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Saga Information – N° 286 – Avril 2009
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LLAA CCOOMMMMIISSSSIIOONN DDEE VVOOLLCCAANNIISSMMEE
DDAANNSS LLEE BBAASS LLIIMMOOUUSSIINN
Par Yves Grimault, membre de la Commission de volcanisme de la SAGA.
Figure 11 – Plis hectométriques de la carrière de Chambon. Ce sont en fait des replis apparus sur les flancs de l’antiforme
de Tulle, lors de la phase tectonique finale qui a vu se former cette même antiforme, de direction axiale à peu près nord-sud.
De Brive à Tulle, cette sortie de la Commission de
volcanisme de la SAGA, en septembre 2007, nous a
permis de traverser des terrains malmenés par les
mouvements tectoniques, dans la région du Bas
Limousin, qui recèlent les indices incontestables du
métamorphisme régional.
Elle a fait suite à une série d’« Entretiens sur le
métamorphisme » donnés par Dominique Rossier, que
les membres de la Commission sont heureux de comp-
ter parmi eux. Sa documentation, ses connaissances
et son enthousiasme ont fait merveille, tant pour nous
intéresser à cette matière ardue qu’est le métamor-
phisme que pour nous permettre d’en saisir les pré-
mices, l’essentiel. Je ne peux manquer, en débutant ce
compte rendu, de le remercier pour sa patience et sa
disponibilité sans lesquelles il nous aurait été impos-
sible de mener jusqu’au bout les travaux autour de
cette sortie.
Il n’y a, bien sûr, rien de mieux que d’observer en
place et de toucher les matériaux que l’activité de la
Terre fabrique pour remettre en ordre les savoirs
apportés par les Entretiens et accéder ainsi à une
meilleure compréhension des phénomènes. Rien de
mieux, également, que d’avoir à en rendre compte
pour affermir nos connaissances.
Ce que nous vous proposons de faire dans les lignes
qui vont suivre est un voyage à la fois au cœur des
lois de la physique, pression et température, dans la
gigantesque échelle des temps géologiques et dans
l’espace géographique mouvant, autant que dans les
profondeurs de la croûte terrestre et les microstruc-
tures de la matière.
Accrochons nos ceintures… Top départ !
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Le métamorphisme régional du Bas Limousin
Il appartient au type très répandu de métamorphisme de moyennes pressions et d’assez hautes tempé-ratures. Ce métamorphisme des marges occidentales du vieux massif hercynien résulte de l’enfouissement d’écailles de la lithosphère continentale, lors de la subduction puis de la collision entre deux plaques tectoniques, responsables de la création de la chaîne hercynienne du Dévonien au Carbonifère. D’ouest en est, ce métamorphisme croît en intensité ; on parle de gradient métamorphique, et dans notre cas, de gradient prograde : c’est-à-dire que la tempé-rature et la pression croissent simultanément, ce qui n’est pas toujours le cas (figure 1). Le métamorphisme se traduit aussi en termes de zones, en ordre croissant de métamorphisme :
anchizone ĺ épizone ĺ mésozone ĺ catazone. Sur le terrain, on observe, de l’épizone à la méso-zone, la séquence minéralogique du gradient méta-morphique croissant et, de la mésozone à la catazone, des intrusions et un métamorphisme qui va conduire les roches jusqu’à leur fusion. Voici donc le programme qui nous a occupés les deux premiers jours (figure 2) : • 1. de l’épizone à la mésozone :
- les ardoisières de Travassac : quartzites et mica-schistes à biotite, - la vallée du Maumont Noir, Taupineries et Moulin du Nègre : apparition de la chlorite, des biotites, des grenats, et observation de l’isograde de la staurolite, - la gare d’Aubazine : « gneiss gris du Bas Limou-sin » ;
• 2. de la mésozone à la catazone : - la carrière de Chambon, à Vergonzac, - la carrière du tunnel de Bonnel, - la carrière du tunnel de Cornil, - la carrière du tunnel des Îles, près de Chameyrat.
De l’épizone à la mésozone Les ardoisières de Travassac (arrêt 1.1) Dans la fraîcheur et le soleil matinal du Limousin, nous visitons une carrière d’ardoise, très impres-sionnante par son à-pic vertigineux. Les bancs d’ar-doise alternent avec des bancs de quartzite en un pen-dage vertical du plan de schistosité ; la carrière montre d’immenses pans rocheux de quartzite dressés qui correspondent à la roche stérile non extraite : les « pans de Travassac » (figure 3).
Figure 3. Les impressionnants « pans de Travassac » sont des lames
de quartzite d’épaisseur plurimétrique qui se dressent jusqu’à des
dizaines de mètres au-dessus du plancher de la carrière, après
extraction des schistes ardoisiers. Les plans de schistosité des deux
roches ont été redressés verticalement par
les mouvements tectoniques hercyniens.
Ce sont des métasédiments (1) de la série de Don-
zenac, essentiellement des quartzites feldspathiques et des micaschistes à biotite. À l’origine, il s’agit d’un complexe volcano-détritique caractérisé par une alternance de sédiments volcaniques acides, qui vont donner des quartzites, et de sédiments argileux qui donneront des argilites. L’ardoise est une roche sombre à grains fins, d’aspect satiné, de texture lépidoblastique (du gr. lepidos : écailles, et blastos : bourgeon), avec des mi-néraux brillants à peine visibles à l’œil nu dans les plans de schistosité ; ce sont des micas blancs, comme la séricite. Elle se débite en feuillets réguliers grâce au clivage ardoisier parfait. La carrière est toujours exploitée par la Société des Ardoisières Bugeat. L’ardoise qui en est extraite, exempte de pyrite, est une des plus résistante à l’action du temps. Elle est toujours utilisée, en par-ticulier dans le cadre de la restauration de monuments historiques tels le Mont-Saint-Michel et la cathédrale de Chartres. Nous nous trouvons là à la limite anchizone-épizone du métamorphisme du Bas Limousin, à la marge d’un ancien bassin sédimentaire, et/ou d’effondrement, continental. Les dépôts d’origine de projections vol-caniques rhyodacitiques, alternées avec des dépôts de sédiments terrigènes (surtout d’argile) ultérieurement remaniés et mélangés, se sont mis en place entre – 470 et – 440 Ma (Ordovicien). Le processus mé-tamorphique a commencé vers – 410 Ma (Dévonien, début de l’orogenèse hercynienne). La schistosité est datée d’environ – 400 Ma.
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Lors de la sédimentation, une transformation pure-ment mécanique s’effectue, la diagenèse : les vases accumulées sont compressées, l’eau qu’elles conte-naient s’en échappe. Les fines particules qui les com-posent sont ensuite aplaties et orientées selon un mê-me plan – un premier plan de schistosité, stratigra-phique (S0) – perpendiculairement à la contrainte de la compression (figure 4). La plaque océanique voisine est enfouie, par glisse-ment d’ouest en est, entraînée par le manteau supé-rieur lithosphérique, en subduction sous la plaque continentale. Elle entraîne à sa suite une unité conti-nentale, qui sera fortement écaillée et raccourcie, et finira par former le « prisme d’accrétion ». Au cours de son enfouissement, l’unité continentale écaillée subit des plissements majeurs et une compression considérable à l’origine d’une seconde schistosité (S1). Une transformation chimique se produit aussi du fait des températures et de la pression. L’argile compres-sée se transforme en schiste ardoisier. Les tufs rhyo-dacitiques sont à l’origine des quartzites, des roches sombres jamais litées, en bancs plurimétriques, avec quartz abondant, plagioclase, mica noir et orthose. Sites des Taupineries et du Moulin du Nègre, dans la vallée du Maumont Noir (arrêt 1.2)
En quittant Travassac, et suivant la vallée du Mau-mont Noir à quelques kilomètres vers l’est, nous entrons dans l’épizone. Ceci est révélé en observant l’apparition de la chlorite dans les lames minces, preuve du passage d’un seuil du gradient méta-morphique (figures 5 et 6).
Figure 6. Dominique Rossier nous montre l’échantillon
correspondant à l’apparition de la staurolite
au lieu dit « Moulin du N ègre ».
Des affleurements, aux lieux-dits des Taupineries et du Moulin du Nègre, nous signalent le passage de l’isograde
(2) du début de la mésozone, domaine de stabilité de la staurolite. Le gradient métamorphique franchit un seuil important en pression et température, révélé par l’apparition des silicates d’alumine (depuis la composition d’origine riche en argile, donc en alumine et en fer) véritables géobaromètres et géo-thermomètres du métamorphisme. Maintenant, nous avons des indices sur la tem-pérature et la pression (voir la figure 1). Nous réalisons cinq prélèvements montrant l’ap-parition progressive de minéraux du métamorphisme (chlorite, biotites, grenats) et de l’isograde de la staurolite (figure 7). La gare d’Aubazine (arrêt 1.3) Les dessins et photos de cette série décrivent et tentent d’interpréter la structure et la fabrique
(3) du gneiss, dit « gneiss gris du Bas Limousin » (figure 8), un paragneiss (1) qui affleure à la gare d’Aubazine, sur la rive droite de la Corrèze. L’échantillon qui a servi aux observations a été prélevé derrière les maisons du hameau, un peu avant la gare, juste après l’isograde de la cyanite (figure 9). La séquence d’origine (pélites et grauwackes) est chimiquement comparable à celle de Travassac et du Maumont Noir.
Figure 8. (Arrêt 1.3). Cassure fraîche du « gneiss gris du Bas
Limousin ». Des feuillets quartzo-plagioclasiques alternent avec de
minces feuillets micacés, disposés suivant le plan de foliation.
Ici, la température et la pression ont augmenté et un nouveau minéral apparaît : la cyanite (ou disthène), minéral index important car excellent géobaromètre (voir la figure 1).
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Figure 1. Diagramme pression/température.
Pour représenter de façon synthétique les minéraux qui apparaissent successivement dans une roche subissant
le métamorphisme, on utilise universellement un diagramme à deux dimensions, où les coordonnées sont la
pression (donc la profondeur) et la température. Ce diagramme a été établi pour une roche issue de sédiments
continentaux riches en argile : pélites, grauwackes, etc., et subissant des pressions et des températures
croissantes (au-dessus de 500 °C). Le taux de vapeur d’eau entrant dans la composition de la phase vapeur est
supposé élevé.
Sur le diagramme, les trois segments inclinés sur l’horizontale et convergeant vers un point triple (vers 5,5
kbar et 600 °C) délimitent les zones de stabilité des trois formes (« polymorphes ») remarquables du silicate
d’alumine pur et anhydre, minéral indicateur par excellence du degré du métamorphisme. Les polymorphes
sont représentés par leurs abréviations internationales : And pour l’andalousite, indicateur de basse pression,
donc de faible profondeur ; Sil pour la sillimanite, indicateur de températures basses à moyennes mais de
hautes pressions ; Ky pour la cyanite (ou disthène), indicateur de haute température, de la basse à la haute
pression. Ces polymorphes se révèlent très utiles pour identifier les conditions physiques du métamorphisme subi par la
roche ; pour cette raison, on les appelle « minéraux index ».
Les autres segments de droite, quasi verticaux sur le diagramme, délimitent les domaines de températures et
de pressions d’apparition d’autres « minéraux index » et leurs domaines de stabilité. Segments et domaines
constituent ce qu’on appelle une « grille pétrogénétique ». Ces minéraux sont également des silicates
d’alumine, mais contenant du fer et du magnésium, et certains hydroxylés. Pour nos observations, le plus
remarquable est la staurolite, dont le domaine de stabilité est en grisé sur le diagramme. Ils sont signalés par
les abréviations conventionnelles : Chl : chlorite ; Bt : biotite ; Grt : grenat ; St : staurolite.
Les ronds portant un numéro sur le diagramme indiquent la position dans l’espace pression/température pour
les roches que nous avons récoltées lors des arrêts 1.2 (points 207 et 509 sur le diagramme) et 1.3 (512 sur le
diagramme) de notre sortie (se reporter à la carte géologique simplifiée ci-dessous).
Remarque : pour établir les grilles pétrogénétiques, on a reproduit en laboratoire, au cours de milliers
d’expériences couvrant tout l’espace pression/température, les roches échantillonnées par les géologues sur les
terrains métamorphiques, à partir de leurs constituants rassemblés dans les mêmes proportions.
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Figure 2. Carte géologique simplifiée montrant les arrêts. 1.1 : ardoisières de Travassac ; 1.2 : « Taupineries » et
« Moulin du N ègre », dans la vallée du Maumont N oir ; 1.3 : gare d’Aubazine.
Plus à l’est par rapport aux précédents sites, nous nous rapprochons du cœur de l’antiforme de Tulle. Une différenciation pétrographique apparaît entre les feuillets schisteux. La roche acquiert une foliation (4)
métamorphique, et on passe du schiste au gneiss, en lits d’une épaisseur bien modeste, quelques milli-mètres seulement : les lits sombres à minéraux ferro-magnésiens alternent avec les lits clairs quartzo-feldspathiques où les grains de feldspaths sont bien visibles (c’est cette structure qui permet de qualifier cette roche de gneiss). En termes de géochronologie, ce site est comparable à celui du Maumont Noir (figure 10).
De la mésozone à la catazone. Les intrusions
Les quatre sites suivants montrent le passage d’un métamorphisme de degré moyen à celui d’un degré fort conduisant à l’anatexie, phénomène de fusion partielle de la roche.
Figure 10. N os collègues
Françoise Larvor
(de dos) et Yves
Grimault
mesurant au
clinomètre la
direction et le
pendage du plan
de foliation sur
un affleurement
de leptynite
d’Aubazine, à
l’Abbaye-aux-
Dames. (Photo Guy
Chantepie, GAGN ).
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PLANCHES PHOTOGRAPHIQUES
Figure 4. Coupe sciée dans un plan perpendiculaire à la
schistosité S1 et polie (lumière naturelle). La croissance des
cristaux se fait soit perpendiculairement à la pression, soit dans
le plan axial du pli. Les phyllites, claires, sont alignées dans le
plan axial des plis responsables de la schistosité intense ; les
variations de contraste, perpendiculairement au plan axial, et la
présence de liserés blancs de quartz indiquent que S1 est
parallèle à subparallèle au plan stratigraphique S0.
Figure 5. (Arrêt 1.2). Apparition de la chlorite primaire,
phyllosilicate du groupe des minéraux argileux, combustible du
métamorphisme (lame mince en lumière naturelle). La coupe est
perpendiculaire à la schistosité : chlorite primaire verte (flèches)
dans les zones de cisaillement et les charnières des plis soulignée
par de grandes biotites brun foncé. Très nombreux cristaux
aciculaires de chlorite, en fines paillettes d’environ 10 µm, ou en
rosettes allant jusqu’à plusieurs centaines de micromètres.
Figure 7. Coupe en lame mince, perpendiculaire au plan de
schistosité, faisant apparaître la déformation intense par
compression et cisaillement dans le plan axial, et également des
staurolites de 1re et 2e générations.
Figure 13. Carrière des Brochs : paraleptynite de
Vergonzac. Ce type de gneiss, répandu dans la région
est rosâtre, à grain fin, et caractérisé par un
plagioclase acide, riche en albite. La singularité de ces
gneiss est due à leur caractère stratifié et rubané. La
foliation est fortement marquée par les lits clairs rosés
et nettement individualisés de quartz et de feldspath.
Les bancs leptyniques clairs, souvent de largeur
métrique, alternent localement avec des niveaux
beaucoup plus étroits d’amphibolites sombres, à biotite.
Figure 17. Contact entre, à gauche,
le gneiss ayant subi le début d’anatexie
et, à droite, le granite massif de Cornil.
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Figure 9. Coupe polie perpendiculaire au plan de foliation de ce
gneiss gris permettant de montrer : la foliation ; l'ancienne
schistosité complètement replissée ; les silicates d'alumine du
métamorphisme de la mésozone : grenats, staurolites en gros
grains jaune-brun orientés dans le sens de la foliation partielle ;
les cyanites (Ky), trop petits pour être visibles à l'œil nu ou à la
loupe, naissant sur les staurolites ou à leur voisinage ;
le quartz déformé par dissolution/cristallisation et
la formation des amygdales.
Figure 15. Leptynite grise d’Albussac. La coupe polie fait
apparaître le faciès finement rubané de ce gneiss leucocrate,
où le quartz apparaît en abondance en petits cristaux
millimétriques, associé au plagioclase. La foliation est
légèrement marquée par les alignements discontinus de biotites.
On peut observer quelques grosses ponctuations de hornblende.
Figure 16. Panneau de migmatite dans le granite de Cornil,
gris bleuté, massif, à grain fin, et de composition
granodioritique. L’affleurement se trouve à la limite entre le
petit massif de Cornil et la vaste zone des gneiss. Le contour
du massif est diffus. La photo montre un bloc de gneiss
arraché à l’encaissant par la montée du magma, emballé dans
celui-ci, et ayant subi une fusion partielle (« anatexie »).
Figure 19. Détail d'un « œil » de
microcline, dans l’orthogneiss de
Chameyrat. On distingue le cœur
relictuel de la microcline entouré
d’une bordure et d’une « queue »
polycristalline. Celle-ci est
discrètement soulignée par les lits
de biotites. Ces microclines sont
d’anciens phénoblastes granitiques,
ce qui prouve la nature plutonique
de la roche d’origine, transformée
en gneiss œillé
Figure 18. Orthogneiss œillé de la carrière
de Chameyrat, au cœur de l’antiforme de
Tulle. Son faciès clair et très homogène est
caractérisé par l’abondance des
monocristaux de feldspath microcline, de
dimension centimétrique. Ces cristaux sont
souvent aplatis en amandes et alignés au
sein de lits quartzo-feldspathiques moulés
par les lits micacés. Ceux-ci sont
discontinus et ténus. La forme en amande
conduit à la dénomination d’« yeux »
feldspathiques et de « gneiss œillé ».
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La carrière de Chambon, à Vergonzac (arrêt 2.1) On observe dans cette carrière des plis décamé-triques et hectométriques dont l’axe nord-sud est sen-siblement parallèle à l’antiforme de Tulle, dont la formation pourrait expliquer le plissement (figure 11). Cette formation de plis s’explique par le fait que l’on se trouve ici entre la phase P1, qui est une phase de haute pression, avec schistosité et foliation (entre le Silurien et le Dévonien), et les phases P3/P4 finales de déformation entraînant l’anatexie (5) (Carbonifè-re), contemporaines de l’intrusion du granite au cœur de l’anticlinal de Tulle, mégastructure dont l’am-plitude recouvre toute la carte géologique à 1/50 000. La roche est une leptynite : gneiss leucocrate (clair), assez homogène, compacte, à grain fin, à quartz et feldspaths alcalins dominants, comme l’albite et l’oli-goclase. Elle est rosâtre car colorée par l’hématite. Sa foliation est peu marquée à cause : - de sa faible teneur en minéraux ferromagnésiens, comme les micas ; - de la tendance du quartz et des feldspaths à former des lits séparés. La roche présente un débit très caractéristique en petits pavés. Elle est dite paraleptynite (1), d’origine volcano-sédimentaire acide, provenant d’anciens dépôts pyroclastiques au sein desquels ont pu s’intercaler, à certaines époques, des tufs basiques correspondant à des niveaux d’amphibolites à biotite. La carrière des Brochs (arrêt 2.2)
Figure 12. Affleurement à la carrière abandonnée des Brochs.
Très vaste, elle permet l’observation à grande échelle des
leptynites de Tulle, avec de très nombreuses intercalations
d’amphibolites. Ces gneiss ont été interprétés comme issus
d’anciens dépôts pyroclastiques de l’Ordovicien, à caractère
acide marqué, alternant avec des tufs basiques qui ont produit
les amphibolites sombres.
La carrière abandonnée des Brochs (figure 12) est située à 4 km à l’est de Tulle, de l’autre côté de l’antiforme de Tulle ; elle correspond à la carrière de Chambon. Nous avons eu le loisir d’y prospecter, afin d’observer de près la paraleptynite de Vergonzac (figure 13). Cette roche est de couleur rose, toujours à cause de l’hématite qu’on peut trouver cristallisée ici, mais nous n’en avons pas récoltée ce jour-là. On a pu étudier dans le détail les lits d’amphibolite. Ce fut l’occasion de prendre des mesures du pendage des lits de paraleptynite (figure 14). Les mesures concordent avec l’antiforme de Tulle et indique un âge de formation antérieur à sa mise en place.
La carrière du tunnel de Bonnel (arrêt 2.3) Cette carrière présente de nombreuses diaclases et des intercalations de largeur métrique, dans la lep-tynite grise dite d’Albussac, d’amphibolites à horn-blende calcique verte et andésine d’anciennes pegma-tites, avec ponctuation de grenats. Les diaclases et les niveaux d’amphibolites sont dis-posés parallèlement à l’axe de l’antiforme de Tulle. La formation de la leptynite grise d’Albussac (figure 15) occupe la totalité du cœur de cette antiforme. Elle est à faciès finement rubané, à grain fin, de texture granoblastique (6). Elle est leucocrate, les minéraux blancs étant prépondérants dans sa composition : - quartz hétérogranulaires en cristaux parfois étirés ; - feldspaths, essentiellement des plagioclases (an-désine), la microcline étant minoritaire ; - biotite seule, en paillettes ; - de rares petits grenats.
Figure 14. N otre guide,
Dominique
Rossier, et
Alain Guillon
(de face)
mesurant la
direction du
plan axial et le
pendage des
lits de
paraleptynite,
dans
l’affleurement
de la carrière
des Brochs.
(Photo Guy
Chantepie,
GAGN ).
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C’est une ortholeptynite (1), provenant d’un ortho-gneiss, dont la composition provient elle-même d’une granodiorite (séquence plutonique acide).
La carrière du tunnel de Cornil (arrêt 2.4) Le terrain est recoupé par plusieurs corps importants de granite dit « de Cornil », qui est en fait une gra-nodiorite, en dérivant par augmentation de la quantité de plagioclases. Cette granodiorite est la cause de l’anatexie intense post-métamorphique, fusion par-tielle qui a fait évoluer une vaste zone de gneiss vers des migmatites. Le site de l’entrée du tunnel du Cornil, avec ses affleurements de grande ampleur, est particulièrement utile pour comprendre les phénomènes qui se sont produits au contact avec le granite, dont une grande carrière s’ouvre au-dessus de l’entrée du tunnel. Des blocs de gneiss « emballés » dans le granite ont partiellement fondu à son contact (figure 16). Les panneaux de migmatites ont été pliés et étirés ; cer-taines roches fondues ont subi un « boudinage », et toutes ces déformations se sont produites avant la mise en place finale et le refroidissement. Dans le site du Petit Paris, en face de la gare de Cornil, des gneiss et des micaschistes ont subi l’appa-rition de sillimanite. La roche présente les panneaux de gneiss emballés dans le magma du « granite de Cornil » au moment de l’intrusion et qui ont subi un début de migmatisation (figure 17).
La carrière du tunnel des Îles, près de Chameyrat (arrêt 2.5) Le bord de la route montre de grands panneaux d’or-thogneiss blanc, homogène, amygdalo-rubané (figure 18). Cette formation d’orthogneiss œillé à biotite, pré-sentant des zones granitiques plus ou moins floues, a été portée à une température juste en dessous du début de migmatisation, et a donné une roche appelée embréchite. Celle-ci présente une texture amygdalo-rubanée à lits centimétriques de quartz, microcline et plagioclase. La foliation est marquée par de minces filets de biotite. On observe des « yeux » en amande, reliques de monocristaux de microcline (figure 19), avec queues polygonales de recristallisation.
Conclusion Avec les techniques de datation par isotopes radio-actifs, il a été possible de dater l’origine des sédi-ments métamorphisés : ce sont des événements vol-caniques de l’Ordovicien, au début du Paléozoïque. D’autre part, on sait, aussi par des méthodes de da-tation par isotopes, que l’épisode de métamorphisme
intense se situe au Dévonien, mais que le métamor-phisme s’est prolongé jusqu’au Carbonifère. Les me-sures de pendage montrent les étapes de formation du paysage, par exemple celle de l’antiforme de Tulle. La lecture des minéraux, sur le terrain, nous a permis d’appréhender le métamorphisme local, et d’avoir une idée de la température et de la pression au cours de la paragenèse de ces roches. Ajoutons que les lames minces faites par Dominique Rossier nous ont énor-mément aidés à comprendre les phénomènes jusqu’à l’échelle millimétrique.
Remerciements
Pour finir, nous tenons à remercier encore une fois, bien chaleureusement, notre collègue Dominique Rossier qui a organisé magistralement cette sortie et nous a guidés dans nos découvertes sur le terrain. Il nous a constamment apporté son aide dans la compré-hension des mécanismes du métamorphisme, non seu-lement pendant cette sortie, mais aussi au cours des « Entretiens » qu’il nous a dispensés tout au long de l’année. Merci aussi à Philippe Berger-Sabatel et à Dimitri Pérès qui tous les deux ont apporté leur concours à la rédaction et à la relecture de ce compte rendu, en collaboration avec Dominique Rossier. Remercions aussi très sincèrement Paulette et Jac-ques Céron, président du Groupe d’Amateurs en Géo-logie de Naves (GAGN), qui nous ont accueillis et accompagnés avec beaucoup gentillesse et de compé-tence dans leur belle région (à la gauche de Domini-que Rossier sur la photo 20). -----------------------------------------------------------------
(1) Méta : roche « qui dérive de… » ; elle a été métamorphisée (exemple : métabasalte) ; Para : roche métamorphique dérivant d’un sédiment (exemple : paragneiss) ; Ortho : roche métamorphique dérivant d’une roche magmatique (exemple : orthogneiss). (2) Isograde (notion très importante pour comprendre le métamorphisme, et capitale à identifier sur le
terrain) : limite de zone présentant un certain degré de métamorphisme, caractérisée par la présence de minéraux index apparaissant ou disparaissant succes-sivement. On peut cartographier les zones d’isoap-parition ou d’isodisparition des différents minéraux. (Rappel de la séquence des minéraux du métamor-phisme à se former dans un contexte de pressions et températures croissantes : chlorite å biotite (mica) å grenat å staurolite å disthène å sillimanite). Il en découle que les associations minéralogiques rencontrées trahissent des conditions de températures et de pressions très précises. Par exemple : les binô-
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mes « staurolites + grenat », ou « staurolite + bio-tite », indiquent une température de 570 °C à 590 °C. Au-delà de 600 °C, la staurolite se déstabilise et donne un autre silicate d’alumine, cyanite ou sillima-nite. L’absence d’andalousite indique que la pression a dépassé 5 kbar. Le grenat almandin, silicate d’alumine le plus répandu dans les micaschistes et les paragneiss, appa-raît à moyenne pression, dans l’intervalle de tempéra-ture de 400 à 600 °C, par diverses réactions entre la chlorite et le quartz, voire la staurolite. C’est un minéral index plutôt médiocre (on le dit « ubiquiste ») du métamorphisme de moyenne pression.
(3) Fabrique : ensemble de tous les éléments structuraux d’une roche métamorphique (forme et disposition des minéraux, texture, etc.). (4) Foliation : structure visible à l’œil nu où, à la schistosité, s’ajoute une différenciation pétrographique entre les lits. (5) Anatexie : fusion de la roche, à cause de la présence d’un magma chaud généralement. (6) Granoblastique : structure où tous les minéraux sont imbriqués.
Figure 20. Le groupe de la Commission de volcanisme de la SAGA, reçu par les membres du GAGN (à droite), dans l’espace géologique Louis Puyaubert, à N aves (Corrèze).