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spécialités : médecine générale, chirurgie viscérale, gynécologie, dentisterie, dermatologie, cardio- logie, etc. Après un rude voyage et une (trop) courte nuit de repos, les 12 travaux des membres de l’association commencent tôt le matin du samedi. 7h30 du matin, tout le monde est présent dans ce qui deviendra, l’espace d’une jour- née, le quartier général des Rangs d’honneur : la Maison des jeunes du village. C’est à partir de là que le président de l’association répar- tit les différentes spécialités selon les infrastructures mises à sa dis- position (écoles, centres de santé, maison de maternité, etc.). C’est également ici que sera installée la pharmacie, que se feront toutes les consultations pour la méde- cine dentaire ainsi que les ana- lyses médicales des équipes de l’Institut Pasteur qui participent pour la première fois aux actions de l’association. En somme, le centre du village a été transformé en un mini CHU le temps d’une journée de soins. Quelques minutes plus tard, tous les médecins participants à l’ac- tion s’étaient installés dans leurs salles respectives. Les évène- ments se sont ensuite rapidement enchaînés : les nouvelles circulent vite dans le petit village où le be- soin en soin est important, et les différents lieux de consultation ont rapidement été pris d’assaut. Pour les habitués de l’association, rares ont été les fois où une telle déferlante a eu lieu, ce qui té- moigne d’un manque flagrant de L a santé va mal ! Loin des débats sur la libéralisation des capitaux des cli- niques privées ou sur le prix du médicament, loin des grandes agglomérations et des CHU, dans les régions les plus re- culées du pays, les Marocains souffrent. Ce constat, confirmé même par le ministère de la Santé, est celui régulièrement dressé par l’association Les rangs d’honneur qui compte à ce jour 127 opérations à son actif, tant dans les différentes régions du Maroc que dans le monde. Cette ONG s’est fixée comme mission de répondre, dans la mesure du possible, aux besoins de ces ou- bliés de la santé. L’association tient le cap depuis 13 ans au rythme d’une action médicale par mois. Ces actions sont déci- dées conjointement avec les au- torités locales en fonction des besoins par région. Ce besoin existe bel et bien dans le petit vil- lage de Foum Jemâa dans la ré- gion de Tadla-Azilal, objet de la dernière action médicale de l’as- sociation. Il suffit de voir l’impor- tante affluence qu’ont connue les services de l’ONG vers ce petit village durant le week-end du 7 décembre dernier pour s’en ren- dre compte. Les 12 travaux d’Hercule L’action a réuni près de 90 volon- taires parmi lesquels figurent sur- tout des médecins, venus de dif- férentes régions du pays et représentants de nombreuses Opération sauvetage chez les oubliés d’Azilal ●●● L’association est très active. Chaque mois elle organise une caravane médicale dans une région re- culée du Maroc ou dans un pays subsaharien. En tout et pour tout, ce sont 3.775 consultations et 212 actes chirurgicaux que l’association a pu fournir. Très vite, la situation est devenue incontrôlable à l’école centrale du village. Les patients ont littéralement pris d’assaut les classes. Une affluence qui lève le voile sur le grand besoin qui caractérise cette région. LES ÉCO - VENDREDI 13 DÉCEMBRE 2013 Reportage 22 L’association regroupe des artistes, des ingénieurs et des médecins de toutes les spécialités et de tous les âges. Ici, le dispatching des tâches très tôt le 7 décembre. Les différents ateliers culturels, artistiques et scientifiques ont profité pour leur part à près de 1.000 bénéficiaires. Faire bénéficier plus de 3.000 personnes de consultations médicales et d’actes chirurgicaux en une journée, c’est le pari de l’association Les rangs d’honneur. La dernière action a eu lieu dans la région de Tadla-Azilal. Une mission qui souligne encore une fois les carences du système de santé au Maroc. Santé

Santé Opération sauvetage chez les oubliés d’Azilalnoticias.ufsc.br/files/2014/02/Reportagem-Les-Rangs-dHonneur.pdf · pas accès au Ramed, nous avons même trouvé des patients

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spécialités : médecine générale,chirurgie viscérale, gynécologie,dentisterie, dermatologie, cardio-logie, etc. Après un rude voyageet une (trop) courte nuit de repos,les 12 travaux des membres del’association commencent tôt lematin du samedi. 7h30 du matin,tout le monde est présent dans cequi deviendra, l’espace d’une jour-née, le quartier général des Rangsd’honneur : la Maison des jeunesdu village. C’est à partir de là quele président de l’association répar-tit les différentes spécialités selonles infrastructures mises à sa dis-position (écoles, centres de santé,maison de maternité, etc.). C’estégalement ici que sera installée lapharmacie, que se feront toutesles consultations pour la méde-cine dentaire ainsi que les ana-lyses médicales des équipes del’Institut Pasteur qui participentpour la première fois aux actionsde l’association. En somme, lecentre du village a été transforméen un mini CHU le temps d’unejournée de soins.Quelques minutes plus tard, tousles médecins participants à l’ac-tion s’étaient installés dans leurssalles respectives. Les évène-ments se sont ensuite rapidementenchaînés : les nouvelles circulentvite dans le petit village où le be-soin en soin est important, et lesdifférents lieux de consultationont rapidement été pris d’assaut.Pour les habitués de l’association,rares ont été les fois où une telledéferlante a eu lieu, ce qui té-moigne d’un manque flagrant de

La santé va mal ! Loin desdébats sur la libéralisationdes capitaux des cli-niques privées ou sur le

prix du médicament, loin desgrandes agglomérations et desCHU, dans les régions les plus re-culées du pays, les Marocainssouffrent. Ce constat, confirmémême par le ministère de laSanté, est celui régulièrementdressé par l’association Les rangsd’honneur qui compte à ce jour127 opérations à son actif, tantdans les différentes régions duMaroc que dans le monde. CetteONG s’est fixée comme missionde répondre, dans la mesure dupossible, aux besoins de ces ou-bliés de la santé. L’associationtient le cap depuis 13 ans aurythme d’une action médicalepar mois. Ces actions sont déci-dées conjointement avec les au-torités locales en fonction desbesoins par région. Ce besoinexiste bel et bien dans le petit vil-lage de Foum Jemâa dans la ré-gion de Tadla-Azilal, objet de ladernière action médicale de l’as-sociation. Il suffit de voir l’impor-tante affluence qu’ont connue lesservices de l’ONG vers ce petitvillage durant le week-end du 7décembre dernier pour s’en ren-dre compte.

Les 12 travaux d’HerculeL’action a réuni près de 90 volon-taires parmi lesquels figurent sur-tout des médecins, venus de dif-férentes régions du pays etreprésentants de nombreuses

Opération sauvetagechez les oubliésd’Azilal

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L’associationest très active.Chaque moiselle organiseune caravanemédicale dansune région re-culée du Marocou dans un payssubsaharien.

● En tout et pour tout, ce sont 3.775 consultations et 212 actes chirurgicauxque l’association a pu fournir.

● Très vite, la situation est devenue incontrôlable à l’école centrale du village. Les patients ont littéralement pris d’assaut les classes. Une affluence qui lèvele voile sur le grand besoin qui caractérise cette région.

LES ÉCO - VENDREDI 13 DÉCEMBRE 2013

Reportage22

● L’association regroupe des artistes, des ingénieurs et des médecins de toutes lesspécialités et de tous les âges. Ici, le dispatching des tâches très tôt le 7 décembre.

● Les différents ateliers culturels, artistiques et scientifiques ont profité pourleur part à près de 1.000 bénéficiaires.

● Faire bénéficier plus de 3.000 personnes de consultations médicales et d’actes chirurgicaux en une journée, c’est le pari del’association Les rangs d’honneur. La dernière action a eu lieudans la région de Tadla-Azilal. Une mission qui souligne encoreune fois les carences du système de santé au Maroc.

Santé

VENDREDI 13 DÉCEMBRE 2013 - LES ÉCO 23

Reportage

services de soins dans la région.Bien plus : même les différentsateliers culturels et artistiques pro-posés en complément par Lesrangs d’honneur ont connu unsuccès sans précédent. Il fautaussi croire que la tentation d’uneconsultation gratuite était tropforte, car certains visiteursn’étaient visiblement pas souf-frants. Pour le président de l’asso-ciation, Noureddine Bennani:«Cela souligne une défaillance lo-cale au niveau de la santé. Lesgens ont droit à la santé mais n’yont pas accès, c’est normal qu’ilsréagissent de cette manière».Concrètement, ce sont surtout lesconsultations en dermatologie,ophtalmologie, médecine géné-rale ou encore en diabétologie quiont connu la plus importante af-fluence. Les conditions de travaildifficiles ont rendu quasiment im-possible la gestion des files d’at-tente, malgré la mobilisation desservices de gendarmerie.En dépit des difficultés, et grâce àla patience des organisateurs, lesprestations médicales se poursui-vront ainsi jusqu’en fin d’après-midi. «Malgré le mécontentementque l’engorgement pourra géné-rer chez certains bénéficiaires, leplus important est detraiter le maximum demalades», nous confieun médecin. En tout etpour tout, le nombre debénéficiaires de cetteaction a été de 4.977personnes. Un chiffreimpressionnant qui intè-gre les bénéficiaires detoutes les spécialités et des diffé-rents ateliers. Le travail de l’asso-ciation n’est pas fini pour autant,car la phase la plus importanteconsiste à communiquer les ré-sultats de l’action aux autorités lo-cales. Sans plus attendre, l’équipedes Rangs d’honneur reprend laroute vers Azilal où sera donnéeune conférence pour présenterles recommandations de l’ONGaux responsables locaux et à la tu-telle. «L’objectif est de les mettreau courant de ce qui se passepour qu’ils prennent leurs respon-sabilités», ajoute le président.

Triste réalitéD’emblée, Noureddine Bennanisouligne que «l’affluence a été trèsimportante et nous n’avons pas pusatisfaire tout le monde. Nousavons cependant appris de nom-

breuses leçons dont nous tireronsprofit lors de nos futures actions».Après ce mea culpa, l’association afièrement annoncé avoir réussi 212actes chirurgicaux, 3.775 consulta-tions et fait profiter environ 1.000personnes des différents ateliersproposés. Le petit patelin de FoumJemâa n’étant manifestement paséquipé en matériel médical adé-quat, les grands actes de chirurgieviscérale (8 opérations) et gynéco-logique (4 opérations) ont été ef-fectués à l’hôpital d’Azilal. À ce ni-

veau, un cas surprenant a étédécouvert par les chirurgiens vis-céraux: une patiente venant s’opé-rer pour l’appendicite, soit une ur-gence chirurgicale extrêmementcourante, s’est avérée être por-teuse d’un cancer du cæcum.Pour les consultations, la méde-cine générale a pu traiter 186 pa-tients. «Nous avons surtoutconstaté beaucoup de cas de ma-ladies liées à la vieillesse et noussoupçonnons également quelquescas de cancer», rapporte AminaBenhamada, médecin généralisteet ex-délégué à la Santé publique àCasablanca. L’équipe des derma-tologues, composée de 3 méde-cins a, pour sa part, pu traiter 225cas. «Nous avons surtout constatédes maladies infectieuses. Lesgens souffrent et n’ont pas accèsaux soins. Il faut faciliter le circuit

C’est un hôpitalmultidisciplinairequi est allé vers leshabitants de la région.

Les ÉCO : Comment est néevotre association ?Noureddine Bennani : Au début,nous étions un groupe de méde-cins randonneurs. À chaque foisque nous faisions une sortie, nousen profitions pour emmener avecnous des médicaments, faire nosconsultations et soigner des ma-lades. De fil en aiguille, le social apris le dessus, mais nous n’avonspas voulu nous détacher de notrevocation première de randonnée,d’où le petit jeu de mot concernantla dénomination de notre associa-tion, «Les rangs d’honneur». Au dé-part, nous faisions de petites ac-tions médicales en parallèle à de larandonnée pour découvrir notrepays, et nous sommes progressive-ment devenus un grand réseau quiopère tant au Maroc qu’à l’étranger.

Vous visez plusieurs pays enAfrique ou au Moyen-Orient,dont la Palestine. Pourquoi ? Nous nous y intéressons non pasparce que le Maroc n’a plus besoinde nous, mais parce que nousavons atteint un certain degré dematurité qui nous permet de réali-ser ce genre d’opérations. Et il n’y aaucune raison que ce soit toujoursles Européens ou les Américainsqui aillent en Afrique.

Une mission est prévue enAmérique latine… En effet, nous avons travaillé avecdes associations au Pérou et auBrésil pour développer des ate-liers de sensibilisation. L’un d'euxporte sur l’ADN, un autre sur l’envi-ronnement et la terre, et ceux-civiendront accompagner les ac-tions médicales. Nous avonsaussi pris contact avec les minis-tères de la Santé. Nous souhai-tons que, réciproquement, leséquipes médicales de ces payspuissent, à leur tour, nous accom-pagner dans le cadre d’actionsmédicales au Maroc. ●

Nourredine Bennani,président fondateur de l’asso-ciation «Les rangs d’honneur».

Q/R

pour les malades. Ces gens n’ontpas accès au Ramed, nous avonsmême trouvé des patients qui n’ontpas de carte nationale», déplore leprofesseur Hakima Benchikhi, duCHU Ibn Rochd à Casablanca. Untriste cas de cancer cutané a étédécouvert par les dermatologues :«Un vieil homme de 82 ans qui estallé jusqu’à Laâyoune pour se faireopérer a été refusé», ajoute le pro-fesseur Benchikhi. Il s'agit là d'uneliste non-exhaustive dressée parles médecins. Les diabétologuesde différentes spécialités, venus enforce avec une équipe de 8 méde-cins, ont pu opérer plus de 1.700consultations pour environ 300bénéficiaires. «Pour voir tous cesspécialistes, un patient devra atten-dre jusqu’à 4 mois et se munir d’unbudget allant jusqu’à 10.000 DH»,rappelle le professeur ArrayhaniMohamed, chef du service né-phrologie du CHU de Fès, souli-gnant ainsi les carences du sys-tème de soin dans cette région. Ilne faut pas non plus oublier les au-tres spécialités qui ont égalementfourni un travail colossal, notam-ment les cardiologues, radio-logues et ophtalmologues. Aufinal, les différents experts sontunanimes et soulignent lemanque flagrant de sensibilisationquant à l’accès aux soins. Dans lesrégions les plus éloignées, en plusdu manque de moyens, c’est sou-vent l’ignorance qui tue. L'exempledu patient suivant est révélateur:l'examen ayant déterminé l’exis-tence de deux tumeurs, il refusede consulter un chirurgien, préfé-rant se tourner vers des remèdestraditionnels. ●

PAR AYOUB NAÏ[email protected]

● Pour la radiologie, l’association fournit également le matériel médical nécessaire.À noter que les services de l’Institut Pasteur étaient présents lors de cette action.

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Depuissa création,l’associationLes rangsd’honneura réalisé127 caravanesmédicales.