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246 12,95 $ Envoi de Poste-publications — Enregistrement n o 08515 AUTOMNE 2013 a r t s l e t t r e s s c i e n c e s h u m a i n e s PORTFOLIO Chantal T. Paris présente Vida Simon ENTRETIENS Spirale a rencontré André Brochu, Paul Chamberland, André Major, Jean-Marc Piotte DOSSIER Sous la direction de Gilles Dupuis et Frédéric Rondeau Actualité de Parti pris Anctil Dion Faucher Isacsson Konopnick Lanctôt La Chance Marienstras McKinley Morrison Pontalis Quignard Roubaud Said Extrait de la publication

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AUTOMNE2013 a r t s l e t t r e s s c i e n c e s h u m a i n e s

PORTFOLIOChantal T. Paris présente

Vida Simon

ENTRETIENSSpirale a rencontré

André Brochu, Paul Chamberland, André Major, Jean-Marc Piotte

DOSSIER Sous la direction de Gilles Dupuis et Frédéric Rondeau

Actualitéde Parti pris

AnctilDion

FaucherIsacsson

KonopnickLanctôt

La ChanceMarienstras

McKinleyMorrison

PontalisQuignardRoubaud

SaidExtrait de la publication

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NOS COLLABORATEURS (NO 246)Guillaume Asselin [Département de français, Cégep Marie-Victorin] Paul Beaucage [Critique de cinéma] André Brochu [Poète,romancier et essayiste] Micheline Cambron [CRILCQ/Département des littératures de langue française, Université deMontréal] Paul Chamberland [Département d'études littéraires, UQAM] Jean-Pierre Couture [École d'études politiques,Université d'Ottawa] Gilbert David [CRILCQ/Département des littératures de langue française, Université de Montréal]Roxane Desjardins [Département d'études littéraires, UQAM] Gilles Dupuis [CRILCQ/Département des littératures de languefrançaise, Université de Montréal] Gérard Fabre [Centre national de la recherche scientifique] Alex Gagnon [Département des littératures de langue française, Université de Montréal] Ariane Gibeau [Département d'études littéraires, UQAM] André Lamarre [Critique d'art, essayiste] Marie Claire Lanctôt Bélanger [Critique et psychanalyste] Karim Larose[CRILCQ/Département des littératures de langue française, Université de Montréal] Jonathan Livernois [Département delittérature et de français, Collège Édouard-Montpetit] André Major [écrivain, animateur et réalisateur] Guylaine Massoutre[Département de français, Cégep du Vieux-Montréal] Sébastien Mussi [Département de philosophie, Collège deMaisonneuve] Christian Nadeau [Département de philosophie, Université de Montréal] Michel Nareau [Collège militaire royaldu Canada] Chantal T. Paris [Auteure et chercheure en art actuel] Jacques Pelletier [Département d'études littéraires, UQAM]Jean-Marc Piotte [Philosophe, sociologue et politicologue] Patrick Poirier [CRILCQ/Université de Montréal] Pierre Popovic[Département des littératures de langue française, Université de Montréal] Frédéric Rondeau [Modern Languages andClassics, University of Maine] Maïté Snauwaert [University of Alberta] Robert Schwartzwald [CRILCQ/Départementd'études anglaises, Université de Montréal] Vida Simon [Artiste]

DIRECTEURPatrick Poirier

DIRECTRICE ARTISTIQUESylvie Lacerte

COMITÉ DE RÉDACTION Gilles DupuisStéphan GibeaultClaire LegendreAlexis LussierGuylaine MassoutreManon PlanteSylvano Santini

CONSEIL D’ADMINISTRATIONGuy ChampagneLouise Déry, vice-présidenteRobert DionRina OlivieriPatrick PoirierJean-Michel Sivry, président

SECRÉTAIRE DE RÉDACTIONAlice Michaud-Lapointe

DIRECTION DE LA COLLECTION« NOUVEAUX ESSAIS SPIRALE » Nicolas Lévesque et André Lamarre

CORRECTRICEMarie-Joëlle St-Louis Savoie

CONCEPTION ARTISTIQUEGRAPHISME ET IMPRESSIONMardigrafe inc.

COORDONNÉES4067 boul. St-Laurent, bureau 203Montréal (Québec) H2W 1Y7Tél. : 514 903-2885Courriel : [email protected]

DISTRIBUTIONLMPI8155, rue LarreyAnjou (Québec) H1J 2L5Tél. : 514 355-5674Sans frais : 1 800 463-3246Fax : 514 355-5676Courriel : [email protected]

ABONNEMENTSPAR NOTRE SITE INTERNET :www.spiralemagazine.comPAR TÉLÉPHONE :Tél. : 514 903-2885PAR COURRIEL :[email protected] LA SODEP :Tél. : 514 397-8669COURRIEL : [email protected] : www.sodep.qc.caTARIFS AVANT TAXES, POUR 1 AN/4 NOS :• Canada (individu) : 40,00 $• Canada (étudiant) : 30,00 $• Canada (institution) : 50,00 $• Canada (soutien) : 80,00 $ ou plus• Étranger (USA) : 60,00 $• Étranger (Outre-mer) : 80,00 $

DÉPÔT LÉGAL Bibliothèque nationale du CanadaISSN : 0225-9044

DROITS D’AUTEURET DROITS DE REPRODUCTION CopibecTél. : 514 988-1664 ou 1 800 717-2022Courriel : [email protected]

SPIRALE est membre de la Société de développement des périodiques culturels québécois (Sodep).Consultez les archives numériques du magazine (2002-2009) sur le site ÉRUDIT [www.erudit.org].PROTOCOLELe magazine culturel SPIRALE ne publie que des textes originaux et inédits. Le comité de rédaction reçoit les manuscrits en trois formats : les « En bref », comptes rendus d’au plus 400 mots ; les textes simples, d’au plus 800 mots ; les textes doubles, d’au plus1 700 mots. Des intertitres doivent être insérés aux 400 mots dans les textes simples et doubles. Le bloc référence (titre de l’article,nom du collaborateur, adresses postale et électronique, téléphone ; titre et auteur de l’ouvrage recensé, traducteur, maison d’édition,année de publication, nombre de pages) doit être reproduit sur une feuille séparée. Les collaborateurs sont priés de transmettre leurarticle en document WORD (de préférence) par courrier électronique. La rédaction se réserve le droit d’opérer des changementsmineurs sur les textes reçus et acceptés par le comité, et ce sans préavis. Dans le cas où des corrections plus importantes seraientjugées nécessaires, le collaborateur pourrait être appelé à modifier son texte, puis à le représenter au comité. Il est exigé des collabo-rateurs qu’ils joignent leurs coordonnées à tout texte envoyé, ce qui facilite la communication avec la rédaction, ainsi que l’envoide la rétribution allouée pour la rédaction de tout article, qui s’effectue à l’occasion de la rencontre annuelle des collaborateurs enjuin de chaque année. SPIRALE n’est pas responsable des manuscrits qui lui sont envoyés. Les manuscrits refusés par le comité etnon publiés ne sont pas rendus. Tout article retenu est susceptible d’être disponible sur notre site Internet et sur le site ÉRUDIT. Lesopinions émises ne sont pas nécessairement celles de la rédaction et n’engagent que leurs auteurs.

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P O R T F O L I O

NUMÉRO 246 | AUTOMNE | 2013

Les œuvres de Vida Simon ont été présentées à l’échelle internationale dans maints contextes, dont desgaleries, des chambres d'hôtel, des espaces commerciaux, des théâtres, une ancienne synagogue, uneancienne écurie, sur des toits… Parmi ses projets récents figurent des performances au festival ZAZ(Israël) et à Interakcje (Pologne), une résidence au Centre des arts Aberystwyth (Pays de Galles), etune exposition à Oboro (Montréal). Vida Simon développe présentement un projet d’installation dansune vieille maison à Terre-Neuve. Le dessin agit comme fil conducteur au sein de sa pratique, car cetteforme exprime de façon directe son désir de raconter par le biais du visuel, ainsi que son intérêt pourl'improvisation et la matérialité élémentaire. Collaborer avec d'autres artistes et animer des ateliers d'artfont également partie de sa pratique. Vida Simon est originaire de Montréal et partage actuellement sontemps entre sa ville de naissance et Fogo Island (Terre-Neuve). www.vidasimon.net

19 Vida Simon [par Chantal T. Paris]

Doubt, 2010, aquarelle sur papier, 22 x 29 cm. Photo : Vida Simon.

Extrait de la publication

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4 SPIRALE 246 | AUTOMNE | 2013

NUMÉRO 246 | AUTOMNE | 2013

É D I T O R I A L15 Une laïcité sans parti pris ?

[par Patrick Poirier]

A C T U A L I T É S , C O N S TAT S , D É B AT S17 Réponse à François Rochon

[par Sébastien Mussi]

A R T S V I S U E L S19 Zones. Exposition des œuvres récentes

de Sophie Lanctôt[par André Lamarre]

C I N É M A11 Ma vie réelle,

de Magnus Isacsson[par Paul Beaucage]

E S S A I14 Le cerveau en feu de M. De�cartes,

de Michaël La Chance[par Guillaume Asselin]

16 L'être et le crime. Cinq romans-phares,de Michel Dion[par Alex Gagnon]

18 Marée basse, marée haute,de J.-B. Pontalis[par Marie Claire Lanctôt Bélanger]

P O R T F O L I O19 Vida Simon.

Bleue à dessin[par Chantal T. Paris]

E S S A I66 Les désarçonnés,

de Pascal Quignard[par Guillaume Asselin]

68 Shakespeare et le désordre du monde,de Richard Marienstras[par Christian Nadeau]

70 Jacob-Isaac Segal (1896-1954).Un poète yiddish de Montréal et son milieu,de Pierre Anctil[par Robert Schwartzwald]

73 Du style tardif. Musique et littérature à contre-courant,d'Edward W. Said[par Maïté Snauwaert]

M U S I Q U E75 Dans de la nature,

de Maxime McKinley[par Guylaine Massoutre]

R O M A N77 Ligne 9, de Guy Konopnicki

Ode à la ligne 20 des autobus parisiens, de Jacques Roubaud[par Pierre Popovic]

79 Home, de Toni Morrison[par Ariane Gibeau]

T H É ÂT R E 81 À quelle heure on meurt ?,

de Martin Faucher, textes de Réjean Ducharme[par Roxane Desjardins]

83 Un ennemi du peuple, d'Henrik Ibsen, mise en scène de Thomas OstermeierTrieste, de Marie BrassardL'homme atlantique et la maladie de la mort, de Marguerite Duras, mise en scène de Christian LapointeLa jeune-fille et la mort,de Laurence Brunelle-Côté et Simon DrouinLa grande et fabuleuse histoire du commerce,de Joël Pommerat[par Gilbert David]

D O S S I E RACTUALITÉ DE PARTI PRIS31 Présentation

[par Gilles Dupuis et Frédéric Rondeau]33 Mort et renaissances

d'une revue toujours vivante[par Jacques Pelletier]

35 Gérald Godin : poète, éditeuret « prisonnier de guerre »[par Gérard Fabre]

37 À contretemps.Entretien avec Paul Chamberland[par Gérard Fabre]

42 « Parti pris » littéraire,de Lise Gauvin[par Gilles Dupuis]

44 Le parti pris du Québec.Entretien avec André Brochu[par Micheline Cambron]

48 Parti pris : idéologies et littérature,de Robert Major[par Michel Nareau]

50 « Faire cavalier seul ».Entretien avec André Major[par Karim Larose]

54 Une amitié improbable. Correspondance 1963-1972,de Jean-Marc Piotte et Pierre Vadeboncœur[par Jonathan Livernois]

56 « Le rôle de l'intellectuel, c'est d'être critique ».Entretien avec Jean-Marc Piotte[par Jean-Pierre Couture]

60 Parti pris : une anthologie, textes choisis et présentés par Jacques Pelletier[par Gilles Dupuis]

63 Mon parti pris[par Robert Schwartzwald]

Extrait de la publication

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246 | ÉDITORIAL

Au Québec, être laïciste, c’est renouer avec les traditions révolutionnaires pour revigorer une culture en déliquescence.

Et c’est affirmer la totale responsabilité des citoyens qui doivent acquérir le contrôle de la société. Et c’est affirmer la

préséance de la société civile, du monde humain, sur toute autre communauté, chapelle ou Église.

— Pierre Maheu, « au mouvement laïque : virage à gauche »,Parti pris.

… personne n’ignore que la majeure partie de la population du Québec est catholique. L’Église et les

institutions religieuses auront donc jusqu’à nouvel ordre une influenceprépondérante au Québec ; mais cette

prépondérance dans les faits devient une injustice si elle entraîne une prépondérance de droit.

— Pierre Maheu, « notes pour une politisation », Parti pris.

Au moment de mettre « sous presse », le débat sur la bien mal nommée « Charte des valeurs québécoises » fait encore

« rage » et il est rassurant, mais surtout très enrichissant, de voir plu-sieurs intervenants, dont nombre d’intellectuels, s’investir tout à lafois avec passion et mesure dans ce qui n’a rien d’un faux débat —quoi qu’en disent certains et quelles que soient les raisons (bonnesou mauvaises) ou les motifs politiques (nobles ou condamnables)ayant conduit la société québécoise, comme d’autres avant elle, àdevoir de nouveau faire face aux lourdes questions que soulèvent le« problème de la laïcité » (pour citer ici Pierre Maheu dans ses « notespour une politisation » ; Parti pris, II : 1, septembre 1964). Si le débatdonne lieu à des débordements et des dérapages hélas prévisibles , ilest néanmoins permis d’espérer que le Québec saura, cette fois, nonpas mettre le point final à un chapitre de son histoire (chapitre quisera appelé à s’écrire encore et encore), mais du moins consolider,enfin, la trame d’un récit depuis longtemps entrepris.

Alors que nous célébrons le 50e anniversaire de la revue Parti pris(outre la réédition d’ouvrages consacrés à la revue et la parution deParti pris : une anthologie, un colloque intitulé Avec ou sans Parti prisaura lieu les 3 et 4 octobre au Centre d’archives de Montréal deBibliothèque et Archives nationales du Québec, au moment mêmeoù paraîtra le présent numéro), il n’est pas inutile de rappeler, aprèsbien d’autres, combien la question de la laïcité a depuis longtemps« informé » l’histoire culturelle, sociale et politique du Québec, maisaussi, comme en témoigne en ces pages le dossier « Actualité de Partipris », sous la direction de Gilles Dupuis et Frédéric Rondeau, combiencette question aura été déterminante pour cette revue quasimythique. Peu de revues, au Québec, au cours des cinquante der-nières années, ont eu autant d’importance que Parti pris (1963-1968),tant sur le plan littéraire que politique. Comme le rappellent les res-ponsables du dossier, Parti pris a en effet joué un rôle crucial « dans lefaçonnement de l’identité québécoise (politique, économique, intellec-tuelle, littéraire, artistique et culturelle), qu’elle a d’ailleurs contribué à“nommer” sans complaisance ».

« Laïcité, socialisme, indépendance » : ce sont là les idées maîtresses,les trois maîtres mots à l’enseigne desquels se sera toujours placée larevue Parti pris. Ces mots nous semblent toujours d’actualité.

LE PRIX SPIRALE EVA-LE-GRANDAfin de maintenir la surprise — contrairement à ce que nousavions annoncé dans notre numéro d’été —, le nom du lauréat oude la lauréate du Prix Spirale Eva-Le-Grand 2012-2013 ne seradévoilé que lors de la soirée de remise du prix (dans l’espoir devous y voir plus nombreux encore). L’événement aura lieu enoctobre à la Librairie Olivieri ; la date reste toutefois à déterminer.L’annonce sera faite prochainement dans les pages du Devoir, surnotre site [www.spiralemagazine.com] et sur notre pageFacebook [Spirale — Magazine culturel]. Rappelons, pour l’heure,que les finalistes du Prix Spirale Eva-Le-Grand pour 2012-2013sont : Marie-Claire Blais, pour Passages américains (Boréal, 2012) ;Érik Bordeleau, pour Foucault anonymat (Le Quartanier, 2012) ; etYvon Rivard, pour Aimer, enseigner (Boréal, 2012)

DEUXIÈME ÉDITION DU PRIX DE LA CRITIQUE ÉMERGENTEComme nous l’annoncions au moment de révéler le nom du lau-réat de la première édition du Prix de la critique émergente,l’équipe de Spirale espérait toujours vivement pouvoir donnersuite, dès cet automne, à son concours de critique destiné auxétudiant(e) s inscrit(e)s dans un programme universitaire de pre-mier ou de deuxième cycle. Or, grâce à l’appui renouvelé de laLibrairie Olivieri, principal commanditaire de l’événement, il nousfait plaisir de confirmer que le magazine sera bel et bien enmesure de lancer la deuxième édition du Prix de la critique émer-gente. L’ouverture du concours, la liste de nos partenaires, ainsique les détails relatifs aux modalités de participation serontannoncés prochainement.

COLLECTION « NOUVEAUX ESSAIS SPIRALE »Deux nouveaux titres paraîtront cet automne dans la collection« Nouveaux Essais Spirale » aux Éditions Nota bene : Éblouissement.Essai sur l’œuvre de Gilles Tremblay, de Robert Richard, ainsi queMatière noire. Les constellations de la bibliothèque, de notre collègueGuylaine Massoutre. Ne manquez pas l’annonce des lancements !

UNE NOUVELLE CORRECTRICEC’est avec grand plaisir que nous accueillons Marie-Joëlle St-LouisSavoie au sein de l'équipe de Spirale. Titulaire d'un doctorat enLittératures de langue française de l’Université de Montréal(« Survivances de Sarah Kofman ») et chargée de cours au départe-ment de Modern Languages and Classics (University of Maine), elleoccupera en effet les fonctions de correctrice pour le magazinesuite au départ, cet été, de notre collègue Louise Nepveu (à qui nousrenouvelons nos meilleurs vœux).

Une laïcité sans parti pris ?

SPIRALE 246 | AUTOMNE | 2013 5

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6 SPIRALE 246 | AUTOMNE | 2013

DANS NOTRE PROCHAIN NUMÉROLe débat actuel sur la laïcité, en plus de nous confronter àd’autres enjeux fondamentaux (hiérarchisation des libertésciviles et religieuses, droits de la personne, constructions identi-taires collectives et individuelles, etc.), aura bien entendu sou-levé, en tout premier lieu sans doute, d’importantes questionsrelatives au principe de l’égalité homme/femme. Or il est parti-culièrement intéressant de constater que ce débat — et cetimpératif renouvelé — s’inscrit à un moment de l’histoire où,tant au Québec que sur la scène internationale (dans la foulée,notamment, du Printemps arabe), nous sommes de plus en plusinterpellés par ce que d’aucuns ont diagnostiqué comme unerésurgence des mouvements féministes. C’est à la lumière decette résurgence, « qui se double d’une violence importantecontre les femmes », comme le précise Martine Delvaux, que lemagazine proposera à ses lecteurs et lectrices un dossier qui,dans notre numéro d’hiver 2014, cherchera à faire le portrait duféminisme aujourd’hui ou, plus précisément, « du féminisme entant que façon de lire et regard posé sur les objets, comme laforme que peut prendre le discours intellectuel ». Sous la direc-tion de Martine Delvaux, le dossier « Féministes ? Féministes ! »veut investir une prise de parole engagée et « figurer le passagede l’interrogation : “Peut-on encore être féministe aujourd’hui ? àl’affirmation d’une posture (et d’un point de vue) féministe ».

Outre cet important dossier, Spirale aura également la chanced’accueillir en ses pages un portfolio de l’artiste Rose-Marie Goulet,dont la présentation sera signée par Sylvie Lacerte. Si ce portfolion’a pas été « pensé » de manière à s’inscrire dans la foulée de notredossier sur le féminisme, rappelons néanmoins, pour mémoire, queRose-Marie Goulet, avec l’assistance technique de Marie-ClaudeRobert, est l’artiste qui, en 1999, a conçu la Nef pour quatorze reines,monument à la mémoire des victimes de la tragédie de l’ÉcolePolytechnique de Montréal.

À quand les premiers vents d’hiver ?

PATRICK POIRIER

1. Outre les inquiétantes manifestations racistes et xénophobes dont le débat sur la « charte »semble avoir été le catalyseur (et dont les quotidiens et réseaux sociaux nous ont abreuvés àsatiété, c’est-à-dire au point où il faut se demander quel triste amalgame était par là recherché…),il faudra un jour se pencher sur les formes agonistiques qu’auront empruntées les diversdiscours et interventions sur la question. Malgré les appels répétés à la pondération et à une« discussion respectueuse des divergences », il est étonnant de voir combien les motifs du« combat » et de la « lutte » auront été présents dans ce débat. Il n’est pas jusqu’au présent chefdu Parti libéral du Québec, Philippe Couillard, qui a cru bon de s’exclamer qu’il faudrait « luipasser sur le corps » pour faire approuver la charte proposée par le Parti Québécois… Si plusieursd’entre nous jugeons maladroit, problématique, voire inacceptable l’avant-projet de loi proposéà ce jour, il est quand même stupéfiant, dans le contexte extrêmement sensible et tendu quipréside au débat actuel, d’entendre un politicien utiliser une expression aussi chargée de sens(la traduction anglaise, « over my dead body », étant encore plus éloquente), en rien susceptibled’encourager la discussion mais bien plutôt prompte à alimenter, de tous côtés, l’idée qu’une« limite », une « borne » ne saurait être dépassée sans fâcheuses conséquences…

Le chant de Georges Boivin le 22 octobre,Susie Arioli le 25 octobre,François Dompierre le 2 novembre,l'hommage à Édith Piaf le 12 novembre,

Benoît Charest et le Terrible Orchestre de Belleville le 16 novembre,l'Orchestre Métropolitain le 27 novembre,Swingle Singers le 7 décembre.

billetterie1 855 790-1245514 495-9944 1248 rue Bernard O. Outremont

L’AUTOMNEAU THEATRE OUTREMONT

Partenaire de prestige

Marcel Sabourin 27 septembreMarie-Jo Thério 28 sept., 5 et 12 oct.Lorraine Desmarais 4 octobreClaire Pelletier 10, 11, 17, 18 et 19 oct.Jean-François Lépine 31 octobre

Pour la programmation détaillée theatreoutremont.ca

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Extrait de la publication

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Je viens de prendre connaissance de votre compte-rendu«  L’enseignement est-il soluble dans la réforme ?  »,publié dans le n° 244 de Spirale (printemps 2013), demon livre Dans la classe. Essai sur l'enseignement àl'heure de la réforme (Éditions Liber, 2012).

Je vous remercie d’avoir consacré temps et efforts à lalecture de ce texte. Il est émouvant de se savoir lu et, enl’occurrence, de se savoir lu par des collègues.

Cependant, je souhaite attirer votre attention surquelques points qui, je dois l’avouer, m’embarrassentquelque peu.

Vous commencez par affirmer que « [t]rop peu de pro-fesseurs écrivent sur l’enseignement ». Vous ajoutezque, « quand ils le font, c’est plus souvent pour illustreret promouvoir certaines théories pédagogiques […] quepour réfléchir à leur pratique singulière ». Je suis plusque d’accord avec vous ; aussi, je m’étonne quelque peuque vous estimiez que je n’invite pas suffisamment lelecteur dans ma classe (au moins quatre occurrencesdans les deux premières colonnes du texte). Or, réfléchirà sa pratique, cela signifie avant tout s’interroger sur lesens de ce que l’on fait (pour minimalement s’assurerque ce sens n’est pas détourné, en fin de compte), et cesens ne peut venir uniquement de ce qui se passe entre

les quatre murs et les quelques heures durant lesquellesla leçon a physiquement lieu. La classe (ce qui expliquele chapitre sur la violence) est le point focal de la société,de ses fantasmes (des fantasmes de ceux qui sont aupouvoir), de ses objectifs, de sa manière de concevoir lavie, la joie, la liberté, l’amour… Point focal, parce quec’est là que la société se passe, en premier lieu. La classe,c’est tout cela, et lorsque nous enseignons, nous nesommes pas isolés de cette réalité ; c’est à cela que j’es-saie en premier lieu de réfléchir. Je serais par ailleursravi d’échanger avec vous sur les aspects professionnelsde ma pratique institutionnelle, comme je le fais dureste régulièrement avec mes collègues.

De plus, je dois vous avouer que, tout en sachant perti-nemment qu’un texte, une fois publié, voire une foisécrit, n’appartient plus à son auteur, je ne reconnais pasce que j’ai écrit dans votre compte-rendu. Vous souli-gnez en effet ce que vous considérez, à bon droit, commedes manques, mais ne dites rien de ce qui est effective-ment présent dans mon essai — car, tout de même, enquelque 150 pages, il n’y a pas que des trous.

Vous affirmez, et c’est votre critique principale, que si jedéfinis l’acte d’enseigner comme acte de transmission,je ne dis par contre pas quoi transmettre, à qui et com-ment. Soit. Cependant, ce n’était pas l’objectif de l’essaiproposé, comme cela était clairement énoncé dès la troi-sième page de l’introduction : l’enseignement peut-ilêtre autre chose que la reproduction des objectifssocioéconomiques de l’institution ? Telle est la questionqui sous-tend, en résumé, celle de l’enseignement. Votrecritique est, bien entendu, fort juste, mais elle s’adresseà un livre que je n’ai pas écrit. Bref, en insistant sur ceque j’aurais dû, selon vous, dire et que je ne dis pas, vouspassez sous silence ce que toutefois je dis dans ce texte,ce qui, dans un compte-rendu, fût-il critique, me paraîttout de même un peu tendancieux.

Pourtant, je montre non seulement qu’il y a un arrimageentre l’économie et l’éducation dans la réforme, maisque la réforme est l’expression, inscrite dans les rouages

ACTUALITÉS, CONSTATS, DÉBATS

Réponse à François Rochon

PAR SÉBASTIEN MUSSI

Cher monsieur Rochon,

SPIRALE 246 | AUTOMNE | 2013 7

Je montre aussi que la réforme, en tantqu’expression du néolibéralisme, parcequ’elle en vient à nier toute temporalité(mémorielle, particulièrement), est aussi une négation de toute finitude et que c’est cette négation que noussommes encouragés à transmettre à nos étudiants…

Extrait de la publication

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8 SPIRALE 246 | AUTOMNE | 2013

mêmes de nos lieux de transmission, de ce que l’onnomme le néolibéralisme (et, dans ce sens, l’enseigne-ment doit donner lieu à une herméneutique du néolibé-ralisme). Je montre aussi que la réforme, en tant qu’ex-pression du néolibéralisme, parce qu’elle en vient à niertoute temporalité (mémorielle, particulièrement), estaussi une négation de toute finitude et que c’est cettenégation que nous sommes encouragés à transmettre ànos étudiants…

Enfin, vous m’accusez de pessimisme et de résignation.Parce que je ne propose pas de solution, parce que je nem’illusionne pas sur l’impact de ce que je fais en classe(puisque la classe, ce n’est pas seulement quatre murs etquelques heures…). Il est, à mon sens, illusoire de penser

qu’un individu seul est plus fort qu’une institution. Unprof peut être génial ; il peut bouleverser ses étudiants.Mais les exigences des programmes demeurent, lescontraintes et les contrôles se font de plus en pluspesants, l’épuisement guette, la formation des maîtres(axée uniquement sur la pédagogie par compétences)prend de plus en plus de place, la réforme touche lesmodalités d’évaluation (tout cela, j’en parle, soit dit enpassant, et mon constat n’est pas aussi gratuit que vousvoulez le faire croire), les « bébelles » de l’assurance qua-lité font leur bonhomme de chemin, en silence…

Rassurez-vous : j’aime enseigner, je le fais avec infini-ment de bonheur et de plaisir, et je sais maintenantpourquoi j’enseigne comme je le fais. Il y a aussi danstout cela de la tristesse et un grand sentiment d’impuis-sance, ce que vous confondez, je pense, avec le pessi-misme et la résignation.

« Que faire ? » serait plutôt la question à poser. Je vaistenter une réponse, aussi brièvement que ce soit.

Il me semble qu’en classe, dans sa pratique singulière, il esturgent de déstructurer ce que le philosophe Bernard Stieglerappelle « le temps industriel », qui vise à la standardisation

de la mémoire et des consciences. C’est essentiellementà cela que je m’essaie (via la lecture en particulier), dansla mesure de mes moyens et de ma compréhension.

En outre, ce qu’il faudrait à mon sens faire, c’est créer uneassociation libre de professeurs — dont « Les profs contrela hausse » sont peut-être un début —, qui seraient enaccord sur un constat quant à l’enseignement au Québec(et ce, avant qu’on nous impose un ordre professionnelqui nous échappera). Cette association pourrait, dès lors,à partir de positions disciplinaires et d’un métier assuméen toute joie et plénitude, opposer un véritable contre-poids aux experts de tout poil qui se mêlent de ce qu’ilsne connaissent manifestement pas et, ainsi, construireun rapport de force qui, seul, peut préluder à un véritabledialogue sur la question de l’enseignement. Impliqueraussi les collègues à la retraite, détenteurs d’unemémoire qui va, à très court terme, nous manquer cruel-lement (j’en ai fait l’expérience concrète et traumatiquedans ma propre institution).

J’ai tenté, pour ma part, un constat. Il me semble quec’est le point de départ nécessaire pour faire quelquechose, que ce soit entre les murs de ma salle de classe, ou« dans la classe » telle que je l’entends ici.

Je termine, cher monsieur Rochon, par un élément quine cesse de me surprendre : tout le monde ou presque(ce sont du moins les échos qui me viennent auxoreilles) semble d’accord avec le constat concernant l’ar-rimage entre l’économie et l’enseignement ainsi que sesconséquences (constat que je ne fais que répéter, qui n’arien d’original, mais qui donne lieu à ma réfl exion). Maispersonne, ou presque, ne s’en indigne, personne ne crieau scandale. Il est plus facile d’affirmer que les auteursde ces constats ont raison, mais qu'ils exagèrent, qu’ilsjettent le bébé avec l’eau du bain, qu’on n’en est pas là,qu’il faut comprendre ce que l’on nous dit et nousimpose, que tous ces gens-là travaillent fort, qu’en classeon fait du travail formidable…

On devrait pourtant hurler devant la violence de ce quise produit et que l’on fait subir à nos étudiants (un autrepoint que vous passez sous silence) ; parce que le fondde la chose, ce n’est pas de savoir si on est un bon prof ousi ce qu’on fait en classe est chouette, mais bien de saisirce qu’on leur fait, à eux, nos étudiants.

Vous m’accusez sans ambages de faire partie, en raisonde ce que vous percevez comme du défaitisme, des fos-soyeurs de l’éducation. Nier ce qui se passe actuellementdans nos collèges participe de cette mise en terre bienplus que la tentative d’en faire lucidement le constat etde réfléchir à ce dernier dans ses conséquences ultimes.

Recevez, cher monsieur Rochon, mes meilleures salutationset mes vœux pour la session en cours.

On devrait pourtant hurler devant la violence de ce qui se produit et que l’on fait subir à nos étudiants (un autrepoint que vous passez sous silence) ; parce que le fond de la chose, ce n’estpas de savoir si on est un bon prof ou si ce qu’on fait en classe est chouette,mais bien de saisir ce qu’on leur fait, à eux, nos étudiants.

Extrait de la publication

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L a relation établie entre la figure et lecadre, entre les éléments représentés

et le rectangle de découpage de l’œuvre,constitue un des codes de composition,puis de lecture de l’image. Or, plusieursartistes et photographes contemporainsse sont attachés à l’étude du décentre-ment de la figure. Sophie Lanctôt peintun univers de tensions, soumis à lafragmentation, à une dynamique où lesforces d’effacement et d’apparition met-tent en péril les objets, les parties ducorps, les points de vue, les espaces, lelangage même. Dans les séries sur leslieux qui l’ont occupée ces dernièresannées, l’exercice a souvent consisté àdécouper un détail du visible, à le cadreren gros plan ou en plan rapproché, l’ex-trayant partiellement ou totalement deson contexte. Méditation sur l’espace,exploration accompagnée, entre autres,par la lecture d’Espèces d’espaces, queGeorges Perec a composé comme uneinstallation dans le livre. Chaque frag-ment du souvenir, souvent lié à des per-sonnes précises et à leur lieu de vie, à desmoments choisis, ainsi qu’à une insis-tante Mémoire d’ateliers (titre d’uneexposition de 2008), appartient à unecollection individuelle de morceaux iso-lés du passé, devenus pièces du présent,dans un effort de recomposition, alorsque les cadres de mêmes dimensions seprésentent en séquence horizontale, endamier ou en mosaïque. Un fauteuil, unlustre, un coin de séjour, une lampe, desbibelots sur une tablette, des jouets quitraînent, etc. (voir, plus particulièrement,les séries de 2002-2006 sur le site del’artiste). Multiplicité du temps arrêté etréinventé. Découpe du monde en zonesd’apparition.

Cette méthode longtemps pratiquéeconduit à l’imaginaire des Zones qui scin-dent la topologie urbaine. L’exposition

d’œuvres récentes (2010-2013) de SophieLanctôt laisse, cette fois, libre cours auxforces centrifuges qui habitent le travail.Certes, sur le mur de gauche, une série depetites toiles tentent d’enserrer, d’enfer-mer les figures, à l’étroit dans leur cadrecarré. Personnages en déplacement, por-tant leurs bagages. Significativement,cette compression augmente l’intensitédu milieu où ils transitent, suscitant unetraversée de couleurs saturées, acides,diverses et opposées, où les motifs agis-sent comme porteurs de la sensation.Inversement, dans plusieurs des nom-breux grands formats, dispersés à l’entréeet dans les autres perspectives de la salle,les figurants déambulent dans une sur-face qui a subi une dilution importante,la pâleur de l’espace réduisant la couleurà des zones incertaines et à des tracesfugitives.

Ainsi, le récit formel des figures en fuiteprime. La thématique des lieux de passage

s’ajoute, se superpose à une expériencepremière des taches en mouvement, àune tension originelle entre l’apparitionet la disparition, qui en vient à produireune figuration. Les déplacements  —déplacement des corps et déplacementde l’œil qui les suit — ouvrent l’espace,entraînent une éphémère illusion de pro-fondeur, vite fondue dans la matière pic-turale, mobile et fluctuante. L’artiste peutdéclarer se pencher sur des lieux de tran-sit et des espaces publics — particulière-ment l’aérogare, mais aussi la rue, lesparcs, toutes les salles des pas perdus —,pour en étudier les effets sur les figures,les personnages, les personnes, il n’endemeure pas moins que, face à ces lieux,elle retrouve la tension fondamentale del’œuvre (comme le sculpteur AlbertoGiacometti devant ses « places » où sesfigures filiformes se croisent sans se voir).La peintre, elle, tente de retenir pour unbref instant, dans le cadre de la vision, cespersonnages anonymes, cet anonymat

Figures en fuitePAR ANDRÉ LAMARRE

ZONESexposition des œuvres récentes de Sophie LanctôtGalerie McClure du Centre des arts visuels, Montréal, du 1er au 23 février 2013.

ARTS VISUEL

Sophie Lanctôt, En transit 4 ; Huile sur toile, 47 x 60 cm, 2012.

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en marche, cette épreuve de l’efface-ment. Passants, passantes, passagers,passeurs, parfois temporairement à l’ar-rêt avant de reprendre leur course ;toutes ces silhouettes se révèlent moinsporteuses d’un destin inconnu, d’uneidentité secrète, d’une histoire cryptée,que d’une énergie brute de l’être et dumouvement.

Les passants traversent le temps. Depuisquelques années, sur fond blanc, l’artisteen a tiré une série de plusieurs dessins, àlaquelle l’exposition Départ a été consa-crée en 2010, à la galerie Les Territoires(au nom si juste, dans ce contexte).Certains d’entre eux ont accompagné leschroniques de Louise Warren publiéessous le titre « Je suis de ce monde », dansla revue Relations, entre 2011 et 2012.Évoquant tout ce blanc autour desfigures tracées, l’essayiste compare levide de la feuille de dessin à l’espace de lapage où surgit le poème. Quelques-unsouvrent l’exposition de cette année, dèsl’entrée, où les figures esquissées au gra-phite, ponctuées de rares et infimestraces de couleur, annoncent, comme ennégatif, les toiles qui les prolongent.

La marche et La route sont deux titres dedessins de 2010. Lanctôt y transpose lapensée de L’homme qui marchait dans lacouleur, où Georges Didi-Hubermannomme « ce grand vent du dissemblable »qui affecte toute peinture, les traces nonfiguratives se révélant antérieures au pro-jet de figuration. De même, cet essai iden-tifie la galerie d’art, ce non-lieu, à la fois

comme réceptacle et comme obstacle à« l’expérience du lieu déserté », mettanten relief la constante confrontation entrel’œuvre et le lieu d’exposition. ChezLanctôt, la route de l’œuvre, celle du geste,du dessin, de la peinture, implique lesdéplacements de l’artiste non seulementdans sa toile ou sur le papier, mais aussi,très concrètement, dans l’atelier. Destoiles la montrent, de dos, en mouvement.En écho apparaît, suspendu au mur defond de L’atelier, dessin de 2011 (reproduitdans Relations en avril 2011), un autre des-sin de cette série, vers lequel nous diri-geons notre regard : deux figures avecvalises à leurs pieds. Constituant unmonde en soi, la représentation de l’ate-lier contient aussi des images, des nuages,des objets, une chaise et une valise.

Certes, les lieux choisis, à peine esquissés,souvent devinés, travaillent à la déper-sonnalisation, imposent l’attitude del’attente, le sentiment du temps perdu,la fébrilité des tâches du passage, del’entre-deux du voyage, du travail, voiredu loisir. Nous avons tous vécu cesmoments de fuite. Sophie Lanctôt repré-sente les diverses variantes de cettetension du corps et de l’espace qui lecontient, le contraint, le déporte, puis l’ex-pulse. Une des Voix d’Antonia Porchia dit :« Toute chose existe par le vide qui l’en-toure. » La peintre des passages peintainsi le vide. Expérience du vide qui nousvide de nous-mêmes, porteurs de valises,d’enfants dans nos bras, suivis, voire sur-veillés, par des chiens, voyageurs sansbagages ou, au contraire, chargés de

toute une vie, de toute une œuvre. Peuimportent ici la psychologie, la sociologie,l’histoire, la politique qui hantent leslieux de passage. Tout être se réfugiedans la périphérie. Exil et voyage s’appa-rentent, réalité et imaginaire s’équiva-lent, départ et arrivée s’annulent. Mêmesi ses mises en scène peuvent s’impré-gner d’incertitude, d’inquiétude, d’an-goisse, Sophie Lanctôt, en intensifiant levide que nous parcourons et qui nousparcourt, intensifie l’existence. « Il fautsavoir marcher comme des fantômes »,écrivait Louise Warren dans l’une de seschroniques.

L’expérience ne s’arrête pas là, au seuil dechaque toile individuelle, voire à laséquence d’une série ou aux nombreuxéchos formels des grandes toiles. Cetaccrochage doit être vécu comme uneinstallation, sobre, discrète, efficace. Ils’agit là d’une véritable mise en abyme,puisque la galerie d’art constitue aussiun lieu de passage où se produisentdivers déplacements, à diverses vitesses,où le spectateur parfois n’est qu’un pas-sant, un fantôme. Le travail de l’œuvre nepeut qu’être passager, le regard y entre,puis en ressort, en ayant conservé uneempreinte à la durée variable. Zone derencontre. Même si l’amateur désiredonner de son temps, s’approcher desœuvres, aller et revenir, finalement, à lamanière des figures en fuite qu’il a consi-dérées, qu’il a vues presque toutes tour-nées vers l’extérieur, vers un lieu de desti-nation, il faudra qu’il quitte, lui aussi, lecadre de l’exposition.

Vue partielle de l’exposition Zones à la galerie McClure (1 er février au 23 février 2013).

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Magnus Isacsson (1948-2012)était un cinéaste engagé, émi-

nemment progressiste, qui a réalisé prèsd’une vingtaine de documentaires aucours de sa carrière. De Toivo (1990) àL’art en action (2009), en passant par Lenouvel habit de l’empereur (1995) etEnfants de chœur (1999), l’œuvre cinéma-tographique d’Isacsson comporte uneremarquable cohérence stylistique etthématique. Certes, la démarche esthé-tique du réalisateur n’était pas des plusavant-gardistes. Cependant, sa forma-tion en sciences politiques et sa visionhumaniste de l’existence lui ont souventpermis de poser un regard aigu sur desphénomènes sociopolitiques contempo-rains. Conscient des inégalités socialesqui sévissent au Québec, comme dansl’ensemble du monde, Magnus Isacssona réalisé plusieurs films traitant de cephénomène, durant une période quis’échelonne sur trois décennies. Peu detemps avant de s’éteindre, Isacsson a puachever le montage de Ma vie réelle(2012), un long métrage qui s’inscrit plei-nement dans l’esprit de l’ensemble deson œuvre. Sensible à la problématiquetouchant au décrochage scolaire et à lareprésentation médiatique superficielleque l’on propose de l’arrondissement deMontréal-Nord, suite aux émeutes de20081, le cinéaste a cru opportun dedémystifier un certain nombre de clichésdans son dernier documentaire. Sansprétendre brosser un portrait exhaustifde ce quartier défavorisé de la métropolequébécoise, Magnus Isacsson nousmontre comment des jeunes gens quil’habitent composent avec la réalité quiles entoure. Ces garçons — qui se nom-ment Alexandre, Danny, Michael etMickerson — cherchent à surmonter les

nombreux obstacles auxquels ils sontconfrontés. Afin d’y parvenir, ils exposentleurs difficultés quotidiennes à DonKarnage, un animateur communautairequi tente de favoriser leur épanouisse-ment personnel.

UNE ÉCRITURE FORT SOBREComme dans ses films antérieurs,Magnus Isacsson adopte un style d’unegrande simplicité pour relater le chemi-nement des principaux personnages desa narration. En d’autres termes, il évitetoute forme de maniérisme pour saisirrigoureusement les traits essentiels deses sujets. Sur le plan visuel, Isacssonvarie adéquatement les angles de prisesde vue de la caméra et met en valeur laphotographie dépouillée de l’opérateur

expérimenté Martin Duckworth. De fait,Isacsson et son collaborateur décriventavec doigté un univers largementméconnu du spectateur. Sur le plansonore, le cinéaste utilise la narration envoix hors-champ avec pondération afind’assumer son double rôle d’observa-teur et d’intervieweur face aux diversintervenants du film. Adepte du cinémadirect, Magnus Isacsson suit de très prèsses différents sujets, les cerne dans leurenvironnement, durant un long laps detemps : précisément, il nous dévoile lesmoments les plus significatifs de la viequotidienne de quatre jeunes gens quiont pour dénominateurs communsd’apprécier particulièrement le rap,d’être issus de milieux fort modestes etd’avoir abandonné l’école de manièreprématurée.

Des virtualitéshumaines

PAR PAUL BEAUCAGE

MA VIE RÉELLE de Magnus IsacssonQuébec, 90 min.

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CINÉMA

Ma vie réelle, de Magnus Isacsson, Québec, 90 min.

Extrait de la publication

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DES EXPÉRIENCESÉPROUVANTESDès le début de sa narration, le cinéasteannonce au spectateur sa volonté des’opposer à une représentation som-maire des personnages, qui pourraitconfiner à une certaine forme de fata-lisme. Dans cet esprit, Isacsson nous faitdécouvrir des individus conscients desluttes qu’ils doivent mener afin d’amélio-rer leur sort au sein de la société danslaquelle ils se meuvent. Malgré des res-sources financières particulièrement res-treintes, les deux frères Stiverne sem-blent aptes à composer avec le mondequi les entoure. Progressivement, onapprend qu’ils ont vécu des expériencesdéplorables, qu’ils ont été abandonnésen bas âge par leurs parents et qu’ils ontété placés dans différents foyers d’ac-cueil. L’un et l’autre ont ainsi souffert d’unimportant manque de stabilité durantleur enfance. Cela explique, en partie, lefait que Michael ait temporairementemprunté la voie de la délinquance.Pourtant, l’aîné des frères Stiverne admetqu’il a tiré de cette erreur de parcoursd’opportunes leçons et qu’il a cessé decommettre des gestes répréhensibles.

Il reste que Michael doit se rendre àchaque fin de semaine en prison afin d’ypurger une peine à laquelle il a étécondamné. De manière à donner forme àcette problématique, le cinéaste repré-sente le passage du jeune homme de lavie normale à la vie carcérale. Ayantréussi à établir une relation de familiaritéavec le garçon d’origine haïtienne,Isacsson le filme naturellement lorsqu’ilse rend au pénitencier. Syntaxiquementparlant, le documentariste utilise, parmoments, la caméra à l’épaule et faitalterner des plans serrés avec des planslarges, dans le but d’écarter toute espèced’esthétisme de son œuvre. En outre,Magnus Isacsson suit Michael jusqu’à laporte de la prison et nous laisse claire-ment entendre que l’action qui aura lieuen hors-champ s’inscrira dans le sillagede la représentation à l’intérieur duchamp de la caméra : Michael Stiverne segardera de se laisser influencer par desgens peu recommandables durant sapériode de détention. Loin de manifesterde la naïveté envers le jeune homme, lecinéaste permet au spectateur d’appré-hender, réellement et métaphorique-ment, la démarche d’un individu qui a

compris, de façon pénible, que le mondeinterlope pouvait lui causer bien destracas…

LE POTENTIEL ET LES LIMITES DU RAPÀ notre avis, le personnage le plus fasci-nant du film de Magnus Isacsson estcelui d’Alexandre, qui se distingue nette-ment de ses pairs en raison de son élo-quence et de son extraversion. Le specta-teur pourra constater qu’Alexandre sesert volontiers de son habileté langagièrepour lui dévoiler certains des mystères desa psyché. Parmi les scènes marquantesdu documentaire, référons-nous à celleoù l’on voit le jeune homme se lancerdans une envolée lyrique de rap danslaquelle il témoigne expressément duressentiment qu’il entretient envers samère, Céline. En utilisant des mots élé-mentaires, mais vifs, il règle ses comptesavec cette dernière et lui exprime, inabsentia, sa révolte par rapport à l’aban-don qu’elle lui a infligé. Sur le plan visuel,Isacsson choisit d’épouser le rythme dumouvement, de la scansion d’Alexandreafin de traduire l’intensité de ses états

d’âme face à une réalité qu’il a beaucoupde mal à apprivoiser. En se servant d’unplan très long et en opérant des effets defocales minutieux, le réalisateur suggèreavec adresse le dévouement du garçonenvers son art. Certes, durant unmoment, le pouvoir cathartique du chants’avère indéniable. Et pourtant, cetteséquence n’évoque pas l’ensemble desémotions que le jeune homme éprouvepour sa mère. En effet, Alexandre entre-tient des sentiments très ambigus parrapport à Céline.

DE PÉNIBLES« RETROUVAILLES »Une des séquences les plus significativesdu long métrage d’Isacsson reste cellequi dépeint les retrouvailles d’Alexandreet de sa mère, Céline, dans l’appartementde cette dernière, toxicomane. De façonclaire, le jeune homme attendait avecimpatience de renouer avec celle qui l’amis au monde. Néanmoins, une fois chezelle, il ressent une vive déception par rap-port à l’attitude égoïste et irresponsablequi caractérise la quadragénaire : elle le reçoit de manière particulièrement

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Magnus Isacsson

Extrait de la publication

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cavalière et ne manifeste guère d’affec-tion à son égard. Ayant recours à desmouvements de caméra souples et à undécoupage précis, le cinéaste nous révèleà quel point la mère d’Alexandre est rava-gée par le fléau de la drogue. Par ailleurs,en cadrant Céline et Alexandre constam-ment à distance l’un de l’autre, le réalisa-teur nous suggère l’incapacité des deuxêtres à se rejoindre vraiment dans l’es-pace et le temps. Magnus Isacsson clôt cepassage insolite en se servant d’un planserré qui identifie le malaise d’Alexandre :celui-ci est incapable de cacher à l’œil dela caméra la déception qu’il ressent parrapport au comportement embarrassantde sa mère.

UNE ESTHÉTIQUECONTRASTÉEUn des principaux mérites de Ma vieréelle réside dans son montage synthé-tique, qui permet au réalisateur demettre en lumière les fragments les plusemblématiques de la vie du quatuor dejeunes gens. Organisant l’espace et letemps de l’œuvre de manière harmo-nieuse, Magnus Isacsson parvient à jux-taposer deux univers : celui du réel etcelui de l’imaginaire des protagonistes.En d’autres termes, le documentaristetrace des cadres spatiotemporels com-plémentaires, correspondant à la person-nalité de chacun de ces individus. Ainsi,Isacsson suggère adroitement au specta-teur que la résolution des problèmesvécus par les sujets filmés passe par l’ac-tualisation de leurs passions particu-lières. En ce qui a trait à Mickey Stiverne,par exemple, on constate qu’il réussit àsurmonter l’épreuve de s’acquitter d’untravail fastidieux en préservant unespace onirique dans lequel il peut seprojeter. Durant une séquence évocatricedu film, on voit le jeune homme profiterd’une pause au travail pour composer, surson téléphone portable, un air de rap

stimulant. Dans ce cas, l’utilisation d’unplan d’ensemble nous montrant Mickeyen train de peaufiner son texte, tandisqu’un chauffeur de camion de l’entre-prise gare son véhicule à quelquesmètres de lui, se révèle éclairante. Par lebiais de ces images symboliques, duesaux hasards propres au tournage et à lacapacité du cinéaste de les incorporer àsa narration, Magnus Isacsson nousdépeint finement le goût musical d’unjeune homme, lequel se situe à contre-courant de la grande majorité de ses col-lègues. En termes sonores, il convient desouligner que le réalisateur utilise perti-nemment la musique enlevée de RobertMarcel Lepage : ce dernier insuffle un

élan remarquable aux mots de Mickey etfacilite notre compréhension des valeursqui animent ce jeune homme.

LE FOND ET LA FORME DE L’ŒUVREMême si Danny ne possède pas une créa-tivité comparable à celle d’Alexandre et deMickey en matière musicale, il demeureun jeune adulte qui souhaite s’épanouirau sein de la société. Cependant, unmanque d’estime de soi prononcé l’em-pêche de mener à terme ses projets lesplus chers. Toutefois, il croise un jour surson chemin, l’animateur communautaireDon Karnage, qui lui redonne confianceen ses propres moyens. Saisissant cetterencontre, «  en direct  », dans un styleminimaliste, Magnus Isacsson utilise descadrages serrés pour traduire l’impor-tance de la communication corporelledes deux interlocuteurs, à travers leurconversation fertile. Le spectateur atten-tif ne tarde pas à constater que le réali-sateur atteint une appréciable adéqua-tion entre la forme de la scène et soncontenu. Cela dit, le documentaristenous signale que l’animateur commu-nautaire convainc son interlocuteur de

tenter d’aller vivre seul en appartementafin de rompre le cordon ombilical l’unis-sant à ses parents. Ultérieurement, lesévénements se précipitent et on voitDanny emménager, avec enthousiasme,dans son nouveau logement. Ayantrecours à d’audacieuses ellipses et réaffir-mant une dialectique du champ et duhors-champ narratifs, le cinéaste signifieau spectateur que Danny relève un défimajeur dans le processus de son dévelop-pement personnel. Concrètement, lejeune homme se garde de sombrer dansle farniente, voire dans le défaitisme, ense procurant un espace d’autonomieidoine. Du reste, on remarquera que leréalisateur trace une dichotomie biensentie entre la nouvelle attitude deDanny, qui s’efforce d’améliorer considé-rablement sa qualité de vie, et celle de samère, qui se complaît dans la représenta-tion du monde réductrice que véhiculentdes émissions de télévision médiocres.

Grâce à Ma vie réelle, Magnus Isacsson,cinéaste du regard, achève son parcoursartistique de façon brillante. La réussitedu dernier film du documentaristedécoule de sa capacité à créer des imageset des sons authentiques sans jamaisrenoncer à atteindre une élégance stylis-tique fondamentale. Établissant une rela-tion étroite entre les dimensions éthiqueet esthétique de la narration, le cinéastenous prouve, une fois de plus, que laquête de la vérité cinématographiquene saurait s’imposer au détriment del’équilibre formel et vice-versa. Évitantles écueils du film à thèse, il réalise uneœuvre pénétrante qui, au-delà des sté-réotypes racoleurs, donne à entendre lamusique intérieure qui anime ses princi-paux personnages. Dans ces circons-tances, il faut souhaiter que d’autresmetteurs en scène québécois prennentbientôt la relève d’Isacsson et qu’ilssachent créer des documentaires enga-gés, dans lesquels ils parviendront àconcilier l’étude psychologique de l’êtrehumain, l’observation sociopolitique dela réalité et l’affirmation d’un idéal artis-tique élevé.

1. Il s’agit des émeutes qui ont eu lieu dans cetarrondissement suite à la mort de Fredy Villanueva enaoût 2008.

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La réussite du dernier film du documentaristedécoule de sa capacité à créer des images et des sons authentiques sans jamais renoncer àatteindre une élégance stylistique fondamentale.

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On connaît le Descartes philosophe,auteur du fameux cogito qui est à

la philosophie ce que l’équation d’Einstein(E = MC2) est à la physique. On connaît leDescartes mathématicien, inventeur dufameux plan cartésien dont chaque éco-lier a dû porter la croix, forcé de caser lemonde suivant les noces de l’abscisse etde l’ordonnée, où les chromosomes X / Yse voyaient réduits à n’être plus que desimples coordonnées à l’usage des géo-mètres. On connaît moins, cependant, leDescartes rêveur, le Descartes visionnaire,le Descartes psychonaute. Avant de rédi-ger son Discours sur la méthode, « véri-table coup d’État dans la pensée philoso-phique du XVIIe siècle », Michaël Lachancenous rappelle ici que le jeune homme, l’es-prit enflammé par l’excès de tabac, fittrois songes dans la nuit du 11 novembre1619, dont il a consigné les images dansun petit registre en parchemin. Si lemanuscrit original en a été perdu, l’essen-tiel en a été restitué par le compte renduqu’en donne Adrien Baillet dans sa Vie deM. Descartes, publié en 1691.

LA NUIT OBSCURE OUL’ENVERS DU COGITOC’est sur la base de ce compte rendu queMichaël Lachance s’emploie à revisitercette suite de songes incandescents dontil propose une « reconstitution poétique »partagée en deux voix : celle du narrateur,parlant du philosophe à la troisième per-sonne ou l’interpellant directement en letutoyant ; et celle de M. De� cartes (écritavec un s long afin de distinguer ce personnage de rêve et de fiction duDescartes historique), mise en retrait afinde la distinguer de la parole de son com-mentateur-interlocuteur. La thèse deLachance est aussi simple que saisis-sante : l’invention du cogito que l’Histoirea fait passer pour une des plus hautesconquêtes de la pensée constitue en fait

une réaction de défense, unréflexe panique et pusilla-nime devant l’Abîme entrevuen songe. Franchissant lesportes de corne et d’ivoire, seréveillant dans son rêve, lephilosophe aurait vu «  lamatrice qui nous relie tous »,la mer sombre de conscienceoù l’âme se dissout et s’en-souche simultanément — etn’en aurait pas supporté larévélation.

Le cogito et le système phi-losophique qui en décou-lera constitueraient, à cetégard, une tentative déses-pérée de conjurer les fan-tômes et les visions quiauront fait si dangereuse-ment vaciller le socle fonda-mental de l’être, ce que lephilosophe croyait avoiridentifié comme l’inébran-lable assise de l’esprit. Àcette « connaissance par lesgouffres » (Henri Michaux)qui s’offrait à lui, il opposerale savoir étriqué du rationa-lisme ; contre les Illuminations queRimbaud tirera de sa saison en enfer,contre les fulgurances jaillies de cetteNuit obscure que Saint Jean de la Croixmettra en poème, il érigera le barrage deses axiomes et de sa « méthode », seretranchant dans le réduit schizoïde de lapensée diurne, en haine des domaines del’Ombre.

LE DÉMON DE LA RAISONCe « délire philosophique a décidé du des-tin de l’Occident, a provoqué un durcisse-ment de la raison », écrit Lachance. Noussommes tous les héritiers de Descartesqui, en barrant la voie du rêve, a enfermé

le sentiment d’exister dans l’autisme de laconscience spéculaire. « Il faut l’espacemental d’une civilisation pour forger le soi :mon sentiment d’exister est tributaire de laconscience-miroir forgée par Descartes ».Piégés de ce côté-ci du miroir, nous avonsperdu le chemin et la mémoire de l’accèsau pays des merveilles, esclaves de l’espritde géométrie où s’est tapi le Malin Génie.Le véritable maître des illusions c’est celuiqui, en nous retenant dans le cercle de ferde la rationalité, ne nous livre plus qu’àune vie mutilée, déréalisée. « Le Démonest dans la Raison » qui s’enivre de ses pro-jections et s’éprend d’elle-même — exi-lant l’esprit, dont elle a pris possession,dans un asile d’abstractions.

Descartes mystiquePAR GUILLAUME ASSELIN

LE CERVEAU EN FEU DE M. DE�CARTES de Michaël LachanceTriptyque, 136 p.

Tu es ce fantôme qui passe par des chambres de feu

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ESSAI

Extrait de la publication

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En refusant d’embrasser l’autre versant dela conscience qui s’offrait à son explora-tion à travers le défilé des visions, le philo-sophe chute dans le mirage dualiste,entraînant l’Occident à sa suite. Optantpour l’Arbre de la Connaissance, il secoupe de l’Arbre de Vie faseyant commeune flamme dans les entrailles secrètesdu songe. Le je pensant est à jamaisamputé du monde et des sources duVivant. Naguère bruissant de voix, four-millant de forces et de dieux, peuplé deprésences, l’univers ne lui apparaîtra plusque comme une étendue de matièreinerte, où l’Âme du monde n’est plusqu’un cadavre bon à fouler sous lesbottes. Aux yeux des mécaniciens et desmathématiciens, l’existence n’est rien deplus qu’une équation : les animaux nesont-ils pas eux-mêmes réduits, sous lesortilège de la Raison réifiante, à n’êtreplus que des «  machines  », simplesassemblages de ressorts et de pouliesdépourvus de sensations réelles ?

LE BAPTÊME DE FEUÀ quoi ressemblerait aujourd’hui le visagede l’Occident si le philosophe s’étaitengagé jusqu’au bout de la voie du rêvequi se déployait devant lui ? C’est la ques-tion à laquelle Lachance tente de répondreen nous introduisant dans la tête d’unDe� cartes hésitant sur le seuil des mys-tères, en proie au doute radical suscité pardes visions qui le font soudain basculerdans « l’interstice des mondes » ouvrantsur de « nouveaux séjours ». Le sentimentqu’il avait de son moi s’évapore alors qu’ilse découvre sous la coupe d’un espritbeaucoup plus ample que le sien, donttémoignent les mystiques : « je suis pensé,plus que je ne pense, par une pensée quin’en est pas une. Je suis rêvé par un songe ».Le corps lui-même n’apparaît plus quecomme le résultat d’une crispation de l’es-prit, qui n’est lui-même qu’un fantômefourvoyé dans un théâtre de reflets sansconsistance, un pli dans le voile de Mâyâ :« Je suis cela, un ocelle aperçu dans le voilede l’illusion ».

Démembrée sous les flux et les courantsd’intensité qui la traversent et l’incen-dient, sa psyché vole en éclats : « Ma têteest une chambre de miroirs brisés  »,observe le philosophe assistant, impuis-sant, à la mort de son moi. Commel’Inanna du mythe mésopotamien, forcéede se dévêtir au fil de sa descente auxenfers, le philosophe est tenu de sacrifier

tout ce à quoi il s’était identifié, afin d’ac-céder au vide originel qui sous-tend le réelet les phénomènes dont l’esprit agité neperçoit que l’écorce, le corps grossier.Mais, comme peuvent en témoigner ceuxqui se sont essayés à la méditation, « [s]emettre l’esprit à nu est assurément plus dif-ficile que de brûler sa maison ! » Il lui fautpourtant «  entr[er] dans le feu afind’éprouver [s]es attachements  », mourirplusieurs fois au cours de « cette traverséevers l’autre rive de soi ». C’est le quatrièmesonge, dont Lachance imagine que le phi-losophe ne serait jamais revenu.Portraituré en « rêveur fantomal », il y estprésenté comme un mort qui rêve.Ignorant de son état post-mortem, il erredans une sorte de bardo, cet entre-mondeque les bouddhistes tibétains définissentcomme un espace purement psychiqueséparant la mort de la réincarnation. C’estle lieu où, libérée du voile de la matière,l’imagination prend corps, littéralement,de sorte que le sujet est directementconfronté à ses propres projections.

LE VIVIER DES IMAGESDans un cinquième et dernier songe, l’es-sayiste transporte le philosophe enpleine jungle tropicale où il le fait s’initierau chamanisme. Bien loin de son poêle etde ses quartiers d’hiver, le voici en traind’ingurgiter une décoction d’écorce et deliane ayahuasca aux effets psychotropestransformant la pensée en un « neuro-scope  » à travers lequel le monde semétamorphose en un fabuleux ondoie-ment de formes et de couleurs étince-lantes. Faisant sauter la cage de verre dela conscience égoïque, la medecina sacréeravive le lien originaire de l’esprit à laforêt, aux animaux et aux rivières dont ils’était exilé. « [L]a plante est un œil » quilui ouvre « de nouvelles fenêtres senso-rielles », à la faveur desquelles il accède à« une vie plus vaste » où tout apparaîtintimement intriqué. « Tu entrevois laterre comme un ciel plus dense. Tu voisavec ton ventre contre le sol ! Oui, tupenses avec la terre !  » S’attachant auchant sifflé de l’Uwishin — c’est le nomque les Shuars (auparavant appelésJivaros) donnent à leurs chamanes — , ilretrouve la mobilité des gestes libéra-teurs et la mémoire des souffles fossiliséssous la coque des concepts.

C’est un vibrant éloge de l’imaginationque nous livre ainsi Lachance en se saisis-sant du moment cartésien pour le faire

basculer du côté de la création et de larêverie visionnaires, récrivant l’histoire dela pensée occidentale du point de vue del’écologie intuitive des cultures autoch-tones : « L’Imagination fait mieux que laRaison lorsqu’elle traverse l’esprit d’unhomme : elle en extrait des fulgurancesqu’elle fait passer dans l’esprit de tous. Elleentre aussi dans les cœurs pour en tirer desétincelles, comme celles que l’on obtienten frappant des cailloux ». Aux spécula-tions hâves et spleenétiques des philo-sophes, l’essayiste oppose l’enthou-siasme des poètes qui « créent le mondequ’ils perçoivent » en le faisant advenirpar la parole et en donnant corps auximages qui les visitent en songe. Ce qu’ilfait d’ailleurs lui-même admirablement,en parsemant cette méditation de bellestrouvailles à quoi l’on reconnaît qu’il s’estlui-même aventuré aux antipodes de laconscience, passant de l’autre côté dont ilrapporte de véritables joyaux. Ceux-cibrillent devant l’œil de l’esprit comme cesfigures extraites du Traité de l’homme(1648) qu’il a judicieusement isolées etdétournées pour en émailler ce recueil,obéissant à la logique anachronique quipréside au rêve. Illustrant le mécanismedes songes sur le modèle des travaux dedissection conduits par le philosophe-chirurgien sur des cerveaux humains,toutes s’ordonnent autour de la glandepinéale — rayonnant comme un pépin defeu. Identifiée par la physiologie mys-tique à l’organe de la perception vision-naire, elle apparaît tour à tour commeune fleur, une amande ou une flammedans « l’amande matricielle » du songequ’il s’agit de fendre afin de mettre à nu« le noyau souverain de l’être », « où l’ima-gination s’imagine ».

Je pense à cet œuf trônant comme unenoix ou une châtaigne où se seraitcondensé l’univers que l’alchimiste alle-mand Michael Maier a posé sur une table,devant un foyer, dans le VIIIe emblème deson Atalante fugitive (1617). Un homme,l’épée levée, comme suspendue à la solen-nité du moment, s’apprête à le fracasser,suivant l’injonction de la légende sous-titrant la gravure : « Prends l’œuf et frappe-le avec un glaive de feu ». C’est l’essencemême du geste poétique qui troue etembrase le cerveau pour que monte enfin,affranchi des geôles de la Raison, le chantde la blessure capable de donner despoumons à l’imagination et de faire s’é-couler la sève du songe de ce côté-ci dumonde.

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Michel Dion a fait paraître, enfévrier 2013, un ouvrage dont le

titre avait tout pour attiser la curiosité, sus-citer l’intérêt et, peut-être aussi, la per-plexité. On pouvait légitimement, au pre-mier regard, juger l’essai prometteur, tantles études portant sur les représentationslittéraires du crime se font rares, tandis quel’analyse des fonctions et de la place fonda-mentale du crime dans l’histoire du romandemeure encore une piste de réflexion enattente de déblayage. Mais le livre déçoit àplusieurs titres. En effet, de l’« être », du« crime » et des « cinq romans-phares » quele lecteur est en droit d’attendre, il ne trou-vera que le lieu où ces trois éléments appa-remment capitaux ne cessent jamais, dansle discours de l’auteur, de briller par leurabsence.

L’ABSENCE DE L’ÊTREDans la courte introduction de l’ouvrage,Dion expose d’emblée et sans détour lesgrandes lignes de son projet. Il cherche,d’une part, à faire le relevé des « influencesphilosophiques et littéraires qui pouvaientêtre identifiées » dans les textes étudiés et,d’autre part, à mettre au jour les principales« composantes de la vision philosophique »des romanciers retenus, c’est-à-dire à la foisle « type de conscience morale » mis enscène dans les récits et la « position philoso-phique » des auteurs face à la question ducrime en général. Cette « vision », Dion pré-tend pouvoir la dégager à partir d’une lec-ture strictement thématique — mais nondéclarée comme telle — des œuvres. Dèsles premières pages, le concept de « crime »fait l’objet d’un déplacement significatif : ilest d’entrée de jeu inféodé à ce que l’onsuppose constituer la question de l’« être »,ou plus précisément il se trouve ramené auproblème des « catégories existentielles »

qui forment, pour Dion, « le berceau danslequel l’âme criminelle [notion dont onignore le sens et dont on se demande parailleurs si elle peut en avoir un] ira se réfugierou dont elle tentera de s’évader ».

À juste titre, l’auteur souligne que la com-préhension du phénomène criminel exige,en amont ou en aval, d’autres formes d’ana-lyse, une réflexion d’ordre existentiel. Maiscette position, qui en soi ne comporte abso-lument rien d’original, est d’autant plusfloue et limitative qu’elle ne donne lieu, ici,à aucune délimitation ou théorisationsérieuse de ce qui constituerait, en margede ces autres domaines de savoir, la sphèrede l’« existentiel », que Dion fait corres-pondre à un questionnement sur « lanature de l’être humain » et, ailleurs, aux« formes de finitude ». Bref, l’« existentiel »,c’est surtout un mot qui déploie un certainchamp connotatif, essentiellement topo-graphique, où le discours explore la « pro-fondeur » tout en marquant sa préférencepour les questions « hautes ».

Or, cette acception intuitive ne gênerait pasoutre mesure si l’« existentiel » ne se distri-buait pas, de façon quelque peu circulaired’ailleurs, aux trois niveaux des thèmes ouobjets discutés (le crime comme « catégorieexistentielle »), de la méthode proposée(l’analyse des « positions philosophiques »)et de la détermination du corpus, le« roman-phare » étant ici défini comme unroman « à teneur existentielle ».

Et « ce n’est là », écrira l’auteur en conclu-sion de son ouvrage, « que l’un des motifspour lesquels ils méritent » d’être catégori-sés sous la bannière des « romans-phares ».Quels sont donc ces autres motifs qui sontlaissés dans l’ombre ? On ne le saurajamais ; quant à lui, le seul critère théma-

tique de « l’éclairage profond et utile » porté«  sur la condition existentielle de l’êtrehumain » ne suffit pas à identifier uneclasse générique particulière ni à découperun ensemble cohérent d’œuvres et de dis-cours. Dès lors, c’est la justification elle-même du corpus qui manque à l’appel, leprincipe épistémologique présidant auregroupement des auteurs sélectionnés —Dostoïevski, Wilde, Faulkner, Capote etAuster — demeurant ici, sinon inexistant,pour le moins fort ténu et discutable.

L’ABSENCE DU CRIMECe flou conceptuel, qui semble constitutifde ce que recouvre, dans le discours del’auteur, les domaines de l’« être » et del’« existentiel », affecte également, sur undeuxième plan, le traitement de la notionde « crime ». En effet, celle-ci demeure

Promenade autourd’une triple absence

PAR ALEX GAGNON

L’ÊTRE ET LE CRIME. CINQ ROMANS-PHARES de Michel DionNota Bene, « Sciences humaines / littérature », 167 p.

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ESSAI

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généralement indiscutée au profit d’unesorte de métaphysique du criminel, dontl’« âme » serait secouée « par les vicissi-tudes de l’existence ». Cet essentialismelatent conduit l’auteur à envisager le« crime » comme une catégorie psycholo-gique, mais sans que l’on puisse mesurer ladistance, au sein de ses énoncés, quisépare plus ou moins sa voix métadiscur-sive de celle mise de l’avant par les dis-cours romanesques dont il vise à décorti-quer le contenu. Autrement dit, ce qui faitl’objet d’une occultation, chez Dion, c’estnon seulement la dimension proprementet spécifiquement juridique de la notionde «  crime », qui recouvre un domained’objets historiquement très large etconstitutivement variable, mais aussi sontraitement textuel et la façon dont elle« travaille » les œuvres romanesques. Cemanque de rigueur analytique conduitl’auteur à cultiver et à entretenir uneconfusion à la fois lexicale et énonciative :énonciative, parce qu’il demeure impos-sible, tout au long de l’essai, de départagerce qui appartient en propre et textuelle-ment aux discours analysés (les romans) etce qui relève du discours analysant (la lec-ture de Dion), et lexicale, parce que leconcept de « crime » lui-même, en tant quesa signification est toujours tributaire del’environnement discursif et du contextehistorique où elle s’insère, semble sesuperposer indûment, dans le discours del'auteur, à la notion de « mal », qui auraitgagné à être placée au centre de sonchamp de vision s’il souhaitait véritable-ment, et de façon cohérente, camper sonanalyse sur le terrain « existentiel ».

On peut également regretter que, danschacun des cinq chapitres consacrés res-pectivement à l’un des « romans-phares »annoncés sur la couverture, la discussiondes enjeux relatifs à la représentation lit-téraire du crime soit le plus souvent para-chutée, c’est-à-dire insérée de façon plusou moins cohésive dans un commentaireéclectique visant à mettre au jour, pourchaque auteur présenté, une « positionphilosophique » s’articulant à des ques-tions aussi diversifiées que le rapport àl’autre, la (re)connaissance de normesmorales, la relation au temps, la culpabi-lité, la liberté ou la conscience esthétique.En sorte que, tant par cet éclectisme quepar l’indistinction énonciative dont ilvient d’être question, L’être et le crime estun ouvrage difficilement compréhensibleet presque inutilisable.

L’ABSENCE DU ROMANLes cinq romans retenus par l’auteur fontl’objet de chapitres distincts. Le premierd’entre eux, consacré à Crime et châtiment,est sans doute le plus représentatif du typede lecture mis de l’avant par Michel Dion.Dans cette section initiale, il fait la recen-sion des «  influences  » supposémentactives au cœur de l’œuvre dostoïevs-kienne. Il s’abandonne au réflexe culturel, sicanonique en ce qui concerne les romansdu géant russe, qui consiste à vouloir déce-ler les grandes lignes de ce qui formerait laplateforme philosophique à laquelleDostoïevski se rallierait. De Marx àSchelling en passant par Nietzsche, Humeet Machiavel — qui ne font jamais l’objetde discussions étendues —, une sorte decartographie des grandes balises philoso-phiques est dressée au sein de laquelleDostoïevski est censé occuper une positionprécise. Le texte littéraire est ici conçu,implicitement, comme étant réductible audiscours philosophique : comme si la miseen récit elle-même, en quoi consiste le tra-vail romanesque, constituait un masquerétractable, le texte est pensé comme pou-vant se dissoudre sans reste dans le dis-cours d’idées. La logique d’analyse mise del’avant par Michel Dion est, en ce sens, unelogique de l’illustration.

Car la littérature n’est convoquée que pourillustrer autre chose qu’elle-même, et lestextes, que pour mettre en évidence ce quiest toujours déjà énoncé ailleurs. Lesromans ne peuvent signifier, dans le dis-cours de Dion, que si en eux résonnent leséchos d’une tradition philosophiqueambiante, qui formerait en quelque sorteun discours premier dont la littératureserait l’épiphénomène. En fait, tout sepasse comme si, incapable d'établir unedistance (et d’en mesurer les effets, d’encomprendre le fonctionnement, etc.) entreauteur, narrateur et personnage, Dion cher-chait à ramener le roman à une sorte dequintessence idéelle, à diluer la complexitédes dispositifs énonciatifs exploités par lesromanciers et, par conséquent, à prêter autexte une seule et unique voix monolo-gique. Près d’un siècle après la célèbre ana-lyse de Mikhaïl Bakhtine, cette manœuvrecritique paraît d’autant plus intenableque la texture polyphonique du textedostoïevskien, reconnue depuis long-temps, fait obstacle à toute tentatived’enfermement du sens au sein d’uneunité close ou d’une totalité résumable.

Derrière les personnages, derrière l’ins-tance narrative, Dion semble toujourspostuler la présence manifeste de l’au-teur : le texte n’est plus la mise en scène oula confrontation de discours divers, mais lethéâtre d’une parole indivisible et impo-sante qui irrigue le texte comme les veinesun corps.

Au fond, l’analyse proposée par l’auteurrepose sur un double présupposé, à savoirque le romancier doit en effet avoir une« position philosophique » systématique etque ce système doit nécessairementconcourir, en tant que facteur de construc-tion des romans, à l’écriture littéraire. D’oùla possibilité, pour l’auteur, de dresser lerépertoire des «  influences » qui anime-raient la prose des écrivains qu’il présentesuccessivement. S’agissant d’Oscar Wilde,dans le deuxième chapitre, il décèle parexemple une « illustration de cette adhésionimplicite » à la philosophie machiavélienne.Truman Capote, pour sa part, « paraît adop-ter le point de vue de Hume » et Paul Auster,un «  disciple d’Héraclite », élabore desromans dans lesquels « on peut percevoir […]une influence kierkegaardienne ». Mais enmême temps, autour de tel ou tel autrepassage de son œuvre, « la question se posede savoir si Auster subit ici une influence sar-trienne ou heideggérienne ».

Présentés comme le seraient des essais,les romans apparaissent ici comme desrecueils d’idées dont la dimension fonda-mentalement narrative pourrait être com-plètement aplanie, niée, oubliée. Mais cetteabstraction ne peut s’accomplir qu’au détri-ment de la textualité des textes. Elle opère,méthodologiquement et épistémologique-ment parlant, une réduction systématiquedu discours littéraire lui-même. En sommele « roman-phare » apparaît, comme caté-gorie d’analyse, là où le roman a déjà dis-paru. De cette triste réalité, la trop brèveconclusion de l’ouvrage semble prendreacte lorsque l'auteur, déclenchant chezle lecteur un dernier étonnement, écritque les cinq œuvres étudiées « demeu-rent des romans, non pas des traités philo-sophiques portant le titre de “romans” ».Malheureusement, cette idée n’est émisequ’à la toute dernière page. Et celle-ci, àdéfaut d’une cohérence argumentativepréalable sur laquelle elle pourrait prendreappui, n’est rien d’autre que le lieu où toutetentative d’une synthèse finale, qui seraitpourtant bien nécessaire, est par avancecondamnée à l’échec.

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En exergue de Marée basse, maréehaute, citant Michel Gribinski, J.-B.

Pontalis affirme détester les séparations.Pourtant, l’effacement viendra, inévitable.Les séparations aussi. La plus définitive,celle à laquelle nul ne peut encore échap-per, sera celle de la mort. Celle-ci, brutale, afrappé Pontalis alors qu’il écrivait ce dernierlivre. Et sous les mots, les portraits et lespaysages, le lecteur peut la deviner en traind’épier le moment pour arrêter brusque-ment le souffle clair de l’écriture.

En trente-six petits tableaux, alternant duje au il ou du je au elle, Pontalis cherche àéchapper à la chaîne du temps. Avec l’élé-gance du style qu’on lui connaît, sous lemode du fragment qui marque ses der-nières œuvres, il réussit à faire jaillir, der-rière des images qui pourraient semblerparfois banales, des idées qui lui tiennent àcœur, dont celles qui touchent à l’amour.Par exemple, comment entourer quelqu’unde ses bras peut redonner goût à la vie.Comment le désamour échappe au guérirdu mal d’aimer. Comment on essaie sou-vent de conjurer la mort en faisant l’amour,en aimant de toutes ses forces, peuimporte l’âge des sujets. Comment l’infidé-lité des amants peut parfois réanimer Érosentre eux. Comment l’instabilité de cer-tains, tel un feu follet, peut se débattrecontre le poids d’une mère morte, immo-bile à jamais. Pontalis suggère, effleure :partout, l’amoureux se fait reconnaître.

Par ailleurs, la mort s’annonce, qu’elle soitou non liée à l’amour. Pourquoi certainssont-ils attirés par elle, par une aspiration àla destruction, au vide, à l’effacement ?Pourquoi le deuil, l’abandon ne s’estompe-t-il pas ou alors, si peu ? L’auteur évoque sonchien, compagnon de l’enfance, qui revientdans ses rêves. Pontalis a déjà longuementécrit sur les rêves qui font revenir les dispa-rus, qui les maintiennent vivants. On peutajouter, selon la théorie freudienne de l’in-terprétation des rêves, que le travail du rêve

condense ou superpose les personnages,brouillant ainsi les pertes et les chagrins.Pontalis évoque sa propre histoire, son pèreparti trop tôt ; de là, il dessine le person-nage de Gabriel qui a subi la mêmeépreuve et pour qui il a été un père pardéfaut. La présence du père, ou plutôt sonabsence, est souvent tracée en épurejusqu’à Pierre, cet autre personnage, prisdans le geste répété d’accompagner lesmourants. Puis, il y aura d’autres images depère qui recevront, pour leur part, des hom-mages émouvants : le Commandant et legrand-père dans sa maison.

Souvent d’une façon très feutrée, comme s’ils’agissait d’un travail d’aquarelle, auxcontours gardés flous, aux couleurs déla-vées, Pontalis descend dans l’âme de ses per-sonnages. Cela pourrait ressembler aux tro-pismes de Nathalie Sarraute. On y retrouvecertains des thèmes favoris de l’auteur : lamortelle rivalité fraternelle, la difficile ques-tion de trouver sa place parmi les autres,l’envie qui détruit tout, l’indécision ou l’am-bivalence qui paralyse le mouvement versl’autre (rendant difficile tout attachement),l’importante vie de l’infans avant que le lan-gage ne vienne tout figer. Et le psychana-lyste se voit, en deux coups de pinceau,excusé de ses manquements par la force dutransfert et le désir dont celui-ci se nourrit.De même, la question de « réussir » sa vie sepose à la fin de celle-ci ; tout comme l’amourinfini des commencements. Éternel retourde la passion des origines.

Si le lecteur peut aisément reconnaître lesthèmes que Pontalis a longuement dépliésailleurs, il pourrait aussi s’attendre à ce queles lignes de certains tableaux soient plusnettes ou plus élaborées. Parfois, les propossont trop brefs. Les images trop faiblementesquissées ; le temps a manqué ; on en vou-drait davantage. Mais est-ce sa disparitionrécente qui fait que le lecteur amoureuxsouhaiterait retenir l’auteur, lui dire eninsistant « encore, encore » ? Retenir la voix

légèrement granuleuse, cette fluidité, cettefaçon de toucher à l’âme, de la nommer etde l’émouvoir.

Plus encore qu’en suivant le fil de lamémoire qui capte et garde les petitsrestes et les plaisirs minuscules, plus encorequ’à partir du vide et des séparations quise chevauchent ou sont occultées, Pontalisécrit ici au gré de ses humeurs qu’il saitchangeantes, comme les marées. Mer vio-lette, mer turquoise, mer de scabieuse, merd’argent : il aura dit son amour pour la merfraîche qui revigore ; pour celle qui, sanscesse en mouvement, décrit la vie : « Maréebasse, marée haute, cette alternance est àl’image de ma vie, de toute vie peut-être. […]je plonge dans l’eau, je nage, la mer m’enve-loppe et me porte. Je ne suis qu’un corpsvide de pensées, un corps souple, actif, uncorps retrouvé. Je suis tout entier dans leprésent. Je n’ai plus d’âge. » Ainsi en est-ilde l’écriture de Pontalis. Éternellement présente.

Effacer l’effacement à venir

PAR MARIE CLAIRE LANCTÔT BÉLANGER

MARÉE BASSE, MARÉE HAUTE de J.-B. PontalisGallimard, 140 p.

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ESSAI

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VIDA SIMONportfolio

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Bleue à desseinPAR CHANTAL T. PARIS

Entrer dans l’ouvrage de Vida Simon, c’est plonger dans un payscontrasté, agité de courants forts et de vents obliques, tout en volutes et

lignes, en volumes et aspérités, en harmonies et césures de temps et de tons,voyageant en prose sous diverses latitudes. Ses œuvres ont ainsi vogué avec elle à tra-

vers les Amériques, l’Europe et jusqu’au Moyen-Orient, transitant par Montréal (sa contréed’origine) et Fogo Island (Terre-Neuve), ses deux ports d'attache.

Vida Simon a le dessin comme nature première, l’enchantement comme main seconde, le corps et sa présencecomme langage d’animation. Situées dans cet horizon, ses œuvres évoluent entre planéité, tridimensionnalité etsurface imaginaire, donnant vie à des scènes de plain-pied qui évoluent dans un décor de « carton-pâte » : enten-dons ici une manière artisane, façonnant la matière narrative à partir de matériaux qui ont vécu. Par son regard etses égards, le banal et le délaissé sont magnifiés, ravivés par un usage qui leur refait une beauté. Préserver, enrichiret créer — l’objet, le sujet et la mémoire pour les sauver de l’oubli — sont trois phares guidant ce projet personnellié à l’expérience collective, tissant ses filiations depuis deux décennies.

Cet état hybride se canalise dans Cantastoria : a drawn opéra / un opéra dessiné (2010), qui investit le site d’une écu-rie vétuste, friche d’une activité cochère autrefois florissante. Sous influences tramées, l’installation performativeinvoque l’esprit des « malinas », refuges improvisés dans les soubassements des demeures qui furent pour certainssalutaires au temps de la Shoah. Elle évoque aussi celui de Malina, de l’écrivaine autrichienne Ingeborg Bachmann,où couve ce passé trouble et qui raconte la relation d’une femme avec deux êtres, l’un expressif, l’autre secret —traits clairs-obscurs inhérents à l’œuvre de Vida Simon,me semble-t-il. Gestes, objets, sons et images ont pro-filé des pans de ces réalités parallèles, ces corps etleurs ombres projetés et réfractés dans l’espace sousl’action d’un jeu direct et tamisé, par écran et filmsde transparence. Je me souviens de Vida maniant lamatière de ce récit, démesuré et rétréci, d’une boîtelumineuse, d’un groupe de femmes pareillement affai-rées à une table, d’oiseaux de papier fendant l’aird’une tension. Nous sommes descendus dans l’antred’une dimension fabuleuse, rapiéçant des époquespassées et actuelles, fouillant dans les poches et dou-blures. C’est ainsi que le lieu est re-devenu le théâtrede l’histoire.

Acts of Carbon, 2009, installation performative, Hamilton Artists Inc.Photo : Irene Loughlin.

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L es personnages deRéjean Ducharme

se ressemblent, ilsappartiennent au même univers, partagent lesmêmes lubies, la mêmeobsession pour l’en-fance, le même refus,catégorique, d’entrerdans l’âge adulte. C’estsur cette parenté essen-tielle que s’est fondéMartin Faucher lorsqu’ila composé, à partir desquatre premiers romansde Ducharme, le texte Àquelle heure on meurt ?,monté pour la premièrefois en 1988. Reprenantla trame narrative duNez qui voque, l’histoired’un garçon et d’unefille autoproclamés frèreet soeur exilés dans une petite chambreen attendant le moment de mettre finà leurs jours avant d’être avalés parl’adulterie, ce collage fond en une seulevoix celles des héroïnes féminines, enune seule aussi celles des garçons desromans de Ducharme.

Si la proximité de ces personnages estd’une grande richesse, leurs différencesle sont tout autant ; la mise en scène deFrédéric Dubois, reprise à la salle Fred-Barry1, ouvre le texte à une lecture mul-tiple qui rend justice à cette complexité.En effet, cette fois, ils ne sont pas deux,Mille Milles et Chateaugué, sur scène,mais bien dix : cinq garçons, cinq filles— cinq visages de la personnalité de

chacun. Il n’en faut pas moins pour arri-ver à donner une voix juste à ceshybrides, à cette Bérénice renomméeChateaugué, tantôt décidée, agressive,violente, tantôt naïve et un peu pâmée.Le collage de Faucher prenait le risque,en amalgamant ces personnages, deleur faire perdre leur complexité et leursdissemblances ; la mise en scène deDubois évite une telle réduction en met-tant au contraire en lumière le caractèreà la fois fusionnel et multiple des per-sonnages de Ducharme. La présence dedix acteurs sur scène crée aussi, dansdes moments de grande intensité, uneffet de chœur — mécanisme dont lapuissance est tout indiquée pour rendrecelle des textes de Ducharme.

DIRE ET JOUER L’ÉCRIT :TRANSPOSITIONSChez Ducharme, tout est jeu, même lepire, et cela n’entrave en rien l’existence dutragique ; cela, Dubois l’a bien compris.Ainsi, c’est l’une des comédiennes, costu-mée, sac sur le dos, qui monte sur scènepour faire les annonces préliminaires... etfaire piger à la foule, dans un panier, lesnoms des deux comédiens qui joueront lascène finale. Oui : c’est un jeu de hasardqui détermine la scène dont on se doute,connaissant Ducharme et le titre À quelleheure on meurt ?, qu’elle sera plutôt graveet tragique. Sans autre transition, les comé-diens entament aussitôt la pièce. Les méca-nismes du théâtre ne pourraient pas être

Tate divisé-multipliépar dix

ROXANE DESJARDINS

À QUELLE HEURE ON MEURT ? de Martin Faucher, à partir des textes de Réjean Ducharme, mise en scène de Frédéric Dubois,production du Théâtre À Deux, salle Fred-Barry, Théâtre Denise-Pelletier, du 13 au 30 mars 2013.

À quelle heure on meurt ?Crédit photographique : Geneviève Grenier.

THÉÂTRE

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82 SPIRALE 246 | AUTOMNE | 2013

plus explicites  : dialogue direct avec lepublic, intervention de celui-ci dans le coursde la pièce, transition opérée sur scène parle comédien de son identité à celle du per-sonnage qu’il joue. Quoi de plus proche dela façon qu’a Réjean Ducharme de fairebuter, par des mots redessinés ou une syn-taxe inventée, le lecteur sur le signifiant,sur la qualité de texte du texte ? La scènefinale, modulée par le hasard du tirage, por-tera cette ludicité qui s’inscrit dans sa gra-vité, l’approfondit, et lui confère la grandebeauté des émotions complexes.

Plutôt que de faire, pour la scénographie,dans la pureté pratiquement a-référen-tielle comme celle dans laquelle prendplace L’avalée des avalés, Frédéric Duboisfait le pari contraire, celui d’emprunter auDucharme de L’hiver de force l’art dedépeindre l’air du temps à grands coups deréférences culturelles. Le puriste aura tôtfait de sursauter en entendant résonnerdans la salle les premières mesures d’unechanson du groupe Avec pas d’casque (néen 2003). Mais l’observateur sensible trou-vera dans cette musique récente, toutcomme dans les évocations de Walmart etdans les costumes — chandails de laine,gros foulards, bottines de cuir — une fidèleconstruction de ce qui équivaut, en 2013, àl’univers dépeint en 1973 dans L’hiver deforce. C’est qu’il s’agit de références — et laréférence n’agit que si le public s’y retrouve.

Les comédiens aussi s’y retrouvent, mani-festement à l’aise dans cet univers prochedu leur. Résultat  : leur jeu est jouissif,

abandonné, résolument ancré dans l’en-fance et dans les tourments romantiquesde l’âme adolescente. Le plus grand défidans l’interprétation de personnages à lafois adolescents et complètement répu-gnés par la sexualité et l’adulterie est derendre, sans tomber dans les enfantillages,un jeu, une ludicité authentiques. Parirelevé avec brio par les dix comédiens, entrequi même les nombreux contacts phy-siques n’arrivent pas à faire ressortir lamoindre sexualité. Sans cette complicitépalpable, essentielle, il eût été impossiblede rendre justice à l’univers de Ducharme.

TATE LA TÊTE TROP PLEINECet univers a ceci de particulier qu’il estcomplètement surchargé : de jeux de motsde toutes sortes, d’allusions, d’ironies lin-guistiques, de références littéraires, musi-cales, cinématographiques. Au théâtre,cette surcharge est rendue à l’aide d’objets(de beaucoup d’objets). Ainsi la scène setrouve-t-elle progressivement encombréede babioles apportées par les protago-nistes  : oranges, bières, sapin de Noël,disques, caisses de livres… À mesure que lapièce se remplit, elle s’agrandit, MilleMilles et Chateaugué repoussant le murde leur chambre vers le fond de la scène.Mais l’euphorie de s’être trouvés et des’être trouvé un projet — se « branle-bas-ser », c’est-à-dire se suicider, pour éviter dedevenir adultes — ne résiste pas à la venueinévitable d’idées un peu trop adultesdans la tête d’un Mille Milles qui com-mence dès lors à vouloir partir pour éviter

la catastrophe (tomber amoureux deChateaugué...). La chambre devient lereflet de cette lente rupture (au sens leplus fort du terme), pleine lorsqu’ils sontdans l’harmonie, se vidant progressive-ment à mesure qu’«  on  » meurt tran-quillement. « À quelle heure on meurt ? »prend tout son sens dans cette lente ago-nie de Tate, le personnage à deux têtesformé par Mille Milles et Chateaugué,tiraillé jusqu’à exploser par les tensionsinévitables qui arrivent avec les premièresidées un peu sexuelles de Mille Milles.Tate, amalgame des amalgames, a toutesles allures d’une chambre à géométrievariable, où le jeu est sérieux et le tra-gique drôle, où le seul contact avec l’exté-rieur est une fenêtre qui ne donne surrien. Le décor colle à l’histoire jusqu’aubout : Tate séparé, Mille Milles parti, lemur du fond de la scène — celui percéd’une fenêtre — pousse lentement lesChateaugué jusqu’à l’avant de la scène,réduisant la chambre à un corridor exiguoù il n’y a plus de place pour cinqChateaugué en peine.

« À quelle heure on meurt ? » Quand l’adul-terie prend le pas sur l’enfance et sur l’ami-tié profonde. Quand Tate ne tient plus entreles quatre murs d’une chambre minuscule.Quand Chateaugué, brisée, se met à fumercomme une adulte en chantant Va-t’en pasde Richard Desjardins : « Va-t’en pas / Moij’ai tant d’amis, je peux pas les compter… »

1. Frédéric Dubois a dirigé À quelle heure on meurt ? pour lapremière fois, avec presque la même distribution, auCégep de Saint-Hyacinthe en 2011.

À quelle heure on meurt ?Crédit photographique : Geneviève Grenier.

Extrait de la publication