport à la religion ?
2. L’indice de spiritualité semble assez élevé tant chez les parents que les professeurs, qu’est-ce que la spiritualité évoque pour vous ? En quoi serait-elle importante, ou non dans l’éducation de votre enfant ?
3. Jusqu’où votre conception de la spiritualité s’appuie-t-elle sur l’anthroposophie ? Pourquoi ?
4. Pensez-vous que les parents connaissent suffisamment l’anthroposophie ? 5. Pensez-vous que les relations entre parents et professeurs sont satisfaisantes, même
si les parents semblent moins impliqués dans l’anthroposophie que les professeurs ?
6. J’ai lu que les pratiques pédagogiques des écoles Steiner sont fructueuses mais reposent sur une théorie douteuse. Pour vous, l’anthroposophie est-elle le noyau dur, irréductible, de la pédagogie Steiner ? Ou pensez-vous qu’il serait judicieux d’abandonner certains principes plus mystiques, ésotériques de l’anthroposophie, moins facilement concevables au profit du rayonnement de la pédagogie ? En gros, pour vous, qu’est-ce qui est prioritaire : la compréhension de l’anthroposophie ou bien le rayonnement de la pédagogie Steiner ?
7. Pourquoi pensez-vous que la pédagogie Steiner reste encore assez marginalisée ? Que faudrait-il mettre en place pour qu’elle puisse s’étendre ?
8. Souhaitez-vous préciser ou revenir sur quelque chose qui vous a marqué dans le questionnaire ? Y a-t-il des éléments qui n’y figuraient pas mais qui vous viennent à l’esprit en parlant de spiritualité ?
9. Pensez-vous qu’on peut retrouver certaines caractéristiques chez les personnes qui s’intéressent aux écoles Steiner, comme l’importance du lien à la nature, un esprit critique quant à la société de consommation occidentale, un attrait pour l’art ? Ces caractéristiques sont-elles, pour vous, en lien avec la spiritualité ?
10. Selon plusieurs recherches, le taux d’implication religieuse est plus élevé chez les femmes que chez les hommes. Pensez-vous que le rapport à la spiritualité est davantage marqué chez les femmes que chez les hommes ? Si vous êtes en couple, le choix de l’école a-t-il été poussé par Madame ou par Monsieur ?
Voilà, je pense qu’on peut s’arrêter ici. Je vous remercie encore très chaleureusement pour cette discussion.
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Annexe 14 Retranscription des 13 entretiens semi-structurés réalisés
Remarque : Afin de permettre la compréhension la plus claire possible, nous avons repris en gras les questions telles qu’elles étaient formulées dans le guide d’entretiens. Il est évident que nous avions adapté celles-ci à chaque rencontre, mais nous avons préféré retranscrire le même canevas à chaque fois, dans un souci de clarté pour le lecteur. Codes utilisés :
P = Professeur Pè = Père M = Mère É = Éline Pont, la personne qui structure l’entretien et pose des questions
Profils (dégagés à partir des tableaux croisés de l’annexe 11) :
1/1 = Accorde peu d’importance tant à l’anthroposophie qu’à la dimension spirituelle 1/3 = Accorde beaucoup d’importance à la spiritualité mais pas à l’anthroposophie 3/3 = Accorde beaucoup d’importance à la spiritualité et à l’anthroposophie
Sommaire des entretiens :
A) Professeurs....................................................................................................................... 148
Entretien n°1..................................................................................................................... 148
Entretien n°2..................................................................................................................... 152
Entretien n°3..................................................................................................................... 158
Entretien n°4..................................................................................................................... 161
Entretien n°5..................................................................................................................... 164
Entretien n°6..................................................................................................................... 169
Entretien n°7...........................................................................................................172
B) Parents...................................................................................................................175
Entretien n°1..................................................................................................................... 175
Entretien n°2..................................................................................................................... 179
Entretien n°3..................................................................................................................... 183
Entretien n°4..................................................................................................................... 189
Entretien n°5...........................................................................................................191
Entertien n°6..................................................................................................................... 194
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A) Professeurs Entretien n°1 8/02/10, professeur féminin, profil 1/1, 47 ans, 1 an de présence au sein de l’école
1. La plupart des personnes interrogées distinguent religion et spiritualité. L’indice de religiosité semble plus faible que celui de spiritualité. Comment vous situez-vous par rapport à la religion ?
P : Je dirais que je suis issue d'une éducation chrétienne, mais non pratiquante.
É : Est-ce que cela a eu un impact sur le fait que vous choisissiez l'école Steiner ?
P : Non pas du tout, non, non... Il n’y a pas de lien dans mon cas entre mon éducation religieuse et le choix de l’école.
2. L’indice de spiritualité semble assez élevé tant chez les parents que les professeurs, qu’est-ce que la spiritualité évoque pour vous ? En quoi serait-elle importante, ou non dans l’éducation de votre enfant ?
P : Je trouve que le fait qu'il y a une part de spiritualité dans l'école apporte un plus à la pédagogie par rapport à une pédagogie alternative où il n'y pas du tout de trace de spiritualité. Maintenant pour moi, le terme spirituel évoque plus un retour vers soi, comment dire, un positionnement par rapport à sa personne, aux autres, à ce qui nous entoure, à notre environnement....euh...
É : ... comme une sorte de définition plus précise de soi?
P : Oui! Oui! Et c'est une forme de ressourcement intérieur.
É : Et est-ce ainsi que ça peut apporter quelque chose à l'enfant ? Parce que ça crée une personne plus riche?
P : Oui! Mais alors je trouve aussi qu'au niveau de l'école, ça lui donne une autre dimension et une plus grande cohésion.
É : Alors, là, c'est au niveau de l'équipe? Des parents? Des professeurs?
P : Non. De l'école en général. Le tout : parents, enfants et enseignants.
É : Cela crée une meilleure harmonie d'ensemble?
P : Oui!
3. Jusqu’où votre conception de la spiritualité s’appuie-t-elle sur l’anthroposophie ? Pourquoi ?
P : Pour moi, la spiritualité, je ne dis pas que ça n'a rien à voir avec l'anthroposophie, mais c'est plutôt quelque chose de parallèle, parce que disons qu'au niveau pédagogique je commence seulement à m'y retrouver. Par contre, l'anthroposophie, pour moi, ce n'est pas encore tout à fait clair. C'est une certaine donnée mais je n'y connais pas encore assez, quoi!
É : D'accord.
P : Donc pour moi, c'est un peu parallèle, ce n'est pas une base.
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É : Et c'est quelque chose que vous avez envie de découvrir ou pas... pour le moment ?
P : Oui! Parce que c'est quand même le fondement de la pédagogie, donc c'est toujours intéressant de savoir sur quoi ça repose.
É : D'accord.
4. Pensez-vous que les parents connaissent suffisamment l’anthroposophie ?
P : D'après ce que je connais des familles qui sont ici, j'ai l'impression qu'il y a quand même deux courants : il y a d'une part les familles qui sont très impliquées au niveau de l'anthroposophie... puis, il y a les autres qui inscrivent leurs enfants parce qu'ils trouvent que la pédagogie est belle, parce que il y a une bonne atmosphère de travail, mais sans plus, quoi!
É : Est-ce que ce serait important d'expliquer ce que c'est, à ceux qui ne la connaissent pas beaucoup?
P : Moi, je crois que ça doit être une démarche individuelle, parce que moi je trouve que ce qui est beau justement dans cette pédagogie c'est que l'anthroposophie n'apparaît pas de façon immédiate, donc... euh...
É : C'est un peu quelque chose qui se découvre au fur et à mesure?
P : Oui! Et à la limite, les familles qui n'y connaissent pas grand chose, l'enfant peut faire sa scolarité sans que vraiment... pas qu'ils ne s'en rendent pas compte, mais ils n'ont pas cet aspect-là, quoi.
É : Le fait que les parents ne soient pas au courant des bases sur lesquelles repose la pédagogie dans laquelle évolue leur enfant me posait question. Ils peuvent rester très extérieurs, et c'est ce qui ressort de l'enquête : il y certains parents pour qui l'anthroposophie a l'air très importante, et d'autres pas.
P : Mais moi, je trouve qu'à partir du moment où justement c'est voulu que, au niveau pédagogique, ça ne ressorte pas en tant que tel de façon claire, c'est plus ouvert. Parce qu'au niveau de l'anthroposophie, il y a quand-même des idées avec lesquelles les familles n'adhèrent pas, et c'est normal. Je trouve donc que c'est mieux comme ça.... Je ne sais pas si je suis claire?
É : Oui, si je comprends bien, ce que vous dites, c'est que c'est plus ouvert car les familles ne sont pas obligées de rentrer dans un système.
P : Oui, c'est ça, on peut aimer la pédagogie sans pour autant adhérer aussi à toutes les idées de l'anthroposophie, quoi.
5. Pensez-vous que les relations entre parents et professeurs sont satisfaisantes, même si les parents semblent moins impliqués dans l’anthroposophie que les professeurs ?
P : J'ai l'impression que comparativement à une école traditionnelle, la relation est quand-même meilleure ici entre parents et enseignants. Maintenant, moi, en tant qu'enseignante qui ne m'y connais pas encore, ce serait plutôt l'inverse par rapport aux parents qui sont fort impliqués dans l'anthroposophie, je me sentirais incompétente sur certains points par rapport à ce que les parents apportent... Tout dépend aussi si les apports des parents en matière d'anthroposophie sont constructifs ou pas.
É : D'accord, je vous remercie.
6. J’ai lu que les pratiques pédagogiques des écoles Steiner sont fructueuses mais reposent sur une théorie douteuse. Pour vous, l’anthroposophie est-elle le noyau dur,
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irréductible, de la pédagogie Steiner ? Ou pensez-vous qu’il serait judicieux d’abandonner certains principes plus mystiques, ésotériques de l’anthroposophie, moins facilement concevables au profit du rayonnement de la pédagogie ? En gros, pour vous, qu’est-ce qui est prioritaire : la compréhension de l’anthroposophie ou bien le rayonnement de la pédagogie Steiner ?
P : Je crois qu'en tant qu'enseignante, c'est bien de connaître au moins toutes les idées anthroposophiques pour comprendre pourquoi on agit comme ça au niveau pédagogique, quoi. Il y a toujours une raison, ce n'est pas venu comme ça. Mais si pour moi, il y a certaines choses qui me semblent tout à fait sans explication, je sens que c'est juste, je n'ai pas vraiment besoin d'une explication. Mais sur certains autres points, j'aurais besoin d'une explication pour savoir le fondement et savoir si c'est juste ou non. Mais je crois que c'est vraiment le côté pédagogique qui est important dans tout cela, car c'est là dedans qu'on œuvre, quoi. L'anthroposophie, selon moi, c'est plus théorique, c'est plus vaste que la pédagogie, il y a aussi la médecine, l'environnement... euh...
É : Mais donc vous dites ceci, avec la réserve que c'est quand-même important pour les professeurs de connaître la théorie ?
P : Oui, c'est important, mais la pédagogie reste prioritaire, selon moi.
7. Pourquoi pensez-vous que la pédagogie Steiner reste encore assez marginalisée ? Que faudrait-il mettre en place pour qu’elle puisse s’étendre ?
P : Moi je crois qu'il y a, comment dire, un système qui est mis dans l'école qui fait que de l'extérieur, on a l'impression que l'école n'est pas ouverte. Pour toutes sortes de raisons : il faut faire attention un peu à ce qu'on fait, au genre de personnes qui rentrent aussi dans l'école. Mais je crois que, de l'extérieur, l’école a un aspect plutôt fermé. Et puis je crois aussi qu’à cause du fait que ce soit un courant ésotérique, il y a certaines personnes qui ne veulent pas en entendre parler. Certaines personnes ne connaissent pas ou ne veulent pas faire le pas de connaître l'essence spirituelle de l'anthroposophie. Par exemple, au niveau des hautes écoles, on n'entend pas parler de cette pédagogie. Mais je ne sais pas pourquoi, en Flandre, il y a plus d'écoles...
É : Oui, c'est vrai, ce serait intéressant de creuser ça.
8. Souhaitez-vous préciser ou revenir sur quelque chose qui vous a marqué dans le questionnaire ? Y a-t-il des éléments qui n’y figuraient pas mais qui vous viennent à l’esprit en parlant de spiritualité ?
P : Non, ça fait longtemps, mais non, je ne vois pas...
9. Pensez-vous qu’on peut retrouver certaines caractéristiques chez les personnes qui s’intéressent aux écoles Steiner, comme l’importance du lien à la nature, un esprit critique quant à la société de consommation occidentale, un attrait pour l’art ? Ces caractéristiques sont-elles, pour vous, en lien avec la spiritualité ?
P : Je pense qu'en effet, tout ce que vous avez cité illustre une certaine population attirée par cette pédagogie. Mais ce sont aussi des familles de niveau socio-culturel élevé, pas spécialement en termes financiers mais plutôt en termes d'études, de niveau universitaire ou supérieur. Mais je reviens à la même chose, il y a les familles qui ont plus d'affinités avec l'anthroposophie, ou en tout cas avec une dimension spirituelle, et d'autres familles qui ne viennent que pour d'autres raisons, comme le côté plus artistique et d'autres facettes de la pédagogie.
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10. Selon plusieurs recherches, le taux d’implication religieuse est plus élevé chez les femmes que chez les hommes. Pensez-vous que le rapport à la spiritualité est davantage marqué chez les femmes que chez les hommes ?
P : Je ne fais pas vraiment de lien entre spiritualité et féminité... non...
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Entretien n°2 25/02/10, professeur masculin, profil 1/1, 45 ans, 10 ans de présence au sein de l’école.
1. La plupart des personnes interrogées distinguent religion et spiritualité. L’indice de religiosité semble plus faible que celui de spiritualité. Comment vous situez-vous par rapport à la religion ?
P : Pour vous dire clairement les choses, j’ai vécu pendant 33 ans sans aucune notion de religion. Je fais partie des rares personnes sur la terre que l’on considère comme les libres penseurs et qui ne sont pas influencés par quoi que ce soit. Donc, la religion en elle-même, je ne l’ai effleurée qu’ici où les trois quarts des gens sont croyants, enfin il y a un peu de tout, mais moi je ne suis pas croyant.
É : Mais la religion est-elle présente au sein de l’école ?
P : Pour moi, oui, même si je pense que les autres disent non, mais je pense que oui… Moi qui ne suis pas croyant, je trouve qu’elle est très présente.
É : La religion chrétienne ?
P : Je crois que le moteur de certaines personnes est la religion chrétienne. Beaucoup de gens s’en défendent aussi, mais tout tourne autour de la chrétienté puisqu’on est dans une société judéo-chrétienne.
2. L’indice de spiritualité semble assez élevé tant chez les parents que les professeurs, qu’est-ce que la spiritualité évoque pour vous ? En quoi serait-elle importante, ou non dans l’éducation des enfants ?
P : Pour moi la spiritualité, ce n’est que l’esprit, c'est-à-dire ce que produit l’être humain. L’énergie, c’est autre chose, c’est ce qu’on peut personnellement manipuler et sentir. S’il devait y avoir une seule notion de spiritualité dans ma tête, si Dieu devait exister, la seule notion, c’est que Dieu, c’est toi, c’est moi. C’est la seule notion spirituelle que je pourrais avoir. Je ne peux même pas parler de Dieu, parce qu’à la différence des croyants, moi, j’ai la décence de ne pas dire si Dieu existe ou n’existe pas. Je n’en sais rien. C’est pour cela que moi je n’en parle pas aux enfants. Imaginons que Dieu existe et que je leur dis que cela n’existe pas, je me trompe et je les influence. Et l’inverse, c’est la même chose. On ne peut pas se permettre, il faut être professionnel jusqu’au bout. C’est l’individu qui décide un jour par lui-même s’il veut se diriger vers cela ou pas. En fait, j’ai ma propre définition de la spiritualité : pour moi, c’est l’humour !
É : C’est une réponse originale au moins ! Pourriez-vous développer cela ? En quoi est-ce de l’humour ?
P : Être spirituel, cela veut dire être vif d’esprit et faire fonctionner son esprit, avoir de l’humour. Je pense que le terme de spiritualité ne colle pas si on entend la spiritualité dans le sens qui peut s’apparenter soit à la religion soit à l’ésotérisme !
É : Alors en quoi la spiritualité est-elle présente au sein de l’école et importante pour les enfants ?
P : La spiritualité est présente dans mes cours parce que je suis spirituel avec les enfants. C'est-à-dire que je développe sans le vouloir une certaine spiritualité chez l’enfant puisque dans tout mes cours où il y a l’humour, les enfants sont libres de
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s’exprimer, et l’on rigole même si l’on va vers les objectifs. Donc, nous sommes tous spirituels dans ce sens là. Parce que ce n’est qu’à l’âge adulte que l’on peut se diriger vers ce que les gens pensent être la spiritualité. J’estime qu’on n’a pas à parler à des enfants de religion ou de spiritualité si ça touche à de l’ésotérique, parce qu’ils doivent avoir leur propre libre arbitre. Et ça n’arrive qu’à partir du moment où ils le découvrent eux-mêmes. Par exemple, c’est comme si dans mon domaine, j’orientais plus les cours dans un domaine que dans un autre, c'est-à-dire que je fermerais la vision des enfants sur le sport vers quelque chose.
É : Étant donné que vous axez vos cours sur l’humour, en tout cas sur le fait que les enfants s’amusent, cela rejoint l’idée d’une pédagogie qui fait aimer l’école et qui pourrait être mise en avant dans le cas de la pédagogie Steiner pour permettre son rayonnement. Donc, peut-être est-il intéressant de vraiment accentuer le fait que c’est une pédagogie qui fait aimer l’école par rapport à d’autres pédagogies où les enfants ne s’y retrouvent finalement pas vraiment. Faut-il insister plus là-dessus que sur la dimension spirituelle ?
P : Oui, c’est la qualité des gens qui travaillent ici… enfin, toute une série de personnes qui ont fait un travail sur eux-mêmes… Ils ont conscience, je crois qu’ils aiment leur travail, bref, ils ont conscience aussi que les enfants sont une entité à part entière, ce sont des êtres qui existent et non pas des gens qui sont vides de savoir, mais ce sont des gens. Tandis que dans les autres établissements scolaires, les personnes pensent que les enfants sont des cons ! Et donc, il y a une forme de mépris et quelque part ils se méprisent eux-mêmes. Ici, il n’y a pas cela… Les enfants aiment parce que les enseignants sont heureux. Cela reste authentique pour eux. Dans les autres écoles, les enfants, les adolescents ont plus l’habitude d’avoir des enseignants faux, malhonnêtes… Est-ce que c’est cela la spiritualité ? Je n’en sais rien, je ne peux pas dire.
É : Qu’entendez-vous par authenticité ?
P : Le fait d’être honnête.
É : Le fait d’être honnête envers soi-même ou envers les enfants ?
P : Je prends un exemple clair. Si l’on va à un magasin dans une file de caisse, je ne pense pas qu’il y aurait des gens de l’école, qui se précipiteraient derrière parce qu’il y a une caisse qui est ouverte. Peu seraient prêts à bafouer leur honneur pour trois places, comme c’est souvent le cas ailleurs.
É : Avez-vous certains exemples qui se passent dans l’école, avec les enfants ?
P : Je pense qu’ici, si un adulte fait une erreur et qu’il s’en rend compte, il n’aura pas de mal à dire à l’enfant : « ah, je me suis trompé ». Tandis qu’ailleurs, le statut d’adulte reste indétrônable, l’erreur d’un adulte est impensable, intolérable, d’où la perte de contact et de confiance avec les enfants. Donc, c’est ça qui est le moteur de l’école je pense. Alors, je ne sais pas si c’est lié à la pédagogie Steiner, je pense qu’en partie oui, mais peut-être que ce sont les individus d’ici qui sont en quête d’honnêteté…
3. Jusqu’où votre conception de la spiritualité s’appuie-t-elle sur l’anthroposophie, si elle s’appuie sur l’anthroposophie ?
P : À 0 pour cent.
É : Pourquoi ?
P : Parce que je ne m’appuie sur aucune notion, que ce soit l’anthroposophie ou autre chose.
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É : L’anthroposophie ne vous nourrit pas, ne vous inspire pas ?
P : L’anthroposophie a de bonnes idées, il y a des choses intéressantes mais il y a des choses qui sont fausses pour moi. Avant l’anthroposophie, je vivais très bien et maintenant que je la connais je vis tout aussi bien.
4. Pensez-vous que les parents connaissent suffisamment l’anthroposophie ?
P : Je trouve que non. Eux, ils doivent la connaître… Je n’ai pas dit que je ne la connaissais pas, je dis qu’elle n’interfère pas dans ma propre vie. Maintenant, je pense que, moi, naturellement sans doute, je colle avec ce que l’école veut, c'est-à-dire la pédagogie Steiner. Parce que c’est propre à moi, parce que ma manière de fonctionner c’est comme cela. Je n’ai pas attendu de lire un bouquin…
É : Et pourquoi trouvez-vous que c’est important pour les parents ?
P : Parce qu’eux, ils mettent leurs enfants dans une école, ils doivent au moins savoir de quoi on parle, sinon c’est de la bêtise.
É : Savoir dans les grandes lignes, ou savoir vraiment dans le fond ?
P : Savoir dans le fond c’est impossible, sinon ils auraient dû commencer depuis 15 ans à lire. Mais oui, dans les grandes lignes, les grands chapitres de la pédagogie Steiner, parce que l’anthroposophie c’est quand même autre chose que la pédagogie Steiner.
5. Pensez-vous que les relations entre parents et professeurs sont satisfaisantes, même si les parents semblent moins impliqués dans l’anthroposophie que les professeurs ?
P : Personnellement, dans mon travail, les relations avec les parents me posent problème. Je crois que certains parents se trompent d’école, c'est-à-dire qu’ils ont des attentes que l’école ne peut pas donner. C'est-à-dire, c’est antinomique avec l’anthroposophie ou la manière de fonctionner ici. Par exemple, on demande qu’il y ait un suivi des parents, un engagement des parents, parce que ce n’est pas une garderie. Or, certains pensent que c’est cela. Et puis, dans la conception de l’évolution de l’enfant, certains parents ne sont pas d’accord avec ça et c’est seulement après quatre ans qu’ils se rendent compte du bazar et pendant quatre ans, ils posent des questions ridicules et n’acceptent pas les choses qu’ils doivent faire eux-mêmes. Certains mettent leurs enfants ici, parce qu’ils se rendent compte intuitivement que dans d’autres systèmes leur enfant se ferait broyer. Tandis qu’ici, ils profitent du système vu qu’on laisse l’enfant s’épanouir à son rythme. Mais en bout de course, il faut le dire quand même, ceux qui profitent finissent par retirer quand même leur enfant, car ça ne fonctionne pas.
É : Et pourquoi ça ne fonctionne pas ?
P : Parce que je trouve qu’ici c’est plus exigeant qu’ailleurs. Parce que les enfants font plus de choses qu’ailleurs.
É : D’où l’importance que les parents comprennent ce qui se passe ici ?
P : Oui.
6. J’ai lu que les pratiques pédagogiques des écoles Steiner sont fructueuses mais reposent sur une théorie douteuse. Pour vous, l’anthroposophie est-elle le noyau dur, irréductible, de la pédagogie Steiner ? Ou pensez-vous qu’il serait judicieux d’abandonner certains principes plus mystiques, ésotériques de l’anthroposophie, moins facilement concevables au profit du rayonnement de la pédagogie ? En gros,
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pour vous, qu’est-ce qui est prioritaire : la compréhension de l’anthroposophie ou bien le rayonnement de la pédagogie Steiner ?
P : C’est embêtant parce qu’à l’heure actuelle de l’évolution des gens, je pense qu’il vaut mieux se baser sur les pratiques, mais tout en gardant l’objectif de joindre les deux bouts ! L’idéal ce serait de concilier les deux, parce qu’en fait il y a la notion immatérielle, plutôt une notion énergétique des choses qui est difficilement prouvable, justifiable scientifiquement, c’est très difficile… Mais bon, personnellement, je ne suis pas pour qu’il y ait un développement et un rayonnement de la pédagogie Steiner, parce que je pense qu’à partir du moment où il y aura besoin de plus de pédagogie Steiner, ça se mettra en place pour qu’il y ait plus de pédagogie Steiner. Je crois qu’il ne faut pas y aller au forceps. Donc, le fait d’abandonner le deuxième pôle, comme je l’avais dit, c’est pour moi aller un peu au forceps. Les trois quarts, si pas les 90% des gens sont complètement sclérosés au niveau de leur esprit, ils sont engourdis, ils rentrent chez eux, ils travaillent, ils sont assommés, ils regardent la télé. Leur éveil ou leur évolution se fait progressivement.
É : Quand vous dites « abandonner le 2e pôle c’est aller au forceps », vous voulez dire abandonner la théorie ?
P : Oui, parce que c’est difficilement justifiable, les gens ont besoin du Dieu Science pour dire oui c’est vrai, il a raison…
É : Encore aujourd’hui ?
P : Oui je pense. Pour la majorité, la nouvelle religion, c’est la science…
É : Donc pas de prosélytisme en fait ? Pas de volonté d’étendre la pédagogie absolument, pas d’énergie consacrée à cela de votre part ?
P : Je ne le cache pas mais je ne fais pas la publicité. Ce n’est pas mon boulot, quoi.
7. Pourquoi pensez-vous que la pédagogie Steiner reste encore assez marginalisée ? Que faudrait-il mettre en place pour qu’elle puisse s’étendre ?
P : Comme je viens de l’expliquer, la pédagogie convient pour certains enfants. Tous les enfants ne doivent pas aller dans la pédagogie Steiner et c’est malheureusement ce que pensent les anthroposophes, les gens qui y travaillent. Ils pensent que la pédagogie Steiner doit être universelle.
É : Tous les gens qui travaillent à l’école ?
P : Je suppose, je ne sais pas, je n’ai pas discuté de cela avec tout le monde… mais moi, c’est ce que je pressens. C’est que c’est « La » pédagogie, or non, c’est « une » pédagogie. Les autres pédagogies ont des défauts comme celle-ci en a, mais il y a des qualités. Et chaque individu va vers quelque chose qui lui convient. On peut mettre cela en parallèle avec les médecines. Il y a des gens qui ne se soigneront que par allopathie, d’autres que par homéopathie, médecine énergétique, etc. Chaque personne va vers ce dont elle a besoin, je ne suis pas pour une unification de la pensée et que le monde suive uniquement la pédagogie Steiner. Maintenant je pense que dans beaucoup d’écoles, le mode de fonctionnement des pédagogies Steiner doit être tel qu’il est. Parce que les écoles traditionnelles sont mortifères : système pyramidal avec un directeur et des vassaux, c’est mortifère. C'est-à-dire qu’on fabrique des fonctionnaires et alors les rapports entre les enseignants et les enfants ne sont pas souvent adéquats. Donc s’il doit y avoir une généralisation qui vienne du mouvement Steiner, c’est d’abord cela. C’est au niveau du système de la gestion d’une école, c'est-à-dire, pour moi, une école ne peut
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réellement fonctionner qu’à partir du moment où l’ensemble des acteurs sont parties prenantes de l’école. C'est-à-dire les enseignants comme les parents.
É : Donc c’est cet aspect-là qui doit être généralisé, mais le fait que la pédagogie soit marginalisée n’est pas réellement un problème en soi ?
P : Non, parce que si un jour il en faut plus, on en aura plus… C’est parce que je pense qu’il n’y a pas une population qui est demandeuse. Maintenant, si les gens doivent se prononcer et mettre en œuvre des choses pour développer cette pédagogie, ils doivent tout simplement simplifier tous les écrits et les rendre moins hermétiques. Parce que sinon, les gens sont très dédaigneux, parce que c’est à la limite de l’illisible.
É : Faut-il l’adapter dans un langage moderne ?
P : L’adapter dans un langage moderne et puis de toute façon revoir certains principes qui datent du début du siècle et, qui pour moi, sont parfois un peu obsolètes, parce qu’on a fait des découvertes depuis.
8. Souhaitez-vous préciser ou revenir sur quelque chose qui vous a marqué dans le questionnaire ? Y a-t-il des éléments qui n’y figuraient pas mais qui vous viennent à l’esprit en parlant de spiritualité ?
P : Non, je ne vois rien, désolé… Je n’ai pas assez cela en mémoire.
9. Pensez-vous qu’on peut retrouver certaines caractéristiques chez les personnes qui s’intéressent aux écoles Steiner, comme l’importance du lien à la nature, un esprit critique quant à la société de consommation occidentale, un attrait pour l’art ? Ces caractéristiques sont-elles, pour vous, en lien avec la spiritualité ?
P : On est dans une société matérialiste et donc quelques personnes se réfugient dans une certaine spiritualité pour échapper à ce matérialisme qui ne leur convient pas. Donc s’il doit y avoir une trace de spiritualité chez les enfants, c’est vers cela qu’il faut tendre : ne pas aller vers le matérialisme, retourner vers les choses essentielles de la vie, la nature etc. Là, à ce moment-là, il y a une trace de spiritualité, mais il faut dire que ce domaine est tellement vaste. Mais, la spiritualité touche pour moi à une notion politique qui est fondamentale : le capitalisme est dénué de spiritualité. On vit dans une société ultra-capitaliste…
É : Et c’est peut être cela qui attire certains parents et certains professeurs vers l’école Steiner ? Serait-ce justement un lieu où ils trouvent un genre de refuge par rapport à ce que vous décrivez ?
P : Je pense qu’ils sont orphelins, orphelins de conviction. Dans les années 60, je pense que les gens se dirigeaient vers une voie ou une autre. Ici les personnes n’ont pas réellement d’opinion politique mais par contre ils ont des opinions simples, de base qui sont par exemple manger bio, respirer du bon air, éduquer correctement leurs enfants… et ils se dirigent vers cela. Parce qu’ils sont orphelins d’une pensée, à mon avis, politique ou philosophique et donc ils se réfugient dans quelque chose, qui peut être la spiritualité ou la religion. Les gens en ont besoin comme moteur. Cela je ne sais pas si c’est lié à la spiritualité parce que je n’ai jamais discuté avec eux sur ce domaine-là, donc moi je ne peux pas m’avancer. Je pense que ce sont des gens qui sont en rupture d’une certaine manière avec la société. Ils ne se reconnaissent pas à juste titre dans la société de consommation principalement. Comme ils sont orphelins, ils se raccrochent à quelque chose, ils cherchent quelque chose pour changer de vie. D’une certaine manière, ils refusent le système et donc, ils se dirigent vers la pédagogie Steiner qui correspond à leurs attentes. Mais il y a une mode Steiner : habillement, manière de
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parler, ils se gavent tous de produits homéopathiques… Voilà, c’est une mode, malheureusement, c’est marrant, quand les gens découvrent une technique particulière, les gens s’enferment dans cette technique. Et alors, ils restent entre eux, ils ne trouvent peut-être pas d’autres techniques en plus. Donc, oui, il y en a… on pourrait les reconnaître… Il y en a, en fait, tellement peu de monde que les gens ne fabriquent pas volontairement un microcosme mais vivent dedans malgré eux.
É : Il existe par lui-même ?
P : C’est cela, il existe par lui-même. En fait, les personnes se copient, parce que les parents discutent entre eux et c’est une méthode.
É : Ce n’est pas une volonté d’être fermés mais c’est un fait…
P : Non, c’est un fait. Mais bon, je pense que les trois quarts des parents ou des enseignants, par exemple, votent écolo. C’est une caste !
10. Selon plusieurs recherches, le taux d’implication religieuse est plus élevé chez les femmes que chez les hommes. Pensez-vous que le rapport à la spiritualité est davantage marqué chez les femmes que chez les hommes ? Si vous êtes en couple, le choix de l’école a-t-il été poussé par Madame ou par Monsieur ?
P : Je ne pense pas que la spiritualité soit la panacée des femmes. Mais je crois que les mamans s’investissent plus que les papas. Pourquoi ? Tous les papas qui s’investissent dégagent une énergie féminine. Mais, je ne peux pas dire que les femmes sont détentrices de spiritualité. Je pense qu’il y a un souci. C’est que les femmes prennent une place dans l’éducation de leurs enfants qui n’est peut-être pas la leur. Moi, je le vois avec les enfants. Il y a des papas qui sont fort absents même s’ils sont présents. J’ai l’impression que les femmes sont fort castratrices avec les hommes mais bon, je ne sais pas si c’est lié à la spiritualité ce truc-là.
É : Donc elles sont plus présentes que les pères ?
P : Moi, j’ai tendance à dire qu’elles prennent beaucoup de place. Je pense qu’ici notamment, l’école a besoin d’hommes. S’il y a six profs de classe, il devrait y avoir trois hommes pour la parité. Mais ça, c’est l’enseignement, il y a plus de femmes que d’hommes. Donc ça se répercute ici aussi. Mais pour un enseignement idéal, il faudrait moitié moitié. Parce qu’il y a des enfants qui ont besoin d’hommes, comme des enfants à qui ça convient mieux d’avoir un professeur femme.
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Entretien n°3 25/02/10, professeur féminin, profil 1/3, 51 ans, 16 ans de présence au sein de l’école.
1. La plupart des personnes interrogées distinguent religion et spiritualité. L’indice de religiosité semble plus faible que celui de spiritualité. Comment vous situez-vous par rapport à la religion ?
P : Si on l’entend au sens étymologique, se relier, la spiritualité et la religion, c’est la même chose. Maintenant, si on l’entend au sens institutionnel, ça ne répond pas à mes attentes…
É : Pourquoi ?
P : Le côté figé quoi... Moi, j’aime l’ouverture, la liberté de quête… et pas être coincée avec des dogmes !
2. L’indice de spiritualité semble assez élevé tant chez les parents que les professeurs, qu’est-ce que la spiritualité évoque pour vous ? En quoi serait-elle importante, ou non dans l’éducation de votre enfant ?
P : Je dirais que la spiritualité, c’est la capacité de garder toujours en tête qu’il y a des facettes de la vie qui nous dépassent, que la vie est mystérieuse. Il y a des choses qu’on ne voit pas, mais qu’on peut ressentir. On peut observer des coïncidences… Et, aussi toute la vie de la nature, pour moi ça fait partie de la spiritualité… euh…
É : Parce qu’il y a des choses qui nous dépassent au sein de la nature ?
P : Oui, voilà ! Il y a tout le plan invisible qui est là bien présent, je pense. Je peux le percevoir à certains moments, même si je ne le vois pas. Alors, par rapport à l’éducation des enfants, du fait par exemple que j’ai un profond respect pour la vie de la nature, ça a une influence sur la vie des enfants… même si je ne leur en parle pas de manière précise car je n’ai aucune conviction quant à l’invisible.
É : Donc, pour vous, la spiritualité est importante par rapport à l’éducation des enfants ?
P : Oui! Mais de manière toujours indirecte. Par exemple, il y a un contenu spirituel dans les paroles qu’on fait tous les jours, même si on ne commence pas à leur enseigner ce contenu… En fait, les enfants baignent dedans.
3. Jusqu’où votre conception de la spiritualité s’appuie-t-elle sur l’anthroposophie ? Pourquoi ?
P : C’est clair que je m’appuie sur l’anthroposophie, mais je suis aussi très ouverte et très intéressée par beaucoup d’autres mouvements spiritualistes. Je pense que Steiner n’a pas l’exclusivité. Il y a des tas de choses qu’on retrouve dans d’autres civilisations. Mais je privilégie l’anthroposophie car je trouve que ça correspond bien à notre état d’esprit d’Occidentaux.
É : C’est pour vous celle qui correspond le mieux à notre société occidentale ?
P : Oui, mais c’est aussi parce que l’anthroposophie était sur ma route.
4. Pensez-vous que les parents connaissent suffisamment l’anthroposophie ?
P : Non, je ne pense pas, mais ça ne me semble pas important, ni souhaitable qu’ils la connaissent davantage.
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5. Pensez-vous que les relations entre parents et professeurs sont satisfaisantes, même si les parents semblent moins impliqués dans l’anthroposophie que les professeurs ?
P : Quand on a des réunions de parents, ils veulent comprendre ce qu’on fait, alors évidemment on explique ! Je n’ai pas l’impression de vivre des problèmes. J’ai toujours de bons rapports avec les parents car je les accueille tels qu’ils sont. Peut-être que le fait que je les accueille tels qu’ils sont, c’est une attitude qui me vient de l’anthroposophie, je ne sais pas bien dire… Mais je sais que certains parents trouvent certains professeurs un peu rigides, comme s’ils avaient en face d’eux quelqu’un qui leur donnait l’impression de détenir la vérité. Je sais que certains parents ont souffert de ça, mais ça reste des cas isolés, je ne pense pas que ce soit l’atmosphère générale de l’école. Maintenant, est-ce que ces professeurs puisent cette rigidité dans l’anthroposophie, ça je n’en sais rien !
É : D'accord, je vous remercie.
6. J’ai lu que les pratiques pédagogiques des écoles Steiner sont fructueuses mais reposent sur une théorie douteuse. Pour vous, l’anthroposophie est-elle le noyau dur, irréductible, de la pédagogie Steiner ? Ou pensez-vous qu’il serait judicieux d’abandonner certains principes plus mystiques, ésotériques de l’anthroposophie, moins facilement concevables au profit du rayonnement de la pédagogie ? En gros, pour vous, qu’est-ce qui est prioritaire : la compréhension de l’anthroposophie ou bien le rayonnement de la pédagogie Steiner ?
P : Je crois que si on ne prend que les pratiques, ce serait quand-même un plus pour le développement de la pédagogie, mais j’ai l’impression qu’il y a aussi quelque chose de vivant au sein d’une école Steiner. Il y a une recherche : les gens se remettent en question, travaillent ensemble, réfléchissent en tenant compte d’une certaine conception de l’être humain. Ce n’est pas un modèle que l’on peut déplacer ou plaquer. Si on ne prend que le modèle, ça va devenir mort !
É : Avez-vous un exemple ?
P : Oui, quand je salue chaque enfant le matin, j’essaie vraiment de développer une conscience de son individualité. Alors, voilà, on peut en faire un principe en disant : « il faut saluer chaque enfant le matin en ayant conscience de son individualité… ». Le risque, ce serait de ne plus savoir pourquoi on le fait. C’est le cas aussi pour la maturité scolaire comme raison du passage du maternel au primaire. C’est important que chacun sache ce qu’il fait, même si au début, quand j’ai commencé, j’ai clairement imité ce que je voyais, car on ne sait pas tout comprendre ! Disons qu’il y a beaucoup de choses qui pourraient passer si on prenait l’anthroposophie de manière large. Mais tout supprimer et ne garder que la méthode pure, j’ai l’impression qu’il manquerait quelque chose de crucial.
7. Pourquoi pensez-vous que la pédagogie Steiner reste encore assez marginalisée ? Que faudrait-il mettre en place pour qu’elle puisse s’étendre ?
P : Il ne faut pas ignorer l’anthroposophie mais l’adapter à notre époque, la traduire en des termes compréhensibles aujourd’hui. Elle est marginalisée car il y a dans le discours des éléments spirituels très particuliers… Mais je me rends compte qu’il y a de plus en plus de gens ouverts, à côté de tous ceux qui se méfient de l’esprit de secte, ou de tout ce qui touche à la spiritualité ou à la religion : les « anti »… Maintenant, ce qu’il faudrait faire pour s’étendre, il faudrait passer par des autorités publiques pour qu’une commune puisse porter financièrement une école, mais la difficulté, c’est que les écoles se créent sur des initiatives isolées des parents, c’est très dur au démarrage.
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É : Et vous personnellement, essayez-vous de faire rayonner la pédagogie ?
P : Non, je suis débordée, mais peut-être qu’un jour, ça me prendra, car je trouve ça très important de faire connaître cette pédagogie. C’est un boulot à part entière, ici les professeurs n’ont vraiment pas le temps de sillonner le pays. Maintenant, je trouve qu’il y a très peu de gens capables de parler de cette pédagogie, sans faire fuir les gens !
É : C’est dû à quoi ?
P : Ici, il y a peu de professeurs qui sont membres de la société anthroposophique. Dans ce milieu-là, il y a quelques années, j’ai côtoyé des gens qui se prenaient quand-même un peu de haut. Mais, aujourd’hui, peut-être que ça a changé, je n’en sais rien.
É : Donc pour vous, il faut faire connaître la pédagogie et ces principes ?
P : Oui, mais surtout la pédagogie en explicitant les principes un minimum, sinon j’aurais l’impression de tromper les gens !
8. Souhaitez-vous préciser ou revenir sur quelque chose qui vous a marqué dans le questionnaire ? Y a-t-il des éléments qui n’y figuraient pas mais qui vous viennent à l’esprit en parlant de spiritualité ?
P : Non, ça fait longtemps, désolée je ne vois vraiment pas, je ne me souviens pas...
9. Pensez-vous qu’on peut retrouver certaines caractéristiques chez les personnes qui s’intéressent aux écoles Steiner, comme l’importance du lien à la nature, un esprit critique quant à la société de consommation occidentale, un attrait pour l’art ? Ces caractéristiques sont-elles, pour vous, en lien avec la spiritualité ?
P : Le lien à la spiritualité, pas nécessairement, pas exclusivement. On peut s’intéresser à l’écologie de manière quasi matérialiste, ce n’est pas l’apanage de la spiritualité. Ce que je verrais comme caractéristique commune, c’est une volonté de protéger les enfants, une recherche, une quête… du sens de la vie, de l’humanité ! Maintenant, est-ce que, dès qu’on se pose des questions sur la vie, on peut parler de spiritualité ? La question est ouverte…
É : Et au niveau du milieu socioculturel qui fréquente l’école... est-il homogène ?
P : Non, vraiment, il y a de tout !
É : Ok, merci.
10. Selon plusieurs recherches, le taux d’implication religieuse est plus élevé chez les femmes que chez les hommes. Pensez-vous que le rapport à la spiritualité est davantage marqué chez les femmes que chez les hommes ?
P : Il me semble que oui. Les femmes sont plus proches de leurs intuitions. Les hommes doivent s’intégrer dans la société, être un peu plus terre à terre quoi.
É : Vivent-ils moins fort cette quête de sens ?
P : Non, je pense qu’ils la vivent, mais perdent du temps dans des quêtes comme avoir un bon job, gagner de l’argent et l’utiliser comme signe extérieur de richesse. Alors que les femmes vont chercher plus du sens… C’est à la fois par nature et à cause des rôles que la société a mis en place. Maintenant, attention, je connais beaucoup d’hommes très spirituels. Mais peut-être que, de manière générale, les femmes vivent davantage une quête spirituelle que les hommes. Je ne sais pas trop…
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Entretien n°4 26/02/10, professeur masculin, profil 1/3, 50 ans, 16 ans de présence au sein de l’école
1. La plupart des personnes interrogées distinguent religion et spiritualité. L’indice de religiosité semble plus faible que celui de spiritualité. Comment vous situez-vous par rapport à la religion ?
P : Certaines institutions se revendiquent d’une religion et ont entaché l’image du terme « religion », qui en tant que telle ne devrait pas être perçue comme négative. La religion a été trahie par certaines institutions, d’où le terme « spiritualité », sans doute plus neutre et donc adopté par certains.
2. L’indice de spiritualité semble assez élevé tant chez les parents que les professeurs, qu’est-ce que la spiritualité évoque pour vous ? En quoi serait-elle importante, ou non dans l’éducation de votre enfant ?
P : Pour entrer dans l’école, il a fallu que je conçoive ce qu’était la spiritualité. On comprend la dimension physique, la dimension psychologique. Mais accéder, au-delà du corps et de l’âme, à l’esprit, ça demande une démarche, qui n’est pas celle que j’ai reçue à travers mon éducation. Cette spiritualité dans ma conception se relie à l’essence des choses, à l’être des choses. Si on reste dans les dimensions physique et psycho-affective, on loupe beaucoup de choses.
É : Comment cela se traduit-il chez les enfants ?
P : Steiner ne dissocie pas santé et pédagogie, ce sont des actes éducatifs pour aider l’enfant à grandir. La théorie de la réincarnation qu’il a proposée rend modeste l’adulte que nous sommes. On comprend qu’on s’adresse à des enfants qu’on doit certes guider et à qui nous devons fournir les conditions pour qu’ils puissent se développer. Mais en même temps, on doit avoir la modestie de se demander qui est l’esprit dans cet être. Que nous apprend-il? Que nous montre-t-il ? N’a-t-il pas plus d’expériences que nous ? Je ne suis pas convaincu que la réincarnation existe, mais je trouve cette attitude intéressante !
3. Jusqu’où votre conception de la spiritualité s’appuie-t-elle sur l’anthroposophie ? Pourquoi ?
P : Je trouve, en comparant avec d’autres traditions, que l’anthroposophie est extrêmement rationnelle, et donc c’est un support très intéressant. Mais ça ne définit pas pour autant ma vie.
4. Pensez-vous que les parents connaissent suffisamment l’anthroposophie ?
P : Tout le monde est toujours trop ignorant de tout. Savent-ils ce qu’est la médecine pour prendre soin de la santé de leurs enfants ? Non, et moi non plus…
5. Pensez-vous que les relations entre parents et professeurs sont satisfaisantes, même si les parents semblent moins impliqués dans l’anthroposophie que les professeurs ?
P : Il faut voir les conditions les plus favorables pour une collaboration éducative. Steiner a prévu que les parents ne soient pas formés à l’anthroposophie, ni à la pédagogie. Aujourd’hui, c’est pareil, il n’y a pas de condition, comme un ensemble de connaissances pour avoir ces enfants dans l’école. Plus le parent est au courant, plus ça devrait être facile. Mais ça, c’est en théorie. Car ça peut s’accompagner d’un aspect
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intégriste, ce sera plus compliqué. Ce sont des problèmes d’intégrisme d’esprit, et non des problèmes liés à l’anthroposophie en tant que telle dont il faut se préoccuper !
6. J’ai lu que les pratiques pédagogiques des écoles Steiner sont fructueuses mais reposent sur une théorie douteuse. Pour vous, l’anthroposophie est-elle le noyau dur, irréductible, de la pédagogie Steiner ? Ou pensez-vous qu’il serait judicieux d’abandonner certains principes plus mystiques, ésotériques de l’anthroposophie, moins facilement concevables au profit du rayonnement de la pédagogie ? En gros, pour vous, qu’est-ce qui est prioritaire : la compréhension de l’anthroposophie ou bien le rayonnement de la pédagogie Steiner ?
P : C’est de plus en plus reconnu scientifiquement, mais on en est au début ! Ce n’est pas une théorie fumeuse qui peut passer l’épreuve du temps, comme l’anthroposophie est en train de la passer. Il faut laisser le temps au temps. C’est le vocabulaire qui pose problème, ce ne sont pas les théories. Toute théorie qui ne tient pas la route doit être abandonnée, mais il se fait qu’elles tiennent la route ! Elles sont d’ailleurs en train d’entrer dans les universités.
7. Pourquoi pensez-vous que la pédagogie Steiner reste encore assez marginalisée ? Que faudrait-il mettre en place pour qu’elle puisse s’étendre ?
P : Toutes les pédagogies alternatives sont marginalisées. Quant à la pédagogie Steiner, il semblerait que ce soit la moins marginalisée de toutes, avec 995 écoles dans le monde. Steiner a imprégné les régions germaniques. Moi, je ne veux pas faire du prosélytisme, je ne sais d’ailleurs pas si la pédagogie doit s’étendre en tant que telle. C’est la liberté de citoyens qui doivent se dire : « oui ça me parle, réunissons-nous et créons une école ». Ici, il n’y pas de politique d’expansion. Il y a encouragement des initiatives personnelles. L’apport des écoles Steiner est important, ce qui est intéressant c’est que la fédération soit prise comme partenaire social à part entière au niveau politique.
8. Souhaitez-vous préciser ou revenir sur quelque chose qui vous a marqué dans le questionnaire ? Y a-t-il des éléments qui n’y figuraient pas mais qui vous viennent à l’esprit en parlant de spiritualité ?
P : C’est un peu loin. Il y a un flou dans la distinction entre religion et spiritualité qui peut constituer un obstacle conceptuel au départ. Au sens noble, ce sont deux notions positives en elles-mêmes. Maintenant, l’humain peut faire du tort avec ça !
9. Pensez-vous qu’on peut retrouver certaines caractéristiques chez les personnes qui s’intéressent aux écoles Steiner, comme l’importance du lien à la nature, un esprit critique quant à la société de consommation occidentale, un attrait pour l’art ? Ces caractéristiques sont-elles, pour vous, en lien avec la spiritualité ?
P : Je n’ai aucune idée de ce que pensent tous ces parents. J’ai le sentiment que beaucoup ont un souci écologique évident. Il est fréquent d’entendre parler diététique et hygiène. Le rapport à la santé doit aussi rassembler un grand nombre. L’art aussi. Mais je crois qu’on peut être respectueux, écologiste, démocrate, sans être anthroposophe évidemment, mais probablement que la dimension spirituelle englobe ces concepts. Mais c’est certain que ce n’est pas le cas chez tous les parents. Certains sont moins intéressés par le spirituel mais engagés socialement, par exemple.
10. Selon plusieurs recherches, le taux d’implication religieuse est plus élevé chez les femmes que chez les hommes. Pensez-vous que le rapport à la spiritualité est davantage marqué chez les femmes que chez les hommes ?
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P : Je ne peux tirer aucune conclusion générale. Est-ce que la femme avec son côté lunaire est plus spirituelle que l’homme ? On dirait que oui, mais avec des gros guillemets ! Je dirais qu’il y a plus de mamans attentives à l’éducation de leurs enfants, de maris peut-être un peu plus passifs.
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Entretien n°5 22/02/10, professeur féminin, profil 3/3, 48 ans, 16 ans de présence au sein de l’école
1. La plupart des personnes interrogées distinguent religion et spiritualité. L’indice de religiosité semble plus faible que celui de spiritualité. Comment vous situez-vous par rapport à la religion ?
P : Il n'est pas nécessaire d'avoir une confession religieuse pour avoir une vie spirituelle. Maintenant, si on le prend au sens étymologique, c'est-à-dire se relier à quelque chose, dans ce cas-là, pour moi, c'est très similaire à la vie spirituelle. Si je le prends dans le cadre de l'anthroposophie, c'est relier la spiritualité de l'être humain au monde qui l'entoure, créer un pont entre le monde et l'être humain! Et, ça, c'est faire un lien. Donc, quelque part, c'est une religion, mais ce n'est pas une confession religieuse : il n'y a pas de rites, de cultes... si ce n'est une démarche personnelle. C'est la réponse que je peux donner à ça. Pour moi, il y a une très grande différence entre religion et confession religieuse et, par contre, religion et spiritualité sont très proches.
2. L’indice de spiritualité semble assez élevé tant chez les parents que les professeurs, qu’est-ce que la spiritualité évoque pour vous ? En quoi serait-elle importante, ou non dans l’éducation de votre enfant ?
P : Je pense que tous les êtres humains sont en recherche de spiritualité, d'une manière ou d'une autre. Cela s'exprime de manières très différentes. C'est peut-être inconscient chez certains, mais c'est présent. En tout cas, chez les enfants, c'est présent! C'est important pour eux qu'on leur permette de créer ce lien... je dirais « d'âme »... Je ne sais pas quel terme il faut utiliser, parce que ça veut dire beaucoup de choses et très peu de choses en même temps. L'enfant a besoin de pouvoir aimer la nature, les saisons, les personnes qui l'entourent... être en relation avec son entourage. C'est dans cette ambiance-là qu'il doit apprendre. Maintenant que veut dire la spiritualité? C'est tellement large! Pour moi, en tant qu’adulte, c'est plutôt essayer de percevoir l'esprit qui est agissant dans ce qui se manifeste dans le monde : les relations humaines et les phénomènes politiques, historiques, géographiques etc. Pour moi, l'esprit est agissant et la matière est image de l'esprit. Et que fait cet esprit? Pour répondre, il faut regarder comment il agit... Autant regarder une fleur... que voir ce qui se passe au Moyen Orient. Quels sont les enjeux spirituels qui sont en train de se passer là-bas? Bien sûr il y a une histoire de terres et de tas de choses comme ça... Mais il y a quelque chose encore, derrière, pour moi! C'est ça : c'est la recherche spirituelle ou la vie spirituelle.
É : Et, est-ce que vous avez des exemples que vous avez perçus au sein de l'école où on sent cette recherche spirituelle chez les enfants?
P : C'est au quotidien! J'ai, par exemple, une expérience très forte avec un enfant que j'ai eu dans ma classe il y a plusieurs années où je racontais une histoire de Bouddha. Donc, ça fait partie de toutes les histoires qu'on raconte... Alors, on est arrivé aux trois questions fondamentales que se pose le Bouddha quand il est confronté à la mort, à la souffrance, à la maladie? Il dit : « pourquoi est-ce qu'on naît, si c'est pour de toute façon souffrir, être malade et finir par mourir »? Et il y a un enfant de cinquième primaire qui m'a regardée de manière très sérieuse et m'a répondu : « C'est exactement la question que je me pose »! Et, donc, ça veut dire que les enfants vivent avec ça! Ils sont tous
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dedans! Et ce sont des questions profondément humaines! Les enfants voient des choses, expriment des choses... dans la qualité de l'environnement... etc. Ils ont un tas de choses à dire, les enfants!
3. Jusqu’où votre conception de la spiritualité s’appuie-t-elle sur l’anthroposophie ? Pourquoi ?
P : Pour moi, c'est au centre! Mais c'est un chemin de connaissance, ce n'est pas un dogme! Mais, c'est strictement personnel! Je suis anthroposophe! Voilà! Mais je suis aussi catholique.
É : Est-ce que l'un un plus important que l'autre?
P : Je suis d'abord anthroposophe.
4. Pensez-vous que les parents connaissent suffisamment l’anthroposophie ?
P : Je ne pense pas que les parents doivent nécessairement s’y intéresser davantage. La pédagogie, oui! Mais l'anthroposophie, non! C'est-à-dire que l'anthroposophie est à la base de la pédagogie. Donc, c'est important que les parents sachent comment on travaille dans l'école pour ne pas qu'ils demandent à leurs enfants des choses qui sont tout à fait opposées, mais ils n'ont pas besoin de connaître l'anthroposophie! Maintenant, s'ils ont envie de le faire, c'est leur chemin...
5. Pensez-vous que les relations entre parents et professeurs sont satisfaisantes, même si les parents semblent moins impliqués dans l’anthroposophie que les professeurs ?
P : Chacun son chemin. Pour moi, ça répond à mes questions, à mes attentes, à mon type de recherches! Si quelqu'un partage mes opinions, j'en suis contente, mais je n'ai aucun problème avec le chemin spirituel des autres! Il y a des gens qui vivent des expériences spirituelles dans des cadres tout autres et qui sont des gens de grande qualité! C'est justement enrichissant!
É : Les enfants, selon vous, vivent-ils des expériences que l'on peut qualifier de « spirituelles » ?
P : Oui! Mais on peut qualifier le spirituel de manière très large. Mais il faut faire attention aussi, parce que certains croient que faire des expériences spirituelles, c'est « voir »! Mais, pour moi, c'est beaucoup plus large que ça!
É : Donc, chacun le vit d'une manière personnelle?
P : Tout à fait! Dans le cadre de l'école, il y a quand-même eu des enfants qui n'arrivaient pas à rentrer dans ce genre de choses-là et qui ont quitté l'école. Je pense que le milieu familial joue beaucoup : si ce type de sensibilité y est dénigré et considéré comme quelque chose de non valable, l'enfant ne sait pas s'y tenir! Il doit d'abord être loyal à ses parents…
6. J’ai lu que les pratiques pédagogiques des écoles Steiner sont fructueuses mais reposent sur une théorie douteuse. Pour vous, l’anthroposophie est-elle le noyau dur, irréductible, de la pédagogie Steiner ? Ou pensez-vous qu’il serait judicieux d’abandonner certains principes plus mystiques, ésotériques de l’anthroposophie, moins facilement concevables au profit du rayonnement de la pédagogie ? En gros, pour vous, qu’est-ce qui est prioritaire : la compréhension de l’anthroposophie ou bien le rayonnement de la pédagogie Steiner ?
P : C'est-à-dire, que pour moi, c'est tout à fait indissociable. On ne peut pas pratiquer la pédagogie Steiner si on n'est pas relié à l'anthroposophie. Parce que ça devient quelque
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chose de vide, alors! C'est comme si on disait : « je voudrais avoir ce type de fleur-là, mais je ne me préoccupe pas des racines »! Si je ne mets pas ce qu’il faut à la base pour faire fleurir la plante, elle va mourir! Oui! Je pourrai la couper, la mettre dans un vase, mais cela ne va pas durer longtemps! Cela va fonctionner un peu tout seul. Mais, ce qui est au centre du travail de l'enseignant, c'est d'avoir rendu les choses vivantes, en lui ! Si je prends le cours d'un professeur et que je l'applique comme ça, cela ne va pas! Si j'ai vraiment préparé ce cours moi-même en recherchant l'esprit agissant, même si ce n'est pas parfait, même si je fais des erreurs, les enfants vont suivre, parce qu'ils vont sentir que c'est du vivant! Donc, si on veut mettre des techniques, utiliser de beaux crayons de cire, dire qu'on va dessiner comme ceci et qu'on va faire un livre avec des histoires types pour apprendre telles lettres etc... en quelques années, la pédagogie Steiner est morte! Pour moi, ça, c'est évident!
É : C'est donc une erreur à ne pas commettre puisqu'on cherche à faire rayonner cette pédagogie?
P : Voilà! Et pour faire une autre comparaison : c'est comparer ça à un créateur, un compositeur de musique. Maintenant, quelqu'un qui est un interprète, il peut être un interprète seulement lié aux notes! Il faut être musicien pour comprendre ça!
É : Je le suis. P : Alors, ça va. On peut faire une interprétation stricte, parfaitement rythmée, en respectant les nuances, etc... Si on n'y insuffle pas de l'esprit dedans, c'est mort! Et c'est là, la différence entre le musicien et le technicien... et le public le sent! Il y a d'excellents techniciens... Et il y a des gens qui font vivre la musique! Et celui qui est vraiment interprète va se réapproprier le mouvement à l'intérieur de la musique! Il ne va pas simplement lire la partition de manière rigide! Et, pour moi, la pédagogie est un art. Donc, il faut retourner chaque fois vers la source, vers ce qui est créateur.
7. Pourquoi pensez-vous que la pédagogie Steiner reste encore assez marginalisée ? Que faudrait-il mettre en place pour qu’elle puisse s’étendre ?
P : Elle est marginalisée dans certains pays, pas dans d'autres! Il faut voir... Ce serait intéressant de se pencher sur le fait de savoir pourquoi il y a tant d'écoles en Allemagne, aux Pays-Bas... Et pourquoi en Wallonie, il y en a tellement peu, alors qu'en Flandres, il y en a tellement! Apparemment, les Anglo-Saxons y sont plus sensibles que les Latins. Maintenant, comment faire ? Je pense que ça ne peut venir que de démarches personnelles, parce que la base de cette pédagogie, c'est la liberté ! Alors, on ne peut pas enseigner aux enfants à vouloir être libres, si on ne l'est pas soi-même! Je pense qu'il y a une évolution de la pensée latine, très cartésienne, mais qui n'est pas la pensée universelle! Cela viendra au cours de l'histoire, mais à la vitesse des êtres humains qui sont là, donc dans trente ou cinquante ans! Mais j'ai quand même l'impression qu'on va vers un monde qui est plus ouvert! J'ai une amie à Hong Kong qui est maître de Feng-shui et je n'y connais rien du tout! Avec un esprit cartésien, le Feng-shui peut sembler totalement absurde, mais est-ce qu'on peut vraiment garder cette idée d'absurdité, alors que cela fait cinq mille ans que les Chinois s'investissent là-dedans et paient très cher pour pouvoir appliquer le Feng-shui dans leur maison et dans toutes les entreprises. Même les grandes banques et les grandes entreprises font venir des maîtres de Feng-shui! Alors, si selon l'esprit cartésien, c'est absurde... Peut-on penser qu'il y a une manière de penser qui est différente de la nôtre, mais qui a aussi sa valeur? On va petit à petit vers une mondialisation, aussi à ce niveau-là! On ne s'arrête pas à un seul mode de pensée!
É : Pour revenir sur le paradoxe où certaines personnes se méfient du langage dans
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lequel on peut exprimer les bases de la pédagogie, est-ce que vous pensez que ce serait possible de traduire ça dans un vocabulaire qui est plus compréhensible pour un plus large public ?
P : Oui! Pour moi, cela serait un véritable travail. En tout cas, quand je reçois des parents, je suis toujours très attentive à utiliser un vocabulaire actuel, moderne... et compréhensible! On doit pouvoir traduire le langage de Steiner qui est vraiment ésotérique et il faut du temps pour pouvoir entrer dans ces concepts. Il faut pouvoir les réexprimer dans le langage d'aujourd'hui. C'est un gros travail, parce qu'il ne faut pas non plus simplifier! On est bien conscient que quand on parle de corps astral et de corps éthérique, c'est tellement vaste qu'on ne peut pas réduire ça en trois mots! Mais, c'est un travail qu'on doit faire, effectivement!
8. Souhaitez-vous préciser ou revenir sur quelque chose qui vous a marqué dans le questionnaire ? Y a-t-il des éléments qui n’y figuraient pas mais qui vous viennent à l’esprit en parlant de spiritualité ?
P : Non, je ne me souviens plus...
9. Pensez-vous qu’on peut retrouver certaines caractéristiques chez les personnes qui s’intéressent aux écoles Steiner, comme l’importance du lien à la nature, un esprit critique quant à la société de consommation occidentale, un attrait pour l’art ? Ces caractéristiques sont-elles, pour vous, en lien avec la spiritualité ?
P : Je pense qu'il y a des gens qui se posent des questions, effectivement, des gens qui recherchent une forme de spiritualité qui est la leur... oui! C'est quelque chose qui se passe ici, certainement, très certainement un lien avec la nature, parce que cette religion dont on parlait au début, c'est aussi se relier avec l'environnement naturel, l'art, parce qu'on développe une sensibilité artistique autant chez les professeurs que chez les parents. C'est un outil de perception du monde. Maintenant un esprit critique vis-à-vis de la société moderne... j'espère bien que non, parce qu'on vit dedans, comme n'importe qui! Moi, je passe mes journées sur Internet avec mon ordinateur qui m'est utile! D'un point de vue personnel, je n'ai pas envie de consommer de manière outrancière, mais je n'ai pas l'impression d'être différente des gens qui travaillent dans d'autres écoles! Il y a une conscience de plus en plus développée un peu partout... Maintenant il y a d'autres caractéristiques qui peuvent se retrouver chez d'autres personnes aussi !
10. Selon plusieurs recherches, le taux d’implication religieuse est plus élevé chez les femmes que chez les hommes. Pensez-vous que le rapport à la spiritualité est davantage marqué chez les femmes que chez les hommes ?
P : Par expérience, je pense que le choix est souvent poussé par la maman. Je me demande aussi si ce n'est pas lié au fait que ce sont souvent de jeunes parents qui viennent et donc l'éducation des petits enfants, c'est quelque chose de fort maternel. Il y a une fibre maternelle qui est très développée alors que les pères interviennent généralement plus tard!
É : On m'a dit que les papas étaient d'accord de laisser les enfants en maternelle, voire à l'école primaire, mais pour le secondaire, on les retire parce que les papas s'en mêlent plus?
P : Oui! Je pense que c'est ça! Et ils ont sans doute un côté plus cartésien et que c'est là que la différence se marque... Mais ce que les parents ignorent, c'est que dans le secondaire, on va travailler ce côté cartésien aussi, mais ils ne peuvent avoir l'expérience puisqu'on n'a pas de secondaire! C'est indispensable, parce qu'un adolescent
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a besoin de ça! Si on a des incohérences à ce niveau-là, ça ne va pas!
É : Mais pour conclure, de manière générale, est-ce que vous pensez que la spiritualité est plus marquée chez les femmes que chez les hommes?
P : Je ne sais pas. Honnêtement, je ne sais pas! Parce que, quand je regarde autour de moi, je vois des hommes qui ont une très grande spiritualité et je vois des femmes aussi. Il faudrait que je fasse le compte, mais ce serait difficile!
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Entretien n°6 2/03/10, professeur masculin, profil 3/3, 50 ans, 16 ans de présence au sein de l’école
1. La plupart des personnes interrogées distinguent religion et spiritualité. L’indice de religiosité semble plus faible que celui de spiritualité. Comment vous situez-vous par rapport à la religion ?
P : Ce sont les actes qui nous relient à des aspects d’une réalité moins visible, derrière la réalité apparente. Plus jeune, je n’acceptais pas, car je percevais ça comme quelque chose qui m’était imposé. Maintenant j’y reviens car je sens que je peux choisir le moyen. L’anthroposophie me donne ce moyen.
2. L’indice de spiritualité semble assez élevé tant chez les parents que les professeurs, qu’est-ce que la spiritualité évoque pour vous ? En quoi serait-elle importante, ou non dans l’éducation de votre enfant ?
P : La spiritualité, c’est ce lien invisible qui relie les choses et auquel, par un travail, on peut avoir accès. Je crois que se relier à soi-même, à son être, nous donne accès à quelque chose de plus subtil. C’est un travail pour saisir le sens profond des choses. C’est très important aujourd’hui avec les enfants car le monde des apparences est plus présent maintenant qu’avant. C’est vital pour les enfants de leur donner des outils pour accéder à ça.
É : Comment ça se passe concrètement ?
P : Rien que la manière dont les matières sont enseignées. Tout ce qui est artistique : il faut lâcher tout ce qu’on maîtrise, se relier à soi-même pour développer une meilleure conscience. Il faut donner des outils, leur permettre de construire une pensée qui va au-delà de celle qu’on a sous les yeux. C’est maîtriser les apparences pour avoir accès à quelque chose qui est derrière. C’est garder les outils de sensibilité éveillés, cultiver tout ce qui permet d’aller activement vers les choses. C’est très méthodologique.
3. Jusqu’où votre conception de la spiritualité s’appuie-t-elle sur l’anthroposophie ? Pourquoi ?
P : Cela me donne un outil vraiment concret. C’est ce qui m’a redonné accès à la spiritualité. Cela m’a permis de trouver dans le regard qu’on a sur le monde et la nature le fait que l’Esprit est à l’œuvre dans le monde. C’est face aux événements, quand on l’expérimente soi-même, qu’on le découvre. Steiner le dit : on peut s’informer mais il faut mettre à l’épreuve ce qu’on pense, ce qu’on ressent. C’est un vrai travail intérieur que j’ai commencé à faire quand j’étais prof. dans une autre école. J’avais des difficultés avec certains élèves, et ce travail a été très fructueux.
4. Pensez-vous que les parents connaissent suffisamment l’anthroposophie ?
P : Globalement, je n’ai pas l’impression. La plupart sont très sensibles à ce que ça permet. Je crois que ce sont d’autres aspects plus extérieurs qui font qu’ils sont là. Ce n’est pas nécessaire pour moi qu’ils connaissent. Si de ce qu’ils perçoivent, ils sentent que c’est bon pour les enfants, pour moi c’est le principal.
5. Pensez-vous que les relations entre parents et professeurs sont satisfaisantes, même si les parents semblent moins impliqués dans l’anthroposophie que les professeurs ?
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P : A notre époque, on est encore trop dans l’attente des résultats et des inquiétudes à ce sujet. Je peux comprendre car je suis parent. Maintenant, il y en a qui font confiance, il y en a qui sont en chemin. Je crois que ceux qui arrivent ici cherchent pour la plupart. J’ai aussi ma responsabilité au niveau de la relation qu’on entretient.
6. J’ai lu que les pratiques pédagogiques des écoles Steiner sont fructueuses mais reposent sur une théorie douteuse. Pour vous, l’anthroposophie est-elle le noyau dur, irréductible, de la pédagogie Steiner ? Ou pensez-vous qu’il serait judicieux d’abandonner certains principes plus mystiques, ésotériques de l’anthroposophie, moins facilement concevables au profit du rayonnement de la pédagogie ? En gros, pour vous, qu’est-ce qui est prioritaire : la compréhension de l’anthroposophie ou bien le rayonnement de la pédagogie Steiner ?
P : La question est difficile. Pour moi c’est important de donner dans le concret, de montrer par notre comportement qu’on est en chemin et qu’on fait ce travail. Mais il ne faut pas faire de prosélytisme. C’est une démarche, un chemin personnel. C’est important qu’il y ait cette liberté. Il faut que ceux qui livrent leurs enfants fassent confiance et que ceux qui y travaillent soient toujours en chemin, en recherche.
7. Pourquoi pensez-vous que la pédagogie Steiner reste encore assez marginalisée ? Que faudrait-il mettre en place pour qu’elle puisse s’étendre ?
P : Tout ce qui est rare suscite de la méfiance. Ici, ce qui est hors religion catholique ou morale laïque rentre dans l’aspect suspicieux des sectes. Beaucoup de gens ne connaissent même pas. Je participe à des formations où on me demande de venir. Mais c’est lent, il faudra encore du temps, surtout chez les Latins.
8. Souhaitez-vous préciser ou revenir sur quelque chose qui vous a marqué dans le questionnaire ? Y a-t-il des éléments qui n’y figuraient pas mais qui vous viennent à l’esprit en parlant de spiritualité ?
P : Oui, je souhaite revenir sur la question du développement spirituel de l’enfant. On ne parle jamais de spiritualité comme telle avec les enfants. On n’a pas le droit, c’est trop intime. Mais c’est là tout le temps, on suscite ce genre de choses, mais dans la liberté. Je ne serais pas d’accord de dispenser un enseignement spirituel, ce qui est d’ailleurs interdit dans l’anthroposophie. Ce qui est important, c’est de s’adresser à l’être qu’on a devant soi, et de trouver ce qui lui convient, de le respecter. Si j’arrive avec des discours tout faits, là c’est dangereux. Et je crois que c’est de là que vient cette méfiance de l’extérieur. Il faut faire attention aux mots qu’on emploie. Si un enfant pose une question, on peut en parler, mais ce n’est pas encore arrivé.
9. Pensez-vous qu’on peut retrouver certaines caractéristiques chez les personnes qui s’intéressent aux écoles Steiner, comme l’importance du lien à la nature, un esprit critique quant à la société de consommation occidentale, un attrait pour l’art ? Ces caractéristiques sont-elles, pour vous, en lien avec la spiritualité ?
P : Ce sont des gens qui se posent des questions fondamentales et cherchent des réponses dans différents domaines. Ce sont des idéalistes. Ils ont un point commun, c’est de se dire que ça commence dans la petite enfance. C’est un principe : plus tôt les choses sont mises en œuvre, plus elles ont une influence. Ils sont préoccupés de l’état du monde, il y a vraiment des valeurs qu’on cherche à mettre en avant.
10. Selon plusieurs recherches, le taux d’implication religieuse est plus élevé chez les femmes que chez les hommes. Pensez-vous que le rapport à la spiritualité est davantage marqué chez les femmes que chez les hommes ?
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P : On peut observer que souvent les hommes freinent un peu, comme s’il y avait une pudeur. Les femmes sont plus présentes, en général. Je crois que l’homme est plus préoccupé par la sécurité, par les apparences, et la femme davantage par le fondement des choses. La femme a une disposition dans sa manière de vivre qui est plus favorable au développement spirituel, à se poser des questions, alors que l’homme doit peut-être traverser plus de choses. Certains osent, d’autres moins.
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Entretien n°7 26/02/10, jardinière d’enfants, profil 3/3, 2 ans de présence au sein de l’école
1. La plupart des personnes interrogées distinguent religion et spiritualité. L’indice de religiosité semble plus faible que celui de spiritualité. Comment vous situez-vous par rapport à la religion ?
P : J’ai reçu une éducation catholique, mais la spiritualité me parle beaucoup plus que d’aller dans une église.
É : Pourquoi ?
P : Il ne faut pas généraliser, mais il y quelque chose de très figé dans une église, et puis certains sermons sont très dogmatiques.
2. L’indice de spiritualité semble assez élevé tant chez les parents que les professeurs, qu’est-ce que la spiritualité évoque pour vous ? En quoi serait-elle importante, ou non dans l’éducation de votre enfant ?
P : Là, on rejoint directement l’anthroposophie où on considère que l’enfant vient du monde spirituel et est spirituel, petit. On le voit encore plus chez les bébés et au jardin d’enfant. Steiner le dit lui-même, l’enfant est spirituel au départ. Il a la spiritualité qu’il perd au fur et à mesure qu’il grandit.
3. Jusqu’où votre conception de la spiritualité s’appuie-t-elle sur l’anthroposophie ? Pourquoi ?
P : Alors, moi je suis arrivée à l’anthroposophie par la pédagogie. J’ai toujours voulu être prof., mais j’ai senti d’emblée que le traditionnel ne me convenait pas. Alors, j’ai cherché dans l’alternatif. J’ai été voir chez Freinet, Montessori etc., mais ça ne me parlait pas suffisamment. Et quand je suis rentrée pour la première fois dans un jardin d’enfant Steiner, j’ai tout de suite senti que c’était ce qu’il me fallait. C’était dans les murs, dans l’atmosphère, vous voyez ?
É : Et aujourd’hui, l’anthroposophie est-elle centrale dans votre vie ?
P : Oui, oui, j’essaie vraiment de vivre l’anthroposophie dans ma vie au quotidien. C’est ce qui donne un sens.
É : Cela passe par quoi concrètement ?
P : C’est difficile à dire. Par exemple dans mon jardin d’enfants, tout a été pensé pour le confort et l'autonomie des enfants. Quand je travaille, je réfléchis beaucoup. Quand je fais quelque chose, j’essaie de voir quelles conséquences ça va avoir. J’essaie d’avoir une vision globale de l’année, pour avoir une vue d’ensemble. Par exemple, le projet de potager cette année, j’ai senti que c’était vraiment important pour les enfants.
4. Pensez-vous que les parents connaissent suffisamment l’anthroposophie ?
P : C’est sûr qu’on pourrait plus les informer. Je crois qu’il y a un certain contrôle, une peur de perdre du pouvoir de la part des professeurs. C’est aussi un problème de communication : on garde les parents dans un certain rôle, et il faut qu’ils ne débordent pas trop, c’est mon sentiment !
É : Y aurait-il des mesures que vous pourriez mettre en place ?
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P : C’est-à-dire que le problème, c’est ici en Belgique. Dans les pays anglophones, c’est très clair, tu as une fédération qui chapeaute tout, toutes les écoles ! Donc, il y a un mouvement assez uni.
5. Pensez-vous que les relations entre parents et professeurs sont satisfaisantes, même si les parents semblent moins impliqués dans l’anthroposophie que les professeurs ?
P : Je suis très directe, quand j’ai quelque chose à dire, je le dis simplement. En retour, ils me répondent que j’ai une sincérité et une intégrité telles que tout ce que je leur dis, ils peuvent l’accepter car je ne leur impose rien. J’ai d’excellents contacts avec les parents. On va vraiment en profondeur dans les entretiens que j’ai avec eux. Je les suis vraiment de près. Je leur ai dit en début d’année : « nous sommes ensemble, comme un pont, et l’enfant est entre nous ». Il faut le moins de disparités possible entre le jardin d’enfants et la maison, pour que les enfants ne soient pas perdus entre ces deux repères.
6. J’ai lu que les pratiques pédagogiques des écoles Steiner sont fructueuses mais reposent sur une théorie douteuse. Pour vous, l’anthroposophie est-elle le noyau dur, irréductible, de la pédagogie Steiner ? Ou pensez-vous qu’il serait judicieux d’abandonner certains principes plus mystiques, ésotériques de l’anthroposophie, moins facilement concevables au profit du rayonnement de la pédagogie ? En gros, pour vous, qu’est-ce qui est prioritaire : la compréhension de l’anthroposophie ou bien le rayonnement de la pédagogie Steiner ?
P : On peut trouver des preuves scientifiques de ce que Steiner avance, mais on a beaucoup de mal à l’admettre. Et le problème, c’est que le langage de Steiner n’est pas à la portée de tout le monde, c’est ardu. Et si on vulgarise, on risque de détériorer sa pensée, c’est donc très délicat ! La pédagogie sans les fondements, ça n’a pas de sens. Mais qui trouver pour traduire ?
7. Pourquoi pensez-vous que la pédagogie Steiner reste encore assez marginalisée ? Que faudrait-il mettre en place pour qu’elle puisse s’étendre ?
P : On a accusé la pédagogie de secte. Le problème, c’est en effet qu’on a voulu en faire un dogme : Steiner a raison et pas les autres ! Les gens sont comme ça ! Cela va vite… A l’université, ce n’est pas abordé car les gens sont démunis : Qu’est-ce que c’est ? Comment aborder ça ? Il faut donner des ressources aux gens…
8. Souhaitez-vous préciser ou revenir sur quelque chose qui vous a marqué dans le questionnaire ? Y a-t-il des éléments qui n’y figuraient pas mais qui vous viennent à l’esprit en parlant de spiritualité ?
P : Non, je ne saurais pas dire, il me semble que rien ne m’avait choquée.
9. Pensez-vous qu’on peut retrouver certaines caractéristiques chez les personnes qui s’intéressent aux écoles Steiner, comme l’importance du lien à la nature, un esprit critique quant à la société de consommation occidentale, un attrait pour l’art ? Ces caractéristiques sont-elles, pour vous, en lien avec la spiritualité ?
P : Il y a un retour aux valeurs de la part de la génération des 30 ans. Ils veulent vivre sans TV, plus proches de la nature. Ils se rendent compte de tout ce qui va tellement vite dans notre société. C’est l’idée de se poser et de prendre un peu de recul. La vie au quotidien, c’est spirituel, si on fait les choses consciemment. Je propose par exemple aux parents d’avoir un rituel du soir avec leurs enfants, pour prendre conscience de ces moments importants. Tous ça, ce sont des gestes spirituels, pour retrouver son centre !
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10. Selon plusieurs recherches, le taux d’implication religieuse est plus élevé chez les femmes que chez les hommes. Pensez-vous que le rapport à la spiritualité est davantage marqué chez les femmes que chez les hommes ?
P : Ce sont souvent les mamans qui viennent aux entretiens individuels. Mais elles témoignent du fait que si leur mari semble plus en retrait, il a en fait plus de souvenirs des moments importants du développement de l’enfant. Les femmes sont plus spirituelles, oui, oui, c’est très clair !
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B) Parents Entretien n°1 12/02/10, mère d’un enfant, profil 1/1, 35 ans, 3 ans de présence au sein de l’école
1. La plupart des personnes interrogées distinguent religion et spiritualité. L’indice de religiosité semble plus faible que celui de spiritualité. Comment vous situez-vous par rapport à la religion ?
M : Disons que j’ai été élevée dans un milieu catholique et j’ai toujours trouvé ça très amusant (rire). Je crois que je suis croyante mais pas nécessairement pratiquante. Je ne crois pas en une religion, en fait. Je ne crois pas en une religion, mais plutôt en une certaine énergie. Je crois que toutes les religions ont des vérités et avec tout ça, moi, je crée ma propre religion, par rapport à moi-même, à ce qui me touche, on va dire.
É : Et au sein de l’école, est-ce que la religion vous semble présente ?
M : Oui quand-même. C’est vrai que c’est surtout pour la dimension artistique de l’école que j’y ai inscrit mon enfant. Mais la spiritualité et l’anthroposophie ont aussi joué, dans une moindre mesure.
2. L’indice de spiritualité semble assez élevé tant chez les parents que les professeurs, qu’est-ce que la spiritualité évoque pour vous ? En quoi serait-elle importante, ou non dans l’éducation de votre enfant
M : Moi, je trouve que déjà ça permet une certaine ouverture d’esprit. Ce n’est pas facile de parler de ça à des enfants, et j’apprécie le fait que ce soit dans un milieu où des personnes ont travaillé et réfléchi là-dessus pour pouvoir justement l’aborder autrement.
É : Vous appréciez globalement la manière dont la spiritualité est vécue au sein de l’école ?
M : Oui, oui j’aime beaucoup, c’est vécu à travers les chansons, les histoires… Je trouve ça vraiment enrichissant. Je vois bien que mon fils a déjà un côté - je ne vais pas dire « spirituel » - mais… je ne sais pas… quand on allume des bougies, je vois bien que il a… comment dire… ?
É : Un éveil ?
M : Oui, c’est vraiment ça !
É : Donc, ça passe par des petites choses concrètes ?
M : Oui, tout à fait.
É : Auriez-vous des exemples concrets d’éléments ou d’événements qui se sont passés au sein de l’école et qui vous évoquent la spiritualité, que ce soient des choses qui vous aient plu ou déplu ?
M : Par exemple, la table des saisons avec tous ces petits personnages, avec la mer, la terre, c’est beau, c’est génial ! Maintenant, il y a des choses que je trouve… trop, peut-être des fois, trop… comment dire ? Du fait que c’est très joli et très doux, je trouve qu’il y a parfois des décalages avec la réalité de la vie. Mais bon voilà, je sais qu’il n’y a pas une pédagogie qui est parfaite et que celle-là adhère vraiment avec ma conception de la vie, mes idées, et donc voilà quoi…
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3. Jusqu’où votre conception de la spiritualité s’appuie-t-elle sur l’anthroposophie ? Pourquoi ?
M : J’ai commencé une formation en pédagogie Steiner au Brésil, pas pour être professeur, mais pour être assistante dans une école. Donc, j’ai appris à connaître l’anthroposophie dans cette formation, donc je dirais que oui, la manière dont je vis la spiritualité s’appuie sur l’anthroposophie, mais en même temps pas tout à fait car les choses étaient déjà là avant. Cela n’a fait qu’amplifier et ça m’a permis de réaliser que oui, c’est vraiment ça dont j’ai envie dans ma vie.
É : Et est-ce qu’aujourd’hui l’anthroposophie continue à vous nourrir ?
M : Non, j’avoue que là, ça fait longtemps que je n’ai plus touché à l’anthroposophie. A l’époque, j’avais fait beaucoup d’exercices pratiques, mais là, je n’ai plus le temps…
4. Pensez-vous que les parents connaissent suffisamment l’anthroposophie ?
M : A ça, je ne sais pas y répondre… Non, je ne sais pas.
5. Pensez-vous que les relations entre parents et professeurs sont satisfaisantes, même si les parents semblent moins impliqués dans l’anthroposophie que les professeurs ?
M : En tout cas, moi je m’entends vraiment bien avec les professeurs là-bas. J’ai entendu des parents qui ont enlevé leurs enfants de l’école, je ne sais pas si c’est à cause de la pédagogie, j’imagine que oui… Mais, moi en tout cas, j’ai des chouettes relations. La première jardinière de mon fils, ça a été quelqu’un qui m’a beaucoup aidée dans le chemin de mon enfant, avec qui on avait vraiment de superbes discussions. Maintenant, la jardinière actuelle est différente, peut-être moins psychologue, moins proche de la spiritualité mais elle dégage aussi une belle énergie de vie, elle est plus dans l’action et j’aime beaucoup aussi en fait finalement.
6. J’ai lu que les pratiques pédagogiques des écoles Steiner sont fructueuses mais reposent sur une théorie douteuse. Pour vous, l’anthroposophie est-elle le noyau dur, irréductible, de la pédagogie Steiner ? Ou pensez-vous qu’il serait judicieux d’abandonner certains principes plus mystiques, ésotériques de l’anthroposophie, moins facilement concevables au profit du rayonnement de la pédagogie ? En gros, pour vous, qu’est-ce qui est prioritaire : la compréhension de l’anthroposophie ou bien le rayonnement de la pédagogie Steiner ?
M : On ne peut pas séparer la pratique de la théorie. Pour moi, ça n’aurait plus de sens.
7. Pourquoi pensez-vous que la pédagogie Steiner reste encore assez marginalisée ? Que faudrait-il mettre en place pour qu’elle puisse s’étendre ?
M : Je crois que c’est une question d’ouverture d’esprit… Il y a beaucoup de gens qui sont quand-même fermés, que ce soit à Steiner ou à d’autres pédagogies… ça fait peur ou quoi… Maintenant, ce qu’il faudrait faire… je ne sais pas… c’est compliqué.
É : Est-ce que vous, par exemple, vous essayez d’en parler ? Vous pensez que c’est aux professeurs, aux parents, de faire quelque chose ?
M : Non, je crois que c’est délicat car si on est trop à en parler et tout… justement, les gens se braquent, se ferment. Donc moi, je n’en parle pas trop… car je vois bien comment les gens réagissent. C’est peut-être là qu’est le problème. Il y a eu beaucoup d’articles et de choses écrites sur Steiner… Je sais qu’au début, j’ai des amis qui m’ont
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dit : « Quoi, tu ne te rends pas compte, c’est une secte ! ». Moi, j’étais choquée ! Quelle secte ? Incroyable jusqu’où les gens vont par rapport à ce qui est différent. En plus, chez Steiner, il y a la spiritualité, et du coup, ça fait encore plus peur…
É : Pourquoi ? Les gens sont-ils moins ouverts qu’avant à la spiritualité selon vous ?
M : Je n’en sais rien. C’est vrai qu’avec l’histoire de la religion, la religion a été beaucoup imposée aux humains. Je crois qu’il doit y avoir un problème à ce niveau là : la religion, c’est croire, et croire, tu ne peux pas imposer aux gens, en fait… Et donc à mon avis, il doit y avoir l’effet contraire de ces millions d’années, les gens se sont coupés aussi fort à cause de ça.
É : Et vous, à travers l’école, vous ne sentez pas qu’on cherche à vous imposer quelque chose ? Vous ne vous sentez pas cadrée ?
M : Non, justement, moi je trouve que c’est quand-même encore libre… Maintenant, il faut être conscient qu’on apprend à l’enfant beaucoup de choses liées à ça…
É : A quoi ?
M : Il y a des choses chrétiennes quand-même, il parle beaucoup de Dieu. Et dans les fêtes aussi… Mais, moi j’adhère, donc ça ne pose pas de problème, car il y a comme un socle commun avec mon bagage religieux.
É : Et pensez-vous que ça pourrait poser plus de problèmes par exemple avec des musulmans qui arriveraient là ?
M : Oui, oui clairement. Mais je pense qu’il y a moyen d’adapter… Moi, je connais une école qui s’est ouverte au Brésil, et ils ont adapté vraiment tout à la brésilienne quoi ! C’est chouette, c’est génial !
8. Souhaitez-vous préciser ou revenir sur quelque chose qui vous a marqué dans le questionnaire ? Y a-t-il des éléments qui n’y figuraient pas mais qui vous viennent à l’esprit en parlant de spiritualité ?
M : Non, je ne vois rien, vraiment…
9. Pensez-vous qu’on peut retrouver certaines caractéristiques chez les personnes qui s’intéressent aux écoles Steiner, comme l’importance du lien à la nature, un esprit critique quant à la société de consommation occidentale, un attrait pour l’art ? Ces caractéristiques sont-elles, pour vous, en lien avec la spiritualité ?
M : Oui, clairement.
É : Voyez-vous d’autres caractéristiques ?
M : Oui, j’ai deux exemples. Au Brésil : il y avait une école établie au sein d’une communauté vraiment basée sur le rapport à l’art et à la nature. Et puis, il y a aussi une école qui s’est ouverte en plein centre ville, pour accueillir tous les enfants défavorisés d’un quartier, et là c’était moins branché écologie, mais plus le côté aide sociale.
É : Vous avez alors peut-être un autre regard car souvent on pense que les écoles Steiner sont des écoles pour des gens avec un niveau socioculturel ou socioéconomique assez élevé…
M : Rien à voir. Non, pour moi, pas du tout.
É : Et ce n’est pas le cas pour l’école en Belgique ?
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M : Si c’est vrai qu’ici, c’est quand-même un certain milieu, des gens qui ont de l’argent quoi… d’après ce que je vois. Mais maintenant, pas tous non plus, il y a plein de gens d’horizons différents. Par exemple, moi je suis fauchée, je ne sais pas payer le minerval qu’ils demandent, je donne ce que je peux et ça s’est respecté aussi. Cela ne doit pas être un frein. Beaucoup de gens pensent que c’est pour un haut niveau économique, qu’il faut être riche, mais ça, ce n’est pas vrai, quoi. Ils ont mis en place ce système, les gens qui ont de l’argent, ils donnent et ceux qui n’en ont pas, ils donnent ce qu’ils peuvent donner…
É : Donc pour vous, il y a à la fois le côté écologique, artistique, et le volet aide sociale. Sont-ils liés à la spiritualité ?
M : Oui, clairement, puisque pour moi la spiritualité ça regroupe tout justement, c’est la nature, l’univers, nous. C’est un tout et donc… oui clairement !
10. Selon plusieurs recherches, le taux d’implication religieuse est plus élevé chez les femmes que chez les hommes. Pensez-vous que le rapport à la spiritualité est davantage marqué chez les femmes que chez les hommes ? Si vous êtes en couple, le choix de l’école a-t-il été poussé par Madame ou par Monsieur ?
M : C’est moi qui ai poussé l’inscription de mon fils dans cette école, mais ce n’est pas en lien avec mon implication religieuse, mais plutôt avec mon vécu. Le fait que j’ai été éduquée dans d’autres pédagogies déjà, Freinet par exemple, et d’avoir été dans une école traditionnelle qui ne m’a pas du tout convenu car je suis beaucoup trop dans l’air, dans l’artistique… Donc, pour répondre à la question du lien entre féminité et spiritualité, je ne sais pas, je pense que oui… mais je ne sais pas…
É : Pourquoi pensez-vous oui ?
M : Parce que c’est vrai qu’on observe souvent des mamans sur le parking qui discutent de tout ça, mais je ne sais pas si c’est pour ça qu’on peut dire qu’elles sont plus spirituelles… Non, je ne ferais évidemment pas un tel lien… Donc, je dirais vraiment que je ne sais pas…
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Entretien n°2 11/02/10, père d’un enfant, profil 1/1, 30 ans, 3 ans de présence au sein de l’école
1. La plupart des personnes interrogées distinguent religion et spiritualité. L’indice de religiosité semble plus faible que celui de spiritualité. Comment vous situez-vous par rapport à la religion ?
Pè : Disons que pour moi la religion, c’est quelque chose que les êtres humains ont inventé il y a bien longtemps déjà pour répondre à de grandes questions qu’ils se posaient. Mais actuellement, je crois que c’est devenu un moyen de pression sur les mentalités, pour voir comment les gens peuvent s’accaparer le pouvoir auprès des populations. C’est comme la politique. Pour moi, la religion n’a plus de fondement lié avec Dieu. Même si tout le monde parle de Dieu dans les religions, je ne vois pas où est le lien entre ce qu’ils disent et ce qu’ils font. J’ai connu pas mal de gens se disant très religieux et faisant beaucoup de choses pas très sensées. Je me suis toujours posé la question : pourquoi se vantent-ils d’être croyants, d’avoir une religion bien particulière, la bonne puisque, évidemment les autres ne sont pas les bonnes ? Pour moi, musulmans, juifs, catholiques, ils ont tous autant raison les uns que les autres mais j’ai rarement rencontré des gens religieux ne cherchant pas à me convaincre de leur religion, et on connaît tous les stupidités auxquelles ça peut mener, je pense aux guerres de religions, par exemple. Je suis athée et le monde essaie de me convaincre. Je préfère prendre les trucs bons partout dans différentes religions plutôt qu’un dogme bien particulier qui ferme l’esprit des gens. C’est très précis, c’est écrit dans un livre, c’est comme ça et pas autrement ! Mais je peux reconnaître plein de grandes choses présentes au sein des religions, mais justement, pourquoi vouloir les catégoriser au sein d’une seule religion ? Pour moi, il faudrait écrire un grand livre avec toutes les religions et tout ce qui est bon dans chacune d'elle. Ma conception de la religion, c’est que chacun a la capacité de trouver lui-même ce qui lui convient.
É : Et au sein de l’école, est-ce que la religion vous semble présente ?
Pè : Oui, quand-même, les professeurs ne sont pas des gens areligieux ! Pour moi, c’est une école catholique. Il y a toute une organisation de l’école liée aux fêtes chrétiennes. Tout est lié à des Saints, à des dates, des événements. On sent un socle, un fond religieux qui mène et organise tout ça… Et je vois qu’ils essaient de faire le bien…
2. L’indice de spiritualité semble assez élevé tant chez les parents que les professeurs, qu’est-ce que la spiritualité évoque pour vous ? En quoi serait-elle importante, ou non dans l’éducation de votre enfant
Pè : Pour moi la spiritualité, c’est plus ce que les gens ont de personnel en eux dans leur esprit, comment ils voient les choses, c’est quelque chose qui dépasse le matériel. Il n’y a pas de lien à une religion particulière, c’est plus une structure de l’esprit pour essayer de vivre bien les choses. Je pense que c’est important pour les enfants car ça les guide, ça leur amène un esprit pour savoir où ils peuvent aller. Moi je ne développe pas ça avec mon fils et j’espère que les gens de l’école Steiner peuvent lui apporter ce côté plus spirituel, que moi je n’ai pas, pour qu’il puisse développer une autre manière de comprendre ce qu’il est possible de faire dans la vie et ce qu’il ne peut pas faire… et comment lui peut voir les choses dans le monde où il va évoluer.
É : Pourquoi ne pensez-vous pas pouvoir le lui apporter ?
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Pè : Je suis trop scientifique, rationnel pour tout ça !
É : Cela s’oppose un peu alors pour vous le rationnel et le spirituel ?
Pè : Non en fait, parce c’est vrai que dans la science, notamment en astronomie et en physique, on arrive à un stade où on ne sait pas, à des choses alors plus spirituelles. On ne fait que réfléchir à des choses pour lesquelles on n’aura jamais de réponses, on ne fait que des suppositions. Ce qui est chouette, c’est la recherche de quelque chose de mieux, de réponses même si on n’accède jamais à la vérité. Pour moi, on peut tout à fait concevoir la science et le spirituel. C’est d’ailleurs pour ça que j’ai mis mon enfant dans l’école. Je pense qu’il développera tout autant son esprit scientifique que son esprit plus spirituel au sein de cette école, sinon je ne l’aurais pas mis là.
É : Donc, vous espérez que ça apporte quelque chose à votre enfant, mais vous ne cherchez pas à développer ce côté plus spirituel chez vous ?
Pè : Je pense en fait que c’est trop personnel. Je ne pourrais pas me permettre de convaincre mon enfant de ce en quoi je crois. Je pense que c’est une recherche que les gens doivent faire par eux-mêmes. C’est ce que je crois, je n’oblige personne à le croire. C’est pour ça que j’espère qu’à l’école, il va recevoir des formations différentes pour qu’il ouvre son esprit là-dessus. Le développement spirituel de chacun n’est pas comparable aux autres.
3. Jusqu’où votre conception de la spiritualité s’appuie-t-elle sur l’anthroposophie ? Pourquoi ?
Pè : Je n’ai jamais pris vraiment le temps de me renseigner et de lire des choses sur l’anthroposophie. Je n’y connais quasiment rien. Pour moi, c’est la technique que les professeurs emploient pour développer leur pédagogie. Il y a beaucoup de parents qui s’y intéressent.
4. Pensez-vous que les parents connaissent suffisamment l’anthroposophie ?
Pè : On nous a donné des renseignements et des références, mais moi par exemple, je passe complètement à côté car je ne crois pas que c’est important pour moi de connaître tout ça, et je ne crois pas non plus que pour mon fils, c’est important de connaître tout ça. Si j’avais perçu une quelconque secte, ça fait longtemps que mon fils n’y serait plus. Je connais suffisamment de monde pour qui ça se passe bien, depuis longtemps déjà. Quand je vois l’école, ça change tout le temps. Ce sont les parents qui gèrent aussi l’école, ça me paraît impossible que ce soit de l’endoctrinement car rien n’est figé : les directeurs changent, les postes changent, de nouveaux parents arrivent… Le mouvement amène une certaine ouverture, ce n’est pas figé.
5. Pensez-vous que les relations entre parents et professeurs sont satisfaisantes, même si les parents semblent moins impliqués dans l’anthroposophie que les professeurs ?
Pè : Pour moi ça se passe très bien. Au début, on se posait des questions par rapport au professeur de notre enfant, à sa façon très religieuse, spirituelle d’expliquer les choses, de percevoir les choses au sein de la classe. C’est juste parce qu’on n’a pas l’habitude de rencontrer des gens comme ça, en fait. Mais nous nous sommes très vite rendu compte que c’est une personne très ouverte. Et ça ne pose aucun problème qu’on ne connaisse pas l’anthroposophie. Je n’ai pas envie d’aller fouiller pour savoir ce qui est bien ou pas. Beaucoup de gens ont dit que c’était une secte, mais ils sont juste allés trouver deux ou trois mots sur internet et voilà, ils se sont fait leur idée là-dessus. Moi, je vois que ça se passe bien à l’école, c’est le principal. Pour moi, c’est une des meilleures écoles que j’ai jamais vues… Si j’avais pu être là quand j’étais gamin…
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6. J’ai lu que les pratiques pédagogiques des écoles Steiner sont fructueuses mais reposent sur une théorie douteuse. Pour vous, l’anthroposophie est-elle le noyau dur, irréductible, de la pédagogie Steiner ? Ou pensez-vous qu’il serait judicieux d’abandonner certains principes plus mystiques, ésotériques de l’anthroposophie, moins facilement concevables au profit du rayonnement de la pédagogie ? En gros, pour vous, qu’est-ce qui est prioritaire : la compréhension de l’anthroposophie ou bien le rayonnement de la pédagogie Steiner ?
Pè : Je crois que la pédagogie doit être beaucoup plus diffusée car beaucoup de gens ne savent même pas que ça existe. Maintenant, les gens qui ont créé cette pédagogie, sur base des principes plus ésotériques, je n’ai pas envie de rejeter ça en bloc, je ne vois pas la raison… Mais c’est clair que ce n’est pas moi qui irai approfondir ça. C’est vrai que ça ne doit pas être facile à expliquer aux gens. Je vois bien avec moi, j’ai du mal à accrocher à ce qu’ils racontent, je ne comprends pas tout. C’est très beau ce qu’ils disent, ce sont de très belles histoires, c’est surtout comme ça que je le vois en fait… Enfin bon, pour moi, en tant que parent, ce qui est prioritaire, c’est d’office la pédagogie car c’est ça que je cherche. Mais c’est vrai que si elle est basée sur des principes, on ne peut pas l’en séparer sinon la pédagogie va perdre son sens, il va lui manquer quelque chose …
7. Pourquoi pensez-vous que la pédagogie Steiner reste encore assez marginalisée ? Que faudrait-il mettre en place pour qu’elle puisse s’étendre ?
Pè : Je ne comprends pas pourquoi il n’y a qu’une école en Wallonie. Je crois que c’est un manque de communication et un manque de confiance de la part du gouvernement envers cette pédagogie, plutôt nouvelle, assez récente. Ce n’est pas le système classique reconnu depuis longtemps. Je crois qu’il y a beaucoup de gens qui ont peur. Je vois, même moi, quand j’ai dit à mes parents que j’allais inscrire mon enfant là, ils m’ont dit : « attention, où mets-tu ton enfant ? ». Alors que moi, j’ai visité l’école, j’ai rencontré les professeurs, j’ai compris que ce n’était pas des gens dans une secte, tous habillés en blanc. C’est des préjugés que les gens ont. Je crois que c’est important de diffuser cette pédagogie, qu’elle soit reconnue au niveau politique, libérée de toute cette trace idéologique, mal perçue. Qu’est-ce qui freine tout ça au niveau politique, alors que c’est très ouvert et que ça semble bien marcher ? Maintenant, j’ai aussi entendu des gens qui disaient que ceux qui sortaient de ces écoles avaient du mal à s’intégrer, étaient plus dans la lune ou quelque chose comme ça… Mais moi, je crois que justement, dans le système classique, trop de gens terminent les humanités sans savoir ce qu’ils veulent faire. Si pendant six ans, ils avaient eu une école qui les préparait à développer une connaissance d’eux-mêmes, de ce qu’ils voulaient vraiment faire, le problème ne se poserait pas.
8. Souhaitez-vous préciser ou revenir sur quelque chose qui vous a marqué dans le questionnaire ? Y a-t-il des éléments qui n’y figuraient pas mais qui vous viennent à l’esprit en parlant de spiritualité ?
Pè : Non, je ne vois rien, rien de marquant…
9. Pensez-vous qu’on peut retrouver certaines caractéristiques chez les personnes qui s’intéressent aux écoles Steiner, comme l’importance du lien à la nature, un esprit critique quant à la société de consommation occidentale, un attrait pour l’art ? Ces caractéristiques sont-elles, pour vous, en lien avec la spiritualité ?
Pè : Je pense, mais l’école me donne surtout l’impression d’être fréquentée par une classe sociale assez élevée, un niveau économique assez élevé. Je ne dis pas que c’est le
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cas de tous. Mais j’espère que ces gens sont ouverts à l’art, je pense que c’est le cas. D’ailleurs j’apprécie beaucoup le fait qu’ils prennent des jouets en bois, c’est plus écologique, il faut une certaine capacité artistique… Je crois que beaucoup de gens sont engagés au niveau spirituel. Dès qu’on est dans l’artistique, c’est peut-être déjà de la spiritualité, en tout cas, une recherche d’expression de soi…
10. Selon plusieurs recherches, le taux d’implication religieuse est plus élevé chez les femmes que chez les hommes. Pensez-vous que le rapport à la spiritualité est davantage marqué chez les femmes que chez les hommes ? Si vous êtes en couple, le choix de l’école a-t-il été poussé par Madame ou par Monsieur ?
Pè : J’ai ressenti que les femmes que j’ai rencontrées là-bas sont plus spirituelles, elles font beaucoup de méditation, de yoga… Maintenant, sûrement que des papas le font aussi et c’est peut-être une question de moyen d’expression aussi, peut-être que les femmes ont plus facile à exprimer ce côté spirituel que les hommes. Moi, c’est la maman de mon fils qui connaissait l’école, mais pas son volet spirituel, plutôt sa dimension pédagogique. D’ailleurs, quand on a visité pour la première fois l’école, ils nous ont parlé de tout ça aussi, mais je n’ai pas du tout accroché. Je n’y ai pas fait attention, j’étais beaucoup plus attiré par le côté pédagogique : des feuilles de calculs comme je n’avais jamais vues dans ma vie, des jouets en bois, un rapport marqué à l’environnement… oui, c’est tout ça qui m’a vraiment séduit !
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Entretien n°3 8/02/10, mère de deux enfants, profil 1/3, 48 ans, 16 ans de présence au sein de l’école
1. La plupart des personnes interrogées distinguent religion et spiritualité. L’indice de religiosité semble plus faible que celui de spiritualité. Comment vous situez-vous par rapport à la religion ?
M : Disons que pour moi la religion est plus fermée que la spiritualité. Elle passe au-travers d'un dogme et donc pour moi elle est base de séparativité. Mais tout le monde ne le vit pas comme ça! Un chrétien catholique peut être très tolérant par rapport aux autres. Mais il y a quelque chose dans la conception d'un Dieu unique, c'est toujours celui-là et pas un autre etc., qui est un peu enfermant et donc je trouve que la spiritualité, elle est plus large et elle parle beaucoup du divin en nous et pas tellement du divin dans la hiérarchie et, en ce sens-là, je trouve qu'elle est très responsabilisante, parce que ce n'est pas Dieu qui va faire les choses, c'est moi ! Elle est moins paternalisante. C'est plus engageant, ce n'est pas canalisé, ce n'est pas codifié, donc du coup on va pêcher un peu à gauche, à droite : on médite, on fait du yoga, un pèlerinage, une retraite, on travaille l'écologie sensible, etc. Cela demande de faire une popote intérieure qui est parfois chaotique, mais je comprends que la tendance actuelle soit à la spiritualité plutôt qu'à la religion, parce que la religion a trop été source de racisme, d'ostracisme et de guerres. Je pense qu'on peut dire aujourd'hui qu'on peut ouvrir les yeux et se dire que tiens, la plus grande secte au monde, c'est bien l'église catholique. Oui! Si on regarde les critères de sectes, à l'heure actuelle, il faudrait regarder un peu l'Eglise. Je comprends que les gens soient là-dedans.
2. L’indice de spiritualité semble assez élevé tant chez les parents que les professeurs, qu’est-ce que la spiritualité évoque pour vous ? En quoi serait-elle importante, ou non dans l’éducation de votre enfant ?
M : Donc, la spiritualité, elle est importante, parce que je pressens, je n'ai pas de preuves. Je pressens qu'il y a une espèce de sagesse universelle énorme de laquelle on vient, si vous voulez, mais qui nous appartient à tous, qui est plus que mon petit moi au quotidien et qui, quand j'y pense m'amène à la paix. J'ai l'impression qu'on ne peut pas aller vers la paix entre tout le monde, entre les espèces, etc...si on ne rejoint pas ce point-là, ce point qui nous transcende, quelque chose qui est plus grand que nos égoïsmes, que nos avarices, nos besoins, nos émotions. Donc, il y a quelque chose au-delà de nous qui est capable d'être dans la paix et qui nous transcende et nous transforme tous et donc, voilà pourquoi c'est important pour moi. Ben, voilà, est-ce réel ou pas? Est-ce une vision? Je n'ai pas de réponse.
É : Et donc, vous trouvez que l'école répond à cette attente que vous avez quant au fait que la spiritualité soit éveillée chez vos enfants?
M : Oui! En même temps, je n'ai pas de leurre non plus, en ce sens que ça passe par un professeur. Si le professeur est très habité, ça rayonne sur lui! S'il n'est pas habité, il n'est pas habité, il n'y peut rien. Bien sûr, il y a des professeurs qui sont très habités dans l'école, mais tu en as qui le sont moins, d’autres très austères et donc, ce n'est pas très simple pour les enfants. En même temps, je me dis que c'est sans doute le destin de tel enfant d'être avec tel professeur et puis, voilà. Sinon, je trouve que la pédagogie donne la place à cette chose-là. Après... comment ça passe, cela dépend des adultes, c'est
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comme ça, mais la pédagogie en elle-même, pour avoir vécu dans les classes pendant un an, je trouve ça beau ce qu'elle permet !
3. Jusqu’où votre conception de la spiritualité s’appuie-t-elle sur l’anthroposophie ? Pourquoi ?
M : Elle ne s'appuie pas sur l'anthroposophie. L'anthroposophie est venue nourrir une quête de sens que j'avais et c'est vrai que, dans un premier temps, quand je suis arrivée dans cette école, je pense que j'avais vraiment un gros doute sur cette question-là et donc, dans un premier temps, je me suis engouffrée là-dedans et j'ai beaucoup étudié. Je me suis passionnée et je n'arrêtais pas de dire : « Steiner a dit que... », parce que ça me rassurait, vous voyez, et puis, après avoir été bien nourrie, j'ai pris du recul... Et il n'y a plus de « Steiner a dit que... ». Il y a une nourriture qui est passée à travers moi et qui est venue nourrir tout le reste que j'avais reçu dans le monde. Je ne m'appuie pas sur l'anthroposophie. Elle m'a nourrie, elle m'a aéré les méninges, elle m'a permis d'ouvrir ma vision et de redonner beaucoup de place à ça.
É : A la dimension spirituelle ?
M : A la dimension intérieure, la dimension spirituelle. C'est sûr que je cherche toujours à avoir un petit autel dans la maison. J'y mets ce que je veux. Je vais mettre Mère Theresa avec Bouddha et je vais y mettre des fruits de la saison, des coquillages, des graines, enfin des choses qui me rappellent le vivant dans sa transcendance. Avant d'être passée par l'école, je n'aurais jamais fait cela. Par exemple, je ne fais pas une table des saisons, comme on le fait à l'école, mais cela m'a donné cette inspiration... et surtout ça m'a donné de la créativité pour ces choses-là, pour ponctuer le quotidien de choses comme ça. Quand les enfants étaient petits, j'aimais faire des paroles avant les repas. Maintenant qu'ils ont grandi, je n'ose pas. Je les fais à l'intérieur. Peut-être qu'ils le font à l'intérieur aussi. Je n'en sais rien. Mais en tout cas, cela m'a permis, à moi, d'oser beaucoup de choses avec mes enfants... Quand j'allais dans les bois, penser aux elfes, aux êtres magiques de la nature, m'émerveiller... cela a augmenté mon émerveillement pour la nature, pour le monde!
É : Et aujourd'hui, est-ce que c'est encore très présent dans votre vie?
M : Maintenant, mes enfants ont quasi tous quitté l’école. Et c'est sûr que mon point de vue a complètement changé sur la pédagogie car j'ai vu la pauvreté d'une scolarité normale : plus de contact avec la nature, plus de place au silence... Mais on n’y peut rien! Dans la région, il n'y a pas autre chose. Et puis, voilà, ils feront leur chemin avec ça, mais c'est une tristesse, oui, de voir de quoi est faite la scolarité des enfants! C'est tellement sec! Et je pense qu'avant je n'aurais pas été capable de voir que c'était sec! C'était comme ça! C'est ce que je me disais aussi, et puis voilà, quoi! Mais quand on a eu la chance de goûter à autre chose, on sent la différence! C'est vraiment de la sécheresse, quoi!
4. Pensez-vous que les parents connaissent suffisamment l’anthroposophie ?
M : Non, je pense qu'il y en a beaucoup qui ne connaissent pas, même pas du tout! Je pense que beaucoup de parents sont attirés parce qu’il y a le côté nature. C'est une ferme, en bordure des bois. Tous les matériaux sont nobles. Les enfants sont entourés de choses qui sont belles et harmonieuses. Je crois qu'ils sont touchés dans le sensible, beaucoup de gens sont touchés dans le sensible : les formes, l'harmonie, par la nature qui est là. C'est une porte d'entrée. Quand j'ai mis mes enfants là, ce n'était pas parce que je m'intéressais à l'anthroposophie. J'avais été à une journée « portes ouvertes » et j'avais entendu un gars qui parlait des mathématiques et j'avais été épatée de voir
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comment il travaillait sur les tables de multiplication. Mais ça n'a pas empêché, ma fille, maintenant en sixième primaire, de ne pas connaître ses tables de multiplication! Donc, j'en suis un peu revenue de la magie des choses! Il y a des pédagogues, et puis, il y a une pédagogie! Il y a des choses qui sont comme ça. Donc, moi, je suis rentrée par là, parce que j'ai été touchée dans mon sensible par le lieu et parce que j'avais vu cette conférence et j'avais pensé : « Ils ont des méthodes fantastiques ». Puis, peu à peu je me suis intéressée. Donc, ça peut être une porte d'entrée, d'être touché par le sensible. Mais je pense qu'il y a très peu de parents qui arrivent par l'anthroposophie.
É : La dimension spirituelle, était-ce, quelque chose qui vous attirait au sein de l'école?
M : Non, je ne l'ai découverte qu'après. Au début, ce n'était pas présent.
5. Pensez-vous que les relations entre parents et professeurs sont satisfaisantes, même si les parents semblent moins impliqués dans l’anthroposophie que les professeurs ?
M : Je ne peux jamais parler que de moi ou de gens que je connais, donc... Moi, en tout cas, j'ai eu de bonnes relations avec les professeurs, mais en même temps, je suis impliquée dans l'école, je ne sais pas si j'arriverai à avoir du recul. Cela fait 16 ans que j’y suis ! Je crois que régulièrement, il y a des incompréhensions de la part des parents qui sont dues au fait qu’ils ne se préoccupent pas de l'anthroposophie, et ce serait trop compliqué de prendre 4 ou 5 heures pour expliquer à chacun pourquoi on a décidé de faire ces choses-là. Il y a même des parents qui sont là avec des pédagogies nouvelles et qui ont l'air de dire : « C'est vieux, votre truc, il faudrait vous remettre à l'heure, quoi ». Maintenant, il y a des pédagogies nouvelles! Ils oublient qu'ils ont mis leurs enfants dans une pédagogie Steiner et ils voudraient qu'on utilise une autre pédagogie dans la pédagogie Steiner.
É : Ils trouvent qu'elle ne répond pas aux besoins actuels, peut-être?
M : Oui! Ou bien, eux, ils ont en tout cas leur idée de la pédagogie Steiner... Ils viennent avec leurs propositions, mais qui n'ont plus rien à voir avec la pédagogie Steiner et ils ne sont pas contents de ne pas être pris en compte, vous voyez? Du coup, ils trouvent que les professeurs sont fermés, etc... Mais eux, ils suivent une pédagogie particulière avec un enseignement particulier, vous voyez! C'est vrai que ça, ce n'est pas toujours tout simple!
6. J’ai lu que les pratiques pédagogiques des écoles Steiner sont fructueuses mais reposent sur une théorie douteuse. Pour vous, l’anthroposophie est-elle le noyau dur, irréductible, de la pédagogie Steiner ? Ou pensez-vous qu’il serait judicieux d’abandonner certains principes plus mystiques, ésotériques de l’anthroposophie, moins facilement concevables au profit du rayonnement de la pédagogie ? En gros, pour vous, qu’est-ce qui est prioritaire : la compréhension de l’anthroposophie ou bien le rayonnement de la pédagogie Steiner ?
M : C'est curieux parce que je trouve qu'il y a comme une similitude avec la spiritualité. A l'heure actuelle, on a quitté la religion, on pourrait dire que Steiner, c'est la religion, mais les gens vont manger à droite et à gauche. Ici, on médite comme ceci... On se fait sa popote intérieure, vous voyez! On prend des outils pour avancer et c'est ce qui s'appelle le chemin spirituel que chacun peut suivre. En même temps, beaucoup de gens sont perdus, parce que c'est chaotique, parce que faire son chemin, ce n'est pas simple ! Cela me fait penser au même questionnement : Est-ce qu'il faut sortir de Freinet, Steiner, Montessori, etc... et prendre dans ces pratiques ce qui semble porter de beaux fruits ou bien est-ce qu'il est intéressant de rester dans quelque chose qui a ses racines,
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qui a sa largeur et sa profondeur d'analyse etc...? Je n'ai pas de réponse. Mais, tout à coup, ça me fait penser à la similitude entre les deux.
7. Pourquoi pensez-vous que la pédagogie Steiner reste encore assez marginalisée ? Que faudrait-il mettre en place pour qu’elle puisse s’étendre ?
M : Je pense qu'elle est marginalisée parce qu'elle n'est pas légère. Vous voyez, la pédagogie Freinet ou Montessori, elle est légère. Mais l'anthroposophie cherche à donner une raison d'être à chacune des choses qui sont proposées. C'est très sérieux ! On fait les choses avec sérieux, profondeur, analyse et fondements et pas parce que ça marche! C'est inscrit dans le développement de l'humanité. Et je pense que beaucoup de gens, à l'époque actuelle, l'époque de la consommation... ils zappent! On cherche le plaisir! Si ça ne va pas, on prend autre chose. On aime que les choses soient légères! Il faut que l'enfant fasse tout par plaisir. L'effort et la volonté ne sont plus mis en avant. Vous voyez, cette pédagogie peut énerver, parce qu'elle est sérieuse, en fait! Je pense que c'est un peu pour ça qu'elle n'a pas tellement de succès! C'est très, très rigoureux!
É : Alors, justement, il faut qu'elle puisse s'étendre! Est-ce qu'on ne pourrait pas enlever ce fondement, cette rigueur, cette recherche? Est-ce que c'est important?
M : Ce serait intéressant d'aller voir dans les pays scandinaves et en Allemagne. Je vois qu'en Allemagne il y a déjà 5 voies, 5 écoles différentes de la pédagogie Steiner. Et En Suède, en Finlande, au Danemark, c'est pareil : vous avez le Steiner New Age, le Steiner conservatif, le Steiner libéral... Vous avez toutes sortes de Steiner qui sont nés, en fait! Par exemple à Fribourg, il y avait les jardins d'enfant dans la forêt. Les enfants n'ont pas de locaux, ils vivent dans la forêt. Ils vont tous les jours dans la forêt avec un groupe qui s'occupent d'eux, etc... Alors quand moi je parle de ça ici, on me dit : « Oh... alors qu'ils ont besoin d'être cocoonés, tout ça n'est pas suffisamment fondé pour des petits ». Alors que moi, je trouve ça génial! J’ai cette espèce de romantisme : « qu'est-ce qu'on voudrait idéalement»? Mais je sais que dans les pays limitrophes, en Hollande, en Allemagne et dans les pays nordiques, c'est très, très répandu.
É : Donc, en fait, peut-être faut-il travailler au niveau de la diversification au sein de la pédagogie Steiner pour voir comment elle peut rayonner de plus en plus?
M : Oui! Par exemple, il y a aussi des écoles où il n'y a pas de bancs, pas de chaises! Je sais qu'en Suède, il y a une école qui se passe dans une forge et donc, c'est presque proche de Montessori. Ils sont très près de l'approche par la vie, tout le temps et c'est vrai que ce sont des pays qui sont très populaires! En Allemagne, tout le monde sait ce que c'est qu'une école Steiner!
É : Et, vous, vous trouvez que c'est important qu'elle puisse rayonner?
M : Oui, évidemment !
8. Souhaitez-vous préciser ou revenir sur quelque chose qui vous a marqué dans le questionnaire ? Y a-t-il des éléments qui n’y figuraient pas mais qui vous viennent à l’esprit en parlant de spiritualité ?
M : Il y a quelque chose que j'aurais voulu partager, parce que, au début, j'étais très contente d'avoir mis mes enfants, là, mais ça me foutait le stress, parce que j'avais l'impression que je ne faisais rien correctement, que je devais tout réapprendre et que eux avaient raison, et quand j'ai appris que le prof. allait venir à la maison, c'était le stress, il allait voir que je ne faisais pas bien telle ou telle chose. Il y a quelque chose, là, qui n'est pas normal et c'est arrivé à beaucoup de gens. Il y a quand même un message qui passe selon lequel c'est eux qui ont raison. Cela envahit jusque dans « ton chez toi! »
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Cela ne se limite pas à l'école et j'ai déjà discuté avec plusieurs parents qui ont vécu ça et avec le temps, on prend confiance, on prend un peu de distance avec tout ça, mais ça a duré quand même quelques années d'avoir ce stress et quelque part, ça a joué sur la confiance en moi et en la capacité de savoir élever mes enfants aussi... Au début, ça m'a flanqué pas mal de stress! Cela ne m'a pas donné l'envie de changer mes enfants d'école, pour autant, mais quelque part, je les mettais au-dessus de moi : ils savent mieux que moi comment on élève un enfant!
É : Et comment est-ce passé, alors?
M : C'est passé avec le temps, parce que j'ai pris confiance en moi. J'ai changé certaines pratiques, parce que je trouvais que c'était bien, mais c'est parti avec le temps, avec l'amitié créée avec certains professeurs...
É : Mais vous croyez que c'est encore présent, aujourd'hui?
M : Je ne sais pas, je pense que ça arrive dans les premières années où on va à l'école. Il y a très peu d'élèves qui arrivent en sixième primaire, donc ça arrive en première maternelle, quand votre enfant arrive là. Maintenant, c'est chacun comme il le reçoit, mais je pense que ça a été reçu comme ça par beaucoup de parents! Ils ont parfois tendance à avoir réponse à tout à l’école !
9. Pensez-vous qu’on peut retrouver certaines caractéristiques chez les personnes qui s’intéressent aux écoles Steiner, comme l’importance du lien à la nature, un esprit critique quant à la société de consommation occidentale, un attrait pour l’art ? Ces caractéristiques sont-elles, pour vous, en lien avec la spiritualité ?
M : Je pense que le caractère principal qui relie tous les parents, c’est plutôt une peur de cette société. A l’école, les gens ont l’air de savoir ce qui est bon, il y a des choses bien claires. Je ne suis pas certaine que la raison principale soit positive. Il s’agit de trouver des pistes pour protéger les enfants. Mais je pense qu’en effet, beaucoup de gens sont sensibles à d’autres manières de se nourrir et de se soigner. En fait, c’est un public très mixte.
É : Et de quels aspects de notre société les gens auraient-ils peur ?
M : La perte de spiritualité, l’hyperconsommation, la pub, la pollution, un peu tout ! Mais en même temps, on vient tous en voiture, ce n’est pas desservi par les trains. Mais c’est certain qu’il y a un public alternatif qu’on ne retrouve dans aucune autre école, ça c’est très clair !
É : Vous avez parlé de perte de spiritualité…
M : Dans spiritualité, je mets la quête du sens. La transcendance, elle amène un sens à la vie. La société dans laquelle on est, elle est en perte de sens ! Tout est désacralisé, on utilise des femmes nues pour vendre des voitures ! La perte de sens est très présente, mais ce n’est pas pour autant que les gens font une recherche spirituelle. Mais ils sentent la dimension insécurisante de cette perte. C’est pour ça que je dis que ce n’est pas nécessairement la spiritualité qui les rejoint, mais c’est certainement la peur de la perte de sens. A l’école, les gens ont l’air d’être enracinés, de tout intégrer. L’anthroposophie intègre tout : l’économique, le social, l’agriculture. Elle a tout regardé, c’est très rassurant, c’est spectaculaire !
É : Mais même si elle couvre tous les domaines, ce n’est pas un dogme ?
M : C’est comme la religion chrétienne. Jésus n’était pas dogmatique. Mais les gens, parce qu’ils sont insécurisés, en font un dogme. Mais donc, ça peut devenir un dogme,
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car il y a des réponses pour tout. Mais ça dépend des individus qui se l’approprient, pas du système de pensée !
10. Selon plusieurs recherches, le taux d’implication religieuse est plus élevé chez les femmes que chez les hommes. Pensez-vous que le rapport à la spiritualité est davantage marqué chez les femmes que chez les hommes ?
M : Ce sont souvent les mères qui argumentent pour mettre leurs enfants dans l'école. Les pères acceptent pour les maternelles. Je pense qu’en effet, les femmes sont plus touchées par la quête de sens que les hommes, peut-être grâce à la porte du sensible. Elles portent la vie depuis le début de l’humanité. Elles sont plus sensibles que les hommes aux jeunes plantes, animaux, bébés. De manière générale, les femmes sont plus sensibles que les hommes. C’est presque un fait corporel. Mais il y a beaucoup d’hommes qui sont en train de découvrir une grande partie de féminité en eux. Et je pense aussi que les femmes ont une grande capacité de ressentir l’interconnexion de toute chose. C’est elles qui créent les réseaux dans les familles. Elles sont d’autant plus affectées par la séparativité, par le fait qu’on casse, qu’on sépare. Mais c’est juste une porte d’entrée différente. L’ascétisme, c’est plus accessible aux hommes. C’est une discipline de vie. Je connais beaucoup plus d’hommes qui méditent que de femmes. Mais le fait de tout relier, ça, c’est plus les femmes.
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Entretien n°4 28/02/10, père de deux enfants, profil 1/3, 57 ans, 10 ans de présence au sein de l’école
1. La plupart des personnes interrogées distinguent religion et spiritualité. L’indice de religiosité semble plus faible que celui de spiritualité. Comment vous situez-vous par rapport à la religion ?
Pè : Chacun a sa religion, moi c’est la religion catholique. Mais je me sentais croyant avant de me dire catholique, la question de la religion est venue après.
É : Est-ce suite à votre religion que vous avez mis vos enfants à l’école ?
Pè : Non, pas du tout! Il n’y a aucun lien avec l’école Steiner.
2. L’indice de spiritualité semble assez élevé tant chez les parents que les professeurs, qu’est-ce que la spiritualité évoque pour vous ? En quoi serait-elle importante, ou non dans l’éducation de votre enfant
Pè : C’était l’idée qu’il y a quelque chose qui nous dépasse. Au début, je concevais un Dieu créateur, puis j’ai réalisé que c’est plus large que ça, ce n’est pas séparé de la terre.
3. Jusqu’où votre conception de la spiritualité s’appuie-t-elle sur l’anthroposophie ? Pourquoi ?
Pè : L’anthroposophie m’a renvoyé à la religion, à l’importance de la chrétienté car elle parle de l’évolution spirituelle. Mais j’ai choisi de mettre mes enfants à l’école surtout parce que j’ai réalisé que le jardin d’enfants Steiner correspond mieux aux besoins des enfants, ce n’était pas par adhésion à l’anthroposophie.
4. Pensez-vous que les parents connaissent suffisamment l’anthroposophie ?
Pè : Il me semble que non…
5. Pensez-vous que les relations entre parents et professeurs sont satisfaisantes, même si les parents semblent moins impliqués dans l’anthroposophie que les professeurs ?
Pè : Je connais le cas inverse : certains parents qui ont beaucoup critiqué le professeur de leurs enfants, car ils jugeaient justement que ce dernier ne connaissait pas assez l’anthroposophie.
6. J’ai lu que les pratiques pédagogiques des écoles Steiner sont fructueuses mais reposent sur une théorie douteuse. Pour vous, l’anthroposophie est-elle le noyau dur, irréductible, de la pédagogie Steiner ? Ou pensez-vous qu’il serait judicieux d’abandonner certains principes plus mystiques, ésotériques de l’anthroposophie, moins facilement concevables au profit du rayonnement de la pédagogie ? En gros, pour vous, qu’est-ce qui est prioritaire : la compréhension de l’anthroposophie ou bien le rayonnement de la pédagogie Steiner ?
Pè : Mais moi j’ai été touché par la qualité de ce qui est exprimé, ça repose sur les sens, ce qu’on perçoit, pas vraiment sur ce qu’on comprend intellectuellement. C’est une confiance…
É : Une confiance en quoi ?
Pè : C’est une confiance de base, disons en ce que l’enfant doit recevoir au moment où il est. Je crois qu’il ne faut pas 10 000 théories, il faut voir comment l’enfant le vit, comment il se sent intérieurement. Et puis, tout n’est pas parfait, il y a des problèmes
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parfois même entre les enseignants… Tout n’est pas rose, mais on sent que chacun cherche quelque chose de bon, il faut avoir confiance…
7. Pourquoi pensez-vous que la pédagogie Steiner reste encore assez marginalisée ? Que faudrait-il mettre en place pour qu’elle puisse s’étendre ?
Pè : Il y a clairement une méfiance. Je crois que l’école se nourrit trop d’idées spirituelles, il faudrait plus insister sur ce qui se passe concrètement.
É : Peut-être qu’il faudrait plus insister sur les pratiques que sur les idées ?
Pè : Oui, c’est ça.
8. Souhaitez-vous préciser ou revenir sur quelque chose qui vous a marqué dans le questionnaire ? Y a-t-il des éléments qui n’y figuraient pas mais qui vous viennent à l’esprit en parlant de spiritualité ?
Pè : Non, je ne vois rien, désolé… Je n’ai pas assez cela en mémoire.
9. Pensez-vous qu’on peut retrouver certaines caractéristiques chez les personnes qui s’intéressent aux écoles Steiner, comme l’importance du lien à la nature, un esprit critique quant à la société de consommation occidentale, un attrait pour l’art ? Ces caractéristiques sont-elles, pour vous, en lien avec la spiritualité ?
Pè : Je ne sais pas du tout répondre à cette question… Je ne fréquente pas assez les autres parents, désolé….
10. Selon plusieurs recherches, le taux d’implication religieuse est plus élevé chez les femmes que chez les hommes. Pensez-vous que le rapport à la spiritualité est davantage marqué chez les femmes que chez les hommes ? Si vous êtes en couple, le choix de l’école a-t-il été poussé par Madame ou par Monsieur ?
Pè : Cela a l’air… Il y a souvent plus de femmes qui s’impliquent dans l’école. Mais c’est difficile à dire comme ça.
É : Mais vous en tant qu’homme, ça vous interpelle aussi ?
Pè : L’homme est plus quand-même dans la pensée, la femme plus dans le sentiment… mais bon… question difficile !
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Entretien n°5 3/03/10, mère de trois enfants, profil 3/3, 52 ans, 16 ans de présence au sein de l’école
1. La plupart des personnes interrogées distinguent religion et spiritualité. L’indice de religiosité semble plus faible que celui de spiritualité. Comment vous situez-vous par rapport à la religion ?
M : Une religion, c’est un groupe qui a des normes. Ce n’est pas du tout présent dans l’école !
2. L’indice de spiritualité semble assez élevé tant chez les parents que les professeurs, qu’est-ce que la spiritualité évoque pour vous ? En quoi serait-elle importante, ou non dans l’éducation de votre enfant ?
M : Il y a un autre monde parallèle au monde physique, le monde spirituel d’où on vient et qu’on ne perçoit pas directement avec nos sens, mais dont on doit tenir compte pour éduquer l’enfant. Steiner nous a permis de découvrir comment on peut percevoir ce qui est là. On essaie avec ces notions d’éduquer les enfants. On n’est pas qu’un corps physique, mécanique. Cela change tout si on sait que l’enfant a déjà vécu d’autres vies, a traversé d’autres civilisations, indiennes, égyptiennes. En tant qu’éducateur, il faut l’aider à remplir sa mission. Ce n’est pas du tout un être qui arrive vide et qu’il faut remplir avec toutes nos connaissances, en espérant qu’il devienne ce qu’on veut qu’il devienne, en espérant qu’il fasse de hautes études, pour avoir un travail par exemple.
3. Jusqu’où votre conception de la spiritualité s’appuie-t-elle sur l’anthroposophie ? Pourquoi ?
M : C’est central car j’ai trouvé plein de réponses à des questions que j’avais depuis longtemps. J’ai rencontré l’anthroposophie après avoir eu beaucoup d’expériences, notamment avec les drogues. Quand je lis Steiner, je trouve quelque chose qui me parle, me touche, c’est sensé. Il y a toujours quelque chose qui ouvre les horizons que je n’ai pas dans d’autres philosophies ou spiritualités. Dans le Nouvel Âge, il propose ça aussi, mais je n’y retrouve pas, c’est beaucoup trop dans tous les sens, ce n’est pas vérifiable ! En anthroposophie, on est libre mais il y a un fil conducteur. C’est une philosophie, je pense.
4. Pensez-vous que les parents connaissent suffisamment l’anthroposophie ?
M : Non, je ne pense pas. Même moi, peut-être que j’y connais rien car c’est énorme. Je perçois une partie mais je sais qu’il y a encore plein de choses. Il y a beaucoup de parents qui ne perçoivent rien du tout, mais ils sont libres !
5. Pensez-vous que les relations entre parents et professeurs sont satisfaisantes, même si les parents semblent moins impliqués dans l’anthroposophie que les professeurs ?
M : Les profs sont sensés être dans l’anthroposophie, mais pour moi, le problème, c’est qu’ils ne sont pas assez dedans. Ils ne sont pas dans des formations régulières qui leur permettent de se pétrir de cette manière de pensée qui est tellement particulière. Il y a toutes sortes de relations entre parents et professeurs, que j’ai expérimentées avec mes trois enfants ! Personne n’est parfait, moi je ne voudrais pas être prof. là car c’est terriblement exigeant. C’est une grosse responsabilité, on ne peut pas juste se dire « je vais enseigner ».
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6. J’ai lu que les pratiques pédagogiques des écoles Steiner sont fructueuses mais reposent sur une théorie douteuse. Pour vous, l’anthroposophie est-elle le noyau dur, irréductible, de la pédagogie Steiner ? Ou pensez-vous qu’il serait judicieux d’abandonner certains principes plus mystiques, ésotériques de l’anthroposophie, moins facilement concevables au profit du rayonnement de la pédagogie ? En gros, pour vous, qu’est-ce qui est prioritaire : la compréhension de l’anthroposophie ou bien le rayonnement de la pédagogie Steiner ?
M : En dissociant les deux, on va perdre le fond. J’ai peur qu’on fasse un système où on donne des recettes, ça ne marche pas. Chaque professeur doit faire un travail sur lui, sur ses intuitions, pour percevoir de plus en plus les signes de chacun, pour créer son cours comme il le sent. Cela, c’est l’anthroposophie qui l’apporte. Le prof. doit sentir ce dont a besoin l’enfant, la classe. Pour moi la compréhension des principes, ce n’est pas essentiel. Ce qui compte c’est vivre l’anthroposophie, ce qui ne veut pas dire qu’il faut penser comme Steiner. C’est se dire que le monde physique n’est qu’une partie et qu’il y a beaucoup de choses qui nous échappent et dont il faut être à l’écoute. Théorie et pratique vont de pair, mais je dirais qu’il faut le vivre pour que ça vienne dans nos pratiques de tous les jours.
É : Vous mettez des choses en place pour essayer que ça se développe ?
M : J’essaie de toucher d’autres parents pour qu’ils aient envie d’aller voir plus loin. Mais je ne veux convaincre personne.
7. Pourquoi pensez-vous que la pédagogie Steiner reste encore assez marginalisée ? Que faudrait-il mettre en place pour qu’elle puisse s’étendre ?
M : Les gens ont peur que leurs enfants ne puissent aller à l’université. Les parents ont beaucoup de projets pour leurs enfants aujourd’hui, dès qu’ils sont tout petits. On écoute peu ce dont ils ont besoin au moment présent comme on croit que c’est le développement intellectuel le plus important. A l’école Steiner, on ne les bombarde pas de calculs et d’orthographe dès le début. En fait, on travaille à cet intellect mais par d’autres chemins, et on essaie de le lier au cœur et aux mains, pour en faire un être entier et pas une tête qui fonctionne toute seule. Maintenant, pour contribuer au rayonnement de la pédagogie, je ne sais pas. Il ne faut pas banaliser le langage de Steiner. Moi, il ne m’a jamais arrêtée, alors que je ne suis pas une intellectuelle. Même s’il y a des choses compliquées, ce n’est pas grave, j’essaie de comprendre. Je sais qu’il ne faut pas lire ça comme un roman, ça ne se dévore pas. C’est étonnant que l’anthroposophie ait du mal à démarrer. Les parents semblent ne pas accrocher.
8. Souhaitez-vous préciser ou revenir sur quelque chose qui vous a marqué dans le questionnaire ? Y a-t-il des éléments qui n’y figuraient pas mais qui vous viennent à l’esprit en parlant de spiritualité ?
M : Ce qui avait été difficile pour moi, c’est que j’avais l’impression d’être dans une boîte. Aborder Steiner était difficile à travers les questions proposées. Par exemple, le développement spirituel de l’enfant, c’est quoi ? Le petit enfant, on doit s’occuper de son corps physique, on doit tout faire avec religiosité. Cela ne sert à rien de lui parler de Dieu ou de l’emmener à l’Eglise. Il faut que nous-mêmes, on aborde les choses avec respect, avec religiosité. Mais l’enfant de 3 ans a besoin d’autre chose que celui de 7 ans ou encore de 12 ans.
9. Pensez-vous qu’on peut retrouver certaines caractéristiques chez les personnes qui s’intéressent aux écoles Steiner, comme l’importance du lien à la nature, un esprit
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critique quant à la société de consommation occidentale, un attrait pour l’art ? Ces caractéristiques sont-elles, pour vous, en lien avec la spiritualité ?
M : Ce sont des gens qui se posent des questions ! Ce n’est pas toujours lié à la spiritualité, ça peut être juste écologique par exemple. Ils critiquent souvent la société. Ils n’ont plus envie de faire comme avant. Sans savoir ce qu’ils veulent, ils savent ce qu’ils ne veulent pas. Il y en a beaucoup qui sont contents parce que leurs enfants sont contents, mais ne savent pas du tout ce qui se passe ici.
10. Selon plusieurs recherches, le taux d’implication religieuse est plus élevé chez les femmes que chez les hommes. Pensez-vous que le rapport à la spiritualité est davantage marqué chez les femmes que chez les hommes ?
M : C’est souvent la maman, mais pas parce qu’il y a une impulsion spirituelle derrière, pas forcément. Moi, j’ai inscrit mes enfants car j’ai flashé sur ce qui émanait, sans savoir ce qu’il y avait derrière. Les femmes se posent plus de questions, mais ce n’est pas d’office en rapport avec la spiritualité. Cela peut être surtout lié à la psychologie. Elles ont beaucoup tendance à psychologiser. Pour moi, beaucoup de gens mettent leurs enfants à l’école sans savoir ce qu’il y a derrière. Il y en a même qui ne veulent pas entendre parler de spiritualité.
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Entretien n°6 25/02/10, père de quatre enfants, profil 3/3, 70 ans, 16 ans de présence au sein de l’école
1. La plupart des personnes interrogées distinguent religion et spiritualité. L’indice de religiosité semble plus faible que celui de spiritualité. Comment vous situez-vous par rapport à la religion ?
Pè : L’étymologie, c’est se relier au monde spirituel. Mais si on prend le sens habituel, « religion instituée », alors là, je ne suis pas d’accord du tout avec ces religions.
2. L’indice de spiritualité semble assez élevé tant chez les parents que les professeurs, qu’est-ce que la spiritualité évoque pour vous ? En quoi serait-elle importante, ou non dans l’éducation de votre enfant ?
Pè : Je pourrais vous répondre pendant 3 heures ! La vérité existe et l’homme est appelé à connaître la vérité, à la fin des temps, c’est-à-dire à devenir un Dieu. Pour moi, ce n’est pas les atomes qui, en se complexifiant, ont amené l’esprit. Mais, c’est l’esprit qui au départ a créé la matière.
É : Pouvez-vous définir ce qu’est l’esprit pour vous ?
Pè : Avec l’anthroposophie, on apprend qu’il s’agit d’être spirituels qui, au départ, ont décidé à la place de l’homme, puis progressivement, l’homme va essayer de travailler avec eux, avec de plus en plus de liberté, de responsabilité. La spiritualité, pour moi, c’est ça.
É : En quoi est-elle importante dans l’éducation ?
Pè : Je vais parler de l’évolution, pas l’évolution physique (ça c’est Darwin), mais l’évolution spirituelle de l’homme. Au départ, les enfants voyaient le monde spirituel, puis ils ont été séparés du monde spirituel. C’est toute l’anthroposophie qui est là derrière ! L’homme a développé une pensée, un intellect. Avant, ce n’était pas le cas, c’était plutôt un ressenti. Maintenant, dans l’éducation actuelle, on veut très vite intellectualiser les enfants, leur expliquer les choses. Or, si on explique trop tôt des trucs qu’ils doivent apprendre en les vivant intérieurement, on risque de précipiter leur évolution, d’en faire des adultes qui sont loin de la nature, qui perdent leurs idées morales, sont froids et trop rationnels, quoi ! Mais, ça peut, et ça j’en suis convaincu, les empêcher de bien évoluer au niveau physique, et au niveau de l’âme… Ce sont deux choses différentes.
É : En quoi voyez-vous que la spiritualité est vécue à l’école par votre enfant ?
Pè : Dans une école Steiner, vu qu’on ne veut pas intellectualiser trop vite, on travaille avec des contes, le théâtre, on suit chez l’enfant son côté qui imite l’évolution de l’humanité, on s’adapte à son évolution, on l’aide à évoluer. C’est le côté difficile de cette pédagogie : quand on impose des choses aux enfants et que tous font la même chose, c’est plus facile. Ici, les enfants étant tous différents, le professeur doit s’adapter à chacun. Ils se connaissent ainsi de plus en plus et évoluent ensemble.
3. Jusqu’où votre conception de la spiritualité s’appuie-t-elle sur l’anthroposophie ? Pourquoi ?
Pè : Il y a un point essentiel dans l’anthroposophie, c’est la christologie. Pour moi l’anthroposophie, c’est très spirituel mais il faut que ce soit chez l’adulte, tout à fait
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personnel, libre, accepté. Si vous voulez, au départ quelque chose de refusé pour en faire quelque chose de personnel. L’anthroposophie définit toutes les sphères de mon existence, ma moralité, tout ce que je fais !
4. Pensez-vous que les parents connaissent suffisamment l’anthroposophie ?
Pè : Beaucoup ne connaissent pas suffisamment, mais ce n’est pas indispensable. Ils doivent être ouverts : s’ils refusent le côté spirituel, ils refusent le pourquoi de cette pédagogie.
5. Pensez-vous que les relations entre parents et professeurs sont satisfaisantes, même si les parents semblent moins impliqués dans l’anthroposophie que les professeurs ?
Pè : Les parents sont beaucoup plus ouverts au côté écologique qu’à tout ce qui tourne autour de l’anthroposophie. Mais, je crois que les rapports sont bons. Mais, je n’ai pas tellement de contacts avec les parents, donc je ne peux rien affirmer. Quant aux professeurs, ils ne doivent pas être anthroposophes, mais il faut au moins qu’ils sachent de quoi il s’agit.
6. J’ai lu que les pratiques pédagogiques des écoles Steiner sont fructueuses mais reposent sur une théorie douteuse. Pour vous, l’anthroposophie est-elle le noyau dur, irréductible, de la pédagogie Steiner ? Ou pensez-vous qu’il serait judicieux d’abandonner certains principes plus mystiques, ésotériques de l’anthroposophie, moins facilement concevables au profit du rayonnement de la pédagogie ? En gros, pour vous, qu’est-ce qui est prioritaire : la compréhension de l’anthroposophie ou bien le rayonnement de la pédagogie Steiner ?
Pè : Cette méfiance par rapport à l’anthroposophie, c’est dû au fait que le monde actuellement à des façons de voir « matérialistes ». Aujourd’hui, le monde scientifique en général part du fait que la matière a créé l’esprit ! Maintenant par rapport à votre question, pour moi on ne peut pas dissocier les principes des pratiques parce que c’est justement grâce à tout ce que R. Steiner a apporté qu’on a pu créer cette pédagogie. Steiner avait une formation scientifique mais était proche du monde spirituel. Il a fait un doctorat en philosophie. Il passait ses visions au filtre de son esprit scientifique. S’il n’y a pas l’esprit derrière les pratiques, ça va très vite devenir quelque chose de mécanique. Ce qui est prioritaire pour moi, c’est de montrer les résultats de cette pédagogie. Les gens qui se posent des questions intelligemment se demanderont comment on peut arriver à de tels résultats. Cela a d’ailleurs été mon cas. Je suis ingénieur agronome et j’ai été soufflé des résultats en bio-dynamie. C’est ce qui a fait que je me suis interrogé sur l’anthroposophie. Donc, d’abord montrer ce qu’on peut faire, et puis, avec ceux qui le veulent, étudier plus. Mais certainement pas l’inverse !
7. Pourquoi pensez-vous que la pédagogie Steiner reste encore assez marginalisée ? Que faudrait-il mettre en place pour qu’elle puisse s’étendre ?
Pè : C’est vrai qu’elle est marginalisée dans les pays latins, car on n’est pas ouvert à quelque chose qui se dit spirituel. On est beaucoup plus traditionnel, peu ouvert au changement. Nous sommes plus que ce qu’on ne pense liés au côté catholique. Mais la pédagogie n’est pas marginalisée partout. Dans les pays anglo-saxons, surtout en Allemagne et aux Pays-Bas, les écoles sont reconnues et montrées en exemple. Donc chez nous, il faut montrer davantage ce qui est possible de réaliser. Mais il y a vraiment une peur, notamment chez les autorités religieuses. En tout cas, il ne faut pas, absolument pas, avec un groupe qui n’est pas ouvert à ça, commencer à faire des conférences anthroposophiques !
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É : Pensez-vous que c’est important que l’anthroposophie se développe ?
Pè : Le prosélytisme non ! Si quelqu’un n’est pas ouvert, ce n’est pas la peine. Sinon, il est question de dogmes, et donc on impose des choses. Si l’homme n’est pas libre, ce n’est pas de l’anthroposophie. Maintenant, il est clair que je souhaite ardemment que l’anthroposophie se développe. Mais c’est important de ne pas choquer. Adapter le langage de Steiner, c’est peut-être relativement dangereux ! On risque vite de tomber dans l’application de pratiques sans l’esprit derrière. Il ne faut pas chercher à développer absolument rapidement l’anthroposophie, de chercher à récolter des membres. Non, l’important, c’est que la personne ait choisi cette manière de voir la vie et sache pourquoi elle est là.
8. Souhaitez-vous préciser ou revenir sur quelque chose qui vous a marqué dans le questionnaire ? Y a-t-il des éléments qui n’y figuraient pas mais qui vous viennent à l’esprit en parlant de spiritualité ?
Pè : Oui, la différence entre religion et spiritualité. Etymologiquement, ça se rejoint, mais pas dans le vécu. La religion est instituée, elle a des dogmes. Dans l’anthroposophie, c’est exactement l’inverse, elle refuse les dogmes. L’adulte doit se faire sa propre religion. Il doit chercher par lui-même. On ne peut imposer une croyance. Chez l’enfant, on ne peut pas parler de dogmes non plus. L’enfant est tout ouvert et fait confiance à ce que disent ses parents, tout comme avant, ce que disaient les prêtres et les initiés, c’était vrai, on leur faisait confiance. Et puis, j’aimerais revenir aussi sur ce que l’anthroposophie a amené dans ma vie. Comme je l’ai dit, ça a changé toute ma manière de voir les choses, ça a modifié mon rapport au temps, à l’argent, au travail, aux autres, etc. Cela, c’est très important !
9. Pensez-vous qu’on peut retrouver certaines caractéristiques chez les personnes qui s’intéressent aux écoles Steiner, comme l’importance du lien à la nature, un esprit critique quant à la société de consommation occidentale, un attrait pour l’art ? Ces caractéristiques sont-elles, pour vous, en lien avec la spiritualité ?
Pè : L’écologie, l’amour de la nature évidemment, l’attrait pour l’art aussi. C’est indirectement lié à la spiritualité, car elle englobe tout ça.
É : En quoi ?
Pè : Par exemple, s’il n’y a pas d’art, on arrive très vite à l’intellect, c’est froid, cristallisé. C’est bien, évidemment, d’être rationnel, mais il ne faut pas que ça enlève l’âme, le côté animique.
10. Selon plusieurs recherches, le taux d’implication religieuse est plus élevé chez les femmes que chez les hommes. Pensez-vous que le rapport à la spiritualité est davantage marqué chez les femmes que chez les hommes ?
Pè : Oui, pour moi c’est plus marqué chez les femmes. L’homme a tendance à vouloir des choses claires, bien définies, froides. La femme vit beaucoup plus avec son vécu intérieur, son sentiment. Et c’est certain que le côté religieux est lié à cet intérieur, ces sentiments. Donc oui, c’est plutôt mon épouse qui, en remettant la pédagogie classique en question, nous a amenés à l’anthroposophie. Mais l’anthroposophie s’appelle « science religieuse », ça m’a permis de concilier mon côté scientifique, mon besoin d’exactitude, avec la spiritualité. Si on prend les religions instituées, plus dogmatiques, on n’est finalement religieux que le dimanche ! Avec l’anthroposophie, on l’est toute la semaine.
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Spiritualité et éducation : le cas de la pédagogie Steiner
Examen théorique critique &
Conceptions des parents et professeurs au sein d’une école belge
Ce mémoire vise à interroger la place que peut occuper la spiritualité dans
l’éducation contemporaine, à partir d'une étude réalisée au sein d´une école se basant
sur la pédagogie Steiner-Waldorf. Cette dernière est en en pleine expansion sur les cinq
continents. Il s’agit d’une pédagogie où une conception particulière de la spiritualité
structure une philosophie de l’éducation à partir de laquelle des objectifs spécifiques au
développement de l’enfant sont opérationnalisés. Si en Occident, la déchristianisation
est un fait, celui-ci ne correspond pas à un manque d’intérêt pour les questions de sens
et de transcendance. Cette recherche propose d’étudier dans quelle mesure ces questions
poussent certains parents à inscrire leurs enfants, et certains professeurs à enseigner,
dans une école dont la pédagogie se dit basée sur des fondements spirituels.
Un examen théorique critique de la pédagogie Steiner au regard de différentes
recherches scientifiques en sciences de l’éducation, en psychologie du développement
de l’enfant et en psychologie de la religion a tout d’abord été effectué afin d’analyser la
fonction que remplit la dimension spirituelle dans cette pédagogie, à partir de quelques
enjeux contemporains relatifs à la spiritualité, à la religion ou au développement
spirituel soulevés dans des études récentes.
Une étude empirique a également été réalisée, afin d’explorer la manière dont les
principes pédagogiques de Steiner, largement inspirés d’une conception spirituelle de la
vie, sont aujourd’hui vécus et perçus par les parents et les professeurs au sein d’une
école Steiner maternelle et primaire en Belgique. L’utilisation d’un design-méthodes
(observation participante, enquête par questionnaires et entretiens) a permis de croiser
différents regards et angles d’approche pour aborder la question de recherche suivante :
Comment la spiritualité est-elle vécue et perçue par les parents et les professeurs de
l’école ? Cette interrogation sous-tend plusieurs enjeux psychiques et sociaux
contemporains : Qu’est-ce que le développement spirituel de l’enfant ? De quelle
manière se traduit-il ? Quand et comment faut-il y prêter attention ? Une structure
éducative peut-elle aider au déroulement de ce qui se joue dans l’enfance à ce niveau ?