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SCIENCE SANTÉ SOCIÉTÉ 12 septembre 2015 - 1 re édition

SCIENCE SANTÉ SOCIÉTÉ€¦ · Sa finalité est de favoriser le rapprochement et le métissage d’idées entre Science, Santé et Société. Il a pour ambition de proposer une

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  • SCIENCESANTÉSOCIÉTÉ12 septembre 2015 - 1re édition

  • S3ODÉON EST L’ÉVÉNEMENT ANNUEL DU FUTUR DE LA SANTÉ

    Sa finalité est de favoriser le rapprochement et le métissage d’idées entre Science, Santé et Société. Il a pour ambition de proposer une ré-flexion positive sur les défis de la santé.

    z La première édition a eu lieu le 12 septembre 2015 au théâtre de l’Odéon, lieu emblématique de la culture française. Plus de 700 personnes sont venues écouter, s’inspirer, s’émouvoir des 32 interventions de chercheurs, médecins, psychologues, entrepreneurs…

    Ces talentueux acteurs ont planté le décor de la santé de demain. En 7 minutes maximum, ils se sont aventurés du côté des nouvelles technologies et montré comment le nu-mérique révolutionne la santé. Nanotechnologies, immu-nothérapie, biotechnologies… Ils ont levé le voile sur les nouveaux traitements. Ils nous ont aidés à comprendre les mécanismes du vieillissement du cerveau ou à diagnosti-quer l’état de la conscience chez des personnes en état de non-communication…

    70 % des spectateurs étaient encore présents pour le troisième acte. Arrivés à 10 h 30, ils repartaient réjouis à 19 heures pour braver la pluie. Les commentaires glanés étaient plus qu’encourageants : « C’est un événement qui vous donne l’impression d’être plus intelligent », explique un participant. « Si on m’avait dit que je resterais un jour 7 heures à écouter des conférenciers, je ne l’aurais pas cru », ajoute un autre.

    L’association S3Odéon, l’équipe d’organisation, les interve-nants et les partenaires sont très heureux d’avoir réussi ce pari ambitieux. En attendant la prochaine édition 2016, nous vous proposons de revivre les moments forts de l’événement.

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  • L es trois coups viennent de retentir. La lumière s’éteint. Un spectacle inédit commence, le spectacle de notre san-té. Sur scène, médecins, chercheurs, théra-peutes, économistes, représentants de la société civile se succèdent en alternance avec quelques interludes musicaux. En quatre ou sept minutes, dans ce théâtre de l’Odéon qui a naguère accueilli tant de débats passionnés et d’échanges houleux, chacun présente ce que sera, pour lui, la santé de demain.

    Le théâtre en ce jour fait salle comble  : de l’orchestre au deuxième balcon, une assis-tance attentive déguste ces monologues pleins de vie et d’humour, applaudissant à tout rompre ces hommes et ces femmes qui se sont prêtés au jeu, qui ont accepté de brûler les planches pour mieux illuminer nos esprits.

    PARTAGER LES NOUVEAUX DÉFIS DU BIEN-ÊTRE ET DE LA SANTÉ

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  • ACTE I

    Le colloque débute par « Perte de commande ». ANAÏS HUA et PHI-LIPPE DUSSEAU racontent ce que pourrait être demain une com-mande de pizza si nos données mé-dicales étaient accessibles.

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  • FUITE DE CERVEAU

    YVES AGIDMembre de l’Académie des sciences, fondateur de l’Institut du cerveau et de la moelle épi-nière, Yves Agid est un cerveau XXL. Il utilise ses quelques milliards de neurones pour étudier les maladies dégénéra-tives comme Parkinson ou Alzheimer. Ce neuros-cientifique sort des sen-tiers battus pour explorer de nouvelles pistes de compréhension de ces dysfonctionnements du cerveau. z

    z De la pizza on passe à l’oubli bénin. « Je voudrais vous raconter l’histoire de… Ah je ne retrouve plus son nom… Ça me reviendra ce soir ». YVES AGID, fondateur de l’Institut du Cerveau et de la Moelle épinière (ICM) serait-il pris d’un subit trou de mé-moire ? Pas d’inquiétude ! Ces trous de mémoire, nous en souffrons tous, nous nous en plaignons tous, mais ils ne sont nullement le signe d’une dégénérescence cérébrale.

    Pourquoi ces oublis ? Parce qu’on est fatigué, stres-sé, surmené ou parce qu’on vieillit. « Vous avez un peu moins de 100 milliards de neurones et contrairement aux idées reçues vous ne perdez pas de neurones  ». Nous voilà rassurés. Quoique : si nous ne perdons pas de neurones, en revanche, nous perdons des terminai-sons nerveuses. « Les connexions se font moins bien, la communication est mauvaise, la mémoire s’estompe ». En revanche, dans Alzheimer, on perd non seulement les terminaisons nerveuses, mais aussi les neurones  : «  Dans le vieillissement, c’est l’arbre qui perd ses feuilles ; dans Alzheimer c’est l’arbre qui disparait, c’est une déforestation du cerveau ».

    Quels espoirs pour vaincre cette maladie ? Si la re-cherche est active, les résultats sont décevants :

    « Le cerveau » est compliqué. C’est comme l’univers. Vous avez 100 milliards d’étoiles dans une galaxie. Et vous avez 100 milliards de neurones, chaque neurone a des dizaines de milliers de connexions. Chaque se-conde, un milliard de signaux électriques sont émis dans le cerveau ».

    La compréhension du fonctionnement et des dys -fonc tionnements du cerveau avance. Trois grandes voies de recherches sont explorées : 1. Éliminer les plaques séniles avec l’aide d’anti-corps spécifiques ; des dizaines d’essais sont en cours. 2. S’intéresser aux prions, ces protéines étranges, un peu déformées, qui lorsqu’elles s’approchent d’une protéine normale, la rendent pathologique. 3. Enfin, explorer les fonctions des cellules gliales, des cellules deux à trois fois plus nombreuses que les neurones, qui forment l’essentiel de la masse de notre cerveau.

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  • PIERRE-YVES FROUIN développe des vête-ments dits intelligents. La solution de sa startup BioSerenity se nomme Neuronaute et est des-tinée aux patients épilep-tiques. Lors des crises, les données du patient sont enregistrées par un tee-shirt et un bonnet puis envoyées sur une application smartphone et transmises à l’équipe médicale. Ce système permet d’enregistrer des informations difficilement disponibles lors d’enre-gistrements de courte durée à l’hôpital. z

    À LA MODE INTELLIGENTE

    z Des connexions nerveuses on passe sans transi-tion à la santé connectée. À la barre pour nous guider, PIERRE-YVES FROUIN. Sa startup Bioserenity s’est spécialisée dans le vêtement intelligent bardé de capteurs. Ainsi Neuronaute, un T- shirt et un bonnet, destinés aux patients victimes de crises d’épilepsie.

    Dans un diagnostic traditionnel, le patient consulte un médecin qui lui prescrit un examen. Le patient s’y rend, on lui pose l’équipement nécessaire, on réalise l’enregistrement et le patient retourne voir son méde-cin. Le système a ses limites, à la fois parce qu’il faut des salles dédiées, du personnel spécialisé, et parce que ces enregistrements, souvent de courte durée, ne permettent pas de détecter les événements rares. Par exemple, pour une épilepsie, ils se manifestent par de grandes crises, mais aussi par une multitude de crises focales, parfois asymptomatiques.

    Aujourd’hui, les enregistrements se font sur vingt à quarante minutes, ou au maximum quelques heures. Bien souvent, aucune crise n’est détectée sur ce laps de temps. Le médecin prescrit un traitement, mais pour compenser cette absence d’information, il fait revenir le patient régulièrement. En fonction de la réaction du patient au traitement, le médecin réajuste sa pres-cription. Il faut trois à quatre ans pour équilibrer la maladie.

    Demain, Pierre-Yves Frouin en est certain, le pa-tient restera chez lui, il portera son vêtement connec-té le temps nécessaire pour enregistrer une à deux crises. Ainsi, la mise en place d’un traitement se fera en quelques semaines. On l’espère !

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  • z Avec LAURENT LEVY, nous voilà dans le monde de l’infiniment petit, du nanomédicament. Nous ne changeons pas seulement de dimension mais aussi de paradigme. Et pour illustrer son propos, ce docteur en physique chimie, cofondateur de Nanobiotix nous renvoie à… Henri Ford ! Pourquoi ? Parce que Ford a tout compris de la manière dont surviennent les révo-lutions techniques.

    « Si je n’avais écouté que mes clients, j’aurais inventé un cheval plus rapide » expliquait Ford. Mais Ford a in-venté la voiture ! Comme Ford, Laurent Levy propose de changer de perspective. En quelques mots simples, il nous permet de saisir le sens de la révolution nano. La recherche biomédicale classique va de plus en plus loin dans la compréhension des processus biologiques qui gouvernent nos cellules et dans la mise au point d’une médecine personnalisée. Avec les nanoparti-cules, on change de monde. On sort de la chimie pour entrer de plain pied dans le monde de la physique. Et on sort du traitement personnalisé pour… un traite-ment qui marche pour tous !

    Un exemple ? Les sarcomes des tissus mous. On les

    traite par radiothérapie. Mais comment augmenter la dose sans léser les tissus sains traversés ? Les nanotech-nologies apportent la solution. Le médecin injecte des nanoparticules d’oxyde d’hafnium (HfO2) en suspen-sion dans un liquide. «  Ses propriétés physiques lui permettent d’émettre des quantités très importantes d’électrons lors de l’exposition aux rayons X, ce qui amplifie considérablement la dose d’énergie létale dans les cellules » et permet donc de mieux détruire la tu-meur ». Ce nanomédicament est actuellement en phase d’essais cliniques, il devrait arriver fin 2016 à l’hôpital. Une cinquantaine de médicaments nano sont utilisés aujourd’hui, environ 200 sont en essais thérapeutiques. Et ce n’est que le début !

    LE FUTUR CHANGE DE TAILLE

    LAURENT LEVY voit grand avec de l’infi-niment petit. Docteur en physique-chimie spécialisé dans les nano-matériaux, Laurent est cofondateur de Nano-biotix. Cette start-up créée en 2003 et cotée depuis 2012 fait partie des pionniers mondiaux en nanomédecine. L’échelle nanométrique est celle des possibles, un changement de para-digme qui fait envisager autrement les solutions thérapeutiques et le diagnostic. z

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  • z Un économiste d’Oxford, ami du docteur ÉTIENNE MINVIELLE, spécialiste en santé pu-blique, a consulté 16 médecins pour le suivi de son cancer. Avec comme on l’imagine une foultitude d’avis contradictoires et d’incohérences…

    Qu’en est-il en France ? Les parcours de soins sont-ils mieux organisés ? Peut-on trouver faci-lement l’information dont on a besoin pour com-prendre sa maladie et son traitement ? Que nenni assure Étienne Minvielle. Car en quelques décennies tout s’est transformé, tout s’est complexifié aussi : les séjours se sont raccourcis, les innovations thérapeu-tiques se multiplient, les métiers se diversifient : plus de 200 fonctions à l’hôpital ! Sans oublier les mala-dies chroniques qui engendrent des allers et retours fréquents entre le monde hospitalier et le domicile.

    Résultat : des incohérences et des erreurs. « 70 % des événements graves sont liés à des problèmes de coordination. La plupart surviennent à l’entrée ou à la sortie de l’hôpital. Tout cela entraîne d’immenses gaspillages. On estime que ces dépenses sont plus importantes que celles liées au prix du médicament ou à la lourdeur de la gestion ». Sans oublier qu’elles obèrent les conditions de travail des professionnels de santé  : 15 à 20  % du temps des médecins sont consacrés au rattrapage des erreurs de coordination.

    Actuellement, le système fonctionne comme un aéroport qui serait dépourvu de contrôle aérien. Gare aux collisions ! Heureusement des pistes se font jour pour organiser la coordination et réduire les coûts, grâce aux NTIC, grâce aux nouveaux modes de paiement. « À Gustave Roussy, nous dé-veloppons un portail internet que le patient peut interroger depuis son domicile  ». La révolution des parcours de soins est en marche. Pour le Dr Minvielle, la chambre d’hôpital de demain sera la chambre du domicile du patient, ultra-connectée et avec des suivis organisés.

    ÉTIENNE MINVIELLE est un médecin, gestionnaire et un chercheur de haut niveau en santé publique. Sa spécia-lité est l’organisation des soins. Son objectif est que les parcours des patients soient sans fautes. Bien qu’ils soient de plus en plus complexes, ils doivent être de plus en plus fluides pour les patients. La piste doit être débarrassée de ses lourdeurs et gas-pillages. Ce nettoyage va donner confiance au patient et l’aider à devenir plus rationnel dans ses choix. z

    PARCOURS SANTÉ

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  • VIRUS DU DÉCOUVREUR

    DIDIER RAOULT, spécialiste des mala-dies infectieuses, a créé la plus grande équipe de recherche de ce domaine. Ce découvreur de microbes a trouvé un mini virus qui a les ca-ractéristiques d’un virus géant ou Spoutnik, un autre géant capable d’en infecter un autre pour survivre. Ce professeur de microbiologie sort la tête de ses éprouvettes pour s’inscrire en faux contre des théories acceptées par la majo-rité du corps médical. Boire une dose d’alcool, manger cinq fruits et légumes, vaccins, méca-nismes des épidémies… Dans son dernier livre, il nous aide à démêler le faux du vrai. z

    z Retour vers l’infiniment petit… Être à son domi-cile, c’est précisément être éloigné des maladies nosocomiales qui sévissent à l’hôpital. Pour parler des microbes et des virus, un grand expert, DIDIER RAOULT, découvreur de différents microbes et même d’un mini virus. Il nous explique que des micros orga-nismes, nous ne connaissons rien ou presque. Tout est à découvrir. « Nous pensons qu’il existe 1 000 milliards d’espèces de microbes. Nous en connaissons seulement 15 à 20 000.

    Pour les virus, il en existe 100 ou 1 000 fois plus, donc la marge d’apprentissage est immense. Et si l’on regarde les séquences d’acides nucléiques, le monde est encore plus gigantesque ».

    C’est précisément au croisement de ces deux mondes, celui des germes potentiellement pathogènes et celui de la susceptibilité génétique que se place Di-dier Raoult. On le sait aujourd’hui, la susceptibilité aux infections est en partie d’origine génétique. Cette découverte met à mal bien des concepts véhiculés sur le sujet. Autre domaine où notre ignorance se révèle majeure : les mécanismes de contagion. « On a beau-coup parlé du SRAS cette année, car on s’est rendu compte que les modèles de contagion de la grippe ne s’appliquent pas à ce virus. Avec le SRAS, on peut être contaminé à 100 mètres ! »

    Pasteur a révolutionné la médecine en découvrant les germes. Si tant de choses ont changé depuis, de

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  • GILLES BERRUT En 2050, un tiers des Français aura plus de 60 ans. Mais la grande révolution démogra-phique est prévue en 2027 : les baby-boomers atteindront alors 85 ans ! Gilles Berrut, chef de du service gériatrie du CHU de Nantes et président de la Société française de gériatrie s’inquiète de ce déferlement. Il milite pour une anticipation médicale et un déve-loppement de nouveaux espaces et services susceptibles d’aider et d’accueillir ces futurs anciens. z

    ALERTE AUX PAPY-BOOMERS !

    z Après une pause musicale, une chanson d’amour par Lucrèce Sassela, plongée dans un autre uni-vers, celui de la retraite, des baby-boomers, de leur mode de vie, de leurs aspirations. GILLES BERRUT, chef du service de gériatrie au CHU de Nantes nous projette dans un avenir… pas si lointain : en 2040-2050, quand les baby-boomers seront des octogénaires, ou plus, et quand un tiers de la population française aura plus de 60 ans. Ces « jeunes vieux », très impliqués dans la so-ciété au temps de leur jeunesse, le resteront pendant la dernière partie de leur vie.

    Ce temps de la longévité entre la retraite et la dépen-dance, est un temps neuf à inventer et à construire. Si on veut y réussir, dans un contexte de contraction des moyens, il va falloir être innovants ensemble, quel que soit notre âge.

    « Il y a là un véritable enjeu d’emplois (800 000 em-plois dans le service à la personne), un enjeu de for-mation professionnelle, un enjeu de croissance écono-mique puisque ce secteur représente une augmentation de 0,7 % de PIB par an pendant 10 ans. Ce temps nou-veau est un temps qu’il faut s’approprier pour dire que la longévité est une chance pour tous ».

    nombreuses certitudes continuent de circuler. L’évo-lution de nos connaissances se heurte à l’aveuglement lié aux théories anciennes. Et parmi ces croyances celle selon laquelle les microbes ne transmettent que des maladies infectieuses.

    Or on le sait aujourd’hui de nombreuses mala-dies chroniques sont dues à des micro-organismes. Des cancers aussi. Pas moins de 25 types de tumeurs sont d’origine infectieuse. «  On ne peut plus séparer les maladies infectieuses des non-infectieuses ». Mais le plus fabuleux est la possibilité de guérir grâce à des microbes. « On peut soigner des maladies du côlon en faisant des greffes fécales ».

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  • z Après toutes ces plongées dans le futur, ces anti-cipations, ces découvertes, ANNE CHERVET nous ramène à ce qu’il y a de plus central dans la médecine : l’humain. Neuropsychologue, spécialisée dans les pa-thologies du vieillissement, elle utilise l’hypnose dans sa pratique quotidienne. « À un bout de la chaîne, il y a la recherche. À ce bout on trouve l’espoir, l’avenir. De l’autre côté, le présent, l’ici et maintenant. Tous les acteurs de terrain qui prennent en charge les patients et les familles sont confrontés aux peurs, aux incom-préhensions, aux angoisses. Car à ce bout-là, il y a la mort ».

    Anne Chervet nous emmène dans ce monde à la rencontre de Madeleine, nonagénaire, touchée par Alzheimer, ne parlant plus. Par des techniques issues de l’hypnose (synchronisation qui vise à se mettre au rythme de la personne qui est en face, pour être en harmonie avec elle), Anne va obtenir un petit miracle. Quelques mots de Madeleine. Et mieux encore, une empathie de la vieille dame, qui a réussi à percevoir la fatigue d’Anne ce jour-là et qui, avec son mode de com-munication très altéré, va parvenir à l’exprimer  : « ça ne va pas » dit Madeleine… « Ce vendredi en quittant Madeleine je lui ai demandé combien je lui devais pour la consultation. Elle m’a souri ».

    LA POLITESSE ÉMOTIONNELLE

    ANNE CHERVET Chaque jour, Anne Chervet part en voyage. Psychologue et neu-ropsychologue spécia-lisée en pathologie du vieillissement, elle tente de rejoindre ses patients atteints de maladies neurodégénératives par l’hypnose. Exerçant en milieu gériatrique, elle essaye de les rencon-trer là où ils sont et de s’accorder à leur rythme. Son expérience lui per-met d’aider les familles, soignants, encadrants et bénévoles à comprendre les problématiques liées au vieillissement et à avoir des échanges non verbaux avec ces per-sonnes. Cette communi-cation n’exige pas moins que d’être dans un état de politesse émotion-nelle ! z

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  • DOCTEUR,J’AI MAL AUSCANNER…

    DIDIER SICARDHier, il y avait dans le cabinet du médecin, deux personnes, le médecin et le patient. Aujourd’hui, les machines se sont intercalées. Si elles apportent des progrès, ces prothèses techniques augmentent aussi le coût de la consultation et focalisent l’attention du praticien. Didier Sicard, professeur de médecine à l’université Paris Descartes, s’interroge sur ce nouveau couple à trois. Cet ancien président du Conseil consultatif national d’éthique penche du côté du sensible en considérant que, si la machine est une aide, il faut écouter le malade généreusement, car il offre le diagnostic. z

    z La place de l’humain c’est celle que cherche à définir DIDIER SI-CARD, ancien président du CCNE. Le professeur Sicard a « mal au scanner », autrement dit, mal de voir la tech-nique envahir le champ de la méde-

    cine jusqu’à supplanter ce qui fait toute la beauté de la consultation, le colloque singulier. « Le médecin écou-tait son patient, rencontrait son regard, lui demandait de s’allonger, de palper son ventre, écoutait son cœur et ses poumons… Aujourd’hui le stéthoscope est un élément identitaire plutôt que médical. Aux mains, aux oreilles et aux yeux du médecin, la médecine a substi-tué des instruments, des images, de la technique ». Et l’éthicien de conclure : « Les hôpitaux finissent par van-ter leurs robots plus que leurs chirurgiens ».

    Alors, quelle réponse face à celle de l’ultratechnicité de la médecine, à cet envahissement du champ de la thérapeutique par une logique de marché où les ma-chines doivent être toujours plus performantes ? Où la santé devient une marchandise ? Où la promesse d’une éternelle jeunesse, où le salut des corps, entraine une médicalisation de chaque instant ? Car même lorsqu’on n’est pas malade, il faut vérifier, prévenir. Le silence des organes qui définissait l’état de santé devient suspect. Il faut être ultra-connecté et rechercher d’autres signes infimes qui pourraient annoncer la maladie. Est-ce là un progrès ? Didier Sicard s’interroge  : cet homme connecté est-il vraiment l’avenir de l’homme ?

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  • ROBOT DE COMPAGNIELAURENCE DEVILLERS Pouvons‐-nous aimer un robot ? Si aimer est un grand mot, Laurence Devillers pense qu’il est possible d’éprouver des émotions en face de n’importe quel objet. Cette professeure à la Sorbonne, docteure en informatique et cher-cheur au CNRS est spécialiste des interac-tions homme-robot. Elle développe un système informatique qui permet à un robot de reconnaître des émotions et d’adap-ter son comportement en conséquence. Elle étudie aussi la manière dont les robots peuvent aider les anciens. z

    z Le numérique partenaire de la médecine ? Mais aussi la robotique. À peine le Pr Sicard a-t-il quit-té la scène, qu’une spécialiste vient nous parler de ces êtres étranges qu’elle façonne au quotidien : les robots.

    Docteur en informatique, chercheur au CNRS, LAURENCE DEVILLERS explore les interactions entre les hommes et les robots. Notamment les robots dits émotionnels, équipés d’algorithmes leur permettant de décrypter l’émotion exprimée par un être humain en analysant sa prosodie, ses intonations, ses mimiques faciales. Alors le robot s’adapte, il interagit. Ceux que l’on appelle les robots compagnons sont destinés no-tamment à accompagner les enfants autistes ou les per-sonnes âgées. Leur potentiel est immense.

    Les questions éthiques ne sont pas moindres. Tout comme les questions sociologiques liées à cette coévo-lution de l’homme et du robot. Car si le robot s’adapte à l’homme, l’homme s’adapte aussi au robot. Enfin, le robot reste asservi à son algorithme, il n’est pas destiné à s’émanciper.

    Et comme le souligne Laurence Devillers : « les ro-bots, on peut les éteindre !

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  • STANISLAV DUS-KO EHRLICH est un écologiste de la flore intestinale. Ce professeur et chercheur pionner du microbiote intestinal s’inquiète de la perte sa diversité biologique. Ces recherches à l’Inra lui ont permis de constater que plus nos bactéries intes-tinales sont nombreuses et diverses, meilleure est notre santé. A contrario, ceux qui ont une flore intestinale appauvrie ont plus de risques de souffrir de diabète, d’obésité et d’allergies et désordres auto-im-muns. Les travaux de Dusko conduisent à de nouveaux traitements comme la transplanta-tion fécale. z

    FINE FLORE DE LA SCIENCE

    z Il existe en nous un organe que nous possédons tous, car il est impossible de vivre sans lui. Cet organe pèse presque deux kilos, c’est plus que notre cerveau. Il est composé de 100  000 milliards de cel-lules. Cet organe est notre flore intestinale. Ses fonc-tions sont multiples et commencent tout juste à être explorées. Écologiste de la flore intestinale, STANISLAV DUSKO EHRLICH est un des pionniers des transplanta-tions fécales évoquées par le Pr Raoult.

    On sait aujourd’hui qu’une flore appauvrie aug-mente les risques de diabète, d’obésité, d’allergies de maladies auto-immunes, mais aussi favorise la surve-nue de problèmes hépatiques, de certains cancers… On soupçonne des relations avec le cerveau et les émotions, Alzheimer, la dépression… Le champ de la recherche est immense. Mais pourquoi cet organe est-il à ce point négligé ? demande le Pr Dusko Ehrlich ? « Parce que le médecin n’a pas d’outil, il ne sait pas le palper, il ne dispose pas de scanner pour évaluer son état ». « Nous avons créé un microscope surpuissant, un scanner qui permet maintenant de regarder dans quel état est cet organe ».

    Les recherches ont permis de déterminer différents groupes de flores comme il existe des groupes san-guins. Mais aussi de montrer qu’une personne sur trois possède une flore atrophiée (appauvrie de 40  %) ce qui ouvre le champ à une pléthore de pathologies. L’es-poir : les interventions nutritionnelles permettent d’en-richir cette flore, d’augmenter de 30 % sabiodiversité, bref de rétablir les conditions d’une bonne santé. « En France 4 % de la population souffre de diabète, 8 % au Royaume-Uni, cela engendre des coûts de l’ordre de 12 milliards d’euros en France, 10 milliards de livres au Royaume-Uni, imaginez les ressources que l’on pour-rait libérer simplement en rééquilibrant la flore ? ». On l’imagine, en effet, car le diabète n’est qu’une des nom-breuses conséquences d’une flore inadaptée.

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  • A FOND LES CAISSES !

    JEAN-MARC DANIEL Diplômé de l’École Polytechnique et de l’ENSAE alterne entre des fonctions dans l’administration active (INSEE, Budget, Sécurité sociale, Ministère des Affaires Etrangères, cabi-nets ministériels) et des fonctions d’économiste et d’enseignant. Il est responsable de l’ensei-gnement d’économie aux élèves – ingénieurs du Corps des mines. Il est également chroniqueur au Monde et à BFM Bu-siness. Il est membre du conseil d’administration de la Société d’Economie Politique. z

    z Nous voici entraînés dans une petite incursion dans le champ de l’économie autour de JEAN-MARC DANIEL, Professeur associé à l’ESCP Europe. Nous sommes à l’Odéon, ce lieu où tant de débats se sont tenus en mai 1968. «  Les ordonnances de 1967, cela vous dit quelque chose ? » demande le Pr Daniel. « Déjà à l’époque on disait que les dépenses de santé étaient excessives  ». Et depuis 50 ans, l’État tente d’y remédier. « On a créé l’ONDAM, qui relève d’une lo-gique absurde où une autorité politique décide du droit des patients à être malades ».

    Après avoir exploré le mythe du Dr Knock, Jean-Marc Daniel nous interroge. «  Que demande le pa-tient ? Il ne demande pas de réduire les charges so-ciales. Il demande que le système lui garantisse que ce qu’il paye est conforme à ce qu’il reçoit ». La solution pour le Pr Daniel : « le plus simple c’est de mettre les systèmes en concurrence ». En d’autres termes de re-garder ce qui se fait de l’autre côté de l’Atlantique. Pour le spécialiste, c’est inéluctable. Nous pouvons accom-pagner ce mouvement vers une mise en concurrence ou le refuser comme les luddites, ces ouvriers du début du XIXe siècle qui cassaient leurs machines, car ils les accusaient de tuer l’emploi. Pour lui si nous agissons en luddites, nous serons les grands perdants…

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  • z Avant que le rideau tombe sur la fin du premier acte, THOMAS TURSZ, ancien patron de l’Insti-tut Gustave Roussy vient nous dire ses espoirs et son regret. Espoir de voir l’explosion de découvertes dans le champ de la cancérologie. Regrets de n’être pas un jeune chercheur et de ne pouvoir voir l’aboutissement de l’essor de la médecine personnalisée. « J’ai eu deux vies entre 1970 et 2000, une vie de biologiste et une vie de clinicien. La vie de biologiste était formidable, on commençait à tout comprendre sur le cancer. La vie de médecin a été émaillée d’immenses espoirs, mais aussi de beaucoup de désillusions et de promesses non tenues ».

    Et Thomas Tursz de nous entraîner, nonobstant un compteur qui indique que son temps de parole est dé-passé, dans la grande aventure du cancer. Le séquen-çage du génome et des tumeurs qui montre l’immense diversité des cancers… « Cela a changé notre concep-tion du traitement. Avant, c’était de la confection taille unique, maintenant on se dirige vers la haute couture et le sur-mesure ». Et désormais, quels progrès attendre ? Dans les voies traditionnelles de la chimiothérapie, de la chirurgie, de la radiothérapie, les petits progrès s’ad-ditionnnt. Des traitements différents vont apparaître. «  Nous sommes dans une situation qui ressemble à celles des années 1920-1930 en infectiologie, après la révolution pasteurienne, mais avant la découverte de la pénicilline par Flemming. Nous sommes à la veille de découvrir des médicaments super intelligents ». La recherche est en pleine mutation, au lieu de considérer les cancers d’un organe, elle étudie chaque type de tu-meur comme une maladie orpheline…

    Fin du premier acte de S3Odéon. Le rideau tombe sur une image tirée du 7ème Sceau, d’Ingmar Bergman, où un preux chevalier joue aux échecs avec la mort. « Tant que je résiste, je vis », dit l’homme à son adver-saire. De même pour le cancer qui de maladie mortelle est en train de devenir une maladie chronique. En at-tendant un jour d’être une maladie guérissable.

    THOMAS TURSZ a vécu deux vies en une. Cancérologue clinicien et ancien patron de l’Institut Gustave Roussy, sa vie de médecin a été émaillée de succès et joies, mais aussi de déceptions. Elles lui ont donné l’impression que les progrès pour les ma-lades étaient lents. Sa vie de chercheur biologiste a été passionnante. Il a contribué à la décou-verte des anomalies des gènes susceptibles de provoquer un cancer. Comme nous allons vers une réelle médecine personnalisée, Thomas Tursz n’a qu’un regret : celui de ne pas être un jeune cancérologue aujourd’hui. z

    DEUX VIES EN UNE

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  • EMELINE BAYART est une chanteuse dont les airs enjoués et les paroles déjantées suscitent l’hilarité. Elle régale la salle par un pastiche de chanson d’amour.

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  • ACTE II

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  • z MICHEL LADZUNSKI ouvre la séance de l’après-midi en nous expliquant comment on fabriquera de nouveaux médicaments de-main. Tout d’abord, il nous entraîne dans les méandres du cerveau, et nous rappelle les dé-couvertes fascinantes faites en 30 ans sur les mécanismes qui sous-tendent le fonctionnement cérébral. «  Si ce qu’on a appris d’un point de vue moléculaire a aidé à comprendre ces maladies, ces découvertes permirent-elles d’élaborer de nouveaux médicaments ? La réponse est non ! Aucun depuis 30 ans ! Et c’est là un défi extraordinaire auquel la pharmacologie est confrontée ».

    Que s’est-il passé ? Avant 1985, les dé-couvertes des traitements pour la mania-co-dépression, Alzheimer, Parkinson, les troubles obsessionnels compulsifs… se sont faites par hasard. En d’autres termes, un médecin observe des effets bénéfiques sur un patient, puis il extrapole aux autres… « C’est ainsi que s’est construite la pharmacologie. Aujourd’hui, aucun des médicaments existants ne passerait la barrière des essais cliniques, ils seraient tous refusés, y compris le lithium, l’aspirine ou la morphine  ». Alors, quelle voie reste-t-il ? Le modèle actuel basé sur de grands essais cliniques est inopérant pour détecter des effets bénéfiques sur de petits échantillons de malades. Ces grands essais travaillent sur la masse, le patient moyen, et non sur des sous-groupes de patients. Ils coûtent une fortune  : entre 500 millions et 2 milliards de dollars par essai. Des sommes colossales sont englouties en vain, déplore le Pr Ladzunski. «  Comment faire ? Il faut retrouver l’élan de l’aventure, pour essayer, pour entreprendre, sortir de ces cadres ri-gides qui empêchent d’avancer, quel que soit l’état de la science…  » La pharmacologie doit être libérée de ses carcans. Puissent les autorités de tutelle entendre ce message !

    EXPLORATION MÉDICAMENTEUSE

    MICHEL LAZDUNSKI. Membre de l’Acadé-mie des sciences, Fondateur de l’Institut de Pharmacologie moléculaire et cellulaire du CNRS à Sophia Antipolis, Michel Lazdunski s’interroge sur la création de neuro-médi-caments. Est-on sur la bonne voie pour les maladies du psychisme, les accidents vas-culaires cérébraux, les trauma-crâniens, la douleur ? Comment passer des «  coups de théâtre  » de la recherche fondamentale à la mise sur le marché de médicaments «  révolutionnaires  » ? Comment répondre à l’urgence de l’attente des patients, de leur famille et de la société ? z

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  • FRANÇOIS CUZIN Membre de l’Académie des sciences, François Cuzin s’est consacré à la génétique, et plus spécifiquement à la réplication de l’ADN et de la division cellulaire. Il s’interroge sur les méca-nismes de transmission des pathologies liées au mode de vie. Il essaye de répondre à une question délicate : est-ce que nos déviances alimentaires, notre mauvaise hygiène de vie, notre stress vont modifier le patrimoine génétique de nos des-cendants ? z

    z Retour dans le passé avec FRANÇOIS CUZIN, membre de l’Académie des sciences et spécialiste de la réplication de l’ADN. Car nous voilà maintenant revenus au temps de Jean-Baptiste Lamarck. Il y a trois siècles, ce grand scientifique envisageait la possible hérédité des caractères acquis. Mais depuis l’avène-ment des théories mendéliennes, puis la découverte de la double hélice de l’ADN, Lamarck est passé aux oubliettes.

    On revient aujourd’hui à ses théories par le biais de l’épigénétique, c’est-à ‐dire la capacité de l’environ-nement à moduler l’expression d’un gène et même à transmettre cette particularité aux générations sui-vantes. « Comme d’autres sciences, la génétique a dû remettre en question ses principes les plus solides  » résume le professeur Cuzin.

    Deux groupes de pathologies semblent être trans-mises aux enfants, voire aux petits enfants, sans suivre les sacro saintes lois de Mendel : des pathologies mé-taboliques comme le diabète ou l’obésité, suite notam-ment aux excès ou aux privations alimentaires, mais aussi des pathologies psychiatriques consécutives aux conditions psychopathologiques dans lesquelles évoluent les patients. « On parle du stress, de la dépres-sion et aujourd’hui de l’autisme, la liste n’est pas limi-tative ». Comme ces pathologies transgénérationnelles sont difficiles à observer chez l’homme, on s’est tourné vers la souris.

    On a pu montrer que l’épigénétique implique des acides ribonucléiques d’un autre type avec des effets à long terme. Pour nous faire mieux comprendre les règles de l’épigénétique, François Cuzin nous donne l’image d’un orchestre symphonique. La même parti-tion jouée par des chefs différents donnera des résul-tats extrêmement variables. Il en est de même du gé-nome qui s’exprime différemment chez chacun d’entre nous en fonction de notre environnement.

    GÈNES ET TRANS-MISSION

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  • z De la symphonie, de l’harmonie passons au contraire à la dysharmonie. Cette dysharmo-nie présente au cœur des adolescents que reçoit MARIE-‐ROSE MORO, directrice de la maison de So-lenn, un établissement spécialisé dans l’accueil des enfants souffrant de troubles du comportement ali-mentaire. Elle nous présente Tom, 17 ans, sujet aux tendances suicidaires, Dheepan, jeune Sri-Lankais qui a perdu le goût à la vie, Pauline, aujourd’hui bien dans sa tête et étudiante en classe prépa, mais qui naguère souffrait d’une anorexie sévère ayant fait chuter son poids à 35 kg. Comment aider ces jeunes gens ? Quels outils développer ? Les prises en charge heureusement progressent. « Il y a 25 ans, on guérissait un tiers des jeunes atteints de troubles du comportement alimen-taire, un tiers survivait tout en conservant cette ma-ladie pendant l’âge adulte et un tiers en mourrait. Au-jourd’hui, nous guérissons plus de 90 % de ces jeunes. C’est très bien, mais ce n’est toujours pas suffisant. » Et la psychologue de conclure : « Les adolescents seront les adultes de demain. Il est tellement important qu’ils deviennent des adultes heureux, capables d’inventer le monde et de le rendre meilleur. C’est le défi que je vous propose  : que les adolescents passent sans heurt des bras de leur mère à ceux de leurs premières amours ».

    CRISE DU BEL ÂGE

    MARIE-ROSE MORO a une formation en médecine et en philosophie. Ce double cursus a amené cette psychiatre de bébés, enfants et adolescents à diriger la Maison de Solenn à Paris. Cet établissement accueille des adolescents souffrant de troubles du comportement alimentaire, de dépressions nerveuses, d’états suicidaires, de névroses obsessionnelles, d’obésité. Passionnée par les capacités des adolescents à se transformer, Marie-Rose se bat pour qu’on prenne au sérieux les crises d’ado et qu’on trouve des moyens efficaces pour les aider. z

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  • z Puisque l’on parle du cœur, c’est au tour de GILLES MON-TALESCOT, chef du département de cardiologie au CHU de la Pi-tié-Salpêtrière, de venir nous rejoindre. Avec lui, nous replon-geons dans l’univers de l’homme connecté.

    « Quand vous voyez un cardio-logue, il a deux outils, le stéthos-cope et l’appareil d’ECG. Ces deux outils vont disparaitre, au profit d’un outil commun : le téléphone portable  ». La société de demain mise sur un patient éduqué à sa maladie, capable grâce à des dis-positifs très simplifiés de faire son propre ECG. L’algorithme présent dans le téléphone décidera s’il doit

    se rentre immédiatement à l’hôpital. Cela permettra au patient de venir consulter avant un incident cardiaque et non après.

    Et cela change tout… Un exemple pour s’en convaincre ? Prenons un patient hospitalisé en urgence avec un œdème aigu du poumon avec du liquide à l’in-térieur des poumons. Cette maladie survient en cas d’insuffisance de la pompe cardiaque. Le premier signe est un essoufflement anormal. Dès ce moment-là, il faudrait consulter ! Grâce à des dispositifs en cours de développement (petits capteurs dans l’artère pulmo-naire pour mesurer la pression du sang, ou petits dis-positifs sous-cutanés), le cardiologue pourra connaître bien en amont le début d’une décompensation de l’in-suffisance cardiaque.

    « Ce n’est plus vous qui prendrez rendez-vous avec le cardiologue, c’est lui qui vous appellera et vous dira qu’il veut vous voir  ». De multiples améliorations et miniaturisations vont révolutionner la cardiologie ou permettre de mieux nous suivre, comme ces pacema-kers qui dans dix ans seront réduits à de petits tubes glissés dans le ventricule, sans anesthésie, ou ces stents résorbables, ces valves posées par les voies naturelles… Assurément, on prend bien soin de notre cœur.

    ATOUT CŒUR HIGH-TECH GILLES MONTALES-COT est cardiologue et chef du département de cardiologie du CHU la Pitié – Salpêtrière. Pour ce grand acteur des évo-lutions de la cardiologie, cette spécialité battra demain au rythme d’une connexion permanente, de la suppression des opérations, de l’introduc-tion d’implants par voie veineuse, de pacemakers de petite taille avec des batteries très longue durée. z

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  • z Et maintenant c’est le moment de parler d’un gros mot, «  le big data  », ou traduit en français «  les grosses données  ». Derrière ce terme, les mon-tagnes d’information gérées dans les clouds et ailleurs. JEAN- PIERRE THIERRY, médecin spécialisé en santé publique, en économie et en organisation des soins, tente de nous faire entrer dans ce monde complexe.

    Tout d’abord un chiffre  : la puissance de l’outil in-formatique multiplie par deux tous les ans la vitesse de traitement des données. Ce sont donc aujourd’hui des montagnes de données qui peuvent être analysées et stockées dans des entrepôts. Ces données représentent un volume énorme. « Le prix de séquençage s’effondre, mais le prix du stockage de ces données aujourd’hui est cinq fois le prix du séquençage ! » On comprend vite le problème. Pourtant, ces données sont essentielles à la fois pour le patient et pour la recherche en santé publique. Par exemple, en cancérologie. « Ce que l’on appelle parfois les registres cancer de deuxième géné-ration feront peut-être l’objet d’une politique publique dans des pays comme le Royaume- Uni ou les Etats-Unis » précise le docteur Thierry.

    «  Il faut investir dans ces stockages, car on ne sait pas seulement stocker, mais aussi analyser. Au fur et à mesure qu’on analyse, on va pouvoir renvoyer des informations vers le médecin. On met ainsi sur pied un système d’aide à la décision pour le méde-cin. Avec la complexité des don-nées actuelles, on a besoin de telles aides ».

    Ainsi, le big data aidera à per-sonnaliser les traitements, à dé-velopper la pharmacogénomique (pour connaître la susceptibilité d’un patient à un médicament). Par exemple pour les statines, qui ont des effets secondaires musculaires chez 20 à 25 % des patients. Reste un défi : sécuriser ces données afin de rassurer les citoyens sur leur uti-lisation. Ce n’est pas gagné !

    AUX BONS SOINS DES DATASJEAN-PIERRE THIERRY. Médecin spécialisé en santé publique, Jean-Pierre Thierry se pas-sionne pour l’innovation technologique et biomé-dicale. Ce président du conseil de gouvernance d’une importante orga-nisation professionnelle de e-santé, la branche européenne de HIMSS (Health Information Sys-tem Society) examine les potentialités des data. Pour lui, les informations numériques issues des paramètres des patients vont révolutionner le dia-gnostic et la recherche. Ils vont aussi favoriser l’émergence d’une mé-decine personnalisée. z

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  • z Secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, membre de l’Acadé-mie de médecine, JEAN-FRANÇOIS BACH reprend la parole sur la longévité après qu’Emeline Bayart nous ait narré ses chagrins imaginaires et ses tenta-tives de suicide délirantes…

    Vivrons-nous jusqu’à 120 ans, 140 ans, ou plus comme l’annoncent les transhumanistes ? Pour le moment, sauf révolution en la matière, il semble qu’une barrière physiologique existe aux alentours de 105 ans.

    Les enquêtes sur la longévité ré-servent d’autres surprises. Par exemple, la longévité n’a pas changé du pa-léolithique jusqu’au début du XVIIIe siècle. C’est ensuite seulement qu’elle

    a fait un bond en avant ! Et qu’en est-il des un ou deux mois d’espérance de vie supplémentaires que nous gagnons tous les ans ? « C’est encore à peu près vrai, mais rien ne laisse penser que cela va continuer indéfiniment ».

    Alors que faire ? Des expériences ont été tentées sur l’animal  : la mouche, la souris, le ver de terre. Parmi les pistes explorées, l’ablation des cellules de la reproduction et les régimes de restric-tion calorique… À ce prix, on peut augmenter l’espérance de vie de 20 %. mais n’est-ce pas un peu cher payé ? « La bonne nouvelle est qu’on est train d’amener la quasi totalité de la popu-lation vers l’âge butoir de 105 ans ». Ce n’est déjà pas si mal !

    LES LIMITES DE DAME NATUREJEAN-FRANÇOIS BACH Secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, membre de l’Académie de médecine, Jean-François Bach se situe au carrefour des sciences biologiques et médicales. Il le prouve en remettant quelques pendules à l’heure. Il nous démontre par exemple que contrairement à ce que pourraient nous faire croire les emballements médiatiques, la nature impose toujours sa loi. En ne dépassant pas les 105 ans, l’âge buttoir de la vie n’a pas augmenté clairement au cours des siècles même si les avancées de la science ont augmenté notre espérance de vie et notre bien-être. z

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  • z On peut être ultraconnecté et tou-tefois soucieux des conséquences que cela peut avoir. C’est le cas de BENJAMIN PITRAT.

    Ce jeune psychiatre, dopé aux nou-velles technologies, créateur de la start-up Ad Scientiam qui développe une application mobile pour suivre l’état de santé des patients, le dit d’emblée  : «  La révolution de la santé connectée a changé notre rapport au corps et à la maladie ». D’abord avec l’apparition d’un nouveau concept, «  le quantified self  », c’est-à-dire la possibilité pour chacun de mesurer une série de para-mètres médicaux.

    «  Quand on a lancé notre start-up fin 2013, la pénétration du smartphone était de 30 % et les objets connectés se résumaient à l’actimètre et à la balance connectée. Aujourd’hui, tous les por-tables vendus sont des smartphones et les objets connectés vont jusqu’à l’ECG ou au bilan sanguin à domicile ».

    Au fond, quel est l’apport réel de ces techniques ? Ne sommes-nous pas en train de perdre le contact avec la réa-

    lité ? Car pour beaucoup, « il n’est plus important d’avoir passé une nuit re-posante, mais de savoir qu’on a dormi 7 h 24 mn… ».

    Par ailleurs, quelle est la validité des consignes données par ces appareils ? demande le spécialiste, qui rappelle que les fameux 10 000 pas ne proviennent d’aucune étude scientifique, mais d’un fabriquant japonais de podomètres, qui trouvait que 10 000 ça sonnait bien en japonais…

    La santé connectée, Benjamin Pitrat y croit, mais à condition de raison gar-der. » Avoir une tasse qui nous dit si on a suffisamment bu, est-ce bien néces-saire alors qu’on a le système hypotha-lamo-hypophysaire qui régule depuis toujours la faim et la soif ? ».

    CORPS SUR MESURE

    BENJAMIN PITRAT est un psychiatre aficionado des nouvelles technologies. Déplorant la difficulté à disposer de données de santé de qualité issues de la vie quotidienne du patient, il crée Ad Scientiam. Cette start-up développe une application mobile qui aide à suivre l’évolution de l’état des patients. Cela n’empêche pas Benjamin de s’inquiéter des conséquences de cette médecine connectée. Cette quantification et norma-lisation vont-elles modifier en profondeur notre rapport au corps ? z

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  • z Si l’envie de connaître tous nos paramètres de santé en permanence est une tendance lourde dans notre société, la généticienne ALEXANDRA DURR nous questionne sur un autre désir de connaissance ou d’ignorance, le diagnostic génétique. Quand on ap-partient à une famille porteuse du gène d’une maladie grave et incurable, mieux vaut-il savoir, ou ignorer, que l’on est atteint ?

    La question appartient à chaque individu, et les spé-cialistes de médecine génétique ne sont là que pour les accompagner dans leur parcours. Car actuellement, nous sommes très loin du monde décrit dans le film Bienvenue à Gattaca, où tout est inscrit dans le génome comme dans une boule de cristal, rappelle Alexandra Durr. « En 2015, on peut lire le génome, mais on ne peut pas déterminer quelle sera l’expression de la mala-die, quand et comment elle va se manifester ».

    Autre limite de la pratique : est-il justifié d’annoncer une maladie qui apparaitra peut- être dans 20 ans, si on ne dispose d’aucun moyen pour la prévenir ? « Un monsieur en consultation me disait un jour : je suis né trop tôt. Vous pouvez m’annoncer que je suis porteur de la maladie de ma mère, mais vous ne pouvez rien faire pour moi  », explique Alexandra Durr. L’espoir des chercheurs et des patients est qu’en travaillant en-semble on pourra comprendre comment la maladie se met en place et sans doute un jour comment freiner son évolution.

    TERRIBLE ANNONCE

    ALEXANDRA DURR est médecin généticienne à la Pitié-Salpêtrière. Lors des consultations génétiques, la tension est souvent au ren-dez-vous, car la science est capable de repérer des gènes annonciateurs de pathologies graves non encore guérissables. Spécialiste de la maladie d’Huntington, Alexandra guide les personnes à risque sur le chemin de la révélation de leur sta-tut génétique particulier. Faut-il annoncer l’incu-rable ? Cette professeure et chercheuse à l’ICM n’a pas de réponse. Elle sait juste que ses patients ont le droit et la liberté de savoir ou de ne pas savoir. z

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  • L’AFFAIRE EST DANS LE SAC

    z Changement de décor avec JOHN PERSANDA. L’homme n’est ni chercheur ni médecin. Il vient nous parler de sacs en plastique. Tel un camelot, il nous montre différents sacs  : les méchants, ceux que l’on retrouve au fond de l’estomac de 94 % des oiseaux, de 80  % des poissons, ceux qui asphyxient les tortues et qui vont pourrir dans le 7e continent… et les sacs amis.

    John Persanda est un « reborn » de l’écologie. Pen-dant des décennies, cet industriel a fabriqué des sacs de tout type. Jusqu’au jour où il a pris conscience de la né-cessité de protéger l’environnement. « Je suis ému d’être ici. En 1968, on disait qu’il était interdit d’interdire et de fait pendant 50 ans, on a fait n’importe quoi ».

    En 1976, il crée sa start-up et se lance dans l’embal-lage ménager. Sac à poignée coulissante, sac antibacté-rien, un milliard de sacs par an… « Après 30 ans d’acti-vité, j’ai fait comme Saint Paul, mon chemin de Damas. J’ai eu une illumination. Deux jours après, j’avais ache-té une société de matière plastique qui disposait de 200 brevets et qui n’avait jamais rien vendu ».

    C’est cette entité qui va lui permettre de développer des sacs de plus en plus écologiques. « Un jour j’ai de-mandé à mes collaborateurs : pourrait-on faire un sac qui tient la pluie, qui a toutes les propriétés bioméca-niques des sacs en plastique, mais qui se dégrade dans l’eau et qui est absorbable par les poissons et par les tortues ? On me répond que c’est impossible. Cinq ans plus tard on l’a fait ». John Persenda a aussi dans son escarcelle une capsule de café à base de blé 100 % bio-dégradable.

    JOHN PERSENDA. Innovation, innovation, innovation ! C’est l’incan-tation de John Persen-da, le PDG du groupe Sphere spécialisé dans l’emballage ménager. Mais l’innovation, John veut surtout la mettre au service de l’amélioration de l’environnement et de la santé. En 2020, tous les plastiques de Sphère seront 100 % recyclables ou biosourcés. John Persenda va lancer pro-chainement Bluepast, un plastique qui se dégrade dans la mer et est ab-sorbable par les tortues, poissons et dauphins. z

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  • z ALAIN FISCHER, le papa des bébés bulles, a consacré sa vie aux déficits immunitaires de l’enfant et réussi à sauver la vie d’un certain nombre d’entre eux grâce aux thérapies géniques. Ces déficits immu-nitaires appartiennent à ce que l’on nomme les maladies rares. Ils touchent moins d’une personne sur 10 000.

    Si chaque maladie rare affecte peu de per-sonnes, il existe au moins 9 000 maladies rares. Elles sont un enjeu pour la société de demain, mais aussi un atout formidable pour faire progresser la recherche. Pour-quoi ? Parce qu’elles sont simples. La plupart sont héréditaires, selon une hérédité men-délienne liée à la mutation d’un seul gène. «  On connait aujourd’hui très précisément les mécanismes moléculaires responsables de plus de 3 000 de ces maladies. Ca permet de

    nommer ces maladies, de les diagnostiquer, pour cer-taines de les dépister, et dans des cas rares de les trai-ter ». Autre raison pour laquelle la recherche sur ces maladies fait avancer la recherche en général : « chaque fois qu’on peut relier une maladie, un phénotype et un gène, nous apportons une bribe supplémentaire du gi-gantesque puzzle de notre système biologique ». Ainsi, on comprend mieux comment les urines sont filtrées dans le rein ou comment les photons sont transformés en énergie électrique pour la vision grâce aux travaux faits sur les maladies génétiques rares.

    Enfin, certaines maladies rares sont le phénotype extrême de malades beaucoup plus répandues. Ainsi, les Alzheimer précoces peuvent contribuer à mieux connaître la maladie d’Alzheimer et aider à trouver des traitements.

    Deux exemples ? L’étude d’une maladie rare où la PCSK9 (enzyme qui détruit le récepteur du mauvais cholestérol) est mal régulée a permis de mettre au point des médicaments anti-cholestérol, actuellement en cours de test ; les techniques de greffes osseuses mises en place pour traiter des maladies immunitaires rares se sont ensuite appliquées aux leucémies et de-main à d’autres cancers.

    ALAIN FISCHER, Quand on rencontre Alain Fis cher on ne peut manquer de lui deman-der des nouvelles des bébés-bulles. Son nom leur a été associé parce qu’il a contribué à la mise au point d’une thérapie génique permettant à ces enfants de quitter leur environnement stérile. Cette approche inédite en pédiatrie a été améliorée et appliquée à d’autres maladies génétiques. Aujourd’hui, ce directeur de l’Insti-tut Imagine, professeur au Collège de France, membre de l’Académie de médecine et des sciences continue à travailler sur les maladies rares. Cette recherche appliquée lui permet de comprendre des phéno-mènes particuliers qui peuvent déclencher des tornades de progrès. z

    RECHERCHE PAPILLON

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  • MATHIEU SAÏKALY, jeune talent amateur de Louis-Ferdinand Céline et de Rainer Maria Rilke, nous interprète « poison », une chanson de son répertoire.

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  • z Puis c’est Gérard Muller qui nous rejoint sur scène. Ou plus précisément son ami SERGE PI-CAUD, chercheur à l’Institut de la vision. Gérard lui, n’est présent que sur l’écran. Pourquoi Gérard est-il là, parmi nous, pédalant à l’arrière du tandem ? Parce qu’il est devenu aveugle et ne peut plus faire de vélo qu’en seconde position. C’est pour Gérard et pour tous ses pairs que Serge Picaud se bat et travaille sur des projets de restauration de la vue. Une maladie a fait perdre à Gérard ses photos récepteurs. À l’Institut de la vision, il teste les dispositifs que les chercheurs mettent au point.

    Première piste de recherche  : les neuro-prothèses (œil bionique ou rétine artificielle). Si les photorécep-teurs qui convertissent les impulsions lumineuses en signaux électriques dégénèrent, en revanche, le réseau neuronal de la rétine reste fonctionnel. La rétine arti-ficielle est une sorte de plaque d’électrodes qui, mise au contact de la rétine, va stimuler ce réseau. « Les pa-tients vont être capables de prendre un objet clair sur une table, de suivre une ligne blanche et de se repé-rer dans l’environnement ». Grand moment d’émotion lorsque Serge Picaud nous passe une courte vidéo, celle d’un aveugle qui lentement déchiffre une phrase de quatre mots, la première phrase qu’il puisse lire depuis très longtemps.

    Seconde piste passionnante, la thérapie optogéné-tique. Il existe une petite algue qui, lorsqu’on la stimule avec de la lumière, génère de l’électricité. Cette algue est un photorécepteur. L’idée des chercheurs est de récupérer son code génétique et de le transférer aux neurones de la rétine afin qu’ils deviennent eux aussi des photorécepteurs. L’expérience a été un succès sur la souris. On espère tenter cette approche en clinique d’ici deux ans. « Faire revoir un patient aveugle est en train de devenir une réalité. J’espère pouvoir dire pro-chainement à Gérard : allons faire un tour de vélo, mais cette fois tu montes devant et moi je passe à l’arrière ! ».

    Des salves d’applaudissements vont clore cette ses-sion. Serge Picaud se promettait de nous en mettre « plein la vue », il nous en a mis « plein le cœur »…

    SERGE PICAUD a un rêve : rendre la vue à des patients devenus aveugles. Ce chercheur de l’Institut de la vision veut réintroduire des informations visuelles dans le réseau neuronal en introduisant le gène d’une algue dans les cellules humaines. Avec cette option biologique, il compte bien en mettre plein la vue à tous ceux qui ne voient plus. z

    PLEIN LA VUE

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  • z Sans transition, c’est une personnalité unique en son genre qui nous rejoint. Magistrat, représen-tant des patients, ancien président de AIDES, puis du CISS, connu pour sa passion et son militantisme, on ne présente plus CHRISTIAN SAOUT.

    D’emblée, il interpelle l’assistance. «  Qui dans cette salle pense qu’il faut plus de gens investis dans la recherche ? » Des centaines de mains se lèvent. « Et maintenant, qui dans cette salle a prêté son corps à la recherche ? » Quelques-uns se signalent timidement…

    En deux questions, Christian Saout vient de nous sensibiliser au nœud gordien des essais cliniques. En-gagé, Christian Saout a, lui, franchi ce pas en participant aux essais de vaccins contre le SIDA. Et de nous indiquer les 5 obstacles à « fracasser » pour que la recherche trouve des volontaires. 1. le manque de sensibilisation. « Beaucoup de gens ne savent pas où l’on prête son corps. » 2. Le défaut d’information. Quelques sites internet comme celui de Gustave Roussy publient leurs essais en cours, la plateforme Orphanet également. Et sinon ? Rien ou presque ! Même sur le site de l’ANSM, l’Agence du médicament, la moitié des requêtes donne des résultats hors sujets ou obsolètes. 3. Le jargon scientifique. Quand enfin on trouve l’information elle est… inaccessible au commun des mortels… and in English of course ! 4. Le manque de réciprocité. « Quand je prête mon corps, je veux en échange recevoir quelque chose, savoir à quoi ma participation a servi, sentir que je partage quelque chose avec la communauté scienti-fique ». 5. Le bénéfice pour soi : « mes données personnelles, je veux qu’on me les redonne ».

    À ce prix, le magistrat en est certain, beaucoup de citoyens seront prêts à cet acte généreux. «  J’espère vous avoir convaincu que les essais thérapeutiques, ce n’est pas dangereux, c’est au contraire bon pour la san-té, bon pour la société… et même bon pour l’âme ».

    CHRISTIAN SAOUT a été président de AIDES, la première associa-tion française de lutte contre le sida, de 1998 à 2007. Puis, il a présidé le Collectif interassociatif sur la santé, de 2007 à 2012. Il en est aujourd’hui le Secrétaire général délégué. Son défi au-jourd’hui est de réfléchir à la manière d’impliquer les citoyens dans la recherche. z

    CITOYENS DE LA RECHERCHE, UNISSEZ- VOUS !

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  • E t quid de la règle des trois unités, qui régit la tragé-die classique : une seule action en un seul lieu, en un seul temps ? Tout au contraire, nous sommes allés de l’infiniment petit (les nanotechnologies) à l’in-finiment grand (les galaxies), nous nous sommes pro-jetés dans l’avenir, mais avons aussi fait un détour par Lamarck et même le paléolithique. Et surtout, le panel d’intervenants a tenté de nous faire découvrir une plé-thore d’aspects de la science et de la santé, ainsi que leur intrication avec la société. Le premier acte en drama-turgie pose le décor, le second développe la probléma-tique, la troisième amène la conclusion. C’est celui qui donne du sens aux deux précédents. Ici, pas question de conclure. Au contraire ! On ouvre le débat, on se questionne sur la conscience, sur l’ar-chitecture hospitalière, sur l’humanitude, avant que Guy Valencien ne propose le mot de la fin, simple, évident, et pour-tant si difficile à réaliser : « transgresser les règles banalisées, revenir à l’huma-nisme ». Un beau défi… Le cerveau à image ouverte. Mathieu Saïkaly revient avec sa guitare pour une reprise d’Alain Souchon, un «  Allo maman bobo  » qui pose en délicatesse la question de la conscience de soi, avant que Ri-chard Frackowiak, neuroscientifique, co-directeur du projet prométhéen Human Brain, partage avec nous sa fascination pour le cerveau et l’image-rie qui permet d’y déambuler.

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  • ACTE III

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  • z C’est une série de hasards qui vont conduire RICHARD FRACKOWIAK à consacrer toute son existence au cerveau.

    Premier cours à l’université, première rencontre, avec la neuro-anatomie, «  et j’ai vu la beauté du cer-velet… ». Six ans plus tard, en 1973, à Londres, le voi-ci travaillant sur le second scanner au monde. Pour la première fois, « je voyais à l’intérieur du crâne ». En-core six années passent et Richard Frackowiak intègre un nouveau laboratoire. Deux jours plus tard, le pre-mier scanner à émission de positrons du Royaume-Uni arrive… dans son labo. Puis en 1989, la première IRM, puis l’IRM fonctionnelle…

    « Grâce à tout cela nous avons découvert plein de choses et notamment l’extraordinaire plasticité céré-brale. Mais à la fin de cette carrière clinique je suis un homme déçu, car tout ce mur de pathologies dont par-lait Michel Ladzunski reste infranchissable ». Second problème pour ce chercheur qui vit dans la ville de Descartes  : la méthode cartésienne, si opérante pour l’étude de la matière morte, se révèle insuffisante pour le vivant.

    «  Mes amis philosophes me disent  : comment le cerveau pourrait-il comprendre le cerveau ? J’ai trouvé la solution  : il faut un super-ordinateur en plus ». Et c’est ainsi qu’est né le projet Human Brain. Un projet titanesque qui vise d’ici dix ans à simuler le fonction-nement cérébral grâce à un superordinateur et à mieux appréhender les maladies qui distordent cette organi-sation. « Ce projet va complètement changer la donne, nous sommes à un moment historique de la compré-hension du cerveau, je suis plein d’espoir pour l’ave-nir, car d’ici 10 ans nous aurons conquis pas mal de choses ».

    RICHARD FRACKO-WIAK, neuroscientifique, a dirigé le service de neurologie au Centre Hospitalier Universitaire Vaudois. Il est aussi codirecteur du Human Brain Project, le projet européen de simulation du cerveau humain. Ce pionnier de l’imagerie cérébrale est un fervent défenseur du mariage de la biologie du cerveau et de l’informatique. L’ob-jectif est d’utiliser l’infor-matique pour reproduire ce qui se passe dans le cerveau et identifier ses dysfonctionnements. z

    LE CERVEAU À IMAGE OUVERTE

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  • z Retour maintenant à l’une des pathologies les plus emblématiques, le cancer. À la tête de l’unité de dermatologie de Gustave Roussy, CAROLINE ROBERT s’occupe du mélanome, une tumeur dont l’évolution peut être rapidement fatale.

    Caroline Robert nous rappelle quelques consignes de sécurité au théâtre. Pourquoi une longue digression sur les détecteurs de fumée ? Pourquoi nous parler de l’intervention des pompiers qui avec leurs lances à eau étouffent l’incendie, mais au prix de graves dé-gradations ? Pour mieux nous sensibiliser à l’immuno-thérapie. Cette approche innovante baisse le seuil de détection des cellules cancéreuses par le système im-munitaire. Le mélanome n’est au départ qu’une petite tâche que l’on peut détruire facilement, mais à un mo-ment il va flamber. Telle une étincelle, il va se répandre dans tout le corps, entraîner des métastases et comme le feu, tout consumer. En le détectant tôt, en armant le système immunitaire pour qu’il agisse lui-même contre le cancer, on évite les pompiers, c’est-à-dire les traitements qui à l’instar de la chimiothérapie ou de ra-diothérapie, peuvent avoir des effets ravageurs.

    L’immunothérapie n’est pas magique. On prend le risque que le système immunitaire détecte comme dangereuses des cellules saines. Mais, grâce à l’immu-nothérapie, certains patients condamnés sont encore en vie. « Mieux encore, des patients inclus dans les es-sais depuis plusieurs années qui n’ont plus aucune mé-tastase visible. On espère très fort qu’ils soient guéris ».

    Guérir du mélanome métastatique ? Ce serait du jamais vu. Attention toutefois à la pensée magique, conclut le Dr Robert. En cancérologie, il faut comme dans la religion Bahaï, s’inspirer de toutes les autres re-ligions et prendre le meilleur de chacune… L’immuno-thérapie est une solution. Elle ne fonctionne pas pour tout le monde. « À la pause, je viens de rencontrer l’un de mes patients. Il a bénéficié d’immunothérapie, mais aussi d’un des traitements personnalisés. J’ignore ce qui a marché, mais actuellement il va bien et c’est cela qui est important ».

    DOPAGE DU SYSTÈME IMMUNITAIRE

    CAROLINE ROBERT est à la tête de l’unité de dermatologie de l’Institut Gustave Roussy. Elle occupe une place de choix dans la recherche clinique du mélanome et des effets secondaires cutanés des nouvelles chimiothérapies ci-blées. Elle est donc en première ligne pour développer l’immuno-thérapie. Cette nouvelle piste thérapeutique consiste à booster le sys-tème immunitaire pour que les lymphocytes T s’attaquent encore plus efficacement aux cellules tumorales. Testée initia-lement dans le cancer de la peau à un stade évolué, l’immunothérapie confirme son intérêt dans les cancers graves de la peau. z

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  • ANNE DE VIVIE est née dans une maison de retraite. En voyant travailler sa mère, elle se demande s’il sera un jour possible de réaliser des soins en douceur. Cette militante du bien vieillir crée Agevillage.com, qui conseille et accom-pagne les seniors et les aidants. Sonnée par les 14 000 morts de la canicule en 2003, Annie découvre l’Humanitude. Les fondements de cette méthode de soins sont des basiques d’humani-té comme le regard, la parole, le toucher et la verticalité. z

    UNE HUMANITUDE POUR LES ANCIENS

    z Ré-humaniser les maisons de retraite, faire en sorte «  qu’elles ne soient plus des maisons de retrait, mais des maisons d’attrait  », c’est le projet de toute une vie pour ANNE DE VIVIE, créatrice d’Agevil-lage.com. « Née dans une maison de retraite  » où sa mère effectuait des soins, Anne perçoit très vite que beaucoup de ces soins sont pénibles pour le patient comme pour le soignant. Dès lors, elle consacre sa vie à tenter d’apporter des solutions. Jusqu’au jour où son chemin croise celui d’Humanitude. Il s’agit d’une méthode mise en place par deux enseignants en édu-cation physique. Sollicités pour soulager les douleurs des soignants, ces deux formateurs constatent que le problème est moins un problème de manutention des malades que de relation.

    « L’Humanitude s’appuie sur le regard, la parole, le toucher et la verticalité. L’objectif est de trouver des solutions pour rester debout dans sa tête et dans son corps ».

    L’Humanitude, c’est donc pas moins de 150 tech-niques, gestes, regards, postures. Et ça marche ! Tes-tée dans des services de gériatrie réputés difficiles, la méthode permet d’avoir «  des soignants revigorés et des équipes sereines ». Actuellement, quatre établisse-ments sont labellisés. Une cinquantaine devrait suivre. «  Mon rêve était que les soignants comme ma mère puissent vivre les soins en douceur. Ce rêve est en train de se réaliser ».

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  • JULIEN ARTU. Ayant pris la route d’une carrière hôtelière, Julien Artu change de voie en septembre 2011. Victime d’un accident de voiture, il est hospi-talisé pendant de longs mois. Quand il sort, il a un nouveau combat à mener : humaniser l’hôpital en aidant les malades à rompre leur isolement. Il fonde alors « My Hospi Friends ». Ce réseau social permet aux malades de rencontrer des personnes hospita-lisées ayant des intérêts similaires. En parlant d’autre chose que de maladies et traitements, ils se réapproprient leur vie. z

    ECHANGES PATIENTS

    z Si la maison de retraite semble souvent manquer d’humanité, l’hôpital aussi ! Comme en témoigne JULIEN ARTU. « En septembre 2011, à la sortie d’une soirée, au lieu d’y rencontrer le grand amour comme je l’espérais, j’ai fait la rencontre en voiture d’un pilier de pont ».

    Julien se retrouve hospitalisé pendant six mois dont trois mois alité, le bassin brisé. Les visites des amis et de la famille se font rares. Accro aux réseaux sociaux, Julien essaye de rester en contact avec le monde ex-térieur, sans grand succès… Même sa page Facebook reste par trop silencieuse. Quant au voisin de chambre qui lui a été affecté de façon tout à fait aléatoire, les re-lations avec lui ne sont pas excellentes. « Je me suis dit, si ça se trouve, juste derrière, dans la chambre d’à côté ou en dessous, il y a quelqu’un qui partage les mêmes passions que moi et qui le dimanche après-midi pour-rait venir regarder la Formule 1 avec moi. »

    Julien surfe sur le Net, à la recherche de solutions pour entrer en contact avec d’autres patients. «  Il n’y avait pas de solution, j’en ai créé une ». Il met sur pied le réseau social My Hospi Friends permettant aux pa-tients de se connecter et de se rencontrer selon leurs centres d’intérêts.

    Ce système est disponible dans une vingtaine d’éta-blissements, il y en aura cinquante en octobre. Et cela vaut vraiment le coup, car « j’ai rencontré des gens fa-buleux à l’hôpital ».

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  • z LIONEL NACCACHE est un ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm, neurologue et neurophysiologiste à l’ICM, il est aussi philosophe, éthicien, essayiste… Son sujet n’est pas moins que la conscience, cet état étrange aux frontières entre la science et l’âme, entre le savoir cartésien et la littéra-ture, qu’il va nous parler.

    En sept minutes, mais à la vitesse de l’éclair, Lionel Naccache nous introduit aux mystères de la conscience. Tambour battant, il nous initie à une science avec conscience, qui nous livre l’âme.

    Mais qu’est-ce que la conscience ? La définir est im-possible. Tout au plus on peut déterminer deux condi-tions sine qua non. D’une part l’éveil. Pendant le som-meil — hormis le sommeil paradoxal peuplé de rêves — l’anesthésie générale ou le coma, la conscience s’éva-nouit. Mais l’éveil ne suffit pas. Un épileptique en pleine crise, un patient végétatif sont éveillés et pourtant ils ne sont pas conscients. Une structure spécifique, le «  tronc cérébral » intéresse particulièrement les neu-robiologistes, car c’est là que tout se joue. Pour donner une métaphore de la conscience, Lionel Naccache nous

    LIONEL NACCACHE. Ancien élève de l’École normale supérieure de la rue d’Ulm, neurologue et neurophysiologiste, cher-cheur en neurosciences cognitives à l’Institut du cerveau et de la moelle épinière, membre du comité consultatif natio-nal d’éthique, essayiste… Avec cette panoplie philosophique et scien-tifique, Lionel Naccache joue dans la cour des grands problèmes de société. Son défi actuel est de diagnostiquer la conscience chez des personnes en état de non-communication. L’objectif est de déter-miner si un individu inca-pable de communiquer est conscient ou non. z

    LE DIAGNOSTIC DE LA CONSCIENCE

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  • BIOLOGIE SANS FRONTIÈRESTHOMAS LANDRAIN. La science souffre de rigidité académique alors que le meilleur moyen de résoudre un problème est de faire appel à ses voisins. C’est dans cet esprit ouvert et participatif que Thomais Landrain, ancien étudiant de l’École normale supérieure et doctorant en biologie synthétique, lance La Paillasse. Ce laboratoire ouvert mélange la culture des makers et hackers à la science. Il accueille des projets scientifiques et entrepreneuriaux mêlant biologie, design, chimie, électronique, intelligence artificielle, art ou même textile. Le défi est de faire naître de nouvelles pratiques de recherche et d’innovation. z

    renvoie à la salle où nous sommes réunis. « Si tout le monde crie aaaah en même temps, c’est un mode de communication ultra-simplifié, qui ressemble à la crise d’épilepsie. Si maintenant tout le monde converse avec son voisin, les informations vont dans tous les sens, mais il n’y a pas de conscience ». Pour qu’il y ait une conscience, il faut qu’existe entre les différentes parties du cerveau une conversation cohérente, structurée et équilibrée.

    « Dans notre laboratoire et dans celui de Stanislas Dehaene, avec des IRM fonctionnelles et des EEG, nous nous attachons à détecter et à mesurer ces conversa-tions à longue distance ». Objectif : trouver des « mar-queurs » de l’état de conscience, mais aussi améliorer la situation des patients souffrant d’un état déficitaire de la conscience… Et de nous donner rendez- vous l’an prochain à l’Odéon pour poursuivre la conversation !

    z Zéro euro. Qui dit mieux ? C’est le prix de l’équi-pement du laboratoire monté par THOMAS LAN-DRAIN, ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure et doctorant en biologie synthétique.

    Il y a quatre ans, avec un groupe d’amis, une feuille blanche et quelques idées, il imagine ce que pourrait être le laboratoire du XXIe siècle. Et le projet va se mettre en place. « On est allés dans un squat d’artistes, on a récupéré tout le matériel jeté par les labos. Notre labo s’est vite trouvé mieux équipé que mon propre la-boratoire de thèse… » Parce qu’il était ouvert, le projet a attiré de nombreux candidats. Pas seulement des bio-logistes, mais aussi des ingénieurs, des informaticiens, des chimistes, et autres compétences  : électronicien, juriste, artiste, designer... Une véritable communauté, riche de sa diversité, s’est créée, la créativité a été foi-sonnante au point qu’en trois ans une cinquantaine de projets a pu se monter : écographie et tests génétiques low-cost, matériaux biodégradables, etc.

    Cerise sur le gâteau : le laboratoire a concouru pour un appel à projet de la NASA… et a été retenu ! « Nous avons prouvé que nous avions autant de légitimité que n’importe quel laboratoire ». Une histoire qui rappelle la légende de Steve Job dans son garage !

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  • z C’est un tout autre monde que vient nous dé-crire JÉRÔME BATAILLE, car si le laboratoire innovant de Thomas Landrain fonctionne à bud-get réduit, l’hôpital au contraire est souvent mon-tré du doigt comme étant un gros investissement financier. Construire un hôpital ouvert, lumineux et médicalement efficient, voilà le défi auquel des architectes comme Jérôme Bataille sont confrontés. Au travers d’exemple très variés (l’hôpital Princesse Grace à Monaco, la clinique Arago, spécialisée dans les prothèses de hanche, l’IHU Méditerranée infections à Marseille, ou encore Gustave Roussy à Villejuif), il nous fait voyager dans des espaces à la fois ultra techniques et accueillants, conçus pour faciliter et simplifier l’activité médicale.

    Au final, ces investissements dans l’architecture ne sont pas seulement le moyen de proposer un cadre agréable aux patients. Ils favorisent la coor-dination et les parcours de soins dont on a vu ce matin avec le Dr Minvielle qu’ils étaient parfois er-ratiques et engendraient des gaspillages colossaux.

    JÉRÔME BATAILLE est un bâtisseur de santé. Fondateur de la Fonda-tion d’entreprise AIA pour l’architecture, la santé et l’environnement, cet architecte praticien se considère comme un accoucheur-psychiatre. Il aide les acteurs de la santé à oublier leurs ha-bitudes pour se projeter dans le futur et donner naissance à des espaces de santé innovants, en phase avec les évolu-tions annoncées de la santé. z

    L’HÔPITAL DU FUTUR

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  • LUCRÈCE SASSELA chante un amour en pleine forme.

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  • Nous devons transgresser les règles banalisées, revenir à l’humanisme.

    — Guy Vallancien

    z L’innovation, il aime ça. Ce pion-nier de la chirurgie par robot a participé au développement de la chirurgie cœlioscopique en urologie, du traitement des lithiases par voie percutanée… C’est aussi un homme qui n’aime pas rester dans le moule comme le rappellent les titres de ses derniers ouvrages : « La santé n’est pas un droit » » et « La médecine sans mé-decin ? Le numérique au service du ma-lade ». C’est donc à GUY VALLANCIEN, urologue et chirurgien, qu’il revient de clore ce troisième acte.

    Clore ou au contraire, ouvrir. Ouvrir le débat pour définir la médecine de demain. D’abord en faisant un constat :

    «  mes yeux, mes oreilles, mes mains sont de moins en moins utiles au dia-gnostic, car ce sont des éléments sub-jectifs, non reproductibles et non par-tageables contrairement à une analyse biologique ou un examen par imagerie qui en une fraction de seconde peut être envoyé à l’autre bout de la pla-nète ».

    Cette révolution technique, qui a mis de la distance entre le patient et son médecin, le Pr Vallancien en voit l’émergence un certain 17 février 1816 quand un petit médecin breton, René Laennec, a l’intuition, pour ausculter le cœur et les poumons d’une accorte patiente, d’enrouler quelques feuilles

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  • ÇA DÉMÉNAGE DANS LA SANTÉ !

    pour en faire un cornet acoustique. Mi-racle, il entend. Le stéthoscope vient de naître.

    Aujourd’hui, «  la génomique nous permet de prédire certaines maladies et d’en guérir d’autres. L’ordinateur de-vient mon conseiller. Il me propose des solutions diagnostiques, m’aide dans mon choix thérapeutique ». Jour après jour, des milliards de données s’accu-mulent, qui vont changer du tout au tout la pratique médicale. « Un tsunami arrive. Adhérez à ces révolutions, car de toute façon, elles arriveront ».

    Et le médecin dans tout cela ? Qui est-il si l’ordinateur le conseille, si les arrêtés, directives et recommandations qui émanent de Bruxelles, de Paris, des sociétés savantes ou des agences régionales de santé dictent les grandes règles à suivre, si les délégations per-mettent aux collaborateurs de réaliser de nombreux actes naguère réservés au médecin ? Il lui reste l’essentiel, « le plus beau, ce pour quoi j’ai signé le serment d’Hippocrate  : la possibilité de trans-gresser les règles ». Car le médecin n’a pas en face de lui un patient moyen, il a un malade qui pour des raisons per-sonnelles, familiales, culturelles, reli-gieuses ne correspond pas au patient statistique.

    Et pour le Pr Vallancien, cela ne fait pas de doute : « le plus beau, c’est quand en fin de consultation un patient me dit  : Et si c’était vous, docteur ? Là, je sais que j’ai gagné sa confiance.

    Il reporte sur moi sa demande et son inquiétude, c’est toute la beauté du métier ». « Ne retardons pas l’évolution, poussons les politiques pour apporter de nouvelles solidarités, pour offrir de

    GUY VALLANCIEN. Urologue, membre de l’académie nationale de médecine et de chirur-gie, Guy Vallancien a pu-blié de nombreux livres. Dans le dernier, « La mé-decine sans médecin », il pose un regard intéressé sur le chambardement dans la médecine que les technologies et le numérique sont en train de provoquer. Pour lui, ces changements, qui remettent en cause des habitudes et des acquis, vont faire émerger de nouvelles pratiques médicales. z

    meilleurs soins, une meilleure préven-tion, une meilleure éducation théra-peutique, aux plus démunis, aux plus âgés, aux plus éloignés, dans la plus petite ferme, le hameau le plus reculé de France ; c’est ça l’avenir de la méde-cine ».

    On ne saurait mieux conclure. Offrir le meilleur service pour tous, à com-mencer par les plus modestes, les plus fragiles, c’est toute la grandeur de la médecine.

    L’hypertechnicité, les contraintes budgétaires font craindre une méde-cine à deux vitesses qui exclurait une partie de la population. Guy Vallancien vient de nous redonner espoir.

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  • L’ambition de S3ODÉON est de favoriser le rapprochement et le métissage d’idées entre Science, Santé et Société.

    — Agnès Soubrier

  • www.s3odeon.fr

  • Cette première édition du S3ODÉON a été rendue possible grâce à nos partenaires. Ces entreprises, associations, médias sont engagés dans la ré-flexion sur la santé de demain. Ils sont convaincus de l’importance d’associer plus étroitement le public aux changements qui s’annoncent. Leur diversité reflète la vision transversale et explora-toire portée par ce nouveau rendez-vous annuel.

    Science, Santé, Société, association de loi 1901, fondée en 2015.www.S3Odeon.fr

    Contact : Agnès Soubrier +33 6 88 06 66 76 [email protected]