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RITES ET CROYANCES FUNÉRAIRES " DES PEUPLES DU BASSIN DE L'OGOOUE Le bassin de l'Ogooué comprend la majeure partie de la République gabonaise et déborde largement sur la Guinée Equatoriale, le Sud-Cameroun et la République populaire du Congo. Les populations qui y habitent, les dernières migrations ayant eu lieu à la fin du XIXe siècle, constituent un ensemble culturel assez homogène. Il est évident que les rites relatifs à la mort ne sont plus aujourd'hui les mêmes qu'avant la pénétration européenne, même si certaines croyances ne sont que masquées par le vernis des religions et philosophies modernes. Les données ethnographiques évoquées ici ne se- ront donc que des reconstitutions culturelles, faites à partir de monographies déjà ancien- nes, d'interviews de vieillards et plus néra- lement de la tradition orale. Une autre étude serait nécessaire pour apprécier et' définir ce qu'est la mort et comment on l'assume de nos jours, dans le contexte des religions synchré- tiques (par exemple le Boultl des Fang de l'Estuaire) ou des grandes religions révélées. Restons-en pour l'instant à la paléo- ethnographie de trois grands ensembles ethni- ques, les Fang du Sud-Cameroun et du Ga- bon, les Bakota de la vallée de l'ivindo et du Haut-Ogooué et les Mitsogho du Centre- Gabon. Les traditions des peuples de l'Ogooué restent discrètes sur la notion de "création". Le cosmos, la terre, le ciel, l'eau ont bien écréés un jour mais, la plupart du temps, cet épisode primordial est laissé dans un épais mystère. On préfère décrire et expliquer le monde dans sa réaliachevée que le situer dans un devenir historico-mythique dont les migrations encore récentes ont grandement oblitéré la continuité. Les Mitsogho du Gabon-Central feraient toutefois exception puisque dans la mytholo- gie du Boultl on trouve mentionnés très expli- citement le "Créateur" (Moanga), "Celui qui Instruit" (Mobèndè), "Celui qui révèle les choses secrètes (Nzondo-modaki a mambo) "Celui qui sait tout" (Mameno). "Ce maître de l'Univers" (Gedzamé) est "L'Origine de toutes choses" (Disumba). Chez les Fang, c'est Mebeghe (se prononce Mebere) le grand-père de Zame qui est le "Créateur". On ne sait rien de lui. Par contre la mythologie, exprimée à travers l'épopée du mvet, détaille les aventures de Zame dont seraient issus à la fois les Noirs dont les Fang, les Blancs, les Pygmées, les gorilles, les chim- panzés, le lamentin et les poissons, l'arc-en- ciel, mtoutoumou, et les serpents, le chien, ondo, et les autres mammifères, l'aigle, ndu, et les oiseaux. Dans le récit du mvet, il est dit que Zame "engendra" et non qu'il "créa". Mebeghe de son côté, à l'origine de l'huma- nité, n'est finalement que l'ancêtre primordial. Les trois fils engendrèrent (avec quelles fem- mes? l'histoire ne le dit pas) trois lignages, celui de Zame dont j'ai déjà parlé et d'où provient la plupart des êtres vivants, celui d' Ayongbore d'viennent les hommes d'En- gong applés "1 mmortels", enfin celui de Ndong d'où sont issus les hommes d'Oku ou Mikoul appelés "Mortels", ces deux derniers groupes étant composés de personnages mythiques dont le plus célèbre est Akoma Mba, le héros privilégié de l'épopée du mvet. Chez les Bakota, E. Andersson pense que l'on peut assimiler Nzambi à l'Etre Suprême. Cette entité qu'il vaut mieux caractériser de "surnaturelle" plutôt que de "divine", ce der- nier adjectif ayant une connotation trop spé- cifique de la culture européenne, est toujours envisagée dans les contes en particulier, com- me un double personnage, d'essence anthropo- morphique. Nzambi se dédouble en deux grands chefs des temps immémoriaux:

RITES ET CROYANCES FUNÉRAIRES DES PEUPLES DU ...tribus Fang du moyen Ogooué", Paris. Dès la mort, quand les esprits ont emporté le nsisim du malade, c'est une explosion de douleur:

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  • RITES ET CROYANCES FUNÉRAIRES"DES PEUPLES DU BASSIN DE L'OGOOUE

    Le bassin de l'Ogooué comprend lamajeure partie de la République gabonaise etdéborde largement sur la Guinée Equatoriale,le Sud-Cameroun et la République populairedu Congo. Les populations qui y habitent, lesdernières migrations ayant eu lieu à la fin duXIXe siècle, constituent un ensemble culturelassez homogène.

    Il est évident que les rites relatifs à la mortne sont plus aujourd'hui les mêmes qu'avantla pénétration européenne, même si certainescroyances ne sont que masquées par le vernisdes religions et philosophies modernes. Lesdonnées ethnographiques évoquées ici ne se-ront donc que des reconstitutions culturelles,faites à partir de monographies déjà ancien-nes, d'interviews de vieillards et plus généra-lement de la tradition orale. Une autre étudeserait nécessaire pour apprécier et' définir cequ'est la mort et comment on l'assume de nosjours, dans le contexte des religions synchré-tiques (par exemple le Boultl des Fang del'Estuaire) ou des grandes religions révélées.Restons-en pour l'instant à la paléo-ethnographie de trois grands ensembles ethni-ques, les Fang du Sud-Cameroun et du Ga-bon, les Bakota de la vallée de l'ivindo et duHaut-Ogooué et les Mitsogho du Centre-Gabon.

    Les traditions des peuples de l'Ogoouérestent discrètes sur la notion de "création".Le cosmos, la terre, le ciel, l'eau ont bien étécréés un jour mais, la plupart du temps, cetépisode primordial est laissé dans un épaismystère. On préfère décrire et expliquer lemonde dans sa réalité achevée que le situerdans un devenir historico-mythique dont lesmigrations encore récentes ont grandementoblitéré la continuité.

    Les Mitsogho du Gabon-Central feraienttoutefois exception puisque dans la mytholo-gie du Boultl on trouve mentionnés très expli-citement le "Créateur" (Moanga), "Celui quiInstruit" (Mobèndè), "Celui qui révèle leschoses secrètes (Nzondo-modaki a mambo)"Celui qui sait tout" (Mameno). "Ce maîtrede l'Univers" (Gedzamé) est "L'Origine detoutes choses" (Disumba).

    Chez les Fang, c'est Mebeghe (se prononceMebere) le grand-père de Zame qui est le"Créateur". On ne sait rien de lui. Par contrela mythologie, exprimée à travers l'épopée dumvet, détaille les aventures de Zame dontseraient issus à la fois les Noirs dont les Fang,les Blancs, les Pygmées, les gorilles, les chim-panzés, le lamentin et les poissons, l'arc-en-ciel, mtoutoumou, et les serpents, le chien,ondo, et les autres mammifères, l'aigle, ndu,et les oiseaux. Dans le récit du mvet, il est ditque Zame "engendra" et non qu'il "créa".Mebeghe de son côté, à l'origine de l'huma-nité, n'est finalement que l'ancêtre primordial.Les trois fils engendrèrent (avec quelles fem-mes? l'histoire ne le dit pas) trois lignages,celui de Zame dont j'ai déjà parlé et d'oùprovient la plupart des êtres vivants, celuid' Ayongbore d'où viennent les hommes d'En-gong applés "1 mmortels", enfin celui deNdong d'où sont issus les hommes d'Oku ouMikoul appelés "Mortels", ces deux derniersgroupes étant composés de personnagesmythiques dont le plus célèbre est AkomaMba, le héros privilégié de l'épopée du mvet.

    Chez les Bakota, E. Andersson pense quel'on peut assimiler Nzambi à l'Etre Suprême.Cette entité qu'il vaut mieux caractériser de"surnaturelle" plutôt que de "divine", ce der-nier adjectif ayant une connotation trop spé-cifique de la culture européenne, est toujoursenvisagée dans les contes en particulier, com-me un double personnage, d'essence anthropo-morphique. Nzambi se dédouble en deuxgrands chefs des temps immémoriaux:

  • "Nzambi-du-Ciel" et "Nzambi-de-Ia- Terre";ailleurs, "Nzambi-de-l'amont" et "Nzambi-de-l'aval". Andersson pense que ces deux Nzambianthropomorphes ne seraient que "le fraction-nement tardif du concept de Dieu en deuxentités ou hypostases" ou "deux dieux indé-pendants à l'origine qui auraient fusionné enune seule divinité". La croyance en un doubleNzambi, l'un terrestre, l'autre céleste, refléte-rait la fusion de deux religions et de deuxcultures, le dieu-du-ciel étant "le vieux dieud'un peuple de chasseurs" alors que le dieu-de-la-terre, serait "le dieu de la fertilité d'unpeuple de cultivateurs". La référence à unecréati on des êtres n'est cependant pas attestéepartout chez les Bakota.

    La philosophie kota, d'un point de vuegénéral, peut être assimilée au panthéismenaturaliste, qui définit le cosmos comme seuleréalité, Dieu n'étant que la somme de tout cequi existe. Les deux Nzambi, premiers ancê-tres mythiques des Bakota (dont la dualitéoriginelle correspond probablement à un soucilogique de prolonger dans le mythe les néces-sités absolues de l'exogamie clanique), inven-tent les techniques, prlDposent des solutionsinédites aux problèmes des hommes, innoventdans des situations psychologiques ou socialescompliquées, rendent des arrêts qui devien-nent des proverbes, etc. Ils ont de nombreuxenfants, des hommes et des animaux personni-fiés.

    Le monde de Nzambi est une répliquemerveilleuse de la réalité quotidienne.

    Une des constantes des croyances, de tousces peuples, est la répartition des êtres endeux catégories complémentaires, les "vi-vants" et les "morts". Craints mais nonexclus, ces derniers ont une grande importan-ce dans la vie courante de chacun.

    Les représentations spirituelles kota repo-sent sur une conception de la personne hu~maine qui admet plusieurs principes vitaux:"l'âme-souffle", le "double" et le "fantôme".Andersson distingue encore plus finementl'âme-souffle (inspiration), l'âme-souffle (expi-ration), l'âme-ombre, l'âme chez Nzambi-du-Ciel et le revenant.

    L'''âme-souffle'' est le principe vital qui,d'ordre physique (inspiration, expiration),peut être opposé au "double", d'essenceimmatérielle. Le double a une certaine auto-nomie par rapport à la personne physique, ilpeut s'échapper pendant le sommeil par exem-ple. Les contradictions er;ltre la volonté dudouble (pouvant être un "ancêtre" réanimé)et celle de la personne consciente conduisentaux dérèglements psychiques et psychosoma-tiques. C'est de cette façon que les guérisseursexpliquent les cas de possession. Le "fantô-me" est le double qui, séparé définitivement

    de l'enveloppe charnelle, n'a pas pu s evanouirdans le néant (concu comme la totalité de lanature) en raison 'de certaines circonstancescontraires (rites non accomplis, sort jeté parun tiers, sorcellerie, etc.).

    De ce fait, il y a deux catégories de morts,ceux qui grâce aux rituels spécifiques ont puse fondre dans la totalité cosmique (ce sontdes morts bénéfiques) et les autres, devenusdes fantômes errants, pleins de rancune contreles vivants, qui rôdent la nuit près des villages.

    Chez les Fang, le corps charnel de l'hom-me, nuo/, renferme un principe de vie appelénsisim. Le nsisim est à la fois l'esprit, l'âme,l'ombre, le reflet. Si le corps est périssable, lensisim lui ne meurt pas; après la mort ildevient le kôn. Les bekôn se rassemblent sousla terre en un royaume des morts. Ils ont lesmêmes besoins que les vivants; ils sont riches,pauvres, puissants ou faibles. Par contre l'au-delà ne comporte plus ni récompenses nichâtiments. Les bekôn continuent à se préoc-cuper des vivants, ce sont les "autres membresdu clan". Mais souvent, ces morts sont exi-geants, cruels, capricieux et malfaisants àl'égard de leurs descendants. D'où beaucoupde malheurs parmi les vivants. Les morts neveulent pas être oubliés et délaissés. M. Ber-taut écrit que "les Boulou passent leur vie àse préserver de la mort". Pour eux, la mortest une défaite, c'est un kôn trop puissant quioblige le nsisim à se séparer du corps, lequel,privé de vie, retourne au néant. De ce fait, lamort n'est jamais naturelle. Pendant l'agonie,les parents et alliés essayent par leurs suppli-cations de retenir le nsisim prêt à s'échap-per, attiré par les bekôn.

    Les rites funéraires, comme les croyanceset le culte des ancêtres, des différentes ethniesdu bassin de l'Ogooué ont de nombreusesaffinités. Chez les Fang du Nord-Gabon, Sud-Cameroun et Guinée Equatoriale, la mort estune préoccupation constante (1). La mortn'est jamais naturelle. Elle résulte d'un désé-quilibre des forces de vie provoqué par unecause extérieure qu'il faut découvrir.

    (1) BERTAUT, M. - 1935 - "Le droit coutumier desBoulous"

    GALLEY, S. - 1964 - "Dictionnaire Fang - Français etFrançais-Fang", Neuchâtel.

    ALEXANDRE. A. et BINET, J. - 1958 -j'Le groupe ditPahouin ", Paris

    GREBERT, F. - 1948 - "Monographie ethnographiquedes tribus Fang du Gabon", Paris. .

    TESSMANN, G. - 1913 - "Die Pangwe", BerlinTREZENEM. - 1936 - "NOT~S ethnographiques sur les

    tribus Fang du moyen Ogooué", Paris.

  • Dès la mort, quand les esprits ont emportéle nsisim du malade, c'est une explosion dedouleur: pleurs, cris perçants, femmes égaréeset échevelées qui s'arrachent les vêtements etse griffent la poitrine. Le corps est alorspréparé: lavé et revêtu d'un pagne neuf, il estétendu sur une natte dans le "corps de garde"ou maison commune du lignage. La veilléedure plusieurs jours. Elle s'accompagne dedanses et aussi de ripaille aux frais de lafamille du défunt.

    Les palabres provoqués par la mort sontréglés pendant ce temps. Les grands initiéstentent de déterminer la cause du décès et lesresponsabilités. Une autopsie rituelle peutmême avoir lieu si on soupçonne le défuntd'avoir pratiqué la sorcellerie. L'officiant re-cherche alors dans les viscères du nnem (sor-cier) l'évur qu'il faudra annihiler pour latranquillité des vivants. Si le mort est reconnuavoir été sorcier, il est enterré loin du villageselon un rituel particulier destiné à le neutrali-ser.

    --- Pour les autres, l'enterrement se passe dela manière suivante: le corps, déjà en état dedécomposition avancée, est enveloppé dansdes écorces battues qui tiennent lieu de cer-cueil. Quelques objets personnels sont dispo-sés près du corps, ils seront ensevelis avec lemort.

    Il arrive souvent que l'on mette auprès ducorps un "médicament" éver destiné à fairemourir le meurtrier présumé (meurtrier réelou en intention).

    La fosse, peu profonde, est préparée dansle village même, près des cases, quelquefoismême à l'intérieur de la case si c'est un chefpuissant et respecté. Le corps est placé hori-zontalement, sur le dos. La fosse comblée, onménage une petite cheminée près de la tête ducadavre. Sur la tombe elle-même, les parentsdisposent quelques objets: calebasses, réci-pients de poterie, pagnes, assiettes avec desmets à manger, tabac. G. Zenker mentionneque chez les Ewondo (région de Yaoundé),des sacrifices humains étaient autrefois prati-qués sur la tombe des chefs: esclaves, guer-riers prisonn iers et épouses.

    Le deuil est mené par les femmes dudéfunt. Elles restent entièrement nues avecseulement une touffe de feuilles de bananierséchées comme cache-sexe. S'enduisant tout lecorps d'argile blanche, elles vivent dans unesaleté grandissante pendant plusieurs mois.Elles ne se tressent plus les cheveux. Ellessont enfermées dans une case dont elles nesortent, chaque jour à heure fixe, que pouraller pleurer et se lamenter en choeur sur latombe. Généralement, elles sont battues aucas où elles seraient pour quelque chose dansla mort de leur mari.

    Durant le deuil, plusieurs fêtes sont organi-sées consistant surtout en repas rituels aux-quels sont conviées les âmes des morts à l'aidede la trompe akôm.

    Les regrets et la durée du deuil sontévidemment fonction de la qualité sociale dudéfunt. Seuls les chefs et les hommes richesfont l'objet des rituels puis du culte desancêtres. Ce culte est d'ailleurs provoqué pluspar la crainte des agissements des morts quepar une véritable vénération.

    Si on se souvient de quelques disparusillustres, dont les généalogies chantées rappel-lent les hauts faits, la grande majorité desdéfunts est vite oubliée.

    Selon l'appartenance du défunt à telle outelle confrérie, le rituel change, les in itiésprenant en charge le déroulement des cérémo-nies.

    Chez les Bakota, les rites funéraires nesont pas très différents.

    E. Andersson, dans son ouvrage monogra-phique "Contribution à l'ethnographie desKuta", tomes 1 et 2 (1953 et 1974), donneune description très minutieuse des rituels desBakota du Sud (Haut-Ogooué et régions limi-trophes du Congo). Plus au nord, chez lesBushamaye et les Mahongoué, les rites sont àpeu près identiques (1).

    Les traditions orales racontent qu'autre-fois, les morts n'étaient pas enterrés maisseulement abandonnés en forêt, loin du villa-ge. Ceux qui étaient soupçonnés d'avoir étédes sorciers de leur vivant étaient même soi-gneusement éloignés, le corps précipité dansun ravin profond ou une chute d'eau afin quenul ne puisse en approcher,

    Plus tard, les Bakota pratiquèrent un rituel. d'exposition des morts, du moins pour leschefs, les notables et tous les hommes richeset puissants. Certaines femmes, dignitaires duLisimbou, pouvaient aussi bénéficier de cetraitement,

    Généralement, c'est le chef lui-même, bienavant sa mort, qui choisissait l'endroit où ilserait "exposé": loin du village (au contrairedes Fang qui enterraient leurs chefs dans levillage même), au pied d'un arbre ou au départd'une grosse branche. Le corps n'etait pas laissétel que, il était recouvert de plaques d'écorcebattue et de feuilles. Parfois, on lui ménageaitune sorte de niche entre les racines aériennesdes grands arbres de la forêt.

    Ces pratiques funéraires anciennes aboutis-saient vite à la disparition du cadavre dévoré

    (1} ANDERSSON, E. - 1953 et 1974 - "Contribution àl'ethnographie des Kuta", 1 et Il, Uppsala.

    PERROIS, L. - 1968 - "La circoncision Bakota" ParisPERROIS. L. - 1970 - "Chronique du pays Ko!a ..•.Paris.EVEN' A. - 1937 - "Les confréries secrètes chez les

    Babamba et les Mindassa d'Okondja", Brazzaville.

  • en quelques jours par les animaux et lesinsectes.

    C'est certainement dans le but d'une rela-tive conservation du corps que peu à peu leshabitudes changèrent, surtout en ce qui con-cerne les chefs. Ceux-ci furent par la suite"exposés" sur des plates-formes installées en-tre les arbres, hors de portée des animauxsauvages. Enfin l'inhumation proprement ditefut adoptée. Les tombes des notables pou-vaient même être dallées de grosses pierres.

    Toutefois, pour les gens du commun, lesfemmes et les enfants, les habitudes rudimen-taires anciennes furent conservées longtemps.

    Les morts par accident de chasse, combatentre tribus ou maladie contagieuse étaientinhumés loin des habitations, dans la vased'un marécage ou d'un étang afin d'éviter leretour de leurs fantômes.

    Les rites de funérailles duraient plusieursjours. Dès après le décès, le corps était lavé,habillé d'un pagne d'écorce battue ou deraphia et exposé sur un lit de parade enbambou ou en bois. Tout autour, on disposaitles objets précieux et symboliques lui ayantappartenu: marteau de forge, monnaie de ferou de cuivre, anneaux et colliers de laiton etde cuivre, couteaux de jet, osé/é, cloches, etc.

    Les rites étaient bien entendu plus solen-nels pour les dignitaires des confréries -Mounga/a, Ngoye, Lisimbou -

    La veillée funèbre pouvait durer trois ouquatre jours. C'était l'occasion de faire abon-damment ripaille aux frais de la famille dudéfunt. Plusieurs danses étaient organisées. Celaps de temps permettait aux parents et alliéshabitant loin de venir aux funérailles. Cetteprésence n'était pas une simple règle de bien-séance, c'était souvent une nécessité.

    En effet, tous ceux qui avaient eu affaireavec le défunt et qui avaient eu un conflitavec lui, devaient venir aux funérailles pour seréconcilier définitivement avec lui, sous peined'être par la suite poursuivis inlassablementpar son fantôme.

    C'est ainsi que, pendant le transfert ducorps du village au lieu d'inhumation, tous lesassistants formaient la haie de chaque côté ducortège. Ceux qui avaient encore quelque cho-se à régler avec le défunt arrêtaient le convoipour lui faire un cadeau symbolique (collierde cuivre par exemple) en signe de réconciliation.Tous ces cadeaux revenaient aux membres dela famille.

    Si le corps devenait brusquement "lourd"au point d'immobiliser les porteurs, c'est que

    Fig. 1. - Cadavre flottant enveloppé d'écorces (Alfred Marche, « Voyage au Gabon et sur le fleuve Ogooué », ln: Le Tourdu Monde, Paris, Hachette, 1878, tome XXXVI, p. 295, dessin extrait de l'album de voyage de M.-A. Coffinières deNordeck, enseigne de vaisseau).

  • 1 J'un avait encore quelque faute grave àque qLr en rapport avec le mort: pratique deJvoue ,'Ierie le plus souvent, adultere pour sessorcel , 'l' 1 .. ,es Ce n'est qu apres aveu et a remiseep~u~adeaux que le co:tège I?ouvait repartir.~e cadavre était alors inhume avec quelqu~s~. ts personnels destinés à marquer a la fOIs

    a Je rang social et à lui servir dans le monde desson . ..morts. Sur la tombe, d'autres C?bJets etalentdéposés, en particulier une assiette ou une

    lebasse devant servir aux offrandes. Lesca f . '11'tuels de deuil qui suivent les uneral esri . l'pouvaient durer plusieurs mOIs: p uSleurs an-nées pour quelques chefs pUlssar;ts .. E. An-dersson décrit ces rites dans le detall. .Nousavons retrouvé les mêmes dans la vallee del'lvindo. Le deuil comporte trois ou qua~refêtes successives (Mouboungou chez les Mln-dassa).

    La première fête a lieu juste après l'enter-rement. Son objet est la détermination desinterdits auxquels devront se soumettre lesépouses du défunt: coucher à même le sol, nepas se laver ni se tresser les cheveux; ne pas secouper les ongles; ne pas avoir de rapportssexuels' interdits alimentaires divers.

    Les' fêtes ultérieures, données plusieursmois après, étaient organisées pour rendrehommage non seulement au défunt mais àtoute sa famille. Certains interdits étaient allé-gés ou supprimés. La troisième fête marquaitle début de la fin du deuil. Les épouses repre-naient alors peu à peu leur vie normale, pou-vaient s'habiller, aller aux plantations, cuisi-ner, etc.

    La quatrième et ultime cérémonie, la levéedu deuil intervenait souvent un an ou plusaprès les' funérailles. Chez les Mindass~~ elle senommait "Mouboungou-Ngangoue; ngan-goué est un arbre qui est coupé en forêt ~tqui symbolise le défunt. Le morceau de bOISétait lavé et solennellement exposé, posé surdeux pieux. Dans un lieu de culte un peuretiré du village, yenzé.

    Les rites comportent plusieurs parties:_ le sacrifice divinatoire d'un coq dont lesmodalités permettent de déterminer s'il y a ~ubris d'interdit pendant le deuil ou des confll~santérieurs non régularisés (adu1tèr:..e en parti-culier); .- une veillée au cours de laquelle les Inter-

    dits sont levés;- un bain purificateur des épo~ses du dé~unten présence de l'arbre ngangoue et des bo Ites-reliquaires du Ngoye._ le passage à travers ~~ je~ne arbre fend.u,rite symbolisant la pUrification .e~ la renal~-sance; après le passage des familiers. dU,_de-funt la fente est refermée pour retenir 1amedu ~ort dans l'au-delà et l'empêcher de venir

    rôder auprès du village;- la destruction de l'arbre "ngangoue quisymbolisait le mort: le morceau de bois :~tcassé à coups de hache, c'est la mort defl-nitive;- le sacrifice final d'un coq sur la boîte-reli-quaire dans laquelle on a déjà disposé lesreliques du défunt.

    La religion fondamentale des peuples dubassin de l'Ogooué était le culte familial ren-du aux ancêtres du clan, Dans cette sociétébasée exclusivement sur la parenté, le cultedes ancêtres avait une grande importance surle plan de la cohésion sociale. Les individus sesituent tous par rapport aux défunts du clan,et leur position généalogique règle une grandepartie de leurs comportements quotidiens. Ceculte se caractérisait par le prélèvement et laconservation des crânes des morts illustres dela famille (chefs de clan ou de lignage, féti-cheurs puissants) (1).

    Le culte était rendu dans toutes les gran-des occasions de la vie tribale (naissance, guer-re, famine, chasse, mariage, deuil, etc.) afind'obtenir les bonnes grâces des défunts. Lesossements étaient gardés dans une boîte cylin-drique en écorce chez les Fang ou dans un sacen fibres partout ailleurs. Au-dessus des reli-ques il y avait le plus souvent une statuetteen bois représentant d'une manière visiblel'ancêtre fondateur du clan ou du lignage sui-vant les cas. La sculpture n'était pas une ido-le, mais une simple évocation de l'idée d'an-cêtre clanique. A chaque cérémonie on en-duisait la statue d'huile ou de sang et ondonnait à manger aux défunts. La plus grandemanifestation du culte était l'initiation desadolescents qui devaient subir des épreuvestrès dures avant d'accéder au droit de contem-pler les crânes renfermés dans le reliquaire.

    LE CU LTE DES ANCETRESCHEZ LES FANG, LE BYÉRI

    Répandu dans tout le Gabon jusque vers1920-1930, le culte des ancêtres a aujourd'huicomplètement disparu en tant que tel. Il sub-siste sous des formes dérivées ou clandestinesdans des rituels du Bouiti et du Mé/an et pourdes pratiques répréhensibles liées à la sorcel-lerie.

    Si on demandait souvent aide et protectionaux ancêtres du clan, bimvam, on a vu qu'on

    (1) A ne pas confondre avec le "sorcier" qui, lui, estrejeté de la société. Le "féticheur" est le médecin-guérisseur,j la fois officiant des principaux rituels, mais auss-i grandinitié des différentes confréries initiatiques et chasseur desorciers à l'effacité reconnue.

  • ne rendait par contre aucun culte particulierni à Mebeghe (le dieu créateur), ni à Zame (lepremier ancêtre mythique). Le Byéri, c'est-à-dire l'ensemble reliques-statues, était con-sulté chez les Fang avant toute action impor-tante: chasse, pêche, voyage, choix d'un ter-rain de plantation ou d'un emplacement devillage, mariage, palabre, maladie, guerre, etc.

    C'est le chef de famille, ésa, qui en étaitl'officiant de droit, les autres membres adultesdu clan n'étant que de simples initiés. Lematériel cultu el était constitué par les crânesdes ancêtres masculins du clan, ékakwé nia,gardés dans une boîte cylindrique en écorced'andung par l'aîné du lignage dans une petitecase spéciale, installée à l'écart du village. Onpouvait, dans certaines circonstances, êtreamené à introduire dans les reliques des os-sements de femmes, soit d'une magicienneréputée et redoutée, soit d'une mère de famil-le particulièrement prolifique, devenue de faitchef de famille.

    Ce reliquaire était décoré de perles, decauris et d'emblèmes claniques. Il portait, fi·ché dans son couvercle de bois, une ou deuxstatues de bois, nlô Byéri ou éyema ô Byéri,évoquant le visage et la personne du prem ierancêtre du lignage. A l'occasion du dépla-cement du vi llage ou au cours des engage-ments guerriers, le Byéri pouvait être trans-porté dans un étui spécial en vannerie. Dansla boîte-reliquaire, sur les ossements et lesdivers objets conservés, l'officiant répandait àchaque occasion rituelle de la sciure de boisrouge ba, des feuilles de la fougère nzen, del'huile de palme ji et du sang au moment dessacrifices. Les ossements pouvaient en outreêtre eux-mêmes décorés: incrustation de per-Ies de verre, de boutons de chemise (commer-cialisés très tôt en Afrique sous le nom de"pacotille"), de cauris, de clous de cuivre, defils de laiton, etc. Le reliquaire nsekh ô Byéricontenait en outre des bijoux (colliers, ba-gues, bracelets) en cu ivre ou en fer, parfoisdes cornes à médicaments et une petite cou-pelle de bois destinée aux libations rituelles.

    Le Byéri (reliquaire, reliques, objets rituels,statuette) était strictement éki aux femmes etaux non initiés, c'est-à-dire interdit. La trans-gression de cet interdit entraînait de gravesconséquences pour le curieux ou l'imprudent:mort sur place, maladie un peu plus tard,paralysie ou cécité. Seule une initiation rapi-de, même pour une femme, précédée d'unepurification, pouvait réparer l'outrage et apai-ser la colère du Byéri.

    A la création d'un nouveau village par uncadet de famille, le nouveau Byéri était cons-titué par quelques fragments du reliquaire del'ésa du clan, celui-ci gardant les crânes detous les ancêtres jusqu'à celui du fondateur dela lignée.

    Le premier crâne entier (sans la mâchoireinférieure) à entrer dans le reliquaire neuf seracelui du fondateur du nouveau village, quideviendra lui-même ésa après avoir été nta/,l'aîné du lignage. Cette manière de constituerun Byéri était la plus simple et la plus licite,mais bien souvent, la mésentente et les rivali-tés divisant ia famille, il fallait ruser pourarriver à avoir son propre Byéri. Le nombrede crânes contenus dans le nsekh ô Byériétait le signe de l'ancienneté du lignage, ildonnait des privilèges sur le plan de la tribu,en procurant autorité et richesse. Tous lesdignitaires fang avaient une généalogie impor-tante pouvant remonter à plus de vingt géné-rations, (dont la moitié plus ou moinsmythiques). Leur Byéri en conséquence, étaitla plupart du temps très fourni. Ainsi idéale-ment, chaque reliquaire dépendait d'une séried'autres qui aboutissaient à l'ancêtre primor-dial. Les migrations et les guerres intertribales,les querelles de femmes et les rivalités d'auto-rité ont évidemment, au cours des siècles,bouleversé cette hiérarchie familiale. Seuls, audébut du XXe siècle, quelques chefs très puis-sants avaient encore des Byéri contenant quin-ze ou vingt crânes. Pour tous les autres, il n'yen avait que quatre ou cinq ou même quel-quefois de simples fragments.

    Le crâne est le siège de la force de vie del'individu et tous les crânes sont utilisablesdans les rituels de magie ou de sorcellerie,qu'ils soient d'un parent ou d'un ennemi, mê-me d'une femme ou d'un esclave. Pour lescérémon ies propitiatoi res, 1iées à la chasse, onse servait aussi de crânes d'animaux: panthère,antilope, gorille. Les crânes demandaient àêtre "nourris" à chaque séance de culte par lesacrifice d'une poule ou d'un cabri ou l'of-frande d'un morceau de viande de chasse.L'officiant versait le sang sur le crâne. Lesfemmes préparaient aussi la nourriture habi-tuelle du village: manioc et banane, l'ancêtremort ou l'esprit du mort étant considéré com-me faisant partie intégrante du lignage etdonc son protecteur depuis l'au-delà. L'offi-ciant sortait ensuite de la case du Byéri pourlaisser les ancêtres profiter d'une manièreimmatérielle des offrandes qu'on leur avaitfaites.

    Le lendemain, les initiés venaient chercherces aliments pour les manger rituellement. Cen'est que la nuit suivante qu'un des initiéspouvait voir en rêve la solution du problèmeposé par la communauté au Byéri, souventsous l'influence de la drogue alan,

    Le Byéri servait aussi dans d'autres rituelsinitiatiques, tels ceux du Sô et du Ngil.

    Le rôle propre de la statue ou de la têtede bois sculpté, qui pouvaient dans certainsgroupes être remplacées par une simple touffede plumes de touraco, semble avoir été assez

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  • minime. Il consistait surtout en une"évocation physique" de l'ancêtre fondateurdu reliquaire et de la lignée familiale. Acces-soirement, la statue pouvait avoir une fonc-tion magique de "protection", soit parl'adjonction d'un médicament approprié (logédans une petite corne ou une coupelle tenuedans les mains du personnage), soit simple-ment par la force de son regard de cuivre oula fixité de son attitude, tendue et méditative,assez effrayante pour le néophyte ou l'étran-ger, par crainte des esprits des morts com-me dans tout le monde animiste.La statue était enduite d'huile de palme ou

    de ji à chaque manifestation rituelle, au mêmetitre que les crânes, bien que les initiés sus-sent qu'elle n'était qu'un morceau de boistaillé.

    Ainsi l'objet sculpté n'était-il que lesymbole public et apparent d'une force habi-tuellement tenue secrète et manipulée à l'é_cart. C'est ainsi que toutes les cérémoniesprenaient un double aspect. Les officiants etgrands initiés participaient loin en brousse auxrituels particuliers et secrets (exposition descrânes, sacrifices, banquet communautaire,etc.) tandis que les autres membres du grou-pe, initiés et néophytes, pouvaient de loin etderrière les cases, assister à la manifestationdu Byéri pendant laquelle on fait danser lesstatues en les agitant derrière et au-dessusd'un rideau de feuilles. Cette partie publiquedu rituel, destinée à montrer l'importance so-ciale de la confrérie d'initiés et la cohésion duclan, était aussi indispensable que l'autre quiconstituaient l'essentiel du culte.

    LE RITUEL INITIATIQUEDU BYERI ET DU MELAN

    En dehors des rites propitiatoires liés à lachasse ou à la guerre, les manifestations cultu-relles du Byéri étaient principalement les ini-tiations, les séances de divination et de guéri-son.

    Dans la région nord du Ntem, au Gabon etau Sud-Cameroun, l'initiation du Sô avait lieupériodiquement. Elle était dirigée par un nota-ble riche qui déléguait son autorité à un offi-ciant qualifié appelé mfek Sô. Sô est le nomde la grande anti lope rouge qui sèmble avoirété le totem tribal des Fang du Nord. AuSud-Cameroun, chez les Ntoumou, les Mva ï etles Béti, le Byéri n'était qu'un rituel annexedu Sô. On ne montrait les reliques que poursituer le candidat par rapport à sa famille parla connaissance de sa généalogie. Le thèmecentral des cérémonies était la "mort du SÔ"et la "renaissance de l'Homme". Les néo-phytes devaient subir des épreuves destinées àles endurcir et à recevoir un enseignement de

    caractère guerrier et sexuel. Ils ne pouvaientparticiper à la présentation des crânes du Byéri .qu'après avoir été initiés au Sô. Ce rituel étaitcomplété· par la manducation de l'a/an quipermettait d'obtenir des visions hallucinatoiresde caractère divinatoire.

    Au Gabot1, dans la région d'Oyem, l'initia-tion du Byéri se nomme Ku Mé/an du nom dela plante qui est utilisée. Elle dure une se-maine environ (1). Il faut d'abord aller cher-cher les racines d'a/an et les préparer, cons-truire la case du Byéri, ngun Mé/an, et invitertous les parents mâles initiés des environs. Lamusique joue un rôle important tout au longde la fête. L'orchestre est composé du xylo-phone sur tronc de bananier (medzangmakora), du tambour à membrane (mbé),du tambour à lèvres (nkul) et des baguettesfrappées (bikwèryè). On peut avoir en outrequelques xylophones portatifs (medzangméyékabanJ.

    L'initiation comprend trois parties:1) La purification des candidats et de tous les

    assistants (initiés ou non);2) L'absorption de l'a/an et la catalepsie hal-lucinatoire;3) La danse des statues du Byéri et l'exposi-

    tion des reliques.La veille du jour de l'initiation ou de la

    cérémonie de guérison, les initiés vont en fo-rêt chercher l'a/an. La racine de la plante estsoigneusement pelée. C'est l'écorce de la ra-cine qui sert d'excitant. Cette écorce estcoupée en petits morceaux. Elle sera longue-ment mâchée puis avalée par les patients afind'aboutir à un état de transe hallucinatoire.L'effet n'est pas long à se déclarer; il dureensuite environ trois ou quatre heures.

    Les reliquaires du Byéri et les statues ontété apportés dès le début des fêtes par leschefs de lignage. Ceux-ci en arrivant donnentl'air de succomber sous la charge écrasantedes ancêtres; c'est une attitude dévote enversles reliques.

    Au début de la cérémonie, le ngengang,officiant choisi pour ses connaissances desherbes et son savoir-faire, asperge chacun surla tête et sur la poitrine à la hauteur ducœur, d'un médicament appelé étokh. Chacundoit ensuite boire une gorgée de cette prépa-rati on d'herbes.

    Le rite a pour but de délivrer tous lesassistants et les néophytes des mauvais espritsqui pourraient les empêcher de voir le Byériou provoquer des réactions dangereuses. Ceuxqui se trouvent sans protection spéciale de-vant le 8yéri risquent rien moins que la mort.Le rite s'appelle awore nyo (la purification).

    (1) Ce rituel existe encore; c'est certainement l'ultime ma-nifestation traditionnelle et authentique du 8yéri.

  • Fig.·2. - Culte des ancêtres à Ebéangon (Sud Cameroun). Présentation des crânes des ancêtres sur le lieu de culte (extraitde G. Tessmann, Die Pangwe, Abb. 47, p. 123, rééd. 1972).

    La deuxième partie de la cérémonie consis-te à faire les sacrifices qui vont "nourrir" leByéri et à manger l'a/an qui permettra d'en-trer en relation avec les morts. Le sang despou lets et des cabris cou le su r les ossements.L'officiant enduit la statue de bois d'huile deji. Ainsi le Byéri sera satisfait et prêt à semanifester aux néophytes. Assis sur un troncde bananier, symbole de vie, les candidatsmâchent longuement les écorces d'a/an. Pou raccélérer l'action de la drogue, ils peuvent semettre à danser. Au bout d'une heure oudeux les jeu nes gens s' évanou issent. Ils peu-vent rester dans ce coma pendant quelquesheures, gardant une raideur cadavérique. Auréveil, chacun expliquera les visions qu'il aeues pendant son rêve: interdit à observer,sacrifice à faire, prévision de l'avenir, etc.

    Après avoir vu le Byéri en rêve, les candi-dats vont contempler les crânes des ancêtres,alignés sur les feuilles de bananiers, dans l'en-clos du Mé/an. Le chef nomme chacun desossements en situant les personnages dans lagénéalogie du clan. Après ce rite, on "animeles morts" en faisant danser les statues et lestêtes, abondamment décorées de colliers et deplumes, derrière un pagne tendu entre deuxarbres, certaines statues sont même articuléesavec des bras démontables. Le Byéri, ainsi

    nourri du sang des sacrifices et réanimé par ladanse et la musique, sera favorable à la nou-velle promotion d'initiés. Enfin, les candidatssont tenus au secret absolu sur tout ce qu'ilsont vu et appris.

    La statue n'a pas de rôle primordial dansles rituels du Mé/an. Ce sont les reliques quisont au centre des cérémonies. L'objet de boisn'est que le support matériel de l'idée qu'onse fait des ancêtres. Il sert à recréer l'imagedes morts et à leur redonner une sorte de viesymbolique.

    Il faut aussi constater que les formesmêmes de la statue n'ont aucune importancedans le rite. Il devait certainement en être demême autrefois. Il s'agit simplement que lastatue ait un aspect conforme à la tradition età la signification qu'on lui donne, c'est-à-direidentifiable comme Byéri de tel ou tel lignage.L'artiste restait donc seul, face à l'oeuvre deses mains; l'objet était sa création mais n'étaitsignifiant que s'il présentait certaines carac-téristiques précises. Le critère strictementesthétique est fondu dans l'émotion sacrée quis'empare des initiés au moment de l'absorp-tion des écorces d'a/an et de la danse desstatues.

    Le culte des ancêtres des Bakota, tantceux du sud que ceux du nord, est l'ex-

  • Fig. 3. Culte des ancêtres à Ebéangon (Sud Cameroun). On fait danser les crânes d'ancêtres autour d'une gerbe dedifférentes plantes médicinales (extrait de G. Tessmann, ibid., Abb. 48, p. 125).

    pression rituelle des croyances que nous avonsévoquées plus haut. Deux éléments matérielsretiennent l'attention: les figurines sculptées,d'inspiration anthropomorphe, et les boîtesreliquaires qu'elles surmontent. Les reliquaireskota sont de deux sortes, d'une part les pa-niers en rotin tressé, utilisés dans le cultefamilial des ancêtres, et d'autre part les bo Îtesen écorces (comparables à celles utilisées parles Fang) qui, d'après Andersson, seraientréservées au culte funéraire de la sociétéd'initiés Ngoveh.

    Les paniers de crânes (musuku mwanguduou usuwu ngu/u (1) en dialecte ambamba)conservés dans les musées occidentaux sontrares. De plus, on n'est pas toujours sûr quedes ensembles figurines et boîtes-reliquairessoient bien appariés, étant donné- les dif-ficultés qui ont toujours existé pour voir et àplus forte raison acquérir ces tombeaux por-tatifs.

    Les reliquaires contenaient non seulementdes crânes mais aussi beaucoup d'autres os:vertèbres, phalanges, clavicules, etc. Il semblelogique de penser (à défaut d'informationsformelles à ce sujet) que les morts illustres(dans les reliquaires familiaux ou du Ngove)étaient représentés par des crânes (entiers oufragments) et les personnages moins im-

    portants par d'autres ossements moins volu-mineux. Ces crânes pouvaient être décorés decauris, de clous de cuivre ou de morceaux demiroi r. Ces ornements servaient à donner dela force magique aux morts et dans certainsrituels à les réanimer (en particulier les déco-rations orbitaires destinées à faire revivre leregard du mort).

    Les morts qui avaient l'honneur d'êtrechoisis pour enrichir la boîte à crânes, n'é-taient pas n'importe qui. Seuls des morts il-lustres et indemnes du moindre soupçon desorcellerie pouvaient être choisis. Si on éli-mine, en plus, tous ceux qui, socialement,n'étaient pas dignes de participer au culte, ilne restait plus que quelques grands chefs. Cequi explique le nombre souvent assez restreintdes crânes dans les reliquaires.

    1) Moulu ngulu (mboulou-ngoulou) signifie littéralement"paquet-reliquaire avec une figure". Le mot ngoulou (ngunuselon K. LAMAN. nvèlu selon PERRON) siqnifie forme,figue, image d'ancêtre donc. Mboulou ou Mbolou (Bakotade \~akokou) signifie paquet. On ne peut donc parler, pourdésgner une sculpture, d'un mboulou. Il faut employer leter~e de ngoulou ou encore de boho (pl. moho) qui signifie"face" ou "visage" en dialecte kota. On parle alors de boho-n:rBwefé c'est·à·dire la figurine d'ancêtre du culte bwété.

  • En plus des crânes humains, les panierscontenaient des ossements d'animaux et unnombre impressionnant d'autres petits objets:coquillages, graines, fruits, petits bijoux, cau-ris, perles de verre, etc., liés à des pratiquesmagiques,

    Chez les Mahongoué de Mékambo, le motBwété (1) désigne à la fois le culte des ancê-tres, les reliques qui sont conservées dans lepanier en vannerie et la figure de bOis et decuivre qui est au-dessus (boho-na-bwété: laface du Bwété). Le Bwété était conservé dansune petite pièce - une sorte de placard -spécialement aménagée dans ce but au fondde la case du chef de famille (lignage ou clan).

    La figure sculptée était attachée par desfibres végétales tressées sur le panier,

    Dans le récipient on mettait des fragmentsde crâne comme chez les Fang, mais (et c'estla particularité des Mahongoué) les os étaientsouvent plaqués de feuilles de cuivre ou delaiton. Les phalanges portaient de nombreusesbagues de cuivre, les os longs étaient entourésde fils métalliques torsadés en ressort. A côtéde ces reliques on trouvait des objets décora-tifs en cuivre travaillé, surtout des bagues et

    . des bracelets, ainsi que de petits tortillons deforme biconique (2).

    Les ancêtres représentés étaient les mâlesles plus célèbres du clan (dont on a viteoublié les noms au-delà de cinq ou six généra-tions) et certaines femmes exceptionnellementprolifiques. Les ossements de jumeaux étaientégalement très prisés car la gemellité, chez lesMahongoué, est signe de richesse et de chan-ce.

    Le culte était rendu par le chef du clan oudu lignage: il invoquait le Bwété pour fairebonne chasse, obtenir la richesse matérielle,conserver ou recouvrer la santé, acquérir duprestige et avoir de nombreux enfants, surtoutdes filles à la fois source de vie nouvelle et derichesse (par le biais de la dot). Les pratiquesrituelles consistaient d'une part en libations etoffrandes de nourriture (bananes cuisinées,manioc et surtout viande) et en sacrifices san-glants d'autre part (volailles~ et cabris). Aulendemain de l'offrande, les notables du clan5e réunissaient pour manger cérémoniellementles restes du festin sacré.

    Théoriquement seul le nganga était habilitéà manier le Bwété mais tel ou tel membremasculin du groupe pouvait rêver que les an-cêtres lui demandaient à lui particulièrement,de faire un sacrifice ou une offrande. Dans cecas le pouvoir sacramentel de l'officiant pou-vait être délégué.

    Quand il fallait initier les jeunes gens d'unefamille, le patriarche rassemblait tous les clansde sa parenté et chaque dignitaire du Bwétéapportait les reliques et les figurines de son

    groupe (1). Après les cérémonies propitiatoiressecrètes et les différentes épreuves à caractèremagique qui se déroulaient en brousse (cesrites ayant surtout pour but de protéger lenéophyte de la puissance des reliques), tousles paniers rituels auxquels étaient fixées lesfigurines étaient rassemblés dans la cour duvillage, devant l'assemblée de tous les parents,hommes, femmes et enfants. Puis chaquedignitaire dansait à son tour en tenant lepanier du Bwété dans ses mains. Le danseurétait habillé d'un pagne de raphia, de colliersde cuivre et de perles, et coiffé d'une grosse.touffe de plumes de touraco. Après cette dé-monstration publique destinée à inspirer lerespect des ancêtres à tous les membres de lasociété, petits et grands, chacun repartait dansson village avec son panier-reliquaire.

    Le Bwété était ainsi au centre de la vie dugroupe clanique. En dehors de l'initiation quipermettait d'intégrer de nouveaux membresdans la société (l'initiation au Bwété pouvantêtre liée ou pas à la circoncision, satsi, qui entous cas devait la précéder obligatoirement),une autre des fonctions du Bwété, fonctionlatente cette fois, était d'être l'occasion derassemblements périodiques du clan puisquechacun d'eux conservait un seul reliquairebien qu'il y ait eu bien souvent deux oumême trois figurines sculptées au-dessus desossements.

    Les rites et croyances funéraires, dans tou-tes ces ethnies forestières de l'Afrique Cen-traie, du Sud-Cameroun au Congo, ont été aucentre de la vie religieuse, philosophique etculturelle. Le sacré et l'art, les techniquesdivinatoires et la liturgie, la musique et ladanse, tout gravitait autour de la terrible réa-lité de la mort.

    Peut-on di re qu'avec l'évolution des menta-lités, l'abandon des rites anciens et la dispari-tion de l'art plastique, cette préoccupation aitquitté les esprits? Rien n'est moins sûr. Fa-miliers et omniprésents, les défunts restentcomme par le passé en communauté spi-rituelle avec les vivants.

    (1) Cf Bwï,ti (L. Siroto) ou M'bouéti (J. Kercharche, etC. Roy), Par commodité, on conservera ici le terme Bwéléqui se prononce "Bouété".

    (2) L'administrateur Millet parle de perles de cuivre quiauraient eu une certaine efficacité magique dans les ritesd'initiation des M'boko du district de Kellé (Congo-Brazza-ville!. Pendant la réclusion qui suit l'opération, le nouveaucirconcis portait à la ceinture un anneau de cuivre auquel onavait lié le prépuce. Peut-être est-ce là une indication sur lafonction des objets qui, à Mékambo, ont été trouvés mêlésaux reliques 7 (Dossier Technique du Musée de l'Homme,Paris. n° 51 96!.

    (1) D'après Andersson, il semble qu'il existait aussi desreliquaires particuliers à la confrêrie du Ngoye (sans figurinesculptée) qui étaient gardés par les initiés de cette confrérie,du moins chez les Mindassa et Bawoumbou.

  • Fig.4. - Reliquaire sango (Gabon, Haut-Ogooué) en bois, cuivre, peau et vannerie. Haut. : 58 cm. Une attache en fibres àl'arrière et deux courtes anses tressées laissent à penser que cet objet devait être véhiculé, sinon exhibé. La «jupe» faite delamelles de peau découpées et roulées dissimule en partie le panier de rotin dans lequel sont co'nservés des ossements:vertèbres et radius humains. Entrée au Musée d'Ethnographie du Trocadéro en 1897, cette pièce rare, parce que complète, aété enregistrée, sur les indications' du collecteur, comme «fétiche M'boueti, panier surmonté d'une statuette à face decuivre et contenant quelques ossements de chacun des derniers chefs ayant commandé le village». M'boueti signifie certai-nement bweté, nom d'un reliquaire chez les Mahongwe notamment. M.H. 97.39.1, don Charles Roche (ci. Musée del'Homme, J. Oster).

  • Fig.1 . - Les deux veuves de Lewan et leurs cinq enfants, dépouillés de tous leurs ornements, assistent à la préparation durepas rituel (ci. Musée de l'Homme, S. Tornay J.