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Nicolas Sidoroff Cefedem 2003-2005 Musiques Actuelles Regards sur le lieu et le répertoire à partir du groupe

Regards sur le lieu et le répertoire à partir du groupe

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Page 1: Regards sur le lieu et le répertoire à partir du groupe

Nicolas Sidoroff

Cefedem 2003-2005Musiques Actuelles

Regardssur le lieu

et le répertoire

à partir dugroupe

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Regardssur le lieu et le répertoire

à partir du groupe

ABSTRACT :

Ce travail cherche à ouvrir quelques "cases" dans laréflexion des enseignants.Au travers de 5 entretiens (2 musiciens, 2 artistes de cirqueet 1 syndicaliste), ce travail interroge le groupe et l'actioncollective sur deux aspects :

- le lieu : la ville et la maison symbole du "être ensemble"(le lieu et le groupe s'influence mutuellement).

- le répertoire : contenu artistique envisagé par les modesde coopération et de négociation mis en œuvre pour leréaliser, c'est à dire un fruit d'un « monde de l'art » ausens d'Howard S. Becker.

MOTS CléS :

GroupeLieu – MaisonRépertoire – Coopération – NégociationMondes de l'ArtPédagogie Institutionnelle

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« Nous ne pouvons pas faire l'économie de penserque le savoir a commencé par être groupal. »

Jacques Lévine et Michel Develay

Phrase appuyée dans l'introduction de leur livre"Pour une anthropologie des savoirs scolaires"

« Music for me has so much to do with people connecting. »

Bill Frisell

Dans le livre-liner-notes du coffret"Naked City – The Complete Studio Recordings"(Tzadik 2005, TZ7344-5)

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REMERCIEMENTS

À Monsieur Eddy Schepens…Les capacités de compréhension et synthèse, de reformulation et mise en perspective,d'écoute et de questionnement, ainsi que les nombreux conseils de lectures, etc…m'ont été très enrichissants !

À toutes les personnes que j'ai contactées pour des entretiens :Giacomo, Roberto, François, Didier, Jean avec qui j'ai eu la chance de discuter (dansd'autres circonstances que celles dont on avait l' "habitude")Et aussi Patrick, Guigou,… dont les emplois du temps n'ont pas pu se mettre encorrespondance avec le mien : parti remise ?

Spécial dédicace à Marc Ribot et King B, alias King Buzzo, alias Buzz Osborne…J'ai choisi de faire la route de ce mémoire accompagné par leurs guitares.Donc, une grande révérence pour :

- leur groupe : (the) Melvins, Fantômas, Shrek, Rootless Cosmopolitans, etc…- leurs "copains de disque" : entre autres, parce qu'ils reviennent souvent (et que je

les aime bien, ce qui a suffit pour les faire entrer dans l'univers de ces pages !)… John Zorn, Trevor Dunn, Tom Waits, Mike Patton, Melvin Gibbs, Jim Pugliese …

À Angélique ma douce et tendre,(le "partage" des tâches ménagères utiles et pratiques s'est quelque peu déséquilibréces derniers temps…)

Et, 1000 mercis sincères, à toutes les personnes (sans doute plus de 1000…) qui fonten sorte qu'on puisse boire du café ici et maintenant. Grâce à elles, certaines nuits ontquelques "durées éveillés"… ces pages en sont le témoin ( ! )Cela me permettra en plus de faire un clin d'œil complice en direction du vieuxdomestique d'Anthony Trollope, qui a l' "honneur" d'ouvrir l'exposé de la réflexiond'Howard Becker…

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SOMMAIRE

INTRODUCTION1) Premier point d'ancrage 62) Deuxième point d'ancrage 73 (=1+2) Point(s) de départ 74) Premiers pas 85) Itinéraire 8

LES ENTRETIENS1) Quels types de personnes ? 92) Qui ? 93) Prise de contact 104) Les entretiens proprement dits 105) Grille d'entretien 11

LE LIEU1) Dans un dictionnaire 122) Le lieu géographique (la ville) 133) Le lieu de proximité 16

LE RÉPERTOIRE, COOPÉRATION et NÉGOCIATION1) Le "répertoire" pour Giacomo 222) Le "répertoire" pour Jean 253) Qu'est ce donc alors que le répertoire ? 274) Pour les compagnies itinérantes / nomades 28

ACTUALISATIONS PÉDAGOGIQUES1) Le lieu 312) Coopération 333) Négociation 34

POUR CONCLURE… 36

BIBLIOGRAPHIE 37

ANNEXES 38Comptes-rendus d'entretiens

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INTRODUCTION

1 ) Premier point d'ancrage

Mon premier questionnement a fait suite à deux réflexions :

- la plupart de mes questions sur la démocratie, de mes apprentissages sur la vie engroupe, de mes interrogations sur le "vivre ensemble" et la politique… sont nés etont été réalisés dans un groupe de musique ;J'entends par "politique" l'ensemble des pratiques, des faits, des institutions et dessystèmes d'organisations du fonctionnement de la société.

- la vie en groupe, musical par exemple, me semble être une source inépuisable depistes pour réfléchir à ces questions. Et ces problèmes ne sont que très peudébattus ou questionnés (voire même simplement abordés !) dans une école demusique. Pourtant, ne pourrait-elle pas être le lieu idéal pour cela ? J'en ai en toutcas l'impression.

Mon envie était donc de questionner la démocratie et l'école de musique :La démocratie s'enseigne-t-elle ? Et surtout : s'apprend-elle ? Comment ?Quelle spécificité peut alors revêtir l'école de musique dans cet apprentissage ?

Ce point de départ posé, j'ai voulu me concentrer sur deux aspects, pour prendre unangle d’attaque et me permettre d'aborder ce vaste sujet :

- la liberté…Comment "produire" de la liberté ? Est-ce possible ? Et de quelles manières(quelles organisations, quelles procédures, quels dispositifs, quelles pratiquespédagogiques,…) ? Je pensais, grâce ou à partir de cette entrée, pouvoirinterroger entre autres par exemple, l'improvisation (laquelle et comment ? pourquelle/s liberté/s ?), ou encore la culture musicale (sur le principe du : « plus on"connaît", plus on est libre »), ou encore etc…

- le fait d'être et devenir acteur et créateur de sa vie, individuelle et collective.Comment de telles personnes se construisent ? De quelles manières aider /participer à / permettre une telle construction ? Ces questions m'ouvraient laporte vers des notions comme les contrats, les projets, l'évaluation formative,etc…

Pour illustrer cela, la définition d'Alain Touraine du "sujet" et ses réflexions sur ladémocratie comme condition politique d'existence de ces sujets, sont intéressantes :

« La démocratie est l'organisation institutionnelle des relations entre sujets. C'estdans et par la démocratie que l'autre peut être reconnu comme sujet […] » (p316)« J'appelle sujet la construction de l'individu (ou du groupe) comme acteur, parl'association de sa liberté affirmée et de son expérience vécue assumée etréinterprétée. Le sujet est l'effort de transformation d'une situation vécue enaction libre ; il introduit de la liberté dans ce qui apparaît d'abord comme desdéterminants sociaux et un héritage culturel. » (p23)« Un individu est un sujet s'il associe dans ces conduites le désir de liberté,l'appartenance à une culture et l'appel à la raison. » (p29)

<Alain Touraine, "Qu'est-ce que la démocratie", Fayard biblio essai, 1994>

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Pensant (naïvement !) restreindre un petit peu le problème, je n'avais fait quecommencer à en détailler une petite partie… Et une partie encore trop vaste grande etlarge pour un mémoire et pour espérer commencer à tirer des premières conclusionsqui puissent être un minimum opératoires…

2 ) Deuxième point d'ancrage

Militant des musiques dites actuelles, leurs définitions m'intéressent…Je serais plus partisan d'une définition par procédures plutôt que par ceinturage dechamps esthétiques et / ou stylistiques.Au moins deux procédures me paraissent être essentielles dans ces musiques que j'aienvie de défendre :

- elles se font en groupe,- elles se font autour de créations.

Je ne voudrais pas entrer plus avant dans les questions qui pourraient croiser cescaractéristiques, par exemple : ces musiques sont-elles créatrices parce qu'elles se fonten groupe ? Ou : est-ce que c'est parce qu'elle sont créatrices qu'elles se font engroupe ? Peut-être même bien les deux en même temps…Mais on comprendra bien que ces préoccupations, puisque parties intégrantes de monquestionnement, seront sous-entendues derrière mes interrogations.

Je souhaiterais citer quelques mots de François Ribac, tiré de son livre "L'Avaleur deRock", un extrait de la première phrase de son chapitre III (justement) intitulé "Legroupe comme référence" :

« Nous avons vu […] qu'un des traits saillants du rock était par delà la diversitédes genres, d'être constitué de groupes de créateurs » (p83)

Il dit plus loin que : « Le groupe est le cadre du rock » (p129) et que : « Cetteorganisation est spécifique au rock » (p95)

<François Ribac, "L'Avaleur de Rock", éd. La Dispute, 2004>

3 =1+2 ) Point(s) de départ

Je voulais interroger la liberté…J'ai deux expériences de groupe radicalement différentes : un dans lequel ma libertédisparaissait, un autre dans lequel au contraire elle pouvait (et était appelée à) sedévelopper. Ma première hypothèse formulée a donc été que le groupe joue avec laliberté individuelle. Il peut en créer, aider à en construire, de même qu'il peut endétruire. Le fonctionnement et l'existence d'un groupe sont intimement liés à cetteexercice de la liberté du sujet en son sein. A partir de maintenant, nous prendrons pourdéfinition du sujet celle d'Alain Touraine. L'expérience de cette liberté dans un groupepourrait être un point central de l'apprentissage du "vivre ensemble", dudéveloppement du sujet d'une part, et de la reconnaissance de l'autre comme sujetd'autre part.

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Mes interrogations sur la politique sont nées au cours de ma vie en groupe de musique.J'ai le sentiment que l'organisation d'un groupe, c'est-à-dire la manière de faire et degérer le collectif, est en étroite relation avec une vision politique de la société, unevision politique du monde que l'on se crée, s'invente, se construit, se fantasme,… Celaa été ma deuxième hypothèse de départ.

Une préoccupation commune à ces deux problèmes commençait à se faire sentir : legroupe. C'était peut-être mon point d'entrée…

Je souhaitais aussi mettre en question le comment devenir acteur et créateur de sa vie.Cette démarche, forcément individuelle, peut-elle prendre du sens et prendre corpsavec d'autres ? Par coopération ? Par confrontation ? Cela a été ma "dernièrehypothèse initiale" : le groupe, en existant par des actions communes et collectives,aide à cette construction et réalisation du sujet.

Mon point départ sera donc l'interrogation de l'action collective, dont la musique (etcelles de groupes de rock en particulier) peut être une des expressions.Restait à savoir comment commencer…

4 ) Premiers pas

J'ai décidé de procéder par entretiens, pour plusieurs raisons.

La première est que cette manière de procéder m'attirait. Mettre en place une petiteétude qualitative, clinique, pragmatique (c'est-à-dire non rationaliste) me paraissait êtreune bonne expérience pour un "début" en science humaine.

La deuxième est que j'allais devoir mettre à jour et interpréter des schémas de pensées,des constructions conscientes et inconscientes,… : des représentations. En envisageantle travail d'enseignant comme un aller-retour incessant et continuel, entre desdéterminations de représentations et des propositions de dispositifs pour les affiner, jetrouvais ce travail particulièrement formateur de ce côté là.

La troisième est que ce sujet me tient à cœur, j'ai déjà des idées sur la question,…Donc il me paraissait intéressant et enrichissant de commencer une réflexion surd'autre bases, à partir d'un matériel nouveau.

Comment différentes personnes avec différentes expériences construisaient et sereprésentaient la vie en groupe, en collectivité ? Peut-on en dégager quelques idéespour l'école de musique ?

5 ) Itinéraire

Après avoir détaillé ma méthode opératoire, j'ai choisi d'explorer deux pistes :- le lieu ; l'apparition de cette notion m'a surprise…- le répertoire ; qui traversait de parte n part un entretien

Ensuite je développerai quelques pistes pédagogiques à partir des thèmes traités etabordés le long de cette analyse.

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LES ENTRETIENS

1 ) Quels types de personnes ?

Il me paraissait intéressant de confronter différentes forme d'action collective :

- le cirque et la vie en compagnie itinérante sous chapiteau ;Cette vie nomade ne correspond pas à un modèle répandu dans le milieu musical,elle y est même assez rare. Quelles influences peut-elle avoir ? La vie "ensembletout le temps" change-t-elle quelque chose aux activités, procédures et résultatsmis en jeu ?

- un domaine non artistique mais avec des activités collectives : un syndicat ;Je trouvais intéressant de confronter des expériences artistiques avec desexpériences syndicalistes. Avec la petite hypothèse que les artistes seraient plutôtdes gens qui ont pour but de faire des choses ensemble, puis / donc quis'organisent. A la différence des syndicalistes qui seraient des gens avec audépart un projet de société (osons dire un projet politique) avec une idéed'organisation, puis / donc faisant des choses ensemble.Mais est-il bien raisonnable de chercher à différencier les deux et à dire que l'unvient avant ou après l'autre ?

2 ) Qui ?

Les musiciens :

- Giacomo :Chanteur-slammeur et formateur, plutôt spécialisé dans les "musiques urbaines".Avec une expérience de groupe assez ancienne maintenant, il travaille plutôt en"électron libre" depuis.Il était assez intéressant d'interroger au moins un chanteur : le rôle et la place dela voix font qu'ils n'ont pas la même expérience du "leadership" qu'un autremusicien. Ils ont le micro et disent du texte (des fois).

- Jean :Contrebassiste dans plusieurs groupes, dont un depuis presque 40 ans ! Onrangerait plutôt son esthétique dans le jazz, voire free-jazz que dans le rock, maisavec la démarche "en groupe et création" dont je parlais précédemment. Il a unelongue et riche expérience de la vie collective, par ce groupe, mais aussi grâce àsa participation depuis sa fondation, à un collectif de musicien : l'ARFI.

Pour la compagnie de cirque, j'ai discuté avec deux personnes l'une après l'autre, desgens que je connaissais pour avoir travaillé un peu avec eux et les avoir croiséesplusieurs fois :

- Roberto- François

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Ils font partie de la même compagnie (la Rital Brocante) et l'ont monté ensemble enquittant en même temps la même compagnie : il me paraissait intéressant aussi d'avoirdeux éclairages différents sur les (presque) mêmes histoires : une en-cours et uneterminée.

Pour le syndicat, j'ai choisi la CNT : un syndicat avec un projet de société dont découleune organisation, et dans lequel se passent encore des activités collectives : édition dejournaux et revues, rédaction de tracts et création d'affiches régulières, organisation demanifestations (pas seulement revendicatives) et débats, etc… :

- Didier

3 ) Prise de contact

Je les connaissais tous, et eux me connaissaient.Sauf Didier de la CNT. Pour prendre contact avec lui, je suis passé à une permanencedu syndicat exposer le travail que je voulais faire et mon "sujet". Je l'ai présenté par lepoint d'ancrage #1) : école de musique et démocratie, donc liberté et création de sa vie,et pour cela le groupe et la vie collective. J'ai laissé mon numéro de téléphone avecune petite annonce. L'information a circulé et c'est lui qui m'a rappelé.

Sinon, pour les autres, le contact s'est fait par téléphone, en exposant le pourquoi de cemémoire et mon début de problématique.

Je n'ai essuyé aucun refus. Personne n'a demandé l'anonymat, seul Didier m'a demandéde ne pas faire apparaître son nom de famille… que je ne connais pas du coup !

4 ) L'entretien proprement dit

Certains se sont passés sur leur lieu de travail (Roberto et Giacomo), d'autre dans desbars (Didier et Jean), et un dans sa maison (en l'occurrence son camion : François).

Le plus court a duré environ 1h30 : nous avions tous les deux des rendez-vous après, etil y avait une grève des transports ce jour là. Donc nous avons dû écourter notrediscussion (Giacomo). Pour les autres, la durée était plus de l'ordre des 2h. Jusqu'à plusde 2h30 pour le plus long… mais l' "entretenu" était malade (Roberto) !

Le principe était de lancer le sujet : en général une question large et ouverte sur leparcours jusqu'à aujourd'hui. Puis, laisser parler le plus possible, et ne relancerqu'après chaque "long" temps de silence. Ces relances apparaissent dans le compte-rendu.

Il m'est arrivé aussi de demander des explications pendant la conversation sur destermes ou des détails qui gênait ma compréhension de ce qui était raconté. A chaquefois, j'essayais de reprendre les termes et les formulation qu'ils utilisaient, pour essayerd'influencer le moins possible les réponses et surtout la manière de les formuler et lesprésenter. Ces questions ne figurent pas dans le compte-rendu.

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Mais j'ai par exemple, raté complètement mon coup à un moment pendant l'entretienavec François. Il ne se saisissait pas de ma question… Après quelques essais, je mesuis finalement entendu lui donner un exemple de formulation, dans l'intention de luifaire comprendre ! Mais, ensuite il a totalement repris à son compte ma formulation :ce n'était plus la sienne ! (F40à42)*. Je l'ai alors fait apparaître dans le compte-rendu.

Je partais avec une grille d'entretien (cf. ci-dessous point 5°) avec les questions etproblèmes que je voulais aborder. Souvent, au bout des 2h, on avait à peine eu letemps de traiter quelques points, donc "tous" les aspects ne sont pas abordés dans tousles entretiens.

Pour tous, la prise de note s'est faite à la main pendant l'entretien.Le compte-rendu a été tapé ensuite dans le plus bref délai, pour rester au plus près desidées et de la manière de les exprimer. Cette reformulation par écrit est disponible etconsultable dans les Annexes.

Dans le corps du texte je fais référence à ces entretiens par citations : en italique etentre guillemets «».

* Le contenu des entretiens est codé entre parenthèse par la première lettre du prénomde la personne concernée, suivie de 2 chiffres indiquant le numéros du paragraphedans le compte-rendu. Si nécessaire, il suffit alors de se reporter dans les Annexes.Par exemple : (F40à42) signifie que le texte auquel il est fait référence est l'entretiende François, paragraphe 40 à 42.

5 ) La grille d'entretien

- parcours et itinéraire jusqu'à maintenant ?

- quelles expériences de fonctionnement dans les différents groupes ?- quelles organisations dans les différents groupes ?

concernant les prise de décisions, l'exercice du pouvoir…au niveau musical / artistique, humain, collectif…division et distinction du travail…

- quels apprentissages et comment pour vivre en groupe ?- quels apprentissages dans / avec la vie en groupe ?

- lien liberté / groupe ?- expérience en projet solo ?- expérience en position de "leader" ?

- lien politique / art / société / activité du groupe ?place de l'individu et place du groupe dans la société ?

Passons maintenant à l'analyse des entretiens…

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LE LIEU

Cette notion a traversé l'entretien de Roberto avec des « ici » réguliers et récurrents.Dans la retranscription il n'y en a "que" 7. Mais le terme avait été suffisamment répété,marqué et souligné pour que je le remarque au cours de la discussion. Il avait unemanière de les accompagner de gestes que je comprenais comme signifiant un doublesens (au moins) :

- l'endroit géographique du moment ;- un espace plus "symbolique" : la compagnie ou, peut-être plus exactement, le lieu

(dans tous ces différents aspects) créé par et pour la vie de cette compagnie.A la relecture, cette "notion" de lieu –d'endroit –d'espace –de place, est exprimée toutau long de l'entretien de Giacomo. Peut-être de manière différentes ?

Cela m'a relativement surpris. Ce n'est pas un terme, un champs lexical ou une idée,que je pensais voir apparaître dans une réflexion sur un / le groupe. Ma propreexpérience n'était vraiment pas centrée là-dessus… tout du moins pour le moment !

Mais avec un peu de recul, la question du lieu est peut-être, en fin de compte, central.

1 ) Dans un dictionnaire

Les dictionnaires donnent à la notion de "lieu" une première définition :« portion déterminée de l'espace considéré de façon générale et abstraite »

<Dictionnaire de la langue française Lexis, éd. Larousse, 1992>De façon abstraite ? C'est peut-être dans cet acte d'abstraction, de séparation mentaleet / ou de représentation non-figurative, que peut se construire et s'inventer des chosesintéressante pour la vie et l'action collective…

Avant de rentrer plus en détail, remarquons d'abord la richesse d'utilisation du mot"lieu". On peut dire :

- "donner lieu à" avec une idée d'opportunité et de prétexte, de création d'occasionpour faire, ou une idée de conséquence,… ;

- ou "il y a lieu de" avec une idée de convention, d'habitude,…- ou encore "en premier lieu" qui nous introduit dans le temporel et le déroulement,

la logique d'un raisonnement,…

Une poursuite de l'étude du dictionnaire opère des rapprochements de termes et denotions assez intéressants :

- En mathématiques : en 1691 pour le Larousse Lexis, arrive l'expressionmathématique de "lieu géométrique" qui tend à faire place au mot ensemble.Pour exemple, ils donnent la définition exacte de la bissectrice d'un angle : le lieugéométrique des points également distants des deux côtés de cet angle. Définitionque l'on peut formuler comme étant : l'ensemble des points également distantsdes deux côtés de cet angle. Le lieu serait un ensemble ?

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- En littérature classique, on peut aussi relever plusieurs utilisations du mot "lieu" :

Comme endroit ou une partie du corps ou un objet. Pour exemple, une citation deScarron : « son frère n'était pas blessé en lieu dangereux ». Ce qui faitimmédiatement penser à…« L'emploi du terme membre indique clairement une analogie entre les membresdu corps et ceux d'un groupe »

<François Ribac, "L'Avaleur de Rock", éd. La Dispute, 2004, p129>

Comme une idée d'origine ou de famille avec une citation de Corneille : « elle estbelle, elle est sage, elle sort de bon lieu »

Comme personnage objet d'un sentiment ou le terme d'une action. A la manièrede Malherbe qui a écrit : « quand nous voulons donner, il faut prendre garde à ceque se soit en lieu qui le mérite »

En essayant de rassembler tout cela : un lieu peut être un ensemble, peut exprimer unepartie du corps comme les membres (…d'un groupe de rock), peut signifier l'origine etla famille d'un individu (ou d'un groupe), peut être le terme d'une action, etc…

Il n'est donc pas étonnant du tout de retrouver cette idée dans une réflexion sur lanotion de groupe !

Prenons comme point de départ : le lieu est une inscription dans un espace. Tout aulong des entretiens, on peut retrouver ce thème décliné suivant trois dimensions, troisaspects :

- la géographie : ce sera l'idée de lieu géographique comme la ville,

- la proximité : l'espace physique de son existence quotidienne comme la maison,qui peut prendre la forme d'un local, de bureaux, de camions, etc…

- le symbole : l'espace dans un sens plus abstrait de représentation, espace que l'oncrée, que l'on construit et que l'on invente.

2 ) Le lieu géographique (la ville)

2a) En liaison avec l'identité

En analysant les 5 premiers paragraphes de l'entretien avec Didier, l'informationgéographique est primordiale.En schématisant son enchaînement d'idées, dans l'ordre :

D01 : –famille –syndicat&lutte qui se détaillent : –sidérurgie –Lorraine, puisretour sur –syndicat&lutte ;D02 : notion de –déménagement : Montpellier&LyonD03 : –adolescence&révolte –révolution donc syndicat et pas politique –CNTD04 : –travail : Montpellier&Lyon, …

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Il y a 5 informations "géographiques" dans les premiers instants de présentation. Onperçoit tout de suite que l'idée directrice et principale est le syndicat / le syndicalisme.Mais on sent très bien aussi que la localisation est très importante pour situer lesinformations, les contextualiser, leur donner corps, les faire prendre vie et couleur pourl'interlocuteur et soi-même… Cela donne du sens et de la consistance.

On peut observer le même genre de phénomène chez Giacomo : chacun de sesexemples est situé géographiquement dans la ville où il a lieu : Bourges (G13),Chambéry plusieurs fois (G18&31), soirées VMC aux Subsistances (G17), etc…Un exemple n'est pas situé géographiquement : c'est la première illustration du "anti-répertoire" (G11), à tendance généraliste : elle demande précisions et détails, quisuivront, en étant cette fois, situés géographiquement.

Pour lui, ces précisions semblent fondamentalement nécessaires : une scène n'existepas en elle même , elle est dans un lieu. Cela correspond tout à fait avec les différentespetites phrases tendant à dire que le contenu artistique est en dépendance avec le lieu :

« C'est du partage total, on répond à ce que véhiculent le lieu, les gens enprésence, l'occasion,… l'âme des choses ? » (G31)« J'ai été attiré par la scène, ce n'est pas un hasard, pas pour rien : c'est un lieude rencontre, de réponse humaine. » (G35)

Ce qui veut dire que, pour décrire ce contenu, il faut aussi décrire le lieu. Laformulation et le fait de nommer cette place dans l'espace, détaille le contenu queGiacomo cherche à exprimer. Cela lui permet de préciser et illustrer ce qu'il veut dire,et pour lui et pour nous. Il sous-entend que, ailleurs, cela aurait été différents, en toutcas suffisamment différent pour ressentir le besoin de citer le lieu géographique.Il ne parle pas d'un "concert", mais vraiment de celui là, précisément dans cet espace.Et à ce moment aussi… C'est la seule personne avec Jean (les 2 musiciens…) qui parlevraiment de date "absolue" : 1985 (G02), 2002 (G15) 2003 & 1999 (G16),… Lecontexte temporel est aussi important, mais restons sur le lieu.

L'ARFI a aussi un rapport à la ville de Lyon (mais l'histoire ARFI-Lyon est unehistoire longue et ancienne, à rebondissements…). D'autre part, quand il parle desexemples d'association modèle de construction à l'époque de la création de l'ARFI, ilcite l'AACM de Chicago (J29) et FMP de Berlin (J30). Dans ce dernier paragraphe, onentend en plus une liaison entre la musique que l'on fait et sa place géographique :dans le rapport des européens au free-jazz, black power,… essentiellement afro-américains, l' « Outre-Altantique ». Ici, la notion géographique rejoint un contextesocial et culturel : l'Amérique certes, mais surtout les noirs en Amériques.

Avec ces quelques exemples tirés des entretiens, on voit bien que le lieu géographiquefait partie intégrante de notre identité et de nos actions.

D'autre part, on retrouve souvent cette idée :

De manière générale : nos coordonnées civiles par exemple, c'est-à-dire les détails denotre existence administrative, comprennent le lieu de naissance. Le numéro INSEEest codé avec le département de naissance (juste après l'indication du sexe), etc…

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Et dans un contexte plus musical :On peut regarder en détail les affiches et tracts de concert "rock", le groupe y estannoncé par, dans l'ordre d'importance graphique :

- son nom, son « étiquette » comme le dit François Ribac qui intitule le premierdéveloppement de son chapitre III sur le groupe :« Le nom du groupe est une étiquette »

<François Ribac, "L'Avaleur de Rock", éd. La Dispute, 2004, p83>- un assemblage de mots cherchant à définir le "style"- très souvent, en plus est indiqué la ville d'origine, généralement en petit caractère

entre parenthèse.Cette information, peut-être pas capitale, est quand même jugée plus importantepuisque notée et précisée que, par exemple… le détails des instruments, le nombred'année d'ancienneté, la moyenne d'âge, etc… (qui ne sont que rarement mentionnés).On parle de "scène lyonnaise", de "rock angevin", de "raï parisien" ou "marseillais", du"neuf trois" en rap, etc… On lie intimement Zebda à Toulouse, on dit "les 4 deLiverpool" pour signifier les Beatles, même 30 ans après la "disparition" du groupe,Paris "capital" de la World Music, etc…J'entendais il y a quelques jours une interview radio de Serge Gainsbourg à propos dela tournée "Love on the beat" : il voulait le son et les gens du funk new-yorkais, pas duTennessee ou de Los Angeles, non : new-yorkais.

Même des groupes prennent des noms de ville : les Memphis Horn par exemple,section cuivre mythique de la Stax (principalement Otis Redding, Sam&Dave, maisaussi Carla&Rufus Thomas, Aretha Franklin, Wilson Pickett, Al Green, etc…)Des villes donnent leur nom à des style de musiques : le New-Orleans, le Blues dudelta (du Mississipi), la house de Detroit,…

« L'expérience du nomadisme change le rapport au reste du monde. Les gens quel'on connaît sont comme sur une grande toile, ils s'éparpillent de Tirana àHelsinki en passant par Lisbonne, cela crée des distances et des éloignements. Et,cette distance et cet éloignement rapprochent de certains. » (R39)

Pour Roberto et François, et plus généralement, pour les compagnies itinérantes,l'appartenance géographique n'a pas tellement de sens (à une ville en particulier !).Ce qui n'empêche pas le lieu géographique d'être présent dans les entretiens.

Dans les premiers paragraphes de Roberto intervient le besoin de bouger, qui se traduitpar un changement de ville.Il a des souvenirs assez précis de sa rencontre de la première rencontre avec ledirecteur de la compagnie de spectacle de rue qui l'a engagé son frère et lui. Il laretranscrit sous forme de dialogue, dans lequel apparaît encore cette idée du voyage etdu changement de ville : « spectacle à 400km » (R06). Il s'en souvient, ce n'estévidemment pas un "détail" !Leur identité se construit sur d'autre espace, avec d'autre lieu.

Le lieu géographique (dont la plus "belle" représentation est la ville) est partieprenante de l'identité.Il sert aussi pour colorer, détailler, préciser, etc… Il donne du sens aux informationsque l'on souhaite faire passer. Il a de la signification, pour soi, les gens à qui l'ons'adresse,…

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2b) Le regroupement géographique qui fait force

Le syndicalisme de la CNT se pratique avec deux types de regroupement :- par secteur de travail (D31). L'unité de base est le syndicat sur les lieux de

travail, qui se réunissent ensuite en section puis corporation puis fédération,etc…

- et par secteur d'habitation, c'est l'Union locale (D32).Il compare ce fonctionnement à la Bourse du Travail début XXième siècle. Cettemanière de faire apporte une dimension politique considérable.

« Le caractère interprofessionnel des Bourses du travail est donc apparu commel'élément majeur de la nature de ces structures [centre d'agitation révolutionnaireet surtout de réorganisation de la société future]. Par interprofessionnelle, nousentendons un cadre rassemblant les travailleurs par-delà leur activité individuelleet leur identité professionnelle. » (p17)« Les Bourses n'ont pas pour seul objectif de rassembler les syndicats ouvriersd'une localité mais de transcender leur identité corporative dans une structurecollective horizontale, c'est à dire au niveau géographique, qui s'intéresse auxpréoccupations de la population ouvrière en générale. » (p17-18)

<David Rappe, "La Bourse du Travail de Lyon", Atelier Création Libertaire, 2004>

On peut sentir le même genre de phénomène dans la création de l'ARFI face à la villede Lyon. Un regroupement qui est à la fois :

- géographique, autour de et basé à Lyon pour faire face aux galères (J36). Ceuxqui partent ailleurs, Tours par exemple pour Jean-Luc Capozzo (J49) ne font pluspartie de l'histoire ;

- de musiciens avec le même "projet" (au sens large) musical. Ceux avec desenvies différentes ne font plus partie du collectif : Louis Sclavis ou Yves Robert(J04)

3 ) Le lieu de proximité

Le « ici » traverse tout l'entretien de Roberto. Le terme désigne : et le lieu spatial, et lemoment, et l'ensemble des choses communes, et le groupe, et la compagnie et sesfonctionnements, c'est-à-dire les institutions formées et construites,…Le retour constant sur cette notion au fur et à mesure du développement de sondiscours traduit son importance "vital" et sa préoccupation constante.

Intéressons nous donc maintenant à l'espace physique local, à la dimension et échelled'un bâtiment, d'une maison, d'une pièce. Il peut prendre la forme d'un local derépétition, de bureaux, de camion d'habitation, de chapiteau, etc…

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3a) existence et stabilité

« Pendant 6 ans, j'ai fait parti d'une bande de punks dans des squats. » (D06)« Personne n'avait la même histoire et les mêmes caractéristiques. Mais onpouvait dire qu'une organisation existait : le groupe se fractionnait avec un 1er

groupe qui partait faire la manche pour boire, un autre pour manger, nous et noschiens, et un 3ième pour fumer. Et avec ça, on faisait la fête le soir. En fait,l'organisation existait quand le squat était bien (je me souviens par exemple d'unimmeuble où l'on occupait les 4 étages). » (D07)

La bande punk s'organise à la condition d'un lieu d'habitation "correct" : l'immeuble de4 étages squatté. Le fonctionnement est lié à l'espace dans lequel on peut vivre etexister, donc commencer à s'organiser.L'existence demande un lieu qui ici s'appelle "squat" : une base pour permettre uneconstruction et une organisation. Cette organisation permet en retour de modifier le"squat" puisqu'on peut y organiser des fêtes.

Giacomo va un peu plus loin.L'entretien commence par la musique (G01). Puis viennent dans l'ordre (G02) : ladate : « 1985 », le contexte social : « bossais à l'usine », l'action « faisais du rock »forcément lié à une « bande de potes ». Puis les détails et précisions de cette action :répétition dans un « local ». Le mot reviendra ensuite (G05).Le local rend possible le « sérieux », terme déjà employé et associé précédemment autravail de la musique (G03).Par ailleurs, je l'ai suivi dans plusieurs interventions, et quand il raconte son histoire,l'usine qu'ils ont occupé à Villeurbanne est très importante et a une grande place ; c'estun axe central de son explication.Ce qui veut dire, que sans local ce n'est pas possible. On sait comment ce problème estcrucial pour les musiques actuelles encore actuellement (mais pensons aux cirque souschapiteau ou en rue…).

François ne dit pas autre chose :« Dans une compagnie itinérante, il arrive de ne pas avoir de lieu, pas de base,…et du coup quand il faut bosser, tu n'es pas fort, pas stable. » (F38)

Jean situe l'acte de naissance de l'ARFI dans une double action :- une première spatiale, quitter le Hot Club pour le Théâtre des Clochards Célestes

pour prendre son envol (J32)- et une deuxième musicale, la création d'un big band. (J33)

Et la première citée est celle concernant le lieu.En décrivant son parcours (J26à27), la 1ère chose est sa rencontre avec Maurice Merle,que nous savions être fondamentale . La 2ième donne la consistance de cette rencontre :un groupe de musique (le Workshop de Lyon) La 3ième rebondit sur un autre groupepour préciser une autre rencontre (celle avec Alain Gibert). Puis ensuite, après cetteintroduction rencontres / musique, vient : le Hot Club, le lieu où les choses se passent,l'espace physique qui explique et symbolise ce qui mènera à la création d'uneassociation : l'ARFI.Les rencontres puis la musique sont premières, et primordiales. Mais le lieu est aussitrès important : il "cristallise" l'action, il la rend possible.

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Un lieu est indispensable au fonctionnement, peut-être même sa condition première (lesquat, le local, le théâtre des Clochards Célestes,…).

L'espace physique local (que ce soit un bâtiment, un maison ou une pièce) ne fait pasque permettre l'existence et rendre possible une construction du groupe, permettre lanaissance d'une activité collective : elle consolide la vie du groupe, le rend stable, enreprenant le terme de François. Elle est partie intégrante de ce "vivre ensemble",puisque aussi résultat de cette activité collective..

« Les membres étaient d'accord musicalement, mais n'avaient pas tous le mêmeniveau d'implication : pas de temps, pas de place,… (pas de leur propre volonté).Il y avait comme un fonctionnement de fonctionnaire ! » (G27)

Giacomo explique le déséquilibre du groupe par le manque de temps et de place desgens. Manque de place ? Encore une fois, on a cette image d'un endroit (qui manquaitici visiblement) nécessaire à la stabilité de l'ensemble et la pérennité d'une œuvrecommune.

3b) la maison, symbole du "être ensemble"

« Dans cette mairie, tous les gens étaient dans des petites cellules, chacun dansson coin, alors j'ai essayé de mettre en place des choses ensemble : des soiréesfilms fantastiques le jeudi soir, des week-end théâtre pour les vieux, des ateliersautour du clown et de la jonglerie dans les classes des écoles. » (R22)

Roberto, pour parler de son "expérience militaire", utilise les termes de « cellules »,de « coins », etc… Il désigne et signifie des espaces occupés caractérisant un étatd'esprit contre lequel il va lutter en créant des activités.

D'autre part, l'exemple qu'il choisit pour illustrer une différence leader / chef est dansce qu'il appelle les « compléments de dates », et plus particulièrement le choix du« campement » (R43). C'est une affaire importante pour lui. Il y reviendra sur la fin :

« En plus, artistiquement, être un bon groupe cela ressort dans un spectacle. […]C'est des choses très importantes pour nous : comment le groupe t'amène à desrésultats artistiques où c'est le groupe qui ressort, et pas le metteur en scène ouun artiste en particulier. Il y a une force, une magie, un truc, c'est là que ça sepasse. Quand on débarque dans un festival, nos campements ne ressemblent àaucun autre, il y a un truc spécial, parce qu'on était bien. » (R66)

Il illustre l'importance du groupe par l'image et la représentation du campement.

Ce lieu qui permet l'existence, une construction et une consolidation, est aussi unetraduction, nous dirons plutôt une image et une représentation d'un état d'esprit, c'est-à-dire d'une manière d'être.

Appelons ces lieux, les espaces physiques locaux du début, sont comparables à des"maisons". La comparaison avec ce terme commun peut être intéressante…Telle que nous venons de la déduire des entretiens, la "maison", le lieu de proximité :permet d'être ensemble (condition d'existence et de construction du groupe) et résultedu fait d'être ensemble : c'est à double effet. Il faut s'attacher à rendre ce cerclevertueux.

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On comprend parfaitement cette importance pour une compagnie de cirque qui doitelle-même monter son chapiteau et construire sa "maison" collective et chacunconstruire sa "maison" individuelle.Le "nomadisme" traverse tout l'entretien de Roberto. Il insiste particulièrement sur lecamion et son aménagement : la création de l'espace, de la "maison" (R19). L'exemplequ'il choisit pour illustrer le fait du choix des « compétences naturelles naturellement »est celle du rangement (R30) : encore une idée d'aménagement d'espace pour lecollectif…

François lui, ne parle pas directement de lieu (maison ou chapiteau) dans son entretien.Mais on en avait beaucoup parler avant… Je suis arrivé sur place, un vendredi en find'après-midi juste avant une répétition. Il était seul sous le chapiteau à s'échauffer. Ace moment, on en avait beaucoup parlé, même que de ça en fait !Quelques extraits que je reformule maintenant…

« … Voilà notre chap', il est beau ? […] On a aménagé l'espace scénique avecnotre portique et ces éclairages […] Le camion pour dormir est celui de ZZZ làcôté du mien […] Tu verras, il est classe […] Je ne sais pas comment on va fairepour la lumière et l'électricité parce que qu'YYY arrive ce soir aussi, on vas'organiser […] On trouvera bien quelque chose … »

D'autre part, pour l'entretien qui s'est fait le soir après le repas, on était dans soncamion donc à l'intérieur même de son espace, de sa "maison".

Suite à ma question sur la vie itinérante, il parle de voyage :« Etre itinérant, cela veut dire poser ses camions quand tu arrives dans un bled.Tu deviens habitant de ce bled, du coup tu rencontres d'autres gens et pas de lamême manière. Tu crées ton village dans un village. C'est comme ça que je vois levoyage » (F55)

Cette dimension "espace" reste quand même très présente dans ce rapport aux autres, àl'extérieur de la compagnie. cela fait parti intégrante de sa vie.

La "maison" est l'espace où les choses se font. Elle existe et on l'investit, ou alors on lacrée plus ou moins de toutes pièces. On a vu précédemment que la "maison" permettaitl'existence et la stabilité du groupe. Et nous venons de voir que la vie du groupe faitvivre la "maison".

Le lieu, les lieux et le groupe sont en constantes interactions et s'influencentmutuellement.

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3c ) l'invention de "maison" et institution

Je voudrais revenir une dernière fois sur le « ici » de Roberto. Le terme désigne la"maison" au sens ou nous venons le voir, mais aussi symbolise l'ensemble des chosescommunes, le groupe, la compagnie et ses fonctionnements. Je parlais dansl'introduction de ce chapitre d'institutions formées, construites, inventées, modifiées,…On entend cette notion deux fois au moins dans son entretien.

La première est l'institution "repas" qui crée différents "espaces" avec différentesfonctions (R37) :

- le soir, un espace de parole et d'échange de services par le système d'invitationchacun son tour ;

- les autres qui créent des espaces et des moments pour soi, dont Roberto commeFrançois souligne l'importance.

« A propos du "pique-nique" on peut noter l'importance de la législation desrepas en commun (phidities) à Sparte, comme en Crête. Cette institution étaitd'ordre politique, puisque la citoyenneté dépendait la participation à ces repas. »<François Imbert, "Médiations, institutions et loi dans la classe", ESF éditeur, notes p22>

La deuxième se trouve dans la fin de l'entretien.Il parle avec une émotion assez intense, de « la puissance des choses faites ensemble »(R62). Puissance que je comprends comme : importance, valeur et grandeur.

« On a pu faire des choses dures à imaginer, on les a faites, et la manière dont onles a faite, dont on les a vécu , ça les a rendu belles et fortes. Par exemple àMirande, 10 personnes dans une tente commando-militaire par -5 à -6 °C dehorsl'hivers, pour faire à manger et vivre. » (R64)

Il prend l'exemple de la tente commando de Mirande, qui est typiquement un exempled'espace construit et inventé, par et pour le groupe : une "maison". Et, au regard desconditions matérielles, l' "institutionnalisation", c'est-à-dire l'établissement de règles,était obligatoire.

Je dois un peu préciser cet exemple, puisque je l'ai partagé une petite semaine aveceux. En 2002, la compagnie était en résidence dans un lycée agricole, à Mirande(30km de Toulouse) avec un chapiteau pour répéter, posé au coin d'un espace vertpouvant servir de terrain de sport. Le chapiteau (lieu de travail) était entouré descamions (lieu de vie individuelle) de chaque membre de la compagnie. Cette tentecommando sur le côté du chapiteau était, comme le dit Roberto, le seul autre lieu devie commune, c'est à dire "construit" en commun. Elle était véritablement construite,nous dirons plutôt "inventée" de toute pièce : table trouvée à tel endroit, des bancs etchaises récupérés partout et réparés, plan de travail et étagères bricolés à partir depalettes de transport, etc… C'était un lieu de cuisine et repas principalement, maisaussi détente commune, discussion, etc… Parce qu'en automne-hivers, peu de chosespeuvent se faire dehors…L'institution "repas " était déjà en place mais sous une forme différente.La chaleur humaine, au sens propre et figurée, y était présente et entretenue. On yfaisait allusion couramment et souvent, pour préparer le repas, organiser sonoccupation entre différentes activités, son nettoyage, etc…

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« Le syndicat est un lieu d'action et de réflexion, c'est une autre manière de réagirà ce que tu prends dans la gueule. » (D24)« Je vois la CNT plutôt comme un rassemblement qu'une organisation ou unechapelle. C'est un endroit où existent et se construisent la solidarité etl'émancipation. » (D46)

Cet endroit, ce lieu, cette place,… Tous ces termes du même champs lexical résumentet traduisent le fait que l'inscription dans un espace, des fois préexistant mais en toutcas, chaque fois, travaillé –construit –inventé, est une des composantes essentielles dela vie, en particulier de la vie en groupe.

Dans le début de sa dernière intervention , Didier dit : « Le syndicalisme est uneécole » (D47). Je trouve que l'image est assez représentative…

L'école n'est pas qu'un point sur une carte : c'est à la fois un lieu, certes géographiquequi prend sa place dans la ville, mais aussi une "maison", un espace à (ré-)inventercontinuellement, condition nécessaire pour, et en même temps, résultat des activitéscommunes, traduction d'un état d'esprit, etc…

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LE RÉPERTOIRE

COOPÉRATION et NÉGOCIATION

La notion (le mot même) de « répertoire » est central dans tout l'entretien de Giacomo.Pourquoi ? Quelles activités et représentations se cachent derrière ce mot ? Qu'endisent les autres ?

1 ) Le "répertoire" pour Giacomo

1a) dans l'entretien

Pour lui, très clairement, le répertoire s'oppose à l'impro. Il passe constamment tout aulong de l'entretien, de précisions sur ce qu'est le répertoire et sur ce que ce n'est pas,c'est-à-dire ce qu'est l'impro. Quelle interprétation peut-on faire de tout cela ?

« On a tout appris sur le tas […] Pour faire de la musique : monter un répertoire,etc… » (G09)

Faire de la musique c'est plein de choses évidemment, d'où les trois petits points. Maisla seule formulation qu'il énonce concerne le montage d'un répertoire. C'est donc assezcentral et important dans ses activités musicales.

« Aujourd'hui je sens que cette position : « le répertoire pour le répertoire », nesert à rien. Par exemple, l'idée des "Gccc" est la rencontre sur une date de 3personnes qui travaillent chacune de leur côté. Du coup, on travaille sur ladurée : veulent 30 minutes ? Alors on répète plusieurs "30 minutes". Il n'y a pasde contraintes, pas de postures de chef ou de questions / problèmes de pouvoir. »(G10à11)

« Un répertoire nécessite homogénéité, c'est-à-dire que tout le monde en fasseautant. […] Le répertoire a un côté très répétitif qui casse l'énergie et le plaisir.Le texte devient écrit et n'est plus joué. Je préfère l'arrangement sur le tas,dépendant du moment. Dans "Gccc", le principe est que toutes les contraintesdeviennent qualités : du coup, ce sont elles qui déterminent le répertoire. Lapédale est en panne ? On n'a pas de retours ? Possibilités de ne brancher que 2trucs ? …? Donc on fait ça ou ci. On choisit en fonction de ces contraintes. Unrépertoire, lui, crée de lui même des contraintes qui font que c'est impossible dejouer dans certaines conditions. Cela devient des limites.Les impros ne sont que du partage, puisque décision sur le moment, l'immédiat, le"tout de suite". Pas de jugement possible sur ce genre de création, alors que leschéma du répertoire fixe des choses, donc permet un jugement. » (G22à24)

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« Il existe plein de forces de résistance aux changements et aux évolutions, commele goût ou la fierté mal placée,… Ce sont des choses qui sont limitées, voire mêmeéliminées avec la musique faite sur le moment, contrairement au répertoire. »(G29)« Pour moi, maintenant, la notion de répertoire est associée aux concours, auxsolos guitar-héros, au déballage technique, au supporter de foot,… » (G30)« C'est du partage total, on répond à ce que véhiculent le lieu, les gens enprésence, l'occasion,… l'âme des choses ? Alors que le répertoire fige tout cela. »(G31)

Ce refus et ce rejet du répertoire signifie :- moins de contraintes. Il l'exprime deux fois : une fois en liaison avec la notion de

pouvoir, l'autre fois avec la création de limites. Et une dernière fois un peu plusloin avec la formule : « contraintes esthétiques » (G33)

- moins de fixité donc moins de jugement, de concours, de déballage technique- plus de rencontre, de jeux, d'énergie, de plaisir, d'immédiateté, de partage, etc…

On peut l'analyser de plusieurs manières. J'aimerais regarder cela sous deux angles : lacoopération et la négociation.

1b) la coopération

C'est à Howard S. Becker que j'emprunte le terme de « chaîne de coopération »,modalité essentielle à l'existence d'un monde de l'art. Il introduit cette idée dans unesuite logique de raisonnement : l'art est une activité pour laquelle il y a une division dutravail, donc pour laquelle se met en place une chaîne de coopération organisée suivantun ensemble de conventions. Et c'est ainsi que se construisent des « mondes de l'art » :

« Un monde de l'art se compose de toutes les personnes dont les activités sontnécessaires à la production des œuvres bien particulières que ce monde-là (etd'autres éventuellement) définit comme de l'art. » (p58)« Un monde de l'art est né quand il rassemble des personnes qui n'avaient jamaiscoopéré auparavant, et qui produisent un art fondé sur des conventions inconnuesou nouvelles jusque là ou utilisées à des fins nouvelles. Un monde de l'art est mortquand plus personne ne coopère selon ses modalité propres pour produire un artfondé sur son système de conventions. » (p310)

<Howard S. Becker, "les Mondes de l'Art", éd. Flammarion, 1982, trad. 1988>

Pour illustrer l'idée de chaîne de coopération, l'auteur choisit le cas d'un sculpteurutilisant des impressions lithographiques. Celui-ci voulait se servir des défautsd'impression comme procédé esthétique : les imprimeurs ont refusé catégoriquementne voulant pas faire preuve d'un manque de savoir-faire (p50). La production parmodalités de coopération suivant un système de convention crée tout un ensemble decontraintes.

Les contraintes telles que les expriment Giacomo ont beaucoup à voir avec cessystèmes de coopérations et ces conventions.D'autre part dans l'homogénéité du répertoire qu'il évoque, qui signifie que « tout lemonde en fasse autant » (G22) renvoie bien à une division du travail, donc forcément àune chaîne de coopération.

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1c) la parole et la négociation

Il paraît légitime d'entendre et "lire" une ou des formes de paroles (peut-être denégociation) derrière des mots comme rencontre, échange, partage, etc… Mots quel'on retrouve souvent chez Giacomo, associés à…

- la scène : G17 G18 G35 (rencontre) G18 (partage)- la musique : G04 G11 (rencontre) G18 G24 G31 (partage) G06 (échange)- la vie de manière plus générale : G18 G32 (partage) G32 (échange)

Essayons de regarder de plus près :Dans un dictionnaire, le terme "négocier" signifie en premier : « transmettre à unacheteur contre de l'argent liquide », puis « discuter afin d'arriver à un accord ». Etenfin "négociation" peut correspondre aussi à « l'examen en commun par desreprésentants qualifiés de 2 ou plusieurs groupes, d'une ou plusieurs affaires lesintéressants, d'un différent à régler, d'attitudes à adapter, d'un traité à conclure. »

<Dictionnaire de la langue française Lexis, éd. Larousse, 1992>

François Ribac, dans son chapitre sur les groupes, arrive naturellement aussi à parlerde négociation. A la suite d'une définition du sociologue Anselm Strauss, il écrit :

« […] La négociation est due aux désaccords, vise à les résoudre et implique destensions. L'union est bien un combat… »

<François Ribac, "L'Avaleur de Rock", éd. La Dispute, 2004, p99>

Dans ce que dit Giacomo, on sent ces aspects de tensions et de désaccords : donc unenégociation. Elle est plus ou moins faite, plus ou moins nécessaire,… Je trouve que leplus explicite est cet extrait :

« Il existe plein de forces de résistance aux changements et aux évolutions, commele goût ou la fierté mal placée,… Ce sont des choses qui sont limitées, voire mêmeéliminées avec la musique faite sur le moment, contrairement au répertoire. »(G29)

Le répertoire résiste, fait naître des désaccords. Donc est le résultat de négociations.

Ou encore :« Le partage est essentiel, tu apportes et tu prends, ça fait réfléchir, donc il y aforcément un résultat musical à la fin. » (G19)

Le résultat musical ? On peut y entendre le répertoire ou l'impro, pour reprendre les"oppositions" de Giacomo. Cette musique résulte d'un échange entre ce qu'on apporteet ce qu'on prend : typiquement le résultat d'une négociation (premier sens du terme dudictionnaire cité plus haut).

Il parle ailleurs de solos :« […] j'ai enregistré un "album solo" en invitant plein de gens (et toujours Paaa)à participer à mes compositions, mon projet. Ils y prenaient part assezactivement, mais c'est moi qui avais les décisions finales. » (G15)

Décisions donc : négociation si on est plusieurs, choix (plus ?) simple si on est toutseul… Mais le réseau de coopération existe avec la participation "assez active" desinvités.

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1d) au travers de l'entretien de Giacomo

Le refus du répertoire fait suite à une évolution.J'interprète sa position actuelle comme une priorité absolue donnée à la coopérationimmédiate. C'est-à-dire dans l'instant : « sur le moment, l'immédiat, le "tout de suite" »comme il le dit (G24). Mais c'est-à-dire aussi sans médiation. Et la médiation aquelque chose à voir avec la coopération et la négociation.Il met de côté le plus possible la formulation des données musicales : le côté fixé durépertoire qui casse le plaisir et l'énergie. En groupe, cette formulation / explicitationrésulte d'une négociation.

La position centrale, disons plutôt le rôle central dans ce problème pour Giacomo,semble être celui qui propose, c'est-à-dire le compositeur :

« Le pouvoir est à celui qui propose. Sinon, mieux vaut faire un solo où l'on nepeut s'en prendre qu'à soi-même ! La composition, plus exactement la position ducompositeur, pèse dans la place du centre de gravité dans un groupe. » (G22)

Je ne suis pas sûr qu'on puisse longtemps continuer à distinguer répertoire etimprovisation. Giacomo ne le fait pas non plus tout à fait :

« Dans "Gccc", le principe est que toutes les contraintes deviennent qualités : ducoup, ce sont elles qui déterminent le répertoire. » (G22)

Ce répertoire là concerne l'impro, ce qu'il fait maintenant.

Essayons de voir maintenant ce que recoupe cette notion chez l'autre musicien : Jean.

2 ) Le "répertoire" pour Jean

2a) l'ARFI

Résumons un peu tout ce qu'il dit sur l'ARFI tout le long de son entretien :L'ARFI est un ensemble de groupe avec répertoire et identité propre (J22), travaillantune musique en collectif. C'est-à-dire différente d'une « musique de leader » (J04 àpropos de Louis Sclavis et Yves Robert) ou (J49 sur Jean-Luc Capozzo). Cettemusique en collectif s'articule autour de projets (J05) avec l'institution créée du« soucieunat » (J07).

Cette petite introduction pour commencer à voir intervenir les idées de :- coopération, puisqu'en collectif, sans leader et avec le partage des soucis entre

« soucieux » (J07&14à15&19) ;- négociation, puisqu'en collectif et aussi présence de rapports de force (J46à47),

réunions houleuses (J45),…Ce concept de "collectif" permet une distinction entre ceux qui sont dans l'ARFIet ceux qui en sont sortis (J04) (J50 sur les solos qui n'ont pas leur place sur lelabel).

Dans l'entretien de Jean, le répertoire peut-être rapproché de trois choses :

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- le challenge ;- la création et la nouveauté ;- la rencontre.

2b) répertoire et challenge

Le mot est cité deux fois, à propos des spectacles "La Grande Illusion" (J14) et "Leschants d'Edith" (J25). L'idée de « challenge » fait référence à un investissementpersonnel, à des remises en cause, des défis (J08), des risques, etc… On imagine bienle nombre de "problèmes" que cela peut soulever, avec son nombre de questionsposées, et dans le même temps, le nombre de réponses et solutions que cela demande.Didier a une belle phrase à ce propos :

« Dans un groupe, chacun apporte sa pierre : les autres aussi ont des questions,et chacun cherche la solution,… C'est un enrichissement collectif. » (D22)

On peut reformuler cela en parlant de coopération et de négociation.

2c) répertoire et création / nouveauté

On retrouve cette idée dans la fin de la discussion sur la "Grande Illusion" :« Ça aussi c'est important pour un collectif, pour qu'il dure : faut qu'ça change !Ce qui veut dire des projets nouveaux régulièrement, des partenaires nouveaux,des disciplines variées et diverses, etc… » (J17)

La notion de « pour qu'il [le collectif] dure » : cette préoccupation autour de la duréede vie du "groupe ARFI" avec ses recettes et ses raisons, est constante le long de sonentretien. Une de ses explications est le constant renouvellement, les nouveautés, lavariété et diversité, etc…Au début, il explique que cela demande des idées (J06), qu'on imagine personnelleset / ou collectives, qui prennent vie sous la forme de projet grâce à des opportunités.Explication qui conduit à la définition du « soucieunat » (J07) : la prise deresponsabilités dans un projet, face à des "soucis" comme le laisse suggérer le nominventé pour institutionnaliser cet acte.Ici, on est typiquement dans des cas de coopérations et négociations croisées :

- des coopérations :Par exemple la création d'occasions et de situations permettant aux idées deprendre corps demande l'intervention et l'activité de différentes personnes, doncla mise en place d'une chaîne de coopération ;Ou alors, le "soucieunat", plus exactement le partage des "soucieunats" impliqueune division du travail à faire ensemble, ce qui est intimement liée à l'existenced'un réseau de coopération pour Howard S. Becker ;

- des négociations :La gestion de ces affaires demande du dialogue et des choix, donc des débats quine restent pas « tout le temps dans le velours » (J45) : ce qui signifie négocier.

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2d) répertoire et rencontre

On retrouve ce terme plusieurs fois au cours de l'entretien :- avec "la Grande Illusion", rencontre ente un magicien et des musiciens (J09à15)- avec le projet "I Sing for Freedom", « une rencontre entre des chorales

religieuses sud-africaines et un orchestre et collectif anar' français ! » (J18)- avec le projet brésilien de Christian Rollet ("Que sont devenus les colons de

Guanabra ?"), « rencontre entre percussionnistes, et avec d'autres musiciens »(J43), projet qui est devenu prioritaire à une réunion, celui qui prend les forces etl'énergie du bureau (J42).

On pourrait résumer cela ainsi : « On est toujours là, à essayer de rencontrer etchercher des gens pour faire des choses ensemble. » (J34).Là encore apparait tout un réseau de coopérations, tout un système de négociationspour mener à bien toutes ces rencontres, du début à la fin.

Le répertoire (et la nouveauté) se crée par des rencontres, et, réciproquement, larencontre se fait par le répertoire comme pour "I Sing for Freedom" où une desorigines du projet est l'échange de chants de lutte (J18à20). Il y a un aller-retourconstant entre la rencontre et le répertoire. L'un et l'autre se nourrissent mutuellement.Le mouvement se fait dans les deux sens.

3 ) Qu'est ce donc alors que le répertoire ?

D'après le dictionnaire, un répertoire "artistique" est « l'ensemble des œuvres qu'al'habitude de faire entendre un acteur, musicien, comédien,… »

<Dictionnaire de la langue française Lexis, éd. Larousse, 1992>Au travers des exemples de Giacomo et de Jean, le répertoire ne se joue pas dans lerésultat, mais dans la manière d'y parvenir.

Considérons plutôt le répertoire comme l'ensemble de la production artistique, commece qui met en évidence l'intervention d'une chaîne de coopérations, et la mise en placede systèmes de négociations : le fruit d'un monde de l'art.Dans ces conditions la distinction répertoire-impro n'a plus de sens. La distinction àfaire entre ce que Giacomo a fait (avant) et ce qu'il fait (maintenant), est de l'ordre duchoix des coopérations.En remontant à la définition d'Howard S. Becker : les modalités de coopération et denégociation sont différentes pour chacun, donc ils ne créent pas le même monde.Même s'ils (les mondes) se croisent tous plus ou moins… en l'ignorant certaines fois.

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4 ) Pour les compagnies itinérantes / nomades

4a) dans les entretiens

Le répertoire (ensemble de la production artistique) n'est pas beaucoup abordé. Est ceque cela veut dire que ce problème n'est pas central et vital pour eux ? En tout cas, ilsn'expriment pas, ne formulent pas cette question de la même manière que les deuxmusiciens.Ils parlent plutôt des problèmes de diffusion, d'organisation, de vie en général (nonartistique en particulier). Ils emploient les termes de travail et métier pour désigner cequ'il font artistiquement :

- métier : R10 F02 F04 F05 F08- bosser : R15 R25 R45 F05 F38 F45 F52- travail : R11 R12 R14 R31 R37 R45 F02 F03 F30 F31 F38 F41

Chez François, dans son détail sur le "travail" avec le metteur en scène, lestermes "travail-travailler" reviennent 5 fois en 2 paragraphes (F29à30) !

Pourrait-on y voir un lien entre l'origine étymologique du mot "travail (de trepalium,instrument de torture) et les actes circassiens (cordes, acrobaties, trapèze,contorsion,…) ? Peut-être pas… Mais cette occurrence très marquée du "travail" estpeut-être à chercher du côté des systèmes inconscients de représentations des effortsphysiques à soutenir pour faire du cirque et faire de la musique ?

Dans l'entretien de Roberto, on sent le passage entre quelque chose de "naturel" avecson frère et un métier-travail. Cette transition s'opère par des mises en question et larencontre de problème (R10à15).Pour François, qui parle un peu plus de la vie artistique, celle-ci est en liaison avec lavie collective (F07à08). Mais on remarquera que le dialogue, la discussion (lanégociation) sont très présents (F24à28).Pour Roberto : « On parle fric, dates, organisation : que des choses qu'on n'a pas enfait ! » (R70). Pourrait-on aller jusqu'à dire qu'ils parlent de métier et de travail, parceque justement ils ont la sensation de ne pas en avoir ? Ils parlent relativement peu de"contenu artistique" : est-ce parce que celui-ci est presque comme "naturel", présent defait, qu'il existe et qu'ils sont constamment en relation avec lui ?

4b) par des observations

Cette question ou ce problème de la production artistique n'est-il pas central et vitalpour eux ? Il l'est je pense mais d'une manière totalement différentes que pour les 2musiciens. La question du répertoire ne se pose absolument pas dans les mêmestermes. Ceux-ci ont besoin de formulation et d'argumentation, d'explication et deprécisions sur ce qu'il font artistiquement.

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De par les conditions matérielles, les ressources disponibles et mobilisées diraientHoward S. Becker, les circassiens sont de manière générale dans une logique detournée avec un spectacle. Pour prendre l'exemple de Roberto :

« Cette expérience dans cette compagnie a duré 3 ans – 3 spectacles » (R28)« […] actuellement on répète le 3ième spectacle […] » (R33)

Cela fait presque un spectacle par an !

Les musiciens-rock sont plus souvent dans une logique d'évolution continue durépertoire / spectacle : des morceaux apparaissent –disparaissent –réapparaissentmodifiés, réarrangés, réorchestrés, etc…D'autre part, il arrive souvent que les musiciens soient sur plusieurs projets en mêmetemps : donc il importe, pour soi avant tout, de les distinguer pour les faire existerindépendamment (les "séparer"). Les artistes de cirque ne travaille que dans unecompagnie à la fois. François le dit :

« La volonté de diffusion de nos spectacles fait que nous sommes nomades. Onfonctionne par tournée, donc on a besoin de notre habitat avec nous. La raison estsimple. Nous somme nomades donc tout le monde ne fait que la Rital Brocante. »(F54à55)

On pourra remarquer que la notion "d'œuvres du répertoire" (répertoire au sens dudictionnaire) comme en théâtre ou en musique n'existe pratiquement pas. Jusqu'àrécemment :

- dans le cirque traditionnel où la fille d'Alexis Gruss a repris un vieux numéroéquestre "la poste" (1999), où certaines entrées de clown sont "écrites" etréinterprétées par chaque clown,

- et dans le nouveau cirque, où Jérôme Thomas a décidé de faire reprendre sonpremier solo par quelqu'un,… Ou encore dans des troupes comme "le cirque dusoleil" où plusieurs personnes peuvent tenir les mêmes rôles,…

Peut-être que d'ici un siècle, nous verrons des reprises de spectacles dans leur totalité,comme Mendelssohn a réintroduit les œuvres de Bach dans les concerts de son époqueà partir de 1829 (cf. Nikolaus Harnoncourt, "Le discours musical").Le nouveau cirque est jeune : presque trente ans maintenant, environ une génération.Ses créateurs et inventeurs sont encore vivants.La logique est donc plutôt à la création de "son" numéro. Ce qui est moins vrai enmusique, même si le rock peut (peut-être) encore être considérer comme uneexception… Une histoire d'âge sans doute. Le jazz, avec son siècle dépassé,commence à connaître le phénomène de ré-interprétation du passé dans le style : leLincoln Center Jazz Orchestra de Wynton Marsalis qui rejoue les arrangements deDuke Ellington. Le rock n'a qu'une cinquantaine d'années… à l'heure actuelle, ce sontles groupes eux-mêmes qui se reforment et rejouent leur morceaux.

Les discussions informelles sont ultra-présentes dans une compagnie itinérante :« Parallèlement, du fait qu'on vive ensemble, il y a tout plein de moments et dechoses informelles… Par exemple quand on discute d'un truc avec quelqu'un enl'emmenant à la gare. Les choses avancent aussi de cette manière là, et c'est bien,parce que si tu restes dans des cadres tout le temps formels, tu empêches deschoses. Même des discussions artistiques peuvent avoir lieu au bar en pleinbourrage de gueule, tu tchatches de trucs, il sort d'autres choses… et c'est cequ'on cherche. » (F27)

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Ce qui est quand même nettement moins le cas dans un groupe de musique dont lesmembres ne se croisent qu'aux répétitions ! Mais reste les voyages, les déplacements,les pauses clopes, etc… Comme le dit Jean :

« […] les voyages aussi, c'est très important les voyages » (J40)

Cette possibilité continuelle de moments informels crée des conditions et desmodalités extrêmement différentes de négociation.

Ce qui veut donc dire un répertoire (contenu artistique envisagé par les modes decoopérations mis en œuvre pour l'obtenir ou le réaliser) différent.

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ACTUALISATIONS PÉDAGOGIQUES

1 ) Le Lieu

1a) géographique / topologique (ville)

Au travers de l'analyse de quelques entretiens, nous avons pu entrevoir les enjeuxsous-entendus derrière un lieu, en particulier sa fonction structurante et stabilisantepour l'existence et le développement d'un projet.

C'est la même chose pour une école de musique : elle se place et se situe dans unespace géographique. Le choix de l'endroit où installer un lieu de musique fait sens :

- le CNR de Lyon à Fourvière, en haut de la "colline qui prie", au pied d'un "beau"et classé quartier Renaissance ;

- l'ENM de Villeurbanne en plein centre ville, entre le quartier des Gratte-Ciel et laPart-Dieu d'un côté, le cours Emile Zola et le cours Lafayette d'autre part ;

- l'Hôtel de la Musique, un ensemble de locaux privés de répétition, situé enpériphérie, à la lisère entre une zone industrielle et les quartiers Saint Jean deVilleurbanne, le quartier pauvre et "coupé" des autres par le canal de Jonage ;

- …De tels choix sont des actes politiques, une action hautement symbolique. Ils ont unesignification, dont on peut avoir une certaine conscience, mais reflètent aussi unegrande part d'inconscient. Il paraît donc important d'y réfléchir.

Les 2 et 3 mars dernier, avait lieu dans les locaux du Cefedem Rhône-Alpes, desjournées de rencontre autour des musiques actuelles, journées dont les interventions etdébats sont retranscrits dans "Enseigner la Musique n°8".Philippe Berthelot et Stéphanie Gembarski, respectivement directeur et vice-présidentede la Fédurok*, y ont fait une intervention intitulée : "l'implication progressive deslieux de musiques actuelles amplifiées dans les processus éducatifs et detransmissions". Dans les débats qui ont suivi, un échange autour de cette notion de lieua pris place, initié par Giacomo…

[ * Fédurock : fédération nationale de lieux de musiques actuelles et amplifiéeshttp://www.la-fedurok.org/

Il établit un lien très fort entre la légitimité des musiques et leur lieu (de pratiques etd'enseignement). Son propos concernait les musiques actuelles, mais je trouve laquestion tellement généralisable qu'on pourrait parler plus globalement de musique :

« Je me sens en effet très touché par la logique de ce que j'appellerais les paliersde légitimité : y aurait-il une musique qui doit être pratiquée dans les CentresSociaux, une autre dans les MJC ou les Centres d'éducation populaire, unetroisième que l'on, retrouverait exclusivement dans les institutions telles que lesconservatoires ? »« On fabrique ainsi des compartiments entre esthétiques, entres couches sociales,entre races et couleurs de peau. »

<Giacomo Spica, "Enseigner la Musique n°8", Cefedem Rhône-Alpes, 2005, p66>

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C'est tout à fait de cela dont il est question ! Où installe-t-on les lieux de musique ?Lieux d'enseignement bien sûr, mais aussi de répétitions, d'échanges, de diffusions,d'enregistrements, etc… ?

Se trouve alors en question, non plus simplement et seulement le placement de l'écolesur la carte de la "ville", mais aussi sa place dans l'ensemble du territoire musical etculturel qui l'entoure. Cela questionne l'ensemble des relations qu'une école pourra etsaura établir avec ses voisins : salle de concerts et de spectacles et lieux de diffusion,différentes associations existantes ou en devenir, bibliothèques et médiathèques,musées, réseaux de l'Education Nationale, de l'éducation populaire, l'ensemble descentres sociaux, autres écoles dans les alentours…

« Il faudra, localement, faire un long apprentissage du territoire, l'observer,connaître son histoire, ses pratiques culturelles et musicales […] on essayera defaire la jonction entre ce que les gens qui peuplent le territoire revendiquent etsont en situation de porter et ce qu'on pourrait leur amener comme oxygène. »

<Philippe Berthelot, "Enseigner la Musique n°8", Cefedem Rhône-Alpes, 2005, p68>

Cette place, dans un territoire plus général que le quartier, est en relation avec sonextérieur. Peut-être qu'il y a à développer et à articuler un "hors-les-murs" avec un"dans-les-murs", :

« Pour autant, si une institution doit bien "résider" quelque part, elle ne se réduitpas à ce lieu […] l'institution paraîtrait d'abord comme un projet. »

<Eddy Schepens, "Enseigner la Musique n°8", Cefedem Rhône-Alpes, 2005, p69>

Laissons un dernier mot à Giacomo :« Faire de la musique pour moi, suppose de pouvoir avoir accès à un endroit oùon fait de la musique, une structure dont c'est la vocation. »

<Giacomo Spica, "Enseigner la Musique n°8", Cefedem Rhône-Alpes, 2005, p67>

Cet endroit et cette structure, qui est aussi un projet, avec des connexions –relations–actions hors-ses-murs : comment l'organiser ?

1b) le local / la maison / die Bauen

L'image de la maison est très parlante : c'est un lieu collectif par excellence. Leschambres s'individualisent et se personnalisent avec l'âge des enfants, mais le salon, lacuisine ou les couloirs restent des espaces communs et collectifs, des lieux à gérerensemble. Dans ces espaces, les enfants, les parents, les invités, les amis, etc… onttous des choses différentes à faire. Il faut voir et entendre derrière tout cela, unensemble de systèmes de négociation et de chaînes de coopération, afin de maintenircela vivable. Mais ce sera pour les points suivant… Restons sur la question de lamaison.

Dans le livre écrit à quatre mains "Pour une anthropologie des savoirs scolaires",Jacques Lévine et Michel Develay parle d'un texte d'Heidegger autour de la maison(die Bauen). L'analyse étymologique de ce mot, nous disent-ils, permet à Heidegger dedonner une portée dynamique à ce terme :

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« Construire en vue d'habiter signifie moins fabriquer une habitation queconstruire quelque chose qui va faire "croître" ceux qui habitent cette habitation.L'habitation dans son intentionnalité, est un lieu destiné à "donner des soins à lacroissance". Lorsque les conditions qui le mettent hors menaces sont réalisées,c'est un lieu à partir duquel on peut passer à l'essentiel ; on peut se mettre àpenser à la croissance de soi, des autres, des choses du monde. »<Lévine&Develay, "Pour une Anthropologie des Savoirs Scolaires", ESF éd., 2003, p65>

Raisonnant dans un contexte scolaire, il transpose à la classe ces caractéristiques del'habitation. Avec notre image, nous pourrions transposer ces caractéristiques, d'unepart à un groupe de musique, et d'autre part à la maison "école de musique".

Le groupe comme "habitation heidegerrienne" (si on peut se permettre ce terme), c'estconsidérer que le groupe est un lieu commun de croissance, donc appartenant à tout lemonde et que tout le monde fait grandir. Pour Jacques Lévine et Michel Develay, celase traduit par quatre aspects :

- faire de l'identité du groupe l'identité de chacun, sans renoncer à son droitd'exister et de s'affirmer.Ces idées se retrouvent dans les entretiens : Roberto disant que c'est le groupe quiressort du spectacle (R66) et avec l'importance des moments pour soi (R37) ouJean qui dit qu'on le connaît membre de l'ARFI (J41) ou François qui insiste surla distinction entre lui et la compagnie (F38),…

- considérer que le groupe a une histoire, un passé un présent et un futur.Didier par exemple s'inscrit dans un héritage (D46)

- faire en sorte que le groupe soit suffisamment nourricier pour être fier de cequ'on y apprend

- faire en sorte que chacun soit soucieux du sort de l'autre, donc avoir introduit desidées de solidarité et de non-jugements agressifs grâce à des centrations sur desproblèmes communs à résoudre

Et nous voici presque plongés dans la pédagogie institutionnelle : on crée ensembleune institution. On met collectivement en place un système de règles de vie communeet des instances pour les discuter.L'école de musique considéré comme une "habitation heideggerienne" nous fait encoreplus pénétrer dans la pédagogie institutionnelle… L'école appartient alors à tous :élèves, professeurs, personnels administratif au sens large, etc… Et chacun est chargéde la faire grandir. L'organisation et le fonctionnement deviennent du ressort dechacun, donc il faut instituer des choses.

Pour revenir sur ce qui était dit au début : le groupe ou l'école envisagé comme un lieude croissance, impose donc :

- qu'elle appartienne à tout le monde, c'est la négociation ;- que tout le monde la fasse grandir, c'est la coopération.

2 ) Coopération

Chaque artiste, amateurs ou professionnels, crée son monde de l'art. L'élève en écolede musique doit pouvoir créer son monde de l'art. Pour cela, il lui faudra mettre enplace des coopérations et des conventions, nous dit Howard S. Becker. A nous de luipermettre de les construire… Sans doute que cela passe par de nombreusesexpériences avec des conventions variées, des coopérations diverses, etc…

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Comment une école de musique peut-elle permettre que tout cela se développe ? Ilfaudrait déjà qu'en son sein, dans son équipe pédagogique, se croisent et se rencontrentplusieurs types de conventions et de réseaux de coopérations.

Les différents modes de coopération sont des manières de faire ensemble, deconstruire et inventer ensemble. Il nous faudrait peut-être alors examiner la placequ'occupe les activités d'ensemble et de groupes dans une école de musique…

« Notre apprentissage de la musique passait par ce groupe. […] Nous allionsapprendre ensemble à jouer et nous apprenions à jouer ensemble. »

<François Ribac, "L'Avaleur de Rock", éd. La dispute, 2004, p134>« […] le Moi apprenant groupal, loin d'être négatif, est au contraireindispensable à l'amélioration du système scolaire. »<Levine&Develay, "Pour une Anthropologie des Savoirs Scolaires", ESF éd., 2003, p13>

Dans l'enseignement actuel de la musique il est encore possible (malheureusement !)de passer complètement à côté de cet aspect des choses musicales, pourtant sifondamentales. Passer à côté d'une expérience de groupe, c'est passer à côté de tout unsystème de coopérations, donc vivre dans un monde de l'art tronqué et faussé. J'iraismême plus loin en disant que c'est vivre dans un monde tronqué et faussé.

3 ) Négociation

Nous l'avons vu au travers des entretiens, la parole et la négociation sont primordialesdans un groupe. La psychologie social définit un groupe par les interactions entrepersonnes. Ces interactions peuvent s'opérer par beaucoup de moyens, mais la paroleen reste un vecteur important. Elle permet la formulation, donc la réflexion et laséparation entre différentes choses, donc leur existence et la possibilités de lesmanipuler, etc…

« […] il décide de dessiner l'affiche pour un spectacle. Devant le résultat, tout lemonde trouve ça nul. Puis, à force de discussion, lui il sait mieux que tout lemonde, il a plus d'expérience, etc… Alors tout le monde finit par dire "oui". Enfin,plus exactement, tout le monde ne dit plus rien ! » (F18)

On a ici l'exemple par le contraire : un groupe dans le quel il n'y a plus de négociation :on dit "oui" alors qu'on pense non, ou on ne dit rien. Ce groupe avec le narrateur(François) ne fonctionne plus, et il quittera cette compagnie.

Pour revenir un moment sur les 5 entretiens, j'ai commencé à lister toutes lesoccurrences des termes construits sur les verbes :

- discuter : J15 J21 J42 J44 J67 J69 F18 F19 F25 F27 F29 F31 F38 R37 R46 R71 D43- parler / tchatcher : J45 J52 J53 G20 F27 R37 R70 D06 D11 D20- dire : F15 F19 F28 F30 F31 F38 F57 R29 R48 R70

Je n'ai pas considéré les termes qui évoquent aussi des discussions : comme réunion,rencontre, partage, invitation, demander, écouter, questions et réponses, etc…

Souvent ces discussions (pour choisir un des mots les plus utilisés) préparent unedécision ou un choix, donc font appel à des avis plus ou moins divergents et desdésaccords, donc deviennent très souvent l'objet de négociations…

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« Comme toute organisation humaine, le fonctionnement d'un groupe estfondamentalement dynamique et résulte d'une négociation continue. »« La qualité artistique d'un groupe dépend de la qualité de la négociation. […] unbon groupe de rock est un groupe où la négociation est féconde. »

<François Ribac, "L'Avaleur de Rock", éd. La dispute, 2004, p99-100>François formule la même chose mais différemment :

« Un bon collectif est un collectif qui peut se permettre de parler de tout : pouvoirtout dire et tout entendre » (F37)

Il me paraît donc nécessaire de créer une case "vie et fonctionnement de groupe" dansl'univers des enseignants. Essayons de faire exister cette problématique dans l'école :

- prévoir des temps de discussions (sur le modèle des "quoi de neuf ?" de lapédagogie institutionnelle par exemple) autour de ce thème,

- inclure la rédaction de comptes-rendus d'analyse de fonctionnement de groupe demusiques d'ensemble, etc…

- …

Cela demande au préalable quand même deux conditions (qui ne sont -hélas !- encoreque trop peu remplies dans les écoles de musique) pour qu'il y ait négociation :

- il faut que la parole existe et soit possible- il faut permettre que des désaccords et des intérêts divergents s'expriment, etc…

On peut penser à plein de procédures… Par exemple construire des choix, créerle besoin de décisions à prendre,… Ou créer les conditions d'une compositionvraiment collective, qui est un des "systèmes" de création en rock, en musiquesactuelles, en cirque, etc…

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POUR CONCLURE …

Avant de terminer, j'aimerais revenir sur mes propos au début de ce travail et mavolonté de conclusions opératoires… Je n'y suis pas tout à fait arrivé !

Mais je voudrais qu'à la lecture de ce mémoire, plusieurs "cases" se soient développées(sinon créées), tout du moins que se soit faites une petite place dans la tête de chacunde nous enseignant :

- le lieu n'est pas seulement un moyen matériel et une préoccupation annexe : sonorganisation, à l'intérieur et vers l'extérieur est très signifiante ;

- le fonctionnement en groupe est une procédure musicale très riche : il seraitdommage de ne pas profiter de la richesse et des possibilités de cet outilpédagogique.

L'école est une maison que les élèves doivent venir habiter pour y construire leur(s)monde(s) de l'art… et leur monde tout simplement

Qui dit "maison" dit habitation-Bauen : lieu de croissance appartenant à tout le mondeet que tout le monde fait grandir.

Qui dit "maison", dit lieu : l'espace extérieur est important, de même que la manière dele faire exister en relation avec son voisinage, mais aussi l'espace intérieur.Les enseignants choisissent rarement l'emplacement d'une école, mais ont par contre àcharge de dire que c'est extrêmement signifiant. Et surtout, ils ont la responsabilité dela faire exister, la développer et créer toutes les relations possibles avec le voisinage.On retrouve la notion de village qu'exprimait François à la fin de son entretien : créer« ton village dans un village » (F55).

Qui dit "monde de l'art", dit réseaux de coopérations et de conventions. Il fautpermettre à chaque élève de pratiquer, construire et développer ces notions. C'est à direde découvrir et expérimenter l'art (pour ce qui nous concerne, la musique) comme uneforme d'action collective.

Mettre l'élève au centre pour mettre les apprentissages au centre, mais aussi mettre legroupe au centre, comme activité et procédure de développement d' "autres"compétences (coopérer, négocier, etc…) qui font peut-être plus partie de l'éducationgénérale que de la simple "formation" musicale.

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BIBLIOGRAPHIE

Enseigner la Musique n° 6 et 7Cefedem Rhône-Alpes – CNSMD de Lyon, 2004

Enseigner la Musique n° 8"Education permanente, action culturelle et enseignement : les défis des musiquesactuelles amplifiées" (Actes des rencontres à Lyon, les 2 et 3 mars 2005)Cefedem Rhône-Alpes – CNSMD de Lyon, 2005

ANZIEU Didier, MARTIN Jacques Yves"La dynamique des groupes restreints"Presse Universitaire de France, coll. le psychologue, 19689ième édition mise à jour en 1990

BECKER Howard S."Les Mondes de l'Art" – Ed. Flammarion, série Art, Histoire Société1982, trad. 1988 par Jeanne Bouniort

IMBERT Francis (et le GRPI Groupe de Recherche en Pédagogies Institutionnelle GRPI)"Médiations, institution et loi dans la classe,Pratiques de Pédagogies Institutionnelles"ESF Editeur, coll. Pédagogies, 1994

LETERRIER Jean-Michel"Citoyen , chiche ! Le livre blanc de l'éducation populaire"Les éditions de l'Atelier, 2001

LEVINE Jacques, DEVELAY Michel"Pour une anthropologie des savoirs scolaires,De la désappartenance à la réappartenance"ESF Editeur, coll. Pratiques et enjeux pédagogiques, 2003

MEIRIEU Philippe"Frankenstien pédagogue"ESF Editeur, coll. Pratiques et enjeux pédagogiques, 1996

RAPPE David"La Bourse du travail de LyonUne structure ouvrière entre services sociaux et révolution sociale"Atelier de création libertaire, 2004

RIBAC François"L'avaleur de Rock" – Ed. La Dispute, 2004

TOURAINE Alain"Qu'est ce que la démocratie ?" – Librairie Arthème Fayard, 1994

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ANNEXES

Comptes-rendusd'entretiens

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ANNEXESComptes-rendus d'entretiens

Convention :

Numérotation des paragraphes à gaucheNumérotation des pages en gras, en haut à droite, avec la 1ière lettre du prénom

Entre [] (comme [rires]) pour indiquer des choses difficilement formulables à l'écrit…

Une distinction est à faire entre :- « etc… » signifiant la suite d'une suite d'énumération dont on en dit pas tout ;- et « … » pour traduire une suspension, un léger point d'arrêt dans le discours, une

respiration, etc…

Anomynat :

J'ai, dans la mesure du possible, et quand cela ne modifiant pas à mon sens lacompréhension de ce qui était dit, changé les noms des personnes, groupes,compagnies, etc…

Les personnes sont notées : P--- (homme), P---e (femme)Les groupes : G---Les compagnies : C---Les associations : A---

Les 3- pour signifier 3 lettres identiques(en commençant par "a" jusqu'à "z" puis "&", "#", "æ", etc…)

Plusieurs se retrouvent "codées" pareillement d'un entretien à l'autres (en particulierdans ceux de Roberto et François puisqu'il parle souvent des mêmes personnes etcompagnies).

Les « --------- » dans le compte rendu d'entretien de Roberto représentent des momentsde coupure de la discussion. Roberto était malade ce jour-là : à plusieurs moments, ilest sorti de la pièce quelques minutes.

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G1

GiacomoLieu de travail – Jeudi 10 mars 2005

Parcours et itinéraire jusqu' à aujourd'hui ?

01 J'ai toujours été un grand consommateur de disques et de concerts.02 En 1985, je bossais à l'usine et faisais du rock avec une bande de potes. On

répétait dans un local, puis, en devenant plus sérieux, on s'est mis à avoir besoinde trucs : local, matériel technique,… mais aussi savoirs musicaux.

03 Parallèlement, avec un pote qui triturait un Roland (c'était le démarrage de lamusique "électro"), on avait monté un duo dans lequel j'étais à la voix et àl'harmo. On a fait quelques prestations au Dizzy sur les pentes de la Croix-Rousse, qui correspondaient à mes premières scènes, le premier rapport aupublic. Cela a été une petite révélation ! J'ai commencé à sentir le besoin d'unboulot perso beaucoup plus sérieux, et ai commencé à travailler la musique…

04 C'était aussi le moment de ma rencontre avec Paaa. Il avait les mêmespréoccupations que moi. Cette rencontre s'est transformée en "bœuf"… et jetravaille encore maintenant avec lui !

05 Avec l'opportunité d'un local, tout cela devient beaucoup plus sérieux, avecrépétitions tous les jours jusqu'à minuit.

06 On essayait de créer un répertoire d'échange d'influences par branchement dechacun. Cela a donné "Gaaa" : un trio avec Paaa à la basse, un guitariste black etmoi. On n'a pas réussi à trouver un batteur carré donc on utilisait une boite àrythme Atari. On a fait quelques premières parties.

07 Avec d'autres zicos, on a créé un collectif : TIS (Texte Image et Son) branchéZappa. Puis est venu "Gbbb" avec un batteur et un guitariste. Groupe avecrépertoire, disques, tournées, manager : Pbbb, camion, son,… On faisait l'auto-management au sein de l'assoc' Aaaa : pour l'édition, le travail de développementdu groupe, de la promo radio, les décla SACEM, trouver les concerts,… Lanotion d' "équipe" était très importante. Elle bougeait beaucoup mais le "concept"restait identique. Il y avait un noyau stable, notamment avec Paaa et moi présentstout au long de l'aventure.

08 "Gbbb" a duré presque 7 ans, l'expérience "Gaaa" / TIS / "Gbbb" une dizained'années.

09 On a tout appris sur le tas, à partir de toutes les questions pratiques rencontrées.Pour faire de la musique : monter un répertoire, etc… Et en ce qui concerne tousles enjeux du groupe : contrat, intermittence, etc… Maintenant, avec le recul, jetrouve cela intéressant et riche. Mais sur le moment, sur place : c'est dur !

10 Ce que je dirais maintenant, c'est que l'erreur principale qu'on a faite, a été demettre la priorité sur le répertoire. On travaillait et répétait sans arrêt, sur et pourle répertoire. Aujourd'hui je sens que cette position : « le répertoire pour lerépertoire », ne sert à rien.

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G2

11 Par exemple, l'idée des "Gccc" est la rencontre sur une date de 3 personnes quitravaillent chacune de leur côté. Du coup, on travaille sur la durée : veulent 30minutes ? Alors on répète plusieurs "30 minutes". Il n'y a pas de contraintes, pasde postures de chef ou de questions et problèmes de pouvoir. On considère que lamusique est une somme d'expériences qui se réunissent et convergent à unmoment et un lieu donné.

12 Mon expérience de groupe est que le pouvoir est au mec qui ouvre sa bouche,donc souvent celui qui est devant le micro. Le leader est celui qui parle.

13 En 1999, plusieurs choses ont conduit à l'arrêt de "Gbbb". Déjà la lourdeur des 6personnes : le groupe ressemblait à une entreprise, trop d'aspect gestionnaire parrapport à de la création de liberté. Et puis, une sélection au Printemps de Bourgesoù on s'est fait baisé total : à la balance, par le jury,…

14 Ce n'était plus possible de travailler et continuer comme ça, avec un répertoire.La volonté de faire bien pour les autres est une erreur, une fausse idée. D'abord,c'est qui les autres ? Les zicos ? Les autres membres du groupe ? Le public ? Etencore, lequel ? Le "réel" et / ou celui que tu espères,… ? En fait, la réponse àces questions est de te faire plaisir à toi !

15 En 2002, j'ai enregistré un "album solo" en invitant plein de gens (et toujoursPaaa) à participer à mes compositions, mon projet. Ils y prenaient part assezactivement, mais c'est moi qui avais les décisions finales.

16 En 2003, j'ai commencé les scènes SLAM pour de vrai. J'avais découvert ceschoses en 1999 au CFMI de Toulouse.

17 Dans le SLAM, le rapport à la scène est très important, avec ses notions dedomination, pouvoir dominant,… J'essaye toujours qu'il n'y ait pas de scène. Parexemple, quand j'organisais les soirées VMC (Voix Musiques et Corps) auxSubsistances sur le principe des interactions musiciens-voix. Il y a 3 MCs enFrance qui organise des SLAMs : Pccc, Pddd et moi. Les deux premiers sontcentrés sur "que la voix", alors que j'insiste sur la rencontre voix / instruments.

18 C'est en réponse à ma vie de zicos et mon expérience : la scène n'existe plus, iln'y a plus que des croisements, des rencontres, du partage entre les gens présents.Pour cela, je suis partisan des stages avant les concerts. Par exemple, pour les"Gccc" à Chambéry bientôt, j'anime un stage SLAM le jour précédent pour créerune animation avant notre concert. Du coup, les gens qui viennent seront à la foisacteur et public, en même temps.

19 La vie de zicos est un lieu de partage. Le partage est essentiel, tu apportes et tuprends, ça fait réfléchir, donc il y a forcément un résultat musical à la fin.

Tu peux revenir et détailler un peu plus l'arrêt de "Gbbb" ?

20 "Gbbb" c'était 6 personnes à payer : impossible pratiquement, impossible decachetonner pour de vrai. La réalité sociale fait que les grandes formations nepeuvent exister économiquement. Quelle ambition avoir alors ?

21 Le leader est celui qui parle. Quelle est alors la position des silencieux ? Celarisque de créer des problèmes d'énergie dans le groupe, de création d'énergie.

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22 Un répertoire nécessite homogénéité, c'est-à-dire que tout le monde en fasseautant. Le pouvoir est à celui qui propose. Sinon, mieux vaut faire un solo où l'onne peut s'en prendre qu'à soi-même ! La composition, plus exactement la positiondu compositeur, pèse dans la place du centre de gravité dans un groupe.

23 Le répertoire a un côté très répétitif qui casse l'énergie et le plaisir. Le textedevient écrit et n'est plus joué. Je préfère l'arrangement sur le tas, dépendant dumoment. Dans les "Gccc", le principe est que toutes les contraintes deviennentqualités : du coup, ce sont elles qui déterminent le répertoire. La pédale est enpanne ? On n'a pas de retours ? Possibilités de ne brancher que 2 trucs ? …?Donc on fait ça ou ci. On choisit en fonction de ces contraintes. Un répertoire,lui, crée de lui même des contraintes qui font que c'est impossible de jouer danscertaines conditions. Cela devient des limites.

24 Les impros ne sont que du partage, puisque décision sur le moment, l'immédiat,le "tout de suite". Pas de jugement possible sur ce genre de création, alors que leschéma du répertoire fixe des choses, donc permet un jugement.

Liens liberté – groupe ?

25 Il est difficile de bosser à 6. Quand on fait tout, le temps de musique se trouveréduit, donc on a moins de liberté.

26 Certaines personnes poussent pour être confortables, ont un côté "môme" qu'ilfaut materner, ça n'aide pas beaucoup à créer de la liberté ! Pour être libre, il fauttrouver les bonnes personnes.

27 La fondation de "Gbbb" s'est faite à plusieurs, ce n'est pas la même chose qu'unecréation d'équipe avec son capitaine qui choisit. Les membres étaient d'accordmusicalement, mais n'avaient pas tous le même niveau d'implication : pas detemps, pas de place,… (pas de leur propre volonté). Il y avait comme unfonctionnement de fonctionnaire !

28 Un groupe qui marche est un groupe de potes qui évoluent tous ensemble. Le"noyau" est très important, par exemple Paaa et moi, ou alors Peee et Pfff depuisGddd jusqu'à Geee. Ce n'est pas pour rien que certaines personnes travaillentencore ensemble après tant d'années.

29 Il existe plein de forces de résistance aux changements et aux évolutions, commele goût ou la fierté mal placée,… Ce sont des choses qui sont limitées, voiremême éliminées avec la musique faite sur le moment, contrairement aurépertoire.

30 Je crois que les répétitions doivent porter sur ce que l'on veut faire passer. Avecun répertoire, on passe beaucoup trop de temps à se casser la tête pour un résultatqui n'est pas forcément aussi intéressant sur cet aspect des choses. Pour moi,maintenant, la notion de répertoire est associée aux concours, aux solos guitar-héros, au déballage technique, au supporter de foot,…

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31 Je me souviens d'une scène SLAM à Chambéry où il n'y avait que 5 inscrits. En30 min, tout ce qui avait été préparé était présenté et fini… que faire alors ? Il yavait 35 à 40 personnes dans le public, alors j'ai pris une ramette de papier, unefeuille chacun et les ai fait écrire. Et tous sont passés sur scène : donc, à tour derôle, chacun était acteur-public-acteur-public-… Par ce genre de choses, on seretrouve au service du moment, de ce qui se passe : j'aime beaucoup ça. C'est dupartage total, on répond à ce que véhiculent le lieu, les gens en présence,l'occasion,… l'âme des choses ? Alors que le répertoire fige tout cela.

32 L'avenir, avec l'évolution sociale et culturelle, l'altermondialisme actuel, est àl'échange et au partage. Les pratiques culturelles de consommation changent.

Liens position d'artiste – société ?

33 J'ai fait de la musique pour sortir de l'usine : je ne pouvais pas rester là-dedans !Mais, en avançant dans la vie musicale, avec les contraintes des esthétiques, celaa finit par rejoindre une vision d'usine, des comportement de gens comme ceuxde l'usine, une vie comme j'avais quand j'étais à l'usine,…

34 Pour une vie de zicos, l'entourage et l'environnement sont très importants.

35 J'ai été attiré par la scène, ce n'est pas un hasard, pas pour rien : c'est un lieu derencontre, de réponse humaine.

Comment prends-tu en compte les notions de groupe et de collectif dans tesactions de formation ?

36 Je suis rentré dans des trucs de formation en 1992. C'était une histoire de tempsde travail : en usine de 14 à 30 ans, on apprend à gérer le temps avec 55 heurespar semaine ! Forcément, ça crée un rythme. Donc, quand j'ai arrêté pour faire dela musique, il me restait beaucoup de temps d'activité, alors : autant filer un coupde main à des mômes ! De plus, pour moi, cela correspondait à une doubleréponse. D'une part réponse à ce que j'aurais aimé pouvoir trouver plus jeune,d'autre part réponse à une inquiétude : il n'existe aucune école pour eux. J'étaisaussi motivé pour faire des choses avec et pour les gens. Et, dernière "raison" :j'avais besoin de bouffer.

37 J'aime beaucoup et je crois au "boum" ponctuel pour réveiller les consciences,pour donner envie de faire par soi-même ensuite, pour la mise en route. Après lesgens se débrouillent. On s'adapte à ce que les gens proposent, à leur évolution,donc il ne peut pas exister de programme pédagogique.

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RobertoLieu de travail – Vendredi 29 avril 2005

Parcours et itinéraire jusqu' à aujourd'hui ?

01 Je suis né en 1972, au Nord de l'Italie. Je faisais partie d'une grande famille, avec7 ou 8 oncles par mon père, une 30taine de cousins,…

02 J'ai eu une très belle enfance, en jouant beaucoup, notamment avec tous mescousins. Je n'avais pas d'autres buts, en particulier aucun artistique : cettepréoccupation n'est intervenue à aucun moment. Ma mère était instit' et mon pèrefaisait des couteaux, ils n'ont jamais parlé d'art à la maison.

03 Mon éducation a été très rigide : avant 18 ans, je n'avais pas le droit de quitter lamaison. Je n'ai jamais pu partir un week-end à la mer avec des copains, alors queeux y allaient souvent. Autant mon enfance a été belle, autant mon adolescence aété dure. Je me suis beaucoup fait chier ! Je ressentais énormément le besoin debouger, en voulant suivre l'exemple des potes. Je me souviens avoir entenduplusieurs fois ma mère disant à mon père « on ne sort jamais ! ». J'ai eu envie debouger…

04 A 18 ans, je suis (enfin !) sorti de chez moi, pour aller en fac de psycho dans uneautre ville. A ce moment là, je travaillais en tant qu'animateur et passais tout montemps avec mon frère (né en 1974, 2 ans plus jeune que moi). Le samedi après-midi, on faisait ce qu'on appelait le "tour" : on faisait le tour des maisons dans lequartier pour s'occuper des handicapés.

05 Du jour au lendemain, on s'est retrouvés tous les 2 embauchés comme acteur etclown dans une compagnie de spectacle de rue, alors que l'on n'était absolumentni acteur ni clown. Le directeur était un fou : il balançait des gens dans la rue, quine connaissaient rien de rien du monde du spectacle. Il nous avait rencontrés dansla rue et nous avait demandé :

06 « - j'ai besoin de monde pour un spectacle demain à 400 km, vous êtes ok ?- pour quoi faire ?- vous verrez !- ok ! »

07 On s'est donc retrouvé dans la rue, moi "interprétant" une souris dans un grosdéguisement en mousse, une fourchette géante à la main, mon frère lui déguiséen énorme tranche de gruyère.

08 « - qu'est ce que je fais ?- tu veux manger le fromage donc tu lui cours après ! »

09 Après quelques temps, il nous a dit (le seul conseil qu'il nous ait jamais donné !)pour jouer avec le public : « le fromage passe, tu ne lui cours pas tout de suiteaprès, tu demandes d'abord au public où il est passé ».

10 On est resté 3 ans avec cette compagnie. Pendant ce temps, on a fait des stagessur le métier d'acteur et de clown. Toujours avec mon frère. On avait une ententeunique : on avait des systèmes et instincts d'impro qui marchaient super bien.

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11 Ensuite, après ces 3 années, on a créé tous les 2 un spectacle : "Cirlococo" avecbeaucoup de changement de costumes. Ça a été directement un grand succès,avec des télés dans toute l'Italie, des articles dans les journaux,… On a tout desuite eu de l'argent et du travail. Cela marchait, pas parce qu'on savait faire deschoses, mais à cause de notre entente entre frères.

12 On travaillait trop, sans être formés, on manquait de technique pour assumervraiment. On était trop jeunes, trop exposés au monde du spectacle sans y êtrepréparés. Mon frère a pété un câble, à cause de tout ça plus une histoire de fille…Il est rentré un jour de chez une tante et en voulant devenir prêtre. Il a tout arrêtéd'un coup. Il avait 21 ans à cette époque, moi 23.

13 Ça m'a comme coupé une jambe, je me suis brutalement retrouvé tout seul. Monpersonnage de scène marchait beaucoup moins bien, j'étais beaucoup moinsdrôle ! Il a fallu trouver ma voie.

14 J'ai toujours kiffer le voyage pour jouer / travailler,... Aujourd'hui je ne peux plusme sentir touriste. Pendant ma dernière année à la fac, je suis parti à Paris pourrentrer à l'école de clown Fratellini.

15 J'ai reçu une immense claque ! Je ne parlais pas un mot de français, je ne pouvaisplus jouer sur des drôleries de jeux de mot (alors que c'était une des bases du duoavec mon frère), etc… Et je n'étais plus connu, alors que j'étais un peu une idoledans mon village. En Italie, dès que tu passes à la télé, que tu as ta tête un peudans les journaux, tout le monde te prend pour un héros. C'était très dur, maisj'étais très engagé émotivement dans cette voie. Arrêter à ce moment-là aurait étéun échec (alors que maintenant plus du tout) : il fallait bosser ! J'ai rencontréFrançois à cette période.

16 La première année à Fratellini a été un grand déblocage. Dans une école decirque, tu apprends la technique mais pas LE cirque. En vivant dans un appart' tune peux pas toucher LE cirque, ce qui fait son âme. J'ai seulement commencé àtoucher le parfum de cirque, sa vérité, avec un stage de clown de 6 mois dans lacompagnie "Cggg", il y a 8 ans. Je me rappelle notre première arrivée (j'étaisavec François) : on avait marché de la gare jusqu'au lieu. Je me souviens de notrepremière vision : un grand chapiteau, plein de camions, de la lumière, des gensensemble,… Un vrai impact avec la vie et le parfum de cirque. On dormait dansdes camions, des caravanes, parfois à 4 dans l'équivalent d'une tente 2 places…comme une expérience hors du temps.

17 Cela a été un vrai tournant, une rencontre avec un groupe "nomade" et despersonnes qui n'ont presque rien en rapport avec la notion de propriété. Je faisaisune grande découverte avec ces différences entre sédentaire et nomade, au moinsà 2 niveaux :

18 - le rapport à la nature. Il fait beau, tu sors, t'es directement dehors, tu n'asplus tout un système de préparation : mettre les chaussures, fermer la porteà clés, prendre l'ascenseur, traverser le hall et finir par te retrouver dehors...Et encore ce n'est pas dans l'herbe, pas sous les arbres,…

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19 - la liberté de tout inventer et tout construire. Tu fais tes étagères à la maincomme tu veux, tu gères ton espace, crées ta douche, tu choisis de mettreune bonbonne d'eau ou pas, laquelle et comment, quel système dechauffage, comment tu l'installes,… Tu veux étendre ton camion, alors tugères ton budget et choisis exactement comment tu veux améliorer tonespace de vie.

20 Au début on voit tout en rose, maintenant je relativise beaucoup… Mais après cestage, je n'avais qu'un but en tête : rentrer dans cette vie. En plus, j'avais eu unbon feeling avec le directeur de la compagnie, Pggg.

21 En fin de 2ième année à Fratellini, l'armée italienne s'est rappelé à moi ! J'ai étéobligé d'aller travailler 1 an dans une mairie. Très difficile : je sentais tropcomment toutes mes expériences précédentes m'avaient changé, je n'étais pluscomme avant.

22 Dans cette mairie, tous les gens étaient dans des petites cellules, chacun dans soncoin, alors j'ai essayé de mettre en place des choses ensemble : des soirées filmsfantastiques le jeudi soir, des week-end théâtre pour les vieux, des ateliers autourdu clown et de la jonglerie dans les classes des écoles.

23 Puis je suis parti 1 mois dans un camp de réfugiés au Kosovo : une autre grandeclaque !

24 A mon retour, alors qu'on avait prévu de faire des choses avec François, il a reçuun coup de téléphone de Pggg. Le cirque "Cggg" était en tournée en Norvège, etun des acrobates venait de se blesser. Il demandait à François de le remplacer, illui a répondu qu'il s'était engagé avec moi : « Et ben, montez tous les 2 ! »

25 On est donc parti pour Oslo dans le tout nouveau camion de François, 4 jours devoyage, trop bien. 4 jours après, bizarre (et heureuse ?) coïncidence : un 2ième

acrobate se pète la cheville : je le remplace ! Il a fallu bosser dur parce que j'avaisbeaucoup perdu pendant mon année en Italie. Et nous voilà embauchés tous les 2.

26 C'était pour moi une 2ième phase : encore le rêve mais avec la réalité… qui estloin de ce qu'on imagine. J'étais excité du matin au soir, mais je me rendais biencompte que le groupe ne fonctionnait pas bien. La compagnie, c'était 25individus et 17 camions. Il existait plein de petits groupes, ça gueulait et râlaitdans tous les coins, de tous les côtés. L'idée d'harmonie collective n'est qu'uneidée, sauf peut-être dans des contextes religieux ? Dès la première semaine, ontombait dans la VRAIE vie collective…

27 On était toujours sur la route. J'ai un grand souvenir de mon premier camion,acheté à Helsinki. On n'avait besoin de rien ! Plus ton monde est petit, plus tupeux inventer des choses pour que tous les jours ne soient pas pareils. Je merappelle m'être chauffé à la bougie : le côté romantique du chauffage hivernaln'existe qu'en vie nomade !

28 Cette expérience dans cette compagnie a duré 3 ans – 3 spectacles.

29 Pggg criait à l'aventure, surtout ne pas faire le bourgeois, tout partager,… J'étaisvachement porté et touché par ce message. Mais en fait, ce n'est pas lui quiportait la compagnie. Le groupe nourrissait des rapports souterrains qui faisaitque, en fait, le directeur était tout seul à l'écart. Un groupe qui marche a unleader, pas un chef.

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30 Pggg se disait anarchiste, soi-disant créateur du premier journal anarchiste dansson coin. Il défendait cette idée anarchiste que le rôle de chacun est défini par sescompétences, que chacun trouve sa place naturelle naturellement. La compagnieétait organisée autour de l'idée que personne n'avait de rôles pré-établis. Les trucsque tu fais ou a à faire, sont donnés et définis par tes capacités. Par exemple : tues doué pour le rangement, et bien tu es le mec qui range, sans que personne ne tele demande, ne te le dise. Ca crée tout de suite des rapports de confiance parcequ'on sait que celui qui range sait faire ça, donc que c'est un minimum bien fait.Idem pour l'électricité, le montage du chap', les accroches des trapèzes,… Et ceschoses sont très importantes en cirque. Mais Pggg était jaloux et gêné par lesgens "trop" compétents, donc qui recevaient beaucoup de compliments. Alors, illeur cassait du sucre sur le dos, dans leur dos. Je te laisse imaginer l'ambiance…Un groupe qui marche bien a un leader, pas un chef.

31 On (François et moi) est sorti de la compagnie avec d'autres. On voulaitcontinuer la vie nomade : bouger sa maison. On a alors créé la Rital Brocantepour partir sur les routes, notamment en Italie. Il y a eu tout de suite un nouvelenthousiasme pour la vie collective, dans un autre cadre. François dit souvent :« on n'a pas de règles, mais des principes ». Nous voulions essayer de nous"auto-construire" pour travailler.

32 Mais, la qualité artistique ne suffit pas. Même si on a 2 spectacles qui ont bienmarché, il faut aussi savoir créer les conditions pour tourner, diffuser, vendre,s’organiser au sens administratif. Il est (donc !) arriver un moment où j’ai vouluprendre le rôle de leader. Un groupe sans tête ne va nulle part, et le notre avaitbesoin d'une tête. Et j'avais le sentiment que ce devait être moi parce que jen’avais pas confiance dans la capacité des autres à concrétiser des rapports avecla société, à l’extérieur du groupe je veux dire. Au final, il y a eu des problèmesde confiance. J’ai gardé celle de mes amis proches*, parce que ce sont justementdes amis. Mais les autres ont ressenti des abus de pouvoir. C'était bieninconscient de ma part ! Pour moi, tout était clair, où on jouait, dans quellesconditions, comment,… mais pas du tout pour les autres. Ils m'ont traité de« chef » : ça m’a fait un choc ! Donc j’ai arrêté de faire tout ça. Alors, puisquesans leader, le groupe va où il veut super vite, on a clashé !

[ * François par exemple.

33 Donc actuellement, on prépare le 3ième spectacle avec un groupe plus petit : on est3 sur scène (alors qu’avant on était 6).

34 Avec le nombre, l'unité est plus forte. Aujourd'hui, notre petit nombre amènechacun à prendre ses responsabilités, et aussi à se préserver, se défendre parrapport au groupe. Par exemple, ce n'est plus le premier qui trouve la poussièrequi la nettoie, il arrive que l’on ne balaye plus alors qu'on a bien vu la poussière !

35 Je ne veux pas refaire de nouveau la même expérience (avec les mêmes gens !).36 Quand on passe d'un grand groupe à un petit groupe, plein de trucs se cassent.

Des problèmes de thunes se créent aussi : il n’y a plus autant de possibilités des'aider qu'avant… Je le ressens comme une dernière étape avant la séparationtotale.

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37 Rester ensemble tout le temps, ce n’est plus possible maintenant, on a lanécessité de moment pour soi, pour se protéger soi-même et protéger le groupeaussi, le faire durer. Collectivement, pour cette résidence, nous avons décidé d'unfonctionnement : répétition et travail artistique ensemble le matin (9h30/12h30)et en fin d'aprèm' (16h30/19h30). En dehors de ça, chacun vit sa vie, prend desmoments comme il veut. Les repas sont un bon moment pour tchatcher. On adécidé que le petit déj' et le repas de midi se passent chacun dans son coin. C'estd'ailleurs assez bizarre à vivre et à voir : des gens qui mangent isolés autour d’unchapiteau… Le soir, par contre c'est tous ensemble, invités par une personnedifférente à chaque fois, à tour de rôle. Il y a les avantages de l’invitation :souvent tu ne fais rien, et les gens se défoncent pour faire des bons trucs, faireplaisir à tout le monde. De plus, ça évite le systématisme du "cuisinier". Du coup,le soir est souvent agréable, et permet de discuter tous ensemble de différenteschoses.

38 Ça me fait penser à ce que je disais tout à l'heure, sur la définition du rôle par sescompétences. Il se définit aussi par ses défaillances et incompétences ! Et sur cetaspect des choses, ce problème s'accroît avec la diminution de la taille du groupe.

39 L'expérience du nomadisme change le rapport au reste du monde. Les gens quel'on connaît sont comme sur une grande toile, ils s'éparpillent de Tirana àHelsinki en passant par Lisbonne, cela crée des distances et des éloignements. Et,cette distance et cet éloignement rapprochent de certains. Mais, globalement, defait, les gens proches sont ceux avec qui tu travailles : ça fatigue !

40 Par exemple : la question de la copine… gros "problème" et différencecaractéristique entre les sédentaires et les nomades. Phhh a rencontré la sienne enSardaigne, elle a dû faire un choix : elle est partie avec lui sur les routes, ils ontmaintenant une petite fille… Donc elles font plus ou moins parties maintenant dugroupe. Le groupe a un énorme pouvoir, surtout dans les relationssentimentales… L'autre reste ou t'accompagne et du coup, change radicalementsa vie !

Tu peux préciser la différence que tu fais entre chef et leader ?

41 Le chef est, comment dire… autoritaire, il décide ce qu'il a envie de faire lui. Ilne sert que ses intérêts, dans une optique qu'on va qualifier de profit.

42 Le leader lui, a une forte capacité d'écoute du groupe et de synthèse. Il tientcompte de tout le monde pour émettre (et pas avoir) le dernier mot, il est dansune optique de bien-être. Il crée des ponts avec l'extérieur.

43 Par exemple, dans la vie de cirque, chaque date demande la construction de cequ'on appelle un "complément". C'est très important et fondamental pour legroupe. Cela correspond à l'arrivée-installation, la période de jeux et lerangement-départ, cela nécessite un "campement". Le leader choisira le meilleurcampement possible pour que la vie se passe bien. Le chef décide que telcampement est bien sans se soucier des exigences du groupe, énoncées ou sous-entendues. Par exemple près d'une route par commodité pour les camions, mêmesi le groupe aime le vert. Le leader choisirait lui un espace vert.

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44 Certains problèmes nécessitent des prises de décisions fortes, les réactions serontsaines si il y a un dialogue avec tout le monde, sinon il y aura des dérapages. La"force" du leader est dans sa capacité de création de rapport avec TOUT lemonde, et dans la gestion de ces rapports tout au long de l'aventure. Il fautentendre tout le monde. Ce sont souvent les "petits" problèmes quotidiens quifont casser les compagnies, et ils arrivent en grand nombre et très souvent !

45 Un autre exemple… Avec la Rital Brocante, on devait jouer pour une personnequi avait soutenu la compagnie, lui avait rendu service l'année précédente.Quelqu'un dans la compagnie, absente l'année en question, ne connaît pas lesrapport entre la compagnie et cette personne. Il refuse de jouer, ne voulant plusavoir affaire avec celle-ci suite à une mauvaise expérience.

46 J'ai eu une attitude méprisante, genre : « ah ouais, d'accord, toi t'es comme ça,bah écoute, j'en un peu rien à foutre de ce que tu dis, et on va faire comme ça ».C'est typiquement là, en agissant ainsi que tu es chef : j'ai imposé ! Il aurait falluarriver à faire comprendre, que même si c'est un enfoiré pour lui, ce qu'il a faitpour la compagnie est bien, qu'on ne l'a pas connu dans le même contexte. Unleader aurait discuté pour voir d'où vient cette aversion, pourquoi ce refus, quelleétaient les représentations de cette personne… Puis aurait argumenté, expliqué,négocié,…

47 C'est délicat hein… Un leader doit avoir une 'tain de culture, avoir un 'tain sensde la réalité des choses, une 'tain de sensibilité ! Pour moi, un leader n'est pasquelqu'un de fort, fort physiquement, puissant. Au contraire, souvent tu t'aperçoisqu'il y a des gens qui mènent des trucs, tout petit, tout maigre, mais diablementintelligent et sensible. Cette figure de leader n'est pas évidente !

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48 Je voulais revenir sur les qualités des rapports que tu cultives au sein d'ungroupe : c'est ce qui fait que tu es fatigué au bout d'un moment. T'es tout le tempsà poil, tu ne peux pas cacher les choses. Dans la vie "normale", tu peux très biendire qu'aujourd'hui tu n'as pas envie de bosser, et prendre le téléphone pour direque tu es malade. Ici, tu ne peux pas ! Au contraire, même quand t'es mort tutravailles, parce que tu as vu les autres le faire, donc c'est faisable, donc faut lefaire.

49 Ici, quand tu as une chose à dire, tu le dis cash ! Peut-être pas tout le temps dansl'instant, mais tu le dis. Et tu es plus ou moins obligé : quand tu fais la gueule,impossible de le cacher, tout le monde s'en aperçoit. Faut avoir une bonneraison !

50 Tu connais tout des gens, je sais tout de Phhh, François, et eux savent tout demoi. Chacun peut anticiper l'autre / les autres quand ils veulent.

51 C'est un peu gênant d'être tout le temps à poil, tu te sens un peu vulnérable.52 Après, quand tu sors, tu t'aperçoit des faiblesses et superficialités des rapports

que tu peux avoir avec les gens, c'est incroyable ! Maintenant, avec les gens queje rencontre, avec qui je passe des soirées, je cherche à parler de choses qui metouchent, pas juste "titicoco". Je cherche un rapport vrai avec les gens, et je croisque tous les nomades avec un peu de bouteille le ressentent comme ça.

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53 Ici, rien n'est faux, enfin, il y a plein de truc qui sont faux, mais je voulais dire engénéral… Disons plutôt que tu cherches à ne pas être faux.

Quel apprentissage pour la vie de groupe ?

54 J'ai appris sur ma peau à ne pas me laisser embarquer. Je ne suis plus naïvemententhousiaste face à une aventure. Le groupe, la vie de groupe, l'expérience quej'ai, m'ont appris qu'à n'importe quel moment ta vie peut basculer, passer audrame (et pas que dans le cirque). Il nous est arrivé des trucs de oufs : partirsurexcités surjoyeux en convoi et 100m après, Machin qui fait son joint deculasse et se termine en engueulade, limite bagarre. J'ai vu des choses qui m'ontfortement changé !

55 Je suis vachement conscient que quand tu te fais gagner par le sentiment deliberté que tu vis ici, et ben tu y vas à fond. T'es content ? Tu ne retiens pas tonsentiment de joie, tu le fais exploser. Ici, tu peux gueuler, tout le monde voit quetu es content.

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Lien liberté – groupe ?Pour toi, la vie nomade et la vie de groupe semble intimement liée, non ? Est-ceque la liberté vient plus précisément du nomadisme ou de la vie en groupe ?

56 Pour moi, c'est ce que je disais avant, la liberté, c'est ça : vivre à fond.57 Je crois que la liberté vient de plusieurs facteurs :58 - le rapport avec la nature, qui lui, vient directement du nomadisme. Tu es

tout le temps dehors, très important pour moi. Mais il peut arriver aussi quecela se transforme en oppression, en anti-liberté, quand tu es obligé desquatter dans un parking. C'est pas la même chose du tout !

59 - faire ce que tu veux. Ici, tu fais quand même le truc que tu as envie de faire,personne ne t'oblige à faire quoi que ce soit.

60 C'est vrai que nomadisme et vie de groupe sont intimement liés pour moi, oui ilme semble.

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61 J'ai oublié de dire quelque chose…

62 Des fois tu sens vraiment la puissance de la force des choses faites ensemble. Lesgens, l'ensemble des gens, c'est la force.

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63 Quand tu montes un chap' par exemple. Quand tu es face à des chose que tu nepeux pas faire tout seul. Même il y a des chose que tu crois impensables,infaisables, impossibles, mais tu arrives à les faire !

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L'exemple de la Rital ressemble très fort à ça. On a pu faire des choses dures àimaginer, on les a faites, et la manière dont on les a faite, dont on les a vécu , çales a rendu belles et fortes. Par exemple à Mirande*, 10 personnes dans une tentecommando-militaire par -5 à -6 °C dehors l'hivers, pour faire à manger et vivre.C'était le seul lieu de vie en dehors du chapiteau. Il n'y a que des réfugiés quivivent comme ça, en 2003 !

[ * voir page 20 pour le détail de cet épisode que j'ai partagé avec eux.

65 J'ai vécu des choses qui me font dire, que quand un groupe est bien, et qu'il existeune envie, tu peux faire des choses incroyables ! Des tournées de 5 mois avec 50dates en transportant tout le matériel pour le spectacle dans nos maisons (lescaisses, le portique, les fils, l'éclairage,…) C'était peut-être un peu lourd, mais çan'a jamais empêcher d'être content, le spectacle d'être bien, les gens d'êtrecontent,… Des fois, quand le groupe est bien, tu peux faire des choses au-delà del'imagination

66 En plus, artistiquement, être un bon groupe cela ressort dans un spectacle. Lesgens nous disent souvent après : le spectacle était magnifique (bon… pas tout letemps, c'est vrai…) mais le truc qu'on sent derrière, c'est vraiment un groupe, unsuper groupe. C'est des choses très importantes pour nous : comment le groupet'amène à des résultats artistiques où c'est le groupe qui ressort, et pas le metteuren scène ou un artiste en particulier. Il y a une force, une magie, un truc, c'est làque ça se passe. Quand on débarque dans un festival, nos campements neressemblent à aucun autre, il y a un truc spécial, parce qu'on était bien.Maintenant je suis un peu nostalgique de cela. En plus, maintenant avec unecopine sédentaire, ça n'aide pas à sortir de cette nostalgie ! Je ne suis pas très àl'aise dans les petits groupes, j'ai toujours préférer les grands.

67 Tu me poses des questions sur le groupe, et j'ai l'impression de parler desouvenirs en fait, peut-être parce que c'est des choses que j'ai vécu fortement.

68 J'ai du recul maintenant, donc je critique. Il y a 3 ans en arrière, j'aurais ditcomplètement autre chose : le groupe c'est la collectivité et tout ce genre dediscours … Alors que maintenant je dirais plus volontiers que, pour la vieindividuelle de chacun, une expérience de groupe c'est bien : une vie à poil(métaphoriquement j'entends !).

69 Tu es tout le temps en contact avec des problèmes et leurs résolutions.

70 Il y a des valeurs qui circulent entre nous, mais on n'en parle jamais. Ici, on neparle jamais de solidarité par exemple. Parce que c'est un truc enraciné. On arriveà un point où on a créé des liens et des valeurs très fortes, tellement fortes,tellement authentiques qu'on ne les nomme même pas. On parle fric, dates,organisation : que des choses qu'on n'a pas en fait ! Mais jamais quelqu'un denous dira : « tiens aujourd'hui on a été vachement solidaires » ou « dis doncaujourd'hui on était vachement ensemble ».

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71 Pour une vie intérieur et personnelle, une expérience de groupe c'est bien. Après,le groupe a cette force et ce pouvoir de te crasher dans l'éther. Si tu n'es pas forttu ne t'en sors pas. Par exemple, des gens se sont retrouvés complètementabandonnés à leur sortie de "Cggg", sont tombés dans la drogue… Ils ont vécudes choses, fortes, violentes même, dures : trop galère pour s'en remettre. Mêmedans une vie de tous les jours, ils n'aurait pas pu vivre cela. Un groupe peutchanger ta vision des choses. C'est ce qui est dur… ce qui fait ta force et taliberté… Il faut toujours se protéger, protéger la sincérité de ses sentiment au seind'un groupe, et toujours savoir qui tu es. Tu n'es pas le musicien, tu n'es pas Piii,tu n'es pas non plus "Neunœil". Un surnom arrive toujours une fois qu'on teconnaît bien, certain devienne même des noms communs, un "plan tober*" parexemple. C'est très facile de se perdre là dedans. Le groupe te colle desétiquettes, et elle ne correspondent pas forcément à ce que tu es. Mais ellescollent très durement à la peau. On a de nombreuses discussions là-dessus pours'en sortir. Le groupe peut changer ta personnalité si elle n'est pas forte. C'estdangereux. Faire partie d'un groupe comporte des risques, ce sont des trucs qu'onvoit tout le temps. Le groupe fait sortir des choses de toi, bien ou mal. Ellespeuvent aussi t'écraser !

[ * de son surnom.

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FrançoisSon camion – Vendredi 29 avril 2005

Parcours et itinéraire jusqu' à aujourd'hui ?

01 Je suis venu à la Rital Brocante par le cirque, et venu au cirque par des écoles decirque. J'ai même atterri dans le cirque par une classe de "découverte cirque" oùj'étais mono-accompagnateur. Je faisais des anim' avec des enfants : colo et toutça. Eux était là pour découvrir le cirque, et je l'ai découvert avec eux et ça m'abranché tout de suite ! Je me suis dit que j'aimerais bien enseigner le cirque auxenfants… A la rentrée de cette colo, je suis parti à l'école de cirque Fratellini àParis pour prendre des cours. J'avais en vue d'enseigner.

02 Après un moment, avec des gens rencontrés dans cette école, on est parti voir ladernière d'un spectacle de la compagnie "Cggg". Il se disait que le directeur étaitintéressant au niveau de son travail, au niveau du clown,… On est donc parti là-bas, et on n'a pas vu le spectacle parce qu'en fait, la dernière avait eu lieu laveille ! On est donc arrivé le jour d'après, pour la fête : c'était très bien aussi !Quand je suis arrivé là-dedans, sous un chapiteau… C'était une compagnie decirque itinérante donc avec beaucoup de camions. Il y avait un grand buffet, unebelle fête, etc… J'étais émerveillé de tout ça, c'était complètement magique pourmoi. A partir de là, je me suis dit que j'en ferais bien mon métier…

03 L'animation avec des enfants me plaisait bien, mais je ne m'y retrouvais pas trop.Le travail avec les autres animateurs ne fonctionnait pas, il y avait des choses quine coïncidaient pas dans l'équipe, dans le sens où des gens considéraient celacomme un boulot et pas vraiment comme une action sur les enfants. Et ça faisaitchier.

04 Je voyais donc le cirque sous une forme de compagnie, de vie itinérante, maisaussi avec un développement artistique. J'étais carrément branché, et cela m'aouvert la route pour faire ce métier.

05 Du coup, après, j'ai bossé pour intégrer une école, plus dans une "formationcirque" réellement, plutôt que juste des cours comme à Paris. Je suis rentré auLido de Toulouse, tout en continuant à faire des stages avec la compagnie"Cggg" et Pggg, son directeur. Ça confirmait clairement que j'avais envie de faireça, et le discours artistique et la vie de compagnie. Ces 2 choses ensemble,l'ensemble de ces 2 choses m'ont vraiment charmé. La compagnie était superouverte au niveau artistique. Et c'est avec eux que j'ai découvert toutes les chosesde la vie en collectif, toutes les choses et tous les éléments que cela pouvaitapporter, tous les sous-métiers qu'il y avait à l'intérieur de ce métier là. J'aivraiment été super charmé. Toucher à la vie collective peut t'apporter tellementde choses : faire de la mécanique, la cuisine, ça devient presque social des fois,etc…

06 Après on a quitté cette compagnie, avec Roberto, Phhh et les autres, et on amonté cette compagnie : la Rital Brocante. C'était un peu pour continuer ce qu'onavait vécu dans la compagnie "Cggg", mais à notre sauce, à la manière dont onconcevait les choses, nous. Enfin, pour moi en tout cas, c'était peut-être différentpour les autres. Avec la Rital Brocante, on voulait aller de l'avant, au niveauartistique et dans la vie collective, avec nos expériences, positives et négatives.

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Cela ne marche pas l'un sans l'autre ?

07 Si ça peut, mais pour moi non.08 J'aime bien lier ma vie personnelle à ça, et la lier avec d'autres gens. Et du coup,

ça influence aussi l'artistique… parce que tu vas plus en profondeur avec lesgens, et du coup, il y a plus de connivences sur la scène. Cela apporte autrechose. L'approche est différente lorsque chacun vit sa vie de son côté et rejoint lereste de la troupe juste pour monter un spectacle.

09 Pour moi, c'est vraiment comme ça que j'ai envie de vivre mon métier… J'espèreque ça va durer un peu encore.

Tu as plusieurs expériences en collectif de nature un peu différentes. On peutrevenir dessus et décrire le fonctionnement du collectif pour chacune d'elle ? Encommençant par ton expérience d'animateur…

10 On peut dire que tu reproduis les mêmes choses, dans le sens où tu recrées unemicro-société, une société à l'intérieur de la société. Le groupe induit des règles,des choses à suivre et accepter, des concessions aussi. C'est des endroits où tu nepenses pas qu'à toi-même, qu'à ton individu. Tu considères ton individu autourdes autres, tu jongles avec la présences des autres et ta recherche d'intimité. Parceque, pour vivre les uns sur les autres, t'as besoin aussi de trouver des moments oùte retrouver toi-même, c'est important.

11 Au niveau social, entre la colonie de vacances et une compagnie, il y a quelquessimilitudes parce que ce n'est pas une famille. Je ne vois pas du tout la viecollective sur le modèle de la "famille", plutôt comme un village : des gens quivivent des choses et qui sont proches. Au niveau des colos, c'est un peu différentquand même…

Tu peux préciser ?

12 J'ai assez peu travaillé en animation en fait, jamais dans un poste à long terme.J'ai souvent été sous un directeur. Dans tous ces systèmes, il y a : une directionpuis les animateurs. Donc tu n'es pas totalement décisionnaire de ce qui se fait.Ici, c'est différent, tout le monde est sollicité pour les décisions à prendre, pourinventer notre vie. L'animation est HYPER réglée, parce qu'il y a plein de lois àrespecter. Alors qu'ici, ce sont des choses qu'on se crée à partir d'expériences etde vécus.

Et dans une équipe d'animation, quel était le fonctionnement du collectif ?

13 Considérer une équipe comme un collectif n'est qu'une considération. C'est desgens qui ont un certain nombre d'heures à faire dans la journée, ils les font et secassent. Comme certains métiers, ou certaines personnes… je ne sais pas bien.Quelles sont tes motivations pour faire ça ? Avoir un métier, une occupation pourêtre comme tout le monde, suivre le conformisme du "faut avoir un boulot" ?Une paye en fin de mois ? Ou alors c'est vraiment le fond de la chose quit'intéresse ? Travailler avec des enfants, c'est être plongé là-dedans, c'estréellement s'intéresser aux enfants, même au cas par cas, à chaque enfant, et dansle détails de chaque chose, etc…

14 C'est ça qui m'a beaucoup dérangé dans l'expérience que j'ai eu de cette activité.

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Et si on en vient à "Cggg"… quel était le fonctionnement du collectif ?

15 C'était une compagnie d'un certain âge. Une personne avait monté tout ça, pastoute seule mais avec d'autres, qui sont partis. Et, finalement, de l'histoire initiale,il ne reste plus que Pggg.

16 Il embauchait et récupérait des gens partout. La compagnie était ouverte à toutplein de sorte de personnes, de milieu différents, d'horizons différents, etc… Lediscours de Pggg était : « tu rentres dans cette compagnie, c'est ta compagnie ».Donc du coup, tu es responsable de tout ce qui se passe dans la compagnie : lefonctionnement, le matériel, l'artistique, etc… Mais, le sous-entendu était que,quand même, c'était sa compagnie. C'était le directeur artistique mais, sous-entendu aussi, le directeur total-total. Tout cela était non-dit. Du coup, tout lemonde se retrouvait clairement entre 2 : et critique et respect. Critique parce quesouvent tu pouvais ne pas être d'accord. Et respect parce que, venant peut-êtred'un autre milieu, tu n'as pas les connaissances pour dire le contraire.Mais c'était hyper-formateur de suivre sa pratique, son expériences, ses décisionset ses choix. J'ai appris énormément de choses là-bas. Lui, c'était son truc, cettecompagnie était vraiment faite pour former des gens au milieu du spectacle.

17 Il avait la place de directeur. Il se disait anarchiste, pour lui il l'était, donc ilrefusait clairement le poste de chef ou de capitaine. Mais n'empêche, de part soncaractère et ses volontés, il l'était. Il fallait que les choses se passent comme ilvoulait.

Cela se traduisait comment ?

18 C'était des ouvertures de discussions, alors que tu savais très bien que ce sera sadécision et sa volonté qui seront retenues au bout du compte. Ou des propositionsqui sont là, pas des ordres, comment dire… : des obligations.

19 Par exemple, il décide de dessiner l'affiche pour un spectacle. Devant le résultat,tout le monde trouve ça nul. Puis, à force de discussion, lui il sait mieux que toutle monde, il a plus d'expérience, etc… Alors tout le monde finit par dire « oui ».Enfin, plus exactement, tout le monde ne dit plus rien ! C'était souvent ça, parceque c'était une grande gueule, une personne à gros caractère. Il jouait beaucoupavec ça, avec son charisme aussi. Maintenant, si ce genre d'affiches m'étaientprésentées je mettrai un veto absolu !

Tu le vivais comment de l'intérieur ?

20 J'ai pris beaucoup de recul maintenant. J'étais charmé par cette vie. Une foisdedans, j'étais encore charmé. Et j'avais encore beaucoup de choses à apprendre :tout ce que je pouvais prendre, je le prenais, même aveuglément. Et puis j'airangé les mauvais côté, je m'en rends compte maintenant. Et c'est bien, parcequ'on peut retomber dans le même genre de schéma ici. On a cet exemple encommun qui nous en empêche, nous met un peu des « hola ! ».

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Et à la Rital Brocante, quel est le fonctionnement ?

21 On essaye que ce soit réparti au maximum. On se rend compte qu'il y a des gensqui ont plus de facilités avec certaines choses que d'autres, par rapport aux chosestechniques, administratives, de la diffusion, etc… Du coup, on essaye de répartirle travail en en tenant compte. L'idée de base est de choper les compétencesnaturelles des gens, et de faire confiance à ça.

22 Dans la réalité, tout le monde vient mettre son grain de sel dans chaque chose…ce qui est bien, mais aussi très dispersif des fois ! Mais ça apporte souventbeaucoup. Par exemple, on a besoin d'une costumière, c'est Pjjj le technicien etrégisseur qui gère tout le plan. Même s'il n'est pas chargé de la comm' , il se lancelà dedans à fond et le fait super bien.

23 On essaye aussi de se relayer par rapport à ça. Personnellement, je sais que jesuis souvent à l'ouest en ce qui concerne toutes ces choses d'organisation. En fait,ça dépend des moments : des fois tu peux être organisé à fond dans un truc,d'autres fois où tu es pris par ta vie ou d'autre choses,… Donc on essaye de sepasser les relais.

24 On essaye de faire des réunions. L'organisation n'est pas trop régulière, plutôt aucoup par coup, souvent en réaction à des événements ou sous la nécessité dedécisions à prendre.

25 Il y a des réunions formelles : voilà, on se dit qu'il faut se réunir par rapport à ça,pour parler de ça. Par exemple la discussion sur décor et costume de tout àl'heure. On voulait discuter de ce sujet, alors on appelé tout le monde pour se voirlà maintenant. Il n' y a avait pas de prévision de lieu, d'endroit, de durée,…

26 A la Rital, ces réunions sont hyper-free-style. On est assez dispersés etdispersifs : c'est même une de nos grandes caractéristiques ! Souvent on balanceun thème qui en atteint un autre, qui rebondit sur un autre et ainsi de suite. C'estun vrai problème d'organisation, puisqu'en passant d'un thème à un autre, onsurvole beaucoup… En ce moment, on essaye de plus cibler les choses, d'établiret de suivre un ordre du jour.

27 Parallèlement, du fait qu'on vive ensemble, il y a tout plein de moments et dechoses informelles… Par exemple quand on discute d'un truc avec quelqu'un enl'emmenant à la gare. Les choses avancent aussi de cette manière là, et c'est bien,parce que si tu restes dans des cadres tout le temps formels, tu empêches deschoses. Même des discussions artistiques peuvent avoir lieu au bar en pleinbourrage de gueule, tu tchatches de trucs, il sort d'autres choses… et c'est cequ'on cherche.

Comment qualifier la gestion du groupe ?

28 Des gens réfléchissent plus précisément sur des choses, ensuite les autres brodentautour, au départ de ce qui est dit. Des fois, en 5 min c'est fait, puisque lesdécisions peuvent correspondre à plein de choses : du plancher, à l'organisationde la tournée, à la diffusion, au logement des gens que l'on reçoit, etc…

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F529 Par exemple, le choix du metteur en scène… Tout le monde voulait travailler

avec un metteur en scène : on a fait une liste, puis fallait les appeler, donc uneautre liste de « qui appelle qui » (c'est souvent Roberto qui s'en charge). Après,on a nos préférences : « lui c'est le best-of », « avec lui faudra plus discuter »,etc… Puis le choix se fait surtout avec nos différentes dipsos, et dans nos emploidu temps respectifs, et dans les espaces, chapiteaux, résidences, possibilitésd'accueil pour travailler,…

30 Pkkk* ne fait pas partie de la Rital, et c'est là qu'interviennent les discussionsinformelles. Après on retravaille les scènes avec le regard extérieur des gens quine jouent pas directement dedans. Et il nous diront des trucs de ce qu'il ont vuquand on travaillait avec Pkkk, de ce qu'il ont entendu et compris du travail menéavec Pkkk sur cette scène précise et plus globalement.

[ * Pkkk, metteur en scène du dernier et du nouveau spectacle de la Rital Brocante

31 A propos de notre emploi du temps : on s'est mis d'accord. On estimait devoirtravailler 6 heures par jour, donc on a choisit les horaires avec tout le monde.C'est un peu différent de ce qu'on faisait à Metz : ici on a les mêmes horaireschaque jour. On respecte ou pas… Les autres sont en général à l'écoute, donc il n'y a pas trop de problème en cas de retard. De toute façon, s'il y a un problèmequelconque, on le dit et on en discute. On est assez responsable pour faire ensorte que les chosent se passent bien.

32 On fait tout nous-même. En ce moment, le travail est énorme pour tout ce qui faittourner la compagnie. Cela demande beaucoup d'organisation. Si on travaille lespectacle 6 heures par jour, il faut au moins 1 à 2 heures pour la Rital Brocante.C'est super dur : après 6 heures de dépenses d'énergie, on n'a pas envied'organiser ni de faire des dossier. Tu es tellement dans ton truc artistique que tune fais pas forcément bien le reste. C'est difficile de se concentrer sur plusieurschoses, parce qu'on a besoin de temps pour soi, personnel. Il faut pouvoir se viderla tête aussi !

33 Moi, je me perds super vite là-dedans. Je transforme vite une petite responsabilitéen une montage, que je laisse derrière moi… pour la récupérer 1 mois après : ellea changé de forme, elle est devenue complètement bizarre et biscornue,… Je nesuis pas du tout un bon exemple par rapport à ça ! Et la vie de couple n'estvraiment pas évidente non plus…

34 Cela demande vraiment un esprit où tu peux ranger et mettre les choses à part :« ça s'est fini, maintenant je peux passer à ça ». Moi, je me perds à fond là-dedans même si j'aime bien cet aspect des choses. Mais j'aimerais que ce soit plusléger des fois !

35 On fait tout tout seul, cela apporte une certaine liberté. Faire beaucoup de chosesen auto-production entraîne qu'on ne se retrouve pas dans des choses plusinstitutionnelles parce que ne correspondent pas du tout à nos visons ou notrepolitique : les autres te disent « ça, on s'en fout », alors que pour toi c'est superimportant. Quand tu tombes dans des endroits où ce n'est pas toi qui organise, tudeviens très critique puisque tu as ton propre fonctionnement et que celacorrespond très rarement à ce qu'ils font.

36 Donc liberté d'un côté, mais en même temps, un peu une prison de liberté : tudeviens prisonnier de ta liberté.

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Pour toi, quelle est la différence entre un collectif qui marche et un qui nefonctionne pas ?

37 Un bon collectif est un collectif qui peut se permettre de parler de tout : pouvoirtout dire et tout entendre.

38 Tu ressens des choses et tu as envie de les dire. Il faut aussi savoir quand dire leschoses, trouver les moments pour discuter, parler, régler des problèmes. Et puis ilfaut savoir faire la part des choses, entre ce que tu ressens et les choses quitiennent du général. Je m'explique : ce que tu ressens peut venir du moment deton état d'âme personnel (moi en tant que moi même) ; et les choses qui tiennentdu général concernent la machine qui tourne, en entier (moi en tant que membrede la Rital Brocante). Il est important de faire la part entre ces 2 choses. Quellessont les choses qui font avancer le collectif ? Des fois c'est juste régler desproblèmes intimes et personnels. On s'est rendu compte des fois où, par exemple,tu n'es pas bien dans la compagnie parce que tu n'es pas bien toi même. Dans unecompagnie itinérante, il arrive de ne pas avoir de lieu, pas de base,… et du coupquand il faut bosser, tu n'es pas fort, pas stable. Tu es toujours obligé de travaillersur les 2 : toi même et la compagnie. Ce double travail est important. Et cela finitpar n'en faire plus qu'un, parce qu'au bout du compte, les deux s'influent.

Liens position d'artiste – société ?Quelle place as-tu l'impression d'occuper dans la société au travers de taparticipation à une compagnie de cirque ?

39 …

En tant que membre de la Rital Brocante, as-tu l'impression d'être…Par exemple un ovni dans la société ? Ou une petite graine appelée à semer deschoses ? Et lesquelles ?

40 Les 2 je crois !41 Un "ovni" c'est sûr, parce que, dans une période comme celle là par exemple, on

est hyper refermés sur nous même à travailler nos trucs, donc un peu difficile derester en contact avec la société.

42 Et une "petite graine" aussi, dans le sens où cela nous porte de faire ça. C'est unmessage qu'on peut apporter au gens : « si tu veux vivre vraiment un truc, tu peuxle vivre à la manière que tu veux, comme tu veux » C'est aussi une exemple desociété. Toutes les analyses, toutes les compréhensions, toutes les choses que tuvis à l'intérieur de la compagnie, se retrouve pareil à l'extérieur dans la société.C'est la même chose : tu cherches à aborder les gens dans la même optique, tucherches à les comprendre.

Quel apprentissage pour la vie de groupe ?

43 C'est par expérience, par discussion et rencontre avec d'autres gens qui vivent cegenre de chose. La compagnie "Ckkk" ici par exemple sont super bien organisés.On a l'habitude de donner l'image : nous c'est le Burkina Faso, eux les Etats-Unis ! Donc on apprend énorme : « c'est vrai que notre poids lourd on pourrait leranger, etc… » et tout ce genre de choses…

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44 On apprend aussi par confrontations des manière de voir et des sensibilités. Tuvis peu sur des acquis car toujours obligé d'inventer avec les sensibilités dechacun. Du coup là, tu dois être à l'écoute de ça pour avancer.

45 Nous ne proposons pas non plus un truc complètement alternatif, juste un peuune alternative des sédentaires. Dans le sens où on essaye de recréer les mêmeschoses, mais avec notre particularité. Cela veut dire qu'on s'inspire du mondeextérieur, qu'on est sur des choses que tout le monde connaît.

46 La vie en groupe évolue tout le temps et toujours. Toutes les confrontations sontriches, rien ne stagne jamais. On peut apprendre tout le temps, dans les questionsqui se posent tous les jours.

Quels conseils pour monter une compagnie ?

47 Faut y croire, c'est clair !48 Et pas avoir peur de l'énergie que tu mets dedans, parce que cela demande

énormément d'énergie. Il faut être fou et croire à sa folie. Etre sûr que si tu crois àquelque chose, cela se fait, que tout est possible. C'est vraiment ça : « tout se faitsi tu y crois ». C'est se donner les moyens, et tu te les donnes en bossant sur tontruc. Il faut faire les choses, s'inspirer de ce qui existe des autres gens, avoir deséchanges, etc… c'est important.

49 Cela demande aussi beaucoup de conciliation, mais ça dépend, dans le sens où ilfaut faire la part des choses, entre celles où il faut que ça y aille, et celles surlesquelles tu peux être plus souple.

50 Mais le gros du truc, c'est de suivre sa folie.

Quels étaient les arguments et les raisons pour quitter "Cggg" ?

51 La différence entre la Rital Brocante et "Cggg", c'est que là, maintenant, c'estnous, nos visions, nos choix personnels. Je suis parti de "Cggg" parce que c'étaitune compagnie professionnelle, mais aussi formatrice. J'en avais assez de suivreles volontés d'autres personnes, j'avais envie de vivre ma propre expérience, êtredécisionnaire sur encore plus de choses. Pour chacun de nous c'était ça. Et aussiprendre le risque de se lancer… Voilà un autre conseil : oser prendre des risques.

Quels sont tes sentiments vis-à-vis d'un solo ?

52 Jamais, jamais : toujours en groupe au niveau de la vie artistique.Je n'ai jamais eu de proposition de solo. En ce moment, on me propose de bosserpour une compagnie de danse, je suis tenté d'aller voir ailleurs. Maintenant, j'aienvie d'expériences. Depuis mon entrée dans "Cggg" en 1999, je ne fais que ça.

53 Cette vie, combien de temps cela va durer ? On ne sait pas, ça tient à la vie quitourne, à demain, à… qui sait ? De toute façon j'ai l'impression que cela nes'arrêtera pas brut de pomme comme ça, cela découlera plus de différentes enviesprivées.

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Quel lien avec la vie itinérante ?

54 La volonté de diffusion de nos spectacles fait que nous sommes nomades. Onfonctionne par tournée, donc on a besoin de notre habitat avec nous. La raison estsimple.

55 Nous somme nomades donc tout le monde ne fait que la Rital Brocante. Il y aaussi une volonté de concilier rapports humains, création artistique et voyage.Voyage au sens de découverte d'ailleurs, de partage d'expériences humaines avecdes gens, ce qui est quand même un peu différent d'avion-hôtel-avion. Etreitinérant, cela veut dire poser ses camions quand tu arrives dans un bled. Tudeviens habitant de ce bled, du coup tu rencontres d'autres gens et pas de lamême manière. Tu crées ton village dans un village. C'est comme ça que je voisle voyage.

56 Pour connaître des gens, même un public par exemple, il faut passer du tempsavec lui. Le temps d'une représentation c'est court. Tu dis beaucoup et reçoisbeaucoup, mais il y a d'autres choses que juste ce temps de spectacle. Je le sensde plus en plus, j'ai besoin de me ressourcer avec d'autre gens, qui ont deshorizons différents, d'autres métiers, etc…

57 Etre nomade c'est vivre tout le temps avec le même groupe, et une somme decontact avec d'autres gens. L'équilibre qui se fait entre ces 2 aspects estintéressant.

58 La vie itinérante a aussi pour conséquence de créer plein de moments informels.Il y a plus de moments, donc il est plus facile de trouver quand dire les choses.

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DidierBrasserie – Vendredi 6 mai 2005

Parcours et itinéraire jusqu' à aujourd'hui ?

01 J'ai des antécédents familiaux avec mon père syndicaliste dans un contexte degrande lutte sociale : le secteur sidérurgique en Lorraine à la fin des années 70s.Dès le début j'ai été sensibilisé à ce genre de problèmes.

02 J'ai beaucoup bougé géographiquement jusqu'à Montpellier puis maintenantLyon.

03 J'ai passé mon adolescence dans les mouvements alternatifs, punks, etc… avecune base de révolte, qui se transformera en volonté de révolution avec monengagement dans un syndicat. J'ai choisi un syndicat plutôt qu'un groupepolitique, parce que je suis persuadé de l'importance de la réalité économique dutravail, et du fait d'être là où sont les gens. J'ai longtemps collé des affiches, faitdu tractage, participé aux manifs sans être militant, puis j'ai fini par mesyndiquer. Obligatoirement à la CNT : j'avais déjà un chef au boulot, donc jen'allais pas encore en prendre un dans mon syndicat !

04 J'étais marinier à Montpellier. Et, arrivé à Lyon, j'ai trouvé un poste d'animateursur une péniche, j'avais la double casquette pour ce boulot : dans le domaine del'éducation puisque j'avais été surveillant et dans la "péniche" avec monexpérience en contexte fluvial.

05 En tant que surveillant, j'ai failli me syndiquer. Mais on ressentait trop lesembrouilles entre la CGT, la FSU, etc… Leurs dissensions ne donnaient pasenvie de militer. Et on sentait trop de corporatisme et de centralisme, donc dehiérarchie.

06 Pendant 6 ans, j'ai fait parti d'une bande de punks dans des squats. L'image étaitvraiment celle d'une meute avec dominants, dominés, des loups solitaires, etc…Le fonctionnement était assez informel, avec 1 ou 2 éléments moteurs : ceux quiont le plus la tchatche. C'était une façon de s'affranchir, d'échapper au boulot, auxétudes, à l'armée, etc… Faire ce que tu veux, quand tu veux, où tu veux : laliberté ! On n'avait pas de repère, donc c'est assez difficile de revenir là-dessusaprès 7 ou 8 ans sans vivre dans la rue. Je relativise le bilan maintenant : il y a 7ou 8 ans, je t'aurais dit : « super classe ! ». Aujourd'hui j'ai du recul… On ne seposait pas de questions, donc tous les excès étaient possibles. On faisait tout àl'instinct.

07 Il y avait un noyau dur et des gens satellites, ceux qui par exemple avaient unefamille donc qui rentraient chez eux après. Personne n'avait la même histoire etles mêmes caractéristiques. Mais on pouvait dire qu'une organisation existait : legroupe se fractionnait avec un 1er groupe qui partait faire la manche pour boire,un autre pour manger nous et nos chiens, et un 3ième pour fumer. Et avec ça, onfaisait la fête le soir. En fait, l'organisation existait quand le squat était bien (jeme souviens par exemple d'un immeuble où l'on occupait les 4 étages). Celamarchait parce qu'on était une bande de potes : on était sûr du retour des groupesqui partaient, retour avec les thunes récoltées ou les denrées "commandées", donc

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(07) de quoi boire, manger et fumer. Dans notre précarité, il y avait un système destabilité ! Et aussi parce qu'on était épargné par la drogue. On prenait des pétardset des extas bien sûr, mais pas d'héro et tout ça ; donc on gardait un minimum delucidité. Dès qu'on a accepté des toxicos, les problèmes sont arrivés… Mais onne pouvait pas les laisser dehors ! Les embrouilles ont alors commencées, on s'estfait repérés donc délogés. Tu peux avoir des crêtes de couleurs pas possibles etpasser "inaperçu", tandis qu'un toxico, même habillé avec un look normal, se faitrepérer tout de suite.

08 Pour arriver jusqu'à aujourd'hui, ma vie a changé par étape. Un jour, turencontres quelqu'un qui te sors progressivement de là, par palier. Tu as unendroit chaud pour dormir donc, petit à petit, tu ne fais plus parti du squat. Aprèstu t'aperçois qu'il vaut mieux dormir avec ta copine qu'avec tes potes saouls.Avec un certain confort, l'envie de faire la manche disparaît, alors tu cherches unemploi, tu trouves un CES, etc… Et progressivement tes jeans sont de moins enmoins troués, la crête disparaît, etc… Tu découvres d'autres ziq' (reggae, etc…),tu t'aperçois que tu peux boire du thé, etc… Une espèce de maturité arrive. Cequi ne veut pas dire que tu es immature quand tu vis dans un squat., c'est"simplement" différent.

09 Il existe aussi des squat militants avec une démarche culturelle, artistique et decréation : ce n'était pas le cas du notre…

10 Dans la bande, environ 5 personnes sur 20 avaient les idées, entretenaient lesliens, créaient, proposaient des choses, alors que les autres attendaient, étaientdemandeurs, etc… Assez bizarre d'ailleurs comme comportement si on yréfléchit… Ces 5 personnes sont les premières à s'en être tirer. Des gens, hélas,n'ont pas quitté le milieu, ils sont devenus toxico, sont tombés dans la picol',etc… A long terme, les extas et l'alcool, ça bousille, ça scotch' !

11 Sinon, cette vie a différents points positifs… Elle arme certaines personnes pourla vie en société. Par exemple, vaincre sa timidité en faisant la manche : ce n'estpas facile d'aller demander des sous aux gens ! J'ai pu trouver un boulot à latchatche grâce à ce genre d'expériences. Heureusement, parce qu'avec le CV queje pouvais présenter…

12 Ensuite, j'ai passé 2 ans en rentrant complètement dans le système : aller en boîte,porter des fringues, les cheveux gominés,… La fashion-victime de base ! Jeprofitais de tout ce que je ne pouvais pas avoir avant. Après les expériences dusquat, j'ai vécu ça comme une énorme différence !

13 Mais dans la tête, je restais la même personne, toujours en recherche de liberté etde justice. Ces notions, je les ai gardées en moi dès le début. Le sentiment deliberté est devenu très fort dès l'adolescence, il m'a fait déserter l'armée. Lajustice me tient à cœur depuis très jeune, c'est passé par des textes de chansons degroupes que j'écoutais. Et puis, ce désir a fait que je me suis syndiqué, et que jesuis militant aujourd'hui.

14 Quitter la punk-attitude était aussi un acte de liberté. Mes potes me reprochaientde ne plus être punk, mais pourquoi aurais-je dû le rester toute ma vie ? J'ai enviede changer, je le fais, même si ce n'est pas dans les habitudes ou dans ledogme,…

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D3Comment s'est opéré le passage vers le militantisme ?

15 C'était vers 1999, dans le climat général ambiant, par sensibilité à ce qui se passeici et dans le monde.

16 J'avais passé 2 ou 3 ans à poser et coller des affiches, aller aux manifs,… J'étaisplutôt dans les rangs des libertaires dans ces manifs, à cause de cette notion deliberté et d'absence de hiérarchie. Ces 2 choses sont fondamentales et trèsimportantes pour moi.

17 Fin 2003, après l'histoire des retraites, je suis devenu adhérent à la CNT, àMontpellier. En partant pour Lyon, j'ai pris les coordonnées pour adhérer ici. Jesentais que la société avait besoin de bases de construction. Dans le milieu punkoù je vivais, c'était toujours des messages anti-quelque chose, et QUE anti.Antifascistes pour ne citer que le plus "courant" : les SCALP* , les red-skins,etc… Mais rien de constructif. Au bout d'un moment, tu sens que ça devientnécessaire. Cela correspond aussi à un besoin de formulation des choses.

[ * pour Section Carrément Anti-Le Pen

Comment se passe ces formulations ?

18 Avec des rencontres, avec des lectures : Bakounine que j'ai découvert très jeune,Proudhon, etc… Avant, tu vis ça sans militer, ce ne sont pas forcément desdémarches intellectuelles. Par exemple, dans les squats, l'argent n'existait plus.Mais ce n'était pas philosophique, pas réfléchi : dehors, la loi de la jungle restaitet on s'en accommodait. C'est différent d'un groupe de rock avec des paroles etdes textes engagés.

19 Puis avec le confort, l'appart', l'argent du boulot parce que tu commences àbosser, etc… tu lis aussi. Et après avoir commencer à formuler des choses, tut'engages dans un syndicat, à cause de la dimension économique des choses, durapport au travail et tout ça ; et libertaire : donc à la CNT.

Quelle vision et quel recul tu as maintenant ?

20 Cela m'a beaucoup enrichi, j'ai appris beaucoup de choses… la… la démocratietout simplement, avec les tours de parole, le respect et l'écoute de l'autre, etc…Ça me fait bizarre maintenant, ces histoires de tours de parole ne m'étaient jamaisapparues avant : tout le monde parlait quand il voulait, point !

21 Même dans ton métier cela te fait poser des questions : pourquoi je fais ça ? Dequelle manière ? A quoi ça sert dans la société ? A quoi je sers ? etc…

22 Dans un groupe, chacun apporte sa pierre : les autres aussi ont des questions, etchacun cherche la solution,… C'est un enrichissement collectif.

23 Souvent, tu rentres dans un syndicat, surtout un comme la CNT, pour 2 raisons :par idéologie ; ou par souci d'être "exploité", ou alors suite à des déceptionsenvers les autres syndicats.

24 Le syndicat est un lieu d'action et de réflexion, c'est une autre manière de réagir àce que tu prends dans la gueule. C'est un combat économique, cela joue un rôledans le changement de la société. Le syndicat est une arme de lutte avec despropositions concrètes. « Tout va mal ! » : cela paraît assez clair… Mais quelleproposition peut-on faire ? Les collectifs, comme toutes les expériences desintermittents du spectacle, se montent dans une lutte qui est un mouvementponctuel. Le seul moyen pour le long terme est le syndicat.

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Quel fonctionnement à la CNT ?

25 C'est une démocratie qui ne peut être que directe et entière. La délégation depouvoir ne peut pas fonctionner. Nous sommes potentiellement aussi cons queles autres, donc il faut créer des outils pour contrôler cela :

26 - les AG sont souveraines ;27 - on refuse les permanents, qui sont des syndicalistes professionnels, donc

plus des travailleurs ;28 - les mandats sont impératifs sur décision de l'AG, et sont révocables à tout

moment, c'est assez différent du vote "traditionnel" ;29 - la minorité c'est la dictature, on recherche donc le "consensus de la

majorité" : pour cela, on essaye de toujours épuiser le débat avant de voter.

30 Ce sont des principes d'autogestion, la théorie et la pratique. Le syndicat fait ceque les syndicaliste en font. Etre militant et être syndiqué, ce n'est pas la mêmechose.

31 La CNT fonctionne par section sur les lieux de travail. Une AG de l'ensemble dessections d'une même corporation a lieu environ 1 fois par mois. Ensuite il y a unefédération qui regroupe toutes les sections de France. Elle n'est pas décisionnelle,elle sert simplement de relais d'infos. L'autogestion peut fonctionner parce qu'il ya un fédéralisme.

32 Il y a 2 dimensions de rassemblement ; par secteur de métiers, et par lieuxgéographiques, comme le faisait les Bourses du Travail à l'époque. La rencontresur le territoire se décline dans l'Union Locale. Puisque organisée autour de la viede quartier, elle devient du coup plus politique. On y soulève des questionssociales comme les sans-papiers, etc…

33 L'indépendance financière est totale : on ne reçoit ni ne veut recevoir aucunesubvention. On se retrouve après les heures de boulot. L'argent rentre avec lescotisations, les concerts et fêtes de soutien, etc…

Quel apprentissage pour la vie de groupe ?

34 Cela se fait surtout par toi-même, lors des réunions,…35 La première chose qu'on te demande quand tu arrives à la CNT, est de créer une

section dans ta boîte (si ce n'est pas déjà fait). Pour cela, il est nécessaire de créerde la confiance sur ton lieu de travail. Ce qui implique que tu es bon dans tonboulot, sinon on ne te fait pas confiance, tu n'as pas d'appuis, etc… Un bonsyndicaliste est un bon travailleur, sérieux et compétent. Un syndiqué aime sonmétier et a un intérêt pour les autres. Je pense à tout ce qui s'est fait autour del'amiante : pour déclencher tout ça et travailler sur ce dossier, il faut avoir envieque tout le monde vive mieux !

36 En ce moment, le rapport de force est au détriment des travailleurs : on se faitavoir ! Les gens ont l'impression que tout leur est dû, le SMIG, les congés-payés,etc… Ils oublient que tout cela a été gagné et payé dans le sang et la lutte. Lasectorialité ne mène à rien, il faut plutôt développer la convergence des luttes. Laseule manière de faire trembler ce monde là : la bonne vieille grève générale !

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Tu parlais de création de section tout à l'heure, tu peux préciser comment ças'est passé pour toi ?

37 J'ai créé une section dans ma péniche, avec 5 des 14 salariés.38 Beaucoup ont adhéré comme ça, avec un comportement de consommateur. Ce

n'est pas possible : s'il n'y a pas de chef, tu es obligé de mettre la main à la pâte.C'est souvent difficile à accepter parce que cela remet en cause ton identité. Leprincipe du « je suis payé comme un con donc je suis un con » a encore de longsjours devant lui… C'est dur de reprendre confiance en soi, d'aimer son métier,etc… Alors que cela permettrait que tout redevienne possible, comme lasolidarité. Si on décortique les films et les médias en ce moment, c'est ce qu'onvoit : pas l'individualisme mais l'isolement des gens. Donc dur de créer des liensde solidarité et des liens de groupe ! Il n'y a que le groupe qui puisse rendre celapossible. Avancé tout seul est certes possible, mais alors il n'y a pas assez pourtout le monde. Donc, sur le long terme, tout le monde est perdant. C'est ce qui sepasse actuellement : tu veux avancé tout seul ? Alors tu exploites, tu spolies, tumens, etc…

39 La lutte sur la péniche portait sur la simple application du code du travail : ontravaillait 72 heures payées 35, les conditions d'hygiène étaient catastrophiques,etc… On a fait une grève de 25 jours et obtenu gain de cause sur 3/4 de nosrevendications.

40 Mais, plusieurs ont fait l'erreur de partir une fois la partie "gagnée". 2 qui avaientle comportement de consommateur, et 1 autre qui avait trouvé un autre boulot,dont la femme était enceinte, etc… Il ne restait plus que 2 syndiqués. Une fois lagrève finie, la lutte continue pour le patron ! Je me suis fait licenciééconomiquement. Mais, je suis parti avec plus d'indemnités que les autres, parceque j'étais syndiqué et que j'avais le soutien de la CNT : les copains ontdébarqués à 25 dans le bureau du patron !

41 Je ne peux pas leur en vouloir : ils avaient entre 20 et 23 ans, c'était leur 1ère

expérience de lutte. Déjà, tenir 25 jours de grève : c'est bien ! Mais, bon, vu lesconditions de travail… Et on avait organisé une "caisse de grève". Encore unefois, ils avaient une vision à court terme, et pas à long terme. Le patron, lui n'aque ça à faire… En lutte et en grève, nous aussi ! Et même, à ce moment là, dansces conditions là, on est plus fort que lui, parce que épaulés; libres, engagés,etc… Mais après ? …

42 Je crois que l'apprentissage se fait tout seul, au contact des choses, de la réalité.C'est comme au boulot : c'est en mettant la main à la pâte avec les copains.

43 A la CNT, c'est en écrivant des tracts qui sont ensuite soumis à l'AG, entravaillant à plusieurs sur un texte ou un article, etc… On s'enrichit par ladiscussion. Normalement, on n'est jamais en désaccord puisque le débat et lesdiscussions sont épuisés.

44 Il y a le CCN, Congrès Confédéral National, congrès de tous les syndicats CNT.Chaque syndicat prépare des motions et contre-motions. Il y a une voix parsyndicat pour privilégier le côté local : les habitants d'une petite ville ont autantde voix que les parisiens. Ce congrès élit un nouveau bureau, qui ne prendaucune décision, juste là pour relayer et diffuser les infos.

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45 Une bonne manière d'apprendre est de ne pas déléguer.46 On ne force pas les gens, on ne peut que promouvoir des idées et relayer son

expérience, et toutes les expériences qu'il y a derrière ces idées. Je vois la CNTplutôt comme un rassemblement qu'une organisation ou une chapelle. C'est unendroit où existe et se construit la solidarité et l'émancipation.

47 Le syndicalisme est une école. La lutte te pousse à trifouiller le Code du Travail,les Conventions Collectives, etc… Cela permet de devenir relais et diffuseurd'infos auprès des collègues, des autres travailleurs et professionnels.

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JeanBar – Jeudi 12 mai 2005

01 Avant toute chose, je voulais dire qu'on ne naît pas citoyen : on le devient, ça seconstruit… donc je suis persuadé que cela peut s'apprendre!

02 L'ARFI existe depuis 1977. On a fait beaucoup de petits, et beaucoup se sontcassés la gueule. Pourquoi ? Difficile à dire…

03 Souvent, les collectifs se montent avec l'idée de vivre ensemble. C'était bien à lamode dans les année 70s. Ça peut aller un moment, mais après ça éclate. Nous,l'histoire a marché parce que, justement, on ne vit pas ensemble ! Notre viecommune se passe autour de réunions, projets, concerts, répétitions et quelquesfêtes mais rares. Et c'est tout.

04 Une autre chose importante est que nous sommes un collectif sans carriérisme, etc'est assez fondamental. Des gens comme Louis Sclavis ou Yves Robert sontpassés, ils étaient très "dans" le collectif à cette époque, puis sont partis faireautre chose. Et ils ont un peu perdu cet esprit "collectif". On le sent dans leurmusique je trouve, c'est un peu une musique de leader.

05 Notre fonctionnement est basé autour de groupes et de projets.06 Les gens s'emparent de certains des projets proposés, et les mènent jusqu'au bout.

Ces projets sortent de nos fantasmes imaginaires, de nos désirs, de nos envies,etc… qui viennent nourrir une grande réserve d'idées. Ces idées ressortent aprèssous forme de projets grâce à des opportunités : des occasions, des situations.

07 Les gens qui mènent ces projets et prennent des responsabilités sont appelés les"soucieux". On a donc créé le "soucieunat" (terme inventé par Maurice*). Leprincipal type de "soucieunat" reste quand même musical, mais il en existe pleind'autres : réglage matériel et plateau compris, mais aussi planning, organisationdes répétitions, etc… Cela crée des cellules en dehors du collectif global.

[ * Maurice Merle 1945-2003, saxophones, membre fondateur de l'ARFI08 A l'ARFI, on aime bien les défis et le couteau sous la gorge… enfin, le moins

possible !

09 Par exemple, prenons le spectacle "La Grande Illusion*".[ * http://www.arfi.org/fr/spectacles/illusion.html

10 L'idée est venu principalement de Maurice et de sa très ancienne envie detravailler avec un magicien. Il avait vu un festival de magie à Metz avec unepièce de Kagel qu'il avait trouvé très réussi. Puis cela s'est concrétisé à la suite dedemandes de la ville de Lyon qui voulait avoir du "consistant" à se mettre sous ledent nous concernant. De plus, à cette période, on était en résidence à l'Iled'Abeau, donc dans de bonnes conditions pour répéter et travailler. L'occasion etla situation étaient trouvées. En plus, cela nous permettait de finir cette résidenceen beauté par un grand et vrai spectacle.

11 Nous sommes donc partis à la recherche d'un magicien. On avait un peu peur dece côté du milieu du cirque : le côté très "gala", comme les magiciens appellentleurs spectacles.

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12 Nous voulions travailler sur du gros et grand spectacle, pas sur de la magie deproximité : le genre totalement incroyable, la femme coupée en 2 sur une grandescène, devant 2000 personnes, qui réapparaît de l'autre côté de la salle… Et aussitravailler sur un aspect scénique, mais sans que la musique se fasse manger par lamagie : nous voulions un concert avec une vraie place pour la musique, une"mise" en musique de numéros d'illusion et de magie.

13 Plll nous a mis sur la piste de Pmmm, magicien assez barge, qui avait fait unetournée avec Don Cherry : excellent point de départ ! On a donc fait une réunionavec quelques personnes de l'ARFI pour le rencontrer, et on a accroché : ilconnaissait notre musique, l'aimait bien et nous proposait des chosesintéressantes. Par exemple que chacun des musiciens ait un numéro de magie àfaire, devienne magicien. Nous avons été tout de suite enchanté.

14 Il a alors pris rendez-vous avec toutes les personnes intéressées pour un entretienindividuel autour de ce qu'était la magie pour chacun de nous. Ensuite il nous aprésenté plusieurs numéros sur ordinateur. Nous en avons choisi un certainnombre en fonction de nos envies (que ce soit fou et léger) et de nos finances(parce que certains numéros coûtent très chers !). Une fois la liste de numérosétablie, chacun est devenu "soucieux" d'une compo pour un numéro. On n'a paseu de mal à ce que chacun en prenne une, parce que l'aspect visuel est trèsstimulant. On a trop rarement l'occasion de composer dans ce contexte là. Il y aun côté "musique pour magie", présente mais discrète, comme au cinéma : c'estun bon et beau challenge !

15 Avec les éléments extérieurs (non membres du collectif), c'est-à-dire le magicienet les techniciens plateau nécessaires, cela faisait une équipe de 13 personnes. Ona choisi qui fait quoi par rapport à tous les besoins du projet. Il a fallu aussiétablir un planning de répétition. Puis chacun a amené ses morceaux : ça plaît oupas, tout de suite ou après,… Certaines compositions sont acquises dès le début,d'autres sont un peu plus négociées, discutées, etc… Xavier* avait par exempleproposé des choses très contemporaines, il a dû mettre un peu d'eau dans sonverre.

[ * Xavier Garcia 1959-, claviers-samplers-traitements, membre de l'ARFI depuis 1987

16 Au bout du compte, certaines compositions ont été éjectées avec leurs numérosdans la mise en place du canevas par le metteur en scène, Pnnn. On avait 1h30 demusique, et il fallait environ 1h10 de spectacle pour être efficace, donc il a fallucouper des trucs… un peu comme un montage de cinéma.

17 Ce spectacle nous intéressait aussi, parce qu'il pouvait permettre d'aller présenterla musique de l'ARFI dans d'autres contextes vers d'autres publics : celui qui sedéplace pour de la magie et / ou pour des spectacles en saison théâtrale. Cela ad'ailleurs très bien marché ! On a eu un certain succès. Mais on a préféré ne pasle jouer plus d'une fois par mois, pour garder une certaine fraîcheur à chaque foiset ne pas tomber dans la routine. Ça aussi c'est important pour un collectif, pourqu'il dure : faut qu'ça change ! Ce qui veut dire des projets nouveauxrégulièrement, des partenaires nouveaux, des disciplines variées et diverses,etc…

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18 Cela me fait penser à un autre exemple : le projet en Afrique du Sud* : unerencontre entre des chorales religieuses sud-africaines et un orchestre et collectifanar' français ! Comme quoi, la musique prouve une nouvelle fois qu'elle peutréunir tout le monde…

[ * http://www.arfi.org/fr/spectacles/singforfreedom.htm

19 Un chef sud-africain, Pooo, a réunit 45 personnes parmi les 80 chorales de Port-Elizabeth, donc nous avons bossé avec des personnes au top ! Le projet portaitsur des chants de lutte : ils sortaient de leur révolution Mandela et nous passaientcommande pour chanter en français avec nous le "chant des Partisans" et le"chant des Canuts". Ils nous ont envoyé un disque de leurs chants. On s'estdistribué les tâches et les arrangements et ont leur a renvoyé un disque avec nosarrangements, avant d'aller là-bas travailler avec eux. On est parti avec des chefsde chœur de l'Opéra de Lyon pour la prononciation du français : heureusement !

20 Nous avons essayé de situer la musique du projet vraiment entre eux et nous pourtrouver un vrai équilibre. On a cherché à créer quelque chose d'original à partirde notre couleur arfiesque et de la leur, en allant vers eux et les amenant versnous. Personnellement, je me suis occupé du "chant des Canuts" : j'ai choisi de lefaire avec le même arrangement qu'avec la Marmite pour les faire rentrer dansnotre monde et qu'ils le décorent avec leur manière de faire. D'autre commeAlain* ou Pascal* sont beaucoup plus rentrés dans une façon "africaine" depenser la musique…

[ * Alain Gibert 1947-, trombone, membre fondateur de l'ARFI[ * Pascal Lloret 1959-2005, piano, membre de l'ARFI depuis 1987

Comment se choisissent les participants au projet ?

21 Pour qu'un projet soit viable, il lui faut un potentiel humain de départ, disponibleet intéressé. Après, le choix de l'équipe de musiciens, des participants ou desdifférents "soucieunats" non-musicaux se fait après discussion. Souvent, l'emploidu temps et l'agenda ont une part prépondérante dans ces choix. L'aspectlégèreté / coût du spectacle peut aussi intervenir, mais souvent on s'arrange,quitte à être moins payés pour faire quand même ce que l'on a envie.

22 Une des forces de l'ARFI est qu'elle est constituée de formations avec répertoireet identité propre.

23 En ce qui concerne les morceaux et les compositions, en général, on préfère unpeu tous amener des idées finies. Mais on remanie ensemble les détails, commele moment d'apparition de la 2ième voix, le nombre de reprises,… On faitconfiance aux gens. L'ARFI existe encore parce que nous sommes touscompositeur. Ce qui fait qu'on a la capacité de répondre à beaucoup de projets.Souvent les collectifs se cassent la figure parce qu'ils sont trop près d'un leader.

24 Pour le Workshop, on a un son, on se connaît. On amène des nouveauxmorceaux, certains tout faits où il n'y a pas besoin de revoir des choses, d'autresoù il faut construire ce "hot", trouver cette énergie à notre manière. La musiqueécrite n'est pas la musique : il faut jouer. On a des pupitres. Tous les adeptes du"free" sont surpris et prennent ça pour une hérésie, mais c'est nécessaire àquelques instants, pour quelques passages, un truc comme 5 min sur un concertde 1h30.

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25 L'expérience avec Piaf* était pour nous un grand challenge… et pas un cadeau !C'était une proposition du directeur du festival du Mans, après nous avoirentendu faire à notre façon des versions de "l'homme à la moto", et d'autresmagnifiques arrangements de Maurice. Challenge parce que Piaf, c'est lepatrimoine, et la chanteuse française la plus connue dans le monde : même enEgypte ils chantent la "vie en rose" ou "l'homme à la moto" ! On l'a fait à notremanière, comme toujours. Piaf, c'est le lyrisme et la patate, avec un allant très"hot", c'est exactement ce qu'on défend : donc ça nous convenait parfaitement.On a enregistré le disque après la tournée, c'était très bien dans ce sens là, on a puessayer des tas de trucs. Et aussi, on a réfléchi au disque proprement dit, parceque, comme je l'ai déjà dit : un concert est visuel et un disque est un objetpromotionnel sans cet aspect. Il faut le gérer.

[ * "Les Chants d'Edith, création Workshop de Lyon 2002

Parcours et itinéraire jusqu' à aujourd'hui ?Historiquement, comment tout cela s'est mis en place ?

26 J'ai rencontré Maurice Merle avec qui on a fondé le "Workshop de Lyon" (1ère

période de 1967 à 1977). Maurice jouait aussi dans un autre groupe : le"Marvelous Band" avec notamment Alain Gibert. Avec ses 2 groupes, les seuls"free" de la région, on animait une soirée par semaine, le mardi ou le jeudi je neme souviens plus, au Hot Club de Lyon. On était un peu l'épine dans le pied de celieu : on remuait dans les brancards ! On avait notre public, ils refusaient dumonde à chaque soirée. On invitait le plus possible de gens comme FrançoisTusques, Barre Philips, Bob Guérin, Portal, Colette Magny,…

27 On avait une grande activité, un peu tous azimuts, en francs-tireurs complets, unpeu au jour le jour. Nos "bureaux" étaient nos téléphones.

28 On avait en tête des exemples de gens réunis en assoc'. On en entendait parler.Principalement de 2 :

29 - l'AACM* de Chicago avec des gens comme Lester Bowie, l'Art Ensembleof Chicago, Bill Dixon… qui permettait à tous ces musiciens d'être connuset reconnus dans le monde entier par et grâce à cette structure. Je penseaussi à John Tchicaï, avec qui je vais jouer au mois de juin ! Eux faisaientun travail très musical, des fois avec quelques poètes.

[ * pour Association for the Advancement of Creative Musicians.30 - une autre à Berlin : FMP pour Free Music Productions, avec des gens

comme Peter Kowald, Alexander von Schlippenbach… Eux travaillaientavec danseurs, peintres, plasticiens, comédiens,… On les aimait bien, onavait un penchant vers eux, parce qu'ils imposaient une musiqueeuropéenne, une musique à eux, face à l'outre-Atlantique On avait du mal,nous, à s'en détacher.

31 La naissance de l'ARFI en 1977 arrive avec plusieurs choses.32 La première a été de quitter le Hot Club de Lyon. Raoul Brucker nous a

beaucoup aidé, stimulé et motivé : il était à la base du Hot Club, mais nouspoussait sans cesse à créer notre truc, faire nos choses.

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33 La deuxième est la création d'un big band : la "Marmite Infernale", qui regroupeplein de musiciens autour du Marvelous Band et du Workshop. On s'inspiraitbeaucoup des groupes comme Globe Unity Orchestra* . On jouait descompositions ouvertes, assez libre. Le pianiste Pppp avec son style à la Taylor /Tristano donnait le ton. Pour la "Marmite", l'esthétique est toujours venue dupiano, avec les apports de ces harmonies et son style de jeu. On a toujours essayéde garder la ligne mélodique et le lyrisme dans le fond, mais toujours avecl'énergie, le bouillonnement : le "hot".

[ * peut-être aussi être considérer comme le grand orchestre de la FMP de Berlin.

34 C'est à Pqqq (informaticien et musicien à ses heures) qu'on doit l'invention de laformule de "folklore imaginaire". Il disait que ça venait de Belà Bartok. C'est unetrouvaille géniale ! Cela correspond parfaitement à ce qu'on fait. C'est la cultured'où on vient. On a tous appris presque tout seul, il n'y avait aucune école pournous. On inventait en puisant dans nos repères, notre folklore. On est toujours là,à essayer de rencontrer et chercher des gens pour faire des choses ensemble.

35 Enfant j'écoutait Tino Rossi. Mon entourage familial était très variétoch'. De 7 à10 ans, j'ai fait du violon dans une école de musique, mais je n'ai pas continué,mes parents n'avaient pas les sous pour payer l'instrument et les cours. Et jepréférais sortir pour jouer aux billes dehors. Jusqu'à environ 16 ans, où j'aivraiment "décroché" en découvrant d'autres musiques, d'autres choses. J'avais uncousin qui écoutait beaucoup de be-bop et de middle jazz pour danser. J'aicommencé le jazz par la danse !

36 A cette époque, on galérait beaucoup à Lyon, c'était indispensable de nous mettreen assoc', de se regrouper pour être forts vis-à-vis de cette ville. On a tout desuite cherché à avoir des bureaux. Quelque temps chez Prrr au début, chez lafemme de Psss après, et puis au-dessus des "Clochards Célestes". En quittant leHot Club, on a créé le "théâtre des Clochards Célestes" avec des gens comme Ptttet d'autres (aujourd'hui tous metteurs en scène établis !). Ce théâtre existe encore,mais ne fait plus que du théâtre maintenant. Ce lieu nous permettait d'essayer defaire des choses avec comédiens et danseurs, un peu comme le collectif de Berlindont je parlais tout à l'heure.

Quel apprentissage pour la vie de groupe ?

37 C'est de l'ordre de l'inexplicable.38 Il est nécessaire de s'accepter comme on est, on fonctionne comme ça et avec ça.

On l'apprend vite avec le temps : les jeunes qui rentrent le sentent immédiatementet le comprennent tout de suite. La maturité du collectif se construit.

39 Et on apprend au travers de tous les différents projets qu'on monte. Notamment às'ouvrir aux autres disciplines. L'ARFI a toujours fait attention au visuel : unconcert se voit aussi, c'est un aspect très important pour nous.

40 On se perfectionne tout au long de la vie, par les rencontres, les voyages aussi,très important les voyages.

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41 N'importe quel membre de l'ARFI est un ambassadeur de notre collectif. Lesgens nous connaissent comme musicien de l'ARFI, pas comme… contrebassistedu Workshop par exemple. J'aime ça. Mais il y a des inconvénients aussi : lesorganisateurs qui font venir une formation de l'ARFI ne programme pas l'annéed'après (même une formation radicalement différente) parce que : « On a déjà faitjouer l'ARFI l'année dernière ! ». Alors que le choix est très large, cette année parexemple on a sorti 6 disques : c'est énorme !

42 La palette de formation et de spectacle est tellement riche qu'on a dû instauré unfonctionnement. On discute en réunion des projets spécifiques, des envies desdifférentes formations pour décider des priorités, c'est-à-dire des formations quivont prendre l'énergie, celles dans lesquels le bureau va mettre ses forces. Alors,aucune personne qui n'est engagées pas engagées dans un de ces projets ne peutposer de contraintes au bureau.

43 Par exemple, en ce moment, c'est un projet brésilien de Christian Rollet : unerencontre entre percussionnistes, et avec d'autres musiciens. Cela a été décidé àl'unanimité.

Quelles sont vos modalités de décision ?

44 En général, on décide comme ça, pas de main levée, pas de vote secret,… Ondiscute beaucoup et en général on finit tous d'accord, alors on demande : « Toutle monde ok ? Pas d'opposition ? ». Et ça suffit : c'est fait !

45 S'il y a un problème, on en parle, c'est des fois houleux. J'aime bien les gensentiers, qui mettent volontiers les pieds dans le plat, comme Puuu par exemple. Iln'hésite pas à faire péter, c'est bien. C'est très important de ne pas rester tout letemps dans le velours ! On a tous des personnalités différentes, moi par exemple,en général j'écoute dans les grandes réunions avec plein de monde, et je l'ouvre etparticipe beaucoup plus en petit comité.

46 Les compétences s'acquièrent sans qu'on le dise et sans qu'on le voit : ça se faittout seul. ais on peut remarquer que les "soucieux" sont toujours un peu lesmêmes. Nous sommes un collectif ancien, donc avec des rapports de force trèsprésents. C'est l'administrateur qui dirige les réunions, qui pose bien lesquestions, qui veille au respect des priorités et de l'ordre du jour, au temps quis'écoule…

47 Ces rapport de forces, puisqu'ils existent et s'expriment dans ces réunions,n'existent absolument plus en musique. Nos prises de parole et positions ne seretrouvent pas dans la musique que l'on peut faire ensemble après. La musiqueest tellement abstraite, tellement fragile, insaisissable… Elle s'enregistre, sinon se"consomme" sur place. La musique vivante a cette force.

48 Il y a une griffe "ARFI". Déjà rien que 7 mémoires et thèses ! [rires] Cela nepourra pas s'éteindre. A la limite, peut être en veilleuse quelques temps, maisl'empreinte est faite et elle restera.

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49 On a un système de musicien associé, dont on a besoin mais qui ne fait pas partiede l'ARFI, comme des "remplaçants de luxe". Jean-Luc Capozzo en a été avantde devenir membre. Il en parle dès qu'il peut. Cette expérience a été déterminantepour lui et sa musique. Il était prof à l'AIMRA, plutôt marqué be-bop. Il est venutravailler avec nous pour remplacer Pvvv. Tout le monde aimait comme il jouait.Mais il a dû se confronter à des manières de faire, des manières de voir,d'exister,… qui l'ont marqué et beaucoup influencé. Cela a remis en cause etquestionné beaucoup de choses chez lui. Maintenant il habite à Tours donc estparti de l'histoire, mais il a gardé cet esprit "collectif" j'ai l'impression.

50 Je l'ai remarqué : tous les gens qui enregistrent des solos finissent par sortir del'ARFI. Par exemple, moi, j'ai quelques bandes en solo, mais je ne peux pasimaginer les sortir sur le label ARFI : c'est impossible et n'aurait aucun sens pourmoi. L'ARFI, ça commence au duo, pas en dessous !

51 L'ARFI est une suite d'éclatements, de gouffres et de sagesse.

52 On a une réunion avec tout le collectif une fois par mois, pour parler de tout cequi fait tourner la machine : administration, projets, nouveaux ou en cours,financement et subventions,… On essaye de se tenir à ce rythme et qu'il y ait toutle monde à chaque fois, mais c'est très difficile : il en manque régulièrement. Cesréunions durent longtemps, la plupart du temps de 10h à 18h au moins.

53 Tiens… il y a quelques temps, on a organisé 2 journées pour parler del'esthétique, des formes musicales, de l'artistique, etc… Un peu comme uncolloque. Il paraît que le dernier de ce genre datait de 1979 ! Quelqu'un aretrouvé les dates.

54 La vie en collectivité demande des sacrifices et de s'y tenir. La disponibilité parexemple… Pour moi, et c'est partagé par beaucoup, l'ARFI est prioritaire auniveau de mon emploi du temps. Après… si Chick Corea me demande pour unejournée de studio, les autres comprendront très bien que je les plante pour cegenre de trucs ! Qui n'arrivent jamais [rires]… Quand je fais des choses endehors de l'ARFI, elle reste en veilleuse en moi, elle ne s'éteint pas. Il ne se passejamais très longtemps sans que je reprenne contact.

55 On comble aussi les trous financiers : un autre type de sacrifice. On convoquealors une réunion prioritaire et on trouve la somme nécessaire en donnant chacunau prorata de nos gains de l'année écoulée.

Tu disais que l'administrateur animait les réunions. Quelle est sa place et sonrôle de dans la vie collective ?

56 Aux "Clochards Célestes", il y avait Pwww, une connaissance de la femme deLouis Sclavis, qui nous avait prévenu dès le début qu'il voulait être pilote. Il estresté 4 ans puis est parti : commandant de bord sur Air France maintenant !Ensuite Marion Piras a pris le poste, puis est parti en suivant Louis.

57 Ensuite on a hésité entre Charles Gil, 20 ans qui ne ratait pas un de nos concertsau Vieux Colomnès ; et quelqu'un de 40 ans beaucoup plus expérimenté.

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58 On demande à un administrateur de : bien nous représenter, d'aimer notremusique et d'avoir une bonne culture musicale, d'être connu, d'avoir une bonneconnaissance du milieu et des circuits de concerts, et aussi des compétences pourgérer des dossiers, des dialogues et réunions avec des élus,… On a hésité puis,après des échos sur la confiance qu'on pouvait donner à la personne avec de labouteille, on a finalement choisi Charles. Il est rentré tout de suite dans le coup.Le téléphone était SON instrument. Il parlait 4 langues, les gens l'aimaientbeaucoup, il était très diplomate, rappelait toujours les organisateurs après unedate, pas trop tôt ni trop tard,… Il est resté entre 9 et 10 ans avec nous. Il nous atrouvé une tournée en Finlande, où il a rencontré sa femme… il nous a quittépour la rejoindre. Il nous fait venir là-bas une fois par an, mais il a fallu trouverquelqu'un d'autre.

59 Pxxxe est restée 1 an et demi, on a eu des gros problème de compta, pas de safaute, mais ça compliquait énormément les choses.

60 Ensuite Pyyye qui sortait d'un poste à la Renaissance, qui nous a présentél'administrateur actuel : Pzzz. Il aime les gros projets, et ça tombe bien parce queles gens veulent ça en ce moment. En prenant la décision de fonctionner avec desprojets "prioritaires" sur lesquels le bureau concentre ses forces, on a aussi décidéde chaque petite formation nommait un "soucieux" pour régulièrement épauler lebureau et faire le travail de diffusion. Il sait ce qui est prioritaire parce qu'il estsur le devant du front. Donc c'est lui qui nous propose des ordres du jour desréunions.

Peux-tu détailler la manière dont vous avez organisé et comment se sont passésles 2 jours de colloque autour de l'esthétique dont tu parlais tout à l'heure ?

61 Je ne sais pas trop comment répondre, je ne me souviens plus très bien…

Qui est à l'origine de ces réunions ? Comment avez-vous procédé ?

62 Par exemple, j'ai parlé de ce que je disais tout à l'heure, sur la place etl'importance du pianiste de la Marmite Infernale. Que ce pianiste écrive ou nonpour la formation, il donnait l'orientation générale de la Marmite.

63 Pendant les 7 premières années c'était Pppp, donc des compositions et unrépertoire très ouvert. Puis P&&& l'a remplacé : grand musicien, mais le groupetrouvait qu'il prenait trop de place, trop leader sur les créations.

64 Ensuite P### qui lui est très rythmique dans son jeu. Donc cela a changé lerépertoire, les compositeurs pensaient au pianiste, donc ont changé des choses, etc'est devenu beaucoup moins libre dans la forme.

65 Puis Pascal Lloret, avec un toucher très délicat et "hot" en même temps : trèsrare. Et très rythmique aussi, donc il a déplacé un petit peu aussi la musique de laMarmite.

66 A son départ, Pæææ l'a remplacé avec un côté très… rapsodie-concertiste, ça necollait pas dans l'ensemble. Alors Pascal Lloret est revenu… jusqu'à sa mortdébut avril. C'est P### qui tient le poste pour le moment.

67 On a discuté de ce genre de chose pendant les 2 jours, on est en évolution là-dessus. Peut-être qu'il n'y aura pas de piano dans la prochaine Marmite, maisquelqu'un à la guitare ?

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Liens position d'artiste – société ?Quelle place a la politique dans votre démarche artistique ?

68 La politique ? C'est obligé !69 On discute toujours beaucoup entre nous, par exemple avant les réunions. La

dernière fois, on a fait un petit truc sur le oui et le non ! [rires]70 On est de générations différentes, cela va de 34, 40 ans à 64 ans. On n'a pas les

mêmes propos sur certains sujets, j'ai peut-être un peu plus de recul. Certainespersonnes sont entières, j'ai tendance à être plus tempéré. Mais, pour certaineschoses, je laisse faire : il n'y a que les jeunes qui peuvent décider !

71 La musique nous servait à remuer dans les brancards. Au début, c'était un peuune affinité avec la "mode", des fois même un peu "snob" avec les BlackPanthers américains. Il se passait des choses fortes et dures, donc on prenait leurparti. Et, musicalement aussi, on a profité de cette révolution musicale liée à cesévènements.

72 Nous sommes tous sollicités par ce qui se passe dans le monde, tu as un publicdonc ton avis compte. On a besoin de personnes entières pour faire de lamusique. Ce n'est pas pour rien qu'on aime triturer la mélodie ! On appréhende lamusique comme un chahut politique de tous les jours.

73 On aime beaucoup faire des trucs avec des gens de théâtre : eux ont la parole, ilssont même là pour ça. Je ne crois pas au message, mais plutôt au miroir, onmontre des choses sur scène.

74 On joue dans des salles subventionnées j'habite dans le 6ième, d'accord, mais je neme considère pas comme bourgeois. Eux nous font travailler, mais nous, onjoue… Quel plaisir de chanter "l'Internationale" ou le "chant des Partisans" avecdes sud-africains : ils viennent juste de sortir d'une lutte, encore toute fraîche.