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Seconde patrie
Jules Verne
Seconde patrie
BeQ
Jules Verne
Seconde patrie
roman
La Bibliothèque électronique du Québec
Collection À tous les vents
Volume 1341 : version 2.01
Du même auteur, à la Bibliothèque :
Famille-sans-nom
Le pays des fourrures
Un drame au Mexique, et autres nouvelles
Docteur Ox
Une ville flottante
Maître du monde
Les tribulations d’un Chinois en Chine
Michel Strogoff
De la terre à la lune
Le Phare du bout du monde
Sans dessus dessous
L’Archipel en feu
Les Indes noires
Le chemin de France
L’île à hélice
Clovis Dardentor
L’école des Robinsons
César Cascabel
Le pilote du Danube
Hector Servadac
Mathias Sandorf
Le sphinx des glaces
Voyages et aventures du capitaine Hatteras
Les cinq cent millions de la Bégum
Un billet de loterie
Le Chancellor
Face au drapeau
La Jangada
L’île mystérieuse
La maison à vapeur
Le village aérien
L’invasion de la mer
Les frères Kip
Seconde patrie
Édition de référence :
Bibliothèque d’éducation et de récréation,
J. Hetzel et Cie, Paris.
Pourquoi j’ai écrit Seconde patrie
Les Robinsons ont été les livres de mon enfance, et j’en ai gardé un impérissable souvenir. Les fréquentes lectures que j’en ai faites n’ont pu que l’affermir dans mon esprit. Et même je n’ai jamais retrouvé plus tard, dans d’autres lectures modernes, l’impression de mon premier âge. Que mon goût pour ce genre d’aventures m’ait instinctivement engagé sur la voie que je devais suivre un jour, cela n’est point douteux. C’est ce qui m’a porté à écrire l’École des Robinsons, l’Île mystérieuse, Deux Ans de vacances, dont les héros sont proches parents des héros de de Foë et de Wyss. Aussi personne ne sera-t-il surpris que je me sois voué tout entier à cette œuvre des Voyages Extraordinaires.
Les titres des ouvrages que je lisais avec tant d’avidité me reviennent à la mémoire : c’étaient le Robinson de douze ans, de Mme Mollar de Beaulieu, le Robinson des sables du désert, de Mme de Mirval. C’étaient aussi dans le même ordre d’idées les Aventures de Robert Robert de Louis Desnoyers que publiait le Journal des Enfants avec tant d’autres histoires que je ne saurais oublier. Puis vint le Robinson Crusoë, ce chef-d’œuvre qui n’est pourtant qu’un épisode dans le long et fastidieux récit de Daniel de Foë. Enfin, le Cratère de Fenimore Cooper ne put qu’accroître ma passion pour ces héros des îles inconnues de l’Atlantique ou du Pacifique.
Mais la géniale imagination de Daniel de Foë n’avait créé que l’homme seul abandonné sur une terre déserte, capable de se suffire grâce à son intelligence, son ingéniosité, son savoir, grâce également à sa confiance en Dieu si persistante, et qui lui inspirait parfois quelque magnifique invocation.
Or, après l’être humain isolé dans ces conditions, est-ce qu’il n’y avait pas la famille à faire, la famille jetée sur une côte après naufrage, la famille étroitement unie, la famille ne désespérant pas de la Providence ? Oui, et telle a été l’œuvre de Wyss, non moins durable que celle de Daniel de Foë.
Rudolph Wyss, né à Berne en 1781, mort en 1850, était professeur à l’Université. On a de lui plusieurs ouvrages sur son pays d’origine, indépendamment du Robinson Suisse, qui fut publié en 1812 à Zurich.
Dès l’année suivante, il en parut une première traduction française. Elle était due à Mme Isabelle de Bottens, baronne de Montolieu, née à Lausanne en 1751, morte à Bussigny en 1832, qui avait fait ses débuts dans la littérature avec le roman en deux volumes intitulé Caroline de Lichsfield (1781).
Peut-être y a-t-il des raisons de croire que Rudolph Wyss ne fut pas seul l’auteur du célèbre roman, lequel aurait été fait en collaboration avec son fils. C’est à tous deux, en effet, que Mme de Montolieu dédia la suite de ce roman, parue en 1824 à Paris sous ce titre : le Robinson Suisse ou Journal d’un père de famille naufragé avec ses enfants.
Ainsi donc, la traductrice avait eu l’idée de continuer l’ouvrage qu’elle avait traduit et j’ai été devancé par elle et bien probablement par d’autres, et je ne puis m’étonner que la pensée de le faire soit venue à plusieurs.
En effet, ce roman n’est pas terminé avec l’arrivée de la corvette la Licorne, et voici ce que disait déjà Mme de Montolieu dans la préface de sa traduction :
« Quatre éditions consécutives ont prouvé combien le public français a su apprécier cette production qui fait le bonheur des enfants et par conséquent de leurs parents. Mais il leur manquait une suite et une fin. Tous voulaient savoir si cette famille qui les intéressait restait dans cette île où tous les jeunes garçons désiraient aller. J’ai reçu à ce sujet une infinité de lettres, soit des enfants eux-mêmes, soit de mon libraire pour me solliciter de donner cette suite et de satisfaire leur curiosité. »
Il convient de noter que d’autres traductions de l’ouvrage de Rudolph Wyss furent faites après celle de Mme de Montolieu, entre autres celle de Pierre Blanchard en 1837. Il en résulte donc que si Mme de Montolieu n’a pas été seule à traduire le Robinson Suisse, elle n’aura pas été seule à en donner la suite, puisque j’ai tâché de le faire, sous le titre de Seconde Patrie.
Au surplus, en 1864, la maison Hetzel a publié une traduction nouvelle de cette histoire due au concours de P.-J. Stahl et E. Muller qui la revirent et lui donnèrent une allure plus moderne de composition et de style. À proprement parler, c’est même à cette édition, revue aussi au point de vue de la science, que succède la Seconde Patrie, offerte aux lecteurs du Magasin d’Éducation et de Récréation.
Et en réalité n’était-il pas intéressant de prolonger le récit de Rudolph Wyss, de retrouver cette famille dans les conditions nouvelles qui lui étaient faites, et ces quatre garçons si bien posés, Fritz entreprenant et brave, Ernest un peu égoïste mais studieux, Jack l’espiègle et le petit François, d’observer les modifications que l’âge apporterait à leur caractère, après douze ans passés sur cette île ?... Après la découverte de la Roche-Fumante, est-ce que l’introduction de Jenny Montrose dans ce petit monde ne devait pas en modifier l’existence ?... Est-ce que l’arrivée de M. Wolston et des siens à bord de la Licorne, leur installation sur l’île n’imposaient pas une suite à cette histoire ?... Est-ce qu’il n’y avait pas à la parcourir tout entière, cette île fortunée dont on ne connaissait que la partie septentrionale ?... Est-ce que le départ de Fritz, de François et de Jenny Montrose pour l’Europe ne rendait pas indispensable la narration de leurs aventures jusqu’au retour dans la Nouvelle-Suisse ?...
Aussi n’ai-je pas résisté au désir de continuer l’œuvre de Wyss, de lui donner le dénouement définitif, qui, d’ailleurs, serait imaginé un jour ou l’autre.
Et alors, à force d’y songer, à force de m’enfoncer dans mon projet, de vivre côte à côte avec mes héros, il s’est produit un phénomène : c’est que j’en suis venu à croire qu’elle existe réellement, cette Nouvelle-Suisse, que c’est bien une île située dans le nord-est de l’océan Indien, dont j’ai fini par voir le gisement sur ma carte, que les familles Zermatt et Wolston ne sont point imaginaires, qu’elles habitent cette très prospère colonie, dont elles ont fait leur « seconde patrie» !... Et je n’ai qu’un regret, c’est que l’âge m’interdise de les y rejoindre !...
Enfin, voilà pourquoi j’ai cru qu’il fallait continuer leur histoire jusqu’au bout, voilà pourquoi j’ai fait la suite du Robinson Suisse.
Jules Verne.
I
Le retour de la belle saison. Fritz et Jack. – Temps superbe. – Le départ du kaïak. – Visite de l’îlot du Requin. – Feu des deux pièces. Trois coups de canon au large.
La belle saison arriva dès la seconde semaine d’octobre. Ce mois est le premier du printemps de la zone méridionale. L’hiver n’avait pas été très rigoureux sous cette latitude du dix-neuvième degré entre l’Équateur et le tropique du Capricorne. Les hôtes de la Nouvelle-Suisse allaient pouvoir reprendre leurs travaux accoutumés.
Après onze ans passés sur cette terre, ce n’était pas trop tôt de chercher à reconnaître si elle appartenait à l’un des continents que baigne l’océan Indien, ou si les géographes devaient la comprendre parmi les îles de ces parages.
Sans doute, depuis que la jeune Anglaise avait été recueillie par Fritz sur la Roche-Fumante, M. Zermatt, sa femme, ses quatre fils et Jenny Montrose étaient aussi heureux qu’on peut l’être. Il est vrai, les craintes de l’avenir et ses chances si improbables que le salut vînt du dehors, le souvenir du pays, le besoin de reprendre contact avec l’humanité, se faisaient parfois sentir, et n’est-ce pas une loi de nature qui s’impose à toute créature humaine ?
Donc, ce jour-là, de bon matin, M. Zermatt, traversant l’enclos de Felsenheim, se promenait sur la rive du ruisseau des Chacals. Fritz et Jack l’y avaient devancé, munis de leurs engins de pêche. François ne tarda pas à les rejoindre. Quant à Ernest, toujours peu matinal, ne détestant pas de rester quelques instants de p