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FACOLTÀ DI ECONOMIA – A.A.2005/2006 LINGUA FRANCESE PROF. ALAIN JACQUART REGARDS SUR LA SOCIETE FRANCAISE CONTEMPORAINE 20 questions sur la France d’aujourd’hui 1. Qu’est-ce qu’un PACS ? 2. Quelles sont les valeurs des jeunes Français ? 3. Comment expliquer la « révolte des banlieues » de novembre 2005 ? 4. Qu’en est-il des grands symboles et des valeurs républicaines comme la laïcité ? 5. L’intégration des immigrés est-elle un succès ou un échec ? 6. Le système universitaire français est-il égalitaire ? 7. Pourquoi les Français ont-ils dit « non » à la Constitution européenne ? 8. Qu’est-ce que le complexe d’Astérix ? 9. Qui sera candidat aux élections présidentielles de 2007 ? 10. L’affaire d’Outreau : l’erreur judiciaire du siècle ? 11. Quel a été le rôle des médias dans l’affaire d’Outreau ? 12. Qui sont les Français les plus populaires ? 13. Quel est l’avenir des agriculteurs après la réforme de la PAC ? 14. La colonisation française a-t-elle eu un « rôle positif » ? 15. Les Français sont-ils xénophobes ? 16. Qu’est-ce que la francophonie ? 17. La France a-t-elle une politique linguistique ? 18. Qu’est-ce que le mouvement anti-consumériste? 19. La France est-elle « l’homme malade » de l’Europe ? 20. Qu’est-ce que le RMI ?

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FACOLTÀ DI ECONOMIA – A.A.2005/2006

LINGUA FRANCESE PROF. ALAIN JACQUART

REGARDS SUR LA SOCIETE FRANCAISE CONTEMPORAINE

20 questions sur la France d’aujourd’hui

1. Qu’est-ce qu’un PACS ? 2. Quelles sont les valeurs des jeunes Français ? 3. Comment expliquer la « révolte des banlieues » de novembre 2005 ? 4. Qu’en est-il des grands symboles et des valeurs républicaines comme la laïcité ? 5. L’intégration des immigrés est-elle un succès ou un échec ? 6. Le système universitaire français est-il égalitaire ? 7. Pourquoi les Français ont-ils dit « non » à la Constitution européenne ? 8. Qu’est-ce que le complexe d’Astérix ? 9. Qui sera candidat aux élections présidentielles de 2007 ? 10. L’affaire d’Outreau : l’erreur judiciaire du siècle ? 11. Quel a été le rôle des médias dans l’affaire d’Outreau ? 12. Qui sont les Français les plus populaires ? 13. Quel est l’avenir des agriculteurs après la réforme de la PAC ? 14. La colonisation française a-t-elle eu un « rôle positif » ? 15. Les Français sont-ils xénophobes ? 16. Qu’est-ce que la francophonie ? 17. La France a-t-elle une politique linguistique ? 18. Qu’est-ce que le mouvement anti-consumériste? 19. La France est-elle « l’homme malade » de l’Europe ? 20. Qu’est-ce que le RMI ?

REGARDS SUR LA SOCIETE FRANCAISE CONTEMPORAINE 2

Près d'un enfant sur deux naît hors mariage LE MONDE, 15.02.2005

Le bilan démographique 2004 de l'Insee confirme la baisse du mariage au profit de l'union libre et du pacs. La France reste l'un des pays les plus féconds d'Europe avec 1,91 enfant par femme contre 1,68 en 1994. Au fil des ans, les bilans démographiques de l'Insee dessinent à petites touches le nouveau visage de la famille. Il y a encore une trentaine d'années, le mariage était la forme d'union la plus répandue et les enfants étaient en grande majorité issus de couples mariés. Aujourd'hui, les mutations de la famille ont profondément modifié ce tableau : le nombre de mariages baisse au profit d'autres formes de conjugalité, comme l'union libre ou le pacs, et les naissances hors mariage sont en passe de devenir majoritaires. Depuis le pic symbolique de l'an 2000 - plus de 300 000 dans l'année -, le nombre de mariages ne cesse de reculer : en 2004, 266 000 unions ont été célébrées en mairie, ce qui représente une baisse de près de 6 % par rapport à l'année précédente. Ce recul accentue la désaffection commencée dans les années 1970 : en trente ans, le taux de nuptialité, qui mesure le nombre de mariages pour 1 000 habitants, a baissé de plus de 40 %. Et l'âge des mariés augmente sans cesse : depuis 1990, il a progressé de trois ans, s'établissant en moyenne à 30,6 ans pour les hommes et à 28,5 ans pour les femmes. Les couples ne sont évidemment pas moins nombreux pour autant : ils vivent plus souvent en union libre ou sous le régime du pacte civil de solidarité, le pacs. Depuis sa création, en 1999, ce contrat, dont Jacques Chirac disait à l'époque qu'il était "inadapté aux besoins de la famille", a rencontré un vif succès : au cours des trois premiers trimestres de 2003, 27 000 pacs ont été signés, soit une hausse de près de 20 % par rapport à la même période de l'année précédente. Au total, plus de 130 000 pactes ont déjà été signés dans les tribunaux d'instance. "La pratique l'a consacré comme un nouveau mode de conjugalité, répondant à des attentes nombreuses, et inscrit dans la durée", soulignait en novembre 2004 un rapport remis au garde des sceaux, Dominique Perben. JUSTE DERRIÈRE L'IRLANDE Au chapitre des naissances, la France reste l'un des pays les plus dynamiques d'Europe : avec un taux de fécondité de 1,91 enfant par femme, elle se situe en deuxième position, juste derrière l'Irlande et loin devant d'autres pays comme la Grèce, l'Espagne ou l'Italie, dont le taux stagne à moins de 1,3 enfant par

femme. Au sein des dix nouveaux pays membres de l'Union, la fécondité est également très faible : elle varie de 1,16, pour Chypre, à 1,41, pour Malte. Au total, en France, le nombre de naissances a légèrement augmenté en 2004, pour atteindre 797 000. Cette augmentation - en partie liée au jour supplémentaire de l'année bissextile 2004 - résulte de la progression régulière du taux de fécondité : en dix ans, il a nettement progressé, passant de 1,68 enfant par femme, en 1994, à 1,91, aujourd'hui. "Cette plus forte fécondité compense la baisse du nombre de femmes en âge de procréer, souligne l'Insee. Les générations de femmes de 20 à 40 ans, qui donnent naissance à 96 % des bébés, sont peu à peu remplacées par des générations moins nombreuses." Aujourd'hui, les mères mettent au monde leurs bébés de plus en plus tard : l'âge moyen au premier enfant, qui était de 28,8 ans il y a dix ans, atteint désormais 29,6 ans. "En 2004, une mère sur deux est âgée de plus de trente ans, contre 38 % en 1990 et 27 % en 1980", remarque le document de l'Insee. Les naissances chez des mères de plus de quarante ans restent faibles (3,4 %), mais elles sont en augmentation constante. Enfin, les enfants naissent de plus en plus souvent hors mariage : en 2004, 47,4 % des bébés étaient issus de couples non mariés contre 6 % en 1965. "Désormais, finalement, quelle que soit la situation juridique du couple, c'est la naissance d'un enfant qui crée socialement la famille", résumait, en 1999, la sociologue Irène Théry dans un rapport sur le couple, la filiation et la parenté. DERNIÈRES INÉGALITÉS Prenant acte de ces bouleversements familiaux, plusieurs pays - la Belgique en 1987, le Québec en 1994 ou l'Allemagne en 1997 - ont cessé de distinguer, dans leur droit, les enfants "légitimes", issus de couples mariés, des enfants "naturels", issus de couples non mariés. En France, le code Napoléon de 1804 appelait les enfants naturels les "sans famille" mais, depuis la réforme du code civil de 1972, ils sont devenus les égaux, en droits et en devoirs, des enfants légitimes. Une prochaine réforme devrait parachever cette évolution en faisant disparaître les dernières inégalités entre ces enfants. Anne Chemin

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REGARDS SUR LA SOCIETE FRANCAISE CONTEMPORAINE 3

La France a plus d'un atout dans son sac ! Par Mélina Gazsi, Label France, le magazine

http://www.diplomatie.gouv.fr/label_france/57/fr/02.html Avec une économie moderne et diversifiée, un patrimoine culturel et un art de vivre réputés, un réseau d’infrastructures parmi les plus performants du monde et une population bien formée et très productive, la France a plus d’un atout dans son sac. Première destination touristique de la planète, la France est aussi la cinquième puissance économique mondiale ! Terre d’innovations et de technologies, d’entreprises performantes et de business… les investisseurs étrangers qui choisissent notre pays ne s’y trompent pas. La France, pays attractif ? Soixante-dix millions de touristes étrangers viennent chaque année y passer, en moyenne, une semaine. " Créature de rêve (1) ", la France séduit. Ses régions, ses paysages, sa gastronomie et son art de vivre font des envieux. Ses produits de luxe, sa vie intellectuelle, son patrimoine historique et artistique fascinent. La culture française ! Une référence. Ses musées, ses monuments, ses créateurs, ses festivals, les archicélèbres, mais aussi les fêtes qui animent villes et villages. Ses offres de loisirs, souvent gratuits. Sa capitale, éblouissante ! Partout dans le monde, Paris fait rêver. Pour autant, le " French dream " ne se résume pas à une promenade romantique. La France n’est pas qu’un musée. C’est aussi un pays actif où l’on fait du business. Et même attractif : l’une des premières destinations en Europe des capitaux étrangers, en deuxième position en termes d’investissements mondiaux, après la Chine (2). Ses atouts sont nombreux, et, quoi que l’on en dise, la remarquable sécurité, la stabilité politique et la cohésion sociale sont des facteurs qui comptent pour les investisseurs internationaux. Nature et Infrastructures Petit pays par sa taille, 540 000 km2, c’est aussi l’un des plus vastes d’Europe et l’un des plus gâtés par la nature. Un climat tempéré, une géographie exceptionnelle, avec des frontières terrestres le reliant à six autres pays et plus de 5000 kilomètres de côtes sur trois mers (mer du Nord,

océan Atlantique, mer Méditerranée). À la fois finistère et carrefour, la France, ouverte sur le monde, est la porte d’entrée de l’Europe. Une place enviable pour pénétrer le premier marché mondial et ses 450 millions de consommateurs. Selon l’International Road Federation, on y trouve le réseau routier le plus grand et le plus performant d’Europe : 9 626 kilomètres d’autoroutes, 586 000 de routes. Côté ciel, cent vingt aéroports accueillent du trafic commercial et seize dépassent le million de passagers par an. Parmi lesquels Roissy-Charles-de-Gaulle, près de Paris, est en pôle position européenne. Côté rail, c’est évidemment le plein de qualités : densité, rapidité, ponctualité, sécurité, fréquence et confort. Et l’incomparable vitrine technologique, le dévoreur de kilomètres au nez pointu, la superstar : le train à grande vitesse (TGV), avec 1 540 kilomètres de lignes, 379 rames, 4 lignes à grande vitesse et des connexions au réseau européen. Et, à l’horizon 2007, la future gare lorraine du TGV Est. Quant au transport maritime et fluvial, un tiers des principaux ports européens sont français. Un fort capital humain... Qualité encore, au fronton des écoles. En effet, techniciens, agents de maîtrise, ingénieurs, managers ou fonctionnaires, tous bénéficient d’une excellente formation. Des chiffres ? Troisième pays pour la scolarisation des 20-24 ans (3), et deuxième pays pour la qualification de la main-d’œuvre et le pourcentage des 20-29 ans diplômés en sciences et technologies (4). De plus, un système de formation professionnelle permanente tout au long de la vie donne, au salarié, la maîtrise de son devenir professionnel et, à l’entreprise, un personnel qualifié, motivé et évolutif. Notre modèle industriel fait d’ailleurs bien souvent figure de pionnier en matière d’innovation, du paquebot de luxe le Queen Mary 2 à l’Airbus A 380 ou au TGV, de la carte à puce aux industries du nucléaire ou de la santé. ...ouvert à l'international

C’est que, rompant avec la règle anglo-saxonne selon laquelle ce qui est gratuit ne vaut rien, l’université française, largement subventionnée par la collectivité, offre à la fois un grand éventail de filières de très bon niveau et un accès quasi gratuit. Aux frais d’inscription plus que compétitifs s’ajoutent des dispositifs permettant des conditions de vie favorables, tels que des assurances maladie et responsabilité civile bon marché et des allocations logement. Les étudiants étrangers l’ont d’ailleurs bien compris : ils étaient 245 300 en 2004. Un chiffre qui met la France au troisième rang européen et au cinquième rang mondial. À ceci près qu’ils représentent en France 11 % des effectifs contre 4 % aux États-Unis. Et que leur statut (droits, diplômes) est identique à celui des étudiants français. Ce qui est loin d’être le cas partout ! Autre atout de taille : 300 filières dispensent des formations en langue anglaise, sur tous les campus du territoire (5). Et la productivité ? Mais au baromètre de l’attractivité, le coût du travail est un indice déterminant. Selon le bureau du travail américain, le coût de la main-d’œuvre ouvrière en France est correct, comparable à celui du Royaume-Uni. Inférieur de plus de 20 % à celui des États-Unis et de plus de 40 % à celui de l’Allemagne. Et la France de se hisser au premier rang des grands pays en termes de productivité horaire devant les États-Unis (6). Quant aux coûts énergétiques, ils sont devant la moyenne européenne. Sur le front de la téléphonie, le mobile et le haut débit devraient, dès 2005, s’étendre sur l’ensemble du territoire, y compris en zone rurale. Le fixe, lui, demeure le moins cher d’Europe. C’est dire si la France est attractive. Les 16 000 entreprises étrangères déjà établies et les dirigeants des 313 nouvelles implantations réalisées en 2003 le savent bien : s’il fait bon vivre en France, il y fait aussi bon travailler et entreprendre.

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REGARDS SUR LA SOCIETE FRANCAISE CONTEMPORAINE 4 1. Selon une étude consacrée aux images de la France, réalisée par le cabinet DDB Brand and Business. 2. Source : Insee, 2002. 3. Avec un taux de 53,6 %, après le Danemark et la Finlande. Source : OCDE, 2003. 4. Source : Eurostat, 2003. 5. Catalogue sur le site de l’agence Edufrance : www.edufrance.fr/fr/d-catalogue/n_langens.asp. 6. Baromètre Attractivité du site France 2004, Ernst & Young. Données nationales, Fonds monétaire international (FMI) et Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). 7. Source : Eurostat, 2003.

Pauvre petite France, tentée par le protectionnisme

par Jean Pisani-Ferry, Challenges, 15.12.2005 Jean Pisani-Ferry, directeur du centre de recherche économique Bruegel : Le choc de l’élargissement et la montée des pays émergents, voilà de quoi provoquer des réactions protectionnistes. Mauvais réflexe : une petite économie ne survit qu’en se spécialisant. Alors qu’à Hong-kong l’Organisation mondiale du commerce s’efforce de faire avancer le cycle de Doha, le protectionnisme a fait son retour dans le débat politique français. A droite, dès le 29 mai, Nicolas Sarkozy évoquait la préférence communautaire. Puis Dominique de Villepin inventait le patriotisme économique. A gauche, au congrès du Mans, le PS a fait un pas de plus en ressuscitant le tarif extérieur commun. L’envie d’appuyer sur le bouton « pause » se comprend. Comme ses voisines, l’économie française affronte un double choc : européen, avec l’élargissement ; externe, avec la montée des pays émergents. L’affaire des im-portations textiles chinoises, il y a peu, a donné la fièvre. Pourtant, c’était une crise à l’ancienne : la concurrence, désormais, des pays émergents touche des entreprises modernes. Le renouveau protectionni-ste se nourrit d’une incertitude. Il y a dix ans, la voie de l’adaptation était escarpée mais claire : l’avenir était à l’éducation, à la technologie, aux services. Depuis, nous avons découvert que la Corée investissait plus que nous dans l’enseignement supérieur, que de grandes entreprises délocalisaient leurs laboratoires, que l’Inde devenait un grand exportateur de services. Nous ne savons plus où est notre avantage comparatif. Deux choses sont évidentes cependant. La première est que la France devient un petit pays. Il y a vingt ans, elle pesait 4 % dans l’économie mondiale utile. Elle n’en pèse aujourd’hui que 3 % dans un monde en expansion. Dans vingt ans, elle pèsera sans doute 2 % : à peine plus que la Suisse dans les années 60. C’est, en partie, une bonne nouvelle, car les productions où le pays excelle – disons, les Airbus et le bordeaux – trouveront un débouché sans commune mesure avec le -marché intérieur. Mais une petite économie ne survit qu’en se spécialisant et en abandonnant l’ambition de produire un peu de tout. Le saupoudrage auquel a donné lieu la sélection des « pôles de compétitivité » montre que nous en sommes loin. La seconde certitude est que tout ce qui peut être imité sera imité. Les entreprises qui créent du revenu sont celles qui échappent à la loi d’airain de la concurrence par le prix en produisant des biens inimitables (le champagne) ou qui n’ont pas encore été imités (l’iPod). Aujourd’hui, les entreprises européennes vendent cher et réussissent dans le commerce mondial. Elles ont encore bien des rentes. Pour les préserver, elles doivent conserver leur spécificité et leur avance et, pour cela, adopter une stratégie du mouvement. Jouer le protectionnisme, ce serait freiner la spécialisation et ralentir le mouvement : exactement le contraire de ce qu’il faut à nos économies pour continuer à générer du revenu dans un monde en transformation.

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REGARDS SUR LA SOCIETE FRANCAISE CONTEMPORAINE 5

La famille et l’amitié : deux valeurs sûres pour les jeunes En cette époque agitée, la tendance n’est plus à l’autorité dans les familles françaises mais à la complicité. Les jeunes ne se révoltent plus systématiquement contre leurs parents. La preuve : ils quittent le domicile familial de plus en plus tard. Les conflits des générations n’existeraient-ils plus ?

Les trois pères du succès international de la cinéaste Coline Serreau, Trois hommes et un couffin, et leur fille 18 ans après (2003). D.R.

Par Nelly Brunel, journaliste, Label France, n°51, juillet 2003. Il y a certes des facilités à vivre chez ses parents, mais ce n’est pas ça qui retient Benjamin, vingt-deux ans, dans son cocon familial. Il sait cuisiner, faire la lessive, gagner de l’argent. Et, pourtant, il vit depuis deux ans avec sa petite amie Magali... chez papa et maman. Pourquoi ? Parce qu’il s’y sent bien. On s’attarde en effet de plus en plus chez ses parents, l’âge moyen pour quitter le domicile familial se situant actuellement autour de vingt-trois ou vingt-quatre ans. Les filles partent en moyenne deux ans avant les garçons, ces derniers étant davantage soucieux d’acquérir une véritable indépendance économique avant de sauter le pas. Les études qui se prolongent, les difficultés à trouver un emploi et les loyers prohibitifs ne sont pas les seules raisons qui expliquent l’hésitation des enfants à voler de leurs propres ailes. "Ce qui a disparu, c’est le formalisme des convenances qui imposait autrefois, au moins officiellement, de se marier pour connaître les plaisirs de la sexualité. C’est ainsi que les jeunes n’estiment plus aujourd’hui nécessaire de former un couple pour avoir des relations sexuelles", déclare Olivier Galland, sociologue et directeur de recherches au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Révolu donc le temps des générations qui devaient partir pour goûter la liberté. L’heure est à la tolérance, à l’échange et au respect mutuel dans cette nouvelle structure familiale. Alors, "quel intérêt [un jeune] aurait-il à voler de ses propres ailes, quand il n’y a plus rien à conquérir au-dehors ?", ajoute la psychologue Béatrice Copper-Royer. Ce climat de confiance ne signifie pas pour autant que les jeunes parlent librement de leur sexualité avec leurs parents, le dialogue n’est pas aisé. Et si la mère reste la confidente privilégiée pour les enfants des deux sexes, mais plus particulièrement pour les filles, les mots ne viennent pas facilement entre le père et sa fille. Recherche identitaire A l’adolescence, ils préféreront parler de leurs expériences amoureuses lors des séances d’éducation à la sexualité dispensées en groupe dans les établissements scolaires mais surtout se confier à leurs amis, indispensables pour leur redonner confiance et affronter cette période de grands bouleversements physiques et psychologiques. Car, même si les parents s’inquiètent souvent des fréquentations de leurs enfants, la bande de copains est essentielle à un adolescent pour se construire et s’ouvrir à la vie sociale. C’est un plaisir et un besoin de se retrouver entre jeunes du même âge, ayant le même langage, les mêmes goûts vestimentaires, alimentaires ou encore musicaux. Ensemble, ils échangent des idées, se confient, friment et rigolent, loin des contraintes familiales. Mais s’il ose aborder le sujet avec vous, "ne soyez surtout pas impressionnés par son premier amour. C’est le sien, ce n’est pas le vôtre", recommande le pédopsychiatre Marcel Rufo. Durant cette période difficile à vivre, l’adolescent cherche à s’opposer aux adultes, en s’exprimant comme un charretier, en s’enfermant pendant des heures dans sa chambre, notamment pour téléphoner à ses amis, en avalant ses repas sans piper, sauf pour lancer des remarques désobligeantes à l’égard de ses parents. Bref, quand l’enfant devient "ado", les parents, qui ne jurent que par l’équilibre de leur progéniture, se retrouvent déboussolés face à un étranger. Pas de panique : les conflits sont nécessaires à sa construction. "Respecter et rendre autonome, ce n’est pas satisfaire tous les besoins", affirme le psychiatre Patrice Huerre. Le devoir des parents est de guider et de rappeler les limites. Heureusement, l’adolescence peut aussi évoquer les meilleurs souvenirs de la jeunesse. A cette époque de la vie, en effet, on découvre l’amour. Entre douze et quinze ans, on flirte : premiers coups de foudre, premiers baisers volés au cinéma... Contre toute idée reçue, nos jeunes n’ont pas le diable au corps. Ils sont patients, romantiques et prudents, et

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REGARDS SUR LA SOCIETE FRANCAISE CONTEMPORAINE 6 qu’ils soient collectionneurs d’aventures amoureuses ou fidèles, ils sont toujours accablés lorsqu’une histoire d’amour, aussi brève soit-elle, se termine mal. Pour les adolescents d’aujourd’hui, surinformés par les médias, la sexualité n’est plus un tabou. Mais ils ne sont pas pour autant plus précoces que leurs parents ; l’âge moyen du premier rapport sexuel se situe toujours, depuis une vingtaine d’années, autour de dix-sept ans pour les garçons et de dix-huit ans pour les filles, et varie selon l’éducation religieuse et le milieu social (les adolescents de la classe ouvrière, qui entrent en général plus tôt dans la vie active, sont en principe plus avancés). L’apparition du sida ne semble pas avoir eu une forte incidence sur leur comportement, même s’ils sont sensibilisés au problème. Adulte par étapes Autrefois, l’enfant quittait définitivement le foyer parental et devenait, de fait, autonome, sur le plan tant matériel qu’affectif. Aujourd’hui, les jeunes préparent leur vie adulte en restant chez leurs parents : ils deviennent adultes par étapes. Cette situation de dépendance matérielle et économique présente des dangers. Outre qu’elle peut devenir étouffante, elle empêche parfois le jeune de prendre ses responsabilités en affrontant la vie et le maintient dans un certain confort passif. Cette cohabitation peut également entraîner des changements dans les rapports familiaux, en installant une certaine confusion des rôles. Lorsque, enfin, ils se décident à partir, les enfants restent encore dépendants de leur famille durant une longue période. Dans cette situation de "faux départ", une tâche difficile commencera pour les parents : celle d’assurer un soutien affectif, moral et matériel à leur enfant, tout en respectant son autonomie. Un jeune sur cinq reviendrait le week-end chez ses parents avec son linge sale et en repartirait... avec des provisions. Certains préfèrent mener leur vie en solitaire ou en colocation avec des copains pendant quelques années, en ayant une relation amoureuse sans se sentir obligés de former un couple. Car, même si l’amour et le désir de fidélité sont des valeurs très présentes dans leur discours, la belle robe blanche ne fait plus rêver ces jeunes qui, souvent traumatisés par le divorce de leurs parents, ressentent une véritable psychose de l’échec et redoutent de reproduire le même schéma. Les chiffres ne sont-ils pas parlants ? Selon une enquête sur l’histoire familiale réalisée en 1999, près de 40 % des mariages aboutiraient actuellement, en France, à une séparation. Et puis, un beau jour, on rencontre l’âme sœur, issue le plus souvent du même milieu social, du même niveau d’études... On se marie ou on vit en concubinage, une façon d’être ensemble sans pour cela s’engager même après la naissance d’un enfant. La moitié des premiers bébés français naîtraient de parents non mariés. Commence alors une nouvelle phase pour les parents devenus grands-parents : celle au cours de laquelle ils s’occupent occasionnellement ou régulièrement... de leurs petits-enfants. La famille : une valeur refuge "Notre société a tendance à nier les différences de génération, à valoriser excessivement les plus jeunes et à en faire le modèle et la raison de vivre des plus âgés. Il est donc plus difficile qu’autrefois d’être sûr de son rôle : les parents se posent plus souvent la question du bien-fondé de leur autorité, ou n’ont tout simplement pas appris à l’exercer", remarque le professeur Daniel Marcelli, spécialiste de l’adolescence. Pourtant, la grande majorité des parents et des jeunes déclarent s’entendre plutôt bien, et trouvent la vie familiale agréable, même si cela "coince" un peu à l’adolescence. L’harmonie passe par une certaine discrétion sur les sujets intimes et sur la vie privée des enfants. Le conflit des générations n’existe plus à une époque où se côtoient parfois jusqu’à cinq générations. Pour les jeunes, en quête de repères rassurants dans un univers de troubles et d’incertitudes, la famille reste une valeur sûre. Elle fait figure de refuge dans une société où ils rencontrent des difficultés à s’intégrer. Si le monde inquiète, l’entourage rassure.

Aux immmigrés la nation reconnaissante Par Neija Hamdaoui, journaliste © Label France, 2004

Le 1er janvier 2005, quelques mois avant l’Allemagne, la Belgique et la Suisse, la France va se doter d’une Cité nationale de l’histoire de l’immigration à Paris. Outre-Atlantique, Canadiens et Américains ont pris de l’avance en ouvrant le musée de la Civilisation de Québec, en 1988, et le musée d’Ellis Island à New York, en 1990. " L’importance de cette initiative, souligne l’historien Gérard Noiriel*, tient au fait que, pour la première fois, les plus hautes autorités de l’État reconnaissent que la France est un vieux pays d’immigration et inscrivent cette réalité dans le patrimoine national. "

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En mars 2003, le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin confiait à l’ancien ministre Jacques Toubon la présidence de la mission de préfiguration du musée. " Nous devons reconnaître l’apport de l’immigration à la construction de la France et changer les représentations de ce phénomène, il y va de la cohésion de notre nation ", a martelé le Premier ministre lors du lancement officiel du projet le 8 juillet 2004, après que la mission de préfiguration lui a remis son rapport. Au cœur d’un réseau national de partenaires associatifs et institutionnels, ce centre accueillera une exposition permanente sur l’histoire de l’immigration en France depuis 1789, des expositions temporaires, des colloques, des spectacles et un pôle multimédia de ressources documentaires. Il orchestrera des actions nationales telles que la modification des programmes scolaires.

Un site unique La Cité de l’immigration investira progressivement le Palais de la Porte dorée (XIIe arrondissement, au sud-est de Paris), qui ouvrira ses portes au public au premier trimestre 2007. La rénovation sur une décennie de ce site unique (musée permanent des Colonies à partir de 1931, puis musée des Arts africains et océaniens à partir de 1960) de 16 000 mètres carrés exigera 2 millions d’euros par an. Le budget de la Cité de l’immigration sera de 4 millions d’euros en 2005 et en 2006, et de 7 millions d’euros en 2007. La numérisation des archives de naturalisations permettra aux 14 millions de Français ayant une ascendance étrangère à moins de trois générations de remonter le fil de leur histoire familiale. Et à tous les autres de relire avec eux leur histoire nationale. * Auteur du Creuset français, éd. du Seuil, Paris, 1988. " Les Français d’aujourd’hui sont les immigrés d’hier " Entretien avec Jacques Toubon, président de la mission de préfiguration de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration.

REGARDS SUR LA SOCIETE FRANCAISE CONTEMPORAINE 8 Comment expliquez-vous que la France, terre d’immigration par excellence, ait tant tardé à se doter de ce musée ? Jacques Toubon : La première raison tient à notre mentalité collective profonde. Nous avons le sentiment que la France et les Français sont issus en droite ligne des Gaulois. Nous sommes également convaincus d’avoir été des civilisateurs et d’avoir apporté au monde un message universel. En revanche, l’idée que notre identité puisse être constituée d’apports étrangers est très peu répandue. La seconde raison tient au contexte politique des vingt dernières années. Concernant l’immigration, les socialistes au pouvoir (1981-1995) ont proposé un nouveau modèle, qui était celui de la différenciation. La mise en valeur des cultures d’origine primait sur la célébration de l’immigration comme fondement originel de la nation. Ce projet de musée participe-t-il d’une mobilisation nationale contre les discriminations ? Il participe d’une entreprise de vérité sur l’identité française. Nous montrerons que la civilisation française est constituée du brassage de multiples cultures, peuples et religions. La perspective historique permet d’échapper à la polémique politique et aux impressions actuelles. Il faut réussir à changer le regard contemporain, qui considère souvent les Français et les immigrés comme deux catégories en confrontation. L’Histoire montre que cette distinction est inopérante, car " les Français d’aujourd’hui sont les immigrés d’hier ". Pour y parvenir, nous devrons réussir à faire réfléchir les gens en les atteignant émotionnellement. À l’heure de la globalisation, les questions identitaires résonnent à travers le monde. Ce travail de pédagogie au long cours est nécessaire, car la pire des choses est de se donner une identité fantasmatique. La promesse d’un " nous " ouvert Gérard Noiriel, politologue et historien, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales. On ne peut travailler sur l’immigration sans motivations civiques telles que faire reculer le racisme et les préjugés. La mémoire est aussi un moyen d’exclusion. Intégrer l’immigration dans le champ de la mémoire collective peut permettre de déplacer la frontière du " eux " et du " nous ". Les immigrés actuels doivent savoir que les discours négatifs tenus à leur égard sont récurrents historiquement. Il faut leur donner à voir de grandes figures de l’Histoire française, des personnalités qui se sont démarquées et qui venaient d’ailleurs. Ce nouvel horizon pourrait être fécond. J’essaie de lutter contre l’idée fausse que, dans le passé, l’immigration aurait toujours été réussie, sans problème, parce que les immigrants venaient d’Europe et qu’elle serait aujourd’hui problématique parce qu’ils viennent d’Afrique. Cette vision des choses est non seulement fausse, mais contraire à la tradition républicaine qui fait de la France " la patrie de l’universel ". J’aime cette expression (de Michelet), car c’est la promesse d’un " nous " ouvert. La France se mobilise contre les discriminations • Création du Haut Conseil à l’intégration (HCI) en octobre 2002, instance de réflexion rendant des avis au gouvernement. Fondation par le HCI, en juillet 2004, d’un Observatoire de l’immigration et de l’intégration. • Réunion du Comité interministériel à l’intégration (CII) en avril 2003, pour la première fois depuis 1990. Lancement du contrat d’accueil et d’intégration (CAI) des immigrants dans douze départements en juillet 2003. Ce contrat, valable un an et renouvelable une fois, comprend 8 heures de cours de présentation des valeurs de la République et de 200 à 500 heures de cours de français, donnant lieu à des attestations ministérielles de compétence linguistique. Le dispositif, qui doit devenir national en janvier 2006, est encore en rodage. • Une Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde) devrait voir le jour le 1er janvier 2005. Saisie directement par lettre, cette instance, dotée de forts pouvoirs d’investigation, enquêtera sur des cas précis et proposera un accompagnement vers une médiation ou vers un procès.

La difficile reconversion des agriculteurs en conservateurs du paysage LE MONDE, 08.04.2005

Des exploitants sous contrat Les contrats territoriaux d'exploitation (CTE) ont été créés en 1999 pour inciter les agriculteurs, via des aides de l'Etat et des fonds européens, à respecter les paysages et l'environnement. Entre 1999 et 2003, 49 000 contrats avaient été signés. En échange d'une subvention de 27 000 euros en moyenne, pendant cinq ans l'agriculteur s'engageait à lutter contre la pollution de l'eau, à réduire son utilisation de pesticides, à planter des haies, etc. En 2002, seulement 25 000 contrats avaient été signés au lieu des 100 000 annoncés. Les contrats d'agriculture durable (CAD) ont remplacé les CTE en octobre 2003. Plus directifs en ce qui concerne les objectifs environnementaux, ils sont, surtout, territorialisés, les exploitants devant, sur un territoire donné, harmoniser leurs pratiques. Depuis 2003, 10 000 contrats ont été signés.

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REGARDS SUR LA SOCIETE FRANCAISE CONTEMPORAINE 9

Sous l'impulsion de la PAC, l'agriculture française s'est très fortement modernisée depuis les années 50 Soleil d'hiver qui décline. Sur le chemin, le sabot des vaches qui résonne. Inhabituel, à cette époque de l'année où les bêtes restent à l'étable. "Regardez comme elles sont heureuses. Jusqu'à présent, elles restaient enfermées. Pour nous, c'est davantage de travail de les mettre au grand air. Mais on va dans le bon sens, celui du sens paysan retrouvé", observe M. Gilbert. Après une vie de production laitière intensive, cet éleveur d'Ille-et-Vilaine, installé non loin de Rennes, a décidé de bouleverser du tout au tout ses pratiques agricoles. "Mon épouse et moi, nous faisons partie d'un groupe de randonneurs. Avant, ils disaient des choses dans notre dos. Mais depuis que nous avons changé d'état d'esprit, ils nous admettent mieux." La campagne a beaucoup souffert du productivisme effréné. La biodiversité s'est appauvrie, le "capital nature" s'est épuisé. Le mouvement est en marche : à côté de leur fonction nourricière, les agriculteurs ont, désormais, une mission paysagère à assurer. Un vrai bouleversement culturel, pour certains "une nouvelle révolution agricole". Face à ce nouveau défi de conservation du patrimoine naturel, les paysans ont d'abord manifesté de la mauvaise humeur. Ils avaient, certes, à coeur de regagner la confiance des consommateurs. Mais de là à être payés pour soigner les haies afin de satisfaire les promeneurs... Trop de paperasseries, trop de contraintes. "Nous voulons être acteurs de notre métier. A quoi bon se battre si l'on n'a plus aucune initiative, si tout nous est imposé ?", proteste Sylvie Gabriel. Avec son époux Thierry, elle élève des chèvres blanches de race Saanen à Saint-Just-Chaleyssin (Isère). Le couple fabrique et commercialise ses fromages frais par ses propres moyens. "Le respect de l'environnement, nous n'avons pas attendu qu'on nous le dicte pour l'éprouver, se fâche Thierry Gabriel. Pour nous qui pratiquons une agriculture raisonnée, cela fait partie de la déontologie du métier." Ancien président de l'Institut national de recherche agronomique (INRA), Bertrand Hervieu a participé à la mise en place, en 1999, des contrats territoriaux d'exploitation (CTE) par lesquels les agriculteurs s'engagent, en échange d'une aide financière et d'un strict cahier des charges, à "produire du paysage" au même titre que des céréales ou de la viande. Il confie ses doutes : "La prise de conscience vient d'en haut, sans que la profession l'ait assimilée. C'est dans la bataille du paysage que se situe, aujourd'hui, la plus grande divergence d'appréciation entre les gens des villes et ceux des campagnes. La société bourdonne d'attentes à l'égard de son agriculture. Mais celle-ci peine à assumer autant d'enjeux. Sa mutation n'en est pas moins inéluctable." Au ministère de l'agriculture, on assure aujourd'hui que le mouvement est enclenché. Faut-il le brusquer ? "Un point essentiel est de ne pas dire aux agriculteurs qu'ils seront les jardiniers de la France de demain, ce qu'ils n'apprécient guère, insiste le géographe Pierre Donadieu, chercheur à l'Ecole nationale supérieure du paysage (ENSP). Ils ont toujours observé la plus grande distance avec cette profession qui fait du beau, de l'agréable. L'identité des paysans s'est bâtie sur un double projet, en partie mythique : celui de leur rôle nourricier et celui de leur indépendance." Le monde agricole perçoit les outils mis en place par les ministères successifs comme un retour en arrière nostalgique et ridicule. "Un jour, un agriculteur d'Ile-et-Vilaine m'a raconté comment, dans les années 1970, il avait rasé sans remords les arbres de sa propriété, témoigne Yvon Le Caro, professeur de gestion au lycée agricole de la Lande-du-Breil à Rennes, auteur d'une thèse sur les loisirs en espace agricole. Déboiser, c'était se démarquer de son père, apporter la modernité dans la ferme. Aujourd'hui, on lui demande de faire marche arrière." Et cet amour indéfectible pour la nature qu'on prête aux agriculteurs ? "Joli cliché ! poursuit l'enseignant. Ils s'extasient comme vous et moi devant la baie du Mont-Saint-Michel. Mais pas question d'émotion esthétique sur leur propriété. Leur territoire, ils font corps avec lui. Et voilà qu'on leur explique qu'il appartient à tout le monde. Cela, ils ont du mal à l'admettre." Qu'est-ce, d'ailleurs, qu'un "beau paysage" ? Qui en décide ? "La culture paysagiste est, par définition, très urbaine", répond M. Donadieu, qui rappelle qu'à l'origine, l'agriculture c'était la conquête d'espaces contre l'envahissement de la forêt et que la nature est une ennemie, avant d'être une alliée... "Regardez-moi ces broussailles : un bonheur pour les sangliers", constate, navré, Eric Weiss-Gonachon, installé comme éleveur dans l'Ain, depuis sept ans. Agé de 39 ans, il est le dernier agriculteur de la commune de Ceignes, dans le Haut-Bugey, 150 habitants, une terre ingrate où la roche affleure.

REGARDS SUR LA SOCIETE FRANCAISE CONTEMPORAINE 10 "Hier, dit-il, les agriculteurs, entretenaient le paysage sans être payés en retour. Eux partis, il a fallu planter des sapins sur leurs terrains pour lutter contre la friche. Même en travaillant quatre-vingts heures par semaine, seul, je ne peux plus grand-chose. Autant vous dire que les citadins me font sourire, avec leur nature pour trente-cinq heures ! Il faudrait que tout le monde se mette autour d'une table - élus, chasseurs, randonneurs, propriétaires de résidences secondaires." Ce scénario d'une alliance des "acteurs du paysage" est précisément celui que promeut le ministère de l'agriculture. Pourtant, malgré les dispositifs mis en place dans les départements touchés par la désertification, le reboisement est l'issue la plus probable. Pierre Donadieu, le géographe, redoute l'apparition d'une agriculture à plusieurs vitesses. "Il y a de fortes chances, prévoit-il, que la superficie de la forêt française passe de 15 à 18 millions d'hectares, peut-être à 20. Les agriculteurs seront concentrés dans les grandes régions agro-industrielles. Pour le reste, la qualité des paysages résultera d'un projet partagé. La campagne sera ouverte aux loisirs et au tourisme, entretenue par des agro-animateurs et des agro-hôteliers, c'est-à-dire des agriculteurs multifonctionnels, qui auront un pied dans la logique marchande, l'autre dans une logique citoyenne." La France ressemblera peut-être, alors, au bocage anglais. "Un lieu de plaisir et de repos, décrit Bertrand Hervieu, l'espace par excellence de l'aristocratie, le contraire de ce que représente encore la campagne française dans notre imaginaire collectif."

Lorraine Rossignol

Les Champs se cultivent le dimanche par Jean-Baptiste Diebold, Challenges, 15.12.2005

Vuitton crée un précédent en obtenant l’ouverture le dimanche de son magasin, au 101, Champs-Elysées, en raison de sa valeur « culturelle ». L’idée pourrait faire des émules.

Aucune demande n’a encore été faite pour classer les Champs-Elysées, vitrine commerciale de la France, au patrimoine culturel de l’humanité. Et pourtant… La « maison » Vuitton, inaugurée en octobre au 101 de l’avenue, vient d’obtenir la possibilité d’ouvrir tous les dimanches de l’année en raison de son caractère touristique et culturel. La décision n’a pas été ébruitée. Pas plus que les réflexions des autres grandes marques de luxe pour décrocher le -précieux sésame. Cette discrète effervescence incarne à elle seule la fin de la mutation de la célèbre avenue. Retour en 1994. La Mairie de Paris met la dernière main au nouveau mobilier urbain de la promenade entre la Concorde et l’Arc de triomphe. Depuis l’été précédent, Virgin défraie la chronique en ouvrant illégalement le dimanche. La chaîne de Richard Branson est bien décidée à profiter de la résurrection de l’avenue. Une astuce est finalement trouvée pour contourner l’obligation du repos dominical imposée par le Code du travail : les Champs-Elysées sont classés « zone touristique », et leurs enseignes spécialisées dans les « activités de détente ou de loisir d’ordre sportif, récréatif ou culturel » obtiennent le droit de faire marcher les caisses sept jours sur sept. Selon ces critères, assouplis avec le temps, ce sont aujourd’hui 70 % des magasins de l’avenue qui peuvent ouvrir leurs portes tout le week-end. La recette du dimanche ? Autant que le samedi, et nettement plus qu’un jour de semaine. De quoi aiguiser l’appétit des grands exclus du système : les groupes de prêt-à-porter. Miser sur la culture. C’est le pari de Louis Vuitton dès le début des travaux de son magasin des Champs-Elysées. Celui-ci propose au visiteur une promenade en spirale où chaque recoin recèle une découverte artistique. Des malles frappées du monogramme datant du xixe siècle, au rez-de-chaussée, à l’espace d’expositions temporaires de 400 mètres carrés, au septième étage, ouvert à partir de janvier, en passant par la petite librairie. « Dans son dossier, LVMH a soigné l’aspect culturel au-delà de ce qui avait été fait jusque-là » , confirme Jean-Louis Léger, directeur de l’action économique et sociale de la préfecture de Paris, dont les services ont donné le feu vert à la demande de Vuitton. « Sans compter l’élément de prestige… » Privilège culturel et prestige Lyne Cohen-Solal, adjointe au maire de Paris, interrogée par Challenges , s’est d’abord étonnée « que la décision ait été prise si vite » et semblait réclamer des garanties sur la trentaine de postes promis pour l’ouverture le dimanche, en

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REGARDS SUR LA SOCIETE FRANCAISE CONTEMPORAINE 11 privilégiant les anciens de la Samaritaine. Mais c’était la veille de sa visite au 101, avenue des Champs-Elysées avec le maire de Paris Bertrand Delanoë et le patron de LVMH Bernard Arnault, le 6 décembre… Convaincue, elle invite maintenant les autres enseignes à « s’en rapprocher en fonction de leurs moyens et de leur surface ». Vuitton, c’est certain, vient de créer un précédent. Philippe Berlan, directeur général de Lancel, admet d’ailleurs avoir « intégré cette dimension en mettant en chantier le magasin » inauguré fin novembre en haut de l’avenue. Son idée ? Donner de l’espace à la culture, avec une surface d’exposition et des activités littéraires, sans pour autant « en faire un musée » … Un dosage ardu. Swatch, dont un précédent dossier avait été retoqué par la préfecture, préfère affûter ses arguments dans le plus grand secret. Pour autant, les Champs-Elysées n’entendent pas servir de modèle pour le reste du commerce français. « Les pouvoirs publics reconnaissent que les privilèges de l’avenue ne portent pas ombrage au reste de la ville », conclut Dominique Rodet, la déléguée générale du comité des Champs-Elysées. Pas plus que les illuminations de Noël, particulièrement sobres cette année. Une avenue touristique 80 % des 100 millions de visiteurs annuels des Champs-Elysées sont étrangers 48 % des touristes étrangers concentrent leurs visites sur ce lieu 58 % des étrangers estiment que la fermeture de l’avenue le dimanche est préjudiciable à l’image de Paris 43 % des touristes restent deux ou trois jours, majoritairement le week-end Source : Étude ESC-EAP Conseil (juillet 2005) pour le Comité des Champs-Elysées

Selon un sondage, 56 % des Français pensent que le nombre d'étrangers est trop important

LE MONDE 17.12.2005 Le sondage CSA, réalisé depuis dix ans pour la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) sur la xénophobie, montre une hausse spectaculaire du nombre de personnes se disant racistes. Un Français sur trois déclare que "personnellement, il dirait de lui-même qu'il est raciste" (+ 8 points par rapport à 2004). "La parole raciste s'est libérée", relève une note d'analyse confidentielle de cette instance placée auprès du premier ministre. Tous les indicateurs de cette étude, réalisée du 17 au 22 novembre auprès d'un échantillon représentatif de 1 000 personnes, vont dans le même sens. 56 % des sondés (+ 18 points) estiment que le nombre d'étrangers est "trop important" et pose un problème pour l'emploi. 18 % lient cette question à l'insécurité. Cette radicalisation est aussi marquée dans les réponses sur les immigrés : 55 % jugent leur nombre trop important (+ 9 points). Le nombre des Français qui considèrent que les travailleurs immigrés "sont en France chez eux puisqu'ils contribuent à l'économie française" baisse de 11 points. La banalisation des opinions racistes concerne surtout les hommes, les personnes âgées, les artisans, commerçants et chefs d'entreprise et les ouvriers. C'est dans les communes rurales que le rejet de l'étranger est le plus fort : 48 % s'y déclarent racistes (+ 11,7 points). La région parisienne ne connaît pas de variation. Les sympathisants de droite sont plus enclins à assumer leurs opinions xénophobes : 50 %, contre 23 % à gauche. Les partisans du FN et du MNR se déclarent racistes à 91 %. Preuve supplémentaire de "la levée des tabous et de la banalisation" des idées racistes, 63 % des Français estiment que "certains comportements peuvent parfois justifier des réactions racistes". La CNCDH juge cette dérive "inquiétante". La note relève que le sondage a été effectué dans "un contexte de violences urbaines à prendre en compte dans l'analyse des chiffres". Les résultats sont à rapprocher du sondage réalisé pour Le Monde et RTL par TNS-Sofres, qui montrait une plus grande acceptation des idées du FN, avec 24 % des Français se déclarant d'accord avec les positions de Jean-Marie Le Pen (Le Monde du 15 décembre). Cette prudence n'empêche pas certains de rapprocher cette "lepénisation" de l'opinion des déclarations récentes de certains ministres ou responsables UMP. "On assiste à une radicalisation ethnocentriste due au fait qu'une partie de l'UMP a ethnicisé la question sociale", estime Stéphane Rozès, directeur général de l'institut CSA. "Ce glissement est certes un résultat direct des émeutes, avec un réflexe d'ordre, mais aussi la conséquence des discours du gouvernement et de la droite, qui ont multiplié les propos provocateurs et stigmatisant les étrangers", assure une figure de la défense des libertés.

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REGARDS SUR LA SOCIETE FRANCAISE CONTEMPORAINE 12 Les résultats complets devraient être publiés en mars 2006 dans le rapport de la CNCDH. "Si le sondage était alors refait, les résultats seraient probablement plus modérés", note le CSA.

Sylvia Zappi

PRESIDENTIELLE 2007 Ségolène Royal "prête le moment venu"

Le Nouvel Observateur, 17.12.2005 Répondant au dossier que lui consacre le Nouvel Observateur, Ségolène Royal confirme qu'elle sera "prête le moment venu" pour la présidentielle.

Ségolène Royal (Sipa) Interrogée sur les différents sondages sur les présidentiables 2007 qui lui sont de plus en plus favorables, Ségolène Royal, la présidente PS de la région Poitou-Charentes, a assuré jeudi 15 décembre garder "la tête froide" avant d'ajouter qu'il s'agit "d'une reconnaissance du travail qui est fait dans notre région". "Les idées que je mets en place en région Poitou-Charentes, comme le permis de conduire gratuit pour les jeunes qui ont été reçus aux CAP dans les métiers du bâtiment ou les aides aux entreprises conditionnées à l'interdiction de délocaliser, sont généralisables sur un territoire", a-t-elle assuré dans un entretien à l'Associated Press. "Chaque chose en son temps" A propos de l'hebdomadaire Le Nouvel Observateur de cette semaine qui lui consacre sa une avec ce titre "Elysée 2007: et si c'était elle?", elle répond: "Pourquoi pas? Chaque chose en son temps. Il ne faut ni précipiter les étapes, ni se laisser gadgétiser ou instrumentaliser. Il faut être prête le moment venu si ce moment arrive sans être obsédée par cette question". Quoiqu'il en soit, Ségolène Royal estime qu'un tabou est levé. "Je crois que ce n'est plus un handicap d'être une femme. Un couple présidentiable : Scènes de la vie conjugale Ils se jugent, se jaugent, se bluffent. La présidentielle ? Elle ne fera rien contre lui, rien sans son accord Elle a tout dit en quelques mots, au milieu d'une longue interview, et cette phrase-là, pourtant, a été la moins commentée. La présidentielle ? « Cela n'est possible que si François me sollicite et me soutient » (« Paris Match », 22 septembre 2005). Jamais sans lui, jamais contre lui, jamais sans son accord. A-t-on déjà vu prétendant à l'Elysée lier son entrée dans l'arène à des considérations aussi personnelles ? Ségolène Royal dit « François ». Parle-t-elle de son compagnon ou du premier secrétaire du PS ? C'est une ambiguïté qu'elle avoue ne pas pouvoir lever. Lui, d'habitude si gourmand dès lors qu'il s'agit de goûter aux petits plats de la politique, a une façon très charmante d'esquiver la question. D'ailleurs, s'il devait y aller, demanderait-il l'autorisation à « Ségo » ? Le rire chez Hollande est parfois un art de l'évitement. Le moment venu, c'est donc lui qui décidera au terme de la « décantation». Choisir, en l'occurrence, est un sacré fardeau. Ségolène Royal le lui laisse tout entier. Pour le meilleur comme pour le pire. Vingt-cinq ans que ça dure. Ils se jaugent, ils se jugent, ils s'admirent. Mieux, ils se bluffent. Dans l'histoire de la République, les couples célèbres ne manquent pas. Mais celui-là est à nul autre pareil. Ségolène Royal et François Hollande ont commencé ensemble. Ils ont suivi, au départ, les mêmes chemins balisés. Ceux de l'énarchie rose. Ils ont

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REGARDS SUR LA SOCIETE FRANCAISE CONTEMPORAINE 13 gravi les mêmes échelons : cabinet élyséen, députation... Ils ont fréquenté les mêmes clubs et les mêmes cercles. Et puis chacun a trouvé sa voie. Ils furent un temps deloristes. Elle, mitterrandiste de toujours. D'où sa carrière ministérielle précoce. Lui, jospiniste sur le tard. D'où ses responsabilités partisanes. On tombe toujours là où l'on penche. L'étonnant, avec ces deux-là, est qu'au final l'ascension, en dépit des aléas de la vie politique, les ait conduits au même point. L'un, premier secrétaire du PS. L'autre, nouvelle star des sondages. Juste au bord de la dernière marche. Pour les comprendre, il faut les regarder. En vacances, bras dessus, bras dessous, dans les rues de Mougins, tel un couple moderne et sans histoires. En famille, où elle est la règle et lui le compromis. Dans ces repas de copains, où c'est elle qui sert et lui qui rythme la conversation. En voiture, il prend le volant. Sans l'ombre d'une hésitation. En politique, comme dit l'un de leurs proches, « c'est l'indépendance dans l'interdépendance». Chacun sur ses terres, chacun dans son rôle, chacun avec ses spécialités. Au fil des ans, ils ont appris à régler ce ballet avec les automatismes des couples qui n'ont plus besoin de parler pour se comprendre. Il connaît son flair, son sens du concret, ses dons d'exposition. C'est elle qu'il appelle pour avoir son commentaire après chaque émission de télé. Elle sait sa vista et sa vitalité. Avec lui - et lui seul ! - elle a le sens des hiérarchies. Il est le premier secrétaire. Il décide. Elle conseille. Elle surveille. Il écoute. Parfois... Le parti, en tout cas, c'est lui et lui seul. A la fin du congrès du Mans, quand il est sorti de la salle après son discours final, entouré d'une nuée de caméras, elle était là. Dans l'axe mais un pas derrière. Quelques semaines plus tôt, lors d'un déplacement à Montpellier, pour le centenaire de la puissante fédération de l'Hérault, Georges Frêche, le patron de la région, avait dit l'essentiel dès la descente de l'avion : «Ah, Ségolène, ma collègue et ma présidente favorite !» Puis, se tournant vers Hollande : «Ah, François, mon candidat favori !» Ce jour-là, tous les deux avaient l'air de penser que la double formule et ses triples tiroirs, au fond, n'étaient pas mal trouvés. François Hollande et Ségolène Royal - c'est la clé de tout - ne sont jamais aussi heureux que lorsqu'ils grimpent ensemble les échelons du pouvoir. Quand l'un stagne, ils tanguent. Ils finissent presque par se gêner. C'est alors que le doute s'installe. Après 2002, lorsqu'il était en haut, sur un fil, et elle dans le vide, le couple a vécu des moments de tension. Elle, trop souvent à Solférino, au siège du PS. Lui, le nez dans le guidon du parti. Dans ces cas-là, il suffit de pas grand-chose - une entrée en campagne, l'odeur de la poudre - pour que tout se remette en place. Ce jeu de rôles, où chacun prend sa chance en même temps qu'il aide l'autre, est désormais un classique du « hollando-royalisme ». En s'avançant, elle a desserré l'étau qui menaçait le premier secrétaire. En la légitimant par son seul compagnonnage, il lui a offert ce qui lui manquait le plus, c'est-à-dire l'onction indirecte de l'appareil socialiste. Quand il faudra trancher, si c'est entre eux deux, l'affaire sera vite réglée. Ce sera le mieux placé... aux yeux d'Hollande. Jurisprudence « Paris Match » ! Arbitrer entre elle et un autre - Jospin notamment - sera une autre paire de manches. C'est un cas de figure qu'ils ont vécu une seule fois lors de leur longue carrière. En 1997, Ségolène Royal avait voulu contester à Fabius la présidence de l'Assemblée nationale. Hollande, alors premier secrétaire par intérim, avait laissé le bureau national du PS trancher à sa place. Les années ont passé. Ségolène a pris de l'assurance. L'intérimaire, lui, est devenu moitié-capitaine, moitié sélectionneur. C'est la rançon du succès. Avec lui, même au sein d'un couple, tout devient plus dur. Plus cruel aussi.

François Bazin (Le Nouvel Observateur, 17.12.2005)

Passe ta maîtrise d'abord LE MONDE 31.12.2005 "Aujourd'hui, la plupart des emplois qui permettent de nourrir une famille exigent des études

supérieures." Cette phrase prononcée par Bill Gates, le fondateur de Microsoft, dit l'impitoyable dureté des temps. Hier, dans les belles années de l'industrie de masse, un ouvrier sans bagage scolaire pouvait, chichement mais décemment, nourrir une femme et trois enfants. Son salaire croissait avec l'ancienneté, son train de vie aussi. Contremaître, il accédait à la classe moyenne. Aujourd'hui, c'est fini. "Un jeune qui s'arrête avant le college (le niveau de la terminale aux Etats-Unis) gagnera en moyenne 25 000 dollars par an, poursuivait Bill Gates. Pour une famille de cinq membres, c'est le niveau de la pauvreté." Pour s'en sortir, il faut un job d'appoint et/ou que la femme travaille aussi. La discrimination par le diplôme s'est considérablement accrue ces dernières années dans les pays développés. Le revenu des personnes ayant fait des études de niveau secondaire décroît régulièrement. Celui des personnes restées au niveau primaire plonge. Les plus diplômés s'arrogent le monopole des augmentations. La différence se creuse au fil du temps avec pour conséquence que l'éducation est devenue l'une des premières causes de l'accroissement des inégalités salariales. On peut, bien entendu et heureusement, encore réussir sans diplôme comme commerçant, artisan, sportif, artiste ou créateur d'entreprise. Mais, statistiquement, la maîtrise (master ou bac + 5) est désormais la clé d'entrée dans l'ascenseur salarial et social. Bill Gates s'exprimait, le 26 février, lors d'un sommet national américain sur les high schools (lycées). Il était venu dénoncer le scandale d'une éducation secondaire américaine totalement " obsolète". Non seulement les établissements sont "cassés, défectueux et sous-financés", mais "ils ont été conçus il y a cinquante ans pour des besoins d'un autre âge". "Tant qu'on ne les rebâtit pas pour le XXIe siècle, poursuivait Bill Gates, on continue de ruiner la vie de millions

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REGARDS SUR LA SOCIETE FRANCAISE CONTEMPORAINE 14 d'Américains chaque année." L'Amérique a d'excellentes universités où entrent, par classe d'âge, deux jeunes sur trois. Ils sortent avec accès aux emplois du haut. Mais l'Amérique laisse tomber les autres. Hier, ils s'en sortaient en travaillant chez General Motors, mais, aujourd'hui, ils voient leur paie s'amaigrir inexorablement. Et, si leur présent n'est pas bon, leur devenir est pire avec la montée de la Chine et de l'Inde. Dans la mondialisation, l'emploi de demain passe par la recherche (notre chronique datée 25-26 décembre) et il passe par l'éducation. Il n'y a pas d'autre voie. Il n'est, en conséquence, pas de politique plus essentielle pour un gouvernement que d'assurer à ses ressortissants, efficacement, une formation d'un niveau toujours plus haut, toujours mieux adaptée aux besoins d'une économie en mouvement permanent. Il n'est pas de réforme plus urgente. Or, le modèle français est en train, sur ce terrain aussi, de faillir. Le niveau des dépenses n'est pas en cause : 6,1 % du PIB, c'est plus que la moyenne de l'OCDE. Le problème n'est pas celui des moyens financiers, encore qu'il faudrait basculer des recettes sur le supérieur, qui manque cruellement de crédits. Il est dans les piètres résultats. Près d'un jeune Français de 20 à 24 ans sur cinq (18 % exactement) sort de l'école "faiblement qualifié", selon le Portrait de la France sociale de l'Insee, c'est-à-dire qu'il n'a "ni CAP, ni BEP, ni bac". Ces 160 000 jeunes, chiffre longtemps occulté par les autorités, sont "les oubliés de la République", comme le note Patrick Fauconnier dans un livre au canon contre l'éducation à la française (La Fabrique des meilleurs, Seuil, 188 p., 20 euros). Parce que, selon cet auteur, " nous dépensons d'énormes sommes pour écarter des talents, au lieu de les cultiver. (...) L'école est organisée en France comme une machine à filtrer les meilleurs pour les préparer à travers une voie royale aux concours des grandes écoles, parvis du pouvoir". On pourra discuter de cette explication. Mais ce scandale des laissés-pour-compte est manifeste et massif. Sept jeunes sur dix accèdent néanmoins au niveau du bac et 62 % l'obtiennent. On peut penser qu'ils sont sauvés. Mais, d'abord, il faut noter que ce pourcentage fortement croissant ces dernières décennies s'est stabilisé depuis 1995. Ensuite, l'entrée dans l'enseignement supérieur ne garantit pas, il s'en faut, l'obtention d'un diplôme : 61 % des étudiants issus des bacs professionnels n'y parviennent pas, 30 % des bacheliers technologiques et 11 % des bacheliers généraux. L'explication est ici à chercher du côté du coût. Frais de scolarité, loyer, transports... Les parents doivent être capables de mobiliser entre 6 000 et 15 000 euros pour l'année universitaire de leur enfant (Les Echos du 16 septembre), alors que les bourses plafonnent à 3 500 euros. Le "modèle" français a rejoint l'américain sur ce point : l'origine sociale des parents fait la différence. Tous calculs faits, seuls 38 % d'une classe d'âge obtiennent ce diplôme supérieur qui peut les laisser espérer accéder à l'eldorado du bon emploi. Tous les autres, deux enfants sur trois, sont condamnés à galérer. La responsabilité de laisser ainsi tomber les jeunes "incombe aux politiques", accusait Bill Gates. C'est vrai en France aussi.

Eric Le Boucher

Les points d'interrogation des manuels LE MONDE, 24.12.2005

Les programmes et les manuels scolaires d'histoire ont bon dos. Les protagonistes du débat sur la colonisation leur reprochent tout et son contraire. Pour les députés de la majorité, qui ont adopté l'amendement à la loi du 23 février, exigeant des programmes de l'éducation nationale qu'ils "reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer", il était temps que les professeurs cessent de se battre la coulpe et transmettent "l'épopée de la plus grande France". A gauche, il est de bon ton de dénoncer l'occultation par l'enseignement du phénomène colonial. La consultation des récents programmes d'histoire des lycées et des manuels qui les illustrent tend à contredire ces deux préjugés. Non seulement la colonisation figure dans les programmes, mais elle occupe une partie non négligeable des livres et donc, en principe, des cours. Loin de transmettre une vision manichéenne de la conquête coloniale et de ses conséquences, les cours, leur iconographie et les textes qui les illustrent proposent un récit complexe où les réalités sont plus questionnées qu'assénées. Récente, la franche introduction de l'histoire de la colonisation au menu des lycées et collèges ne doit rien à l'actualité. Ni la loi de février ni l'émergence récente des "indigènes de la République", liant au passé colonial les difficultés d'intégration des enfants d'immigrés, n'ont évidemment contribué à l'élaboration de programmes qui datent de 1998, pour les collèges, et de 2002, pour les lycées. L'historien Jean-Pierre Rioux, inspecteur général honoraire de l'éducation nationale, rappelle que ces textes ont été conçus pour présenter une histoire plus européenne et non pour répondre à telle ou telle demande de mémoire. Evoqué en classe de 4e, le "phénomène colonial" est réellement étudié en première pour les séries littéraire (L) et économique (ES) depuis 2004 et en terminale scientifique (S) depuis la dernière rentrée de septembre. Sous le titre "L'Europe et le monde dominé : échanges, colonisations, confrontations", les élèves de première sont invités à

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REGARDS SUR LA SOCIETE FRANCAISE CONTEMPORAINE 15 "s'interroger sur les causes de l'expansion européenne et la diversité de ses formes (économiques, politiques, culturelles...)". "Cette expansion, précise le programme, est un phénomène complexe : elle rencontre des résistances, elle nourrit des échanges et influe sur les cultures européennes." Le contenu est comparable pour les terminales S, dont le programme prévoit de consacrer huit heures de cours aux chapitres "La colonisation et le système colonial", puis "La décolonisation et ses conséquences". Les neuf manuels qui se partagent le marché sont truffés de points d'interrogation. "Pourquoi coloniser ?", demande l'un d'eux (Hatier, première), confrontant un texte de Jules Ferry mêlant les justifications économiques et "civilisatrices" et l'article "colonies" du Grand Larousse posant "la supériorité de l'espèce blanche sur l'espèce noire". "Assimilation ou association ?", "Mise en valeur ou exploitation économique ?", "Civilisation ou acculturation ?", interroge le Nathan de terminale. L'Europe, "sûre de la supériorité de sa culture, se lance avec bonne conscience dans les conquêtes coloniales, persuadée d'apporter la civilisation aux races qu'elle estime "inférieures"", explique le même ouvrage. Abondamment illustrés de gravures de l'époque magnifiant l'épopée coloniale dont le caractère de propagande est censé sauter aux yeux des élèves, les manuels montrent à la fois l'importance des conquêtes pour la puissance européenne et les méthodes utilisées pour soumettre les indigènes. Les écrits d'auteurs aussi différents qu'André Gide, Albert Londres ou Mongo Beti soulignent la violence du travail forcé pour la construction des chemins de fer ou l'exploitation des ressources. Les livres scolaires s'intéressent aussi au "choc des cultures", qui "bouleverse les sociétés indigènes" et fait découvrir "l'art nègre" à l'Europe. Le Nathan propose une double page sur les "zoos humains" du Jardin d'acclimatation. Certains évoquent l'oeuvre d'éducation "réservée à une petite élite" et "l'effort médical qui, en abaissant la mortalité, suscite la croissance démographique des colonies" (Hatier). Défilent les photos d'un missionnaire enseignant la lecture aux petits Africains, d'un gouverneur français coiffé d'un casque inspectant des planteurs de café, mais aussi la mosaïque d'une Afrique partagée entre Européens. Les colons sont rarement représentés, sauf dans les pages sur l'Algérie. Mais le lien entre colonisation et décolonisation est clairement établi. C'est une nouveauté, car "la décolonisation était plus étudiée que la colonisation jusqu'au début des années 1990", comme le rappelle Hubert Tison, président de l'Association des professeurs d'histoire et de géographie. Depuis la fin des années 1950, en effet, l'actualité de la décolonisation, puis l'irruption dans les programmes de la seconde guerre mondiale avaient conduit à rayer l'étude du fait colonial. "Comme si les horreurs du XXe siècle s'étaient substituées à celles du XIXe", remarque Jean-Pierre Rioux. Cet effacement contrastait avec l'enseignement donné sous la IIIe République, qui présentait la colonisation comme source de prospérité et de fierté nationale, rappelle Alain Choppin, chercheur à l'Institut national de recherche pédagogique. L'actuel retour de la colonisation sous une forme moins héroïque n'est pourtant pas exempt de critiques. Auteur d'une thèse sur la construction du discours africaniste, l'historienne Marie-Albane de Suremain souligne la "cécité des manuels sur le point de vue des colonisés" et la présentation figée des colonisateurs et des colonisés. Elle souligne l'ambiguïté de l'iconographie tirée de la propagande coloniale, qui, sous couvert de dénonciation des stéréotypes, risque de les perpétuer et renforce en tout cas une vision européocentrée. Un phénomène est totalement absent des manuels : le lien entre décolonisation et émigration. Il était, jusqu'à ces derniers mois, presque totalement ignoré par les historiens français.

Philippe Bernard et Catherine Rollot

En 2100, les Terriens parleront 3 000 langues de moins LE MONDE, 31.12.2005 La linguiste Colette Grinevald est chercheur au laboratoire dynamique

du langage de l'Institut des sciences de l'homme Lyon-II. Spécialiste du monde amérindien, elle a aidé l'Unesco à définir les critères de vitalité des langues Chiffres 6 000 langues sont parlées dans le monde. 96 % d'entre elles ne sont employées que par 3 % des Terriens. En 2000, 1 995 langues étaient utilisées en Afrique, 1 780 en Asie, 1 250 en Amérique, 1 109 en Nouvelle-Guinée, 234 en Australie, 250 dans le Pacifique, 209 en Europe. Les 10 langues les plus parlées (en première ou deuxième langue) sont : le chinois (1 120 millions de locuteurs), l’anglais (480), l’espagnol (320), le russe (285), le français (265), l’hindi/ourdou (250), l’arabe (221), le portugais (188), le bengali (185), japonais (133), allemand (109).

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En 2050, 166 millions des 15-24 ans parleront le chinois. Viendront ensuite l'hindi/ourdou (74), l'arabe (72), l'anglais (65), l'espagnol (63), le portugais (32), le bengali (32), le russe (15), le japonais (11), le malais (10). Sur internet www.teluq.uquebec.ca/diverscite/entree.htm Langues mayas : www.okma.org/ À lire Halte à la mort des langues, de Claude Hagège, Poches Odile Jacob, 2002, 381 p., 10 €. Ces langues, ces voix qui s'effacent, de Daniel Nettle et Suzanne Romaine, éd. Autrement, 2003, 240 p., 19 €. Environ 6 000 langues sont parlées sur Terre. Combien en restera-t-il à la fin du siècle ? Le rythme de disparition s'accélère. D'ici un siècle, la moitié des langues parlées actuellement dans le monde auront disparu. C'est une estimation basse. En Australie et sur le continent américain, cette proportion sera bien plus élevée, de l'ordre de 90 %. Avant l'arrivée des Blancs, 300 langues étaient parlées dans ce que sont aujourd'hui les Etats-Unis. En 1992, il n'y en avait déjà plus que 175 utilisées par au moins une personne. On estime que cinq seulement auront survécu à la fin du XXIe siècle. Même l'avenir du navajo est incertain, et pourtant c'est aux Etats-Unis la langue indigène qui a le plus de locuteurs, environ 120 000. Elle est de moins en moins apprise par les enfants. Pourquoi cette accélération ? La globalisation économique entraîne un exode rural des populations indigènes. Elles se perdent dans les villes et ne peuvent perpétuer leurs traditions et leur modèle familial. Dans le monde amérindien, les parents sont persuadés que parler une langue indienne est un handicap pour avoir un travail. Cette pression est aussi psychologique sur fond d'idéologie encore dominante du bienfait du monolinguisme dans un Etat-nation. Certains "monolingues" voient dans le multilinguisme un signe de division des capacités intellectuelles. Quelles langues risquent de disparaître ? Une langue est menacée, selon les linguistes, si elle n'a plus de locuteurs d'ici la fin du XXIe siècle. C'est le cas d'une centaine de langues en Europe et autant en Amérique du Sud, selon l'Atlas publié par l'Unesco. Le breton, le franco-provençal ou le poitevin saintongeais sont ainsi "sérieusement en danger". Parfois, une langue paraît vivace car elle est utilisée par des millions de locuteurs, comme les langues quechua en Amérique du Sud. Mais celles-ci sont déjà, dans certaines régions en Equateur et au Pérou, comme des morts-vivants : aucune personne de moins de 20 ans ne les apprend ou ne veut les parler. Quelles seront les conséquences ? De nombreuses connaissances captées par ces langues vont se perdre. Comme les propriétés des plantes vénéneuses en Amazonie ou celles qui peuvent avoir un intérêt dans la pharmacopée. Les langues apportent également une ouverture d'esprit. Elles permettent de voir différemment le monde et de montrer les facettes les plus diverses du génie humain. Au Guatemala, par exemple, je travaille sur le popti', en péril, qui classifie tous les objets par la matière dont ils sont faits. Que dire des répercussions sociologiques... Cela peut créer de réels problèmes identitaires. La langue permet de s'ancrer dans une histoire, un lieu. Beaucoup d'Amérindiens ont dû renier leur langue maternelle au profit de l'anglais ou de l'espagnol. Cela crée ce qu'on appelle de l'anomie, un entre-deux linguistique et culturel, où aucune des deux langues n'est maîtrisée. Cette situation peut devenir source de violence et entraîne chez les Amérindiens diverses formes d'autodestruction, comme l'alcoolisme et le suicide. J'ai observé le même phénomène aux Etats-Unis chez de jeunes Mexicains et Portoricains. Je reconnais parfois en France ce même type de malaise chez certains étudiants maghrébins qui ne connaissent pas l'arabe et chez des sourds qui revendiquent la langue des signes sans dominer le français écrit. On apprend mieux toute autre langue si on peut être fier et bien ancré au départ dans la sienne. Quel rôle joue Internet ? Un rôle double, tout à la fois poison et antidote, facteur d'uniformisation mais aussi de diversité. Il existe par exemple de plus en plus de sites Internet de langues amérindiennes gérés par des Indiens, pour des Indiens. Au Guatemala, une collègue linguiste a passé plus de dix ans à former des Mayas qui sont devenus linguistes et s'occupent d'un site en espagnol et plusieurs langues mayas. Leur travail prolonge le combat de Rigoberta Menchu (Prix Nobel de la Paix en 1992) qui a permis une reconnaissance officielle des 28 langues mayas. Quelles seront les langues majoritaires à la fin du siècle ? L'anglais bien sûr, l'espagnol, à cause de l'Amérique du Sud, l'arabe, puis des langues d'Asie, comme le chinois et l'hindi. Sur le continent africain, le swahili, le wolof sont en plein essor et avalent les langues de la région.

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Y aura-t-il une langue mondiale ? Oui, probablement l'anglais, avec un statut de langue véhiculaire : une seconde langue relativement simplifiée, adaptée au commerce et aux échanges scientifiques, mais pas faite pour faire la cour, par exemple. De nouvelles langues vont-elles apparaître ? Très peu je pense. La formation d'une langue est un processus lent, en plusieurs étapes. La première est la création d'un "pidgin", un code inventé généralement pour faciliter les échanges commerciaux. Il peut, au bout d'une ou deux générations, devenir un "créole", doté d'un vocabulaire mixte et d'une grammaire relativement simplifiée. Très peu ensuite se développent au point de devenir des langues officielles, comme ce fut le cas du tok pisin, en Mélanésie, ou de l'haïtien. Il existe d'ailleurs de plus en plus de formes créolisées de l'anglais, en Inde par exemple, ou en Afrique. Où en sera le français à la fin du siècle ? Le français ira bien, mais les Français devront parler plusieurs langues. Regardez le Danemark, où la moitié du cursus universitaire se fait en anglais : il n'y a pas de confusion, les Danois parlent danois entre eux et utilisent l'anglais car personne d'autre dans le monde ne parle leur langue. Le multilinguisme est parfaitement à la portée de l'intellect humain. Les enfants sont tous capables d'apprendre trois ou quatre langues.

Propos recueillis par Laure Belot et Hervé Morin

Produits bio, durables, équitables : Vive la nouvelle conso !

Selon un sondage BVA-« la Croix », 76% des Français sont prêts à payer plus cher un produit importé si les producteurs locaux sont « rémunérés correctement ». Optimiste ? Sans doute. Reste que la valeur d’une basket, d’un œuf ou d’une lessive, c’est aussi du sens. La certitude qu’ils ne nuisent ni à la santé, ni à l’environnement, ni à autrui… Cette consommation raisonnée progresse rapidement en Ile-de-France. Enquête dirigée par Arnaud Gonzague sur une révolution silencieuse. Carte de crédit au poing. Panique sur les marques ! D’un côté, une partie des clients de la grande distribution préfère les produits anonymes et à prix broyés des hard discounters. Et de l’autre, une nouvelle race de consommateurs a surgi sans crier gare. Des Martiens de la conso, qui exigent, eux, des produits de qualité, vraiment bio ou commerce équitable. Et qui boycottent en silence camemberts industriels, poulets aux origines improbables, plats cuisinés et autres desserts en boîte… (1) Cap sur les œufs ou les petits pots bébés bien sûr estampillés AB (agriculture biologique), l’huile, évidemment d’olive, la Peugeot « stop and go » qui ne pollue pas au feu rouge, la lessive, sans phosphates, ou les primeurs de proximité moins nappés de pesticide… ooshop.com, le site très parisien des courses en ligne de Carrefour s’est même improvisé une devise que ne renieraient pas les anciens du Larzac : « l’éco attitude » . Normal : la région parisienne en redemande à un rythme exponentiel.Les cabinets renifleurs, eux, ont toujours bien du mal à mettre un nom propre sur cette clientèle du troisième type, à la fois solidaire, soucieuse de sa santé et d’un futur vivable. En avant les néologismes : « nonos » (no-logo, no-pub), « nimby » ( « not in my back-yard » , pas de ça près de chez moi) ou consom’acteurs… Dernier-né des barbarismes importés des Etats-Unis : les « créatifs culturels ». Attention, rien à voir avec les intermittents du spectacle ! Selon une étude menée pendant treize ans par deux chercheurs américains, les cultural creatives , plutôt classe moyenne et où les femmes sont en pointe, imposent irrésistiblement le mieux-disant éthique et écologique (2). Au départ de minuscules arbitrages, mais qui, mis bout à bout, explosent les fondamentaux du marketing. L’arme fatale ? Plus fort que le bulletin de vote : la carte de crédit. « Ils mettent en œuvre leur éthique sans tambour ni trompette et sans avoir conscience de former un mouvement de masse. Il n’y a pas de rupture, mais une sorte de contagion lente » , sou-ligne le philosophe Patrick Viveret. Combien de divisions ? Beaucoup. De plus en plus : déjà 25% de la population yankee passe ses courses au crible des labels. Avec un panel de 10 000 personnes, le cabinet Thema arrive à la même évaluation pour la France : 24% ! « Nous avons prévenu les marques : c’est une lame de fond, souligne Solange Saint-Arroman, de l’agence XXY. Ils influencent un tiers du marché agroalimentaire et vont être bientôt imités par une majorité de consommateurs. » En fait, l’alterconso a depuis longtemps échappé au fan-club de José Bové pour conta-miner M. et Mme Tout-le-Monde. Parmi les nouveaux promus des « Larousse » 2004 et 2005, on trouve « développement durable », « commerce équitable » ou « écotourisme ». Au dernier Salon de l’Auto à Paris, les mâles cy-lindrées se sont fait voler la vedette par les « voitures vertes ». Le critère de distinction, c’est de moins en moins « je lave plus blanc » ou « je fais 20% moins cher », mais l’assurance durable. C’est l’ampoule basse consommation contre le gaspillage énergétique, le label Rouge du poulet dominical contre le productivisme aveugle, la certification équitable du sweat contre les ateliers concentrationnaires d’Indonésie… L’élite suit : dans les facs et grandes écoles de commerce pari-siennes, les spécialisations « développement durable » sont prises d’assaut (lire l’encadré page 16) . Les nouveaux start- uppers sautent à pieds joints sur la tendance (lire page 16) . Mieux, la posture équitable devient ultrafashion. Agnès b. s’y met… Et les négoces de déco prolifèrent qui

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REGARDS SUR LA SOCIETE FRANCAISE CONTEMPORAINE 18 déclinent à qui mieux mieux le coton socialement nickel ou les objets déco made in coopératives syriennes, indiennes ou vietnamiennes plus ou moins contrôlées. Mais attention, les nouveaux consommateurs sont de moins en moins gogos. Et le bouche-à-oreille est redoutable. La preuve par la fameuse lingette à tout faire qui pique du nez après son classement comme produit gaspilleur et vorace en packaging. « Un géant de la conserve nous a alerté sur un produit qui ne fonctionnait plus, raconte Solange Saint-Arroman. Vérification faite, il contenait du glutamate et de l’aspartame – deux neurotoxiques qui font fuir ces consom-mateurs avisés ! » Aujourd’hui, le Comité olym-pique recommande des JO à développement durable. Les fabricants en informatique préparent des ordinateurs un peu moins sales en métaux lourds. La SNCF assure que la plupart des nou-velles traverses de ses voies franciliennes ne viennent pas de forêts tropicales dévastées. Les nouveaux logements de La Plaine-Saint-Denis ne seront plus équipés en chauffage électrique… Aménageurs et décideurs se sentent tout bonnement obligés de s’assurer contre une éventuelle dégradation de leur image. Le juge de paix, pour une fois, c’est aussi vous, c’est aussi moi. C’est aussi nous. Ça change. (1) Enquête TMS - Media Intelligence 2004. (2) « L’Emergence des créatifs culturels », de Paul H. Ray et Sherry R. Anderson, éditions Yves Michel, 2001.

Arnaud Gonzague 02 06 2005, Le Monde

Outreau, de la tempête médiatique au naufrage judiciaire LE MONDE, 03.12.2005

Quel a été le rôle des médias dans la catastrophe judiciaire de l'affaire d'Outreau ?

AFP/JOEL SAGET Les acquittés d'Outreau. La Voix du Nord parle pour la première fois de ce qui va devenir "l'affaire d'Outreau", le 7 avril 2001 dans un petit article non signé, dans l'édition de Boulogne-sur-Mer du quotidien régional. Sous le titre "Pédophilie : un couple écroué", ce papier prend moult précautions. "Avant que les faits ne soient amplifiés et déformés, une mise au point est nécessaire", prévient, prémonitoire, le journal, qui ajoute un avertissement en caractères gras : "Afin de protéger les victimes et dans le cadre de la loi sur la présomption d'innocence, il nous est interdit de décliner l'identité des victimes et des personnes actuellement incarcérées." Six mois plus tard, la prudence n'est plus de mise, et le 17 novembre le même journal raconte "L'enfer des victimes à la Tour-du- Renard" et livre les noms des premiers "six suspects" placés en détention. Dominique Wiel, le prêtre ouvrier, Pierre Martel, le chauffeur de taxi, Alain Marécaux, l'huissier de justice... les futurs innocentés des verdicts de Saint-Omer et de Paris sont déjà là. Toute la presse nationale est sur "l'affaire". "L'enfer" commence pour eux. Tout a débuté en décembre 2000, quand la direction de l'enfance de Boulogne-sur-Mer, alertée par des assistantes maternelles, informe le procureur de la République de suspicions d'abus sexuels sur les enfants du couple Delay-Badaoui, de la part de leurs parents et d'autres adultes, résidant dans le quartier populaire de la Tour-du-Renard, à Outreau (Pas-de-Calais). Le 22 février 2001, placée en garde à vue, Myriam Delay craque. Devant le juge d'instruction Fabrice Burgaud, elle commence à mettre en cause d'autres adultes, relayant les accusations de ses enfants. Mais c'est en novembre 2001, après de nouvelles interpellations — 18 suspects seront mis en examen —, que le dossier prend sa véritable dimension médiatique. Le 15 novembre 2001, le journal télévisé de 20 heures, sur France 2, évoque cette "nouvelle affaire, dans le Nord, particulièrement glaçante : quatre enfants d'une même famille, âgés de 7 à 11 ans, étaient prostitués par leurs parents pour payer les courses et éviter les saisies d'huissiers". Le 21 novembre, Le Figaro laisse entendre que "des notables seraient impliqués dans un réseau pédophile". Une thèse reprise par Le Point, qui évoque "la rencontre dans l'horreur de deux mondes".

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REGARDS SUR LA SOCIETE FRANCAISE CONTEMPORAINE 19 Le 28 novembre, le journal Détective, connu pour sa couverture sans nuance des faits divers, fait sa manchette sur "L'immeuble de la honte", publiant des photos des enfants (visages "floutés") et donnant la liste des fameux "notables" : "Un huissier, un prêtre, une boulangère, deux médecins..." En janvier 2002, l'affaire prend une tournure criminelle : l'un des suspects incarcérés, Daniel Legrand fils, a écrit, le 4 janvier, au juge Burgaud pour lui révéler qu'une fillette belge aurait été tuée, fin 1999, dans l'appartement du couple Delay-Badaoui. En réalité, on ne l'apprendra que plus tard, M. Legrand, harcelé par le juge, a tout inventé. Problème : il a adressé aussi une lettre à la rédaction de France 3 Nord - Pas-de-Calais, dans laquelle il affirme avoir assisté au viol et au meurtre de la petite fille. Le sujet passe le 9 janvier au "19-20" sur l'antenne nationale de France 3, et est repris par le 20 heures de France 2 le lendemain. Cette fois, c'est l'embrasement médiatique. Le 11 janvier, Libération évoque "le quartier de l'horreur", Le Parisien stigmatise "la cité de la honte". Les fouilles entreprises sur les lieux où le corps aurait été enterré ne donnent pourtant rien. "Si le cadavre reste introuvable, si l'identité de la victime n'est toujours pas connue, le fait qu'une fillette âgée de 5 à 6 ans soit morte après avoir été violée et rouée de coups ne semble en revanche plus faire de doute pour la justice", écrit Le Monde (des 12-13 janvier). La nationalité belge de la prétendue petite victime amène naturellement à faire un parallèle avec l'affaire Dutroux, qui bouleverse la Belgique toute proche. LeSoir de Bruxelles parle, à propos d'Outreau, d'un "réseau d'abuseurs d'enfants". On soupçonne l'existence d'une industrie du sexe, avec vente sous le manteau de cassettes comportant des scènes pédophiles et même zoophiles... Daniel Legrand père, présenté faussement par tous les médias comme le gérant d'un sex-shop à Ostende, serait l'un des chefs du réseau. Jusqu'au premier procès, au printemps 2004, à Saint-Omer (Pas-de-Calais), l'affaire restera sous le feu de cette médiatisation "à charge". Pourtant, dès le début de 2002, des doutes avaient commencé à poindre. Le Nouvel Observateur du 24 janvier cite ces "avocats qui s'étonnent de voir s'affaiblir au fil des confrontations les charges pesant sur leurs clients". Le même jour, Le Monde s'interroge : "La mystérieuse fillette belge qui aurait été battue à mort (...) a-t-elle seulement existé ?" En août 2002, après que le juge Burgaud eut bouclé son dossier d'instruction, Alexandre Garcia, qui suit le fait divers pour le journal, souligne les "zones d'ombre" du dossier et s'étonne de l'absence de "preuves matérielles" de certaines accusations. Mais l'avocat des parties civiles, Me Thierry Normand, l'affirme : les témoignages des enfants "ont été vérifiés tout au long de l'instruction". C'est "parole contre parole", souligne Le Parisien (27 juin 2002). Deux ans s'écoulent, durant lesquels le bruit médiatique retombe, sauf pour suivre, de loin en loin, la grève de la faim de l'abbé Wiel, ou la mort de l'un des suspects, ou encore quand, en mars 2003, le dossier de ceux qu'on n'appelle plus que "les pédophiles d'Outreau" est renvoyé, sans surprise, devant les assises. Le 4 mai 2004, enfin, le procès de Saint-Omer s'ouvre. On en est toujours à "parole contre parole" (Le Nouvel Observateur, 27 mai) Sur les bancs de la presse, dès le premier jour, les chroniqueurs judiciaires ressentent cependant un malaise face à ces accusés qui n'ont guère le "profil" des monstres supposés. Cette impression va se développer au fur et à mesure des audiences et des revirements successifs de Myriam Delay. Les médias, alors, joueront enfin leur rôle de contre-pouvoir, dénonçant les dysfonctionnements de la justice avec la même vigueur qu'ils avaient mis à relayer ses erreurs. Les leçons de cette histoire ne sont pas encore tirées que déjà une nouvelle chasse s'annonce : celle aux responsables. "Les 7 fautes du juge Burgaud", titrait Le Parisien, mercredi 30 novembre.

Pascal Galinier et Acacio Pereira

La France, "homme malade" de l'Europe ? LE MONDE, 29.12.2005

Pour la France, 2005 restera une année terrible mais aussi un tournant. Une année terrible, rythmée par les échecs et les crises qui, dans le droit-fil du collapsus social de 1995 et du krach civique de 2002, ont acté le déclin du pays et l'éclatement de la nation. Au plan extérieur, l'échec du référendum a brisé net un demi-siècle d'engagement européen, qui constituait le dernier axe stable de la diplomatie et de la vie politique nationales. La défaite de la candidature de Paris face à Londres pour l'organisation des Jeux olympiques de 2012 a cristallisé la marginalisation de la France en Europe et dans le monde et souligné l'archaïsme d'un pays musée, en rupture avec la modernité du XXIe siècle. Enfin les émeutes urbaines, dans leur double dimension sociale et raciale, ont sanctionné la désintégration du pseudo-modèle français, le blocage de l'intégration, la balkanisation d'une société atomisée par un quart de siècle de chômage de masse. Mais aussi un tournant pour trois raisons. La première provient de la sortie de Jacques Chirac de la vie politique : délégitimé en France, discrédité en dehors des frontières, il persiste à occuper la fonction présidentielle mais ne l'exerce plus ; il peut encore nuire mais ne peut plus agir. D'où une situation inédite sous la Ve République qui voit le président réduit à se mettre au service de son premier ministre, candidat par procuration investi de la mission de poursuivre le chiraquisme par d'autres moyens.

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REGARDS SUR LA SOCIETE FRANCAISE CONTEMPORAINE 20 La deuxième tient à la prise de conscience par les Français de la crise nationale majeure que traverse le pays : la succession des revers a déchiré le voile de la démagogie qui recouvrait depuis un quart de siècle le divorce progressif de la France avec la nouvelle donne historique issue de la mondialisation et de l'après-guerre froide, découvrant aux yeux dessillés des citoyens une situation comparable à l'agonie de la IVe République, avec la guerre d'Algérie et l'inflation en moins, le chômage de masse et la guerre civile larvée en plus. La troisième est à chercher dans l'évolution des mentalités et l'ébranlement du conservatisme de l'opinion, avec d'un côté la compréhension du caractère insoutenable d'un modèle qui condamne les jeunes générations à l'exclusion, au chômage, à la paupérisation et à un endettement explosif, de l'autre la conviction qu'il n'existe pas de solution à l'intérieur du système actuel. D'où un changement d'attitude, manifeste lors des récents mouvements sociaux vis-à-vis des deux verrous qui interdisent la modernisation du pays : la protection du modèle d'économie administrée et de société fermée issu des années 1960 ; la sanctuarisation du secteur public. Toutes les conditions d'une situation prérévolutionnaire se trouvent aujourd'hui réunies : d'une part une crise aiguë de la représentation politique qui dépasse les gouvernants pour englober l'ensemble de la classe politique ; une insécurité économique et sociale endémique ; des finances publiques en faillite avec une dette qui s'emballe, en progression de 10 points de PIB durant le quinquennat, minant la souveraineté du pays tout en fonctionnant comme une arme de destruction massive de la croissance et de l'emploi ; enfin le mélange de honte et de colère qui s'empare des citoyens d'une nation qui est devenue la risée de l'Europe et du monde développé. De l'autre, des échecs accumulés qui amplifient les peurs et les pulsions irrationnelles. Le refus de la Constitution européenne a libéré les tentations nationalistes et protectionnistes, conduisant à une OPA intellectuelle de l'altermondialisme sur la gauche, Parti socialiste en tête, mais aussi sur une partie de la droite puisque le président de la République ne craint pas d'affirmer que le libéralisme constitue une menace pour la démocratie équivalente à ce qu'était le communisme au temps de la guerre froide. Dans le même temps, les émeutes urbaines ouvrent un vaste espace aux passions xénophobes et totalitaires, avec à la clé un puissant mouvement de basculement à droite de la société et, comme à la veille de 2002, une montée souterraine du vote extrémiste. Les forces centrifuges qui sont à l'oeuvre dans le corps politique et social raréfient l'espace qui serait nécessaire pour un débat apaisé sur la situation et la modernisation du pays. D'où la démarche parallèle du Parti socialiste et de l'UMP qui, à travers le congrès du Mans et le compromis sur les primaires, ont privilégié une unité de façade qui entretient une commune ambiguïté sur leur ligne politique. D'où la lancinante réactivation des détours idéologiques qui érigent la mondialisation — via l'OMC — ou l'Union européenne en boucs émissaires de la crise française. D'où la rhétorique morbide de la commémo-nation qui évince la discussion des problèmes du présent au profit de l'actualisation virtuelle du passé. Les traites et la colonisation sont assurément des tragédies historiques, mais elles ne constituent ni des concepts, ni des principes d'action qui permettent d'appréhender la condition des immigrés en France et d'apporter des solutions concrètes à l'échec de leur intégration. Aussi bien le législateur, au lieu de s'aventurer de manière hasardeuse sur le terrain des historiens, serait-il mieux inspiré de consacrer son énergie aux réformes urgentes que réclame la situation du pays. Pour autant, il n'y a aucune raison de désespérer. Car si tout peut aujourd'hui arriver, y compris l'engrenage de la violence, la dynamique de la réforme peut également frayer son chemin dans l'esprit et le coeur des Français. Voilà pourquoi 2007 s'annonce comme un scrutin décisif pour la France et pour l'Europe. Un scrutin décisif pour la France, parce que si l'élection présidentielle de 2007 devait, à l'image de 1995 et 2002, se réduire à un débat tronqué puis conduire à la reconduction des non-choix et du prisme démagogique, clientéliste et malthusien qui a prévalu depuis les années 1980, la crise économique et sociale sortirait de tout contrôle. Un scrutin décisif pour la France, parce qu'il constitue la dernière occasion de combler le retard accumulé sur les autres démocraties développées, engagées dans une course de vitesse pour s'adapter à un monde qui met en concurrence non seulement les entreprises mais plus encore les Etats et les sociétés. Un scrutin décisif pour l'Europe, dont la France est devenue l'homme malade, contribuant notablement à sa panne actuelle, exportant sa crise jusqu'à risquer de provoquer son éclatement comme celui de l'Euroland en cas d'aggravation de sa dérive. D'où le paradoxe des dix-huit mois qui s'écouleront avant l'élection présidentielle. Aucune amélioration fondamentale n'est à attendre dans la situation du pays, en dehors d'artifices tels qu'une baisse du chômage qui doit tout au traitement statistique et à la création d'emplois semi-publics financés par la hausse de la dette. Situation logique dès lors que les conditions nécessaires au changement ne sont pas remplies : le président de la République ne dispose plus d'aucune légitimité ; les leviers majeurs de la modernisation que sont le changement du modèle social et la réforme de l'Etat ont été d'emblée exclus ; l'action du gouvernement est tout entière orientée vers l'horizon électoral de 2007 à l'exclusion d'une vision cohérente, comme le souligne la contradiction frontale entre le recours aux pouvoirs exceptionnels propres à l'état d'urgence d'une part, la volonté de minimiser la gravité de l'insurrection des banlieues ramenée à de bénins "troubles sociaux" d'autre part ; enfin, la cohabitation hautement conflictuelle entre le premier ministre et le ministre de

REGARDS SUR LA SOCIETE FRANCAISE CONTEMPORAINE 21 l'intérieur interdit l'unité et la continuité dont toutes les expériences étrangères ont montré qu'elles étaient indispensables. Il reste que le moteur de la modernisation peut embrayer, pour peu que les Français se mettent en mouvement et imposent de centrer le débat, par leur mobilisation et leur engagement, sur la situation réelle du pays et les moyens de l'améliorer. La modernisation de la France ne dépend ni de la mondialisation ni de l'Europe, mais des Français qui conservent la maîtrise de leur destin. A condition de surmonter les tentations protectionnistes et sécuritaires, nationalistes et xénophobes, pour examiner et trancher, non pas de manière passionnelle ou démagogique mais de manière rationnelle, les questions cardinales qui ont été éludées lors des derniers scrutins : comment rétablir le couplage de l'autorité et de la responsabilité du chef de l'Etat ? quels principes utiliser pour refonder une nation ? quels changements instaurer dans l'Etat pour lui permettre de jouer son rôle de réassureur des risques globaux de l'économie et de la société ouvertes ? quels positionnements pour le système productif et le territoire français à l'horizon des années 2010 ? quelles transformations apporter au modèle économique et social pour concilier efficacité et équité, compétitivité et solidarité dans l'univers de la mondialisation ? quels leviers employer pour débloquer la société, l'ouvrir en direction des jeunes, des immigrés, des exclus ? quelles voies pour contribuer à rétablir l'unité des démocraties et relancer l'Europe ? Pour prix des échecs et des revers dont ils sont les premières victimes, les Français ont acquis le droit de percer la bulle de démagogie et de mensonge qui dévaste la vie politique nationale depuis de trop longues années et d'accéder à une information objective sur la situation de leur pays et l'état du monde. Leur responsabilité vis-à-vis de leur patrie comme des générations futures consiste à cesser de s'en remettre à un président de droit divin ou à l'Etat pour exiger de ceux qui aspirent à les gouverner des choix cohérents dont ils assument les conséquences prévisibles. A conjurer les tentations de régression vers un passé mythique et les passions extrémistes, à sanctionner sans faiblesse les cyniques et les démagogues pour ouvrir résolument la voie à une nouvelle génération, en rupture avec la République des truqueurs et des gérontes, à qui il reviendra de reconstruire un pays moderne, puissant et respecté dans le monde du XXIe siècle.

NICOLAS BAVEREZ économiste, historien et avocat. Auteur notamment de La France qui tombe (Perrin, 2003).

Les anti-consommation veulent changer le monde hors des partis LE MONDE, 24.09.2005

Une affiche publicitaire à Paris après une action de barbouillage d'affiches publicitaires menée par plusieurs militants anti-pub.

Jeanne, 23 ans, fait partie de ceux qui ont commencé à tracer leur engagement politique à coups de marqueurs, barrant rageusement les publicités du métro parisien, à l'hiver 2003. Dans un restaurant associatif à peine plus grand qu'un local de syndicat universitaire, en plein coeur du quartier de Belleville, à Paris, elle est accoudée à une longue table en bois rafistolée et se souvient de sa première "action directe" : "J'étais impressionnée et excitée. J'avais enfin trouvé le moyen d'agir politiquement sans qu'un autre le fasse à ma place." Dans cette cantine où l'on se sert soi-même dans la cuisine, une trentaine de jeunes, de 20 à 30 ans pour la plupart, passent la soirée à discuter des faucheurs d'OGM, de la flambée du prix du pétrole et de l'huile végétale, qui peut "remplacer l'essence de nos voitures sans problème" . Ils font partie de RAP (Résistance à l'agression publicitaire) ou de mouvements libertaires. Ici, il arrive que l'on croise d'autres militants anti-consuméristes, ceux qui organisent les opérations de barbouillage de panneaux publicitaires, des actions de boycott, le dégonflage des pneus de 4 × 4 ou participent aux parodies de messes en pleine rue, dans une imaginaire "église de la Très Sainte Consommation". Depuis la fin des années 1990, ces groupes tels que les anti-4 × 4, qui militent contre les véhicules tout-terrain en ville, Vélorution, qui plaide pour le remplacement de la voiture par la bicyclette, ou Chiche !, un groupuscule de jeunes

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REGARDS SUR LA SOCIETE FRANCAISE CONTEMPORAINE 22 écologistes, se multiplient, dessinant une mosaïque de tendances, à l'image des altermondialistes. Parmi les anti-consuméristes coexistent des écologistes purs et durs, qui vivent sans voiture, sans télé, sans réfrigérateur ; des anarchistes nomades ou squatteurs ; des procéduriers, coutumiers des prétoires. MARQUEURS ET NEZ DE CLOWN Leur point commun ? La volonté de militer à gauche "hors du carcan des partis" , pour se retrouver lors de manifestations avant tout "ludiques". Armés de marqueurs indélébiles, de tracts réalisés sur leurs ordinateurs individuels, portant parfois des nez de clown, ils remettent en cause la société de consommation, dans la lignée des mouvements de Mai 1968, mais dans un contexte économique infiniment plus difficile que celui qu'ont connu leurs parents. Contre le productivisme, ils dénoncent une société fondée sur une consommation exponentielle dont la seule référence est la croissance. Depuis les années 1970, les livres de chevet n'ont pas changé : La Société du spectacle , de Guy Debord ; 1984 , de George Orwell. Mais, loin des barricades de Mai, ce sont désormais les mouvements anti-OMC de Seattle (1999) et anti-G8 de Gênes (2001) qui sont devenus les références fondatrices de ce nouveau militantisme. Autre élément déclencheur : la parution de l'ouvrage No logo , de la journaliste canadienne Naomi Klein, qui fustige la "tyrannie des marques" . "Tous les opposants au néolibéralisme se retrouvent autour de la lutte contre la publicité, perçue comme le carburant du système capitaliste actuel", explique Sébastien Darsy, auteur du Temps de l'anti-pub (Actes Sud, 2005). Entre les anti-4 × 4, les anti-télé, les pro-vélo et les anti-panneaux d'affichage, les frontières sont donc floues et mouvantes, les liens multiples et informels. "Les collectifs se créent, puis disparaissent , explique Ludovic Prieur, coordinateur du site Internet Hactivist News Service (HNS), l'une des sources d'information de ces groupes. Certains s'engagent dans la lutte anti-pub ; demain, ils seront des anti-4 × 4. On passe de territoire de lutte en territoire de lutte ." De la même façon, les liens avec d'autres groupes européens semblables relèvent plus de relations interpersonnelles que de réseaux structurés et coordonnés. "Nous avons des relations ponctuelles, lors de l'organisation de certaines manifestations : l'Euro May Day -un 1er mai "dissident" contre la précarité-, la Journée sans marq ues ..., reprend Ludovic Prieur. Puis chacun repart chez soi. C'est une précarité positive !" "ZAPPING" DES ENGAGEMENTS Ce "zapping" des engagements reflète le fonctionnement de cette nébuleuse, comme si Internet venait transformer les formes traditionnelles du militantisme. "L'information circule très vite à l'aide de blogs, de newsletters, d'e-mails, explique Philippe Colomb, président de Vélorution. On prévient tout le monde et on agit." Mais la liberté de l'engagement a un prix : "Il y a beaucoup de turnover. Notre militance est difficile à tenir dans la durée" , déplore-t-il. Ces militants volatils ont pourtant leurs élites. La tonalité libertaire est notamment donnée par Yvan Gradis, principal contributeur de la revue Le Publiphobe et cofondateur de RAP. Il suffit de passer au local de l'association, à Vincennes (Val-de-Marne), pour découvrir les autres référents. Sur les étagères proprettes, on trouve pêle-mêle les écrits des penseurs de la "décroissance", Serge Latouche, professeur de sciences économiques à l'université Paris-IX, François Brune, professeur de lettres, et Paul Ariès, professeur de sciences politiques à Lyon-II. Tous signent dans la revue publiée par Casseurs de pub, La Décroissance , dont le concept éponyme définit la volonté d'en finir avec la croissance économique, perçue comme la source de catastrophes écologiques et sociales. Ces auteurs sont les "anciens" du mouvement, selon Sébastien Darsy. "Ils ont posé des jalons intellectuels, et captent des jeunes, plus activistes." Reste que les nouveaux venus ont innové, notamment en important les formes de militantisme "ludiques" d'Amérique du Nord : celles d'Adbusters - littéralement, "casseurs de pub", précurseurs du détournement artistique des affiches publicitaires - et celles de Reclaim the Streets, mouvement pour la "réap propriation des rues". A leur manière, les nouveaux militants anti-consommation rappellent à tous crins leur besoin de fantaisie. Comme en témoignent Jean-Christophe, 28 ans, chômeur, aujourd'hui salarié de RAP, et Roger, 30 ans, ingénieur en électronique, licencié de son entreprise il y a quelques mois. Très investis dans le mouvement, ils se disent aussi membres de la "génération précarité" .

Audrey Garric et Adeline Percept Pour en savoir davantage Ouvrages d'analyse sur ce type de mouvement : - La France rebelle, sous la direction de Xavier Crettiez et Isabelle Sommier, 2002, Ed. Michalon, 570 pages. - Le Temps de l'anti-pub, Sébastien Darsy, 2005, Ed. Actes Sud, 236 p. Références idéologiques :- No logo, la tyrannie des marques, Naomi Klein, 2000, Ed. Actes Sud, 574 p. - Démarque-toi ! Petit manuel anti-pub, Paul Ariès, 2004, Ed. Golias, 192 pages. - Putain de ta marque !, Paul Ariès, 2003, Ed. Golias, 526 pages. - Casseurs de pub, Raoul Anvélant, Paul Ariès, François Brune, Denis Cheynet, 2004, Ed. L'Aventurine, 300 pages. Revues : Casseurs de pub et la décroissance ; Le Publiphobe. Sites des groupes : http://www.casseursdepub.org http://www.anti4x4.net

REGARDS SUR LA SOCIETE FRANCAISE CONTEMPORAINE 23

Reportage Les miraculées du RMI LE MONDE, 20.05.2005

Le 8 décembre 1997 à 8 h 30, Carmen Soubrant, 34 ans, est debout dans la salle à manger de sa maison, en Bretagne. Elle s'apprête à emmener sa fille au poney club. Son mari surgit, en furie, l'attrape par le cou, l'injurie, la frappe, la traîne jusqu'au seuil de la maison et la jette dehors. La petite femme au regard clair a perdu ses lunettes. Les clés de la voiture sont au fond de sa poche. Elle a honte vis-à-vis de ses amis, de sa famille. Elle erre dans les rues, sans argent. La nuit tombée, elle se gare sur un parking, met le chauffage, essaie de dormir. Des Manouches rôdent, elle ne trouve pas le sommeil, se dit qu'elle s'est mariée trop jeune : 18 ans et, très vite, quatre enfants, la vie domestique et quelques heures de comptabilité pour l'entreprise de nettoyage de son mari. Philippe, un ami, lui propose d'aller à Villefranche-sur-Saône (Rhône). Séparée de ses enfants, elle débarque dans une chambre, se nourrit aux Restos du coeur, s'inscrit à l'ANPE, touche le RMI, s'enfonce dans la solitude, perd douze kilos. On lui demande ce qu'elle veut faire. Elle répond : pianiste, chanteuse, employée de maison de retraite, restauratrice, hôtelière. On lui prête une éponge, une raclette, un seau d'eau. Carmen entre dans les magasins : "J'ai besoin de travailler, je viens de me mettre à mon compte. Je peux laver votre vitrine ?" Dix commerçants acceptent. C'est assez pour un début. Elle s'inscrit à la chambre des métiers, crée son entreprise de nettoyage, baptisée ACP : "Ça ne veut rien dire, mais je voulais être la première dans les Pages jaunes." Elle vit avec 55 euros par mois, une fois prélevés 183 euros de charges sociales. Elle porte le même pantalon, les mêmes chaussures pendant un an et demi, s'achète des meubles chez les Petites Sœurs des pauvres. En août 2001, une nouvelle usine sort de terre à Villefranche. Le peintre qui achève les travaux demande à Carmen si elle est prête à en assurer le nettoyage. "J'ai menti comme un coq, j'ai dit que j'avais du personnel." Le devis est accepté. L'ami Philippe quitte la Bretagne et vient à ses côtés. Ils ne se sépareront plus. Le contrat n'est pas faramineux : 450 euros par mois, mais c'est assez pour investir dans du matériel. La chambre des métiers met alors Carmen en contact avec l'Association pour le droit à l'initiative économique (Adie), la banque des exclus créée en 1988 par Maria Nowak (Le Monde du 5 avril 2005) sur le modèle conçu au Bangladesh dans les années 1980. Avec 300 employés, dont 250 conseillers, l'Adie est à l'origine, depuis 1988, de la création de 27 000 entreprises (surtout individuelles) générant au total 32 000 emplois. Le principe est de faire appel à des banques mutualistes auxquelles s'ajoutent BNP Paribas et des entreprises privées afin de financer les projets jugés réalistes. Le prêt octroyé à Carmen est un coup de pouce : 3 000 euros à 3,5 % d'intérêt remboursables en deux ans. Mais il en entraîne deux autres d'un montant équivalent octroyés par l'Etat et la région. Surtout, la conseillère de l'Adie, Catherine Francou, est là : "J'ai vu débarquer Carmen. Battante, pétillante, elle faisait face à l'adversité. C'était une gentille, sympathique avec ses clients, dure en négociation." Catherine Francou parle de faisceau d'indices qui forge une "intime conviction" pour embarquer une postulante dans un prêt. Carmen achète une auto-laveuse, une mono-brosse, un chariot, une voiture, et loue un petit bureau. Elle embauche un salarié deux heures par jour, écrit ses publicités à la main sur des feuillets. "Mes revenus ne dépassaient pas 100 euros. Je cherchais des clients comme une malade." Carmen est compétitive. "Si une grosse société de nettoyage garantissait un soin du détail en trois heures, nous, on nettoyait à fond en cinq heures, mais on ne s'en faisait payer que trois. Le client se rendait compte de la différence." En 2002, son carnet d'adresses grossit. Carmen emploie 5 salariés. "Parmi les candidats, je privilégie des hommes et des femmes ayant eu des incidents de parcours, ceux qui se sont retrouvés à la rue comme moi, qui ont connu un divorce, une perte d'emploi subite, une dépression. Je leur paie une formation de trois mois." Ce n'est pas le conte de fées. "Tout le monde n'est pas sorti d'affaire. Certains ne se lèvent pas le matin, ne veulent pas se battre. Remonter quelqu'un n'est pas évident." Carmen en sait quelque chose. Malgré le début de la réussite, elle n'a jamais le sentiment de gagner. De peur que "ça recommence" , elle vit chaque matin le premier jour. En 2003, Carmen vise le créneau du ménage chez les particuliers et s'adjoint une équipe de 6 femmes. Un an plus tard, elle ajoute à ses activités la plâtrerie, la peinture et le lessivage. Aujourd'hui, elle crée une section de repassage et livre à domicile des corbeilles de linge à 25 euros. Son entreprise compte 31 salariés, dont 10 à plein temps, 170 clients, dont 150 entreprises. Carmen arrive tous les matins à 5 heures au bureau, déjeune à 6 heures avec ses chefs d'équipe. Puis vient l'organisation des plannings, la comptabilité. "Neuf entreprises ont fait faillite cette année. Mais j'ai un grand groupe hôtelier qui a l'air de me faire confiance. On verra, le marché n'est pas encore conclu." Une fois par mois, elle réunit son personnel. "J'aimerais fonctionner comme une famille. Tous les employés me disent ce qu'ils ont à dire. Je n'ai pas le droit de les décevoir. Il faut qu'ils comprennent que travailler pour une petite entreprise saine, c'est plus stimulant que dans une multinationale où on est deux mille avec un numéro de matricule." Les employés sont payés 8 euros de l'heure, un peu plus que le smic (les chefs de groupe touchent 9 euros). La patronne remplit la feuille d'impôt de certains, prête sa voiture, donne divers "coups de main" . En contrepartie, "il faut bosser" . Tous les 5 du mois, elle est "fière" de verser 31 salaires. Elle dit bien gagner sa vie.

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REGARDS SUR LA SOCIETE FRANCAISE CONTEMPORAINE 24 Un matin, sur un nouveau site, deux femmes ont craqué : trop fatiguées. Carmen les a reçues et écoutées ; elle s'apprête à leur offrir une nouvelle formation. "Je me sens responsable, explique-t-elle. Je ne dis pas : 'Je m'en fous.' L'entreprise est un tout, ce n'est pas une affaire individuelle. En même temps, j'essaie d'installer une juste distance avec les employés. Quand j'étais trop proche, ça abusait." Parfois, elle se sent seule. "Une fille m'a sorti, un jour : "De toute façon, vous n'êtes qu'une patronne"." Carmen ne dort pas la nuit, elle"gamberge". Elle travaille quatre-vingt-deux heures par semaine. Sa vie est plus dure que sa précédente existence de femme au foyer. Mais, maintenant, elle connaît ses limites, sa "force intérieure" . Elle a l'impression d'avoir été, pendant des années, dans une "sorte de somnolence".

Dominique Le Guilledoux

Yannick Noah et Zinedine Zidane restent les personnalités préférées des Français

LE MONDE, 31.12.2005 Yannick Noah et Zinedine Zidane restent les personnalités préférés des Français, selon le classement Ifop à paraître dans le Journal du Dimanche. Pour la deuxième fois consécutive, l'ancien champion de tennis devenu chanteur est en tête de ce palmarès semestriel, à un point devant le meneur de jeu du Real Madrid. Renaud passe de la 6e à la 3e place, devant Florent Pagny et l'acteur Jean Reno, qui fait un bond de la 32e à la 5e place. Autre remontée spectaculaire, celle de la comédienne Mimie Mathy, qui passe de 45e à la 9e place. Le chanteur Michel Sardou est dixième. Le chanteur d'origine rwandaise Corneille fait son entrée à la 18e place, tout comme l'humoriste et metteur en scène Valérie Lemercier (32e) et le chanteur Alain Souchon (39e). Chez les politiques, l'ancienne ministre Simone Veil est la mieux placée à la 37e place, devant Bernard Kouchner (42e). La présidente socialiste de la région Poitou-Charentes Ségolène Royal fait son entrée à la 50e place ainsi que le premier ministre Dominique de Villepin, 52e. Le porte-parole de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), Olivier Besancenot, est 53e. Le président Jacques chirac est absent de ce classement. Le sondage a été réalisé du 8 au 13 décembre en face à face auprès de 964 personnes âgées de 15 ans et plus, un échantillon représentatif de la population française formé d'après la méthode des quotas. Interrogées à leur domicile, les sondés se sont vu soumettre 55 noms et ont dû répondre à la question : "quels sont les dix Français qui comptent le plus pour vous aujourd'hui ou que vous trouvez les plus sympathiques?". Avec AFP et Reuters

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