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Rosine Helga La chanterelle L’âme du violon

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tere

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Rosine Helga

La chanterelleL’âme du violon

16.98 514370

----------------------------INFORMATION----------------------------Couverture : Classique

[Roman (134x204)] NB Pages : 218 pages

- Tranche : 2 mm + (nb pages x 0,07 mm) = 16.98----------------------------------------------------------------------------

La chanterelle

Rosine Helga

Ros

ine

Hel

ga

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À mes chers parents.

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– Léa, veux-tu rentrer il va bientôt faire nuit.

– J’attends Sacha, il ne va pas tarder.

– Tu sais qu’il travaille on ne peut pas prévoir

exactement l’heure de son retour.

Léa, penaude, traînant les pieds, obéit

instantanément à sa mère et regagna la maison.

De petite taille, toute menue, de longs cheveux

châtains clairs torsadés en deux grosses nattes,

encadraient un visage enfantin, éclairé de grands yeux

bleus, où se reflétait une infinie sensibilité.

Elle venait d’avoir quatorze ans.

En l’apercevant, un sourire naquit sur les lèvres de

sa mère :

– Ma pauvre chérie, tu vas prendre froid ainsi

vêtue, l’automne est proche et les fins de journées

déjà bien fraîches. Veux-tu un verre de thé ?

– Avec plaisir Mamouchka.

Dégustant à petites gorgées la boisson chaude et

sucrée, entourant délicatement de ses mains le

récipient, elle se réchauffait doucement.

– Franchement tu n’es pas sérieuse, chaque soir

c’est la même histoire, tu dois comprendre que Sacha

doit gagner sa vie et qu’il n’a pas assez de temps pour

s’occuper uniquement de toi.

– Je sais, mais j’ai tellement besoin de sa présence !

– Pourtant avec tes frères et ta sœur aînée, tu ne

devrais pas être en manque d’affection, étant la

dernière née, tu es également la plus gâtée.

– Ce n’est pas pareil, tu ne peux pas comprendre.

Mamouchka, naturellement, comprenait aisément

ses sentiments, car dès sa plus tendre enfance elle

avait grandi auprès de Sacha.

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Celui-ci représentait davantage qu’un grand frère,

elle avait tant d’admiration pour lui, il existait entre

eux une réelle connivence, c’était son confident et son

complice, il avait juste trois ans de plus.

Sacha appartenait pour ainsi dire à la famille,

Mamouchka l’avait presque adopté quand à l’âge de

huit ans il s’était retrouvé à demi orphelin, sa pauvre

maman, morte en accouchant de jumelles. Les bébés

avaient survécu au drame et aussitôt emmenés par une

sœur de sa mère en Amérique. Depuis, il était sans

nouvelle des petites.

Son père pourtant affectueux, n’éprouvait

nullement le besoin de le ménager. Bel homme, il

avait tendance à tomber trop souvent amoureux de

différentes femmes à la fois. Réciproquement elles ne

restaient pas insensibles à son charme, sa vie n’était

faite que de liaisons brèves et passagères, ce qui

déprimait complètement Sacha. Ce climat incertain

l’empêchait de surmonter difficilement son chagrin.

C’est alors que dans ses moments de solitude, il

prit l’habitude de se rendre à l’épicerie minuscule que

tenait Mamouchka. Devant la détresse du petit

garçon, elle fit le maximum pour le consoler,

l’entourant de tendresse, sentiment dont il manquait

affreusement.

Surmontant personnellement des difficultés

financières importantes, elle s’efforçait malgré tout,

de partager les quelques douceurs qu’elle gardait

précieusement pour ses propres enfants.

Touché par tant de gentillesses, Sacha n’eut plus

qu’un seul désir ; l’aider à son tour en se débrouillant

pour dénicher de petits boulots et gagner ainsi

quelques « zlotys ».

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Fier de ses gains et heureux de les offrir ensuite à

Mamouchka, qui automatiquement refusait cet argent,

mais devant son insistance et son entêtement, par peur

de le vexer, elle finissait par accepter la petite somme.

C’était sa manière à lui de montrer sa gratitude.

Elle l’appréciait énormément, un gamin attachant,

aimable et sérieux, toute la famille l’aimait.

En mille neuf cent trente la Pologne vivait une

crise épouvantable, à Varsovie, la plupart des gens se

retrouvaient sans travail. Les premiers à en pâtir

furent les juifs, traditionnellement condamnés au petit

commerce. La misère et la précarité matérielle

devinrent pour eux incommensurables. Un homme

sur dix était chômeur ou sans métier précis.

Ambiance aussi délicate pour les enfants, devant

une telle crise, très peu eurent la possibilité de

poursuivre des études, ils durent très vite abandonner

l’école et aider leurs parents à faire face à la réalité de

la vie et à l’apprentissage de petits travaux manuels.

Mamouchka, veuve depuis de nombreuses années,

grâce à sa boutique située dans la rue Nalewki, non

loin du centre ville et à son immense ingéniosité,

parvenait à subvenir aux besoins de chacun et à

nourrir sa nombreuse famille. Sacha fut donc accueilli

chaleureusement comme l’un des leurs.

Cette preuve d’amour était vitale pour lui, privé de

la chaleur maternelle, perte irrémédiable ce manque

total d’affection. De ce fait, il reporta tous ses

sentiments sur Mamouchka qu’il adorait, elle

compensait tellement par sa présence, l’absence de

cette maman partie trop tôt.

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Une immense complicité s’était aussitôt nouée

entre la petite Léa et Sacha, devenu indispensable à

son existence.

La nuit était maintenant entièrement tombée, seules

les bûches dans la cheminée illuminaient la pièce.

Léa sirotait tranquillement son verre de thé, le

regard rivé sur la porte, quand celle-ci s’ouvrit

brusquement livrant passage à un grand gaillard, le

sourire aux lèvres.

A sa vue, d’un bond elle se jeta dans ses bras, il

eut juste le temps de la prendre par la taille, de la

soulever tout en la faisant tournoyer follement.

Radieuse, riant à gorge déployée, ce fut sa mère,

faisant mine de se fâcher, qui fit cesser le jeu :

– Arrête Sacha, elle va avoir mal au cœur.

Délicatement il la déposa sur le sol et dans un

grand mouvement enlaça à son tour Mamouchka et

lui plaqua deux gros baisers sur chaque joue :

– Ce que je peux vous aimer toutes les deux ! Vous

représentez ce que j’ai de plus cher.

Mamouchka, le regard admiratif, dut admettre

qu’il avait bien grandi ces derniers temps, presque un

homme ! Il est vrai qu’il venait d’avoir dix sept ans !

De belle taille, la silhouette mince, des cheveux

bruns légèrement ondulés, des yeux gris verts d’une

grande douceur, d’où émanait une extrême

intelligence.

Elle était fière de lui et le considérait de plus en

plus comme son propre fils.

Revenant subitement à la réalité :

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– Tu dois avoir faim ? Nous allions justement nous

mettre à table, j’ai fait du bortsch ce matin, je sais que

tu adores ce plat.

– Mon potage préféré ! Je vais même avoir droit à

une double ration, car aujourd’hui j’ai gagné beaucoup

de « zlotys », je vais donc pouvoir vous gâter !

La personne qui m’a fait venir cet après-midi pour

vérifier son compteur électrique, a été si satisfait de

mon travail, qu’il m’a payé plus que prévu.

D’un geste il retira de sa poche une petite liasse de

billets qu’il jeta sur la table.

– Combien de fois, devrais-je te dire que je n’en

veux pas ! tu dois garder précieusement ce petit

pécule, tu en auras certainement l’utilité bientôt.

Puis s’adressant à sa fille :

– Léa, finis ta soupe, je crois qu’il serait temps

d’aller te coucher puisque te voilà rassurée sur la

présence de Sacha, demain tu dois te lever tôt pour

aller à l’école.

La jeune fille était légèrement contrariée mais pour

ne pas irriter sa mère, préféra obéir. Se levant de

table, subrepticement elle alla déposer un baiser sur

son front, puis se retournant vivement vers Sacha,

l’entourant de ses bras, elle murmura :

– Bonne nuit, j’espère que demain tu ne rentreras

pas trop tard…

D’un pas léger elle quitta la pièce.

Mamouchka observait le jeune homme, il

paraissait soucieux, comportement assez inhabituel

chez lui. Au bout d’un moment elle ne put

s’empêcher de lui demander :

– Tu as l’air d’avoir des ennuis ? Que se passe-t-il ?

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Jusqu’ici, il n’avait pas voulu l’inquiéter, elle était

si précieuse à ses yeux, depuis son enfance il l’avait

surnommée sa Bouba, n’osant pas l’appeler

Mamouchka, comme le faisait ses enfants, jugeant

préférable de marquer cette petite différence avec les

autres membres de la famille.

– Non Bouba, tout va bien, je me fais simplement

du souci car j’ai entendu dire que l’armée Russe

engageait de force de jeunes Polonais, sous prétexte

du service militaire obligatoire, service comme tu le

sais qui peut durer de nombreuses années. Je ne me

fais aucune illusion, ils n’ont qu’une seule idée, nous

envoyer sur différents fronts.

C’est cela qui me préoccupe, car j’ai exactement

l’âge d’être intégré et pour rien au monde je ne voudrais

appartenir à l’armée Russe, moi je suis Polonais !

– Comment pourrais-tu échapper à cet appel ? Si tu

refuses d’y aller, ils vont t’arrêter comme déserteur et

ce sera la prison où d’autres sévices bien plus graves.

– Je sais, c’est pourquoi je désire quitter Varsovie

rapidement, je ne supporte plus l’antisémitisme qui se

propage partout. Pour l’instant nous avons la chance

d’avoir le Maréchal Joseph Pilsudski, qui nous

protège un peu. Il faut admettre que nous n’avons

plus aucun avenir dans ce pays, avec un tel chômage,

il sera impossible de trouver le moindre travail, je suis

jeune, je rêve d’une autre vie mais loin d’ici !

– C’est invraisemblable, où pourrais-tu aller ? Tu

n’as pas de relation, ni d’argent. Et si en cas de

malheur tu te faisais prendre, je n’ose même pas

imaginer à quoi tu t’exposerais.

– Je réalise que ce projet est dangereux, pourtant je

dois l’entreprendre avant qu’il ne soit trop tard. Une

fois engagé dans l’armée je ne pourrai plus faire

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marche arrière. Crois-moi, je n’agis jamais à la

légère, je vais y réfléchir longuement et je finirai bien

par trouver une solution. Même enfant, je me suis

toujours débrouillé, cette fois le risque est trop réel, je

ne puis accepter de me soumettre et de m’abaisser

devant les Russes, mais je tiens à te rassurer, je ne

ferai pas de bêtises.

– Ton père est-il au courant de tes intentions ?

– Oh ! Tu sais, il ne s’est jamais réellement

préoccupé de moi, je ne pense pas que mon départ

soit une grande perte pour lui.

– Et nous ? Tu oublies Léa, si tu pars, ce sera

dramatique, elle le vivra très mal !

– Bien sûr que j’y ai songé, mais j’ai de beaux

projets à t’annoncer, qui consiste en trois souhaits

bien précis : le premier est de partir comme je

l’espère en Allemagne, le second, d’y trouver du

travail et de m’installer là-bas. Puis au bout d’un

certain temps, gagné et épargné assez d’argent pour

vous faire venir auprès de moi, accompagné de mon

père s’il le désire ?

– Sincèrement Sacha, je crois que tu prends tes

chimères pour des réalités.

– Nullement, regarde dans quelle misère nous

vivons ici, avec en plus ce racisme existant, tu sais très

bien que l’on ne nous apprécie guère. Pourtant c’est

également notre terre, nous y sommes nés, mais c’est à

peine s’ils nous acceptent. Presque chaque jour, nous

assistons à des manifestations nationalistes, sans

oublier les fascistes qui nous combattent en appelant le

peuple à « acheter polonais » !!

La crise économique n’a fait qu’accentuer cet

antagonisme.

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Je suis désolée de te l’apprendre Bouba, mais il

faudra certainement un jour quitter ce pays, j’en ai le

pressentiment, ce sera même une nécessité, ils sont

trop catholiques.

– Ne parle pas ainsi, ce n’est pas bien. Moi aussi je

pratique ma religion, avec la seule différence de ne pas

la faire subir à mon entourage et de laisser à chacun la

liberté de ses choix Trêve de bavardage, as-tu vu

l’heure ? Il serait peut-être temps de rentrer chez toi.

Puis-je te demander une faveur, c’est de ne rien

révéler de tes intentions à Léa, je ne veux pas qu’elle

s’inquiète. Nous en reparlerons simplement tous les

deux en tête à tête.

– Je te comprends aisément, tu peux me faire

confiance, en aucun cas, je ne prendrai la

responsabilité de lui occasionner le moindre chagrin.

Affectueusement, elle le prit dans ses bras, il la

dépassait largement d’une tête, l’enfant était

subitement devenu un adulte !

*

* *

Par ce beau dimanche d’automne, un froid glacial

sévissait, la neige n’allait pas tarder à tomber, Sacha

avait emmené Léa dans une des plus belles artères du

centre de la ville de Varsovie, la rue Marszalkowska.

Main dans la main, ils admiraient les vitrines

luxueuses des magasins.

Léa, s’arrêta subitement devant l’une d’elle.

– Tu vois Sacha, quand je serai grande je

m’habillerai uniquement de cette façon pour te plaire.

Celui-ci répliqua aussitôt :

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– Mais je te trouve déjà très jolie et élégante.

Il est vrai qu’emmitouflée dans son manteau en peau

de lapin et coiffée de son gros bonnet de laine d’où

émergeaient de chaque côté de son visage ses cheveux

nattés en deux grosses tresses, elle était adorable.

Devant son regard admiratif, elle se sentit rougir,

gênée elle le réprimanda.

– Ce n’est pas gentil, de te moquer ainsi, je sais

que tu fréquentes des jeunes filles bien plus belles,

auprès d’elles je n’existe même pas !

– Mais ma princesse, cela n’a aucun rapport, toi tu

es ma petite sœur chérie, qui a l’air complètement

gelée, au lieu de dire des bêtises, nous ferions mieux

d’aller prendre un bon chocolat chaud ?

D’un pas décidé il l’entraîna vers un salon de thé

très élégant.

Devant l’établissement elle stoppa brutalement,

l’air contrarié.

– C’est idiot, c’est un endroit beaucoup trop cher

pour nous.

– Viens, ça me fait tellement plaisir de pouvoir te

gâter et puis c’est un jour particulier, il faut que je te

parle sérieusement.

Ils entrèrent dans le café, l’ambiance ouatée et la

chaleur les réconfortèrent, un maître d’hôtel se dirigea

aussitôt vers eux et les installa à une petite table

confortable, avant de les laisser, il prit la commande.

Assise bien droite sur sa chaise, Léa remarqua

immédiatement le regard troublé et tourmenté de

Sacha.

– Quelque chose ne va pas ?

Devant son inquiétude, il se reprit :

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– Maintenant que tu es une grande fille, Bouba m’a

donné la permission de te confier un secret.

– Tu me fais peur…

– Léa, je vais avoir bientôt dix huit ans et

l’obligation de faire mon service militaire. J’ai bien

réfléchi, il n’est pas question que j’intègre l’armée

Russe, je ne veux pas me battre sous ce drapeau, j’ai

donc pris la décision de partir…

Léa l’interrompant net :

– C’est impossible, tu ne vas pas nous quitter ?

Jamais je ne pourrai le supporter !

– Je t’en supplie, ce ne sont pas des enfantillages,

tu dois me comprendre, si je reste ici je n’aurai aucun

avenir, tu connais la mentalité des Polonais pour ceux

de notre race, alors je n’ose même pas imaginer celle

des Russes.

Dans les habitations du quartier, tu es au courant

de la vague de suicides existant parmi notre

communauté, la misère est de plus en plus tragique,

sans parler de la mendicité et des expulsions.

Je ne veux pas finir comme cela, je rêve d’un autre

destin, c’est pourquoi je dois partir, tant qu’il est

encore temps.

– Mais pour aller où ?

– J’imagine en Allemagne ? J’ai un copain là-bas,

il pourra certainement m’aider à trouver un petit

boulot et puis j’arriverai à me débrouiller comme je

l’ai toujours fait.

– Mais comment sortir de Pologne ? Tu n’as pas

de visa ! tu vas prendre d’énormes risques, c’est

terriblement dangereux !

– Ne te fais pas du souci pour moi, sois tranquille,

je trouverai une solution, je sais que je peux y

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parvenir. Mon but est de m’installer à Berlin et de

réaliser ce que je souhaite du plus profond de tout

mon être, vous faire venir un jour auprès de moi, tu

peux me faire confiance, je ferai le maximum pour

réaliser ce vœu.

Léa songeuse.

– J’ai peur, si peur que tout cela ne soit qu’utopie ;

si jamais tu te faisais prendre, ils t’enverraient

directement en Sibérie, où alors encore plus affreux,

ils seraient capables de te fusiller comme déserteur, je

n’ose même pas y songer.

– Mon poussin, je n’ai pas le choix, cela fait

longtemps que j’y pense.

– Et ton père ?

– Il est d’accord, sachant que j’ai tout à y gagner.

Tête baissée, cachant son visage pour ne pas laisser

apercevoir les larmes qui perlaient au bord de ses

paupières, trop émue pour prononcer le moindre mot.

Lentement, buvant à petites gorgées son délicieux

chocolat bouillant, picorant distraitement dans

l’assiette la brioche toute dorée, elle parvint à donner

le change.

Sacha rassuré par son attitude lui dit en souriant :

– Je vois que tu n’as pas perdu ton bel appétit, j’en

suis très heureux.

– Non, je suis effrayée par tes projets, mais je suis

bien obligée de l’accepter, je sais que lorsque tu

prends une décision, il est impossible de te faire

changer d’avis, je ne pourrai donc respirer

normalement que lorsque j’apprendrai que tu es en

parfaite sécurité.

Ce départ, que tu juges nécessaire, va me laisser dans

une détresse épouvantable et une anxiété terrifiante,

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mais si tel est ton désir, je ne pourrai rien faire pour y

remédier. Que Dieu veille sur toi et te protège.

Bouleversé par les mots de cette enfant qui

s’exprimait déjà comme une femme, tendrement il

s’empara de ses mains et les porta à la hauteur de ses

lèvres, délicatement il les couvrit de petits baisers.

Tout venait d’être dit !

*

* *

Sacha, la casquette enfoncée jusqu’aux yeux, muni

d’un petit baluchon, assis dans le couloir sur un

simple strapontin, essayait de passer inaperçu dans ce

train archi bondé.

Son allure très jeune lui donnait l’aspect d’un

adolescent, résultat assez réussi car jusqu’à présent,

on le laissait tranquille. D’ailleurs, il n’allait pas

tarder à arriver à la frontière et le danger serait encore

plus omniprésent.

Quelques minutes plus tard, le train s’immobilisait,

un haut parleur annonça aux voyageurs qu’il était

interdit de descendre, la police et les douaniers

allaient monter contrôler les passagers.

Dès l’arrêt, subrepticement, il se dirigea vers la

portière et sauta promptement sur le quai où circulait

énormément de monde. Se faufilant à travers la foule,

il aperçut, accolé à un bâtiment, l’écriteau d’une

pissotière. En deux mouvements il atteignit l’endroit, à

l’intérieur plusieurs hommes se soulageaient, il en fit

autant en prolongeant autant que possible ce moment.

Peu après le sifflet du départ retentit, s’élançant

rapidement, il atteignit le train qui démarrait

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lentement, bondissant sur le marche pied, il s’y

accrocha dans un équilibre incertain.

Reprenant alors sa respiration, il retourna

s’installer cette fois dans l’un des compartiments,

constatant rasséréné, le passage évident des policiers,

ce qui le rendit plus confiant. Prenant un air

indifférent, le regard fixé à travers la vitre, faisant

semblant d’admirer le paysage qui défilait à grande

vitesse.

Son parcours s’acheva sans problème jusqu’à Berlin.

Arrivant à destination, une nouvelle épreuve

l’attendait, la gare fourmillait de militaires et de

policiers. Au bout du quai juste à la sortie, les

voyageurs étaient soumis à de sévères contrôles.

Sacha, devant ce nouvel obstacle redoutable, ne

prévoyait aucune issue valable, ni d’échappatoire,

comment allait-il pouvoir passer à travers ?

Machinalement, il suivit la file des gens, mais quand ce

fut presque à son tour de franchir le barrage, l’homme

placé juste avant lui, à la présentation de ses

documents, attira immédiatement l’attention des agents.

Contraint de répondre à maintes questions, très vite

ceux-ci devinrent menaçants et finirent par l’arrêter, ce

qui provoqua un mouvement de réprobation dans la

foule. Sacha en profita pour se faufiler discrètement

auprès d’un couple qui aurait pu facilement représenter

ses parents, vu son allure juvénile.

A son grand soulagement, il put ainsi déjouer leur

surveillance.

Il n’eut plus qu’une seule envie, s’éloigner au plus

vite de la gare et du danger qu’elle représentait.

Connaissant très peu de mots en allemand, mais

s’exprimant couramment en yddish, il existait à

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travers ses deux langues énormément de similitudes,

ce qui lui donnait l’avantage de comprendre aisément

certaines expressions.

Ayant bien noté la rue où habitait son ami, dès

qu’il se fut assez éloigné, il osa s’adresser à une

femme âgée, qui lui parut aimable.

Poliment Sacha l’aborda en lui montrant le bout de

papier qu’il tenait à la main avec l’adresse inscrite

dessus.

Sans ménagement sa réponse fut cinglante :

– Cette rue se trouve dans le quartier du Scheunen,

près de l’Alexanderplatz, elle rajouta aussitôt, la

plupart des habitants sont juifs, des émigrés d’Europe

de l’Est, comme vous je suppose !!!

Sacha sidéré par un tel accueil, en resta perplexe.

Courageusement il continua son chemin à pied

plutôt que de prendre des transports en commun,

méfiant, il jugeait préférable de ne prendre aucun

risque.

Au bout d’une bonne demi-heure, il débarqua enfin

devant l’immeuble de son ami, il n’avait même pas eu

la possibilité de le prévenir, mais celui-ci l’avait

toujours assuré que ce ne serait pas utile, à tout

moment il serait le bienvenu.

Comme le lui avait indiqué Isidore, son logement

se trouvait à l’arrière d’une cour, il y accéda

facilement et grimpa rapidement les cinq étages, déjà

tout joyeux à l’idée de revoir son copain. Un peu

essoufflé, il frappa vigoureusement à sa porte.

Aucune réaction, un peu déçu et contrarié, il se

rassura en pensant qu’à cette heure là, il devait

certainement se trouver sur les lieux de son travail…

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Après réflexion, il préféra aller l’attendre

tranquillement dehors.

A quelques mètres de là, se trouvait un bistrot, la

faim le tenaillant, il réalisa soudain que depuis son

départ, sous l’emprise de la peur et de l’anxiété, il

n’avait rien pu avaler.

Se dirigeant aussitôt vers l’établissement, c’est avec

satisfaction qu’il s’installa, heureux de se réchauffer et

de commander un grand café au lait. Puis retirant de

son baluchon un torchon, il en sortit un bagle parsemé

de grains de pavots fourré intérieurement de tranches

de saucissons à l’ail, un petit pain délicieux que lui

avait préparé Bouba pour son voyage, il l’avala en

deux bouchées, un vrai régal !

Après ce repas frugal, il se sentit beaucoup mieux.

Au bout d’une heure, il vit enfin apparaître la

silhouette de son ami.

Sortant précipitamment du café, il alla à sa

rencontre.

Isidore en l’apercevant, hâta le pas, tous deux

tombèrent dans les bras l’un de l’autre, trop contents

de se retrouver :

– Quel bonheur de te revoir, je craignais tellement

que tu ne puisses t’échapper de Pologne, c’est une

belle surprise ! Comment as-tu fait ?

– Depuis plus d’un an je préparais mon plan et j’ai

pu m’enfuir sans trop de problèmes, disons plutôt que

j’ai eu beaucoup de chance, je m’en rends compte

maintenant, il fallait franchement du culot pour

entreprendre un tel projet, mais de ce côté-là, tu me

connais, je ne crains rien, mon but était de pouvoir te

rejoindre un jour, puis l’examinant en souriant :

– Tu n’as pas changé, toujours aussi beau garçon !!

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Ils étaient approximativement du même âge, une

grande amitié les liait, qui datait de leur enfance.

Bien des années auparavant, la maman d’Isidore et

son compagnon avaient dû quitter la Pologne pour se

réfugier à Berlin, avec l’espoir d’y trouver un

quelconque travail.

Il eut hélas ! le même triste sort que Sacha, lui

aussi devint orphelin en perdant sa mère peu après,

malgré cela, il préféra rester en Allemagne et survivre

en pratiquant de petits boulots. N’ayant aucune

possibilité à accéder à un travail plus honorifique, car

comme pour la plupart des gamins de milieu modeste,

à l’âge de douze ans, il dut interrompre sa scolarité et

se débrouiller en travaillant pour soutenir sa famille.

Isidore tenant toujours son ami par l’épaule, ravi

de le revoir après une aussi longue séparation, lui

suggéra :

– Il serait peut-être temps de regagner mon logis et

de manger un morceau.

– J’ai une faveur à te demander, pourrais-tu me

loger quelques jours ? Juste de quoi me trouver un

endroit valable ?

– Bien sûr et sans problème, j’allais d’ailleurs te le

proposer, tu es ici chez toi et enchanté de t’accueillir.

Côte à côte, ils remontèrent les cinq étages et

entrèrent dans une pièce plus que modeste.

– Tu vois ce n’est pas le luxe, mais au moins je

suis chez moi et libre ! Mais je bavarde comme une

pipelette, tu dois avoir faim ?

– Non pas trop, Bouba m’avait préparé un en cas.

– Ta chère maman d’adoption, ton départ a du lui

être douloureux.