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UNIVERSITE DE BOURGOGNE
UFR Droit et Sciences Politiques
THSE
Pour obtenir le grade de Docteur de lUniversit de Bourgogne
Discipline : Droit Public
par
douard Bdarrides
le 5 dcembre 2014
Rviser la constitution Une histoire constitutionnelle franaise
Directeur de thse Professeur Patrick Charlot
Membres du jury : Patrick Charlot, Professeur lUniversit de Bourgogne (directeur) Eric Desmons, Professeur lUniversit Paris XIII Marcel Morabito, Professeur SciencesPo Paris, ancien recteur dacadmie (rapporteur) Bernard Quiriny, Professeur lUniversit de Bourgogne Patrice Rolland, Professeur lUniversit Paris XII (rapporteur )
LUnivers i t de Bourgogne
nentend approuver ni dsapprouver l es opinions mises dans ce t t e thse .
Ces opinions doivent tre considres comme propres l auteur .
Cest X.
Et c es t C. !
7
Remerciements
Tout dabord, je remercie sincrement le professeur Patrick Charlot. Sa disponibilit a
permis de dissiper quelques-unes de nos errances. Cette recherche porte ainsi la marque de ses
conseils formateurs et de sa confiance stimulante qui ont t vcus comme autant
dencouragements lautonomie.
Par ailleurs, Monsieur le Comte et Double R. mritent des remerciements spciaux, et
profonds. Je leur adresse avec toute mon amiti.
Il serait enfin trop long de citer toutes celles et ceux qui ont compt au cours de ces cinq
dernires annes. Rencontres phmres ou compagnons de recherche, crire ici ce que leur doit
ce travail serait rducteur. Alors, entre Strasbourg et Dijon, que tous ceux qui ont partag cafs,
demis, savoirs ou expriences, soient vivement remercis la hauteur du plaisir que jai
finir ma thse .
9
Liste des abrviations
AHRF Annales Historiques de la Rvolution Franaise
AP Archives Parlementaires
APD Archives de Philosophie du Droit
CC Conseil constitutionnel
CE Conseil dEtat
coll. collection
dir. direction
d. dition
EDCE Etudes et Documents du Conseil dEtat
Ibid. Ibidem
JOEF Journal Officiel de lEmpire Franais
JORF Journal Officiel de La Rpublique Franaise
LGDJ Librairie Gnrale de Droit et de Jurisprudence
LPA Les Petites Affiches
MU Moniteur Universel
op. cit. / art. cit. opus citatum / article cit
p. / pp. page / pages
PUAM Presses Universitaires dAix-Marseille
PUF Presses Univertaires de France
RDP Revue du Droit Public et de la science politique en France et ltranger
repod. reproduit
RFDA Revue Franaise de Droit Administratif
RFSP Revue Franaise de Science Politique
RHD Revue dHistoire du Droit
RHMC Revue dHistoire Moderne et Contemporaine
RIDC Revue Internationnale de Droit Compar
RIHPC Revue Internationale dHistoire Politique et Constitutionnelle
RPII Revue Politique des Ides et des Institutions
s. suivantes
spc. spcialement
trad. traduit
11
Sommaire
Premire Partie - Protger la Constitution
Titre un. La protection idalise
Chapitre un. La protection organise par les textes constitutionnels (1789-1799) Chapitre deux. La protection dvoye par la pratique constitutionnelle (1799-1815)
Titre deux. La protection ralise
Chapitre un. Les alas de la protection (1814-1848) Chapitre deux. La passion de la protection (1848-1851)
Seconde Partie - Amliorer la constitution
Titre un. Lamlioration intgre
Chapitre un. Limplantation de lamlioration (1851-1870) Chapitre deux. Lobsession de lamlioration (1870-1939)
Titre deux. Lamlioration banalise
Chapitre un. Lamlioration totale (1940-1958) Chapitre deux. Lamlioration frquente (1958 nos jours)
13
Introduction
15
Depuis sa dcouverte par labb Sieys1 qui lattribuait la Nation, le pouvoir constituant
occupe une place emblmatique en droit constitutionnel franais. Cest en vertu de ce pouvoir
qu larticle 28 de la Dclaration des Droits de lHomme et du Citoyen de 1793 ont t affirms
les principes qu Un peuple a toujours le droit de revoir, de rformer et de changer sa
Constitution et qu Une gnration ne peut assujettir ses lois les gnrations futures. Les
rgimes bonapartistes affirmaient aussi instaurer et modifier les constitutions de leurs Empires en
faisant appel au pouvoir constituant du peuple. Enfin, si les monarchies censitaires sen mfiaient,
elles nont pu contenir une tradition rpublicaine qui, elle, sen est empare chaque
proclamation dune nouvelle Rpublique.
Ainsi, toutes les rvolutions, tous les changements de constitutions qui ont ponctu
lhistoire constitutionnelle franaise des XIXme et XXme sicles sont rputs tre luvre du
pouvoir constituant. Ce qui est rendu possible grce une acception de la thorie de la
reprsentation o le reprsentant exerce les droits du reprsent exactement comme si ce dernier
agissait directement2. Il en rsulte un rapprochement systmatique entre pouvoir constituant et
constitution, de sorte que ds que se pose la question de changer ou de modifier la constitution,
lappel au pouvoir constituant semble incontournable. Seule la distinction terminologique
propose par le doyen Bonnard3, en 1942, a pntr le droit constitutionnel franais. Elle propose
de distinguer le pouvoir constituant originaire qui initie lordre constitutionnel, du pouvoir
constituant driv qui intervient une fois cet ordre tabli. Elle perptue nanmoins une
certaine unit du pouvoir constituant et la conception illimite de sa comptence, quil soit
1 Sieys, Quest-ce que le Tiers-Etat ?, Paris, [s.n.], 1789, 227 p. 2 Voir sur ce point C. Clavreul, Linfluence de la thorie dEmmanuel Sieys sur la thorie de la reprsentation en droit public, Thse, Paris, 1982, 665 p. 3 R. Bonnard, Les actes constitutionnels de 1940, Paris, LGDJ, 1942, 180 p.
16
originaire ou driv . Aujourdhui encore, cette acception du pouvoir constituant domine la
rflexion en droit constitutionnel franais, comme en attestent deux dcisions du Conseil
constitutionnel par lesquelles cette doctrine pntre en droit positif.
Par la premire dcision, du 2 septembre 1992, le Conseil nona que sous rserve,
dune part, des limitations touchant aux priodes au cours desquelles une rvision de la
Constitution ne peut pas tre engage ou poursuivie, qui rsultent des articles 7, 16 et 89, alina 4,
du texte constitutionnel et, dautre part, du respect des prescriptions du cinquime alina de
larticle 89 en vertu desquelles la forme rpublicaine du gouvernement ne peut faire lobjet dune
rvision, le pouvoir constituant est souverain 4. Par une seconde dcision, du 26 mars 2003, le
Conseil constitutionnel prcisa quil ne tient ni de larticle 61, ni de larticle 89, ni daucune autre
disposition de la Constitution le pouvoir de statuer sur une rvision constitutionnelle 5. Il
rpondait ainsi implicitement aux interrogations souleves par la dcision de 1992 en laissant le
pouvoir appel rviser la constitution, libre de tout contrle. Autrement dit, leffectivit des
rserves qui simposent ce pouvoir ne dpend que de lui-mme. Il sagirait donc dun organe qui
dispose de sa comptence, comme le Conseil laffirmait ds 1992.
Pour cette raison principale, la premire dcision du Conseil constitutionnel a renouvel
la rflexion de la recherche juridique concernant le pouvoir constituant en France. Dune part, sil
sagit dun pouvoir souverain, aucune rserve ne peut limiter son action et lon se demande alors
quel est le pouvoir que dsigne le Conseil constitutionnel lorsquil affirme que sous rserve ()
le pouvoir constituant est souverain 6. Dautre part, si des rserves simposent effectivement ce
pouvoir, qui est le seul habilit modifier la constitution, faut-il en dduire quelles sont
immuables ? Si tel est le cas, forment-elles une supraconstitutionnalit ? A partir de ces questions,
le dbat sest structur en deux tendances majeures.
4 Dcision n 92-312 DC du 2 septembre 1992, considrant 19. 5 Dcision n 2003-416 DC du 26 mars 2003, considrant 2. Pour mmoire, article 61 : Les lois organiques, avant leur promulgation, les propositions de loi mentionnes larticle 11 avant quelles ne soient soumises au rfrendum, et les rglements des assembles parlementaires, avant leur mise en application, doivent tre soumis au Conseil constitutionnel qui se prononce sur leur conformit la Constitution. / Aux mmes fins, les lois peuvent tre dfres au Conseil constitutionnel, avant leur promulgation, par le Prsident de la Rpublique, le Premier ministre, le prsident de lAssemble nationale, le prsident du Snat ou soixante dputs ou soixante snateurs. / Dans les cas prvus aux deux alinas prcdents, le Conseil constitutionnel doit statuer dans le dlai dun mois. Toutefois, la demande du Gouvernement, sil y a urgence, ce dlai est ramen huit jours. / Dans ces mmes cas, la saisine du Conseil constitutionnel suspend le dlai de promulgation. 6 Dcision n 92-312 DC du 2 septembre 1992, considrant 19.
17
Lune, dinspiration positiviste7, refuse de reconnatre une quelconque
supraconstitutionnalit parce que, prcisment, le pouvoir constituant est souverain : cette qualit
empche logiquement que certaines dispositions constitutionnelles puissent chapper la
modification quil envisagerait pour elles, et plus forte raison, que ses dcisions soit contrles.
Cette doctrine craint de ne pas respecter le droit du peuple de revoir et de rformer sa
constitution sil en allait autrement.
Lautre8, prend le contre-pied de chacune de ces rponses : si des rserves existent, elles
simposent au pouvoir appel rviser la constitution comme chacun des pouvoirs constitus.
Ce pouvoir ne peut donc tre valablement considr comme souverain et il ny a, ds lors, rien de
problmatique ce que certaines dispositions constitutionnelles soient dclares intangibles.
Enfin, un contrle des lois de rvision apparat non seulement possible mais aussi souhaitable car
cest le propre de la constitution que de fixer des limites. Ce contrle en serait la garantie. Notons
quau sein de cette seconde opinion, il est un courant particulier que lon qualifiera de
jusnaturaliste, en raison de lide qui le distingue : llvation des limites la rvision
constitutionnelle au rang de normes supraconstitutionnelles 9.
7 Pour illustrer le refus de la supraconstitutionnalit et la comptence illimite du pouvoir de rvision de la constitution, voir : B. Genevois, Les limites dordre juridique lintervention du pouvoir constituant , RFDA, 1998, n 5, pp. 909-921 ; G. Vedel, Souverainet et supraconstitutionnalit , Pouvoirs, n 67, 1993, pp. 79-97. Pour des critiques neutres ou favorables de la dcision DC n 92-312 du Conseil constitutionnel, se reporter : R. Badinter, Le Conseil constitutionnel et le pouvoir constituant , Liberts : Mlanges en lhonneur de Jacques Robert, Paris, Montchrestien, 1998, pp. 217-225 ; L. Favoreu, Souverainet et supraconstitutionnalit , Pouvoirs, n 67, 1993, pp. 71-77 ; du mme, Le Parlement constituant et le juge constitutionnel , La Rpublique : Mlanges en lhonneur de Pierre Avril, Paris, Montchrestien, 2001, pp. 235-242. 8 Voir, O. Beaud, La souverainet de lEtat, le pouvoir constituant et le Trait de Maastricht , RFDA, 1993, n 6, pp. 1045-1068 ; du mme, Le souverain , Pouvoirs, n 67, 1993, pp. 33-45 ; O. Jouanjan, La forme rpublicaine du gouvernement, norme supraconstitutionnelle ? , La Rpublique en droit franais, sous la dir. de B. Mathieu & M. Verpeaux, Paris, Economica, 1996, pp. 267-287 ; V. LHte, La forme rpublicaine du Gouvernement lpreuve de la rvision constitutionnelle de mars 2003 , RDP, 2004, n 1, pp. 111-138 ; M. Vonsy, Le Parlement constituant nest pas souverain , RDP, 2007, n 3, pp. 793-815. 9 Pour la dfense de la notion de supraconstitutionnalit, voir S. Arn, Existe-t-il des normes supra-constitutionnelles ? , RDP, 1993, n 2, pp. 459-512. Pour une acception large de la notion, voir G. Zagrebelsky, La supraconstitutionnalit en tant que prsupposition historico-culturelle de la constitution , RIDC, 1993, vol. 15, pp. 451-459. Par ailleurs, sur la distinction positivisme/naturalisme, voir les entres positivisme juridique et nature dans le Dictionnaire de philosophie juridique, sous la dir. de Ph. Raynaud & S. Rials, Paris, PUF, 2me d., 1998. Se reporter galement G. Ripert, Droit naturel et positivisme juridique, comment par P. Jestaz, Paris, Dalloz, coll. tir part, 2013, 61 p. Voir enfin la position du professeur Troper qui assimile toute position non positiviste du jus naturalisme : Tout rcemment, en France, aprs la dernire rvision de la constitution, on a pu lire de semblables appels une distinction entre constitution et lois constitutionnelles permettant le contrle de celles-ci au regard des droits fondamentaux. On peut penser ce que lon veut de lopportunit dune telle solution, mais il nest pas permis de la prsenter comme dcoulant de quelque forme que ce soit du positivisme juridique. Il sagit tout simplement de la vieille justification jusnaturaliste du pouvoir. , La notion de principes supraconstitutionnels , RIDC, vol. 15, 1993, p. 355.
18
La deuxime dcision du Conseil, celle du 26 mars 2003, aurait pu clre le dbat puisquil
y dclina sa comptence pour contrler les lois de rvision constitutionnelle. Bien au contraire,
cette dcision a permis denrichir le dbat relatif ltendue de la comptence du pouvoir
constituant par de nombreux articles10 et de le resserrer simultanment sur ltude du rle et de la
comptence du Conseil constitutionnel11. Plusieurs thses de doctorat sont aussi venues dtailler
la doctrine qui dfend lexistence du pouvoir de rvision et le reconnaissent comme le titulaire
dune comptence, assurment limite car confre par la constitution, l o le pouvoir
constituant est rput agir sans limite.
La plupart se sont inscrites dans la ligne des travaux prcurseurs du professeur
M.-F. Rigaux12. A laide dapproches diffrentes mais qui se rclament toutes des mthodes
10 O. Beaud, Un plaidoyer modr en faveur dun tel contrle , CCC, n 27, 2010, www.conseil-constitutionnel.fr ; G. Bergougnous, A propos de la loi constitutionnelle du 25 mars 2003 relative au mandat darrt europen ; une rvision constitutionnelle en cacherait-elle une autre ? , RDP, 2003, pp. 809-829 ; J.-P. Camby, Supra-constitutionnalit : la fin dun mythe , RDP, 2003, pp. 671-688 ; G. Carcassonne, Un plaidoyer rsolu en faveur dun tel contrle sagement circonscrit , CCC, n 27, 2010, www.conseil-constitutionnel.fr ; D. Chagnollaud, Sherlock Holmes la poursuite du pouvoir constituant (aprs la dcision n 2003-469 DC du Conseil constitutionnel du 26 mars 2003) , LPA, 20 octobre 2003, n 209, pp. 4-6, LPA, 21 octobre 2003, n 210, pp. 4-6, LPA, 22 octobre 2003, n 211, pp. 4-6, LPA, 23 octobre 2003, n 212, pp. 5-10 ; F. Chaltiel, La souverainet du pouvoir constituant driv : dveloppements rcents ( propos de la dcision n 2003-469 DC du Conseil constitutionnel du 26 mars 2003) , LPA, 20 juin 2003, n 123, pp. 7-9 ; J.-P. Derosier, Enqute sur la limite constitutionnelle : du concept la notion , RFDC, n 76, 2008, pp. 785-795 ; P. Dollat, Le principe dindivisibilit et la loi constitutionnelle relative lorganisation dcentralise de la Rpublique franaise : de ltat unitaire ltat uni , RFDA, 2003, pp. 670-677 ; C. Goyard, Que reste-t-il de la souverainet ? , La Constitution et les valeurs : Mlanges D. G. Lavroff, Paris, Dalloz, 2005, pp. 381-389 ; Cl. Klein, Le contrle des lois constitutionnelles Introduction une problmatique moderne , CCC, n 27, 2010, www.conseil-constitutionnel.fr ; X. Magnon, Quelques maux encore propos des lois de rvision constitutionnelle : limites, contrle, efficacit, caractre opratoire et existence. En hommage Louis Favoreu. , RFDC, n 59, 2004, pp. 595-617 ; D. Maillard Desgres du Lo, Le pouvoir constituant driv reste souverain , RDP, 2003, pp. 725-739 ; E. Neframi, Quelques rflexions sur les limites lexercice du pouvoir de rvision constitutionnelle en France , RBDC, 2003, pp. 349-366 ; J. Robert, La forme rpublicaine du Gouvernement , RDP, 2003, pp. 359-366 ; J.-E. Schoettl, Le Conseil constitutionnel peut-il contrler une loi constitutionnelle ? , LPA, 8 avril 2003, n 70, pp. 17-22 ; E. Sur, Le pouvoir constituant nexiste pas ! Rflexions sur les voies de la souverainet du peuple , ibid., pp. 571-591 ; M. Verpeaux, La loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative lorganisation dcentralise de la Rpublique : libres propos , RFDA, 2003, pp. 661-669 ; du mme, chronique de jurisprudence constitutionnelle , LPA, 19 septembre 2003, n 188, pp. 7-9. 11 P. Blachr, Le Conseil constitutionnel en fait-il trop ? , Pouvoirs, n 105, 2003, pp. 17-27 ; M. Canedo, Lhistoire dune double occasion manque , RDP, 2003, pp. 767-792 ; M. Fatin-Rouge, Jurisprudence constitutionnelle janvier mars 2003 , RFDC, n 54, 2003, p. 374-383 ; L. Favoreu, Linjusticiabilit des lois constitutionnelles , RFDA, 2003, pp. 792-795 ; C. Geslot, La loi constitutionnelle relative lorganisation dcentralise de la Rpublique devant le Conseil constitutionnel , RDP, 2003, pp. 793-807 ; O. Gohin, La rforme constitutionnelle de la dcentralisation : pilogue et retour la dcision du Conseil constitutionnel du 26 mars 2003 , LPA, 6 juin 2003, n 113, pp. 7-11 ; P. Jan, Limmunit juridictionnelle des lois de rvision constitutionnelle , LPA, 31 octobre 2003, n 218, pp. 4-11 ; R. Libchaber & N. Molfessis, Le contrle dune ventuelle hirarchie des normes , RTDC, 2003, pp. 563-566 ; T. Meindl, Le Conseil constitutionnel aurait pu se reconnatre comptent , RDP, 2003, pp. 741-765 ; H. Moutouh, Le contrle de constitutionnalit des lois constitutionnelles : suite et fin , AJDA, 2003, pp. 1099-1101 ; P. Pactet, Le Conseil constitutionnel et luvre constituante , Renouveau du droit constitutionnel : Mlanges Louis Favoreu, Paris, Dalloz, 2007, pp. 1373-1386 ; J.-Cl. Zarka, Le Conseil constitutionnel ne tient ni de larticle 61, ni de larticle 89, ni daucune disposition de la Constitution le pouvoir de statuer sur une rvision constitutionnelle , Semaine juridique (JCP), 2003, pp. 732-733 ; W. Zimmer, Jurisprudence constitutionnelle janvier mars 2003 , RFDC, n 54, 2003, pp. 383-389. 12 M.-F. Rigaux, La thorie des limites matrielles lexercice de la fonction constituante, Bruxelles, Larcier, 1985, 335 p.
19
positivistes ou normativiste, ces thses en confortent les rsultats, que ce soit grce la mise en
lumire dun niveau normatif au sein de la hirarchie des normes13, dune approche comparatiste
avec nos voisins Allemands et Italiens dont les cours constitutionnelles sont comptentes pour
vrifier la constitutionnalit dune rvision constitutionnelle14, voire, en combinant ces approches
au prisme des droits fondamentaux15. Dautres thses se sont attaches ltude dun organe du
systme juridique franais, le juge constitutionnel16, le Snat17 ou ltude de la jurisprudence
dune cours trangre, comme celle de lInde18. Dautres, enfin, se sont interroges de manire
plus distante avec la question de la limitation du pouvoir de rvision, sur la notion de
constitution19. Cela tant, toutes insistent sur la confusion terminologique qui surplombe le dbat,
entre le pouvoir constituant appel fonder lordre constitutionnel et le pouvoir de
rvision appel rviser la constitution.
Il est alors remarquable que dans le cadre de cette dispute, rares sont les clairages
proposs la lumire de lhistoire constitutionnelle. Surtout lorsque lon sait que les constituants
de 1789 rflchissaient dj au besoin dun tiers pouvoir (voire dun quatrime pouvoir si le
judiciaire tait considr comme tel) aux cts de lexcutif et du lgislatif. Ils limaginaient
comme un censeur, un surveillant ou comme garant des institutions et non comme celui par
lequel la constitution pourrait tre remplace20. Plus ou moins rcentes, les seules tudes
historiques relatives la rvision constitutionnelle en France sont synthtiques, il sagit darticles,
et cibles, elles se concentrent sur un rgime que la France a connu21. Cest pourquoi la prsente
recherche propose dtudier la rvision de la constitution dans lhistoire constitutionnelle
13 R. Dechaux, Les normes constitutionnalit renforce, Thse, Aix-Marseille III, 2011, 957 p. 14 J.-P. Derosier, Les limites constitutionnelles lintgration europenne, tude compare : Allemagne, France, Italie, Thse, Paris, 2010, 698 p. 15 W. Sabte, Pouvoir de rvision constitutionnelle et droits fondamentaux. Etudes des fondements pistmologiques et europens de la limite matrielle du pouvoir constituant driv, Rennes, PUR, 2005, 317 p. 16 E. Marcovici, Le juge constitutionnel et les rvisions constitutionelles, Thse, Toulouse 1, 2009, 794 p. 17 P. Mouzet, Le Snat et la rvision constitutionnelle sous la Vme Rpublique, Thse, Tours, 1997, 1247 p. 18 M. Saint-Hubert, La cour suprme de lInde, gardienne de lordre constitutionnel dmocratique, Thse, Dijon, 2006, 2 vol., 414 & 326 p. 19 L. Gelin-Racinoux, Recherches sur le rapport de la constitution au temps, Thse, Nantes, 2005, 582 p. 20 Voir M. Gauchet, La rvolution des pouvoirs La souverainet, le peuple et la reprsentation 1789-1799, Paris, Gallimard, coll. Bibliothque des histoires, 1995, pp. 55-107. 21 Ainsi, pour exemples, dans lordre chronologique des priodes tudies : A. Le Pillouer, De la rvision labrogation : les termes du dbats , Jus politicum, n 3, www.juspoliticum.com ; V. Azimi, Limpossible rvision de la Constitution : lexemple de lan III , La Constitution de lan III ou lordre rpublicain, J. Bart, J.-J. Clere, C. Courvoisier, M. Verpeaux, Dijon, EUD, 1998, pp. 199-222. ; M. Verpeaux, Constitutions, rvisions et snatus-consultes de lan VIII 1815 , Ordre et dsordre dans le systme napolonien, sous la dir. de J-J. Clre et J-L. Halprin, Paris, d. La Mmoire du Droit, pp. 159-176. ; J. Barthlmy, La distinction des lois ordinaires et des lois constitutionnelles sous la Monarchie de Juillet , RDP, Tome 26, 1909, pp. 5-47 ; P. Charlot, Larticle 111 : limpossible rvision ou le refus du suicide de la Rpublique ? , La Constitution du 4 novembre 1848 : lambition dune rpublique dmocratique, Dijon, EUD, 2000, pp. 315-331. ; F. Choisel, La procdure de rvision constitutionnelle (1852-1870) , Parlement[s], Revue dhistoire politique, n HS 4, 2008/3, pp. 50-68. ; N. Droin, Retour sur la loi constitutionnelle de 1884 : contribution une histoire de la limitation du pouvoir constituant driv , RFDC, n 80, 2009, pp. 725-747. ; G. Jules, Le problme de la rvision de la Constitution , Revue Politique des Ides et des Institutions, 1957, pp. 585-597.
20
franaise : pour tenter de comprendre la distinction entre pouvoir constituant et pouvoir de
rvision, en recherchant dterminer ce qua impliqu et ce quimplique rviser la
constitution au cours de ces deux sicles.
Si ltablissement des constitutions, uvre du pouvoir constituant, rpond lobjectif
dencadrement du pouvoir pour viter larbitraire, le moyen de ralisation de cet objectif est la
sparation des organes et des fonctions tatiques. Le pouvoir de rvision de la constitution, que
dautres prfrent nommer pouvoir constituant driv, a d, lui aussi, se voir attribuer une
certaine fonction puisquun organe, souvent runi ad hoc, reoit cette comptence. Si ce nest celle
de remplacer la constitution existante par une autre, quelle peut tre cette fonction ?
Notons alors qu titre provisoire, nous entendrons par rvision de la constitution la
modification du texte constitutionnel par les voies quil prvoit cet effet et conformment la
constitution. Ce qui nous conduit carter de notre objet dtude toutes les variations quune
constitution peut subir du fait de conventions de la constitution22, de changements
constitutionnels informels23 ou de toute autre phnomne qui ne serait pas explicitement li la
procdure de rvision de la constitution. Nous nentendons pas nier la possibilit que la
constitution subisse des interprtations divergentes au fil du temps, ni que des pratiques ou des
coutumes puissent complter la lettre de la constitution. Nous recherchons ce quest aujourdhui,
partir de ce qua t dans notre histoire constitutionnelle, une rvision de la constitution .
Nous recherchons ce que signifie rviser la constitution .
Il sera possible ainsi de vrifier si la notion de rvision de la constitution a t fixe ou
variable travers la diversit des textes constitutionnels et de leurs applications, puis de proposer
une position dans le dbat qui spare les partisans dun pouvoir de rvision limit de ceux qui
considrent sa comptence illimite.
*
Le champ de cette recherche nest pas compltement vierge. On relve quelques thses de
la fin du XIXme ou du dbut du XXme sicle qui ont propos une analyse compare des
22 La parternit du concept revient A. V. Dicey, Introduction to the study of the Law of the Constitution, Londres, Mac Millan, 3me d., 1889, 440 p. Il a t fructueusement appliqu au cas franais par P. Avril, Les Conventions de la Constitution, Normes non-crites du droit politique, Paris, PUF, coll. Lviathan, 1997, 202 p. 23 Voir ltude quy a consacr M. Altwegg-Boussac, Les changements constitutionnels informels, Thse, Paris X, 2012, 660 p. Spc. pp. 19-20 o lauteur explique que la notion de changement constitutionnel informel a vocation englober un ensemble de sous-concepts dj labors par les auteurs, et dj orients .
21
diffrentes procdures de rvision constitutionnelle qui ont exist depuis 178924. Elles rendent
compte de lanciennet des deux conceptions de la rvision constitutionnelle (uvre dun pouvoir
de rvision comptence limite ou uvre du pouvoir constituant illimit) mais plusieurs raisons
obligent les approfondir. Tout dabord, sans tenir compte des positions quelles dfendent, elles
mritent dtre revues en raison des nombreux vnements politiques et des changements de
constitutions qui les sparent de notre poque. Par ailleurs, la pratique de la rvision
constitutionnelle de plus en plus frquente aujourdhui, ainsi que les mutations du droit
constitutionnel depuis un sicle permettent de considrer, sans les dvaluer, que ces travaux sont
dpasss.
Plus prcisment, ceux qui entretiennent lassimilation entre pouvoir constituant et
pouvoir de rvision ne sy attardent pas. De fait, en reconnaissant au premier la double fonction
de faire et de rformer une constitution, ils ne nous permettent pas de comprendre la distinction
entre ces pouvoirs. F. Stenfort affirme que le pouvoir constituant, Cest le pouvoir de faire ou
de rformer une Constitution 25, tandis que M. Fonteneau affine la dfinition en soulignant la
diversit des organes qui peuvent exercer le pouvoir constituant, lequel, () envisag comme
fonction, est le droit de faire ou de modifier la Constitution. 26 Ces dfinitions, nous pensons
devoir les passer au crible de notre histoire constitutionnelle car ces auteurs ne les interrogent
pas, ils les affirment comme postulat de leur recherche.
Elles se comprennent, certes, par la proximit qui les relie au tumultueux XIXme sicle
franais o le pouvoir constituant a t mis en uvre maintes fois. Les nombreux changements
de constitution entre 1789 et 1875 permettent le rapprochement entre ces remplacements et
luvre du pouvoir constituant. De plus, la pratique rare de la rvision constitutionnelle ninvitait
pas penser cet objet du droit constitutionnel autrement que par laction du pouvoir constituant.
Toutefois, la thse de G. Arnoult prouve que lide ntait pas compltement absente. Si
cette thse ne nous permet pas non plus de comprendre la distinction entre pouvoir constituant
et pouvoir de rvision, cest parce quelle ne laborde pas. Cest une des originalits de cette
recherche, de ne jamais utiliser lexpression ni la notion de pouvoir constituant pour tudier la
24 H. De Bousquet de Florian, De la rvision des constitutions, Thse, Paris, Rousseau, 1891, 266 p. ; G. Arnoult, De la rvision des constitutions. Etablissement et rvision des constitutions francaises. Systme de rvision des constitutions trangres, Thse, Nancy, [s.n.], 1895, 774 p. ; F. Stenfort, Du pouvoir constituant et de la rvision, Thse, Rennes, [s.n.], 1896, 147 p. ; M. Fonteneau, Du pouvoir constituant en France et de la rvision constitutionnelle dans les constitutions franaises depuis 1789, Thse, Caen, [s.n.], 1900, 238 p. 25 F. Stenfort, op. cit., p. 5. 26 M. Fonteneau, op. cit., p. 9.
22
rvision des constitutions27. Lauteur se concentre sur le droit de rvision mais ne se prononce
pas quant son identit ou son autonomie relativement au pouvoir constituant. Lessentiel, pour
G. Arnoult, semble tre de ne pas assimiler une rvision la lgislation ordinaire28. Il se place
donc sur le seul terrain de la rvision constitutionnelle, sans lier son analyse la fondation de
lordre constitutionnel. Leffort est fructeux mais le manque de cette dimension comparative ne
lui permet pas de se dtacher de son poque et dtre pleinement convaincant pour le lecteur
actuel.
Dautres ont soulign plus volontiers la spcificit de la rvision par rapport ladoption
de la constitution et, cette fois, ce sont des considrations de mthode qui justifient un nouvel
examen de leurs conclusions. Parmi eux, H. de Bousquet de Florian reconnat limportance du
politique pour son tude mais lcarte au motif quelle ne devrait pas intresser le juriste29. Il y a l
une tendance majoritaire cette poque, comme en tmoigne la thse de Georges Burdeau30,
soutenue en 1930, qui est la premire user systmatiquement de lexpression pouvoir de
rvision . Pour ce travail, lauteur suivait lui aussi une dmarche strictement positiviste : dans le
sillon trac par Carr de Malberg, le problme du pouvoir constituant est vacu en considrant
quil ne peut faire partie de lanalyse juridique31. Phnomne de force pure, ltablissement de la
premire constitution ne relverait pas de ltude juridique et le pouvoir constituant serait donc
uniquement celui que prvoit la constitution pour sa rforme.
27 Sauf erreur de notre part, il ny a quune seule occurrence de lexpression (au pluriel) dans les dveloppements consacrs au cas franais : Mais il est quelque chose de plus ncessaire encore, cest de nattacher quune importance relative ces changements, et de ne faire appel que dans les cas extrmes aux pouvoirs constituants tablis par la loi. , De la rvision des constitutions. Etablissement et rvision des constitutions francaises. Systme de rvision des constitutions trangres, Thse, Nancy, [s.n.], 1895, p. 432. 28 On peut trs bien concevoir que la fonction constituante soit attribue, sous certaines conditions, aux pouvoirs constitus. Lessentiel, cest quelle ne se confonde pas avec la fonction lgislative. Pour viter cette confusion il suffira dexiger une procdure spciale en matire de rvision. , ibid., p. 743. 29 Nous navons signal le ct politique de la question que pour en dmontrer toute limportance, et pour mettre en relief lintrt dune pareille tude. Le jurisconsulte doit faire abstraction des opinions de partis, et ngliger les interprtations individuelles, par trop sujettes caution ; son rle consiste analyser les textes, rechercher les rsultats, et par leur comparaison mettre en lumire les vritables principes du droit constitutionnel. Cest le but que nous nous sommes proposs en tudiant la rvision des Constitutions. , op. cit., p. 4. 30 G. Burdeau, Essai dune thorie de la rvision des lois constitutionnelles en droit franais, Thse, Paris, 1930, Mcon, Buguet-Comptour, 1930, 349 p. 31 () il faut donc laisser de ct cette premire hypothse, dans laquelle la dvolution et lexercice du pouvoir constituant ne sont point rgis par le droit ; car, il ny a point place dans la science du droit public pour un chapitre consacr une thorie juridique des coups dEtat ou des rvolutions et de leurs effets. Et par suite, il convient de sattacher un second cas, qui est celui dune rformation paisible, rgulire, juridique en un mot, de la Constitution en vigueur. R. Carr de Malberg, Contribution la thorie gnrale de lEtat spcialement daprs les donnes fournies par le droit public franais, Tome 2, Paris, Sirey, 1922, p. 497.
23
Burdeau a fait sienne cette analyse et propose, pour la clarifier, de nommer le pouvoir qui
fonde la premire constitution de lEtat, pouvoir constituant , et celui que la constitution
prvoit pour sa rforme, pouvoir de rvision . Toutefois, la mthode quil poursuit le conduit
reconnatre une comptence illimite, lun comme lautre. Cette conclusion a donc quelque
chose de dcevant car la mthode utilise restreint ltude dune procdure constitutionnelle la
production de normes alors que la mise en uvre de cette procdure nintervient, lpoque,
quen des priodes de forte tension politique ( moins quelle nen soit elle-mme la cause).
Au cours du XXme sicle ensuite, alors que Burdeau dlaissait lui-mme la mthode
positiviste, une premire thse sest concentre sur la notion de pouvoir originaire 32. Elle a
entretenu la confusion entre ltablissement (qui serait le fait dun pouvoir originaire absolu) et la
rvision de la constitution (qui serait le fait dun pouvoir originaire relatif) en affirmant que tout
pouvoir constituant est un pouvoir originaire33. Cest alors une autre terminologie qui est
propose pour conduire une conclusion persistante : rviser la constitution ncessite une
comptence illimite34. Une seconde thse35 sest concentre sur le pouvoir constituant quelques
annes plus tard, et en proposa une acception purement politique36 en assimilant pouvoir
constituant et pouvoir de rvision37.
Le pouvoir de rvision a donc t comme pass sous silence38 jusqu la dcision prcite
du Conseil constitutionnel, la redcouverte des uvres de C. Schmitt (notamment sa Thorie de la
32 Il sagit de la thse de G. Hrault, Lordre juridique et le pouvoir originaire, Thse, Toulouse, Paris, Sirey, 1946, 512 p. 33 Lauteur entretient lassimilation entre faire et rformer la constitution : Le pouvoir constituant, cest le pouvoir qui dtient comptence pour faire, modifier, abroger des rgles possdant la valeur formelle constitutionnelle, cest--dire des rgles occupant, dans la hirarchie interne le rang suprme (les rgles qui dterminent la comptence du pouvoir le plus lev). , ibid., p. 204. 34 Le pouvoir originaire est le seul qui puisse satisfaire la dfinition du pouvoir constituant ; le pouvoir constituant, en effet, pose les rgles suprmes de lordre juridique interne, suprieures tout pouvoir. Il faut donc quil possde, lui-mme, le pouvoir de modifier toute rgle, et quil domine tout autre pouvoir. Et il ny a que le pouvoir originaire pour remplir ces conditions. () Le pouvoir originaire absolu qui nest domin par aucune rgle, ni par aucun pouvoir, a comptence pour poser une rgle suprme suprieure toute autre rgle et tout pouvoir ; Le pouvoir originaire absolu se manifeste dans les rvolutions, lors de la cration dun Etat... () Le pouvoir originaire relatif devient pareillement pouvoir constituant ; le pouvoir constituant institu, lorsquil modifie sa propre comptence, ou les rgles de formes le concernant, est un pouvoir originaire relatif. , ibid., pp. 205-206. 35 M. El Shawi, Contribution ltude du pouvoir constituant, Thse, Toulouse, 1961, 291 p. 36 La dfinition finale quil en propose est celle-ci : () le pouvoir constituant est laspect sous lequel se manifeste le pouvoir politique en sorganisant. , ibid., p. 264. 37 Lauteur se positionne comme suit : Comment explique-t-on que le pouvoir constituant qui, par dfinition mme, se manifeste, dans sa spontanit initiale, indpendant de toutes formes prtablies, puisse tre converti en un pouvoir disciplin par les procdures et domin par un ordre statutaire prexistant ? , ibid., p. 9. Ce qui lui permet de nier la spcificit du pouvoir de rvision : () le pouvoir de rvision nest plus un pouvoir constitu, mais un pouvoir par lequel sexprime la volont populaire, matresse absolue des institutions. , ibid., p. 14. 38 A lexception de la thse de K. Gzler, Le pouvoir de rvision constitutionnelle, Villeneuve dAscq, Presse Universitaire du Septentrion, 1997, 2 vol. 774 p.
24
Constitution39) et la parution de louvrage du professeur Beaud, La puissance de lEtat 40. Ainsi, et
malgr les nombreuses contributions proposes loccasion des deux dcisions du Conseil
constitutionnel de 1992 et 2003 prcites, une histoire de la rvision constitutionnelle reste
faire. La prsente recherche tend combler utilement cette lacune.
*
Aujourdhui, comme le rappelle le professeur Moderne, [l]a place de la rvision
constitutionnelle est tributaire de la conception mme de Constitution dans lhistoire du
constitutionnalisme contemporain 41. Nous sommes tents dajouter que cette place est aussi
tributaire des conceptions des notions de pouvoir constituant et de pouvoir de rvision car
elles sont toutes trs troitement interdpendantes.
Le professeur Klein a systmatis ce conditionnement de la pense relative un objet
particulier du droit constitutionnel, partir dune rflexion plus large sur la manire daborder le
droit en gnral. Il use de lopposition entre la vision dcisionniste de la constitution de Carl
Schmitt et celle, normative, de Hans Kelsen, pour en rendre compte : () pour Kelsen lanalyse
de cet acte collectif se fait de manire rgressive (comme imputation rgressive successive) alors
que Schmitt souligne que cet acte doit tre considr comme un acte inaugural, initiateur : un pur
commencement. En dautres termes, il apparat que Kelsen passe du pouvoir constitu au
pouvoir constituant, Schmitt part du pouvoir constituant, acte fondateur. 42
Cet antagonisme se retrouve dans la plupart des manuels contemporains de droit
constitutionnel qui reconnaissent la polysmie43 du mot constitution ou son manque de
39 C. Schmitt, Thorie de la Constitution, Paris, PUF, coll. Lviathan, 1993, 576 p. 40 O. Beaud, La puissance de lEtat, Paris, PUF, coll. Lvithan, 1994, 512 p. 41 F. Moderne, Rviser la Constitution Analyse comparative dun concept indtermin, Paris, Dalloz, coll. Thmes & commentaires, 2006, p. 7. 42 C. Klein, Le pouvoir constituant , Trait international de droit constitutionnel Tome 3 : La suprmatie de la Constitution, sous la dir. de D. Chagnollaud et M. Troper, Paris, Dalloz, 2012, p. 17. 43 V. Constantinesco & S. Pierr-Caps, Au cur du droit constitutionnel, auquel elle donne son nom, la constitution est un acte qui peut tre approch de multiples points de vue, il sagit dune notion complexe et polysmique dont il convient de retenir le sens juridique, lui aussi multiple. , Droit constitutionnel, Paris, PUF, coll. thmis, 6me d., 2013, p. 183 ; P. Ardant & B. Mathieu : La Constitution prsente la fois une valeur symbolique, une valeur philosophique, une valeur juridique. , Institutions politiques et droit constitutionel, Issy-les-moulineaux, LGDJ, coll. Manuel, 26me d., 2014, p. 53.
25
clart44. Quasi-systmatiquement45, la difficult est contourne laide des notions de constitution
matrielle et de constitution formelle. La constitution, au sens matriel, serait lensemble des
matires, des objets constitutionnels quils se trouvent ou non dans le texte constitutionnel. En
revanche, la constitution, au sens formel, vise le document ou la coutume recueillant les rgles
valeur constitutionnelle indpendament de leur contenu. Toutefois, ce ne sont l que des critres,
utiles la dsignation de la constitution. Ils ne permettent pas de saisir ce quest la constitution.
Aussi, les constitutions formelles, qui sont les plus nombreuses aujourdhui dans le
monde et sont de tradition en France depuis ladoption de la premire constitution en 1791, sont
classes en constitutions souples et constitutions rigides par les manuels. Ici, encore, ils ne
saccordent quimparfaitement quant la signification de ces notions ou quant au critre de
distinction entre lune et lautre. Certains prsentent une relation de proportionnalit entre la
difficult de rviser la constitution et son caractre rigide : plus la procdure de rvision serait
complexe et lente, donc difficile mettre en uvre et/ou faire aboutir, plus la constitution
serait rigide46. Dautres voient le critre didentification des constitutions rigides dans la diffrence
de procdure pour llaboration des lois ordinaires et des rvisions constitutionnelles47. Parfois, ils
combinent ce critre avec celui de la difficult48 ou affirment que la complexit de la procdure
44 C. Grewe, H. Ruiz-Fabri : La constitution fait partie des notions faussement claires de la science juridique. , Droits constitutionnels europens, Paris, PUF, coll. Droit fondamental, 1995, p. 33. 45 Pour exemples : L. Favoreu, P. Gaa, R. Ghevontian, J.-L. Mestre, O. Pfersmann, A. Roux, G. Scoffoni, Droit constitutionnel, Paris, Dalloz, coll. Prcis, 16me d., 2014, pp. 77-86 ; J. Gicquel et J.-E. Gicquel, Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris, Montchrestien, Domat droit public, 26me d., 2012, p. 200 ; F. Hamon, M. Troper, Droit constitutionnel, Paris, LGDJ, coll. Manuel, 33me d., 2012, p. 47 ; P. Pactet, F. Mlin-Soucramanien, Droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 32me d., 2013, p. 59 ; M. Verpeaux, Droit constitutionnel franais, Paris, PUF, coll. droit fondamental, 2013, pp. 65-68. 46 Ainsi des professeurs P. Ardant et B. Mathieu : En principe une Constitution est dite souple, lorsquelle peut tre modifie comme le serait une simple loi, par la procdure lgislative ordinaire. () Une Constitution est dite rigide lorsquune procdure spciale est prvue pour la rvision, plus difficile que celle suivie pour llaboration de la loi ordinaire. , Institutions politiques et droit constitutionnel, Issy-les-moulineaux, LGDJ, coll. Manuel, 26me d., 2014, pp. 74-75. Soulign dans le texte. 47 Cest le cas du professeur B. Chantebout : Lorsquune telle procdure spciale est prvue, on dit que la Constitution est rigide. La Constitution est dite souple au contraire, lorsque la rvision nest soumise aucune procdure particulire et sopre selon les modalits prvues pour ladoption des lois ordinaires. , Droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 30me d., 2013, p. 31. Soulign dans le texte. De mme, les professeurs F. Hamon et M. Troper : () la constitution serait souple si elle pouvait tre facilement modifie par lun des pouvoirs constitus, par exemple par le pouvoir lgislatif, au terme de la procdure lgislative ordinaire. () La rigidit ne signifie pas que la constitution ne pourra pas tre rvise ou modifie, mais quelle ne pourra ltre que selon certaines formes, quelle a elle-mme organises et par les organes quelle a institus cet effet. , Droit constitutionnel, Paris, LGDJ, coll. Manuel, 33me d., 2012, p. 50. 48 Ainsi des professeurs V. Constantinesco et S. Pierr-Caps : Une constitution est dite souple lorsque la procdure de rvision est identique la procdure dadoption dune loi ordinaire. () Une constitution est dite rigide si la procdure de rvision est diffrente en rgle gnrale plus difficile et plus contraignante, de la procdure lgislative ordinaire. , Droit constitutionnel, Paris, PUF, coll. thmis, 6me d., 2013, p. 186.
26
signifie sa supriorit49.
Trois autres manuels de droit constitutionnel apportent un regard plus nuanc, que nous
voudrions approfondir. Ils expriment, chacun leur manire, lide selon laquelle toute
constitution serait fondamentalement rigide. Le premier est louvrage collectif, coordonn par
Louis Favoreu, et continu par la mme quipe depuis sa disparition. On y lit que la distinction
entre constitution rigide et souple nest que relative et quil conviendrait dtablir des
comparaisons quantitatives plutt que qualitatives. 50 Les auteurs nous invitent ici comparer les
procdures de rvision selon le nombre dobstacles surmonter pour adopter une rvision de la
constitution. Cette dmarche sera prcieuse pour comparer les diffrentes procdures de lhistoire
constitutionnelle franaise mais trouvera ses limites pour ltude des priodes dont les textes
constitutionnels ne comportent aucune procdure de rvision.
Le deuxime, celui des professeurs Pactet et Mlin-Soucramanien, souligne la possibilit
quune constitution coutumire soit rigide51. Quant au troisime, celui du professeur Rouvillois, il
affirme que la rigidit, malgr les apparences, ne sera jamais nulle : [qu] il ny a pas de
constitution absolument ni entirement souple. 52 Ces deux remarques sont plus prcieuses
encore. Elles nous forcent comprendre lesprit des prodcures de rvision ou des textes
constitutionnels qui nen comportent pas, voire des rgimes sans constitution crite (ce qui dans
le cas franais ne nous retiendra gure), et dtablir la comparaison sur ce terrain. Pour ce faire, il
nous faudra aborder les moments de rdaction de ces textes, cest--dire chacun des moments
constituants de lhistoire constitutionnelle franaise. Ce qui implique daborder le droit partir de
laction du pouvoir constituant, en amont de la validit de la norme fondamentale quil est seul
autoris crire.
49 Cest le cas de J. et J.-E. Gicquel : Une constitution est dite rigide, lorsque sa rvision sopre selon une procdure suprieure celle utilise pour la loi. () A linverse, la constitution souple est celle dont la rvision seffectue selon une procdure identique celle utilise par la loi. Dans lEtat considr, la confusion entre le pouvoir constituant et le pouvoir lgislatif permet dassimiler une constitution souple une constitution matrielle , Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris, Montchrestien, Domat droit public, 26me d., 2012, p. 214. Soulign dans le texte. 50 L. Favoreu, P. Gaa, R. Ghevontian, J.-L. Mestre, O. Pfersmann, A. Roux, G. Scoffoni : On distingue traditionnellement des Constitutions rigides ou trs difficilement modifiables et des Constitutions souples, facilement rvisables. Etant donn que toute formalisation implique une certaine rigidification par rapport la production dautres normes gnrales, cette distinction ne peut tre que relative. () Il est donc prfrable de distinguer les formalisations par degr de rigidit (ou de souplesse si lon veut), ce qui permet dtablir des comparaisons quantitatives plutt que qualitatives. , Droit constitutionnel, Paris, Dalloz, coll. Prcis, 16me d., 2014, p. 116. 51 P. Pactet, F. Mlin-Soucramanien : Il est tout fait exceptionnel quune constitution coutumire soit rigide mais on peut citer, titre de curiosit, le cas des lois fondamentales de la monarchie sous lAncien Rgime, que le Roi, qui disposait du pouvoir lgislatif, ne pouvait modifier sans le consentement des Etats gnraux. , Droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 32me d., 2013, p. 66. 52 F. Rouvillois, Droit constitutionnel, Tome 1. Fondements et pratiques, Paris, Flammarion, coll. Champs universit, 3me d., 2011, p. 111.
27
Pour reprendre le constat du professeur Klein, nous sommes invitablement plus
proches de la dmarche dun Schmitt que dun Kelsen. La conception du droit constitutionnel qui
en dcoule est donc, elle aussi, ncessairement imprgne du politique, linverse de leffort
kelsenien qui tend sen librer. In fine, lirrductible rigidit de la constitution voque par le
professeur Rouvillois, et que nous voulons approfondir, en sera marque elle aussi.
De cette dmarche, dcoulent deux impratifs interdpendants : avoir une vision largie
du droit constitutionnel et de la notion qui lui donne son nom53, la constitution. Nanmoins, il
nous semble que ces conceptions relvent, au fond, de la nature mme de ce droit qui est
indissociable du politique. Lexpression droit politique revient aujourdhui avec une force
renouvele dans le vocabulaire et dans le champ de la recherche juridique consacre au droit
constitutionnel54, comme en raction au dveloppement de la justice constitutionnelle55 qui, lui,
accrdite lide que la constitution est une norme comme une autre. Aprs la lecture et ltude de
deux cents ans de dbats parlementaires, le plus souvent vocation constituante, notre
apprhension du droit constitutionnel penche donc vers une conception plus proche de celui-ci
(le droit politique) que de celle-l (la justice constitutionnelle). Certes, le dveloppement de la
justice constitutionnelle rapproche le citoyen de la constitution et lui donne le sentiment que la
constitution est assimilable nimporte quelle autre norme parce quelle peut tre invoque
lappui dune prtention au cours dune instance. Toutefois, considrs seuls, ces constats
noffrent quune vision bien rductrice et loigne des fonctions et utilit premires de ce texte
fondamental56.
53 Nous paraphrasons les professeurs V. Constantinesco et S. Pierr-Caps qui crivent : Au cur du droit constitutionnel, auquel elle donne son nom, la constitution est un acte qui peut tre approch de multiples points de vue (). , Droit constitutionnel, Paris, PUF, coll. thmis, 6me d., 2013, p. 183. 54 La revue en ligne Jus politicum se donne pour principal objectif de dfendre cette conception du droit constitutionnel comme un droit politique . Voir la Prsentation de la revue , n 1, www.juspoliticum.com 55 Nous faisons rfrence la possibilit, pour un particulier, dinvoquer les dispositions de la constitution de 1958 depuis ladoption de la loi constitutionnelle n 2008-724 du 23 juillet 2008, par la procdure dite QPC. La notion de justice constitutionnelle est pourtant connue depuis le clbre arrt Marbury C/ Madison de 1803. Elle ne fut vraiment dbattue en France qu partir de la IIIme Rpublique, o trois publications ont contribu faire comprendre cette justice a priori incompatible avec la tradition franaise du lgicentrisme : la thse de Ch. Eisenmann, La justice constitutionnelle et la Haute Cour constitutionnelle dAutriche, Thse, Paris, 1928, rd. Paris, Economica, & Aix-en-Provence, PUAM, 1986, 383 p. ; un article de H. Kelsen paru lanne suivante, La garantie juridictionnelle de la Constitution (La Justice Constitutionnelle) , RDP, Tome 45, 1929, pp. 197-257 ; et le regard historique de J. Lambert, Les Origines du contrle de constitutionnalit des lois fdrales aux tats-Unis. Marbury v. Madison , RDP, Tome 48, 1931, pp. 1-69. Sur le dclin du lgicentrisme, se reporter M.-J. Redor, De lEtat lgal lEtat de droit. Lvolution des conceptions de la doctrine juridique franaise, 1870-1914, Aix-en-Provence, PUAM, 1992, 330 p. 56 Le professeur E. Desmons regrette ainsi que, Lorsque la doctrine glose gros bouillon sur les dcisions des sages de la rue Montpensier, ce sont les obsques du vieux droit politique que lon ne finit pas de clbrer. , La plante des sages Le Conseil constitutionnel, la doctrine et la dmocratie , Liber amicorum Darcy Dtours juridiques : le praticien, le thoricien et le rveur, Bruxelles, Bruylant, 2012, p. 231.
28
Un texte constitutionnel est avant tout le produit dun affrontement entre forces
politiques pour dfinir son contenu. Initialement, et aujourdhui encore, le texte constitutionnel a
eu et a vocation organiser lexercice du Pouvoir dans le but den prvenir les abus. Son objet
premier est donc dencadrer, de limiter laction des titulaires du Pouvoir. Les premires
constitutions ont t rdiges cet effet : celle des Etats-Unis est la manifestation de leur libre
dtermination face la couronne dAngleterre, la constitution franaise de 1791 est la volont de
mettre fin labsolutisme de la monarchie. Le moyen qui a t mis au service de ces fins
similaires, cest la sparation des organes et des fonctions du Pouvoir.
Ds lAntiquit, le Pouvoir tait analys selon la tripartition entre llaboration de la loi,
son excution et la sanction de sa violation. La paternit de la sparation des pouvoirs est donc
loin de revenir Montesquieu. Cest en raison dune dformation de sa pense quil fut associ
la sparation stricte des pouvoirs, comme le montra Charles Eisenmann en 193357. En 1952, ce
dernier rhabilita la fin poursuivie par le magistrat bordelais en montrant quelle tait plus
justement exprime travers linterprtation politique du XIXe qu travers linterprtation
juriste du XXe sicle 58. En 1959, finalement, Louis Althusser montra lapport profond de la
rflexion de Montesquieu sur lorganisation du Pouvoir59. Cest qu chaque pouvoir correspond
une puissance luvre dans la socit. La meilleure organisation du Pouvoir est alors celle qui
rend compte de cette correspondance afin que chacune de ces puissances trouve un canal
dexpression. Le second enseignement quAlthusser rappelle, cest que toute uvre de
philosophie politique est conditionne sinon motive par des considrations contingentes. Ainsi,
parmi les diverses forces politiques de son temps, Montesquieu poursuivait le dessein den
rtablir et consacrer une parmi les autres : la noblesse 60.
Plus prcisment, cest une nouvelle explication du gouvernement modr que propose
Althusser : La modration est tout autre chose : elle nest pas le simple respect de la lgalit, elle
est lquilibre des pouvoirs, cest--dire le partage des pouvoirs entre les puissances, et la limitation ou
modration des prtentions dune puissance par le pouvoir des autres. La fameuse sparation des
pouvoirs nest donc que le partage pondr du pouvoir entre des puissances 61. Cette dualit
lexicale puissance/pouvoir est cruciale dans la mesure o elle dsigne en termes clairs les deux
sphres dans lesquelles sexpriment ces forces de natures diffrentes : le terme puissance relve de
lanalyse politique et sociale tandis que celui de pouvoir renvoie aux catgories du droit
57 Voir C. Eisenmann, LEsprit des lois et la sparation des pouvoirs , Ecrits de thorie du droit, de droit constitutionnel et dides politiques, textes runis par C. Leben, Paris, Panthon-Assas, coll. Les Introuvables, 2002, p. 583. 58 C. Eisenmann, La pense constitutionnelle de Montesquieu , ibid., p. 565. Nous soulignons. 59 L. Althusser, Montesquieu, la politique et lhistoire, Paris, PUF, coll. Quadrige, 4me d., 2003, 125 p. 60 L. Althusser, ibid., p. 109. 61 L. Althusser, ibid., p. 104.
29
constitutionnel. Althusser rtablit ainsi lapport du fameux chapitre 6, Livre XI de lEsprit des lois :
la puissance du roi sexprime juridiquement travers le pouvoir excutif, tandis que la puissance
de la noblesse et celle de la bourgeoisie ont chacune une chambre pour sexprimer et pacifier ainsi
juridiquement leurs conflits par lexercice du pouvoir lgislatif.
Si alors chaque pouvoir permet lexpression juridique dune puissance politique, nous
posons lhypothse selon laquelle le pouvoir constituant ne fait pas exception : il est lexpression
juridique dune puissance politique, qui sest impose aux autres forces en prsence dans le but
dtablir son propre projet politique. Un processus constituant est donc un affrontement entre
forces politiques rivales pour semparer de la puissance constituante avant dtre lcriture dun
texte fondamental. Seule la matrise de cette puissance permet de revendiquer le pouvoir
constituant qui, seul, son tour, autorise crire le texte constitutionnel. Il sagit de se placer en
position de gouvernants de fait, afin de saffirmer gouvernants de droit62. Un processus
constituant est donc une question politique avant dtre une question juridique. Ce qui ne justifie
pas, nos yeux, que le juriste se dsintresse de cette question mais, au contraire, quil sen
saisisse, afin de comprendre pleinement le texte quil tudie.
La spcificit de la puissance constituante est que son titulaire est indtermin :
laffrontement que se livraient, chez Montesquieu, la noblesse et la bourgeoise, par lexercice
conjoint du pouvoir lgislatif (au moyen dune chambre pour reprsenter chaque puissance), se
droule de manire concentre chaque moment constituant, entre forces politiques du moment
considr. Cela est particulirement saisissant lorsque le processus constituant fait intervenir une
assemble constituante. Par exemple, au sein de la premire que la France ait connue, les
monarchiens ont t rapidement domins par les patriotes puis les Jacobins et finalement les
Feuillants, tandis qu la Convention, trois puissances ont matris tour tour lassemble : la
puissance girondine, la montagnarde et la thermidorienne. Laffrontement peut aussi tre trs
bref comme cest le cas lors dun coup dEtat. Ceux du 18 brumaire et du 2 dcembre en sont
deux illustrations particulirement nettes. Enfin, cet affrontement peut tre diffr, lorsquaucune
force politique ne parvient semparer de la puissance constituante. Dans lhistoire
constitutionnelle franaise, la naissance de la Troisime Rpublique correspond cette situation.
62 Le professeur Chantebout dcrit le processus de la mme manire, bien quil le limite au moment de cration dun Etat : Du seul fait quils dtiennent effectivement le pouvoir politique, les gouvernants placs la tte dun nouvel Etat au moment de sa formation se trouvent tre les dtenteurs du pouvoir contituant originaire : cest eux quil appartient de crer, en laborant son statut, le nouvel Etat auquel ils remetteront leur pouvoir. , Droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 30me d., 2013, p. 30.
30
Ainsi, semparer de la puissance constituante signifie tre en mesure de dcider de
lorientation constitutionnelle du pays. Cest--dire de dcider des bases, des fondements mmes
de lordre juridique venir. Cest, selon le vocabulaire de C. Schmitt, prendre la dcision politique
fondamentale63 que nous dsignerons dans cette tude par la Constitution . Le titulaire de la
puissance constituante dcide donc de la Constitution et dlimite, de fait, le champ du juridique
venir. Cest alors le propre du pouvoir constituant de faire de la Constitution un acte juridique : la
force politique qui sempare de la puissance constituante exerce le pouvoir constituant pour
donner forme juridique la Constitution en rdigeant le texte constitutionnel, la constitution 64.
Il y a donc un lien indissociable entre la puissance constituante et le pouvoir constituant qui
relve de la mme dynamique que N. Bobbio a analys concernant la lgitimit et la lgalit65. Le
passage de lune lautre est insaisissable et doit largement son effectivit lassentiment des
gouverns. Que cet accord soit le plus souvent confr de manire passive nenlve rien de son
importance car cest, quoi quil en soit, sur lui que tout repose. Cest de laccord, mme tacite, ou
du soutien des gouverns, que dpend le succs dune force politique qui sempare de la
puissance constituante et, par consquent, que dpendent galement la rception et la validit du
texte constitutionnel.
Cest donc pour complter Sieys, qui nexpliquait que la production formelle de la
constitution lorsquil affimait qu une constitution suppose avant tout un pouvoir
constituant 66, que nous voulons expliquer la production matrielle, le fond dune constitution,
en affirmant quun pouvoir constituant suppose avant tout une puissance constituante.
Il rsulte de cette distinction entre puissance constituante et Constitution dune part, et
pouvoir constituant et constitution dautre part, une primaut de leur caractre fondateur. La
Constitution, parce que dcide par la puissance constituante, bnficie dune primaut politique.
Elle ne pourra tre remise en cause que par des procds rvolutionnaires, illgaux : par le retour
de la puissance constituante, entre les mains dune autre force politique, dans le but de donner
63 C. Schmitt, la distinction entre constitution et loi constitutionnelle nest possible que parce que lessence de la constitution nest pas contenue dans une loi ou dans une norme. Avant toute normation, on rencontre la dcision politique fondamentale du titulaire du pouvoir constituant , Thorie de la constitution, Paris, PUF, coll. Quadrige, 2008, p. 154. Soulign dans le texte. 64 Ce que C. Schmitt dsigne par les lois constitutionnelles . Thorie de la Constitution, Premire Partie, Chapitre 3, Paris, PUF, Coll. Quadrige, 2008, spc. pp. 151-159. Notons au passage la remarque du professeur J.-M. Denquin pour qui, Rien ne prouve quil nexiste pas une diffrence de nature entre constitution et Constitution. , Trait international de droit constitutionnel, Tome 1 : thorie de la Constitution, Sous la dir. de M. Troper & D. Chagnollaud, Paris, Dalloz, 2012, p. 51. 65 N. Bobbio, le principe de lgitimit est comme la norme fondamentale qui, ainsi que nous lavons vu, est place pour fonder le pouvoir, tandis qu la fin, elle, est elle-mme fonde par ce pouvoir quelle devait fonder. Aussi le pouvoir lgitime est celui qui demande obissance au nom dun titre de lgitimit, dont la preuve ultime est donne seulement par le fait que lobissance est effectivement accorde. , Sur le principe de lgitimit , Droits, n 32, 2000, p. 154. 66 Sieys, Reconnaissance et exposition raisonne des Droits de lHomme et du Citoyen, Paris, [s.n.],1789, p. 35.
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une nouvelle Constitution au pays. Tant quune nouvelle force ne sempare pas de la puissance
constituante, la Constitution sera maintenue et le pouvoir constituant naura pas lieu dtre exerc
parce que le texte constitutionnel naura pas besoin dtre remplac.
En revanche, le texte constitutionnel peut requrir des modifications, sans que la
puissance constituante soit mobilise pour atteindre la Constitution. Ces retouches dune ou
plusieurs dispositions du texte constitutionnel ne relvent pas du mme ordre dimportance : elles
entretiennent plus quelles ne fondent le texte constitutionnel parce quelles interviennent sous
lempire dune Constitution et non au moment de son tablissement. Pour cette mme raison, ces
modifications du texte constitutionnel ne se feront pas en vertu du pouvoir constituant. Le
pouvoir constituant, indissociable de la puissance constitutante, permet la mise en forme
juridique de la Constitution. Cest alors un autre pouvoir quil faut recourir pour modifier le
texte constitutionnel, pour adopter, selon la terminologie du professeur Beaud, un acte de
rvision67.
Aussi, parce que cet acte de rvision est le plus souvent prvu par la constitution, il doit se
faire conformment cette dernire et doit respecter la Constitution. Si tel nest pas le cas, il ne
peut tre analys comme une rvision de la constitution. Il doit tre regard comme un
changement de Constitution (ou sil ne la remet pas compltement en cause, comme une
altration de la Constitution donc comme un acte anticonstitutionnel). Un cas limite existe
toutefois lorsque le texte constitutionnel autorise une rvision totale. Le procd est
juridiquement valable, si l encore, le nouveau texte naltre pas la Constitution mais cherche la
mettre en uvre par un nouvel agencement des pouvoirs68. Enfin, si la modification de la
constitution nest pas prvue par le texte constitutionnel, mais quelle savre indispensable, elle
doit aussi se faire conformment la Constitution car si labsence de procdure de rvision dans
un texte constitutionnel est envisageable, labsence de Constitution la base dun ordre juridique
ne lest pas (ou titre temporaire seulement, comme lillustrent les annes 1871-1884). La fragilit
qui en rsulterait pour lordre constitutionnel est telle, quil ne pourrait perdurer.
67 O. Beaud, La puissance de lEtat, Paris, PUF, coll. Lviathan, 1994, p. 310. 68 Ce cas limite est celui o lon sent le plus clairement la ncessit de faire appel la notion de Constitution pour comprendre pleinement ce quest une constitution, un texte constitutionnel. Les remarques du professeur Aubert vont dans ce sens : () une rvision totale prsente toujours au moins deux difficults, lune dordre logique, lautre dordre plutt psychologique. La difficult logique apparat trs bien quand on essaie de traduire la rvision en une expression verbale : quest-ce en effet, quune constitution totalement rvise ? Ce ne peut pas tre lancienne, puisquelle nexiste plus. Ce ne peut pas non plus tre la nouvelle, puisque celle-ci est neuve et nest justement pas encore rvise. Alors laquelle ? Quant la difficult psychologique, elle tient unecertaine forme de linstinct de conservation : est)il normal quune constitution indique les rgles de sa propre suppression ? Ceux qui font une constitution la trouvent probablement bonne ; ils peuvent sans doute penser quelle est perfectible, mais il est peu naturel quils la dclarent demble destructible. , La rvision totale des constitutions , Lesprit des institutions, lquilibre des pouvoirs : Mlanges Pierre Pactet, Paris, Dalloz, 2003, p. 458.
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Cette trange proximit entre le pouvoir dcrire la constitution et celui de la modifier a
son importance dans la confusion qui sest rapidement installe dans le droit public franais entre
le pouvoir constituant et le pouvoir de rvision. Toutefois, ltranget se dissipe si lon sattarde
sur le fait que lcriture du texte constitutionnel est le fait de la puissance qui a impos la
Constitution et que, raisonnablement, cette puissance na pu vouloir que son uvre soit remise
en cause par les voies lgales. Si cette puissance prvoit alors une procdure fin de modifier la
constitution quelle a rdige grce au pouvoir constituant, ce ne peut tre que pour maintenir la
Constitution par lamnagement de la constitution.
Les variations quantitatives de rigidit des textes constitutionnels, les variations purement
procdurales (majorit qualifie, pluralit de vote pour confirmer linitiative, par exemples), nont
alors aucune incidence qualitative sur la Constitution qui est, quant elle, toujours rigide.
Autrement dit, la rigidit sapprcie quantitativement si lon aborde la constitution au sens formel
et elle savre trs variable ; on comprend alors que cette approche ait la faveur dauteurs
positivistes voire normativistes69. Tandis que la rigidit sapprcie qualitativement si lon aborde la
constitution au sens matriel et elle savre immuable ; on comprend encore que cette approche
ait la prfrence des auteurs qui dfendent le droit constitutionnel comme un droit politique70
dune part, ou dont les ides les rapprochent du jusnaturalisme dautre part.
*
La dmarche historique permet de prendre de la distance avec les prsupposs de
chacune des deux tendances qui monopolisent lanalyse du droit : en retraant leurs volutions
respectives, la relativit de certaines frontires qui les sparent voit le jour. Cette dmarche
propose aussi un regard diffrent, en raison du recul quelle induit par rapport la notion quelle
tudie : elle permet de faire la part des contingences qui la construisent et des permanences qui
marquent ses mises en uvre. Ainsi, pour dmontrer si le pouvoir autoris modifier la
constitution dispose dune comptence limite ou illimite, il faut savoir ce que signifie rviser la
constitution . Pour atteindre cet objectif, nous nous pencherons sur chacun des moments
69 La proposition dtablir des comparaison quantitatives et non qualitatives, tire du manuel de lquipe qui entourait L. Favoreu, est rdige par lun des reprsentants de la mthode normativiste, le professeur Pfersmann. 70 Voir C. Schmitt, Thorie de la Constitution, Paris, PUF, coll. Quadrige, 2008, 576 p. ; O. Beaud, La puissance de lEtat, Paris, PUF, coll. Lviathan, 1994, 512 p.
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constituants de lhistoire constitutionnelle franaise, et sur chacun des moments o les
procdures de rvision ont t pratiques, ou en leur absence, par ltude de ce qui en tint lieu.
Cest alors par ltude des dbats parlementaires que la recherche a principalement t
mene : sonder les intentions des constituants lorsquils adoptent la procdure de rvision de la
constitution quils crivent, en les recontextualisant, devait permettre de comprendre ce quils en
attendaient et comment ils pensaient les voir fonctionner. Il fallait ensuite complter cette tude
par celle des dbats parlementaires des moments o ces procdures ont t mises en uvre afin
de vrifier si les intentions des constituants ont t respectes, ou non, et pour quelles raisons71.
En isolant les causes et les raisons contingentes tel problme ou dbat, il est possible
didentifier ce qui nen relve pas. Cette part du discours sur un objet est alors celle qui renseigne
sur lide que le locuteur se fait de cet objet ce moment donn. En confrontant, de cette
manire, une pluralit dopinions, il est possible dentrevoir ltat des esprits, ltat des ides sur
objet considr une poque considre. Confronter ensuite ces ides aux textes adopts
(moment constituant) ou en vigueur (moment de mise en uvre de la procdure de rvision)
permet de comprende la stabilit ou la remise en cause des textes et des conceptions qui existent
leur gard, au cours dune mme priode. Ainsi apparat la singularit de chaque priode
constitutionnelle, dlimite par leffectivit des textes constitutionnels. Cest alors quune
confrontation de chacune des priodes tudies est possible dans le but de dcouvrir
dventuelles permanences ou des chos entre elles. Cest la mthode que nous nous sommes
imposs pour suivre lhistoire de la signification du droit de rviser la constitution dans
lhistoire constitutionnelle franaise.
La dimension historique de notre recherche est donc marque par lutilisation
systmatique des dbats des assembles constituantes, lgislatives et de rvision. Les multiples
recueils, depuis les plus anciens comme le Moniteur Universel et ses rimpressions, les ditions
quotidiennes du Journal Officiel ou sa version lectronique, sur les sites internet de lAssemble
nationale et du Snat pour les annes les plus rcentes, constituent ensemble nos sources
71 La contribution de S. M. Beaudoin dvoile les vertus de ces analyses microhistoriques travers lexemple des dbats de janvier 1891 lorsque la pice de thtre de Victorien Sardou, Thermidor, provoqua un vif dbat sur le sens et lhritage de la Rvolution franaise. , Microhistoire, performance et tude de dbats parlementaires : le Thermidor de Victorien Sardou et le thtre de la politique , Faire parler le Parlement, Mthodes et enjeux de lanalyse des dbats parlementaires pour les sciences sociales, sous la dir. de C. de Galembert, O. Rozenberg & C. Vigour, Paris, LGDJ, coll. Droit et socit, 2013, p. 110.
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premires72. Elles nous permettent de sonder lesprit des rdacteurs des constitutions et celui des
rdacteurs de rvisions afin de mieux comprendre le texte de droit adopt. Sans entrer dans le
dbat relatif lautorit des intentions de lauteur pour juger de la rgularit dune application
ultrieure du texte, nous pensons que lon accde une part de vrit dans cette manire
dapprhender les rgles constitutionnelles, qui est proportionnelle la gnralit du but
poursuivi. La constitution franaise de 1958 nest-elle pas quasi-systmatiquement prsente
comme le produit de la volont de renforcer lexcutif ?
Parce quelle sattache aux textes constitutionnels, notre approche de lhistoire
constitutionnelle suit une perspective normative-institutionnelle , selon la distinction propose
par le professeur Varela Suanzes-Carpegna73. Il la prsente comme celle qui sattache aux textes
constitutionnels y compris les projets qui ne sont pas entrs en application, souvent de grand
intrt , mais aussi [] dautres textes, distincts du document constitutionnel, qui, par la matire
quils organisent, peuvent aussi tre considrs comme constitutionnels () 74. Toutefois, ltude
des procdures de rvision de la constitution intgres aux textes constitutionnels ne pouvait tre
suffisante : sen tenir elles seules, il aurait fallu, par exemple, carter ltude des Chartes de
1814 et 1830 qui nen comportent pas. Si nous ne savions quel pouvait tre lapport des ces deux
priodes, il tait impossible de postuler quelles navaient eu aucune incidence quant lvolution
de la notion de rvision de la constitution. Cest donc ici eu gard aux diffrentes lgislations
dapplication des Chartes que la recherche a t mene.
Pour tenter de vritablement comprendre lvolution des ides relatives la rvision de la
constitution, il fallait enrichir les enseignements tirs de ces sources par un complment
indispensable qui se trouve dans les crits des commentateurs, souvent acteurs eux-mmes. Ainsi,
par exemples, de Sieys, Constant, Guizot, Lamartine, Laboulaye, Bastid ou Prlot qui ont t la
fois membres dune assemble (souvent constituante) et ont publi leurs rflexions doctrinales en
dehors. Dans la seconde moiti du vingtime sicle, ce type de personnage est devenu de moins
en moins frquent. Toujours est-il que leurs propres ides ou celles dun mouvement auquel ils
ont appartenu devaient tre sondes galement, pour rendre pleinement compte de lvolution de
lide de rvision de la constitution.
72 Ce qui ne nous empche pas de discriminer entre elles et au sein de chacune, les discours empreints de spontanit et ceux qui taient crits au pralable, les reproductions immdiates ou celles contrles par un organe de lEtat ou leur auteur avant publication. Pour une vue densemble des problmatiques lies aux dbats, voir spcialement lintroduction de Faire parler le Parlement, op. cit. 73 Voir J. Varela Suanzes-Carpegna, Lhistoire constitutionnelle : quelques rflexions de mthode , Comment crit-on lhistoire constitutionnelle ?, Paris, Kim, 2012, pp. 57-74. 74 Ibid.
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En effet, si les discours tenus la tribune peuvent tre dune qualit doctrinale
remarquable, ils nen sont pas moins marqus par les circonstances dans lesquels ils sont
prononcs : composition de lAssemble, ambiance calme ou fivreuse dans lhmicyle voire dans
les tribunes, sujet abord, contingences politiques, etc. La parole de ceux qui taient la fois
reprsentant et auteur prend alors une autre dimension lorsquelle est confronte leurs
productions doctrinales. Lesquelles sont, par ailleurs, toutes autant empreintes des circonstances
qui entourent leur criture mais cette influence est tempre par le choix du moment et de
lendroit pour les rflchir.
Notre approche est donc aussi doctrinale : elle considre aussi bien les comptes
rendus de sessions parlementaires, principalement quand ces dernires ont un caractre
constituant, les opuscules destins laction politique la plus immdiate ainsi que les articles de
presse, la jurisprudence et, enfin, les publications de caractre scientifique 75. Au fond, il nous
semble que les deux approches sont insparables76 puisque pour comprendre les textes qui
relvent de la perspective normative-institutionnelle, nous faisons appel des documents qui sont
plutt utiliss par la perspective doctrinale. Ainsi lapproche doctrinale servira lapproche
normative-institutionnelle pour comprendre ce que signifie rviser la constitution .
Grce cette mthode, spcialement grce ltude des dbats constituants,
lidentification de la force politique qui sempare de la puissance constituante pour imposer la
Constitution est largement facilite. La dmarche poursuivie par les auteurs de constitution est
alors, et globalement, rendue plus lisible. On comprend, par exemple, pourquoi la rvision de la
constitution est systmatiquement le dernier et le plus court dbat dun processus constituant : il
intervient en conclusion dun effort de rgnration, comme le fate qui protgera ldifice des
75 Ibid., p. 58. 76 Le professeur Varela Suanzes-Carpegna considre quant lui que, Bien quil soit invitable que lhistorien du constitutionnalisme contre son attention sur lune des deux perspectives, la conjugaison des deux est souhaitable. , ibid., pp. 58-59.
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temptes venir. La mtaphore des prvisions mtorologiques est rcurrente dans les analyses77
et les discours politiques78 pour signifier les dangers qui psent, ou pseront, sur lordre
constitutionnel. Si nous la reprenons ici, cest dans le but de souligner que le projet politique mis
en forme juridique au moyen de la constitution est celui-l mme qui doit tre garanti par la
rvision constitutionnelle.
Les tenants de la puissance constituante, parvenus au terme de la rdaction dun texte
constitutionnel qui formalise la Constitution quils imposent, doivent ncessairement se pencher
sur la question de la garantie de ce texte ; lequel est la condition de ralisation de la Constitution.
Le professeur Baranger le rappelle dune autre manire : La constitution crite, dit-il, est tourne
vers lavenir en raison de linspiration politique que lui dsigne le constitutionnalisme. 79 En tant
que rgle, elle rsoud un problme initial, celui du passage des forces antrieures au rgne du
droit, ce rgne lui-mme 80 ; Le constituant originaire se mue alors en constituant driv
qui a pour mission de maintenir la constitution. 81
Il sagit dun moment critique o, selon le doyen Hauriou, la cration du nouveau ne
produit une dure que par lintervention dun rythme de ralentissement. 82 La prvision dun
organe de rvision par les constituants correspond ce besoin de ralentissement aprs
lacclration quils ont provoque en changeant de Constitution. Ils vacuent le pouvoir
77 Pour exemples : chez Mme de Stal, Les auteurs de cette constitution [1791] lancrent la mer un vaisseau mal construit, et crurent justifier chaque faute en citant la volont de tel homme, ou le crdit de tel autre. Mais les flots de lOcan, que le navire devait traverser, ne se prtaient point de tels commentaires. , uvres compltes de Mme la baronne de Stal, Tome 12, Paris, Treuttel et Wurtz, 1820-1821, p. 396. ; chez M. Deslandres, Secouez donc, par consquent, la bate torpeur de vos concitoyens, faites-leur entrevoir ces ralits sociales que vous tudiez, puisque vous tes une cole sociale, et, brisant le moule troit de vos proccupations, jetez un coup dil sur cet ordre politique si voisin de lordre social, en dpendance et en corrlation avec lui, pour que la socit ne se trouve pas, un jour donn, en une nuit de sommeil, suprise par un flot qui lemporterait ! , Cours de Doctrine & de Pratique Sociales , Semaines sociales de France, VIme session, Bordeaux, 1909, p. 202 (cit par S. Pinon, Maurice Deslandres et le droit constitutionnel, un itinraire, Dijon, EUD, 2012, p. 118) ; chez J.-M. Denquin, propos des rsultats du referendum du 28 septembre 1958 : Et il ne faut pas perdre de vue que le rsultat global des lections est dtermin, quant lui, par les mouvements lchelle nationale : vaguelettes, vagues ou raz-de-mare en faveur de tel mouvement politique. Ces clichs traditionnels ne sont, pour une fois, pas mal venue en leurs mtaphores marines : les cartes, o les spcialistes de la gographie lectorale inscrivent les rsultats successifs, voquent bien, quand on les comparent, les flux et reflux de la mer. Les gris de plus en plus noirs, bastions de ce parti ou de tel autre, mergent du blanc hostile. Parfois celui-ci senfle et npargne que quelques les. Parfois la mer se retire et les socialistes, par exemple, passent le Gers pied sec. , 1958, la gense de la Ve Rpublique, pp. 238-239. 78 Pour exemples : le comte de Saint-Aulaire, propos du gouvernement, la sance du 13 fvrier 1816 : Qui le protgera ?... Qui assurera sa marche sur une mer battue de tant dorages ?... Ne craignons rien, Messieurs, pour le vaisseau charg de nos plus chres esprances ; un pilote habile peut saisir un gouvernail qui brave les temptes, qui sillonera paisiblement les flots les plus menaants. , AP, 2me srie, Tome 16, p. 144 ; E. Depreux, la sance du 10 avril 1946 de lAssemble Nationale Constituante : () la Constitution de 1875 tait imprgne de lesprit de la bourgeoisie orlaniste, la rigueur rallie la Rpublique, la condition que celle-ci ne soit pas trop rpublicaine, quelle soit bien sage, quelle soit timore, quelle lve des digues contre la mare montante des revendications sociales. , JORF, n 44 du 11 avril 1946, p. 1676. 79 D. Baranger, Temps et Constitution , Droits, n 30, 2000, p. 58. 80 Ibid., p. 63. 81 Ibid. Nous soulignons. 82 M. Hauriou, Prcis de droit constitutionnel, Paris, Sirey, 2me d., 1929, p. 7.
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constituant83 pour norganiser que la seule possibilit de corriger le texte constitutionnel parce
quils craignent un retour de la puissance constituante entre les mains de forces politiques
hostiles, ils craignent ce que lon pourrait dsigner comme lennemi intrieur . De cette
manire, par cette voie ouverte la modification du texte constitutionnel, les constituants
organisent la protection de la Constitution.
Cet objectif, cette fonction assigne la rvision de la constitution est systmatique y
compris lorsquune procdure de rvision est juge inutile : ne pas lintgrer au texte
constitutionnel cest prvenir les usurpations dun organe de rvision, cest donc encore protger
la Constitution. De mme, le refus de faire aboutir une rvision parce quelle est pressentie
contraire la Constitution est un mouvement de prvention, un mouvement de protection de la
Constitution. Toutes ces situations, nous les avons rencontres entre 1789 et 1852.
A la suite de ce premier temps de lhistoire constitutionnelle, la pratique de la rvision
constitutionnelle a pu tre envisage de manire moins dramatique. Cest alors quune pratique de
la rvision constitutionnelle est permise et dvoile ses propres dangers : laccumulation de
rvisions peut conduire une transformation si profonde du texte constitutionnel quelles en
atteignent la Constitution. Un nouvel enseignement en est tir, selon lequel il apparat que la
rvision constitutionnelle, pour protger efficacement la Constitution, doit avoir pour fonction
damliorer la constitution.
Si ltude historique du droit peut rvler des constantes malgr les divergences
momentanes des discours et des opinions professes, cest la faveur du temps lui-mme. Pour
cette raison, nous avons fait le choix dun plan chronologique parce quil rend exactement
compte de lvolution des fonctions assignes la rvision constitutionnelle. Conscients que Le
fait quil soit possible de donner du sens lhistoire constitutionnelle suppose quil ny ait pas un
83 Voir sur ce point les analyses de A. Negri qui propose une rinterprtation du pouvoir constituant contre celle du constitutionnalisme : Le constitutionnalisme est une doctrine juridique qui ne connat que le pass, cest une rfrence continuelle au temps coul, aux puissances consolides et leur inertie, au repli sur soi de lesprit alors que le pouvoir constituant est toujours un temps fort, venir. Les puissances voques par lauteur sont bien les forces qui semparent de la puissance constituante et cherchent imposer leur Constitution. Notre analyse de la puissance constituante se rapproche donc de son acception du pouvoir constituant en tant quelle est indissociable de la rvolution. De mme, quand lauteur affirme que le concept de pouvoir constituant exprime la normalit de la rvolution, et nous propose une dfinition de ltre comme mouvement de transformation , il sagit aussi de ce que nous appelons puissance constitutante. Nanmoins, notre analyse se veut juridique et tente ncessairement dexpliquer le phnomne dinstallation dun ordre juridique, le phnomne de fixation du politique. Ce que prcisment lauteur cherche dpasser par une nouvelle acception du pouvoir constituant, et du politique quil assimile in fine : () il est la dfinition mme du politique () , Le pouvoir constituant Essai sur les alternatives la modernit, Paris, PUF, coll. pratiques thoriques, 1997, pp. 16 & 439.
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sens de lhistoire constitutionnelle 84, notre plan chronologique na dautre but que de souligner la
cohrence de nos observations.
Notre ambition ntait pas dlaborer une nouvelle thorie de lhistoire constitutionnelle
franaise et elle ne lest pas devenue. La thorie des cycles constitutionnels de M. Hauriou85 ou
celle de lalternance de M. Deslandres86 ont leur cohrence propre et il ne sagit pas ici de les
rfuter. Elles sont deux efforts pour envisager lhistoire dune manire qui ne soit plus linaire et
progressive comme elle ltait majoritairement au cours du XIXme sicle. A peine plus tard,
G. Vedel, suivi par les professeurs J. et J.-E. Gicquel, renoua avec ce type de vision continue et
proposa de considrer chaque rgime comme une vague venant schouer sur la plage, dposer
un peu delle-mme dans le sable avant de se retirer87. Dans le mme sens, notons enfin le regard
du professeur Morabito qui scrute la formation de traditions constitutionnelles 88 permettant de
comprendre chaque rgime la lumire de ceux qui les ont prcds. Chacune de ces manires
daborder lhistoire constitutionnelle relve, au fond, le dfi de saisir une permanence, des
constantes au sein du droit constitutionnel franais, malgr son exceptionnelle diversit.
Sans chercher donner une prfrence lune ou lautre, nous avons constat que deux
fonctions sont systmatiquement attribues la rvision de la constitution par chacun des
rgimes que lhistoire constitutionnelle franaise a connus. Il apparat galement quau cours de
ces deux cents ans, un certain orde de priorit entre ces fonctions sest invers. De la Rvolution
la fin de la Deuxime Rpublique, du fait dun affrontement presque permanent pour la
puissance constituante, la protection de la Constitution est une ncessit absolue chaque
nouvelle fondation. En revanche, du Second Empire la Cinquime Rpublique incluse, la
stabilisation progressive des puissances permet une pratique durable des constitutions. Les
retouch