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ROMAN SI< INSTITUTS DUP.LIKEREDE SMASl<RIFTER
Nummer 301 Maj 1975
Kirsten Baerendt Meyer Régine Charron Eva Hammershaimb Benedicte Holbak Ginette Kryssing-Berg Lita Lundquist Hanne Michelsen Anette Schou
Michel Butor
LA MODIFICATION (une lecture méthodologique)
1
Romansk Institut K0benhavns Universitet
Rigensgade 13 1316 Kbh. K Pris 3,50 kr.
I
INTRODUCTION
Ce RIDS, . composé de 2 fascicules, est le résultat d'un colloque sur la
structure et la signification de La Modification de M. Butor, colloque
au cours duquel nous avons essayé d'utiliser la méthode préconisée par
R. Barthes pour l'analyse structurale des récits.
POURQUOI AVOIR CHOISI CETTE METHODE?
Lors d'une interview reproduite dans Le Monde du 11 juin 1971, M, Butor
révèle sa méthode de travail:
"Je ne prends pas de notes, je ne fais pas de plans, et lorsqu'une
difficulté se présente, c'est par de simples schémas que je la ré
sous (superpositions de carrés ou de triangles, structures à trois
dimensions élaborées au moyen de feuilles de papier superposées,
combinaisons de lettres ou de chiffres, etc , , •• ). Si je venais à
mourir subitement, ces schémas seraient absolument inutilisables,
car ils ne sont, en fait, que des coupes partielles correspondant
à des structures infiniment plus complexes qui, elles, ne se trou
vent que dans ma tête,"
En relisant les derniers mots de la dernière phrase de l'interview:
" •••• structures infiniment plus complexes qui, elles, ne se trouvent
que dans ma tête", le lecteur se sent saisi d'une certaine angoisse:
comment pourra-t-il arriver à soulever quelque peu le mystère de ces
structures? Or, résoudre le problème des structures est primordial, si
l'on veut comprendre le roman, la signification de ce dernier étant in
timement liée à la découverte des structures. Jean Ricardou écrit:
"Le roman moderne s'applique à éveiller le lecteur: établissant
une permanente distance, il présente les idées, les événements,
les péripéties de la fiction comme des effets du travail du texte.
Lire le texte moderne, ce n'est pas être victime d'une illusion de
II
réalité, c'est se montrer attentif à la réalité du texte," (1)
Cette liaison entre le fond et la forme est une constante du Nouveau Ro-
man. Robbe-Grillet affirme à ce sujet:
"Croire que le romancier a "quelque chose à dire" et qu'il cherche
"comment le dire", représente le plus ii;rave des contre-sens. Car
c'e11t précisément ce "comment", cette manière de dire, qui consti
tue son projet d'écrivain," (2)
Pour aborder cette "réalité du texte", l'analyse structurale apparaît
comme la méthode idéale (si tant est qu'il existe une méthode idéale).
En effet cette analyse permet de déga~er la liaison existant entre un
système de formes et un système de sens.
PROCESSUS DE NOTRE TRAVAIL.
Nous avons donc, au cours de ce colloque, utilisé la démarche de l'ana
lyse structurale, c'est-à-dire
une démarche empirique: le texte pose des questions,
une démarche progressive: le texte répond peu à peu à ces questions,
Mais un texte de M, Butor ne se laisse pas facilement déchiffrer. Aussi
avons-nous dû constamment recourir à deux documents irremplaçables:
Entretiens avec Michel Butor de G. Charbonnier (3)
Essais sur le roman de M, Butor lui-même (4)
Au début du semestre, j'ai distribué un résumé polycopié de L'Introduc
tion à l'analyse structurale des récits de R. Barthes. (5)
(1) Esquisse d'une théorie des générateurs : p. 143 in Positions et Op-
positions sur le roman contemporain (Klinksieck 1971)
(2) Pour un nouveau Roman (Idées NRF 1963), page 153
(3) Gallimard 1967
(4) Idées NRF 1969
(5) Communications numéro 8, pages 1 l 27
III
Barthes distingue 3 niveaux de description:
A) les unités narratives,
B) les actions (au sens des ~randes articulations de la praxis:
communiquer, désirer, lutter;
les personnages, ou "actants", sont définis par leur
participation à cette sphère d'actions).
C) la narration.
L'utilisation du premier niveau de description s'est montrée particu
lièrement fructueuse pour aborder la lecture de La Modification.
Rappelons brièvement en quoi consiste ce premier niveau, celui des uni
tés narratives:
Critère de l'unité: son sens fonctionnel dans le récit (ces unités
peuvent être: un mot, un synta~e. une phrase, un groupe de phrases,
un paragraphe, un chapitre).
Barthes distinii;ue 2 sortes d'unités narratives:
1) les fonctions (fonctionnalité du faire: actions),
2) les indices (fonctionnalité de l'être: états),
a) indices proprement dits (caractères, sentiments, atmo
sphère, philosophie),
b) informants (donnant des informations).
Il est facile de comprendre pourquoi l'étude et la recherche des unités
narratives s'est avérée essentielle pour notre travail, si l'on se rap
porte à ce que dit M. Butor sur l'importance qu'il attache à l'écriture:
"Je m'efforce de contrôler de mieux en mieux ce que je fais, et
comme je m'attaque à des problèmes de plus en plus complexes, je
suis obligé de mettre au point des instruments de haute précision:
Il faut de bien belles mécaniques pour aller vite, pour voir loin,
pour construire grand, Il n'y a donc pas une écriture qui viendrait
se surajouter à la construction comme un vernis qu'on passerait au
IV
dernier moment. Il y a la composition de l'oeuvre, et la forme de
chaque phrase, le choix de chaque mot doit en être une conséquence."(l)
Nous nous sommes attachés , avant tout, au choix des mots; notre analyse
textuelle a été très minutueuse. Non seulement cette étude du vocabulaire
de M, Butor a enrichi considérablement le nôtre, mais, très rapidement,
la perspective narrative nous a contraints d'adopter le point de vue du
narrateur: Léon Delmont.
Il faut préciser que la recherche des indices s'est montrée la plus
utile, La recherche des fonctions s'est révélée particulièrement diffi-
cile. Deux d'entre nous l'ont tentée et ont abandonné l'idée d'en faire
un travail systématique: il aurait fallu que l'analyse du livre soit ter-
minée pour savoir, de façon certaine, quelles étaient les "fonctions car-
dinales, charnières et noyaux" (2) du récit et les "catalyses" (3), ac-
tions sans grande importance, "remplissant l'espace narratif entre les
noyaux" (4) , Pourtant, au cours de notre colloque, nous avons, oralement,
recherché les fonctions, et plus la lecture du roman avançait, plus la
recherche de ces fonctions se montrait facile et enrichissante pour la
signification du texte.
A l'étude du 1er niveau de description s'est intégrée très rapidement
l'étude du 3e niveau ou "niveau narrationnel" (5), celui qui "est occupé
par les signes de la narrativité, l'ensemble des opérateurs qui réintè-
grent indices, fonctions et actions dans la communication narrative ar-
ticulée sur son donateur et son destinataire" (6) (donateur • narra teur,
destinataire• lecteur). A ce 3e niveau, nous avons appliqué les tech-
niques narratives propres à M. Butor . Cette étude nous a permis de trou-
ver "le code à travers lequel narrateur et lecteur sont signifiés le long
du récit." (7)
(1) Essais sur le roman, p. 180
(2,3,4,5,6,7) Introduction à l'analyse structurale des récits (opus cité)
V
Nous avons utilisé constamment les 1er et 3e niveaux. L'exposé sur le
thème de l'eau (2e fascicule, pages 15 à 23) précise nettement la méthode
choisie et insiste très clairement sur les résultats obtenus,
Le 2e niveau de description, celui des "actants" nous a moins servi.
Pourtant , l'exposé sur le thème de la ville (1er fascicule, pages 13 à
25) intè~re les 3 niveaux. Mais il faut remarquer que le 2e niveau est
venu s'ajouter plus tard au Ier et au 2e niveau. De plus, 2 d'entre nous
ont fait un travail spécial sur ce 2e niveau, travail ne figurant pas dans
ce RIDS, car il a été réalisé après la fin du colloque.
NOS RESULTATS,
Il a donc été impossible d'appliquer parfaitement la méthode préconisée
par R. Barthes, puisque nous n'avons pas pu pratiquer la progression qu'il
demande:
"On voudra bien se rappeler que ces 3 niveaux sont liés entre eux
selon un mode d'intégration progressive" , (1)
Par contre, nous avons suivi fidèlement ses conseils dans notre approche
du texte:
"Le problème n'est pas d'introspecter les motifs du narrateur ni les
effets que la narration produit sur le lecteur". (2)
Nous avons seulement cherché les lois de production du récit. La loi es-
sentielle est vite trouvée: aucune donnée du texte n'a de sens par elle
même, elle ne s'éclaire que par son appartenance aux autres données. Les
mots ne "fonctionnent que par rapport aux autre11 mots" et deviennent "les
noeuds d'un système de références", suivant les expressions de M. Butor
lui-même.
Le lecteur doit donc s'attacher à la description puisque les reprises et
les variations des descriptions lui permettent de saisir petit à petit les
significations. Le texte fonctionne selon une progression narrative et thé-
matique .
(1) Opus cité, page 6, i n Communications numéro 8
(2) Opus c ité, page 19, in Communications numéro 8
VI
COMPOSITION DU RIDS,
Ces résultats ont conditionné la composition de ce RIDS.
Le 1er exposé: Les différents temps du présent (1er fascicule, pages 1-5)
est consacré à la description.
Le 2e exposé: L'emploi de "vous" dans La Modification (1er fascicule, pa
ges 6 et 7) étudie le problème du point de vue, aussi essentiel que celui
de la description . M. Butor insiste tout particulièrement sur l'usage des
pronoms personnels dans le roman.
Comme "l'introduction du narrateur va déclencher toute une prohlématique
autour de la notion de temps" (1), le 3e exposé: Le temps (1er fascicule,
pages 8 à 12) doit naturellement prendre place après l'exposé sur la pro
blématique du point de vue.
Le choix concernant la disposition des autres exposés est plus aléatoire
puisque les éléments constituant le récit fonctionnent les uns par rap
port aux autres et sont autant de signes pour le lecteur,
Il m'a semblé légitime de mettre en premier lieu l'exposé sur le thème de
la ville (fascicule 1, pages 13 à 25), M. Butor, lui-même, avant d'écrire
La Modification, s'étant posé cette question: "Comment faire un roman avec
2 villes?" (2)
Ce thème ainsi que les autres thèmes présentés dans le 2e fascicule
s'intègrent progressivement, s'organisent dans des structures de plus en
plus fortes et ahoutissent à une totalité, Le plan de l'écriture et le
plan de la fiction se rejoignent dans cette totalité qui devient la modi
fication subie par Léon Delmont , C'est pourquoi les 2 exposés sur la prise
de conscience du narrateur sont placés en dernier lieu (fascicule 2, pages
24 à 32).
(1) Essais sur Je roman, p. 76
(2) Le Monde du 11-6-71
VII
RAPPORT OEUVRE-ECRIVAIN-LECTEUR.
Je pense qu'il n'est pas superflu de remarquer que si
"dans la réflexion sur la forme, le romancier trouve un moyen d'atta
que priviligié, un moyen de forcer le réel à se révéler, de conduire
sa propre activité," (1)
il en est de même pour le lecteur attentif . Les étudiantes qui ont parti
cipé à ce RIDS (avec tant d'élan) ne me contrediront sans doute pas.
M, Butor le sait bien, lui, qui ne cesse d'insister sur le rôle du lecteur.
Il affirme, en parlant du romancier et de son livre, qu' ,,,,
"il a absolument besoin du lecteur pour le mener à bien, comme compli-
ce de sa constitution, comme aliment dans sa croissance et son main
tien, comme personne, intelligence et regard," (2)
Pour terminer, revenons à notre colloque sur la structure et la significa
tion de La Modi fication, colloque dont la dénomination a été pleinement
justifiée par le parfait esprit de collaboration qui y a régné, En effet,
les travaux entrepris avançaient progressivement, parallèlement à la lec
ture du texte; aussi étaient-ils présentés par tranches successives, si
l'on peut dire. Tous les participants du colloque pouvaient contribuer à
ces travaux par leurs remarques et l ·'esprit d'émulation a grandement aidé
à la composition de ce RIDS,
Ginette Kryssing-Berg
N.B. Les auméros des pages mentionnées dans les articles des 2 fascicules
de ce RIDS renvoient à La Modification, édition 10/18,
(1)(2) Essais sur le roman, page 17
Les différents plans du présent:Nous savons que "La Modification" est un li
vre très structuré.Sur le plan temporel on trouve des sauts continuels dans
les temps(présent,fu tur,passé)qui sont ordonnés,l'un par rapport à l'autre,
selon un rythme assez régulier.3n étudiant le temps du présent,on constate
qu'à l'intérieur m~me de ce temps Butor se sert aussi de différents plans.
Ceux-ci peuvent ~tre regardés de différente mani~re.On peut les simplifier et
ne parler que de deux plans,ou on peut les étudie~plus en détails et parler
de quatre plans:
1) Description neutre ·}
2) Etat physiologique Sens
3) Imagination } 4) Méditation
Réflex ion
Cette division prend son point de départ dans deux sortes de perceptions : sens
et réflexion(sens:l et · 2;réflexion:3 et 4) .
1) La description neutre se trouve toujours au début et à la fin des chapi
tres(à l'exception des chapitres 4,7,8, où nous trouvons le plan 2 au début),
c'est-à-dire entourant les autres temps(passages de transitionda 'd'aprés nos
conventions sur le temps,cf. chapitre sur le temps ) .
Dans le langage ce plan se caractérise par de nombreux adj ectifs descriptifs.
Les moyens de perception qui font la base de la description neutre sont la
vue("description visuelle")et de temps en temps l'ouïe.
exp. chap.l p.9,11,22.
chap . 2 p.25,27,29,47,49,
chap,3 p.51,55,57,62(a),68(a),7l(a),84(a),
2) Le plan consacré aux états physiologiques de Léon Delmont n'est pas aussi
dominant que les trois autres.Il se trouve surtout au début et à la fin du li
vre.Ce plan nous décrit les effets qu'ont certains phénomènes sur Léon: la fa
tigue, la tempéra ture, une mauvaise position ou tout simplement les sensations
qu'éprouve Léon, en faisant quelque chose (en ouvrant la porte par exemple).
exp. chap.l p. 9,14,22.
chap.2 p.26,27,28.
chap.7 p.215,216,217.
chap.8 p.267,268.
3) Le plan de 1 )magination prend son point de départ dans le premier plan.
C'est en regardant les personnes ou les objets que Léon fait des suppositions
(qui sont au début assez vraisemblables mais qui finissent par prendre une
tournure tout à fait fantastique ) ,
2
Les traits caractéristiques du langage utilisé dans ce plan sont l es expressi
ons de supposition(peut-être, vraisemblablement , sans doute , il doit y avoir etc)
exp. chap. l p.lo ,11.
chap.2 p. 26 ,30,31,47.
chap.3 p.52 , 53 , 88,89 , 90,91 .
4) Le plan de la méditation est tr~s lié aux trois autres :
au plan 3: Gr~ce aux comparaisons avec les autres voyageurs Léon est amené à
une véritable méditation sur sa vie actuelle et sur sa vie future.
exp . chap . 2 p. 25 , 26 , 27 , 30 .
chap . 3 p. 53 , 54 , 55 , 89 , 90 .
au plan 2 : L'état physiologique aboutit très souvent à une réflexion sur un
aspect du personnage( la routine, 1 'usure, la faiblesse) .
exp . chap . l p . 9 ,lo.
chap . 2 p . 26 , 27.
au plan 1: Un objet peut avoir le même effet.
exp. chap.4 p.95 .
Comme dans le pl an précédent on remarque une évolution dans ce plan- ci.Au dé
but les comparaisons portent sur l'~ge,la profession et la vie privée des au
tres,mais peu à peu Léon s'identifie de plus en plus aux autres voyageurs.
exp. p.53 a 55 : des suppositions.
p. lo6 a 108: une identification presque complète.
Relations entre les plans: Nous venons de constater que le plan de la médi ta
tion est celui auquel les trois autres aboutissent . On peut le schématiser ain-
si :
1) Description neutre ~ 1 3) Imagination
2) Etat physiologique ~ t 4) Méditation
Les plans ne sont donc pas g-ratuits ; ils ont tous une fonction .
La pr oportion entre les plans est la suivante : ftux premiers chapitres l a des
cription neutre domine , mais peu à peu elle va diminuer e t s'effacer de plus en
plus au profit du plan de l'imagination et de celui de la méditation(pour sim
plifier je me limite à parler de sens(l et 2) et de réflexion(3 et 4)) :
Sens :
Réflexion: -chap. l :
chap . 2:
chap . 3:
chap. 4:
3
En m~me temps les plans,qui sont nettement séparés aux premiers chapitres ,se
confondent de plus en plus , ce qu'on constate en comparant un passage du cha
pitre 5 avec un passage du chapitre 7:
5 ( 137 ~ 141) l::L =;::::=:::::ic:~=:;:;:::::::::;:t::::=:;;:::=:::::io:=~=~y::::::i=::~;;==J'==::J chap. p . -P· : ,.fCJ) J (lf.) '+ 1 3 1
chap. 7 (p . 213 à p . 218) : liob=::;::i•i:::;:=ic:::.::c;:.~;:::c:;:=.!!r::;:::ixi:;:::1a=!::i:•~1~1:J:c;::-~,.,,....,~:;ca!=~'?'?'~·~·~·~' A 1 i rlve 1 .J 1 -tel) -1 j .f 2 1 1 1 1 .f j 'fi J 1J1 J
Cette confusion atteint son sommet dans le r~ve o~ il y a une véritable réci
procité entre réalité et rêve (p . 255)(Vérité du rêve=tunnel de l a réalité,cf.
chapitre sur l es mythes) : rtve
1 Sens:
Réflexions:
Chapitres: 1 2. 4 5 6 1 8 9
Au dernier chapitre on constate un retour à la situation qu'on trouve au début
du livre . Les plans se séparent et l e plan de la description neutre augmente :
la modificati on est faite !
Evolution dans la description neutre: Une conséquence de ce mélange de plans
est que la description neutre change de caractère . Elle perd de plus en plus
d 'objectivité comme si elle était contaminée par les aut res plans( surtout par
celui de la méditation) . Au début les choses sont con~ues comme des r éalités
stables et univoques , mais peu à peu elles prennent un caractère mouvant et am
bigu.Cette évolution ressort des quatre exemples suivants :
1) p . 143: "Sur le tapis de fer chauffant,dans les traces boueuses laissées
par les souliers humides de ceux qui viennent du dehors , semblables
à des nuages très menacants de neige,vous considérez l a constella
tion de minuscules étoiles de papier rose ou carton brun qui
viennent d 'être découpées dans les billets" .
2) p . 179 : "Sur le tapis de fer chauffant ,vous avez l'impression que les lo
sanges ondulent comme les écailles sur la peau d'un grand serpent" .
3) p . 188 : "Sur le tapis de fer chauffant les losanges vacillent , se détachent
les uns des autres .et les rainures qui les séparent semblent des
fissures qui ouvrent sur un feu acide".
4) p. 191 : "Donc Agnès et Pierr e ne seront pas seuls , et vous viendrez les re
garder dormir inconfortablement , vous débattant vous- même parmi les
mauvais r~ves que vous entendez déja souffler et hurler derr ière
les portes de votre t~te,derrière ce grillage dessiné sur le tapis
de fer qui les retient à peine , qu'ils ébranlent et commencent à
tordre, perdu parmi les lambeaux de ce projet que vous croyiez si
solide,si parfaitement a&encé, bien loin d'imaginer que tou~es ces
fissures , à l'occasion de miettes et de poussières ,de tout un es-
4
saim d'événements insectes conjugués,savamment érodant les écrous,les écrans
de votre vie quot i dienne et de ses contrepoids,que toutes ces déchirures ir
rémédiablement allaient s'y dessiner,vous livrant aux démons non de vous seule
ment,mais de tous ceux de votre race".
1) objet:
2) comparaison:
3) image:
4) métaphore:
Le tapis de fer est conyu comme un objet matériel.Le verbe
est un verbe d'observation et il marque le rapport de dé
pendance qui se trouve entre Léon et l'objet.
Le tapis de fer n'est plus un objet pur,mais gr~ce à la com
paraison(comme écailles etc.)il est en train de se trans
former en image.Le verbe es t un verbe de sentiment et marque
que le rapport de dépendance entre personnage et objet est
en train de se détériorer.
Le tapis de fer s'est transformé en image. Il s'est animé
tout à fait.Le verbe est transféré à l'objet de sorte que le
lien entre Léon et l'objet a disparu.
L'objet est devenu une pure abstraction.Il s'est transformé
d 'image en métaphore( c'est-à-dire une imageda quelque chose
de précis}.le grillage sur le tapis de fer est la force de
résistance qui reste à Léon devant la menace de ses réflexioru>.
On constate donc une évolution de quelque chose de concre', à quelque chose
d'abstrait.Ce changement s'explique par le changement qui se fait dans la con
science de Léon(la modificat ion ) . C'est lui- mtrne qui transpose ses réflexions
sur ses observations.
Nous avons vu que les trois premiers plans aboutissent dans le quatri~me(mé
di tation). Comme le plan de la méditation se reflète dans les trois autres il
s'agit maintenant d'une véritable réciprocité entre les plans.
1 ) description neutre ~ ~)
2) état physiologique 14)
imagination
méditation
Transformées en symboles de sa propre situation,les choses deviennent comme
les réflexions une véritable menace pour Léon.Pour cette raison il va essayer
de récupérer sa prise sur les choses,en s'y accrochant . Par là, il esp~re étouf
fer tout "ce remuement intérieur,ce dangereux brassage et remlchage de souve
nirs"(p. 157)qui le menace .
chap. 5: p. 157
chap. 6: p.189
chap. 7: p.1 96,197,199
chap. 8: p.235,237,238,239,250
NB! La division en quatre plans permet de plus une distinction en "intro
spection" et "exploration":
1) description neutre(les autres)
2) état physiologique(lui-m~me)
1)+3): exploration
2)+4): introspection
+ 3) imagination(les autres)
+ 4) méditation(lui-m~me)
5
Dans 1)+3) le personnage se tourne vers le monde extérieur.Son entourage
(les hommes et les choses autour de lui ) est l'objet de son intér~t.Dans 2)+4) il y a au contraire un mouvement vers le monde intérieur:le person
nage se met lui-m~me en question.
Anette Sebou.
6
L'EMPLOI DE 1 VOUS' DANS "LA MODIFICATION"
Un roman implique trois personnes:
1. l'auteur qui raconte l'histoire •••••••••• je tu il
2. le lecteur à qui on raconte l'histoire ••• J. le héros de qui on raconte l'histoire
Le but que se propose Butor, c'est de faire circuler libre
ment entre elles ces trois personnes, de permettre une identifi
cation, une confusion entre les trois.
'!!.' est la forme la plus banale. Dans un roman raconté à la
troisième personne, le narrateur est omniscient: il sait ce qui
se passe dans le 'il' et ce qui se passe ailleurs.
reste devant l'action comme un témoin e~~~!!·
Le lecteur
Dans un roman raconté à la première personne, '.J!!.'• il y a
identité fictive entre auteur et héros (l + 3). Le narrateur, le
'je', est le représentant de l'auteur, et en même temps, le re
présentant du lecteur, parce qu'il l'invite à suivre avec lui les
événements en lui proposant un point de vue. C'est donc un pro-
grès dans cette libre communication entre les personnes que cher
che Butor, mais il reste toujours le problème du ~~~E~·
I PERSONNES
Comment faire circuler les personnes entre elles?
II TEMPS
Comment faire coincider narré et narration?
- c'est-à-dire: comment faire semblant d'écrire en même temps
que de !!!E~ les événements?
Le monologue intérieur n'y réussit pas parce qu'il suppose
chez le personnage narrateur un langage arti<i'ulé là où d'habitude
il n'y en a pas. Le troisième problème est donc le suivant.
III LANGAGE ARTICULt
Comment porter au niveau langage ce qui n'est pas articulé dans notre conscience, exprimer ce qu'on pense?
7
Il s'agit donc de résoudre ces trois problèmes à la fois. Bu
t.ory est parvenu en choisissant le ·~·. Par le •vous', il s'a
dresse premièrement au lecteur pour le forcer à participer active
ment à l• bis.toire, pour obtenir une confusion entre lecteur et
héros (2 + 3).
Deuxièmement, il s'adresse à Delmont.
a) lecteur
'~' b) Delmont
L'emploi d'une deuxième personne implique une première per-
sonne, Qui est-ce qui parle ou écrit? Est-ce Delmont ou est-ce
Butor? Ici il y a confusion entre narrateur et auteur et héros
qui en même temps est le lecteur (1 + 2 + J).
tité complète entre les trois personnes.
a) lecteur (2) ·~t
b) (3) ( .J!!.)
Delmont
Il y a donc iden-
a) Butor (1)
b) Delmont ( l).
qui est aussi vous: 1 - 2 - 3.
F.ellesmœngden confusion entre les trois personnes.
- 0 -
Lita Lundquist.
8
LE TEMPS
Dans son livre "Essais sur le Roman", Butor nous donne sa définition d'un ro
man: "Il (le roman) est le domaine phénoménolotique par excellence, le lieu
par excellence où étudier de quelle fa~on la réalité nous apparaît ou peut nous
apparaitre." Dans un autre article de son livre ( Recherches sur la Technique
du Roman), Butor nous parle du problème que pose le temps dans le roman. Si on
veut faire un roman où le temps appara'!t comme celui de la réalité, ce n'est
pas possible de faire un récit racontant des événements chronologiques parce
que cela serait contraire à la réalité . Dans la vie réelle, on apprend beau
coup de choses différentes à des moments différents, on se rappelle soudain
quelque chose qu'on a appris il y a longtemps et qu'on a oublié depuis, on en
tend des nouvelles qui montrent que ce qu'on a cru jusqu'à ce moment est faux
etc. Toute la vie est donc discontinue, pleine d'interruptions, de sauts.
Si le romancier traditionnel voulait décrire une prise de conscience pareille
à celle de Léon, il commencerait sans doute par le voyage de noces avec Hen
riette (c4), puis leur retour à Rome (c
3) etc, pour finir avec le voyage où se
produit la prise de conscience de Léon. Dans ce cas, l'auteur se place à l'ex
térieur, il sait o~ mène son récit, il raconte seulement les événements qui ont
une importance pour la prise de conscience de Léon. Cependant, cela donne une
image peu réaliste de l'évolution de Léon parce que, l ui, il ne sait pas, lors
du voyage de noces, que ce voyage jouera un rSle, vingt ans après, pour la prise
de conscience qui se produit en lui. Ce n'est en fait que,vingt ans après,quand
il se rappelle le voyage de noces que celui-ci peut commencer à jouer ce rôle.
Contrairement au rol!18.ncier traditionnel, Butor ne résume pas ce qui se passe
dans la conscience de Léon, mais il nous le montre.
Dans le nouveau roman, les écrivains essayent de montrer la discontinuité tem
porelle en procédant dans leurs romans par des blocs juxtaposés. Selon Butor,
ces blocs sont souvent sans grande justification et on va voir dans "La Modifi
cation" comment les sauts temporels sont liés au thème central du livre: la
prise de conscience de Léon.
Le point culminant de la prise de conscience de Léon est atteint ~ la fin de la
deuxième partie du livre; la description négative d'Hen-
riette devient positive, la description positive de Cécile devient négative, les
différents plans du présent se confondent de plus en plus etc. La structure tem
porelle montre aussi qu'une prise de conscience commence dans la deuxième par
tie du livre.
Le présent: les passages au présent se divisent en deux, dont le premier (A)
est caractérisé par les deux plans ( sens et réflexions) et dont le deuxième (a)
9
est caractérisé comme passate de transition. Le présent occupe une place cen
trale dans la structure temporelle parce que ce sont les circonstances du pré
sent, les associations de Léon dans le présent qui motivent le passage du pré
sent aux autres temps du rocan: c'est,par exemple,quand il regarde le tapis de
fer chauffant entre les banquettes que Léon se rappelle le voyage o~ il a ren
contré Cécile, un voyage dans le m~me train, dans le même compartiment de troi
sième classe,~ la m~e place aupr~s du corridor face à la marche (page 68),
La prise de conscience se manifeste surtout dans la structure du présent A par
ce qu!il devient de plus en plus fréquent:
I
II
A A
A A
III: A A
IV: A A A A
V : A A A
VI: A A A
VII : A A A A
VIII: A A A A
IX A A A A A
Le présent occupe donc de plus en plus de place en m~me temps que les autres
temps prennent moins de place. Cela est dÛ au fait que la prise de conscience
a eu lieu et les associations de Léon deviennent par conséquent de plus en plus
rares. Le présent se transforme et devient une anticipation du futur: Léon va
écrire un livre pour sortir de son néant, s'il ne fait rien, il s'enlise. Le
livre remplace donc le projet qu'il avait fait de vivre avec Cécile.
Le futur: c'est au début du chapitre II qu'apparatt le premier passage au futur.
Dans les chapitres suivants on trouve aussi des passages au futur, mais leur
nombre diminue à partir du chapitre VI:
II : B B
III: B B
IV
V
B B
B B
VI
VII
B
B
VIII: B
IX B
Dans les chapitres II+ III +IV+ V, Léon s'imagine comment sera son séjour
(plein de bonheur) à Rome avec Cécile et il le fait dans un ordre chronologique:
les passages au futur se succèdent chronolog1Î:J.uement du vendredi soir au mardi
soir.
Le passage au futur dans le chapitre VI (page 161 + 163) se distingue des pré
cédents: Léon s'imagine comment sera la rencontre avec Henriette mardi soir. Ce
pendant il modifie sa vision quatre fois:
1. Mardi prochain, lorsque harassé par votre voyage ••••
2. Mardi prochain, lorsque vous serez à ~aria •••••
3, Mardi prochain, lorsque vous trouverez Henriette ••••.
4, Mardi prochain, lorsque vous entrerez dans sa chambre ••••
La modification est donc en train de s'opérer en Léon.
Les passages au futur dans les chapitres suivants se eucc~dent dans un ordre
chronologique en sens inverse. La prise de conscience a commencé et Léon pense
10
à l'avenir d'une autre manidre:
les pa~es 200 - 2o4 couvrent la mlbne période que les pages 130 - 131
135 - 137
239 - 246
272 - 276
98 - loo
103 - 106
34 - 35
44 - 47
Le passé proche: les passages au passé proche se succ~dent chronologiquement ,
mais seulement à l'intérieur de chaque chapitre. Si l'on compare les diffé
rents chapitres, on découvre que les passages se succ~dent en ordre inverse
de sorte que chaque chapitre commence lA o~ le chapitre suivant finit: le cha
pitre III commence lundi matin et le chapitre IV finit lundi matin . Le chapitre
IV commence dimanche apr~s-midi et le chapitre V finit dimanche apr~s-midi etc.
(C.F, schéma sur les temps page12). La prise de conscience se reflète aussi dans
la structure des passages au passé proche. Bien qu'on trouve ces passages dans
tous les chapitr es, leur fréquence change:
I
II
c c
III: C C
IV: C C C
V:CCCC
VI: C C C
VII : C C
VIII: C C
IX c Comme on le voit au-dessus , c'est dans le chapitre V de la deuxi~me partie qu'on
trouve le maximum de passages au passé proche. C'est précisément dans la deux
i~me partie et surtout dans le chapitre V que Léon commence à se rappeler les
c8tés négatifs :de son dernier week-end à Home et ce sont surtout ces souvenirs
du passé proche qui amènent la prise de conscience .
Le passé deux ans avant+ le passé l'année d'avant (C2 ~ frl: ces deux passés
seront traités ensemble parce qu'ils concernent tous les deux Cécile .
Le c2
est introduit dans le texte dans le troisième chapitre et il décrit la
r encontre entre Cécile et Léon et les jours d'amour qui résultent de cette ren
contre. Le c2 ne s'occupe donc que des jours heureux que Léon et Cécile ont pas
sés ensemble. C'est donc bien naturel si le c2 disparaît au moment où Léon se
rappelle le malheureux sé jour de Cécile à Paris {le C1
) :
III
!V
V
VI
VII
c 2
VIII: -
IX
cl c l cl
cl c l cl
cl cl
cl cl
cl
11
Dans l e c1 , la description de Cécile devient de plus en plus négative suivant
l'évolution de la prise de conscience de Léon.
Le assé trois ans avan t +le assé lusieurs années avant c + c ): ces deux
passés seront aussi traités ensemble parce qu'ils concernent tous les deux Hen
riette. La structure de ces deux passés est presque le contraire de la structure de c
1 + c
2:
L~s passages de c 3 racontent le retour manqué ~ Home avec Henriette. Naturelle
ment c'est ce voyage que Léon se rappelle au début du livre parce que l ' image
qu' il a de Cécile n'a pas encore changé . Mais après la prise de conscience, c'est leur voyage de noces qui occupe son esprit; un voyage réussi à Home avec Henriette:
IV c5 V c3 VI c3 VII : -VIII : -
IX
Hanne Miche lsen.
(Hanne Michelsen a fait sur l e s temps un schéma dont nous noua sommes
servis cons tamment et avec pr ofit au cours du colloque, Ce schéma,
extrêmement détaillé, aurait tenu trop de place dans ce RIOS,
Aussi , pour des raisons prat i ques, avons- nous pris la liberté de
reproduire à la page suivante le tableau sur le s temps présenté par
F. Rossum-Guyon dans son essai sur M. Butor "Crit ique du roman",
Gallimard 1970 . )
12
FUTUR
Nov. l9S'S
14S't
NO\I. HIVER
l't5'3 AOl/T
\ct 52. HIVER
Ill
rPARTIE
LE.S TE;M.f.5
IV V VI VII VIII 1)(
WPARTIE IWPARTIE
M1'l
LIS B
()17
516 V15 A J11t
M13
M12.
L11 c 010
sq vs J7 M6
c1
c."
13
LE THEME DE LA VILLE
:llntroduction ------------Il ressort d'une interview dans le Monde (11.6.71) qu'avant
d'écrire 'La Modification• Michel Butor s•est posé la question:
•comment faire un roman avec deux villes?' 1 Il ne s'agissait pas
encore de Paris et de Rome. Mais en fouillant un peu plus, ces
capitales se sont imposées inéluctablement. Comment les mettre
en relation? Après avoir essayé divers procédés, j'en suis arri
vé à ces voyages successifs racontés dans un voyage, méthode qui
me permettait de faire à la fois une parodie du roman fran~ais
classique fondé sur le triangle et de mettre cette structure ro
manesque en relation avec les structures historiques beaucoup
plus vastes. L'histoire, c'est ce qui vient en dernier lieu ••• •
Et certes, l'histoire de Léon Delmont n'est qu'un fait divers
banal: l'homme bourgeois entre deux femmes {ce n•est certainement
pas par hasard que le nom du protagoniste contient deux fois •on•
- qui est le m~me que 'das Man• de Heidegger). Mais Michel Butor
a su surmonter la banalité du sujet en introduisant dans le roman
des aspects originaux. Avant tout les relations spatio-temporel
les qui forment le squelette de 1 1 oeuvre, et qui sont, comme nous
le voyons dans le schéma du temps, d'une structure très discipli-
née.
Mais non seulement Léon Delmont est un homme entre deux femmes,
il est aussi un homme entre deux villes, géographiquement aussi
bien que mentalement, illustré par une superstructure que nous
pouvons appeler la structure historique/mythologique, représentée
par les deux villes Rome et Paris, qui se trouvent 3tre intime
ment liées à son problème. Débordant de cette fa~on l'histoire
individuelle de Léon, le cadre s'élargit par l'histoire et par
la mythologie.
Or, on peut se demander: pourquoi ces deux villes justement?
Et la réponse doit ~tre qu'elles sont lourdes d'histoire. Selon
14
Butor l'histoire - et surtout les oeuvres d'art - jouent un r81e
très important pour les hommes. Dans une de ses oeuvres théo
riques ('Répertoire III 1 ), il dit:
'On comprend cette tentation qu'ont pu éprouver certains historiens •.• de mettre de l'ordre à tout prix dans cette immense masse/ les objets archéologiques / (l'ennui, c'est que pour établir leur politique tirée de l'archéologie •.. ils ont souvent essayé de considérer l'histoire avec 'objectivité' comme si elle s•était déroulée dans une autre planète, et non point dans sa relation essentielle avec nos problèmes présents, nos luttes, difficultés, notre volonté qui s•éclaircit à sa lueur)•.
Ce qui déforme nécessairement par suite des progrès de l'archéologie, c'est !•arrangement des différents éléments de notre conscience historique, c'est-à-dire la fa~on m~me dont nous nous concevons. L'influence des objets exhumés sur notre vie quotidienne par l'intermédiaire du musée n'est qu'une conséquence de ce choc en retour fondamental.
Toute la civilisation occidentale moderne se constitue à partir du christianisme, c'est-à-dire que pour chacun d'entre nous, quels que soient les convictions ou les doutes auxquels il est arrivé personnellement, tous les faits, toutes les connaissances se disposent d'abord par rapport à un schéma historique qu'il n'est certes pas facile de caractériser en quelques lignes, mais dans lequel jouent de grandes oppositions comme celles entre l'Ancien et le Nouveau Testament, entre le monde antique gréco-romain et le judéo-chrétien, entre la romani té pa!enne puis chrétienne et le reste de l'univers.•
Dans ce roman-ci, c'est surtout le baroque qui l'intéresse. Il
dit lui-m~me qu'il est sensible à l•illusionisme de cet art, que
celui-ci peut fasciner un romancier qui veut décrire la réalité
par le moyen de fictions. Ce qui caractérise le style baroque,
c•est la liberté des formes et la profusion des ornements qui
laissent libre cours à la sensibilité et la fantaisie. A travers
tout le livre, nous voyons comment il intègre dans l'action le
baroque comme un élément constitutif; et l'effet de cet emploi
du style baroque est renforcé par le fait que la composition m~me
du roman suit avec exactitude le schéma de •la sonate baroque•.
Cette sonate, née en Italie, est une pièce à trois mouvements
présentant une structure caractéristique: structure !~~~~!~~· à
deux thèmes.
~: lière phrase (sats) •••• l'exposition (subdivisée en trois parties)
Bi 2ième phrase le développement (subdivisée en trois parties)
C: Jième phrase la réexposition (ou la reprise) (subdivisée en trois parties}
15
A: présente les thèmes.
B: les thèmes de l'exposition sont joués en différentes tonalités.
Ci la reprise revient au point de départ.
Dans 'L'espace du roman• in 'Essais sur le roman', Butor ex
plique comment les structures musicales ont des applications ro
manesques (p. 48). J'ai essayé de schématiser la progression du thème de la ville
d'un point de vue diachronique en prenant mon point de départ
dans la phrase (p. 228): ' ••• Rome, cette ville dont vous r~viez
depuis vos études secondaires•, Apparemment L,D. a depuis sa jeu
nesse un rêve, un désir tout à fait normal de voir cette belle
ville, mais à mesure que sa vie s'avance, à mesure que son exis
tence devient de plus en plus compliquée à cause du détachement
qu'il éprouve envers sa femme et de son attachement à sa mat
tresse, Rome devient une véritable obsession pour lui. Il se sent
déchiré, et il projette ses relations avec les deux femmes sur les
deux villes. Evidemment il se trouve à un point crucial de sa
vie, et cette projection peut être - au commencement - ce que les
psychologues appellent un •déplacement de motif', c'est plus lé
gitime de rêver d'une ville que d'une femme (?).
p. 228: 'Rome, cette ville dont vous
r~viez depuis vos études secondaires'
~Jre.'Tit r. PARIS / HENRIETTE
CM4l>. :r . p. 19
C~..\P. JI.,
la coupole du Panthéon
p. 2o
la rue Soufflot, le coin du Boul. Saint Michel ••• 1 1 église de la Sorbonne, les thermes de Julien l'A-postat~-Ïa-Haîïë-aiii-vins, ëtë:---
ROME / CECILE
p. 27 • ••• n'est-ce pas vers la guérison de toutes ces premières craquelures avant-coureuses du vieil-!~~~~~~~!·••• vers Romë-ou vous attendent quel repos et quelle réparation?'
16
p. 38 •vous étiez désormais un homme &gé, rangé, dompté ---------
dont celle-ci, celle de l'appartement parisien n'était que l'ombre •••'
~'P. III.
p. 35 Roma-Trastevere (le fleuve) - Ostiense (la pyramide) -Tusculone (la porte Maj.) - Termini .
alors qu'il y avait si peu de temps que s 1 était ouverte à vous cette vie tout autre, cette vie que vous ne meniez encore que quelques jours à Rome, cette autre vie,
p. 41 (l'indicateur à couverture bleu) •Il était comme le talisman, la clé, le gage de , votre issue, d'une arrivee dans une Rome lumineuse,
de 2~!!~-2~E!-~~-J~~!!~S~ t
p. 42 •,,,si vous n'aviez pas ce salut, Cécile, si vous n'aviez pas cette gorgée d'air, ce surcroit de forces, cette main secourable qui se tend vers vous messagère des régions heureuses et claires
p. 45 '•••dans cet air splendide romain qui sera comme le printemps retrouvé après l'automne parisien
p. 55 '•••puisqu'aujourd'hui vous ~tes libre, puisque vous allez rejoindre votre liberté qui s•appelle Cécile' •
p. 60 'Jamais non plus vous n•~tes allés ensemble à Saint-Pierre parce qu'!!!! d~;!~!!_!~~-e~e!~-~!-!!~ pretres •••'
p. 63 •Avant de conna!tre Cécile ••• vous n'aviez point cet amour pour Rome •••'
p. 63 ' ••• la passion qu'elle vous inspire en colore si bien toutes les rues que r~vant d'elle auprès d'Henriette vous r~vez de Rome à Paris'
p. 63 '•••vous avez profité du temps qui vous restait pour fl&ner un peu, tel un touriste romain à Paris
p. 78 • ••• cet itinéraire romain que vous aviez suivi tout au long de cette journée à travers de la ville de Paris •••'
p. 81 • ••• les thermes de Julien de tous lës-filoüWiiëüts-dë-Pari s celui qui le plus régulièrement ramène votre esprit vers C.'
p. 109 '·••cet air perpétuel d'accusation••••••••••••••••
17
p. 86 'Vous craignez que la 'Ville éternelle' vous semble désormais bien vide et que vous languissiez après cette femme qui vous y attirait et vous y retenait•.
p. 87 '··· !~-!~~e!~-~~-Y~~~~ à Rome'. ------
p. 98 '••·vous découvrira près d'une des fontaines en !~~!-~~-~~!~~!~~-:::' '•••vous plongeant en cette diffuse foule d'a-moureux comme dans un bain ~!:_J.~~!~~s~·· p. loo '•••et d'abord de ce qu'il y a d'intéressant malgré tout dans ce musée du Vati-can .•. •••de vous débarrasser de ;~_!!~!!_~~1.!!l!!~-S~!-!~~~ ~!!~~-!~-!~~!~-~~-~!!!~!~'
Alliez-vous donc le retrouver à Rome désormais? N'y
18
aurait-il plus là pour vous de repos, ne vous serait-il plus possible d'aller vous y replonger,
!~~~-r_E~J~~~!E ··· 7 ~! Y!~!!!~~~~-~~~~~i~!!~!!~-~~ii! ... Alliez-vous laisser s'augmenter cette mince lézarde qui risquait de corrompre et de faire tomber en poussière tout cet édifice de salut-777 --------------------p. lJJ •/Cécile/ avait enfin décidé son voyage avec vous à Paris, mais la fraîcheur vous a soudain fait frissonner•.
'··· la piazza Navona /était/ presque vide ••• •
p. 1J4 ' ••• ses cheveux s'écrasant sur la photographie de 1 1 Arc de Triomphe parisien, nuages très noirs et très tenus sur le grand ciel de nuages blancs qui surmonte le médiocre monument napoléonien•.
p. 148 que Rome était pour
vous le lieu d 1 authenticité ••• ••• vous étiez incapable d'en rien expliquer' (cf'. p. 180/181).
---~~p. 149 '•••vous auriez voulu qu'elle f'Ût absente, pour que tout à nouveau parût aisé dans Rome. 1 Elle voulait à tout ërri-vorr-ïë-ëâëë __ _
p. 152 {ër7-p7-ïôSJ- - -'•••déjà commen~ait sa métamorphose en ce f'ant8me .. ~ ...... ---C. qu'elle allait être pour vous tout au long de son séjour à Paris•.
p. 165 'Comme cela était différent de cet accueil joyeux d'une ville, de votre ville, de cette ville dont elle surtout attendait tant, qu'elle désirait tant revoir encore une fois, dont vous étiez pour elle l'ambassadeur et presque le prince, de telle sorte qu'elle ne pouvait s'empêcher d 1 éprouver de la déception ••• •
19
p. 167 1 ••• l'image de la ville
!~!!~=s~~~!!~=~!~~!=!!!-dans sa nleine audace ••. • (ër:-p:-~7by---------
f>A&ie: Jit CAAP. p. 224
p. 189
P • 168 '··· !~-~~-E~~EE!-~~-~~E!~!!~~!~~~-4~~9~:~~~~~~~!!~~; la moindre cuisiniere ro-maine a l'esprit plus libre que toi' (cf'. p. 149).
'••• je ne sais plus quoi faire; je ne sais plus ce que je fais ici; je ne sais plus ce que je vais lui dire; si elle vient à Paris, je la perds, si elle vient à Paris, tout sera perdu pour elle et pour moi•,
3ZiI' '•••ce voyage au cours du-• quel elle avait eu tant de
plaisir à retrouver sa ville natale sans que vous-ïüi ___ _ fÜssiëz d'aucun secours à cet égard comme ••••••••••••
H--Q~
p. 227
vous n'aviez pu être d'aucun secours pour Henriette à 1 1 égard de Rome lorsque vous y étiez retournés ensemble après la guerre•.
'•••ces murs quinze place du Panthéon ••• auxquels vous êtes condamné maintenant jusqu'à votre mort, parce que C. ne viendra pas vous rejoindre ••. parce que vous ne la f'erez pas venir à Paris, sachant trop bien désor-
20
mais que cela aboutirait • .. à vous séparer d'elle peu à peu mais inévitablement ••• parce que c'était votr e derni ère chance d e ~~j!~~f~-;::------------
p. 2J2 ' •••entend de nouveau le reniflement, de plus en plus fort, qui ressemble à un renifleme nt de cheval, qui ressemble à un hennissement de cheva l •.• où débouche une louve qui a la taille d'un cheval •.• •
p. 237 '•••car s'il est maintenant certain que vous n'aimez véritablement Cécile
S~2-~~~~-!~-~~~~~~-~~-~!!~ ~~!_e~~~-!~~~-!~-!~~~~~-~~ !!~1!2 ••. ' p. 276 •vous équilibriez votre insatisfaction parisienne par une croyance secrète à un retour à la p a x r o m an a, à une organisation impériale du monde autour d'une ville capitale qui ne serait peut-~tre plus Rome mais par exemple Paris.
p. 274 '•••ce tte fissure béante en ma personne ••• parce qu'elle est en communication avec une immense fissure historique•.
p. 276 '•••et que si vous désiriez la faire venir à Paris, c • était dans le dessein de vous rendre par son intermédiaire Rome présente tous les jours; ••• mais elle perd ses pouvoirs d'intermédiaire, elle n'apparaît plus que comme une femme parmi les autres, une nouvelle Henriette ••. •
p. 28'.} 'Le mieux, sans doute, serait de conserver à ces deux villes leurs relations géographiques réelles•.
- 0 -
21
COMMENTAIRES OU SCHËMA
PARTIE I
Chapitre 1
p. 19/20 Dans le premier chapi t re c'est Paris qui domine . Paris
qui est , ma l gré tout , la ville natale de Léon Oelmont ,
quelque chose de stable dans sa vie . Nous trouvons une
énumération de rues et de lieux bien connus, notamment
le Panthéon qui joue un grand rô le dans l ' univers du
narrateur et qui est en effet le symbole même de Paris .
Construit à partir de 1764 ce deva i t être une église
placée sous l a protection de la patronne de Pa r is,
mais la Révolutio n e n a fait u n temple destiné ~ rece
voi r les cendres des gr ands hommes . - Son ~quivalen t,
Le Panthéon à Rome a ét ~ vou é au culte de tous les
dieux , plus ta r d au cul te de la sainte v i erge .
Chapitre 2 Il devient clair que le pr oblème fondamental de Léon
p . 27 Delmont est la peu r de v i e i llir . I l se trouve dans
cette periode appelée " le retour d ' ~ge ~ I l a beso in de
rajeuni r et c'est ~ Rome que se t rouve son salut .
p . 35 Parall~lement ~ l ' énumération parisienne , nous avons
ici une descript i on des banlieues romaines .
p . 38 A Paris le narr ateur a l ' impress i on que H. fait tout
pour lui montrer qu'il est " désormais un homme âgé ."
p . 41 Dans le lit conjugal ~ Paris il pe nse à l'indicateur
~ couverture bleue et en suivant la pensée de Léon
nous passons d'Henriette ~ Céc i le - son point de dé
part et son point d ' arrivée. A l a page 42 il dit ex
pl i ci t ement que Céc i le est son salut .
p. 45 Chapi t re 2 finit pa r un e desc ri pt i on presque délirante
des merveilles de Rome ou il parco urt les rues e t r e
nai t sous le ciel clai r et bleu.
Chapitre 3 Mais il avoue aussi qu e c ' est avant tout à cause de
p. 55 Cécile qu ' il se sent s i dét e ndu et s i à son aise .
p . 60 Il profite de sa liberté pour être touriste à Rome . Il
va voir tous les monuments qu ' i l a i me , y compris le
22
p . 63
Vatican o~ il n'a jamais été avec Cécile. Elle s'oppo
se au Vatican et à tout ce que le Vatican représente
en particulier le mar - iage chrétien qui la sépare de
Léon.
Il continue ses r6flexions sur son amour - et on peut
se demander si c'est plus légitime de r~ver ~ une vil
le qu'~ une femme.
p . 63/78/81 Son premier essai pour transposer Rome à Paris n'est
pas tout à fait bien réussi, pas tou t ~ fait un éc hec .
Il y a des petits ennuis banals : il pleut et le lectur
p . 86
p . 87
PARTIE II
commence à comprendre qu'il vaut mieux conserver ~ ces
deux villes leurs relations géographiques réelles , mais
toujours Cécile est derrière tout , et c'est Cécile qui
a amené Léon à s'intéresser aux détails romains de Pa
ris, surtout aux thermes de Julien l'Apostat .
Nous voyons ici comment Butor utilise le procédé des
miroirs pour que le lecteur comprenne le probl~me de
Léon Delmont. Julien l'Apostat était un empereur ro
main qui abandonna la religion chrétienne et favorisa
une rena i ssance païenne (331-363) justement comme notre
héros . Et d'ailleurs le double sens de l'image: les
thermes o~ il va prendre un bain de jouvence.
Il commence à comprendre que l ' enchantement de Rome
est étroitement lié ~ Cécile.
Chaque monument lui rappelle quelque parole de Cécile
notamment le temple de Vénus et Rome , et , nous, les
lecteurs , savons déjâ qu'il y a eu , dans l'aventure de
Léon avec Cécile un rapport intime entre Vénus , déesse
de la beauté et de l'amour , Cécile1 et la ville de ses
rêves , Rome.
Chapitre 4 Nous voyons ici comment Rome devient pour lui une né-
P · 98 cessité dans sa chasse au rajeunissement .
p . loo No us avons ici un passage central o~ le conflit qui dé
chire Léon est exprimé tr~s nettement .
23
'I. C'est a la page 109 que le glissement entre Cécile et
Rome commence et avec cela les doutes du narrateur:
Rome , va-t-elle perdre son charme et sa qualité d'asi
le? Son édifice de salut va-t-il s'écrouler?
Chapitre 5 Il a le pressentiment que littéralement Rome perdra sa
p. 133 chaleur et sa lumière sans Cécile .
p . 134
p . 146
p . 148
p . 149
p . 152
Dans le passage de la page 134 je vois une image très
nette du fait que Cécile obscurcit son regard et son
jugement en ce qui concerne Paris . A la fin Paris va
triompher , mais pour le moment il ne peut pas le voir,
et à la page suivante Rome et Paris se fondent dans les
vitres . Cette superposition d ' images et d'impressions ,
qui est apparemment caract~ristique chez Butor, est ici
très nette: Paris se superpose à Rome , Rome à Paris .
comme Cécile se superpose à Paris et plus tard Henriette
~ Rome . Tout état d'âme se décompose en plusieurs cou
ches historiques.
Henriette Bussi chechait un rajeunissement, mais elle
est déçue.
Bien que Rome soit pour lui "le lieu de l'authenticité"
il ne peut pas exp l iquer ~ Henriette sa beauté . Le dé
placement d'une femme d ' une ville à l'autre est voué
a l'échec .
La présence d'Henriette l ui gâte même le plaisir d'~tre
à Rome, et il est absolument contre le désir qu'a Henri
ette de voir le pape . De même il ne comprend pas tout à fait que Cécile ne veuille pas voir le pape. D'une fa-
1on très marquée les deux femmes s'associent l'une à la
Rome chrétienne , l'autre à la Rome païenne .
Léon c ommence à se rendre compte qu'il ne peut pas in
tégrer les deux villes en transportant Cécile de Rome
~ Paris . La modification commence.
Chapitre 6 Malgré la nostalgie de Cécile pour Paris , ses vacances
p . 165 dans cette ville sont un échec . Transplantée à Paris
Cécile perd son charme comme Rome perdra le sien sans
Cécile . (cf . p . 86)
24
p . 167
p. 168
p. 189
PARTIE III
A la page 167 Léon fait l'hommage de la Rome impériale.
Il faut le remarquer ici . Je trouve que c'est dans cet
aspect precisément que nous trouvons la clé de son rêve
romain . (p . 276)
Encore une fois Cécile s'oppose au Vatican qu'elle ab
horre parce que ce dernier est un symbole de tout ce
qui étouffe la liberté , et Oelmont reproche à Cécile
qe ne pas lui permett r e de voir la Chapelle Sixtine,
visite qui apparait comme quelque chose d'essentiel
pour lui . Il y a des liens beaucoup plus forts qu'il
le croyait entre lui et le christian isme. Cécile n'a
pas été ce qu'il attendait, sa libératrice . Nous l e
voyons explicitement exprimé à la page 173 en bas .
ne
Vers la fin de la deuxi~me partie la modification s'est
achevée . Il se rend compte que sa décision prise ~ Pa
ris est fausse ; s'il sépare Cécile de Rome, il perdra
les deux.
Chapitre 7 La troisième partie du roman est vouée au pénible pro
P · 224/227 cessus de résignation et de renoncement qui s'accomplit
pa r des r~ves de plus en plus compliqués. - Il doit
avouer sa propre impuissance.
p . 227/228 Sa prise de conscience s'est achevée . Nous sommes arri
vés ~ notre point de départ, et désormais le modèle + )P·2S
p. 232
actantiel change.
o1 (L . O. l----objet (:une vie paisible)---, Dz (L.O . l
î adjuvant (H) ---.'.) sujet (Paris (impérial)~ opposant (Cl
C'est délibérement que j'ai supprimé jusqu'~ maintenant
Le grand Veneur . Je vais le mentionner ici avec la
louve romaine , parce que ces deux mythologies se con
fondent et se fondent dans ce passage. Le grand Veneur
est une figure française qui represente l 'indéc ision et
l'angoisse de Léon et qui le tourmente de questions sur
son ~tre véritable. A la page 232 le cheval du grand
25
Veneur se superpose à l a louve romaine, ce qui carres~
pond très bien ~ l'esprit hanté de Léon.
Chapit re 8 Il voit clairement maintenant que le r~ve de Cécile p. 237
p . 276
L'obj et :
Le sujet:
n ' était au fond qu ' un rSve de Rome. Et la base du "mythe
romain" c 'est (p. 276) "l'insatisfaction parisienne" qu i
fait r~vera une orga nisation du monde semblable à celle
de la " PAX ROMANA ". Le souvenir d ' un "Paris impérial"
fait revivre l ' ancienne capitale du monde. Et "la fis
sure béante " en sa personne est en commun ication avec
une immense fissure historique.
Cécile a été pour lui le moyen de "jeter un pont sur"
cette fissure, soit en sa personne , soit historiquement ,
mais en fin de compte en dehors de Rome elle n ' est gu -
une Française parmi d'autres .
+) LE MODELE ACTANTIEL
une vie paisible (correspondant au niveau historique à la Pax Romana qui était justement une époque de paix ou la sécurité et l'argent assu raient une vie facile et heureuse).
un Paris qui ressemble ~ son rêve .
Adjuvant (Hl : représentante du Christianisme stable. Malgré tout la base de son existence .
Opposant (Cl: qui , au commencement en tout cas , tire vers l'autre coté .
J'utilise le modèle actantiel de Greimas (A . J . Greimas : Sémantique
Structurale , ed . Langue & Langage , Larousse, p. 180).
Des tinateur Objet ::;;:. Destinataire D1
î Oz
Adjuvant Sujet opposant
Selon Greimas les interactions entre les personnages sont organi
sées autour des trois notions: communiquer, dés irer , l ut ter.
Kirsten B~rendt Meyer
ROMAN SI< INSTITUTS DUP.LIKEREDE SMASKRIFTER
Nummer 3011 Maj 1975
Kirsten Baerendt Meyer Régine Charron Eva Hammershaimb Benedicte Holbak Ginette Kryssing-Berg Lita Lundquist Hanne Michelsen Anette Schou
Michel Butor
LA MODIFICATION (une lecture méthodologique)
II
Romansk 1 nstitut K~benhavns Universitet
Rigensgade 13 1316 Kbh. K Pris 3,50 kr.
1
THEME DU REVE
Les mythes
La légende du Grand Veneur et le grand rêve. Le rêve de Léon Delmont est composé de deux parties: la légende du Grand Veneur et le grand rêve dont la légende peut être considérée comme le prélude. Le Grand Veneur est un personnage de la mythologie païenne que l'on trouve dans les mythes des religions primitives. C'est un être surhumain qui a un rapport, dans la mythologie nordique, avec Odin, dieu de la guerre, de la mort, de l'art poétique et de la magie. Au Danemark, il s'appelle "Natjregeren" ou "Kong Volmer". C'est un grand cavalier qui surgit dans la nuit et chasse sur les prairies et dans la forêt. Partout il crée l'angoisse et la peur. Ainsi estil devenu le dieu des morts et du destin de l'homme. Il monte toujours sur un cheval fougueux, suivi d'un loup et de corbeaux. On verra par la suite les rapports entre le personnage mythique et le Grand Veneur de "La Modification", et petit à petit le lecteur se rendra compte de la ressemblance entre Léon Delmont et le protagoniste du rêve. Le rêve commence par l'évocation de la légende du Grand Veneur. Dans cette partie, que j'ai appellée le prélude du grand rêve, l'auteur nous donne un présage de la lutte et de la souffrance du protagoniste. Avant de passer au grand rêve, le personnage perd son identité: il n'est plus question du cavalier, mais d'un homme perdu dans une forêt (p. 2o2). Pourtant les éléments de la légende reviennent dans le grand rêve, ce qui fait que les deux parties du rêve sont reliées. Après avoir perdu son identité, l'homme la retrouve, car le pronom personnel "il" est remplacé par "je" (p. 228) et par "vous" (p. 236). Plus tard (p. 251), il y a même un dédoublement du protagoniste au niveau du rêve: il voit une image reflétée de lui-même dans le rêve. Ce personnage s'adresse à lui et pose les questions qu'il n'a pas pu formuler lui-même.
2
Partout dans le rêve, il y a des références culturelles et religieuses, comme p. ex. à la Rome de l'antiquité et à l'église catholique. Dans sa lutte, le protagoniste rencontre des personna~es de la mythologie qui ont tous un rapport direct avec sa situation actuelle. Les personnages qui l'entourent dans la vie réellese transforment en personnages mythiques, p. ex. la vieille Italienne que L.D. compare avec une sibylle (p. 191). Peu après cette comparaison, une sibylle apparatt dans le rêve (p. 214), elle ressemble à la vieille Italienne. Cette femme jouera un rele important dans la prise de conscience de L.D. De même, on retrouve une image reflétée des douaniers italiens dans le personnage mythique de Janus qui est le dieu des portes, ayant, comme elles, une double face. Pour L.D., Janus signifie à la fois la compréhension du passé et la constitution de l'avenir. Le vieil Italien, assis dans le compartiment, évoque Charon, et le prêtre fait penser au pape et aux cardinaux.
Les mythes. Butor explique lui-même dans l'essai "Le roman et la poésie" (Essais sur le roman, p. 21-47) pourquoi il se sert de la mythologie pour expliquer la situation d'un homme moderne dans un roman. Dans toute société, il y a des difficultés ou des contradictions qu'on ne peut pas expliquer raisonnablement. Pour les apaiser, on est obligé de recourir à des explications fictives, à ce que Butor appelle des mythes. Dans le langage quotidien, les mots changent constamment de sens. Pour retrouver la signification perdue, il faut replacer les mots dans un "contexte absolu" (p. 33) de caractère mythologique où ils reprennent une valeur stable. Pour cela, l'homme a lié tous les moments importants de la vie humaine, surtout la naissance, le mariage et la mort, à la mythologie de la société. Mais les sociétés ne restent pas isolées, et l'homme peut subir l'influence de la mythologie de plusieurs pays. A un certain moment, il ne sait plus à quoi attacher les moments importants de sa vie, il se perd dans un "désordre mythologique" (p. 35) où il ne comprend plus rien. Pour essayer de rétablir l'ordre dans son univers, l'hommerecourt à la poésie où reviennent des personnages de l'ancienne mythologie. Mais cette fois ils jouent un rele qui correspond à la situation actuelle de l'homme. Voilà pourquoi, à la fin de "La Modification", L.D. se décide à écrire un livre (poétique et mythique) qui l'aidera à comprendre sa vie.
3
La structure du rêve. La répétition de certains mots clefs et la variation de différents th' 1 t ' d' 1 emes, c es a ire a prosodie du texte ("Le roman et la poésie", p. 42) relient les passages du rêve qui se distinguent nettement de la narration, soit par un changement de temps des verbes (du passé au présent, p. 206), soit par un changement de pronom personnel (de "vous" à "il" ou à "je"), soit par un changement de sujet du récit (l'auteur passe de la description phénoménologique au rêve avec ses éléments mythiques;. Grâce à la prosodie du texte, il est possible d'établir une liste des différentes parties du rêve. Dans la liste suivante j'ai d'abord mentionné les phrases qui encadrent les passages du rêve~ Ensuite j'ai essayé de décrire la progression thématique et narrative du rêve qui est une histoire complète et indépendante que l'auteur a insérée dans le roman. Si vous comparez la liste du rêve au schéma de la prise de conscience, vous verrez de nombreuses correspondances entre la ligne de la prise de conscience et la progression du rêve. Quand il y a un passage dans la narration qui est important pour la modification l'auteur passe souvent au plan du rêve afin d'expliquer sur un autre niveau de description ce qui se passe dans la progression du
roman. Les chapitres VII et VIII décrivent le renoncement au projet initial et la progression de la prise de conscience du protagoniste. Les
' t A ' passages au presen augmentent au fur et a mesure que la modi-fication se fait. Le rêve se termine au présent à la fin du chapitre VIII, ce qui signifie que le protagoniste a quitté définitivement la sphère du rêve, il est revenu sur la terre pour agir dans la réalité. Il a trouvé un moyen pour remettre l'ordre dans son univers: il va écrire un livre qui l'aidera à comprendre sa vie. Après la fin du rêve, dans le chapitre IX, nous voyons en effet, .au niveau de l'écriture, le rôle important qu'occupe le livre qui a remplacé le rêve dans les pensées de L.D.
4
La légende du Grand chap. IV p. 116 ex)
chap. V p. 137 B p. 152 c1
chap. VI p. 182 c3
Veneur. 2e partie.
Dehors sous la pluie ••• "M'entendez-vous?" Il faudra donc ••• "Qu'attendez-vous?" Lorsqu'après Dijon ••• jusqu•à la gare. Traversant les bois de Fontainebleau où le grand veneur vous criait: "Etes-vous fou?"
La légende du Grand Veneur, divisée en ces quatre parties, donne les thèmes importants du grand rêve: la souffrance, la lutte et l'impossibilité de se faire entendre. Le cavalier est perdu dans la forêt. Il souffre, lutte et appelle en essayant de trouver une issue. La description de la forêt est un présage du monde d'angoisse où il va descendre dans le grand rêve. Dans chaque passage le cavalier pose une question thème qui reviendra dans le rêve suivant: "M'entendez-vous?" "Qu'attendez-vous?" "OÙ êtes-vous?" et ''Etes-vous fou?"
Le grand rêve. 3e partie. chap. VII p. 2ol B Quand vous y reviendrez ••• laissant la voie
libre) En imaginant le contenu du livre qu'il a acheté à un kiosque de la gare de Lyon avant son départ (livre très souvent mentionné par le
protagoniste) et qu'il ne lit pas, L.D. passe de la réalité au rêve dont les éléments correspondent à ceux de la légende. Le protagoniste a perdu son identité de cavalier, il est devenu "un homme perdu dans une forêt", mais sa situation est pareille à celle du cavalier, et le lecteur se retrouve sur le plan du rêve.
p. 2o4 B Ainsi vous n'aurez pas besoin de préparer votre combat ••• "M'entendez-vous?"
Une question thème p. 206 c
est posée: "M'entendez-vous?" La voie était libre ••• comme le ruban du ciel devient violet.
Le protagoniste est sorti de la forêt. Il commence à descendre la paroi du canon pour gagner le fleuve. Le lecteur voit se dessiner la progression narrative du rêve.
x)Les lettres capitales renvoient au schéma des relations temporelles. A: le présent. B: le futur. C: le passé récent. c1 : un
an avant. c2 : deux ans avant. c3
: trois ans avant. c4 : plusieurs années avant.
Or comme il écoutait ••• il se met à sentir une odeur de fumée.
Arrivée au bord de l'eau, il croit entendre, de l'autre côté, le galop d'un cheval et la question: "Qui êtes-vous?" Il cherche un
gué pour franchir le fleuve, mais il est emporté par un rapide, et il arrive dans une caverne où il s'installe.
5
p. 214 A S'il sent alors une fumée ••• il se remet en mouvement. Dans la caverne, il rencontre la Sibylle qui a un rapport avec la vieille Italienne, assise dans le compartiment. Les sibylles de la mythologie savent lire le destin de l'homme dans leurs grands livres. De même, cette Sibylle formule le désir inconscient du protagoniste qu'il n'a pas encore été capable de prononcer: il est à la recherche de son passé pour mieux comprendre son avenir. Les éléments de ce passage qui marque un moment important dans la progression thématique du rêve, renvoient à la sixième chanson de l'Enéide que L.D. aime lire parce que, d'une certaine manière, il s'identifie avec Enée.
p. 218 c Il s'est remis en mouvement ••• et vous êtes entré à Rome.
Il rencontre le vieillard dans sa barque, c'est une allusion à Charon sur l'Achéron. Les questions thèmes reviennent: "Qu'attendezvous?" "M'entendez-vous?" "Qui êtes-vous?" Charon l'amène à Rome. p. 222 c1 Les flocons se collaient ••• cette grande et confuse
respiration suintant du mur. L.D. imagine le contenu du livre que Cécile lit au cours de leur retour à Rome après leur séjour à Paris. Il intègre le contenu de ce livre à son rêve dans lequel le protagoniste continue sa navigation. Il y a un mélange de la réalité et du rêve, non seulement au niveau de l'action, mais aussi dans le choix des mots: "barque de métal", "coque métallique", "la paroi verticale fraîche et polie comme une vitre". Un envol de corbeaux l'attaque en le prenant pour un mort. Il rencontre l'homme à deux visages dont l'un est tourné vers la ville qu'il a quittée: Paris, et l'autre vers la ville où il va arriver: Rome. Cette image de l'homme qui regarde à la fois en arrière et en avant reflète la réalité, car le train passe la frontière et les voyageurs doivent rendre leurs passeports aux douaniers qui surveillent que personne n'échappe au contrôle. p. 228 c la forêt de Fontainebleau toute en pousses vives •••
mais bien plus de morgue et d e cruauté.
6
L.D. se souvient de la légende du Grand Veneur racontée par sa femme Henriette au cours de leur voyage de noces. Le passé a pris une valeur positive pour lui. On retrouve cet optimisme dans le rêve où le douanier (à deux visages) pose les questions thèmes en souriant: "OÙ êtes-vous? Que faites-vous? Que voulez-vous?" Le protagoniste est devenu capable de répondre et de formuler sa recherche du livre qu'il a perdu. Le douanier lui prête un guide: la louve, mais il lui dit de s'en méfier, parce que ses yeux sont toujours "voilés". p. 231 A Quant à vous ••• vous retournez le livre entre vos doigts. L.D. imagine un autre livre dont il voudrait que le contenu soit pour lui. De là, il y a un glissement au rêve où "un personnage embryonnaire ••• se débat dans un sous-paysage encore mal formé". Il rencontre la louve, "la bête éclaireuse", qu'il suit. Cela renvoie à Cécile qui est, pour L.D., son introductrice à Rome. Le protagoniste entre dans la ville de Rome où il est devenu capable de voir ce qui se passe autour de lui: "les dernières écailles de papier tombent de ses yeux", mais il ne comprend toujours pas. Ce passage montre que L.D. ne sait pas encore quelle signification Rome a pour lui.
Chap. VIII p. 236 A ayant soif ••• examinant vos doigts dans la lumière bleue.
Il y a un chang~ment significatif de pronom personnel dans ce passage: le "il" est remplacé par le "vous", ce qui rapproche le rêve de la prise de conscience de L.D. Cela marque une progression dans la compréhension de soi-même. Le protagoniste a soif et s'adresse aux gens qui l'entourent, mais ils ne comprennent pas. Il devient furieux, en découvrant la vanité de sa vie et lance le verre qui fait éclater une vitre. La scène du jugement commence. p. 242 B Ils se retourneront ••• jusqu'a une petite porte noire. Il est arrêté par les policiers. Le rêve donne une description topographique et précise de Rome où entrent peu d'éléments fictifs. p. 247 C Et la petite porte noi re ••• pour faire cesser ce son
torturant et inutile. Il prend la parole pour se défendre devant le tribunal. Les juges et les témoins sont vêtus de voiles blancs et noirs comme les gens d 1 église. p. 251 A Une porte s'ouvre derrière vous ••• et ferment les yeux. C'est la suite du tribunal avec l'introduction d'un nouveau per-sonnage qui est l'image reflétée du protagoniste. Le nouvel arrivé
7
comprend sa situation, car il est capable de poser toutes les questions que l'autre n'a pas pu formuler: "Qui êtes-vous? OÙ allez-vous? Que cherchez-vous? ..tui aimez-vous? Que voulez-vous? Qu'attendez-vous? Que sentez-vous? Me voyez-vous? .M'entendez-:vous?" p. 254 C Puis vous avez senti ••• tout s'immobilise. L'élévation dans l'espace commence. Il sent que ses pieds ne le supportent plus et que son corps pivote dans l'espace sous la voûte de la salle du tribunal. Il compare cette voûte à un tunnel. En même temps le train passe par un tunnel. p. 257 c1 Tout s'était immobilisé ••• comme un caillot au milieu
de la salle. En continuant son élévation, il voit une représentation du Déluge (qui est dans la chapelle Sixtine du Vatican). L'accusé se trouve devant les cardinaux à qui il doit expliquer sa haine du catholicisme. Le pape lui demande pourquoi il n'aime que la Rome de 1 'antiquité. p. 259 A Et lorsque ce caillot s'est dissipé ••• et à tomber par
grandes plaques. Le pape est devenu "le Roi du Jugement" qui condamne l'accusé. Il y a deux éléments dont le protagoniste ne peut se défaire: l'église catholique et la civilisation européenne qui a comme base la vie familiale. p. 262 c1 Le mur du fond tombait ••• leurs doigts tournant les
pages de leurs énormes livres. L'heure du jugement est arrivée. Le tribunal vote et consulte les livres pour trouver le bon jugement. p. 265 C4 Les immenses prophètes et sibylles referment leurs
livres ••• c'est la suite des empereurs. C'est la fin du jugement et de l'élévation dans l'espace. Le ciel se creuse et la descente commence • Au niveau de l'écriture, on remarque un glissement qui transforme les juges du tribunal en dieux païens. Ces dieux se transforment à leur tour en empereurs romains: "Un à un vous les reconnaissez: c'est la suite des empereurs romains". Dans le défilé des dieux romains de l'antiquité, Vénus est la figure centrale, étant la déesse de l'amour et de la beauté. La question capitale se pose: '<iuel est le rapport entre Rome et Vénus? Le protagoniste s'est rendu compte du caractère inséparable de ces deux éléments. C'est essentiel pour sa prise de conscience.
8
p . 268 A Empereurs et dieux romains ••• tandis que tombent de grandes plaques de boue qui vous recouvrent.
A la fin du rêve, le protagoniste s ' adresse aux personnages mytho logiques qui l'ont aid6 à comprendre sa vie. Après la descente du ciel , son corps s ' enfonce dans la terre, et il est recouvert de boue . L.D. quitte ainsi la sphère du rêve. Revenu sur la terre , il va agir dans le présent et dans la vie réelle. Dans le dernier chapitre, le rêve est remplacé par le livre qui l ' aidera à répondre aux questions que, d ' abord , le Grand Veneur lui a posées .
9
Schéma sur la prise de conscience dans le rêve .
chap. IV C4 c3 c2 cl c A B
p. 116 chap. V p . 137 p. 152 chap. VI p. 182 chap. VII p. 2ol p . 2o4 p . 206 p. 211 p. 214
p . 218 p . 222 p. 228 chap. VIII
p . 231 p. 236 p. 242
p. 247 p. 251 p. 254 p . 257 p . 259 p . 262 p. 265 p . 268
Les passages dans la colonne B ( = le futur) diminuent tandis que les passages au présent augmentent . Le rêve se termine en A. Ce schéma est à comparer avec celui sur "la prise de conscience" .
Eva Hammershaimb ,
11
Le thème du livre dans La Modification:
De la lecture à l'écriture.
Régine Charron.
12
Avant de monter dana ce train qui l'amène ~ Reme, Léon Delmont s'est mu
ni d'un livre dont il ne conna~t ni le titre, ni le nom de l'auteur, car
il s'est fi~, en l'achetant, à sa collection. Or, au d~part du train,
alors que chacun de ses compa~nons de voya~e se plon~e dans une lecture
quelconque, l'id6e ne lui vient pas d'ouvrir son livre et de les imiter.
D'abord inconmod~ par une lassitude qui ne s'explique pas , puis par la
chaleur croissante du compartiment, il n'est mime pas effleuré par l'en
vie de se mettre à sa lecture. Il se contente de feuilleter son indica
teur pour connattre l'itinéraire précis de son train et constate ainsi
qu'un indicateur italien lui serait aussi tr~s utile, car les étapes
italiennes du trajet ne sont pas assez détaillées dans son indicateur
fran~ais. (p. 34J Il se plon~e alors, au lieu de lire, dans une ré
flexion sur ce voya~e qui se d~roule, sur les jours qui l'ont pr~c~dé,
marqués par la froideur de ses relations avec sa femme, dont il va en
fin se séparer, et sur le bonheur qui l'attend à Rone avec sa mattresse,
avec qui il a l'intention de refaire sa vie. il s'occupe aussi l obser
ver les autres passa~ers du compartiment, dont il se pla1t à ima~iner l'existence et les préoccupations. Le livre acheté à la ~are, avant de
quitter Paris, ne servira finalement qu'à marquer sa place dans ce com
partiment, chaque fois qu'il aura besoin de sortir, comme tout autre ob
jet aurait pu le faire.
Parmi les souvenirs qu'il évoque dans cette premi~re partie, deux sont
importants à remarquer, car, liés au th~me du livre, ils joueront un r~le
dans le r~ve de la troisi~me partie. Lors de la toute première rencontre
avec sa ma1tresse, dans un train semblable à celui-ci, il s'était permis
de lui demander un rensei~nement qu'elle lui fournit ~race à l'indica
teur qu'elle avait en sa possession. (p. 69) Plus tard, il s'est cons
titué à cause d'elle une biblioth~que d'auteurs latins et italiens, et
parmi ces livres, il a lu l'Enéide de Vir~ile pendant la semaine qui
vient de s'écouler. (p. 83)
Dans la deuxi~me partie, le fil des souvenirs qui se déroule et trans
forme lentement sa décision du départ, nous indique que Léon Delmont a
l'habitude, pendant ses nombreux voya~es en train entre ~aris et Rome,
de •'adonner~ la lecture. Lors du pr'c'dent voya~e, il s''tait pro-
cur' un roman policier italien, mais c'est dans les "Lettres de Julien
13
l 'Apostat" qu'il s',tait plonl!;'· (p. 102) Cette lecture des lettres de
Julien l'Apostat, de m~me que celle de l'En,ide, indiquent sa curiosit6
envers l'histoire et les mythes de Rome, curiosit' dont nous avons vu
l'influence dans l'analyse du th.me <le la ville et dans celle du th~me
des mythes. De m~me, lors d'un trajet Paris-~ome avec sa martresse, il
y a un an, ils étaient tous deux occupés à lire, et ce voyaŒe fait en
silence fut le d'but d'un malentendu inavoué dont il r'elise aujourd'hui
l'importance et qui le fait douter des chances de bonheur que lui r'
serverait l'avenir avec elle, à Paris. Il prend enfin conscience de la
complexit' de ses rapports avec sa femme et sa maitress e et du raie es
sentiel que jouent les villes de Rome et Paris dans sa vie amoureuse.
i.tu,. nt au livre achet' pour et: voyaP.'e-ci et qu'il n'a pas encore ouvert,
il lui 'chappe des mains et les paŒes en sont "pli,es et salies sur . le
sol de fer". (p. 128J
Apres l'avoir tant de fois d6plac6 de l',ta~~re à la Place qu'il occupe,
pour la marquer, Léon ùelmont, dans la troisième oartie ~n livre, •'in
terre~e enfin sur le contenu de ce livre qui devait le distraire pendant
le voya~e. S'il l'avait lu, peut-~tre que l'érosion des souvenirs au
rait été empêchée et que cette transformation de lui-m~me n'aurait pas
eu lieu. Mais maintenant que sa prise de conscience est accomplie et
qu'il ne sait pas encore quelles en seront les cons,quencea, il ae de
~ande s'il n'y aurait pas dans ce livre un personna~e semblable à lui,
un persennaŒe é~ar' dont la situation refléterait un peu la sienne.
Léon LJelmont aspire peut-~tre ici}!. un indicateur "moral" qui l'aide
rait à prendre la décision qui s'impose, maintenant que le voys~e tire
é sa fin, mais il est d6jà trop tard pour commencer à lire ce livre.
Il ne peut fuir son compartiment, ni 'chapper l sa conscience, et il
devra assumer sa situation jusqu'à la fin.
Cette interro~ation sur le personna~e du livre non lu introduit alors
dans son sommeil un lonr r~ve entrecoup' de moments de veille, où lea
souvenirs continuent à jouer un rÔle important. ~elui, par exemple,
du trajet Paris-Rome avec sa maitresse, il y a un an, où ils s',taient
tous deux réfu~i's dans la lecture au lieu de s'expliquer, apr~s l''chec
de ce •'jour~ Paris. A l'arriv'e ~ Rome, croyant que sa liaison vient
de prendre fin, il passe une partie de la soir'e é lire l'En,ide de Vir
rile. ~p. 261)
14
Le livre, en tant qu'objet, est~ plusieurs reprises le lieu du i:liese
ment de 1'6tat de veille au sommeil:
veille
"ce livre que vous refermerez pour
le passal!'e'- de la douane, et oil. il
faudrait qu'il soit question par exem-
sommeil (r~ve)
ple d'u.n homme perdu dans une for~t ••• __ -~ (entendant le .;alop d'un
cheval ••• ) (p. 202)
"Elle a refermé son livre que vous
n'avez pas lu, dont vous ne lui avez
m~me pas demandé le nom, o~ il pou-
vait ~tre question d'un - - - - - - - - ~ homme qui désirait aller ~
Rome et qui continuait sa
navi~ation ••• (p.222)
"ce livre dont vous dt(sireriez tant
qu'il ~t pour vous, dans les cir-
constances présentes - - - - - - - - ~ ce i:uide bleu des é~arés ) la qu8te duquel court,
nav,e, ••• (p. 2311
Le livre joue '"'alement un r8le tr~s important dans le contenu du r~ve,
confondu parfois avec un v,uide bleu, correspondant à celui que lisent
les deux jeunes mariés dans le m~me compartiment et sans doute aussi a l'indicateur de chemin de fer mention~é si souvent par Léon Delmont.
Il y a dans le r~ve un h•mme év,aré 4ont la premi~re mésaventure est la
perte 11.'un livre qu'il avait en sa possession. ~p. 202). Il lui reste
bien deux pai:es de ce livre ou "ii:uide bleu" qui devait l'aider, mais, à cause de leur illisibilité, il est condamné à errer (p. 215J1 aveui:lé
par une pluie de "bribes de pall'.es déchirées". (p. 222 et p. 223). Dans
sa recherche du livre perdu, lp. 229) il parvient~ Rome ot il ne peut
communiquer avec personne, (p, 237, p. 248) mais rencontre~ un certain
moment un personnav,e qui lui ressemble étranv,ement et qui, lui, parle
d'une voix "merveilleusement intelliv,ible" • (p. 252). De plus, il y a
dans le r8ve un épisode qui reprend les événements du chant VI de l'Enéide
15
de Virgile, (p. 214-215) livre que Léon Delmont a mentionné avoir lu
à deux occasions. Est-ce un hasard si, ~ ces deux occasions, il était,
sinon brouillé, du moins en désaccord avec sa ma1tresse1 L'analyse de
la ~rise de conscience nous rév~le qu'au contraire, les deux moments oh
cette lecture a eu lieu, soit au retour du voysv,e ~ Parie avec Cécile
et au retour du dernier voyav,e à RoMe, sont 4e premi~re importance.
Au sortir de ce r~ve hanté par la disparition d'un livre et par les
probl~mes de communication qui en d~coulent pour l'homme é~aré, qui
n'est autre que lui-m~me, Léon Delmont prend une décision qui effacera
le cauchemar: il écrira un livre relatant la modification qu'il vient de
subir pendant ce voya~e, un livre· montrant le r~le que peut jouer Rome
dans la vie d'un homme à Paris. (p. 277).Ayant renoncé à ses projets
d'avenir avec sa ma1tresse et crai~nant d'échouer dans ses tentatives
d'explications ~ ce sujet, il se propose d'obtenir son pardon au moyen
de ce livre ob elle apparattra dans toute sa beauté. (p. 279),
L'~criture lui permettra de "cembler le vide qui s'est creusé" (p. 272)
et de restituer au oass6 sa vraie si~nification, maintenant que la
"passion de l'existence et de la vérité" (p. 239) s'affirme de nouveau
en lui. La Modification peut donc ~tre consid~rée cemme le livre
"futur et n'cessaire" que L'on Delmont se propose d',crire lorsque le
train s'arr~te en ~sr• de Rome, un livre se justifiant par lui-m~me,
un livre expliquant la nécessité d',crire.
16
LE THEME DE L'EAU
Essai d'un schéma sur le thème de l'eau
Explications:
le train
Rome
Paris
LIVRE I
~!!~:e.:._!
p. 10:
l'axe vertical
l'oscillation à droite
l'oscillation à gauche
1
CECILE à PARIS ••••
2
3
4
5 HENRIETTE à ROME
On peut avoir l'idée que Léon Delmont se trouve dans un état
foetal, c'est-à-dire dans l'état inconscient d 1 un foetus baigné
dans une sorte de liquide amniotique - en train de se préparer à
renaître?
p. 12:
Peut-~tre le premier augure qui 1 1 emp~chera dans la suite de
renaître (le serpent marin)
17
2!!~E.:.-~
pp 26-27:
Analyse de son voyage: analyse de son état d'âme par l'image
de la mer,
p. 41:
Le mot •nettoyage• amène •cette cure de jouvence' qui signi
fie la renaissance et le secours qu'il croit trouver chez Cécile
à Rome.
pp 42-43:
Signification de l'enlisement qu'il éprouve chez Henriette à
Paris .
L'optimisme avec lequel il entreprend cette promenade touris
tique à Paris est voué à !•échec, Son rêve romain s'éteint
comme sa ci garette "Nazionale",
De l'autre côté, la fontaine des quatre fleuves signifie
Force et la Puissance (l'obélisque).
PARIS
HENRIETTE
LE TRAIN
LEON DELMONT
p. 10:
- votre corps est comme baigné, dans son réveil imparfait d'une eau agitée et gazeuse pleine d'animalcules en suspension -
p. 12:
Il regarde un portedocuments dont la fermeture-éclair baille comme la gueule aux dents fines d'un serpent marin.
pp 26-27:
Analyse du voyage. p. 41:
ROME
CECILE
la
- libération, rajeunissement, nettoyage de votre corps et de
- cette cure de jou-vence bain.
18
p. 42: - cet océan d'ennui - cette semaine de pluie, de cris et de malentendus -
p. 4J:
Entre H. et L.D. il y a •une infranchissable rivière de lin'.
votre tête - • La fatigue qu'il éprouve est •comme la grande marée, qui profite de la moindre fissure {cette vacance) pour envahir la digue' {son état d'~me).
~À'P. A ' !II. Reve de Rome a Pa-• ris {essai de trou
ver Rome à Paris)
p. 6J: - un peu de soleil matinal
p. 71, à 12hJO: •il pleuvait -'
p. 7J: 'La pluie tombait si drue -'
p. 74: 'il pleuvait si fort que {sa cigarette "Nazionale") s'est éteinte -'
p. 42: - ce salut, Cécile, cette gorgée d'air - cette main secourable -
p. 62: A. la piazza Navona:
•- 1 1 eau jaillissant de la fontaine des quatre fleuves, le Danube, le Nil , le Gange - et le Rio de la Plata -tournant comme en spirale autour de ce rocher qui soutient l'obélisque de granit rose -•
p. 98: •- près d'une des fontaines en forme de baignoire {vous écoÜtez}-ëë-bruit d'eau ruisselante en la regardant -'
•-vous plongeant en cette diffuse foule d'amoureux ëoüûiië dans un bain
~~-il.~~!2~~2 -· p. 120: •-vous 1 1 avez vue venir de l'autre bout de la place où des petits gar-
c..\+AP. -SZ: . p. 1J7: La pensée de ce long combat de résistance envers H. est accompagnée d 1 une vue de milliers de gouttes de pluie -•
p. 150:
Passée la frontière française {Rome-Paris), il regarde avec Cécile •une fine brume sur le lac, puis les nuages se sont épaissis, la pluie s'est mise à tomber de plus en plus drue, brouillant les vitres - 1
~1>."SZI.. p. 165:
Cécile à Paris. Gare de Lyon: •c•était la nuit et il pleuvait•
p. 175:
•vous l'avez retrouvée en bas sous la pluie•
p. 179:
Après le déjeuner avec Cécile il voit •à travers les vitres l 'eau couler•
19
çons se baignaient dans la Fontaine-des Fleuves -'
p. lJJ:
Avant le départ pour Paris avec Cécile 1 la piazza Navona était presque vide, la Fontaine dès-Fleuves coulant dans la nuit -'
p. 149: (Avec Henriette à Rome)
'-La neige s 'est mise à tomber - en gros flocons fondants, rendant les rues tellement boueuses, devenues tout d•un coup silencieuses et vides•
20
LIVRE II,
p. 98: Ici il revient à l'image d'un bain de jouvence. Il voit tou
jours Rome comme la ville des plaisirs et des joies.
p. lJJ: La modification se prépare. Le mot •vide' contraste avec le
mot •foule'' de tout à l'heure.
p. 137: Cette vue de milliers de gouttes de pluie pourrait évoquer
l'image des pleurs d'Henriette?
pp 149, 150: Essai de déplacer une femme d'une ville à une autre. A chaque fois 'le mauvais temps gagne•, et le séjour d'Hen
riette à Rome est voué à l'échec comme celui de Cécile à Paris.
Ainsi pp 165, 175, 179: Le mauvais temps accentue le fait que Cécile et Rome sont in
séparables ainsi que Henriette et Paris.
Suite du schéma
chap. 7 +
+
+
( +)
+
+
+
chap. 8 +
+
chap. 9
+
21
On remarquera que dans la troisième partie, il y a beaucoup plus de citations sur Cécile que sur Henriette et que les citations sur Léon Delmont apparaissent au chapitre 8 comme aux deux premiers chapitres.
Explications des citations et essai d'une analyse structurale selon la méthode de Barthes
S!!~~.!-Z
p. 201:
L.D. se trouve dans le train de Rome à Paris l'avenir avec Cécile à Paris.
où il s'imagine
p. 204: INDICE
Réflexions sur sa position devant Henriette s'il ne dit rien à Cécile.
INDICE p. 208:
L.D. s'est rendu compte que dans le passé, Cécile représentait son rajeunissement.
HENRIETTE Q.Wl.'f>. n-204 'rien ne sera changé,
et vous regarderez, au travers des vitres noires peut-~tre couvertes de milliers de gouttes de pluie -'
voir: p. 137.
LEON
INDICE
CECILE
2ol Angoisse devant l'avenir avec Cécile: 'Quand vous y reviendrez, la lumière acide d'un triste jour froid pluvieux forcera '
208 •comme elle vous apparaissait délivrance, retour à votre nature authentique, délassement, sourire et flamme, pure e au brG.lante -'
210 'que ferai-je à Rome sans elle maintenant' -(vous regardiez) la fen~tre couverte de pluie'
22
230 •ne nuit, vous rouliez au bord de la mer avec la lune qui brillait•
~?. ~\\L. 236
221 1 Il pleuvait sur le Jura comme il a plu aujourd'hui'
222
224
'cette reorganisation de l'image de vous-m~me - se traduisant en fatigue - vous enduisant de cette sueur presque sèche - de ce malaise 1
Voir pp 9-10, 26-27 239
241
•Il pleuvait sur les Alpes et cette pluie, vous le saviez dans les hauteurs invisibles devenait de la neige•
•en face de Cécile - disant •quel temps'
•cécile ne semblait pas se rendre compte que vous l'aviez perdue -après ce fossé qu•avait creusé entre vous ce séjour parisien - 1
telle - vous découvrira près d'une des fontaines en forme de baignoire à l'attendre• Voir p. 98.
•avoir le courage - tout en considérant la Fontaine des Fleuves - de lui asséner ce coup, cette déception, de lui déclarer - que tout est perdu - mais vous serez incapable• Voir p. 62.
250 'Il vous faudrait -vous en laver comme de cette crasse en suspension qui se colle sur votre visage•
264 •vous lui aviez dit d'aller - se rafratchir un peu la figure avec de l'eau de Cologne, mais
Voir p. lo·.
elle restait près de vous - à dévorer de ses yeux clignotants !!_~~!~!!qui montait'
~P. li:.
28) 'Vous dîtes: je te promets, Henriette, dès que nous le pourrons, nous reviendrons ensemble à Rome, dès que les ondes de cette perturbation se seront calmées, dès que tu m'auras pardonné: nous ne serons pas si vieux•
23
257 'de l'autre c8té du corridor, de la vitre jonchée de gouttes, vous sentiez que :faisait rage la pluie d'automne•
•cécile - qui baignait vos courbatures, vos cicatrices - ces froissements dans vos nerfs, d'une douce huile marine• Voir p. 42.
258 Arrivée à Rome:· 1 il pleuvait -' Voir p. 261.
272 'Elle sentira peu à peu ce qu'elle avait d'ailleurs toujours senti, que notre amour n'est pas un chemin menant quelque part, mais qu'il est destiné à se perdre dans les sables de notre vieillessement à tous deux•
24
CONCLUSION
Comme on peut voir dans mes explications, toutes les cita
tions dans lesquelles apparatt le thème de l'eau sont des in
dices . Les quelques informants qu'on y trouve deviennent des
indices, pris dans l'ensemble. Selon l'analyse structurale de
Barthes, indices et informants se trouvent au premier niveau de
description - appartenant à ce qu'il appelle 'les unités narra
tives 1 •
On remarquera d'ailleurs que dans la troisième partie les élé
ments négatifs à 1 1 égard de Cécile dominent. Ici je rejoins ce
qu'a déjà montré 'la prise de conscience•. Justement, entra
vaillant le thème de l'eau je me suis rendu compte que presque
à chaque fois les remarques de Butor sur l'eau (ou sur un autre
élément de la nature) soulignent le thème principal {la prise de
conscience). Ainsi les indices du premier niveau aboutissent au
troisième niveau de description selon le modèle de Barthes, -
appelé: La Narration.
A ce niveau, la description et la narration s'unissent, ce qui,
par conséquent, a pour résultat que les indices que forme le
thème de l'eau s'unissent à la signification de la modification
de Léon Delmont: sa prise de conscience.
Benedicte Holbak.
- 0 -
25
R~SUM~ DU SCH~MA PRISE DE CONSCIENCE
Ce schéma ne peut pas ~tre comparé directement à celui du r~ve, - premièrement:
parce que les deux schémas ne sont pas dessinés à la m~me échelle 5
- deuxièmement:
parce que ce schéma comporte plus d 'éléments , étant la somme de tout~s les 'courbes•, de tous les schémas qu•on aurait pu faire: celui des mythes, celui d~s villes, celui de l'eau, etc, {•tous les p~ans temporels et thematiques aboutissent à cette prise de conscience•).
Toutefois·, ce schéma concentré permet de tirer certaines con
clusions quant à !•évolution de la prise de conscience dans les
deuxième et troisième parties,
La deuxième partie:
est riche en croix dans les col c t c ' onnes e 1 , c'est-a-dire
'!~~-~~~!~~!E~-!~!!!~' de deux séjours avec~~~!!~· C'est •le vi
sage de méfiance et de reproche' de Cécile dans c qui évoque tous
les mauvais souvenirs de c1 , la rencontre de Cécile par Henriette
(p. 186) - (contamination qui se développe en !~~~!!!!~~!!~~· chap. 9, P· 276: 'elle n•appara!t plus que comme une nouvelle Henriette•.
Ces souvenirs fatals de la deuxième partie, cette prise de cons
cience 'inconsciente• aboutissent dans les chapitres 7 et 8, troi
sième partie aux E~!!~~!~~~ dans la colonne A, et aux e~E!e~~!!!~~ ~~~!~~!E dans la colonne B, donc à une prise de conscience •cons
ciente•, au E~~~~~~~~~! de son projet initial, p. 245: 'il fau
drait donc renoncer à la voir cette fois-ci• .
En plus interviennent !~~-~~~!~~!~~-~~~E~~ avec Henriette dans
la colonne C4• Ceux-ci terminent les chapitres 7 et 8, ce qui
souligne leur importance.
Le chapitre final:
(III,9) montre un nombre considérable de croix dans la colonne
A, le présent. C'est la~~~!!!~~!!~~ de son projet initial en un
26
livre, - ce livre qui devrait lui permettre de guérir la cica
trice, de combler 'la fissure historique•, de remplir •la caver
ne• en lui, d'accéder à la liberté future (p. 274). Le lui per
mettre à •lui•, mais aussi à •nous•, les lecteurs, puisqu'il y a
identité entre auteur, lecteur et narrateur (cf'. l'article inti
tulé 'L'Emploi de •vous• dans "La Modification"' dans ce RIDS).
La division du livre en trois parties correspond aux étapes de
sa prise de conscience:
lière partie :
2ième partie r
3ième partie 1
le projet initial
!•écroulement du projet
la modification du projet înîtiaî-ën-un-îivre
Cf'. 'Essais sur le roman•, p. 19:
'Cette prise de conscience du travail romanesque va, si j'ose
dire, le dévoiler en tant que dévoilant, l'amener à produire ses
raisons, développer en lui les éléments qui vont montrer comment
il est relié au reste du réel, et en quoi il est éclairant pour
ce dernieri le romancier commence à savoir ce qu'il fait, le ro
man à dire ce qu•il est ••• •.
RtSUMt DU SCHtMA PRISE DE CONSCIENCE
C4 C3 c2 cl c A B
!Y 109 f 116
~ V
130 __./ 132 X--:::~ 133 135 -r 137 __...« 142
c~ 145 151 152 155 157
!! 160 163 164 165 168 17.3 178 184 186 189
Y!.!. 196 197 198 199 200 2ol 2o3 204 218 221-4 227 228 230
YI.!.!. 235 238 239 243 245 259 263 265
!!. 272 273 274 275 276 277 279 281 282 282-3
27
C4 C3 c, cl c A B
<=: 'f
X~
X #
f c
î f f f
i J
r .....;x-
1 'E
3c
j ;x: c
~ 1
~ -x-t
-.J
; t
- 0 - Lita Lundquist,
29
La priae de conscience
R6~ine Charron
-
30
Première partie:
c f.
H E N R I E T T E
"une certaine pitié •••
toute colorée de 11épri11"
(p. 19)
" son re~ard de morte, avec
cette flamme de soupion
quand elle vous a vu, de
rancune; ce 11épria ••• 11 (p.41)
" ce cadavre de femme, ce
cadavre inquisiteur "
(p. 41)
DeuxJ~11e 11artie:
c f. 11 cet air perpétuel d'accu
aation " (p. 109)
c +
A +
B +
c f.
CECILE
" ce salut, Cécile, ••• ,cette
~or~ée d'air, ce aurcro!t de
fercea, cette main secouraDle,
••• cette ma~icienne " (p. 42)
"voue allez rejoindre votre
liberté qui •'appelle Céci
le " (p. 55)
" Maintenant Cécile allait
venir â Paria et voua demeu
reriez ensemble. " (p. 38)
" Elle vous écoutait, vous re
ii:ardait, vous admirait, riait. '1
(p. 70)
" son visa~e de méfiance et
de reproche " (p. 109)
r " ces deux reproches, ces deux rancunes, ces deux accusation• l
de lâcheté 11 (p. 109) ...J B f. Il il y aura ce silence, il
y aura ce 11,pria, llOD aeule-
ment dans son rep:ard, mais
dans tout son corps .. (p.136)
B + 11 votre bonheur prochain, vos
retrouvailles 4é!initives "
t p. 105)
11 vous son.:iez aux traita
tirés qu'avait Henriette
dans votre lit le matin •'a
vant, avec ses cheveux en
i.ésordre ••• " (p. 112)
" une Henriette que voua ai
nieE encore ••• " (p. 146)
11 elle était heureuse de si
p:ner son nom à c~té du
vôtre." (p. 147)
11 cette Rome qui devait voua
unir, elle se trouvait entre
vous, énorme, pour vous aé
parer .11 (p. 180)
11 cette femme que voua carea
siez en la ha'lsaant 11 (p . 180)
31
B + " voua serez complètement ré
conciliés, plua unis que ja
mais 11 (p. 130)
Cs+ " sa tresse noire, splendide
4ans le lumi~re nouvelle, • •• ,
l'éclat de soie à peiae !roi•
aée de sa peau, ••• " (p. 112)
" i.éjà cela ne durait plua,
••• déjà la séparation avait
commencé; ••• durant teut ce
veyaii:e, vous vous quittiez
l'un l'autre lentement, dou
loureuisel'lent, 11 ( p. 151)
{"';. ae rapprocaant toutes les deux, formant
\.... alliance contre vous " (p. 186)
un accor4, un:.)
B f. ·" je ne saia plus ce que je
vais lui dire; si elle vient
à Paris, je la per4s; ai elle
vient ~ Paris, tout sera per
du pour elle et pour moi; "
(p. 189)
32
Troiai~me partie:
C• + "avec Henriette A cét~ de
vous, teute heureuse, qui
•'émerveillait ••• " (p. 228)
Ci ;f. "Cécile ne semblait pas se
"elle restait ll, pr~s de
veu4, la main appuyée sur
vetre épaule ••• " (p. 264)
"in!a till"ables tous les deux ••• c~ • Puis après quelques très ra-
pides journées de cette déam-
bulation délicieuse, injurian~
tous les deux deuce11ent en
plein accerd ••• " (p. 282)
"vous lui murmuriez: 11n)is que nous le pourrons,
nous reviendrons." (p. 282) c •
rendre compte que veus l'a•
viez perdue, ••• apr~s ce
fossé qu'avait creusé entre
veus le séjeur parisien ••• "
(p. 224)
"Tous les souvenirs, tout
1' arriltre-goQ.t du voyage pa
risien se sont comme éteints
Vous étiez jeune de nouveau;
vous l'aviez retrouvée enfin
vous btiez arrivé~ Reme."
(p. 263J
"comme elle vous apparaissait
délivrance, retour à vetre
nature authentique, délasse
ment, sourire et flamme,
pure eau 'Dr~lan te •• • " (p. 208
B f. "Cécile ne viendra pas vous
rejoindre, vous ne la ferez
pas venir." (p. 227)
"elle sentira peu à peu que
votre amour n'est pas un càe
min menant quelque part, mais
qu'il est destiné a se per
dre dans les sa'Dles de votre
vieillissement ~ tous les
deux." (p. 272)
A + " je te le promets, l!enriette A f. "Il est maintenant certain
dès que nous le pourron•,
noua reviendrons ensemble à
Rome • • •
que voue ne l'aimez pas sana
Rome et en dehors de Rome ••• "
(p. 238)
A + dès que tu m'auras pardonné; A f. " comment peurrai:..je jamais
neus ne serons pas si vieux." lui faire comprendre et 11e
33
(p. 282) pardonner le menson~e que
fut cet amour, ••• " (p. 279)
Le tableau suivant illustre la prise de conscience de Léon Delmont,
èoneeraant ses rapporta avec les deux femmes, telle qu'elle apparait
dans les citations des pall"es précédentes:
PARIS (dé art): •
lère partie
2i~me partie
3ième partie
•
Dans la première partie, Henriette, l'épouse pleine de mépris, comparée
à un cadavre, s'oppose totalement à Cécile, la mattresse éclatante,
symbole de liberté et de rajeunissement. Tous les souvenirs d'Henriette
que Léon Del~ont évoque sont né~atifs, alors que Cécile est positive
à tous les temps.
Vans la deuxième partie, les contrastes entre les deux femmes s"atté
nuent. La vision idéale que Léon Delmont avait de Cécile cemmence ici
à se Modifier. ~lle devient aussi, peu à peu, une présenèe né~ative, car il ae souvient d'une certaine ressemblance entre les deux femmes
et m~me de leur alliance contre lui, lers du séjour de vécile ~ Paris
l'année précédente. L'échec de ce séjour de Cécile, à Pari~mena~a un
certain temps leur liaisen, car ile réalisèrent tous deux qu'en dehora
de Rome, aon cadre habituel, leur amour risquait de s'éteindre.
34
L'apparition de sa relation avec Cécile sous cet éclaira~e nouveau
lui fait craindre l'avenir avec elle.
Lee souvenirs de sa relation avec Henriette se modifient é~alement ici,
quoique tr~s légèrement. Pour la premi~re foie, il évoque une Henriette
"heureuse", qu'il n'avait pas encore tout à fait cessé d'aimer. Ce
fut leur second s~jour ~ Rome Qui les sépara définitivement; au retour
de cette seconde lune de miel ratée, il commenca i la halr.
Il y a donc dans la deuxi~me partie trois éléments nouveaux et essen
tiels pour la prise de conscience:
1) une ima~e né~ative de Cécile ( pendant et après le séjour~ Paris);
2) une ima~e positive «'Henriette (avant le séjour à Rome);
3) une ressemblance morale entre lee deux feMmea.
Ces trois points correspondent reeoectivement aux trian~les 1, 2 et 3
du tableau de la pa~e précédente.
Dana la troisième partie «u livre, Léon Delmont, ayant compris toute
l'importance «e la ville de Rome dans sa relation amoureuse &vec Cécile,
renonce à son projet initial de l'amener vivre à Paris • . Il décide mame
de rompre avec elle, car leur amour lui ao~ara1t comme un menson~e.
Ce qu'il aimait d'elle, c'était surtout son c:té "romain" et c'eat
en quelque aorte de Rome et de see mythes qu'il subissait l'enchante
ment. Quant à sa femme, il se réconcilie, en pensée, av t c elle, après
a'~tre déta c hé de sa mattresse. Ce sont alors les souvenir• de leur
voya~e de noces qui lui reviennent, et il se promet de revenir à Rome
avec elle et 4e se faire pardonner les échecs passés.
La conséquence de la prise de conscience est «one le renversement èe la
position de chacune des deux femmes au terme du voya~e, et la mise en
lumière du thème du mythe romain.
Statens trykningskontor
Un 44-2 Rids 30 II