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Pour cette rubrique confluences,

envoyez-nous une photo(composition photographique,

peinture, sculpture, ensemble

architectural) où vous voyez un

croisement, un métissagecréateur, entre plusieurs cultures,

ou encore deux uuvres de

provenance culturelle différente,

où vous voyez une ressemblance,

ou un lien frappant.

Accompagnez-les d'uncommentaire de deux ou trois

lignes. Nous publierons chaquemois l'un de vos envois.

Rencontre

Orient-Occident

1990, technique mixte surtoile et bois (162 x 130 cm)de Ismael Kachtihi

De cet artiste français

d'origine marocaine, on apu dire que «dans samatrice culturelle,

confluent l'Atlantique et laMéditerrannée, leHaut-Atlas et la Sierra

Nevada, Cordoue,

Bordeaux, Paris,

Casablanca et Tanger, lesâmes juive, musulmaneet chrétienne, les chants

berbères, arabes,

andalous et français.»Par le refus de la

représentation et del'ornement, sa peintureexprime sa foi en une

unité possible.

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SommaireMai 1992

Redécouvrir1492

\ Redécouvrir 1492par Federico Mayor

\ Portrait d'un continentpar Miguel León-Portilla

Genèse d'une

découverte

[ Prophéties etpressentimentspar Fernando Ainsa

[ Une nouvelle¡mage du mondepar Wilcomb E. Washburn

\ Des étrangers auservice de l'Espagnepar Juan Gil

Rencontres en

chaîne

f La quête del'autre

par José Augusto Seabra

! Les chemins duPacifique

par Alfonso de la Serna

\ Amérique/Russie:un lointain dialoguepar Vera Kuteischikova

Un destin

commun

La Déclaration

de Guadalajara

Naissance des

temps modernes

par Edgar Montiel

L'invention d'une

culture

par Leopoldo Zea

Notre couverture:

Chamuco (1990), technique mixte de l'artistemexicaine Mari Carmen Hernández Brossollet, sur

une trame de rubans entrelacés inspirée d'une

ancienne tradition aztèque.Couverture de dos:

Manco Cápac, fils du soleil et fondateur de la

dynastie inca (détail), huile sur toile de l'école deCuzco (Pérou, 18' siècle).

L'Amérique avantl'Amérique

| Et dans cinq cents ans?par Félix Fernández-Shaw

Unesco 1946-1991:

un parcours de 45 années(1989-1991)

par Michel Conil Lacoste

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Action/UNESCO

«Les gouvernements des États parties à la présente Convention déclarent:Que, les guerres prenant naissance dans l'esprit des hommes, c'est dans l'esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de

la paix...^fj I ¥X TCÇ^^""\ ...Qu'une paix fondée sur les seuls accords économiques et politiques des gouvernements ne saurait entraîner l'adhésion unanime,Cl6 1 Ul NLjvAJ durable et sincère des peuples et que, par conséquent, cette paix doit être établie sur le fondement de la solidarité intellectuelle et

morale de l'humanité.

...Pour ces motifs (ils) décident de développer et de multiplier les relations entre leurs peuples en vue de se mieux comprendre et45' année d'acquérir une connaissance plus précise de leurs coutumes respectives...»Mensuelpublié en 37 langues et en braille Extrait du préambule de la Convention créant l 'Unesco, Londres, le 16 novembre 1945

leCpURRIER

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Redécouvrir

1M^ £fc é% dont cette année marqueTT ^# mm le Cinquième centenaire, a

amorcé un processus de connaissance mutuelleet d'échange entre tous les peuples de la Terreet annoncé, par divers signes, l'avènement destemps modernes. D'une histoire jusqu'alorsfragmentaire, l'humanité est entrée dans l'ère del'universalité, et la condition humaine est

apparue dans son unité par delà ce qui distinguecultures et civilisations. Dès cette date,

l'homme, être historique par excellence,s'identifie à jamais avec l'homme essentiel que,depuis l'Antiquité classique, philosophes etpenseurs appellent de leurs vaux.

Mythes, pressentiments, impératifs vitauxet scientifiques amenèrent inéluctablement, ce12 octobre 1492, deux hémisphères à unir leurdestin par-dessus la «mer ténébreuse», quiépouvantait les navigateurs, mais dont les cos¬mographes et les poètes avaient depuis long¬temps deviné le secret. Les deux moitiés de laTerre s'étaient rejointes et l'Homme, croisantle regard de l'Autre, a commencé à seconnaître vraiment. Cette première rencontresera suivie de beaucoup d'autres, dont leseffets en chaîne conduiront peuples et nationsvers une interdépendance croissante, en uneévolution qui se poursuit encore aujourd'hui.

Les rencontres se poursuivent, en effet,quotidiennement, entre ceux qui émigrent etceux qui les accueillent, ceux qui possèdentbeaucoup et ceux qui n'ont presque rien, ceuxqui empruntent les chemins de la connaissanceet ceux qui les ignorent. Nous vivons désor¬mais dans une planète dont le devenir, qu'onle veuille ou non, nous concerne tous. Nous

sommes littéralement «embarqués» sur lemême navire la Terre , et nous devons

tenir le cap si nous ne voulons pas sombrer.Aujourd'hui plus que jamais, le monde est un.

D'où la nécessité d'évoquer clairement lesgrands défis planétaires d'ordre social, culturelet écologique que tous les êtres humains,quelle que soit la couleur de leur peau ou leurlangue, doivent affronter à l'aube du troisièmemillénaire.

C'est pourquoi le Cinquième centenaire de larencontre de deux mondes ne laisse personneindifférent. Les divergences sur la nature del'événement découverte, choc, rencontre ou

rendez-vous manqué alimentent une polé¬mique qui n'est pas seulement sémantique, mais

traduit le double souci d'une juste évaluation dupassé et d'une projection audacieuse versl'avenir, à partir d'un présent dont la cultureaméricaine art, littérature, musiqueexprime bien la prodigieuses diversité.

C'est précisément au nom de l'avenir que laréflexion sur le passé américain doit d'abordfaire ressortir le courage et la dignité de ceuxqui ont vécu les événements tout à tour vio¬lents et pacifiques de ces cinq siècles. Rienne sert d'en faire le procès rétroactif, de selamenter sur des temps révolus, sur des faitsaccomplis, car on ne réécrit pas l'histoire. Il fautl'accepter telle qu'elle est, avec ses zonesd'ombre et de lumière, et faire en sorte que sereferment au plus vite les blessures qu'ont causéses épisodes les plus terribles.

Le passé perdure dans les quarante millionsd'autochtones qui ont conservé la consciencede leur identité ethnique, culturelle et linguis¬tique. Dans le patrimoine archéologique, dansles emblèmes et les symboles nationaux, lessignes et les représentations artistiques, lesconceptions architecturales, les arts textiles, lesrythmes musicaux, les traditions, les coutumeset les habitudes culinaires variées du continent.

Enfin, dans les apports spécifiques de l'amérin-dianité au sentiment national de chaque peuplede l'Amérique latine, comme à la personnalitéaméricaine, et au patrimoine humain dans sonensemble.

La grandeur et la postérité de l'Amériqueindienne ne résident pas dans le repli et l'isole¬ment, mais dans la coexistence fraternelle des

peuples américains. Dans une unité garante dediversité. La culture, comme l'amour, ne s'épa¬nouit que dans le partage. L'Amérique métisse,multiple, plurielle, lumineuse, exprime avecéclat la vérité de ce processus de création et dere-création permanente.

Le métissage est perceptible jusque dans lespaysages ibéro-américains, dans ces villescomme Cuzco où convergent l'art inca,espagnol et républicain, dans cette superposi¬tion de styles et d'influences que l'on observesur la place des Trois Cultures à Mexico, dansle syncrétisme religieux de Chichicastenango, labeauté de l'architecture baroque d'Ouro Pretoou de Chiquitos, la perfection littéraire des

de Pinea Garcilaso ou de FelipeGuarnan Poma de Ayala.

La spécificité américaine résulte du brassage

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1492 Par Federico MayorDirecteur général de l'Unesco

de toutes les nations autochtones, ibériques,africaines, européennes, arabes et asiatiquesqui ont fait le continent. Elle est issue, à la fois,de ceux qui s'y trouvaient déjà et de ceux qui ysont venus, par hasard, attirés par l'ambition oul'espoir, ou sous la contrainte, et, enfin, de ceuxqui sont nés dans ce Nouveau Monde, enfantéspar l'histoire.

Aussi, le métissage américain est-il devenusource d'intégration et d'enrichissement, deconvergences créatrices, d'intuitions novatricessur la condition humaine, d'abnégation géné¬reuse dans la défense d'une foi devenue com¬

mune, de rapports interculturels multiformes,traversés d'affrontements, de résistances, d'assi¬

milations, d'apprentissages et d'appropriations.José Vasconcelos n'écrivait-il pas, dans La racecosmique, que «la mission de la race ibéro-amé-ricaine» n'est autre que de devenir le creusetdans lequel «se fondront toutes les cultures enune seule»?

L'Amérique est bien le creuset annonciateurdu seul avenir possible pour le reste du monde

un avenir de convivialité voulue entre des

êtres humains venus d'horizons culturels diffé¬

rents, et dont toutes les voix se mêleront,

s'interpénétreront, s'entrecroiseront pour tisserla trame, dense, infiniment complexe, de l'exis¬tence future de l'humanité.

Humanité multiple, rendue instantanémenttransparente par le miracle des télécommunica¬tions, miracle auquel auront largementcontribué les langues communes de l'Amériqueibérique l'espagnol et le portugais , si pro¬pices aux échanges. D'aucuns ont évoqué lepouvoir «impérial» de la langue, que pressentaitAntonio de Nebrija lorsqu'il affirmait devantIsabelle de Castille que sa Grammaire castillanepermettrait de «conquérir un monde». Maisl'Amérique latine ne subit plus, depuis long¬temps, la férule de métropoles qui lui imposentleur syntaxe; elle est le lieu d'une rénovation dela langue, ce réseau communicationnel qui luiouvre toute grande la scène de l'histoire.

Grâce aux langues véhiculaires ibériques, lespays d'Amérique latine revendiquent et fontvaloir aujourd'hui entre eux, et face au reste dumonde, leur propre patrimoine ethno-linguis-tique. Ils mêlent leur voix à la polyphonie de laculture contemporaine, notamment dans ledomaine de la littérature. «La patrie de l'écri¬vain est la langue» soutenait Francisco Ayala

dans L'Écrivain de langue espagnole. Et seuleune langue commune peut aider efficacement àédifier une «grande patrie», en même tempsqu'à relever les défis de la modernité.

«L'éducation est le fondement de la liberté»

écrivait Bolivar, qui rêvait d'une Amériquelatine unie. Un rêve qui ne pourra devenir réa¬lité sans le fil conducteur de la langue et del'esprit, sans le respect et la mise en valeur descultures originelles. Un grand rêve compromispar plus de cent cinquante ans de divisions, etqui renaît aujourd'hui dans la volonté politiquede réaliser l'unité continentale. L'institution

d'aires de libre échange et de marchés com¬muns régionaux, d'une part, la coopérationdans les domaines de l'éducation et de la

science, de l'autre, amorcent un processus qui atrouvé son expression politique lors du premiersommet ibéro-américain, qui s'est tenu à Gua¬dalajara, au Mexique, les 18 et 19 juillet 1991.

A cette occasion, les chefs d'Etat des paysde la région, de l'Espagne et du Portugal ontlancé un processus d'intégration économique,éducative et scientifique qui doit être suivi, dansle domaine culturel, de mesures visant notam¬ment à assurer la libre circulation des biens et

des services et ce, tout en situant les pro¬blèmes de l'Amérique latine dans le contexteplanétaire et en agissant sur les nombreux pro¬blèmes mondiaux, d'environnement notam¬

ment, qui se prêtent à des solutions nationales.Il s'agit, sur tous ces plans, de faire de

courage et d'imagination, pour corriger lesinégalités existantes. Si l'on peut parler à cepropos d'une véritable dette morale contractéepar les pays les plus avancés à l'égard de l'Amé¬rique latine, il faut aussi insister sur la «dettesociale interne» des pays où les disparités écono¬miques et sociales condamnent de vastes sec¬teurs de la population à des situations d'extrêmepauvreté. Il faut faire de courage etd'imagination pour créer de «nouveauxmodèles» susceptibles d'ouvrir, au-delà desamertumes du passé et des disparités du présent,des horizons futurs d'espérance.

Cette tâche commune concerne, à travers

l'Amérique latine, l'humanité entière. C'est lameilleure façon de commémorer 1492l'anniversaire d'une rencontre qui n'est pas seu¬lement celle de deux mondes, mais aussi celle de

l'homme contemporain avec son destin uni¬versel, c'est-à-dire avec lui-même. D

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Portrait d'un icontinent

Par Miguel León-Portilla

US tels que leur mère les a enfantés...Des hommes très bien faits, très

** I ^1 beaux de corps et très avenants devisage, les cheveux presque aussi épais que lecrin des chevaux et courts..., des hommes ni

noirs, ni blancs» notait Christophe Colombdans son Journal de bord, lors de son premiervoyage, à propos des indigènes qui vinrent à sarencontre dans l'île de Guanahani, qu'il baptisa«San Salvador». Persuadé d'être tout près desIndes, il les appela tout simplement les«Indiens».

Les habitants de ces îles et d'autres îles voi¬

sines beaucoup plus grandes Haïti, Cuba, laJamaïque, et Porto Rico étaient des Ara-waks. Les petites Antilles, en revanche, étaientpeuplées de Caraïbes. Ces «Indiens», et leurssemblables dans les régions de Paria au Vene¬zuela et de Darién au Panama, pratiquaient la

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chasse, la cueillette et l'agriculture, vivaientdans des cases en terre battue coiffées de bran¬

chages et regroupées en petits villages. Bientôton apprit qu'ils formaient des «tribus», etobéissaient à un ou plusieurs chefs.

D'autres surprises attendaient les Européensdans leur exploration de ce continent inattendu.Colomb lui-même entendit parler, au cours deson troisième voyage, de marchands mayas quilongeaient sur des embarcations les côtes duHonduras. Plus impressionnant encore fut lespectacle qui s'offrit au yeux des naufragés quiabordèrent le Yucatán en 1511, ou celui qu'ilfut donné de contempler au navigateur Juan deGrijalva en 1518, lorsqu'il atteignit ces côtes àson tour. Il vit, entre autres merveilles, «une

grande ville au moins égale à Seville, avec sesmaisons de pierre, ses tours et sa grandeplace...» Ainsi s'établirent les premiers contacts

Ci-contre, fresque du muséede la Ville, à Mexico,

représentant des chinampas,jardins créés par lesAztèques sur des radeauxflottants, avec de la terre etde la boue remontées du

fond des lacs. Ce type

d'agriculture préhispanique

est toujours pratiqué au

Mexique.Ci-dessous, la culture des

tubercules, codex deFlorence.

avec une ville maya en Mésoamérique, régionenglobant une partie du Mexique et l'ensemblede l'Amérique centrale.

Cemanahuac, les terresdu milieu des eaux

La Mésoamérique, ou Cemanahuac, était leberceau d'une civilisation qui s'enorgueillissaitdepuis des millénaires de grandes villes dotéesde palais, de temples et de monuments, de pein¬tures et d'inscriptions, d'écoles où l'on écrivaitsur de l'écorce de ficus ou de la peau traitée à lafaçon du parchemin. Outre les grandes cités,cette aire de plus de deux millions de kilo¬mètres carrés avait donné naissance à plusieursEtats, véritables empires avec leurs centres depouvoir politique, économique et religieux.

En 1492, les Mexicas ou les Aztèques, héri¬tiers des Toltèques, gouvernaient la régiondepuis leur capitale, Mexico-Tenochtitlán, quiétait déjà à l'époque une des plus grandes villesdu monde. De l'Atlantique au Pacifique, dubassin du Panuco au Guatemala, s'étendait le

règne de Ahuitzotl, prédécesseur de Mocte¬zuma. Un réseau de routes commerciales reliait

les hauts plateaux du centre aux territoiresmayas, desservant jusqu'aux régions les plus

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L'art des plumasslers,illustration de la Historia

general de las cosas de

Nueva España (Histoiregénérale des choses de la

Nouvelle-Espagne, dite aussicodex de Florence),manuscrit sur papiercomposé vers 1579 sous ladirection du franciscain

Bernardino de Sahagûn.

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MIGUEL LEON-PORTILLA

est ambassadeur, déléguépermanent du Mexique auprèsde I'Unesco. Professeur émérite

de l'Université nationale

autonome à Mexico, il estl'auteur de nombreuses

publications, traduites en

plusieurs langues, sur lescultures précolombiennes duMexique.

reculées du nord, dans ce qui est aujourd'hui lesud-ouest des Etats-Unis.

L'empire aztèque, où l'on parlait différenteslangues náhuatl, otomí, huaxtèque, tlapa-nèque, totonaque, mixtèque, zapotèqueétendait sa puissance et sa culture sur unegrande partie du continent. Remarquables agri¬culteurs, les Mésoaméricains pratiquaient laculture du maïs depuis plus de sept millénaireset l'avaient acclimatée dans presque toutes leursrégions. Mais on ne leur doit pas que le maïs.De Mésoamérique et des Caraïbes, vinrentaussi le cacao, la cacahuète, le manioc, la

tomate, le piment, le tabac, plusieurs variétésde cucurbitacées, le haricot et le coton, des

fruits comme la pastèque et la papaye, l'avocat,la goyave, la mammea (abricotier de Saint-Domingue), l'anone, la chayotte et le nopal,sans compter diverses plantes médicinales.Parmi les animaux domestiques, outre uneespèce de chiens sans poils, on y élevait ladinde, qui, avec le cuetlaxóchitl, le poinsettia,participe désormais des repas de fête de find'année dans le monde entier.

Plus au nord, d'autres groupes habitaientles montagnes, les grandes plaines et les bordsdes fleuves, les rivages lacustres et les côtes desdeux océans. Moins nombreux, ces «Indiens»-

là ont su s'adapter à toute sorte de climats, desgrands froids septentrionaux de ce qui allaitdevenir les Etats-Unis, le Canada et l'Alaska,jusqu'aux déserts torrides de la Californie, del'Arizona et de la Sonora. Esquimaux, Inuits,Athapascans, Iroquois, Algonquins, Sioux,Navajos et autres Papagos sont aujourd'hui lesdescendants de ces peuples, qui eurent, dès lafin du 15° siècle, à faire face à la pénétration desEspagnols, puis des Anglais, des Français et desHollandais.

L'Amérique du Sud était aussi densémentpeuplée que celle du Nord: y vivaient notam¬ment des tribus groupées en petits villages dansles forêts immenses des bassins de l'Orénoque,de l'Amazone et du Paraná. Par ailleurs, sur lescontreforts des Andes et le long des côtes duPacifique, s'était développée une civilisationaussi brillante que celle des Aztèques, et égale¬ment millénaire, celle des Incas.

Le Tawantinsuyo,pays ouvert

aux quatre vents

A partir de 1493, c'est Huayna Cápac qui règnesur l'empire des Incas. Connu sous le nom deTawantinsuyo, le «pays des quatre vents»,celui-ci s'étendait du sud de l'actuelle

Colombie au nord de l'Argentine et du Chili, etenglobait une bonne partie de l'Equateur, duPérou et de la Bolivie. Sur cet immense

domaine, se succédaient villes et villages,temples et palais, monuments innombrables. Après de quatre mille mètres d'altitude, la ville deCuzco était le siège resplendissant de la puis¬sance inca.

Par les chemins qui sillonnaient l'empire,des territoires des Chibchas de l'actuelle

Colombie à ceux des Araucans au Chili, lesIncas se livraient à de nombreux échanges.Dans les régions andines, on avait réussi àdomestiquer divers camélidés: vigognes, lamaset alpacas, qui servaient de bêtes de somme etfournissaient de la laine. Ils transportaient,entre autres cargaisons, la pomme de terre,l'inestimable don de ces peuples au reste del'humanité. D'autres produits cultivés dans larégion connaîtraient plus tard une grande for¬tune: la quinine, un antipyrétique, et la coca, unarbuste dont la feuille mâchée est un puissanttonique. On en tirera de la cocaïne, un antal¬gique dont les trafiquants de drogue, contraire¬ment aux Incas, feront un odieux commerce.

Le monde andin possédait d'extraordinairesorfèvres, qui avaient su créer des alliages uniques,comme la «tumbaga» à base d'argent, d'or et decuivre. Les objets d'art somptuaire et sacré qu'ilsproduisirent au long des siècles suscitèrentl'émerveillement et la convoitise des Européens.Largement diffusées, les techniques métallur¬giques andines s'étaient répandues en Amérique

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centrale et au Mexique. Quand Cortés fit par¬venir à Charles Quint un «sol fait d'or et d'unelune d'argent», certains, dont le grand peintreAlbrecht Dürer, s'exclamèrent qu'ils n'avaientjamais rien contemplé de plus admirable.

PÉRENNITÉ DES CIVILISATIONS

AMÉRINDIENNES

Les Aztèques, les Mayas, les Zapotèques etautres Mésoaméricains, ainsi que les Incas etAymarás des régions andines, étaient despeuples raffinés, dont les cultures rayonnaientsur la majeure partie du continent. Ils avaientcertains traits communs. Ils étaient tous pro¬fondément religieux. Ils partageaient un mêmeamour de la terre, symbole maternel, et véné¬raient le soleil, source de vie, figure paternellediffusant chaleur et lumière. Ils respectaient lesanciens en qui ils voyaient les dépositaires d'unsavoir immémorial. Leur existence baignaitdans l'extraordinaire et le merveilleux, ce dont

témoignent leurs mythes, leurs récits, leursfêtes, leurs musiques et leurs chants. Ils s'effor¬çaient de vivre en communion avec la nature,avec toutes ses créatures les plantes et lesanimaux, les montagnes et les fleuves, les lacs etles mers.

On ne sait pas au juste quel était leurnombre en 1492, lors de la rencontre des deuxmondes. Certains avancent le chiffre de cent

millions d'autochtones d'autres le réduisent

considérablement. Ce qui est certain, c'est que lechoc des civilisations et la contagion de maladiesjusqu'alors inconnues ont décimé les Amérin¬diens. Mais ils sont loin d'avoir disparu et leursdescendants se battent vigoureusement aujour¬d'hui pour préserver leur culture et leur langue.Ils sont quarante millions qui, à cinq cents ansde distance, nous donnent une admirable leçonde ténacité, de courage et de créativité. O

, ^i¿#MA,

Peintres et coloristes

aztèques, fresque

contemporaine du musée dela Ville, Mexico.

La préparation du chocolat,codex Tudela (1553).

i%f Nous, peuplesd'Amérique...Pour marquer le Cinquième centenaire de larencontre de deux mondes, l'UNESCO a organiséplusieurs réunions à l'intention desreprésentants des peuples autochtonesd'Amérique. C'est à San Cristóbal de Las Casas(dans l'Etat de Chiapas, au Mexique), oùsubsiste le souvenir de frère Bartolomé, queceux-ci ont adopté, en juin 1991, la déclarationsuivante:

«Pleinement conscients départager un mêmedestin, nous savons que l'avenir de nos peuplesdépend de notre capacité a créer une Amériquesolidaire. Et que l'Amérique dont nous rêvonsest indienne et le restera, car les peuples de sesorigines sont au clur de son identité.«Nous sommes les héritiers de civilisations qui sesont épanouies sur les hauts plateaux et sous lestropiques, et dont les apports n'ont cesséd'enrichir la culture de notre continent.

«Nous affirmons la persistance et la vitalité del'identité indigène, comme en témoigne sa priseen compte croissante dans l'élaboration desprojets nationaux... Nous invitons les dirigeantsde nos pays a prêter attention aux multiplesrevendications de dignité, de justice et desolidarité que leur adressent leurs peuples àtravers le continent.»

Les présidents et chefs d'Etat de tous les paysibéro-américains, réunis au sommet àGuadalajara, au Mexique, au cours du mêmemois, ont déclaré, comme en écho:«Nous reconnaissons l'immense contribution des

peuples autochtones au développement et à lapluralité de nos sociétés, et nous réitérons notreengagement d'assurer leur bien-être économiqueet social, et réaffirmons l'obligation qui est lanôtre de respecter leurs droits et leur identitéculturelle. »

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^ V l\V, )

VfProphéties et

pressentiments

Par Fernando Ainsa

«

En touchant les terres inconnues du

Nouveau Monde, Christophe

Colomb donne réalité aux mythes

et aux rêves de l'Ancien.

QUE Christophe Colomb ait rencontréfortuitement le continent américain en

faisant voile vers Cipango et Cathay atait naître nombre de spéculations. Non pastant en raison du caractère imprévu de cettedécouverte, fruit d'une entreprise elle-mêmeaventureuse, mais parce que Colomb a mis denombreuses années à s'apercevoir qu'il venaiten fait de découvrir un nouveau monde.

Rien dans sa formation maritime, ni dans lesconnaissances cartographiques et cosmogra¬phiques de l'époque, ne pouvait permettre àColomb d'imaginer que l'océan Atlantiquecachait un continent s'étendant des régionsboréales aux terres australes. Rien ne préparaitles Européens, en l'occurrence les Espagnols, àune telle nouveauté comme le reconnaît

Francisco López de Gomara dans son Histoiregénérale des Indes (1516): «La plus grandechose depuis la création du monde, fors l'incar¬nation et la mort de son Créateur, c'est la

découverte des Indes: c'est pourquoi on lesappelle le Nouveau Monde (...) Un monde quel'on dit nouveau aussi parce qu'il est si diffé¬rent en toutes choses du nôtre.»

Un vivier d'images

Pour expliquer toutes ces choses si différentes,découvreurs, chroniqueurs et historiens se sonttournés d'emblée vers des notions scientifiqueset mythiques appartenant au passé de l'Occident.

Ce qu'ils découvraient dans le NouveauMonde leur semblait relever des plus lointaines 11

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Indien de l'Orénoque,

gravure de Rodriguez(1799).

réminiscences de l'humanité: l'Eden de la

Genèse, l'âge d'or de la mythologie antique, lestribus perdues d'Israël, la bucolique Arcadie del'ère classique revue par la Renaissance, le paysde cocagne et les variantes médiévales duparadis terrestre contrées fabuleuses peu¬plées d'animaux et d'êtres fantastiques, degéants, de monstres acéphales, d'amazones...Dans le Nouveau Monde, l'Ancien retrouvait ses

mythes fondateurs, les temps bienheureux dontil conservait la nostalgie. En fait, loin de décou¬vrir du nouveau, il entreprenait, par l'ouest, unretour à ses propres origines orientales.

Pendant les années qui ont suivi le choc dela découverte, les chroniqueurs et les compa¬gnons des conquistadors se sont employés àvérifier l'existence de ces mythes à travers leursavatars américains. «Les Espagnols, écritClaude Lévi-Strauss, ne sont pas tant allésacquérir des connaissances nouvelles quevérifier d'anciennes légendes: les prophéties del'Ancien Testament, les mythes gréco-latinscomme l'Atlantide et les Amazones... les

légendes médiévales comme le royaume duPrêtre Jean... et la Fontaine de Jouvence.»

Mieux encore: en s'intégrant à l'imaginaire

12

de l'Occident, l'Amérique allait devenir un«nouveau vivier d'images», pour reprendrel'heureuse métaphore du poète cubain JoséLezama Lima.

L'imagination aidant, s'amorce en Amé¬rique un véritable processus d'association, dereconnaissance et de différenciation qui permetaux chroniqueurs de l'époque de transposer leroman de chevalerie dans le paysage américain,tout en renvoyant pour sa faune et sa flore auxvieux bestiaires, fabliers et herbiers merveilleux

du Moyen Age. Grâce à l'imagination, on peutfaire des rapprochements entre ce que l'onconnaît et ce que l'on n'a encore jamais vu.«Innombrables et éternelles sont les Amériquesde l'imaginaire» observe Arturo Uslar Pietri àpropos du mythe de l'Eldorado.

C'est ainsi qu'en découvrant avec HernánCortés la blanche capitale de l'empire aztèquesur le lac enchanteur de Tenochtitlán, BernaiDiaz del Castillo croit «voir les merveilles

d'Amadis de Gaule», tandis que GonzaloFernández de Oviedo affirme que les Antillesoù a débarqué Colomb sont les îles Hespéridesque l'Antiquité classique place au bord occi¬dental de la Terre, à quarante jours de naviga¬tion des îles Gorgones (identifiées aux îles duCap-Vert), le sanctuaire de l'âge d'or des ori¬gines de l'humanité.

S'il y a eu transposition des cosmogonieseuropéennes sur les terres américaines, ce n'estpas seulement parce qu'il fallait expliquer auplus vite les nouveautés auxquelles on y étaitconfronté, mais aussi à cause de la charge sym¬bolique des prophéties et des pressentimentsqui ont poussé l'Occident à tourner ses regardsvers les espaces inconnus qui s'étendaient del'autre côté des colonnes d'Hercule, le non plusultra de l'empire romain que bornait le détroitde Gibraltar.

Autres peuples, autres mondes

En effet, des indices de l'existence d'une «qua¬trième partie du monde», s'ajoutant aux troisrégions connues depuis l'Antiquité (l'Europe,l'Asie et l'Afrique), sont décelables près dedeux mille ans avant la découverte de l'Amé¬

rique dans l'Egypte pharaonique, qui situaitle séjour de l'au-delà au pays du soleil cou¬chant, comme dans les légendes et les récits devoyage des chroniqueurs, navigateurs et poètesdu Moyen Age, ou les spéculations des carto¬graphes et des astronomes. Colomb lui-mêmeles reprendra dans son Livre des prophéties,daté de 1501, et où il pense avoir découvertcette fameuse quatrième partie du monde, lelieu du Paradis terrestre tant cherché par lespremiers pères de l'Eglise.

Un des premiers textes à faire allusion à desterres peuplées d'êtres «différents» est lePhédon de Platon: «Je suis convaincu, affirmel'auteur de La République, que le monde esttrès vaste et que nous n'en occupons qu'unepetite partie. Nul doute qu'il y a, à la surface dela Terre, bien d'autres peuples dans des contrées

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Le royaume mythique duPrêtre Jean, que les

géographes de laRenaissance assimilaient à

l'Ethiopie. Détail d'une cartede la Méditerranée (1563).

FERNANDO AINSA,

écrivain uruguayen, est l'auteurde nombreux essais et romans,

dont Identidad cultural de

Iberoamérica en su narrativa

(1986, L'Identité culturelle del'Amérique latine dans son

écriture), Necesidad de la utopía(1990, Nécessité de l'utopie) et

Historia, utopía y ficción de laciudad de los Césares (1992, LaRépublique des Césars, histoire,

utopie et fiction). Il est

actuellement responsable de laCollection des auvres

représentatives de I'Unesco.

semblables aux nôtres.» Et dans les dialoguesde Timée et Critias, il parle d'une île «plusgrande que la Libye et l'Asie réunies» (l'Atlan¬tide), qui se trouve au-delà de la Méditerranéeet dont on a conservé la trace depuis les tempsde Solon. Là vivait un peuple puissant quin'avait de cesse que d'étendre son empire,jusqu'à ce qu'il fût vaincu par Athènes. Biendes années après cette défaite, l'île de l'Atlan¬tide disparut, subitement engloutie par la mer.C'est pourquoi, précise Platon, l'océandemeure impénétrable et inexploré, les limonslaissés à faible profondeur par l'île engloutie yinterdisant la navigation. Ce vieux mytheoublié resurgira au 16e siècle avec la découvertedu Nouveau Monde, quand Pedro Sarmientode Gamboa, dans son Histoire des Incas, invo¬

quera force arguments pour affirmer quel'empire du Pérou n'était autre que la civilisa¬tion de l'Atlantide, qui avait survécu dans leshauteurs andines grâce à quelque cataclysmesismique demeuré ignoré jusqu'à la découvertede l'Amérique.

D'autres pressentiments de l'existence ducontinent américain se veulent historiques,quand ils relèvent surtout de la mythologie. Lepoète grec Hésiode conte ainsi, dans Les Tra¬vaux et les jours, qu'une «race divine de hérosque l'on nomme demi-dieux a été établie parZeus aux confins de la Terre où ils habitent le

c$ur libre et sans souci» dans des îles où «le sol

fécond porte trois fois l'an une florissante etdouce récolte». D'autres textes classiques évo¬quent ces îles au climat idéal, véritables arché¬types du paradis: ce sont les îles Fortunées, lesHespérides où poussent les «pommes d'or» dela légende et de la poésie. Parfois, ce sont desîles immenses, aux dimensions d'un continent:le Brésil ou Antilia.

Dans ses Épodes, le poète Horace propose

aux vrais patriotes de quitter Rome, en proieaux querelles intestines et aux guerres civiles. Sil'âge d'or est révolu dans un empire romainpromis à l'âge de fer, alors la nouvelle patriedoit être édifiée en d'autre lieux, là où persistel'innocence première. Les terres réservées par leCréateur, depuis l'origine du monde, au«peuple pieux» dont parle Horace, ne peuventêtre que celles du continent américain, dirontplus tard essayistes et philosophes.

La prophétie s'accomplit

La tradition gréco-latine attribue aux Phéni¬ciens les premières explorations de l'Atlantique,à partir du comptoir qu'ils avaient fondé àGadès (aujourd'hui Cadix). Dans sa Biblio¬thèque historique, où s'entremêlent affabula¬tions et authentiques récits de voyage, Diodorede Sicile parle des Phéniciens comme desdécouvreurs d'un monde «dont on dirait qu'ilest plutôt la demeure des dieux que deshommes».

L'historiographie arabe fait également allu¬sion à cette présence phénicienne dans l'Atlan¬tique. Le géographe El Idrissi parle ainsi de sixgrandes statues érigées par les marchands deSidon et Gadès en des points stratégiques desarchipels des Açores et des Canaries. Toutespointent vers une destination inconnue à l'ouesten y invitant à de nouvelles explorations.

Ces légendes prophétiques sont reprises àpropos de Carthage, l'héritière de la civilisationphénicienne. La plus extraordinaire raconte queles Carthaginois avaient prévu, en cas de guerre,d'évacuer la population de la cité punique versune île de l'océan, où selon Diodore de

Sicile - elle trouverait asile si Carthage essuyaitune défaite.

Le Mirabilis Auscultationes, le livre des mer¬

veilles attribué à Aristote, relate un prodigieuxvoyage de marchands vers les terres du cou¬chant: «Il est dit que dans la mer qui s'étend au-delà des colonnes d'Hercule, les Carthaginoisdécouvrirent une île, aujourd'hui déserte, où lesforêts autant que les rivières navigables abon¬dent, et qui est embellie par toute sorte defruits, et que plusieurs jours de navigation sépa¬rent du continent.» On retrouve, ce qui estsignificatif, des descriptions analogues dansmaintes chroniques et relations de la décou¬verte du Nouveau Monde. Gonzalo Fernández

Oviedo, par exemple, parle de ces marchandsqui au fil de leurs périples trouvèrent une trèsriche et «grande île jamais vue auparavant etque personne n'habitait».

Montaigne évoque aussi la terre légendairetrouvée jadis par les Carthaginois dans son essaiDes cannibales, où il conte de façon allégoriqueque des navigateurs carthaginois, qui s'étaientaventurés au-delà du détroit de Gibraltar,

avaient rencontré une grande île fertile, cou¬verte de forêts et arrosée par de grandes et pro¬fondes rivières, loin de la terre ferme. Ils avaientémigré en cet endroit, avec femmes et enfants, 4 mséduits par la richesse et la fertilité des terres, et W

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14

s'étaient habitués à leur nouvelle vie au pointd'en oublier leurs origines européennes, ce quileur avait rendu le bonheur.

Mais aucun texte n'est plus prémonitoire dela découverte de l'Amérique que la fin de l'acteII de la Médée de Sénèquc, où le ch.urannonce que «dans un certain nombred'années, un temps viendra où l'océan ouvrirales barrières du monde et où l'on découvrira

une terre immense: Thétis révélera un nouveau

monde et Thulé ne sera plus alors la dernièredes terres».

Ecrit au premier siècle de notre ère, le textede Sénèque, bien que purement littéraire,confortera les thèses des cosmographes, descartographes et des navigateurs du bas MoyenAge et de la Renaissance. Ainsi, Strabon et lessavants du 15e siècle, dont le Florentin Tosca-nelli et l'Allemand Benhaim, affirment avoir

tenu compte des vaticinations du ch deMédée dans l'élaboration de leurs projets géo¬graphiques de navigation vers le ponant.

La prophétie poétique de Sénèque devaitavoir d'importantes conséquences politiques.En effet, si Colomb mourut presque oublié, sanotoriété réduite au souvenir d'un navigateurqui était tombé par hasard sur un monde nou¬veau en faisant route vers l'ouest, c'est grâce aupressentiment de Sénèque qu'il put recouvrer lemérite de sa découverte. Son fils, Hernando,

écrira en effet dans la marge de son exemplairede Médée: «Cette prophétie fut accomplie parmon père, l'amiral Christophe Colomb en l'an1492.»

Plus tard, des historiens tels que FranciscoLópez de Gomara, Gonzalo Fernández deOviedo, Bartolomé de las Casas et Hernando

Colomb lui-même ont cherché parmi lesAnciens les auteurs dont les pressentiments litté¬raires ou vaguement scientifiques préfiguraientl'existence d'une «quatrième partie du monde».Tout devait tendre à prouver que Colomb avaitbien eu ce «pressentiment» de l'Amérique.Aristote, Strabon, Pline, Solin, Marco Polo,Averroës, John de Mandeville, Isidore deSeville des auteurs que le découvreur del'Amérique avait lui-même pris soin de citerdans son Livre des prophéties en 1501.

Ces prophéties et ces pressentiments onttant et si bien hanté l'imaginaire européen quel'on est en droit de se demander, avec l'essayistemexicain Alfonso Reyes, si l'Amérique ne futpas «une région désirée avant d'être trouvée»,car «déjà recherchée dans toutes les directions,elle est d'abord un pressentiment à la foisscientifique et poétique avant de devenir un faitvérifié». La découverte de l'Amérique ne seraitdonc pas le fruit du hasard. Tant de mythes etde légendes ont accompagné Colomb dans sonvoyage vers l'ouest, qu'elle ne peut être que lerésultat d'une sorte de fatalité historique, dontColomb aurait simplement permis la cristallisa¬tion. «L'Europe découvre l'Amérique parcequ'elle en a besoin» a ainsi pu écrire le philo¬sophe Leopoldo Zea. O

Une nouvelleimage du monde

Par Wilcomb E. Washburn

%

La cartographie de l'époque des

grandes découvertes témoigne del'évolution décisive, survenue en

quelques années, dans la perception

globale de la planète.

A gauche,mappemonde du 12°-13"

siècle avec, au haut,Adam et Eve au Paradis.

A droite,carte du monde du

premier atlas universel,le Theatrum orbis

terrarum du

cosmographe flamandOrtelius (1570).

UN simple regard sur les deux cartes ci-contre révèle les changements remar¬quables survenus dans la représentation

cartographique de la surface de la Terre pen¬dant ce qu'on a appelé «l'âge des grandesdécouvertes». Ces deux cartes sont de source

européenne et peuvent donc être qualifiéesd'«eurocentriques». Mais elles sont l'expressionde deux conceptions du monde diamétralementopposées, l'une reflétant la pensée médiévale,l'autre celle de la Renaissance.

La première est le fruit d'une Europe ayantépousé les idéaux de la chrétienté, une visionintérieure de la nature corrompue de l'homme.La carte de la Renaissance est l' d'une

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Europe grisée par la possibilité d'échanger cesombre destin contre un avenir prometteurs'inscrivant moins dans le temps que dansl'espace, et contrôlé par l'homme plutôt quepar Dieu.

Il est vrai que les Européens qui cherchè¬rent, comme Christophe Colomb, à s'enfoncerdans l'inconnu se réclamèrent souvent d'un

idéal chrétien. Mais il y eut inévitablementmélange de motifs pieux et profanes. Chris¬tophe Colomb n'oublia jamais que son prénomsignifiait «qui porte le Christ»; mais la fortunequ'il espérait retirer (pour ses souverains etpour lui-même) de sa grande entreprise devaitêtre largement fondée sur le commerce.

Dans la partie orientale des cartes médié¬vales de type T-O ainsi désignées d'aprèsleur forme générale, évoquant un T inscrit dansun O se trouvait situé le Paradis chrétien.

Les masses continentales stylisées de l'Asie, del'Afrique et de l'Europe étaient groupéesautour du centre de la carte, où était placéeJérusalem. La Méditerranée séparait l'Europede l'Afrique, et une bordure d'eau un océancircumjacent entourait les trois continentsqui constituaient Yoikoumenê ou orbis ter-rarum, c'est-à-dire le monde habité tel qu'ilétait connu des Européens.

Bien que quelques personnalités ecclésias¬tiques et beaucoup de gens du commun aient

cru la Terre aussi plate qu'elle semble être, sasphéricité était largement admise chez les gensinstruits. La forme circulaire des cartes de typeT-O peut représenter aussi bien un globe qu'undisque plat, et on peut très bien imaginer quel'étroite bordure océanique encerclant Yoikou¬menê s'étend sur la face cachée du globe.

Une voie maritime vers l'Asie

L'hypothèse ayant conduit Colomb à affirmerque l'on pouvait gagner l'est en naviguant versl'ouest était naturellement fondée sur la sphéri¬cité de la Terre. Pour qu'un tel voyage parûtréalisable, il fallait supposer que la distanceséparant les côtes occidentales de l'Europe desrives orientales de l'Asie était en fait relative¬

ment courte. Des auteurs classiques tels queSénèque avaient prévu que l'Atlantique seraitun jour traversé et que Thulé (l'Islande) cesse¬rait de marquer les confins du monde européen.L'érudit florentin du 15e siècle, Paolo Tosca-nelli, encourageait le roi Jean II du Portugalaussi bien que Colomb à tenter la traversée del'Atlantique pour aller en Asie, parce qu'ilcroyait que cela pourrait ne prendre quequelques jours. Convaincu par ses arguments etpar d'autres «preuves», Colomb allait pendantdes années chercher à faire endosser son projetpar une succession de monarques européenssceptiques.

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Première carte marine

portugaise signée

(Jorge Aguiar) et datée(1492).

16

Pour combattre l'objection selon laquelle ilavait probablement sous-estimé la distance àparcourir pour rejoindre l'Asie par l'ouest,Colomb faisait valoir qu'il aurait la possibilitéde ravitailler son navire dans des îles connues

au large de l'Europe, par exemple les Canaries,ou des îles dont on présumait l'existencecomme Antilia, ou même des îles connues mais

non encore visitées par les Européens commeCipango (le Japon) sans compter la myriaded'îles signalées par Marco Polo dans l'océan ausud et à l'est de l'Inde. Quelques-unes d'entreelles, qu'il est permis de situer en Indonésie ouen d'autres régions des océans Pacifique ouIndien, auraient été peuplées, selon Polo, pardes indigènes nus. Ayant constaté la chose enAmérique, Christophe Colomb en conclut légi¬timement qu'il se trouvait dans les eaux del'Asie.

C'est au terme de son troisième voyage qu'ildéclara avoir découvert en Amérique du Sud un«nouveau» ou un «autre» monde. Ses convic¬

tions chrétiennes le conduisirent aussi à se

demander s'il n'y avait pas trouvé le siège duParadis terrestre le jardin de l'Eden et à

prétendre qu'au lieu d'être parfaitement rond,comme une boule, le globe terrestre présentaitune légère protubérance qu'il comparait autéton d'une femme de nature à rapprocher leParadis du Ciel, en accord avec les récits de

voyage tout imprégnés de théologie de l'époque.

A terres nouvelles, projectionsnouvelles

Un érudit français, l'abbé Raynal, a écrit dansson Histoire philosophique et politique des éta¬blissements et du commerce des Européens dansles deux Indes (1770) que nul événement n'a euautant d'intérêt pour l'humanité en général, etpour les habitants de l'Europe en particulier, quela découverte du Nouveau Monde et la liaison

avec l'Inde par le cap de Bonne-Espérance.L'aboutissement cartographique de ces deux

événements est illustré par la manière dontl'étroite bande marine entourant l'orbis ter-

rarum des cartes du Moyen Age explose, obli¬geant les cartographes à tout redessiner; cesderniers doivent alors adopter des projectionsnouvelles et de nouveaux tracés continentaux

mettant en relief l'existence de ce qu'on appelait

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de plus en plus couramment un «NouveauMonde», distinct et séparé de l'Ancien auquelon réduisait l'oikoumenê au Moyen Age. Denombreux mythes furent rejetés, parmi lesquelsla croyance moyenâgeuse en une zone torrideéquatoriale impossible à traverser.

La carte qui marque le mieux la transitionentre le passé médiéval et l'avenir annoncé par laRenaissance est la grande carte murale dessinéepar Fra Mauro à Venise en 1459, actuellementconservée à la bibliothèque nationale Marcianade cette ville. De copieuses légendes y sont por¬teuses d'informations et de spéculations sur lesrégions extérieures de Yorbis terrarum. On ynote l'absence de fermeture de l'océan Indien,trait caractéristique des mappemondes accom¬pagnant les éditions de la fin du 15e siècle de laGéographie, composée au premier siècle denotre ère par le savant grec Ptolémée. Déjàconnu des Arabes, ce texte fut traduit du grec enlatin en 1406. Des reproductions manuscrites etplus tard imprimées ne tardèrent pas à circuler àtravers l'Europe.

Le texte de Ptolémée, tel qu'il est parvenujusqu'à nous par diverses sources, laisseraitentendre que l'océan Indien était une merfermée; mais on peut tout aussi bien soutenir lecontraire. Il est significatif que les cartes arabesde l'époque, par exemple celle d'El Idrissi au12e siècle, et la carte de Fra Mauro datée de

1459, toutes deux compilées bien avant queDias ait doublé le cap de Bonne-Espérance,supposent pareillement un océan Indien ouvert

ouvert donc aux voyageurs d'Europe vou¬lant atteindre l'Orient.

Lorsque Bartolomeu Dias revint à Lisbonneaprès avoir contourné le cap de Bonne-Espé¬rance au cours de son voyage de 1487-1488,Christophe Colomb nourrissait encore l'espoirde convertir le roi Jean II à son projet et il seseraù-trouvé auprès de lui lorsque Dias lui fitpart de sa découverte que la route de l'Indeétait ouverte dans cette direction. Dès lors,

Colomb perdait l'espoir d'obtenir le soutien duPortugal à son projet de liaison par l'ouest. Illui faudrait s'adresser à un autre monarque.

Le résultat concret du voyage de Barto¬lomeu Dias, qui vient couronner l'incessant va-et-vient de vaisseaux portugais de plus en plusau sud sur la côte africaine, peut être notam¬ment apprécié sur la carte de Henricus Mar-tellus Germanus, un Allemand travaillant à Flo¬

rence. Cette carte, qui date d'environ 1489,traduit pour la partie africaine l'expérience réel¬lement acquise par les navigateurs portugais.Plus à l'est, elle reflète l'idée qu'on pouvait sefaire de l'Asie d'après les atlas ptoléméens du15e siècle. La longue avancée de la Chersonesed'Or sur ces derniers représente la péninsulemalaise, celle-là même que Christophe Colombtentait de contourner lors de son dernier

voyage, à l'instar de Marco Polo.La meilleure image du monde vu par un

Européen à la veille du premier voyage deChristophe Colomb est peut-être donnée par le

globe de Martin Behaim en 1492. Originaire deNuremberg, Behaim passa une grande partie desa vie au Portugal et y fut en relation avec laCour, apparemment pour promouvoir ou éva¬luer des projets d'exploration et de découverte.Son globe permet de comprendre pourquoiColomb a cru qu'il pourrait traverser la merocéane en faisant escale sur sa route aux îles

d'Antilia et de Cipango (Japon).

«Les PREMIERES

CARTES vraies»

La cartographie scientifique et ses progrèsrapides au cours de cette période procèdentconjointement de l' théorique desanciens Grecs comme Ptolémée, du développe¬ment des portulans à l'usage des marins deMéditerranée et de l'évolution d'instruments

scientifiques tels que la boussole, le quadrant,l'astrolabe et les appareils à mesurer temps. Latransmission à l'Europe médiévale des connais¬sances théoriques et pratiques acquises par lesanciens Grecs en la matière s'opéra par la récu¬pération de la Géographie de Ptolémée.L' de Ptolémée avait deux particula¬

rités: en premier lieu, elle contenait des instruc¬tions précises en vue de projeter avec exactitudela surface courbe de la Terre sur une surface

plane, et, en second lieu, elle proposait un cadreconceptuel qui permettait de représenter toutpoint du globe par l'intersection de deux coor¬données géographiques. A cet effet, la surfacede la Terre y était divisée en 360 degrés de lon¬gitude et de latitude selon une technique déjàimaginée par les devanciers de Ptolémée. Par

Copie du 13° siècle d'une

mappemonde de 1154 du

cartographe arabe El Idrissi.Selon une convention de

l'époque, le sud est au hautde la carte. A gauche,

l'océan Indien, ouvert versl'Orient.

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Jan Jansson, Miroir de la

navigation, gravure

aquarellée du 17" sièclereprésentant les marinshollandais penchés sur leurscartes et leurs instruments.

Habiles navigateurs, ilsmettront fin à l'hégémonie

maritime ibérique.

18

WILCOMB E. WASHBURN,

des Etats-Unis, dirige leProgramme d'étudesaméricaines de la Smithsonian

Institution à Washington, DC.Eminent spécialiste de l'histoireet de la culture des Indiens

américains, il a publié de

nombreux ouvrages, dont The

Indian in America (1975,L'Indien en Amérique) et, encollaboration, The American

Heritage History of the IndianWars (1977, Histoire américaine

des guerres indiennes). On luidoit aussi plusieurs études surl'histoire de la Découverte.

ailleurs, la Géographie se résumait pour l'essen¬tiel à une compilation des coordonnées géogra¬phiques associées aux différents lieux de la sur¬face de la Terre.

Les plus anciens portulans ou cartesmarines, salués par Charles Raymond Beazleycomme «les premières cartes vraies», datent dela fin du 13e siècle et sont contemporains descartes médiévales du type T-O, ainsi que desmappemondes d'inspiration religieuse tellesque la célèbre carte du monde de la cathédraled'Hereford d'environ 1290. Une forme nou¬

velle, fruit de l'expérience directe des marinsméditerranéens, se développe de façon continuependant les trois siècles qui suivent. La merMéditerranée est au centre de presque tous cesportulans, bien qu'on y intègre de plus en plusles côtes atlantiques de l'Europe et de l'Afrique,ainsi que les îles qui leur sont immédiatementadjacentes.

Etant donné l'utilisation pratique qu'on enfaisait, les portulans étaient courammentaccompagnés d'une échelle des distances etd'un réseau de lignes de rhumb figurant lesorientations ou routes à suivre. L'importancemajeure de la navigation côtière, de promon¬toire en promontoire et de port à port, apparaîtà l'évidence dans le soin avec lequel sontdécrites les régions côtières, l'intérieur desterres étant laissé normalement en blanc.

L'association de la carte marine et des cartes

graduées de Ptolémée est réalisée pour la pre¬mière fois dans une carte portugaise anonymedatant d'environ 1500, la première à comporterune échelle des latitudes.

Quand des marins tels que Colomb eurentbrisé les chaînes de la mer océane (commel'avait prédit Sénèque), les portulans firent

place à de vastes mappemondes associant deplus en plus les méridiens et parallèles héritésdes Grecs à travers Ptolémée, ainsi que les loca¬lisations exactes rendues possibles par l'obser¬vation astronomique du Soleil et des étoiles aumoyen de l'astrolabe et les calculs de l'heurepar les éclipses de la Lune. L'invention del'imprimerie permit aux tables astronomiques,comme celles de YAlmanach perpétueld'Abraham Zacuto (1496) qui donne la hauteurdu Soleil aux différents lieux et heures, d'être

plus largement diffusées que lorsqu'elles étaientmanuscrites.

Christophe Colomb, Dias et nombred'explorateurs de la première vague ontcommis de graves erreurs dans le calcul des lati¬tudes dans les mers occidentales et celles du

sud. Plus exacts (mais encore imparfaits) étaientles chiffres fournis par les savants de l'époque,comme le Mestre Jose Vizinho, un astronomejuif qui siégea à la commission portugaise ayantrepoussé les propositions de Colomb en 1485.Le calcul de la longitude posait un problèmeplus difficile encore, qui n'a été véritablementrésolu qu'après l'invention du chronomètre (ouhorloge de marine) en 1761 par John Harrison,en réponse à l'annonce par le parlement britan¬nique, en 1714, d'un prix destiné à récompenserla découverte d'un moyen pratique de faire lepoint à la mer. Jusque-là l'estimation du pointde longitude se faisait largement à l'aveuglette,par évaluation subjective de la vitesse et de ladistance parcourue. Il ne faut donc pass'étonner si les premières cartes reflètent cesinsuffisances.

Néanmoins, plusieurs cartes témoignentdéjà de la précision croissante de la vision dumonde: ce sont notamment la mappemonded'Abraham Ortelius (1570) dans la premièreédition de son Theatrum orbis terrarum (lepremier atlas moderne), celle de Gerhard Mer-cator dans son atlas de 1595, paru après samort, et le Novissima ac exactissima totius

orbis terrarum de Jodocus Hondius, publié en1634 à Amsterdam.

La prépondérance croissante de l'explora¬tion et de la colonisation anglaise, hollandaise etfrançaise à la fin du 16e et au début du 17e siècle,face aux prétentions espagnoles et portugaisesdans les deux hémisphères occidental etoriental, ainsi que la diffusion par les carto¬graphes de l'Europe du Nord de cartes impri¬mées plutôt que manuscrites, entraîneront ledéplacement de cette profession vers l'Europeseptentrionale et contribueront à une plusgrande précision dans la représentation de lasurface de la Terre.

Ce n'est pourtant pas avant le 18e siècle, à lasuite notamment des voyages du capitaineCook dans le Pacifique et de l'emploi du chro¬nomètre, que la forme de la Terre en son entier

y compris les bassins du Pacifique et del'Atlantique commencera à revêtir la préci¬sion cartographique qui nous est aujourd'huifamilière. O

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Des étrangersau service

de l'Espagne

Par Juan GilCU

L'accueil qu'elle réserva aux

cosmographes et aux navigateurs

étrangers est l'un des plus beaux

titres de gloire de l'Espagne

de la Renaissance.

ENTRE la fin du 15e siècle et le début du

16e, l'Espagne regorge d'illustres étran¬gers; certains ne font qu'y passer, mais

d'autres finissent par s'y établir pour de bon. Etc'est souvent leur pays hôte qui recueille lesfruits qu'ils n'eussent sans doute pas pu donnerdans leur mère patrie.

La présence d'étrangers peut parfois signalerdes défaillances, et contribuer, comme ce fut lecas pour l'Espagne, à les mettre en évidence. Ala fin du Moyen Age, ce pays dévoile deslacunes et des faiblesses qui contredisent sesbrillantes réalisations, et s'inscrivent dans cettealternance de zones d'ombre et de lumière si

caractéristique de son histoire. Il paraît incon¬cevable que la Castille qui a pu donner unenuvre littéraire aussi consommée que LaCelestina de Fernando de Rojas puisse man¬quer d'humanistes; et pourtant, nobles et roisvont chercher en Italie les latinistes qui instrui¬sent leurs enfants. C'est en.cette qualité queviennent en Espagne des érudits comme PedroMártir de Anglería, Lucio Marineo Sículo, lesfrères Geraldini et tant d'autres, tandis

qu'Antonio de Nebrija et Rodrigo de Santaelladoivent aller parfaire leur éducation à Bologne,dans le collège qu'y a fondé le cardinal espagnolAlbornoz. De la même manière, la plupart desimprimeurs sont originaires d'Allemagne, ainsi

les Comberger à Seville, qui perpétueront leurtradition familiale dans le Nouveau Monde en

fondant au Mexique, au début du 16e siècle, lapremière imprimerie des Indes occidentales.

Dans nombre de cas, ces carences sont mani¬

festes, et il est logique que l'Espagne doive, pourles pallier, se tourner vers l'étranger. Mais end'autres occasions, alors qu'un tel choix neparaît guère s'imposer, l'étranger est reçu etaccepté avec une promptitude qui ne laisse pasde surprendre nos contemporains lesquels semontrent, eux, plutôt casaniers et frileux, alorsqu'ils vivent dans un monde plus cosmopolite.L'Espagne était alors peut-être plus souple etouverte qu'aujourd'hui. Nous ne manquionscertes pas de généraux au 16e siècle: et pourtantle connétable de Bourbon fut nommé de but en

blanc capitaine-général des armées qui prirentRome en 1527, et où combattaient côte à côtedes soldats allemands, espagnols et italiens.Quelques dizaines d'années plus tard, ce sera autour d'un homme de guerre génois, Spihola, des'illustrer en Flandre.

Une ouverture

exceptionnelle

L'un des phénomènes les plus marquants de lagrande époque des découvertes espagnoles estprécisément le nombre des étrangers qui y ont

La réception de

Christophe Colomb parIsabelle et Ferdinand le

Catholique (I860), Puvredu peintre d'histoire françaisEugène Devéria.

19

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20

* Chambre de commerce

de Seville. Fondée en 1503,elle organise le départ desflottes vers le Nouveau

Monde, perçoit l'impôt sur lesmarchandises et forme les

pilotes. Aujourd'hui, sesbâtiments abritent les

Archives des Indes. (N.D.L.R.)

pris une part décisive. La liste en est réellementimpressionnante: le premier amiral des Indes",Christophe Colomb (1451-1506), était génois.Et c'est du Portugal qu'était originaire Magellan(1480-1521), qui découvrit le détroit du mêmenom et ouvrit l'accès de la «mer du Sud», cet

océan que l'on appelle à tort Pacifique. Etran¬gers aussi étaient les trois grands pilotes de laCasa de la Contratación''1" : Amerigo Vespucci(1454-1512), connu en Espagne sous le nomd'Américo Vespucio, est un Florentin naturalisécastillan; Juan Díaz de Solis (mort en 1516) estun Portugais; Sébastien Cabot (1476-1557) estun Anglais de père vénitien.

L'Espagne manquait-elle de bons naviga¬teurs et de cosmographes réputés? Certes non.Vincentiáñez Pinzón était aussi bon marin queSolis, et en avait fait la preuve en 1492, ainsiqu'en 1499 lorsqu'il découvrit l'embouchure de

Vasco de Gama (à gauche)

et Bartolomeu Dias (àdroite), huiles sur toile

réalisées en 1969 par JoséDias Sanches pour le muséede la Marine à Lisbonne.

l'Amazone ou en 1508 lorsqu'il longea la côtecentraméricaine du Honduras au Yucatán. Juande la Cosa était aussi habile cosmographe qu'unAmérico Vespucio. Et pourtant, c'est un fait, onleur a préféré des concurrents venus d'ailleurs.

Il est certain que dans ces choix ont pu peserd'autres considérations que les qualités intrin¬sèques de chacun. Et en tout premier lieu,l'orgueil et l'ambition: Vicentiáñez Pinzón etJuan de la Cosa ont eu le tort d'aspirer tousdeux à une charge de gouverneur des Indes. Apu compter aussi le prestige d'un pays, commedans le cas d'Américo Vespucio, auréolé del'éclat incomparable de Florence à la Renais¬sance. L'élégance du verbe et la distinction del'allure ont peut-être joué en faveur de Cabot lebien nommé, un affabulateur qui se prétendaitdirectement inspiré par la puissance divine. Il sepeut aussi que les souverains ou leurs

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conseillers aient eu la main heureuse en

accordant leur faveur à un étranger, et ils eurentincontestablement mille fois raison d'accueillir

un Colomb ou un Magellan. Ce n'est pas envain que les ambassadeurs de l'époque souli¬gnent la sagesse avec laquelle les Rois catho¬liques surent choisir leurs collaborateurs.

Cette largeur de vues, cette ouverture àl'extérieur est à mon sens l'un des plus beauxtitres de gloire de l'Espagne de la Renaissance.De nos jours, il est quasiment inconcevablequ'un Italien puisse y devenir ministre, alorsque Colomb en son temps n'accéda pas seule¬ment au rang d'amiral, mais aussi à celui device-roi des Indes. Récemment encore, on exi¬

geait de tous les professeurs d'université qu'ilseussent la nationalité espagnole, comme si dansnos amphithéâtres s'échangeaient des secrets dela plus haute importance qui ne devaient enaucune façon transpirer au-dehors. Il y a 500ans, un Portugais tel que Barbosa pouvaitenseigner à Salamanque sans se heurter à uneadministration tatillonne, alors qu'il appartenaiten théorie à une puissance rivale.

Tous ces étrangers qui viennent en Espagneet s'y établissent ont en commun le désir de

Sebastien Cabot,illustration d'un livre de

navigation du 19* siècle.

s'intégrer à la société de leur temps. Leur pre¬mier souci est de franchir la frontière linguis¬tique, un obstacle que tous les découvreurs sur¬monteront avec succès, bien qu'ils conserventune pointe d'accent et des tournures de phrasesparticulières. Mais la langue fraîchementacquise les imprègne profondément: dans leslettres qu'adresse Américo Vespucio en toscanà un Medicis, se glissent nombre d'hispanismesattestant un degré d'acculturation avancé.Colomb acquiert une excellente maîtrise ducastillan, et ne fera plus guère usage de l'italien,sauf dans une apostille célèbre gribouillée dansla marge de son exemplaire des euvres dePline.

Séduits par l'Espagne

Pour être bien reçu, il convenait aussi quel'étranger épousât une fille du pays, ce quepresque tous les découvreurs susmentionnés nemanquèrent pas de faire même s'ils seregroupaient par nationalités, formant de véri¬tables clans , à l'exception notable deColomb, qui n'épousa pas sa maîtresse cor-douane, Béatrice Enriquez Harana, sans doutepour ne pas compromettre ses chances à laCour. Curieusement, lui, le plus austère detous, fut le seul à connaître une brillante posté¬rité. Vespucio et Cabot ne laisseront pas de des¬cendance, l'épouse de Magellan meurt encouches en même temps que son nouveau-né,tandis que Magellan lui-même succombe, qua¬siment au même moment, sur l'île philippine deMactán. Et on ne sait rien du sort de Cristus de

Solis, le fils de Juan Díaz.L'essentiel, pourtant, est que ces étrangers fini¬

ront presque tous, tôt ou tard, par se reconnaîtredans les valeurs de l'Espagne, qui différaient àbien des égards de celles que l'on professait àl'époque dans les autres pays d'Europe.

Colomb lui-même en est un excellent

exemple. Cristoforo Colombo le génoisdeviendra, à l'âge adulte, Christophe Colomb, 21

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22

un Espagnol: et c'est ainsi qu'un homme portésur le commerce, taciturne et bougon, ladre àl'occasion, mais obstiné et intraitable dans ladéfense de ses droits, rêveur impénitent, finitpar adopter la mentalité des Espagnols au pointde se vouloir semblable à eux et rivaliser avec

leurs héros.

C'est sous cette apparence «castillanisée»qu'il plut à l'amiral de la mer Océane d'affronterl'un des moments les plus tragiques de son exis¬tence, lorsqu'il fut déchu de son titre de vice-roien 1500. Humilié par les franciscains, dépossédéde ses pouvoirs, Colomb écrira à Doña Juana dela Torre, la gouvernante du prince Don Juan deCastille, non pas pour réclamer qu'on lui rendeses millions de ducats, mais pour supplier qu'onle «rétablisse dans son honneur» phrasemagnifique de grandeur, digne d'un Calderón dela Barca.

Quelques paragraphes plus loin, le grandnavigateur va jusqu'à se renier et se vante, lui sipeu porté sur les armes, de ses hauts faits guer¬riers: «Je dois être jugé comme un capitaine quipartit d'Espagne pour conquérir jusqu'auxIndes des peuples belliqueux et nombreux, auxcoutumes et aux croyances très contraires, oùpar la volonté divine j'ai placé sous le gouverne¬ment de leurs altesses, le roi et la reine, un autremonde.» Colomb voulut donc passer à la pos¬térité non pas comme amiral, ni même commedécouvreur, mais comme le conquérant deterres infinies, où il aurait subjugué des popula¬tions féroces et turbulentes. Assertion d'autant

plus incongrue si l'on considère que cesterrifiants ennemis n'étaient autres que lesaimables et paisibles Tainos, ces Indiens qu'ilenverra enchaînés aux souverains espagnols,troublant de cette cargaisons humaine laconscience d'Isabelle de Castille.

Magellan, un autre navigateur étranger, fut luiaussi séduit par l'Espagne. A peine était-il arrivéà Seville, qu'il priait Charles Ier de l'admettre dansl'ordre militaire de Santiago, ce qu'il obtintpresque aussitôt. Cette requête est peut-être plusrévélatrice encore que chez Colomb de son désird'appartenir à la noblesse espagnole.

Après 1492, l'Espagne eut à relever les verti¬gineux défis que lui imposaient la conquête et lacolonisation de territoires situées à une distance

inouïe, ce qu'elle fit tant bien que mal. Maisavant d'être emportée dans ce tourbillon, etmême après, elle sut accueillir en son sein ungrand nombre d'étrangers qui contribuèrentsensiblement à sa gloire; des étrangers auxquelselle accorda une considération sociale que leuravait refusé leur première patrie. Jamais Cabotne recevra en Angleterre l'accueil chaleureuxque réserva l'Espagne à Colomb. Telle est laleçon que nous donne l'histoire, une leçond'actualité dans une époque telle que la nôtre,où surgissent d'inquiétantes tendances à laxénophobie. L'Espagne eut jadis la grandeur derecevoir un Colomb et un Magellan. Maisserait-elle la même aujourd'hui si elle ne l'avaitpas fait? Bien évidemment, non. O

JUAN GIL,

philosophe espagnol, s'intéressetout particulièrement à ladécouverte de l'Amérique, sujet

auquel il a consacré denombreuses conférences, en

Europe comme aux Etats-Unis,

ainsi que divers ouvrages, dontMitos y utopías del

descubrimiento (1989, Mytheset utopies de la Découverte), El

Libro de Marco Polo anotado porColón (rééd. en 1989, Le Livre

de Marco Polo annoté par

Colomb) et Hidalgos y samurais

(1991, Hidalgos et samouraïs).

iffllMB

Page 23: Redécouvrir 1492; The UNESCO courier: a window open on the

F h.

La quête de l'autrePar José Augusto Seabra

r<u

C'est à la recherche de l'homme universel que

navigateurs portugais et espagnols ont sillonné les merset arpenté des terres inconnues.

Ci-contre, la Pierre du Soleil,

gigantesque monument(3,35 mètres de haut, 24tonnes) appelé aussi leCalendrier aztèque (Mexico,

début du 16° siècle).

Ci-dessus, Cortés sauvé de

la noyade par un Indien,codex Azcatitlán, manuscrit

aquarelle sur parchemin (fin

du 16' siècle).

ALORS que notre monde est devenu plané¬taire, et s'élance déjà vers l'espace inter¬planétaire, nous avons encore du mal à

saisir, non sans un certain vertige, toute la portéede la grande translation historique accomplie parceux qui, au dire de Camoëns dans Les Lusiades,ont donné «de nouveaux mondes au monde» en

s'aventurant, voici plus de cinq siècles, au-delàdes océans, vers d'autres continents, d'autrespeuples, d'autres civilisations.

Que l'on parle de découverte ou de ren¬contre, selon la perception que l'on a de l'évé¬nement, c'est bien d'un mouvement de quête,de recherche d'une connaissance ou d'une re¬

connaissance de l'autre qu'il s'agit. Mouvementdouble, dans ses effets anthropologiques et

culturels, même s'il est parti de l'Europe, poury revenir enrichi de nouvelles valeurs et denouveaux signes qui ont relativisé les croyanceset les mentalités du Vieux Monde.

On peut suivre les débats, plus ou moinspolémiques, auxquels l'interprétation de ce for¬midable tournant donne toujours lieu. C'est lapreuve de son actualité. Le bilan historique, avecses lumières et ses ombres, est irréfutable: c'estbien à la recherche de l'homme universel que lesnavigateurs portugais et espagnols ont sillonnéles mers et arpenté les terres inconnues, même si,outre leur volonté d'évangélisation chrétienne,ils ont ont eu des motivations plus troubles etont été conduits à de terribles égarements.

Parmi les commentateurs récents, certainss'efforcent de classer les découvertes selon le

degré d'éloignement des civilisations qu'ellesmettent en contact. Ainsi, la découverte de

l'Amérique par Colomb serait, selon TzvetanTodorov, la seule où la «découverte de l'autre»pourrait être considérée comme totale. «Dans la"découverte" des autres continents et des autres

hommes, écrit-il, il n'y a pas vraiment ce senti¬ment d'étrangeté radicale: les Européens n'ontjamais tout à fait ignoré l'existence de l'Afrique,ou de l'Inde, ou de la Chine.»1

La quête de l'autre

Il est vrai, comme le signale l'historien portu¬gais Vitorino Magalhacs Godinho, que «dansles civilisations américaines indigènes ne figureaucun élément d'origine européenne et afri¬caine» et que «réciproquement, il n'y a pas lamoindre contribution américaine aux civilisa¬

tions de l'Europe ou du continent noir jusqu'au 23

Page 24: Redécouvrir 1492; The UNESCO courier: a window open on the

15e siècle.» Mais il remarque aussi qu'«il n'estpas possible de nier que les peuples amérindienset leurs manières de vivre aient été en relation, à

travers le Pacifique, avec les civilisationsextrême-orientales; il y eut très souvent descontacts, des migrations entre ces deux partiesdu monde; les biens culturels ont voyagéd'ailleurs dans le sens ouest-est.»2 En d'autres

termes, il n'y a peut-être pas de civilisationstout à fait isolées ou vierges, même si quelquesinsularités se manifestent, ici et là, dans l'espaceet dans le temps. L'élan vers l'altérité, qui sous-tend le mouvement des découvertes, a varié

cependant avec l'identité des peuples, c'est-à-dire des civilisations auxquelles ils appartien¬nent. La découverte de l'autre est donc peut-être, avant tout, une découverte, ou une

re-découverte, de soi-même. Pour paraphraserPaul Ricceur, il s'agit toujours d'une quête de«soi-même comme un autre».3

C'est ainsi que Claude Lévi-Strauss voitdans le «dualisme amérindien» l'explicationd'«une ouverture à l'autre qui se manifeste defaçon démonstrative lors des premiers contactsavec les Blancs, bien que ceux-ci fussent animésde dispositions très contraires».'1 D'une certainefaçon il inverse, on le voit, la perspective deTzvetan Todorov: la quête de l'autre serait lefait des indigènes, plus que des Espagnols. Etpourtant, Colomb écrivait en 1492, commen¬tant son exploit: «Ce que je veux, c'est voir etdécouvrir le plus que je pourrai...». Il fautcependant tenir compte, comme le note RégisDebray, du fait que le navigateur espagnols'inspirait des prophéties du Vieux Testamentpour fonder ses conquêtes: «Nous oublions unpeu trop que les "grandes découvertes" passè¬rent aux yeux des contemporains pour desretrouvailles avec une mémoire enfouie, unevérification des archives».5

Voilà autant d'interprétations de la «Ren¬contre de deux mondes» dont on célèbre cette

année l'éphéméride. Et elles en appellent encored'autres, si l'on considère l'existence de plu¬sieurs mondes, que les Espagnols et les Portu¬gais se partagèrent avec des arrière-penséesdiverses sous le regard du pape Alexandre VI.

Vers une civilisation

de l'universel

Tout en présentant d'évidentes affinités, lecomportement des Portugais et des Espagnols,tout au long de l'entreprise des découvertes, n'aété nullement semblable. Alors que ces derniersont eu toujours tendance à une affirmationexclusive de leur propre culture, les premiersont été plutôt sensibles au croisement inter¬culturel des civilisations, dont le métissage estpar excellence le témoin: que ce soit en Afrique,au Brésil ou en Asie, telle était la façon d'être aumonde des Portugais, dont la langue elle-même,de par sa souplesse, s'est multipliée en créoles,en «papiamentos», tout en devenant linguafranca aussi bien sur les deux rives de l'Atlan¬

tique que dans l'océan Indien et l'océanPacifique.

Comme le remarque, dans une synthèse par¬faite, Jaime Cortesao, le grand historien desdécouvertes portugaises, «en découvrant lesocéans, et la science qui permettrait de les tra¬verser, les Portugais ne se sont pas bornés àtrouver à la civilisation européenne le plus puis¬sant instrument de son hégémonie sur le globe;ils ont aussi ouvert le chemin de l'unification de

l'humanité». Enfin, «le premier pas était fait versla formation d'une civilisation universelle».6

Une civilisation universelle, ou la «civilisa¬

tion de l'universel», comme l'appelaient RenéMaheu et Leopold Sédar Senghor, telle fut lagrande quête «de l'autre dans le même», pour¬suivie par la découverte de «nouveaux mondes».Comme l'a rappelé Fernando Pessoa, la plusimportante des découvertes n'est autre que«l'idée de découverte». D

1 . Tzvetan Todorov, La

Conquête de l'Amérique - Laquestion de l'autre, Seuil, Paris1982.

2. Vitorino MagalhaesGodinho, Les Découvertes,XV' - XVI' s.: une évolution

des mentalités, Autrement,Paris, 1990.3. Paul Ric Soi-mêmecomme un autre, Seuil, Paris1991.

4. Claude Lévi-Strauss,Histoire de lynx, Pion, Paris1991.

5. Régis Debray, ChristopheColomb, le visiteur de l'aube,La Différence, Paris 1991.

6. Jaime Cortesao,L'expansion des Portugaisdans l'Histoire de la

Civilisation, ImprensaNacional, Lisbonne 1983.

JOSE AUGUSTO SEABRA,

poète et essayiste portugais, estprofesseur de théorie de lalittérature et de lettres

portugaises à l'Université dePorto. Ancien député et ministre,il est actuellement ambassadeur

de son pays auprès de I'Unesco.

Ce planisphère nautiquede Domingos Teixeira(1573) figure la ligneméridienne de partage dumonde du traité de

Tordesillas, qui attribue à lacouronne espagnole lesterres découvertes à l'ouest

des Açores et des îles duCap-Vert, l'autre côté

revenant au Portugal.

24

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Page 25: Redécouvrir 1492; The UNESCO courier: a window open on the

Premiers peuplements

Extraits de L'Etat

du monde en 1492,

ouvrage publié sousla direction de

Guy Martinière etde Consuelo Várela

aux éditions

La Découverte/Sociedad Estatal

para la ejecuciónde programas del

Quinto centenario,1992.

Texte © Tous droits réservés

De bas en haut,

dans le sens des aiguillesd'une montre:

monolithe en granit appelé«El Lanzón», culture chavin,

Ancash (Pérou, 1200-600av. J.-C).

Statuette anthropomorphe

en terre cuite, culture

tachina, fin de la période

chorrera (Equateur,

1800-500 av. J.-C).

Masque de jadéite olmèque(Mexique,

1500-100 av. J.-C).

Figurine en or formant lapartie supérieure d'un

récipient, culture quimbaya(Colombie,

200 av. - 500 apr. J.-C).

Le continent américain est

occupé par plusieurs milliers de

groupes indiens, s'exprimantgrâce à quelque 1500 à 2000langues, rassemblés en devastes aires culturelles réalisant

un savant dosage d'écosystèmeset de modes d'organisationsociale.

Comment pouvait-il en êtreautrement dans cette immense

étendue s'étirant du nord au sud

sur 16000 kilomètres, sur les

deux hémisphères de part etd'autre de l'équateur, soit une

distance presque égale au doublede celle de l'Extrême-Asie à

l'Europe atlantique réunies d'esten ouest (9000 kilomètres)?

Entre les peuples de

chasseurs-pêcheurs-collecteursdes étendues froides ou

tempérées situées aux deuxextrémités du continent, de

l'Alaska aux grandes plaines desEtats-Unis ou de la Terre de Feu à

la pampa argentine, il n'existait,évidemment, aucune relation

directe. Mais ces multiples

groupes familiaux indépendants etdispersés étaient en déplacementpermanent. Porteurs d'unerichesse spirituelle compensant

largement l'apparente simplicitéde leur culture matérielle, ils

étaient dotés d'une grandecréativité technologique qui leur apermis d'extraordinaires

performances dans l'exploitationd'écosystèmes fragiles.

D'évidence, cette immensité

de l'espace américain ne pouvaitêtre maîtrisée dans sa totalité.

Mais certaines distances,

pourtant considérables,apparaissaient bien contrôlées.Les migrations de tribus tupi-guarani ont permis à plusieursgroupes de franchir les milliers dekilomètres séparant le bassin du

Paraná-Paraguay et celui del'Amazonie. D'ailleurs, dans cet

immense continent, un

remarquable réseau de fleuves et

de lacs facilitait les migrations etles échanges: il constituait desvoies naturelles de

communication que le réseau

routier des grands empires n'afait que compléter. Or la maîtrisede l'espace dépendait d'abord del'importance du nombre des

hommes et de la dynamique de

leurs organisations sociales.L'Empire inca, à son apogée, nes'étendait-il pas sur 4000kilomètres du nord au sud, entre

le Pacifique et les Andes ?Entre 20 et 25 millions de

personnes composaient lapopulation du plateau centralmexicain, 10 à 12 millions celle

de l'Empire inca. Peut-être 6 à 8millions d'habitants vivaient-ils

dans la grande île des Caraïbes,la future Hispaniola (Haïti-Saint-

Domingue), sans doute 1,5million de Guarani occupaient-ils

le grand Paraguay... Soit uneAmérique indienne de 60 à 80millions d'habitants.

Guy Martinière25

Page 26: Redécouvrir 1492; The UNESCO courier: a window open on the

L'Empire aztèque en plein essor

kEn haut,

coiffures aztèques, fêtede Notre-Dame de

Guadalupe au Mexique.Ci-dessus,

serpent bicéphale

(détail) en mosaïque deturquoises, civilisationaztèque (1325-1521).

Ci-dessous,Allée des Morts et

Pyramide du Soleil,centre cérémoniel de

Teotihuacán, époqueclassique de la vallée de

Mexico (300-700).

Le fonds culturel de la vallée de

Mexico est issu des différents

peuples qui se sont succédé dans

cette région à partir des toutdébuts du préclassique inférieur,vers 1800 avant J.-C, jusqu'auxAztèques. Le premier signeimportant de développement futl'édification de la ville de

Teotihuacán, au nord-est de la

vallée, qui vit naître, dans les

premiers siècles de notre ère,

l'une des civilisations les plus

remarquables de Mésoamérique.Entre les années 200 et 100

avant J.-C, les habitants deTeotihuacán construisirent les

imposantes pyramides du Soleilet de la Lune. Autour de ces

édifices à la géométrie dépouillée,le long de l'axe de l'Allée des

Morts, furent bâtis un grandcentre cérémoniel et la plusgrande ville de la Mésoamériquede l'époque.

Les gens de Teotihuacánconnaissaient le calendrier, la

numération, et pratiquaient une

écriture hiéroglyphique. Ils selivraient à des observations

astronomiques qu'ils appliquaientà l'orientation de leurs

monuments et à leur systèmedivinatoire. Ils possédaient des

notions de planification,

d'urbanisation et de génie civil.Leurs croyances religieuses,

vouées au culte de Quetzalcoatlle serpent à plumes et leurs

conceptions cosmogoniqueseurent une influence décisive sur

les cultures à venir.

Puis vint le déclin et, entre les

années 650 et 700, la ville

semble avoir été pillée etdémantelée. Vers 726, des

groupes en provenance d'unendroit mystérieux appeléTamoachán arrivèrent dans la

vallée et, en 751, la ville sacrée

fut le siège des cérémonies del'avènement du Cinquième Soleil.

Cette date marqua le début d'unenouvelle étape historique, celle

des Toltèques.

La période toltèque, qui a

connu son plein épanouissemententre les années 752 et 1200,

restera pour les siècles suivants

une époque légendaire de paix,d'abondance et de

développement des métiers, desarts et des sciences.

De longues pérégrinations, àpartir d'une région appelée Aztlanou «lieu de hérons», conduisirent

les Mexicas, ou Aztèques, à

s'établir sur un îlot du lac quirecouvrait alors la vallée centrale

du Mexique. En 1325, sur l'ordrede leur divinité tribale

Huitzilopochtli, ils y fondèrent cequi deviendra la ville de Mexico-

Tenochtitlan, dont la splendeur a

fasciné tous ceux qui l'ont vue.Cette tribu nomade s'imposa

implacablement sur les peuplesvoisins. Sa domination s'étendra

sur la région Centre et Est del'actuel Mexique, avec des

enclaves sur le golfe du Mexiqueet la côte Pacifique. Mais desréduits indépendants subsistèrentà l'intérieur de ce territoire et

l'inimitié de leurs populations,surtout celles de l'Etat des

Tlaxcalas, sera décisive pour laconquête espagnole.

L'Empire aztèque, ou Culhua-

Mexica, s'est fondé sur la triple

alliance des gouverneurs deMexico, Texcoco et Tacuba. En

cette fin de 15e siècle, il exerce

son contrôle sur quelque trente-huit provinces, qui s'étendent surprès d'un demi-million de

kilomètres carrés, soit le quart duMexique actuel. Le náhuatl est la

26

Page 27: Redécouvrir 1492; The UNESCO courier: a window open on the

langue franche, les pratiquesreligieuses sont communes.

L'évaluation de la populationdu centre du Mexique, au moment

de l'arrivée des Espagnols,aboutit à des chiffres très

variables, allant de 4,5 à 25,2

millions d'habitants, et, pour lapopulation de Mexico, de 72000à 300000 habitants.

Le vaste empire que lesAztèques gouvernent depuis leurpetite île est admirablement bien

organisé. Les tributs ennourriture, vêtements et objetsprécieux que leur envoient les

peuples soumis parviennent à la

capitale par le lac ou par deschaussées surélevées. Des

milliers de personnes se rendentaux grands marchés de la ville quioffrent une infinie variété de

produits. Le droit à la propriété de

la terre est garanti et, au sein descastes, les prêtres et les

guerriers occupent des positionsprivilégiées. Les systèmescalendaires et les calculs

astronomiques, les techniques degénie civil et d'urbanisation,l'enseignement, l'élaboration etl'interprétation de livreshistoriques et rituels, les notions

cosmogoniques et religieuses, lesméthodes divinatoires, les

métiers, l'artisanat et les arts,

tout ce qu'ont créé les habitants

de Teotihuacán et les Toltèques

atteint un haut degré dedéveloppement avec les Aztèques.Pourtant, la société est totalement

imprégnée de religiosité, qui sert àla fois de prétexte messianiqueaux conquêtes de l'Empire et de

justification aux sacrifices

humains, jugés nécessaires pouralimenter par le sang la vie duSoleil.

José Luis Martinez

Splendeur de l'art maya:

ci-dessus, Pyramide du

Devin, Uxmál, périodeclassique (Yucatán, Mexique,

600-900).

Ci-contre, tête colossale

d'une divinité maya, Copan(Honduras, 8' s.).

Ci-dessous, procession demusiciens, fresque du Temple

des Peintures, Bonampak,

période classique (Chiapas,Mexique, 600-900).

m ut!ft^S'Cr'fm'£mmà'* ?**" K3"'J!lu!fBJ jT^TJ

L'Empire mava: des cités -Etats en déclin

Le monde maya connut son pleinépanouissement, comme leshabitants de Teotihuacán (ancien

Mexique), pendant la périodeclassique, entre les années 250et 900 de notre ère. Des villes se

dressaient comme Yaxchilán,

Bonampak et Palenque dans le

Chiapas, Quiriguâ et Copan auHonduras, Piedras Negras auGuatemala, remarquables par leurarchitecture, leurs bas-reliefs,

leurs fresques, leur céramique,leurs stèles et leurs autels. A

cette même époque,

l'astronomie, les mathématiques,les calculs calendaires et un

système d'écriture hiéroglyphiquese développaient également. Lepouvoir politique était exercé par

une caste de prêtres.Vers le milieu du 9° siècle,

pour des raisons encoreincertaines peut-être

l'épuisement des terres et ledéclenchement de conflits armés

ces centres d'habitation et de

cérémonie furent abandonnés. A

la même époque, l'influencetoltèque commença à se fairesentir, le culte de Quetzalcoatl

apparut et, au début du 9e siècle,de nouveaux centres se

construisirent: Chichén Itzá,

Uxmal et Kabah. C'est alors que

s'établit la Ligue de Mayapan, qui

réunit les forces de la ville du

même nom et celles de Chichén

Itzá etd'Uxmal.

La culture maya commença àdécliner entre 1200 et 1517. Une

fois la Ligue dissoute, vers 1450,les grands centres de populationse sont transformés en Etats

mineurs, les sacrifices humains

sont devenus très fréquents et

l'arrivée des Espagnols a marquéla fin de cette brève époque de

splendeur culturelle.

Dans les périodes classique et

post-classique, les grandes villesmontraient une urbanisation

harmonieuse et fastueuse, avec

des palais, des temples, des

terrains de jeux de balle, desobservatoires, des bains, desarcs isolés et des tombes.

La sculpture maya trouva son

expression la plus remarquabledans le bas-relief. On le retrouve

en particulier sur les stèles où il

figure des divinités, des

personnages ou des colonnes deglyphes d'une minutieuse

perfection. Pour ce qui est de la

fresque, la plus grande réussite,du point de vue de la compositionet du dessin, se trouve à

Bonampak: elle représente des

batailles, des processions et des

prisonniers.José Luis Martinez

27

Page 28: Redécouvrir 1492; The UNESCO courier: a window open on the

L'Empire inca des «Quatre régions»

Túpac Yupanqui, dixième Inca de

la dynastie, règne depuis vingtans (1471-1493) sur l'Empire des

quatre régions, le Tahuantinsuyu.L'Empire atteint presque 900 000

kilomètres carrés. Il ne s'agit pasà proprement parler d'un empire,mais d'un ensemble de régions etd'ethnies très diverses, souvent

jalouses de leur autonomie etcependant unies par des lienspolitiques et économiques forts,maintenus par un appareil d'Etat

Ci-dessus,

vue générale de Machu Picchu

(Pérou, 1400-1500). Abandonnéeau 16' siècle, la fabuleuse citéinca fut redécouverte en 1911.

Ci-dessous, quipu («ncud» enquechua), faisceau de

cordelettes à neuds, de couleurs

et de torsions différentes, dontles Incas se servaient pour

enregistrer des événements et

exprimer des quantités.

28

dont le siège est au Cuzco, dansle sud de l'actuel Pérou. Túpac

Yupanqui succède à son pèrePachacútec, grâce à l'armée quile soutient contre le vnu de celui-

ci et contre son frère. Mais,

victorieux, le Sapa Inca, l'Incaprincipal, le front ceint de la

mascapaicha (bandeau écarlate

insigne du pouvoir suprême)exerce une autorité quasiabsolue.

Le pouvoir n'est cependantabsolu qu'en apparence. L'Incadispose d'une administration

complexe et centralisée. Une .multitude de fonctionnaires

parcourt sans cesse les territoires

soumis, contrôlant, dénombrant,surveillant l'exécution des tâches

exigées au titre du tribut, veillantà l'ordre social. Immense toile

d'araignée dont tous les filsaboutissent au Cuzco, centrepolitique et symbolique de l'Etat.Celui-ci est une splendide cité auxvastes places et aux édifices,

palais et temples imposants. Lapureté des lignes architecturales,la rigueur du plan, la perfection de

la maçonnerie caractérisent lesdizaines de cités et de

forteresses qui jalonnentl'Empire.

La puissance inca est pourtanttrès jeune, puisque moins dedeux siècles lui ont suffi pours'imposer à plus de huit millionsd'hommes.

Pour maintenir la cohésion de

cet immense ensemble, le SapanInca dispose de quatre moyensprincipaux. Une langue commune,le quechua, imposée aux ethnies

soumises. Une partie des

habitants des régions peu sûresest déportée en zone bien

«incaïsée»; ce mitmaq (fraction depopulation déplacée), arraché à

sa terre d'origine, constitue ainsiun efficace facteur d'intégrationdans cette mosaïque de cultures

et d'ethnies. Un gigantesqueréseau de routes, estimé à prèsde 20000 kilomètres, quadrilleen outre le pays. Ces Inca nan

(chemins de l'Inca) franchissentmontagnes et canyons en droiteligne par des ponts de lianes ou

des escaliers (on ignore la roue).Soigneusement entretenus,jalonnés de tambos, à la fois

relais et dépôts, parcourus parles chasquiq (courriers officiels),ils sont les symbolesomniprésents de l'autorité inca.

Enfin, le culte du Soleil Inti, dieu

tribal des Incas, devient religiond'Etat.

En 1492, le règne de TúpacYupanqui touche à sa fin. Il seraassassiné l'année suivante et

l'un de ses fils, Huayna Câpac, luisuccédera et connaîtra un règneagité (1493-1527), ponctué dequelques nouvelles conquêtes etmarqué à sa fin par la lutte deses fils Huáscar et Atahualpa,entre lesquels il a imprudemmentdivisé l'Empire. Ce dernier

s'effondrera en 1532, cinq ansaprès la mort de Huayna Câpac.De cette chute, les Espagnolsseront certes les principaux

artisans, mais cet empire portaiten lui les germes de sadestruction.

Daniele Lavallée

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Ci-dessus,le globe terrestre de Martin

Behaim. Construit en 1492,peu avant la Découverte, Ilest le plus ancien globeconnu.

Ci-dessous, La découverte

du détroit par Magellan,

gravure de Théodore de Bry(1592).

Les chemins

du PacifiquePar Alfonso de la Serna

Comme une navette lancée

à travers l'océan, le célèbre

«galion de Manille» tisse un

réseau de communications entre

trois continents.

ALFRED Lothar Wegener, un géologueallemand (1880-1930) qui mourut auGroenland en cherchant à prouver ses

théories sur la dérive des continents, affirmaitqu'aux premiers âges géologiques, l'Amériqueformait bloc avec le reste de l'écorce terrestre.

Wegener était persuadé que celle-ci avait subi, àun moment donné, une énorme fracture: ce quiest aujourd'hui le continent américain s'en étaitalors détaché, dérivant vers l'ouest pour seretrouver au beau milieu des océans, entreP«Occident» euro-africain et P«Orient» asia¬

tique. Si cette théorie est exacte, on pourraitdire que, du point de vue géologique, l'Amé¬rique a «choisi» de regarder vers l'Europe, par¬dessus l'Atlantique, et de s'adosser à l'océanPacifique se situant ainsi à l'ouest del'Europe et à l'est de l'Asie. Cette petite licencelittéraire n'a d'autre but que d'éclairer les faitshumains qui se sont superposés à ces mysté¬rieux processus physiques.

Des millions d'années plus tard, troismodestes navires, trois frêles esquifs promis àun grand destin, franchirent l'abîme marincreusé par ce lointain déchirement de l'écorceterrestre, butant sur l'énorme fragment qui s'enétait détaché pour le ramener, en quelque sorte,dans le giron de l'Europe.

Paradoxalement, les Espagnols étaient partisà la recherche des pays de P«Orient», qui étaient

29

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Rapides et maniables, lescaravelles furent les navires

des grands voyages dedécouverte. Peinture

anonyme du 18° siècle.

nimbés à l'époque d'une aura de légende: levoyage de Colomb devait le conduire aux Indes,que visitaient alors les Portugais à la faveur deslointaines expéditions maritimes qu'ils entrepre¬naient dans le sens contraire, vers POphirmythique. Avec leurs extraordinaires périplesmaritimes, Portugais et Espagnols allaientensemble montrer que la Terre est un globe àl'image de celui qu'avait construit MartinBehaim dans son atelier de Nuremberg etnon pas une vaste étendue plate bornée auponant par l'océan Atlantique et au levant parles lointaines mers asiatiques. Ils ont cherchéet réussi à prouver sa sphéricité, et, partant,son inhérente unité.

Une année après le voyage capital deColomb, Vasco Núñez de Balboa, soldat etaventurier originaire de la ville andalouse deJerez, entreprit de trouver, à travers l'Amériquecentrale, un passage vers l'océan Pacifique.Affrontant les dangers de ces contrées incon¬nues et sauvages, il conduisit ses troupes à tra¬vers la jungle et, après mille péripéties, réussit àfranchir l'actuel isthme de Panamá. Le 26 sep¬tembre 1513, à l'aube, du haut d'une colline, ilaperçut, étincelant sous les rayons du soleillevant, le vaste océan qui prendrait le nom dePacifique. En atteignant le rivage, Balboa, dansun geste théâtral mais non dénué de grandeur,pénétra dans la mer vêtu de son armure, la ban¬nière de la Castille dans une main et son épéedans l'autre, pour en prendre solennellementpossession au nom de son roi.

«Primus circumdedisti me»

Commence alors ce que l'on pourrait appeler lesiècle de l'Espagne dans le Pacifique, avec, en1520-1521, le voyage de Magellan et Elcano,qui après avoir parcouru l'Atlantique, traverse¬ront le Pacifique nouvellement découvert.Magellan mourra aux Philippines et Elcanopoursuivra son périple à travers l'océan Indien,pour regagner l'Espagne par le cap de Bonne-Espérance, bouclant ainsi le premier voyage decircumnavigation de l'histoire. Après sonexploit, il fera figurer sur son écu d'armes un

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globe terrestre avec l'inscription: Primus cir¬cumdedisti me, «Tu fus le premier à naviguerautour de moi». Aux grandes traversées de ceuxqui franchirent le Pacifique dans un sens oudans l'autre, sinon dans les deux Loaysa,Elcano et Salazar en 1526, Saavedra en 1527-

1529, Villalobos en 1542-1545, Legazpi etUrdaneta en 1564-1565, Arellano en 1565,Mendaña et Sarmiento de Gamboa en 1567-

1569, Fernández de Quirós en 1605-1606s'ajouteront d'innombrables expéditions espa¬gnoles pour la reconnaissance de cette immenseétendue océanique.

En près d'un siècle, les marins espagnolsauront ainsi découvert et baptisé lesarchipels des Philippines, des Marianes, desCarolines, des Marquises, la Nouvelle-Guinée,les îles Santa Cruz, Salomon, Hawaii, Wake,Guam, Iwo Jima, Nouvelles-Hébrides, Guadal¬canal, Gilbert, Marshall, Galapagos, JuanFernández, Flores, Bikini, le détroit de Torreset YAustrialia ou l'Australie (ainsi nommé enl'honneur des souverains espagnols de lamaison d'Autriche), sans compter les nom¬breux autres territoires dont les noms ne nous

sont plus familiers.Ce fut également à cette époque que les

Anglais Drake, Cavendish et Spilbergen, valeu¬reux marins s'il en fut, se lancèrent aussi dans lePacifique, mais surtout pour intercepter lesgalions espagnols et leurs riches cargaisons, ettenir leurs souverains au courant des agisse¬ments de la couronne espagnole. Malgré cesincursions, le Pacifique demeura la chassegardée des Espagnols.

Au 18e siècle, alors que s'amorce le déclin desa puissance, l'Espagne lance encore de grandesexpéditions maritimes et scientifiques sur lescôtes de la Colombie britannique (Canada) etde l'Alaska, les «Californies du Nord». La

toponymie des lieux perpétue le souvenir desmarins et des savants espagnols qui, de 1773 à1793, explorèrent méthodiquement la côteouest de l'Amérique du Nord, s'intéressant à saconfiguration, sa faune et sa flore, ainsi qu'àson peuplement, poussant jusqu'au soixantièmeparallèle, au-delà des îles Aléoutiennes, nonloin du détroit de Bering.

Le premier service maritime

régulier de l'histoire

Parler d'un «siècle des Espagnols» dans lePacifique est loin d'être excessif, si l'on consi¬dère qu'il leur permit d'asseoir leur présencedans la région pendant deux cent cinquante ans,grâce à la création, sans précédent dans l'his¬toire, d'un service maritime régulier desservantdeux océans un service assuré par le fameux«galion de Manille».

Entre 1565 et 1569, Miguel de Legazpi,autre soldat espagnol, conquit les îles Philip¬pines, ainsi baptisées en l'honneur de PhilippeII, pour le compte de la couronne espagnole,qui en fit l'une de ses plus solides possessions etsa base principale dans le Pacifique. Ce grand

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archipel fut d'ailleurs l'un des témoins les plusdurables de sa présence en Extrême-Orient,puisqu'il lui appartint pendant plus de troissiècles, jusqu'en 1898. Les Espagnols en conser¬vèrent, dans leur mentalité et jusque dans cer¬taines de leurs coutumes, de grandes affinitésavec le monde asiatique.

Manille, aux Philippines, était le portd'attache des galions espagnols qui assuraient àtravers le Pacifique une liaison régulière avec larade d'Acapulco, sur la côte mexicaine.

La première traversée en direction duMexique eut lieu en 1573. La dernière en 1811,soit 238 ans plus tard. Ces galions, dont certainsjaugeaient jusqu'à deux mille tonneaux, étaientconçus en Espagne mais construits sur les chan¬tiers de Cavité, à Manille, en bois tropicaux dursaptes à résister aux difficiles conditions de navi¬gation auxquelles ces navires étaient soumis.

Le voyage d'Acapulco à Manille, qui suivaitla route des alizés, durait une soixantaine dejours. Le retour, en revanche, était bien pluslong et dangereux. Il fallait remonter vers lenord, presque à la latitude du Japon, pourtrouver les vents d'ouest et revenir, en traver¬

sant des zones de tempêtes fréquentes,jusqu'aux côtes mexicaines. Chaque aller-

retour représentait un trajet d'environ 18 000milles marins. Ce furent donc près de deuxsiècles et demi de va-et-vient d'une régularitéquasi parfaite. A une époque où on ne connais¬sait que la voile, la boussole, des cartes marinesplutôt fantaisistes, les alizés, le Kuroshio, lestyphons, la solitude, la chaleur, le scorbut, lebéribéri... et les corsaires.

Le galion de Manille reliait régulièrementl'Asie à l'Amérique, mais aussi à l'Europe,puisque ses voyages étaient synchronisés, à tra¬vers l'isthme centraméricain, avec les mouve¬ments des flottes espagnoles de l'Atlantique quiassuraient la liaison avec l'Espagne. Des cen¬taines, voire des milliers de navires formaientainsi, à travers deux océans, des réseaux unis¬sant ces trois continents.

Le port espagnol de Manille devint uneplaque tournante du négoce mondial, où transi¬taient, soit directement soit par la Chine, desmarchandises en provenance du Japon, deBornéo, de Java, des îles aux Epices (lesMoluques), de l'Inde, de Ceylan, du Siam, duCambodge et de Malaisie. Les galions venaienty charger de fabuleux trésors, qui fascinaient lesOccidentaux: l'or, les perles, les saphirs duSiam, l'ivoire, les laques, les soieries chinoises,

La rade d'Acapulco, gravure

de Théodore de Bry (1602).

ALFONSO DE LA SERNA,

diplomate et écrivain espagnol,ancien directeur des relations

culturelles au ministère espagnol

des Affaires étrangères,s'intéresse tout particulièrement

à la présence de l'Espagne dans

le Pacifique et aux Philippines,

un sujet auquel il consacrénombre de conférences et de

publications. Il est par ailleursl'auteur de Imágenes de Túnez(1990, Images de Tunis) etEmbajadas de España y suhistoria (1990, Les ambassades

d'Espagne et leur histoire).31

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l'ambre, le bois de santal et le camphre, le jade,les porcelaines Ming, le musc, la canelle, le cloude girofle, le piment, le curry... Mais en mêmetemps que ces biens précieux, ils transportaientles idées, les goûts et les traditions de l'Orientasiatique, qui laissèrent leur empreinte dansl'Amérique espagnole et subjuguèrent l'Europe,contribuant à éveiller son intérêt pour leséchanges avec ce continent. De nombreusesCompagnies d'Orient virent alors le jour etdevaient proliférer par la suite.

Une tête de pont

entre l'Orient et l'Occident

Certes, dès la préhistoire, des peuples asiatiquesavaient colonisé le continent américain en traver¬

sant le détroit de Bering, ou en gagnant ses côtesdepuis la Polynésie. Mais c'est la «découverte»du Pacifique à l'époque moderne qui leur auravéritablement ouvert le chemin de l'Amérique.

Ainsi que le faisait remarquer l'écrivainmexicain Eduardo Espinosa, l'Amérique asouffert de «désorientation». Héritant une

vision européenne des choses, les Américainsparlent de l'Asie comme de l'Extrême-Orient,quand cet «Orient» se situe en fait à l'occidentaméricain; et quand, en réalité, c'est l'Amériquequi se trouve à l'orient de la Chine et duJapon... Cette assimilation de notions géogra¬phiques et culturelles spécifiques à l'Europe aempêché l'Amérique de voir que l'Asie, qu'ellecroyait lointaine, était en fait «ailleurs», et serapprochait d'elle par le Pacifique pour, enquelque sorte, lui taper sur l'épaule et rappelersa présence. Et elle est là, en effet, envoyant surles rivages américains des vagues successivesd'immigrants, dont les communautés de plus enplus nombreuses contribuent à créer de nou¬veaux métissages, et peut-être un nouveaumelting pot ethnique et culturel aux consé¬quences imprévisibles.

Le continent américain comprend enfin quesa situation entre deux grands océans, l'Atlan¬tique et le Pacifique, à mi-chemin de l'Europeet de l'Asie, fait de lui une tête de pont entrel'Orient et l'Occident. Deux entités plusconceptuelles que géographiques, qui pendantdes siècles se sont crues aux extrémités oppo¬sées d'une sorte de vaste rectangle figé, quanden réalité elles se trouvaient sur une sphère auxperspectives changeantes selon le point où l'onse place. En «regardant» d'un côté vers un«Occident» purement conventionnel et del'autre vers un «Orient» qui ne l'est pas moins,l'Amérique sera peut-être un jour en mesure deréaliser la synthèse des deux, de la même façonqu'en étant «re-découverte» il y a cinq siècleselle apporta au monde la notion de sa sphéri¬cité, c'est-à-dire de sa possible unité.

L'Amérique, peuplée à l'aube de l'humanitépar des gens venus d'Asie, puis repeuplée pardes hommes venus d'Europe, sera-t-elle, aubout du compte, le berceau idéal de cette «racecosmique» dont rêvait le philosophe mexicainJosé Vasconcelos? L~J

Rio de Janeiro,

dessin du voyageur russeL. Visheslavtsev.

Amérique/Russie:un lointain

dialogue

Par Vera Kuteischikova

De surprenantes affinités lient ces

régions éloignées par la géographie

et l'histoire.

LES brasiers allumés par la Conquête sur lesterres américaines ne sont pas encoreéteints que déjà, à l'autre bout du monde,

dans la lointaine Moscovie, un théologien dunom de Maxime Grec (1475-1556) décrit lesexploits des Espagnols et des Portugais. Lesrenseignements dont il dispose sont assez peuprécis, voire fantaisistes, et il ne mentionnemême pas le nom de Colomb. Il sait néanmoinsapprécier l'importance de la Découverte et pré¬voit l'apparition d'une nouvelle communautéhumaine, née de la rencontre et de l'union desEuropéens et des autochtones.

Les nouvelles d'Amérique mettent alorslongtemps à parvenir en Russie: rares et frag¬mentaires, elles proviennent de sources euro-

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péennes. Il faudra attendre le 18e siècle et l'avè¬nement de Pierre le Grand pour que les Russesnouent des relations commerciales avec les terres

américaines et entrent en contact avec les habi¬

tants de la Californie, qui était en ce temps-làune province du vice-royaume de la Nouvelle-Espagne. Ils peuvent de la sorte développer leursconnaissances géographiques et se faire une idéeplus précise de ce qu'est l'Amérique.

La société russe s'intéresse surtout à la

Conquête, événement de portée universelleévoqué dans des oeuvres majeures: celles dupoète et savant Michel Lomonossov (1711-1765), du dramaturge Alexandre Soumarokov(1718-1778), du grand fabuliste Ivan Krylov(1769-1844), du poète Gabriel Derjavine (1743-1816). Soumarokov en donne une interpréta¬tion toute personnelle dans sa Conversation auroyaume des morts, un dialogue entre Cortés etMoctezuma où le Conquistador affirme devoirsa victoire à la haine que portaient à l'empereuraztèque ses propres sujets. La morale qu'en tirel'auteur libre penseur et critique de l'absolu¬tisme est claire: les monarques doivent segarder de sombrer dans la tyrannie.

Le chapeau de Bolivar

Ces euvres du 18e siècle sont empreintes decompassion pour les peuples autochtonesasservis et opprimés. On y dénonce le joug colo¬nial, sujet brûlant puisqu'à travers l'Amérique,leurs auteurs visent en fait la Russie: l'esclavagedans les colonies américaines y est assimilé auservage russe.

On retrouve cette analogie dans une suvremagistrale de cette époque, le fameux Voyagede Saint-Pétersbourg à Moscou d'AlexandreRadichtchev (1749-1802), première manifesta¬tion de l'abolitionnisme dans la littérature d'un

pays dont les deux tiers de la population étaientprivés de tout droit une situation quel'auteur compare tout naturellement à la colo¬nisation américaine. Dans un passage de cetteruvre, Radichtchev se remémore les après-midi d'été où il s'attardait, le long des débarca¬dères, à observer le déchargement des naviresqui rapportaient d'Amérique d'opulentes car¬gaisons de sucre, de café, de teintures etd'autres précieux fruits de la terre, encorehumides de la sueur, des larmes et du sang deceux qui les avaient cultivés. Et l'auteur fait à cepropos une allusion sibylline dont le senss'éclairera par la suite: «Pense, me disait autre¬fois un ami, que le café versé dans ta tasse et lesucre qui s'y dissout furent la cause du martyred'un de tes semblables et le motif de suppliceset d'outrages...»

Le pamphlet de Radichtchev provoque lacolère de l'impératrice Catherine II et lui vautd'être traîné en justice. C'est alors qu'onapprend qui était cet ami inconnu qui dénon¬çait les fruits cultivés avec la sueur et le sang desesclaves américains. Radichtchev reconnaît

s'être inspiré de YHistoire philosophique et poli¬tique des établissements et du commerce des

Européens dans les deux Indes, sortie en 1770de la plume d'un philosophe français, l'abbéGuillaume Raynal. Que Radichtchev fasse réfé¬rence à une des figures de la philosophie desLumières en France n'est guère surprenant. Laculture russe du 18e siècle en est très imprégnéeet a fait siennes les idées de Voltaire, Rousseau,Montesquieu et Marmontel.

Les Lumières gagneront l'Amérique espa¬gnole vers la fin du siècle, lors de la naissancedu mouvement anti-colonial, qui fait del'suvre de Raynal le fer de lance de son combatcontre l'Espagne. Et c'est encore à la Franceque reviendra le rôle d'intermédiaire dans ledialogue qui est près de se nouer entre la Russieet le monde ibéro-américain...

Simon Bolivar, devenu quasiment un per¬sonnage de légende, jouit en Russie d'uneimmense notoriété qui ne tarde pas à semuer en engouement pour un chapeau à largebords, venu de France, et qui porte son nom.Ce couvre-chef exotique est même mentionnédans une des maîtresses de la littérature

russe: Eugène Oniéguine, roman en versd'Alexandre Pouchkine (1799-1837). YouriLotman, structuraliste et sémiologue contem¬porain, explique que cette coiffure, dont lesinsurgés hispano-américains avaient fait leursigne de ralliement et leur symbole, avait étéreprise comme telle par les libéraux français;baptisée bolivar, elle fut ostensiblement arborée

Siglos y hombres

Siguiendolas huellasde Colón

Relates de escritores, científicos

y viajeros rusos y soviéticossobre América Latina

«Sur les traces de Colomb,

L'Amérique latine vue pardes écrivains, des

scientifiques et des

voyageurs russes et

soviétiques», ouvrage publiéen langue espagnole à

Moscou en 1990.

Editorial Profftew

33

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34

par les libre penseurs et les dandys saint-péters-bourgeois.

Des steppes russes à la solitude

des hauts plateaux

Plus tard, lorsque la marine russe les emmènerasur toutes les mers du globe, les voyageursrusses seront saisis par l'originalité du mondeaméricain. Mais leur fascination devant la

splendeur des paysages ne les empêche pasd'exprimer leur opposition à l'esclavage. Et cesdeux leitmotive du romantisme que sont l'exal¬tation de la nature et le désir de liberté vont

profondément marquer leur vision du mondelatino-américain.

A côté des journaux de bord des marins, oùabondent les descriptions vivantes quoiquenécessairement succinctes, on trouve aussi des

essais plus étoffés, dont les auteurs n'ont pastant cherché à décrire des paysages qu'à analyserles nouveautés auxquelles ils étaient confrontéssur le plan social, politique et ethnique.

Alexandre Rotchev, un écrivain qui a l'occa¬sion de visiter à cette époque plusieurs paysriverains de la mer des Antilles, peut mesurerdirectement le danger que fait peser l'expansion¬nisme nord-américain sur l'Amérique centrale.Il se dit «épouvanté par la cruauté des coutumeset le traitement insupportable qu'infligent lesNord-Américains aux natifs du pays».

En attendant, à l'autre bout du continent,

des voyageurs russes ne laissent pas des'étonner devant le gaucho. Dans son Voyage atravers la pampa de Buenos Aires, Platon Tchi-khatchov, qui parcourut inlassablement lesimmenses plaines du río de la Plata, professeune admiration craintive pour ce cavalier fier etintrépide, à l'indépendance sourcilleuse.

Les récits de voyage dans le NouveauMonde sont si variés qu'il est difficile d'en tirerdes généralités. Mais il est un point sur lequelils se rencontrent presque tous: quel que soitleur émerveillement devant ces paysagesinconnus, les auteurs russes ne peuvent dissi¬muler leur nostalgie pour leur lointaine patrie.

L'appel de la Russie résonne avec force dansA travers l'Amérique du Sud, l'tuvre monu¬mentale d'Alexandre Ionine, écrivain et diplo¬mate qui séjourne de 1892 à 1896 dans larégion. Doué d'un esprit vif et perspicace, ildécrit son expérience avec une certaine hauteurde vues qui n'exclut pas cependant le souci dudétail. Mais ce qui fait l'intérêt et l'originalité dece grand ouvrage, c'est surtout la pensée qui s'ydéveloppe. Celle-ci est résumée dans un poèmeen prose, Le lac Titicaca, où l'auteur prend sesdistances avec la conception européocentriste del'histoire. A quatre mille mètres d'altitude, prèsd'un lac voisin du ciel, il a une sorte de révéla¬

tion. En contemplant les merveilles naturelles, ilperçoit soudain l'union essentielle de la natureet de la culture, que le rationalisme s'est damné

Dans sa datcha, l'écrivain

russe llya Ehrenbourg (mort

en 1967) avec le romancier

brésilien Jorge Amado.

VERA KUTEISCHIKOVA,

de la CEI, latino-américaniste et

spécialiste de l'histoire de lalittérature, est membre del'Académie des sciences et de

l'Institut Gorki de littérature

mondiale à Moscou. Elle est

également co-directeur du projetde littérature latino-américaine

de l'American Council of Learned

Societies des Etats-Unis. On lui

doit nombre d'articles et

d'ouvrages, notamment sur leroman latino-américain du 20"

siècle et le roman mexicain.

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Dessin d'Alexandre

Pouchkine illustrant

le chapitre premier {¡'Eugène

Oniéguine, dans unelettre adressée à son frère

Lev en 1824.

pour avoir voulu ignorer: «Il m'apparut alorsque mes steppes natales, à l'instar de ces hautsplateaux, n'obéissent pas aux théories sur la vietirées des livres de l'Ancien Monde, et que tousdeux doivent nous inspirer des façons de penseret une logique nouvelles.»

Autre illustre visiteur du Nouveau Monde,le poète symboliste Constantin Balmont (1867-1942), arrivé à Mexico en 1905, se plonge avecenthousiasme dans l'atmosphère de l'antiquecivilisation indienne, qui, avoue-t-il, lui insufflel'«esprit de magie». Tout comme Ionine, ilsnous invite à reconnaître les limites d'une

vision européenne enfermée dans un nombri¬lisme complaisant et nous exhorte à «contem¬pler plaines et vallées non pas du petit montBlanc, envahi de touristes, mais des hauteursvolcaniques du gigantesque Chimborazo, de sescimes enneigées au pied desquelles les Péru¬viens édifiaient des temples d'or au Soleil,d'argent à la Lune».

Un nouveau dialogue

A la fin du 19" siècle, ce dialogue en pointilléprend corps avec la publication en Amériquelatine des grandes luvres de la littérature russe.Tourgueniev, Tolstoï, Gorki y suscitent un vif

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intérêt. Les Latino-américains découvrent la

dure condition du peuple russe qui ploie sous ledouble joug d'un servage social et spirituel, etsuccombent à l'attrait du «mysticisme natura¬liste» qui baigne ces «terres de grandes et mysté¬rieuses solitudes». Le Vénézuélien Arturo Uslar

Pietri y trouve de secrètes affinités dans «la sen¬sibilité, le fatalisme et le goût pour le tragique».

C'est peut-être dans ces affinités qu'il fautchercher l'explication du retentissement extra¬ordinaire qu'eut en Amérique latine la révolu¬tion russe de 1917. Ce n'est pas un hasard siNeruda et Jorge Amado sont les premiers à faireconnaître aux Russes leur continent sauvage à labeauté tragique, parcouru de forces vivifiantes.Les lecteurs russes vibrent de passion avec Laterre violente d'Amado et s'émeuvent de l'exu¬

bérance poétique du Chant général, qui dérouledans ses vers toute l'histoire de l'Amériquelatine.

La liberté créatrice du nouveau roman de

Carpentier, Fuentes, Vargas Llosa, Cortázar,García Márquez fascine les auteurs soviétiques,et fait dire à Tchinguiz Aïtmatov qu'ayant lu cedernier, il ne peut plus écrire comme avant. Si,un demi-siècle plus tôt, les Latino-américainsont pu ressentir une parenté spirituelle avec lespersonnages des romans russes, ce sontaujourd'hui les Russes qui reconnaissent dansle roman latino-américain quelque chose d'eux-mêmes.

La publication de la traduction russe deMonsieur le Président de Miguel Angel Astu¬rias, portrait saisissant d'un petit pays asphyxiépar la dictature, nous a révélé les rouages mor¬tels des tyrannies latino-américaines. Dans lesannées 70, trois autres romans sur le même

sujet remportent un vif succès: Le recours de laméthode d'Alejo Carpentier, Moi le Suprêmed'Augusto Roa Bastos et L'Automne duPatriarche de Gabriel García Márquez. Si exo¬tiques qu'aient pu lui paraître les personnageset le cadre de ces romans, le lecteur russe ne

retrouvait pas moins, dans la trame historiqueet l'enchaînement de l'action, quelque chosed'affreusement familier.

Le monde entier a lu YAutomne du

Patriarche, mais seuls les Russes ont pleuré enreconnaissant sous les traits du dictateur perverset fou ceux du régime totalitaire qui les écrasait.Seuls les Russes ou si l'on veut les Sovié¬

tiques ont eu à subir la mystification et lemensonge érigés en système de gouvernement.

Le succès phénoménal de García Márquezdans notre pays me fait penser à ces mot deMichel Bakhtine, linguiste et critique littérairerusse, qui soutenait qu'«une culture ne se révèledans toute sa plénitude et sa profondeur qu'auxyeux d'une autre culture». Il proclamait aussique le dialogue interculturel est le moteur duprogrès spirituel de l'humanité. Une idéed'actualité, puisqu'à la faveur du 500" anniver¬saire de la rencontre de deux monde, l'humanité

s'aperçoit, enfin, qu'elle est une et solidaire. O 35

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déclaration deGuadalajara

?

Extraits

En haut, éventail de plumes(Lima, Pérou).

Nous, chefs d'Etat et de gouvernement del'Argentine, de la Bolivie, du Brésil, du Chili,de ht Colombie, du Costa Rica, de Cuba, d'El

Salvador, de l'Equateur, de l'Espagne, du Gua¬temala, du Honduras, du Mexique, du Nica¬ragua, du Panama, du Paraguay, du Pérou, duPortugal, de la République dominicaine, del'Uruguay et du Venezuela, réunis les 18 et 19juillet 1991 dans la ville de Guadalajara, auMexique, sommes convenus de faire la déclara¬tion suivante:

Nous représentons un vaste ensemble denations qu'unissent des racines communes et leriche patrimoine d'une culture résultant del'addition de peuples, de croyances et de sangsdivers. Cinq cents ans après notre première ren¬contre, nous qui constituons l'un des grandsespaces du monde d'aujourd'hui sommesrésolus à projeter vers le troisième millénaire laforce de notre communauté.

Nous reconnaissons que ce projet deconvergence s'appuie non seulement sur unpatrimoine culturel commun mais aussi sur larichesse de nos origines et de leur expressionplurielle. Notre communauté est fondée sur ladémocratie, le respect des droits de l'homme etles libertés fondamentales. Dans ce cadre sont

réaffirmés les principes de souveraineté et denon-ingérence et est reconnu à chaque peuple ledroit de construire librement, dans la paix, lastabilité et la justice, son système politique et sesinstitutions. (...)

Nous reconnaissons l'immense contribution

des peuples autochtones au développement et àla pluralité de nos sociétés et nous réitéronsnotre engagement d'assurer leur bien-être éco¬nomique et social et réaffirmons l'obligation quiest la nôtre de respecter leurs droits et leur iden¬tité culturelle. (...)

Si la situation actuelle persistait, à la bipolarité

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idéologique pourrait succéder la division dumonde en un Nord riche en capitaux et en tech¬nologies, et un Sud pauvre et sans perspectives.Pour éviter cela, il faut, d'une part, développerdes formes effectives de réciprocité et de solida¬rité et, d'autre part, fonder celles-ci sur uneéthique de justice sociale et de liberté qui favo¬rise, en suscitant de nouveaux mécanismes, une

véritable coopération entre les pays du monde.(

Face à la dégradation mondiale de l'environ¬nement étroitement liée aux modèles de déve¬

loppement qui ont prévalu jusqu'ici, principale¬ment dans les pays industrialisés, nousdemandons que des mesures novatrices soientprises dans le cadre de la coopération multilaté¬rale. Ainsi pourra-t-on mettre un terme à cettedégradation et vaincre la pauvreté. Il est indis¬pensable que cette coopération internationaledébouche sur la mise en place de mécanismesefficaces de transfert aux pays en développe¬ment de ressources financières supplémentaireset de technologies appropriées à des conditionspréférentielles, non commerciales, eu égard aufait que c'est essentiellement aux principaux res¬ponsables du mal qu'il incombe d'agir pour yremédier. (...)

Face à la pauvreté, à la guerre, à l'intolé¬rance, à la faim, à la maladie, à la dégradation del'environnement et à l'ignorance, nous propo¬sons une culture nouvelle fondée sur la coopé¬ration internationale, seule voie pour parvenir àun monde juste et stable. Nous concevons cettecoopération comme une véritable action com¬mune où se rejoindraient les intérêts et lesobjectifs partagés par les nations ibéro-améri-caines et dans le cadre de laquelle il s'agirait defaire plus que simplement donner et recevoir.(

Seule une communauté internationale régiepar le droit peut assurer paix et sécurité à tousles peuples. Un rôle essentiel incombe danscette tâche aux Nations Unies, à une Organisa¬tion des Nations Unies revivifiée et rénovée quela nouvelle situation internationale doit mettre

plus facilement en mesure d'atteindre effective¬ment les objectifs qui lui furent assignés à sacréation.

L'affermissement des fondements de la

coexistence et de la justice internationale,conformément aux principes et objectifs de laCharte des Nations Unies, est une responsabi¬lité conjointe de tous les Etats, et non la préro¬gative exclusive de quelques-uns. Il s'agit d'unprocessus qui doit être ouvert et participatif,dans lequel doivent être défendus les intérêts dela communauté internationale dans son

ensemble. Nous sommes résolus à y apporternotre contribution. (...)

Pour atteindre les objectifs énoncés plushaut, nous avons décidé d'établir un dialogue auplus haut niveau entre les pays ibéro-améri-cains. Nous, chefs d'Etat et de gouvernementréunis à Guadalajara, Mexique, avons décidé deformer la Confédération ibéro-américaine de

chefs d'Etat et de gouvernement, à laquelle par¬ticiperont les Etats souverains d'Amérique etd'Europe de langue espagnole et portugaise. Acette fin, nous nous réunirons tout d'abord en

Espagne l'année prochaine, puis au Brésil en1993, en Colombie en 1994 et en Argentine en1995. Ces réunions permettront de faire avancerun processus politique, économique et culturelgrâce auquel nos pays pourront parvenirensemble à s'insérer de manière plus satisfai¬sante et plus efficace dans un contexte mondialen pleine mutation. (...) D

La marche de l'humanité en

Amérique latine (1972),

détail d'une peinture muralede l'artiste mexicain

David Alfaro Siqueiros.

37

Page 38: Redécouvrir 1492; The UNESCO courier: a window open on the

Naissance des Vundadm

TEMPS MODERNES }*#*«» ytínvrttto il/ Su/

Par Edgar Montiel r, » ,pWi tit In h m

1492 amorce un profond

renouvellement de la pensée qui

préfigure une conception nouvelle

de l'humanité.

38

Un riche mineur du Potosí

(dans ce qui est aujourd'hui

la Bolivie) vers le milieu du

17e siècle, gravure anonyme.

L'argent extrait des mines

de cette région fut l'un desfondements de la puissance

espagnole au 16* siècle.

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C'EST précisément au moment où l'essorde l'imprimerie en Europe permet pourla première fois de reproduire et d'étu¬

dier les anciens manuscrits grecs et latinsdonnant le signal de la Renaissance queparaissent les Lettres d'Amerigo Vespucci. Il yévoque des mondes nouveaux peuplés d'êtres etde créatures inconnus, qui remettent fortementen question des ouvrages aussi éminents que laCosmographie de Ptolémée, ou YHistoire desplantes de Théophraste (respectivement publiéesen 1478 en 1498 à Rome et Venise), et même laMécanique d'Aristote.

Il fallut soumettre à un réexamen appro¬fondi cette masse de connaissances patiemmentaccumulées au cours des siècles. Bien des idées

et des hypothèses se révélèrent fausses, d'autresexactes, mais la plupart durent être réactuali¬sées. Il y eut donc à la fois une crise et un pro¬fond renouvellement de la pensée, annonçantune époque ouverte à toutes les curiosités etcapable de concevoir un univers composé d'unemosaïque de mondes.

La représentation de l'homme et de son uni¬vers devait être revue. Les humanistes com¬

mencent à parler d'universalité, d'humanité,concept nouveau pour désigner un universpeuplé d'hommes à la fois différents et sem¬blables. Cette idée d'humanité marque le débutdes temps modernes en Occident et impose peuà peu une nouvelle imago mundi.

Le bon sauvage

Mais ces idées nouvelles ne faisaient pas l'una¬nimité et ont mis longtemps à s'imposer; l'uni¬versité accueillait avec un scepticisme dédai¬gneux les récits des découvertes extraordinairesdes marins espagnols et portugais, n'y voyantque des racontars sans valeur. En 1512, l'éruditAlessandro Achillini professait encore quel'équateur était une région stérile, déserte etinhabitées. Et en 1539, Johann Boemus publiason Recueil de diverses histoires touchant les

situations de toutes régions et pays contenuz estrois parties du monde, dont le titre même niel'existence de l'Amérique, ce qui n'empêche pasl'ouvrage d'être constamment étudié et rééditéjusqu'au 17e siècle.

Ce ne sont pas seulement les Lettres de Ves¬pucci qui enflamment l'imagination des Euro¬péens. Les récits des explorateurs et desconquistadors commencent à circuler discrète¬ment dans les cours européennes, chez les arma¬teurs et dans les cercles de pensée avancée. Lacorrespondance de Colomb avec les Rois catho¬liques va fixer en un éclair l'image typique del'homme américain: beau, vertueux, libre, insou¬cieux des biens matériels, comme vivant dans un

âge d'innocence.Vespucci confirme d'ailleurs cette impres¬

sion: «Ils n'ont personne pour les diriger, nemarchent pas au pas, chacun étant maître delui-même... Ils n'ont ni souverain ni chef et

n'obéissent à personne. Ils vivent dans la plusentière liberté.» Cette impression initiale des

indigènes des Caraïbes va donner naissance aupremier lieu commun européen sur le NouveauMonde: le mythe du bon sauvage.

Cette représentation dans le miroir del'Autre a eu sa dynamique et son importance.Rabelais exprime déjà un mélange de curiosité etd'admiration pour les Indiens qui font plusgrand cas d'un bloc de pierre que d'une pépited'or1, et la réflexion de Montaigne sur leshommes de m et de culture différentes fait

des Essais l'un des textes fondateurs de l'anthro¬

pologie comparée.On pourrait parler de la rencontre de deux

rationalités, de deux système de développementqui vont essayer de se comprendre mutuelle¬ment, mais qui donnent lieu à des malentendussans fin.

Par exemple, l'idée de la condition «natu¬relle» de l'Indien, comme simple prolongementde l'état de nature, a donné naissance à une

idéologie discriminatoire et inégalitaire, aupoint d'inciter un penseur comme Hegel à nierl'historicité de l'homme américain, comme si

l'Amérique précolombienne appartenait aurègne de la nature et non à celui de la raison.

Le mythe du bon sauvage allait néanmoinsconnaître un grand succès, bientôt associé àcelui de l'Eldorado qui fait des Amériques lepays des métaux précieux, de l'abondance et del'éternelle jeunesse, un jardin élu par la Provi¬dence pour nourrir le reste du monde.

De l'Eldorado à la légende noire

Mais très vite un nouveau mythe allait s'ajouteraux précédents: la légende noire. En fait,l'image édénique de l'Eldorado dissimulait sousune apparence bénigne la sombre réalité d'unemise en coupe réglée des mines d'or et d'argentdu Nouveau Monde pour remplir les coffresdes Européens. L'économiste Raymond Barre2rappelle opportunément que cet or a fondé lapuissance commerciale de l'Europe, permisl'essor du capitalisme, créé les banques deLyon, Anvers, Amsterdam, Francfort et Seville,ainsi que les premières «bourses» de valeurs; ilest donc à l'origine de l'extraordinaire essoréconomique de l'Europe moderne. Le mythede l'Eldorado servait en fait à dissimuler aux

yeux des contemporains le lourd tribut à payeren vies indigènes pour arracher l'or et l'argentaméricains des entrailles de la terre.

En 1533, le père Bartolomé de Las Casasfait sensation en publiant à Seville, avec l'auto¬risation du roi d'Espagne, sa célèbre Apologé¬tique, où il dénonce vigoureusement les abuscommis par les conquistadors. Ce texte fonda¬teur de la légende noire connaît un succès euro¬péen. Il exerce une influence énorme sur leshumanistes, les philosophes des Lumières et lesidéologues de la Révolution française.

Mais voici que paraît au tournant du siècle(Lisbonne, 1609) un autre ouvrage qui va, plusencore que celui de Las Casas, influencer l'idéeque l'Europe se fait de l'Amérique: les Com¬mentaires royaux de l'Inca Garcilaso de la Vega. 39

Page 40: Redécouvrir 1492; The UNESCO courier: a window open on the

40

Là où Las Casas suscitait chez le lecteur euro¬

péen la pitié pour les pauvres Indiens, l'IncaGarcilaso exprime une véritable admirationpour une culture et une civilisation qu'il décritdans une langue magnifique. Cette descriptionmagistrale, méthodique et harmonieuse del'empire inca fait paraître l'Amérique sous unnouveau jour. On peut dire que les Commen¬taires de Garcilaso ont influencé peu ou proutous les écrivains et penseurs des 17e et 18esiècles.

Le témoin définitif

Pourquoi le témoignage de Garcilaso touche-t-il et fascine-t-il à ce point les lecteurs euro¬péens? Rappelons qu'il était né à Cuzco, capi¬tale de l'empire inca, en 1539, c'est-à-dire cinqans après la chute de la ville aux mains desEspagnols. Métis du plus haut rang (il est le filsd'une princesse inca et d'un noble capitaineespagnol) il est initié très tôt au latin, aux

Frontispice de YHistoire des

Yncas, rois du Pérou

(Amsterdam 1737),traduction par Richelet desCommentaires de l'Inca

Garcilaso de la Vega. Dessinde Picart le Romain.

sciences et aux lettres. Mais en même temps, ilest le témoin privilégié du tragique effondre¬ment de l'empire du Soleil; tous les soirs, ilécoute fasciné les membres de la famille de sa

mère évoquer la gloire d'un passé révolu etassiste aux quelques rites qui ont survécu à laconquête. A vingt et un ans, il part terminer sesétudes en Espagne et faire valoir ses droits héré¬ditaires. Il y embrasse une carrière à la fois mili¬taire et littéraire. Retiré à Montilla, puis à Cor-doue, il dévore les classiques grecs et leshistoriens romains et s'intéresse à l'agriculture,la musique, l'architecture. Surtout, il se pas¬sionne pour toutes les chroniques des Indesoccidentales, dont les erreurs et les contre-

vérités vont le décider à rédiger ses fameuxCommentaires, où il s'efforce de corriger lestémoignages de ceux qui l'ont précédé pour«éclaircir et préciser bien des choses qu'ils ont àpeine commencé à dire et laissées imparfaites.»

Il se lance donc dans un travail majeur de

Page 41: Redécouvrir 1492; The UNESCO courier: a window open on the

reconstitution historique pour prouver auxEspagnols et aux Européens que les Incasétaient «civilisés et non barbares», et pourinciter l'Espagne à renoncer à gouverner par lefer et le feu une nation déjà vaincue militaire¬ment et qui mérite d'être traitée avec les égardsdus à sa culture3.

Après l'édition espagnole (1609), viennentles traductions en français (1633), anglais (1688)et néerlandais (1705), suivies, jusqu'au 19esiècle, d'innombrables rééditions, dont celle enfrançais de 1744, abrégée mais abondammentannotée et commentée par d'éminents savantset voyageurs du siècle des Lumières. Ainsis'instaure un dialogue symbolique, érudit etfécond, entre l'Inca Garcilaso et La Conda-mine, Godin, Frézier et bien d'autres.

De cette présentation de l'empire inca parGarcilaso, les Européens retiennent aussi bienle système social rigide, le collectivisme agraire,le monothéisme rigoureux, que les grandesavancées dans le domaine de l'agriculture, del'irrigation, de l'architecture, de l'urbanisme, dela domestication des plantes et des animaux,sans oublier le raffinement des bijoux et destissus.

Cette image d'une société égalitaire etplanifiée, placée sous l'autorité d'un Etat omni¬présent, va faire rêver les utopistes et les réfor¬mateurs du 17e et du 18e siècle. Pour l'Europe,assoiffée de justice sociale et de réformes, lasociété inca est la preuve concrète qu'un autresystème social est possible et que la répartitiondes biens et des richesses n'est pas un rêve inac¬cessible. Le «nouveau» monde avait bel et bien

inventé une nouvelle relation entre l'homme, lanature et l'Etat.

Du REFLET à la réalité

La vision «intériorisée» de Garcilaso se retrouve

chez Campanella, Bacon, Morelly utopistefrançais dont le Code de la Nature (1753)influencera les penseurs révolutionnaires et lessocialistes utopiques du 19e siècle. Mais Garci¬laso a aussi influencé Montesquieu, Voltaire(dont la pièce Alzire se déroule au Pérou),Rousseau, Marmontel (dont les romans puisentlargement dans les de Las Casas et del'Inca Garcilaso), et Rameau (auteur du célèbreopéra-ballet Les Indes galantes). Au fond, tousces philosophes, moralistes, politiciens, artistes,poètes et musiciens, qu'ils soient monarchistesou bourgeois, trouvent dans la société inca unesource d'inspiration ou le moyen d'exprimerleurs propres aspirations. L'Autre a cessé d'êtreun simple reflet pour s'intérioriser dans leregard du spectateur européen.

A la veille de la Révolution française, l'Aca¬démie de Lyon propose comme sujet deconcours une dissertation sur un thème résolu¬

ment universaliste: «De l'influence de la décou¬

verte de l'Amérique sur la félicité du genrehumain». Beaucoup de textes reçus trahissentl'influence de la pensée de Garcilaso, notam¬ment celui du lauréat, l'abbé Genty, qui donne

num copia falubrítate admixtabominû : qu^nífíquís víderír.credulítatem fuperat . Huius arborespafcua&fructus / multü ab íliis Iohanc differút .Haïeprdíuerfo aromatii genere /auro mctallífq? abundar., cu.us quidem 8C omniumaliarum quas ego vidi : & quarum Cognitionen*baheo incole; vtriufqj fexus :nudí femp incedunt :

au débat une actualité tout à fait révolution¬

naire. Pour Genty, c'est la propriété collectivequi a apporté le bonheur aux Incas, mais c'estl'absence de toute propriété privée qui, en affai¬blissant le sens social, a été la cause de l'effon¬

drement de leur empire.C'est ainsi que l'Amérique, cette altérité

fondamentale par ses peuples, sa géographie etsa culture, se retrouve au centre d'un cata¬

clysme historique aussi puissant que la Révolu¬tion française. A son tour, celle-ci renverra àl'Amérique son propre message, qui a intégréles apports novateurs de Las Casas et de Garci¬laso. La boucle est bouclée et c'est un autre

cycle qui s'amorce. O

1. Lucien Febvre, Le problème de l'incroyance au XVI'siècle. La religion de Rabelais, Paris, Albin Michel 1988.2. Raymond Barre, Economie politique I, PUF, Paris 1983.3. Edgar Montiel, Inca Garcilaso, Identidad de la Historia(L' Inca Garcilaso, identité de l'histoire), in CuadernosAmericanos (Cahiers américains) Mexico 1990.

L'arrivée de ChristopheColomb aux Antilles. Gravure

accompagnant sa première

lettre aux Rois catholiques,publiée en latin en 1493.

EDGAR MONTIEL,

du Pérou, appartient à la

nouvelle génération d'essayisteset penseurs latino-américains.Publications récentes: Inca

Garcilaso. Identidad de la

historia (1990, L'Inca Garcilaso.

Identité de l'histoire), Barro

pensativo. Signos de la culturaperuana (1990, L'argilepensante. Signes de la culturepéruvienne) et Negros enSudamérica. De la conquista a la

identidad nacional (à paraître,Les Noirs en Amérique du Sud.

De la Conquête à l'identité

nationale).41

Page 42: Redécouvrir 1492; The UNESCO courier: a window open on the

L'inventiond'une culture

Par Leopoldo Zea

«

Cinq cents ans après le choc de la

Conquête, l'Amérique affirme une

identité issue du métissage.

42 * Fernand Braudcl, Civdisation matérielle, économie etcapitalisme, XV' - XVIII' siècle, Paris 1967.

DÉCOUVERTE, rencontre, conquête, colo¬nisation, ces mots trahissent surtout le

point de vue de celui qui les emploie.Pour l'Europe, ils traduisent essentiellement unbesoin de se projeter au-delà d'elle-même, versdes terres imaginaires, des utopies auxquelles levoyage de Colomb donnera réalité. L'Amérique,écrivait Fernand Braudel, est l'invention de

l'Europe. Celle-ci n'a-t-elle pas «découvert,inventé l'Amérique et célébré le voyage deColomb comme le plus grand événement histo¬rique depuis la Création? (...) L'Europe a patiem¬ment créé, à son image et à sa ressemblance, uneAmérique qui réponde à ses désirs».*

L'Amérique est venue concrétiser les uto¬pies de More, de Bacon, ou de Campanella.L'Europe renaissante s'est projetée vers lemonde découvert par Colomb. Et c'est enAmérique du Nord, aux Etats-Unis, qu'elle ena trouvé l'image la plus parfaite celle del'accomplissement de ses idéaux de liberté. Là illui est facile, non seulement de commémorer,mais aussi de célébrer la réalisation d'un vieux

rêve, de fêter sa propre universalité historique..Mais la conquête et la colonisation lancées

par Colomb en 1492 étaient d'une tout autrenature. Dans les régions où cette colonisations'est exercée, il y avait autre chose que desimmensités inhabitées, que des populationsnomades. A la différence des puritains qui vien¬dront plus tard avec le Mayflower, ceux qui sui¬virent Colomb dans son aventure se trouvèrent

face à des hommes porteurs de systèmes devaleurs cohérents, de civilisations qui les inter¬pellaient en défiant leur conception du monde.Il fallait donc non seulement assujettir leurcorps, mais s'approprier leur âme. Les puritainsqui coloniseront les plaines d'Amérique duNord n'éprouveront nul besoin d'imposer leurculture, leur religion et leurs m0urs à des êtresqui leur semblaient absolument impénétrables.Il y eut donc deux formes de conquête: l'uneambitionnait la maîtrise des esprits, l'autre secontentait de domestiquer la nature d'unmonde nouveau, une nature dont les habitants

de ces contrées faisaient partie intégrante.L'expansion espagnole amorcée avec Colomb

répondait certes à des préoccupations mercan¬tiles, mais elle s'accompagnait aussi d'une mis¬sion évangélisatrice. S'il avait rencontré le grandkhan de Cathay, Colomb aurait tenté d'obtenirla christianisation de ses sujets. A la différencedu Nord, la conquête ibérique vise non seule¬ment à amasser des richesses, mais aussi à sauver

des âmes. Il y a autant de convoitise d'un côtéque de l'autre, mais celle des Espagnols est tem¬pérée par les missionnaires, qui s'efforcent decomprendre les gens qu'ils rencontrent afin depouvoir les amener dans le giron de la chrétienté.

Conquérir des âmes. Pour cela il fallaitdétruire ou du moins faire disparaître descultures païennes inspirées par le démon. L'onprocédait donc à des baptêmes collectifs, contrel'avis du père Bartolomé de Las Casas, qui sou¬tenait que les indigènes étaient gens de raison

Photo aérienne du Portrait

de Saginaw Grant,une tête d'Indien mesurant

plus de 300 m du sommet de

la coiffure à l'épaule,dessinée à même le sol dans

un champ du Kansas

(Etats-Unis) par l'artisteaméricain Stan Herd. Les

grands traits sont tracés à lacharrue et les reliefs

sculptés à la tondeuse.

Page 43: Redécouvrir 1492; The UNESCO courier: a window open on the

qu'il convenait d'abord de convertir. Poursauver leurs âmes on leur livrerait une «guerrejuste», qu'ils paieraient en servant des maîtresqui auraient été en droit de les exterminer enraison de leur «barbarie». Que peut-il arriverde mieux à ces barbares, disait Juan Ginés deSepulveda (1490-1573), que d'être soumis à unempire dont la prudence et la vertu peuventfaire d'eux des gens civilisés? Et que doivent-ilsdonner en échange? Il est juste, poursuivait-il,que ce dévouement pour leur rédemption, ils lepayent de leur travail auprès des maîtres aux¬quels ils ont été confiés. Bartolomé de Las Casasn'est pas le seul à dénoncer la duplicité de cetargument, et le génocide perpétré en son nom.

Ce n'est pas un hasard si, en cette mêmeannée 1492, coïncident deux événements histo¬riques majeurs: la chute de Grenade et ladécouverte de l'Amérique. La prise de Grenademarque l'achèvement de la reconquête et la find'une suprématie arabe qui remontait à 711.Ces huit siècles ont appris aux habitants de lapéninsule la coexistence avec d'autres races etd'autres civilisations, et produit ces hommesqui se répandront dans le continent inconnu.Le métissage se poursuivra dans le Nouveau

Monde, malgré l'arrogance et la cupidité, et endépit d'atrocités que les Espagnols serontd'ailleurs les premiers à dénoncer.

Durant la période coloniale, les Espagnolss'attacheront à imposer leur culture aux peuplesvaincus, mais ceux-ci finiront par s'imposer auxconquérants, en un brassage culturel et racialqui trouvera d'innombrables expressions. Plustard, s'y associeront, sous la contrainte, lesAfricains arrachés à leur terre pour assurer lepénible labeur qui avait décimé les premiersoccupants du continent. Après eux, d'autrespeuples et d'autres cultures viendront encore sefondre dans ce gigantesque creuset.

En cette année 1992, cinq cents ans aprèsl'exploit de Colomb, l'Amérique commémorenon pas l'événement qui marqua le début deson asservissement, mais les circonstances quiprésidèrent à la constitution de son identité.L'Amérique latine ne doit pas répudier sonpassé, car entre conquérants et conquis, il y eutbien un choc des cultures, mais aussi coexis¬

tence et échange. «C'est dans le mélange dessangs et des cultures, écrit José Vasconcelos,que nous devons rechercher les traits essentielsde notre individualité». O

LEOPOLDO ZEA,

essayiste et philosophe

mexicain, est professeur dephilosophie de l'histoire etd'histoire des idées à

l'Université nationale autonome

du Mexique. La culture et

l'histoire de l'Amérique latine

forment les thèmes principauxd'une tuvre abondante, traduite

en plusieurs langues, où l'onrelève América en la historia

(1957, L'Amérique dans

l'histoire), El pensamiento

latinoamericano (1976, lapensée latino-américaine) etLatinoamérica, tercer mundo

(1977, L'Amérique latine, ce

tiers monde). Voir aussi notreentretien du mois de novembre

1990.43

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ET DANS CINQPar Félix Fernández-Shaw

44

4 CfcCfc^ est une annse historiquement signi-^wWM ficative, car elle marque le bilan d'undemi-millénaire d'événements divers qui prirentnaissance en 1492 dans le monde alors connu

événements qui, avec le recul, prennent une toutautre dimension permettant de les juger autrementet d'en mesurer pleinement les effets. La prise deGrenade, le 2 janvier de cette année-là, par les RoisCatholiques eut un grand retentissement danstoute l'Europe. Ce n'était pas en vain quel'Espagne s'était abstenue de participer aux croi¬sades du Levant pour se consacrer à son ,uvre dereconquête. En faisant des recherches dans lesarchives de Gênes, je suis tombé sur un acte signépar le Doge de la république marchande, ordon¬nant que la prise de Grenade fût célébrée non seu¬lement avec les salves d'artillerie d'usage, mais aussipar l'observation de trois jours fériés. Et c'est le 31mars que fut signé l'édit sur l'expulsion des Juifs.Creuset des cultures européennes et méditerra¬néennes qu'elle apportera à l'hémisphère occi¬dental, l'Espagne a le privilège de porter le doublenom arabe a'Al-Andalus et juif de Éefarad.

Il est probable que sans ces deux événementshistoriques, aux lointains prolongements géogra¬phiques et politiques, Christophe Colomb n'auraitpas, le 17 avril 1492, obtenu la signature des Capi¬tulations de Santa Fé, extraordinaire contrat,dirions-nous aujourd'hui, entre un gouvernementet un particulier établissant par avance ses droitssur quelque chose dont personne ne connaissaitencore l'existence. Sans ces documents, Colomb etles frères Pinzón n'auraient jamais pu armer lestrois caravelles qui prirent la mer le 2 août depuisPalos, puis le 9 septembre au départ de La Gomera,aux Canaries.

Dans sa lettre aux Rois Catholiques du 15février 1493, Colomb annonce qu'il a touché terre,après 33 jours de navigation, le 12 octobre 1492,date retenue depuis pour l'acte de naissance duNouveau Monde, ou plutôt de la rencontre entreles naturels de l'Amérique et les voyageurs duvieux continent. Mais la découverte de Colomb

n'eut apparemment pas le retentissement de la prisede Grenade: dans les archives de Gênes, je n'ai putrouver trace d'une quelconque réaction à cetexploit, alors que la lettre le relatant avait étéamplement diffusée en Europe. Bien sûr, cela neveut pas dire que l'événement resta sans écho, sur¬tout si l'on considère les relations privilégiéesqu'entretenait cette cité avec Barcelone, oùColomb fut solennellement reçu par les RoisCatholiques au retour de son premier voyage.

On devait savoir peu de choses, à Gênes, desdémarches de Colomb auprès des monarques euro¬péens. Il est vrai que celui-ci avait conservé davan¬tage de liens avec le Portugal qu'avec sa ville natale.Par contraste, les lettres qu adressera plus tardAmerigo Vespucci à Florence, alors qu'il était auservice de l'Espagne, auront un impact considé¬rable et vaudront au navigateur florentin de laisserson prénom au Nouveau Monde. Colomb eut ensomme fort peu d'influence sur la vie politique dela République de Gênes, qui mettra bien longtempsà se souvenir de lui!

Une grammaire

pour un empire

Les caravelles qui firent voile de Palos sous lecommandement de Colomb auraient presque puemporter la Grammaire castillane que publieraElio Antonio de Nebrija à Salamanque le 18 aoûtsuivant. Il n'est pas indifférent d'en préciser ladate, car si dans l'esprit de son auteur, cette oeuvredevait permettre de conquérir un empire, c'étaitévidemment du Saint Empire romain germaniquequ'il s'agissait, et non de l'empire espagnol, quin'avait pas encore vu le jour.

On a aussi tendance à oublier que cetteoeuvre monumentale, fruit de nombreuses annéesde travail, s'appuie sur une langue qui comptait,quant à elle, quelque 500 ans d'existence. De nosjours, par bonheur, la langue a cessé d'être uninstrument de domination pour devenir le véhi¬cule de la coopération et de la solidarité interna¬tionales. Cette année, les hispanophones aurontla satisfaction de voir pour la première fois leurlangue millénaire à l'honneur dans une exposi¬tion universelle: l'Expo'92 à Seville, secondepatrie de Nebrija.

Si l'on avait disposé à l'époque des mêmesmoyens de communication qu aujourd'hui, com¬ment nous seraient parvenus d'Amérique leséchos des événements de cet annus mirabilis,

année admirable? Celle-ci vit l'Espagne, à l'instarde la France et de l'Angleterre, devenir un Etat-nation moderne, à cette différence que l'unionpolitique scellée entre la Castille et l'Aragons'étendit à des territoires dont on ignorait encorel'importance, suivant une logique européennepropre à cette époque et que rien, alors, ne vintcontredire. Il eût été passionnant d'avoir lecompte rendu de la découverte, par les Indienscaraïbes, des équipages de Colomb, et de leursréactions face à ces étrangers aux costumes et auxmbizarres, à la foi si différente de la leur.

De tous les événements de cette année 1492, si

riche en péripéties en Europe, c'est évidemment ladécouverte d'un nouveau continent qui aura eu lemaximum d'influence historique, géographique etscientifique. Thulé, comme l'avait prédit Sénèque,ne marquerait plus les confins du monde. Aus¬sitôt, les pays européens de la façade atlantiqueporteront leurs rivalités au-delà des mers:l'Espagne et le Portugal devront se partager unebonne partie des territoires du Nouveau Monde,tandis que l'Angleterre et la France se disputerontle Nord du continent. Curieusement, ces entre¬prises de découverte, qui obéissaient à des impéra¬tifs politiques, puis économiques, ne connaîtrontpas toutes la même fortune en Europe. Il se pas¬sera des lustres avant que les Atlas historiques etgéographiques ne tiennent compte des voyagesd'exploration portugais et espagnols. Car si ledébarquement de Colomb sur l'île de Guanahanifut un événement capital, le passage de la ligneéquinoxiale africaine, tant redoutée des marinsportugais, ne le fut pas moins. Nous le mesuronsbien aujourd'hui, 1492 n'est que l'aboutissementde l'énorme effort d'expansion maritime des

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CENTS ANS>

peuples ibériques aux 14e et 15e siècles. Dont larésonance fut telle, qu'elle se prolonge encore cinqsiècles plus tard. Il suffit de rappeler, à titred'exemple, l'exposition bibliographique organiséeen mai 1991 à l'UNESCO sur le thème «Le mot et

l'écriture: rencontre de deux mondes» et présen¬tant, à l'occasion de son Cinquième centenaire,plus de mille ouvrages récemment parus sur lesujet en diverses langues.

Pour autant que je sache, il n'y eut pas, à pro¬prement parler, de commémoration de cet événe¬ment avant son quatrième centenaire. Palosrésonne encore des paroles que prononça à cetoccasion le ministre plénipotentaire de l'Uruguay,Zorilla de San Martin, au nom de l'ensemble ducorps diplomatique ibéro-américain, tandis queparaissait en Italie la célèbre Raccolta colombina etqu'aux Etats-Unis, grâce d'ailleurs aux Italiens, sedéroulaient les premières célébrations du 12octobre 1492. Aujourd'hui, nous incombe la miseen valeur des études réalisées sur le sujet et leuradéquation à l'époque où nous vivons. Avecl'apparition de nombreux documents inédits, ellesnous obligent et c'est une bonne chose àrevenir sur certains aspects de notre histoire.

Cela dit, je crois qu'on aurait tort de s'en tenirà cette réflexion sur l'itinéraire d'hier à aujour¬d'hui, sans penser aussi à l'avenir, c'est-à-dire à lamanière dont nous jugeront, dans 500 ans, lesgénérations futures. Aurons-nous su effectuer lebond en avant qu'exigent l'évolution humaine etles développement historiques, ou nous serons-nous cramponnés aux vieux schémas, en oubliantqu'ils ne valent que par leur projection versI avenir tombant ainsi dans un narcissisme his¬toriaste difficilement excusable?

De la découverte

à la rencontre

II n'y eut jamais d'événement plus riche de consé¬quences pour l'histoire des relations inter¬nationales que la rencontre des deux mondes.C'est pourquoi Colomb s'est cru si naturellementautorisé à utiliser le mot de «découverte» dans sa

lettre à la cour d'Espagne; et celui-ci a été reprisen toute bonne foi par des générations de maîtreset d'élèves, des deux côtés de l'Atlantique.

Depuis, notre perception du monde a évolué,comme en témoigne la préoccupation fondamen¬tale de l'«Autre», qui s'impose pour ce Cinquièmecentenaire dans la logique d'une époquedominée par la communication, et où l'écoute etle respect de l'«Autre» devient une nécessité.L'événement est perçu comme une réalité incon¬testable, mais qui déborde le cadre restreint de lanotion de découverte (en géographie comme enbiologie ou en chimie) pour s'approfondir avecl'idée plus intemporelle de rencontre. Une idéeattrayante pour tous ceux qu'elle concerne, carelle traduit hien, à l'aube du troisième millénaire,une volonté commune de rassemblement et

d'intégration qui, avec tout le respect dû auxminorités et à feur passé historique, fraye la voieau dialogue et à la concorde.

Le mot «découverte» fait la part belle auxhéros de l'entreprise; le mot «rencontre» renddavantage justice aux peuples dont la réunionallait donner son contenu à l'idée de Nouveau

Monde. Si l'expression «découverte» a une portéesurtout événementielle, le mot «rencontre»exprime mieux le cheminement politique quiaboutit à la réalité d'aujourd'hui, 500 ans après1492. A une autre occasion, j'ai écrit: «Toute com¬mémoration a un sens. Un sens historique, maisaussi politique. Il ne s'agit pas simplement de rap¬peler un fait, mais de le valoriser, car en règlegénérale, on ne se souvient que de ce qui a de lavaleur. On lui associe toujours une date, et c'estainsi qu'on le transmet à la génération suivante.Geste historique par définition, puisqu'il s'inscritdans la chaîne des événements... Ces points derepères historiques et politiques sont précieux, carils permettent à tout instant de situer le présentpar rapport zupasse, et à Yavenir.» Il était logiquequ'une histoire eurocentriste parlât de «décou¬verte». Il est tout aussi logique qu'une histoireenfin conçue comme universelle nous incite àadopter le terme si évocateur de «rencontre»

Quel témoignage allons-nous léguer à ceuxqui viendront dans 500 ans? Quel bilan de notreimbroglio politico-historique dresseront ceux quiconnaîtront le 6% 7e ou 8e centenaire de l'événe¬ment qui nous préoccupe? Ce que nous faisonsaujourd'hui pour mieux comprendre ce qui s'estpassé en 1492, présentcra-t-il un intérêt quel¬conque dans cinq siècles? Ainsi, pour prendrel'exemple de mon pays, où il fallut tant d'efforts etd'abnégation pour restaurer la démocratie et sedonner une Constitution qui rassemble tous lesEspagnols, qui aurait pu penser qu'avant 1992,l'Espagne changerait de dimension historique etpolitique en épousant la cause d'une Europe com¬munautaire, et qu'au 1er janvier 1993, elle tourne¬rait la page sur des rivalités ancestrales? Qu'enjuillet 1991, pour la première fois dans leur his¬toire commune, les chefs d'Etat et de gouverne¬ment des pays hispano- et lusophones tiendraientà Guadalajara (Mexique) un Sommet ibéro-améri¬cain? Enfin, qu'avant même la fin de 1991, Arabeset Juifs se retrouveraient à Madrid pour uneconférence de paix, et reviendraient, après tantd'années, régler leurs différends sur un sol jadisfamilier?

Certains anniversaires sont incontournables,ils font partie de l'histoire des peuples. Encoreconvient-il d'en profiter pour mieux recadrerl'événement en fonction du contexte sociologiqueet politique. C'est pourquoi je propose que nouscommencions dès aujourd'hui à préparer le Cin¬quième centenaire... de 1992. Pour aller de l'avantavec une meilleure connaissance du passé, mais ensachant que le présent doit être tourné versl'avenir. Dans cent ans, nous retrouverons cetanniversaire, et il faudra à nouveau affiner le bilan,car les tablettes de l'histoire sont à revoir perpé¬tuellement. A nous de donner à l'événement un

contenu toujours plus riche d'espoir. L'année1992 n'a de sens que si elle porte en elle lajustification de l'avenir.

FEUX FERNANDEZ-SHAW,docteur en droit et en sciences

de l'information, diplomate decarrière et ancien ambassadeur

d'Espagne en Syrie, à Chypre, enUruguay et au Chili, estactuellement ambassadeur de

son pays auprès de I'Unesco.

45

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UNESCO 1946-1991 UnPmom * 45 mées (m-m)

psr Michel Conti Lacoste

1989Politique générale

46

Octobre-novembre: réunie en sa vingt-cinquième session, la Conférence généraleapprouve un budget biennal pour 1990-1991d'un montant de 378,8 millions de dollars.

Elle adopte le 3e Plan à moyen terme (1990-1995) dont la structure «vise à renforcerl'interdisciplinarité et l'intersectorialité del'action de l'Organisation» .

Education

Février: lancement par le Directeurgénéral du Programme régional pour lagénéralisation et la rénovation de l'enseigne¬ment primaire et l'élimination de l'analpha¬bétisme des adultes dans les Etats Arabes

(Arabupeal).Paris, 4-6 septembre: l'UNESCO accueille

la réunion inter-institutions annuelle sur la

coordination des activités des Organisationsdu système des Nations Unies relatives aucontrôle international de l'abus des drogues(Unesco, Oms, Fao, Bit, Banque mondialeetc.). Trois thèmes majeurs: ressources finan¬cières internationales disponibles, éducationet prévention, coordination.

New-York, 6 décembre: lancement offi¬ciel de l'Année internationale de l'alphabéti¬sation 1990, en présence du Secrétairegénéral des Nations Unies. 107 comitésnationaux préparent l'AïA.

Sciences exactes et naturelles

Madagascar: la mise en place, avec leconcours du Pnud et de la RFA, de la pre¬mière réserve de la biosphère dans ce pays àMananara-Nord permet d'envisager la pro¬tection durable d'une diversité biologiqueexceptionnelle.

Sciences sociales et humaines

Yamoussoukro (Côte d'Ivoire), juin/juillet: au siège de la Fondation Houphouët-Boigny pour la paix, Congrès internationalsur la paix dans l'esprit des hommes. Lesdébats ont notamment souligné le lien entrel'éducation pour la paix et la responsabilitédes hommes en ce qui concerne leur envi¬ronnement.

Ankara, septembre: en coopération avecl'Université d'Hacettepe (Turquie), colloqueinternational sur l'accès des femmes au tra¬vail salarié.

SAUVEGARDER LA CULTURE POPULAIRE

Culture

Novembre: adoption à la 25e session de laConférence générale de la Recommandationsur la sauvegarde de la culture traditionnelleet populaire. Il s'agit du premier instrumentjuridique international intéressant le folklore.

Lyon, au siège d'iNTERPOL, décembre: col¬loque international sur le trafic illicite et levol des cuvres d'art et des biens culturels. Lacollaboration de l'UNESCO avec INTERPOL

remonte à de nombreuses années.

Promotion du livre: en 1988-1989, 68Etats membres auront bénéficié d'activités

intéressant ce domaine. Plus de 20 cours de

formation aux différents métiers du livre ont

été organisés dans toutes les régions avecl'aide de l'UNESCO .

Lancement de la 16e exposition itinéranteUnesco de reproductions d'iuvres d'art,consacrée à l'art bouddhique.

Communication

Quito (Equateur), mars: réunion desministres de l'information d'Amérique latinesur l'avenir des services publics de radiodif¬fusion dans la région.

UNE PRIORITE: DEVELOPPER LES AGENCES

DE PRESSE

Mai: mission d'évaluation conjointeUnesco/Rfa dans 6 des 13 pays couvertspar le projet Wanad (West Africa NewsAgencies Development). La RFA décided'allouer 4 millions de dollars au projet,notamment pour l'informatisation desagences de presse.

La réserve

de biosphère de

Mananara-Nord (Madagascar).

Suva (îles Fidji), novembre: séminairerégional sous les. auspices de I'Unesco,l'Asia Pacific Broadcasting Union et laSouth Pacific Union, sur l'introduction de latélévision dans les îles du Pacifique et la pro¬motion d'une production nationale.

Intersectoriel

Novembre: la Conférence générale adopteun nouveau projet intersectoriel et inter-ins-titutionnel: «Le jeune enfant et l'environne¬ment familial» qui sera conduit en coopéra¬tion, notamment, avec I'Unicef; quatreangles prioritaires: nutrition et stimulationde l'enfant en bas âge; interaction parents/enfant/famille; handicaps de l'enfant; éduca¬tion pré-scolaire.

Création de Sources, nouveau mensuelillustré de l'UNESCO, qui se propose demontrer concrètement l'UNESCO au travail

dans tous ses domaines de compétence, etd'en améliorer ainsi la «visibilité» auprès dugrand public (édité en français, anglais, espa¬gnol et portugais).

Événements

Janvier: la collection UNESCO de musiquestraditionnelles: «Musiques et musiciens dumonde» reçoit le grand prix de l'Académiedu disque français.

Manille, juin: le prix UNESCO d'architec¬ture paysagiste décerné pour la premièrefois récompense deux équipes de l'Uni¬versité de Trigakti (Djakarta), auteurs deprojets d'aménagement d'un quartierd'habitat précaire.

Paris, 10 octobre: s'exprimant devant leConseil exécutif de l'UNESCO, Willy Brandtanalyse les raisons de ce qu'il appelle «ledépérissement du dialogue Nord-Sud», pré¬conise une «sérieuse révision du système desNations Unies» et suggère la création d'une

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«sorte de Conseil de sécurité» compétentpour les questions intéressant «l'environne¬ment global» et le développement.

Paris, novembre: exposition consacrée à lapersonnalité et à l'Puvre de JawaharlalNehru à l'occasion du 100' anniversaire desa naissance.

Paris, novembre: A l'Institut du mondearabe, remise du Prix Unesco-Cim de lamusique au musicologue et interprète ira¬kien Mounir Bachir et à la Fédération inter¬

nationale des jeunesses musicales.

LES ENFANTS AUSSI ONT DES DROITS

6 décembre: au lendemain de l'adoption,par les Nations Unies, de la Conventionrelative aux droits de l'enfant, une manifes¬tation au Siège de I'Unesco est animée pardes jeunes pour célébrer le 30e anniversairedu premier instrument normatif intervenudans ce domaine la Déclaration des droits

de l'enfant de 1959, que la Convention com¬plète et renforce.

1990Politique générale

Quito, mars: première consultation col¬lective régionale des Ong en Amériquelatine et dans les Caraïbes. L'UNESCO entre¬

tient actuellement des relations officielles

avec 585 Ong dans le monde.

En 11 ans, de 1978, date de sa création, à1989, le Comité sur les Conventions etrecommandations, émanation du Conseilexécutif appelée à traiter les cas de violationdes droits de l'homme dans les domaines de

compétence de l'UNESCO, a reçu 355 com¬munications sollicitant son intervention.

Education

Jomtien (Thaïlande), 5-9 mars: convoquéeconjointement par les chefs de Secrétariat deI'Unicef, du Pnud, de I'Unesco et de laBanque mondiale, et préparée par un pro¬cessus systématique de consultations régio¬nales et internationales, la Conférence mon¬diale sur l'éducation pour tous réunit 1500participants. Les principales institutions desNations Unies concernées promettent une

La citadelle de La Ferrière

(Haïti), site du patrimoinemondial.

augmentation de leur contribution dans lesannées à venir. La Conférence constate parailleurs que d'énormes crédits pourraientêtre dégagés par la réduction des armements.

Mexico, mars: Congrès international surla planification et la gestion du développe¬ment de l'éducation (avec la participation del'Institut international de planification del'éducation, IlEP).I Londres, avril: sommet ministériel mon¬dial sur le problème de l'abus des drogues.Les participants s'accordent sur le rôle clé deI'Unesco en matière de prévention parl'éducation.

Unesco, Paris, avril: consultation mon¬diale des organisations d'enseignants surl'éducation pour la prévention du sida, orga¬nisée au Siège de I'Unesco conjointementavec I'Oms, le Bit et 4 organisations interna¬tionales d'enseignants (400 participants).

LES MICROBES AU SERVICE

DE L'ENVIRONNEMENT

Sciences exactes et naturelles

Montréal, septembre: l'université de Mont¬réal accueille, en collaboration avec le réseau

MlRCEN de I'Unesco, un symposium sur lethème: «Biotechnologies et environnement.Pour un développement durable». Il s'agit dela contribution des biotechnologies à la ges¬tion et à la conservation de l'environnement

par les biais des mécanismes microbiens.Créé en 1975 par I'Unesco, le réseau

MlRCEN compte 24 centres de ressourcesmicrobiennes implantés dans 19 pays.I Genève, octobre/novembre: la DeuxièmeConférence mondiale sur le climat, à laquelleI'Unesco est associée à travers ses pro¬grammes concernant l'environnement (enparticulier les activités de la Coi), recom¬mande la négociation d'une Conventioninternationale sur le climat.

Nairobi, novembre: première réunion inter¬gouvernementale sur les questions touchant àla diversité biologique. Là encore, un instru¬ment normatif international est envisagé.M Unesco, Paris: plus de 150 hydrologuesdu monde entier célèbrent un quart de sièclede coopération internationale dans leur dis¬cipline.

Dans le cadre d'un projet conduit parI'Unesco et I'Uisg (Union internationaledes sciences géologiques), première confé¬rence mondiale sur l'utilisation des systèmes-experts pour la modélisation quantitative desgisements. Elle est organisée notamment encoopération avec le Service géologique duCanada. Sous leurs intitulés ingrats, ces tech¬niques sont en fait d'une grande portée pourles pays en développement, où elles permet¬tront d'optimaliser fa prospection et f'exploi-tation des ressources minérales.

Février et novembre: les organes direc¬teurs du Mab approuvent la désignation de17 nouvelles Réserves de biosphère.

Sciences sociales et humaines

Mars: deuxième Festival de Fez. A l'ordre

du jour: «Femmes arabes et créativité:femmes et écriture». Le Festival de Fez est

organisé par la municipalité depuis 1989 etsoutenu par l'UNESCO. Thème retenu pour1991: «Femmes et image».

H Démarrage d'un programme de réhabilita¬tion urbaine dans la ville de Ngaoundéré,Cameroun. Une équipe de jeunes animateursa été formée en vue d'assister les résidents

d'un quartier périphérique dans la construc¬tion ou l'amélioration de leur habitat.

SAUVER ANGKOR

Culture

Le Caire, avril: une mission d'experts serend au chevet du célèbre Sphinx de Guiseh,qui se délite, pour tester la pierre au moyend'appareils à ultra-sons. Une contribution de100 000 dollars a été accordée par l'UNESCO àla suite de la visite sur place du Directeurgénéral, en 1988.

Bangkok, juin: La première table rondeinternationale d'experts pour la préservationdes monuments d'Angkor jette les basesd'une action coordonnée en faveur de ce site.

Achèvement des travaux de préservationde la citadelle de La Ferrière (Haïti), dix ansaprès le lancement de la campagne.

Octobre: le Prix UNESCO de l'artisanat est

attribué pour la première fois au cours duSalon international de l'artisanat tenu à

Ouagadougou. Il récompense l'IvoirienneSangno Oumou pour ses créations debijoux, ainsi que deux autres lauréats respec¬tivement du Niger et du Burkina Faso.

Une résolution de la Conférence généraleinstitue une Journée mondiale du dévelop¬pement culturel et en fixe la date au 21 maide chaque année.

Histoire générale de 1 Afrique: parution duvolume III de l'édition française L'Afriquedu VII' au XI' siècle (coédition Unesco-Nea) et de l'édition abrégée des volumes IIet VII en anglais.

Communication

27-28 février, au Siège: réunion informellede journalistes représentant les nouveauxmédias de l'Europe orientale et des respon¬sables de presse de l'Europe occidentale, desEtats-Unis et du Canada. Organisée parI'Unesco, elle aura permis aux représentantsest-européens de la presse écrite d'exposerleurs besoins en formation, équipements, etassistance juridique et financière, au momentoù leurs pays se dotent de régimes démocra¬tiquement élus.

UNESCO, Paris, avril: l'Université radio-

phonique et télévisuelle internationale(Urti) et I'Unesco (Opi) réunissent leshauts responsables des principaux orga¬nismes de radiotélévision des pays de l'Est etde l'Ouest afin d'identifier leurs besoins les

plus urgents et d'étudier les possibilitésconcrètes d'une coopération audiovisuelle àl'échelle de l'Europe.

Extension à deux nouvelles régionsd'Afrique du programme de développementdes agences de presse en Afrique: deux pro¬jets couvrent respectivement 13 paysd'Afrique australe (le Seanad South-EastAfrica News Agencies Development) et10 pays d'Afrique centrale (le CanadCentral Africa News Agencies Develop¬ment), avec le concours de fonds-en-dépôtd'Allemagne.

Bucarest, avril: appel du Directeur général 47

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en faveur de la reconstruction de la Biblio¬

thèque centrale universitaire de Bucarest.

DE LA SOIE ET DES CARAVELLES

Intersectoriel

Colloque d'experts sur «La vision del'autre et les premiers contacts intercultu¬rels», dans la série de «Rencontres en chaînecommémorant le Cinquième centenaire de larencontre de deux mondes».

Démarrage de la phase opérationnelle del'Etude intégrale des Routes de la soie:Routes de dialogue et organisation d'expédi¬tions scientifiques: juillet à août 1990, Routedu désert en Chine, de Xian à Kashgar, etretour par Urumqi (10 000 km); octobre àmars 1991, Route maritime de Venise àOsaka (21 ports d'escale en 16 pays sur unparcours de 27 500 km).

Banff (Alberta, Canada): Comité du patri¬moine mondial: L'île de Dèlos, la réservenaturelle de Taingy de Bemaraha (Mada¬gascar), San Gimignano (Italie), et leKremlin avec la place Rouge parmi ¡es 17nouveaux sites et monuments inscrits sur la

liste du patrimoine mondial.

Evénements

20/21 janvier: Opération Livres pour laRoumanie à l'initiative de l'UNESCO et du

Pen Club. Près de 100 000 ouvrages ont étécollectés.

Unesco, Paris, 7 juin: Nelson Mandelaovationné à l'UNESCO. La journée s'achèvesur un récital exceptionnel de la chanteuseaméricaine Grace Bumbry, organisé avec laFondation Danielle Mitterrand «France

Libertés», et coïncidant avec le numéro duCourrier de ¡'Unesco intitulé «Vents delibertés».

Unesco, Paris, Juin: Vaclav Havel lauréatdu Prix international Simon Bolivar. Réuni

au Siège, le jury a entendu, par ce choix,honorer «un combat qui porte très au-delàdes frontières de son pays pour atteindreune portée universelle».

Cette même année, Vaclav Havel s'est vuremettre le Prix Unesco pour l'enseignementdes droits de l'homme, au cours d'une céré¬monie au Siège de l'UNESCO le 10 décembre.

UNESCO, Paris, Septembre: deuxièmeConférence des Nations Unies sur les paysles moins avancés (Pma).

Vaclav Havel reçoit le prix SimonBolivar 1990 des mains du

directeur général de I'Unesco.

Le Prix de l'éducation pour la paix estdécerné conjointement à Mme RigobertaMenchú Tum (Guatemala), pour son actionmilitante en faveur de ses compatriotesindiens et des droits des populations indi¬gènes d'Amérique latine, et au World OrderModels Project (Womp), une association dechercheurs et d'intellectuels engagés dansdes activités de recherche, d'éducation et dedialogue pour la promotion d'un ordremondial équitable.

1991

Politique générale

UNESCO, Paris, 15 octobre/7 novembre:deux mille délégués participent à la 26' ses¬sion de la Conférence générale, qui coïncideavec le 45 anniversaire de l'Organisation.Cette Conférence, déclare le Directeurgénéral, «est bien davantage qu'une occasionnouvelle de nous rassembler: elle est une

seconde naissance. (...) C'est la première foisdepuis 1946 qu'une Conférence générale alieu dans un cfimat de liberté et d'espoir».

La Conférence générale adopte, pourl'exercice 1992-1993, un budget biennal enréduction de 1 1 millions de dollars, soit 2,6%,par rapport au biennium précédent. Son mon¬tant est de 444,7 millions de dollars au titre dubudget ordinaire pour l'exercice 1992-1993.

Octobre/novembre: modification de l'Acte

constitutif: la Conférence générale décidequ'à partir de sa prochaine session, le Conseilexécutif sera composé de représentantsd'Etats membres de l'UNESCO, et non plus depersonnalités indépendantes. Elle invite,d'autre part, le Conseil exécutif à «mettre enplace un forum de réflexion ad hoc composéd'un nombre restreint de femmes etd'hommes éminents dans les domaines de

compétence de l'UNESCO et provenant detoutes les régions du monde».

Novembre: Mme Marie Bernard-Meunier,Ambassadeur, délégué permanent duCanada auprès de l'UNESCO et membre duConseil exécutif, est portée par celui-ci à laprésidence de cette instance. C'est la pre¬mière fois dans l'histoire de l'UNESCO

qu'une femme accède à cette responsabilité.L'Unesco compte 163 Etats membres,

dont 152 ont établi des Commissions natio¬nales. Les derniers en date sont la Lithuanie

(7 octobre), la Lettonie et l'Estonie (14octobre), et Tuvalu (ex-Ellice, 21 octobre).

Education

A l'initiative de l'UNESCO, ou en coopéra¬tion avec elle, de nombreuses réunions ontpermis de discuter: à Quito, en avril, del'éducation en Amérique latine et dans lesCaraïbes (Promedlac IV); à Dakar, enjuillet, de l'éducation en Afrique (Confé¬rence ministérielle, Minedaf VI); àI'Unesco (Paris) en juillet, avec POiT, del'application de la Recommandation concer¬nant la condition du personnel enseignantet, le même mois, du programme Iniste(International Network for Information ¡nScience and Technology Education, créé en1984); à Accra, en novembre: entre doyenset recteurs de 60 universités africaines, de

planification, administration et gestion uni¬versitaires; à I'Unesco (Paris), en décembre:du «suivi» de la Conférence de Jomtien,(première réunion du Forum consultatifinternational sur l'éducation pour tous).

ENSEIGNEMENT SUPERIEUR: DES CHAIRES

POUR UN ENSEIGNEMENT PRATIQUE

Nairobi, septembre: établissement àl'Université Kenyatta d'une Chaire Unescode nutrition, santé et développement del'enfant, dans le cadre du programmeUnitwin. L'objectif d'UNfrwiN est dedonner un nouvel élan au jumelage et à lacoopération entre institutions d'enseigne¬ment supérieur, en matière de formation etde recherche en enseignement supérieur.

La Conférence générale amende la Charteinternationale de l'éducation physique et dusport (1978) par l'introduction d'un nouvelarticle concernant la sauvegarde des valeurséthiques et morales dans ce domaine.

Juin: proclamation, avec PUndcp, de laJournée anti-drogue (16 juin) et de laDécennie des Nations Unies contre l'abus

des drogues (1991-2000).

Sciences exactes et naturelles

Unesco, Paris, mars: La 16' session del'Assemblée de la Commission océanogra¬phique intergouvernementale (Coi) consacreses travaux à ses programmes courants (sys¬tèmes d'observation de l'océan, systèmesd'alerte aux tsunamis, formation aux sciencesde la mer, etc).

Mars: les organes directeurs du Mabapprouvent la désignation de deux réservesde biosphère au Brésil: Vale de Ribeira Serrade Graciosa, et Tijuca-Tinga-Orgaos. C'estla première fois que le Brésil propose l'ins¬cription de telles réserves sur son territoireet participe ainsi au réseau internationalqu'elles constituent.

Paris, mai: Une Conférence internationale

sur le thème «Etude des systèmes côtiers etdéveloppement durable» marque le 10e anni¬versaire du Programme de I'Unesco pourl'étude du milieu marin côtier (Comar). Elleest organisée par l'UNESCO et parrainée parle Pnue et PIcsu.

Novembre: Le Conseil international de

coordination du Mab approuve le pro¬gramme sur la diversité biologique menéconjointement par l'Union internationaledes sciences biologiques (UlBS), le Comitéscientifique pour les problèmes de l'environ¬nement (Scope) et I'Unesco.

MOBILISATION CONTRE LE SIDA

Sciences sociales

Santander, Espagne, juin: Conférenceeuropéenne des sciences sociales, organiséef>ar les commissions nationales, au cours deaquelle s'est fait jour l'idée d'un «Pro¬

gramme intergouvernemental en sciencessociales et humaines», entérinée ensuite parla Conférence générale;

New York, juillet:rcunion interinstitutionsqui a permis d'établir, dans le domaine des

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activités concernant la population, le calen¬drier préparatoire d'un programme interna¬tional de formation et de recherche (1991-1995) financé par le Fonds des Nations Uniespour les activités en matière de population(Fnuap).

Venise, 8 juin: «Appel de Venise» en vue derecueillir des fonds pour aider les pays afri¬cains dans leur lutte contre le sida: une tren¬

taine de personnalités de la science, de la cul¬ture, de l'entreprise, des médias, de dignitairesde différentes confessions religieuses, de mili¬tants des droits de l'homme, et de célébritésdu monde du spectacle et du sport signentavec le Directeur général ce document, quiporte le double en-tête de l'UNESCO et deI'Oms.

Juillet: La signature d'un accord tripartiteentre l'UNESCO, le Conseil de l'Europe et leGouvernement portugais lance le projetpilote «Liens jeunesse: Nord-Sud», dontl'objectif est d'établir une meilleure coopéra¬tion Nord-Sud en matière d'échanges cultu¬rels de jeunes et de créer un réseau de coordi¬nation entre les politiques gouvernementaleset non gouvernementafes de jeunesse.

Genève, juillet/août: lors de la 16e sessiondu Groupe de travail sur les formes contem¬poraines de l'esclavage, qui relève de laCommission des droits de l'homme de

Genève, l'UNESCO présente un rapport surla Convention de 1949 contre la traite des

êtres humains (Pennstate Report).

Culture

Saint-Pétersbourg, juin: des responsablesd'institutions artistiques discutent de libre-échange culturel et artistique et approuventla création, à Saint-Pétersbourg, d'un Réseaupour la promotion des échanges artistiquesinternationaux.

Novembre/décembre: le Directeur généralse rend au Cambodge. Au cours de cettevisite, le Prince Norodom Sihanouk, Prési¬dent du Conseil national suprême et Chefd'Etat, signe l'instrument d'acceptation de laConvention du Patrimoine mondial (1972).D'Angkor, le Directeur général lance unappel à la communauté internationale poursauver ce site prestigieux.

Adoption par la Conférence générale d'unerésolution demandant au Directeur généralde constituer, en collaboration avec le Secré¬taire général de l'Organisation des NationsUnies, une commission mondiale indépen¬dante sur la culture et le développement.H Le Projet de programme et de budget pour1992-1993 prévoit le lancement d'activitésvisant à promouvoir le patrimoine et la cul¬ture arabes contemporains, grâce à une mobi¬lisation des institutions scientifiques et cultu¬relles de toutes les régions (Plan Arabia).

Communication

Windhoek, Namibie, avril-mai: un sémi¬naire pour le développement d'une presseafricaine indépendante et pluraliste est orga¬nisé pour la première fois en Afrique parI'Unesco et POnu, en coopération avec lePnud et en consultation avec diverses autres

institutions. Initiatives et projets sont envi¬sagés en vue de promouvoir l'indépendancedes médias et de développer la coopérationet les échanges entre organes de presse écritedu Nord et du Sud.

UNESCO, Paris, juin: Une soixantaine dedirecteurs de centres régionaux de formationà la communication élaborent une stratégiede formation pour le développement de lacommunication dans le monde.

Achèvement du projet Pacjourn (forma¬tion des journalistes et développement de lapresse écrite dans le Pacifique), financé parl'Allemagne. En trois ans il aura mis à sonactif la formation de plus de 300 journalistesdans cette région; une aide a été apportée àcertains journaux pour les doter de la «pro¬duction assistée par ordinateur» (Pao).

Septembre: mission d'évaluation diligentéepar I'Unesco auprès de la bibliothèque del'Académie des Sciences de Saint-Péters¬

bourg concernant la restauration des collec¬tions détériorées lors de l'incendie de 1988.

Décembre: premier séminaire techniquesur la mise en place du réseau Pangis (Pan-African Network for a Geological Informa¬tion System Réseau pan-africain pour unsystème d'information géologique) qui, aucours des années 1990-1991, a vu la créationde 15 centres nationaux de base de données.

UNESCO, Paris: l'Office d'information dupublic de l'UNESCO (Opi) lance Unescopress,qui diffusera désormais quotidiennement desnouvelles sur les activités de l'Organisation.

Intersectoriel

Janvier: signature de l'accord formel avecles trois gouvernements concernés par leProgramme UNESCO-Tchernobyl. Celui-ciprévoit des activités d'assistance techniquedans les domaines de compétence del'UNESCO, et des initiatives de sensibilisationinternationale.

Avril/juin: dans le cadre de l'Etude inté¬grale des Routes de la soie: routes de dia¬logues, expédition de la Route des steppes:lancement d'une série de programmes derecherche internationaux (caravansérails etsystèmes postaux; épopées le long des routesmaritimes; langues et écritures, etc); pro¬gramme de bourses; mise en chantier de lapréparation du Festival des Routes de la soie(1993).

Ottawa-Hull, novembre: réunion «Ame¬rindia '92» au Musée des civilisations sur le

thème «Renouveler la force spirituelle: Au-delà des 500 ans»; rassemblement de repré¬sentants indiens du continent.

Québec, juin/juillet: Les maires de qua¬rante-quatre villes historiques protégées parla Convention du Patrimoine mondial dis¬

cutent des problèmes de gestion posés par laconservation des valeurs culturelles pour les¬quelles leurs villes avaient été inscrites sur laListe. Ils ont décidé de créer un réseau de

collaboration entre villes du patrimoinemondial.

8-18 mai: mission de l'UNESCO au Liban.

Son rapport recommande une aide prioritairepour sauver le Musée national de Beyrouthet reconstituer la capacité éducative du pays.

LE MIME AU SERVICE DU DROIT D'AUTEUR

H La première des vidéo-cassettes de forma¬tion dans le domaine du droit d'auteur pro¬duite à l'initiative de l'UNESCO est dispo¬nible en cinq langues. Mais la langue n'estpas ici prioritaire: cette première édition estl'ouvre du célèbre mime Marceau, persuadéque les enseignements les plus subtils peu¬vent faire l'objet d'une expression gestuelle-

Evénements

Unesco, Paris: Hommages et anniver¬saires: bicentenaire Mozart, avec, à la Sor¬bonne, concert, soirée de gala et remise de lamédaille Mozart à la cantatrice Elisabeth

Schwartzkopf; en mai, hommage à RogerCaillois, un des grands écrivains quel'UNESCO s'honore d'avoir compté dans sesrangs.

Conférences-débat, colloques de person¬nalités, assises de réflexion: en mai, sur lacontribution de la civilisation islamique à laculture européenne; en juin, Séminaire deréflexion éthique avec le Goethe Institut deParis; en novembre, sur le thème «Tolérancereligieuse et paix mondiale» (avec notam¬ment Hans Küng); en décembre, sur lethème «Science et tradition-perspectivesinterdisciplinaires » .

Remises de prix: en septembre, celui del'Education pour la paix à Ruth Leger Sivard(Etats-Unis), militante du désarmement, et àl'école sénégalaise privée Sainte Marie deHann; en octobre, décerné pour la premièrefois, le Prix Sultan Qabous pour la préserva¬tion de l'environnement, à l'Instituto deEcologia A.C. (Mexique).

Unesco, Paris, novembre/décembre: 4eJournée mondiale du sida, sur le thème:«Unissons nos forces».

M Paris, 6 décembre: Le Directeur généralrend public un télégramme au Secrétairefédéral de la Défense yougoslave dans lequel,se déclarant «indigné et consterné» par lebombardement de Dubrovnik, il poursuit:«J'appelle votre attention sur l'engagementspécifique que les autorités fédérales et vous-même avez pris de respecter et de protéger lepatrimoine culturel mondial, en applicationdes conventions internationales dont la You¬

goslavie est signataire». Deux observateurspermanents de I'Unesco se trouvent depuisle 28 novembre à Dubrovnik. Ils sont chargésde répertorier les éventuels dommages causésau coeur historique de la ville et d'informerquotidiennement le Directeur général sur la M£ksituation. n ^**

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L'Unesco et

le Cinquième centenaireaction/Unesco de la rencontre de deux

mondes

L' UNESCO s'associe à la commémoration du Cinquième centenaire de1492 avec deux projets:

Amerindia 92 consiste à créer des espaces de réflexion et de dialogueavec les peuples autochtones d'Amérique afin de contribuer à instituer denouveaux types de relations interculturelles. Deux réunions ont déjà eulieu à Ottawa (Canada, novembre 1991) et à San Cristóbal de Las Casas(Mexique, juin 1991); d'autres sont prévues à Oaxaca (Mexique, sep¬tembre 1992), ainsi que dans les Caraïbes et en Amérique du Sud. Un fes¬tival du cinéma amérindien se tiendra en juin à la maison de l'UNESCO, oùil sera suivi d'une exposition de photographies, de concerts de musiquelatino-américaine et d'un cycle de conférences.

Rencontres en chaîne vise à illustrer la dimension universelle et la

richesse des échanges fondés sur les spécificités culturelles des peuplesoriginaires du continent et de ses îles, des Européens ainsi que des Afri¬cains et des Asiatiques, échanges qui firent en définitive des nouvellesnations ce qu'elles sont aujourd'hui. Dans ce cadre, l'UNESCO parraine le8 mai un concours littéraire au Festival du livre de Saint-Malo (France)consacré aux «étonnants voyageurs». Toujours en mai, un colloque setiendra sous son égide à Praia (Cap-Vert) sur «La rencontre de deuxmondes: la part de l'Afrique et ses répercussions».

Ces activités et bien d'autres publications, séminaires, manifestationsculturelles concourront à la réalisation d'un même objectif: faire parti¬ciper le monde entier à la commémoration d'un événement qui a scellé ledevenir de l'humanité. Elles doivent aussi donner une vision nouvelle de

la richesse du métissage et du pluralisme culturel, et mettre en valeur ceque l'Amérique a apporté, et continue d'apporter, au reste du monde.

EXPO'92 à Seville

Dix-huit millions de visiteurs sont attendus, d'ici au12 octobre, à l'Exposition universelle qui s'estouverte à Seville (Espagne) le 20 avril dernier, avec laparticipation de 110 pays et de centaines d'artistes dumonde entier. En ce Cinquième centenaire de la ren¬contre de l'Europe et de l'Amérique, Expo'92 offre,sur le thème de «l'ère des grandes découvertes», unfascinant parcours à travers l'évolution des connais¬sances. Un thème très proche des préoccupations deI'Unesco, qui a été chargée de coordonner la partici¬pation de l'ensemble du système des Nations Unies àcet événement.

Construit grâce au parrainage de la Banque deBilbao Vizcaya et avec le concours des autorités espa¬gnoles, le pavillon des Nations Unies bénéficie d'uneemplacement privilégié, au bord d'un lac artificiel. Cebâtiment d'environ mille mètres carrés, conçu parl'architecte espagnol José Ramón Rodríguez Gautier,a la forme d'un cube de verre et de béton, représen¬tant l'humanité, inscrit dans un quart de sphère àdouble structure métallique symbolisant l'univers.

Les visiteurs 600 par heure y cheminent àtravers plusieurs salles, où leur sont présentées, surdes panneaux d'information, 37 institutions spéciali¬sées de la famille des Nations Unies. Suit sur une suc¬

cession d'écrans vidéo un montage audiovisuel d'unevingtaine de minutes narrant les tribulations d'unextra-terrestre arrivé par hasard sur notre planète, oùil découvre simultanément les merveilles de la nature

et de la science, ainsi que les horreurs de la guerre, dela pollution et de la maladie. Ce paradoxe est finale¬ment corrigé grâce à la solidarité internationale, quise manifeste notamment dans l'action des Nations

Unies. «Créer un monde meilleur» est la devise

choisie pour le pavillon. G

^Pour

50

EffWlIiBibliographie succincte

ouvres et témoignages** Christophe Colomb, La découverte de l'Amé¬

rique, tome I, Journal de bord, 1492-1493

(1979), tome II, Relations de voyage, 1493-1504 (1979), tome III, Ecrits et documents(1991), traduit par Soledad Estorach et MichelLequenne, Introduction historique et notes de

Michel Lequenne, La Découverte, Paris.

^ Cristóbal Colón, Textos y documentos com¬pletos, prólogo y notas de Consuelo Várela,Alianza Universidad, Madrid, 1984.

** La fortune d'un nom: America. Le baptême du

Nouveau Monde à Saint-Dié-des-Vosges. Cos¬mographies introductio suivi des Lettres d'Ame-

rigo Vespucci, Textes présentés par AlbertRonsin. Jérôme Millón, Grenoble, 1991.»» Bartolomé de Las Casas, Très brève relation de

la destruction des Indes; Hernán Cortés, La

Conquête du Mexique; Bernai Diaz del Castillo,

Histoire véridique de la conquête de la Nouvelle-Espagne, 2 tomes: ouvrages réédités dans lacollection de poche La Découverte.

» Felipe Guaman Poma de Ayala, Nueva Crónica yBuen Gobierno (reproduction en fac-similé d'un

codex péruvien illustré), Institut d'ethnologie,coll. Travaux et mémoire, Musée de l'Homme,Pans 1989.

Témoignages de l'ancienne parole, traduit du

náhuatl par Jacqueline de Durand-Forest et pré¬senté par Miguel León-Portilla, La Différence,Pans 1991.

Biographies et études

» Michel Lequenne, Christophe Colomb, amiralde la mer océane, Gallimard, coll. Découvertes,Paris 1991.

» Salvador de Madariaga, Christophe Colomb,Calmann-Lévy, Paris 1952.

>» Tzvetan Todorov, La Conquête de l'Amérique.La question de l'autre, Seuil, Paris 1982; PointsEssais, Pans 1991.

»* Christophe Colomb vu par les écrivains fran¬çais, textes choisis et présentés par IsabelSoto-Alliot et Claude Couffon, Amiot-Lenganey,Cairon Thaon 1992.

L'époque

» Franco Cardini, 1492, L'Europe au tempsde la découverte de l'Amérique, Solar, Paris1991.

» Jean-Paul Duviols, L'Amérique espagnole vueet rêvée. Les livres de voyage de ChristopheColomb à Bougainville, Promodls Paris, 1985.»- Paul Favier, Les grandes découvertes,d'Alexandre à Magellan, Fayard, Paris 1991.» Martine Fettweis, Coba et Xelha. Peintures

murales mayas. Une lecture de l'image dans leQuintana Roo postclassique. Institut d'ethno- "logie, Musée de l'Homme, Paris 1988.

*» Thomas Gomez, L'invention de l'Amérique.Rêve et réalités de la Conquête, Aubier, coll.Histoires, Paris 1992.

» Serge Gruzinski, L'Amérique de la Conquêtepeinte par les Indiens du Mexique, Unesco/Flammarion, 1991.

»» V. Magalhàes Godinho, Les découvertes, XV*-

XVI' siècles, une révolution des mentalités,Autrement, Paris 1991.

»- Paolo Emilio Taviani, Christophe Colomb,

genèse de la grande découverte (deux tomes),Atlas, Paris 1980.

»»- Bernard Vincent, 1492, 'L'Année admirable'.Aubier, Paris 1991.

>» Collectif, L'Etat du monde en 1492, sous la

direction de Guy Martinière et Consuelo Várela,

La Découverte/ Sociedad estatal para la ejecu¬ción de programas del Quinto centenario, 1992.

Amérique, continent imprévu. La rencontrede deux mondes, sous la direction de Daniel

Lévine, préface de Claude Lévi-Strauss, Bordas,Pans 1992.

L'Amérique en 1492, portrait d'un conti¬nent, Larousse, Paris 1991.

Fiction

»* Regis Debray, Christophe Colomb, le visiteurde l'aube, La Différence, Pans 1991.

*»- Luis Mizon, La mort de l'Inca, traduit de

l'espagnol par Claude Couffon, Seuil, Paris1992.

>*- Paul Zumthor, La Traversée, L'Hexagone,Montréal 1991. Diff. Inter-forum, Malesherbes.

Géographie

» Kenneth Nebenzahl, Atlas de ChristopheColomb et des grandes découvertes, traduit parAnne-Marie Terel, Bordas, Paris 1991.

» Mireille Pastoureau, Voies océanes de

l'ancien aux nouveaux mondes, préface de

Emmanuel Le Roy Ladurie, coll. Banque Natio¬nale de Paris, Hervas, Paris 1990.

» Albert Ronsin, Découverte et baptême de

l'Amérique, Georges Le Pape, Montréal 1979.

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te Courrier-C-ctei UNESCOÏÏÏÏÏÏ

45e année

Mensuel publié en 37 langues et en braille par l'Organisation desNations Unies pour l'éducation, la science et la culture.

31. rue François Bonvin, 75015 Paris. France.

Téléphone: pour joindre directement votre correspondant, composez

le 45.68 ... suivi des quatre chiffres qui figurent entre parenthèsesa la suite de chaque nom.

Télécopie: 45.66.92.70

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RÉDACTION AU SIÈGESecrétaire de rédaction: Gillian Whitcomb

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Relations éditions hors Siège et presse: Solange Belin (46.87)Secrétariat de direction: Annie Brächet (47.15), Mouna ChattaAssistant administratif: Prithi Perera

Editions en braille (français, anglais, espagnol et coréen):Marie-Dominique Bourgeais (46.92).

ÉDITIONS HORS SIÈGERusse: Alexandre Melnikov (Moscou)

Allemand: Werner Merkli (Berne)

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Italien: Marie Guidotti (Rome)

Hindi: Ganga Prasad Vimal (Delhi)Tainoul: M. Mohammed Mustapha (Madras)

Persan: H. Sadough Vaniri (Téhéran)Néerlandais: Paul Morren (Anvers)

Portugais: Benedicto Silva (Rio de Janeiro)Turc: Mefra llgazer (Istanbul)Ourdou: Wal: Mohammad Zakijlslamabad)Catalan: Joan Carreras I Marti (Barcelone)Malais: Azizah Hamzah (Kuala Lumpur)

Coréen: Yi Tong-ok (Séoul)Kiswahill: Leonard J. Shuma (Dares- Salaam)Croato-serbe. macédonien, serbo-croate, Slovène:

Blazo Krstajic (Belgrade;Chinois: Shen Guofen (Be'jing!

Bulgare: Dragomir »etrov (Sofia)Grec: Nicolas Papageorgiou (Athènes)Cinghalais: S.J. Sumanasekera Banda (Colombo;Finnois: Marjatta Oksanen (Helsinki)Suédois: Manni Kessler ;Stockholm)Basque: Gurutz Larrañaga (San Sebastián)Thaï: Savitri Suwansathit (Bangkok)Vietnamien: Do PhLOng (Hanoi;Pachto: Ghot Khaweri (Kaboul)

Haoussa: Hab b Alhassar (Sokoto)

Bangla: Abdullah A.M. Sharafuddin (Dacca)Ukrainien: Victor StelmaKn (Kiev)

Tchèque et slovaque: Milan Syrucek (Prague)Galicienne: Xavier Senln Fernandez (Saint-jacques-deCoTiDostelle)

VENTES ET PROMOTION

Assistante: Marie-Noëlle Branet (45.89)

Abonnements: Marie-Thérèse Hardy (45.65). Jocelyne

Despouy, Alpha Diakité, Jacqueline Louise-Julie, ManichanNgonekeo, Michel Ravassard, Michelle Robillard, MohamedSalah El Dm, Sylvie van R jsewijk, Ricardo Zamora-PerezLiaison agents et abonnés: Ginette Motreff (45.64)Comptabilité: ¡45.65)Courrier: Martial Amegee (47.50)Magasin: Hector Garcia Sandoval (47.50)

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Courrier de l'UNESCO*. en précisant la Oate du numéro. Trois justificatifsdevront être envoyés à la directien du Courrier. Les photos nor copyr grilswnnt fournies aux publications qui en feront la demance Les manuscritsnon sollic tés par la Rêdactior ne se-ont renvoyés que s' 1s sont accompa¬gnés d'un coupon-répcnse international. Les anieles paraissant dans leCourrier de l'UNESCO exprirent l'opinion de leurs auteurs et ror oasnécessairement celles de l'U'JESCC ou de la Rédaction Les titres des

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IMPRIMÉ EN FRANCE (Printed in France)DEPOT LÉGAL: Cl MAI 1992

COMMISSION PARITAIRE N° 71842 - DIFFUSÉ PAR LESN. VI. P.P.

Photocomposition: Le Courrier de l'UNESCO.Photogravure-impression: Maury-lmprimeur S.A..Z.l . -oute d'Etampes. 45330 Malesherbes.ISSN 0304-3118 N° 5-1992-OPI-92-504 F

Notre prochain numéro (juin 1992). aura pour thème:

«1492 et ensuite: les rencontres se poursuivent»

N°l, 1992

Ce numéro évoque les immigrations diverses qu'a connues l'Amérique latineainsi que les musées qui reflètent cette diversité culturelle: les traditions

afro-cubaines, les immigrants japonais du Pérou, la population juive deBuenos Aires, l'implantation allemande dans le sud du Brésil, la présence

d'un «Viking» en Equateur. Il explore aussi les influences exercées en retour

par les cultures latino-américaines sur d'autres régions, comme celles despeintres nicaraguayens au Danemark et de l'art chilien à Stockholm, oul'inspiration précolombienne dans l' de Joan Miró.

Pour se procurer ce numéro en français, arabe, russe ou espagnol, auprix de 54 francs français (ou l'équivalent en monnaie convertible),s'adresser à Museum, CLT/CH, Unesco, 1, rue Miollis, 75015 Paris, France.

Si vous envoyez un chèque, faites-le à l'ordre de I'Unesco, avec vos nom et

adresse lisiblement écrits et en précisant la version linguistique de votrechoix. Pour obtenir la version en anglais de ce numéro «1492» de Museum,au prix de 10 dollars américains, s'adresser à Blackwell Publishers, 108

Cowley Road, Oxford 0X4 IJF, Angleterre, ou Cambridge Centre, CambridgeMA, 02412. Etats-Unis.

Crédits photographiques

Couverture, page 3: Eric Angels © Mari Carmen Hernánde7., Paris, Collection Chantai Stigliani.Couverture de dos, pages 7 en bas, 8, 25 en haut à gauche, 36, 37, 38-39: Mireille Vautier © ANA, Paris.Page 2: © Ismael Kachtihi, Reims. Pages 6, 9, 10-11, 12, 20, 21, 30, 31: © Dagli Orti, Paris. Pages 10, 22, 25 enhaut à droite, 25 en bas à droite, 25 en bas à gauche, 26, 27, 28, 36: © Charles Lénars, Paris. Pages 13, 29 enbas: ©Jean-Loup Charmet, Paris. Pages 14, 15, 17, 18, 23, 24, 29 en haut, 41: © Bibliothèque Nationale,Paris. Page 16: © The Beinecke Rare Book and Manuscript Library, Bibliothèque de l'Université de Yale,Etats-Unis. Page 19: © Bulloz, Paris, Musée des Beaux-Arts de Clermont-Ferrand. Pages 32, 33, 34, 35:© Edition en langue russe du Courrier de l'UNESCO, Moscou. Page 40: tirée de L'Amérique espagnole vue etrêvée, Ed. Promodis © Jean-Paul Duviols, Paris. Pages 42-43: Georg Gerster © Rapho, Paris. Page 46:UNESCO - Dominique Roger. Page 47: UNESCO - G. Hyvert. Page 48: Unesco - Michel Claude.

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