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Saisir l’acte : une contribution empirique à la
sociologie relationnelle
Par
Paul Jalbert
Thèse présentée pour
répondre à l’une des exigences de
doctorat en philosophie (PhD) en sciences humaines
Faculté des études supérieures
Université Laurentienne
Sudbury (Ontario) Canada
© Paul Jalbert, 2016
ii
THESIS DEFENCE COMMITTEE/COMITÉ DE SOUTENANCE DE THÈSE
Laurentian Université/Université Laurentienne
Faculty of Graduate Studies/Faculté des études supérieures
Title of Thesis
Titre de la thèse Saisir l’acte : une contribution empirique à la sociologie relationnelle
Name of Candidate
Nom du candidat Jalbert, Paul
Degree
Diplôme Doctorat en philosophie
Department/Program Date of Defence
Département/Programme Sciences humaines Date de la soutenance 28 Juillet 2016
APPROVED/APPROUVÉ
Thesis Examiners/Examinateurs de thèse:
Monsieur Simon Laflamme
(Co-supervisor/Co-directeur de thèse)
Monsieur Ali Reguigui
(Co-supervisor/Co-directeur de thèse)
Monsieur Alain Bealieu
(Committee member/Membre du comité)
Approved for the Faculty of Graduate Studies
Approuvé pour la Faculté des études supérieures
Dr. Shelley Watson
Madame Shelley Watson
Monsieur Denis Martouzet Acting Dean, Faculty of Graduate Studies
(External Examiner/Examinateur externe) Doyenne intérimaire,
Faculté des études supérieures
Monsieur Réal Fillion
(Internal Examiner/Examinateur interne)
CLAUSE D’ACCESSIBILITÉ ET PERMISSION D’UTILISER DES DOCUMENTS
Je, Paul Jalbert, accorde à l’Université Laurentienne et à ses agents l’autorisation non exclusive d’archiver ma
thèse ou mon rapport de projet et d’en permettre l’accès, en tout ou en partie et dans toute forme de média,
maintenant ou pour la durée de mon droit de propriété du droit d’auteur. Je conserve tous les autres droits de
propriété du droit d’auteur de la thèse ou du rapport de projet. Je me réserve également le droit d’utiliser dans de
futurs travaux (comme des articles ou des livres) l’ensemble ou des parties de ma thèse ou de mon rapport de projet.
J’accepte en outre que la permission de reproduire cette thèse de quelque manière que ce soit, en tout ou en partie à
des fins savantes, soit accordée par le ou les membres du corps professoral qui ont supervisé mes travaux de thèse
ou, en leur absence, par le directeur ou la directrice de l’unité dans lequel mes travaux de thèse ont été effectués. Il
est entendu que toute reproduction ou publication ou utilisation de cette thèse ou de parties de celles-ci à des fins
lucratives ne doit pas être autorisée sans ma permission écrite. Il est également entendu que cette copie est présentée
sous cette forme par l'autorité du titulaire du droit d'auteur uniquement pour fins d'études et de recherches
particulières et ne doit pas être copiée ou reproduite sauf en conformité avec la législation sur le droit d'auteur sans
l'autorisation écrite du titulaire du droit d'auteur.
iii
RÉSUMÉ
Dans la sociologie de l’action, il y a actuellement un débat animé entre ceux qui prônent une perspective
actionnaliste de l’agir et ceux qui voudraient qu’il y ait une évolution vers une modélisation relationnelle.
La perspective actionnaliste de l’agir, fondée sur les théories de l’action, repose fondamentalement sur
un acteur rationnel. La modélisation relationnelle de Laflamme veut comprendre les phénomènes
sociologiques à partir de trois concepts, soit ceux de socialité, d’historicité et d’émoraison. Cette
recherche a confronté la modélisation relationnelle de Laflamme à celle des théories de l’action à partir
d’observations en milieu naturel. Des enregistrements audio/vidéo ont été captés au cours d’une semaine
dans cinq foyers de familles canadiennes. Ces enregistrements ont été transcrits et une analyse des
propos a été effectuée. Les hypothèses ont voulu que, si les théories de l’action ont raison, on devrait
observer des manifestations, selon divers indicateurs, d’intention, de stratégie et d’intérêt. Sinon, on
devrait être en mesure d’observer des effets, selon divers indicateurs, de socialité, d’émoraison et
d’historicité. Nous avons mesuré 21 indicateurs en tout – 11 indicateurs d’intention, d’intérêt et de
stratégie et 10 indicateurs de socialité, d’historicité et d’émoraison. Parmi les 11 indicateurs des théories
de l’action, il n’y en a eu aucun qui se trouvait dans la majorité des propos. Sur les 10 indicateurs de la
modélisation relationnelle, nous avons pu repérer des phénomènes attachés aux indicateurs de socialité,
d’historicité et d’émoraison dans la majorité des cas. Ces résultats nous permettent de trancher parmi
nos hypothèses. Nous croyons que ce travail de recherche démontre bien que les indicateurs de socialité,
d’historicité et d’émoraison se manifestent dans les propos d’interlocuteurs en milieu naturel et souligne
la valeur de la modélisation relationnelle. Cette conclusion est importante à deux niveaux. D’abord, cette
vérification empirique montre, encore une fois, que la modélisation relationnelle constitue un meilleur
outil que ne l’est l’actionnalisme pour comprendre l’acte ; ensuite, que cette conclusion, qui a déjà été
tirée d’études en milieux contrôlés, persiste si elle repose sur des observations dans un milieu naturel.
Mots-clés
études relationnelles, émoraison, socialité, historicité, intention, théories de l’action, sociologie de
l’action, raison, rationalité, volonté, Laflamme
iv
REMERCIEMENTS
La réussite d’un projet de doctorat ne peut être réduite à un individu. Il y a toute une équipe
et d’innombrables personnes sans lesquelles ce projet n’aurait jamais vu sa fin. Je tenterai ici de
reconnaître tous ceux et celles qui m’ont permis de réussir mon doctorat. Il va sans dire que, sans
elles, mon cheminement aurait été beaucoup plus difficile et mon succès aurait été remis en
question.
Je tiens à remercier les familles qui ont participé à ce projet. Sans elles, je n’aurais pu
mener à terme mon cheminement. Ma gratitude est grande que je porte ; qu’elles aient eu le courage
d’ouvrir les portes de leur foyer et de me permettre d’y rentrer, je leur en serai toujours
reconnaissant. Elles m’ont permis de réussir un des grands projets de ma vie et leurs contributions
seront toujours reconnues dans les pages de ce texte.
Je tiens à remercier aussi mon comité de thèse, Simon Laflamme, Ali Reguigui et Alain
Beaulieu. Leur œil critique, leurs commentaires sages et le soin qu’ils ont tous portés à l’égard de
mon projet m’ont été indispensables. Ils ont tous certainement passé de nombreuses heures à la
révision de ce texte, ils m’ont encouragé, ils ont écouté mes difficultés et ils m’ont appuyé. Merci.
Je tiens à remercier ma famille. À ma conjointe, April, je te dis merci pour
l’encouragement, pour les conseils et pour l’appui. Ce projet a certainement consommé plusieurs
heures où je devais m’absenter. Ta patience m’a permis de compléter ce projet et je t’en serai
toujours reconnaissant. Mes garçons, Jackson et Logan, je redécouvre le monde à travers vos yeux.
Vous m’aidez à me souvenir de la joie qui se trouve dans les découvertes. Vous enrichissez ma vie
et m’inspirez à persévérer.
Finalement, pour tous ceux qui m’ont aidé mais qui ne figurent pas dans cette liste, votre
contribution n’est pas oubliée. Elle se retrouve tout au long des pages de ce texte et je serai toujours
reconnaissant de ce fait. En plus d’être une œuvre scientifique, ce texte témoigne d’une
v
communauté qui possède un grand esprit d’entraide et de générosité. Je suis choyé d’être entouré
de gens comme je le suis. Je vous remercie.
vi
Table des matières
Résumé………………………………….…………………………………………………..……iii
Remerciements…………………………………………………………………………………..iv
Table des matières………………………………………………………………………………vi
Liste des tableaux.………………………………………………………………………………ix
Liste des figures.…………………………………………………………………………………x
Introduction ................................................................................................................................... 1
Chapitre I ...................................................................................................................................... .9
1. Des modélisations en conflits.................................................................................................. .9
1.1 Pour une remise en question des théories actionnalistes ............................................... .9
1.1.1 Vers de nouvelles pistes ............................................................................................ 10
1.1.2 L’acte comme question philosophique .................................................................... 13
1.1.3 L'irrationnel comme problème…………………………………………………….24
1.1.4 Quelques commentaires sur la perspective actionnaliste en sociologie ............... 26
1.1.5 Un embouteillage théorique ..................................................................................... 29
1.1.5.1 Une prise de conscience..................................................................................... 29
1.1.5.2 Critiques des théories de l’action ..................................................................... 36
1.1.6 Modélisation des théories de l’action ........................................................................... 39
1.1.7 Théories de l’action : De l’épistémologie à la connaissance .................................. 47
1.1.7.1 Vérifications empiriques de l’intention ........................................................... 47
1.1.7.2 Les dimensions perdues .................................................................................... 55
1.2 Évolution théorique ......................................................................................................... 57
1.2.1 Vers une modélisation relationnelle ........................................................................ 57
1.3 Les fondements de la modélisation relationnelle........................................................... 65
1.3.1 La dynamique en action ........................................................................................... 66
1.3.2 Ses composantes ........................................................................................................ 67
1.3.2.1 La socialité ......................................................................................................... 68
1.3.2.2 L’historicité ........................................................................................................ 69
1.3.2.3 L’émoraison ....................................................................................................... 71
1.3.3 Une modélisation relationnelle de la personne ....................................................... 73
1.3.4 Pistes à suivre ............................................................................................................ 75
2.0 Hypothèses ........................................................................................................................ 77
Chapitre II ................................................................................................................................... 83
3.0 Méthode ............................................................................................................................ 83
3.1 Collecte de données ........................................................................................................... 83
3.2 Échantillon ......................................................................................................................... 84
Chapitre III.................................................................................................................................. 89
4.0 Résultats ............................................................................................................................ 91
vii
4.1 Analyse des données ................................................................................................. 91
4.1.1 Propos qui contiennent une intention….…...…………………...……….….…..91
4.1.2 Propos comme résultat d'une intention qui précède l'échange…………….….94
4.1.3 Intention qui émerge des échanges comme déterminant de ces échanges….…96
4.1.4 L'annonce d'un projet ultérieur…..…….………….……….……….…….….....99
4.1.5 Projet ultérieur précède la dynamique…..………………….…………….…...103
4.1.6 Projet ultérieur émerge de la dynamique……..………………………….……104
4.1.7 De la non-intégration des propos………………………………………….……106
4.1.8 De la persistance de la non-intégration des propos….…………………..…….108
4.1.9 Indicateurs de stratégie : enchaînement entre fin et moyen………………..…110
4.1.10 Est-ce que la fin se modifie?...............................................................................114
4.1.11 Est-ce que le moyen se modifie?........................................................................116
4.1.12 Indicateurs de socialité………………………………………………………...119
4.1.13 Indicateurs d'historicité……………………………………………………….121
4.1.14 Le rapport à l'autre…………………………………………………………....124
4.1.15 Indicateurs d'émoraison………………………………………………………127
4.1.16 Échelle d'émoraison…………………………………………………………...129
4.1.17 Échelle d'impassibilité…………………………………………………….…..133
4.1.18 Formes macrologiques de socialité…………………………………………...137
4.1.19 Formes micrologiques de socialité…………………………………………….140
4.1.20 Les formes macrologiques d'historicité………………………………..……..142
4.1.21 Les formes micrologiques d'historicité…………………………………….…144
4.2 Interprétation .................................................................................................................. 147
4.2.1 Des théories de l'action…..……………………………………………………...147
4.2.2 L'acteur comme intentionné…………………………………………………....148
4.2.3 L'acteur comme intéressé………………………………………………………150
4.2.4 L'acteur comme rationnel…………………………………………………...….151
4.2.5 De la modélisation relationnelle…..……………………………………...……..152
4.2.6 La socialité…..…………………………………………………………………...153
4.2.7 L'historicité……..……………………………………………………………….154
4.2.8 L'émoraison……..……………………………………………………………….155
4.3 L'évolution du savoir….……………………………………………………………….156
Chapitre IV ................................................................................................................................ 158
5.0 Conclusions ..................................................................................................................... 158
5.1 Limites de la recherche .................................................................................................. 161
5.2 Ce qu’il reste à faire ....................................................................................................... 162
Bibliographie ............................................................................................................................. 164
ANNEXE 1 ................................................................................................................................. 189
ANNEXE 2……………………………………………………………………………………..193
viii
ANNEXE 3 ................................................................................................................................. 194
ANNEXE 4……………………………………………………………………………………..195
ANNEXE 5……………………………………………………………………………………..196
ANNEXE 6……………………………………………………………………………………..197
ANNEXE 7………………………………………………………………………………..……199
ANNEXE 8 ................................................................................................................................. 200
ANNEXE 9……………………………………………………………………………………..204
ix
Listes des tableaux
Tableau 1………………………………………………………………………………………..86
Tableau 2………………………………………………………………………………………..87
Tableau 3………………………………………………………………………………………..88
Tableau 4...…………………………………………………………………………………….130
Tableau 5..……………………………………………………………………………………..135
x
Listes des figures
Figure 1…………………………………………………………………………………….41
Figure 2………………………………………………………………………………….…45
Figure 3……………………………………………………………………………….……74
1
Introduction
Aux yeux de plusieurs, il devient de plus en plus évident qu’il faut prendre ses distances
par rapport à l’idée d’un acteur rationnel, idée qui est au fondement des théories de l’action1
humaine. Bien que Talcott Parsons2 soit l’un des premiers à avoir utilisé le terme « théorie de
l’action », le terme ne se limite certainement pas à sa sociologie. Sa théorie, entre autres, voulait,
d’une part, maintenir une perspective positiviste du monde et, d’une autre part, assumer la réalité
de la subjectivité du vécu. Certes le cadre théorique que Parsons a développé est propre, à certains
égards, à sa sociologie, mais le terme « théorie de l’action » a maintes fois été reproduit depuis.
On peut dire que la notion de « sociologie de l’action » est issue de la méthode
compréhensive de Max Weber et qu’elle se répercute dans l’interactionnisme symbolique de
George H. Mead puis d’Erving Goffman, dans l’ethnométhodologie de Harold Garfinkel et même
dans la systémique de Niklas Luhmann, pour ne nommer que quelques courants.
C’est Max Weber qui fournira les premiers fondements des théories de l’action telles qu’elles
sont à l’œuvre dans la sociologie contemporaine. Ces théories sont bien ancrées dans un acteur qui
est bien installé au centre des modélisations. Weber écrit : « la sociologie, elle aussi, ne peut
procéder que des actions d’un, de quelques, ou de plusieurs individus séparés3 ».
1 Il est important, dès du début de ce texte, de mettre en contexte ce que nous entendons par le terme « théories de
l’action ». Quoique nous reconnaissions que ce terme peut désigner pour certains une spécialisation à l’intérieur
d’un mouvement sociologique plus large, il nous faut signaler que, pour nous, le terme est utilisé pour identifier
toutes les théories sociologiques au cœur desquelles il y a un acteur rationnel. 2 Talcott Parsons, The Social System, Collier-MacMillan, Canada, [1951] 1964. 3 Max Weber, Lettre à R. Liefman, 9 mars 1920, cité dans Raymond Boudon et François Bourricaud, Dictionnaire
critique de la sociologie, PUF, [1982], 1994, p. 1, article « Action ».
2
Sur cette théorie sociologique incontournable se développeront des courants qui verront une
évolution analogue du terme « théorie de l’action ». Albert Ogien et Louis Quéré écrivent :
La sociologie compréhensive de Weber est souvent tenue pour le précurseur de
l’interactionnisme. Elle s’en distingue pourtant sur un point essentiel : elle ne repose
pas sur la description du déroulement effectif des échanges sociaux. Elle fournit
toutefois une théorie de l’action toujours précieuse, au sens où elle associe une
perspective individualiste et subjective […].4
Chez Mead, alors qu’il y a une prise de conscience de la dimension sociale du vécu humain,
il y a aussi un fort un individualisme qui est en contradiction avec certains des postulats de
l’interactionnisme symbolique. De l’interactionnisme de Mead on peut passer à l’individualisme
méthodologique de Karl Popper et de Joseph Agassi, et l’on trouve un mouvement qui cherche à
comprendre comment la sociologie peut rendre compte de la fluidité entre acteurs en dépit des
postulats qui voudraient que leurs actions soient réduites à chacun d’eux.
De là, on peut passer à l’interactionnisme symbolique d’Ervin Goffman, à l’individualisme
méthodologique de Raymond Boudon et à la théorie de l’habitus de Pierre Bourdieu, entre autres.
Ce sont toutes des théories sociologiques qui servent à comprendre l’agir et qui s’inscrivent dans
le courant de la sociologie de l’action. Ce sont des courants en sociologie que nous explorerons
plus loin dans ce texte. Cependant, ce qui nous semble essentiel de retenir de la sociologie de
l’action est bien articulé par Ogien et Quéré :
Il existe, en gros, deux manières de concevoir l’action en sociologie. La première
consiste à expliquer les conduites individuelles en les rapportant à des déterminations
qui les précèdent et les façonnent. Ces déterminations ont une double origine : un
système de normes intériorisées et une structure hiérarchisée des positions sociales
dans une société stratifiée. La seconde consiste à appréhender l’action comme un
processus dont le terme n’est pas donné a priori et dont la forme se constitue dans le
4 Albert Olgien et Louis Quéré, Le vocabulaire de la sociologie de l’action, Ellipses, Paris, 2005, p.6.
3
déroulement temporel des échanges qui la composent. Ce processus est, en grande
partie, régi par des principes qui sont mis en œuvre dans le cours de l’interaction […].5
L’évolution du terme « théorie de l’action » ainsi que la modélisation axée sur l’individu
sont évidentes dans les courants de la sociologie que nous avons évoqués ; le postulat est celui
d’un acteur rationnel qui forme en lui-même une entité. Les racines des théories de l’action sont
bien ancrées dans la sociologie qu’ont proposée ses fondateurs et elles sont bien actives chez
plusieurs contemporains. La notion de « théorie de l’action » désigne l’ensemble des travaux au
sein desquels, l’explication de l’action humaine repose sur l’évocation d’un individu qui est
compris comme fondamentalement rationnel.
À mesure, toutefois, en évoluant a rencontré, de ci, de là, des obstacles en interprétant l’agir
humain sur la base ces théories, elle a buté de plus en plus sur le fait que les outils qu’offraient ces
théories pour comprendre l’agir étaient trop pauvres pour bien saisir le vécu humain.
Les préceptes de ce positionnement théorique ont été remis en question6 et on a montré que
l’approche qui reposait sur une telle idée avait de la difficulté à saisir le vécu humain dans sa
complexité7. Avec une telle approche, on n’explique pas la dynamique qui est produite entre
acteurs8 ; une telle approche tient pour acquises des notions dont on n’a pas démontré la valeur ou,
5 Albert Olgien et Louis Quéré, Le vocabulaire de la sociologie de l’action, op. cit., p. 6. 6 Alain Caillé, Théorie antiutilitariste de l’action : fragments d’une théorie générale, Paris, La découverte, 2009 ;
Simon Laflamme, La société intégrée. De la circulation des biens, des idées et des personnes, New York, Bern,
1992 ; Simon Laflamme et Rachid Bagaoui, « Don, raison et émotion », Revue de l’institut de sociologie, nos 1-2,
vol. 2005, p. 201-222 ; Simon Laflamme, « Les acteurs sociaux et la modélisation phénoménologique », Revue
canadienne de sociologie, vol. 49, no 2, 2012, p. 138-150. 7 Paul Jalbert, « Analyse du rôle de l’intention dans les échanges dyadiques », Nouvelles perspectives en sciences
sociales, vol. 2, no 1, 2006, p. 101-141. Mélanie Girard, Simon Laflamme et Pascal Roggero, « L’intention est-elle
si universelle que le prétendent les théories de l’action ? », Nouvelles perspectives en sciences sociales, vol. 1, no 2
2006, p. 115-148. Mélanie Girard, Contribution à la critique des théories de l’action. Intention et émoraison, thèse
de doctorat, Université des sciences sociales de Toulouse I, 2009. Pierre Bouchard, « Théorie de l’action et parcours
de vie », Nouvelles perspectives en sciences sociales, vol. 1, no 2, p. 67-114. Jeannine Rousselle, La communication
chez les couples : une approche relationnelle, Mémoire de Maîtrise, Université Laurentienne, 2003. 8 Ibid.
4
dans certains cas, dont on a montré qu’elles étaient fausses. En suivant ces postulats, l’approche
nous induit souvent en erreur et elle se montre incapable de prendre en considération bon nombre
de problèmes épistémologiques. La dynamique du vécu est perdue, l’être humain est parfois
désocialisé, l’insistance rationalisante coupe de la possibilité d’appréhender un être qui est à la fois
émotion et raison.
Fondamentalement, ces théories sont construites à partir d’un modèle linéaire, auquel
échappent des déterminants nécessaires à la compréhension de l’action, entre autres, à la dimension
fondamentalement relationnelle de l’être humain. Nous reviendrons sur ces critiques au long de ce
texte. Mais on peut voir que la sociologie cherche petit à petit à trouver des façons d’aborder la
dynamique dont nous parlons. Nous retrouvons de plus en plus dans la littérature une
reconnaissance du besoin de créer des catégories analytiques suffisamment puissantes pour
appréhender l’action9. Pour certains, la solution à ce dilemme se trouve dans une modélisation
relationnelle de l’humain. Pour le moment, le mouvement vers une sociologie qui comprend
l’humain comme fondamentalement communicationnel, donc relationnel, apparaît comme un
chantier à explorer dont les travaux s’annoncent prometteurs. Éric Maigret livre sa perspective sur
une sociologie insuffisamment puissante pour expliquer ce qu’elle observe en ces termes :
La sociologie est un projet historique fondé sur le refus d’un ordre naturel et divin.
Son premier acte est de déconstruire l’évidence du monde, sa prétendue naturalité,
en désignant l’existence d’une réalité seconde. Ce ne sont pas les techniques qui
produisent le monde humain, ni une biologie déterministe, ni les règles du langage.
Il n’existe pas non plus de tendance des univers matériels à envahir, à désacraliser
un monde humain supposé pur. L’univers humain n’est pas consubstantiel à la
question de la nature, ni affranchi d’elle, il est tout simplement au-delà, réalisant et
inventant ses propres lois. Lire les actes de communication au niveau technique,
c’est écraser l’univers humain, le ramener à la causalité simple (du stimulus de la
9 Nous alternerons entre acte et action au cours de ce texte. Aux fins de clarté, nous considérons ces termes
interchangeables.
5
langue), prendre les points d’un plan à nombre restreint de dimensions pour des
trajectoires mentales complexes10.
Maigret en dit beaucoup dans ces quelques lignes, mais ce qu’on doit surtout retenir, c’est
que, selon sa vision, la sociologie déforme parfois son objet. Les outils dont nous munissent les
théories de l’action pour comprendre l’acte changent irrévocablement le sujet. La construction
d’un acteur rationnel à l’intérieur d’un modèle linéaire invite immédiatement à en contester la
légitimité. Elle est réductrice11, ce qui est évident dès lors qu’on met à l’épreuve ses prédictions
ou qu’on soumet à une vérification empirique ses propres hypothèses12. Maigret continue dans son
texte en suggérant que les notions de pluralité, de relation et de dynamisme sont des éléments
incontournables dans l’analyse de l’acte et doivent faire partie de l’analyse si elle se donne aux
fins de saisir cette complexité.
On peut reconnaître des tentatives chez certains auteurs13 de se soustraire aux contraintes
qu’apportent les théories de l’action. Chez la majorité d’entre eux, on peut remarquer deux défis
qu’ils n’ont pas encore surmontés14. D’abord, ces auteurs cherchent à sortir des limites des théories
de l’action, mais s’approprient leur vocabulaire. La personne, oublient-ils, n’est pas simplement
un acteur qui joue un rôle dans une pièce de théâtre existentielle. Elle est dynamique. Elle est
toujours en communication, et donc, relationnelle. Aussi, les théories de l’action n’ont pas la
10 Éric Maigret Sociologie de la communication et des médias, Paris, Armand Colin, 2007, p. 221 11 Alain Caillé, Théorie antiutilitariste de l’action : fragments d’une théorie générale, Paris, La découverte, 2009. 12 Paul Jalbert, « Analyse du rôle de l’intention dans les échanges dyadiques », op. cit.; Mélanie Girard, Simon
Laflamme et Pascal Roggero, « L’intention est-elle si universelle que le prétendent les théories de l’action», op. cit. 13 Ici, on peut penser, par exemple, à Jacques Godbout ou à Alain Caillé. 14 Mélanie Girard, Contribution à la critique des théories de l’action. Intention et émoraison, op.cit. ; Rachid
Bagaoui, « La sociologie relationnelle comme principes structurants et comme théories sociales », Nouvelles
perspectives en sciences sociales. Revue internationale de systémique complexe et d’études relationnelles, vol. 5, no
1, 2009, p. 25-29.
6
puissance théorique ou la souplesse épistémologique pour rendre justice au vécu humain. Les
théories proposées saisissent bien le fait que « l’acteur social » ne peut pas être compris en termes
de rationalité et d’intérêt, mais elles n’arrivent pas à développer un modèle qui rende justice à la
complexité du vécu. Malheureusement, elles continuent à tomber dans le piège des théories
qu’elles cherchent à dépasser. Ensuite, on trouve des modèles15 qui commencent à reconnaître
l’aspect relationnel de l’acteur. D’un côté, ces théories montrent bien que l’acteur est toujours en
communication. Mais, trop souvent, et comme l’établissent clairement Mélanie Girard16 et Rachid
Bagaoui17, ces théories n’assument pas l’entièreté des postulats qui découlent de cette assertion18.
On ne peut comprendre l’acte tant que l’acteur demeure au centre de la modélisation19. On doit
dépasser cette modélisation pour arriver à une autre qui puisse prendre en compte la réalité
relationnelle.
Dans ce texte, nous tenterons de faire trois choses. D’abord, nous signalerons qu’il y a une
histoire philosophique riche sur toute la question de la rationalité et sur ses enjeux. Dans un
deuxième temps, nous développerons deux critiques des théories de l’action : que l’épistémologie
dont elles s’emparent ne leur permet pas de surmonter leurs défauts et que leurs éléments
théoriques ne leur permettent pas d’expliquer ce qu’elles tentent de saisir à travers l’observation.
Nous explorerons comment les concepts de conscience, d’intérêt, de stratégie, d’intention et de
rationalité sont imbriqués dans ces théories20 et nous montrerons en quoi ces théories qui
15 Nous pouvons penser à des auteurs comme Niklas Luhmann, Jean-Louis Le Moigne, Mark Granovetter ou Edgar
Morin, entre autres. 16 Mélanie Girard, Contribution à la critique des théories de l’action. Intention et émoraison, op. cit. 17 Rachid Bagaoui, « La sociologie relationnelle comme principes structurants et comme théories sociales », op. cit. 18 Des auteurs comme Jürgen Habermas, Paul Watzlawick ou George Herbert Mead. 19 Simon Laflamme, « Les acteurs sociaux et la modélisation phénoménologique », Revue canadienne de sociologie,
vol. 49, no 2, 2012, p. 138-150. 20 Mélanie Girard, Contribution à la critique des théories de l’action. Intention et émoraison, op. cit.
7
fournissent des explications peu convaincantes recourent à l’empirie de façon douteuse. Dans un
troisième temps, nous proposerons une modélisation relationnelle qui nous semble constituer un
meilleur outil analytique.
Nous verrons par ailleurs en quoi l’acteur ne peut être compris à l’extérieur d’un contexte
social et historique. Comme il est fondamentalement communicationnel, l’être humain doit être
compris dans cette optique. Le modèle relationnel offre une base théorique suffisamment puissante
dont l’objet est la dynamique de l’action elle-même. Mais cette compréhension de l’acte n’est pas
l’acte en soi. Comme le dit Laflamme : « une théorie du vécu ne peut pas être le vécu21 ». Elle est
un cadre dans lequel nous pouvons voir émerger l’acte. Elle correspond aux lunettes par lesquelles
nous pouvons appréhender le dynamisme de l’acte dans toute sa complexité, ce qui nous permet
de développer un modèle qui rend le vécu compréhensible.
À partir de cette modélisation, nous espérons dépasser la faiblesse théorique d’une
modélisation dans laquelle l’acteur apparaît comme purement intéressé, rationnel, stratégique,
conscient et intentionné. Une modélisation qui cherche à comprendre l’action chez l’être humain
ne peut se permettre de supprimer la dimension émotive de son existence. Si l’acteur n’est pas
purement rationnel, alors il importe d’en intégrer la dimension émotive, d’accéder à son
émoraison22. Nous explorerons ce concept plus en profondeur plus bas dans ce texte. Mais, ici, il
suffit de dire que ce concept ne réduit pas la psyché humaine à la raison seule, l’émoraison tient
compte à la fois de la dimension émotive et rationnelle chez l’humain et s’est montrée
21 Simon Laflamme, Communication et émotion: Essai de microsociologie relationnelle, Paris, L’Harmattan, 1995. 22 Ibid.
8
empiriquement observable23. L’approche relationnelle nous donne vraisemblablement une
meilleure base théorique pour faire les bonds que ne peuvent faire les théories de l’action et pour
vraiment comprendre le vécu de la personne, non pas dans une perspective réductionniste, mais
dans une perspective qui ne perd pas de vue l’essence dynamique des rapports humains.
23 Mélanie Girard, Contribution à la critique des théories de l’action. Intention et émoraison, op. cit. ; Paul Jalbert,
Analyse du rôle de l’intention dans les échanges dyadiques, op. cit.
9
Chapitre I
1. Des modélisations en conflits
1.1 Pour une remise en question des théories actionnalistes
Agir, pensée, langage, raison, intention, conscience, socialité, historicité, émoraison ; voilà les
premières notions qui nous confrontent lorsque nous commençons à cheminer dans ce milieu où
l’on étudie l’action humaine et où la critique du discours établi est constamment forcée de produire
de nouvelles preuves malgré le fait qu’elle en ait déjà accumulées. Ces concepts, évidemment, ne
découlent pas tous de la même théorisation. D’un côté, les notions de raison, d’intention, de
conscience, de stratégie et d’intérêt sont étroitement liées aux théories de l’action. Ces théories
voudraient que ces concepts désignent des comportements qui sont innés, que l’humanité puisse
être expliquée à l’intérieur d’un modèle linéaire. Cette vision est bien ancrée en sciences sociales.
Tant en sociologie, en psychologie, en philosophie, qu’en économie peut-on trouver les traces de
cette perspective. Et ses effets sont imposants. On peut les reconnaître dans la façon dont on instruit
nos élèves, dont on fait des traitements en santé mentale, ou même dans la façon dont on présente
le litige dans les tribunaux. Cette conception repose sur des postulats qui définissent des éléments
fondamentaux de notre existence, comme le développement du langage et la nature de notre
10
humanité. Elle place l’acteur24 carrément au centre de ces modèles théoriques sans jamais s’arrêter
pour remettre en question la validité de cette modélisation25.
Comme ce travail tentera de l’esquisser, les théories de l’action ont fourni l’appareillage
conceptuel par excellence pour comprendre l’acte et l’humain en tant qu’être. Elles ont livré un
modèle intelligible et rationnel de l’acte. Elles ont présenté des dimensions de l’action qui sont
séduisantes tant par leurs capacités prédictives des comportements que par leur habileté à
concrétiser les comportements. Dans une première partie, nous entendons faire état de ces
réalisations puis, de façon critique, montrer comment ces réalisations, si belles soient-elles, ont de
la difficulté à comprendre l’humain en tant qu’être social et historique, mais aussi rationnel et
émotif. Dans une deuxième partie, nous utiliserons une modélisation relationnelle de la personne
pour nous permettre de dépasser les critiques que nous faisons à l’égard des théories de l’action.
Nous ferons état de la dimension sociale de la personne et verrons comment cette caractéristique
oblige à ce que la personne soit inscrite dans un contexte historique.
1.1.1 Vers de nouvelles pistes
Dans toutes sciences, naturelles ou sociales, on cherche à établir des vérités pour mieux se
comprendre et mieux comprendre le monde. Parfois, la science produit des résultats de nature
24 On verra que, à travers ce texte, nous alternons entre « acteur » et « humain » pour identifier l’individu observé.
Cette alternance reflète notre compréhension de la modélisation des théories de l’action par comparaison avec la
modélisation des théories relationnelles. Dans les théories de l’action, la personne est comprise dans une structure
rationnelle qui la rationalise, ce qui la rend vide, à nos yeux, en n’en faisant qu’un acteur. Ces théories laissent
échapper tellement de vécu que l’individu perd sa dimension dynamique et ne devient qu’un acteur qui suit les
postulats de la science qui tente de le comprendre. Nous avons choisi la désignation « humain » lorsque nous parlons
de l’individu dans une modélisation relationnelle puisque nous croyons que c’est seulement à l’intérieur de cette
modélisation qu’elle peut prendre sa place pleinement, comme elle est – dynamique et essentiellement relationnelle. 25 Simon Laflamme, « Les acteurs sociaux et la modélisation phénoménologique », op. cit.
11
pratique. Parfois, elle produit des fruits de nature plus abstraite. Mais quel que soit le savoir, ce
qu’elle nous offre a souvent un coût substantiel. Ce coût se trouve dans les conditions que nous
devons établir pour nous donner accès à ce savoir. On peut penser à la statistique où des variables
de nature continue sont parfois réduites à des variables discrètes pour pouvoir effectuer des calculs.
En cela, les théories de l’action ne font pas exception. Elles ont réduit leur objet à des catégories
qui donnent accès à une compréhension du sujet et de l’acte. Mais cette réduction est lourde de
conséquences. Elles extirpent la personne de son contexte, ce qui fait en sorte qu’elle perd ses
dimensions qui la rendent humaine. Avec leur modélisation, elles se sont munies d’outils qui
détruisent le produit même qu’elles veulent comprendre. On ne peut pas se permettre de continuer
à façonner des connaissances sur une phénoménologie qui empêche de prendre en considération
la nature fondamentalement communicationnelle de l’humain.
Laflamme commence son œuvre Communication et émotion en affirmant : « Il n’y a pas de
point zéro de l’être humain. Il n’y a pas de point zéro de l’émotion. Il n’y a pas d’être humain sans
émotion26 ». Ces quelques mots annoncent déjà que nous sommes sur le point de concevoir une
modélisation de l’humain et de l’action qui aura suffisamment de hauteur épistémologique pour
envisager de nouvelles pistes d’exploration. Ces pistes mettent en question les postulats des
théories de l’action. Elles ouvriront un monde où le sujet n’est ni le siège d’une raison pure ni une
entité calculatrice dépourvue des influences du réseau dont il fait partie.
L’humain ne peut se soustraire au réseau dans lequel il est inscrit. Il est joint à l’autre. Être
joint à l’autre, c’est être en communication. Cette communication est inextricablement attachée à
26 Simon Laflamme, Communication et émotion : essai de microsociologie relationnelle, op. cit., p. 37
12
la personne. On ne peut pas ne pas communiquer27. Donc, la personne devient compréhensible par
rapport à l’autre.
L’humain est social. Il est historique. Il est émorationnel. Il est social dans la mesure où le
langage lie sa pensée à celle d’autrui. Il pense largement avec le langage ; c’est par là qu’il se
donne accès à l’abstraction. Il est historique puisque ce langage lui permet d’intervenir sur son
histoire. Mais tout cela n’est pas que théorisation ; on a affaire aussi à des phénomènes observables,
voire mesurables28. Ali Reguigui dit au sujet de la langue dans le contexte d’aménagement
linguistique :
La migration terminologique est certes un moyen d’enrichissement de la langue. Au
niveau intralinguistique, elle permet à la langue de renouveler ses ressources en les
insufflant d’un nouvel élan fondé sur des relations formelles et sémantiques tangibles
permettant ainsi d’encoder dans les termes leur histoire et leur étymologie et établissant,
par là même, un lien entre le passé et le présent29.
La langue est vivante, elle évolue, elle est munie de ressources qui l’alimentent. Comme
Reguigui le dit, elle porte en elle son histoire ; elle fait état de la nature historique des
relations humaines. Ces qualités font qu’elle est nécessairement historique et, en cela, elles
rendent les relations interpersonnelles fondamentalement historiques.
27 Paul Watzlawick, Janet Beavin Bavelas, Don D. Jackson, Pragmatics of Human Communication: A Study of
Interactional Patterns, Pathologies, and Paradoxes, New York, W.W. Norton, 1967. 28 Mélanie Girard, Contribution à la critique des théories de l’action. Intention et émoraison, op. cit. 29 Ali Reguigui, « Migrations terminologiques : parcours et territoires du sens » dans Langue et territoire. Études en
aménagement linguistique, Sudbury, Série monographique en sciences humaines, 2014, p. 430.
13
1.1.2 L’acte comme question philosophique
Par intention, en entend bien simplement le projet. L’intention précède le propos ou l’action
en tant qu’elle est à leur source. François Isambert écrit :
En somme trois positions temporelles à l’égard de l’action peuvent se rencontrer.
L’action réalisée donne lieu tout simplement à la réflexion sur l’action passée, mais
pour être action consciente, elle a dû avoir un projet auquel elle aura été plus ou moins
fidèle. L’action non encore réalisée implique un projet. Quant à l’action présent, elle
ne se saisit pas directement, mais comme un mixte de projet pour sa part non réalisée
et de représentations passées, à ceci près que nous réalisions plus ou moins exactement
le projet et que, dans le présent, nous pouvons comparer le projet que nous avions en
tête et ce que nous en avons effectivement réalisé30.
La chose est dite ou faite parce qu’un acteur, consciemment, l’a planifiée. Et c’est bien ainsi
que les théories de l’action comprennent le terme. L’intentionnalité est ce par quoi une conscience
se met en rapport avec l’observable, le perceptible. Un objet est perçu de telle manière parce que,
par-delà les sens, la conscience l’aménage ; ainsi, quand les yeux voient la façade d’une maison,
l’humain ne voit pas qu’une surface plane et ses couleurs ; il voit le mur d’une maison, avec des
textures, et du sens. Telle est la phénoménologie husserlienne. Les théories de l’action empruntent
à cette phénoménologie. Mais elles ont beaucoup d’autonomie par rapport à elle. Alain Beaulieu
écrit :
La phénoménologie débute avec la réduction. La réduction permet au
phénoménologue de quitter l’attitude naturelle qui le liait à l’objectivité du monde
physique et de revenir au monde phénoménal des choses elles-mêmes. Le maintien
de l’injonction du retour aux choses elles-mêmes, et donc aussi le discrédit
philosophique jeté sur le monde physique, caractérisent essentiellement l’attitude
phénoménologique31.
30 François Lambert, Notes pour une phénoménologie de l’action, dans Paul Ladrière, Patrick Pharo et Louis Quéré
[dir.], La théorie de l’action : le sujet pratique en débat, CNRS Éditions, Paris 1993, p. 117. 31 Alain Beaulieu, Gilles Deleuze et la phénoménologie, Paris, Les Éditions Sils Maria, 2004, p. 46.
14
Beaulieu signale une évolution épistémologique de la phénoménologie. Il invite à faire une
distinction entre l’objectivité du monde physique et le monde phénoménal à l’intérieur duquel se
comprend le vécu humain. Cette perspective dépasse celle qui voudrait que l’expérience humaine
ne soit qu’une série d’événements consommables par la psyché humaine.
À l’origine des théories de l’action, il y a la méthode compréhensive, qu’on doit à Weber
(1864-1920), qui est contemporain de Husserl (1859-1938). Ainsi, il y a eu une théorie de l’action
avec, pour centre, une intention bien arrimée à une conscience, une raison et une subjectivité en
même temps que se développait la phénoménologie. Dans la phénoménologie, il y a un
appareillage conceptuel dont plusieurs éléments sont partagés par les théories de l’action :
subjectivité, conscience, raison. Il y a aussi une intention dans la phénoménologie, mais elle est
moins dominante là qu’elle ne l’est dans les théories de l’action. Certaines théories de l’action,
après Weber, surtout suivant l’impulsion de Schütz, se diront phénoménologiques. Et tout leur
univers conceptuel commun peut justifier cette fusion. Il y a même souvent des glissements de la
notion d’intention à celle d’intentionnalité dans les théories de l’action, glissements qu’on ne
trouve pas chez Husserl. L’intentionnalité, alors, n’est qu’une autre dénomination de l’intention.
On perd de vue le sens épistémique que la phénoménologie donne à l’intentionnalité. Comme ce
terme-ci a un sens très spécifique dans la phénoménologie, il semble important de ne pas le
confondre avec le terme intention, qui a lui-même ses particularités. Les théories de l’action et la
phénoménologie ont pour centre une subjectivité. La projection est fondamentale pour elles deux.
Elle rend possible le faire et le dire humain dans les théories de l’action ; elle est même à la source
des représentations sociales. Dans la phénoménologie, la projection est moins planification, ce
qu’elle est aussi, qu’aptitude à donner un sens, que faculté humaine à former le monde par la
15
conscience et, de ce fait, à appréhender le monde, à vivre en lui. La conscience
phénoménologique, dans cet esprit, est plus connaissance que conscience.
Il y a des liens entre les théories de l’action et la phénoménologie, comme il y en a entre elles
et l’utilitarisme. Bon nombre de théoriciens ont souligné que les théories de l’action étaient
utilitaristes. Elles le sont clairement quand elles affirment que l’acteur agit de façon intentionnelle
dans le but de satisfaire son intérêt, l’intérêt se conjuguant alors avec la conscience, la raison,
l’intention, la stratégie, et même la liberté. Mais cet utilitarisme-là n’est pas celui des utilitaristes
auxquels est associé le terme conséquentialisme. L’utilitarisme est souvent un conséquentalisme.
Il l’est quand il associe action et conséquences. Mais le conséquentialisme de l’utilitarisme n’est
pas de l’ordre du projet. Le conséquentialisme a une dimension éthique téléologique. Le
conséquentialisme est la position philosophique qui demande qu’on juge de la qualité d’une action
d’après ses conséquences, et non qu’on l’estime en elle-même. Ainsi, la notion ne renvoie pas à
la délibération d’un acteur utilitariste qui estime les conséquences de ses actes avant de les poser
dans son intérêt. L’acteur peut réfléchir dans une logique conséquentialiste, mais, moralement, se
demandant s’il est acceptable de faire ceci même si les conséquences en sont graves. Est-il
admissible, par exemple, peut-il se demander, de tuer quelques personnes si, en le faisant, on en
sauve plusieurs autres ? Le registre du conséquentialisme ne touche qu’indirectement celui des
théories de l’action en ce que, dans les deux cas, notamment, la subjectivité soit centrale, à
nouveau. La conscience, dans le cas du conséquentialisme concerne avant tout le jugement moral,
alors que, dans les théories de l’action, elle a trait à la réflexion d’un individu, présent à lui-même,
qui agit pour lui-même.
16
Il nous apparaît essentiel dans ce texte de signaler, ne fût-ce que de façon lapidaire, que la
question que nous nous posons a une histoire philosophique riche. D’Aristote32 à Kant33 ou de
Hobbes34 à Locke35, la question d’un acteur rationnel s’est souvent posée. Il est vrai que les
modélisations dans les sciences sociales n’ont pas toujours été obsédées par la notion d’un acteur
rationnel. Même si l’on considère l’éthique du sentiment de Hume, l’inconscient chez Freud, les
forces dynamiques chez Nietzsche ou encore l’analyse existentielle chez Heidegger – tous des
auteurs pour lesquels l’acteur n’est pas nécessairement rationnel –, il en demeure pas moins que la
thèse d’un acteur autonome et rationnel fait partie d’une vaste tradition dans les sciences humaines.
Chez Freud, on reconnaît, certes, le thème de l’inconscient. Mais, chez lui, même s’il y a
différents niveaux de conscience, il en reste que sa notion d’inconscience, un concept qui souffre
quelque peu d’ambiguïté, est l’outil qu’il utilise pour ramener les inconsistances qu’il observe dans
l’agir. Pour Freud, même si tout ne peut être réduit à la conscience, tout peut certainement être
réduit à l’individu. Cette distinction, dans la mesure où elle se rapporte à l’explication d’un acte,
arrive à en n’être que sémantique. On pourrait faire de même avec Hume. Alors que sa philosophie
repose sur les notions de passions et de raisons, elles sont autant réductrices à l’individu que les
concepts chez Freud ou Heidegger.
Pour ces auteurs, l’acteur est un être en lui-même. D’une part, il est reconnu comme étant un
être influencé et influençable ; d’autre part, il apparaît comme dépourvu d’influence, maître de son
univers. C’est là un paradoxe important de la théorie. Il est, d’un côté, libre ; d’un autre côté, il ne
32 Aristote, Éthique à Nicomaque, Paris, Flammarion, 2004. 33 Immanuel Kant, Critique de la raison pratique, Paris, Gallimard, 1992. 34 Thomas Hobbes, Leviathan, Cambridge, Cambridge University Press, [1651] 1991. 35 John Locke, An Essay Concerning Human Understanding, London, S. Birt, [1748] 13e édition.
17
l’est aucunement. Il est libre de faire des choix, mais toujours dans son intérêt. Il se veut égoïste
et toujours calculateur agissant nécessairement à son profit. Mais il est pris dans cet égoïsme. Il ne
peut s’en sortir. Il ne parvient pas à dépasser sa propre rationalité. Il est donc prisonnier de cette
rationalité. Et en étant esclave de cette rationalité, il perd sa liberté, son autonomie. Mais, pas
toujours ! Cette perte d’autonomie entre directement en conflit avec le postulat d’un acteur libre.
L’acteur vit une alternance constante entre une liberté pure et un emprisonnement dans des
postulats théoriques utilisés pour le décrire. Comment peut-il être libre dans ses choix quand on
ne peut le comprendre qu’à l’intérieur d’un paradigme théorique qui contraint ses choix de manière
tellement grande qu’il ne peut les faire qu’en vertu d’un motif, l’intérêt? Mais cette liberté n’est
pas toujours encadrée de la même façon. Aristote reconnaît un acteur rationnel et intéressé lorsqu’il
écrit : « Tout art et toute recherche, de même que toute action et toute délibération réfléchie
tendent, semble-t-il, vers quelque bien36 ». Donc, même si on voulait modéliser l’humain comme
étant libre en rappelant sa capacité de faire des choix, ici, il ne pourrait l’être puisqu’il est limité
par sa raison. Il n’est pas encadré d’une façon qui lui donne une liberté, il l’est dans un mode qui
le restreint fortement. Cet intérêt, qui est surtout compris dans un contexte de vertu et de passion
chez Aristote, se voudrait à la base de l’acte. C’est l’élan qui nous lance dans l’acte, c’est le vent
dans les voiles qui cause le mouvement. Sans ce vent, les voiles s’affaisseraient et le voilier perdrait
une énergie essentielle qui le pousse sur son parcours. Bien sûr, l’humain est plus que ça. Et,
malheureusement, on perd une dimension fondamentale dans cette perspective philosophique, la
personne devient asociale. Elle n’est plus un être qui s’inscrit dans un contexte social où peut surgir
la dynamique de ses interactions, ce qui est finalement le lieu de la compréhension de l’acte.
36 Aristote, Éthique à Nicomaque, op. cit., p. 5.
18
En faisant la lecture d’Aristote, on peut remarquer des indices qui suggèrent déjà qu’il
reconnaissait et cherchait à surmonter certains problèmes qui émergeaient de cette formulation. La
dichotomie qu’il crée entre praxis et poiésis en est déjà un premier indice. D’un côté, il met en
relief une capacité instrumentale de la raison. Mais Aristote a reconnu que penser et vivre
dépassent le savoir-faire, que nous sommes en fait capables de réflexion en dehors d’une simple
mécanique. Cette mécanisation, qui est nécessaire dans une perspective actionnaliste, n’offre pas
de réponses à ce qui est observé. Elle ne peut comprendre l’acte comme il se produit puisqu’elle
ne se produit pas en l’acteur, mais dans la relation qui se produit entre acteurs. D’un autre côté,
Aristote se munit d’un autre outil pour comprendre l’action qu’il présente comme n’étant pas
exclusivement instrumental, la poiésis. Il ne s’agit pas d’un savoir purement technique, un
« comment faire ». En créant cette catégorie, Aristote montre bien qu’il constate qu’une raison
instrumentale n’est pas suffisante pour comprendre l’acte. Il développe donc une typologie de la
raison à deux volets. Même si la philosophie d’Aristote n’en est pas une du sujet, c’est déjà un
premier écho d’un penseur qui cherchait à solutionner un problème théorique qui se montre évident
lorsque l’acteur est inscrit dans une modélisation qui le rend intrinsèquement rationnel. L’humain
n’est pas que rationnel et intéressé. Il est plus. C’est à cet autre ordre qu’une théorie actionnaliste
ne nous donne pas accès.
Adam Smith affirme, en 1776, dans son texte An Inquiry Into the Nature and the Causes of the
Wealth of Nations, que : « It is not from the benevolence of the butcher, the brewer, or the baker
that we expect our dinner, but from their regard to their own interest37 ». Sans s’arrêter trop
37 Adam Smith, An Inquiry into the Nature and Causes of the Wealth of Nations, [livre électronique],
[http://web.ebscohost.com.librweb.laurentian.ca/ehost/ebookviewer/ebook/nlebk_1086046_AN?sid=5b55d1bf-
0a0b-4fb9-91e7-a84e52abb47a@sessionmgr113&vid=1] p. 13.
19
longtemps sur cette citation, on peut l’utiliser comme inspiration pour représenter certaines notions
qui se trouvent dans les travaux de Smith ainsi que dans ceux d’autres auteurs qui œuvrent dans le
paradigme des théories de l’action. Au premier regard, nous considérons cette citation comme
étant très révélatrice à trois niveaux. D’abord, elle réduit l’acteur à l’intérêt auquel elle rapporte sa
fonction. L’acteur perdrait sa raison d’être à l’extérieur de cet intérêt et il ne saurait que faire en
son absence. On pourrait dire que l’existence même de l’acteur serait détruite sans l’action
intéressée à laquelle on le rapporte puisque, sans cette qualité, l’acteur deviendrait nécessairement
un être dynamique, ce qui est une impossibilité à l’intérieur des théories de l’action. À un deuxième
niveau, l’acteur n’est seulement qu’un véhicule pour cette fonction. On l’obejctivise. On réduit la
valeur de son vécu à des postulats théoriques qui perdent les réalités du vécu. L’acteur n’a pas de
choix ; il ne peut se développer que sous la dictature de son intérêt, ce qui le rend vide d’esprit. Il
devient une éprouvette à l’intérieur de laquelle on peut observer les postulats théoriques formulés
à partir des théories de l’action. Cela le rend, sans doute, surdéterminé38. Pour cette raison, Boudon
dit des théories en sociologie voulant saisir l’acte que :
L’impression générale qui prévaut aujourd’hui à leur propos et dont beaucoup
témoignent est celle de l’échec. La plupart des prédictions qu’on en a tirées se
sont trouvées démenties par la réalité. Elles ont induit des représentations, non
seulement simplifiées – ce qui est légitime –, mais simplificatrices des systèmes
sociaux. Et la plupart des régularités macroscopiques auxquelles elles
prétendaient accorder une validité générale apparaissent comme de validité
locale39.
38 Raymond Boudon, La place du désordre, Paris, PUF, 1984. 39 Ibid., p. 9.
20
Depuis la publication du texte de Boudon, la question n’a pas perdu de sa pertinence ou de son
importance. C’est encore une question brûlante pour plusieurs40, mais il y a des pistes de
recherches qui se montrent prometteuses. Enfin, à un troisième niveau, la citation de Smith montre
que la dimension sociale et historique de l’humain, ainsi que sa dimension relationnelle et
émorationnelle41 sont invisibles. Comprendre l’acteur à l’intérieur d’un paradigme rationnel
nécessite que sa dimension sociale soit limitée à une fonction d’intérêt. Il n’est donc pas social,
mais guidé par un intérêt qui le veut social pour ses propres fins. Il y a une rigidité difficilement
conciliable dans la théorie. Ce qui pose problème, c’est qu’on ne trouve à peu près jamais
d’interactions qui ne sont pas dynamiques lorsqu’on les soumet à l’observation42.
Smith a effectivement fait évoluer l’idée. En fait, l’idée elle-même, à peine modernisée, fut
appliquée dans un contexte moderne dans une vison économique. Il a inséré dans un modèle
économique un acteur rationnel. L’acteur rationnel se prêtait bien à cette formulation. Nous avions
devant nous une économie qui abstrayait l’échange alors qu’elle la concrétisait en termes de valeur.
Émerge à cette époque l’idée d’homo œconomicus qu’on peut reconnaître chez plusieurs auteurs43.
Claude Vautier nous donne une belle synthèse de cette notion dans son livre Raymond Boudon,
vie, œuvres, concepts :
Figure inventée par les économistes néoclassiques au XIXe siècle et représentant
l’être humain dans sa fonction économique, c’est-à-dire dans son action de
choisir. Pour pouvoir raisonner sur les conditions des choix qui conditionnent la
40 C’est une question à laquelle plusieurs sociologues ont offert une contribution ; on peut songer à Michael
Bratman, Pierpaolo Donatie, Mustafa Emirbayer et Simon Laflamme, entre autres. 41 Simon Laflamme, Communication et émotion : essai de microsociologie relationnelle, op. cit. 42 Mélanie Girard, Contribution à la critique des théories de l’action. Intention et émoraison, op. cit.,
Paul Jalbert, « Analyse du rôle de l’intention dans les échanges dyadiques », op. cit. ; Mélanie Girard, Simon
Laflamme et Pascal Roggero, « L’intention est-elle si universelle que le prétendent les théories de l’action », op cit. 43 John Stuart Mill, Principles of Political Economy, with some of their applications to social philosophy, Clifton,
New Jersey, [1909], 1973; Jean-Pierre Dupuis et Pierre Livet (dir.) « Les limites de la rationalité », Paris, La
Découverte, 1997 ; Adam Smith, An Inquiry into the Nature and Causes of the Wealth of Nations, op. cit.
21
vie économique, les néoclassiques dotent cet individu abstrait des
caractéristiques suivantes : il est « rationnel » (il prend des décisions réfléchies)
; il est optimisateur (il cherche à trouver la solution la meilleure possible) ; il est
calculateur (il peut évaluer les avantages et les coûts) ; il est omniscient
(parfaitement informé de façon synoptique – toutes les informations sont visibles
en même temps) ; il est parfaitement libre, ne subissant nulle pression, ni des
autres agents, ni du temps, ni, d’une façon générale, de l’environnement44.
Donc, dans cette perspective, l’acteur est réduit à ces postulats théoriques d’autant plus qu’il
est déterminé par les notions qui se trouvent à l’intérieur de ces postulats théoriques. Il reste que,
pour faire le lien entre l’homo œconomicus et un acteur, nous devons tenir pour acquises plusieurs
notions qui ne sont pas toujours appuyées par l’observation. D’abord, on doit être capable de
prévoir tous les scénarios pour arriver à celui qui nous profite le plus. On doit pouvoir accorder
des valeurs à tous les éléments de ce scénario pour alors faire une comparaison – il va sans dire
que cette attribution de la valeur est universelle puisqu’elle doit être la même entre acteurs pour
arriver à une conclusion raisonnée. Nous pouvons continuer, mais il est clair qu’on tombe
rapidement dans l’absurde.
Il reste que, dans une logique smithienne, on n’arrive pas à expliquer ce qui se donne à
l’observation. Son problème se révèle dans l’incompatibilité d’un être45 purement rationnel avec
la fluidité de l’action social. La dynamique entre acteurs ne peut être expliquée en fonction de la
raison, de l’intérêt ou de l’intention. Si l’acteur est purement rationnel et intentionné46, comment
peut-on expliquer la fluidité d’une conversation? On aurait besoin d’acteurs qui auraient des buts
compatibles, ce qui ferait en sorte que leur interaction soit un acte intentionné. On commence déjà
44 Claude Vautier, Raymond Boudon ; vie œuvre concepts, Paris, Ellipses, 2002, p. 92. 45 Lorsque nous utilisons la notion d’être, nous la concevons au sens ontologique de la personne. 46 La notion d’intention se comprend en termes de fin. Dit simplement, dans les théories de l’action, si un but est
atteint, c’est le résultat d’une intention.
22
à pousser les limites du raisonnable en même temps qu’on pousse les limites de la théorie.
Comment rendre compte du fait qu’on peut avoir deux interlocuteurs intentionnés, qui, à la fois,
laissent entrer le discours d’autrui et répondent en contexte à partir d’une telle modélisation47? Il
faut faire place à la dynamique du moment pour comprendre de tels phénomènes à moins que l’on
construise un acteur capable a priori de prévoir toutes les répliques d’une conversation envisagée.
Smith tente de surmonter l’obstacle qui point devant lui en offrant l’idée de la main invisible48.
La main invisible voudrait que, à mesure qu’un acteur agit dans son intérêt, il agisse aussi dans
l’intérêt de ceux qui l’entourent. C’est un concept construit pour expliquer comment une société
peut fonctionner dans une réalité d’acteurs rationnels. Mais elle a aussi comme effet secondaire
d’offrir une explication aux absents, qui deviennent évidents dans une conceptualisation
rationalisante. La fluidité qu’on observe en réalité ne peut être expliquée par la théorie d’un acteur
purement intéressé ou intentionné. On doit faire une exception pour permettre à la théorie d’avoir
quelque pertinence. Il y a une connexion qui ne se fait pas. Des automates qui fonctionnent de
façon exclusivement rationnelle pourraient difficilement interagir de façon riche, comme en
témoignent nos observations de la réalité49. La spontanéité dans le discours, les tangentes qui font
souvent partie de nos conversations, la compréhension que nous accorde cette flexibilité ne sont
pas inhérentes aux théories de l’action ou à la conceptualisation qu’offre Smith.
Chez Kant50, on reconnaît un discours très semblable bien que le thème central est le
désintéressement. On trouve un acteur encadré, outre par la raison, par une moralité transcendante,
47 Paul Jalbert, « Analyse du rôle de l’intention dans les échanges dyadiques », op. cit. 48 Adam Smith, « An Inquiry into the Nature and Causes of the Wealth of Nations », op. cit. 49 Mélanie Girard, Contribution à la critique des théories de l’action. Intention et émoraison, op. cit. ; Paul Jalbert,
« Analyse du rôle de l’intention dans les échanges dyadiques », op. cit. ; Mélanie Girard, Simon Laflamme et Pascal
Roggero, « L’intention est-elle si universelle que le prétendent les théories de l’action», op cit. 50 Emmanuel Kant, Critique de la raison pratique, op. cit.
23
mais aussi par une volonté. Ici, l’acteur social est encore rationnel, mais, aussi, intentionné.
Ferdinand Alquié le note bien dans l’introduction du livre intitulé Critique de la raison pratique
par Emmanuel Kant :
Par là, Kant paraît plus rationaliste que piétiste. Ce vers quoi il tend avant tout, n’est-
ce pas l’affirmation de la suffisance du sujet ? Or l’idée que le sujet se suffit et tire tout
de son propre fonds est essentiellement leibnizienne. Comme Leibniz, Kant pense
aussi que la raison théorique et la raison pratique ne sont qu’une seule et même raison,
et que le sujet parvient à la moralité en s’affirmant lui-même51.
On parle surtout du devoir chez Kant, qu’il y a une volonté de faire qui émane d’un besoin de
la responsabilité. Cette responsabilité est dotée d’une volonté. Le paradoxe aperçu plus haut surgit
à nouveau. Si l’acteur est libre, comment peut-il être contraint par une moralité et des
responsabilités qui le dépassent ? Il doit nécessairement être plus que ça. Il n’est pas tout seul dans
le monde. Il n’existe pas comme une île, sans lien avec autrui. Il fonctionne encore bien, avec une
fluidité remarquable.
Il y a une discordance évidente entre ce que voudrait la théorie et ce qui est constaté à partir
d’observations. Et cette discordance n’est pas attribuable à un simple manque de nuance de la
théorie ou encore au caractère exceptionnel des événements. On a affaire à un problème beaucoup
plus grave : un positionnement théorique qui met l’acteur au centre de la modélisation, ce qui la
met d’entrée de jeu en difficulté. Nous pourrions continuer à amasser les exemples, mais, aux fins
de ce texte, il suffit de dire que les assises théoriques sur lesquelles on peut s’appuyer pour
comprendre l’acte ont aidé la sociologie à prendre sa forme actuelle. On a hérité des philosophes
51 Ibidiem, p. ix.
24
comme Aristote et Kant, entre autres, un encadrement théorique qui conduit vers les obstacles que
ces philosophes eux-mêmes ont reconnus, sinon explicitement, du moins implicitement.
1.1.3 L’irrationnel comme problème
Les notions d’intérêt et de raison sont des piliers pour les théories qui souscrivent à une
modélisation actionnaliste. Ce sont des composantes incontournables de la sociologie pour
quiconque veut étudier la question. Les thèmes peuvent varier de la moralité à la justice ou de
l’économie à la philosophie ; mais les notions fondamentales persistent. Elles varient de niveau ou
d’ordre, elles sont nuancées, on leur crée des exceptions, on les modifie, mais elles n’arrivent
toujours pas à faire le lien entre la théorie et ce qui est observé. On peut penser aux théories qui
parlent de degrés d’intention ou de niveaux de la raison52. Mais, chose certaine, ces notions font
partie du modèle des théories de l’action. En fait, ces notions sont des composantes suffisamment
fondamentales pour que leur rejet élimine la possibilité pour les théories de l’action de comprendre
l’action humaine. Ces théories deviendraient alors absurdes, irrationnelles. Comme si la possibilité
de comprendre l’humain supposait qu’il soit rationnel ou non. Comme si l’humain ne pouvait
jamais prendre de décisions qui seraient tantôt rationnelles, tantôt irrationnelles. Comme si
l’humain était un être sans émotivité ou comme si cette émotivité n’était pas constitutive de son
être au niveau le plus fondamental.
Ce qu’on peut, cependant, constater, c’est que les problèmes que nous avons déjà soulevés
persistent en sociologie. L’intérêt et la raison de l’acteur se montrent comme éléments
52 Louis Quéré, « Langage de l’action et questionnement sociologique », dans Paul Ladrière, Patrick Pharo et Louis
Quéré (dir.), La théorie de l’action. Le sujet pratique en débat, Paris, CNRS, 1993.
25
fondamentaux de la modélisation actionnaliste. L’acteur doit alors être primordialement rationnel
et intéressé, ce qui, comme nous le montrerons plus loin, engendre les notions de stratégie, de
conscience et d’intention. La visée de l’intérêt de l’acteur était claire. Il devait améliorer son sort.
Ses besoins devaient être satisfaits, même en dépit du contexte dans lequel il se trouve ; ce qui
soulève encore le problème entre liberté et intérêt. Mais on remarque aussi un problème pour la
théorie quand elle a à rendre compte des observations qui se trouvent à l’extérieur du rationnel.
On peut trouver plusieurs exemples de chercheurs qui reconnaissent l’un ou l’autre de ces
problèmes de dualité. Prenons Weber comme exemple explicite du constat des lacunes de la
modélisation des théories de l’action :
Pour l’étude scientifique qui construit des types [typenbildende], la façon la plus
pertinente d’analyser et d’exposer toutes les relations significatives irrationnelles
du comportement, conditionnées par l’affectivité et exerçant une influence sur
l’activité, consiste à les considérer comme des « déviations » [Ablenkungen] d’un
déroulement de l’activité en question, construit sur la base de la pure rationalité
en finalité53.
Ou les limites logiques de ce que John Stuart Mill suggère quand il affirme :
Nous avons signalé dans un chapitre précédent de cet essai que la liberté de
l’individu dans les choses qui ne concernent que lui implique une liberté
correspondante pour un groupe d’individus de régler par consentement mutuel
les choses qui les concernent ensemble et ne regardent personne d’autre. La
question ne présente aucune difficulté tant que la volonté des personnes
intéressées ne change pas ; mais comme elle peut changer, il est souvent
nécessaire, même dans les choses où elles sont seules concernées, qu’elles
prennent des engagements mutuels ; et quand elles le font, il convient en règle
générale, que ces engagements soient tenus54.
Il nous semble difficile d’agencer les interprétations d’un acteur qui est si guidé par l’intérêt,
et d’être en mesure d’entreprendre des négociations qui aboutissent à un consentement mutuel.
53 Max Weber, Économie et société, Paris, Plon, [1921] 1971, p. 6. 54 John Stuart Mill, De la liberté, France, Gallimard, [1859] 1990, p. 220.
26
Comment autrement que dans la dynamique de ces échanges peut-on comprendre la négociation
qui se produit ? Pareillement, comment rendre compte de l’irrationnel ? Suggérer que l’acteur est
capable d’anticiper toutes les possibilités pour ensuite choisir ce qui lui est le plus profitable tombe
dans l’absurdité. Traiter la dimension émotive de la personne comme une « déviation » ou une
anomalie, à nos yeux, manque le coche aussi.
1.1.4 Quelques commentaires sur la perspective actionnaliste en sociologie
Plusieurs spécialistes des sciences sociales ont proposé des théories qui n’étaient pas
entièrement centrées sur l’individu. Ils ont livré des explications de l’action humaine dans
lesquelles l’intention subjective n’était pas suffisante. C’est le cas du structuro-fonctionnalisme de
Talcott Parsons55 où l’acteur, quoique rationnel, agit aussi sous l’effet des structures sociales.
Plusieurs aussi ont souhaité que la sociologie prenne ses distances par rapport à une approche trop
rationalisante pour intégrer des phénomènes humains pourtant communs. C’est le cas de Bryan S.
Turner qui écrit : « The idea of dysfunction is largely inexplicable in these terms56 ». La
dysfonction est partie intégrante des rapports sociaux. On ne peut l’exclure sans malmener la
réalité de la vie humaine. Rousselle57 a même montré que la dysfonction participe de la
communication humaine, de façon quotidienne.
Dans les théories de l’action, la notion d’intention est tellement puissante qu’il semble
inimaginable de ne pas recourir à elle. Les critiques n’affectent pas les modélisations au fondement
55 Talcott Parsons, The Social System, Collier-MacMillan, Canada, [1951] 1964. 56 Bryan S. Turner, « Social Systems and Complexity Theory », dans A. Javier Trevino (dir.), Talcott Parsons Today,
op. cit., p. 89. 57 Jeannine Rousselle, La communication chez les couples : une approche relationnelle, op. cit.
27
desquelles elle est active. Daniel Wegner en fait état en disant dans son livre The Illusion of
Conscious Will :
Conscious will is usually understood in one of two major ways. It is common to
talk about conscious will as something that is experienced when we perform an
action – actions feel willed or not, and this feeling of voluntariness or doing a
thing « on purpose » is an indication of conscious will. It is also common,
however, to speak of conscious will as a force of mind, a name for the causal
link between our minds and our actions. One might assume that the experience
of consciously willing an action and the causation of the action by the person’s
conscious mind are the same thing. As it turns out, however, they are entirely
distinct, and the tendency to confuse them is the source of the illusion of
conscious will...58
Mais Wegner ne sort pas du dilemme puisqu’il ne sort pas d’une modélisation classique de
l’acteur. Il apporte des nuances et ses critiques laissent intact le problème de la pertinence de
l’appareillage analytique :
The unique human convenience of conscious thoughts that preview our actions
gives us the privilege of feeling we willfully cause what we do. In fact, however,
unconscious and inscrutable mechanisms create both conscious thought about
action and the action, and also produce the sense of will we experience by
perceiving the thought as cause of the action. So, while our thoughts may have
deep, important, and unconscious causal connections to our actions, the
experience of conscious will arises from a process that interprets these
connections, not from the connections themselves59.
Dans le fond, Wegner décrit la personne comme étant l’élément causal de l’acte. Il n’arrime
pas logiquement cet acteur à sa socialité. L’humain demeure nécessairement intentionné et cette
intention est fondée sur un arrière-fond qui le rend asocial. L’acteur demeure maître de sa volonté
58 Daniel M. Wegner, The Illusion of Conscious Will, Cambridge Massachusetts, MIT Press, 2002, p. 3. 59 Ibid., p. 98.
28
et il l’est par sa volonté. Anscombe offre une réflexion approfondie sur le thème de l’intention60.
Son exercice soulève d’importantes questions. L’auteur en vient à suggérer qu’il y a des moments
où l’intention chez une personne ne parvient pas à rendre compte de ce qu’elle offre à
l’observation.
[…] how do we tell someone’s intention? or: what kind of true statements about
people’s intentions can we certainly make, and how do we know that they are
true? That is to say, is it possible to find types of statements of the form « A
intends X » which we can say have a great deal of certainty? Well, if you want
to say at least some true things about a man’s intentions, you will have a strong
chance of success if you mention what he actually did or is doing. For whatever
else he may intend, or whatever may be his intentions in doing what he does, the
greater number of the things which you would say straight off a man did or was
doing, will be things he intends61.
Anscombe reconnaît déjà que c’est dans l’acte qu’émerge l’intention et que la prédiction
d’intention elle-même n’est pas fiable comme source de causalité de l’acte. Mais elle n’arrive pas
à avouer cette observation. Elle offre, en contrepartie, d’apporter de plus grandes exceptions pour
tenter de faire le pont entre ce qui est observé et la théorie. Elle continue plus loin dans son texte
en disant :
Ought one really always to say « I am going to... unless I am prevented »? or at
least to say that there is an implicit « unless I am prevented » (an implicit deo
volente) in every expression of intention? But « unless I am prevented » does not
normally mean « unless I do not do it ». Suppose someone said « I am going to…
unless I am prevented, or I change my mind »? 62
60 Gertrude E. M. Anscombe, Intention, Cambridge Massachusetts, Harvard University Press, [1957] 2000. 61 Ibid., p. 7. 62 Ibid., p. 92.
29
Donc, on peut constater comment Anscombe reconnaît déjà qu’il est tellement fréquent de
trouver un décalage entre l’observation et la théorie que la notion d’exception est continuellement
sous-entendue. La valeur prédictive de l’intention est très pauvre ; elle peut difficilement constituer
le pilier d’une théorie qui cherche à comprendre l’acte. Elle est tellement pauvre qu’elle tombe
continuellement dans des exceptions.
Les propos qui sont ici relevés ne le sont qu’à titre d’illustration. Ce sont des exemples. Les
défauts épistémologiques qu’ils contiennent sont loin de leur appartenir en propre. En fait, rares
sont les explications de l’action humaine qui sont exemptes de ces reproches. Les réflexions
d’Anscombe comptent parmi les plus fines.
1.1.5 Un embouteillage théorique
Dans la section précédente, nous avons commencé à montrer en quoi les théories sociologiques
munies de postulats fournis par un encadrement actionnaliste posaient problème. Nous avons
suggéré que certains auteurs reconnaissaient le dilemme dans lequel ils se trouvaient. Dans la
section qui suit, nous explorerons cette idée pour finalement déboucher sur des auteurs qui ont
offert des critiques plus percutantes.
1.1.5.1 Une prise de conscience
Ce n’est pas forcément parce qu’un travail de recherche est fondé sur les théories de l’action
qu’il ne tente pas de faire écho à la dimension sociale, historique ou relationnelle de l’humain.
D’ailleurs, il y a plusieurs exemples où ces dimensions sont reconnues et affirmées ; mais elles
30
n’occupent jamais une place qui permettrait d’assumer les postulats qui doivent nécessairement
ressortir d’une telle affirmation parce qu’elles ne le peuvent pas. L’individu est contraint par les
postulats théoriques des théories de l’action. On doit donc s’inspirer d’autres modélisations pour
se permettre de contourner l’embouteillage des théories de l’action. La modélisation relationnelle,
comme on le verra plus loin dans ce texte, ouvre la porte à des chantiers de recherches fertiles.
Mais débutons en nous inspirant de l’individualisme méthodologique chez Boudon ou de la
« raison pratique » chez Bourdieu pour des fins d’illustration.
Boudon affirme : « […] construire une théorie individuelle de l’action qui permette de rendre
compte des actions « non logiques » représente sans aucun doute une des dimensions
fondamentales de la sociologie63 ». Chez Boudon, deux choses sont claires : le lieu pour
comprendre l’acte se trouve au niveau individuel et la modélisation des théories de l’action ne peut
rendre compte des observations qui ne s’intègrent pas dans le domaine de la logique. Cela pose
problème. Nous sommes alors des êtres discrets qui interagissons au moment où nous le décidons.
La volonté devient une notion fondamentale dans ce contexte. Comme à l’accoutumée, l’acteur se
trouve nécessairement au centre de la modélisation. La contribution de l’individualisme
méthodologique peut être décrite en ces termes :
En réalité, l’individualisme méthodologique pose que, dans les sciences sociales
qui traitent des hommes vivant en société, pour comprendre un phénomène
collectif, il est nécessaire de s’intéresser aux comportements individuels des
acteurs, à leurs actions et aux motivations de celles-ci64.
63 Raymond Boudon, La logique du social, Paris, Hachette, 1979, p. 47. 64 Claude Vautier, op. cit., p. 64.
31
Donc l’individualisme méthodologique est moins compris comme une reformulation
épistémologique que comme une formulation usuelle de l’analyse de l’action humaine. S’il est vrai
que Boudon a critiqué l’idée d’un homo œconomicus, il maintient un cadre épistémologique à
l’intérieur duquel l’action est surdéterminée par l’acteur individuel. Le défaut par excellence de
cette conception est que sa valeur prédictive de la reformulation théorique n’est pas confirmée par
l’observation65. Les nombreuses analyses de Boudon sont davantage des affirmations de la
pertinence de l’individualisme méthodologique que des confirmations de la théorie. Ce problème
émane tant chez Boudon que chez tous ceux qui œuvrent dans un encadrement actionnaliste, dès
que la dimension sociale de la personne n’est pas assumée. L’acteur est au centre de la
modélisation et n’est pas vu comme un être essentiellement social.
Bourdieu prend ses distances par rapport à la notion d’un acteur qui serait un calculateur
prolifique qui profitait de sa raison instrumentale pour obtenir des gains. Plutôt, Bourdieu suggère
une forme de « raison pratique66 » qui serait la capacité intrinsèque chez la personne d’agir, dans
plusieurs contextes, non pas forcément de manière consciente, mais bien de façon stratégique.
Patrice Bonnewitz explique : « “L’habitus” est donc un système de dispositions durables
intériorisé par les individus du fait de leurs conditions objectives d’existence, et qui fonctionne
comme principes (schèmes) inconscients d’action, de perception et de réflexion67». La notion est
fonctionnelle, mais elle perd sa puissance lorsqu’on maintient l’acteur comme une pièce distincte.
Le problème que nous soulevons ici est que le lieu de l’action est encore exclusivement chez
65 Mélanie Girard, Simon Laflamme et Pascal Roggero, « L’intention est-elle si universelle que le prétendent les
théories de l’action », op. cit. ; Mélanie Girard, Contribution à la critique des théories de l’action. Intention et
émoraison, op. cit. ; Paul Jalbert, « Analyse du rôle de l’intention dans les échanges dyadiques » op. cit.; Pierre
Bouchard, « Théorie de l’action et parcours de vie », op. cit.; Jeannine Rousselle, La communication chez les
couples : une approche relationnelle, op. cit. 66 Pierre Bourdieu, Raisons pratiques. Sur la théorie de l’action, Paris, Seuil, 1994. 67 Patrice Bonnewitz, Pierre Bourdieu : vie, œuvres, concepts, Paris, Ellipses, 2009, p. 78.
32
l’acteur, et cela est un problème épistémologique de la théorie qui ne peut être résolu en modifiant
les notions qui se trouvent à l’intérieur de la modélisation. Cela nécessite une remodélisation, une
nouvelle épistémologie.
Il ne va pas sans dire qu’on peut même retrouver les premiers indices des éléments qui
composent la modélisation relationnelle chez ceux qui utilisent cet encadrement théorique. On peut
parfois trouver chez eux des idées qui font appel aux notions de socialité et d’historicité
fondamentales à la modélisation relationnelle. Par exemple, on peut entendre des échos de la
notion d’historicité chez Alfred Schütz lorsqu’il dit :
This world existed before our birth, experienced and interpreted by others, our
predecessors, as an organized world. Now it is given to our experience and
interpretation. All interpretation of this world is based on a stock of previous
experiences of it, our own or those handed down to us by parents or teachers;
these experiences in the form of “knowledge at hand” function as a scheme of
reference68.
Ici, c’est une description qui se situe évidemment au niveau macrologique. Mais il reste qu’on peut
reconnaître que, d’une part, Schütz affirme que l’acte n’est pas le résultat d’un mouvement
exclusivement linéaire et que, d’autre part, l’acte est inscrit dans un contexte qui le met
nécessairement « par rapport à » ou « en relation avec » autrui. Mais, encore, les postulats qui
découlent de ces affirmations ne sont jamais pleinement assumés69. Les catégories d’historicité et
de socialité sont traitées comme étant des catégories auxquelles on peut choisir d’adhérer ou qu’on
68 Alfred Schütz, Collected Papers I : The Problem with Social Reality, 3e édition, Martinus Nijhoff, Netherlands,
1971, p. 7. 69 Rachid Bagaoui, « La sociologie relationnelle comme principes structurants et comme théories sociales »,
Nouvelles perspectives en sciences sociales. Revue internationale de systémique complexe et d’études relationnelles,
vol. 5, no 1, 2009, p. 25-29 ; Mélanie Girard, Simon Laflamme et Pascal Roggero, « L’intention est-elle si
universelle que le prétendent les théories de l’action », op. cit.
33
peut décider de contourner. La faille est qu’on ne possède pas ce choix, et si on affirme qu’on n’a
pas ce choix, on doit aussi affirmer que l’être n’est pas seulement rationnel.
Les travaux en ethnométhodologie menés par Garfinkel peuvent servir d’exemple des limites
des théories de l’action. Selon Claude Vautier, l’ethnométhodologie :
[…] apporte un éclairage sur « la construction sociale de la réalité » par les
individus en interactions, souligne leur compétence quasi universelle à
comprendre les phénomènes sociaux dont ils sont partiellement créateurs et
gomme la frontière entre connaissance profane et connaissance savante, par
l’application d’un « sens pratique » (les « méthodes » ou « ethnométhodes ») qui
leur permet de régler les problèmes de leur vie quotidienne70.
Laflamme71 affirme que les ethnométhodologues ont bien saisi que le vécu devait être compris
à l’intérieur du concept de socialité. Il nous dit : « Par ailleurs, la plupart des ethnométhodologues
affirment qu’il n’y a de réalité que subjective, qu’il n’y a de point de vue que pour des acteurs
sociaux en interaction72 ». On remarque que l’ethnométhodologie a bien compris l’importance
d’une mise en contexte. Mais on constate en même temps que cette mise en contexte n’est
réalisable que si on s’empare d’une modélisation qui ne rendrait pas l’acteur forcément asocial.
Rendre compte de la réalité comme les ethnométhodologues73 cherchent à le faire sans sortir du
problème que posent les théories de l’action vis-à-vis de la notion de socialité est destiné à l’échec.
Comme on l’a vu dans une section précédente, l’ethnométhodologie n’a pas pu saisir ce qu’elle
observait. Il y a nécessairement conflit entre une mise en contexte social et une vision déterministe
70 Claude Vautier, « La longue marche de la sociologie relationnelle », Nouvelles perspectives en sciences sociales,
Revue internationale de systémique complexe et d’études relationnelles, vol. 4, no 1, p. 81. 71 Simon Laflamme, Communication et émotion : essai de microsociologie relationnelle, op. cit. 72 Ibid., p. 96. 73 Harold Garfinkel, Studies in Ethnomethodology, New Jersey, Prentice-Hall, 1967, p. 270.; Ervin Goffman, The
Study of Self in Everyday Life, New York, Overlook Press, 1973.
34
de l’acteur. Il devient rapidement difficile de concevoir comment la souplesse qu’accorde la notion
de socialité à la personne peut être accommodée à partir d’une théorisation déterministe, voire
autodéterminsite, de l’acteur.
Garfinkel pose la question:
Why are rationalities of scientific theorizing disruptive of the continuities of
actions governed by the action of daily life? What is there about social
arrangements that makes it impossible to transform the two “attitudes” into
each other without disruptions of the continuous activity governed by each?74
Les observations de Garfinkel dans maintes situations et ses explications sont plus séduisantes que
démonstratives. Et il le reconnaît puisqu’il affirme aussi :
[...] that the scientific rationalities, in fact, occur as stable properties of actions
and as sanctionable ideals only in the case of actions governed by the attitude
of scientific theorizing. By contrast, actions governed by the attitude of daily life
are marked by the specific absence of these rationalities either as stable
properties or as sanctionable ideals75.
Donc, d’un côté, Garfinkel reconnaît très bien le problème de la surrationalisation de l’acteur,
mais, d’un autre côté, il demeure enfermé dans une modélisation fondée sur les théories de
l’action – ce qui ne lui fournit pas la puissance épistémologique nécessaire pour rendre compte de
ce qu’il observe. Il se trouve continuellement en conflit parce qu’il ne peut réconcilier ses
observations avec la théorie. Il alterne entre une reconnaissance de ce qui est observé et son
impuissance à en rendre compte. Un peu comme le fait Alfred Schütz quand il dit en
74 Harold Garfinkel, « The Rational Properties of Scientific and Common Sense Activities », Behavioral Science,
vol. 5, p. 81. 75 Harold Garfinkel, « Studies in Ethnomethodology », op. cit.
35
reconnaissance des limites épistémologiques des sciences sociales : « The real reason for this is
that we cannot deal with phenomena in the social world as we do with phenomena belonging to
the natural sphere76 ». Cela n’est pas la seule dimension qui n’est pas assumée par ceux qui tentent
d’insérer la socialité dans leur modélisation, mais elle est hautement conséquente. Le social est vu
comme étant quelque chose à quoi on accède, et non pas comme ce qui fait fondamentalement
partie de nous.
Les ethnométhodologues ne sont pas les seuls qui ont accepté le postulat selon lequel l’être ne
peut se livrer qu’à l’intérieur du contexte dans lequel émergent les échanges. Harvey Sacks, qui
propose des analyses conversationnelles77 en fait état aussi. Sacks reconnaît que le lieu de
compréhension de la personne se trouve fondamentalement dans les échanges que la personne a
avec celles qui l’entourent. C’est là une affirmation de la nécessaire socialité et relationalité de
l’humain. Mais, comme on l’a vu aussi, des conflits se développent entre ce qui est observé et ce
que les théories de l’action permettent d’appréhender quand on n’assume pas la totalité de ce que
veut dire un « être social ».
Donc, on se trouve avec deux défauts épistémologiques qui apparaissent fatals pour les théories
de l’action. Le cadre dans lequel est inscrit l’acteur n’est pas reconnu pour ce qu’il est, donc la
personne est comprise comme étant asociale et, par voie de conséquence, sans histoire, ce qui fait
que la théorie maintient l’acteur au centre de la modélisation et que la personne se trouve déformée
par les postulats de la théorie. La personne est enfermée dans la raison et l’intérêt. Les notions font
76 Alfred Schutz, « The Problem of Rationality in the Social World », Economica, vol. 10, no 38, May 1943, p. 146. 77 Harvey Sacks, Lectures on Conversation, Oxford, Blackwell, 1995.
36
de l’acteur un être détaché du monde, inexorablement intentionné, quasi divin dans sa capacité
d’autodirection.
1.1.5.2 Critiques des théories de l’action
Certains chercheurs perçoivent qu’il est nécessaire de surmonter les problèmes qui sont
inhérents aux théories de l’action. Louis Quéré apporte une critique de l’approche actionnaliste en
signalant qu’elle perd de vue la nature fondamentalement communicationnelle de l’être humain et
que cette occultation constitue une espèce d’abus de science. Quéré dit :
Toute approche positiviste qui applique la démarche empirico-analytique des
sciences de la nature au fait de la communication sociale ne peut que
méconnaître sa structure spécifique. Le savoir minime qui en résulte est construit
sur le socle d’une méconnaissance monumentale. En effet, une science sociale
qui procède de manière objectivante, à des fins de rationalisation des choix ou
de maîtrise du fonctionnement empirique de l’organisation sociale par des
technologies sociales, est obligée de faire abstraction des rapports qui le
constituent en propre et de leur substituer des relations « objectives », c’est-à-
dire de projeter sur l’objet découpé en éléments constitutifs des relations d’objet
à objet, de « chose » à « chose », de « variable » à « variable » qui permettent à la
fois la formulation d’hypothèses nomologiques et l’application de procédés de
contrôle (quantification, expérimentation…)78.
Il continue en affirmant que : « Dans cette perspective, le seul problème de la communication est
celui de la transmission des messages dans des conditions d’efficacité maximale, donc celui de
l’amélioration des performances, celui de la qualité du canal79 ». Il est clair que, pour Quéré,
l’approche actionnaliste offre une épistémologie lacunaire tant sur le plan du rôle de la
78 Louis Quéré, Des miroirs équivoques : aux origines de la communication moderne, Paris, Éditions Aubier
Montaigne, 1982, p. 17. 79 Ibid. p. 19.
37
communication dans la modélisation que dans sa nécessité de concevoir l’acte en dehors de ce
champ.
La notion d’un acteur intéressé − qui se donne des buts et cherche à les atteindre − ne pose
pas de problème en elle-même. Une personne peut être intéressée. Le problème survient dès lors
que le paradigme ne façonne l’acteur que sous le mode de l’intéressement. On peut difficilement
concevoir les réussites, les échecs, ou le parcours de vie simplement comme fonction d’une
intention. D’ailleurs, on remarque que ce n’est pas le cas80.
Godbout et Caillé reconnaissent aussi que l’action ne peut être comprise dans un contexte où
les théories nous conduisent vers des conclusions a priori. Caillé le dit bien :
Or, étrangement, les systèmes de sociologie générale disponibles ne font pas assez
place à ce moment du rapport aux faits. Leur échec relatif tient ainsi à deux raisons,
étroitement liées, qui découlent de cette négligence paradoxale de l’impératif
d’empirisme. La première est qu’ils se présentent justement comme des
« systèmes », censés pouvoir rendre compte, sans reste, de l’intégralité du réel. Le
critère de l’excellence d’une sociologie générale serait dans cette optique que tout
fait social et historique puisse y trouver aussitôt sa place précise et univoque au
sein de la grille conceptuelle proposée. La seconde raison est que, du coup, ces
systèmes de sociologie générale se présentent comme ayant a priori réponse à
tout81.
Caillé dépeint en quelques phrases comment les théories de l’action peinent à comprendre
l’acte. Il y a des phénomènes, plusieurs phénomènes, qui se produisent constamment et qui leur
80 Pierre Bouchard, « Théorie de l’action et parcours de vie », op. cit. 81 Alain Caillé, Théorie antiutilitariste de l’action : fragments d’une théorie générale, op. cit., p. 7.
38
échappent. La raison, l’intérêt ou l’intention ne sont jamais contextualisés. Ces théories
n’admettent aucunement que l’acteur soit communicationnel.
Caillé montre par ailleurs comment ces théories se font prendre dans un paradoxe de liberté
et de contrainte. D’une part, l’acteur qui est intéressé, rationnel et intentionné est libéré par ces
atouts qui lui sont accordés. Mais, d’autre part, il est captif de cette raison, incapable d’en sortir.
L’acteur travaille vers une fin qui est déjà finie. Elle est finie par la raison puisque si elle est en
fait raison, elle ne peut avoir qu’une seule fin.
La critique est évidente et puissante. Elle remet en question l’idée d’un être purement
rationnel qui ne saurait être déterminé que par la raison. La remise en question est nécessaire. Elle
est, de toute évidence, inévitable. Mais les critiques qu’offrent Caillé et ses collègues, si
perspicaces soient-elles, ne débouchent pas sur des solutions de nature à fournir des outils pour
comprendre l’acte de façon adéquate. Elles persistent dans une perspective actionnaliste qui
renvoie souvent aux mêmes problèmes que ceux qui ont été dénoncés : le sujet demeure résolument
au centre de la modélisation. Elles n’arrivent pas à reconnaître l’essence relationnelle et
sociohistorique de l’humain.
Le travail antiutilitariste de Caillé débouche sur différentes conceptualisations de l’intérêt.
À un niveau, Caillé différencie l’intérêt à et l’intérêt pur82. À un autre, il parvient à les séparer
encore plus spécifiquement entre intérêt instrumental, intérêt à obéir, intérêt pour autrui et intérêt
pour une activité plaisante. Tout en faisant cela, il arrive à conclure que l’intérêt instrumental est
d’un ordre différent puisqu’il est la voix par laquelle les autres intérêts sont satisfaits. Alors, la
82 Ibid., p. 19
39
raison instrumentale doit être d’un ordre supérieur. Elle est la porte par laquelle tout autre intérêt
est satisfait. Dans l’intérêt instrumental, on doit encore reconnaître la preuve d’une
conceptualisation de l’agir qui inclut la conscience, la stratégie, l’intention et, évidemment, la
raison.
Comme on peut le constater, il doit y avoir ‒ et il y a actuellement ‒ une remise en question
des théories de l’action et du rôle de la notion d’intention lorsqu’on tente de comprendre l’action
humaine. On remarque des lacunes dans la capacité de ces théories à expliquer l’acte tant dans la
mesure où elles tentent de rendre compte du vécu humain que lorsqu’on soumet leurs postulats à
l’épreuve d’une vérification empirique83. Il nous semble donc nécessaire de persister dans la
remise en question de cette modélisation classique. Une modélisation relationnelle84, qui ne nie
pas la nature essentiellement communicationnelle de la personne, ouvre la porte à une possibilité
de vraiment saisir sa dynamique de l’acte. Elle ne pose pas par nécessité l’absence d’intention,
mais elle relativise cette intention sous les projecteurs de la relationalité.
1.1.6 Modélisation des théories de l’action
Les théories de l’action laissent entendre que le devenir doit nécessairement être précédé par
une volonté de devenir85. Il y a un élan qui pousse vers les buts, et cet élan se manifeste de façon
stratégique et intéressée. Cette notion d’intention fait appel à la conscience. On retrouve un lien
83 Mélanie Girard, Contribution à la critique des théories de l’action. Intention et émoraison, op. cit. ; Mélanie
Girard, Relations humaines et production d’information : l’échange comme objet d’étude d’une approche
relationnelle, mémoire de maîtrise, Sudbury, Université Laurentienne, 2004 ; Paul Jalbert, « Analyse du rôle de
l’intention dans les échanges dyadiques » op. cit. 84 Simon Laflamme, Communication et émotion : essai de microsociologie relationnelle, op. cit. 85 Ibid..
40
inhérent entre ces postulats. L’acteur est vivement conscient des enjeux qui peuvent lui donner le
souffle pour réaliser ses projets, d’autant plus qu’il est conscient des enjeux qui peuvent les faire
basculer. La théorie tente, toutefois, de surmonter les défis épistémologiques que nous avons déjà
soulevés par des tentatives de nuancer ses catégories86. Elle doit nécessairement procéder à ces
accommodements pour tenter de rendre la structure théorique suffisamment puissante pour rendre
compte de ce qui est observé. Mais on retrouve toujours ces catégories à l’intérieur d’une structure
théorique qui fait en sorte qu’elle prime sur l’être et donc laisse échapper la nature relationnelle de
l’être humain. Ce ne sont pas tous les actes qui sont le résultat de la volonté87.
Denis Martouzet fait écho cette réalité lorsqu’il dit qu’il y a : « […] un certain nombre de
postulats, centraux dans la littérature de l’économie standard88 », et que ces « […] postulats
renvoient aux modes de calcul sous-tendant le champ des possibles : la préférence, l’espérance et
la cohérence89 ». Il le fait aussi lorsqu’il ajoute : « La préférence suppose l’existence préalable
d’un ordre complet et stable des options possibles : l’acteur a préalablement hiérarchisé ses
préférences, et ce, de façon durable, si ce n’est définitive90 ». Martouzet, par ailleurs, souligne
comment les notions d’intention et de rationalité doivent être bien cernées pour qu’on en
comprenne leurs limites. Il poursuit son analyse vers la notion de volonté et cherche d’un point de
86 On fait référence ici à tous les chercheurs qui s’inscrivent dans l’épistémologie des théories de l’action en
sociologie. 87 Simon Laflamme, Communication et émotion : essai de microsociologie relationnelle, op. cit. ; Mélanie Girard,
Contribution à la critique des théories de l’action. Intention et émoraison, op. cit.; Mélanie Girard, Relations
humaines et production d’information : l’échange comme objet d’étude d’une approche relationnelle, op. cit. ; Paul
Jalbert, « Analyse du rôle de l’intention dans les échanges dyadiques » op. cit.; Pierre Bouchard, « Théorie de
l’action et parcours de vie », op. cit. ; Jeannine Rousselle, La communication chez les couples : une approche
relationnelle, op. cit. 88 Denis Martouzet, « La complexité aux limites de la rationalité. Proposition de définition de la structure de base de
la complexité du couple actions-attitudes par la critique du prinicipe du tiers-exclu, », Nouvelles Perspectives en
sciences sociales. Revue internationale de systémique complexe et d’études relationnelles, vol. 11, no 1, 2015, p. 378 89 Ibid., p. 378. 90 Ibid., p. 378.
41
vue philosophique à comprendre comment ces postulats peuvent servir pour comprendre l’agir. Il
affirme que l’individu peut agir de façon cohérente et incohérente et que ces postulats ont de la
difficulté à expliquer cette réalité.
Girard91 et Laflamme92 montrent que les théories de l’action ont à leurs bases cinq concepts
fondamentaux : rationalité, stratégie, conscience, intérêt et intention. Girard93 en propose une
modélisation sous forme étoilée94 (voir la figure 1). Ces concepts s’interpellent mutuellement
même si, comme on le verra, ils ne sont pas tous du même ordre, tous nécessairement liés de la
même façon les uns aux autres, et peuvent même être redondants.
Figure 195 :
Rationalité
Stratégie Conscience
Intérêt Intention
91 Mélanie Girard, Relations humaines et production d’information : l’échange comme objet d’étude d’une approche
relationnelle, op. cit. 92 Simon Laflamme, « Les acteurs sociaux et la modélisation phénoménologique », op. cit. 93 Mélanie Girard, Relations humaines et production d’information : l’échange comme objet d’étude d’une approche
relationnelle, op. cit. 94 Mélanie Girard, Relations humaines et production d’information : l’échange comme objet d’étude d’une approche
relationnelle, op. cit. 95 Figure empruntée à Mélanie Girard, Relations humaines et production d’information : l’échange comme objet
d’étude d’une approche relationnelle, op. cit.
42
Girard dit des postulats à l’intérieur de cette modélisation : « Certes, il serait possible de
définir de plusieurs façons chacun des concepts qui sont employés dans cet assemblage pour
prendre en considération l’ensemble des désignations qu’on trouve dans les sciences
humaines […] »96. Mais, poursuit-elle :
Nous tenons plutôt à rappeler que les théories de l’action ont généré un ensemble
de concepts interdépendants dont les connotations se révèlent par-dessus tout
dans leur interconnexion et dans les usages qui en sont faits. Il n’y a pas de
théoricien de l’action qui mette en doute qu’un acteur social agisse en fonction
de son intérêt et qui n’associe pas cette action à la rationalité97.
Comme l’indique adroitement Girard, cette modélisation n’est problématique que dans la mesure
où elle relie des concepts qui mettent l’acteur en leur centre, mais elle ne distingue pas de niveau
ou d’ordre théorique entre les concepts. Girard écrit :
La plupart des gestes que pose un acteur dans une journée ne sont pas conscients
; ils ne sont pas non plus rationnels – ce qui ne signifie pas qu’ils ne puissent être
rationalisés par une théorie. Et de la même façon que les liens qui existent entre
la conscience et l’intérêt, l’intention ou la stratégie ne sont pas automatiques,
ceux qui unissent la rationalité et l’intérêt, l’intention ou la stratégie se présentent
beaucoup plus en termes de potentialité que de nécessité. L’intérêt ne donne pas
obligatoirement lieu à une stratégie ; on peut être intéressé sans pour autant
élaborer une stratégie visant à combler cet intérêt ; pour une foule de raisons, on
peut demeurer inactif devant son intérêt sans que l’inaction soit stratégie. Être
rationnel, ce n’est pas forcément être intéressé. Le fait de reconstruire a
posteriori l’intention en lui attribuant des raisons logiques ne fait pas pour autant
que l’intention, tel qu’elle s’est manifestée in situ, ait été rationnelle. Être
rationnel, ce n’est pas nécessairement être intentionné. La stratégie appelle la
raison dans la mesure où elle exige une réflexion, une élaboration en séquences
; elle est un événement pluritemporel, contrairement à l’intention qui, elle,
représente davantage un mouvement psychique. Mais la raison, à son tour,
n’appelle pas nécessairement la stratégie. Être rationnel, ce n’est pas
obligatoirement être stratégique98.
96 Mélanie Girard, Contribution à la critique des théories de l’action. Intention et émoraison, op. cit., p.63. 97 Ibid, p. 63. 98 Mélanie Girard, Contribution à la critique des théories de l’action. Intention et émoraison, op. cit., p. 66.
43
On peut bien reconnaître en quoi cette modélisation pose problème lorsqu’on se l’approprie
pour mieux comprendre l’acte. Elle apporte une vision qui met l’acteur au centre de la modélisation
et laisse échapper sa nature relationnelle99, ce qui fait alors que son essence même est perdue. Pour
ce qui est de la modélisation, la façon dont les concepts se relient et interagissent, nous offrant des
lunettes au travers desquelles interpréter ce qu’on observe tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du
laboratoire, ne se montre pas à la hauteur théorique de l’objet étudié. Girard reconnaît bien cette
faiblesse et critique la modélisation des théories de l’action. Elle s’explique ainsi :
Cette confusion de niveaux et de relations entre les concepts donne lieu à ce qui
devient, donc, une modélisation qui appelle une probabilité d’action plutôt qu’une
nécessité, plutôt qu’une exhaustivité de l’action. Nous reprendrons, pour le vérifier,
chacun des concepts en vérifiant son rapport à l’action. 1) L’action peut-elle être
rationnelle ? La réponse à cela est oui. 2) L’action peut-elle être consciente ? La
réponse à cela est encore oui. 3) L’action peut-elle être stratégique ? La réponse, ici
aussi, est oui. 4) L’action peut-elle être intentionnelle ? Bien entendu que si. 5)
L’action peut-elle être intéressée ? Il semble tout aussi évident que l’action puisse
également être intéressée. Mais, à l’inverse, on peut se poser la question de savoir
si l’action peut aussi ne pas être 1) rationnelle 2) consciente 3) stratégique 4)
intentionnelle 5) intéressée. Et il est clair que l’action n’est pas toujours rationnelle,
ou consciente, ou stratégique, ou intentionnelle, ou intéressée. Le modèle permet
donc de rendre compte de probabilités d’action et non de l’ensemble des
comportements, des possibilités d’action ; en cela, il se veut partiel et, du même
coup, il surmodélise l’action humaine en cela qu’il se rend aveugle à une infinité de
comportements humains100.
99 Simon Laflamme, Communication et émotion : essai de microsociologie relationnelle, op.cit. ; Mélanie Girard,
Contribution à la critique des théories de l’action. Intention et émoraison, op. cit. ; Mélanie Girard, Relations
humaines et production d’information : l’échange comme objet d’étude d’une approche relationnelle, op. cit. ; Paul
Jalbert, « Analyse du rôle de l’intention dans les échanges dyadiques » op. cit.; Pierre Bouchard, « Théorie de
l’action et parcours de vie », op. cit. ; Jeannine Rousselle, La communication chez les couples : une approche
relationnelle, op. cit. 100 Mélanie Girard, Contribution à la critique des théories de l’action. Intention et émoraison, op. cit., p. 68.
44
Ses arguments sont puissants. Elle suggère, entre autres, que cette structure ne peut expliquer
l’action humaine et que, même si les théories de l’action présentent les différentes notions qui
composent ce modèle comme étant nécessairement liées, ces notions ne le sont pas toujours. Un
acteur peut être rationnel, il peut être stratégique, conscient, intéressé et intentionné, mais il est
plus que ça. Il est nécessairement inscrit dans un contexte sociohistorique. Il est, en plus, émotif.
Comment renvoyer l’amour ou la haine à une manifestation strictement rationnelle ? On ne peut
le faire.
Laflamme offre une perspective sur cette modélisation des théories de l’action en affirmant :
Dans cette structure, toutefois, des concepts deviennent redondants : intention et
stratégie, ou même intention et conscience. S’il est certain qu’il ne peut y avoir
de stratégie sans intention, ou d’intention sans conscience, comme dans la
modélisation première, on peut se demander à quoi sert la catégorie stratégie si
celle de l’intention est active, la stratégie n’étant qu’une manifestation de
l’action intentionnelle.101
Laflamme continue en suggérant que certaines notions peuvent être : « […] absorbées par des
concepts, ce qui permettrait d’en simplifier le travail de théorisation102 ». Et si ces concepts sont
en fait redondants, donc la modélisation peut être comprise sous la forme suivante :
101 Simon Laflamme, « Les acteurs sociaux et la modélisation phénoménologique », op. cit., p. 144. 102 Ibid., p. 145.
45
Figure 2103
En proposant cette modélisation, Laflamme montre en quoi, à l’intérieur de leur propre
structure, les théories de l’action sont en conflit. Certes, on peut y trouver une consistance interne.
Mais cette qualité est quelque peu vaine dès lors que le modèle est confronté à l’univers pluriel et
complexe des interactions104, et comme le dit Laflamme : « […] le système est à ce point fermé et
103 Ibid.. 104 Mélanie Girard, Contribution à la critique des théories de l’action. Intention et émoraison, op. cit.; Mélanie
Girard, Relations humaines et production d’information : l’échange comme objet d’étude d’une approche
relationnelle, op. cit. ; Paul Jalbert, « Analyse du rôle de l’intention dans les échanges dyadiques » op. cit. ; Pierre
Bouchard, « Théorie de l’action et parcours de vie », op. cit. ; Jeannine Rousselle, La communication chez les
couples : une approche relationnelle, op. cit.
Essai de modélisation sociologique de la subjectivité humaine
Rationalité ↔ Non rationalité
ou
Niveau de rationalité
Intérêt ↔ Non-intérêt
ou
Niveau de l’intérêt
Conscience ↔ Non-conscience
ou
Niveau de conscience
Intention ↔ Non-intention
Stratégie ↔ Non-stratégie
46
ses catégories sont si idéologiquement chargées que le modèle analytique qu’il représente n’est
pas en mesure de réagir aux observations105 ».
Les faiblesses de la modélisation réclament un changement de paradigme. Les limitations
épistémologiques sont trop grandes pour être surmontées par de simples aménagements. Les
catégories analytiques sont en fait trop concrètes ; elles surdéterminent l’acteur ; elles déforment
le vécu alors qu’elles cherchent à expliquer l’action à partir de lui :
[…] les sociologies centrées sur l’individu sont analytiquement pauvres : elles
sont si près des acteurs concrets qu’elles éprouvent des difficultés
d’abstraction* ; elles sont trop idéologiques pour permettre à une sociologie
scientifique de comprendre l’individu** ; elles sont trop intentionnalistes, donc
causalistes*** ; elles sont par essence monadistes, ce qui leur donne
difficilement accès aux phénomènes sociaux complexes****.106
* La contrainte de faire reposer le social sur l’individu empêche, par exemple,
de se donner des objets le moindrement théorisés.
** Ce sont plus des plaidoyers en faveur de la liberté humaine que des
modélisations.
*** Depuis Weber, la vision intentionnaliste élevée en modélisation stratégique
fait en sorte que l’acteur se comprend dans une logique moyen-fin, ce qui donne
l’impression que l’action humaine se résume à un processus de cause à effet.
**** La compréhension de l’action à partir de la subjectivité produit l’illusion
d’un esprit qui agit en dehors du champ des relations humaines et des contraintes
structurelles ; elle rend donc impossible une approche dialectique.
Et elles n’ont pas la capacité de bien répondre à de telles critiques. Elles ne sont pas par elles-
mêmes capables de rendre compte du vécu humain, quelle que soit la théorie inscrite dans cette
modélisation, sinon de façon trop incomplète. Ce qu’il faut, ce n’est pas une remodélisation ou
une restructuration des concepts des théories de l’action, mais une approche épistémologique qui
105 Simon Laflamme, « Les acteurs sociaux et la modélisation phénoménologique », op. cit., p. 140. 106Ibid., p., 139.
47
permettra la construction de catégories analytiques qui, elles, pourront faire le lien entre la théorie
et ce qui est observé.
Nous terminons cette section en affirmant que la modélisation qu’a offerte la sociologie pour
comprendre l’acte est fondée sur les postulats d’un acteur intéressé et rationnel, ce qui pose des
problèmes au niveau épistémologique et au niveau pratique. Au centre de cette modélisation se
trouve l’acteur qui est autosuffisant dans la mesure où il n’est contraint que par sa raison, mais,
finalement, qui est esclave de sa raison. Comme on le voit, les théories de l’action sont remplies
d’exceptions et de nuances directement liées à ce paradoxe.
1.1.7 Théories de l’action : De l’épistémologie à la connaissance
Dans les sections précédentes de ce texte, nous avons abordé en grande partie les limites
épistémologiques de cette théorisation. Dans cette section, nous nous attardons sur le rapport entre
les théories de l’action et le vécu. En fait, on remarque qu’elles font deux choses lorsqu’elles se
heurtent à des observations qui vont à l’encontre de leurs assises théoriques : soit elles laissent
tomber certains éléments, soit elles tentent d’offrir des explications qui se montrent inconsistantes
avec leur propre encadrement théorique.
1.1.7.1 Vérifications empiriques de l’intention
Comme on l’a vu plus tôt, l’intention est une notion essentielle dans la modélisation des
théories de l’action. C’est elle qui fournit l’énergie aux échanges, qui assure le mouvement des
48
interactions. Mais Girard, Laflamme et Rogerro remettent en question la validité de la notion
persistante d’un acteur intentionné107. Ils écrivent :
Mais la question se pose de savoir si l’agir humain est si nécessairement, si
universellement intentionnel. On notera au passage que l’approche
phénoménologique ne conçoit à cet égard aucune variation selon quelque référent
exogène que ce soit. L’humain, toujours et partout, parce qu’il est humain, fait ou
dit quelque chose parce qu’il en a préalablement l’intention. Même les relations ne
sont aucunement perçues comme génératrices des gestes et des propos puisque
l’acteur doit toujours avoir la capacité d’agir intentionnellement. On peut alors se
demander si, en mettant ainsi l’accent sur la subjectivité, on ne s’empêche pas de
comprendre l’humain dans les relations qu’il entretient avec les autres, avec le
monde, relations sans lesquelles, par ailleurs, il ne peut y avoir de conscience
même108.
Leur travail remet en question l’étendue de la portée de la notion d’intention. Dans un premier
temps, ils soulèvent les similitudes entre les diverses incarnations des théories de l’action et la
mise en fonction de la notion d’intention ; dans un second temps, ils remettent en question cette
universalité qui fait en sorte qu’on doive aussi remettre en question les théories qui adoptent cette
modélisation comme encadrement pour comprendre l’acte.
Jeannine Rousselle109 a effectué une recherche en 2003 dont le but était de comprendre la
communication à l’intérieur des couples à partir d’une modélisation relationnelle. L’échantillon
de cette recherche se composa de vingt couples canadiens francophones qui soit étaient mariés soit
vivaient en cohabitation, dix couples ayant été recrutés à partir d’une clinique de thérapie et dix
autres ayant été sélectionnés parce qu’ils ne présentaient pas de difficultés conjugales apparentes
107 Mélanie Girard, Simon Laflamme et Pascal Rogerro, « L’intention est-elle si universelle que ne le prétendent les
théories de l’action ? », Nouvelles perspectives en sciences sociales. Revue internationale de systémique complexe et
d’études relationnelles, op. cit. 108 Ibid., p. 120 109 Jeannine Rousselle, La communication chez les couples : une approche relationnelle, op. cit.
49
ou déclarées. Rousselle a mené des entrevues semi-dirigées avec chaque membre de chaque couple
séparément pour ensuite avoir des entretiens, semi-dirigés également, mais avec les deux membres
de chaque couple en même temps. Ce qu’elle a trouvé est remarquable. Elle conclut que le couple
n’est pas simplement la relation entre deux personnes, il est une entité en lui-même, une espèce de
troisième personnage. Elle conclut : « Chaque partenaire intervient sur le couple et le couple même
agit sur chacun des conjoints, simultanément considérés110 ». Donc, le couple se crée à mesure que
la dynamique de la relation se développe. Le phénomène met ainsi en lumière la nécessité du
recours à la notion d’historicité pour bien comprendre ce qui se produit. Le couple évolue et cette
évolution est un mouvement dans sa propre création. L’histoire est importante aussi parce qu’elle
oblige à comprendre le couple comme résultat d’un passé, mais aussi parce qu’elle est processus.
Rousselle a aussi conclu que les problèmes de couples ne peuvent être renvoyés qu’à une
logique qui transcende le social. Les individus sont en relation et ils sont en relation avec le couple.
Cette affirmation nécessite qu’on reconnaisse la nature sociale de l’être, et si l’être est
nécessairement social, c’est qu’il doit être à la fois historique et émorationnel. La modélisation
relationnelle s’est révélée un outil efficace pour saisir les relations de couples et, en réalisant cette
tâche, elle a montré, inversement, qu’elle est la modélisation nécessaire pour comprendre l’acte.
Pierre Bouchard a aussi effectué une recherche dans une optique relationnelle. Il s’est intéressé
au rôle de l’intention dans les parcours de vie. Il a constaté que les théories de l’action ne se
montrent pas efficaces en tant qu’outil pour comprendre, prédire, ou même saisir, comment se
réalise une vie. Bouchard a effectué trente entretiens semi-dirigés avec des Franco-Ontariens pour
connaître les projets dans lesquels ils sont impliqués. L’entrevue avait pour fin d’obtenir des
110 Ibid., p. 100.
50
données sur la manière dont ces individus sont arrivés à être impliqués dans leurs activités de tous
ordres : familial, communautaire ou professionnel. Bouchard découvre que les projets
qu’entreprennent les personnes sont le résultat de nombreux facteurs, chacun contribuant à sa
façon. Bouchard écrit à propos des théories de l’action et des résultats de sa recherche ce qui suit :
Ces modèles considèrent l’action comme « moyen » utilisé par l’acteur pour
satisfaire ses intérêts. Pour comprendre l’action, il s’agit de s’interroger sur la
rationalité de l’acteur dans l’action. L’acteur calcule tout, l’acteur a l’intention
d’entreprendre cette activité, l’acteur est libre. Cette nécessité de préserver la
rationalité de l’acteur dans l’action perpétue la compréhension chimérique de
l’action. L’analyse des résultats empiriques dans cette recherche met en évidence
les limites de cette rationalité de l’acteur. Suite à ces démonstrations, il est
nécessaire, pour les sciences sociales, de se dégager des modèles d’analyse de
l’action qui ont comme postulat une rationalité exclusive. L’interprétation des
données montre bien qu’on abuse de la notion, qu’on déforme la réalité quand
on prétend que l’acteur est rationnel, autonome, libre, intentionné, et motivé par
ses intérêts. Il s’agit là, au mieux, d’éventualité ; on n’a certainement pas affaire
avec une loi111.
Sa recherche montre bien en quoi les limites des théories de l’action n’arrivent pas à ouvrir la
porte à la connaissance de l’acte. L’intention, l’intérêt et la raison ne se sont pas montrés aptes à
saisir la réalité du vécu. Et cela devrait être évident ! Comment réduire une vie, voire un projet de
vie, à une psyché individuelle ? Que les liens qu’entretient une personne avec celles qui l’entourent
et que les réalités de son contexte soient réduites à une intention, cela rend déjà la modélisation
absurde.
Girard112 a effectué une recherche en 2004 qui a permis de constater encore une fois que
l’intention n’est pas déterminante des propos échangés entre interlocuteurs. Sa recherche portait
111 Pierre Bouchard, « Théorie de l’action et parcours de vie », op. cit, p. 109. 112 Mélanie Girard, Relations humaines et production d’information : l’échange comme objet d’étude d’une
approche relationnelle, op. cit.
51
sur des participants engagés deux à deux dans une discussion enregistrée sur vidéocassette d’une
durée d’environ 20 minutes. Le thème de la discussion fut le mariage. Girard posait la question
suivante aux participants : « Que pensez-vous du mariage ? »113 Les propos qui ont émergés durant
ces échanges ont fait l’objet d’une analyse. Girard a pu tirer trois conclusions importantes de son
travail de recherche. D’abord, elle a noté que : « […] les propos dépendent davantage d’un effet
d’ajustement ou de complémentarité que d’une intention quelconque114 ». Ensuite, elle a pu
affirmer que l’émotion était [dans les propos observés]: « […] directement repérable dans la
majorité des cas, de façon indirecte dans les autres115 ». Finalement, Girard a pu conclure que les
propos observés témoignaient de l’effet de l’historicité et de la socialité, notions qui sont inhérentes
à une modélisation relationnelle. Elle affirme :
Puisque, donc, le modèle utilisé s’articule autour des concepts de socialité et
d’historicité chez un être émorationnel, que ce même être s’exprime à partir de
réactions et que ces réactions portent des émotions ; dans la mesure où le modèle
se veut intégrateur et ses concepts interreliés et interdépendants, nous pouvions
nous attendre à retrouver, dans ces émotions, des traces à la fois de socialité et
d’historicité. C’est précisément ce qui se produisit : dans presque tous les cas à
l’étude, à l’exception de deux, les émotions observées relevaient en partie de la
socialité, c’est-à-dire de composantes relatives au caractère social de l’agent lui-
même en tant qu’être social et socialisé, d’éléments se rapportant au caractère de
la relation comme telle dans la mesure où elle se concrétise dans la socialité, et,
finalement, de caractéristiques propres à l’échange lui-même, spécifiquement,
en tant que construction sociale localisée à un moment et dans un espace
précis116.
Les conclusions qu’elle tire de son travail de recherche nous obligent, comme le font les
travaux précédents, à remettre en question la modélisation actionnaliste. D’un côté, ses appuis
113 Ibid., p. 65. 114 Ibid., p. 203. 115 Ibid., p. 204. 116 Ibid., p. 207.
52
empiriques montrent bien que, fondamentalement, la relation est ce en quoi réside la possibilité
d’en comprendre les manifestations. L’intention, l’intérêt et la raison ne se sont pas montrés
efficaces comme outils de compréhension de la dynamique qui se produisait entre les
interlocuteurs. Plutôt, un échange fluide a émergé qui témoignait d’émotions, inscrites dans un
contexte sociohistorique.
Dans un travail que nous avons effectué antérieurement117, nous avons montré que la trace de
l’intention est parfois difficile à suivre dans des échanges entre interlocuteurs qui sont pourtant
munis de buts. Au cas où Girard aurait eu affaire à des acteurs non intentionnés − ce qui se voudrait
une impossibilité théorique selon ce que réclament les théories de l’action –, nous avons mené une
recherche où les buts étaient donnés aux participants, ce qui nous rassurait sur le fait que nous
avions en effet affaire à des participants intentionnés. Dans cette recherche, les participants pris
deux à deux jouaient un rôle dans trois conditions possibles : soit que les deux participants se soient
fait assigner un but, soit qu’aucun participant n’ait eu de but, soit qu’un seul des deux participants
en ait eu un. Même dans ces conditions, la trace de l’intention n’était pas évidente. Les échanges
entre les interlocuteurs pouvaient être mieux expliqués à partir de la dynamique qui se produisait
entre eux que par l’intention. Cela était vrai dans les trois conditions.
Comment, autrement, aurions-nous pu nous attendre à comprendre l’échange ? C’est bel et
bien un échange ! Il y a une relation qui se produit, à travers ce qui est échangé, qui fait que l’un
doit prendre en considération ce que l’autre lui offre. Sinon, il n’y aurait aucune façon de se
comprendre. Une personne purement intéressée et intentionnée, qui tient compte de ce que son
partenaire lui offre dans l’échange, se trouverait, effectivement, en conversation avec elle-même
117 Paul Jalbert, « Analyse du rôle de l’intention dans les échanges dyadiques », op. cit.
53
puisque son partenaire n’aurait aucune valeur. On pourrait s’imaginer deux personnes qui tentent
d’avoir une conversation, chacune n’écoutant pas ce que l’autre a à offrir. On y trouverait deux
conversations séparées, parallèles, et sans sens. La fluidité de l’échange nécessite que l’intention
ne joue pas le rôle qu’on lui accorde dans la théorie. Les échanges ont une plus grande souplesse
que ne peut la produire une personne purement intentionnée et intéressée. Et même si on y insérait
la notion de degré d’intention. Cette notion veut jouer le rôle de médiateur pour modifier la rigidité
encombrante du concept. Mais, même avec elle, l’intention reste une intention et la théorie ne
parvient pas à faire place à une humanité minimalement relationnelle ; elle n’arrive pas à éliminer
suffisamment d’exceptions pour atteindre une compréhension de l’acte à l’extérieur de la relation.
Girard118 a aussi montré dans un travail ultérieur que retrouver la trace d’une intention dans un
échange n’est pas toujours évident. Un échange est dynamique, voire fluide, et il n’est pas dominé
par une intention, ce qui le rendrait rigide, puisque l’intervention d’un agent communicant ne
consisterait qu’à faire avancer l’intention. Pour repérer l’intention, au lieu de s’en remettre à des
échanges libres, Girard s’est penchée sur des discussions dans des comités, au Canada et en France.
En entreprenant l’analyse des discours durant des rencontres de comités, Girard a cherché le lieu
où se manifestait l’intention en comparant la dimension culturelle et la taille du groupe. Sa
recherche montre que l’intention est difficilement repérable à l’intérieur des échanges qu’elle a
observés quelles que soient la taille du groupe ou la culture. Si nous tenons pour acquis que
l’intention doive se révéler à l’intérieur de ces échanges pour qu’elle puisse avoir une concordance
avec ce qu’offre la théorie, nous devons conclure, comme l’a fait Girard, que la communication
118 Mélanie Girard, Contribution à la critique des théories de l’action. Intention et émoraison, op. cit.
54
entre interlocuteurs est beaucoup moins l’expression d’une intention qu’elle est le résultat de la
dynamique qui se produit entre les individus. Elle conclut finalement :
1) Le modèle des théories de l’action ne peut pas être appliqué, tel qu’il est, à
l’action humaine : dans sa construction même, on peut déjà soulever
d’importantes fautes de logique, de la confusion des niveaux sémantiques qui
appellent un important remaniement des concepts, […] empiriquement, n’est pas
confirmé ce qui est annoncé par la théorie. La communication ne s’explique pas
en fonction de l’intention, ou de l’intérêt ou de la stratégie et ne s’explique donc
pas en fonction de la stricte conscience ou de la stricte rationalité. Il y a, dans les
échanges, intention, intérêt et stratégie, mais lorsqu’ils sont présents, leur
manifestation ne correspond pas à la définition qu’en donnent les théories de
l’action ; ils renvoient à une intention qui se modifie ou qui naît de la dynamique,
à un intérêt collectif, à une stratégie mouvante... ils renvoient donc tous à la
dynamique plutôt qu’au concept lui-même, dans son sens strict. Et dans cette
dynamique, on voit se construire des rapports qui rappellent les dimensions
rationnelle et émotive d’acteurs sociaux dont l’histoire personnelle se confond à
celle du groupe, tout en gardant sa part d’individualité ; où des symboliques sont
partagées tout en dessinant le rapport spécifique de l’individu à son monde ; où
des projets naissent, qui se transforment, se précisent, prennent forme dans les
interactions. 2) Même quand on tient compte de déterminants externes tels que
le thème de l’échange, les enjeux qui s’y rattachent, le nombre d’individus dans
le groupe, la taille de ce groupe ou le fait que la rencontre soit ou non
accidentelle, on ne voit pas augmenter ou diminuer le nombre de propos
réellement intentionnels ‒ c’est-à-dire intentionnels au sens où l’entendent les
théories de l’action ‒, le nombre d’acteurs dont les interventions ne seraient
qu’orientés vers la réalisation d’un projet ; et on ne peut certainement pas
affirmer que l’action s’explique en fonction d’une intention. 3) Même si l’on
ajoute un autre registre de déterminants externes qui, lui, renferme des variables
sociodémographiques ou des croyances ou des attitudes sociopolitiques, on ne
peut affirmer que la présence de l’intention varie en fonction d’eux ; et encore
moins que la communication est réductible à l’intention119.
119 Mélanie Girard, Contribution à la critique des théories de l’action. Intention et émoraison, op. cit., p. 433.
55
Ce qu’on peut finalement en tirer est que les théories de l’action n’ont pas la hauteur
épistémologique pour saisir l’acte dans toute sa complexité ; leurs hypothèses, non plus, ne
résistent pas à une observation, si généreuse soit-elle.
1.1.7.2 Les dimensions perdues
Comme nous l’avons signalé plus haut, plusieurs lacunes théoriques font en sorte que nous
devons remettre en question la modélisation de l’action au cœur de laquelle trône un acteur
rationnel, et donc, intentionné. Nous avons aussi offert, dans les sections précédentes, une critique
des travaux qui tentent de comprendre l’acte sans jamais adopter d’outils pour le faire
efficacement. Il importe maintenant de souligner les dimensions auxquelles ne peuvent accéder les
théories de l’action.
À un premier niveau, l’être trouve son identité dans le langage. Comme Laflamme
l’explique : « Être, pour l’humain, c’est communiquer par le langage. Tout ce qui est humain n’est
pas communication par le langage, mais il n’y a pas d’humanité sans communication par le
langage120 ». On peut aussi songer à Quéré quand il affirme : « Il est effectivement nécessaire
d’admettre que les faits, les événements et les états de choses dont nous faisons l’expérience sont
toujours donnés dans le langage121 ». La possibilité qu’il y a de produire un dialogue médiatisé
rend l’être humain unique et lui accorde cette distinction qui prend en considération sa capacité
d’abstraction et qui fait en sorte que l’être puisse ‒ et il le fait continuellement ‒ intervenir sur lui-
même. Si on accepte que le langage dépasse une simple symbolique et que l’humanité est
120 Simon Laflamme, Communication et émotion : essai de microsociologie relationnelle, op. cit, p. 38. 121 Louis Quéré, Des miroirs équivoques, op. cit., p. 21.
56
imbriquée en elle, on doit aussi affirmer que l’être est fondamentalement relationnel. La notion de
langage doit donc nécessairement conduire vers une conception relationnelle de la personne. C’est
dans la relation qu’elle peut prendre son sens. L’être humain se positionne face aux symboles, mais
ces symboles n’arrivent pas avec une vérité inhérente. Certes, ils ont un sens, et l’être humain, en
relation avec ce sens, avec son environnement, avec la qualité historique de son existence, les
oblige à agir et à intervenir sur lui-même. Les oblige, parce qu’il ne peut s’en soustraire. Mais, la
personne peut intervenir sur cette réalité, et donc construire son histoire. Et en le faisant, elle se
renouvelle.
Cette conclusion d’une humanité fondée dans le langage et la communication rappelle que
l’être humain est donc nécessairement lié à l’autre, qu’il est donc, aussi, nécessairement social.
L’être humain n’est plus que déterminé ; il a aussi la capacité d’intervenir sur lui-même, moins
comme individu autonome que comme personne déterminée par l’historicité et la socialité. Et si
on accepte ce postulat, on doit aussi accepter que la perte de cette dimension dans quelque
théorisation la rende impuissante quand viendra le moment d’appréhender l’acte. Cette dimension
sociale est une évidence qui n’a pas de place dans les théories de l’action, mais qui constitue un
des principes fondamentaux dans une modélisation relationnelle.
À un deuxième niveau, si la personne doit être comprise à l’intérieur d’une modélisation qui
inclut une dimension sociale, elle fait appel nécessairement à la notion d’historicité. Cette
historicité veut que l’humain soit un projet continuellement en développement, s’identifiant à
mesure qu’il avance, qu’il vit. C’est une notion qui fait basculer les propos d’un être fini, linéaire,
qui vit dans la logique, en l’absence de la socialité, où sa capacité décisionnelle serait
rationalisation extrahumaine, dépourvue de ses qualités. Nous reviendrons sur cette question un
57
peu plus loin. Mais, on peut se servir de l’interactionnisme symbolique de George Herbert Mead122
à des fins d’exemple. Mead a fait état de la nature sociale de l’humain. Mead, en outre, est l’un
des premiers auteurs à souligner l’aspect nécessairement historique de l’acteur. Il a compris que
l’acteur ne pouvait être autre que social et que cette socialité le rendait nécessairement historique.
Et si l’humain est nécessairement social et historique, c’est qu’il est nécessairement relationnel.
L’humain ne peut se soustraire aux relations à travers lesquelles sa vie se dessine.
1.2 Évolution théorique
Même chez les auteurs qui persistent dans la logique des théories de l’action, on note souvent,
nous l’avons signalé, des hésitations, explicites ou implicites. Chez les autres, la critique est
manifeste : chez Girard, Laflamme, Jalbert, Bouchard et Rousselle : inadéquation empirique et
défaut de complexité. Pour ces raisons, il nous semble souhaitable d’oser une modélisation
relationnelle.
1.2.1 Vers une modélisation relationnelle
Pascal Roggero123 fait aussi état des qualités de l’analyse relationnelle. En s’inspirant de la
systémique et de la complexité morinienne, Roggero explore le rôle des notions de pouvoir et de
coopération entre agents dans la compréhension de l’acte124. En plus d’avoir construit un bon
nombre de simulations pour vérifier ses hypothèses, Roggero125 y est allé de travaux sur le terrain.
Roggero maintient prudemment sa contribution théorique à l’intersection d’une approche
122 George Herbert Mead, L’esprit, le soi et la société, Paris, PUF, 1963. 123 Pascal Roggero, « De la complexité en sociologie. Évolutions théoriques, développements méthodologiques et
épreuves empiriques d’un projet sociologique », Mémoire pour l’habilitation à diriger des recherches en Sociologie,
Toulouse, 2006. 124 Matthias. Mailliard, Pascal Roggero et Christophe Sibertin-Leblanc, « Un modèle de la rationalité limitée des
acteurs sociaux », dans Vincent Chevrier et Marc-Philippe Huguet (dir.), Systèmes multi-agents : articulation entre
l’individuel et le collectif, Paris, Hermès Lavoisier, 2006, p. 95-98. 125 Pascal Roggero, « De la complexité en sociologie », op. cit.
58
relationnelle et des théories de l’action. Il y a chez lui des « dynamiques » ou des « relations » de
même que des « acteurs » ou des « intentions », bien qu’il critique fréquemment ce second
vocabulaire126.
Luhmann offre une contribution importante sur la théorie des systèmes127, tout en
reconnaissant les dangers d’une modélisation qui se voudrait surdéterminante de la personne.
Luhmann reconnaît la notion de relation comme nécessaire à sa modélisation. Il cherche à intégrer
cette notion dans une modélisation de système d’interrelations. Cependant, à l’intérieur d’une
modélisation fondée sur la théorie des systèmes, ces interrelations deviennent brusquement
complexes et Luhmann se trouve avec un problème au niveau de la complexité. La relation n’est
pas vue comme une catégorie analytique, mais bien comme une catégorie discrète. Ne pouvant se
sortir de ce dilemme, Luhmann n’arrive pas à prendre un recul qui lui permettrait d’arriver à une
modélisation qui pourrait effectivement s’ouvrir au champ de possibilités d’une telle modélisation.
Comme le dit Bagaoui :
[…] malgré sa tentative d’éliminer le sujet humain de l’analyse, il ne fait que
transférer les qualités humaines à son objet d’étude. Le système devient lui-
même un sujet agissant et réflexif. Il agit, sélectionne l’information, délimite ses
frontières, fait l’autodescription de lui-même, etc. Ensuite, le caractère abstrait
de son œuvre, reconnu par tous les commentateurs, n’est en réalité qu’une simple
description empirique de nos sociétés. Le niveau d’abstraction se situe plutôt au
niveau langagier qu’au niveau scientifique, dans la construction d’un modèle
abstrait conformément aux exigences de la science128.
126 Mélanie Girard, Simon Laflamme et Pascal Rogerro, « L’intention est-elle si universelle que ne le prétendent les
théories de l’action ? », op. cit. 127 Niklas Luhmann, Systèmes sociaux. Esquisse d’une théorie générale, Québec, Les Presses de l’Université Laval,
2010. 128 Rachid Bagaoui, « Un paradigme systémique relationnel est-il possible ? Proposition d’une typologie
relationnelle ». Nouvelles perspectives en sciences sociales. Revue internationale de systémique complexe et
d’études relationnelles, vol. 3, no 1, 2007, p.151-175, page 171.
59
Luhmann accepte la nature sociale de la personne, mais n’assume pas toujours les
conséquences de cette affirmation. Il en fait un être qui est tantôt intrinsèquement lié à l’autre et
tantôt qui ne l’est pas. La notion de communication est néanmoins un élément fondamental dans
sa modélisation. Il affirme, d’une part, que la personne émettant le message ne nécessite pas une
réciprocité de la part du récepteur du message. Luhmann affirme : « Mais accepter et refuser une
sélection exigée et comprise ne font pas partie de l’événement communicationnel. Ce sont des
actes subordonnés129 ». Cette citation fait état du caractère que Luhmann accorde à la
communication. Elle n’est pas simplement une transmission d’informations, elle prend assurément
une valeur plus grande dans et par le lien qu’elle crée entre les personnes. Malgré cela, Luhmann
se méfie du danger d’une modélisation où la communication occupe un rôle privilégié. Il s’inquiète
ouvertement des corollaires de ce que voudrait dire un être essentiellement communicationnel.
Donc, il ne se permet pas de l’inscrire dans un contexte essentiellement communicationnel.
L’acteur, chez Luhmann, demeure plutôt un être alternant entre le besoin de communiquer et la
nécessité de communiquer. On peut reconnaître cette alternance lorsqu’il affirme au sujet de sa
modélisation :
Un système de communication de cette sorte ne donne aucunement l’illustration
que la communication est autosuffisante. Déjà la structure triadique de la
communication empêchera cela. On communique sur quelque chose, et l’on
communique seulement exceptionnellement sur la communication. Une
communication externe est constamment présente comme information ; si la
communication l’oubliait, elle se rappellerait d’elle-même. Elle pourrait
seulement se reproduire comme expérience et comme action du traitement de
l’information. La fermeture des relations de communication récursive n’a pas,
par conséquent, la fonction de libérer de l’environnement. Elle est et demeure
dépendante des capteurs qui transmettent l’environnement. Ces capteurs sont des
129 Niklas Luhmann, « Systèmes sociaux. Esquisse d’une théorie générale », op. cit., p. 196.
60
êtres humains dans le sens plein de leur interpénétration, comme systèmes
psychiques et systèmes corporels.130
Luhmann ne parvient jamais à construire des catégories analytiques qui pourraient lui
permettre de sortir de son dilemme théorique. Il reconnaît que la notion de la relation est
fondamentale dans la modélisation, mais n’arrive pas à se libérer des contraintes qu’il s’impose en
n’assumant pas les postulats qui surgissent lorsqu’on conclut que l’être est fondamentalement
communicationnel. Il alterne entre une perspective réductionniste de la complexité et le besoin de
cette complexité pour expliquer ce qui est observé. Tout en acceptant l’importance de la relation
et de la socialité − et par corollaire, la communication − il n’assume jamais la totalité des
conséquences de cette affirmation. Il continue à apporter des modifications à une modélisation qui
se montre toujours incapable d’arriver à la hauteur théorique qui est requise pour faire le lien entre
la théorie et l’observation. Une modélisation où l’intention est comprise à l’extérieur de la relation
s’est déjà montrée incapable de faire le lien que Luhmann voudrait établir. La relation est le lieu
où émerge cette intention. Elle est fondamentale pour comprendre les observations qui sont faites
de la personne et pour les interpréter avec justesse.
Mark Granovetter ouvre son texte intitulé Sociologie économique en affirmant que « La théorie
sociologique souffre en général d’une faiblesse essentielle : elle n’est pas capable de relier de
manière convaincante les interactions microsociales et les phénomènes macrosociaux131 » . Or, il
continue en soutenant que « […] des réseaux interpersonnels constituent un moyen très efficace
130 Ibid., p. 485. 131 Mark Granovetter, Sociologie économique, Paris, Seuil, 2010, p. 45.
61
pour relier les niveaux micro et macro132 ». Granovetter insère la notion de relation dans sa
modélisation parce qu’il reconnaît que, d’une part, on n’arrive pas à faire le lien efficacement entre
la théorie et l’observation et que, d’autre part, la relation est le lien où l’ouverture à la
compréhension a lieu. La personne n’est plus asociale. Elle est dans un contexte, reliée à l’autre.
En la liant à l’autre, Granovetter ouvre la porte à une modélisation qui pourra dépasser les limites
de la modélisation des théories de l’action. L’acte se développera dans un contexte qui est, à partir
de cette formulation, nécessairement sociohistorique. Cette affirmation fait en sorte qu’on ne peut
plus accepter la notion que l’acte soit déterminé a priori ; l’acte est un mouvement en évolution.
Rachid Bagaoui133 affirme deux choses que nous croyons importantes dans notre analyse.
D’abord, il postule qu’une modélisation relationnelle ne peut être réduite à l’acteur. Une
modélisation qui a en son centre l’acteur est destinée à l’échec puisque l’acte ne peut être compris
en termes de volonté. Bagaoui écrit :
Une sociologie relationnelle, telle que je la conçois, s’inscrit dans la philosophie
de la non-conscience. Cela signifie qu’une analyse en termes relationnels ne doit
pas réduire le social à une question de volonté personnelle, à de l’arbitraire
individuel, à une intention subjective des acteurs, à l’idée d’une conscience claire
de l’action ou à l’idée de poursuite de l’intérêt comme fondement de l’action134.
C’est vraiment dans la relation que se déclare la connaissance. Ce n’est pas à partir d’une
perspective individualiste qu’on peut s’attendre à comprendre la complexité de ce qui est présenté
dans les observations. Cette perspective n’est réductionniste ni dans sa théorisation de la personne
132 Ibid., p. 45. 133 Rachid Bagaoui, « La sociologie relationnelle comme principes structurants et comme théories sociales », op. cit. 134 Ibid., p. 26.
62
ni dans sa capacité de rendre compte de ce qui est observé. Elle n’est pas surdéterministe dans la
mesure où elle postule que c’est dans le social que se révèle la dynamique des échanges.
Ensuite, il suggère que même ceux qui ont abordé des questions sociologiques à partir d’une
modélisation relationnelle n’ont jamais assumé la totalité des implications de leurs postulats.
Bagaoui continu en disant :
Je crois que même le relationnisme, qui insiste pourtant sur l’étude des relations
sociales, mutile l’analyse relationnelle lorsqu’il réduit ces relations à des simples
subjectivités. Par exemple, la sociologie ne pourra saisir, dans sa complexité, un
rapport social, comme celui qui oppose le patronat et le syndicat, si cette
contradiction est ramenée, dans l’analyse, à de simples rapports subjectifs entre
sujets animés par des motivations, des intentions, etc.135.
C’est donc en acceptant la possibilité que l’acte s’inscrive dans un cadre social qu’il devient aussi,
et nécessairement, historique. Il devient historique puisqu’il peut maintenant intervenir sur la
dynamique qui se produit dans les échanges. Et si l’acte apparaît dans une dynamique qui est
nécessairement sociale et historique, c’est que l’acte ne découle pas de la simple raison, donc qu’il
élève l’humain au-delà de la raison, vers l’émoraison136.
Selon Claude Vautier, Mustafa Emirbayer, auteur incontournable de la sociologie
relationnelle, est un des trois sociologues prônant l’approche relationnelle, les deux autres étant
Simon Laflamme137 et Pierpaolo Donati138. Emirbayer propose surtout deux choses dans son texte
135 Ibid., p. 26. 136 Simon Laflamme, Communication et émotion : Essai de microsociologie relationnelle, op. cit. 137 Ibid. ; Simon Laflamme, La société intégrée. De la circulation des biens, des idées et des personnes, New York,
Bern, 1992 ; Simon Laflamme et Rachid Bagaoui, « Don, raison et émotion », Revue de l’institut de sociologie, nos
1-2, vol. 2005, p.201-222. 138 Pierpaolo Donati, Relational Sociology: A New Paradigm for the Social Sciences, New York, Routledge, 2012.
63
Manifesto for a Relational Sociology139. Premièrement, il suggère que la sociologie contemporaine
se débat entre deux visions.
Sociologists today are faced with a fundamental dilemma: whether to conceive
of the social world as consisting primarily in substances or in processes, in static
“things” or in dynamic, unfolding relations. Large segments of the sociological
community continue implicitly or explicitly to prefer the former point of view.
Rational-actor and norm-based models, diverse holisms and structuralisms, and
statistical “variable” analyses – all of them beholden to the idea that it is entities
that come first and relations among them only subsequently – hold sway
throughout much of the discipline. But increasingly, researchers are looking for
viable analytic alternatives, approaches that reverse these basic assumptions
and depict social reality in dynamic, continuous, and processual terms140.
Pour Emirbayer, il est clair que la sociologie est prise dans une épistémologie qui n’a pas la
puissance d’appréhender l’acte. La construction de catégories analytiques lui semble comme étant
une alternative avec des possibilités de recherche qui dépassent les limites de la sociologie
contemporaine. L’incapacité des théories de l’action, tant sur le plan épistémologique que sur le
plan pragmatique, de donner accès à une compréhension qui est en concordance avec l’humain
observable motive cette volonté de rechercher de nouvelles modélisations qui, elles, auront la
possibilité d’appréhender l’acte dans sa dynamique et ne seront pas enfermées dans une
phénoménologie incapable d’intégrer la relation dans la modélisation et, comme le dit Laflamme,
les théories, alors, ne seront pas obligées : « […] de s’édifier sur cette subjectivité141 ». Emirbayer
semble en convenir : « Relational theorists reject the notion that one can posit discrete, pre-given
139 Mustafa Emirbayer, « Manifesto for a Relational Sociology », The American Journal of Sociology, vol. 3, no 2,
1997, p. 288-317. 140 Ibid. p. 281. 141 Simon Laflamme, « Les acteurs sociaux et la modélisation phénoménologique », op. cit., p. 140.
64
units such as the individual or society as ultimate starting points of sociological analysis (as in the
self-actional perspective)142 ».
Deuxièmement, Emirbayer suggère que l’approche relationnelle peut servir d’outil pour
comprendre les grandes thématiques de la sociologie contemporaine. Il affirme : « To begin with,
the central concepts in sociological analysis – for example, power, equality, freedom, and agency
(to mention several of the most pervasive) – are themselves open to reformulation in terms of
relational thinking143 ». Il suggère non pas seulement que l’approche relationnelle ouvre les
chantiers vers la création de catégories analytiques qui contourneraient les obstacles limitant les
théories de l’action, mais que c’est là carrément une autre façon de traiter les questions importantes
de la sociologie actuelle. Donc il ne se limite pas à une réflexion sur la façon dont l’approche
relationnelle pourrait être utile aux théories de l’action, il s’interroge aussi sur la manière dont les
ouvertures qu’elle crée sont propices à la recherche empirique.
Pierpaolo Donati suggère : « To fully comprehend the meaning of the relational paradigm it
is necessary to delve deeper into the historical problem from which it originates, namely, the
progressive distancing over time between the ‘human’ and the social144 ». On peut voir que, pour
Donati, une sociologie qui transige dans une phénoménologie centrée sur le sujet crée une rupture
avec la réalité du vécu qui ne peut être surmontée qu’en faisant deux choses : 1) inscrire l’être dans
un contexte social puisqu’il est nécessairement social et 2) déplacer le lieu de la connaissance du
sujet sur le sujet vers un lieu de connaissance fondé sur la relation.
142 Mustafe Emirbayer, « Manifesto for a Relational Sociology », op. cit., p. 287. 143 Ibid., p. 291. 144 Pierpaolo Donati, « Relational Sociology: A New Paradigm for the Social Sciences », op.cit, p. 22.
65
Pour Donati, il y a aussi un deuxième problème en sociologie, celui de la séquence. Il perçoit
que le problème de la sociologie actuelle se trouve là où la relation suit l’individu et n’assume pas
que l’individu est toujours en relation a priori. Il dit : « [...] the observer (the social scientist) takes
for granted that the concept of relations qua talis is not of first importance, but must come “after”
the terms that it connects145 ». L’explication des sources de ce défaut dépasse les besoins de ce
texte ; mais il suffit, pour Donati, de dire que l’individu est toujours en relation, et les postulats qui
doivent nécessairement en découler ne sont pas pris en ligne de compte dans les recherches qui
ont un encadrement théorique fondé sur les théories de l’action. La relation est le lieu de la
connaissance puisque l’être humain est nécessairement toujours en relation. Il est déformé en
quelque chose qui n’est pas un être en lui-même. Une modélisation qui conçoit l’individu comme
étant asocial, donc extirpé de la relation, ne peut comprendre ce qu’est le vécu et appréhender
l’action avec justesse.
1.3 Les fondements de la modélisation relationnelle
On verra dans cette section comment les notions de socialité, d’historicité et d’émoraison
interagissent et nous nous acheminerons vers une modélisation qui conduira vers une plus grande
puissance épistémologique, ce qui nous fournira un meilleur appareillage conceptuel pour
appréhender l’acte dans sa complexité.
145 Ibid., p. 25.
66
1.3.1 La dynamique en action
L’empirie montre qu’une conceptualisation de l’acteur comme étant rationnel et intentionné
ne peut être réconciliée avec ce qui est observé dans la réalité, dans un trop grand nombre de cas.
On remarque, plutôt, un monde dynamique et fluide qui résiste à la possibilité d’une conception
de l’être inscrite dans un modèle linéaire et déterministe, même autodéterminsite. Les discours
observés entre interlocuteurs font état d’une dynamique qui dépasse en complexité ce que peuvent
expliquer les théories qui se trouvent à l’extérieur d’une modélisation relationnelle. Les propos
observés révèlent une réciprocité dans les échanges, mais qui va bel et bien au-delà de cela. Ils
font état d’une communication inscrite dans une histoire qui rend possible cet échange. C’est une
historicité qui permet aux agents communicants d’intervenir sur eux-mêmes et qui ouvre sur la
vérité de la dynamique de l’échange. Le langage lui-même fait état d’une socialité inhérente. Le
langage véhicule un message tant dans sa capacité symbolique que par son existence même qui est
en soi un monument de la socialité. Donc les discours dépassent les valeurs que nous pouvons leur
accorder en tant que contribution empirique, ils foncent carrément dans le domaine de la nature de
l’acte, qui est sociale et nécessairement relationnelle.
On doit aussi conclure que la raison et l’émotion, chez l’humain, ne sont pas deux composantes
séparées. Elles sont entremêlées. L’humain peut bien utiliser la raison pour décider. Mais cette
raison n’absorbe pas l’intégralité de ce qu’est l’humain. Elle ne transcende pas le contexte dans
lequel la décision est prise. Elle émerge dans la relation et ne peut être comprise que dans ce cadre.
Sa raison n’est pas, dans le fond, raison puisque, comme Laflamme le dit : « Dans cette sociologie
67
relationnelle, il est réaffirmé que la rationalité pure n’est pas de l’ordre du vécu humain »146. Elle
est émoraison147. La psyché humaine est minimalement au confluent de la raison et de l’émotivité.
Vouloir manger son met préféré ne peut pas renvoyer à la seule raison. Même muni d’un exemple
si anodin, on peut remarquer comment la raison nous fait défaut. Un met préféré doit inclure des
ingrédients qui plaisent par le goût, la texture, l’odeur. Comment expliquer tout cela par la raison
seulement ? Comment même l’expliquer par la seule émotion ? Fabienne Martin-Juchat en dit
autant dans son texte intitulé Le corps et les médias. La chair éprouvée par les médias et les
espaces sociaux148. Elle soutient que les relations interpersonnelles ne peuvent se comprendre sans
qu’on prenne en compte l’émotion et que les recherches antérieures ne le font pas. Elle écrit :
Il apparaît que la plupart des recherches traditionnelles sur l’affectivité, ses dimensions
communicatives et interactive, sont négligées, et ceci pour deux raisons : l’orientation
avant tout grammaticale des approches linguistiques, et la conception essentialiste de
l’émotion qui est généralement à leur base, celle-ci étant perçue comme une expérience
avant tout intrapsychique et individuelle149.
Il y a reconnaissance ici du fait qu’il y a des dimensions de l’agir qui ne peuvent se comprendre
par simple évocation de la raison, que l’esprit humain n’est pas vide d’émotion et que l’humanité
suppose des interactions avec autrui.
1.3.2 Ses composantes
La modélisation relationnelle de l’acte est, comme on l’a vu, basée sur trois concepts
fondamentaux ; la socialité, l’historicité et l’émoraison. Dans cette section, nous décrirons ces
146 Simon Laflamme, Acteur et phénomélogie, op.cit. p.147. 147 Simon Laflamme, Communication et émotion, op. cit. 148 Fabienne Martin-Juchat, Le corps et les médias. La chair éprouvée par les médias et les espaces sociaux, De
Boeck, 2008. 149 Ibid., p. 43.
68
concepts puis nous mettrons en évidence leur valeur aux fins d’une modélisation destinée à rendre
compte de l’action humaine.
1.3.2.1 La socialité
Débutons en affirmant que l’humain est un être essentiellement social. Nous avons déjà
montré comment la communication lie les personnes entre elles et les rend nécessairement
sociales. Si on accepte ce postulat, il devient nécessaire de l’intégrer dans la modélisation. Pour
bien saisir son rôle, rapportons les dires de Girard :
Le concept de socialité construit, lui aussi, l’objet selon deux dimensions : nous
y voyons le social comme déterminant et déterminé. L’analyse permet de
découvrir comment l’information échangée renvoie logiquement à des formes
micrologiques de même qu’à des formes macrologiques de socialité et, ce
faisant, présente le social comme déterminant ; elle dévoile, simultanément,
comment l’information agit sur la relation en cours et permet d’accéder au social
comme déterminé150.
Le concept de la socialité veut donc que le contexte dans lequel se trouve la personne soit
essentiel dans la compréhension de l’acte puisque l’analyse de l’acte doit nécessairement prendre
en considération le lieu de l’acte. Et si le lien qui existe entre les interlocuteurs est accepté et
reconnu comme tel, les notions d’intérêt et d’intention qui voudraient que l’être soit un être en lui-
même ne priment plus. C’est la relation entre les interlocuteurs qui devient le lieu de la
connaissance, de la compréhension et de la découverte. L’acteur ne se trouve plus au centre de la
150 Mélanie Girard, Contribution à la critique des théories de l’action. Intention et émoraison, op. cit., p. 78.
69
modélisation et on peut maintenant inscrire l’acte dans son contexte. L’acte apparaît sur une toile
de socialité, concept qui, au demeurant, fait appel à un autre, celui d’historicité.
1.3.2.2 L’historicité
La notion d’historicité voudrait entendre que la dynamique des échanges entre interlocuteurs
est mieux comprise comme découlant de cette dynamique. Elle récuse la possibilité d’un échange
fondé essentiellement sur l’intention et l’intérêt et intègre le contexte dans la modélisation.
Laflamme décrit le concept d’historicité comme suit :
Il n’y a pas de point zéro de l’être humain parce qu’il n’y a d’humain que
communiquant et que la communication humaine suppose une historicité. La
communication humaine est toujours historicisée parce que le langage suppose
la dialectique des agents communicants et de leur code, agents et code qui
figurent à tout moment comme résultats, dialectique qui est essentiellement
procès historique. L’être humain est par essence communicant parce que
l’organisation sociale chez l’humain implique, entre autres, la coordination, la
concertation, de même que la capacité d’intervention sur soi et sur le monde,
activités qui ne sont possibles que si des informations peuvent circuler, que si le
médium grâce auquel ces informations circulent permet aussi de les produire151.
C’est, donc, une notion fondamentale de la modélisation relationnelle de l’acte. Si les
échanges entre interlocuteurs ne sont pas le résultat d’une intention préalable à l’échange, c’est
qu’elles sont inscrites dans un contexte sociohistorique. Girard écrit :
L’importance d’une notion comme celle d’historicité – et comme celles de
socialité et d’émoraison, d’ailleurs – relève non seulement de ce qu’elle affirme,
mais aussi, et peut-être même surtout, de ce que sa présence rend improbable.
Reconnaître que l’humain est historique, c’est aussi reconnaître que la psyché
est le lieu du vécu, des expériences, des sensations, des réflexions ; c’est
151 Simon Laflamme, Communication et émotion : essai de microsociologie relationnelle, op. cit., p. 81.
70
constater, du coup, le lien intime qu’entretiennent l’historicité et socialité, le
vécu, les expériences, les sensations, les réflexions ne pouvant se livrer que dans
un espace social, que dans les relations, que dans les rapports, qu’entretient
l’humain avec son monde, avec son environnement, avec les autres ; c’est
nécessairement admettre que ces rapports sont faits d’émotion, d’affect et de
raison, d’objectivité152.
La présence même de l’historicité dans les échanges entre interlocuteurs fait la
démonstration de l’impuissance d’une intention comme facteur ultime de l’explication de
l’échange. La notion d’historicité a été soumise à l’observation. Ce que Girard a trouvé est que là
où on retrouve la trace d’une intention, il y a aussi une dynamique de l’échange inscrite
nécessairement dans un contexte sociohistorique. Girard décrit ses résultats de la façon suivante :
Dans tous les cas étudiés, il est possible de reconstruire le moment informatif
pour montrer comment il procède d’un moment antérieur ; pour montrer
comment, donc, la communication, comme l’être qui la porte et qui est porté par
elle, est historique ; pour montrer comment les relations sont toujours des
résultats de la socialité, de l’historicité, mais aussi des processus en cours, de la
socialité en devenir, de l’historicité en construction153.
Donc, encore, la notion d’historicité s’est montrée observable et mesurable. Elle a été
retrouvée dans les échanges entre interlocuteurs et s’est montrée, non seulement comme
fondamentale dans la modélisation, mais essentielle à la compréhension de la dynamique entre
interlocuteurs. En plus, sa présence montre que la notion d’intention comme élément déterminant
de l’acte perd de sa crédibilité. Elle élimine cette possibilité, mais en ouvre d’autres : celle
notamment de comprendre le vécu dans un plus grand respect de son intégrité.
152 Mélanie Girard, Contribution à la critique des théories de l’action. Intention et émoraison, op. cit., p. 418. 153 Ibid., page 423.
71
1.3.2.3 L’émoraison
L’emploi du concept d’émoraison suppose qu’on n’accepte pas l’inclination à la
surrationalisation de l’humain et que l’émotion n’est pas une simple exception de l’être chez
l’humain. Comme Laflamme le dit : « On ne peut parler de l’émotion en l’assimilant à la raison.
Discuter du rapport entre l’émotion et la raison, ce n’est pas parler de toute la conscience154 ».
Nous ne pouvons plus nous doter de notre raison pour ignorer l’émotion comme nous ne pouvons
pas nous laisser guider par nos émotions pour pouvoir prendre une décision guidée exclusivement
par le cœur. Cette dichotomie ne peut être qu’une construction théorique qui manque de
perspective épistémologique. L’humain ne peut se soustraire à l’émotion pas plus qu’il ne peut se
soustraire à la raison. Et ni la raison ni l’émotion ne peuvent exister indépendamment l’une de
l’autre dans l’acteur social en tant que tel. Leur relation se caractérise plus par leur existence l’une
par rapport à l’autre que par l’influence de l’une sur l’autre, dans un complexe inséparable155. Ce
ne sont pas deux courants qui convergent à un moment donné ou qui existent comme deux
adversaires qui se tiraillent pour établir une domination ; c’est une seule réalité de notre existence.
On ne peut les dissocier que sur un mode scientifique ; mais le faire, c’est modéliser
artificiellement.
L’émotion ne peut donc être comprise en termes de dimension infrarationnelle ou
suprarationnelle puisqu’elle n’est pas comprise en dehors de la raison. L’émoraison joint
fondamentalement l’émotion et la raison pour en faire un seul concept. L’être humain est à la fois
154 Simon Laflamme, Communication et émotion, op. cit., p. 25. 155 Ibid.
72
émotion et raison. Il l’est essentiellement et ne peut contourner cette réalité. Laflamme décrit ainsi
l’émoraison :
L’émotion pure est aussi inhumaine que la raison pure. Si l’émotion et la raison
sont aussi intrinsèquement humaines – ce qu’ont douloureusement compris la
plupart des doctrines morales −, ce n’est pas en tant qu’elles constituent les pôles
antinomiques de l’existence sur le plan du vécu, elles représentent les deux
dénominations d’une même réalité. La vie humaine est émoraison156.
Donc, comment définir le terme émoraison ? Comme on l’a déjà vu, l’émoraison ouvre la psyché
au-delà des limites de la raison. Elle ouvre la porte à la dimension émotive de l’humain. Laflamme,
lui, dit :
Dans ces rapports s’entrecroisent, s’entremêlent de l’émouvant157 et de
l’objectivé158, l’émouvant pouvant même s’objectiver (ce qui fait effectivement
de lui la psychologie) et l’objectivité pouvant même émouvoir (ce qui est le cas
pour le sage ou pour le scientifique qui jouit de ces raisonnements). La logique
peut être extraite des contenus qu’elle ordonne et prendre par là un sens ; c’est
ainsi que le logicien se penchera sur les règles de la formalisation. Mais cette
pratique para-praxique n’est concevable qu’a partir d’un lieu constitué à la fois
d’émotion et de raison, d’un lieu émorationnel, que pour un être historiquement
constitué auquel s’offre la possibilité d’une telle abstraction159.
156 Ibid., p. 45. 157 Ce qui a fait dire à Darwin puis à Mead que le point de départ du communicable se trouvait dans l’émotion. 158 « Objectiver » s’entend ici dans le sens de désubjectiver. La personnalisation des biens et « [du] monde [de] la
nature, [des] animaux, [des] arbres », comme on la trouve dans les sociétés archaïques fondées sur le don, selon
Jacques T. Godbout et Alain Caillé (op. cit., p. 207), est, en ce sens, elle aussi objectivation : la personne peut en
parler comme de quelque chose qui n’est pas réductible à soi ; elle n’est pas condamnée à ses seules sensations.
« Objectiver » ne signifie pas réifier, enfermer dans l’état d’objet comme s’il y avait eu auparavant un discours sans
objet. Le marché « objective » assurément « le monde, la nature, les animaux, les arbres, et réduit donc d’autant la
circulation du don à ce qui reste, à ceux qui conservent le statut de sujet » (ibid., p. 207), c’est-à-dire qu’il chosifie,
mais, dans la société prémoderne, aussi bien que dans la société marchande, les humains parviennent à se donner les
objets qui animent leur discours, c’est-à-dire qu’ils objectivent. 159 Simon Laflamme, Communication et émotion, op. cit., p. 42.
73
Girard160 a opérationnalisé ce concept et a montré surtout deux choses : qu’il y a trace de
l’émotion dans les discours entre interlocuteurs, ce qui va à l’encontre des postulats des théories
de l’action et, deuxièmement, que l’échange ne résulte pas d’une intention antérieure, mais qu’il
émerge de la dynamique entre interlocuteurs. Girard dit :
Il est donc juste de dire que la circulation de l’information, dans les groupes, a
très peu à voir avec l’intérêt personnel et que les éléments par lesquels il est
possible de rendre compte de ce que l’on observe semblent plutôt relever de la
dynamique en cours, dans laquelle se confondent historicité, socialité et
émoraison161.
L’émoraison a été retrouvée dans les échanges entre interlocuteurs et elle s’est avérée
observable et mesurable. On peut souvent trouver sa trace dans les tours de parole entre
interlocuteurs, ce qui témoigne d’un contenu qui est à la fois rationnel et émotionnel. Et si les tours
de parole témoignent de la présence de l’émoraison, c’est que cette dernière se révèle dans un
contexte relationnel. Donc, il est clair pour nous que l’échange entre interlocuteurs ne relève pas
strictement de l’intention ou de l’intérêt comme le prétendent les théories de l’action, mais qu’il
relève d’une dynamique entre interlocuteurs.
1.3.3 Une modélisation relationnelle de la personne
Donc, si l’humanité se trouve fondamentalement dans le langage, que le langage est
nécessairement social, ce qui rend l’humain nécessairement social, et que la dimension historique
du langage rend nécessaire l’humain historique, l’humain ne peut être conçu à l’extérieur de ces
160 Mélanie Girard, Contribution à la critique des théories de l’action. Intention et émoraison, op. cit. 161 Ibid., p. 415.
74
dimensions. Il est toujours en relation et ne peut se soustraire à cette relation. Son humanité ne
peut exister qu’en rapport avec l’autre, par le langage. Voilà le contexte dans lequel l’humanité
prend sa forme. Voici une modélisation proposée par Laflamme (voir la figure 3) :
Figure 3162
Socialité
Raison
Humain Communication = Agents medium
Émotion
Histoire
Ici, on peut reconnaître que l’humain est fondamentalement communicationnel, ce qui le
rend aussi fondamentalement relationnel. Donc, il est impossible, dans une telle modélisation, de
soustraire l’humain à la relation et de le rendre acommunicationnel. C’est tant une valeur du
modèle qu’une réalité de l’humanité. C’est ce fondement de la prise de conscience de l’acte qui
nous permet d’ouvrir les portes à une modélisation qui peut se permettre d’accepter la complexité
du vécu humain. Elle ouvre la porte à la notion d’émoraison ; une personne qui vit l’émotion et la
raison non pas comme un conflit psychique continuel, mais comme une réalité du vécu aux
composantes mariées pour en faire une seule notion, liées tellement parfaitement qu’on obtient un
produit entier, qui ne peut être dissocié. Comme une molécule d’eau composée de deux atomes
162 Simon Laflamme, Communication et émotion : essai de microsociologie relationnelle, op. cit.
75
d’hydrogène et d’un atome d’oxygène qui crée une substance qui donne la vie, l’émoraison forme
la compréhension de la personne. Ce n’est pas un vécu alternant entre des moments ou des actes
tantôt émotionnels et tantôt rationnels, mais un vécu où l’émotion et la raison peuvent s’identifier
sous une idée, celle d’émoraison. Donc, la modélisation nous donne un outil pour comprendre la
dynamique de l’acte et, par corollaire, la personne. Et perdre cette dynamique, c’est théoriquement
payer un coût onéreux.
Nous terminons ici en affirmant que la preuve que l’intention n’est pas l’essence de la
détermination dans les échanges entre personnes est faite163. On ne peut plus ignorer les données
empiriques accumulées qui montrent que l’intention elle-même n’est pas tant une volonté a priori
qu’un phénomène qui émerge de la dynamique qui se produit entre acteurs. Nous pouvons aussi
affirmer que la modélisation relationnelle de la personne qui a été soumise à l’observation s’est
montrée mesurable et s’est montrée efficace comme outil pour saisir l’acte comme tel.
1.3.4 Pistes à suivre
Jusqu’à présent, on a fait l’analyse empirique des propos échangés en laboratoire entre
personnes munies de but164 et entre personnes discutant d’une question spécifique, mais sans
but165. On a aussi examiné le rôle de l’intention dans les parcours de vie à travers les yeux de ceux
qui les ont vécus à l’aide d’entrevues166. Encore, à l’aide d’entrevues, on a examiné le rôle de la
163 Mélanie Girard, Contribution à la critique des théories de l’action. Intention et émoraison, op. cit. 164 Paul Jalbert, « Analyse du rôle de l’intention dans les échanges dyadiques », op. cit. 165 Mélanie Girard, Relations humaines et production d’information : l’échange comme objet d’étude d’une
approche relationnelle, op. cit. 166 Pierre Bouchard, « Théorie de l’action et parcours de vie », op. cit.
76
communication entre membres d’un couple167. À l’extérieur du laboratoire, on a fait des analyses
empiriques pour voir où s’insère l’intention dans les propos échangés à l’intérieur de comités de
diverses tailles et origines culturelles.
Donc que peut-on tirer de ces travaux ?
Au sujet de l’intention, Girard affirme :
La question ne consiste plus à savoir si tout propos est intentionnel, mais à
déterminer si certains types d’échange sont plus intentionnels que d’autres, tout
en sachant que l’intention telle qu’elle est définie par les théories de l’action ne
s’est pas, jusqu’ici révélée déterminante des échanges168.
On peut déjà reconnaître une contribution importante de la modélisation relationnelle de la
personne et il nous apparaît évident qu’une des choses qu’il reste à faire est d’explorer s’il y a des
échanges qui se montrent plus intentionnés que d’autres dans les propos échangés entre
interlocuteurs à l’extérieur du laboratoire et qui sont saisis dans un milieu naturel. Nous pourrons
aussi explorer si, en milieu naturel, le contexte culturel dans lequel s’inscrivent les échanges est
déterminant de l’intention chez les interlocuteurs. Voilà où nous envisageons de pouvoir faire une
contribution empirique. La saisie de données non formelles, en milieu naturel, pour comprendre
l’action, et surtout le rôle de l’intention dans cette action, n’a pas, à notre connaissance, été
entreprise. Même si nous ne nous attendons pas à des surprises compte tenu des résultats dont on
dispose déjà, des données doivent être cueillies pour vérifier la pertinence des travaux antérieurs
et, peut-être, consolider la théorie.
167 Jeannine Rousselle, La communication chez les couples : une approche relationnelle, op. cit. 168 Mélanie Girard, Contribution à la critique des théories de l’action. Intention et émoraison, op. cit., p. 445.
77
2.0 Hypothèses
Avant de passer aux hypothèses, il vaut que nous nous attardions sur une question en
particulier : comment comprenons-nous la notion d’intention ? Pour nous, la notion renvoie à la
représentation d’une chose à faire ou à dire. Elle est un projet. Elle est une variable catégorielle,
soit qu’elle s’observe, soit qu’elle ne s’observe pas. Nous ne faisons pas de place à une intention
inconsciente. Une intention est consciente ou elle n’est pas. Cela est une tautologie qui soulèverait
des questions importantes à l’égard de la définition du concept d’intention dans les sciences
humaines. S’il y a eu intention et qu’il y a quelque manifestation de cette intention, il est possible
de remonter jusqu’à elle, comme il est possible de découvrir si une intention se réalise ou non si
elle est détectable. La variable est catégorielle, ce qui fait que nous ne pouvons non plus nous
soumettre à l’idée qu’il y a des degrés d’intention, cela signifierait qu’il pourrait y avoir des
intentions inconscientes, et donc des intentions qui n’en sont pas. Une intention qui ne prime pas
ne serait pas compatible avec les textes écrits sur ce thème.
Nous avons vu, entre autres, que les théories actionnalistes se sont avérées inefficaces comme
outil pour appréhender les interactions dans un contexte protocolaire canadien ou européen. Si
nous nous permettons de soupçonner que des résultats différents auraient été obtenus si la collecte
de données incluait des interactions non protocolaires avec un éventail culturel plus large, il nous
importe de manipuler ces variables pour nous permettre d’en faire la vérification. En plus, si les
théories actionnalistes se montrent inefficaces, il nous importe aussi de vérifier si la modélisation
relationnelle nous fournit un bon outil pour rendre compte de ce que nous observons.
Donc nous devons maintenant nous attarder à faire deux choses. D’abord, nous devons tenter
de savoir si, d’une part, l’approche actionnaliste est suffisamment rigoureuse pour comprendre les
78
interactions dans divers contextes culturels et, d’autre part, si les postulats des théories
actionnalistes, plus spécifiquement les notions de stratégie, d’intérêt et d’intention rendent compte
des observations tirées d’échanges non protocolaires. Pour satisfaire à ces buts, nous empruntons
à Girard ses outils pour analyser les données que nous recueillerons. En ce qui concerne les théories
de l’action, elle explique :
La conscience et la rationalité […] ne s’observent pas directement, mais bien par
dérivé et cette dérivation passe notamment par l’intention, l’intérêt et la stratégie.
C’est donc à partir de ces trois concepts que se formulent nos hypothèses
relativement aux théories de l’action. Pour chacun, nous nous sommes dotés
d’indicateurs pour l’observation. Dans le cas de l’intention, nos indicateurs sont
l’existence d’un projet antérieur, l’annonce d’une action ultérieure, la trace d’un
projet individuel et la possibilité de reconstruire un projet en délimitant une
trame discursive. Pour l’intérêt, notre indicateur consiste en l’évocation d’un
motif. Pour la stratégie, il s’agit de pouvoir repérer un plan témoignant de
l’articulation entre une fin et des moyens169.
Si nous adoptons une perspective actionnaliste, nous pouvons tirer cinq hypothèses
pertinentes pour notre recherche qui pourront être vérifiées à l’aide du travail d’opérationnalisation
effectué par Girard. Premièrement, si la perspective actionnaliste réussit à faire ce qu’elle prétend
faire, nous pouvons nous attendre à ce que les interactions soient surtout le résultat d’une intention
préalable aux échanges dans toutes les conditions. Si c’est le cas, nous pourrons repérer ces
intentions à l’aide des indicateurs identifiés ci-dessus. Nous pourrons aussi conclure que la raison
est forcément déterminante de l’interaction. Sinon, nous devons remettre en question la notion
d’un acteur asocial comme outil pour comprendre l’interaction.
169 Ibid., p. 89.
79
Deuxièmement, si l’acteur est guidé par la raison, nous pourrons aussi être en mesure
d’observer les indicateurs de l’intérêt et de la stratégie qui témoigneront de cette raison. Sinon,
nous devons accepter que l’humain est fondamentalement social, historique et émorationnel.
Troisièmement, si la culture fait varier l’intention dans les échanges, nous pourrons nous
attendre à ce que nous puissions en trouver la trace. Si ce n’est pas le cas, la provenance culturelle
de l’interlocuteur ne sera pas déterminante des échanges. Donc nous ne pourrons pas suggérer que
l’interaction est réductible à la psyché d’une personne et que les notions de socialité, d’historicité
et d’émorationnalité sont de meilleurs outils pour appréhender la dynamique émergente.
Quatrièmement, si la nature normative d’un échange protocolaire fait en sorte que
l’intention ne peut être exprimée par l’interlocuteur puisqu’elle n’est pas assumée par lui, nous
devrons observer que, dans un contexte libre ou non protocolaire, l’intention émerge comme
déterminant des échanges. Sinon, nous devons conclure encore que l’intention n’est pas
déterminante des échanges et que la modélisation des théories de l’action n’arrive pas à
appréhender la dynamique qui se produit, quelle que soit la nature protocolaire dans laquelle on
observe l’interaction.
Cinquièmement, si la combinaison de la nature non protocolaire et de la culture est
déterminante des échanges, nous pourrons repérer la trace de l’intention dans les échanges. Si ce
n’est pas le cas, l’intention et, par corollaire, la raison ne se montreront pas déterminantes des
interactions. Elles feront plutôt place à une dynamique émergente des interactions.
La deuxième chose que nous devons faire est l’analyse des interactions à travers les lunettes
d’une modélisation relationnelle. À ces fins, Girard nous offre des indicateurs pour mesurer les
80
trois notions fondamentales à la modélisation. Pour ce qui est de l’historicité, elle dit :
« […] l’historicité est repérable, dans sa dimension non spécifique, en tant que l’information se
révèle être un résultat historique. Elle se révèle dans sa dimension spécifique dans la mesure où
l’échange renvoie à un processus historique170 ». Pour ce qui est de la notion de socialité, elle écrit :
« La socialité est perceptible, dans sa forme déterminante, en tant qu’elle renvoie à des formes
micrologiques et macrologiques ; dans sa forme déterminée, on la repère dans le fait que
l’information agisse sur la relation en cours171 ». Pour la mesure d’émoraison, nous empruntons
deux échelles de Girard. Elle décrit la première échelle comme ayant :
[…] six niveaux : le premier renvoie à des propos qui constituent une interjection
ou à un geste ; le second, à une affirmation avec syntaxe ; le troisième, à
l’expression d’une croyance ou d’une émotion avec explication ; le quatrième, à
la présentation d’un argument avec paradoxe ; le cinquième, à un argument avec
l’indication d’une émotion soit dans la parole ou dans le geste ; le sixième, à une
argumentation pure, à une démonstration, bref, à des propos purement logiques
ou rationnels172.
Et finalement, elle décrit la deuxième échelle de l’émoraison :
La seconde échelle se rapporte plutôt à l’état psychique de l’énonciateur et elle
comporte les sept niveaux suivants : émotion incontenable ; émotion très
apparente ; émotion apparente ; émotion implicite ; émotion contenue dans un
propos rationnel ou propos moral ; aucune émotion apparente, perceptible ;
indéfinissable173.
170 Ibid., p. 90. 171 Ibid., p. 90. 172 Ibid., p. 90. 173 Ibid., p. 90.
81
Si les théories actionnalistes ne se montrent pas efficaces dans leur capacité à appréhender
ce qu’on observe, nous allons recourir à la modélisation relationnelle pour tenter de rendre compte
de ce que nous observons. Nous pouvons dégager huit hypothèses.
1. Si ce que nous observons n’est pas strictement déterminé par la rationalité de l’acteur, nous
devons être en mesure d’observer les indicateurs de socialité ;
2. Si ce que nous observons n’est pas strictement déterminé par la rationalité de l’acteur, nous
devons être en mesure d’observer les indicateurs d’historicité ;
3. Si ce que nous observons n’est pas strictement déterminé par la rationalité de l’acteur, nous
devons être en mesure d’observer les indicateurs d’émoraison ;
4. Si nous pouvons repérer les indicateurs de socialité de forme macro immanente de
l’échange, c’est que les échanges relèvent surtout de la dynamique entre les interlocuteurs,
et cela signifie que les propos ne peuvent être ramenés à une seule intention a priori ;
5. Si nous pouvons repérer les indicateurs d’historicité de forme macro immanente de
l’échange, c’est que les échanges relèvent surtout de la dynamique entre interlocuteurs, et
cela signifie que les propos ne peuvent être ramenés à une seule intention a priori;
6. Si nous pouvons repérer les indicateurs d’émoraison spécifique en cours dans les échanges,
cela signifie que les propos ne peuvent être ramenés à une seule intention a priori ;
7. Si nous pouvons faire état de la socialité spécifique de forme micro immanente de
l’échange, c’est que les échanges relèvent surtout de la dynamique entre les interlocuteurs,
et cela signifie que les propos ne peuvent être ramenés à une seule intention a priori ;
82
8. Si nous pouvons repérer les indicateurs d’historicité spécifique de forme micro immanente
de l’échange, c’est que les échanges relèvent surtout de la dynamique entre interlocuteurs,
et cela signifie que les propos ne peuvent être ramenés à une seule intention a priori ;
À partir de ces 13 hypothèses, nous croyons pouvoir montrer que ce qui émerge entre
interlocuteurs n’est pas déterminé a priori, mais bien le résultat d’une dynamique fluide. La
rationalité de l’humain ne peut primer sur le fait qu’il est fondamentalement relationnel. Si tel est
le cas, nous ne serons pas surpris de trouver qu’une modélisation relationnelle permet de mieux
appréhender ce que nous observerons.
83
Chapitre II
Pour une vérification empirique en milieu naturel
3.0 Méthode
3.1 Collecte de données
Nous avons vérifié nos hypothèses à l’aide de saisie audiovisuelle d’échanges entre les
membres d’une famille. Nous voyons l’entité familiale comme étant un lieu intime et un milieu
naturel par excellence. Dans cet environnement, nous nous attendons à pouvoir observer des
échanges non protocolaires. Nous admettons l’impossibilité de faire la vérification de nos
hypothèses à partir d’une collecte de données tirée d’individus qui sont à l’extérieur de toutes
structures sociales. On ne peut pas tirer des observations d’un individu « asocial » et même si
cela était possible, nous postulons qu’une telle analyse serait vide de sens. Il nous semble important
de faire cette remarque pour clairement souligner dès du début que les participants de cette
recherche pourront toujours être répartis par catégorie (parents, mineurs, étudiants, mère, père,
etc.) et que, par conséquent, nous encourons un risque semblable à celui de Girard, c’est-à-dire le
risque qu’on veuille attribuer le manque de propos qui peuvent être expliqués par l’intention ou
l’intérêt des interlocuteurs (si les données appuis les découvertes des recherches antérieures) par
le fait qu’on identifie pas le groupe auquel ils appartiennent. Dans ce cas-ci, il s’agit de la famille.
C’est une critique qui nous semble étrange étant donné que les théories de l’action veulent que les
interlocuteurs disent seulement ce qu’ils veulent dire. Néanmoins, le foyer familial nous apparaît
comme le lieu où les membres de la famille peuvent se permettre de faire à leur aise. Il nous
apparaît difficile de concevoir un autre lieu ou environnement qui permettrait à l’individu de faire
84
plus aisément comme cela lui convient. Pour éviter d’aller trop loin sans données, nous
reprendrons cette notion suite à l’analyse de nos données.
La collecte de données a eu lieu entre novembre 2013 et avril 2014. Une caméra vidéo a été
placée dans une pièce commune d’un foyer familial de cinq familles canadiennes. Nous avons,
avec l’aide de la famille, identifié quelle pièce dans la maison était plus fréquemment utilisée par
tous les membres de la famille pour installer notre caméra. Une fois que la pièce était choisie, nous
avons installé la caméra dans un endroit où nous pouvions capter la majorité de la pièce et où elle
n’était pas dérangeante. La caméra passa une semaine dans le foyer. La caméra pouvait être activée
entre 16 h à 23 h du lundi au vendredi et de 9 h à 23 h les samedis et dimanches, mais seulement
activée dès lors qu’il y avait de l’activité dans la salle. Les saisies ont eu cours seulement durant
les semaines d’activité scolaire de 5 jours, durant, donc, des périodes où il n’y avait pas de vacances
de prévues.
3.2 Échantillon
En tout, cinq familles canadiennes ont participé à notre projet de recherche. Ces familles
étaient composées d’un couple de parents et d’au moins deux enfants d’âge scolaire trois
familles avaient deux enfants d’âge scolaire alors que deux familles en avaient trois. Deux des
familles étaient francophones, deux familles étaient anglophones et une autre était bilingue. Les
enregistrements se sont produits du dimanche au dimanche. Toutes les familles habitent le nord
de l’Ontario et sont canadiennes de souche. L’échantillon est non probabiliste et a été construit
selon la méthode boule-de-neige.
85
Nous reconnaissons que cette approche n’en est qu’une parmi plusieurs autres possibles.
Cependant, la situation choisie nous apparaît comme étant une méthode efficace, prudente et
pragmatique pour vérifier nos hypothèses. Il reste que plusieurs situations auraient pu être choisies.
Nous aurions pu choisir d’enregistrer des échanges entre amis, copains de classe ou seulement
entre les partenaires d’un couple. Nous aurions pu choisir des lieux différents, comme un endroit
public ou un autre endroit privé comme une salle de classe. Aussi, nous aurions pu inclure des
familles de différentes origines, par exemple sud-africaines, australiennes ou sud-américaines. Ce
sont tous des exemples de situations dont nous aurions pu profiter en milieu naturel pour vérifier
les hypothèses. Malgré toutes ces possibilités pour la collecte de données, nous avons opté pour
des foyers familiaux puisque nous sommes assurés, au moins pendant la majorité du temps,
d’enregistrer des échanges entre personnes qui se connaissent et nous sommes aussi assurés d’une
certaine continuité entre les échanges, continuité qui ferait probablement défaut dans des endroits
publics.
En tout 15 411 tours de parole ont été retenus pour l’analyse, la moyenne de propos par
famille est de 3 082,2. L’écart-type de 1 325,65 est grand et il correspond à une étendue de 2 971.
Comme on peut le remarquer au tableau 1, on peut expliquer en grande partie la taille de l’écart-
type par une valeur extrême, soit une famille qui n’a produit que 1 258 tours de paroles, et par le
fait que nous possédons un petit échantillon.
86
Tableau 1
Famille Anglophone Francophone Bilingue
1 4 022
2 1 258
3 4 229
4 2 094
5 3 808
Toutes les transcriptions ont été faites de telle sort que l’information retenue ne pourrait
pas servir pour identifier les familles (ex. : ont été éliminés les noms, numéros de téléphone,
adresses, noms d’écoles, noms d’animaux de compagnie, etc.). Les endroits où nous avons dû
modifier le contenu de la transcription pour assurer l’anonymat ont notés. Dans trois cas, nous
avons dû supprimer des enregistrements parce qu’ont été captés des individus qui ne faisaient pas
partie de la famille et, donc, qui n’ont pu offrir leur consentement à l’enregistrement. Les
conversations au téléphone n’ont pas été transcrites non plus.
L’analyse porte sur 525 tours de paroles. Nous avons choisi cinq tours de parole de façon
aléatoire pour chaque famille. Ensuite, nous avons retenu les dix tours de paroles qui précédaient
celui qui avait été choisi au hasard et les dix qui les suivaient pour un total de 21 tours de parole
en séquence. Donc, cette approche nous a permis d’obtenir 105 tours de parole dans chaque
famille. Un tour de parole s’identifie comme un énoncé ininterrompu de la part d’un interlocuteur.
Les termes tours de parole et propos sont interchangeables dans ce texte. Nous utiliserons des
exemples tout au long de l’analyse de résultats pour faciliter la compréhension. Parfois, les
87
exemples que nous utiliserons seront composés des tours de parole que nous avons retenus pour
notre analyse alors qu’à d’autres moments, ce ne sera pas le cas.
Dans notre analyse, tous les membres de familles ont été pris en considération. Dans le
tableau 2, on trouve le partage des tours de parole retenu dans cette analyse.
Tableau 2
Membre de la
famille
Nombre
d’individus
Pourcentage
d’individus
Nombre de
tours de parole
Pourcentage de
tours de parole
Mère 5 22,7 221 42,1
Père 5 22,7 117 22,3
Ainé 5 22,7 78 14,9
Milieu 2 9,1 78 14,9
Cadet 5 22,7 31 5,9
Total 22 99,9 525 100,0
88
Dans le tableau 3, on trouve le nombre de tours de parole réparti par sexe.
Tableau 3
Sexe Nombre
d’individus
Pourcentage
d’individus
Tours de
parole
Pourcentage de
tours de parole
Femme 13 59,1 358 68,2
Homme 9 40,9 167 31,8
Total 22 100 525 100,0
Étant donné cette distribution, nous constatons que nous avons une bonne représentativité
de tous les membres de la famille, de chaque sexe et des adultes comme les enfants. Toutefois, en
terme absolu, on note que les cadets semblent parler moins que les autres membres de la famille.
À partir de ces données, nous tenterons d’offrir une contribution empirique à un modèle
relationnel de l’humain. En plus, nous soupçonnons que nous pourrions montrer en quoi un
modèle relationnel de l’humain d’une part, est essentiel à une théorisation de l’agir et, d’autre
part, offre un meilleur outil pour comprendre l’action.
89
Chapitre III
Vers une meilleure connaissance
Il importe de dire que ce travail se situe, en quelque sorte, dans le comme un prolongement
du travail de Girard en ce sens que nous cherchons en partie à découvrir si les conclusions qu’elle
a tirées à partir de sa recherche doctorale sont confirmées dans le contexte naturel qu’offre
l’environnement d’un foyer familial. Donc nous ne percevons pas notre contribution comme une
nouvelle approche scientifique alors bien que la méthode de collecte de données et
l’échantillonnage nous apparaissent comme étant innovantes mais surtout comme une
vérification d’un travail scientifique dans des conditions particulières qui nous permettront de
répondre à une critique de la recherche de Girard. Alors que le terrain nous semble propice pour
la découverte, il nous semble important d’affirmer que nous nous inspirons fortement de
l’approche qu’a utilisée Girard, et nous tenons à le déclarer d’entrée de jeu. Donc les lecteurs de
ces deux textes trouveront certainement un bon nombre de ressemblances.
L’analyse de nos données s’est faite à l’aide du logiciel SPSS. Nous avons créé une matrice
utile à la vérification de nos hypothèses. Les catégories retenues pour faire la vérification de nos
hypothèses sont les suivantes :
propos qui contiennent une intention ;
propos résultant d’une intention qui précède l’échange ;
intention qui émerge des échanges comme déterminant de ces échanges ;
indicateurs d’intérêt ;
indicateurs de stratégie ;
90
indicateurs de socialité ;
indicateurs d’historicité ;
indicateurs d’émoraison ;
indicateurs macro de la socialité ;
indicateurs micro de socialité ;
indicateurs macro d’historicité ;
indicateurs micro de socialité ;
une échelle d’impassibilité ;
une échelle d’émoraison.
Chacune de ces catégories sera expliquée au fur et à mesure que nous rapporterons nos
résultats. Pour assurer la fidélité de nos résultats, deux évaluateurs externes ont utilisé notre
matrice SPSS et ont codé les tours de parole selon les instructions qui se trouvent à l’annexe 9.
Ensuite, une comparaison a été faite entre les résultats SPSS obtenus par ces évaluateurs et ceux
du chercheur. 20 variables ont fait partie de la vérification. Les résultats indiquent une concordance
du codage entre les évaluateurs et le chercheur dans la grande majorité des cas. Dans toutes les
variables, il y avait une concordance élevée avec au moins un évaluateur externe. Sur les 18
variables nominales, on trouve une étendue négligeable entre le chercheur et les évaluateurs
externes. Sur les 4 autres variables, nous avons remarqué une variation entre un évaluateur et le
chercheur alors qu’il y avait concordance entre le second évaluateur et le chercheur. En creusant,
nous remarquons que, dans la grande majorité des cas, c’est le chercheur qui a repéré le plus
souvent les indicateurs qui pourraient appuyer la modélisation actionnaliste. Par exemple, les
évaluateurs ont repéré moins de propos qui contenaient une intention lorsqu’on les compare aux
91
résultats du chercheur. Donc c’est dans la grande majorité de ces cas que le codage du chercheur
a été le plus généreux à l’égard des critères qui se rapportent aux postulats de la modélisation des
théories de l’action. Nous remarquons semblablement une concordance entre les évaluateurs et le
chercheur en ce qui a trait aux deux variables cardinales.
Nous voulons aussi distinguer entre les termes « échange » et « relation ». Pour nous, la
relation est le produit de la communication constante qui existe entre individus. On ne peut pas
s’extraire de cette relation, donc elle doit être prise en compte lorsqu’on veut comprendre l’agir.
Cependant, on accepte qu’une personne puisse entrer en interaction avec une autre, c’est-à-dire
qu’elle puisse choisir d’initier une conversation, de poser une question ou de donner une
commande. Donc l’individu peut choisir d’échanger avec un autre individu. Il peut apporter une
intention dans cet échange, il peut faire preuve de raison ou de stratégie. Mais, il ne peut pas le
faire à l’extérieur de la relation.
4.0 Résultats
4.1 Analyse des données
4.1.1 Propos qui contiennent une intention
Notre première analyse vise à connaître la fréquence où l’on retrouve une intention dans
les propos échangés. Nous considérons que le propos est intention dès que nous observons de la
répétition de la part de l’interlocuteur où il tente de souligner son point de vue, que l’énonciateur
ignore la réplique d’un interlocuteur dans un échange quelconque pour poursuivre son discours ou
lorsque l’interlocuteur prédit son discours (par exemple, un parent pourrait dire qu’il voudrait
92
discuter avec enfant X de son bulletin dès qu’il arrive de l’école). On constatera une intention dans
les cas aussi où est annoncé un projet ultérieur. Dans tous les autres cas, nous admettrons que le
propos ne contient pas d’intention.
Nous répondons soit par oui, soit par non à cette question. Nous avons constaté que, parmi
les 525 tours de parole qui ont été retenus pour l’analyse, on ne peut repérer une intention que dans
69 des cas. Cela nous donne une fréquence modale de 456 et indique que, dans 86,9 % des cas, on
n’a pas pu repérer une intention. Donc, en grande partie, nous ne pouvons repérer une intention
dans les propos échangés entre interlocuteurs. Il nous semble que ce serait difficile de faire le saut
et conclure que l’intention guide fondamentalement les échanges alors qu’on ne peut la repérer
que dans une frange des échanges.
Illustration 1174 :
557 : 1 : Qu’est-ce que tu veux savoir ?
558 : 2 : My back hurts.
559 : 1 : Your back hurts?
560 : 2 : I’m not getting enough exercise and I’m getting sore muscles.
561 : 1 : Où ce que tu t’en vas, là, chum ?
562 : 5 : Downstairs.
563 : 1 : Bien moi je t’ai demandé de prendre ta douche.
5 : (Inaudible, quitte la pièce.)
564 : 1 : Bien je ne sais pas si (4) est là.
565 : 2 : What are you watching now?
566 : 1 : Arrow.
567 : 2 : Hum.
568 : 1 : What are you doing?
569 : 5 : Nothing ? (Quitte la pièce.)
(Inaudible.)
570 : 1 : What are you doing?
571 : 4 : Huh?
174 Famille 2; 1 est mère, 2 est père, 3 est l’ainée de la famille, 4 est le deuxième de la famille (fille) et 5 est le cadet
de la famille (garçon).
93
572 : 1 : What are you doing?
4 : (Inaudible.)
573 : 1 : Vous n’avez pas fait la vaisselle. Quoi ?
574 : 2 : What’s wrong ?
575 : 1 : What were you banging on in there?
2 : (Inaudible.)
576 : 1 : Ah. Need some help ?
577 : 2 : No, je vais juste mettre les morceaux ensemble and then go from there. (Quitte la
pièce.)
Dans cet échange, il nous semble que seulement les propos 562 et 563 peuvent être renvoyés
à une intention quelconque. L’interlocuteur 2 vient d’une autre pièce et pose une question
(propos 557). Cette question est difficilement réductible à une intention quelconque puisqu’elle
est ouverte et elle cherche à savoir ce dont l’autre a besoin. La réponse à la question (propos 558)
ne peut être renvoyée à l’intention seule de l’interlocuteur non plus puisque cela nécessiterait que
l’interlocuteur ait pu prédire la question. Le propos 559 se veut une répétition du propos précédent.
Encore, cette réponse ne peut être réduite à l’individu puisque sa source est de toute évidence le
propos de l’interlocuteur 2. Encore, aux propos 561 et 562 nous retrouvons une question et une
réponse. En répondant au propos 562, l’interlocuteur quitte la salle. Nous interprétons cet acte
comme intentionné puisqu’il l’avait déclaré au préalable. À 563, nous retrouvons une répétition
d’une directive (alors que nous possédons la répétition dans notre transcription, la formulation de
l’interlocuteur suggère que c’est au moins la deuxième fois qu’elle donne la directive). Le
propos 564 est précédé d’un propos inaudible. Malgré cela, il nous semble que ce propos soit une
réponse à une question, ce qui rend la notion que le propos peut-être réduit à une intention encore
impossible. Le propos 565 change la direction de la conversation et pose une question ouverte.
Donc, encore, la question (propos 565) et la réponse (propos 566) ne peuvent non plus être réduites
à une intention. Pour ce qui en est des propos 567 à 577, on remarque une alternance entre des
94
questions et des réponses et des changements de sujets qui ne sont pas réductibles à une intention.
Donc il nous semble clair que la grande majorité des propos ne peuvent être réduits à une intention.
Il y a une dynamique qui se produit entre les interlocuteurs qu’on ne peut nier. La fluidité de
l’échange, la prise de conscience des propos de chaque interlocuteur par autrui ainsi que
l’enchainement des propos montre pourquoi ces échanges ne peuvent être réduits à des intentions
de la part de chaque interlocuteur.
4.1.2 Propos comme résultat d’une intention qui précède l’échange
Afin de poursuive notre analyse, il nous semble sage d’explorer la fréquence des propos
d’après laquelle nous pouvons repérer une intention qui précède les échanges. Nous affirmons
qu’un propos précède l’échange lorsqu’il ne peut s’expliquer par la dynamique en cours. À cette
question, nous pouvons répondre par « oui », « non » ou « sans objet » dans les cas où le propos
n’est pas intentionné. Nous répondrons par « sans objet » lorsque le propos ne peut être renvoyé à
une intention. Suite à notre analyse des tours de parole, nous remarquons que dans seulement 20
cas (soit 3,8 % de la totalité des propos analysés ou 29,0 % de la totalité des propos qui sont
intentionnés) nous pouvons affirmer que l’intention précède l’échange. Donc il va sans dire que
dans 96,2 % des cas il n’y avait pas d’intention qui précédait l’échange. Encore une fois, il nous
semble impossible de faire le saut entre le faible nombre de propos intentionnés et une notion qui
suggère que tous propos sont intentionnés. Prenons l’illustration 2 à titre d’exemple.
Illustration 2175 :
880 : 4 : Haha.
175 Ibid.
95
881 : 1 : You kids used to love decorating but now you’re all a bunch of humbugs like your
dad.
882 : 4 : We can start decorating when we hit December. November is too early.
883 : 1 : While you guys are watching your show, you can wash the dishes and I’m not even
talking to (3) because she wasn’t even, I didn’t bring her anything.
884 : 4 : She was late for supper.
885 : 1 : You don’t have lots to do. Really? There’s not that much to do. Dad, il veut s’acheter
des gants comme ceux-là pour l’ouvrage.
(Inaudible.)
886 : 1 : Come on guys, let’s get this done. (Inaudible.) It’s not fair, your dad is brainwashing
you.
887 : 4 : I never said that I didn’t like xmas, I just think that it’s too early to decorate.
888 : 5 : I don’t think it’s not too early to decorate.
889 : 1 : Pardon me.
890 : 4 : We’re in November.
891 : 1 : We’re in the end of November.
892 : 5 : Exactly!
893 : 4 : Next week, next week it will be like the first of December and then we can decorate.
894 : 1 : No, no, no…
895 : 4 : Yeah, yeah, yeah.
896 : 5 : No, we decorate right now!
897 : 4 : No.
898 : 5 : Yes.
899 : 4 : Where are we going to put the tree?
900 : 1 : Drette là. You see, it takes me a week and a half, two weeks to decorate, so I have to
start early so I can get it all done for xams.
Le propos 880 est un rire qui témoigne surtout d’une émotion et ne peut être réduit à une
intention. Semblablement, l’affirmation de la mère au propos 881 ne peut être réduite à une
intention puisqu’elle n’est qu’une affirmation de l’état des faits comme elle les comprend.
Néanmoins, on remarque une déclaration d’un projet ultérieur au propos 882 (la fille veut décorer
l’arbre de Noël en décembre). Mais nous pouvons difficilement conclure que ce propos précédait
l’échange puisqu’il est survenu à partir de l’affirmation du parent dans le propos précédent. Encore,
au propos 883, le parent annonce un projet (le parent veut que la vaisselle soit lavée). Ici, le cas
diffère quelque peu dans le sens qu’on observe un changement de sujet qui ne faisait pas partie de
96
la dynamique auparavant et on peut facilement observer comment le propos 884 découle du propos
883 sans toutefois contenir une intention. Alors que les propos 884 et 885 sont des affirmations,
ils sont manifestement en lien avec la discussion en cours. De cette perspective, ils sont
difficilement expliqués par une intention quelconque. Cependant, le propos 886 peut se
comprendre comme un prolongement de l’intention que le parent a annoncée au propos 883. Mais
il ne peut pas être compris comme précédent l’échange puisque la répétition est nécessitée par le
récepteur du message, phénomène qui ne pouvait être anticipé.
Nous pouvons ensuite remarquer un enchaînement des prochains propos. Chaque affirmation
se construit sur la précédente sans pour autant contenir une intention. Les propos 887 et 888
partagent des opinions basées sur la discussion en cours. Le propos 889 demande une répétition
d’un propos précédent. À nouveau dans ces conditions, nous ne pouvons pas renvoyer ce propos à
une intention quelconque sans que nous devions accepter que l’interlocuteur fût en mesure de
prédire la mésentente. Le propos 890 répond à la demande alors que le propos 891 souligne une
précision, et ainsi de suite jusqu’au propos 900. L’enchaînement des propos et le lien qu’ils
maintiennent avec les propos précédents rendent difficile l’explication de ces propos par
l’intention. Au contraire, les conditions que nous serions obligé d’admettre pour expliquer cet
échange à partir de l’intention de chaque interlocuteur ne sont pas plausibles. Les anticipations qui
seraient nécessaires de la part de chaque interlocuteur nous obligeraient à tenir pour acquises des
circonstances invraisemblables.
4.1.3 Intention qui émerge des échanges comme déterminant de ces échanges
Sur ce point, nous pouvons nous prononcer de 3 façons ; soit « oui », soit « non » soit «
sans objet » dans le cas où le propos ne contient pas d’intention. Nous pouvons répondre « oui »
97
là où l’intention repérée dans les échanges s’explique par la dynamique qui se produit entre les
interlocuteurs et « non » quand la dynamique ne nait pas de l’échange. Dans les tours de parole
analysés, nous avons pu repérer 49 (soit 9,3 % de la totalité des propos retenus des échanges ou
71,0 % des propos où nous avons pu repérer une intention) où l’intention émergeait de la
dynamique qui se produisait entre les interlocuteurs. Donc, même dans les cas où on peut repérer
une intention, cette intention se manifeste dans la dynamique en cours. Cette manifestation appuie
l’idée que, pour comprendre l’intention, on doit le faire à l’aide de la modélisation relationnelle.
Illustration 3176 :
69 : 2: For what?
70 : 1 : She ordered two new cell phone cases. Navy blue?!? She got her little stylus. Navy
blue and red.
71 : 4: Mom?
72 : 1 : K, make supper!
73 : 4 : Mom?
74 : 1 : What (4)?
75 : 4 : Est-ce que je peux avoir une banane ?
76 : 1 : Non, on va souper.
77 : 4 : Uhh!
78 : 1 : Oh, there’s this one.
4 : (Inaudible.)
2 : (Inaudible.)
79 : 1 : Eh?
80 : 2 : We can still do that one.
(Inaudible.)
81 : 1 : Yeah, yeah. Oh, I like the blue one, the blue one I like better than...
82 : 2 : She won’t like it.
83 : 1: No it’s not…
84 : 2 : It’s not her root.
85 : 1 : No. She asked for this though, this is what she ordered.
2 : (Inaudible.)
176 Famille 4: 1 est la mère, 2 est le père, 3 est la fille ainée et 4 est le garçon cadet.
98
86 : 1 : No it doesn’t mean it, at all, but it’s in for her, so we can see if we took it to her. Are
you hungry (nom de l’animal), are you hungry?
87 : 4 : Starving!
88 : 1 : Are you (nom de l’animal)?
89 : 2 : (4) can you run over and get me a bottle of wine please?
90 4 : Ooh, yeah, tell me!
91 2 : Any one you want, just go grab any one down in the corner.
92 1 : Get the popcorn. He’s hungry.
93 4 : I bet you like this kind.
94 2 : That’s actually my favourite one.
95 4 : Oh yeah!? I just…
96 1 : That’s a shiraz
97 4 : Oh yeah?!? I can’t believe that I chose the right one.
98 2 : Want to open it.
L’échange commence dans cette séquence par une question et la réplique qui se trouve au
propos 70. Au propos 71, nous remarquons une question qui est ignorée par la mère puisqu’elle
répondait à un autre enfant (propos 72). Alors l’enfant répète sa question au propos 73 à laquelle
la mère répond au propos 74, et ainsi de suite jusqu’au propos 77 où l’enfant exprime son
mécontentement au refus de la banane par un soupir. On peut constater comment l’affirmation de
la mère au propos 76 (qui affirme le projet de faire le souper) est interpelée par le propos de l’enfant
qui l’a précédée. Alors qu’il y a bien déclaration d’un projet, cette déclaration n’est pas réductible
à une intention qui précédait l’échange mais qui a émergé à cause de l’échange. Clairement,
l’alternance entre question et réponse démontre une prise de conscience de la réplique de chaque
interlocuteur (avec peut-être l’exception du propos 70, mais qui est de toute façon la réponse à une
autre question posée par un autre membre de la famille). Cette prise de conscience qui apporte une
réponse appropriée démontre comment l’échange naît d’une dynamique et ne peut s’expliquer par
un concept qui voudrait que les propos de l’interlocuteur soient le fruit d’une intention immuable.
99
L’affirmation de la mère qui se trouve au propos 78 est suivie par une demande de répéter,
par cause d’incompréhension, au propos 79. La mère répète son affirmation au propos 80. Les
tours de parole continuent à s’enchaîner jusqu’à la fin de cet échange au propos 89 où le père
exprime l’intention d’obtenir une bouteille de vin. Lorsqu’on observe le contexte, on remarque
que c’est l’heure du souper, la mère est en train de préparer les aliments et l’enfant qui a participé
à cet échange a faim. Comme partie du souper, le père veut avoir une bouteille de vin sur la table,
donc il partage cette intention et demande à l’enfant de lui apporter une bouteille. Alors qu’on
pourrait possiblement suggérer que cette intention précède l’échange (un verre de vin avec le
souper pourrait être une occurrence typique) sa manifestation ne l’est certainement pas. En plus,
l’observation du vin avec le souper ne se révèle qu’une seule fois pendant la semaine. Alors
lorsqu’on fait l’observation de cette intention, il devient clair que certains éléments ont émergés à
ce moment pour que cette intention puisse prendre forme. L’enregistrement suggère que la requête
du parent est surtout motivée par un désir d’occuper l’enfant pendant quelques moments pour le
distraire quelque peu. Alors que cette intention ne s’est pas reproduite à d’autres moments durant
l’enregistrement, que l’enfant soit à proximité au vin et que le père en profite pour le distraire pour
quelques moments montre en quoi cette intention émerge de l’échange et ne pouvait la précéder.
4.1.4 L’annonce d’un projet ultérieur
Étant donné qu’une des façons dont on peut observer l’intention, c’est en repérant
l’annonce d’un projet, nous avons voulu examiner la fréquence avec laquelle ce phénomène se
produit. Donc nous nous sommes posés la question à savoir si le propos annonçait un projet
ultérieur. À cette question, nous pouvons répondre « oui ou non ». Dans 14 cas, nous avons pu dire
que le propos annonçait un projet. Cela compte pour 2,7 % des propos échangés. Il nous semble
100
difficile à comprendre comment une intention pourrait être déterminante dans les échanges sans
pour autant être repérable dans les échanges si elle ne se manifeste pas entre un projet, un moyen
et une fin. Donc, dans la grande majorité des cas (97,3%), nous avons pu repérer l’annonce de
projet ultérieur. Nous n’avons pas observé des échanges ou un interlocuteur, ou les deux, qui
pouvaient être réduits à des projets. Nous n’avons pas observé la persistance qui serait nécessaire
pour faire cette affirmation. Au contraire, les interlocuteurs témoignent d’une élégance et d’une
fluidité dans leur discours par la souplesse de leur interaction, ce qui suggère que l’échange évolue.
Il n’est pas obstrué par un élément. Examinons un échange à titre d’exemple.
Illustration 4177 :
642 : 2 : Does it feel good to be back home (4)? It feels good to be back home, you missed you
sister!
643 : 1 : Avec qui tu te tenais à l’hôtel?
644 : 3 : Avec Hitler.
645 : 1 : En (4) ?
(Inaudible.)
646 : 2 : Not cool!
647 : 4 : Sorry!
648 : 1 : (4), (4), (4)!
(Inaudible.)
649 : 3 : Je ne veux pu de dessert.
650 : 4 : Je m’en vais en bas. (Quitte la salle)
651 : 2 : Va serrer ton assiette s’il vous plaît.
652 : 3 : Ouff!
653 : 1 : T’es gelée ?
654 : 3 : Non.
655 : 1 : Je me suis pas réveillé cette nuit pour tousser. J’étais contente.
(Inaudible.)
656 : 3 : Qu’est-ce que tu as dit ?
657 : 1 : Non.
658 : 3 : Oui.
659 : 1 : C’est peut-être à cause je dormais plus dur, pis madame est arrivée à 1 h du matin.
177 Famille 3; 1 est mère, 2 est père, 3 est fille ainée et 4 est garçon cadet.
101
660 : 3 : C’est toi qui m’a dit de venir te réveiller so…
661 : 1 : Pis, après ça, j’avais le téléphone cellulaire à côté, pis (4) à matin, à 8 h, il a appelé.
Bien tu le sais.
662 : 3 : Freaky.
663 : 1 : What is?
(Inaudible.)
664 : 2 : Ah non, I’m just tired.
665 : 1 : C’est fatiguant des weekends de même, hen ?
666 : 3 : Tu t’en viens trop vieux.
L’échange commence avec une question au propos 642 qui est suivi par une réponse au
propos 643. Au propos 644, nous remarquons une autre question qui suscite encore une réponse
(propos 645). La réponse est en quelque sorte surprenante on ne peut croire que la réponse qui
se trouve au propos 645 est une réponse qu’on trouverait normalement à la question qui a été posée.
En fait, la réponse obtient une réaction d’étonnement qui est suivie d’une demande pour répéter la
réponse. Au propos 656, on remarque que le parent s’objecte à la réponse osée, ce qui nécessite
des excuses qui se trouvent au propos 657. Au propos 658, on remarque encore de la surprise à la
réponse de l’enfant à une question banale. Cet enchaînement n’est pas réductible à une intention.
L’échange évolue à mesure que les interlocuteurs répondent et prennent conscience de la réponse
de l’autre. Il est fluide et il n’aurait pu prendre forme sans la contribution de chaque interlocuteur.
Donc, s’il n’aurait pu prendre forme sans la contribution de chaque interlocuteur, c’est que les
propos ne peuvent pas être réduits à chaque interlocuteur individuel, c’est qu’ils relèvent de la
dynamique des interactions.
Le propos 649 est précédé par un propos inaudible. Alors que nous n’avons pu déceler ce
propos, nous croyons probable qu’un des parents ait demandé à l’enfant s’il voulait du dessert. La
réponse de l’enfant déclare qu’il n’en veut plus. Nous avons classé ce propos comme la déclaration
d’un projet ultérieur (l’enfant veut arrêter de manger du dessert). Alors que nous acceptions que
102
cette interprétation soit très large de ce qu’est un projet ultérieur, nous voulions inclure toutes les
possibilités pour qu’on ne puisse nous reprocher d’avoir exclu des propos parce que nous aurions
été trop sévères dans notre interprétation.
Au propos 650, nous pouvons observer la déclaration d’un projet (même si le projet sera
réalisé presque immédiatement après qu’il ait été déclaré). L’enfant déclare qu’il quittera la salle
pour ensuite se rendre dans le sous-sol. Alors, dans ce cas-ci, on accepte que le propos déclare un
projet ultérieur et que sa réalisation veut que l’acte soit intentionné. Semblablement au propos 649,
après avoir déclaré qu’il quittera la cuisine pour aller dans le sous-sol, l’enfant, effectivement,
quitte la pièce. Nous interprétons ce geste comme la réalisation de son intention. Nous notons que
ces deux derniers propos sont surtout rares et ils ne s’intègrent pas facilement dans les échanges.
Le propos 650 indique un projet qui est presque immédiatement effectué et il coupe l’échange. Le
propos n’est pas lié à ce qui précédait et ne s’intègre pas bien à l’échange qui suit ce propos. Il
détourne par le manque de fluidité dans l’échange lorsque le projet émerge. Nous pouvons croire
que des échanges qui seraient déterminés par une intention auraient une trame discursive qui serait
difficile à suivre autant pour les interlocuteurs que pour ceux qui observeraient l’échange. Les
propos sont découpés l’un de l’autre et la conversation est disjointe. Mais ce n’est pas ce que nous
observons. Les conversations que nous observons sont en grande partie fluides.
Les propos 651 à 666 s’enchaînent dans une trame de conversation qui serait difficilement
explicable par une intention. Nous observons un échange d’une grande réciprocité entre les
interlocuteurs, avec des questions et des réponses qui s’enchaînent. Donc, réduire les propos dans
cet exemple à une intention ou à l’intérêt ne se fait pas sans tenir pour acquis des postulats dont on
ne peut trouver le signe à l’aide de notre analyse. Cet enchaînement nécessite une explication
relationnelle puisque c’est dans la relation que les propos peuvent être compris. En soustrayant les
103
propos d’un interlocuteur dans cet échange, il nous semble qu’il serait très difficile de rendre
compte des propos de l’autre. En fait, cela se révélant impossible.
4.1.5 Projet ultérieur précède la dynamique
Toujours dans l’esprit d’approfondir notre analyse pour mieux comprendre comment se
produisent les propos entre interlocuteurs, nous avons voulu examiner la fréquence selon laquelle
l’annonce d’un projet ultérieur précède la dynamique en cours. À cette question, nous pouvons
répondre par « oui », « non » ou « sans objet » dans les cas où le propos n’annonce pas un projet
ultérieur. Nous remarquons que dans seulement 0,8 % (dans 4 cas) des cas nous pouvons affirmer
que l’annonce d’un projet ultérieur précède la dynamique en cours. Cela représente 28,6 % des cas
où nous avons pu repérer l’annonce d’un projet ultérieur par l’interlocuteur. Donc en plus
d’observer qu’on repère une intention comme déterminante d’un propos dans très peu de cas, et
encore plus rarement qu’on trouve que cette intention est exprimée par la déclaration d’un projet
ultérieur, il est encore plus rare d’observer l’affirmation d’un projet ultérieur qui précède
l’échange. Faisons l’examen d’un échange.
Illustration 5178 :
610 : 02 : Watch your fingers on those doors guys.
611 : 05 : I know, I’m not scared, I get a cut?
612 : 02 : You don’t ah, you don’t want to squish your fingers.
613 : 05 : My fingers will get cut?
614 : 02 : Yeahaha, you don’t want that to happen.
615 : 05 : No. I don’t want no hand cut.
616 : 02 : Don’t get your, watch your fingers on the door ok?
61705 : I know.
618: 2: It’s all I’m saying.
05 : (Inaudible.)
178 Famille 1; 1 est mère, 2 est père, 3 est fille ainée, 4 est le garçon du milieu et 5 est fille cadette.
104
619 : 2 : I know, cause you were paying attention. Haha. Crazy kids!
620 : 3 : I know.
621 : 5 : Ow! Ow!
622 : 4 : Open the doors!
623 : 5 : Hahaha
624 : 4 : Open the doors! (Inaudible.)
625 : 3: Mommy left the card for the person she is doing the thing for, for xmas.
626 : 2 : What?
627 : 3 : Right here daddy.
628 : 2: Huh?
629 : 3 : I opened it and looked at it!
630 : 2 : Yeah!? (Utilise une voix drôle)
631 : 3 : I know who it is (utilise une voix drôle).
632 : 2: Yeah. (Utilise une voix drôle)
633 : 3: Who are…
634 : 2 : You’re not supposed to know!
635 : 3 : Who are you doing it for?
636 : 2 : I can’t tell you.
637 : 3 : Please!
638 : 2 : No.
Le propos 625 annonce une intention (même si elle n’appartient pas à l’individu qui la
déclare) en affirmant un projet qui peut être réduit à la dynamique de la situation. Étant donné la
rareté de ce que nous cherchions, nous sommes quelque peu limité dans les exemples qu’on peut
tirer. Malgré cela, le propos démontre qu’il y a des situations où un projet peut précéder l’échange
(nous assumons ici que le projet a été réalisé). Mais ce n’est certainement pas la norme, et nous
pouvons même dire que c’est rare.
4.1.6 Un projet ultérieur émerge de la dynamique
Nous avons voulu aussi approfondir notre analyse de l’émergence d’un projet ultérieur
dans les propos en examinant la fréquence d’après laquelle l’annonce d’un projet ultérieur émerge
de la dynamique de l’échange en cours. À cette question, nous pouvons répondre par « oui », par
« non » ou par « sans objet » dans le cas où il n’y a pas d’annonce d’un projet ultérieur dans le
105
propos. Nous remarquons que, dans 1,9 % (10 cas) des propos observés on peut affirmer que
l’annonce d’un projet ultérieur est le fruit de la dynamique qui se produit entre les interlocuteurs.
Cela représente 71,4 % des propos où l’affirmation d’un projet ultérieur a pu être repérée. Alors
que repérer l’annonce d’un projet ultérieur est rare, lorsqu’on peut en repérer, nos observations
témoignent surtout du fait qu’elle est le résultat de la dynamique en cours. Seulement dans 4 cas
nous avons observé que le projet n’émerge pas de la dynamique en cours, soit 0,8 % de la totalité
des propos ou 28,6 % des propos où nous avons pu repérer l’annonce d’un projet ultérieur. Donc,
même les projets tendent à émerger dans la dynamique entre les interlocuteurs et ne peuvent être
réduits à l’individu. Alors, ils se comprennent dans la relation entre les interlocuteurs. On doit
admettre que, même l’intention est en grande partie le produit d’une dynamique qui ne peut
s’expliquer lorsqu’on dissèque l’individu. Examinons un exemple.
Illustration 6179 :
1 182: 1 : We need the lights.
1 183: 5: I know.
(Inaudible.)
1 184 : 1 : Hey!
1 185 : 2 : Regarde-là. This floor mat, I don’t care about the rest, but this one here, you have
to be very careful with. I’m just telling you, you have to be careful with this floor. It’s
the only place where I’m saying.
1 186 : 1 : (Inaudible.)
1 187 : 2 : Il va falloir le changer dans une couple d’années.
1 188 : 1 : Les lumières que tu as ramassés, c’était des lumières de…
1 189 : 2 : No. We have tons of interior lights. We change them every couple of years.
1 190 : 1 : Yeah, I know.
1 191 : 2 : Tu n’en as pas assez ou quoi ?
1 192 : 1 : Non, non, I’m just asking.
1 193 : 2 : Si tu en as pas assez… (Quitte la pièce.)
1 194 : 1 : I’ll have to find my angel.
179 Famille 2; op. cit.
106
L’échange commence avec une déclaration (propos 1 182) de la part du parent qui est suivie
par une affirmation de la part de l’enfant (propos 1 183). Mais nous remarquons une interruption
brusque de l’échange. L’échange commence par une alerte par la mère que ce que l’enfant est en
train de faire n’est pas approprié. Le « Hey! » est dit sèchement et avec autorité. Le propos est
suivi par une explication de la part du père pour fournir un raisonnement qui assurera la
compréhension de l’objection de la mère. Une fois achevée, la conversation change de direction et
reprend son trajet initial. Dans ce court échange, on peut remarquer comment la déclaration qui se
trouve au propos 1 187 annonce un projet (anticipation de réparation de la maison) et que cette
déclaration est le fruit de la dynamique de l’échange. Quoique le père puisse bien avoir le projet
de remplacer le plancher, le propos serait difficilement compréhensible sans les propos qui le
précèdent. C’est bien le propos de la mère qui suscite l’explication du père qui, par la suite, déclare
un projet. Nous ne pouvons ramener la déclaration du père qu’à lui. Sa déclaration a été précipitée
par l’acte de l’enfant et elle a été suivie par un commentaire de la mère qui est clair sans pour
autant être spécifique. Donc, encore une fois, il est manifeste qu’on ne peut réduire chaque propos
à l’individu et qu’en l’absence de la modélisation relationnelle, nous sommes incapables de rendre
compte d’interactions comme celles-ci.
4.1.7 De la non-intégration des propos
Dans l’optique des théories de l’action où l’intention réside dans l’individu, il va de soi
que, si ce postulat est vrai, nous devrions pouvoir observer une non-intégration de l’information,
c’est-à-dire que si les échanges reposent uniquement sur l’intention de chaque individu, les
répliques de chaque interlocuteur révéleront une non-intégration des propos. À la question de la
non-intégration des propos, nous pouvons répondre par « oui », par « non » ou par « sans objet »
107
dans le cas où le propos émis est le premier dans une série d’échanges. Nous répondrons par « oui
» dans les cas où il y a non-intégration, par « sans objet » lorsque nous ne disposions pas de
suffisamment d’information pour en faire le tri et par « non » dans tous les autres cas. Dans
seulement 2,3 % des cas (12 cas) pouvons-nous repérer une non-intégration de l’information. C’est
un phénomène qui est rare. Cette rareté rappelle la fluidité des échanges. Elle témoigne de la
réciprocité des échanges entre les interlocuteurs et indique encore que les propos ne peuvent être
réduits à l’individu. Examinons un échange.
Illustration 7180 :
113 : 2 : (4) turn on the lamp please.
114 : 4 : I’m starving! Starving, starving, starving, I am starving!
115 : 1 : Like, you, nobody could’ve emptied this today, like?
116 : 2 : I couldn’t of emptied it, I wasn’t here.
117 : 1 : Well, I can barely pull it out because everyone’s shoved some much junk into it!
118 : 2 : I know.
119 : 1 : And like you couldn’t of picked up the fluff everywhere, no that light doesn’t come
on. He unplugged it to plug in his stuff. Ah, you might be able to plug it in, I think he was
just plugging in…
120 : 2 : Holly cow!
121 : 1 : Yeah, I know! Haha. Yes, I know, we need to go buy him some, ah, like some, like
one of those cones but, like, large.
122 : 2 : He’s not interested in cones.
123 : 1 : Yeah, exactly.
124 : 2 : Here.
L’échange commence quand le père demande à l’enfant d’allumer la lumière. Le propos est
ignoré et la réplique de l’enfant ne répond aucunement à la demande du père. Ensuite, la mère
affirme son mécontentement du fait que personne n’a vidé les ordures et donc elle est prise avec
180 Famille 4; op. cit.
108
un sac plein et elle n’a nulle part è mettre ses déchets. Donc le propos de l’enfant (propos 114) est
aussi ignoré par ceux qui sont dans la salle. Le père, lui, réplique au propos de la mère en expliquant
qu’il n’était pas à la maison, donc ne pouvait le faire. Donc les deux premiers propos (celui du
père et celui de l’enfant) sont ignorés. Puisqu’il n’y a pas d’intégration de leurs propos dans
l’échange, le discours est par conséquent interrompu. La trame discursive ne se poursuit pas. Elle
est interrompue et nécessite la reconnaissance de l’autre pour qu’elle puisse évoluer. Sans cette
reconnaissance, elle ne peut évoluer et elle, d’une certaine façon, conclut cette partie de la
conversation. À nouveau, si les propos pouvaient être réduits à l’individu, ce genre de phénomène
ne poserait pas de problème. L’individu n’aurait pas besoin d’une réciprocité pour que le discours
se poursuive parce qu’il serait le seul responsable de l’échange. Mais puisque c’est un échange, la
réciprocité est fondamentale à l’échange et, en son absence, la trame discursive s’arrête
subitement.
4.1.8 De la persistance de la non-intégration des propos
Encore dans l’esprit d’approfondir notre analyse, nous avons voulu explorer la fréquence
à laquelle la non-intégration des propos persistait lorsque l’interlocuteur obtenait de nouvelles
informations. Nous avons seulement observé 2 cas où la non-intégration de l’information
persistait. Donc dans presque tous les cas nous avons observé une intégration des propos
lorsqu’une nouvelle information est ajoutée. Les théories de l’action ne peuvent expliquer ce genre
de phénomène. Elles ne peuvent comprendre comment le propos d’un interlocuteur est en lien avec
l’autre puisque leur analyse est centrée sur l’individu. Nous reconnaissons qu’il y a des courants
théoriques comme l’interactionnisme symbolique, l’ethnométhodologie et surtout l’analyse
109
conversationnelle qui ont apporté une contribution importante au genre d’analyse que nous faisons.
En portant attention aux différences entre ce que nous faisons et l’analyse conversationnelle
comme la voyait Harvey Sacks, il reste que les chercheurs qui ont œuvré sous ces modélisations
théoriques ont tous compris à un niveau ou un autre que l’individu est en relation. Il nous semble
important de faire cette remarque pour qu’on ne perde pas de vue qu’il y a une histoire riche de ce
genre d’analyses et aussi pour qu’on perçoive bien que nous ne nions pas la possibilité qu’un
individu utilise la raison, qu’il arrive avec une intention ou qu’il se positionne de façon stratégique
face à une question. Ce que nous voulons souligner est que la modélisation relationnelle et ses
indicateurs se sont dévoilés dans nos observations. Passons à l’examen d’un échange à l’aide de
l’illustration 8.
Illustration 8181 :
643 : 1 : En (4) ?
(Inaudible.)
644 : 2 : Not cool!
645 : 4 : Sorry!
646 : 1 : (4), (4), (4)!
(Inaudible.)
647 : 3 : Je ne veux pu de dessert.
648 : 4 : Je m’en vais en bas. (Quitte la pièce.)
Dans ce cas, le parent essaie d’obtenir l’attention de l’enfant en appelant son nom (propos 643).
Au propos 644, le père lui lance un commentaire pour lui indiquer que ce qu’il fait n’est pas
approprié, un propos auquel il répond alors qu’il ignore celui de sa mère. Ensuite, au propos 646,
sa mère essaie encore d’obtenir son attention en prononçant son nom de façon répétée et en
181 Famille 3; op. cit.
110
augmentant le volume. L’enfant déclare qu’il quitte la cuisine pour aller au sous-sol sans
reconnaître les propos de sa mère. Ce genre d’interaction est rare. Dans certaines conditions, on
pourrait voir comment la non-intégration de l’information pourrait être utilisée pour souligner une
conviction ou l’importance d’un thème. Mais, dans des échanges interpersonnels, comme ceux
qu’on trouve entre membres d’une famille, il y a certainement une saveur d’hostilité dans ce genre
d’interaction. Elle révèle un désagrément entre les interlocuteurs. On peut constater que ce genre
d’interaction ne permet pas une progression dans l’échange. Sans la reconnaissance de
l’interlocuteur d’un propos émis, la personne est réduite à répéter son propos pour essayer de se
faire comprendre. La conversation ne peut pas évoluer. La conversation est prise dans un paradoxe
où l’interlocuteur veut faire avancer son propos mais ne peut pas le faire sans l’autre. Cela met en
évidence la nature relationnelle de ces échanges.
4.1.9 Indicateurs de stratégie : Enchaînement entre fin et moyen
Si nous, dans les échanges que nous avons captés, nous pouvons repérer un lien entre une
fin et un moyen, c’est que les propos témoignent de la stratégie qu’utilisent les interlocuteurs pour
atteindre leur but. Si ce n’est pas le cas, alors la modélisation relationnelle sera un meilleur outil
pour comprendre les interactions entre les interlocuteurs puisqu’elles ne seront pas le résultat de
la stratégie mais de la dynamique qui se produit entre les interlocuteurs. À la question de savoir
s’il y a un lien entre une fin et un moyen, nous pouvons répondre soit par « oui » ou soit par « non
». Dans 1,9 % des cas (10 cas), nous avons pu repérer un lien entre une fin et un moyen dans les
échanges enregistrés. Donc, dans la grande majorité des cas (515 cas ou 98,1 % des cas), nous
n’avons pas pu établir un lien entre une fin et un moyen. Donc les propos ne s’expliquent pas
111
essentiellement en termes de fin et de moyen. Ils ne se comprennent pas simplement à partir d’objet
statique puisque le résultat de l’échange est le fruit de la contribution de chaque interlocuteur.
Puisque ni l’un ni l’autre ne sont en mesure de prédire la contribution d’autrui, le produit final ne
peut être anticipé. Examinons un échange à titre d’exemple.
Illustration 9182 :
523 : 2; Hey (4), it’s supper.
524 : 1 : (4), (4), hey wake up (4), go wash your hands and we’re eating supper.
525 : 3 : How much pepper did you put in it?
526 : 2 : 1.
527 : 1 : Go wash your hands sweetheart.
528 : 2 : You want to come do yours hon?
529 : 1 : Yeah, I just want to find something for us and the kids (on tv).l
530 : 2: I would plate yours honey, but you’re going to put the Saracha in there.
531 : 1 : I’m going to put some Saracha.
532 : 3 : 1 pepper, that’s it?
533 : 1 : Well we did it, so you, guys, can have some.
534 : 2 : Yeah. Try it.
535 : 1 : Oh, and we’ve got the Fright Night, guys, the original Fright Night!
536 : 2 : Oh yeah?!?
537 : 3 : Can we watch that?
538 : 1 : No, no. I’m trying to remember how old I was when I watched it! I was, I was pretty
young actually.
539 : 2 : Go ahead… sweety.
540 : 1 : Hmmmm. They’d like the sketch.
541 : 2 : (4)… (Inaudible ; le son de la télévision est très élevé.)
542 : 1: I got you lots of milk there.
543 : 3 : I might want more.
544 : 1 : I’ll put the milk on the table. Be careful when you pour it… I don’t think that any of
you will want…
545 : 3 : Oh, daddy, I don’t want anymore!
546 : 2 : Eat what you can.
547 : 3 : I did!
548 : 2 : Eat some more!
549 : 3 : I don’t want anymore.
182 Famille 5; 1 est la mère, 2 est le père, 3 est la fille ainée et 4 est la fille cadette.
112
(Inaudible.)
550 : 3: I did!
551 : 1 : No, you didn’t eat very much baby! Have a little bit more, you’ve got to eat supper
hon! You’re doing good though!
552 : 3 : I don’t…
553 : 1 : It’s like you’re building up your strength… buds. It’s called spice buds instead of taste
buds, spicebuds.
554 : 3 : It’s too spicy.
555 : 1 : Have two more bites.
556 : 3 : I don’t like the chick peas though.
557 : 1 : What are you talking about? You like them at (nom d’une personne)?
558 : 3 : I’m only going to have the potatoes.
559 : 4 : Mommy, can I have two bites?
560 : 2 : Yeah you can have two bites.
Dans cet échange, c’est l’heure du souper et la famille est à la table. Le parent sert un repas
que l’enfant trouve épicé. L’enfant ne semble pas être intéressé à consommer un mets épicé.
L’enfant commence en demandant le nombre de piments qui se trouvent dans son mets
(propos 525) auquel le parent répond par 1 (propos 526). Au propos 533, l’enfant répète sa
question pour s’assurer qu’il n’y a qu’un seul piment dans le mets. Son père répond au propos 534.
La mère encourage la consommation et rassure l’enfant qu’elle a accès à du lait si elle trouve le
mets trop épicé (propos 542). Finalement, après un court délai, l’enfant affirme qu’elle ne veut
plus manger son mets (propos 545). Les propos 546 à 549 démontrent l’incompatibilité de la
position du parent et de celle de l’enfant. Le parent affirme qu’il veut que l’enfant mange son mets
alors que l’enfant persiste qu’elle n’en veut plus. La mère encourage l’enfant au propos 551. Mais
l’enfant maintient qu’elle n’en veut plus au propos 554. La mère affirme que l’enfant peut ne
prendre que deux autres bouchées et elle aura fini son souper (propos 555). Au propos 559, l’enfant
assure qu’elle a bien entendu sa mère en répétant ce que la mère avait dit. La mère répond que oui,
elle avait bien compris.
113
Dans cet échange, on remarque une compétition entre ce que le parent veut et ce que
l’enfant veut. Le parent veut que l’enfant mange un mets épicé alors que l’enfant veut éviter de
consommer le mets. Nous observons un enchaînement entre une fin et un moyen dans les stratégies
que le parent utilise pour atteindre son but. Les parents affirment d’abord leur position verbalement
avec un ton autoritaire. Ensuite, les parents soulignent le fait que l’enfant a accès à une boisson
pour la soulager si le mets devient trop épicé. Finalement, les parents diminuent leurs attentes en
permettant à l’enfant de ne prendre que deux bouchées de plus, au lieu d’avoir à finir son assiette.
Donc, il y a évidemment un lien entre un moyen et une fin ici. Nous pouvons clairement observer
comment les parents s’y prennent pour atteindre le but qu’ils se sont fixé (le but que l’enfant
consomme un mets épicé). Alors qu’il est vrai qu’il y a un lien entre un moyen et une fin et que
cette observation témoigne d’une stratégie de la part de l’enfant, on peut bien remarquer comment
la stratégie se modifie tout au long du souper à la suite des réponses de l’enfant. Alors, il nous
semble que nous devons admettre que même si les interlocuteurs montrent les signes d’une
stratégie (phénomène qui ne se produit que rarement selon nos observations), ces stratégies se
modifient au cours de l’échange. L’interlocuteur peut assimiler l’information de l’autre et
intervenir sur ses stratégies. C’est la notion d’historicité que nous observons aussi. C’est à cause
de la nouvelle information qui se révèle dans l’échange que les parents peuvent modifier leurs
stratégies. Donc la stratégie se dessine sur un arrière-fond d’historicité. Encore, on peut remarquer
comment la réalité des échanges entre interlocuteurs ne peut pas être expliquée par les théories de
l’action puisque leurs postulats n’ont pas la puissance analytique pour rendre compte de ce qu’on
observe. Alors qu’une personne peut être stratégique, elle ne peut être stratégique à l’extérieur de
la relation. Elle est stratégique dans le contexte dans lequel elle se trouve et en considération des
informations qui sont échangées.
114
4.1.10 Est-ce que la fin se modifie ?
Alors, dans les propos où on retrouve un lien entre une fin et un moyen, on peut se poser
la question de savoir si, pendant l’échange, la fin se modifie. Nous pouvons répondre de 3 façons
à cette question, « oui », « non » ou « sans objet ». S’il n’y a pas de lien entre une fin et un moyen
on répondra par « sans objet ». Si nous observons un lien entre une fin et un moyen à travers
l’échange, la fin se modifie, nous répondrons par « oui ». Dans toutes les autres circonstances,
nous répondrons par « non ».
Nous avons déjà montré comment, dans la vaste majorité des cas, nous ne pouvons pas
repérer un lien entre une fin et un moyen dans les propos. Dans 0,6 % des cas (3 cas) nous avons
observé un lien entre une fin et un moyen où la fin se modifie en conséquence à l’échange. Cela
représente 30,0 % des cas où nous avons repéré un enchaînement entre une fin et un moyen. Donc,
même lorsqu’il y a enchaînement, le phénomène se transforme alors que la relation évolue, que de
nouvelles informations sont échangées, que le contexte change, etc. Prenons un exemple.
Illustration 10183 :
2 457 : 5 : Mommy, I’m hungry. Mommy I’m hungry.
2 458 : 1 : Yeah, we’re going to make supper, we’re going to arrange something in a couple of
minutes when daddy comes.
2 459 : 5 : No it’s not.
2 460 : 1 : I already gave you something.
2 461 : 5 : Snacks. Snacks! I want some snacks.
2 462 : 1 : Snacks? In a couple minutes ok. Wait! Turn the (inaudible), every time you move
it makes it hard for me to read it.
2 463 : 5 : I want crackers!
2 464 : 1 : No, you’re going to have wait for dad to get home and he’s going to get it.
183 Famille 1; op. cit.
115
2 465 : 5 : I have to go pee.
2 466 : 1 : Ok, go.
2 467 : 5 : Mommy, come wipe my bum!
2 468 : 1 : Ok. I’m coming. Do you have caca?
2 469 : 5 : Fishy crackers!
2 470 : 1 : Fishy crackers? I don’t know where they are. (4) where did you put them?
2 471 : 4 : In the door.
2 472 : 1 : Can you get her some fishy crackers before she freaks out? If you eat fishy crackers,
you have to eat them in the kitchen though.
2 473 : 5 : Mommy, I’m cold.
2 474 : 1 : Yeah, I know. You can’t eat that in the living room. You have to eat it in the kitchen
(5).
2 475 : 5 : I’m cold.
2 476: 1 : I don’t care if you’re cold, you have to eat it in the living room, you’re not allowed...
I’m going to count to 3 and…
Ici on peut observer une interaction entre une mère et un enfant où l’enfant cherche à se
procurer d’une collation alors que la mère s’y oppose puisque l’heure du souper n’est pas loin.
L’échange commence avec une proclamation de l’enfant au propos 2 457 qu’il a faim. Le propos 2
458 de la mère reconnaît l’affirmation de l’enfant en rassurant que le souper sera servi dans un
court délai. Mais la réponse ne satisfait pas l’enfant et il affirme qu’il veut une collation au propos 2
461. On observe l’enchaînement qui se poursuit au propos 2 472 où la mère change le but de son
projet. Alors que l’enfant, lui, voulait manger, la mère ne voulait pas lui offrir une collation puisque
la famille se préparait pour le souper. Mais à mesure que l’enfant persiste, la mère abandonne son
projet initial qui voulait que l’enfant ne mange qu’au souper et modifie la fin de son projet pour
acquiescer à la demande de l’enfant. Cette modification de la fin du projet de la mère ne s’explique
pas sans les propos de l’enfant. Donc sans l’interaction entre le parent et l’enfant, le projet de la
mère n’aurait pas été modifié. Alors cet échange s’explique difficilement à l’extérieur d’une
modélisation relationnelle. Ce bref échange montre comment une conversation se construit sur la
dynamique en cours. Il montre, comme le prédit le postulat de l’historicité, comment un individu
116
peut intervenir sur l’information qui est échangée pendant la conversation même pour modifier
l’intention. Alors que le parent et l’enfant persistent dans leur position au début de l’échange, on
remarque que, en très peu de temps, le parent modifie sa position. Comment expliquer ce
déplacement simplement à partir de la notion d’intention ? Comment pourrait-on rendre compte
d’un échange comme celui-ci sans une modélisation relationnelle ? C’est que l’intention, les
moyens et les fins ne sont pas immuables. L’intention fait partie de cet échange et cet échange
appartient aux deux interlocuteurs. Nous ne pouvons faire de sens de cet échange si nous réduisons
l’analyse qu’à un interlocuteur.
4.1.11 Est-ce que le moyen se modifie ?
Alors, dans les propos où on retrouve un lien entre une fin et un moyen, on peut se poser
la question de savoir si, pendant l’échange, le moyen se modifie. Encore, de façon semblable à ce
qui est tout juste apparu, nous pouvons répondre de 3 façons à cette question, « oui », « non » ou
« sans objet ». S’il n’y a pas de lien entre une fin et un moyen, nous répondrons par « sans objet ».
Si nous observons un lien entre une fin et un moyen à travers l’échange et que le moyen se modifie,
nous répondrons par « oui ». Dans toutes autres circonstances, nous répondrons par « non ».
Dans seulement 0,2 % des cas (1 cas) nous avons observé un lien entre une fin et un moyen
où le moyen se modifie suite à l’échange. Cela représente 10,0 % des propos où nous avons pu
repérer un enchaînement avec une fin. Donc, dans 1,7 % des cas (9 cas) il n’y a eu aucune
modification du moyen. Cela représente 90,0 % des cas où nous avons pu observer un lien entre
une fin et un moyen. Comme dans le raisonnement ci-haut, même lorsqu’il y a enchainement entre
une fin et un moyen, cet enchaînement n’est pas immuable. Les moyens évoluent au fur et à mesure
117
que la relation évolue et ne peuvent être compris que dans la relation. Prenons l’échange qui suit
à titre d’exemple.
Illustration 11184 :
1 728 : 4 : (5)! (5)!
1 729 : 3 : She’s over here!
1 730 : 4 : Where?
1 731 : 3 : Right here beside me! Can I have another one? Oh, I’m sorry (5).
1 732 : 5 : I got the book, I got my book. Want to read it?
1 733 : 3 : Not right now, I’m trying to do something.
1 734 : 5 : You ripped it!
1 735 : 3 : Fine, (Inaudible.) Can you come here for a second, dad?
1 736 : 2 : What’s up?
1 737 : 4 : Dad!
1 738 : 3 : Uhm, here, well, ok…
1 739 : 4 : Daddy!!!
1 740 : 3 : How do you enter it, like make it ok so it goes on?
1 741 : 2 : I don’t know.
1 742 : 3 : I don’t know either.
1 743 : 2 : I never (inaudible), you’ll have to figure it out.
1 744 : 3 : I’ve been pressing every button! I’ve done it like seven times! Oh, I 117i dit!
(Inaudible, plusieurs personnes parlent en même temps)
1 745 : 4 : Wait! Haha! No! Bad dog! No! (Quitte la pièce.) Hey, that’s mine! That’s mine!
1 746 : 3 : No, stop! Don’t hit me!
1 747 : 2 : What’s going on out there? (4), come over here (4). Come over here. Come over
here (4). (4) come here, I want to talk to you. (4) please come here.
1 748 : 4 : No, no, no!
1 749 : 2 : What’s the problem over here? Can you leave (5), can you leave your sister alone
please? (4)? (4) what are you doing? What do you want? What do you want? (5) get
away.
(Inaudible, dans une autre pièce.)
1 7450 : 2 : You can get along, you can play in each other’s rooms. (4), you’re going to get a
time out if you keep going like this. (Quitte la pièce)
Ici, on trouve un échange entre trois enfants et leur père. L’échange débute avec un jeune
garçon qui appelle sa petite sœur (propos 1 728). Il le fait avec enthousiasme. La sœur aînée répond
184 Famille 5; op. cit.
118
en indiquant où la cadette se trouve (propos 1 729) dans la maison. Au propos 1 730, le garçon
demande une précision et la sœur aînée lui répond au propos suivant. Au propos 1 732 la fille
cadette demande un service de sa grande sœur où elle répond qu’elle est occupée à faire quelque
chose. Selon l’enregistrement, la fille aînée essaie de manipuler la télécommande pour faire
fonctionner la télévision, ce qui nécessite un savoir-faire qu’elle ne semble pas posséder. Donc
elle veut achever sa tâche et repousse les autres demandes qu’on lui fait pour qu’elle puisse finir.
Elle commence par demander de l’aide à son père. On remarque aux propos 1 733 à 1 739 qu’elle
tente d’avoir l’attention de son père pour lui poser une question. Finalement, lorsqu’elle a son
attention, elle peut lui poser sa question au propos 1 740. La jeune fille dévoile qu’elle a un projet
en tête, elle n’est pas certaine de la façon de faire fonctionner les commandes de la télévision pour
arriver à son but, donc elle demande l’aide de son père. Au propos 1 741, le père affirme qu’il ne
sait pas non plus comment faire cela. Donc, la fille doit maintenant changer de moyen pour
atteindre son but. Son père suggère qu’elle devra maintenant elle-même solutionner son problème.
Elle affirme au propos 1 744 qu’elle appuie sur tous les boutons et n’arrive quand même pas à son
but. Elle a modifié son moyen pour atteindre sa fin en conséquence de la réponse de son père. Si
son père avait répondu autrement, elle n’aurait pas eu à essayer d’appuyer sur tous les boutons.
C’est suite à la réponse du père qu’elle a dû essayer de résoudre son problème autrement.
Il est clair que la fille pensait que son père était en mesure de répondre à sa question et qu’elle
serait capable d’atteindre son but. Elle n’avait aucune façon de savoir que son père ne savait pas
comment faire. Cette information s’est révélée à travers l’échange, à travers la dynamique qui se
produit entre interlocuteurs. Une fois qu’elle en a pris connaissance, elle a modifié son approche
pour essayer d’atteindre son but. Donc, l’enchainement qu’on observe entre une fin et un moyen
ne peut être réduit à l’individu. Lorsque de nouvelles informations émergent, l’interlocuteur
119
modifie sa position en conséquence. Mais il nous serait impossible de comprendre cette évolution
si nous réduisions l’analyse à l’individu. C’est dans une analyse qui est centrée sur la relation que
nous pouvons pleinement comprendre ce qui se produit entre les interlocuteurs.
4.1.12 Indicateurs de socialité
On peut se poser la question de savoir si les attitudes des interlocuteurs se modifient à partir
des informations qui sont échangées. À cette question, nous pouvons répondre par « oui », par «
non » ou par « sans objet ». Nous répondrons par « oui » lorsque nous observerons une
modification importante d’une position, d’une attitude ou d’un point de vue de la part d’un
interlocuteur. Nous répondrons par « sans objet » lorsque nous ne serons pas en mesure d’en faire
la détermination. Dans tous autres cas, nous répondrons par « non ».
Dans 98,1 % des cas (dans 515 cas), nous ne notons aucune modification de l’attitude des
interlocuteurs par rapport à l’information qui circule. Dans notre échantillon, nous avons coté 0,4
% des cas (deux propos) comme étant « sans objet » puisqu’ils étaient les premiers propos de
l’enregistrement. On remarque 1,5 % des cas (8 cas) où nous avons repéré une modification de
l’attitude d’un interlocuteur à cause de l’information qui circule. Donc, dans la grande majorité
des cas, on ne remarque pas de modification. Prenons un exemple :
Illustration 12185 :
1 369 : 2 : Get off of it.
1 370 : 1 : What?
1 371 : 2 : Get off of it.
1 372 : 1 : Ah fucking bite me!
1 373 : 2 : Well get off of it!
1 374 : 1 : No!
185 Famille 4; op. cit.
120
1 375 : 2 : If you want to get stuff done and you want help…
1 376 : 1 : Ah, you know what? Shut your mouth! I’m not the one that was laying in bed for
the last hour.
1 377 : 2 : Sorry, what were you doing? Playing on the computer.
1 378 : 1 : No I wasn’t! I was checking for fucking a piece of furniture. There’s a difference.
1 379 : 2 : You don’t need a piece of furniture right now. We, we, you want to check a piece
of furniture? Go check all the pieces of furniture that need to come out of that room
downstairs.
1 380 : 1 : That’s fine.
1 381 : 2 : That’s not fine. (Nom) is coming over to put that...
1 382 : 1 : I’m very fucking well aware!
1 383 : 2 : You’re on your own!
1 384 : 1 : Whatever!
1 385 : 2 : You’re on your own.
1 386 : 1 : I don’t give a fuck. Anything to not work. (elle se parle toute seule) I’m on my
own? Get the fuck out!
Ici nous observons un désaccord entre parents. Alors qu’il n’y a pas de changement explicite
contenu dans cet échange, nous pouvons quand même observer un désaccord substantiel qui est
nécessairement au contraire à la relation typique. L’échange commence avec une requête de la part
du père, elle est suivie d’une réponse brusque de la part de la mère. Le père persiste dans sa requête
et la mère persiste dans son refus. Les partenaires s’échangent des justifications pour chacune de
leur position, se lancent quelques injures et terminent l’échange en reconnaissant qu’en ce moment,
ils ne peuvent pas s’entendre. Finalement, au propos 1386, la mère dit au père de quitter. Alors
que les propos ne témoignent pas explicitement d’un changement d’attitudes, l’interaction est très
négative et n’est pas représentative des échanges typiques du couple. Ici, chacun accuse l’autre de
ne pas faire sa part. Chacun croit qu’il apporte sa juste contribution. Cette discordance aboutit à
un conflit qui se termine lorsque la mère indique au père de quitter.
Ce genre d’interaction est plutôt rare. Mais il témoigne néanmoins du fait que des propos
émis par les interlocuteurs peuvent avoir un effet sur l’attitude d’autrui. Si cela est bien le cas, c’est
que la perspective sur un phénomène ne peut se comprendre de façon « objective ». L’information
121
est comprise dans un contexte spécifique et, comme on peut le remarquer ici, elle est le résultat de
la relation. L’interaction fait état de la notion de socialité. Elle souligne comment la construction
de la perspective peut être influencée par les propos de l’autre. Dans cet échange, on a un couple
qui, la grande majorité du temps, évolue harmonieusement et s’entend bien. Mais la perspective
de chacun sur la contribution de l’autre ici mène vers le désaccord. Si le désaccord est une
construction à deux, c’est que les interlocuteurs sont nécessairement sociaux. Ils sont
nécessairement en lien l’un avec l’autre et ne peuvent s’extraire de cette relation.
4.1.13 Indicateurs d’historicité
On peut se poser la question de savoir si les propos émis agissent sur la relation qui émerge
entre les interlocuteurs comme l’a fait Girard186. Si les propos agissent sur la relation, c’est que
l’interlocuteur est en relation. C’est que les propos ne peuvent se comprendre à l’extérieur de la
relation, donc qu’ils propos font état de la nature sociale et historique de l’individu.
À la question de savoir si les propos émis agissent sur la relation qui émerge entre les
interlocuteurs, nous pouvons répondre par « oui, et la relation évolue », par « oui, mais la relation
n’évolue pas » ou par « sans objet ». Nous noterons une évolution dans la relation lorsque le propos
intégré par un interlocuteur est intégré par l’autre aussi. À l’opposé, lorsque l’information émise
par un interlocuteur n’est pas intégrée dans le discours de l’autre, quand l’individu, par exemple,
maintient sa position, nous répondrons par « oui, mais la relation n’évolue pas ». Dans tous les
186 Mélanie Girard, Contribution à la critique des théories de l’action. Intention et émoraison, op. cit., p. 325.
122
autres cas (par exemple, si c’est le premier propos émis ou si nous n’avons pas suffisamment
d’information pour clairement faire le tri), nous répondrons par « sans objet » à la question.
Ce que nous remarquons à partir de notre analyse, c’est que, dans 91,8 % des échanges
(482 cas), nous observons des propos qui agissent sur la relation et que cette relation évolue, c’est-
à-dire que l’information émise par un interlocuteur est intégrée dans le discours de l’autre. Étant
donné cette réalité, il est difficile d’expliquer ce phénomène à partir d’un acteur asocial. Si
l’information qui circule entre les interlocuteurs est intégrée dans les propos de ces mêmes
interlocuteurs, c’est que leurs propos ne sont pas immuables. Cela souligne la réalité que l’humain
est fondamentalement social et que les propos sont le fruit de la dynamique qui se produit entre les
interlocuteurs.
Dans 6,9 % des cas (36 cas), nous remarquons que les propos émis agissent sur la relation
alors que la relation n’évolue pas. Nous observons des cas où l’individu répond à une information
d’un interlocuteur sans intégrer l’information à son discours. Le cas qui s’est produit le plus
souvent est celui où deux personnes ont des opinions différentes et où, malgré les arguments de
chacun, les interlocuteurs maintiennent leur opinion. Seulement dans 1,3 % des cas (7 cas) avons-
nous accordé une cote de « sans objet » au propos. Prenons l’échange qui se trouve ci-bas aux fins
d’exemple.
Illustration 13187 :
1 943 : 2 : Well he’s stuck there for a little bit.
1 944 : 1: What?
1 945 : 2 : He’s stuck there for a little bit. What? (1) leave that out, I’m going to move that in
a minute.
1 946 : 1: Ow, ow, ow, ow, ow, ow, ow! What?
187 Famille 4; op. cit.
123
2 : (Inaudible.)
1 947 : 1 : Pardon?
2 : (Inaudible.)
1 948 : 1 : What are you looking at?
1 949 : 2 : The scores.
1 950 : 1 : They need to look at their fucking rankings. I’m sorry, but to beat her opponent,
she fucking shut out like three fucking people in this tournament. That shouldn’t
happen at this level and there can’t that many shitty sevens, you know what I mean?
You know what? She’s got it in her when she wants you know. Her and (name) have
probably been practicing like you’ve never though.
1 951 : 2 : (nom) beat (nom) 7 2.
1 952 : 1 : Wow!
(Inaudible.)
1 953 : 2 : They were all races to 7, 7-4.
1 954 : 1 : Oh, it was a straight race with (nom)?
1 955 : 2 : 7-4, 7-4, 7-5, 7-2.
1 956 : 1 : (Nom) must have played awesome (sport). Good for him. I’m happy for him.
1 957 : 2 : 6-2, 6-3, 6-3.
1 958 : 1 : That’s what I mean like. She was, there was no hill hill?
1 959 : 2 : Either that or it’s a shitty division.
1 960 : 1 : Oh, come on!
1 961 : 2 : Everybody else is…
1 962 : 1 : Oh come on!
L’échange commence avec une affirmation de la part du père. La mère, n’ayant pas bien
compris, lui demande de répéter au propos 1 944 et le père répète son affirmation au propos 1 945.
Cet enchaînement se poursuit jusqu’au propos 1 947. Une autre question est posée par la mère
(propos 1 948), ce qui amorce un changement de sujet. Le père répond et sa réponse suscite une
réaction de la part de la mère. Elle exprime son mécontentement à l’endroit du classement que fait
un organisme quelconque. Le père, lui, continue à partager l’information qu’il obtient sur l’Internet
et la mère laisse tomber le fil de son propos et répond au père. On peut remarquer que la mère, au
propos 1 958, fait référence au point qu’elle a avancé au propos 1 950. Elle affirme que « That’s
what I mean like » en relation à son propos 1 950. Le père répond en offrant une explication
124
nouvelle au propos 1 951. L’échange se termine avec la mère qui exprime son désaccord à l’égard
de cette l’explication du père.
Cet échange souligne la complexité des discours. Les propos 1 943 à 1 947 s’enchaînent et
démontrent clairement qu’il y a une intégration de l’information qui fait évoluer la relation. Il est
évident que chaque interlocuteur prend en ligne de compte ce que l’autre dit en répondant à chaque
propos. Au propos 1 948, on remarque un changement brusque de sujet qui est initié par une
question de la mère. Alors que ce que le père affirme au propos 1949 suscite une réponse forte de
la mère au propos 1 950, son propos n’est pas explicitement reconnu par le père immédiatement.
Ce n’est qu’après que la mère ait fait référence à son opinion au postulat 1 958 que le père
finalement en fait reconnaissance explicite. Il nous semble évident qu’en grande partie, les propos
agissent sur la relation en cours et la font évoluer. Les propos se construisent les uns sur les autres.
Ce phénomène souligne que la relation est historique. La fluidité des discours, la réciprocité qu’on
observe dans les échanges, l’impact de l’information qui circule sur la relation ne peuvent être
expliqués à l’extérieur de la relation. Les échanges qu’on observe ici soulignent le fait qu’on ne
pourrait pas efficacement rendre compte de ces observations à l’extérieur de la relation comme le
voudraient les théories de l’action.
4.1.14 Le rapport à l’autre
On peut aussi chercher à savoir si le rapport à l’autre se transforme à cause de l’information
qui circule entre les interlocuteurs. Si on observe une transformation par rapport à l’autre, c’est
que les propos témoignent de la nature historique des échanges. C’est que l’interlocuteur peut
intervenir sur un propos précédent.
125
Encore, comme Girard188 l’a fait, nous pouvons répondre par « oui », « non » ou « sans
objet » à cette question. Dans les cas où nous pouvons clairement déceler si le rapport à l’autre se
modifie à cause de l’information qui circule, nous répondrons par « oui ». Si nous ne pouvons pas
déceler clairement s’il y a modification du rapport à autrui à cause de l’information qui circule,
nous répondrons par « sans objet ». Dans tous les autres cas, nous répondrons par « non ».
Dans 2 cas nous avons catégorisé un propos comme étant « sans objet » puisqu’il était le
premier dans l’enregistrement. Nous avons observé dans 0,4 % des cas (2 cas) que le rapport à
l’autre se transforme à cause de l’information qui circule. Dans la grande majorité des cas, soit
99,2 % (521 cas), nous n’avons remarqué une transformation du rapport à l’autre à cause de
l’information qui circule. Prenons un exemple pour souligner le point.
Illustration 14189 :
1 990 : Ok, you say that I should be a fucking (rang) in (classe), listen asshole, I got my ranking
in (classe) because I didn’t play before!
1 991 : 2 : I’m just…
1 992 : 1 : You know, you know why do you always have to put me down?
1 993 : 2 : I don’t. You put yourself down.
1 994 : 1 : Ok fine. But I got my (nom) playing (classe). So I was an (rang) in (classe). A legit
(rang) in (classe) and you’re fucking like you should be a (rang). Maybe this session,
yeah, I’m playing like shit.
Bien que cet échange soit très court, nous pouvons quand même observer l’effet qu’a
l’information qui circule sur la relation en cours. Ici, on observe une discussion entre parents avec
un certain niveau d’intensité. Le langage utilisé est fort ainsi que le ton et le rythme de la parole
suggère que le discours est motivé d’une part pour souligner le point et, d’autre part, par l’émotion
188 Mélanie Girard, Contribution à la critique des théories de l’action. Intention et émoraison, op. cit., p. 311. 189 Famille 4 ; ibid.
126
qui est évidente dans le discours. L’échange commence avec l’objection de la mère à ce que le
père a dit. En plus de souligner son désaccord avec l’opinion du père, elle justifie son désaccord
avec un raisonnement pour appuyer son opinion. Au propos 1 991, le père tente une réplique mais
se retrouve interrompu. La mère continue son discours au propos 1 992 en posant une question
pour savoir pourquoi le père la dénigre. Le père répond au propos 1 993 que ce n’est pas lui mais
la mère qui se dénigre par ses propres mots. Au propos 1 994, la mère cède. Donc, ici on observe
clairement un changement d’opinion par référence au propos 1,992, mais aussi une transformation
du rapport de l’un à l’autre. Alors que la mère attribue le dénigrement au père (et elle le fait de
façon emphatique), une fois que le père lui propose une information qu’elle ne possédait pas, elle
change d’attitude, et le rapport au père change. Le ton de l’échange change suite à la déclaration
de cette information. Elle accepte la prémisse du père qui nécessite un changement de
positionnement. Alors que le rapport à l’autre était tantôt tendu, il devient plus harmonieux. Si la
relation était immuable, ce phénomène serait difficilement explicable. Mais c’est précisément
parce que la relation n’est pas immuable qu’on peut rendre compte de cet échange. C’est parce que
la communication se construit sur une symbolique qui nous permet d’intervenir sur elle et, donc,
nous permet d’intervenir sur la relation.
Alors si le rapport à l’autre peut se modifier, même si ce n’est pas le cas de façon régulière,
nous devons admettre que la relation à l’autre peut se modifier. Donc la relation n’est pas
immuable. Elle est changeante, elle évolue, elle est dynamique. Si tel est le cas, les théories de
l’action peuvent difficilement expliquer ce que nous observons. Si la communication peut être
réduite à l’individu, comment pouvons-nous expliquer le changement du rapport entre les
interlocuteurs ? Si on accepte que l’humain soit fondamentalement communicationnel et qu’il se
livre dans la relation, ces observations deviennent beaucoup moins embêtantes. Si on accepte que
127
l’information agisse sur la relation en cours, alors on doit accepter que ce que nous observons est
un phénomène social, historique et émorationnel.
4.1.15 Indicateurs d’émoraison
Si nous pouvons faire la démonstration qu’un moment informatif peut se construire par un
moment antérieur, nous serons en mesure de montrer comment le discours entre interlocuteurs ne
peut être réduit à l’intérêt ou à l’intention. Si on ne peut pas réduire le contenu du dialogue à ces
facteurs, c’est que le dialogue se construit dans une logique relationnelle. C’est que le discours ne
peut s’expliquer par la pure raison, c’est qu’il est émoraison. Nous avons fait cette vérification.
Lorsque nous faisons référence à un projet antérieur, nous faisons référence à notre capacité à
reconstruire une trame discursive qui renvoie à un projet antérieur.
Ce que nous observons à partir de nos données est que, dans 86,7 % des cas (455 cas), nous
pouvons retracer une trame discursive fondée sur un projet antérieur à partir des propos qui sont
échangés. En grande partie, les propos qui sont échangés peuvent être retracés en fonction de ce
qui les précède. Étant donné ce phénomène, il est difficile de concevoir comment l’intérêt ou
l’intention pourrait dominer les échanges. Effectivement, ces notions ne peuvent expliquer ce
qu’on observe dans ces échanges. Alors que cette construction de propos souligne aussi les
postulats d’historicité et de socialité de la modélisation relationnelle, elle montre comment le
discours n’est pas réductible à la raison ou l’intention. Et si on ne peut la réduire qu’à la raison ou
à l’intention, c’est qu’elle se livre à travers l’émoraison. Prenons un exemple pour illustrer le
phénomène.
128
Illustration 15190 :
149: 1 : Did you see what granny bought you?
150 : 3 : What?
151 : 1 : Come look, look it, come see.
152 : 3 : What is it? A new water bottle?
153 : 1 : Need milk.
154 : 3 : Can I put milk in that thing?
155 : 1 : I think that it would destroy it. I don’t know, I think that if it doesn’t get rinsed and
cleaned right away that it would get all hard and nasty. At least stick with water.
3 : (Inaudible.)
156 : 1 : No, I think you have to stick with water in that. (2) get another glass.
157 : 3 : What about orange juice?
158 : 1 : Orange juice is not as bad as milk. Milk, it can destroy it, it can destroy it.
159 : 3 : If I can’t put milk in it, can I put orange juice in it?
160 : 1 : No. You can clean it though.
161 : 2 : It’s called a water bottle for a reason kid.
L’échange commence avec une question posée par la mère à son enfant à savoir si elle avait
pris connaissance de ce que sa grand-mère lui avait acheté. La réponse de l’enfant suggère qu’elle
ne le sait pas et donc dit à sa mère « what? ». Sa mère ensuite encourage l’enfant à venir voir.
L’enfant regarde l’objet et demande ce que c’est. À la suite, au propos 153, la mère affirme qu’elle
a besoin de lait. Ce propos est suivi par la demande de l’enfant de mettre du lait dans sa bouteille.
Le parent répond non et l’enfant continu à négocier jusqu’à la fin de cet échange au propos 161.
Il est difficile de concevoir comment l’intérêt ou l’intention pourrait expliquer
l’enchaînement de ces propos. En fait, nous n’en proposerons pas parce que nous ne pouvons
arriver de façon plausible à rendre compte de ces observations à partir de l’intérêt ou de l’intention.
L’enfant demande du lait. Il est difficile d’imaginer que cette requête n’est pas déclenchée par les
événements qui ont précédé immédiatement (l’obtention d’une nouvelle bouteille et l’affirmation
190 Famille 5; op. cit.
129
de la mère qu’elle a besoin de lait). Il est encore difficile de penser que la requête de jus de la part
de l’enfant puisse être réduite à elle et qu’elle ne soit pas un effet secondaire de la réponse de la
mère. La raison pure n’explique pas ces observations. L’intention n’explique pas ces observations
non plus.
Mais, on peut fournir aisément cette explication à partir d’une perspective relationnelle. Si
l’intention et l’intérêt ne sont pas déterminants des échanges, si ce qu’on observe est le résultat
d’une interaction dynamique, c’est que les propos témoignent des notions de socialité, d’historicité
et d’émoraison. L’information qui circule agit sur la relation, l’enfant modifie ses propos par
conséquent en fonction des réponses de la mère. On n’observe pas un projet qui guide les propos
de chaque individu. On observe un échange fluide, des interlocuteurs qui assimilent l’information
qui circule à leurs propos, des propos qui ne sont pas que des dérivés de la logique pure. Puisque
les propos ne sont pas des dérivés de la logique pure, c’est qu’ils sont expliqués par l’émoraison.
4.1.16 Échelle d’émoraison
Nous avons emprunté deux échelles pour mesurer l’émoraison à Girard191. Elle résume sa
position en affirmant qu’on peut démontrer la présence de l’émoraison avec deux échelles :
« …une qui permet de rendre compte de la mesure dans laquelle les propos comportent une part
de raison et une part d’émotion, une autre qui permet de voir si un acteur peut, dans un échange,
se montrer a-émotionnel »192. La première échelle, celle à laquelle on réfère à une échelle
d’émoraison possède sept valeurs. Les voici :
1. Interjection ou geste
2. Expression émotive avec syntaxe
191 Mélanie Girard, Contribution à la critique des théories de l’action. Intention et émoraison, op. cit. 192 Ibid., page 90.
130
3. Expression d’une croyance ou d’une émotion avec une explication
4. Présentation d’un argument avec paradoxe
5. Argument avec émotion, sourire ou geste
6. Argument pur, démonstration logique, propos rationnel
7. Indéfinissable
On notera que nous n’avons pas retenu la catégorie 7, soit « indéfinissable », dans notre
analyse puisque cette catégorie est utilisée seulement lorsque nous ne disposions pas d’information
suffisante pour faire un choix éclairé. Cette catégorie, toutefois, n’est apparue que deux fois.
En recourant à cette échelle, nous avons obtenu un mode de 4 avec une fréquence modale de
162. Cela représente 31,0 % de la totalité des propos. La médiane est aussi de 4 et la moyenne est
de 4,11 avec un écart-type de 1,2. Cette information indique clairement que les propos ne renvoient
pas à la raison pure et qui, en grande majorité, les propos contiennent au moins une partie
d’émotion, nous avons cru sage de produire la distribution de fréquence de nos résultats. Nous
avons donc choisi d’inclure le tableau suivant pour montrer comment la distribution est répartie à
l’aide de cette échelle.
Tableau 4
Échelle d’émoraison Fréquence Pourcentage pour chaque
catégorie
1 18 3,4
2 10 1,9
3 126 24,1
4 162 31,0
5 153 29,4
6 53 10,1
Total 523 99,9
Comme on peut le constater, nous avons seulement obtenu 2 cas où le propos était
indéfinissable, faute d’information. Nous ne croyons pas que ces deux propos étaient vides
131
d’émotion, nous avons pris une approche prudente puisqu’il aurait été difficile d’assurer le bon
classement du propos dans l’échelle. Nous avons aussi 53 propos classés parmi la catégorie 6, soit
la catégorie d’un argument. Dans cette catégorie, nous avons inclus les propos qui étaient des
réponses à des questions fermées. Par exemple, si un parent demandait à son enfant s’il voulait la
télécommande et que l’enfant répondait par oui, nous avons coté cette réponse comme appartenant
à la catégorie 6 en l’absence d’information qui pourrait nous permettre de la classer différemment.
Maintenant que nous avons apporté ces éclaircissements, il nous semble clair qu’en grande
partie les propos contiennent au moins une part d’émotion. Si les propos contiennent au moins une
part d’émotion, c’est que le propos n’est pas réductible à l’intérêt ou à la raison. C’est que les
propos ne peuvent se comprendre que dans une optique relationnelle. Prenons un exemple.
Illustration 16193 :
1 204 : 1 : We bought a house! We bought a house! We’re moving into a brand new house!
1 205 : 3 : Guess what mom?
1 206 : 1 : We bought a house, we’re moving!
1 207 : 3 : Mom, guess what.
1 208 : 1 : We’re moving.
1 209 : 3 : No, guess what! (Inaudible.)
1 210 : 1: You’re going to have your own.
3 : (Inaudible.)
1 211 : 1 : I’m going to have it. I’m going to have an en suite bathroom with the most amazing
shower.
1 212 : 3 : Shut up!
1 213 : 1 : The greatest shower ever.
1 214 : 3 : That’s not nice! That’s not nice! You’re going to have to let me try that shower.
1 215 : 1 : No you’re not!
1 216 : 3 : I need to try that shower.
1 217 : 1 : No.
1 218 : 3 : Yeah.
1 219 : 1 : No, you’re going to have your own.
(Inaudible.)
193 Famille 4; op. cit.
132
1 220 : 1 : Did you see the size of your bathtub?
1 221 : 3 : So when I get sick, I can lay in the bath as long as I want.
1 222: 1 : Oh yeah.
3 : (Inaudible.)
1 223 : 1 : We bought a house! (nom), you can see all this! We bought a house! Haha!
1 224 : 3 : Oh, you want to buy a house? Hey (nom), (nom)?
1 225 : 1 : Ah, he knows, he’s at pool.
1 226 : 3 : (nom) you want to buy a house? There’s one for sale…
1 227 : 1 : There are nice colours inside.
1 228 : 3 : Except for my room, my room is like brown.
1 229 : 1 : You never know, we might be able to find some bedding like a light brown. Hey
(3) put your stuff away. Built in fucking oven, built-in stove top, built-in microwave.
1 230 : 3 : Oh the microwave, everyone’s going to be like uhm, can I heat something up? How
do you work this thing? Where’s your microwave? Oh right there! How do you work
it? (singing: I’m so excited and I just can’t hide it…) (nom d’animal) you’re going to
have your own bed to lay on. You can’t lay on a bed right now. Lay on a bed.
L’échange commence avec la mère qui répète qu’ils se sont acheté une maison et elle le fait
avec une grande excitation. Sa fille répond avec une réponse paradoxale en posant à sa mère la
même question. Les propos se répètent jusqu’au propos 1 209. La mère et l’enfant sont clairement
excitées. Elles sont heureuses qu’elles se soient procuré un nouveau domicile. Même la structure
de l’échange montre comment les propos ne peuvent pas être réduits à l’intérêt ou à la raison. Il y
a une qualité illogique à la répétition que nous observons à moins qu’on accepte que la répétition
ne soit pas le fruit de l’intérêt ou de l’intention mais qu’elle serve plutôt à exprimer l’émotion qui
se montre quasi incontenable chez les interlocutrices. La cadence de leur parole augmente, le
volume alterne, le ton de la voix change ; toutes ces choses ne peuvent être expliquées à partir des
théories de l’action. L’individu n’est pas a-émotionnel, donc il ne peut se comprendre dans une
modélisation qui le rend a-émotionnel.
L’échange continu au sujet de la nouvelle maison qu’elles possèderont dans les prochaines
semaines. Les propos 1 210 à 1 230 continuent à refléter l’excitation du parent et de l’enfant. On
le remarque au propos 1 212 où l’enfant dit au parent de se taire. En fait, il semble peu probable
133
que l’enfant veuille que le parent se taise. Le propos, si on l’accepte de façon concrète, est difficile
à expliquer. Le parent ne fait aucune remarque au sujet que son enfant lui ait dit de se taire,
l’échange continu sans même s’arrêter sur la demande de l’enfant. Encore, l’enfant ne revient pas
sur sa demande. Plutôt, l’échange se poursuit les interlocutrices partageant chacune a son tour ce
qui les excite à propos de leur nouvel achat.
Malgré cela, si on accepte que le propos ne soit pas un dérivé d’une intention ou de l’intérêt,
il peut être expliqué à partir de la relation qu’entretiennent le parent et l’enfant. Il y a une excitation
explicite dans cet échange. Puisque ni l’enfant et ni la mère se sont attardées à la demande, il
semble beaucoup plus plausible que l’enfant ici cherche à exprimer un sentiment de stupéfaction.
Les échanges comme celui que nous venons d’aborder font état des notions de socialité,
d’historicité et d’émoraison. Les propos, les gestes, les cris, les sourires ne peuvent pas se
conformer à une logique d’un acteur rationnel. Cet échange souligne que la modélisation
relationnelle est un meilleur outil pour comprendre la dynamique qui se produit entre
interlocuteurs.
4.1.17 Échelle d’impassibilité
Nous avons fait un autre emprunt du travail à Girard194 en utilisant son échelle
d’impassibilité pour aider à faire la vérification du postulat d’émoraison. Cette échelle servira à
montrer comment, dans l’échange entre interlocuteurs, il y a manifestation d’émotion de la part de
ces interlocuteurs. Girard affirme que son échelle d’impassibilité : « …se rapporte plutôt à l’état
psychique de l’énonciateur195… ». Elle contient 7 niveaux :
194 Mélanie Girard, Contribution à la critique des théories de l’action. Intention et émoraison, op. cit. 195 Ibid.. Page 90.
134
1. Émotion incontenable
2. Émotion très apparente
3. Émotion apparente
4. Émotion implicite
5. Émotion contenue dans un propos rationnel ; dans un propos moral
6. Aucune émotion apparente, impassibilité
7. Indéfinissable
Nous notons que, dans son travail, Girard affirme qu’une cote de 6 (qui serait l’impassibilité)
serait quasi-impossible. Nous avons, d’ailleurs, utilisé la cote 6 d’impassibilité lorsqu’un
interlocuteur offrait une réponse à une question fermée et que nous ne disposions pas d’autres
informations pour faire le tri (par exemple, lorsqu’une personne répondait par « oui » ou par « non
» à une question et que nous ne possédions aucune autre information). Nous aurions pu aussi
classer ce propos comme 7, soit comme indéfinissable, puisque la difficulté est le manque
d’information. Mais nous avons opté pour une approche plus libérale qui ne nous exposait pas à la
critique.
Pour notre analyse, nous avons éliminé la catégorie 7, soit « indéfinissable », de l’échelle
puisqu’elle n’est pas en réalité une catégorie sur une échelle, mais plutôt une catégorie qui est
enregistrée lorsqu’il n’y a pas suffisamment d’information pour prendre une décision éclairée. Une
seule fois, cependant, avons-nous eu à classer ainsi un propos. Donc nous obtenons un mode de 4
et la fréquence modale est de 193. La médiane est de 4 et la moyenne est de 3,92 avec un écart-
type de 1,1. Encore une fois, nous remarquons que les interlocuteurs ne sont pas a-émotionnels.
Dans la vaste majorité des cas, l’émotion de l’interlocuteur est évidente. Dans seulement un cas
avons-nous déterminé qu’un propos était indéfinissable. Nous avons observé des personnes qui
crient puisqu’elles sont heureuses, ou parce qu’elles sont en colères, des personnes qui rient, des
personnes qui se moquent d’autres personnes, etc. Ces observations ne peuvent pas s’expliquer par
135
évocation stricte de l’intérêt ou de l’intention. Les propos ne peuvent pas être réduits à la raison.
C’est que nos observations font état de l’émoraison. Encore une fois, à des fins de démonstration,
nous incluons un tableau avec la distribution de fréquences de nos observations.
Tableau 5
Échelle d’impassibilité Fréquence Pourcentage Total
1 17 3,2
2 31 5,9
3 118 22,5
4 193 36,8
5 139 26,5
6 26 5,0
Total 524 99,9
Comme on peut le constater aisément, dans la vaste majorité des cas, nous avons pu repérer
une émotion chez l’interlocuteur. Nous possédons de nombreux exemples dans nos observations
d’individu qui expriment des émotions explicitement, par le ton de leur voix, par un cri ou un
sourire. Comme nous l’avons affirmé dans la section sur l’échelle d’émoraison, ces genres
d’observations ne peuvent pas être réduites à un l’intérêt ou à une intention. Les propos ne sont
pas construits sur une base de raison. Ils sont construits sur une base d’émoraison. Ils prennent
forme dans la relation. Les propos se construisent les uns sur les autres, l’information qui circule
agit sur la relation entre les interlocuteurs, l’information est assimilée et impacte le discours qui se
produit. Tous ces phénomènes ne peuvent être expliqués à l’extérieur de la relation. Prenons un
exemple pour appuyer nos dires
Illustration 17196 :
1685 : 1 : (4) as-tu fini d’étudier mon gars ?
196 Famille 3 ; op. cit.
136
1686 : 4 : Non, je fais que prendre un petit break.
1687 : 1 : Qu’est-ce que tu veux mon bébé. Viens-t’en. T’es un petit gâté pourri, t’es un petit
gâté pourri. T’es colleux. (Parle au chat).
1688 : 4 : Hey !
1689 : 2 : Quoi ?
1690 : 4 : Mets la musique!
1691 : 1 : Wow (4)!
1692 : 4 : Mom, c’est correct.
1693 : 2 : (Inaudible), when that thing is plugged into the tv, you just plug in to your phone
and it plugs into the tv too.
1694 : 1 : Ok.
1695 : 4 : Mom a care pas ok dad.
1696 : 1 : Non, non.
1697 : 4 : (inaudible). C’est le temps que tu fasses quelque chose.
1698 : 1 : Toi là mon brâsseux de caca là.
1699 : 4 : Hey!
1700 : 2 : Quoi?
Cet échange se produit entre des parents et leur fils. La mère demande à son fils s’il a terminé
et il répond qu’il ne fait que prendre une pause. Ensuite, au propos 1 687, la mère parle au chat de
la maison. Elle utilise une voix douce, elle le cajole et exprime qu’elle gâte son chat. Il est clair
qu’elle exprime une tendresse envers l’animal. En plus, le comportement est paradoxal puisque
l’animal ne peut quand même pas comprendre ce que la maîtresse exprime. Donc cet échange est
difficilement expliqué par l’intérêt, l’intention ou même la raison. Comment apporter un sens au
fait qu’une personne parle à un animal alors qu’il ne peut comprendre ? Le contenu qu’elle exprime
ne peut non plus être réduit à l’intérêt, l’intention ou la raison. Elle exprime une tendresse. Ce
genre de propos s’explique lorsqu’on adopte une perspective relationnelle. Ce sont les postulats
de socialité, d’historicité et d’émoraison qui peuvent rendre compte de ces observations.
L’échange se poursuit lorsque l’enfant lance un cri qui est suivi par une interrogation de la
part du parent. Il commande de la musique, une demande à laquelle la mère répond avec surprise.
137
Le « wow » de la mère est une expression de surprise. Comment pouvons-nous expliquer cette
vocalisation à partir d’intérêt, d’intention ou de raison ? Elle exprime une surprise par conséquent
à ce que son fils a dit. Donc, c’est une construction historique que nous observons. Cette
construction historique ne peut se produire que puisque les interlocuteurs sont en relation. Si c’est
effectivement le cas, le propos est aussi expliqué par l’émoraison. La modélisation relationnelle
enlève les prérequis de l’individu et nous permet de le comprendre comme il est. Il est social, il
est historique et il est émorationnel. Sinon, nous ne pouvons pas rendre compte de nos
observations. Comment expliquer l’interjection de la mère si on ne peut concevoir l’acteur que
dans une perspective rationnelle ? La réponse est qu’on ne peut pas faire ce saut. L’individu ne
peut pas être compris si on le limite à un être rationnel. Il est plus que ça et, comme le montre
l’échelle d’impassibilité, l’individu est raison et émotion, il est émoraison.
4.1.18 Formes macrologiques de socialité
Les formes macrologiques de socialité renvoient à la notion que la symbolique qui est
partagée peut renfermer des référents qui peuvent être compris sans pour autant nécessiter
l’appartenance au groupe étudié mais plutôt le rapport à la société plus large. Comme le décrit
Girard :
…on condidère que l’on a affaire à une forme macrologique dès lors que la chose
exprimée constitue un symbole, une idéologie, un référent qui est accessible à
l’ensemble des personnes qui vivent dans la contemporanéité — ou, du moins, dans la
société étudiée — ; dès lors, donc, que sa compréhension ne dépend pas du fait que
l’on fasse partie de l’organisme étudié197.
197 Mélanie Girard, Mélanie, Contribution à la critique des théories de l’action. Intention et émoraison, op. cit., p.
306.
138
À la question de savoir si les propos renvoient à des formes macrologiques de socialité, nous
pouvons répondre de trois façons, soit « oui », « non » ou « indéfinissable ». Nous répondons «
oui » dans les conditions ou l’information échangée ne peut être réduite au groupe étudié. Nous
répondons non lorsque les symboliques sont compréhensibles par le groupe mais seraient
difficilement compréhensibles sans l’information spécifique au groupe. Dans cette étude, nous
reconnaissons qu’il y a des propos qui font référence à des événements historiques qui ne sont
connus que par les membres de la famille. Dans ces conditions, nous considérons que le propos ne
témoigne pas des formes macrologiques de socialité. Enfin, nous répondons « indéfinissable »
lorsque nous n’avons pas suffisamment d’information pour prendre une décision éclairée.
Dans 95,8 % des cas (503 cas) nous avons pu repérer une forme macrologique de socialité.
Donc dans seulement 2,7 % des cas (14 cas) nous n’avons pas pu repérer les formes macrologiques
de socialité et dans 1,5 % des cas (8 cas) les propos étaient indéfinissables. Il est clair que, dans la
grande majorité des cas, les propos témoignent des formes macrologiques de socialité. Il nous
apparaît comme une évidence qu’en grande partie les échanges ne pourraient pas être réduits aux
membres du groupe. Oui, il y a certainement des instants où l’information échangée renvoie à des
connaissances qui sont propres à l’individu. Mais cela est l’exception, et non la règle, et cette
information ne survient pas à l’extérieur de la relation. Elle ne se produit pas sans le langage ;
phénomène qui témoigne déjà du fait que l’humain est fondamentalement social. Examinons un
exemple pour faire le point.
Illustration 18198 :
198 Famille 5; op. cit.
139
2 324 : 1 : How’s she getting home?
2 325 : 3 : She’s riding a bike.
2 326 : 1 : How old is she?
2 327 : 3 : (Âge.)
2 328 : 1 : And her mom is ok with that?
2 329 : 3 : Yeah.
2 330 : 1 : Daddy should have taken her home.
2 331 : 4 : Daddy’s too busy in the garage.
2 332 : 1 : Ok, stop. What do you have to do right now?
2 333 : 4 : Watch mommy.
2 334 : 1 : No. No, no, it’s bedtime. What do you have to do?
2 335 : 3 : Brush your teeth.
2 336 : 1 : Yeah, what else?
2 337 : 3 : I don’t know.
2 338 : 1 : Peepee, wash hands, brush your teeth…
2 339 : 3 : We already peeped!
2 340 : 1 : When?
2 341 : 3 : Uhm, (inaudible).
2 342 : 1 : You both did.
2 343 : 3 : Yeah.
2 344 : 1 : Ok, wash hands, cause you were outside playing, brush teeth, pajamas for you. Go
and I’ll meet you in your bedroom.
Dans cet échange nous avons la mère qui questionne son enfant à l’égard d’une de ses petites
amies. L’échange commence par la mère qui demande à sa fille comment son amie se rendra à la
maison (propos 2 324). L’enfant répond à la question et la mère suit cette réponse avec une
deuxième question, l’enfant répond encore et cette séquence de questions et réponses se poursuit
jusqu’au propos 2 329. À aucun moment ne pouvons-nous suggérer que l’information qui est
partagée ici peut être limitée à la famille. La mère exprime clairement une inquiétude envers un
enfant qui se déplace seule dans le quartier en bicyclette alors qu’elle continue en suggérant que
son conjoint aurait dû offrir de conduire l’enfant à la maison.
Au propos 2 342, la conversation change de direction. La mère continue à poser des
questions, mais dans le but de préparer l’enfant pour qu’elle puisse se coucher. Nous remarquons
encore une alternance entre questions et réponses jusqu’au propos 2 344. À aucun moment ne
140
pouvons-nous suggérer que l’information qui circule entre les interlocutrices peut être réduite à
elles. Cet échange souligne le fait que l’humain est nécessairement social. Les symboliques qui le
définissent s’inscrivent dans un cadre qui est partagé et, en cela, dans le fait qu’on ne peut pas ne
pas communiquer et dans celui que la symbolique qu’il utilise ne lui appartient pas proprement
dit, l’humain se dévoile comme étant nécessairement social. En tirant cette conclusion, on peut
encore une fois constater que les théories de l’action ne peuvent rendre compte de ces observations
puisqu’elles considèrent que l’acteur peut être asocial. C’est là une impossibilité. L’humain est
fondamentalement communicationnel et ne peut s’extraire de cette relation. Cela fait en sorte qu’il
ne peut être compris en dehors du social.
4.1.19 Formes micrologiques de socialité
Les indicateurs de micro socialité peuvent s’expliquer en termes de symboliques
qu’utilisent les interlocuteurs. Puisque les interlocuteurs peuvent se comprendre entre eux ainsi
qu’ils peuvent être compris par ceux qui les observent, il est difficilement concevable qu’on ne
puisse pas repérer ces indicateurs dans les échanges. Pour cette raison, on peut répondre de deux
façons à la question des indicateurs de micro socialité : soit par « oui, de façon explicite », soit par
« oui de façon implicite ». Pour répondre « oui de façon explicite », il suffit que l’information
échangée le soit à l’aide de symbolique qui est compréhensible par les interlocuteurs ainsi que par
ceux qui observent l’échange. On répondra oui aux indicateurs de micro socialité qui se dévoilent
de façon implicite lorsque le contexte dans lequel émerge l’échange est trop important pour bien
saisir le sens de l’information qui circule entre les interlocuteurs.
Dans 96,2 % des cas (505 cas), nous avons pu repérer les indicateurs explicites de micro
socialité, c’est-à-dire que, dans la vaste majorité des cas, la symbolique qu’utilisent les
141
interlocuteurs et les informations qu’ils échangent peuvent être comprises aisément sans autres
informations. Ce résultat n’est pas surprenant étant donné la fluidité des échanges et l’aise avec
laquelle les interlocuteurs conversent. Seulement dans 3,8 % des cas (20 cas) avons-nous besoin
de précisions pour mieux comprendre le sens des informations qui sont échangées. Encore une
fois, ce résultat n’est pas surprenant dans le sens qu’il serait difficile de concevoir un échange entre
interlocuteurs où ces interlocuteurs ne partagent pas une symbolique en commun.
Alors qu’il n’y a pas d’échanges où nous n’avons pas pu repérer les indicateurs de micro
socialité, nous croyons quand même sage de faire l’analyse d’un échange entre interlocuteurs pour
concrétiser ce que nous venons de rapporter.
Illustration 19199 :
1 635 : 1 : I already know! Granny told me about it!
4 : (Inaudible.)
1 636 : 1 : Ok, but I don’t think that that’s not as dangerous as running across the road with a
car.
1 637 : 4 : She could have broken her arm.
1 638 : 1 : You can break a lot more than that and granny already talked to me about that.
What’s on your face?
1 639 : 2 : Mayo.
1 640 : 1 : Ok, if you’re going to cry you have to (inaudible). If I’m going to talk to you about
something, I want to talk to you about it without you throwing a fit.
1 641 : 4 : (3) (Inaudible.)
1 642 : 1 : Maybe because what (3) did wasn’t nearly as dangerous because there was snow
so it didn’t hurt her. Yeah, if she did that when there wasn’t snow, it could have really
hurt her.
4 : (Inaudible.)
1 643 : 1 : Are we talking about (3) right now?
1 644 : 4 : No!
1 645 : 1 : Then why are we talking about (3) right now?
1 646 : 4 : I don’t know!
1 647 : 1 : Bye.
1 648 : 2 : Ok well, guess what? It’s bath for her then bed right now.
1 649 : 1 : Yeah, she’s not getting rainbow moon tonight, that’s for sure.
199 Famille 5; op. cit.
142
1 650 : 2 : Get what?
1 651 : 1 : Rainbow moon. She seems to think that she can act like that and get what she wants.
1 652 : 2 : Yeah, well I am going to get her bath and ready for bed.
1 653 : 1 : Might as well give them a bath at the same time, babe.
1 654 : 2 : Well, no, I’ll get her in out and you can send (3) when she’s done her supper.
1 655 : 3 : Do I have to go to bed?
Dans l’échange ici, nous observons un parent qui est en colère après un enfant et veut
souligner le point que ce qu’elle a fait au matin était très dangereux. À aucun moment de cet
échange observons-nous une incompréhension de la part des interlocuteurs par faute de la
symbolique qu’elles utilisent. À aucun moment avons-nous besoin d’informations additionnelles
pour comprendre l’échange. Le parent est clairement frustré et l’enfant tente tout au long de la
conversation à se faire entendre et de justifier son comportement.
Ce partage de symbolique, cette intercompréhension soulignent la réalité du postulat de la
socialité. Cette intercompréhension se produit sur la base d’une symbolique qui est partagée.
Sinon, si on pouvait rendre l’individu asocial et on pouvait lui donner sa propre symbolique, cette
conversation serait beaucoup plus difficile à comprendre. Mais ce n’est pas le cas. L’individu ne
peut être asocial. On ne peut pas le comprendre à l’extérieur de sa nature sociale.
4.1.20 Les formes macrologiques d’historicité
Pour vérifier notre hypothèse à l’égard de l’historicité, nous avons encore emprunté au
travail de recherche de Girard. Comme elle, nous nous sommes intéressés à savoir comment les
formes macro d’historicité transparaissaient dans les dialogues observés. Nous avons donc
emprunté son questionnement qu’elle articule de la façon suivante : « est-ce que le propos renvoie
143
à ce que l’acteur était avant la relation en cours ? 200 » À cette question, nous pouvons répondre
par « oui » ou par « non ». Le format de notre recherche ne permettait pas la transcription des
propos d’invités qui se présentaient dans le foyer, contrairement à Girard, nous sommes restreint
à deux façons à répondre à cette question, alors qu’elle en avait trois, puisque, dans son devis de
recherche, un invité était possible, alors que ce n’était pas possible dans le nôtre. Nous répondons
par « oui » lorsque le propos observé fait état de ce qu’était l’individu avant la relation en cours.
Donc, dans notre analyse, tous les propos sont émis par un membre de la famille.
On remarque que, dans 85,7 % des cas (450 cas), le propos renvoie à ce que l’individu était
avant la relation et que, dans seulement 14,3 % des cas (75 cas), pouvons-nous affirmer, qu’en fait,
les propos ne renvoient pas à ce que l’acteur était avant la relation. Cela démontre encore une fois
comment l’échange évolue dans un contexte qui lui appartient et qui ne peut être soustrait de
l’échange sans que l’échange perde son sens. Les propos ne se produisent pas dans un vide, mais
ils sont clairement inscrits dans un contexte spécifique. Les théories de l’action n’acceptent pas ce
fait. Elles réduisent les propos à l’individu. Mais cette perspective ne peut pas rendre compte de la
réalité de nos observations. Nos observations montrent comment l’échange est une construction
qui émane de la relation et, donc, confirment la pertinence de la notion d’historicité. Examinons
un exemple.
Illustration 20201 :
1 099 : 3 : It would be helpful if you…
1 100 : 4 : But (3)…
1 101 : 3 : ddddddd (se moque de son frère)
1 102 : 2 : Alright, you guys (Inaudible.)
1 103 : 4: (3), what did you do?
200 Mélanie Girard, Contribution à la critique des théories de l’action. Intention et émoraison, op. cit., p. 280. 201 Famille 5; op. cit.
144
3 : (Inaudible.)
1 104 : 4 : You’re mean!
1 105 : 3 : I’m not mean! We have to make sure that everything’s blue.
1 106 : 4 : No we don’t.
1 107: 3 : Yes, yes we do. Yes, yes we do.
1 108 : 4 : Prove it! Hey!
1 109 : 3 : How do I prove it to you?
1 110 : 4 : (3) you can show me the way!
L’échange commence avec une affirmation de l’enfant aînée, il est suivi par une réponse
de l’enfant cadette qui est interrompue par sa sœur aînée. Au propos 1 102, le père intervient alors
qu’il anticipe une querelle. L’échange quelque peu intense se poursuit entre les enfants jusqu’au
propos 1 110. On remarque sans doute que ces propos, s’ils sont l’effet des précédents, sont aussi
le produit de ce que l’individu était avant l’échange. Réduire les propos à l’individu ferait en sorte
qu’ils ne pourraient être pleinement compris. Les propos ne sortent pas d’un vide, ils s’inscrivent
dans un contexte spécifique qui est livré à un moment spécifique. La notion d’historicité rend
compte de cette réalité.
4.1.21 Les formes micrologiques d’historicité
Celles-ci se dévoilent dans le lien qui se produit dans les échanges. Si le propos émis dans
l’échange est en lien avec celui qui le précède, c’est que le propos est une construction historique
qui témoigne de la notion d’historicité. Encore, comme l’a fait Girard, nous nous sommes posé la
même question qu’elle : « est-ce que le propos renvoie à ce que l’acteur devient en fonction de
l’information qui circule ? 202 » À cette question, nous pouvons répondre par « oui », par « non »
202 Mélanie Girard, Contribution à la critique des théories de l’action. Intention et émoraison, op. cit., p. 130.
145
ou par « indéfinissable ». Nous jugerons que le propos et le lien à celui qui le précède ne peuvent
être triés justement que lorsque le premier propos dans une séquence ou lorsque le propos qui le
précède sont inaudibles.
Ce qu’on découvre à l’aide de notre analyse est que, dans 90,1 % des cas (473 cas), il y a
un enchaînement clair des propos entre les interlocuteurs. Dans la grande majorité des échanges,
nous pouvons reconnaître un enchaînement des propos qui ne peuvent être expliqués que par la
notion d’historicité. La réplique d’un interlocuteur dépend de ce que l’autre dit, et ainsi de suite.
Si ce qui est dit découle du propos qui le procède, alors ce propos est nécessairement lié à ce que
l’autre dit, donc, c’est une construction à deux (au minimum). Si les tours de paroles se construisent
l’un sur l’autre, si les interlocuteurs peuvent intervenir sur leur symbolique, c’est que l’échange ne
peut être réduit à un individu. L’échange ne se comprend pas de façon individuelle. Il se comprend
dans la relation entre les interlocuteurs. Examinons un exemple d’échange entre interlocuteurs.
Illustration 21203 :
3 024 : 1 : Oui. Ok (nom) va nous donner (montant) this week.
3 025 : 2 : (nom)?
3 026 : 1 : La mère de (nom)?
3 027 : 2 : À (nom)?
3 028 : 1 : Allo?
3 029 : 2 : (nom)?
3 030 : 1 : Oui!
3 031 : 2 : She’s indian!
3 032 : 1 : Bien (nom)! Je ne le sais pas moi! (nom)!
3 033 : 2 : Greatly appreciated. Thank you.
3 034 : 1 : Ok, va parler à (nom)là!
3 035 : 2 : Let me think! I’m in hockey mode now.
3 036 : 1 : Ok.
3 037 : 2 : So you get the gist of my email?
3 038 : 1 : I think so.
3 039 : 2 : Ok. If ever you need a hand, let me know.
203 Famille 3: op. cit.
146
3 040 : 1 : Non, c’est ici.
3 041 : 2 : Do you have a puffer here?
3 042 : 1 : Ouin, mais…
3 043 : 2 : Just take a shot, it’ll just pfff your lungs. Try it!
3 044: 1 : C’est juste que ça fait mal parce que je tousse je pense.
L’échange commence avec une réponse de la mère à une question qui lui est posée. Le père,
qui ne semble pas avoir bien compris, répète le nom avec une intonation qui suggère une
interrogation. Cette alternance entre une question et une réponse se poursuit jusqu’au propos 3 030
où la mère répond en exclamative. Au propos 3 031, le père apporte une précision à la description
de la personne. Il est clair que chaque propos se construit sur la base du propos qui le précède.
C’est invraisemblable de suggérer que chaque propos est réductible à un individu. Que cet individu
puisse exprimer ces propos de façon intentionnelle, de façon à ce que la source du propos
n’appartienne qu’à l’individu, cela ne se révèle pas dans la réalité de nos observations.
L’explication réside dans le fait que l’humain utilise une symbolique sur laquelle il peut intervenir.
La symbolique ne lui appartient pas, elle est partagée.
Les propos suivant s’enchaînent encore (évidemment sur un autre sujet). Mais il est clair
que les interlocuteurs n’ont pas de difficulté à suivre l’échange et que le discours est organisé de
telle manière qu’il ne pourrait être observé sans la réciprocité des interlocuteurs. À la limite, nous
pouvons considérer que le propos 3 041 ne se construit pas à partir d’un moment antérieur de cet
échange. Le père pose une question qui est spécifique à ce qu’il désire. Alors que nous pourrions
suggérer que même dans une situation comme celle-là, le propos est quand même construit sur un
moment antérieur (il devait savoir qu’elle possédait ce qu’il cherchait et il est probable qu’elle
sache où le trouver). Mais de façon explicite, nous ne pouvons pas faire le lien entre ce propos et
l’un de ceux qui le précède. Il reste que, dans la grande majorité des cas, les propos sont des
147
constructions d’un moment antérieur et que cette évolution de l’échange ne peut être comprise
qu’à l’intérieur de la modélisation relationnelle, soit par la notion d’historicité.
4.2 Interprétation
Maintenant que nous avons pris connaissance de nos résultats, il nous reste à leur apporter
une perspective. Peut-on continuer de croire que l’individu ne serait que rationnel ? Est-il a-
émotionnel ? Est-ce que ses propos sont intentionnés ou intéressés ? Peut-il être compris à
l’extérieur de la relation ? Est-ce que les notions d’historicité, de socialité et d’émoraison peuvent
rendre compte de nos observations ? Voilà ce qui nous préoccupe.
4.2.1 Des théories de l’action
Affrontons un encadrement théorique à la fois. Pour que les théories de l’action puissent
se montrer efficaces, nous devons être en mesure d’observer un acteur stratégique, intéressé,
rationnel et intentionné. Alors, si l’individu est stratégique, nous devrions être en mesure de repérer
cette stratégie dans les propos entre interlocuteurs. L’enchaînement entre une fin et un moyen ne
se produit que dans très peu de cas. Au contraire, nos observations suggèrent que les propos
s’enchaînent l’un à l’autre, c’est-à-dire qu’en grande partie chaque interlocuteur ne fait pas
qu’émettre des propos. Il intègre les propos de l’autre, l’information qui circule fait évoluer le
discours. Si c’est le cas, c’est que l’interlocuteur est social, historique et émorationnel. Ce n’est
pas que l’individu est incapable de stratégie, c’est qu’il n’est pas fondamentalement stratégique.
L’essence de la personne ne se réduit pas à cette notion. D’ailleurs, nous avons observé des propos
où l’interlocuteur se montre stratégique. Mais, même là, nous observons l’impact de l’information
qui circule soit sur les fins de l’interlocuteur, soit sur le moyen qu’a proposé l’interlocuteur. Cette
148
évolution souligne encore le caractère relationnel du phénomène. La notion de stratégie se
comprend dans la relation. Elle émerge à l’intérieur d’un cadre relationnel. Elle ne se manifeste
pas à l’extérieur de la relation. Nos observations montrent que la stratégie est imbriquée dans la
dynamique des échanges entre interlocuteurs. Nous ne suggérons pas qu’il soit impossible
d’observer le contraire, c’est-à-dire des cas où on pourrait observer qu’un individu arrive à une
interaction avec une stratégie en tête. Cependant, nous croyons que ces cas seraient rares. La
stratégie peut faire partie des propos, mais elle n’est pas le propos. Elle s’exprime via un
interlocuteur mais elle évolue, elle prend souvent forme dans les échanges qui se produisent entre
interlocuteurs.
Enfin, en grande majorité, les propos ne montrent pas un enchaînement entre une fin et un
moyen. Même dans les cas où nous avons pu repérer ce genre d’enchaînement, nous avons observé
que les fins ou les moyens se modifient en conséquence de l’information qui circule. Il nous semble
que ces informations soulignent bien la réalité que l’individu n’est pas fondamentalement
stratégique mais qu’il est social, historique et émorationnel.
4.2.2 L’acteur comme intentionné…
Si l’interlocuteur est intéressé, il va de soi qu’on devrait être en mesure de repérer cette
intention dans ses propos. Mais ce n’est pas le cas lorsqu’on fait l’examen de nos données. Dans
la grande majorité des cas, les propos ne témoignent pas d’une intention. Au lieu de cela, les propos
se construisent l’un sur l’autre, ce qui rend l’échange dynamique et fluide. Autrement, comme
149
nous l’avons affirmé dans une recherche antérieure204, l’échange entre interlocuteurs qui se réduit
à une intention rendrait la communication drôlement difficile. Les interlocuteurs, chacun avec son
propre but, émettraient des propos en fonction de leur but, et non en fonction de l’information qui
circule. Ce serait embêtant de comprendre les interactions à partir de cette perspective. En fait, on
ne pourrait le faire.
En plus de ne pas être capable de repérer une intention dans la vaste majorité des cas, nous
observons aussi que, dans les cas où nous avons pu repérer une intention, elle naît en grande partie
à partir de la dynamique en cours. Donc l’intention non plus ne peut se comprendre à l’extérieur
de la relation puisqu’elle se livre dans et par la relation. Si l’intention ne peut se comprendre que
par la relation, il va de soi que les théories de l’action ne pourront jamais saisir la manifestation de
l’intention si leur point de départ est un acteur asocial.
Seulement dans quelques cas (4,0 % des cas pour être précis) avons-nous repéré une
intention qui précédait l’échange. Ce n’est certainement pas la norme. Mais même dans les cas où
l’intention précédait l’échange, comme nous le montrerons sous peu, cela ne fait pas en sorte que
l’intention se manifeste à l’extérieur de champ de la relation. Elle se manifeste dans un contexte
spécifique et à un moment spécifique. Elle se manifeste dans un champ langagier. Cette réalité
seule nous oblige à constater que sa construction se fait dans un contexte relationnel. Si l’intention
est exprimée par le langage et le langage est une construction sociale et historique, c’est que
l’intention ne peut être comprise que dans la relation.
204 Paul Jalbert, « Analyse du rôle de l’intention dans les échanges dyadiques », op. cit.
150
Encore une fois, ce n’est pas que l’individu est incapable d’intention, ce n’est pas que tous
les propos sont vides d’intention, c’est que l’individu n’est pas toujours intentionné. Ses propos ne
sont pas que le fruit d’une intention. Et même lorsque l’individu se montre intentionné, cette
intention ne se produit pas à l’extérieur de la relation. Elle n’est pas une construction a priori de
l’échange, elle émerge d’elle. L’individu ne peut s’extraire de la relation et, par conséquent, les
appareillages théoriques utilisés pour la comprendre ne doivent pas atteindre leur but si elles en
font l’analyse à l’extérieur de la relation. Elles doivent le faire en tenant compte de la relation.
Réduire l’individu à l’intention, c’est perdre de vue la réalité qu’il est fondamentalement
communicationnel, donc en relation. C’est qu’il est historique, social et émorationnel.
4.2.3 L’acteur comme intéressé…
Si les propos des interlocuteurs sont motivés par leur intérêt, nous n’avons pu repérer ce
phénomène avec nos observations. Dans peu de cas avons-nous repéré un propos qui annonce un
projet ultérieur. Mais cette expression de projet ne se faisait pas à l’extérieur de la relation. On
remarque que, dans peu de cas, 11,2 % des cas, avons-nous repéré l’expression d’un projet
ultérieur. Alors que cette manifestation était rare, nous avons aussi pu observer que, dans 78,0 %
de ces cas, cette expression se manifestait explicitement comme le résultat de la dynamique en
cours.
Donc encore une fois, on remarque que l’intérêt n’est pas un phénomène qui peut se
comprendre à l’extérieur de la relation. Les projets qui sont annoncés ne sont pas déterminants des
échanges. Les projets s’intègrent aux discours qui se produisent. Les projets évoluent, les
interlocuteurs intègrent en grande partie l’information qui circule. Sinon, ils le font, à quelques
151
exceptions rares, lorsqu’une nouvelle information devient disponible. Mais, même avec ces
exceptions, ces propos ne peuvent pas être compris à l’extérieur de la relation. C’est que l’intérêt
n’est pas immuable. Oui il peut y avoir un intérêt à l’extérieur de la relation. Nous ne nions pas
cette possibilité. Mais cet intérêt ne naît pas du néant. Il ne naît pas dans un vide où l’acteur est
dépourvu de ses passions ou de tout ce dont il a besoin pour agir. Il évolue avec la relation et il ne
se comprend que par la relation. L’intérêt ne peut être réduit à l’individu, il ne domine pas les
propos des interlocuteurs et ne se comprend pas à l’extérieur de la relation. Si c’est bien le cas, les
théories de l’action ne pourront jamais rendre compte de nos observations. Elles perdent de vue
que l’humain est nécessairement communicationnel, donc relationnel. Elles perdent de vue que
l’humain est social, historique et émorationnel.
4.2.4 L’acteur comme rationnel…
Alors que la raison n’est pas directement mesurable, nous croyons avoir suffisamment de
preuve pour constater que l’humain n’est pas fondamentalement rationnel du moins sur un mode
strict. Puisque les propos des interlocuteurs ne peuvent se réduire aux postulats d’intention, de
stratégie ou d’intérêt, on ne peut non plus réduire l’interlocuteur à un être rationnel. Comme le dit
Girard :
La raison pure, absolue, ne permet pas la production de messages qui seraient
médiatisés par le langage lui-même. La raison pure est ahistorique en ce qu’elle
n’appartient pas à l’ordre langagier, elle existe en dehors de lui, elle est exprimée en
lui, par lui, mais elle n’a pas besoin de lui pour se faire.205
205 Mélanie Girard, Contribution à la critique des théories de l’action. Intention et émoraison, op. cit., p. 85.
152
Si on accepte les arguments ci-haut et qu’on accepte les résultats que nous avons obtenus,
on doit aussi accepter que l’individu ne puisse être réduit à la raison puisque la raison pure peut se
manifester à l’extérieur de la relation alors que le langage ne peut le faire. Donc un être qui est
fondamentalement communicationnel, relationnel, historique et social, ne peut à la fois être réduit
à la rationalité.
L’humain dépasse ces catégories. Il est dynamique et ne peut être compris à partir d’une
modélisation qui nierait cette réalité. Il se comprend dans la relation, même en milieu naturel.
Semblablement aux recherches antérieures sur le sujet, les théories de l’action ne se montrent pas
efficaces pour rendre compte des observations captées à l’aide de ce devis de recherche. Donc peu
importe que les données proviennent du laboratoire, d’un questionnaire, d’entrevues,
d’observations de comités ou de familles dans leur foyer, les théories de l’action et leurs postulats
ne peuvent effectivement rendre compte des données. Elles ne peuvent pas expliquer pourquoi un
individu choisirait de parler à un animal de compagnie lorsque l’animal ne peut comprendre,
pourquoi un phénomène est parfaitement acceptable pour l’individu à un moment et suscite une
réaction de colère à un autre moment. Elles ne peuvent expliquer la fluidité des échanges,
l’intégration des informations par les interlocuteurs ou la construction des propos dans nos
observations. Que le milieu où nous obtenons nos données soit naturel ou non, les théories de
l’action ne peuvent rendre compte de ce qu’on observe.
4.2.5 De la modélisation relationnelle
Maintenant, est-ce que nos données sont suffisantes pour suggérer que les catégories de la
modélisation relationnelle, celles d’historicité, de socialité et d’émoraison, sont un meilleur outil
153
pour rendre compte de ce que nous observons ? Nous avons déjà fait la démonstration que les
propos des interlocuteurs se manifestent et se comprennent nécessairement à l’intérieur d’une
modélisation relationnelle. Mais est-ce que les propos rendent compte de nos observations ?
4.2.6 La socialité…
Alors qu’on ne peut pas ne pas communiquer206, donc on ne peut pas s’extraire de la
relation avec autrui, l’humain est nécessairement relationnel et social. Notre communication
repose sur une symbolique qui ne peut être réduite à l’individu. Elle est une construction sociale.
Nos observations témoignent du fait que l’individu est nécessairement social. Nous pouvons voir
comment la communication entre interlocuteurs se fait aisément. Cela est possible justement parce
que la symbolique est partagée. Il n’y a pas de conflit à l’égard du sens de la symbolique (quoiqu’il
y a quelques circonstances où de l’information spécifique au contexte aurait été nécessaire pour
pleinement saisir le sens des propos). Si la symbolique pouvait être réduite à chaque individu, cela
compliquera les échanges considérablement. Le contenu de cette dissertation serait difficilement
discernable par d’autres si ma symbolique se réduisait à moi-même. Mais ce n’est pas le cas.
En plus, on peut remarquer à plusieurs occasions comment l’information qui circule fait
évoluer la relation. Cette constatation est difficilement explicable si on essaie de comprendre
l’individu à l’extérieur de la relation. Corrélativement à ce phénomène, la nature sociale de
l’humain se fait voir. Si la relation évolue en conséquence à de l’information qui circule, c’est qu’il
y a une intégration de cette information par l’interlocuteur. C’est qu’il y a un échange qui se
206 Paul Watzlawick, Janet Beavin Bavelas, Don D. Jackson, Pragmatics of Human Communication: A Study of
Interactional Patterns, op. cit.
154
produit. Communiquer, c’est échanger. Si l’humain est essentiellement communicationnel, donc
en échanges avec autrui, c’est que l’humain est aussi nécessairement social. Aucun propos que
nous avons observé ne s’est manifesté à l’extérieur de la relation. Dans ce cas, on doit admettre
que l’humain est essentiellement social, même lorsque les observations sont obtenues en milieu
naturel.
On peut aussi remarquer comment l’information qui circule peut changer les attitudes des
interlocuteurs. Encore une fois, ce phénomène serait difficilement explicable par un individu
asocial. Il faudrait que, chaque interlocuteur intègre les propos de l’autre à sa perspective. Si, par
faute de cette information, l’interlocuteur montre un changement d’attitudes, c’est qu’il est
relationnel. C’est qu’on ne peut réduire ses propos à lui puisque ses propos, ses opinions et ses
attitudes peuvent changer à cause de l’information qui circule. C’est une autre démonstration de
la manière dont l’être est fondamentalement social.
4.2.7 L’historicité…
En plus de témoigner de la nature sociale de l’humain, la symbolique, une symbolique sur
laquelle on peut intervenir, souligne aussi la dimension historique de notre langage. Nos
observations montrent que le rapport à l’autre peut changer à cause de l’information qui circule.
Alors que nous reconnaissons que ces cas sont peu fréquents, ils se produisent néanmoins.
Toutefois, ils sont beaucoup moins nombreux que ce que Girard207 a trouvé dans sa recherche.
Nous suggérons que cette différence est attribuable au contexte des collectes de données. Alors
que Girard a obtenu ses données à partir de comité administratif, nous l’avons fait dans des foyers
207 Mélanie Girard, Contribution à la critique des théories de l’action. Intention et émoraison, op. cit.
155
familiaux. Nous suggérons que le changement d’attitude est moins prononcé dans nos observations
puisque le milieu familial s’avère un milieu moins polémique.
Malgré cela, nous avons observé quelques instants où le rapport à l’autre se transforme par
rapport à l’information qui circule. Si ce phénomène est possible, c’est parce que l’humain est
historique. C’est justement parce que l’humain peut intervenir sur l’information qui est produite et
sur l’information qu’il produit que le rapport à l’autre se modifie. En plus, on peut remarquer
comment les propos des interlocuteurs renvoient à l’information qui circule ou à ce que
l’interlocuteur était avant la relation. Si cela est possible, c’est qu’on observe le phénomène
d’historicité. C’est que l’information qui circule, le contexte dans lequel l’échange a lieu et la
symbolique de notre langage ne sont pas immuables. L’interlocuteur peut intervenir sur eux, ce
qui fait en sorte qu’il y a évolution de la relation qui ne peut s’expliquer que par l’historicité.
4.2.8 L’émoraison…
Nous avons montré comment les interactions des interlocuteurs font état d’émotions, tant
dans les propos qu’en fonction de la psyché des interlocuteurs. En milieu naturel, les propos des
interlocuteurs font état d’émotions. Les interlocuteurs font état d’émotions dans leurs gestes, leurs
interjections, leurs articulations explicites d’émotions. Donc on ne peut réduire l’individu à la
rationalité même milieu naturel. Nos observations font état du postulat d’émoraison ; elles
montrent comment l’humain ne peut être compris en dehors de la relation et qu’il est à la fois
raison et émotion.
Nous avons aussi montré comment les propos se construisent l’un sur l’autre. Nous avons
montré qu’il y a une réciprocité entre les interlocuteurs qui ne peut être expliquée par l’intention
156
ou l’intérêt. Les propos s’enchaînent et ils prennent en compte l’information qui circule. Si les
propos de chaque interlocuteur peuvent modifier une fin, un moyen, un projet, c’est que ces choses
s’expliquent et se comprennent dans et par la relation. C’est que l’interlocuteur n’est pas que la
raison, qu’il dépasse les limites de la raison. Il est émorationnel.
Ces preuves font échos à celles que Girard208 avait découvertes à l’aide de son analyse des
interactions entre membres de comités administratifs. Nous croyons avoir répondu à la critique
que les résultats pourraient être différents en milieu naturel.
4.3 L’évolution du savoir
Nous remarquons plusieurs similitudes avec le travail de Girard209. Comme elle, nous
suggérons que nos données montrent bien que la modélisation relationnelle et ses catégories
analytiques peuvent rendre compte des échanges – ce qui s’est avéré ici à partir de données qui ont
été cueillies en milieu naturel. La modélisation relationnelle est un meilleur outil pour comprendre
la dynamique des échanges qui se produit entre interlocuteurs. Cette démonstration a été faite à
maintes reprises. Elle a maintenant été faite en milieu naturel entre membres d’une famille. Les
résultats confirment ce qui a déjà été rapporté par bon nombre de chercheurs avec une quantité
importante de données210.
208 Mélanie Girard, Contribution à la critique des théories de l’action. Intention et émoraison, op. cit. 209 Ibid. 210 Mélanie Girard, Contribution à la critique des théories de l’action. Intention et émoraison, op. cit., ;
Paul Jalbert, « Analyse du rôle de l’intention dans les échanges dyadiques », op. cit. ; Mélanie Girard, Simon
Laflamme et Pascal Roggero, « L’intention est-elle si universelle que le prétendent les théories de l’action », op cit.,
Pierre Bouchard, « Théorie de l’action et parcours de vie », Nouvelles perspectives en sciences sociales,op. cit. ;
Jeannine Rousselle, « La communication chez les couples : une approche relationnelle », op. cit.
157
Comme l’ont fait les recherches précédentes, nos résultats sur un milieu naturel démontrent
clairement que les échanges ne peuvent être réduits à une intention, à la stratégie à l’intérêt ou à la
raison. La fluidité des échanges, la réciprocité qui se produit entre les interlocuteurs ainsi que la
construction du lien entre les propos nécessite qu’on prenne du recul. Les postulats des théories de
l’action n’arrivent pas à comprendre ou expliquer ce qu’on observe. Ils tentent de comprendre
l’individu à l’extérieur de la relation. Mais puisque l’individu ne peut s’extraire de la relation, on
ne peut pas le comprendre à l’extérieur de la relation, que ce soit en milieu naturel ou non. La
science doit, dans la mesure du possible, chercher à comprendre son objet comme il l’est.
Lorsqu’on réduit le propos d’un interlocuteur à une intention ou à un intérêt, c’est qu’on modifie
l’objet de recherche pour les besoins de la théorie. Nous devons œuvrer à faire le contraire. Nous
devons utiliser un encadrement théorique qui nous donnera accès à notre objet de recherche et ne
pas hésiter à modifier la théorie si les objets n’y répondaient pas adéquatement. Dans ce cas, c’est
un encadrement qui nous permettra de rendre compte des échanges qu’on observe. C’est un
encadrement relationnel.
158
Chapitre IV
La modélisation relationnelle
5.0 Conclusions
Les preuves sont rentrées et il nous est possible de revenir sur nos hypothèses. En premier
lieu, nous devons répondre par la négative et dire que les échanges ne sont pas par essence le
résultat d’intentions qui les procèdent. Même dans des échanges non protocolaires, nous observons
des interactions qui ne sont pas le résultat d’une intention et nous devons rejeter les hypothèses
contraires. Le rejet de ces hypothèses nous oblige à conclure que les théories de l’action se
montrent incapables de rendre compte des observations obtenues à partir de ce projet de recherche.
Ses postulats prédisent l’existence de ce phénomène, le phénomène d’un acteur où l’intention
mène le bal. Nous n’avons pas trouvé de preuves pour appuyer cette prédiction. Plutôt, nous avons
observé une dynamique entre interlocuteurs qui ne peut être réduite à un individu. La dynamique
est le résultat de la relation en cours. Les échanges sont composés de propos entre interlocuteurs
qui montrent un enchaînement, une fluidité et une réciprocité qui ne peut être expliquée par le seul
recours à l’acteur. Mais, ils peuvent peut-être expliqués si on déplace notre point focal de l’individu
vers la relation.
Deuxièmement, nos données montrent que nous n’avons pu repérer que dans très peu de cas
les indicateurs d’intérêt et de stratégie. Cela étant, nous devons donc conclure, comme le suggère
la modélisation relationnelle, que les échanges sont le résultat de la socialité, de l’historicité et de
l’émoraison. Encore, nous avons obtenu des preuves pour appuyer la conclusion que les théories
de l’action ne possèdent pas la puissance théorique pour rendre compte des observations captées
159
entre individus. L’individu ne fonctionne pas que d’après son intérêt. Il est capable d’altruisme. Il
est passionné, émouvant, tantôt doux, tantôt dur. Il est toutes ces choses et ces choses se dévoilent
à partir de la relation. La passion n’est pas un dérivé de la stratégie. Elle ne peut être expliquée
seulement en termes d’intérêt non plus. Ni l’altruisme. Donc ces dimensions de l’individu sont
perdues. En acceptant cette perte, comme le font les théories de l’action, on perd l’essentiel du
vécu humain. On laisse échapper le fait que l’humain est fondamentalement communicationnel et,
donc, inscrit dans des relations qui évoluent. Mais cet humain n’évolue pas de façon asociale ou
ahistorique. Dès que l’individu utilise une symbolique sur laquelle il peut intervenir, dès que cette
symbolique peut évoluer sans l’individu puisqu’elle est partagée, on doit admettre que l’individu
est essentiellement relationnel.
Enfin, puisque nous avons repéré les indicateurs de socialité, d’historicité et d’émoraison,
nous pouvons accepter ces hypothèses. Nous pouvons donc admettre que les indicateurs de
socialité et d’historicité, dans leurs formes micro et macro, ont été observés et que les indicateurs
d’émoraison se sont montrés observables. Si l’on accepte nos hypothèses et admet la réalité de nos
observations, on peut aussi conclure que les échanges que nous avons observés ne sont pas le
résultat d’un individu, mais le fruit de la dynamique qui se produit entre interlocuteurs. Cette
conclusion n’est pas permise par les théories de l’action où l’acteur est rationnel, intéressé,
stratégique, intentionné et conscient. Et voilà la faiblesse de cette construction théorique et où
prime la capacité de la modélisation relationnelle. Les théories de l’action ne savent comment
rendre compte des événements comme ceux qui ont été captés dans ce projet de recherche. Les
théories de l’action peuvent nous offrir la capacité à prédire, une qualité qui est attirante. Mais
lorsqu’elles sont confrontées aux observations d’échanges entre interlocuteurs, elles se montrent
pauvres dans leur capacité à expliquer les échanges puisque leur positionnement théorique se
160
construit sur l’individu alors que les observations montrent clairement que ce qui se produit entre
interlocuteurs est le résultat de la relation entre les interlocuteurs. Donc, les théories de l’action ne
pourront jamais accéder à ce savoir puisque leur appareillage théorique les limite à l’individu.
On continue de reprocher à la modélisation relationnelle de faire abstraction de la personne.
Alors qu’elle a bien répondu à cette critique et à maintes reprises211, dans un projet de recherche
comme celui-ci il nous incombe de produire une opinion sur le sujet. Nos résultats nous permettent
de conclure avec sureté que la modélisation relationnelle nous donne accès à un savoir qui est
inaccessible aux théories de l’action, ils ne perdent pas de vue l’individu. La modélisation
relationnelle se prononce sur les éléments qui doivent primer et elle le fait en admettant la réalité
de l’individu. Elle le fait en admettant que l’individu est fondamentalement communicationnel.
Et c’est dans cette optique, que la modélisation relationnelle affirme l’individu, non pas en
niant ce qu’il est mais en l’acceptant comme il se présente. Elle ne cherche pas à intervenir sur
l’individu pour des fins de recherches, pour des convenances théoriques ou pour l’illusion d’une
meilleure puissance prédictive. La modélisation relationnelle cherche à comprendre l’individu
dans le cadre dans lequel il s’inscrit, en comprenant la relation entre lui et le monde dans lequel il
figure. Donc, il n’y a pas d’abstraction de l’individu. Il y a reconnaissance de l’individu. Il y a
respect de l’individu.
À nos yeux, ce projet de recherche fait avancer non pas seulement la science, mais aussi
l’épistémologie du domaine. Nous avons pu montrer encore comment l’encadrement théorique que
nous offrent les théories de l’action nous limite dans la recherche du savoir. Il y a certainement,
211 Mélanie Girard, Contribution à la critique des théories de l’action. Intention et émoraison, op. cit., ;
Paul Jalbert, « Analyse du rôle de l’intention dans les échanges dyadiques », op. cit. ; Mélanie Girard, Simon
Laflamme et Pascal Roggero, « L’intention est-elle si universelle que le prétendent les théories de l’action », op cit.,
Pierre Bouchard, « Théorie de l’action et parcours de vie », Nouvelles perspectives en sciences sociales,op. cit. ;
Jeannine Rousselle, « La communication chez les couples : une approche relationnelle », op. cit.
161
maintenant, suffisamment de preuves convaincantes pour oser dire que le temps est venu de
déclarer les théories de l’action comme modélisation théorique insuffisante. Est-ce qu’on peut se
poser d’autres questions à l’égard des théories de l’action ? Oui. Mais cela peut se faire à partir
d’une perspective différente. On peut se poser la question de mieux comprendre le rôle que jouent
ces postulats à la place de tenter de comprendre l’humain à travers de ces postulats. On peut essayer
de comprendre l’intention, la façon dont elle se manifeste ou la façon dont elle évolue. On pourrait
se poser des questions semblables pour tous les postulats de la modélisation actionnaliste.
Les preuves sont convaincantes pour arguer que la modélisation relationnelle devient le
modèle pour faire l’analyse de phénomènes sociologiques. Les postulats des théories de l’action
ne sont pas observés en milieu naturel ou en laboratoire comme le prédit l’encadrement théorique.
On sait que, dans plusieurs conditions, les théories de l’action ont montré leurs lacunes. Il ne reste
qu’à affirmer cette vérité et à accepter la modélisation relationnelle comme le modèle à suivre au
moins provisoirement. Le langage est fort pour souligner qu’on ne peut pas continuer à ignorer les
preuves. On se doit comme chercheur de prendre conscience des faits que nous accumulons pour
tirer des conclusions. Avec l’ajout des preuves tirées de cette recherche, même les défenseurs les
plus ardents des théories de l’action doivent, à notre avis, maintenant réfléchir à la modélisation
qu’ils utilisent.
5.1 Limites de la recherche
Bien que l’échantillon est petit, non pas en termes d’énoncés, mais en termes de familles,
nous croyons avoir obtenu un effet de saturation qui nous permet d’avoir confiance dans les
résultats obtenus ainsi que dans les conclusions que nous tirons d’eux. Cependant, nous devons de
162
reconnaître que cette recherche apporte des conclusions à l’égard de la modélisation et non d’un
phénomène quelconque. Alors que l’outil a été vérifié, on ne peut tirer d’information sur « la
famille ». Ce genre de projet de recherche nécessiterait une approche méthodologique et une
analyse différente qui devra être effectuée à un moment ultérieur. Aussi, dans le projet à Mélanie
Girard212, on a obtenu des données plusieurs mois après la collecte originale, nous n’avons pas fait
cela. Nous avons plutôt choisi de nous limiter à une collecte d’une semaine. Puisque nos résultats
sont très semblables à ceux de Mélanie Girard213, et qu’elle n’a rien trouvé pour remettre en
question cette notion de temporalité, nous n’avons pas refait ce travail. Étant donné que nous
n’avons aucune raison pour remettre en question les résultats qui touchent à cette question de
Girard, nous ne l’avons pas fait et devons admettre que c’est une des limites de ce projet de
recherche.
5.2 Ce qu’il reste à faire
Comme nous l’avons déclaré au début, nous avons dû réduire l’envergure du projet de
recherche pour le rendre réalisable. Donc les hypothèses à l’égard de la modélisation relationnelle,
des théories de l’action et sur leur sensibilité aux différences culturelles restent à être vérifiées.
Malgré cela, nous croyons qu’il y a maintenant suffisamment de données pour suggérer que la
question de recherche devrait maintenant évoluer. On a répondu à la question de savoir quelle
modélisation devrait être utilisée. Mais il reste, comme le dit Girard214, à établir s’il y a des
conditions où l’individu se trouve plus ou moins intentionné.
212 Mélanie Girard, Contribution à la critique des théories de l’action. Intention et émoraison, op. cit., 213 Ibid. 214 Ibid.
163
Il nous semble alors qu’il y a aussi un bon nombre de textes215 qui font déjà état de cela, et
que le moment pour passer du théorique vers la pratique est devant nous, c’est-à-dire de passer de
la vérification de l’appareillage conceptuel à l’utilisation de l’appareillage conceptuel pour faire
l’analyse de phénomènes sociologiques qui nous permettra de faire des découvertes qui nous
étaient autrement inaccessibles, à cause de la modélisation employée. L’analyse de phénomènes
peut dépasser les frontières de la sociologie. On peut penser à l’utilité de la modélisation
relationnelle en psychologie, en droit, en économie, en histoire, etc. On peut traiter des
phénomènes qui se produisent à l’intérieur de chacune de ces disciplines. Prenons la question
d’intervention en santé mentale ou de culpabilité dans notre système de justice. Il nous semble
qu’il y aurait quelques avantages à porter nos réflexions sur ce qu’une modélisation relationnelle
pourrait nous dire à l’égard des répercussions politiques, économiques ou géographiques du
déplacement de réfugiés de la Syrie. Mais pour faire cela, il faut que nous acceptions que la
modélisation relationnelle représente un outil probant. Le moment pour faire cette transition est
arrivé. Comme chercheur, il importe de reconnaître la valeur d’une théorie qui a été soumise à la
vérification et qui s’est révélée comme ayant quelque valeur.
215 Ibid.
Paul Jalbert, « Analyse du rôle de l’intention dans les échanges dyadiques », op. cit. ; Mélanie Girard, Simon
Laflamme et Pascal Roggero, « L’intention est-elle si universelle que le prétendent les théories de l’action », op cit.,
Pierre Bouchard, « Théorie de l’action et parcours de vie », Nouvelles perspectives en sciences sociales,op. cit. ;
Jeannine Rousselle, « La communication chez les couples : une approche relationnelle », op. cit.
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188
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175-193.
189
ANNEXE 1
FORMULAIRE DE CONSENTEMENT
Titre de l’étude : Saisir l’acte : une contribution empirique à la sociologie relationnelle
Chercheur : Paul Jalbert
Mon nom est Paul Jalbert et je suis étudiant dans un programme de doctorat de l’Université
Laurentienne. J’étudie la dynamique de la manière que les membres d’une famille se parlent
entre eux. Cette étude a pour but de fournir des données au sujet des interactions entre individus.
Je vous prie de noter que l’étude ne comporte aucun risque prévisible pour vous ni pour vos
enfants. Votre participation consiste à remplir un formulaire demandant des informations
démographiques ainsi qu’en l’enregistrement sur caméra vidéo de conversations entre les
personnes dans une pièce de votre choix dans votre foyer durant une semaine. Pendant cette
semaine, la caméra sera activée dès lors qu’elle observe du mouvement entre 16 h et 23 h
pendant la semaine et entre 9 h et 23 h pendant la fin de semaine. Une fois que l’enregistrement
sera complet, je vous demanderai si vous voulez revoir les enregistrements. Cet enregistrement
ne sera utilisé que pour les fins de cette recherche. Pour les familles qui choisissent de participer,
une petite récompense monétaire de 25 dollars sera offerte.
Votre participation est strictement volontaire. Vous pouvez vous retirer en tout temps, sans
aucune répercussion. Même si vous acceptiez de participer aujourd’hui et que vous changiez
d’idée pendant la collecte de données, vous pourriez débrancher la caméra pour terminer
l’enregistrement sans aucune répercussion. Votre identité ne sera jamais dévoilée. Les données
cueillies seront sauvegardées de façon sécuritaire (sous clé et par encryptions dans le cas de
données électroniques) et seront détruites après dix ans.
Cependant, nous devons noter qu’il peut y avoir des limites à la confidentialité. Dans le cas où il
y aurait un enregistrement de crime ou d’abus de membre d’une famille, il se pourrait que la
confidentialité fût compromise et que l’incident dût être rapporté, situation qui serait d’abord
évaluée avec les codirecteurs de la recherche et, ensuite, le cas échéant, avec le comité éthique de
l’Université Laurentienne.
190
Pour de plus amples renseignements sur l’étude ou sur votre participation, appelez-moi au
***.***.**** ou communiquez avec les codirecteurs de la recherche, Simon Laflamme, au
***.***.****, poste **** et Ali Reguigui au ***.***.****, poste ****.
Vous pouvez aussi communiquer avec :
Administrateur déontologique, Bureau de la Recherche de l’Université Laurentienne,
téléphone : 705-675-1151 poste 2436 ou 1-800-461-4030 ou par courriel
________________________________________________________________________
J’ai lu le texte du formulaire de consentement et j’accepte de participer à cette étude.
________________________________ _______________________
Signature du participant Date
________________________________ _______________________
Signature du participant Date
________________________________ _______________________
Signature du participant Date
________________________________ _______________________
Signature du participant Date
Je ne veux pas recevoir de résumé des résultats lorsque la recherche sera complétée.
Je veux recevoir un résumé des résultats lorsque la recherche sera complétée à l’adresse
suivante :
191
_________________________________________
_________________________________________
_________________________________________
Pour enfants :
Mon nom est Paul et je veux enregistrer les activités qui ont lieu dans cette pièce. Donc je veux
installer une caméra qui enregistra toutes les personnes et leurs propos dans cette pièce. Mais,
pour faire cela, j’ai besoin de ta permission. Me donnes-tu la permission ?
oui
non
Je donne ma permission aux chercheurs d’utiliser les saisies audiovisuelles qui ont été
enregistrées chez moi du ________________________ au _______________________. Je
reconnais que le refus d’accorder cette permission n’entrainera aucune répercussion et que, en
cas de changement d’idée, l’enregistrement sera supprimé immédiatement.
________________________________ _______________________
Signature du participant Date
192
________________________________ _______________________
Signature du participant Date
________________________________ _______________________
Signature du participant Date
________________________________ _______________________
Signature du participant Date
193
ANNEXE 2
AVERTISSEMENT
Cette enregistreuse vidéo se met à enregistrer dès
qu’il y a quelqu’un dans la salle. Les informations
recueillies à partir de cet enregistrement serviront de
données pour une recherche qui analyse le rôle de
l’intention dans des conversations en milieu naturel.
Pour de plus amples renseignements sur l’étude ou
sur votre participation, appelez-moi, Paul Jalbert, au
***.***.****, ou communiquez avec les
codirecteurs de la recherche, Simon Laflamme, au
***.***.****, poste **** et Ali Reguigui au
***.***.****, poste ****.
194
ANNEXE 3
Mon nom est Paul Jalbert.
Je suis doctorant à
l’Université Laurentienne.
J’effectue actuellement
une recherche qui porte
sur le rôle de l’intention dans des
conversations en milieu naturel. J’ai
besoin de participants. Si vous êtes
intéressés à en savoir plus, ou si vous
souhaitez y participer, je vous invite à
vous rendre à ___________________
où je ferai une présentation d’environ
dix minutes. La participation est
volontaire et il n’y a aucune
répercussion pour ceux qui refusent.
195
ANNEXE 4
Messieurs, Madames,
Comme vous le savez, je sollicite votre participation pour un projet de recherche que je mène
actuellement. Je dois assurer que votre participation est volontaire et non le résultat du fait que
vous me connaissez déjà. Pour veiller à ce que votre éventuelle participation ne soit que l’effet de
votre volonté, je vous demande de ne pas prendre de décision pour le moment. Veuillez remplir la
partie ci-dessous pour exprimer votre souhait de participer ou non et retournez-la moi par la poste
dans l’enveloppe fournie. Je vous assure qu’aucune autre sollicitation ou aucun rappel pour la
soumission de ce document ne sera fait.
Bien cordialement,
Paul Jalbert
Oui, je souhaite participer à cette recherche
Non, je ne souhaite pas participer à cette recherche
________________________________
NOM
________________________________
NUMÉRO DE TÉLÉPHONE
________________________________
COURRIEL
196
ANNEXE 5
Messieurs, Madames,
Je suis un étudiant au doctorat à l’Université Laurentienne. J’effectue actuellement une recherche
qui porte sur le rôle de l’intention dans des conversations en milieu naturel. Je sollicite la
participation de nouveaux arrivés de l’Asie ou de l’Afrique subsaharienne. Comme votre centre
culturel accueille des personnes qui proviennent de l’Asie ou de l’Afrique subsaharienne, je vous
demande la permission de faire une courte présentation (maximum de dix minutes) de ma
recherche lors de votre prochaine rencontre dans le but de recruter des participants. Il va sans dire
que la participation à cette recherche est volontaire et il n’y aura aucune répercussion pour ceux et
celles qui ne voudraient pas participer.
Dans l’espoir que vous acceptiez cette proposition, je vous prie d’agréer l’expression de mes
meilleurs sentiments.
Paul Jalbert
197
ANNEXE 6
Présentation PowerPoint pour Participants
198
199
ANNEXE 7
Glossaire :
Conscience : Un postulat de la modélisation actionnaliste qui veut que l’acteur ait une perspective
sur ses actions qui lui permet de prendre des décisions informées à l’égard de ses actions. Plus
généralement, dire de l’humain qu’il a conscience de quelque chose, c’est affirmer non pas qu’il
connaisse, mais qu’il sache qu’il sait.
Émoraison : Un postulat à l’intérieur de la modélisation relationnelle qui tient en compte des
dimensions à la fois rationnelle et émotive de la psyché humaine. Ce postulat témoigne du fait que
le vécu de l’être humain ne soit pas réductible à la raison.
Historicité : L’historicité peut être comprise à deux niveaux : micro et macro. Au niveau micro,
l’historicité est comprise en termes d’informations immédiates sur lesquelles les interlocuteurs
peuvent intervenir. Au niveau macro, l’historicité se comprend en termes de contexte dans lequel
les échanges émergent. Ce postulat de la modélisation relationnelle repose sur le fondement de la
pensée humaine, le langage.
Intention : Une projection, un but à atteindre.
Intérêt : Un postulat de la modélisation actionnaliste qui veut que l’acteur agisse en fonction de
ce qui lui est profitable.
Rationalité : Ce postulat de la modélisation actionnaliste veut que l’acteur fonctionne à partir
d’une logique formelle qui le rend fondamentalement calculateur. Cette dimension de logique
serait sous-jacente à sa prise de décision, et donc, à ses interactions avec autrui.
Socialité : La communication, qui lie nécessairement tout être humain, le rend, par ce fait,
nécessairement social. Ce postulat de la modélisation relationnelle assure que l’être humain ne
peut être compris à l’extérieur de cette socialité et rend, également, la compréhension de ses actions
comme provenant d’un acteur asocial impossible.
Stratégie : Organisation des actions, articulation de moyens à des buts216.
216 Définition tirée du logiciel Antidote.
200
ANNEXE 8
201
202
203
204
ANNEXE 9
1. propint : Est-ce que le propos témoigne d’une intention ? On répond oui à tous les propos
où on reconnait une projection ou un but à atteindre. On compte aussi les propos où
l’interlocuteur affirme une action qu’il entreprend alors qu’il est dans le processus de
l’entreprendre. Aux fins d’éviter toutes critiques, on compte même les propos qui
s’articulent à travers d’une directive ou d’une instruction dans le but de faire faire ou de
faire agir quelqu’un d’autre.
a. 1 = oui
b. 2 = non
2. intprédyn : Est-ce que l’intention précède la dynamique de la séance en cours ?
a. 1 = oui
b. 2 = non
c. 3 = sans objet
3. Intnaîtdyn : Est-ce que l’intention naît de la dynamique en cours ?
a. 1 = oui
b. 2 = non
c. 3 = sans objet
4. Anpropult : Est-ce que le propos annonce un propos, une action ou un projet ultérieur ?
On répond oui à cet exemple dans les cas où le propos, l’action ou le projet ultérieur est
explicite (Exemple : « nous parlerons de ça tantôt », « nous irons au magasin ce soir », «
je construirai un garage l’été prochain », etc.). On peut aussi dire oui dans les conditions
où l’interlocuteur affirme qu’il tentera d’entamer un propos, une action ou un
projet ultérieur.
a. 1 = oui
b. 2 = non
5. Propultdyn : Est-ce que le propos qui annonce un propos, une action ou un projet
ultérieur est le résultat de la dynamique en cours ?
a. 1 = oui
b. 2 = non
c. 3 = sans objet
6. Propultproj : Est-ce que le propos qui annonce un propos, une action ou un projet
ultérieur témoigne d’un projet qui précède l’échange ?
a. 1 = oui
b. 2 = non
c. 3 = sans objet
205
7. Nonintég : Est-ce que le propos de l’interlocuteur témoigne d’une non-intégration des
propos émis ?
a. 1 = oui
b. 2 = non
c. 3 = sans objet
8. Persnoninteg : Est-ce qu’il y a persistance de la non-intégration malgré l’exposition de
nouvelles informations ?
a. 1 = oui
b. 2 = non
3 = sans objet
9. Enchai : Est-ce que l’on repère dans les propos un enchainement entre une fin et un
moyen ?
a. 1 = oui
b. 2 = non
10. Projmod : Est-ce que la fin se modifie ?
a. 1 = oui
b. 2 = non
c. 3 = sans objet
11. Moymod : Est-ce que le moyen se modifie ?
a. 1 = oui
b. 2 = non
c. 3 = sans objet
12. Actavrel : Est-ce que le propos renvoie à ce que l’acteur était avant la relation en cours ?
a. 1 = oui, parce que l’interlocuteur est membre de la famille.
b. 2 = non
13. Actdevinf : Est-ce que le propos renvoie à ce que l’acteur devient en fonction de
l’information qui circule ? Donc, est-ce que les propos sont le résultat de l’information
qui circule ?
a. 1 = oui
b. 2 = non
c. 3 = indéfinissable
14. Micro : Est-ce que l’information échangée renvoie à des formes micrologiques de
socialité ? On peut répondre par oui, de façon explicite dans les circonstances où les
206
interlocuteurs se comprennent sans nécessiter plus d’informations pour assurer la
compréhension. On peut répondre par oui, de façon implicite dans les circonstances où
l’interlocuteur nécessiterait plus d’information pour bien comprendre le propos de l’autre.
a. 1 = oui, de façon explicite
b. 2 = oui, de façon implicite
15. Macro : Est-ce que l’information échangée renvoie à des formes macrologiques de
socialité ? On répond oui dans les circonstances où les propos échangés peuvent être
aisément compris par le groupe plus large. On répond non dans les cas où le groupe plus
large nécessiterait de l’information qui est spécifique aux interlocuteurs pour comprendre
l’information qui circule. Dans tous autres cas, on cote 3.
a. 1 = oui
b. 2 = non
c. 3 = indéfinissable
16. Infagrel : Est-ce que l’information échangée agit sur la relation en cours ? Donc on
cherche à savoir en quelle mesure les propos évoluent et ne sont pas statiques ou de la
simple reproduction. Il y a évolution s’il y a mouvance dans le discours, s’il y a passage
d’un état à une autre, intégration de nouvelles informations, etc. On répond sans objet
dans les circonstances où on ne peut pas en faire détermination (ex. le premier propos
dans une série). Dans tous les autres cas, on peut répondre par 2.
a. 1 = oui et la relation évolue
b. 2 = oui mais la relation n’évolue pas
c. 3 = sans objet
17. Reltrans : Est-ce que la relation ou le rapport à l’autre se transforme par rapport à ce qui
est dit ? Pour répondre oui, on doit observer un mouvement flagrant. Girard dit : « On
pense ici, par exemple, au passage de l’harmonie à la disharmonie, de la convivialité à
l’animosité, de l’agressivité à la tendresse ; ou l’inverse217 ». On répond par sans objet si
on ne peut répondre à la question.
a. 1 = oui
b. 2 = non
c. 3 = sans objet
18. Modattinf : Est-ce qu’il y a modification dans l’attitude par rapport à l’autre en fonction
de ce qui est échangé ou de l’information qui circule ? On répond par oui dans les
circonstances où il le changement est temporaire. Girard dit : « On pense notamment au
fait de passer du questionnement ou de la quête d’information à l’affirmation, de la
méfiance à la confiance, de la nonchalance à l’attaque218 ». On répond sans objet
217 Page 133. Mélanie Girard, Contribution à la critique des théories de l’action. Intention et émoraison, op. cit. 218 Page 133. Mélanie Girard, Contribution à la critique des théories de l’action. Intention et émoraison, op. cit.
207
lorsqu’on ne possède pas suffisamment d’information pour en faire détermination. Dans
tous autres cas, on cote 2.
a. 1 = oui
b. 2 = non
c. 3 = sans objet
19. Reconmominf : Peut-on reconstruire le moment informatif pour montrer comment il est
fonction d’un moment antérieur ?
a. 1 = oui
b. 2 = non
20. Emoraison : Échelle d’émoraison. Cette échelle cherche à mesurer si dans le propos lui-
même, on retrouve une part de raison et une part d’émotion. On répond par 7 dans les
conditions où on ne possède pas suffisamment d’informations pour faire une
détermination. En plus des circonstances identifiées en 6, on inclut aussi les instances où
un interlocuteur répond par oui ou par non à une question fermée si on ne possède pas
d’autres informations pour le coder différemment.
a. 1 = Interjection ou geste
b. 2 = Expression émotive avec syntaxe
c. 3 = Expression d’une croyance ou d’une émotion avec une explication
d. 4 = Présentation d’un argument avec paradoxe/contradiction
e. 5 = Argument avec émotion, sourire ou geste
f. 6 = Argument pur, démonstration logique, propos rationnel
g. 7 = Indéfinissable
21. Impass : Échelle d’impassibilité. Cette échelle renvoie surtout à la psyché de l’individu.
On répond par 7 sous les conditions où on ne possède pas suffisamment d’informations
pour en faire détermination.
a. 1 = Émotion incontenable
b. 2 = Émotion très apparente
c. 3 = Émotion apparente
d. 4 = Émotion implicite
e. 5 = Émotion contenue dans un propos rationnel ; dans un propos moral
f. 6 = Aucune émotion apparente, impassibilité
g. 7 = Indéfinissable
22. Couper : Est-ce que le tour de parole a été interrompu ?
a. 1 = oui
b. 2 = non